LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT
des
affaires sociales, des sciences et de la technologie
TÉMOIGNAGES
TORONTO, le mercredi 16 février 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie se réunit ce jour à 9 heures pour étudier les questions concernant la santé mentale et la maladie mentale.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Sénateurs, je vais commencer par remercier nos témoins qui sont venus d’un peu partout au Canada pour nous rencontrer à Toronto, dans cette ville où l’on vient occasionnellement des quatre coins du pays mais que l’on est aussi heureux de quitter — que voulez-vous, c’est cela Toronto.
Nous ouvrirons nos débats d’aujourd’hui par la question de la santé mentale vue sous l’angle médico-légal et, pour cela, nous allons accueillir des représentants de trois corps policiers de différents endroits au Canada qui s’occupent tous de liaison entre les services de santé mentale et les services de police.
Nous enchaînerons par un témoin de la Société Elizabeth Fry et d’autres qui assurent eux aussi la liaison entre les services de police et les services de santé mentale, mais pas du côté des policiers cette fois. Ces personnes ont pour vocation d’aider les détenus. À la fin de la séance, nous accueillerons deux juges du tribunal ontarien spécialisé en santé mentale avec qui nous bouclerons la boucle.
Nos trois premiers témoins sont Terry Coleman, chef de police à Moose Jaw et co-président du Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison; Michael Arruda qui est responsable des questions de santé mentale à la police de Montréal et Sean Ryan qui, comme nous nous en sommes tous deux rendu compte à l’occasion de quelques mots échangés tout à l’heure, vient de la ville même où ont grandi ma mère et mon grand-père et où nous avons beaucoup d’amis communs. Sean Ryan, comme vous avez pu le constater d’après son nom et son accent, vient de St. John's. Merci beaucoup d’avoir répondu à notre appel. Sean appartient au Royal Newfoundland Constabulary, un nom que j’adore.
Nous commencerons par entendre les exposés après quoi nous passerons aux questions. Merci beaucoup de vous être déplacés. Nous l’apprécions.
M. Terry Coleman, chef du service de police de Moose Jaw, coprésident du Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison : Bonjour. Je j’appelle Terry Coleman et je suis chef de police de Moose Jaw, mais si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que je co-préside le Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison, qui est un sous-comité de l’Association canadienne des chefs de police. Merci de nous avoir donné la possibilité de vous apporter le point de vue de la police et, dans une certaine mesure, celui de l’appareil de justice. On vous a sans doute remis un document, préparé par nous trois, qui présente des informations sur ce que je me propose de traiter dans un instant. Il vous aidera, je pense, à nous poser des questions.
Je suis entré dans la police il y a plus de 36 ans, à Calgary, et je suis maintenant à Moose Jaw. Ce dont nous allons vous parler, l’inspecteur Ryan, l’agent Arruda et moi-même, est caractéristique du milieu policier au Canada, même s’il existe des différences d’une ville à l’autre. La police entre inévitablement en contact avec des personnes souffrant de troubles mentaux et, dans une certaine mesure, c’est même nécessaire. Après tout, nous offrons un service téléphonique de 24 heures sur 24 et de sept jours sur sept et nous avons le personnel nécessaire pour répondre aux appels généraux et à ceux de personnes en crise. Les services policiers consacrent énormément de temps et d’argent à s’occuper de personnes souffrant de troubles mentaux qui sont en situation de crise.
Le service de police de London, en collaboration avec l’Université Western Ontario, a réalisé une recherche à cet égard, il y a environ deux ans, et je pense que vous trouverez utile que ces gens-là viennent faire une présentation. Je ne vous parlerai pas de la recherche de l’université, mais elle s’est avérée extrêmement utile d’autant qu’elle est rare dans le contexte canadien. Il s’agissait —
Le président : Excusez-moi de vous interrompre, s’agissait-il de l’étude réalisée par le service policier de London en Ontario?
M. Coleman : C’est exact.
Le président : Vous avez un nom?
M. Coleman : Oui.
Le président : Pourriez-vous nous le donner plus tard?
M. Coleman : Oui, j’ai le nom d’une personne.
Le président : Ce serait merveilleux. Merci.
M. Coleman : Ce genre d’études est donc rare dans le contexte canadien et l’inspecteur Ryan vous parlera davantage de cette recherche avant que nous ne terminions.
Comme je le disais, cette recherche est chargée d’enseignements outre qu’elle est seule du genre à avoir été effectuée au Canada, à ma connaissance. Elle a permis de constater qu’en règle générale les corps policiers consacrent énormément de ressources à s’occuper de malades mentaux. J’insiste sur le mot « énormément ». Comme je le disais, je vous recommande de vous procurer ce rapport et de le lire et peut-être même de rencontrer les auteurs.
Je ne dis pas cela en adoptant le point de vue du policier qui estime que ça coûte trop cher, même si nous manquions de ressources comme nous le savons tous, mais il se trouve que cette étude fait ressortir le fait que les corps policiers s’occupent déjà beaucoup des questions de santé mentale. Il serait intéressant d’effectuer le même genre d’études ailleurs au Canada, mais la recherche est coûteuse et il faudrait plus de temps pour produire un document semblable. Quoi qu’il en soit, après avoir examiné la méthodologie appliquée à London et à en juger d’après mon expérience, j’estime que les constats de l’étude sont représentatifs de ce qui se passe dans le milieu policier en général au Canada.
Dans le cadre de la tribune qui nous réunit aujourd’hui, voici les questions que nous nous sommes souvent posées : les policiers sont-ils les mieux placés pour s’occuper de personnes qui souffrent de troubles mentaux et sont-ils outillés pour répondre à leurs besoins et protéger leurs intérêts? La réponse est essentiellement non à ces deux questions, du moins pas après au-delà du premier contact et pas après qu’une situation potentiellement violente a été désamorcée.
Il demeure que nous sommes souvent frustrés de ne pouvoir confier ces personnes à des professionnels de la santé ou à des installations adaptées afin qu’elles soient prises en compte et traitées. Dans la police, nous rendons un service à la clientèle et nous nous trouvons frustrés de ne pas pouvoir bien faire notre travail sur ce plan.
Certes, des améliorations ont été apportées dans certains endroits au cours des dernières années et d’excellents programmes ont été adoptés pour mettre un terme au genre de frustrations que j’ai exprime ici, ce qui est tout à fait encourageant, mais comme toujours, il y a place pour l’amélioration.
Nous devons continuer à évaluer et à améliorer la consultation et la collaboration. La désinstitutionnalisation des personnes atteintes de troubles mentaux graves a eu des effets directs sur les corps policiers un peu partout au Canada. Je ne veux pas rentrer ici dans le débat de la justification occasionnée par la désinstitutionnalisation, mais mes collègues et moi-même de partout au Canada savons que ni la police ni les collectivités ne sont prêtes à accueillir ces malades. Pourquoi?
Eh bien, pour simplifier quelque peu une situation par ailleurs fort complexe et pour être bref, sachez que personne ne nous a dit ce qui allait se passer ni quels effets cette orientation politique aurait sur les collectivités. Nous n’étions pas préparés. Je vous parle de ça pour deux raisons, mais aussi pour vous amener à tirer les enseignements qui s’imposent. Nous devons veiller à ce que les professionnels de la santé et les groupes de consommateurs communiquent et travaillent avec la police — et que cela se fasse aussi dans le sens inverse — et nous devons aussi nous assurer que, dans l’avenir, la police sera consultée pour faire en sorte que les personnes souffrant de maladie mentale reçoivent toute l’attention et tous les soins qu’elles méritent.
Je m’en voudrais de ne pas parler de cette fausse panacée qu’on nous vante tant pour régler les problèmes associés à l’intervention des corps policiers auprès de malades mentaux. Je veux parler de cette idée que l’on peut tout régler grâce à la formation. Pourquoi pas donner un peu plus de formation et le problème sera réglé? Eh bien ce n’est pas ainsi que ça fonctionne.
Dans la mesure où il y a eu communications dans le passé, celles-ci ont émané d’organismes qui ont proposé aux corps policiers ou aux associations de chef de police, aux échelons provincial, fédéral ou national, d’adopter leur formation dans le programme d’instruction des policiers.
D’ailleurs, c’est parce que j’étais frustré de voir le nombre d’organismes qui démarchent la police, chacun pour faire valoir ses propres intérêts, pour que nous offrions la formation les intéressant, que j’ai adhéré à ce comité et que j’en suis devenu le co-président, parce que j’estime que les collèges de police et les corps policiers ne sont pas des lieux adaptés pour offrir des cours sur les différentes maladies mentales.
Au cours des deux dernières années, le Dr Cotton et moi-même avons effectué une recherche sur notre temps personnel — dont nous manquons tous deux — à la suite des recommandations du coronaire qui a fait enquête sur le décès d’une personne lors d’une intervention policière. Il arrive très souvent que nous tombions sur des gens qui souffrent de maladie mentale. Les recommandations du coronaire ne portent pas toutes sur une augmentation de la formation offerte aux policiers dans le domaine de la santé et de la maladie mentale, beaucoup en font état et si la formation peut effectivement être une solution dans certains cas, elle ne peut tout régler. On peut donc se demander si cela était nécessaire.
Les professionnels de la santé mentale et les policiers doivent collaborer pour mettre en œuvre de nouvelles structures qui nous permettront de mieux nous comprendre mutuellement et de travailler ensemble, en complément l’un de l’autre, pour offrir ce dont les clients et leurs familles ont besoin et ce dont ils méritent. Il s’agit d’un problème systémique et pas simplement d’un problème de formation. Le fait d’ajouter la formation à un problème structurel ne nous permettra pas d’améliorer ce que nous voulons améliorer.
Le fait de travailler au côté de personnes souffrant de maladie mentale et de les aider relève de notre mandat d’organisations policières et va dans le sens de la philosophie contemporaine du maintien de l’ordre. D’ailleurs, les quatre principes fondamentaux du maintien de l’ordre moderne, c’est-à-dire la police communautaire, comme vous le savez peut-être, sont : l’insistance placée sur la clientèle et la communauté, la consultation et la collaboration avec le milieu, la qualité et l’appréciation des services à la clientèle et l’amélioration des communications. Tout cela concerne également notre travail au contact des personnes souffrant de maladie mentale et des systèmes qui s’en occupent.
Je me dois de vous faire part des quelques progrès auxquels j’ai contribué dans le domaine de la santé mentale au sein des organisations policières, parce que nous avons fait notre part. Le comité des ressources humaines de l’Association canadienne des chefs de police, dont dépend le comité que je représente aujourd’hui, va organiser une conférence sur les ressources humaines à Vancouver à la fin du mois de mars sur le thème des défis opérationnels dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Nous aurons un exposé et une discussion sur la santé mentale au sein des services policiers. C’est là un grand progrès dans notre culture où la maladie mentale est quelque chose d’extérieur mais que nous hésitons souvent à reconnaître dans nos rangs.
C’est cela aussi qui pousse les organisations policières. Comme vous pouvez le voir, nous sommes, nous aussi, axés sur la clientèle. Le processus est certes important, mais ce sont les résultats qui nous préoccupent le plus. Au nom du milieu policier, je suis heureux de vous annoncer que nous tenons à faire partie de la solution. Nous sommes prêts à travailler sur ces questions dans l’intérêt des clients, de leurs familles et de leur milieu. Les crises occasionnent très souvent des changements dans le secteur public et la police n’échappe pas à cette règle. On dirait qu’il faut une tragédie pour attirer l’attention des décideurs et de ceux qui sont en moyen d’affecter les ressources nécessaires. Je n’ai certainement pas besoin de vous dire que ce n’est pas ainsi que nous préférons faire notre travail de policier.
Laissez-moi vous répéter que nous nous réjouissons de la possibilité que vous nous donnez de contribuer à la formulation de solutions à un problème important et complexe. Nous espérons que la police fera partie de ces solutions dans l’avenir, que ce soit à l’échelon local ou à un échelon plus général.
Nous aimons à penser que notre présence aujourd’hui marque un tournant positif à cet égard. D’habitude, des tribunes comme celle-ci ne portent pas sur des discussions de ce genre et nous espérons donc pouvoir continuer à contribuer à votre travail et je vous remercie pour votre invitation. Ce travail est tout à fait conforme à notre mandat et il est conforme à la philosophie contemporaine du maintien de l’ordre. Au nom des organisations de police et des agents de police, je vous remercie.
M. Michael Arruda, agent conseiller, Section des stratégies d’actions avec la communauté, dossier santé mentale et déficience intellectuelle, Service de police de la Ville de Montréal : Sénateur Kirby, sénateur Keon, honorables membres du comité permanent, j’ai eu l’occasion de suivre vos audiences, de lire certains extraits de vos dernières retranscriptions et de rencontrer certaines personnes qui ont souffert de maladie mentale dans le passé ou qui sont encore des patientes et qui sont venues témoigner devant vous. Je tiens à remercier les membres du comité pour leur engagement dans ce dossier et pour m’avoir invité aujourd’hui.
Je suis heureux que le gouvernement se penche enfin sur la question de la santé mentale et de penser que nos recommandations seront peut-être appliquées un jour. C’est un début, une période de changement, une époque où les gens commencent à parler de santé mentale comme s’il s’agissait de n’importe quel autre problème de santé. Comme j’appartiens à une famille dont un membre est atteint de troubles de santé mentale, je compatis avec les personnes qui souffrent de telles maladies et avec leurs familles et je comprends leurs frustrations. Pour décrire les personnes qui souffrent de maladie mentale, certains parlent de « échappés », et je comprends pourquoi.
En tant que policier, je trouve très troublant et triste que ces personnes et des membres de leurs familles doivent se tourner vers les services de police dans l’espoir d’obtenir les soins appropriés. Cela nous montre à quel point notre système est détraqué, pour ne pas dire malade. Bien que les interventions policières soient souvent très traumatisantes pour toutes les parties, les personnes ayant un vécu psychiatrique, autrement appelées PVP, et les membres de leurs familles savent que c’est probablement le seul service qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept et 365 jours sur 365, partout au Canada, et qui soit en mesure de réagir immédiatement pour maîtriser une personne en crise.
Les familles attendent des policiers qu’ils confient leurs proches à des professionnels de la santé. Ironiquement, la plupart du temps, ces professionnels de la santé ne sont pas disponibles et, dans certains endroits, il n’y en a même pas. Là où les services sont offerts, généralement dans les hôpitaux locaux, on demande que deux agents gardent la personne malade en attendant qu’un médecin vienne la voir. Je me suis demandé quand, pour la dernière fois j’ai ainsi monté la garde en attendant qu’un patient souffrant de cancer ou de diabète soit traité.
Le plus alarmant de tout, c’est le nombre d’appels que nos agents reçoivent un peu partout au pays au sujet de personnes qui sont en crise. Ces appels vont de celui ou de celle qui est confus et qui erre sans but dans les rues, à la personne qui veut se suicider.
Les crises ne sont qu’une facette des interventions policières. Il arrive très fréquemment que les agents soient appelés à appréhender les personnes en vertu de la Loi sur la santé mentale, à interroger témoins et victimes ayant eu des problèmes de santé mentale et à arrêter des personnes souffrant de santé mentale pour divers actes illégaux.
En outre, les gens fuient souvent les sans-abri, passant ainsi à côté des véritables problèmes qui sont l’absence de services en santé mentale, le manque d’installations et de logements supervisés. Il est plus facile d’appeler la police.
Quand ils interviennent, les agents ne peuvent pas vraiment apporter de solution. Ils ne sont pas spécialistes de ces questions parce qu’ils n’ont pas reçu de formation structurée dans le domaine, mais certains doivent porter un jugement et évaluer la personne qui représente un danger pour elle-même ou pour les autres. Dans les petites localités rurales, où peu de services sont offerts, les agents doivent intervenir dans des situations désespérées, dans certains cas, ces solutions trouvent un dénouement triste et tragique. Les agents sont dépassés par les événements et ils se sentent mal outillés pour intervenir adéquatement. Ces interventions exigent une attention et une technique particulières.
Comme les honorables membres du comité permanent le savent déjà, les difficultés auxquelles se heurtent toutes les parties intéressées sont multiples et il serait fastidieux et répétitif que je vous énumère ces problèmes.
Cela étant, y a-t-il quoi que ce soit de positif dans le cas des services policiers? Oui. Tout d’abord, je dois vous prévenir que les programmes offerts le sont généralement dans les grands centres urbains et que rares sont les corps policiers à en disposer. Certains services de police ont eux-mêmes décidé de former leur personnel en intervention de crise pour les cas de santé mentale. Les cours de formation de base offrent de quatre à 26 heures sur ce thème en salle de classe. On présente aux agents les techniques de communication, l’intervention verbale en cas de crise, les cas psychologiques anormaux, les méthodes d’observation, on leur donne des notions médicales et on les initie à la terminologie médicale. Les services de police commencent à regrouper des données afin d’évaluer les services offerts dans ce domaine et à mieux comprendre les situations.
Les grands corps policiers ont désigné des agents de liaison en santé mentale qui mettent sur pied des unités spécialisées et qui sont chargés d’élaborer des procédures d’intervention normalisées que tout le monde doit respecter dans leur secteur.
Des lettres et des protocoles d’entente conclues entre les corps policiers et les établissements de santé définissent le rôle de la police et du corps médical. D’autres services de police ont lancé des initiatives du genre programme conjoint police-communauté ou ont mis sur pied des équipes d’intervention en situation de crise constituées de personnel des installations de santé locales. Les programmes de coopération, comme Car87 à Vancouver, Coast à Hamilton et le modèle de réponse conjoint de Montréal sont destinés à répondre aux besoins des collectivités desservies.
Des comités de liaison police/services de santé mentale, locaux et régionaux, ont également été mis sur pied dans différentes villes pour essayer de régler les problèmes immédiats et à long terme. Le Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison a également été mis sur pied pour appuyer les divers organismes au Canada, les renseigner et les guider sur toutes les questions touchant à la santé mentale.
L’Ontario a mis sur pied des tribunaux spécialisés en santé mentale, tandis que différentes provinces offrent des programmes de déjudiciarisation. Des agents ont été formés à l’emploi d’armes moins létales quand ils interviennent dans des situations impliquant une personne à haut risque, et la négociation de crise est devenue la norme dans les grands centres.
Des initiatives plus audacieuses, comme des comités consultatifs usagers/PVP, ont été mis sur pied pour conseiller, éduquer et renseigner les corps policiers sur la façon d’intervenir auprès de personnes souffrant de problèmes mentaux. Les clients et PVP sont, de loin, les meilleurs conseillers que l’on puisse trouver dans le domaine de la santé mentale, pas uniquement à cause de ce qu’ils savent, mais pour leur vécu.
Des projets de formation réciproques ont également été lancés. Des spécialistes —psychiatres, psychologues, infirmiers-infirmières, chercheurs, enseignants, responsables du secteur de la santé, responsables de logements à faible revenu, fonctionnaires et autres personnes s’occupant directement de santé mentale — sont invités à faire des patrouilles en compagnie de policiers pour voir le genre de situation qu’ils rencontrent. Ils participent ensuite à un débriefing où ils font l’analyse des interventions et proposent des solutions plus appropriées. Les agents sont, quant à eux, invités à travailler dans le milieu de leurs accompagnateurs, pour connaître la réalité de l’autre côté de la barrière, et la même chose se répète.
Les usagers/PVP sont partie intégrante au processus. Il est question de comprendre la réalité de tout le monde et les difficultés auxquelles se heurte chaque organisation. On cherche des solutions en tenant compte des limites imposées sur chacun. De plus, des liens de qualité exceptionnelle sont créés. Les participants peuvent mettre des visages sur des noms. Ce n’est plus simplement un policier, un psychiatre, un client, mais Michel, Nadia ou John.
Comme vous le voyez, des efforts et des projets sont entrepris. Nous attendons du gouvernement qu’il relève les défis et prenne l’initiative. Comment pourrions-nous améliorer nos services? Eh bien, très simplement en nous permettant de nous exprimer. Merci.
Le président : Merci, monsieur Arruda.
M. Sean Ryan, inspecteur, Royal Newfoundland Constabulary : Bonjour, sénateur Kirby. Comme mes collègues, je tiens à remercier les membres de votre éminent comité de nous avoir donné l’occasion de prendre la parole devant eux aujourd’hui à propos de cette question sociale incroyablement complexe.
Je viens d’une famille de 20 frères et sœurs à Terre-Neuve et, moi aussi, je peux vous parler d’expérience, personnelle et professionnelle, pour vous dire que le système actuel est loin d’être suffisant pour répondre aux besoins permanents des personnes qui souffrent de maladie mentale.
À l’instar de nombreux autres corps policiers au Canada, le Royal Newfoundland Constabulary a tiré ses conclusions après avoir analysé la façon dont il traite des questions concernant les personnes qui souffrent de troubles mentaux et le manque de collaboration avec notre système de santé.
En 2000, des agents du Royal Newfoundland Constabulary sont intervenus dans deux cas de fusillade dont a été mortel. La même année, nos homologues de la GRC, à Terre-Neuve sont intervenus dans un incident du même genre. Malheureusement, dans les trois cas, il s’agissait de personnes qui souffraient de maladie mentale.
Après son enquête judiciaire au sujet des deux incidents mortels, l’honorable juge Donald Luther a formulé plusieurs recommandations bien pesées et très intéressantes.
Le chef Coleman a élégamment dressé la table tout à l’heure en vous donnant un aperçu de la façon dont la police travaille de nos jours et en vous faisant un historique de la situation. L’agent Arruda, pour sa part, vous a précisément relaté la façon dont fonctionnent quotidiennement les policiers un peu partout au Canada, le trait commun étant que la police fait tout ce qui est humainement possible pour venir en aide à ceux qui en ont besoin.
Dans les quelques prochaines minutes, je me propose de vous adresser des recommandations sur la façon dont le gouvernement fédéral que vous représentez pourrait nous aider.
Nous vous recommandons de mettre sur pied un organisme central et national chargé de recueillir des données auprès des corps policiers au Canada, données qui seraient analysées afin de produire des synoptiques tactiques de qualité en vue de favoriser l’élaboration de stratégies. Par ailleurs, nous croyons que les mêmes données pourraient être analysées pour fournir une analyse stratégique tout aussi valable à partir de laquelle nous pourrions mettre sur pied des services normalisés adaptés aux besoins de la clientèle et dégager des tendances ou des thèmes communs.
Nous avons également besoin de vous pour recommander qu’un financement soit accordé aux fournisseurs de soins de santé et aux corps policiers pour qu’ils collaborent à des recherches sur ces problèmes et pour appuyer également des recherches indépendantes sur le même thème commun.
La recherche accessible au Canada est rarement d’origine canadienne. La plupart des données dont nous nous servons sont américaines, ce qui est triste à dire, sauf, comme le mentionnait le chef Coleman, dans le cas de l’étude de London.
Les recherches que nous envisageons auront pour objet d’améliorer les services offerts par les divers organismes de même que les projets de collaboration. Nous demandons votre appui pour le financement d’initiatives de formation et d’éducation nationales pour les policiers et les travailleurs en santé mentale, grâce à un programme d’éducation nationale et publique qui permettrait de combattre la triste stigmatisation dont pâtissent ceux et celles qui sont atteints de troubles mentaux.
Nous avons besoin de votre appui pour aider les services policiers et les services de soins de santé à briser les barrières bureaucratiques et réglementaires auxquelles nous nous heurtons dans nos tentatives d’échanges d’informations, des informations pourtant essentielles qui peuvent nous fournir les renseignements dont nous avons besoin pour préparer des réactions efficaces.
Nous avons besoin de votre appui pour dresser le cadre d’une tribune nationale qui permettra de rassembler tous les organismes d’exécution de la loi au Canada afin de parler des pratiques exemplaires, un peu sur le même modèle que la tribune qui a été lancée dans les années 90 et qui a amené l’Association canadienne des chefs de police à adopter un modèle national en matière d’utilisation de la force. Cette tribune a donné de tels résultats qu’elle a été adoptée partout au Canada et qu’elle sert de modèle. Je crois que nous pourrions faire la même chose dans le dossier de la santé mentale.
Mesdames et messieurs, nous tous ici sommes conscients, au même titre que les organisations et nos provinces, de l’obligation qui nous est faite d’offrir le meilleur service possible aux personnes souffrant de maladie mentale. Nous nous rendons compte que l’amélioration de la formation, à partir d’une recherche de qualité, pourra certainement nous aider, nous les policiers et les fournisseurs de soins de santé, à adopter des mesures prophylactiques pour ceux et celles qui souffrent de troubles mentaux graves et qui, à un moment donné, finissent par avoir des démêlés avec la justice.
Je m’en voudrais si je n’insistais pas sur l’énorme contrainte financière qu’imposent nos modes d’intervention dépassés auprès des personnes souffrant de maladie mentale sur les budgets déjà limités des corps policiers. Comme l’agent Arruda vous l’a dit, il arrive que des policiers passent des heures à rechercher l’aide nécessaire pour les gens dont ils s’occupent tout en contribuant, par leur simple présence, à lutter contre la stigmatisation de criminalité dont les malades font les frais.
Je tiens à vous préciser que si nous sommes venus ici pour demander votre appui, cela ne veut pas dire que nous le faisons au nom de la police. Ce n’est pas pour nous tout cela. C’est pour ceux que nous servons et, encore une fois, c’est parce que nous voulons exploiter les possibilités qui nous sont offertes pour apporter les meilleurs soins possibles à ceux qui en ont désespérément besoin.
Les trois policiers qui sont ici devant vous et les milliers de collègues que nous représentons sont des porte-parole de la maladie mentale et nous nous en enorgueillissons. Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, mais nous avons hâte de vous aider et d’aider quiconque voudrait trouver des réponses.
Avec votre aide, nous pourrons offrir le genre de services qui répondront aux besoins du milieu et si, par le biais d’une tribune de ce genre, nous pouvons changer les choses pour le mieux, alors il n’y a pas de raison de s’en empêcher.
Je vous remercie de l’occasion que vous nous avez donnée de comparaître devant vous et pour le travail fantastique que vous avez déjà accompli. Nous sommes prêts à vous aider au meilleur de nos capacités et nous vous souhaitons bonne chance. Merci.
Le président : Merci beaucoup à vous trois pour ces déclarations réfléchies et, comme je le disais, pour les efforts que vous avez déployés afin d’être présents parmi nous.
Avant de céder la parole à mes collègues, pourrais-je tirer certaines choses au clair avec vous trois?
Vous avez parlé d’une tribune nationale dans un autre domaine du travail de police. Qui la finance? Est-ce le gouvernement fédéral ou quelqu’un d’autre?
M. Coleman : En fait, ce n’était pas financé. Il s’agissait d’un travail réalisé en collaboration par le comité des ressources humaines de l’Association canadienne des chefs de police et par le collège de police de l’Ontario qui en a été le chef de file. Il y avait un représentant qui siégeait à ce comité et c’est un comité que nous avons constitué ensemble. Il a fallu plusieurs années pour que tout le monde parvienne à s’entendre à ce sujet, mais il n’y a pas vraiment eu de financement, même si différents organismes ont contribué à son fonctionnement en fournissant des ressources humaines et matérielles.
Le président : Chef, cette tribune était essentiellement un symposium d’une semaine ou quelque chose du genre?
M. Coleman : C’était une série de symposiums.
Le président : Et vous voudriez faire quelque chose de semblable pour les questions de santé mentale.
M. Ryan : Tout à fait, sénateur, et je vous ai donné cet exemple parce que c’était une question importante dans la façon dont la police effectue son travail et c’est grâce à un travail de collaboration d’un océan à l’autre qu’il a été possible d’établir un cadre que nous avons adopté et qui fonctionne maintenant très bien. Ce que je voulais dire, c’est que si nous avons pu le faire pour cette facette du maintien de l’ordre, nous pourrons certainement le faire pour cet autre domaine.
Le président : Deuxième question. Vous avez parlé des obstacles à la communication d’informations. S’agit-il d’obstacles entre les corps policiers eux-mêmes ou entre la police et les autorités de la santé à l’échelon local, et de quel genre d’informations parlez-vous?
M. Ryan : Il s’agit d’une combinaison des deux. Ce sont des problèmes et bien sûr il y a aussi les questions qui se posent à l’échelon provincial avec les lois sur la protection de la vie privée. Il y a la bureaucratie de chaque organisation qui est jalouse de son territoire et qui empêche la communication d’informations; pourtant, tout renseignement communiqué par un organisme de soins de santé nous aide à adapter nos réactions mais, bien souvent, quand nous n’avons pas ces informations, nous sommes obligés de deviner ce qui ne va pas et d’essayer de déterminer tout de suite par nous-mêmes ce qui se produit.
On s’attend à ce que ce genre de problème soit résolu par la formation, ce dont le chef Coleman vous a parlé. La société ne peut s’attendre à transformer les policiers en diagnosticiens de la rue. Soyons honnêtes, il est difficile d’amener deux psychiatres à s’entendre sur un diagnostic et en l’absence de certains renseignements, il est difficile à un policier de déterminer ce dont souffre la personne à qui il a affaire et de parvenir à une réponse adaptée. Toutefois, il serait possible d’améliorer la situation grâce à la communication d’informations, sans enfreindre le caractère confidentiel des renseignements médicaux, et l’on pourrait ainsi protéger la sécurité de la personne et d’autres.
Le président : À l’heure actuelle, les professionnels de la santé, notamment les médecins, hésitent-ils à communiquer ces renseignements?
M. Ryan : Cela arrive.
Le président : Est-ce à cause des lois sur la protection de la vie privée?
M. Ryan : Parfois, les gens hésitent mais, dans la plupart des cas, les services voudraient bien nous communiquer des renseignements mais il arrive que le professionnel de la santé de service ce soir-là se mette à réfléchir à deux fois sur les conséquences éventuelles de la communication d’informations qu’on lui demande.
Je soulève ce problème, mais je me rends bien compte qu’il n’y a pas de bonne réponse. Je vous soumets simplement mes suggestions pour que vous les examiniez.
Le sénateur Cook : J’ai eu l’occasion de parcourir très rapidement le document très soigné que vous nous avez fait remettre. Je vais vous poser plusieurs questions, mais je vais surtout m’attarder sur la question de l’efficacité de la loi sur la santé mentale.
Nous, nous travaillons à l’échelon fédéral et vous au niveau provincial — ce qui nous cloisonne peut-être. Je constate que le taux d’arrestations des personnes souffrant de maladie mentale est le plus élevé de tous. Sean, je vais m’adresser à vous, surtout parce que je viens moi aussi de Terre-Neuve. J’ai été bénévole au Pottle Centre, organisme qui a pour vocation d’offrir un milieu d’accueil aux patients désinstitutionnalisés — quel mot! — à ceux qui sortent de Waterford. Quoi qu’il en soit, ce genre de soutien communautaire n’était pas offert avant et les gens ne pouvaient pas vivre dans la société. La société les avait laissé tomber et nous essayons de faire du rattrapage depuis lors. Vous pouvez réagir si vous voulez.
M. Ryan : Vous avez tout à fait raison. C’est un problème que nous avons récemment constaté dans nos enquêtes judiciaires sur les décès de Darryl Power et de Norman Reid.
L’un d’eux appartenait à un milieu rural dépourvu de tout réseau social susceptible de l’appuyer et le juge Luther, dans ses recommandations, en a clairement parlé. Il y a eu la question des ordonnances de traitement en milieu communautaire et dans plusieurs collectivités rurales, les gens ont essayé de s’adapter à ces ordonnances. Le constable Arruda et moi-même en avons parlé à propos des collectivités qui se trouvent hors des grands centres urbains.
L’infrastructure en place dans les centres urbains est loin d’être satisfaisante. À l’extérieur, elle est quasiment inexistante et je crois que des tribunes comme celle-ci sont absolument essentielles pour amener les fonctionnaires à parler de ce qui est indicible. Si nous ne le faisons pas, nous ne sommes pas justes envers les gens que nous essayons de servir, c’est-à-dire ceux qui souffrent de maladie mentale.
Le sénateur Cook : D’après votre mémoire, je constate qu’il existe des circonstances où vous tombez sur des gens qui semblent souffrir de maladie mentale et être victimes de crimes et je vois que, selon vous, la police ne devrait pas être en première ligne pour intervenir auprès de la plupart des personnes souffrant de maladie mentale. Eh bien, si vous ne le faites pas, qui va le faire?
M. Ryan : Des recommandations ont été formulées après l’enquête de Terre-Neuve. Conformément aux programmes conjoints en place, comme le célèbre programme côtier à Hamilton, nous avons recommandé de mettre sur pied une équipe d’intervention mobile spécialisée en santé mentale, équipe qui serait rattachée aux divers centres de santé. Nous estimions que, même dans le cadre d’une intervention conjointe, il ne fallait pas négliger l’action éventuellement criminelle des personnes atteintes de troubles mentaux.
Dans la plupart des interventions policières auprès de personnes souffrant de maladie mentale, il n’y a pas criminalité, mais les services de police font office de filet de récupération d’un réseau social non existant, et je suis là très honnête avec vous. Excusez-moi si…
Le président : Pas de problème, ne vous excusez pas. Vous pouvez être direct. Ce comité a déjà déclaré dans un rapport précédent que, selon nous, les prisons sont devenues les asiles du XXIe siècle. On désinstitutionnalise les patients, mais l’on n’a aucune structure d’accueil et les prisons deviennent le seul lieu où placer ces gens. Ainsi, ne vous gênez pas, vous pouvez être direct parce que cela vous nous aider.
M. Ryan : Merci.
Le sénateur Cook : Dans votre mémoire, vous parlez aussi de stratégies locales et j’estime que vous faites un travail très louable, sur place, mais vous cherchez quelque chose de plus, si je comprends bien. J’ai aimé votre association avec les chauffeurs de taxi, parce que la personne qui souffre de troubles mentaux et qui se fait recueillir dans une voiture par un policier en uniforme peut s’en trouver très stressée ou avoir d’autres problèmes.
M. Ryan : Eh bien, madame, pour bien illustrer ce que vous venez de dire, sachez que j’ai été commandant du district central de St. John's et, dans ce poste, je me rappelle avoir eu la visite de deux agents patrouilleurs, un matin, qui étaient bouleversés pour plusieurs raisons.
Lors du quart qu’ils venaient d’achever, ils avaient passé 10 heures dans une salle d’urgence d’un hôpital à côté d’une femme qui souffrait de dépression, simplement parce qu’il n’y avait personne. On nous avait demandé d’intervenir. Nous répondons quotidiennement à des appels où l’on nous demande si nous pouvons transporter telle ou telle personne à Waterford.
Nous portons des uniformes, nous sommes armés et nous conduisons des véhicules qui ne passent pas inaperçus. Ainsi, ne faisons-nous pas davantage partie du problème que de la solution? Cela nous préoccupe beaucoup et c’est également frustrant parce que — Mike et moi-même vous en avons parlé — nous vous parlons d’expérience pour avoir connu ce genre de problèmes dans nos familles et dans nos vies professionnelles. Eh bien, je pense que, pour la plupart des Canadiens, ce genre de choses n’arrivent qu’aux autres — il faut admettre que c’est vrai — et que ces problèmes ne revêtent une certaine importance que quand ils vous touchent de près.
Nous sommes venus vous rencontrer pour vous dire à quel point cela est important, mais pas pour la police. Ce n’est pas une question de badge. Ce n’est pas une question d’uniforme. Nous avons affaire à des personnes qui souffrent de troubles physiologiques, biochimiques, comparables à un cancer, à une tuberculose, mais dont le traitement est radicalement différent.
Le sénateur Cook : Pensez-vous qu’une loi efficace sur la santé mentale vous aiderait?
M. Ryan : Bonne question! Oui, parce que la loi fédérale supplanterait toutes les autres, mais je crois qu’il est impératif d’abord de mener des consultations avec les responsables de l’appareil judiciaire et des organismes d’exécution de la loi.
Il est impératif de parler avec les gens sur le terrain. Nous voyons bien ce qui se produit dans le milieu des affaires où les cadres parlent de certaines questions entre eux sans jamais aller voir ce qui se passe vraiment sur le parterre de l’usine. Eh bien c’est la même chose dans notre cas. Mike et Terry et moi pourrions vous dire ce à quoi ressemblaient nos premiers pas dans la police, à quel point c’était horrible.
Je vous parle ici de ce qui s’est passé à Terre-Neuve — et ce n’est peut-être pas la même chose dans d’autres coins du Canada — mais il y a peu de temps, une unité de séjour de courte durée a été ouverte à l’Hôpital psychiatrique Waterford de St. John’s. Avant cela, il fallait qu’une personne réponde à trois conditions pour être détenue par la police en vertu de la Loi sur la santé mentale — conditions qui datent d’une autre époque : risquer de se blesser, risquer de blesser d’autres personnes ou risquer d’occasionner des dégâts à la propriété. S’il n’était pas possible au policier de transporter cette personne dans un hôpital, il ne lui restait qu’à l’enfermer dans la prison municipale. Vous parlez d’une façon d’aggraver la situation!
Le sénateur Cook : Effectivement. Nous sommes ici pour essayer de comprendre ce qui se passe et pour faire ce qu’il y a de mieux pour les patients, pour les personnes qui, selon moi, souffrent le plus de stigmates sociaux. Je me réjouis bien sûr de me trouver ici et de savoir que le Pottle Centre cuisine des repas pour nourrir 45 personnes et qu’il leur achète des provisions, mais je suppose que tout doit commencer quelque part.
Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression que nous voulons faire davantage, monsieur le président. Nous voulons mettre en œuvre une norme nationale grâce à laquelle tout le monde — vous-même, les clients des services de santé mentale et les équipes de soignants — pourra évoluer dans la dignité et faire ce qu’il faut. Encore une fois, je dois vous féliciter pour le travail que vous effectuez à l’échelon provincial, mais il y a des limites à tout.
Quand j’examine le budget, je me sens vraiment mal, parce que peu importe la valeur des programmes qui y sont annoncés, où pensez-vous qu’on va effectuer les éventuelles coupures qui pourraient être nécessaires un jour? Sans doute dans le genre de programmes que vous recommandez d’appliquer. Comment garantir la continuité de ces programmes? Que va permettre la loi?
M. Ryan : Eh bien, nous nous sommes nous-mêmes posé ces questions et je me les suis posées à plusieurs reprises. Que font nos responsables politiques? Ils travaillent pour nous et pour nos concitoyens et ils devraient nous annoncer, haut et clair, qu’en cas de réduction budgétaire concernant quelque programme que ce soit, ils ne porteront pas directement atteinte à la santé, au bien-être, ni à la simple dignité des Canadiens.
Le sénateur Cook : Quoi qu’il en soit, nous savons tous deux que, dans la réalité, ce n’est pas ainsi que ça se passe parce que, même à l’école, quand on réduit les budgets, ce sont les cours de musique et de gymnastique qui sont touchés les premiers.
Je conclurai sur ces mots, monsieur le président : je cherche une façon de faire adopter une norme nationale qui soit efficace, sous la forme d’une loi ou autres, pour nous assurer que nous n’allons pas porter atteinte à ce qui nous a été remis sous la forme de ce merveilleux document.
M. Ryan : J’aurais aimé vous fournir des réponses.
Le sénateur Cook : Je pense que cela nous appartient.
Le président : Effectivement!
M. Ryan : Merci.
Le président : Et c’est ce que nous allons faire.
M. Ryan : Je l’espère.
Le sénateur Pépin : J’ai une question supplémentaire à poser relativement à ce dont le sénateur Cook vient de parler, parce que dans le projet de loi C-10 qui a été déposé en Chambre le 7 février dernier, il est question d’autoriser les agents de la paix à arrêter un accusé qui s’est placé en infraction d’une ordonnance d’évaluation ou de mise en liberté, à le détenir, à le contraindre à comparaître ou à le déposer dans un lieu précisé dans l’ordonnance. Cela pourrait-il faciliter les choses?
Le sénateur Cook : C’est un début.
Le sénateur Pépin : C’était là, mais je me demandais si vous étiez au courant de cette disposition, puisque la loi a été déposée la semaine dernière, si je ne m’abuse.
Vous avez parlé de la formation des policiers qui peut prendre de quatre à 26 heures. Je me demande comment vous allez, par exemple, décider que tel groupe de policiers aura besoin de quatre heures, tel autre de 10 et un autre encore de 26 heures? Est-ce en fonction du temps disponible, de la disponibilité des gens ou de leurs bagage? Comment structurez-vous tout cela?
M. Arruda : J’ai parlé d’une formation de quatre à 26 heures parce que des corps policiers différents offrent des formations différentes. Certains services de police n’offrent que quatre heures et d’autres une seule journée. D’autres enfin vont donner jusqu’à trois ou quatre jours de formation.
Le sénateur Pépin : Bien.
M. Arruda : À Montréal, par exemple, nous dispensons une journée de formation pour tous les agents patrouilleurs. Les agents sur le terrain sont obligés de suivre cette formation qui fait donc partie de la formation de base.
Le sénateur Pépin : Je comprends et je pense qu’il sera très intéressant de savoir comment les services de police, qui sont les employeurs, s’y prennent face au problème de la maladie mentale, c’est-à-dire dans le cas d’un employé, d’un policier, qui est atteint de troubles mentaux graves ou de quelqu’un de sa famille qui souffre de maladie mentale. Nous savons que le travail de la police est stressant. Quel genre de programme avez-vous? Tout d’abord, offrez-vous un quelconque programme à vos employés, du genre counselling ou établissement de diagnostic, et comment aidez-vous les policiers quand ils reviennent au travail? Vous pourriez peut-être nous apprendre certaines choses dans ce domaine.
M. Arruda : Effectivement, la plupart des corps de police emploient des psychologues. À Montréal, nous avons une équipe de quatre psychologues qui fait partie du personnel et qui est au service des employés. Les employés peuvent consulter n’importe quand, puisque les psychologues sont disponibles 24 heures sur 24.
En cas d’incidents majeurs, les agents ayant participé à l’opération doivent automatiquement rencontrer un psychologue pour une séance d’objectivation. Si le policier ne se trouve pas bien ou si le psychologue ou le personnel médical estime qu’il n’est pas en mesure de retourner au travail, on le met en congé de maladie. Quand il se sent prêt, quand le personnel médical estime qu’il est prêt, l’agent est progressivement réintégré.
Nous avons aussi une ligne 1-800 à laquelle les agents peuvent appeler s’ils ont des problèmes. S’ils ne se sentent pas bien ou s’ils veulent rencontrer un psychologue, nous avons une ligne 1-800 qui leur permet d’appeler d’autres agents de police qui ont vécu la même chose qu’eux et qui peuvent les conseiller.
Le sénateur Pépin : M. Coleman ou M. Ryan auraient-ils quelque à ajouter?
M. Coleman : Sénateur, je travaille dans ce milieu depuis longtemps et je dois dire que nous avons assisté à d’incroyables changements au cours des 20 dernières années. Michael a raison. La plupart des grands corps policiers ont maintenant des psychologues maison et, dans les plus petits, il nous appartient de communiquer avec nos employés et avec les services d’assistance familiale pour obtenir de l’aide, mais les gens ont encore beaucoup de mal dans nos organisations à admettre qu’ils peuvent avoir besoin d’aide et ce genre de recours n’est certainement pas courant.
À Calgary, après qu’un policier a participé à une opération où il y a eu mort de personnes ou blessures graves, il doit obligatoirement consulter le psychologue maison; si ce n’était pas obligatoire, beaucoup ne le feraient pas. C’est sans doute la meilleure façon de faire en sorte que ces agents consultent un psychologue.
Nous avons donc réalisé énormément de progrès, mais nous sommes encore très loin de l’objectif à atteindre et nous allons chercher à faire passer cela à l’échelle nationale lors de notre conférence de Vancouver, en mars. Ce sera la première de nos conférences et il sera intéressant de voir ce que nous pouvons en tirer.
Le sénateur Pépin : Il y a sans doute un parallèle à faire entre la police et les forces armées à cet égard.
M. Coleman : Tout à fait.
M. Ryan : Nous offrons le genre de services que ceux décrits par l’agent Arruda et le chef Coleman. Nous communiquons avec un psychologue pour régler les problèmes extérieurs et nous aidons bien sûr l’employé par le biais d’un programme d’assistance.
Cela, je pense, nous en dit long sur l’ensemble des questions de santé mentale — j’en ai parlé lors de l’enquête judiciaire — parce que nous avons eu, une fois, un agent qui a malheureusement tué quelqu’un. La victime souffrait de maladie mentale et, à la suite de cet incident, le policier en question et les membres de sa famille ont eu énormément de difficultés psychologiques, à cause de la couverture médiatique dont l’événement a fait l’objet. Les enfants de ce policier, les membres de sa famille et ses amis lui posaient des questions et ce genre de pression a considérablement perturbé l’intéressé dans son travail.
Nous avons à faire à toute une série de problèmes, non seulement à cause des personnes qui souffrent d’une maladie mentale, mais à cause des répercussions que cela peut avoir sur nos services, d’où la nécessité de disposer de psychologues maison, avant de nous adresser à l’extérieur.
Le sénateur Pépin : C’est certainement un grand progrès qu’un policier comme vous se rende compte que ses employés ont besoin de ce genre de service, à cause du stress dans votre travail qui rend les choses très difficiles.
M. Ryan : Tout à fait, et je vous remercie de l’avoir souligné.
M. Coleman : J’aimerais ajouter une chose. On dit parfois que le taux de suicide dans les services policiers est supérieur à la moyenne.
Un professeur de l’Université de Lethbridge, dont le nom m’échappe, a effectué des recherches à ce sujet — j’ai lu son livre — et cela pourrait peut-être vous intéresser dans le cadre de votre étude. Il a constaté que le taux de suicide n’est pas vraiment plus important que celui de la population en général, mais qu’on parle de ce phénomène pour plusieurs raisons.
Nous avons tous connu, j’en suis sûr, des amis qui se sont suicidés. J’étais arrivé à Moose Jaw depuis quelques semaines à peine quand un de nos policiers s’est suicidé dans les vestiaires, aux petites heures du matin, un dimanche. Il avait de gros problèmes et cela a occasionné tout un remous au sein de l’organisation où nous n’étions pas très nombreux. Nous sommes donc cruellement au courant de ce problème, mais ce professeur de Lethbridge a effectué des travaux très intéressants sur l’incidence du suicide dans les services de police.
M. Arruda : Si vous me le permettez, j’ajouterai qu’à Montréal, par exemple — je n’ai pas les chiffres exacts — en 1999, les policiers ont consulté 1 600 fois et, en 2002, ils l’ont fait 2 700 fois. Il y a donc une augmentation. Les agents de police sont moins réticents à réclamer de l’aide.
Le sénateur Pépin : Merci beaucoup.
Le président : Comme c’est de plus en plus le cas dans la population en général. Nous venons de loin, mais la tendance s’améliore.
Le sénateur Cochrane : Je me réjouis, moi aussi, de vous accueillir et je vais poser ma première question au chef Coleman.
Vous intéressez-vous à la santé mentale uniquement dans le cadre de votre organisation ou le faites-vous pour en apprendre davantage sur la santé mentale et sur tous les problèmes qu’elle entraîne pour ensuite ramener cette information au niveau de votre institution afin de mettre en œuvre certains changements appliqués ailleurs?
M. Coleman : Le sous-comité que nous représentons aujourd’hui est issu d’une initiative lancée par le Dr Cotton que vous allez accueillir tout à l’heure, si je ne m’abuse. Elle pourra vous en faire la genèse, mais sachez que nous avons mis sur pied un groupe de gens intéressés à ce dossier. Nous organisons une conférence annuelle qui n’a cessé de prendre de l’ampleur année après année. Nous sommes en train d’organiser notre quatrième conférence annuelle qui se tiendra à Vancouver et où nous avons invité le sénateur Kirby à prendre la parole. Nous avons tout organisé.
Nous échangeons — excusez ce cliché, mais je n’ai pas mieux — sur les pratiques exemplaires. Nous cherchons à savoir ce que les autres font, dans le cadre du programme Coast à Hamilton, du programme Car 87 à Vancouver et de divers programmes offerts un peu partout et qui sont plutôt bons. Tous ces programmes visent un même objectif, mais obéissent à des modèles légèrement différents.
Nous sommes effectivement un groupe de liaison, d’où le nom que nous portons. Nous nous réunissons, nous communiquons entre nous et nous explorons divers dossiers. Nous avons suscité l’attention de gens à l’étranger. Ainsi, on est venu nous voir d’Irlande, il y a deux ans, parce que les gens là-bas avaient les mêmes problèmes que nous tous ici. Nous avons également accueilli des Américains l’année dernière.
Notre groupe échange des informations, principalement lors des conférences annuelles, mais le Dr Cotton a dressé une liste de 200 personnes environ qui contribuent à tout ce travail, et nous débattons des différentes questions qui nous sont soumises, selon le sujet qui préoccupe plus particulièrement tel ou tel corps policier. Nous cherchons à obtenir des réponse en nous adressant aux autres, tant aux travailleurs de la santé mentale qu’aux autres policiers, de partout au Canada.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous communiqué ailleurs dans le système certains des éléments positifs que vous avez établis dans ce cadre et sur lequel vous avez été nombreux à travailler?
M. Coleman : Effectivement, mais je ne peux vous parler qu’en ce qui concerne la police.
J’ai, par exemple, encouragé des représentants de notre collège provincial de la police, en Saskatchewan, à participer à nos conférences et ces gens-là ont restructuré la formation des recrues et des agents en service en fonction des problèmes que nous abordons. Nous essayons de faire circuler l’information et nous donnons un coup de main aux gens.
Le sénateur Cochrane : C’est merveilleux. Dans votre exposé, vous avez dit que la police n’est pas la mieux placée pour intervenir face à ce genre de problème, mais qu’on vous appelle pourtant souvent. J’aurais tendance à dire que cela tient sans doute au fait que c’est parce que vous êtes les plus facilement accessibles, que vous avez un service de 24 heures sur 24 et que vous avez des lignes 1-800. N’est-ce pas? Où pensez-vous que les gens devraient appeler? Que devraient-ils faire s’ils ont besoin d’aide?
M. Coleman : Eh bien, je vous paraîtrai peut-être un peu naïf, mais s’il existait suffisamment de services de soutien dans nos collectivités, nous ne tomberions sans doute pas sur autant de gens dans cette situation. Mais c’est une vision utopique.
La plupart, la plupart des personnes souffrant de maladie mentale auprès de qui nous intervenons sont dans la rue, mais ce n’est pas le cas de tout le monde bien sûr. Elles ne peuvent pas recourir à un travailleur de la santé mentale ni même se présenter à une salle d’urgence, parce qu’il n’y a pas les ressources nécessaires en situation de crise.
Nous reconnaissons devoir jouer un rôle de première intervention pour stabiliser la situation. Nous essayons de faire en sorte que les gens obtiennent les services qu’il leur faut, mais ce qu’il y a de frustrant, et je vais peut-être passer pour un policier rouspéteur, nous passons beaucoup trop d’heures dans les salles d’urgence.
Ce serait bien si vous pouviez amener les urgentologues à mieux comprendre ce genre de situation, parce que nous voyons bien les médecins dans les hôpitaux qui sont très occupés à réparer une jambe cassée, à arrêter un saignement, à intervenir en cas de crise cardiaque ou autres. La personne qui est en crise est encadrée par deux agents de police parce que, trop souvent, les hôpitaux se sont départis de leur personnel de sécurité et qu’il n’y a plus personne sur place pour jouer ce rôle. Nous nous retrouvons à passer tout notre temps dans des salles d’hôpitaux à garder ces gens-là, mais mes collègues vous en ont parlé.
Dans un monde idéal, nous ne tomberions pas sur ce genre de personnes dans la plupart des cas. Pour nous, le mieux consisterait, en deuxième lieu, après avoir stabilisé et évalué la situation, à renvoyer l’individu vers quelqu’un mieux outillé que nous. Je dirais que le modèle de Montréal est excellent, mais il existe d’autres modèles au pays qui donnent les mêmes résultats; il n’y a rien d’universel dans ce domaine.
Le sénateur Cochrane : Hier, nous avons entendu parler de certains cas plutôt tristes, les gens affirmant qu’ils n’obtiennent pas le service qu’ils mériteraient. D’après ce que vous avez vu, après avoir accompagné ce genre de personnes dans les hôpitaux, est-ce que les médecins les traitent comme les autres patients?
M. Ryan : Non!
Le sénateur Cochrane : À cause de la stigmatisation, n’est-ce pas?
M. Ryan : Eh bien, nous avons constaté qu’on les traite en tout dernier et que, si quelqu’un se présente, on les fait passer encore derrière tout le monde. C’est incompréhensible, parce que…
Le sénateur Cochrane : Parce qu’il ne s’agit pas de véritables urgences.
M. Ryan : Rarement. Il est triste, dans la société avancée dans laquelle nous vivons, de constater que l’on peut souffrir d’un problème respiratoire ou d’autres maux d’ordre physiologique et appeler une ambulance pour recevoir une attention médicale, mais qu’on appelle systématiquement la police dès que quelqu’un est en détresse psychologique. C’est horrible.
M. Arruda : Je tiens à souligner un paradoxe ici. Quand les policiers accompagnent à l’hôpital une personne qui a des problèmes de santé mentale, qui veut se suicider, c’est parce qu’il existe un danger grave pour sa santé. Pourtant, quand nous arrivons sur place, les médecins et le personnel médical ne voient pas le danger et ils traitent en priorité une jambe cassée ou une lésion cutanée, même si notre client est vraiment en danger de mort, ce que les policiers trouvent frustrant.
Nous accompagnons ces patients parce qu’ils sont en danger grave et, une fois que nous arrivons à l’hôpital, on les classe catégorie 4 ou 5, ce qui correspond à la priorité la moins élevée. Souvent, quand nous laissons ces gens-là sur place, ou qu’ils y vont tout seul, ils doivent attendre deux, trois ou quatre heures; or ce sont des personnes qui sont en situation de crise grave. Il y en a quelques-unes qui s’en vont et qui vont se suicider, parce qu’elles ne reçoivent pas l’attention dont elles ont besoin.
M. Ryan : Pour ajouter à ce que vient de dire l’agent Arruda, je dirais qu’il n’est pas possible de savoir pourquoi une personne se suicide. Quand nous parlons avec des gens qui ont essayé de se suicider et que nous essayons de comprendre leur raisonnement, on s’aperçoit qu’il n’y avait pas forcément de raison particulière. C’était simplement qu’il n’y avait pas de réseau à leur disposition, qu’ils n’avaient nulle part où aller et que personne n’était prêt à les accueillir. Nous n’avons pas d’infrastructure en place et, à cause de cela, des Canadiens et des Canadiennes meurent chaque jour. Nous sommes là, à essayer de déterminer pourquoi ils ont commis quelque chose d’aussi horrible, mais selon moi, mesdames et messieurs, c’est simplement parce que dans bien des cas, il n’y avait personne pour les aider.
Le sénateur Cochrane : Chef Coleman, diriez-vous que c’est le cas un peu partout au pays?
M. Coleman : Certainement. Bien sûr, nous rencontrons des policiers et des travailleurs de la santé mentale d’un peu partout au pays lors de nos conférences et quand nous échangeons à propos de nos expériences, officieusement ou officiellement, ou encore par courrier électronique, nous constatons que cette situation est à peu près la même partout.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous une idée du pourcentage de votre budget que vous consacrez aux questions de santé mentale?
M. Coleman : Il devient problématique de codifier nos interventions auprès de personnes souffrant de maladie mentale, parce que nous progressons à tâtonnement et ainsi, quand nous consultons nos bases de données, toutes aussi fabuleuses soient-elles, les informations ne sont pas forcément chargées et nous ne pouvons pas les exploiter.
Nos services prennent diverses formes. Nous pouvons recevoir un appel concernant des problèmes dans un dépanneur ou à cause de dégâts occasionnés à une voiture. Ce n’est pas nécessairement codifié comme un incident qui concerne une personne atteinte de troubles mentaux. En revanche, nous pourrions vous donner une idée du temps que nous passons dans les hôpitaux à attendre que les professionnels de la santé prennent la relève des policiers.
L’étude dont je vous ai parlé, celle de London en Ontario, est très structurée, elle est solide, elle est scientifique. Les auteurs ont consulté la base de données de la police de London et ont effectué un superbe travail. Je ne me rappelle pas les chiffres. Comme je le disais plus tôt, je vous recommande de prendre connaissance de ce rapport. Je l’ai lu et j’en ai un exemplaire ici — on me l’a communiqué à titre d’information — et je trouve qu’il est très représentatif de la situation. Tout est relatif, selon la taille du service concerné, mais j’estime qu’il est assez représentatif de ce qui se passe un peu partout au Canada et il est très fouillé.
Le sénateur Cochrane : Très bien. Nous allons nous le procurer.
Le sénateur Keon : Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre présence. Je suis médecin, chirurgien et, dans le cadre de ma formation, j’ai passé beaucoup de temps dans les salles d’urgence, quand j’étudiais la chirurgie, et je peux effectivement vous confirmer que lorsqu’on nous amenait quelqu’un qu’il fallait attacher, nous demandions que les policiers restent là, parce qu’il nous semblait que ce serait bien pour les autres et que nous ne savions pas que faire de cette personne dont les policiers s’occupaient.
J’ai toujours eu la plus grande admiration pour les policiers qui doivent parfois intervenir dans des situations terribles, des situations de violence, et qui l’instant d’après doivent agir avec compassion. Je vais vous raconter une petite histoire, qui est sans rapport immédiat avec notre propos, mais peu importe.
Il y a quelque 25 ans, deux jeunes hommes fortement armés ont volé une banque à Ottawa. La police a été appelée, elle a pénétré dans la banque, il y a eu des échanges de coups de feu, l’un des voleurs a été touché à la tête et l’autre au thorax. En une fraction de seconde, les policiers qui étaient sur place ont changé d’état d’esprit, ils ont sorti les deux jeunes hommes et les ont transportés dans l’arrière de leur auto-patrouille. Ils n’ont pas appelé l’ambulance et ils ont prévenu l’hôpital d’avance qu’ils transportaient deux blessés, l’un à la tête, l’autre à la poitrine.
On m’a appelé tout de suite et j’ai répondu « Transportez tout de suite celui qui est blessé à la poitrine dans la salle d’opération. Ne vous arrêtez pas dans la salle d’urgence », et les policiers se sont présentés avec lui dans la salle d’opération. Là, son cœur s’est arrêté. Il avait été touché au cœur, mais nous avons réussi à le ranimer et à refermer les plaies aux points d’entrée et de sortie, après quoi il s’est remis et a fait son temps en prison. Quand il est sorti, il est venu me voir et m’a dit qu’il avait l’intention d’entreprendre une vie productive.
J’ai perdu sa trace. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, mais je pense que c’est un cas classique de changements rapide d’état d’esprit de la part de policiers. À un moment ils défendaient des employés de la banque, parce que les balles volaient dans toutes les directions et, l’instant d’après, ils ont fait preuve d’une compassion totale envers des voleurs qui reposaient par terre, même s’ils avaient tiré sur tout le monde l’instant d’avant.
Je vais maintenant parler du système. Si nous parvenons à faire ce que nous voulons faire d’ici l’automne prochain, nous aurons proposé un cadre structurel et, nous l’espérons, élaboré une stratégie nationale pour s’attaquer à la question de la santé mentale au Canada; nous aurons aussi, je l’espère, défini les éléments essentiels de ce système, des installations de garde judiciaire jusqu’aux installations communautaires.
Nous avons l’occasion de faire cela correctement, surtout pour ce qui est des installations communautaires, ce qui s’entend des hôpitaux, des établissements de soins primaires et des soins à domicile. Je pense que votre point de vue pourrait nous être très utile si nous devions faire appel aux urgentologues, parce que nous avons consacré beaucoup de temps, depuis le 11 septembre et le problème du SRAS, dans nos comités, à travailler sur la conception de systèmes de services d’urgence au Canada. Je crois que nous parviendrons à proposer des systèmes de services d’urgence qui soient assez réalistes, comme vous le disiez, agent Ryan, surtout dans les villes. En revanche, la chose risque d’être plus difficile dans les petites collectivités mais dans les villes au moins, je peux vous garantir que nous ne laisserons rien au hasard pour voir ce qui peut être fait.
Il serait utile de faire intervenir les gens des services d’urgence pour voir comment les faire fonctionner avec les services communautaires, hospitaliers et policiers en sorte que vos agents sachent exactement où aller ou qui appeler quand ils tombent sur quelqu’un dans la rue ou sur une personne violente.
J’aimerais que vous répondiez tous les trois à cela.
M. Ryan : Merci, sénateur, pour vos aimables propos. Nous accepterons toute l’aide qui pourra nous être donnée.
Il existe un cadre et un système dans les grands centres grâce auxquels les policiers savent où aller, dans le cadre des procédures normales. Comme je le disais, avant l’enquête judiciaire au sujet des deux morts par balle, notre seul recours était de détenir les gens dans les prisons de la ville jusqu’à ce qu’ils voient un psychiatre. Dieu merci, cela a changé. Vous avez raison, il faut établir un lien entre tous les services d’urgence.
Comme je le disais plus tôt également, nous nous heurtons à certaines difficultés, soit la circulation de l’information et les restrictions imposées aux organismes sur la façon de communiquer cette information et le moment de le faire. Quand vous appelez quelqu’un à 3 h du matin pour voir s’il peut communiquer une information qui va permettre de déterminer si Sean Ryan a un penchant pour la violence ou si un diagnostic particulier a été établi dans son cas, ce n’est pas toujours facile. C’est un des éléments clés nécessaire dans l’instauration d’une réaction qui devra faire intervenir plusieurs organismes.
La société s’attend à ce que nous soyons omnipotents, omniprésents, télépathiques, que nous soyons des médecins, des avocats, des prêtres et des conseillers. Nous acceptons cette responsabilité avec plaisir, avec honnêteté, mais nous sommes des êtres humains et cette tribune nous donne d’ailleurs l’occasion, aujourd’hui, de vous dire que parfois nous sommes fatigués de tout cela.
Sénateur, je suis d’accord avec ce que vous dites quant à la nécessité d’établir des liens entre les divers organismes concernés pour parvenir à une réponse efficace, mais la toute première question qui me vient à l’esprit, c’est celle de la communication de l’information et vous devriez peut-être en parler dans votre rapport.
M. Coleman : J’inclus — et je pense que vous le faites — le personnel des salles d’urgence parmi les groupes chargés des services d’urgence. Ce sont des gens merveilleux, surchargés, et nous ne voulons pas vous donner l’impression que nous voulons nous déverser sur eux, mais il faudrait les sensibiliser en plus grand nombre.
Permettez-moi de faire un retour en arrière. En 1978, à Calgary, j’étais l’un des quatre policiers à avoir constitué ce qui a été la toute première unité d’enquête pour agression sexuelle au Canada. Nous voulions améliorer la façon dont ce faisaient les enquêtes dans ce domaine. Avant cela, les choses ne se passaient pas très bien, en partie à cause de notre ignorance et en partie parce que nous n’avions pas les ressources voulues. Nous cherchions les meilleures preuves possibles qui, dans bien des cas pour ne pas dire dans la plupart des cas émanent des médecins urgentologues qui examinent les victimes. L’un de mes collègues a élaboré ce que nous appelons maintenant la trousse de l’agression sexuelle qui comporte tous les cotons-tiges appropriés et tout ce qu’il faut pour recueillir les preuves. Or, tout cela était plutôt étrange pour les urgentologues et il se trouve que nous avons pas mal d’hôpitaux et beaucoup d’urgentologues à Calgary.
Grâce à la collaboration des hôpitaux, nous avons passé du temps au contact des médecins pour leur expliquer — en quelque sorte pour les former. Nous avons même fait inscrire ce genre de séances d’information au programme de l’école de médecine de l’Université de Calgary. Une fois par an, nous prenons la parole devant les futurs médecins pour leur expliquer ce que nous cherchons, comment les choses fonctionnent, pourquoi c’est important et tous les avantages que nous pouvons en tirer. Nous avons instauré des rapports très intéressants avec les médecins dans ces salles d’urgence à l’occasion de problèmes d’agression sexuelle.
Je pense qu’il serait très utile de faire quelque chose d’à peu près semblable dans le domaine de la maladie mentale et de faire part au corps médical du rôle que nous jouons à cet égard afin d’essayer d’instaurer de meilleures relations pour le plus grand bénéfice des personnes souffrant de troubles mentaux.
Je vais vous parler un peu de la communication de l’information, à présent. Les différentes lois sur la protection de la vie privée en vigueur au Canada sont source de frustration, parce qu’elles ont limité le genre d’information que l’on peut communiquer, mais il est possible que des erreurs aient été commises dans le passé, bien que je ne sois pas au courant des détails. Bien qu’il existe des dispositions dans les diverses mesures législatives en question qui permettent de communiquer des renseignements dans certaines circonstances, le personnel du milieu médical en particulier, ce qui s’entend des secouristes, du personnel ambulancier notamment, sont paralysés par cette loi et réagissent de façon excessive. Ils nous disent qu’ils ne peuvent pas nous communiquer ceci ou cela à cause de la loi.
Dès que l’on fouille un peu et que l’on s’adresse à quelqu’un assez haut dans la hiérarchie, dans le domaine de la santé, on nous dit « dans ce genre de circonstances, ils peuvent vous communiquer cette information » parce que ceci et parce que cela. Or, ces gens-là ne veulent pas risquer de se faire rappeler à l’ordre ou de perdre leur emploi pour avoir enfreint les dispositions d’une loi et, au bout du compte, nous n’obtenons pas l’information qui nous aurait permis d’aider des gens.
M. Arruda : En fait, à Montréal, nous avons commencé à rassembler les gens qui travaillent dans les services d’urgence. Comme je le disais plus tôt, nous avons mis sur pied un comité de liaison entre le domaine de la santé mentale et les services locaux de police, comité auquel siègent des gens travaillant dans les services d’urgence, des policiers, des techniciens ambulanciers, des représentants du ministère de la Santé et des médecins. Nous discutons de la façon dont nous pourrions améliorer nos services.
Nous avons constaté que les informations nous sont communiquées plus facilement. Sans entrer dans le détail, disons qu’il y a moins de barrière. Les gens savent à qui ils s’adressent désormais ce qui veut dire que les comités d’urgence donnent de bons résultats et qu’il conviendrait de les étendre à l’échelle du pays.
Le sénateur Keon : Merci.
Le sénateur Callbeck : Bienvenue monsieur.
Je veux revenir au projet de loi C-10 dont on a parlé il y a quelques minutes et qui se trouve actuellement devant le Sénat. Cette loi modifie le Code criminel dans le cas des personnes qui ne sont pas aptes à subir un procès ou que l’on juge criminellement non responsables. Le projet de loi confère beaucoup de pouvoirs aux commissions d’examen, il y est question des déclarations des victimes, etc., et il donne plus de pouvoirs à la police. Il lui donne notamment plusieurs possibilités quant elle arrête quelqu’un qui a enfreint une disposition.
Je vais vous situer un peu en contexte. En 1992, nous avons adopté un amendement au Code criminel qui devait être examiné au bout de 10 ans, ce qu’un comité de la Chambre des communes a fait en 2002. Je sais que la police a beaucoup participé à cet examen qui a débouché sur le projet de loi C-10.
Y a-t-il d’autres amendements que la police aurait souhaité et qui n’apparaissent pas dans le projet de loi C-10? Ce serait utile à savoir, parce que ce projet de loi se trouve maintenant devant le Sénat et qu’il va être soumis à un comité permanent.
M. Ryan : Sénateur, j’étais en train de parler avec mon collègue et nous nous disions que tout cela était nouveau pour nous. Je ne suis pas au courant de l’évolution du projet de loi C-10 et, dans les cercles policiers, je n’ai jamais entendu parler de quelque consultation que ce soit à ce sujet. Je ne connais pas les nuances des changements dont vous venez de parler et je ne pourrai donc pas réagir en toute connaissance de cause. Chef?
M. Coleman : Je suis un peu gêné parce que, moi non plus, je ne connais pas le projet de loi C-10. Je suppose que le comité d’amendement des lois de l’Association canadienne des chefs de police travaille avec les autorités concernées à ce sujet. Nous pourrions examiner la chose et vous répondre par écrit, si vous le désirez, mais je ne peux vous en parler tout de suite.
Le sénateur Callbeck : Qui devrais-je contacter pour obtenir des renseignements à ce sujet?
M. Coleman : À quel égard, madame?
Le sénateur Callbeck : Pour savoir si l’association de police veut faire des suggestions ou des recommandations dont nous devrions tenir compte dans le projet de loi C-10 à propos de choses qui ne sont pas déjà là.
M. Coleman : Je pourrais vous servir d’intermédiaire. Je communiquerais avec le comité d’amendement des lois de l’Association canadienne des chefs de police, qui se trouve à Ottawa, et qui est très active dans le domaine des nouvelles lois et de la modification des lois existantes. Je verrai quelle soumission ces gens-là ont faite et si on les a même invités à intervenir.
Le sénateur Callbeck : Merci.
Le sénateur Cordy : Ma question sera assez brève, parce que vous en avez déjà un peu parlé, il s’agit de la question des obstacles qui est très importante. Il a fallu le 11 septembre 2001 pour que les ministères fédéraux commencent à se parler sur les questions de sécurité au Canada, mais des 11 septembre, il en arrive tous les jours dans le domaine de la santé mentale.
Comment allons-nous réaliser l’équilibre entre la protection de la vie privée des gens, qui est très importante, et la protection des intérêts du patient qui veut dire obtenir de l’aide? Je pense que nous devrions faire connaître l’importance du rôle assumé par les policiers dans le domaine de la santé mentale, parce que nous parlons toujours des médecins dans le secteur des soins primaires, qui sont en première ligne, mais en fait c’est vous qui vous trouvez en première ligne dans bien des cas, en présence de personnes atteintes de maladie mentale. Comment pouvez-vous obtenir l’information? Vous avez dit que les gens au sommet de la hiérarchie savent quelle information ils peuvent communiquer, mais que dans les services d’urgence, les gens ne le savent pas.
M. Ryan : Comme le disait le chef Coleman, nos lois respectives sur la protection de la vie privée renferment des dispositions qui permettent la communication d’information en cas d’urgence, mais cela n’est pas connu aux travailleurs que l’on appelle en pleine nuit, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire. Comme le chef Coleman l’a aussi indiqué, les gens se disent qu’il vaut mieux ne rien dire et passer pour un imbécile que de prendre position et de supprimer ainsi tous les doutes. C’est la position que certains adoptent, sans penser à mal, parce qu’ils craignent des répercussions.
Le sénateur Cordy : Et l’on ne peut pas vraiment les en blâmer.
M. Ryan : Non, sans compter qu’il incombe à l’employeur, à ceux qui sont en haut de la hiérarchie, de régler ce problème.
Comme nous le disions, les PDG et ACO — peu importe les acronymes qu’ils se donnent — connaissent les dispositions réglementaires qui s’appliquent à eux, mais ces dispositions ne semblent pas être communiquées en bas de l’échelle, à ceux et celles qui travaillent sur le plancher de l’usine et qui devraient être au courant. Or, à trois ou quatre heures du matin, c’est nous qui avons à faire aux travailleurs qui assurent le quart de nuit.
Le sénateur Cordy : Vous venez de faire une excellente remarque et je vous remercie aussi pour votre exposé qui va nous être très utile.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci, monsieur le président et chers collègues, et merci à vous distingués membres du milieu policier venus d’un peu partout au Canada.
Je vais faire une remarque à propos de ce que vous avez dit sur le fait que les candidats au suicide n’obtiennent pas toujours de l’aide. Je suis médecin de famille de formation et je dois vous dire qu’il existe une grande différence entre ceux qui menacent de se suicider, qui en parlent, qui s’entaillent les poignets et ainsi de suite, et ceux qui se suicident effectivement. Dans bien des cas, l’aide existe, elle est proposée, mais j’ai l’impression qu’une fois la décision prise — cette décision peut avoir été prise 15 minutes avant ou deux heures avant ou peut-être plusieurs jours avant l’acte final — il est très difficile d’arrêter la personne qui a pris cette décision.
Si nous avons assez de temps, j’aimerais que nous discutions un peu des services de police communautaire parce que je pense que c’est au cœur du débat et comme vous venez d’une petite collectivité, tout comme moi, vous savez que ce genre d’opération est logique. Je ne suis cependant pas certain que ce type de service donne les mêmes résultats à Montréal, à Regina ou à St. John’s.
Parlons de communication de données. Un peu partout au pays, on peut rentrer un numéro de plaque numéralogique dans un ordinateur et obtenir le nom du propriétaire et d’autres informations. Eh bien, supposons que vous ayez à intervenir dans le cas d’une personne bipolaire en pleine phase maniaque. Cette base de données que vous avez, je pense — et il est possible que vous ne puissiez pas nous en dire plus — renferme-t-elle un dossier indiquant que la personne est bipolaire, qu’elle est schizophrène ou autres? Qu’y a-t-il dans cette base de données?
M. Coleman : Eh bien, la réponse est non. Les bases de données sont administrées par les divers corps policiers, à leur niveau, et elles peuvent contenir un dossier à la suite d’une intervention auprès d’une personne appréhendée en vertu de la Loi sur la santé mentale ou d’une disposition semblable, mais vous ne saurez pas si cette personne était bipolaire.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous une mention du genre « incident lié à la santé mentale » qui circule à l’échelon local, par exemple entre un corps policier municipal et la GRC, un peu partout au pays?
M. Coleman : Il existe une base de données nationale, mais celle-ci est essentiellement d’application locale et elle est particulière à chaque corps policier. Cependant — et que l’on me corrige si je me trompe — la plupart des services policiers en Ontario sont en train de se relier entre eux.
Le ministère du Solliciteur général dispose d’un programme de gestion intégrée des données. Je ne me rappelle pas exactement comment il s’appelle, mais il porte un acronyme accrocheur, que seul le gouvernement peut imaginer. Nous sommes donc en train d’instaurer des liens entre les différentes bases de données au pays, mais ce processus est lent et coûteux et je ne suis pas certain que cela puisse répondre à votre question.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur le président, je voulais avoir cette réponse parce que je crois qu’elle est très importante. Je vais vous donner un petit exemple de ce que les gens comprennent, en général. J’ai contribué à des expériences sur les réactions des diabétiques à l'insuline et, à une certaine étape, nous avons constaté que les gens traités ainsi deviennent très agressifs. Je me rappelle notamment cette personne que l’on nous avait amenée au service d’urgence et que l’on avait considérée comme très violente. Il m’a fallu peu de temps pour découvrir que cette personne souffrait d’un diabète de type 1, traité à l’insuline.
Je sais que dans un hôpital du Nouveau-Brunswick, tous les renseignements médicaux sont à présents communiqués au service intéressé. Les choses évoluent, les données vont circuler et je crois que les Canadiennes et les Canadiens doivent réfléchir à tout cela.
Je vais vous poser une question au sujet de votre service de police communautaire qui obéit à une philosophie merveilleuse. J’ai vu ce que cela donne dans certaines villes, dans le cas des jeunes et de la drogue, de la criminalité dans les rues et ainsi de suite. N’est-ce pas ce qu’il nous faut, car les policiers sont ainsi en contact avec chaque famille dans chaque rue, avec chaque propriétaire d’entreprise et que les jeunes font partie des familles contactées? Je sais que cette formule a donné des résultats dans les petites villes, mais qu’en est-il des grands centres?
M. Coleman : Je suis heureux que vous abordiez cette question, qui est pertinente, d’autant que, selon moi, rares sont ceux qui comprennent ce dont il est question et, si vous me le permettez, je vais vous parler du principe de la police de quartier, du maintien de l’ordre contemporain.
D’ailleurs, je vous ai déjà parlé un peu de ces principes : insistance sur le service à la clientèle, consultation et collaboration avec le milieu, qualité et appréciation du service à la clientèle, amélioration et changement continu, travail d’équipe, décentralisation de l’autorité et de la prise de décision, implication totale — ce sont tous des principes envers lesquels nous nous sommes engagés — leadership participatif, amélioration de la communication, alignements internes et externes afin que les processus internes à nos organisations soient alignés sur les besoins extérieurs. La police moderne est axée sur les résultats, autrement dit plutôt que de calculer le nombre d’arrestations effectuées, nous nous demandons quelle différence nous avons apportée dans le milieu. Notre nouveau service repose sur l’application régulière de la loi, sur l’équité et la justice. Ces éléments sont importants dans la prestation d’un service public.
C’est cela le maintien de l’ordre moderne. On en arrive ensuite à la collaboration avec les personnes souffrant de maladie mentale, avec les districts de la santé et des groupes du genre. Cela permet de tendre vers les objectifs visés qui sont la qualité et la valeur du service envers le client, envers la collectivité.
En fait, on comprend assez mal ce que police communautaire veut dire, même dans mon milieu.
Le sénateur Trenholme Counsell : Eh bien, je crois que dans le domaine de la santé mentale, nos témoins d’hier nous ont parlé de la même philosophie. Ils ont des problèmes au niveau individuel, mais il y a aussi des problèmes au niveau communautaire et ils nous ont fait part d’histoires désolantes, mais aussi d’histoires absolument merveilleuses. En un sens, tout cela tournait autour de la notion de communauté, parce qu’il est très difficile pour les gens de travailler en isolement et de ne pas avoir de suivi.
Par exemple, supposons que vous deviez intervenir dans le cas d’une personne qui est en phase maniaque — nous savons à quel point c’est horrible et je suis sûr que cela vous arrive souvent — eh bien, recommandez-vous à vos agents de passer disons cinq minutes avec la famille, histoire de rétablir le contact et de placer les choses dans une perspective différente, quelques semaines après l’incident ou quand la personne est sortie de l’hôpital?
M. Arruda : Effectivement, notre philosophie de la police communautaire prévoit que l’on effectue un suivi. Malheureusement, cela ne se fait pas. Le principe est superbe, mais il n’est pas appliqué dans la pratique. Ainsi, il appartient au policier patrouilleur de rencontrer la famille s’il veut savoir ce qu’il est advenu du patient.
Quand nous intervenons auprès des particuliers, qui sont en crise, nous les confions aux autorités appropriées. Une fois le transfert effectué, nous perdons contact avec cette personne. Nous ne revenons pas voir comment elle va. En principe, nous devrions revenir pour rencontrer la famille et voir comment va la personne. En théorie, c’est ce que nous sommes censés faire, mais dans la pratique, cela n’arrive pas.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et nous savons pourquoi, c’est parce que vous êtes trop occupés, et tout cela ce sont des idéaux. Merci.
M. Ryan : On peut sans doute affirmer que ce que le constable Arruda nous a indiqué est valable à l’échelle nationale, en ce sens que la plupart des organismes policiers accrédités ont adhéré à la philosophie de la police communautaire et qu’ils aimeraient beaucoup avoir la possibilité de revoir la personne pour savoir comment elle va. Or, le travail ne nous le permet pas. Tout cela est une question de ressources et, dans la majorité des cas, ça ne se fait pas.
M. Coleman : J’ajouterais simplement que, si des personnes souffrant de maladie mentale sont victimes de crime — si elles ont été agressées, détroussées ou poignardées, ce qui arrive souvent dans les rues et dans les cas des sans-abri — il est évident que de nombreuses organisations policières, comme celle pour laquelle je travaillais et celle pour laquelle je travaille actuellement, des organisations qui sont axées sur les victimes et qui sont composées d’un grand nombre de bénévoles, il est évident donc que ces organisations prennent contact avec les gens par la suite et, si l’affaire aboutit devant les tribunaux, ils vont même en cour pour les aider et pour les accompagner dans les dédales du système.
Le programme des services aux victimes — en place dans de nombreux endroits au Canada — permet d’assurer ce suivi, mais ce n’est que dans le cas des victimes de « crime ».
Le président : Merci à vous tous de vous être déplacés, vous ne savez pas à quel point vos témoignages nous seront utiles. C’est fantastique.
Pour terminer, je vais faire une remarque sur une question que nous avons tous appréhendée de façon intellectuelle mais que vous avez tous les trois su fort illustrer. L’un de vous a dit que, si une personne a une crise cardiaque et qu’elle risque de mourir, il lui suffit d’appeler le 911. D’un autre côté, celui ou celle qui envisage de commettre un suicide, et qui est aussi en danger, appelle la police. On voit là se dessiner le problème, soit que la maladie mentale n’est pas vraiment considérée comme une maladie et que ce genre de dichotomie se poursuit à votre arrivée à l’hôpital, parce que ce genre de malade est admis en dernier lieu parce que, comme le sénateur Keon le disait, nous savons ce qu’il faut faire dans le cas d’une personne qui fait une crise cardiaque. Nous ne savons pas forcément que faire dans votre cas, mais le stigmate rattaché à la maladie mentale est tellement profondément ancré dans notre société qu’il se révèle dès le premier appel téléphonique, ce qui nous en dit long sur la nature du système.
M. Coleman : Permettez-moi de vous répondre, monsieur. Nous avons été heureux de comparaître devant vous et nous serions absolument ravis de continuer à collaborer avec votre comité, que ce soit collectivement ou individuellement, parce que nous aussi nous sommes particulièrement intéressés par ce dossier.
Le président : Nous reprendrons contact avec vous. Merci beaucoup de vous être déplacés.
Chers collègues sénateurs, un peu plus tard dans le cadre de nos audiences sur le système de santé mentale judiciaire nous allons, comme vous le savez, accueillir deux membres de l’appareil judiciaire. Toutefois, nous allons commencer par entendre des personnes qui, le plus souvent, accueillent ceux et celles qui sortent de prison. J’ai cité, Kim Pate, directrice générale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, le Dr Dorothy Cotton, co-présidente du Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison et Randy Pritchard qui appartient à l’unité d’habilitation du CTSM.
Mme Dorothy Cotton, coprésidente, Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison; psychologue agréée : Je vais répéter ce que tout le monde a dit, à savoir que je suis très heureuse de me trouver ici aujourd’hui et que j’apprécie tout particulièrement le fait que vous nous ayez accordé quatre heures pour vous parler plutôt que les cinq minutes imparties à tout le monde.
Je porte plusieurs chapeaux. Comme vous l’avez dit, je suis co-présidente d’un groupe dont on vous a parlé tout à l’heure, mais je suis aussi psychologue de formation et je suppose que je représente donc le secteur de la santé mentale.
Je suis aussi psychologue auprès du Service correctionnel du Canada. Je siège à l’exécutif du Collège des psychologues de l’Ontario et, avant, j’ai été directrice d’un programme médico-légal dans un hôpital psychiatrique provincial. J’ai également été cliente et j’ai de nombreux membres de ma famille qui sont des usagers des services de santé mentale. Ma famille n’est pas aussi importante que celle de Sean, mais tout de même.
En ma qualité d’employée du gouvernement fédéral, je commencerais par émettre la réserve d’usage voulant que je m’exprime en mon nom et pas au nom des groupes dont je vous ai parlé. Je suis particulièrement intéressée à conserver mon emploi.
Je dois vous prévenir que vous ne trouverez pas ma présentation très cohérente, mais comme vous allez entendre divers groupes, je me propose de traiter les aspects qui ne l’auront pas été plutôt que de vous répéter ce que vous avez entendu de 50 personnes, du genre « nous n’offrons suffisamment de services ». Je suppose que vous connaissez ce message maintenant.
Mon premier message sera celui-ci et je pense qu’on vous a remis l’exemplaire de mon mémoire : parler avec la police. En qualité de directrice d’une unité judiciaire et de psychologue qui travaille dans un hôpital depuis 25 ans, je n’ai jamais imaginé que les policiers avaient quelque chose à faire dans sa spécialité et je suis gênée de vous l’avouer. Nous espérons que cette méprise sera une chose du passé. Permettez-moi de vous parler d’autres choses maintenant.
La communication et la circulation de l’information est un gros problème, peu importe le niveau du système dont on parle, sans vouloir contredire les témoins qui m’ont précédée et qui vous ont dit que les praticiens en santé mentale sont confus — ils vont certainement m’assassiner après cela —, les choses ne sont pas aussi simples qu’ils semblent l’avoir laissé paraître.
Dans mon poste actuel, dans ma profession, je suis régie par des lois fédérales et provinciales, par la Loi provinciale sur la protection de la vie privée, par la LSCMLC, par la Loi sur l’enregistrement des psychologues, par la Loi sur la santé mentale, par la Loi sur les professions de santé réglementées et par d’autres mesures législatives dont je ne parviens pas à me souvenir tout de suite, parce que je suis trop nerveuse.
Tous ces textes prescrivent ce que je peux dire et à qui et je vais vous dire une chose : même si je suis présidente du comité des plaintes du Collège des psychologues, ce que je peux dire quand un de mes clients est en crise m’échappe complètement et, à cause de cela, je ne dis rien à personne.
Ce qui est de plus en plus troublant, c’est que les choses se dérouleraient tout à fait différemment si j’étais travailleuse sociale plutôt que psychologue. La plupart des gens qui travaillent dans des organismes communautaires de santé mentale ne sont pas des fournisseurs de soins de santé réglementés et ils sont régis par des lois entièrement différentes et je l’espère moins nombreuses.
La question de la communication par rapport à la loi est un énorme problème.
Deuxièmement, pour ce qui est de la communication des données, je me plais à dire que j’effectue des recherches de pointe au Canada dans le domaine de la liaison entre les corps policiers et le milieu de la santé mentale. Toutefois, cela n’est pas aussi impressionnant que j’aime à le faire paraître. Il y a d’autres chercheurs canadiens dans ce domaine. Ce genre de recherche n’est pas financé et nous ne pouvons nous appuyer sur aucune donnée. Si votre thème de recherche consiste à compter le nombre de passants au coin d’une rue, vous n’aurez pas de mal à être le second chercheur le plus important. Nous n’avons pas de données. Nous ne recueillons pas de données de façon routinière et toutes les études dont on parle dans ce domaine sont américaines.
Au service correctionnel, nous ne savons pas exactement qui sont nos clients, quels sont leurs besoins en matière de santé mentale. Nous disposons bien de quelques données, mais rien d’extraordinaire. Dans la série d’audiences qui a précédé, vous avez accueilli des témoins du SCC et je sais qu’ils doivent revenir la semaine prochaine, mais nous sommes confrontés à un grave problème de données et de financement de la recherche.
D’ailleurs, policiers et chercheurs qui travaillent auprès de la police n’ont pas accès à des fonds. Si l’on n’est pas universitaire, il est quasiment impossible d’obtenir des fonds au Canada. Je suis universitaire à temps partiel et je ne parle pas, non plus, pour l’Université Queen. L’université fait partie des nombreux groupes au nom de qui je ne m’exprime pas.
Il n’est pas possible de bénéficier de fonds de recherche au Canada si l’on n’est pas universitaire et, pour vous dire la vérité, aucun universitaire sain d’esprit n’entreprendra de recherche au niveau dont vous parlez ici. Il est question de faire du simple recensement et pas d’entreprendre une recherche fondamentale, descriptive. Personne ne publierait d’articles à ce sujet. D’ailleurs, on m’a récemment refusé un article sous le prétexte que je n’avais pas cité de recherche antérieure dans ce domaine. Or il n’y en a jamais aucune qui a été effectuée. Nous ne devons complètement changer de cadre de référence.
Contrairement à ce que beaucoup d’entre nous pense dans les professions de la santé, beaucoup d’officiers ont des diplômes, des diplômes de haut niveau, même des doctorats, et ils peuvent entreprendre une recherche de haut niveau, mais ils ne sont pas admissibles à un financement des IRSC ou d’autres organismes, parce qu’ils ne sont pas affiliés à des établissements d’enseignement.
Je tiens également à vous dire que nous sommes tout simplement en mal de leadership. Nous avons été confrontés à un grand dilemme pour nous préparer, ce matin parce que vous êtes une tribune fédérale, une tribune nationale et que les compétences en matière de police et de santé sont provinciales. Vous n’êtes pas sans savoir cela. Que pouvons-nous donc faire à l’échelon national pour améliorer les choses? Eh bien, je pense qu’une grande partie du problème est due à une guerre de drapeau.
Il n’existe pas de champion dans ce domaine, personne ne dirige la charge. Il n’y a pas de chef des services de santé mentale au Service correctionnel du Canada. Il n’existe pas de poste chargé de la santé mentale. Il n’y a pas non plus de champion dans la recherche, dans tous les domaines. Nous pourrions retenir cette formule des champions. La directrice des services de santé n’a pas de formation en santé mentale, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas une très bonne personne et qu’elle ne fait pas un excellent travail, mais elle n’est pas spécialiste du domaine.
Le président : Une grande partie du travail qu’a effectué notre comité, dans le cadre de cette étude et de notre étude précédente sur les soins de santé, était du domaine des compétences provinciales. Nous avons formulé plusieurs recommandations dans ces domaines à propos desquelles le gouvernement fédéral ne pouvait pas donner suite, mais cela n’a pas semblé déranger les ministres provinciaux de la Santé ni les premiers ministres provinciaux. Ils ont tout de même pris nos rapports antérieurs et en ont retenu de grandes parties pour les mettre en œuvre dans les différentes provinces, considérant qu’il s’agissait davantage d’un rapport national que d’un rapport émanant de « politiciens fédéraux ». Nous sommes très heureux d’empiéter, en quelque sorte, dans les domaines de compétence provinciale et personne ne semble s’en inquiéter.
Mme Cotton : Eh bien, c’est parfait.
Ensuite, j’aimerais vous parler de choses auxquelles le gouvernement fédéral s’intéresse directement, deux secteurs dont vous avez parlé dans vos rapports antérieurs : le Service correctionnel du Canada et la GRC. Le SCC est le plus important employeur de psychologues au Canada et la GRC emploie, elle aussi, un grand nombre de psychologues.
Le gouvernement fédéral est un mauvais employeur sur ce plan : les salaires sont facilement de 30 pour cent inférieurs à ceux du marché. C’est humiliant pour les psychologues et cela contribue à entretenir le stigmate associé à la maladie mentale.
J’ai quitté un emploi de cadre supérieur dans un hôpital pour assumer un poste de travailleur en première ligne dans les services correctionnels, ce qui est sans doute l’échelon le plus bas que l’on puisse trouver dans ma profession. Je suis certaine que les trois quarts des habitants dans la petite ville où j’habite supposent que j’ai été congédiée de mon emploi précédent, parce qu’ils ne s’expliquent pas ce changement de ma part. Pour mémoire, sachez que je n’ai pas été congédiée de mon emploi précédent, ce changement correspondant sans doute à une crise de la quarantaine.
Je vais reprendre ce que beaucoup ont dit avant moi et ce que vous avez indiqué dans vos rapports antérieurs au sujet de la stigmatisation. Comme je viens juste de vous le mentionner, ce problème ne concerne pas uniquement ceux et celles qui souffrent de problèmes de santé mentale, mais tous ceux qui travaillent dans le cadre du système. Je serai prête à parier que l’agent de liaison spécialisé en santé mentale au sein d’un corps policier a peu de chance de remplacer un jour son chef. Dans la plupart des cas — et j’en suis désolée, Michael — il ne s’agit pas de postes de très haut niveau.
Je me rends bien compte que je ne suis pas très logique dans tout ce que je vous dis, mais sachez que l’appareil juridique devient de plus en plus la grande porte pour accéder aux services de santé mentale au Canada. Si vous enfreignez la loi, on peut vous envoyer dans un hôpital et un juge peut ordonner que vous y soyez traité, mais si vous n’avez pas de démêlés avec la justice, personne ne vous donnera de traitement. Un juge peut émettre une ordonnance de traitement dans un hôpital, même si aucun lit n’est disponible pour d’autres patients. Si un juge dit que vous devez être interné, vous serez interné.
Si vous enfreignez la loi et êtes inculpé, vous avez une chance de bénéficier du programme de déjudiciarisation et votre gestionnaire de cas vous mettra en communication avec les services communautaires, quels qu’ils soient, mais si vous ne vous placez hors la loi, vous n’obtiendrez pas ce genre de service. Si vous enfreignez la loi et êtes condamné, vous pourrez être placé sous la responsabilité d’un surveillant de liberté conditionnelle qui suivra votre comportement, veillera à ce que vous receviez les traitements nécessaires et à ce que vous ayez accès à des soins, mais si vous n’avez jamais eu de difficultés avec la loi, vous n’obtiendrez pas ces services. Si vous embêtez votre voisin et que vous perturbez souvent la paix du voisinage, personne ne fera attention à vous jusqu’au moment où la police ou l’appareil juridique s’intéressera à votre sort.
Ainsi, d’une certaine façon, si vous souffrez d’une maladie mentale, mieux vaut que vous ayez des démêlés avec la justice. Vous aurez accès à nombre de services auxquels vous n’auriez pas accès autrement, mais attention, il y a un retour de bâton, parce qu’une fois que vous devenez un « délinquant atteint de troubles mentaux » — quelle expression flatteuse et adorable — vous n’avez plus accès à ces services du tout parce que les organismes communautaires de santé mentale ont des critères d’exclusion. Ils refusent tous ceux et toutes celles qui ont un passé criminel ou qui sont toxicomanes. Or, il va sans dire que ces gens-là représentent la quasi-totalité de la population carcérale.
Je travaille dans un hôpital psychiatrique du service correctionnel fédéral et il nous est absolument impossible de transférer à des organismes communautaires les délinquants, ayant des besoins en santé mentale, qui sont libérés.
Comme vous le savez fort bien, les services psychiatriques des établissements correctionnels sont loin d’être suffisants. Nous nous arrêterons là-dessus.
Le président : Merci, Dorothy. Vous venez de soulever beaucoup de questions sur lesquelles nous reviendrons.
Mme Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je suis heureuse de me trouver ici et je vous remercie de m’avoir invitée.
Cela fait plus de 20 ans que je travaille, d’abord auprès des jeunes, puis auprès des hommes et, depuis 13 ans, à la Société Elizabeth Fry, auprès des femmes incarcérées. Tout comme les nombreux témoins que vous avez accueillis, tout comme les nombreuses personnes qui travaillent dans ce domaine, je me présente devant vous avez mon bagage professionnel, familial et personnel après avoir eu le privilège et parfois la difficulté de travailler au contact de certaines personnes.
Je représente 25 sociétés membres réparties à l’échelle du Canada qui travaillent auprès de femmes et de jeunes filles dans la collectivité. Pour certaines d’entre elles, nous sommes la seule ressource communautaire à laquelle elles peuvent avoir accès. Certaines sociétés sont provinciales, même si elles ne sont pas composées que de deux ou trois employés, mais l’objectif, le mandat de notre organisation est de travailler auprès de toutes celles qui sont marginalisées, qui sont criminalisées et qui ont été emprisonnées. Certains d’entre vous savez que je suis avocate et enseignante de formation, ce qui ajoute à mon bagage. Je suis en train de suivre un programme postsecondaire en santé mentale judiciaire.
Nous avons commencé à nous dire que nous devions intervenir dans le domaine de la santé mentale il y a plus de 10 ans, parce que nous avons commencé à nous rendre compte que le système carcéral était, comme le Dr Cotton nous l’a dit, la porte d’entrée privilégiée dans le système. À la faveur de la désinstitutionnalisation qui a été un phénomène mondial, nous avons constaté que de plus en plus de femmes et de jeunes filles se retrouvaient en prison, elles qui, depuis toujours, avaient été surreprésentées dans les établissements de soins psychiatriques et de santé mentale, mais sous-représentées en prison.
J’ai constaté que nous manquons fondamentalement d’analyses sur les répercussions que tout cela peut avoir sur les femmes et les filles en particulier et il vous intéressera sûrement de savoir que, si les taux de criminalité et d’incarcération sont globalement en train de décliner, ce n’est pas le cas pour les femmes. D’ailleurs, les femmes constituent la population carcérale qui accusent la croissance la plus rapide, pas uniquement au Canada, mais dans le monde entier, encore plus si elles sont autochtones et souffrent de maladie mentale diagnostiquée, si elles sont étiquetées, si elles ont de la difficulté, si elles ont des maladies ou des handicaps, peu importe l’étiquette en question. Voilà la tendance à la hausse.
Il n’est pas étonnant de savoir que nous avons d’abord constaté cette tendance à la prison pour femmes de Kingston où un certain nombre de détenues étaient maintenues en isolement, la plupart d’entre elles venant des provinces maritimes. Pourquoi donc, me demanderez-vous? Eh bien, si vous connaissez notre histoire économique, politique et sociale, vous savez que certaines des premières coupures, des coupures les plus profondes, se sont produites dans cette province. À cause des coupures occasionnées par la suppression du régime d’Assistance Canada et de l’adoption d’une approche sans obligation du genre de celles dont vous avez parlé, nous avons assisté à une augmentation du nombre de personnes qui sont oubliées par les services de santé mentale, les services sociaux et les services d’éducation et qui aboutissent donc dans le système de justice criminelle. Cela tient au fait qu’il s’agit du seul système qui ne peut fermer ses portes en disant « Non, nous sommes complets, nous n’avons plus de lit » et qu’il n’est pas difficile d’associer un comportement souvent symptomatique d’une maladie mentale à un comportement criminel. Parfois, les gens commettent de simples méfaits, de simples vols et parfois, quand ils résistent à leur arrestation, on peut les accuser d’agression et c’est là que l’on commence à voir apparaître certaines des tendances dont j’ai parlé.
Nous sommes à présent dans une situation où le service correctionnel, comme le soulignait le Dr Cotton, est l’un des plus importants employeurs de psychologues au Canada. La difficulté survient quand on essaie d’analyser la chose sous un angle différent de celui des services correctionnels et nous en avons fait l’expérience quand nous avons voulu intervenir dans le cas d’une femme qui s’était suicidée dans une unité de santé mentale relativement nouvelle, dans la prison fédérale de la province. Nous ne sommes pas parvenus à trouver un psychologue qui soit disposé à témoigner lors d’une enquête et à critiquer les politiques du service correctionnel. Mes plus récentes entreprises dans le domaine de l’éducation découlent de ce constat.
Le problème, c’est que des gens bien intentionnés, comme mes voisins à cette table, sont déterminés à essayer d’apporter un remède à ce que l’on a parfois baptisé de besoins invalidant du milieu correctionnel. Nous savons que le rapport du groupe de travail sur les détenues sous responsabilité fédérale, signé par la juge Arbour, paru l’année dernière, qui est en fait le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne, il est question de traitement discriminatoire dont les femmes font l’objet dans nos prisons fédérales, notamment dans le domaine de la santé mentale. Très souvent, le modèle de justice criminelle et l’étiquette de « femme criminelle » viennent souvent entraver la capacité de réponses aux besoins constatés en matière de santé mentale.
C’est particulièrement vrai dans le cas des femmes, même si les services correctionnels et d’autres ont consacré énormément de ressources, de temps, d’énergie et de bonne volonté à la mise sur pied de services maison, celles qui sont perçues comme constituant le plus important problème pour le système — pas nécessairement sous la forme d’une menace à la sécurité publique — aboutissent en prison et se retrouvent très isolées de leurs familles.
Nous voyons de plus en plus de femmes qui sont placées dans des centres à sécurité maximale, qui sont isolées et placées en isolement. Même quand leur comportement est identifié dans un hôpital, le plus souvent, il n’est possible de les interner que lorsqu’elles sont en crise. Vous ne pouvez imaginer le nombre de fois où j’ai dû m’agenouiller devant une cellule d’isolement pour m’entretenir avec une détenue par le passe-plat, afin d’essayer de la convaincre d’arrêter de se taper la tête contre le mur et d’entendre dire par un membre du personnel qu’on lui a précisé qu’il fallait compter jusqu’à 20 parce que, après 20, on n’a pu à faire à un comportement qui consiste simplement à attirer l’attention, mais que l’on est peut-être en présence d’une situation dangereuse pour la vie. Ce n’est pas parce que ce personnel est mal intentionné, mais parce qu’il a été formé pour croire que, jusqu’à un certain point, ce genre de comportement tient uniquement à la manipulation.
Nous devons examiner certains de ces aspects parce que, si l’on ne forme pas tout le monde dans les centres correctionnels pour les transformer en professionnels de la santé mentale — ce qui n’est pas faisable — nous devons élaborer des stratégies pour faire sortir certaines personnes de ce système. On a essayé par le biais des tribunaux spécialisés en santé mentale et par le truchement d’autres véhicules. Au sein du service correctionnel, comme je le disais, ce n’est que lorsqu’une personne est en crise totale qu’il est possible de la faire transporter dans un hôpital psychiatrique. Il nous arrive souvent de voir des patientes qui s’améliorent dans les 24 heures parce que, sans vouloir être simpliste, on les a étiquetées de malades mentales ou malades psychiatriques et pas de criminelles. L’intervention peut donner beaucoup plus vite lieu à des résultats positifs.
De plus, les personnes concernées se rendent très vite compte qu’elles se retrouvent dans une installation de santé mentale et, même si elles ont parfois de la réticence à accorder leur consentement pour être traitées, la plupart d’entre elles, mais aussi les hommes et les jeunes avec qui j’ai travaillé, disent qu’ils veulent qu’on les soigne, parce qu’ils se rendent compte que quelque chose ne va pas. Ces gens-là peuvent ne pas savoir quoi.
En ce qui nous concerne, nous estimons qu’il faudrait encourager de plus en plus de groupes de promotion de la santé mentale et des soins psychiatriques à intervenir dans des situations de ce genre.
Je trouve les rapports extrêmement utiles, si ce n’est qu’ils ne comportent pas beaucoup d’analyses de sexospécificité, quand on en trouve, et je sais d’expérience pour avoir travaillé avec des collègues à l’étranger, que le problème est le même aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Les modèles en place ne répondent pas forcément aux besoins des femmes qui se retrouvent dans de telles circonstances et on continue de considérer que nos consoeurs constituent certains des problèmes les plus importants et elles finissent par être criminalisées parce qu’elles veulent survivre et qu’elles négocient leur évolution dans le système.
Dans certains des modèles que vous examinez, il est beaucoup question de plans pour tout un ensemble de services, on insiste sur l’intégration des services sociaux et des services de santé. Nous savons que, pour qu’il y ait effectivement intégration, même si les services de santé mentale sont excellents, c’est-à-dire comportent tout ce que tout le monde réclame, s’il n’y a pas de place pour accueillir des patients en résidence, si ces gens-là n’ont pas des moyens de soutien, les problèmes de santé reprennent vite le dessus. Nous savons ce que les gens disent : « Si je pouvais avoir un emploi, un lieu où vivre, je me sentirais bien mieux ». Le rapport intitulé « Beyondblue » traite un peu de la façon d’améliorer les conséquences de la dépression et des autres phénomènes de santé mentale dans un contexte où l’on a du mal à imaginer comment les gens peuvent survivre.
Ce serait bien si votre comité, dans ses recommandations, pouvait établir un lien entre la santé mentale et les moyens de soutien ainsi que les services sociaux et les autres normes nationales qui ont été quasiment éliminés quand le régime d’assistance publique du Canada a été supprimé, je pense que nous ferions beaucoup de progrès dans le sens d’une solution, parce que nous avons besoin de ce genre de service intégré.
Bien sûr, il faut également s’assurer que les dispositions de la Charte et de la Loi sur les droits de la personne sont respectées. Si cela vous intéresse, sachez qu’il existe toute une série de rapports très complets produits par le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada et par notre organisation, rapports qui contiennent des recommandations sur le genre d’intervention qui permettrait d’aider les femmes dans ce système. Beaucoup de ceux qui les ont lus nous ont dit qu’ils pourraient aussi aider les hommes. Je crois que c’est vrai.
On recommande aux intervenants de contribuer à la négociation de l’accès aux programmes et aux services, quand il y en a. Vous avez beaucoup entendu parler du manque de services et je n’y reviendrai pas.
Il faut offrir des services communautaires, quasiment sous la forme d’un service de médiation. Nous utilisons ce terme, mais nous sommes ouverts à suggestion pour l’améliorer, pour parler des cas où, après qu’un diagnostic a été posé, qu’une personne est étiquetée « malade mentale », il faut contrôler l’affectation des ressources et prévoir un suivi pour s’assurer que les besoins constatés sont comblés.
On constate, par exemple, dans les communautés de femmes autochtones, une augmentation impressionnante du nombre de femmes et d’enfants atteints du syndrome d’alcoolisme fœtal, des effets de l’alcoolisme fœtal, de troubles neurologiques liés à l’alcool et ainsi de suite, ce qui nous a amenés à recommander que, si ce diagnostic donnait lieu au déblocage de fonds, nous assisterions à deux choses : tout d’abord, pour être directe, je dirais que nous ne verrions pas ce genre de diagnostic apparaître aussi rapidement; deuxièmement, nous aurions un meilleur accès aux ressources.
Pour ce qui est du cadre législatif, nous vous recommandons d’adopter un peu ce qu’a recommandé le comité chargé de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents afin de s’assurer que les principaux fondamentaux sont mis en place et puissent ainsi être utiles.
Tout d’abord, ce serait un grand progrès que d’avancer en principe que toute personne souffrant de maladie mentale ne doit pas être criminalisée, car cela inciterait les provinces et les localités à se doter des ressources nécessaires grâce auxquelles, en plus des normes nationales en vigueur, les gens auraient une meilleure chance d’accéder à des ressources communautaires.
Il serait également utile de maintenir le principe qui consiste à appliquer des mesures moins intrusives en vertu des protections qu’accordent la Charte et la Loi sur les droits de la personne, outre qu’il faudrait envisager des stratégies et des lignes directrices nationales pour inciter les services d’accès à offrir des options communautaires et axés sur la clientèle auxquels les gens pourront s’adresser.
J’ai d’autres remarques à faire, mais je crains d’avoir dépassé le temps qui m’était accordé et je vais donc céder la parole à mon voisin.
M. Randy Pritchard, témoignage à titre personnel : Merci de m’avoir invité.
J’ai lu avec empressement le premier des trois volumes que vous avez produits et, quand j’ai vu la vision que vous y énoncez en matière de services axés sur la clientèle et même administrés par les clients, j’ai été emballé.
Je suis alors passé à la lecture des autres volumes et je me suis demandé comment vous en étiez venu à cette vision; j’ai alors consulté la liste des témoins à la fin des volumes et j’ai compris.
La Mental Health Legal Advocacy Coalition est un groupe ontarien sans but lucratif. Pour y adhérer, il suffit d’avoir été interné dans un service psychiatrique. Nous essayons de répondre aux préoccupations des membres quand il y chevauchement entre problèmes de santé mentale et problèmes avec la loi. Jusqu’ici, nous sommes parvenus à intervenir dans trois causes devant la Cour suprême. D’abord, dans notre incarnation précédente, quand nous nous appelions le Queen Street Patients Council, nous sommes intervenus dans l’affaire LePage qui a ensuite été intégrée à l’affaire Winko et qui a donné lieu à une décision clé par la Cour suprême du Canada. Nous sommes aussi intervenus dans l’affaire Starson qui traite de la compétence à donner son consentement pour un traitement et dans l’affaire Pinet et Tulikorpi, deux clients de services judiciaires, qui a permis de préciser une fois pour toute qu’il faut systématiquement appliquer des dispositions moins restrictives et moins lourdes pour la totalité du mandat de dépôt.
Après avoir remporté ces victoires, certains ont cru qu’on les laisserait tranquille. Toutefois, nous avons assisté à une multiplication des tentatives du système de santé mentale pour contourner les décisions de la Cour suprême du Canada.
Peu après la décision Starson, un atelier a été organisé au Centre for Addiction and Mental Health, ici à Toronto, afin d’informer le personnel sur ce qu’il devait maintenant faire pour contourner les dispositions découlant de ce jugement. Pour nous, cela n’a rien de nouveau. Nous l’avons vu auparavant.
Initialement, j’avais l’intention de vous remettre mes propos par écrit, mais j’ai tout jeté à la poubelle, hier, après avoir témoigné lors d’une enquête qui s’est déroulée à North Bay, mardi. Elle portait sur le suicide par pendaison d’un client d’un service médico-légal. Après avoir eu la possibilité d’examiner les trois volumes de documents, les notes cliniques, les divers tests médicaux effectués et les témoignages de particuliers, j’ai été révolté de constater qu’on avait refait les mêmes erreurs. À la lecture de votre document, j’ai constaté que, quand vous avez adopté la philosophie du rétablissement, vous avez repris la définition antérieure. Eh bien, je dois vous donner une leçon d’histoire.
La philosophie du rétablissement a d’abord été adoptée aux États-Unis dans le cas de patients souffrant de problèmes mentaux, car on s’était rendu compte que 30 pour cent des symptômes disparaissaient chez ceux qui s’éloignaient du réseau de santé mentale. Et je pense que les gens se sont trompés en parlant de « rétablissement » ou de « guérison » pour décrire ce qui n’était qu’une façon d’indiquer aux fournisseurs de service : « Ce que vous dites s’applique peut-être à d’autres, mais pas à moi ». Cette expression a été reprise par les fournisseurs de service et la définition sert maintenant de moteur d’intervention.
Hier, vous avez accueilli les gens du Centre Gerstein de Toronto. À la question « Pourquoi ne retrouve-t-on pas ce genre d’installation partout au Canada? », l’un des témoins a répondu « Eh bien, parce que ce ne sont pas des établissements médicaux » ce qui est effectivement la raison.
Il y a 15 ans, le gouvernement fédéral savait comment s’y prendre. Il y a 15 ans, il veillait à ce qu’un grand nombre d’utilisateurs de service soient consultés. Mes collègues et moi-même avons participé, à Ottawa, à une consultation fédérale-provinciale financée par le gouvernement fédéral. Nous représentions environ un tiers des personnes présentes — au côté des fournisseurs de service et de bureaucrates — et notre position était très différente de celles des autres. À la façon dont je vois le problème, je dirais que vous devez revenir à cette vision d’un changement orchestré par les utilisateurs.
Il est ironique que nous ayons pu intervenir dans des causes devant les tribunaux, pour faire respecter nos droits et constater, par ailleurs — vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela m’a horrifié — à la lecture de l’exposé de la société de schizophrénie, qu’il est recommandé de retirer aux patients de psychiatrie légiste le droit de refuser un traitement en vertu du Code criminel.
Nous devons prendre acte de ce qu’a déclaré la Cour suprême dans la cause Winko. Elle fait état de toutes les protections en place, notamment de notre droit de refuser un traitement, pour ne pas avoir baptisé cela d’infraction à l’article 15 de la Charte.
Nous avons fait un exposé devant le comité parlementaire chargé d’étudier les modifications au Code criminel et nous vous avons d’ailleurs fait remettre un exemplaire de notre mémoire, parce que nous croyons savoir que le Comité sénatorial va examiner aussi cette question. Je vous implore d’assumer votre fonction de chambre haute chargée de jeter un second regard à ce sujet, parce que certaines dispositions horribles viennent saper les droits que nous confère la Charte.
Dans le cadre d’une contestation judiciaire qui a présidé au lancement d’un petit programme, nous avons sondé des gens dans le système médico-légal en Ontario et en Colombie-Britannique. Nous avons été surpris de découvrir que ces réseaux de santé, pour prouver qu’ils sont responsables, vous communiquent les résultats de sondages qu’ils effectuent. Il existe un merveilleux sondage sur la satisfaction de la clientèle qui a été réalisé par le programme de droit et de santé mentale du Centre for Addiction and Mental Health, à Toronto — sondage qui est auto-administré — selon lequel les gens sont généralement assez heureux de leur sort. Or, quand on sonde les mêmes personnes mais de façon différente, on obtient des réponses très différentes; selon moi, cela tient au fait que, si des membres du personnel administrent un sondage de satisfaction de la clientèle et que leur opinion détermine votre liberté de patient, vous risquez d’être un peu plus prudent dans vos réponses. Tous ces mécanismes n’ont aucune valeur.
J’étais révolté quand j’ai quitté North Bay, après avoir été témoin de la tentative évidente déployée pour certains d’échapper à leurs responsabilités dans des problèmes tout à fait physiques qui ont poussé cet homme à mettre fin à ses jours. Il a fallu 16 ans pour qu’il soit arrêté, ce qui est un autre problème courant dans le système : je veux parler de la tendance à nous considérer en fonction de l’étiquette que nous portons, à nous déshumaniser et à nier nos réalités.
Un membre de notre organisation s’est plaint pendant des années de douleurs à l’estomac et on lui a sans cesse répété : « Ne t’inquiètes pas, cela fait partie de ta maladie ». Récemment, on lui a enfin fait subir des tests médicaux et on lui a trouvé une masse dans l’estomac qui, Dieu merci, était bénigne et qui ne le tuera pas, mais voilà un autre exemple.
À North Bay, deux patients ont déclaré avoir aperçu le malade dont je vous parlais à l’instant, peu après qu’il eut quitté l’établissement, ce qui aurait dû déclencher une réaction à l’interne. Cette réaction aurait consisté à appeler la police pour faire une déclaration de personne manquante. L’infirmière a décidé de ne pas agir ainsi. Deux heures plus tard, un technicien d’entretien, qui travaillait dans l’établissement, a également aperçu cet homme dans le même secteur et l’a signalé par téléphone. Cette fois-ci, elle l’a cru et a déclenché les recherches. Les deux premières heures auraient été amplement suffisantes pour le rejoindre là où on l’a finalement trouvé pendu.
Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est que les gens ne deviennent pas subitement fous. Cela fait 15 ans que je refuse de parler d’une chose, mais je vais le faire ici. J’ai été déclarée non coupable de possession d’explosifs illégaux en 1981, parce qu’on m’a jugeait déséquilibré. J’ai passé 10 ans dans le système médico-légal avant, du jour au lendemain, d’un simple coup de crayon, d’être déclaré « guéri » de ma maladie mentale, ce qui m’a permis de sortir du système. Aujourd’hui, nous ne sommes pas des dangers pour le public.
Ce qu’il y a eu d’incroyablement ironique dans toute ma situation, c’est ce qui s’est passé à la dernière audience de la commission d’examen quand on m’a demandé : « Comment pouvons-nous avoir la certitude que, dans l’avenir, vous allez demander l’aide de quelqu’un si vous avez des problèmes? » J’ai répondu, « Ne vous inquiétez pas, je reviendrais vous voir ». Ce genre de question peu donner lieu
À une lourde sanction. Si vous êtes franc et honnête au sujet de vos difficultés, vous devez vous attendre à rester plus longtemps, vous devez vous attendre à ce que votre incarcération se poursuive. J’ai déclaré « Ne vous inquiétez pas, j’ai tellement détesté mon séjour parmi vous, que je ferai tout ce qu’il faut pour ne plus jamais avoir affaire à vous ». Où d’autre pensez-vous qu’on accepterait ce genre de critique en vous répondant « Fort bien. Cela nous va. Vous pouvez partir! » Et c’est exactement ce qui s’est passé.
Rien n’a changé. Le jour où j’ai témoigné en cour à North Bay, j’ai appris qu’un autre patient d’un centre médico-légal, à l’Hôpital Royal d’Ottawa, s’était suicidé. Durant mon contre-interrogatoire, l’avocat de l’hôpital a essayé de démonter tout ce que j’avais déclaré, « Vous conviendrez avec moi, » a-t-il dit, « que l’hôpital a fini par fournir cet équipement médical ». Il voulait parler d’un appareil de ventilation en pression positive continue qui permettait à cet homme de respirer la nuit. Je lui ai répondu : « Je suis d’accord qu’après 16 ans et de multiples preuves de son état physique, je suis d’accord que deux mois avant son décès, vous lui avez fourni son appareil. Oui, je suis d’accord avec vous. »
Il existe une base de données qu’on a ironiquement appelée la première base de données annuelle sur les mandats des populations du Lieutenant-gouverneur. Celle-ci a été commandée en 1989 par le ministère fédéral de la Justice et par les commissions d’examen de partout au Canada, et on la doit à un certain Chris Webster, chercheur qui, à l’époque, travaillait au Clarke Institute. Il s’agit d’une étude démographique de la population au Canada, étude qui part de certaines statistiques intéressantes, comme le manque d’instruction des patients qui fréquent le réseau médico-légal.
C’est en Alberta que la note moyenne la plus élevée a été accordée, avec 11. En Ontario, la note est de 9, 25 pour cent des personnes n’avaient aucun revenu à l’époque de leur infraction. Elles ne bénéficiaient d’aucune aide sociale. Elles n’avaient aucune assistance. Rien! Vingt-cinq pour cent de cette population était sans abri. On a également constaté un chômage massif dû à un manque d’instruction ou de formation professionnelle et les logements étaient inférieurs aux normes, quand il n’étaient pas inexistants.
Même l’Organisation mondiale de la santé, en 1990, a reconnu que les niveaux de revenu sont des facteurs déterminants de la santé mentale et nous semblons avoir oublié tout cela. Nous nous disons que c’est cela qui est nécessaire, tandis que ce qu’il nous faut en fait, c’est d’étendre massivement au niveau communautaire les services qui sont actuellement offerts par le secteur institutionnel.
Hier, vous avez posé des questions au sujet des équipes ACT. Ces équipes ont été une véritable catastrophe. En 1990, dans le cadre de mon travail, on m’a demandé de revoir le prototype des équipes ACT dans cette province, à l’Hôpital psychiatrique de Brockville, sous la direction du Dr LeFevre. La bataille était déjà bien enclenchée entre le personnel qui prêchait pour les institutions et d’autres qui penchaient davantage pour les services en milieu communautaire. L’objectif visé à l’époque était de traiter de cinq aspects de la vie des gens : le logement, l’emploi, l’instruction, les loisirs et la situation sociale.
Quand des gens se présentaient à l’hôpital, à la salle d’urgence, pour être admis, on les dirigeait vers le Dr Lefevre. Celui-ci les renvoyait chez eux en compagnie du personnel qui devait rester sur place jusqu’à ce que le problème commence à se régler. Il a pu ainsi fermer 38 lits du service psychiatrique. Il a perdu la bataille pour le contrôle et, à cause de cela, le secteur institutionnel a gagné la partie et c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Je pourrais continuer ainsi jusqu’à plus soif, mais je n’ai plus de temps. Merci.
Le président : Merci à vous trois de vous être déplacés. Je vais vous poser une question à vous trois.
Quels services reçoivent les très nombreuses personnes incarcérées qui souffrent de maladie mentale — je ne parle pas ici nécessairement des cas extrêmes — si elles en reçoivent? Quand elles sortent de prison, est-ce que leurs problèmes ont été traités, s’est-il aggravé ou est-ce que rien n’a changé?
M. Pritchard : J’aborderai la chose sous l’angle de la population traitée par le réseau psychiatrique légiste, parce que c’est celui que je connais le mieux. Nombre de ceux qui ont fréquenté le système carcéral et le système de santé mentale, du moins le système de psychiatrie légiste, disent en général préférer la prison parce que celle-ci semble leur offrir plus d’options.
L’une des recommandations que nous avons adressées au jury, à North Bay, reprenait le modèle de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, modèle voulant que des postes non cliniques soient créés avec pour seule fonction d’accompagner les personnes qui sont admises par le système et ayant pour seule préoccupation de disposer des outils nécessaires au moment où les gens partent afin de les aider à régler leurs problèmes. En effet, si l’on ne règle pas ces problèmes, qui sont les principales causes de ce qu’on appelle les maladies mentales, après plusieurs années d’incarcération, si l’on dit à la personne « Maintenant, prends ta vie en main et ne fais pas de bêtises » on court à la catastrophe.
Mme Cotton : Cela ne vous étonnera pas, mais je vais vous donner une réponse légèrement différente de celle de Randy. Les gens dont il parle font partie du réseau de la santé mentale, il s’agit des patients médico-légaux. Ils ne sont pas incarcérés et je dois préciser qu’en Ontario, dans le système psychiatrique légiste, les normes de soins sont exactement les mêmes que dans les autres branches de la psychiatrie. Je vous laisse décider de ce que valent ces normes, mais j’ai constaté que les choix offerts par les programmes médico-légaux sont à peu près identiques à ceux qui sont offerts dans un hôpital ou dans un service psychiatrique normal.
Pour m’être entretenue avec des patients, des utilisateurs de soins et des PVP, j’ai constaté que l’une des principales raisons pour lesquelles les gens préfèrent souvent la prison à un traitement en centre psychiatrique légiste, tient à la durée de la peine. Quand j’étais directrice des services médico-légaux, nous avons accueilli un patient qui avait volé le sac à main d’une dame. On ne lui aurait pas, pour ce crime, infligé cinq minutes de prison, mais il a passé cinq ans parmi nous. Les gens préfèrent de loin faire une peine de prison, parce qu’ils sortent beaucoup plus tôt, à moins qu’ils ne soient condamnés pour meurtre.
Pour ce qui est de votre question relative aux services, je vous dirais personnellement — et j’espère que je ne vais pas bientôt me retrouver au chômage — que la norme de soins dans le système correctionnel fédéral est loin de correspondre à la norme appliquée dans le milieu communautaire. Les principes du traitement en milieu correctionnel reposent sur la criminogénèse, sur le degré de risque et les facteurs de réponse, si bien que les problèmes de santé mentale ne sont traités que s’ils concernent le comportement criminel.
Les besoins d’ordre plus général, à moins qu’ils soient très aigus, ne sont généralement pas traités dans le système correctionnel. Cela ne fait pas partie du mandat. Croyez-moi, les pénitenciers ne sont pas des centres de soins. On n’y dispense pas des soins de santé. Ce sont des prisons. La santé n’est pas une très grande priorité dans le système.
Dans mon service, il y avait huit psychologues, trois infirmières, un travailleur social, un OT et un commis. Il s’agit d’un hôpital. Nous sommes l’hôpital du service correctionnel fédéral pour l’Ontario. Il nous faut remplacer la cartouche d’encre de notre imprimante, que nous partageons à 15, mais on nous a dit qu’il faudrait attendre le prochain exercice financier pour en avoir une; comme vous le savez, cet exercice commence en avril. Voilà le genre de priorité qu’on nous accorde. Nos soins ne correspondent pas à la norme de soins communautaires.
Le président : Je peux donc conclure de ce que vous dites — et je ne parle pas à présent des patients des services médico-légaux, mais de la population carcérale en général — que ceux et celles qui ont vraiment besoin d’un traitement en santé mentale, que ce soit sous la forme de conseils ou autres, ne reçoivent pas ce genre de service en général et que, ce faisant, ils ne ressortent pas dans un meilleur état pour ne pas dire qu’ils sont pires qu’avant.
Mme Cotton : Si leurs problèmes de santé mentale sont directement liés à la commission d’un crime, il est fort probable qu’ils bénéficient d’un traitement, mais qui ne sera pas très poussé ni permanent, contrairement à celui qu’ils auraient reçu dans des services communautaires. Toutefois, si les troubles mentaux ont un rapport direct avec leur infraction criminelle, ils sont plus susceptibles de recevoir un traitement.
De plus, tout dépend de ce dont on parle. Il existe beaucoup de traitements permanents, de haut niveau, intensifiés, pour les délinquants sexuels et, malgré ce que le public semble penser, ce sont des traitements qui donnent d’assez bons résultats. Toutefois, le taux de dépression, par exemple, chez les délinquants incarcérés dans le système fédéral, est incroyablement élevé pour toute une diversité de raisons que vous pouvez imaginer et si l’on ne considère pas que la dépression est associée à un comportement criminel, elle n’est pas traitée en priorité.
Des établissements autres que les hôpitaux psychiatriques accueillent 400 à 600 délinquants pour lesquels il y a peut-être quatre ou cinq psychologues de service, pas plus. Il n’y a pas d’équipe soignante.
Le dernier élément de ce casse-tête, c’est le lien avec le monde extérieur. Le service correctionnel fédéral n’assure pas de suivi à la sortie. Il n’y a pas de système de libération conditionnelle ni de psychologues qui travaillent auprès des ex-délinquants au sein de la collectivité. Toutefois, si quelqu’un a besoin de soins plus importants, il est possible de le réintégrer dans les mêmes services que tous les autres. Bien sûr, c’est assez difficile pour qui que ce soit d’accéder à ce genre de services et ce l’est encore plus pour celui qui a un casier judiciaire.
Mme Pate : Mon expérience est à peu près semblable à celle qui vient d’être décrite, si ce n’est que pour quelqu’un qui est isolé, très souvent, n’importe quel autre endroit paraît mieux. Je veux être bien clair sur une chose, quand on interne un détenu ou une détenue dans un établissement psychiatrique ou de santé mentale, ce n’est généralement pas quelque chose que l’on va claironner, mais quand on est confronté au risque d’un décès en cellule d’isolement, on peut obtenir l’ordonnance d’un tribunal pour soumettre la personne à une évaluation psychiatrique et c’est parfois la seule façon de faire passer leur cas devant un tribunal. Dans la plupart des cas, nous sommes arrivés à nous ménager un peu d’espace pour revenir sur ce qui leur est arrivé dans le système carcéral. Ne pensez cependant pas que je suis en train de prêcher pour que l’on confie ces gens-là aux services médico-légaux. Ce n’est pas le cas.
La situation est sans doute un peu différente pour les femmes parce que cinq nouveaux services de santé mentale ont été ouverts un peu partout dans les prisons pour femmes au Canada, après qu’on a pris acte de la réalité dont je vous ai parlé plus tôt. Toutefois, les femmes qui se retrouvent là ne sont pas celles pour qui on avait destiné ces services à l’origine et, en majeure partie, cela est dû au fait que les programmes et les services qu’on y offre ne répondent pas à leurs besoins.
On y trouve des techniciens en science du comportement offrant des traitements axés sur la modification du comportement psychosocial qui, comme on l’a démontré ailleurs, ne sont pas les traitements les plus efficaces pour ce genre de personnes, qu’elles soient en prison ou dans un établissement de soins psychiatriques. Nous avons constaté que, là où il existe des services de soutien, ceux-ci sont généralement fournis en dehors du milieu correctionnel et ils sont dispensés par une personne qui fait cela sur son temps. Il s’agit d’une personne qui prend le temps d’offrir certains services. Il peut y avoir un lien avec la communauté. Il peut s’agir d’un intervenant en contact avec la personne incarcérée et il est vrai que les services communautaires font actuellement cruellement défaut, principalement parce qu’ils ne sont pas une priorité. Quand quelqu’un tombe en bas de la liste de priorité, on peut dire qu’il garde une certaine place, mais j’ai constaté qu’il arrive que des gens n’apparaissent même plus sur la liste de priorité.
Nous avons des femmes qui ont entamé une peine de 18 mois et qui sont là depuis 18 ans, tout cela à cause d’accusations accumulées pendant qu’elles étaient incarcérées et tout cela pour leurs problèmes de santé mentale. La plupart d’entre elles sont retenues derrière les barreaux jusqu’à expiration de leur mandat, parce qu’elles ont eu le malheur d’avoir un comportement criminel associé à la santé mentale et qu’à cause de cela, on considère qu’elles sont plus dangereuses, même si la recherche prouve le contraire, recherche dont vous avez sans doute entendu parler. Bien des gens, notamment ceux qui ont vécu cette expérience, pourront vous dire qu’il n’y a pas de rapport entre la santé mentale ou les étiquettes de santé mentale et la violence, ce qui n’empêche que l’on rattache automatiquement la violence aux troubles mentaux.
Le fait de résister à une arrestation ou de défoncer la porte d’une cellule d’isolement qui heurte quelqu’un vaut au coupable ou à la coupable une accusation d’agression contre ses gardiens, ou quelque chose du genre. Il arrive qu’un détenu agresse un gardien, parce que c’est la personne qui se trouve simplement à barrer le chemin.
J’ai été dans le service d’isolement et j’ai souvent réclamé, le plus souvent en vainc, qu’on déverrouille les portes et je ne me suis jamais faite agressée. Ce dont parlait Randy concerne une personne différente dans un contexte différent. La personne auprès de qui on intervient comprend que vous êtes là pour l’aider, pour devenir sa porte-parole, et pas pour empiéter davantage sur ses droits. Je ne suis pas en train de dire qu’il y a une solution magique. Les choses sont assez simples. Quand on peut contrôler sa vie, on peut exercer ce contrôle d’une façon qui vous est bénéfique et qui est bénéfique pour les autres en général, même si vous vous trouvez dans un état qui est différent de ce que l’on appelle souvent un état « normal ».
Comme je le disais, malgré tous les efforts qui ont été déployés pour offrir des programmes et des services derrière les barreaux, on ne parvient pas à répondre aux besoins de la population carcérale parce qu’on offre ces services et ces programmes dans une optique correctionnelle.
C’est pour cela que le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada et nous-mêmes avons recommandé d’adopter une disposition dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour que l’on permette aux personnes malades — et les personnes qui souffrent de maladie mentale tombent dans cette catégorie — de quitter la prison à un moment donné de leur peine pour être transférées dans des services de santé plus adaptés susceptibles de répondre à leurs besoins au sein de la communauté. Ce genre de mécanisme n’exige pas une réforme de la loi, mais il pourrait être l’occasion d’examiner des formules à l’échelon communautaire.
Il y a, par exemple, eu le cas de cette femme qui avait été condamnée à vie et qui avait dépassé de 15 ans sa date d’admissibilité à une libération conditionnelle à cause essentiellement de ses troubles mentaux, et qui n’a même pas été en mesure d’obtenir les rapports des services correctionnels avant de comparaître devant la Commission nationale des libérations conditionnelles. On a établi un lien entre les infractions commises et son état mental, bien que personne n’ait été en mesure de dire pourquoi étant donné qu’elle n’avait jamais été violente dans les 25 années passées en prison.
La seule façon de dénoncer cela publiquement a constitué pour nous à demander à un cinéaste de faire un film que je vous recommande d’aller voir si vous ne l’avez déjà vu, film qui s’intitule Sentence Vie/Sentenced to Life. Faites-le en comité ou individuellement. Je crois que ce film traite exactement de ce dont nous parlons, de la façon dont les gens se retrouvent plongés dans le système et ne peuvent plus jamais en sortir. La folie du système, et j’emploie ce terme à dessein, a été d’énoncer publiquement l’adoption de mesures correctives qui ont consisté à ne plus placer cette femme en isolement et à permettre qu’elle ait un certain contrôle sur les services auxquels elle devait accéder. Je suis heureuse de dire qu’elle passe maintenant plus de la moitié de son temps dans la collectivité, qu’elle vient de s’installer dans une de nos maisons de transition et qu’elle bénéficie de services de soutien supplémentaires. Malheureusement nous manquons encore de ressources.
Vous serez frappé si vous regardez les millions de dollars qui ont été investis dans des services de santé mentale, par le service correctionnel, dans des prisons pour femmes, services qui ne répondent encore pas aux besoins, par rapport aux coûts que représenterait l’emploi d’un travailleur supplémentaire en santé mentale ou d’un intervenant communautaire.
À deux reprises, j’ai pris des congés d’une semaine pour aller marcher avec des personnes que nous considérons comme particulièrement remarquables. Notre organisation a en effet recensé 17 femmes dites « remarquables » auprès de qui notre bureau de deux employées intervient directement.
Même quand nous déployons les ressources, force est de constater qu’il n’existe presque rien dans la communauté et ce sont nos maisons de transition que l’on contacte pour offrir ce genre de services aux femmes. En revanche, à cause d’un manque de personnel, nous ne sommes pas en mesure de leur apporter une aide. On ne met pas en œuvre des moyens qui seraient plus humains et qui seraient aussi beaucoup plus rentables.
Le sénateur Trenholme Counsell : L’une des questions que j’ai posées hier concernait les renseignements dont on dispose sur les détenus. Je voulais savoir si, étant donné le type d’interrogatoire et d’examen poussé qui précède la mission dans une installation à sécurité maximale ou moyenne, à l’arrivée d’un futur détenu, vous recueillez des données suffisantes, de bonne qualité et utiles, relativement à l’état de santé ou au statut social de cette personne? Je pense bien sûr ici à tout ce qui concerne la santé mentale. Est-ce que des membres du personnel proposent ce genre d’information? Est-ce obligatoire?
Mme Pate : Mon expérience dans ce domaine est limitée, parce que je ne suis généralement pas là lors des procédures d’admission, mais d’après les enquêtes que nous avons effectuées, d’après les interventions que nous avons faites devant les tribunaux et d’après le travail d’intervention que je fais sur le terrain, il m’est souvent arrivé de voir ces documents, parce que les femmes elles-mêmes me demandent de les consulter. En général, si l’état mental est en rapport direct avec l’infraction, comme le disait le Dr Cotton, on considère alors qu’il s’agit d’un facteur criminogène. Si les autorités considèrent que ce lien existe, il est mentionné, mais d’une façon très étrange.
Je vais vous donner le cas de cette femme qu’on avait étiquetée de schizophrène. Elle avait été violée par son père et on avait vu que les deux entretenaient des relations contre nature. Eh bien, il était notamment mentionné dans son dossier qu’un des facteurs ayant contribué à sa criminalité était le fait qu’elle avait eu des relations sexuelles avec son père. Il était également fait mention d’un comportement inapproprié et j’ai dit que, dans ce contexte, on avait l’impression qu’elle avait été consentante. Ensuite, comment faire ce saut qui consiste à établir un lien entre ses relations et ses démêlés avec la justice. Il est possible qu’à cause de son passé d’enfant violentée, elle ait dû se défendre contre l’homme qui l’a attaquée quand elle se prostituait dans la rue, mais rien, selon moi, n’est indicatif d’un problème de santé mentale dans ce cas.
L’une des raisons pour lesquelles le juge Arbour, la Vérificatrice générale, le Comité des comptes publics et la Commission canadienne des droits de la personne ont recommandé d’appliquer cette stratégie pour évaluer la classification des femmes, c’est qu’en général on fait un recoupement avec les modèles établis pour les hommes. Si une femme a été victime de violence et qu’elle a réagi, cela déclenche souvent le besoin chez elle de se protéger contre tout risque éventuel, ce qui amène les autorités à la considérer comme présentant elle-même un risque. On peut alors lui demander de suivre un programme de gestion de la colère, programme dans lequel nous lui dirons, pour ne pas sanctionner le recours à la violence, qu’il est très difficile, dans le cas d’une femme qui a eu toute une vie marquée par la violence et qui réagit à un acte violent commis contre elle mais sans être elle-même violente, de dissocier sa violence de son vécu passé et présent.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais effectivement, il existe des informations. Le plus grand problème tient souvent au fait que ces informations sont utilisées sous l’angle de la criminalité.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci. Vous avez répondu en partie à ma question mais je me demandais, par exemple, s’il existe un dossier social, un dossier de travail, un dossier médical, un dossier criminel ou autres? Est-ce que toutes ces informations apparaissent de façon succincte et accessible quelque part?
Vous parliez des difficultés qui se posent dans le cas d’un viol ou d’une réaction à un acte violent. Ces cas-là n’ont rien de subtile, mais je m’attendrais à ce qu’une documentation soit établie dans ces situations. Comme je ne fais pas partie du système, je ne sais pas combien d’informations peuvent apparaître dans un dossier, mais est-ce qu’un agent des services correctionnels, et vous-même tant qu’intervenante, avez accès à ces informations et est-ce que vous en savez beaucoup sur les détenus?
Mme Pate : J’obtiens l’essentiel de mes renseignements en m’entretenant avec les personnes mêmes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas ce que l’on appelle un dossier de patient. Il n’existe pas de dossier quelconque que vous pourriez consulter rapidement.
Mme Pate : Au Service correctionnel du Canada, il y a la procédure d’admission. Nous avons contesté certaines dispositions de cette procédure que nous jugeons inconstitutionnelle, parce qu’elles portent sur des aspects comme la condition sociale et qu’elles débouchent sur la formulation de facteurs de risque.
Ces facteurs sont constitués, par exemple, par le fait qu’on a résidé dans une région où le revenu est faible, quand on n’a pas beaucoup d’instruction ou quand d’autres membres de la famille ont un dossier criminel. Nous avons appris, dans le rapport Causey, qu’en Alberta 90 pour cent des hommes autochtones ont un dossier criminel avant qu’ils n’atteignent l’âge de 30 ans.
Pour classer les détenus à leur admission dans ces différentes catégories, il faut porter un jugement et il faut alors déterminer l’appartenance à telle ou telle catégorie constitue un facteur de risque. Or, ce travail peut être réalisé par un travailleur de cas tout nouveau qui a 25 ans.
Mme Cotton : Permettez-moi d’intervenir à ce sujet. Nous prenons énormément de détails sur le passé des gens à leur arrivée, mais il s’agit uniquement d’éléments concernant leur passé criminel et de facteurs liés aux infractions commises.
Je suis neuropsychologue pour l’Ontario et je vois toutes les personnes institutionnalisées que l’on considère comme ayant subi une forme ou une autre de « lésion cérébrale », ce qui veut dire tout et rien. Rien dans les dossiers ne constitue ce qu’un hôpital pourrait qualifier d’historique social, ce qui fait problème pour les raisons soulevées par Kim.
Il est possible d’utiliser beaucoup d’informations contre les délinquants, tout comme les rapports. Je me trouve dans une position délicate quand je dois dire que tel homme a subi des lésions importantes au niveau du lobe frontal et qu’il a des problèmes à contrôler ses impulsions à cause de lésions au lobe frontal gauche. D’un côté, je me dis qu’on va le garder plus longtemps en prison, parce qu’on va supposer qu’il risque de récidiver, ce qui n’est pas forcément vrai. D’ailleurs, nous n’avons aucune donnée pour appuyer ce genre de constat, mais en théorie il semble logique.
Cela veut dire aussi qu’il existe des centaines de millions de dossiers qui circulent dans le système correctionnel, de sorte que le travail que nous effectuons, moi-même et les travailleurs de la santé, n’est pas accessible, par exemple, aux agents des libérations conditionnelles. À cause des règles de confidentialité, à moins qu’il n’y ait un problème de santé, les surveillants de liberté conditionnelle n’ont pas accès aux dossiers, tout comme vous n’auriez pas accès aux dossiers médicaux d’une personne hospitalisée. Le patient dispose du droit fondamental à ce que son dossier de santé ne devienne pas public et tout cela devient très confus dans le système correctionnel.
On dresse plutôt des dossiers sur les infractions criminelles, sur la consommation de substances illégales, ce qui arrive en tête de liste. Quand un futur détenu donne volontairement ce genre d’information, on le soumet à un interrogatoire où l’on cherche à déterminer s’il a été traité pour des troubles mentaux ou autres, mais il n’y a pas vraiment d’évaluation psychiatrique globale d’effectuée à ce stade. En règle générale, le secteur correctionnel n’emploie pas de travailleurs sociaux et nous ne disposons donc d’aucun renseignement qui pourrait être assimilé à des antécédents sociaux.
Le président : Kim, ne nous avez-vous pas dit que, selon un rapport concernant l’Alberta, 90 pour cent des femmes autochtones ont un dossier criminel avant l’âge de 30 ans?
Mme Pate : Ce sont des hommes. Il s’agit d’hommes. Avant 30 ans, 90 pour cent des hommes autochtones ont un dossier criminel. Il s’agit du rapport Causey, concernant l’Alberta. Nous savons à présent que près du tiers des femmes condamnées à des peines de deux ans ou plus sont autochtones. Il est de plus en plus rare de trouver des familles qui ne comptent pas un membre ayant un casier judiciaire qui est utilisé contre eux.
Le sénateur Callbeck : Merci de vous être déplacés ce matin et de nous avoir fait vos exposés. J’ai une brève question pour chacun de vous.
Madame Pate, est-ce que la Société Elizabeth Fry prend contact avec ces femmes après leur incarcération ou avant?
Mme Pate : Cela varie beaucoup d’une collectivité à l’autre, mais nous faisons les deux. En général, nous les contactons avant. Un grand nombre de nos sociétés locales offrent des services d’intervention précoce. Certaines offrent aussi des services aux victimes un peu partout au pays, et tout dépend de la collectivité concernée.
Le sénateur Callbeck : Vous avez dit que le segment de la population carcérale qui progresse le plus rapidement est celui des femmes et vous avez également affirmé que c’est au pénitencier de Kingston que l’on constate la plus forte augmentation de détenues venant de la région Atlantique. Cela veut-il dire que ce sont les femmes de la région de l’Atlantique qui constituent le gros de l’augmentation de la population carcérale féminine dans les pénitenciers?
Mme Pate : Merci de poser cette question, parce que, de toute évidence, je n’ai pas été claire. Je voulais dire que notre organisation a repéré ce problème il y a plus de 10 ans parce que nous avons constaté cette tendance dans le cas des femmes venant de la côte Atlantique. Le phénomène s’est maintenant propagé à la grandeur du pays, mais il est vrai que pendant sept ans environ, les Services correctionnels du Canada ont placé des unités à sécurité maximale dans les prisons pour hommes. Dans l’Atlantique, c’était à l’établissement de Springhill. Chaque fois que j’ai visité cet établissement, ces unités étaient pleines de femmes présentant de graves problèmes de santé mentale. C’était le problème que l’on constatait a priori. Si vous alliez dans un des pénitenciers de la Saskatchewan, vous y trouviez des femmes autochtones et l’on avait diagnostiqué chez nombre d’entre elles des problèmes de santé mentale.
Je ne dis pas qu’il s’agit d’un phénomène limité à la région de l’Atlantique. Toutefois, c’est en faisant ce constat que nous nous sommes dit qu’il fallait surveiller la situation.
Mme Cotton : Puis-je faire une remarque à ce sujet? Un ami, qui était psychologue en chef à la prison pour femmes de Kingston, m’a dit en passant que les peines infligées aux femmes dépendaient un peu du bon vouloir des juges. J’ai l’impression, et vous me corrigerez si j’ai tort, qu’il y avait une certaine tendance, dans le Canada Atlantique, à donner des peines de deux ans exactement, surtout aux femmes, parce que cela permettait à l’appareil judiciaire provincial d’accéder aux établissements fédéraux, plutôt que d’engorger les prisons provinciales. S’il y a effectivement place à l’amélioration dans le système correctionnel fédéral, celui-ci est une véritable Cadillac comparé aux prisons des provinces et, quand les systèmes provinciaux sont particulièrement détaillants, on se retrouve avec un régime de peine à deux vitesse.
Mme Pate : Effectivement. À un moment donné, le nombre de femmes de la région de l’Atlantique incarcérées dans des pénitenciers a quintuplé. Depuis, ce nombre a nettement diminué, puisqu’il a été réduit de près de moitié, mais il représente encore le double de ce qu’il était à la prison pour femmes, parce qu’avant, il y avait une prison là-bas. Ce nombre a triplé dans la région des Prairies.
On constate-là les répercussions des réductions budgétaires que les provinces ont pu effectuées dans les services sociaux, les soins de santé et l’éducation, parce que beaucoup de gens passent ainsi au travers des mailles du filet. Pour ce qui est des femmes, nous assistons à une augmentation des fraudes du bien-être social, à des transports de paquets de l’autre côté de la frontière et, à l’échelle du pays, à une augmentation de la prostitution parce que les femmes veulent joindre les deux bouts. Plusieurs femmes autochtones incarcérées pour avoir commis un vol qualifié à main armée, voulaient simplement être payées après avoir vendu leur corps, mais leurs clients ont simplement déclaré qu’elles étaient en train de les voler. Après tout, il ne s’agit que de femmes autochtones et si elles ont des problèmes de santé mentale, comme Randy le disait, qui va-t-on croire?
Le sénateur Callbeck : Dr Cotton, vous avez dit que les salaires des psychologues du service correctionnel fédéral sont de 30 pour cents inférieurs à la moyenne. Je sais que nous manquons de psychologues dans le système, mais est-ce que des postes sont actuellement vacants?
Mme Cotton : Il existe des postes vacants, sur papier. Je ne suis pas certaine que l’on cherche vraiment à les combler. Je sais que, dans mon service par exemple, nous avons trois bureaux de psychologues qui sont vides parce que ceux qui les occupaient sont partis ailleurs et que leurs postes sont maintenant vacants, mais dans les livres. On nous dit toujours qu’il n’y a pas d’argent.
Le recrutement est un gros problème. C’est encore plus important dans le cas de la GRC. J’ai constaté, dans votre rapport antérieur — ce qui m’a beaucoup frappée — qu’aucune information n’a été obtenue de la GRC, ce qui en dit long.
Je travaille également dans le domaine de la psychologie policière, qui n’existe pas au Canada. Je ne prendrai cependant pas cette tangente aujourd’hui. Cela est indiqué dans mon mémoire. Avec un professeur de l’Université de Moncton, nous allons réaliser une enquête nationale sur l’utilisation des services psychologiques par les corps policiers et, gros problème, sur l’incapacité de recruter des psychologues, surtout à la GRC.
Le salaire d’un psychologue au gouvernement fédéral est d’environ 70 000 $. La norme, dans le secteur privé, est d’environ 90 000 $. Dans les services correctionnels, nous percevons ce qu’on appelle une indemnité de poste, c’est-à-dire 1 000 $ de plus par semaine, par mois ou par an, ou quelque du genre — je ne me rappelle plus exactement — qui ne fait pas partie de notre salaire et qui peut nous être retirée n’importe quand. La GRC ne propose pas cela.
Ainsi, la GRC essaie d’engager des psychologues à qui elle offre 20 000 à 30 000 $ de moins que dans les hôpitaux du coin, ce qui est évidemment impossible. Si j’avais reçu dix sous chaque fois que la GRC m’a démarchée pour travailler pour elle, je serais riche, mais il demeure qu’on ne peut recruter des gens quand on propose aussi peu. Cela en dit également long de la façon dont la GRC considère la profession.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Pritchard, j’ai une question pour vous. Je n’ai pas eu le temps de lire votre mémoire, mais je vais le faire.
M. Pritchard : Merci.
Le sénateur Callbeck : Toutefois, vous faites quelques remarques concernant le projet de loi dont est actuellement saisi le Sénat.
M. Pritchard : Vous parlez du projet de loi C-10?
Le sénateur Callbeck : C’est cela, le projet de loi C-10. J’ai remarqué que la disposition concernant la déclaration des victimes s’appliquerait aux cas des personnes qui ne sont pas criminellement responsables de leur acte.
M. Pritchard : Exact.
Le sénateur Callbeck : Ce projet de loi mettrait donc en place un système de déclaration de la victime.
M. Pritchard : Cela existe déjà dans la loi. La loi les rend plus lourds de conséquence parce que, après tout, dans le jugement Winko, il est question de l’utilité de ce genre de déclaration dans un procès au pénal. La victime a la possibilité d’influer sur la peine imposée.
Comme ce système a été créé à l’intention des patients du système médico-légal, des accusés non criminellement responsables, ce qu’il faut essentiellement retenir c’est qu’aucune sanction n’est permise en droit dans ce cas. Cela retire toute valeur à la déclaration de la victime. Celui ou celle qui a été victimisé par une personne désignée criminellement non responsable, a certes le droit d’être entendue, mais pas à ce niveau. Il faut trouver d’autres mécanismes pour cela. Actuellement, il n’y a pas de lieu dans le système pour quelqu’un qui, à cause de troubles mentaux, n’a pas eu d’intention criminelle, n’a pas eu d’intention coupable.
Le sénateur Callbeck : Et où pensez-vous qu’il faudrait entendre ces personnes?
M. Pritchard : Il existe des mécanismes. J’ai un ami qui a bénéficié des services offerts aux victimes, ici en Ontario. Je ne sais pas ce que représente le fait de pouvoir confronter l’agresseur plus d’une fois sur le plan de la guérison mentale de la victime.
Dans la loi actuelle, les victimes peuvent faire une déclaration écrite dont le juge peut tenir compte dans la première ordonnance portant décision. Il est maintenant proposé que cette déclaration puisse être faite en personne et qu’elle puisse être retenue à demeure pour les ordonnances portant décision, ce qui est contraire à l’intention du projet de loi. Cela n’a pas sa place ici.
On dirait qu’on essaie de faire un parallèle entre les deux systèmes, mais il n’y en a pas. Cela n’est pas permis en droit et je vous dirais que si de telles dispositions devaient être adoptées, nous serions les premiers à monter au créneau pour contester cette décision. Celle-ci est contraire aux dispositions de l’article 15 de la Charte des droits et nous n’avons pas l’intention d’être les gentils petits patients mentaux qui sont prêts à accepter ce genre de chose. Nous ne l’accepterons pas.
Le sénateur Callbeck : Merci.
Le sénateur Pépin : Madame Pate, je tiens à vous remercier pour votre exposé. Je m’intéresse à la question de la violence faite aux femmes depuis plus de 25 ans, mais ce que vous avez déclaré ce matin m’a beaucoup apporté parce que je me rends compte que j’ignorais beaucoup de choses, surtout dans le cas des détenues. Je sais que les services correctionnels ne sont peut-être pas très à jour, mais je me demande ce qu’il en est de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Quand ces gens-là voient des patients, savez-vous s’ils connaissent la maladie de la personne qu’ils ont devant eux? Sont-ils formés pour faire ce genre d’entrevues? Êtes-vous au courant de cette partie, parce que ce sont les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui décident si ces patients vont être remis en liberté.
Mme Pate : Merci de votre question et je pense effectivement que le travail de la Commission nationale des libérations conditionnelles suscite de plus en plus d’intérêt, de la part de notre vice-présidente, et que nous travaillons de plus en plus à cet échelon.
En fait, la commission nous a invités à donner une séance de formation il y a deux ans. Elle est en train d’effectuer des recherches sur la prise de décision, sur la façon dont les décisions varient selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme et sur l’interprétation des répercussions des décisions sur les hommes et sur les femmes, par exemple dans le cas de femmes ayant été victimes de violence.
Il y a effectivement place à l’amélioration. Toutefois, l’un des problèmes, c’est que la Commission des libérations conditionnelles se fie sur les renseignements qui lui sont fournis et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous recommandons que davantage d’intervenants et de groupes comme celui de Randy et d’autres, participent au processus. Je ne suis pas en train de dire que nous manquons de travail, mais c’est pour cela que nous participons à des causes à l’échelle nationale, en plus de celle dont je vous ai parlé.
Nous nous sommes rendu compte que, dans nos interventions, nous devons quasiment reconstruire la situation. Nous avons pu le faire dans le cas d’une femme renvoyée en détention. La commission s’était appuyée sur les renseignements communiqués par les services correctionnels. Ce n’est pas que les gens ne voulaient pas aider la détenue, mais ils interprétaient leur contribution à la cause de façon tout à fait différente de nous. Je peux vous dire que ce processus — c’est moi qui me suis occupée de ce cas — a nécessité une bonne fontaine d’heures passées à interviewer les mêmes personnes, à parler avec les mêmes psychologues et à essayer de parvenir à une autre version de la cause.
Résultat : la détenue en question a été remise en liberté, mais à plusieurs conditions. Puis, un jour, elle a dit qu’elle était sur le point de rechuter, elle a pris une voiture, s’est en allée puis l’a abandonnée. Elle a laissé les clés à l’intérieur. Le propriétaire n’a pas voulu porter d’accusation, mais c’est à cause de cet incident, qu’elle a été renvoyée en prison pour y servir sa peine jusqu’au bout, bien que toutes les personnes concernées se disaient qu’elle aurait peut-être mieux fait de conduire cette voiture jusqu’à la maison de transition pour y déclarer qu’elle venait de la voler. Techniquement, elle a effectivement volé une voiture et c’est à cause de cela que la Commission des libérations conditionnelles l’a renvoyée en prison. Les commissaires ont estimé qu’ils n’avaient pas d’autres choix parce qu’il s’agissait d’une libération statutaire sans récurrence possible. Autrement dit, elle n’avait que cette chance de demeurer en liberté et, à la première infraction d’une des conditions fixées, elle retournait en prison.
Quand elle a été enfin libérée, la commission s’est senti obligée d’en informer la police parce qu’une structure avait été mise en place. Finalement, cela fait maintenant un an et demi qu’elle était en liberté après être restée 10 ans en prison. Au départ, elle avait été condamnée à trois ans. Elle a encore des problèmes, mais les gens n’en reviennent pas à quel point sa santé mentale s’est améliorée. Je ne veux pas vous paraître désinvolte, mais si nous laissions sortir un plus grand nombre de détenues et si nous avions des structures pour les accueillir, par exemple des structures communautaires et un endroit où elles puissent vivre, leurs problèmes de santé ne disparaîtraient pas automatiquement mais, comme Randy le disait, plus on éloigne ces gens du système et moins on risque d’associer tout ce qu’ils font à leur passé criminel.
Le président : Je vous remercie tous trois de vous être déplacés et j’ai apprécié le temps que vous nous avez consacré.
Nous allons à présent accueillir trois témoins des médias qui ont aimablement accepté de venir nous parler d’un problème préoccupant, non seulement au Canada mais dans d’autres pays aussi, et qui se sont penchés sur les questions de santé mentale. Sans vouloir critiquer le travail des journalistes, je dois dire que la façon dont ils nous présentent les choses dans les médias laisse une forte impression sur la plupart des Canadiennes et des Canadiens.
Ce que nous voulons, surtout, c’est que les médias puissent faire partie de la solution au problème de la stigmatisation dans le cas de la maladie mentale.
Comme certains d’entre vous le savent, en Australie par exemple, les écoles de journalisme ont collaboré avec le Mental Health Council pour élaborer, dans le cadre des programmes de journalisme, une façon de s’assurer que les futurs journalistes soient au courant de la bonne façon de décrire les personnes souffrant de maladie mentale. Les données de suivi de cette expérience indiquent que cela a beaucoup contribué à modifier l’attitude du grand public. Les Australiens ont également lancé une vaste campagne de communication et, dans les 10 ans de suivi effectué à ce sujet, ils ont constaté que d’importants progrès ont été réalisés dans l’acceptation de la maladie mentale que l’on associe désormais davantage à une maladie et à laquelle on n’attribue moins de stigmates. L’étude a fait ressortir, comme nous l’avons vu ici au Canada avec nos programmes de lutte contre l’alcoolisme au volant, de lutte contre le tabagisme et ainsi de suite, qu’il est possible de changer les attitudes. Tout conseil que vous pourriez nous donner sur le rôle des médias ou des écoles de journalisme nous serait donc très utile.
Nous accueillons trois personnes et je vais rappeler quelles vont témoigner à titre personnel et non en qualité de représentants d’une organisation quelconque. C’est important à souligner, parce que ces personnes ont l’expérience des médias, qu’elles travaillent encore dans ce milieu et qu’il ne faudrait pas considérer qu’elles représentent officiellement leurs employeurs devant nous.
Nous allons donc accueillir Louise Elliott, journaliste à la radio de Radio-Canada en anglais, Scott Simmie, du Toronto Star, et Rona Maynard, ex-rédactrice en chef du magazine Chatelaîne.
Nous débuterons par une brève présentation que vous allez nous faire à tour de rôle après quoi nous vous poserons quelques questions. Je vous remercie tous trois d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui.
Mme Rona Maynard, ex-rédactrice en chef, Chatelaîne : Je suis ravie de me trouver ici. Je commencerai par vous parler un peu de mon expérience personnelle du stigmate associé à la maladie, de même que de mon expérience de journaliste ayant rédigé de nombreux articles sur la maladie mentale quand j’étais rédactrice en chef du magazine Chatelaîne. J’ai moi-même subi une dépression chronique d’évolution lente avec laquelle je vis depuis 36 ans environ.
J’ai grandi aux États-Unis où j’ai le droit de voter pour la première fois en 1972. À l’époque, George McGovern se présentait au nom du parti Démocratique et son colistier était le sénateur Thomas Eagleton qui semblait être un candidat formidable à la vice-présidence. Soudain, la nouvelle a éclaté : Eagleton avait été hospitalisé pour dépression et avait subi un traitement de choc. C’est alors que nous avons assisté à une levée de bouclier dans la presse et que Eagleton a été écarté du ticket. Je ne sais pas si vous vous rappelez cet incident.
Personnellement, j’ai trouvé cela choquant, démoralisant, honteux et j’en ai été personnellement blessée. Je pense avoir été personnellement touchée par cela parce que, comme je me sentais déprimée, que je ne voyais aucun espoir, le jour où McGovern a décidé de laisser tomber son colistier, après avoir déclaré qu’il était à 1 000 pour cent derrière Eagleton, j’ai eu l’impression qu’on disait aux gens comme moi que nous ne sommes pas fiables, que nous ne valons rien et que nous ne sommes pas faits pour assumer un quelconque rôle public.
C’était devenu un problème de caractère. Finalement, les Américains n’ont pas eu Thomas Eagleton, mais ils ont hérité de Richard Nixon.
Après avoir vécu tout cela et vécu d’autres expériences et après m’être entretenue avec des Canadiens et des Canadiennes ordinaires, en personne ou par courriel, au sujet des articles que j’ai écrit, au sujet de ce que j’ai dit ou de ce que j’ai commandé en ma qualité de rédactrice en chef de Chatelaîne, je demeure encore sceptique à propos de l’insistance que l’on place sur la stigmatisation. Je ne dis pas que la stigmatisation n’existe pas, parce qu’il existe effectivement. Des gens ordinaires viennent me dire : « Je me sens épouvantablement mal et il me faut faire de gros efforts le matin pour me lever, mais voilà, je suis enseignant au secondaire et si les parents savaient cela, ils ne voudraient que j’enseigne à leurs enfants ».
Les gens estiment qu’ils ne doivent pas parler de leur maladie, mais la façon de corriger tout cela, selon moi, ce n’est pas simplement de nous demander comment mettre un terme à la stigmatisation. Quels termes devrait-on éviter? Quel genre de récits devrait-on éviter de publier dans les médias et quel genre de personnages devrait-on éviter de présenter? Je pense que nous devrions nous demander comment parvenir à normaliser tout cela.
C’est ce que j’ai essayé de faire. Dans mon travail, à Chatelaîne, l’un des derniers articles que j’ai demandé est l’un, aussi, dont j’ai été la fière, concernait un couple marié dont le mari souffrait de dépression à répétition depuis plusieurs années. Cette maladie avait été la véritable épreuve de leur mariage. La conjointe devait faire face à toutes sortes de questions difficiles du genre : « Comment peut-il être disponible pour un tel ou un tel, tandis qu’il ne l’est pas pour moi? » ou « Comment expliquer à mes enfants ce qui se passe dans notre famille? » Ce sont des drames discrets qui se reproduisent un peu partout au Canada et l’on ne raconte généralement pas ces drames-là.
Les gens avec qui j’ai correspondu ne cessent de me répéter ce dont ils ont besoin, selon eux. Ils veulent savoir où s’adresser pour obtenir de l’aide et ils veulent croire qu’il existe des services, ils veulent les voir. Cela fait particulièrement problème, comme vous le savez, dans le cas des jeunes et des personnes âgées. Les gens veulent pouvoir parler avec leur médecin de famille. En général, celui-ci n’est pas très utile et la plupart des patients n’ont même pas réussi à en trouver un. Ils ne veulent pas risquer de perdre leur emploi. Ils aimeraient que leurs familles et leurs amis comprennent. C’est un problème de caractère et leurs proches leur disent quotidiennement : « Ressaisis-toi, ce pourrait être pire! Et c’est plus fort! » Les gens atteints ont l’impression qu’il leur suffirait d’essayer plus fort pour être là pour leurs familles et leurs collègues au travail.
Par ailleurs, ils se rendent bien compte que personne n’est là autour d’eux quand ils sont malades. Une fois, nous avons publié un article sur la façon d’aider un ami atteint d’un cancer, article qui avait été rédigé par une femme atteinte du cancer du sein. Elle a donné environ 10 conseils sur la façon d’aider un ami dans cette situation. Il s’agissait de petites choses du genre « amenez-lui de la nourriture, parlez à son conjoint, demandez-lui comment il va, prenez ses enfants pour les amener dehors. Un jour, j’ai reçu une lettre tout à fait étonnante d’un couple ayant deux enfants : « Toute suggestion que vous pourrez donner au sujet d’une personne malade du cancer s’applique également à moi » et tout cela, on n’en parle pas.
Je pense également qu’une grande partie de la réponse que nous pourrions apporter, dans les médias, consisterait à parler honnêtement de la répercussion de la maladie sur la vie des gens. Nous le faisons déjà dans le cas des maladies physiques. Chaque année, en octobre, les médias publient toute une série d’articles sur le cancer du sein, sur tous les aspects de la maladie, sur le traitement, sur la façon dont il perturbe votre vie, sur ce qu’il faut dire aux enfants à ce sujet, sur la façon dont les amis peuvent aider. Les laboratoires de cosmétique envoient des gens dans les services hospitaliers pour maquiller les patients atteints du cancer.
Fait-on cela pour les personnes atteintes de maladie mentale? Non! Quand on cache quelque chose et qu’on n’en parle pas, quand des gens qui sont hospitalisés pour maladie psychiatrique ne reçoivent pas de fleurs ni de carte de vœux, quel message envoie-t-on aux autres? Que la maladie n’existe pas, qu’elle n’est pas normale et qu’elle est effrayante tout cela parce qu’on la cache.
Je suis profondément sceptique face à cette idée qui consiste à enseigner la façon de lutter contre le stigmate associé à la maladie mentale dans les écoles de journalisme. Je ne tiens pas les gens en très haute estime ce qu’on enseigne dans les écoles de journalisme et la dernière chose dont on a besoin, selon moi, c’est de faire venir une armée de soi-disant experts pour enseigner aux jeunes les expressions à employer pour parler de maladie psychiatrique.
Et puis, je pense qu’il y aussi une question de justice. Ceux et celles qui souffrent de maladie mentale ne sont pas les seuls à être stigmatisés. Cela voudra-t-il dire que nous allons devoir trouver des porte-parole pour tous les autres groupes stigmatisés?
Je vais vous répéter l’essentiel de mon propos : je pense qu’il faut s’attarder à ce qui est positif. J’aimerais que tel soit le cas et c’est ce qui est en train d’arriver, mais les choses ne vont pas assez vite.
Le président : Merci beaucoup.
M. Scott Simmie, Journalist, Toronto Star : Bonjour. Je rédige des articles de fond au Toronto Star dans le domaine de la santé mentale. J’ai beaucoup écrit sur la maladie mentale et j’ai cosigné deux ouvrages à ce sujet qui ont paru dans une série d’articles publiés dans les journaux en 1998, articles qui ont retenu l’attention. Je remettrai des exemplaires de ces deux livres aux membres du comité dans l’espoir qu’ils en fassent bon usage et je ne vous enverrai pas de facture.
Je vais vous citer quelques titres qui pourraient annoncer un mémoire plus complet que j’entends soumettre dans un proche avenir. Le premier — et je suis certain qu’il n’aura rien de nouveau pour vous — c’est que la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie sont, selon moi, les enjeux les plus pressants et pourtant les plus négligés en matière de santé publique au Canada.
En second grand titre — et je ne suis pas d’accord avec ce que vient de dire Rona — j’estime qu’il nous faut absolument, comme le comité l’a entendu, lancer une campagne nationale soutenue pour lutter contre la stigmatisation. Nous pourrions plus particulièrement parler de campagne d’inclusion ou de campagne éclairée, mais elle devrait se faire sous l’égide annoncée de Santé Canada.
Troisième sous-titre : les médias peuvent et doivent faire un meilleur travail dans la couverture de toutes les questions de santé mentale, de maladie mentale et de toxicomanie. Quand ils ne le font pas, j’estime que nous ne rendons pas service aux collectivités auxquelles nous sommes censés nous adresser.
Comme c’est dans la rédaction d’articles que les journalistes excellent, je vais essayer de vous raconter une histoire ou deux pour chacun de ces titres.
Quand j’ai entrepris d’effectuer des recherches sur la santé mentale en 1998, je suis allé dans le plus gros hôpital psychiatrique de Toronto et, en arrivant, je suis tombé sur un panneau qui était censé indiquer : « Les chiens doivent être tenus en laisse ». Quelqu’un avait effacé le mot « les chiens » à la peinture et l’avait remplacé par « fous », et on lisait « Les fous doivent être gardés en laisse ». Chaque fois que j’allais à l’hôpital pour faire une entrevue, je vérifiais si ce panneau était encore là. Des patients l’avaient certainement vu, des médecins aussi et la population en général. Huit mois après avoir début mes recherches, quelqu’un a finalement dénié effacer à la peinture les mots offensants.
Passons maintenant à un scénario différent. Imaginez un panneau semblable sur le terrain d’une synagogue où l’on aurait remplacé le mot « chiens » par « juifs ». Les gens en auraient été révoltés. On aurait sans doute appelé la police, on aurait associé à juste titre cet acte honteux à un crime haineux et je peux vous garantir que ce panneau aurait été enlevé dès le lendemain. D’un autre côté, le panneau de l’hôpital, lui, est resté là très longtemps et Dieu sait depuis combien de temps il était là avant que quelqu’un le remarque.
Je dirais, pour faire une analogie, que la maladie mentale et la toxicomanie sont stigmatisées au même titre à l’échelle nationale et, à l’exception de votre comité et de quelques intervenants notables, personne ne fait rien.
Je peux vous affirmer sans hésitation que les nombreux Canadiens que j’ai interviewés et qui sont aux prises avec la maladie mentale ou la toxicomanie m’ont affirmé que la stigmatisation et la discrimination associée à la maladie sont, de loin, les principaux problèmes dans leur cas. Il s’agit peut-être, comme vous l’avez mentionné dans votre rapport intérimaire Questions et options, d’une source de détresse tout aussi importante que la maladie elle-même. Comme un schizophrène me l’a un jour fait remarquer : « Nous sommes des parias, des intouchables ».
Que faire à ce sujet? Beaucoup disent, depuis des années, qu’il faut lancer un programme de lutte contre la stigmatisation. Au cours des 20 dernières années, nous avons constaté que des campagnes de sensibilisation comme celle sur le VIH/sida, ont eu des effets positifs et mesurables. Pourquoi ne pas faire la même chose dans le cas de la maladie mentale et de la toxicomanie? Je pense que nous le pouvons mais je mettrais un bémol à ma comparaison avec le sida qui n’est peut-être pas la meilleure. Cette maladie a été et demeure fortement stigmatisée, mais elle est récente. On peut donc soutenir qu’il n’a pas été nécessaire de lutter contre des centaines d’années de connotation négative, ce qui est le cas de la maladie mentale et de la toxicomanie.
Si, au Canada, la cause de la santé mentale peut compter sur des porte-parole dévoués et très connus comme Michael Wilson et Pat Capponi, ces gens-là ne peuvent pas agir seuls, pas plus que des groupes comme la Fondation canadienne de la recherche en psychiatrie, qui a produit une excellente série de publicité à la télévision et à la radio contre la stigmatisation, ne peuvent se permettre le genre de campagne de longue haleine pourtant nécessaire.
Santé Canada, en comparaison, est une marque connue au Canada. Les gens savent bien, à cause de son mandat, le ministère s’intéresse au bien-être des Canadiens. Tous les téléspectateurs savent que, selon Santé Canada, il ne faut pas fumer, ce qui est bien. J’estime que Santé Canada pourrait s’appuyer sur la crédibilité que le ministère a gagnée afin d’insister sur la nécessité de traiter la santé mentale comme les autres maladies, pas uniquement à titre préventif, bien que cela aussi serait utile, mais dans le cadre d’une campagne d’information qui montrerait des Canadiens moyens — des hommes, des femmes, des jeunes, des personnes âgées, monsieur et madame Tout-le-monde pas des acteurs — et qui raconteraient leur vie.
J’estime également que si nous avons l’intention de changer en profondeur notre système et nos attitudes, les ministères provinciaux de l’éducation pourraient jouer un rôle en accordant la priorité à des programmes sur la santé mentale et la toxicomanie au secondaire. C’est non seulement le lieu où s’acquièrent des attitudes, à un âge crucial, l’adolescence, mais c’est aussi là que bien des jeunes font leur première expérience de la maladie mentale ou des pensées suicidaires.
Comme le comité l’a fait remarquer, notre pays perd annuellement quelque 3 700 personnes à cause du suicide. Nous serions révoltés au Canada si tous les mois un avion transportant 300 de nos compatriotes s’écrasait. On ferait enquête. Des comptes-rendus spéciaux domineraient les médias et notre pays remuerait ciel et terre pour s’assurer qu’aucun autre avion ne s’écrase. Et pourtant, dans le cas du suicide qui est sans doute le volet le plus stigmatisé de ce domaine et où la santé mentale et la consommation abusive de substances entre souvent en collision, nous ne voyons pas d’article. Nous ne voyons pas le premier ministre aller déposer une gerbe en souvenir des 300 Canadiens et plus qui se suicident chaque mois. Non, nous fermons les yeux et les médias, à quelques rares exceptions près, sont complices de ce silence.
Au fil des ans, je me suis demandé pourquoi les médias ne font pas un meilleur travail pour couvrir tout ce qui touche à la santé mentale, pourquoi on n’en parle pas plus. Ce domaine a cruellement besoin d’une couverture régulière, en profondeur et compassionnelle.
Je vais m’écarter un peu de mon propos. Je ne voulais pas vous en parler mais, comme je vais vous remettre des exemplaires de ces ouvrages, je vais tout de même vous en dire deux mots. L’homme que vous avez devant vous aujourd’hui, en costume, s’est un jour retrouvé en combinaison de force à Hongkong. Je travaillais alors pour la CBC et j’ai eu un épisode psychotique après avoir fait un reportage sur la guerre de Tchétchénie.
C’est cela qui m’a amené à m’intéresser à la santé mentale. C’est cet événement qui m’a incité à faire des recherches sur le sujet dans le cadre de la Bourse Atkinson en politique publique et c’est ce qui, au bout du compte, m’a amené à sillonner le pays et à aller au Royaume-Uni pour demander aux gens de me faire part de leurs expériences et pour examiner les politiques en place.
Je suis sur le point de conclure. Il y a quelques autres choses dont j’aurais aimé vous parler, mais il y a un aspect sur lequel je tiens à insister par-dessus tout.
Dans cette phase de consultation publique, j’apprécie les efforts déployés par le comité pour rejoindre la population, par exemple en invitant les gens à vous envoyer des mémoires ou à poser des questions en ligne. Quand j’ai examiné l’annexe et que j’ai vu la liste de spécialistes que vous avez accueillis lors de la première phase de ces consultations, j’en ai été très impressionné et j’ai effectivement reconnu de nombreux noms parce que ce sont des gens que j’ai interviewés moi-même.
Durant toutes mes années de recherche, j’ai lu énormément de documents, je me suis entretenu avec un grand nombre de professionnels, mais c’est vraiment quand je me suis rendu dans les foyers d’accueil de Toronto, de Saskatoon et, du Nouveau-Brunswick et d’ailleurs, que j’en ai appris le plus. Je me permettrai donc d’inviter très fortement le comité à ne pas oublier que ceux qui ont le plus à dire sur cette question sont ceux-là même que vous risquez le moins d’atteindre, je veux parler des Canadiennes et des Canadiens qui, sans que ce soit de leur faute, se sentent abandonnés par le système et par la société en général.
Il y a des quartiers de cette ville et de nombreux autres endroits au Canada qui sont remplis de maisons d’accueil du genre et où l’on trouve des gens dont la vie est simplement ponctuée par la prise régulière de médicaments. Beaucoup d’entre eux n’ont pas vraiment de but, parce que la société canadienne n’a pas reconnu leur valeur. Certains sont aux prises avec une pauvreté noire et habitent des logements tellement répugnants que même les plus forts d’entre nous, s’ils se retrouvaient dans de telles conditions, en perdraient la raison. Et pourtant, ces gens-là, ces Canadiens oubliés, ont des compétences et ont des rêves.
Malheureusement, beaucoup ne savent pas que le comité a demandé des mémoires et il est peu probable que qui que ce soit aille les inciter à se rendre à la bibliothèque du coin pour remplir un questionnaire en ligne. Je me permets donc de vous suggérer, presque de vous supplier d’aller dans un de ces quartiers et d’organiser une rencontre officieuse avec les résidents de quelques-unes de ces maisons d’accueil. Je serais très heureux de vous proposer les noms de quelques personnes-ressources qui pourraient vous organiser cela. D’ailleurs, je suis certain que Pat Capponi qui, si je ne m’abuse, était là hier, pourrait vous organiser une visite qui pourrait vous amener à modifier le contenu de votre rapport final. Ce faisant, vous montreriez, non seulement que vous êtes véritablement intéressé à recueillir le point de vue de ces gens-là, mais vous enverriez un signal très fort pour indiquer qu’ils comptent et qu’il vaut la peine d’entendre ce que ces Canadiens ont à dire. Si vous voulez vraiment réformer le système de santé mentale, ce serait un bon début. Je vous remercie.
Le président : Merci, Scott.
Mme Louise Elliott, journaliste, Radio-Canada (CBC) : Je tiens à vous dire à quel point je me sens honorée de me trouver en si honorable compagnie. Je vais vous lire mon exposé.
Mon premier contact avec la maladie mentale remonte à l’époque où je me trouvais dans le nord-ouest de l’Ontario et où je publiais un journal distribué aussi loin dans le nord que Fort Severn. Je visitais régulièrement les communautés Ojibwa, que l’on atteint que par avion, où le taux de suicide est l’un des plus élevés du monde. J’ai passé plusieurs semaines à Sandy Lake et dans d’autres communautés.
Mes derniers postes, au Toronto Star et à la Presse canadienne m’ont amenée à revenir dans des communautés comme Pikangikum où des taux de suicide et de contagion identique affectent des enfants aussi jeunes que 10 ans et touchent de plus en plus de jeunes filles. Là-bas, le suicide est devenu une façon de régler ses problèmes.
Depuis que j’ai quitté le nord, je continue à faire régulièrement des reportages sur les questions de toxicomanie et de santé mentale. Certains pourraient dire qu’en ma qualité de journaliste parlementaire, je suis bien placée pour le faire.
Il y a deux ans, j’ai mené à terme, avec Sue Bailey, un ambitieux projet pour la Presse canadienne qui établit un lien entre les jeux de hasard et le suicide. J’ai appris à l’expérience que le suicide, la toxicomanie et la maladie mentale ne peuvent être isolés de la santé générale ni du bien-être d’une communauté. La pauvreté n’est pas toujours associée à la maladie mentale, mais la pauvreté est une source de stress qui accroît les risques de manifestation de la maladie mentale. Qui plus est, à cause de la tendance des médias à ne couvrir que les scénarios « catastrophes », comme le nombre écrasant de jeunes Autochtones qui s’ôtent la vie, il n’est pas possible d’envisager ce phénomène à plus long terme. Cela ne revient pas à dire qu’il ne faut pas traiter du suicide chez les Autochtones, ni que nous ne devons pas nous interroger sur les causes sous-jacents du suicide, comme le syndrome des écoles résidentielles et le cycle de violence qui l’a caractérisé. Toutefois, il ne faut pas négliger les autres facteurs plus profondément ancrés comme les changements culturels et l’aliénation des jeunes Autochtones non seulement de leur monde traditionnel mais aussi de la culture urbaine moderne, outre que ces éléments ne se prêtent pas facilement à une couverture médiatique.
Chez les Autochtones et dans la population en général, le plus grand pêché commis par les médias est un pêché d’omission — et Scott vous en a parlé. Contrairement aux décideurs du gouvernement fédéral, les médias ont tendance à passer à côté du fait que la santé mentale est un sujet de plus en plus préoccupant ce qui, selon moi, est le principal problème concernant la maladie mentale et les médias aujourd’hui. Des récits, qui vont de suicide spectaculaire à des cas isolés et souvent flagrants de violence dans le cadre des soins font la nouvelle, mais on ne parle pas suffisamment de changement de politique et de la nécessité de traiter la maladie mentale en tant que maladie psychologique et l’on ne parle pas suffisamment non plus des progrès scientifiques réalisés dans le traitement des causes physiologiques sous-jacentes de ces maladies. Des progrès très rapides sont réalisés dans le cas de certaines maladies, comme la schizophrénie, la bipolarité et la dépression, grâce à la recherche génétique. De nouveaux médicaments arrivent sur le marché et il y a lieu d’être plus optimistes quant aux traitements offerts.
Ainsi, la stigmatisation revêt au moins deux formes dans les médias : d’abord, la banalisation non intentionnelle de ce problème à cause d’un traitement intermittent des pires scénarios imaginables — par exemple, le suicide collectif dans des communautés autochtones ou des incidents dramatiques concernant des personnages bien connus; le deuxième stigmate tient au fait que l’on néglige certains problèmes de santé légitime qui ont des causes physiologiques et sociales. Cette occultation par les médias ne fait qu’entraver la capacité de la société à normaliser — je reprends le mot que Rona a employé — à normaliser, donc, et à régler les problèmes croissants constatés dans le domaine de la santé.
Pour illustrer le fait que les médias portent des œillères, je vais vous donner un exemple récent. La semaine dernière, lors d’un entretien que j’ai eu avec le ministre de la Santé, Ujjal Dosanjh, celui-ci m’a parlé d’un discours qu’il avait récemment donné en Colombie-Britannique au sujet de ses plans en santé mentale, plans qui prévoient la mise en œuvre d’une stratégie nationale de surveillance en santé mentale sous l’égide du tout nouveau service de santé publique créé par Santé Canada. Le discours lui-même n’a fait l’objet d’aucune couverture médiatique, ce qui indique le genre d’intérêt que les médias portent généralement à ces questions. Ainsi, il faut faire davantage.
Je voulais vous faire part de deux réflexions aujourd’hui. D’abord, où que j’aille pour couvrir les problèmes de santé mentale chez les Autochtones ou en général, les gens sur le terrain me disent généralement qu’il faut que le Canada se dote d’une stratégie sur le suicide. Cela veut dire une stratégie pour les Autochtones et pour la population en général. Le Canada est l’un des rares pays industrialisés dans le monde à ne pas avoir encore de stratégie nationale sur le suicide. Celle-ci permettrait de sauver un nombre incalculable de vies.
Deuxièmement, plus je me renseigne sur ces questions en tant que reporter et plus je me rends compte que les problèmes de santé mentale nous touchent tous. Ils n’ont pas de frontière sociale et touchent les gens venant de tous les horizons. Ces problèmes ont un rapport direct avec la santé générale des Canadiens et, en tant que tels, ils touchent la plupart d’entre nous et pas uniquement une catégorie de personnes défavorisées.
Ceux et celles qui souffrent de maladie mentale sont souvent défavorisés parce qu’on ne reconnaît pas ou qu’on ne traite pas suffisamment bien leur maladie, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des façons de porter le débat sur la scène publique pour qu’il y ait moins de stigmatisation, pour que l’on adopte des approches moins égocentriques. Pour cela, les journalistes et les décideurs devront faire preuve de plus de créativité et je crois que c’est le sens dans lequel vous allez. Merci.
Le président : Merci à vous trois de vous être déplacés. Je vais commencer par vous poser moi-même deux questions après quoi je céderai la parole au sénateur Keon.
À vous, Scott, tout d’abord. Votre idée d’aller visiter ce que vous appelez un foyer d’accueil m’intrigue. Nous allons très sérieusement y songer, surtout parce que je sais où il y en a à Ottawa — il se trouve que ma sœur en administre un. Je pense que ce serait excellent que nous fassions cela.
Revenons-en à ce qui m’a interpellé dans vos propos et je reconnais avec Scott que son analogie avec le sida n’est pas vraiment bonne parce qu’il s’agit d’une maladie relativement récente. Mais en fin de compte, comment envisagez-vous de modifier les attitudes sous-jacentes? Quand je me demande dans quel domaine, par exemple, on a assisté à un changement radical d’attitude au cours des 10 à 15 dernières années, je me dis que c’est sans doute au sujet de l’homosexualité. En un sens, il est devenu acceptable, de nos jours, de « sortir du placard » et j’emploie cette phrase pour bien montrer qu’en un sens la maladie mentale est encore dans le placard.
Ma question s’adresse à vous trois : compte tenu de votre expérience de journalistes — et soit dit en passant, je souligne que pour que les gens sortent du placard et que le public change d’attitude, c’est un processus de longue haleine, ce n’est pas un exercice qui se fait en 12 ou 24 mois, mais qui prend 10 à 15 ans — dites-moi ce que le gouvernement et les journalistes devraient faire? Comment nous y sommes-nous pris pour en arriver à la situation actuelle, où plus personne ne s’offusque quand on l’identifie en tant que gai ou lesbienne, par rapport à la situation d’il y a 20 ans.
M. Simmie : Nous avons constaté une diminution de l’homophobie en partie parce que problème a été associé aux campagnes de sensibilisation au sida. On a mis un visage humain sur des gens qui, dans le passé, ne sortaient pas en public pour s’exprimer. On nous a présenté des longs profils, sympathiques et attentionnés de personnes atteintes et de nombreuses célébrités ont pris fait et cause pour les sidatiques. Des rubans rouges sont apparus sur les boutonnières du tout Hollywood. Personnellement, j’estime que la baisse de l’homophobie doit être tout autant associée au puissant lobby anti-sida qu’à n’importe quoi d’autres, au fait qu’on a raconté des récits personnels de façon convaincante.
Le président : Et que cela l’était par monsieur et madame Tout-le-monde.
M. Simmie : C’est cela, par monsieur et madame Tout-le-monde.
Le président : Pas par des acteurs, comme vous le disiez.
M. Simmie : Les acteurs ne semblent avoir donné de bons résultats.
Durant ma carrière de reporter — j’ai travaillé à Londres, en Chine où j’ai couvert les événements de la Place Tienanmen, et en Russie — l’article que j’ai signé et qui a suscité le plus de réaction, celui aussi qui m’a valu le plus d’interventions depuis, faisait partie de la série intitulée « Out of Mind » où je dévoilais notamment mon épisode psychotique.
Bien des gens m’ont alors déclaré qu’ils ne verraient plus les personnes souffrant de la maladie mentale avec les mêmes yeux. D’autres, m’ont dit que cela leur avait donné le courage de révéler leur maladie à leurs familles et à des amis ou d’en parler plus ouvertement. Dans la salle des nouvelles, je me suis rendu compte que, soudainement qu’il était devenu acceptable de parler de ce sujet.
Nous pourrions donc peut-être en tirer une leçon et, s’il ne s’agit pas tout à fait de la même chose, je pense que nous pouvons tout de même tirer des enseignements de la réussite des campagnes de sensibilisation au sida.
Mme Maynard : Je suis dans l’ensemble d’accord avec ce que vient de dire Scott, autrement dit que, tant que les gens ne mettent pas des visages sur la maladie mentale, ils vont continuer à se dire qu’ils ne connaissent personne dans ce genre de situation ou ils vont traverser la rue pour éviter de tomber sur quelqu’un comme cela. Il est vrai qu’il y a beaucoup de gens blessés parmi nous. Le voisin de bureau, qui semble très bien fonctionner, a peut-être fermé la porte et il est simplement en train de regarder son écran sans pouvoir faire quoi que ce soit. Nous devons donc expliquer ce à quoi ressemble la maladie mentale, ce qu’elle représente vraiment pour que les gens sachent ce qu’il leur arrive.
Je veux également revenir à l’une des idées exprimées dans les documents qui ont été envoyés — il s’agit d’un bureau des conférenciers.
Le président : Sur le modèle du Royaume-Uni, je crois.
Mme Maynard : C’est exact. C’est intéressant, parce que plus on publie de récits et plus on peut faire entendre des choses aux gens, plus nous allons progresser. Cela nous ramène aussi à quelque chose que Scott a dit : il faut présenter des gens normaux dans les campagnes de sensibilisation.
C’est dans le cas des dépressions post-partum que ce genre d’initiative s’impose tout particulièrement. Les femmes qui souffrent d’une dépression après l’accouchement constituent un groupe très difficile à atteindre. C’est ce que disent les bénévoles dans ce domaine. Ainsi, les femmes qui souffrent de ce genre de dépression doivent pouvoir s’identifier à celles qu’on leur présente dans la publicité c’est-à-dire à une bonne mère qui va leur dire : « J’ai eu ce problème et ce n’est pas la fin du monde ».
Mme Elliott : Pour revenir à votre question sur ce que les gouvernements peuvent faire, il y a effectivement beaucoup de choses que le gouvernement fédéral peut entreprendre et c’est ce que j’ai conclu en voyant que tant d’argent du gouvernement fédéral est dépensé dans des initiatives de santé un peu partout, mais pas en santé mentale.
Le président : Tout à fait, ce n’est presque rien. À toutes fins utiles, c’est rien.
Mme Elliott : C’est inconcevable que ce soit encore le cas étant donné la recherche sur les niveaux de productivité, par exemple. Même si l’on oublie les coûts sociaux, les répercussions sur la société du point de vue de la productivité sont écrasantes. Elles sont particulièrement élevées dans les pays nordiques. Or, nous sommes un pays situé dans l’hémisphère nord.
Il faut que le gouvernement fédéral s’engage et qu’il signale aux provinces qu’elles doivent se montrer plus sérieuses dans l’utilisation de leur budget de la santé. Nous devons proposer une stratégie en santé mentale et, comme je le disais plus tôt, une stratégie sur le suicide portant sur la gestion des crises, la prévention et le traitement. Ces éléments doivent être en place pour que l’on puisse s’attaquer correctement à tout ce problème.
Actuellement, les députés sont en train de débattre du projet de loi sur le mariage de même sexe. Notre pays en est arrivé là. Peu importe la façon dont les députés vont voter, on parle maintenant ouvertement de l’homosexualité. Pourtant, on ne consacre pas suffisamment d’argent à la santé mentale. Cela semble être disproportionné quand on parle progrès.
Le président : Tout à fait. Une autre brève question avant que je ne cède la parole au sénateur Keon. Comme vous êtes des journalistes, la façon d’attirer l’attention est quelque chose qui m’intéresse. Si vous présentez des cas réels, et je suis d’accord sur le fait que des cas réels vont davantage attirer l’attention, est-ce qu’il devra s’agir de grands noms comme Michael Wilson, par exemple? Est-ce que ces cas devront être ceux de gens ordinaires, de la mère qui a eu une dépression post-partum et qui s’en est sortie? Est-ce que votre profession cherche uniquement à traiter des cas des célébrités?
Mme Elliott : Je le pense. Je pense que cela dépend de la tribune traitée. Ces récits ne seront pas forcément traités dans les nouvelles du jour, mais ils pourront l’être sous la forme de magazines et d’articles de fond qui permettent de beaucoup mieux traiter ce genre de cas.
Le président : Bien. Et je suppose que vous recommandez que l’on intervienne simultanément dans la presse écrite et dans la presse électronique?
Mme Elliott : Oui.
Le sénateur Keon : Merci, monsieur le président, et merci à vous tous d’avoir pris le temps de vous déplacer pour vous mettre à la disposition de notre comité. Merci à vous, Scott, pour avoir eu la générosité de parler de votre cas dans vos écrits.
Quand j’étais en activité, j’ai passé beaucoup de temps à siéger à des comités et à participer à des études et j’ai aussi essayé, dans mon propre service, de mettre en œuvre un système de dossier électronique, mais je me suis bien sûr heurté à un problème qui s’appelle la protection de la vie privée, tandis que la barrière véritable est celle de la maladie mentale. Les gens sont terrifiés à l’idée que cela puisse apparaître dans un dossier électronique, surtout si la maladie mentale est associée à un comportement criminel. Les gens sont terrifiés.
Dans le monde du journalisme, vous avez l’équivalent de dossier électronique. Quand vous effectuez vos recherches sur quelqu’un qui vous intéresse, vous pouvez découvrir à peu près tout ce que cette personne a fait, où elle a été — et Rona nous a donné un exemple de ce politicien américain de haut rang qui, pour une raison ou une autre, a été écarté parce qu’il avait eu une maladie mentale.
Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez dit tous les trois et je crois qu’il serait effectivement très intéressant de présenter des reportages sous un angle positif, mais il faudra à ce moment-là que vous mettiez la main sur des gagnants et je ne suis pas certain qu’il y en ait beaucoup dans cet échantillon de la population.
Je me demande donc comment, selon vous, nous allons pouvoir amener ceux et celles qui, souffrant de troubles mentaux, ont une peur bleue de faire face à leurs problèmes, comme vous l’avez fait Scott, et je me demande comment vous allez arriver à les convaincre de communiquer avec vous sans parler de la possibilité de traiter de leur cas dans la presse. J’aimerais que vous me répondiez tous les trois à cette question.
Mme Maynard : Sénateur Keon, parlez-vous de la difficulté d’obtenir la collaboration des gens pour la rédaction d’un article ou pour une émission? C’est ce dont vous parlez?
Le sénateur Keon : Je parle de la difficulté de les amener à collaborer avec vous, parce que vous appartenez à une profession très puissante.
Mme Maynard : Eh bien, il y a toujours des façons d’y parvenir. Je pense qu’un reporter, très humain et au fait de sa profession, peut y parvenir. Le journaliste doit commencer par accepter non seulement de changer les noms, mais aussi de ne pas couvrir de détail susceptible d’identifier la personne, parce que les gens ont de bonnes raisons de ne pas vouloir que leur histoire se retrouve sur la place publique comme cela. Il y a eu des cas, dans ma vie de journaliste, où j’ai indiqué aux gens de ne pas mentionner leur nom même si, dans un moment d’oubli total, ils pouvaient penser que cela était nécessaire.
Je pense qu’il serait également très utile, dans un cas comme celui-ci, de rassembler ceux et celles qui entourent la personne pour les faire participer à la préparation de ce récit et pour que eux-mêmes racontent leur version. J’aimerais beaucoup, dans un journal ou un magazine, lire un récit au sujet d’un suicide et qui ne concernerait pas que la personne s’étant suicidée mais tous ceux et toutes celles qui se la rappellent et pour qui cette personne manque.
Le sénateur Keon : Pensez-vous, Rona, qu’à un moment donné vous pourriez suffisamment gagner la confiance de la population des personnes souffrant de maladie mentale au point qu’elles vous prennent pour porte-parole?
Mme Maynard : J’aimerais entendre Scott à ce sujet, parce qu’il a passé beaucoup de temps au contact de cette population que moi-même. Cependant, j’ai constaté à l’expérience que si vous montrez aux gens que vous êtes disposé à les écouter, que vous êtes intéressé à leur cas, que vous leur montrer que leur vécu est important — il y a toujours un besoin profondément humain de croire que mon vécu, qui peut avoir été très dur et très pénible n’a pas été vainc; qu’il était chargé de sens et que le fait de le raconter va peut-être permettre de modifier la façon dont les gens raisonnent, à l’extérieur, et que peut-être je contribuerai à changer ou à sauver une vie.
M. Simmie : L’un des problèmes auxquels je pense n’est pas tant de parvenir à inciter les gens à venir se raconter ouvertement, mais à inciter les journalistes à écrire à ce sujet. Une partie du problème associé à tout le domaine de la santé mentale tient au fait qu’il est très complexe. La maladie mentale est un sujet compliqué. La toxicomanie est très compliquée. De nombreux journalistes, à cause de la façon dont fonctionnent les salles des nouvelles au Canada, sont des généralistes. Ils sont formés pour appréhender très vite l’essentiel d’une nouvelle et pour pondre un papier assez crédible pour le faire paraître dans les nouvelles du lendemain ou du soir et je crois que la complexité, l’incroyable complexité de la maladie mentale en décourage quelques-uns.
Lors de votre première série d’audiences, vous avez sûrement constaté qu’il s’agit aussi d’un domaine très politisé. De nombreux groupes poursuivent des programmes très différents. Les choses peuvent devenir très complexes pour un journaliste qui pense avoir enfin compris la façon dont fonctionne le domaine mais qui est complètement dérouté quand il téléphone à un autre contact afin de l’interviewer. Le journaliste se dit alors qu’il n’y comprend plus rien. Pour vous dire bien franchement, j’ai passé la plus grande partie de cette année à travailler dans le cadre de la Bourse Atkinson avant de me sentir assez à l’aise pour couvrir à peu près tous les angles de ce sujet.
Il y a une solution possible à laquelle j’ai réfléchi, hier soir. À Atlanta, le CDC propose un camp d’entraînement sur les maladies infectieuses. Il s’agit d’un séjour d’une semaine, très intensif, où l’on rencontre des gens qui sont des spécialistes du domaine, vu sous tous les angles. J’ai eu la chance de participer à l’un de ces camps d’entraînement, il y a un an, et j’en suis repartie avec plus de présentations en PowerPoint que je n’en ai jamais vues, mais surtout avec une bien meilleure connaissance que celle que je possédais à mon arrivée le lundi.
Si Santé Canada, éventuellement de concert avec un établissement de santé mentale, pouvait offrir un tel camp d’entraînement, un journaliste qui voudrait obtenir une bourse de recherche pourrait aller y passer une semaine, travailler sur place avec les meilleurs experts du domaine et ce serait une façon d’inciter la profession à parler davantage de ce sujet.
Je dois vous dire que j’ai examiné le secteur des médias aujourd’hui et que j’ai été à la fois surpris et pas de voir qu’il ne se trouve aucun représentant de la presse, du moins pas à ce que je sache, pour couvrir cet événement. C’est pourtant une question incroyablement importante.
Une partie du défi, sans doute le plus grand défi que votre comité va devoir relever ne sera donc pas d’amener les gens à raconter leur vécu, mais d’amener les journalistes et les médias à parler de votre travail et des recommandations qui en découleront, à continuer à couvrir ces recommandations et pas à se contenter d’un simple sommaire en cinq points le jour même avant que le tout ne tombe malheureusement dans l’oubli. Je sais que vous espérez beaucoup que cela n’arrive pas et moi aussi je le souhaite, mais j’estime que, pour que la nouvelle ait une répercussion à grande échelle, il faut que beaucoup plus de journalistes s’intéressent au domaine.
Mme Maynard : Je tiens simplement à signaler, Scott, que le genre de camp d’entraînement dont vous avez parlé est en cours de création, ici. Je ne voudrais pas dire quelque chose d’inexact, mais je sais que les responsables du Centre de toxicomanie et de santé mentale en ont parlé et je pense qu’ils sont en train de lancer ce projet.
Mme Elliott : Je vais vous parler de ce qui m’est arrivé personnellement, dans le Nord, où l’on se heurte à d’autres barrières, à plusieurs barrières. Comme vous pouvez l’imaginer, il est très difficile d’amener des Autochtones à faire part de leur vécu à des journalistes qui ne sont pas eux-mêmes autochtones, ce qui est particulièrement le cas pour des questions très personnelles comme celles qui touchent à la maladie mentale et au suicide. Dans une communauté aussi fermée que celle de Pikangikum, le défi est incroyable. Pourtant, il n’est pas insurmontable quand on s’y prend de la bonne façon, ce qui consiste d’abord à rejeter toutes les hypothèses, surtout celles que l’on considère comme étant des comportements normaux dans une société donnée. Quant à moi, c’est sans doute l’un des plus grands défis que pose le traitement journalistique des maladies mentales, je veux parler de la conception que les journalistes ont, a priori, de ce qui est normal et qui les empêche de vouloir faire ce genre de travail, de s’aventurer dans des secteurs où ils peuvent tomber sur des personnes souffrant de maladie mentale. Ces gens sont des membres de notre société et j’ai constaté qu’en règle générale, ils sont disposés à faire part de leur vécu et que, pour l’essentiel, ils sont comme n’importe quel autre segment de la société.
Il y a ceux et celles qui veulent raconter leurs récits et il y a les autres, ceux qui ne veulent pas. En général, quand nous faisons un reportage, nous tombons sur deux catégories de personne : celle qui se précipite vers le micro et celles qui s’en va. Il faut donc trouver le type qui va vouloir s’exprimer ce qui, en soi, est un défi, mais pas un défi insurmontable comme je le disais.
Mon plus gros défi a en fait consisté à convaincre les rédacteurs en chef et les organismes de presse qu’il s’agit d’un sujet valable pour les médias. Il y a une raison pour laquelle je suis journaliste parlementaire depuis plusieurs années et de façon exclusive. C’est en partie parce que cela m’intéresse, mais aussi parce qu’il n’y a pas de journalistes s’intéressant aux maladies mentales. Il n’y a plus de journalistes s’intéressant aux questions sociales. À une époque, on trouvait ce genre de journalistes en grand nombre. Le fait qu’ils soient de moins en moins nombreux dans les organismes de presse joue également un rôle sur ce plan.
Le sénateur Cochrane : Vous témoignez tous les trois en tant que journalistes. J’ai constaté que les médias braquent tout leur projecteur dès qu’ils tombent sur une histoire qui peut intéresser le consommateur de nouvelles. Vous pouvez toujours influer autant que vous voudrez sur la façon dont les gens perçoivent cela, que ce soit positivement ou négativement, mais je crois que les médias se concentrent sur les sujets qui intéressent le grand public.
Ainsi, vous trois, dans vos spécialités différentes, pensez-vous pouvoir faire passer la maladie mentale à l’avant-plan? Vous avez tous des patrons, je n’en doute pas, qui vous diront sans doute que ce sujet n’est pas important, mais en toute sincérité, pensez-vous pouvoir briser cet obstacle et faire ce qu’il faut pour faire passer ce sujet à l’avant-scène?
M. Simmie : Je pense que nous avons tous, à notre façon, essayé de faire cela au fil des ans mais qu’il nous faut parvenir à une certaine masse critique, c’est-à-dire que nous devons pouvoir compter sur plus de journalistes qui jugent que le domaine est intéressant et qu’il vaut la peine. Outre l’incroyable complexité du sujet, je crois qu’une partie du problème, pour vous dire bien franchement, réside dans la stigmatisation elle-même. Les journalistes n’y échappent pas. Si certains d’entre eux ont une perception négative de la maladie mentale et de la toxicomanie, ils peuvent très bien ne pas vouloir s’en approcher.
Je ne sais pas si le comité l’a déjà fait dans le cadre de ses audiences ou s’il envisage de le faire, mais vous obtiendriez d’excellents résultats si vous pouviez dialoguer avec les membres des comités de rédaction des journaux pour leur rappeler l’importance de ce travail.
Mme Maynard : J’ai eu ce grand luxe. C’est moi qui décidait ce qui était important dans Chatelaine. Or, étant donne mon expérience personnelle, l’expérience de ma famille et celle d’un grand nombre de personnes que je connaissais, notamment de deux amis du jardin d’enfance qui ont eu des épisodes psychotiques, j’étais en mesure de dire que nous allions faire ceci ou cela. Beaucoup de gens ont été affectés par cette décision. Quand les réactions ont influé, j’ai pu dire : « Regardez, c’est vraiment cela qui intéresse les lecteurs ». Chaque fois que nous traitons de ces questions, nous recevons des lettres. Je pense que cela est beaucoup plus difficile pour des journalistes qui travaillent dans une salle de nouvelles très occupée — on vous en a parlé tout à l’heure — vous avez tous deux mentionné que ces journalistes ne sont pas spécialisés et qu’ils doivent faire beaucoup d’autres choses que de réfléchir à la façon dont ils pourraient, non seulement faire passer ce dossier au premier plan, mais surtout le raviver. C’est toujours très difficile que d’éveiller la compassion chez les autres. On n’y parvient pas juste en énonçant une série de chiffres et de statistiques. Cela fait aussi partie du problème.
Le sénateur Cochrane : Cela s’est-il passé une seule fois?
Mme Maynard : Non, nous l’avons fait plusieurs fois. Il m’est arrivé de parler de mon cas dans ma rubrique, à chaque fois que je disais que j’avais souffert de dépression, des gens nous écrivaient pour nous remercier de l’avoir fait. J’étais sur le point d’arrêter d’en parler, mais il était évident qu’il existait encore un besoin, sans compter que nous avons aussi parlé du cas de nombreuses autres personnes.
J’ai demandé à Sandy Naiman, journaliste au Toronto Sun, qui souffre d’un trouble maniaco-dépressif, de nous rédiger un article dans lequel elle nous parlerait de sa vie et de la façon dont elle était parvenue à obtenir un emploi, à être un membre productif de la société, à avoir des amis et à se marier. Cela s’est donc passé à plusieurs reprises et je pense que la tradition se poursuivra. Je ne sais pas qui va le faire après moi, mais je suis sûre que cela se fera.
Le sénateur Cochrane : Vous avez dit tous deux qu’il fallait se concentrer sur le positif et vous, Scott, vous avez parlé de la nécessité d’inscrire ce problème au programme du secondaire. Je ne sais pas si vous le savez, mais il existe actuellement un programme national — il ne s’agit pas d’un programme financé par le fédéral ou financé pour le pérenniser — baptisé « Roots of Empathy ». Ce programme vise à accroître le niveau d’empathie pour parvenir à des relations mutuellement plus respectueuses et compatissantes et pour réduire les niveaux d’agression et de tyrannie à l’école.
Ce programme s’articule autour de la visite d’une mère et de son nourrisson, une fois par mois pendant l’année scolaire. Un instructeur certifié est également présent. La mère et le nourrisson viennent donc en salle de classe et les élèves observent le nourrisson. Ils constatent qu’il ne peut rien faire de lui-même. On parle alors des sentiments que les élèves éprouvent envers ce jeune enfant. C’est sa présence qui les amène à mieux exprimer leurs sentiments. Certains enfants peuvent ne pas prononcer un seul mot mais la présence du nourrisson les amène à s’exprimer en sorte que, à la fin du programme, les élèves peuvent associer leurs sentiments à d’autres choses et dire, par exemple « Mademoiselle, je suis triste. Mademoiselle j’ai faim ». En général, les élèves qui souffrent de dépression gardent en eux ce genre de sentiments durant toutes leurs études et ils continuent même quand ils deviennent adultes. Avez-vous entendu parler de ce programme?
M. Simmie : Non.
Le sénateur Cochrane : Il s’agit d’un programme national qui a été fondé par Mary Gordon.
Mme Maynard : Je connais Mary Gordon. C’est une femme extraordinaire. Il faudrait mettre sur pied davantage de programmes de ce genre. Scott a parlé de l’adolescence, qui est une période critique. Tout ce que l’on fait pour l’instant, c’est du rapiéçage.
Par exemple, je connais une femme de Winnipeg qui va dans les classes du secondaire. Son fils s’est suicidé et elle a décidé d’informer les adolescents à ce sujet. C’est un travail fantastique qu’elle fait et pourquoi les enfants ne pourraient-ils continuer à apprendre quand on leur enseigne certaines choses sur la maladie, par exemple? Ils apprennent au sujet du cancer, pourquoi ne pourraient-ils pas apprendre au sujet de ces maladies? Pourquoi ne pas leur enseigner ce qu’est la toxicomanie et qu’elle n’est pas due à une faiblesse de caractère, que le frère qui consomme de la drogue ou le parent qui boit n’est pas une mauvaise personne?
[Traduction]
Mme Elliott : Je vais vous faire un petit historique à ce sujet, parce que je crois que la question de la violence dans le cas de la maladie mentale fait partie des stéréotypes qui ont été perpétrés, en grande partie par les mass média. J’ai couvert ce genre de chose, pas forcément dans le cadre de médias d’information, mais de médias de divertissement.
Il y a quelques années, à l’époque où le film de Jim Carey intitulé « Moi, moi-même et Irène » est sorti, j’ai un peu écrit sur le sujet parce que la 20th Century Fox faisait la publicité de ce film qui jouait sur l’idée selon laquelle la schizophrénie et le dédoublement de personnalité ou le trouble de personnalité multiple, qui sont des choses très différentes, pouvaient occasionner la violence chez le personnage. Dans les publicités du film, il y avait un slogan qui disait : « From gentle to mental », c’est-à-dire du brave type au cinglé et « Schizo », c’est-à-dire le schizophrène. Cela a provoqué une levée de bouclier au Canada et la 20th Century Fox a finalement été contrainte de changer ses publicités en Amérique du Nord, si je me souviens bien. C’est un bon exemple de la façon dont on a stéréotypé un schizophrène violent et utilisé un terme inapproprié pour décrire le personnage de Jim Carey — bien qu’il s’agissait d’une simple comédie — parce qu’en fait il ne souffrait pas de schizophrénie mais d’un trouble de la personnalité multiple.
Pour ce qui est de violence et de la maladie mentale, il est vrai que des crimes violents peuvent être perpétrés par des gens qui souffre de maladie mentale. Aujourd’hui, à Ottawa, on parle de cet individu qui s’est suicidé après avoir commis un meurtre. Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre. Les journaux semblent très souvent insister sur le côté violent de ces personnes qui souffrent de maladie mentale, mais on ne parle pas des autres aspects de la maladie, parce qu’ils retiennent moins l’attention. Il est malheureux que les quotidiens aient besoin d’attirer l’attention des lecteurs et que les journalistes en soient conscients. Ce n’est pas quelque chose à laquelle les journalistes ne pensent pas mais, dans un journal communautaire ou dans le traitement d’une nouvelle communautaire, on se sent toujours obligé de parler de ce qui se passe dans la collectivité. La qualité du traitement dépend de l’organisation journalistique.
Personnellement, j’estime qu’il incombe à l’organisation d’assurer un suivi adéquat pour que ces événements malheureux fassent ensuite l’objet d’articles sur la maladie mentale, d’un point de vue beaucoup plus large, afin qu’on ne se limite pas au seul récit concernant un crime ou un incident isolé, une fois de temps en temps, mais que l’on comprenne que cela fait partie d’un tout. Voilà comment je répondrai à la première partie de votre question.
M. Simmie : Je conviens que les médias font souvent le lien entre la violence et la dangerosité de la maladie mentale et que cela semble obéir à un réflexe, la réaction intervenant avant même que l’on sache si le diagnostic ou les antécédents en santé mentale étaient directement liés à l’acte violent ayant été commis.
Selon certaines des meilleures recherches, 96 pour cent des crimes commis le sont par des gens qui, en fait, ne sont atteints d’aucun trouble mental et sont parfaitement sains d’esprit.
Un travail très intéressant, également prometteur à l’origine, a été effectué à Calgary en collaboration entre l’Association mondiale des psychiatres, le Calgary Herald et un autre journal local. Des représentants de l’Association mondiale de psychiatrie ont passé un certain temps avec les journalistes pour obtenir des récits plus humains, tout particulièrement de personnes atteintes de schizophrénie. Il n’était question que de cette maladie. Le groupe de chercheurs a mesuré la façon dont le public réagissait à la schizophrénie, notamment quant au danger éventuel de ce genre de malade ou au genre de réaction imprévisible qu’il pouvait avoir. Ils ont mesuré un certain nombre de facteurs avant le lancement de la campagne qui a duré un an environ. D’ailleurs, le Dr Julio Arboleda-Florez vous en a peut-être parlé. Il a participé à ce programme. L’équipe a effectué d’autres mesures par la suite et constaté que les choses avaient changé, qu’il avait suffit d’un seul incident où un homme chez qui on avait diagnostiqué une schizophrénie s’était mis à tirer sur la foule sur la colline du Capitol, à Washington, alors qu’il est fort peu probable que ce diagnostic ait joué un quelconque rôle dans ses actes. Cela a paru en première page des journaux et après cet incident, l’équipe a de nouveau mesuré la perception du public pour se rendre compte que l’excellent travail réalisé sur le terrain avait été anéanti.
Avec votre autorisation, je vais vous lire un extrait d’un texte qui m’a frappé. Il y a quelques années, quand j’étais à Ottawa, je me suis senti agressé par cela qui m’a mis en colère. Une femme avait été poussée devant un métro à Toronto et elle était morte. Celui qui l’avait poussé était atteint de schizophrénie. Toutefois, il était aussi accro au crack et il était particulièrement colérique. À son procès, il a été reconnu coupable criminellement et on ne lui a pas accordé l’irresponsabilité de ses actes criminels pour désordre mental. Pourtant, un psychiatre légiste était venu témoigner lors du procès, l’individu lui-même avait témoigné et d’autres étaient venus dire qu’il n’était pas psychotique à l’époque. Il n’était pas en plein délire, que la schizophrénie n’avait joué aucun rôle dans ses actes. Cela n’a pourtant pas empêché une chroniqueuse du National Post de caractériser de schizophrène cette personne, tout au long de son article, avant de conclure par l’extrait que je vais vous lire. Soit dit en passant, l’homme en question s’appelle Herbert Chong. « Quant à Chong, s’il était assis dans le box des accusés, il n’était pas vraiment présent. Ses cheveux noirs, formaient des boules crépues sur sa tête. Ses avant-bras sont étrangement courts. Il lui arrivait de bailler, il lui arrivait de presser frénétiquement les ongles des pouces l’un contre l’autre comme le font les singe quand ils cherchent des poux dans la fourrure de leurs compagnons. Parfois, il se balançait tout doucement. Parfois, il fixait le plancher et parfois, il regardait au travers de la vitre comme le ferait un gros poisson dans un aquarium, et il se tapait la tête contre la vitre, ce qui semblait le surprendre un peu sans toutefois l’alarmer ni l’offenser. »
Quand on lit cela, on se demande si l’on aurait écrit la même chose dans le cas d’un accusé qui n’aurait pas eu de passé psychiatrique et si on le présentait sous le même jour?
Pour en terminer avec cette histoire du tireur fou de la colline du Capitol, à Washington, le Toronto Sun a publié en grand titre « No hiding from nutters », ce qui veut dire qu’on ne peut échapper aux cinglés. Imaginez le genre de tolet que l’on déclencherait si, plutôt que de parler d’un aliéné mental, on parlait d’un afro-canadien. Dans ce cas, je ne pense pas qu’il se soit passé quoi que ce soit.
Nous sommes tous conscients de la tendance qu’il y a d’établir ce genre de lien. Je crois que cela fait partie de la nature humaine. Cela fait partie du genre de film où l’on présente un psychotique dangereux, fou de la hache, qu’on nous projette depuis des années et des années… Cela fait partie de la nature humaine qui consiste à établir soudainement et inextricablement un lien entre ce genre d’événement et un diagnostic — effectivement, les médias doivent faire du bien meilleur travail sur ce plan.
Le président : Je tiens à vous dire que les médias ne sont pas les seuls responsables. Hier, quelqu’un a lu un communiqué de presse du gouvernement de l’Ontario, publié il y a deux ans et demi — je vais devoir le paraphraser, parce que je ne l’ai pas ici — annonçant, si je me souviens bien, une rallonge budgétaire pour un programme de traitement communautaire assertif. La toute dernière phrase de ce communiqué de presse disait que ce serait ainsi bien mieux pour les patients et que les collectivités seraient plus sûres. Vous voyez, le préjugé est partout. Cela, soit dit en passant, ça vient du ministère provincial de la Santé. Allons donc!
M. Simmie : Excusez-moi, Rona, je voulais ajouter une chose au sujet de l’incident du métro à Toronto. La femme d’un éditorialiste d’un quotidien national a failli être poussée du quai où elle attendait un métro. L’éditorialiste a tout de suite rédigé une série d’articles sur la nécessité d’adopter en Ontario des ordonnances de traitement communautaire qui contraindraient les gens à prendre leurs médicaments. C’était intéressant — parce que le sujet a été chaudement débattu dans le milieu de la santé médicale et le ministre de la Santé de l’Ontario était aux prises avec ses vis-à-vis sur le bien-fondé de cette décision litigieuse. Je me suis entretenu avec les contacts que j’avais au ministère après la parution de ces articles, à l’époque où la province a décidé d’imposer effectivement des ordonnances de traitement communautaire. Mon contact m’a dit que la province hésitait, avant cela, mais que cette série d’articles l’a finalement contrainte a prendre la décision qu’elle a prise. Ainsi, une seule personne peut avoir une influence disproportionnée. C’est pour cela que nous prenons très au sérieux cette responsabilité.
Le sénateur Trenholme Counsell : On nous a dit que nous devrions adopter une stratégie nationale et ainsi de suite, mais au fond de moi, je me demande si les campagnes qui ont vraiment donné des résultats, que ce soit celles que le sida, sur le cancer du sein, sur l’autisme ou sur la violence familiale — et la liste est longue — je me demande donc si celles qui ont réussi, celles qui laissent trace ne sont pas les campagnes qui viennent de la base.
Le gouvernement peut faire bien des choses avec ses organisations et avec les ministères de l’éducation et autres, mais pour parvenir à véritablement hausser et maintenir le niveau d’intérêt, pensez-vous qu’une organisation comme l’Association canadienne de la santé mentale, qui fait sans doute un excellent travail, puisse faire mieux que le gouvernement?
Mme Maynard : Le gouvernement a un rôle fondamental à jouer, à commencer par le financement des services. Or, nous avons entendu à quel point c’est lamentable de ce côté et, tant que les services sont sous-financés, la population se dira qu’ils sont sans importance. Nous avons besoin de leadership et de campagnes de sensibilisation et le gouvernement peut jouer un rôle de partenaire sur ces plans-là.
Toutefois, permettez-moi d’en revenir à votre exemple du cancer du sein. Au début, c’est effectivement la balle qui a lancé le mouvement, mais le milieu des affaires est intervenu ensuite et de belle façon, par la voie des banques et des laboratoires de produits cosmétiques. C’est énorme. La population estime que c’est à présent une cause qu’il vaut la peine d’appuyer. Je me rappelle quand on jugeait révolutionnaires les interventions de Betty Ford au sujet de la mastectomie.
Le président : Eh bien, pour ce qui est des changements d’attitude, la campagne lancée par le gouvernement en matière d’alcool au volent a permis de changer radicalement les attitudes — c’est vrai que MADD est d’autres ont fait des publicités ici et là — mais toute cette campagne a été exclusivement financée par le gouvernement.
Le sénateur Trenholme Counsell : Bien sûr, parce que tout cela était lié à la loi, que la police devait intervenir et qu’il y avait des amendes. Dans ce cas, la structure était un peu meilleure. Toutefois, il ne fait aucun doute que le premier ministre en tête et le ministère fédéral de la Santé, d’un côté, et les hôpitaux provinciaux et locaux, de l’autre, ont réussi à faire passer la santé mentale à l’avant-plan. Je sais que le mouvement en faveur de la lutte contre le cancer du sein a bénéficié de fonds de la CIBC — je pense à cette banque en passant, mais je suis sûr qu’il y en a bien d’autres qui ont contribué.
Pour ce qui est du rôle des parents et du développement des enfants, le Dr Douglas Willms, l’un des éminents chercheurs au Canada en la matière, a démontré que le grand facteur de vulnérabilité chez les enfants est la dépression de la mère. Je n’ai jamais vu cela mentionné. Nous parlons de garderie et de développement de l’enfance et j’ai l’impression qu’il est difficile d’arriver à capter l’attention du grand public. J’estime que les journalistes ont un rôle incroyable à jouer à cet égard, mais doivent-ils le faire au niveau individuel? À Radio-Canada, à votre magazine ou à votre quotidien, les journalistes doivent-ils, individuellement, déclarer qu’ils vont pousser ceci ou cela?
Mme Elliott : J’ai constaté que je devais effectivement insister pour faire passer ce dossier. Ce n’est pas parce que la Presse canadienne ou Radio-Canada n’ont pas traité de la question de la maladie mentale avant mon arrivée et qu’ils ne le feront pas après mon départ. D’autres journalistes ont assuré ce genre de couverture, mais tout ce que j’ai fait, je l’ai fait sur le côté, en plus de mes autres tâches. C’était du travail gratuit. Les problèmes auxquels j’ai été confrontés en tant que jeune journaliste dans le Nord ont laissé une telle empreinte sur moi que je me disais que je voudrais toujours couvrir ce genre de dossier. Et puis, plus tard, j’ai vécu d’autres expériences personnelles en tant que journaliste.
La fille d’une de mes collègues s’est suicidée, il y a tout juste deux ans, ce qui a eu l’effet d’une bombe dans notre salle des nouvelles. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les gens s’intéressent à ce dossier, mais dans tous les cas, il s’agit d’un engagement personnel qui échappe à toutes les descriptions de fonction. Il faut que ce soit la même chose au gouvernement, il faut que des gens à Santé Canada veuillent que ce genre de question bénéficie d’un meilleur traitement qu’elle ne l’a eu jusqu’ici. Il faut faire un choix, ce ne peut pas être l’un ou l’autre. Il faut obtenir un engagement officiel, tout comme l’on a obtenu la reconnaissance officielle d’autres problèmes, d’autres maladies ou d’autres questions sociales.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pensez-vous que vous pourriez davantage parvenir à rallumer les passions des Canadiens si vous les motiviez à intervenir auprès du gouvernement — quand je pense aux résolutions qui sont présentées à notre congrès national, jamais aucune ne porte sur les soins en santé mentale. Les Canadiens pourraient-ils le faire de leur côté? Y a-t-il une façon pour amener les citoyens de ce pays à être davantage passionnés?
Mme Maynard : Dans la plupart des cas, les groupes qui travaillent sur le terrain sont relativement petits et ceux que j’ai contactés n’ont pas d’argent. Je travaillais comme conseillère auprès d’une petite organisation qui cherche, notamment, à mieux faire connaître la dépression post-partum. Le groupe a un budget très limité et il n’a qu’un employé. Je vais vous donner un seul exemple. Ces gens-là voulaient préparer un dépliant afin de sensibiliser tous les pédiatres en Ontario parce qu’ils représentent le principal contact pour les mères. Si vous voulez atteindre ces mères qui sont très gênées, c’est par le pédiatre qu’il faut commencer. Il n’existe pas de registre central donnant la liste de tous les pédiatres. Vous devez faire le travail vous-même et, cela a pris beaucoup de temps pour la petite organisation dont je parlais, parce qu’elle manquait de ressources. On ne peut pas dire que le problème soit dû au manque de passion.
Le sénateur Cordy : Merci beaucoup à vous trois. Vous avez été extrêmement ouverts avec nous cet après-midi.
Je voudrais que nous reparlions de cette question de la population qui établit un lien entre la criminalité et la maladie mentale, quand des gens enfreignent la loi. En cas d’opérations policières comme celle qui s’est produite en Nouvelle-Écosse il n’y a pas si longtemps, les caméras de télévision se déplacent, on obtient un impact majeur, la presse écrite et d’autres font automatiquement le lien entre maladie mentale et démêlé avec la justice, avec le potentiel de violence puisque la télévision montre des images de policier armé. Quand ce genre de nouvelles fait les grands titres du soir — cela me rappelle l’époque où j’enseignais. Il faut répéter des milliers de fois à un enfant qu’il est bon, mais il suffit d’une personne qui lui dise qu’il ne l’est pas et tout s’écroule.
Vouliez-vous ajouter quelque chose à ce que vous avez déclaré plus tôt?
M. Simmie : J’aimerais connaître la réponse. Quand il y a un accrochage dans un quartier et que les caméras de télévision sont présentes, il est évident que la nouvelle passera aux informations du soir, ce qui est malheureux. Le problème pour les rédacteurs en chef et les journalistes, c’est qu’ils doivent mettre tout cela en contexte. Il faut faire connaître à la population que la majorité des personnes souffrant de maladie mentale ne constituent pas de menace et ne sont pas dangereuses. Je ne sais pas dans quelle mesure cela est valable quand on a vu des images d’une personne que l’on emmène, menottes aux mains. C’est ce genre de chose qui a contribué à la stigmatisation et qui l’a alimenté pendant des années et des années et je crois que cela va continuer. Je ne suis pas certain comment nous allons nous sortir de cette situation, si ce n’est en rendant compte ailleurs de la nouvelle, mais de façon plus responsable, plus proactive.
Mme Maynard : Je pense qu’il serait possible, dans de tels cas, de contextualiser l’information dans des encadrés.
Par exemple, il y a deux mois, il a beaucoup été question dans la presse d’une jeune mère de Toronto, apparemment heureuse, qui a tué un de ses jeunes enfants et qui s’est suicidée. Cette histoire a fait couler beaucoup d’encre. Dans un cas de ce genre, on pourrait faire des encadrés pour signaler deux choses : d’abord, que ce genre de dépression est extrêmement courante et, deuxièmement, qu’elle est mal diagnostiquée. Si un médecin avait vu cette femme plus tôt, elle ne se serait peut-être pas suicidée. La plupart des femmes en dépression postmortem ne sont pas violentes. Il pourrait s’agir de votre sœur. Ce pourrait même être vous et voici le numéro auquel vous pourrez appeler si vous constatez l’un de ces signes. Je crois que ce genre d’encadré serait très utile. Je regrette d’avoir à vous dire que je ne me souviens pas d’avoir vu beaucoup d’information de ce genre dans les journaux.
Le sénateur Cordy : Je me rappelle avoir lu le même article, mais les voisins, interviewés, ont déclaré que cette femme était de bon voisinage et qu’ils n’avaient perçu aucun problème. Effectivement, les médias pourraient faire ce que vous recommandez. Les personnes dans ce cas sont forcément la fille ou le fils de quelqu’un. Il y a toujours un frère ou une sœur quelque part. Effectivement, un encadré pourrait être une façon de souligner le fait qu’il faut davantage de services.
M. Simmie : Vous voudrez bien m’excuser si j’ai déjà mentionné dans mes remarques liminaires ce dont je vais parler, mais nous avons constaté que chaque fois que nous publions un texte descriptif, précisément les numéros de téléphone à appeler et les informations pour accéder au système, les gens qui travaillent dans les organismes concernés nous disent que leur téléphone n’arrête pas de sonner. Les journalistes que nous sommes ne doivent pas oublier l’utilité d’informations tangibles de ce genre.
Le sénateur Cordy : Louise, dans votre document, vous parlez de « suicide toxicomanie ». Je ne vois pas très bien ce que vous voulez dire par là.
Mme Elliott : C’est parce que j’ai oublié la virgule entre « suicide » et « toxicomanie ».
Le sénateur Cordy : C’est ce que je pensais.
Mme Elliott : Il s’agit du suicide et de la toxicomanie.
Le sénateur Cordy : Vous avez parlé de gestion de crises. Ce matin, avant vous, nous avons accueilli des policiers qui nous ont fait part de leurs frustrations parce qu’ils doivent accompagner des personnes qui ont voulu se suicider dans des services externes et doivent rester là avec elles, parfois 10 heures de temps. Ainsi, non seulement, le candidat au suicide n’obtient-il pas d’aide, mais cela nous ramène à ce que nous disions tout à l’heure, c’est qu’il lui faut être encadré par deux policiers qui restent là pendant 10 heures.
Que voulez-vous dire par « gestion des crises »?
Mme Elliott : Je parle du point de vue stratégique. Je préférerais que Scott vous réponde, mais ce que j’ai compris pour m’être entretenue avec des gens qui aimeraient de telles stratégies soient adoptées, il s’agit d’une gestion des niveaux de crise au niveau communautaire. Tout le monde doit effectivement bénéficier d’une certaine attention, il faut effectivement déployer des escortes policières, mais il faut savoir un service adapté en bout de ligne, par exemple à l’hôpital où la personne devra être traitée selon les besoins. Autrement dit, en cas de crise, il ne faut pas que l’intéressé attende. Il faudrait également assurer un suivi auprès de la famille. Il y aurait aussi un suivi à l’échelon de la collectivité. Il y aurait des mesures préventives qui seraient adoptées. Il faudrait coordonner la réponse en cas d’incident plutôt que de ne rien mettre en place dans bien des cas, comme on le constate dans le Nord, car c’est ce qui débouche sur des épidémies de suicide. Là où j’ai séjourné, je n’ai entendu parler que de très rares cas avec violence, parce que cela est très rare dans les communautés Ojibwa, bien que cela arrive.
Le sénateur Cook : Merci beaucoup de vous être déplacé. Vous faites un métier honorable et nous sommes, soit complètement captivés, soit accrochés par ce que vous faites. Le matin, nous nous précipitons pour lire le journal ou écouter les nouvelles et, à la fin de la journée, nous allumons la télévision pour le journal du soir. Le grand défi, consiste à apporter un équilibre par rapport à ce que vous faites.
Il y a un mot qui raisonne de plus en plus puissamment en moi, il s’agit du mot « stigmate ». On nous a souvent parlé de la puissance de ce mot-là et, pour moi, il revêt un sens tout à fait nouveau, parce qu’il touche à la question des droits de la personne. À moins que l’on se débarrasse de ce mot, monsieur le président, et qu’on en utilise un autre, ou qu’on l’applique à autre chose, je ne pense que nous parviendrons à faire des progrès.
Quant à moi, et je vais vous demander votre avis à ce sujet, le défi réside dans l’intégration des services de santé. Pour l’instant, la santé mentale est laissée de côté. Si nous pouvions l’inscrire dans le cadre de prestations des services de santé, cela pourrait nous aider. Ce sont les particuliers, les clients qui, selon moi, devront prendre les choses en main. La seule façon d’y parvenir consiste à habiliter les particuliers à provoquer le changement, les médias étant d’excellents vecteurs puisqu’ils sont omniprésents dans nos vies.
Le défi, quant à moi, est donc le suivant : si nous ne parvenons pas à éliminer la stigmatisation, nous devrons changer ce mot d’une façon ou d’une autre, mais j’estime que cette révolution devra venir de la base. Qu’en pensez-vous?
Mme Maynard : Je vous dirais ceci. Les médias peuvent effectivement outiller les consommateurs pour qu’ils réclament de meilleurs soins, pour qu’ils prennent leur vie en main et qu’ils s’occupent aussi de la vie de leurs proches, pour qu’ils soient alertés aux premiers signes de problème. Cependant, s’ils n’ont nulle part où s’adresser ensuite, les gens se décourageront très tôt dans leurs efforts visant à parvenir à un quelconque changement. J’ai vu des dizaines et des dizaines de lettres dans lesquelles on me disait « C’est très bien de me recommander de poser des questions à mon médecin, mais je ne parviens pas à en avoir et encore moins à en trouver un qui soit compétent pour s’occuper de ce genre ce problème ». Les parents d’adolescents qui ont besoin de services de santé mentale pour leurs enfants sont littéralement déchirés de constater qu’ils essaient d’obtenir de l’aide mais n’aboutissent pas.
M. Simmie : Je suis d’accord, sénateur, avec le fait qu’il s’agit d’une question de droits de la personne. Pendant que je rédigeais mon intervention, hier soir — les journalistes sont d’horribles procrastinateurs, du moins certains d’entre nous — je réfléchissais à ce que sont la stigmatisation et la discrimination. Selon moi, ce sont des questions qui relèvent des droits de la personne. Comme vous le savez, à cause de la stigmatisation, on condamne ces gens-là au chômage et à des logements insalubres.
Prenez mon cas, par exemple. Quand je suis revenu au travail, après m’être arrêté pour incapacité, j’ai voulu obtenir un prêt sur mon REER. Je suis allé à la banque, avec qui je faisais affaires depuis des années et le préposé m’a déclaré qu’il serait heureux de me donner un prêt. J’ai alors demandé une assurance sur le prêt, parce que je venais juste de revenir au travail et que je ne savais pas combien de temps j’allais y rester. On m’a demandé de remplir un formulaire où l’on posait bien sûr la question : « Avez-vous déjà eu une maladie mentale? » Si vous cochez la case « Oui », on vous refuse l’assurance dans les banques canadiennes. C’est effectivement un problème de droits de la personne.
J’ai une amie qui est avocate, d’excellente réputation, qui habite pas très loin de chez moi. Un jour, elle a été consulter un psychiatre. Après avoir travaillé pour un important cabinet d’avocats, elle avait décidé de se lancer dans la pratique privée. Quand elle a voulu se procurer une assurance privée, on lui a demandé si elle avait déjà consulté un psychiatre et comme elle a répondu oui, on lui a refusé cette assurance.
Il s’agit bien de problèmes liés aux droits de la personne. Personnellement, j’estime qu’il faudrait interdire ce genre de question dans la loi ou les contester devant les tribunaux. Ce serait peut-être une façon de faire.
Pour ce qui est d’outiller nos lecteurs, nos téléspectateurs ou nos auditeurs, il est vrai qu’au bout du compte ce sont les particuliers qui sont responsables de prendre les choses en main, mais je ne pense pas que cela puisse arriver dans une société qui accorde aussi peu de valeur aux questions de santé mentale. C’est quand on se trouve dans ce genre de situation qu’on se sent plus démuni que jamais.
Le sénateur Cook : Pour ce qui est de l’intégration des services, pensez-vous que l’on pourrait agir au niveau des soins tertiaires, des soins primaires?
M. Simmie : Il y a des pour et des contre. Pour ce qui est des pour, il faut dire qu’en général, la population s’adresse à des omnipraticiens. Ainsi, les omnipraticiens sont très bien placés pour repérer des signes de maladie mentale ou de toxicomanie ou pour recueillir les questions des gens à ce sujet. Ils constituent donc un excellent point d’accès pour le triage.
D’un autre côté, dans le cadre de la série que j’ai réalisée, j’ai sillonné le Nouveau-Brunswick et j’ai vu que, presque partout, il y a des centres communautaires de santé mentale, et c’est d’ailleurs le nom qu’ils portent. Il suffit de se présenter à la porte d’un de ces centres et de dire « Je ne me sens pas très bien », pour que quelqu’un, qui connaît bien la structure des soins en santé mentale, détecte le problème. Comme cette personne connaît la structure, elle met le patient en rapport avec l’organisme concerné ou avec un médecin. Ainsi, sur certains plans, les réseaux de santé mentale présentent des avantages, mais, en fin de compte, les deux aspects sont intimement liés.
Le sénateur Callbeck : Est-ce vrai que les compagnies d’assurance peuvent refuser d’assurer quelqu’un qui a un passé psychologique?
M. Simmie : Je ne sais pas. Je peux simplement vous parler de mon cas.
Le président : Nous vérifierons.
Nous sommes en train de prendre du retard et je vais donc vous poser une question sur laquelle vous pourrez nous quitter et à laquelle vous pourrez me répondre plus tard.
L’un de vous a dit qu’il serait regrettable que notre rapport sur la santé mentale soit publié sans faire l’objet d’une petite couverture médiatique dans les journaux, par exemple, et qu’il tombe ensuite dans l’oubli. Eh bien, c’est malheureusement ce qui s’est passé avec notre rapport précédent, en partie parce qu’il différait radicalement du rapport Romano et en partie parce que plusieurs gouvernements provinciaux vont faire plusieurs choses que nous avons recommandées, mais pas Romano. Ainsi, notre rapport demeure une référence, même s’il n’en est pas question dans les médias, auprès des gens sur le terrain. Toutefois, dans ce rapport, nous ne traitons pas de la façon de changer les attitudes. Nous parlons des problèmes et de la façon de les résoudre d’un point de vue pratique.
Après que vous y aurez réfléchi, j’aimerais que vous nous conseilliez sur ce qu’il faut faire pour maintenir la question de la santé mentale au premier plan. Nous pouvons toujours produire un rapport et faire de beaux discours, mais pour que cette question sorte du placard et qu’elle devienne l’un des grands thèmes d’action de tous les échelons de gouvernement au Canada, nous devons pouvoir nous appuyer sur un mécanisme. Ceux d’entre nous qui ont beaucoup fréquenté les gouvernements dans leur vie sont enclins à raisonner en termes de mécanismes gouvernementaux, mais très souvent, il existe d’autres façons de faire les choses. Si vous le voulez bien, j’aimerais que nous fassiez part de vos réflexions sur ce que pourrait être un tel mécanisme. Nous estimons que notre rapport sera la première étape d’une longue odyssée. Il n’est pas la destination. Nous devons mettre en place un mécanisme qui nous permettra d’entreprendre cette odyssée et, à ce sujet, j’aimerais beaucoup recueillir les réflexions de gens qui appartiennent au milieu du journalisme, des communications.
Merci beaucoup de votre visite.
Nous allons maintenant accueillir un autre groupe qui va nous parler d’intervention précoce. Les prochains témoins se présentent en groupe, parce qu’ils ont participé à des choses semblables. Tara Marttinen a été patiente dès ses premiers jours. Elle sera suivie de Phyllis Grant-Parker et du Dr Malla. Phyllis vient d’Ottawa et le Dr Malla de l’Hôpital Douglas, pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas Montréal, il s’agissait de l’Hôpital psychiatrique de Verdun, aujourd’hui appelé Hôpital Douglas.
Je vous en prie, Tara, allez-y.
Mme Tara Marttinen, à titre personnel : Je suis étudiante en troisième année de psychologie à l’Université Western Ontario et je suis aussi porte-parole des personnes souffrant de maladie mentale.
Le 4 décembre dernier, j’ai envoyé une lettre à votre comité qui a été publiée dans votre premier rapport à la suite de votre première série d’audiences. Je l’ai écrite au nom de Parent Partnership Preventing Psychosis.
Je vais vous parler un peu de moi-même, après quoi je vous ferai part de certaines recommandations pour votre troisième rapport.
L’histoire de ma vie a commencé trois ans avant ma naissance, avec une personne que je ne connais pas : mon père. Quand mon père avait 16 ans, il a été commis une petite infraction qui lui a valu d’être emprisonné. Dans les jours qui ont suivi sa condamnation, il a essayé de se suicider une première fois, mais ce n’allait pas être la dernière. Cela aurait dû être un signe avertisseur que l’on était passé à côté de quelque chose, qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez lui, mais personne n’a alors émis de mise en garde. Personne ne s’est inquiété. Quand il a eu 19 ans, l’âge qu’il avait quand il m’a conçue, il a commencé à se comporter de façon très étrange. Il était agressif, impulsif, avait un comportement excentrique et était très irrationnel dans ce qu’il disait.
Quand je suis née, ma mère ne voulait pas que mon père demeure seul avec moi, parce qu’elle avait peur de son comportement et de ce qu’il aurait pu faire. À peu près à la même époque, mon père a été admis dans un hôpital psychiatrique pour la première fois, mais ce ne devait pas être la dernière. Trois années de suite, jusqu’à ce qu’il se suicide en 1984, il a été régulièrement admis et libéré des hôpitaux de Sault Ste. Marie et de North Bay. Pendant les trois ans passés à fréquenter des hôpitaux, jamais aucun diagnostic de trouble mental n’a été posé dans le cas de mon père. Toutefois, après une enquête suite à sa mort, on a diagnostiqué chez lui une schizophrénie à titre posthume, héritage qu’il m’a laissé et que je continue d’avoir en moi.
J’avais 16 ans quand on a diagnostiqué chez moi des troubles psychotiques. Il leur a fallu moins de six mois pour établir chez moi le diagnostic qui avait été posé chez mon père six ans trop tard, et je n’avais pas encore véritablement vécu les affres de la maladie. Les affres de la maladie, c’est la psychose. On perd contact avec la réalité. L’intervention précoce a consisté à me donner des traitements qui m’ont sauvé la vie. Je le répète : je suis convaincue que ces traitements m’ont sauvé la vie quand on songe à ce qui est arrivé à mon père. La façon dont on a appliqué cette démarche de pointe à mon cas est relativement intéressante.
Après ce que ma mère avait vécu avec mon père, nous nous étions dit que nous ne recevrions pas de soins adéquats à Sault Ste. Marie, ville du nord de l’Ontario qui se trouve au milieu de nulle part. Ma mère a communiqué avec un oncle qui habite ici, à Toronto, et qui est psychologue. Celui-ci lui a parlé d’un programme de traitement qui venait d’être mis sur pied à London et j’ai d’ailleurs été l’un des premiers clients acceptés dans sa première année. Il y avait une période d’attente de deux semaines pour accéder au programme de prévention des psychoses et d’intervention précoce, le PPPIP, et les clients étaient vus par un psychiatre, un psychométricien et un psychologue. Les clients sont également confiés à des gestionnaires de cas qui contrôlent les traitements et les soins qu’ils reçoivent. Les gestionnaires de cas font également office d’agent de liaison entre les clients et la communauté. Ainsi, les gestionnaires de cas, au nom de leurs clients, se chargent d’administrer l’accès aux programmes et aux services qui ne sont pas offerts par le PPPIP, comme les services de pension d’invalidité et d’éducation. Les membres de la famille sont invités à participer activement au rétablissement de leurs proches.
Cela est important, parce que quand mon père était soigné, on avait dit à ma grand-mère de ne pas s’en mêler. D’ailleurs, elle ne savait même pas ce qui se passait dans son cas. Il s’est suicidé huit heures après avoir obtenu son congé de l’hôpital, mais elle n’a même pas su qu’il en était sorti.
Moi, j’ai eu de la chance de bénéficier du programme PPPIP qui offre tout un éventail de services, notamment des groupes de développement social, des groupes de counselling en matière d’emploi et des groupes de soutien par les pairs. D’après ce que j’ai constaté, les clients qui sortent de ce programme sont beaucoup plus sains et beaucoup plus productifs — je vous parle de ce que j’ai constaté, parce que j’ai fréquenté un groupe de jeunes là-bas pendant deux ans. À titre de retour d’ascenseur pour les bons résultats obtenus, le PPPIB demande aux jeunes de prendre publiquement la parole pour parler de leur vécu au sein de la communauté et j’ai été l’une des premières personnes retenue à ce titre. C’est le Dr Malla qui m’a recommandée pour faire ce travail.
J’ai eu le privilège de faire part de mon vécu et d’annoncer que j’étais toujours en bonne santé à des étudiants, à des infirmiers et infirmières et à des représentants de différentes organisations communautaires. Je ne me présente pas devant vous aujourd’hui spécifiquement en tant que porte-parole du PPPIP, mais plutôt pour représenter tous ceux et toutes celles qui ont bénéficié de programmes d’intervention précoce, à l’intention des autres, de ceux qui n’ont pas profité de ce que ce genre de programme a à offrir.
Je vais maintenant vous parler de mes recommandations. J’ai lu le troisième rapport du comité intitulé, Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Problèmes et options pour le Canada — Rapport provisoire du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, rapport 3, et je recommande que l’on améliore l’accès aux programmes d’intervention précoce. Section 1.4 du chapitre 1, intitulée « Dépistage et intervention précoce ». Je crois qu’il incombe au gouvernement fédéral d’énoncer les normes en matière de soins aigus, en plus des normes de traitement à long terme. À ma connaissance, il n’existe actuellement aucune ligne directrice pour des pratiques exemplaires dans le domaine de la santé mentale. J’estime que la normalisation des pratiques de soin et l’établissement de mesure de responsabilité permettraient de s’assurer que plus de gens ont accès aux traitements actuels et que moins de malades soient oubliés.
La section 2.1 traite des besoins des enfants et des adolescents. Il y est plus particulièrement question d’adopter un programme de santé mentale dans les écoles. Dans le cas d’une incapacité de nature psychiatrique, comme la schizophrénie ou la psychose, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, parce que les besoins de ces clients sont très complexes. Je pense, toutefois, que des services de counselling et de référence pourraient être offerts et qu’éducateurs et conseillers devraient être tenus au courant des possibilités offertes en matière de traitement local. Je crois que des troubles du développement, comme l’autisme, méritent une attention particulière.
La section 4.1 traite de la stigmatisation et de la discrimination à propos desquelles j’ai beaucoup appris. Ce que je trouve de particulièrement pertinent, c’est qu’en ma qualité d’ambassadrice de la santé mentale, je me suis entretenue avec toute une diversité de personnes et de groupes au sujet de ma maladie. Comme je suis saine, que je m’exprime bien et que l’on peut m’approcher, les gens sont généralement plus réceptifs pour en apprendre au sujet de la maladie et j’essaie, personnellement, de battre les obstacles que constitue la stigmatisation que l’on rencontre souvent chez les gens. Je recommande donc très fortement de mettre en œuvre un programme des ambassadeurs en santé mentale qui ne fasse pas appel à des bénévoles. Je pense que ce genre de fonction devrait être rémunérée et que l’application de ce programme devrait permettre d’éliminer une partie des stigmates que doivent endurer une grande partie des gens souffrant de maladie mentale.
Je vous remercie.
Le président : Avant de vous céder la parole, Phyllis, j’ai une question rapide à poser. Qu’est-ce qu’un psychométricien?
Mme Marttinen : C’est quelqu’un qui dispense des tests cognitifs et qui mesure le fonctionnement cognitif.
Mme Phyllis Grant-Parker, témoignage à titre personnel : Je me propose de vous parler en qualité de mère, d’après l’expérience que j’ai vécue et au nom des familles que j’ai rencontré au cours des trois dernières années.
Notre famille a souffert à cause d’un système qui n’a pas fonctionné parce qu’il n’a pas su nous offrir un service d’intervention précoce, mais d’un autre côté, nous connaissons le soulagement et la joie de faire partie d’un système qui, lui, offre ce genre de services. Je vous parlerai donc de ces deux cas, surtout du point de vue des familles.
Les parents qui constatent les ravages de la psychose chez leur enfant et qui découvrent qu’il est atteint d’une maladie mentale grave, avec laquelle ils devront vivre le reste de leur vie, sont dévastés, absolument dévastés. Et puis, quand vous vous apercevez qu’il n’existe quasiment pas de traitement pour votre enfant, la situation devient insoutenable.
La maladie de notre fils est apparue quand il avait 16 ans et qu’il était en 11e année. À l’instar de nombreuses autres familles, nous nous sommes heurtés à de nombreuses barrières pour essayer de lui trouver un traitement qui lui permettrait de se rétablir et pour essayer de gérer nos vies et de maintenir notre famille intacte. Avec de la chance et une bonne dose de ténacité et de détermination résolue, nous n’avons jamais cessé de lutter pour obtenir ce dont notre fils avait besoin et nous sommes parvenus à survivre. Cependant, il nous est souvent arrivé, durant les trois années nécessaires à sa guérison, de craindre pour sa vie et d’avoir peur de ne pas trouver la force de l’accompagner jusqu’au bout.
L’une des situations les plus stressantes auxquelles sont confrontés les familles est l’obtention d’un traitement. Dans notre cas, on nous a renvoyé ou plus exactement on a renvoyé notre fils quatre fois de la salle d’urgence. La quatrième fois, il a été transporté en ambulance, à la suite de sa deuxième tentative de suicide. Nous l’avons presque perdu cette nuit-là. Les professionnels de la santé sont complètement passés à côté des premiers déclencheurs, des indicateurs, des premiers symptômes et signes.
L’autre facteur de stress très important est le fait qu’il faut se battre pour être intégré dans le plan de traitement. Mon fils devait signer un formulaire permettant à ses parents, c’est-à-dire nous, de participer à son rétablissement et autorisant les médecins à nous parler. On avait annoncé le diagnostic de schizophrénie à mon fils alors âgé de 16 ans sans qu’aucun de ses parents ne soit là pour lui. On dirait que le système s’attend à ce qu’un jeune souffrant d’une maladie mentale devienne spontanément un adulte autonome. À Ottawa, où nous résidons, nous n’avons pas pu trouver de traitement approprié à son âge. L’Hôpital pour enfants de l’Est de l’Ontario — HEEO — n’offre pas de programme du genre. La liste d’attente à la clinique de soins des premiers épisodes de psychose, à Ottawa, à l’Hôpital d’Ottawa, est de six mois. Ce faisant, mon fils a été hospitalisé dans un hôpital de soins tertiaires, parmi des adultes souffrant de maladie chronique et n’offrant pas de programme de réhabilitation. Tout cela donne peu d’espoir pour un adolescent et sa famille.
Après avoir passé des heures et des heures de recherche sur Internet, nous avons découvert le Centre de santé mentale de Whitby, et c’est là que les choses ont commencé à aller mieux. Le centre offre un programme de réhabilitation pour adolescents et nous avons eu de la chance que notre fils y soit admis, parce qu’il n’y a que sept cliniques qui sont réservées pour tout l’Ontario. Ce programme propose une approche multidisciplinaire, l’équipe soignante étant composée de psychiatres, de travailleurs sociaux, de travailleurs auprès des jeunes et d’autres thérapeutes. Les familles sont invitées à participer. D’ailleurs, c’est même essentiel si l’on veut que l’enfant soit accepté dans le programme. On nous a désigné un travailleur social qui tenait des réunions familiales mensuelles. Les parents prennent part à une série éducative de 14 semaines et les enfants sont pris en compte sans heurt. Quand notre fils a atteint l’âge de 18 ans, il a été transféré dans un programme semblable, le programme des jeunes adultes.
Ainsi, si nous avons eu de la chance de pouvoir accéder à ce genre de soutien, cela n’a pas été sans un coût énorme pour notre famille. Pour aller voir notre fils, nous devions conduire cinq heures à partir d’Ottawa. Le fait de le savoir malade et aussi loin de nous a eu de formidables répercussions émotives. Dans les 14 mois qu’il a passé là-bas, nous avons parcouru 49 000 kilomètres, perdu la moitié de notre revenu familial, fermé une entreprise familiale et dépensé 29 000 $ de notre poche.
Ainsi, d’après ce que nous avons vécu et qu’ont vécu de nombreuses autres familles avec qui j’ai été en contact, voici certaines recommandations pour soutenir les aidants naturels qui connaissent les affres de la psychose.
Tout d’abord, j’estime que nous avons besoin d’une politique nationale de soins en santé mentale et d’un programme d’intervention précoce en cas de psychose qui garantisse nos droits à un traitement et à un appui. Il faut débloquer suffisamment de fonds pour les programmes d’intervention précoce ou pour des centres d’excellence, pour qu’il n’y ait pas de période d’attente et que ces services soient accessibles à tous les Canadiens. Les traitements doivent être offerts par des équipes multidisciplinaires en mesure d’appliquer des pratiques exemplaires et des normes de qualité internationale.
Nous avons besoin de traitements qui soient fonction de l’âge dans le cas des adolescents et des jeunes adultes, traitements qui comprennent la réadaptation psychosociale destinée à favoriser leur guérison et à éduquer les gens en vue d’une gestion efficace de la maladie. On réduira ainsi les soins nécessaires à long terme dispensés par les parents et la dépendance acquise.
Il faut pouvoir compter sur un personnel qualifié des services d’urgence en mesure de détecter très tôt les symptômes de la psychose. Il est étrange, selon moi, que l’on ne trouve pas dans les salles d’urgence un personnel en mesure de poser ce genre de diagnostic.
Je suis d’accord avec le portail national proposé par le comité, portail qui donnerait accès à tous les renseignements et à tous les services parce que, très franchement, si nous n’avions pas effectué de recherche sur Internet, nous n’aurions jamais pu trouver l’aide dont nous avions besoin.
Il faut assigner à chaque patient ou famille un gestionnaire de cas aidant les gens à naviguer à l’intérieur du système et à élaborer, en collaboration avec l’équipe multidisciplinaire, un plan de soin individualisé axé sur le patient, ce qui est mentionné d’ailleurs dans votre premier rapport.
Je recommande également que l’on assigne à chaque famille un travailleur social afin de l’aider à comprendre la maladie et les répercussions qu’elle a sur la famille.
Il faut donner un meilleur appui dans le système d’enseignement et je recommande, à ce titre, que les ministères provinciaux de l’éducation imposent une instruction accrue pour les élèves et le corps professoral au sujet des symptômes, du dépistage rapide et de la façon d’obtenir de l’aide dans le cas d’un élève qui en a besoin.
La violence et l’agression peuvent être des problèmes chez certaines personnes qui en sont au premier stade de la maladie et du traitement, et ce sont les familles qui héritent du problème. D’autres, en raison du milieu familial, réel ou imaginé, ne peuvent pas demeurer à la maison pendant leur traitement. Dans ces circonstances, les aidants naturels ont besoin de plusieurs choses. D’abord, il leur faut pouvoir compter sur des programmes de qualité offerts dans des foyers afin que les patients disposent d’un milieu de vie sûr jusqu’à ce qu’ils soient guéris ou qu’ils reçoivent leur traitement.
Il faut pouvoir compter sur des équipes de soins mobiles, intervenant sur demande auprès des aidants, afin que ces derniers puissent faire appel à ces équipes plutôt qu’à la police. Laissez-moi vous dire, qu’il est déchirant pour un parent de voir son jeune enfant emmené menottes aux mains dans une autopatrouille. Il faut accroître la formation pour les responsables des interventions d’urgence, comme les policiers et les ambulanciers, afin de garantir une intervention adéquate.
Nous devons aussi offrir des soins de relève aux familles qui doivent, toutes seules, s’occuper de leurs proches à la maison.
Vous avez également demandé si les personnes soignantes doivent participer davantage aux soins et au traitement des personnes touchées. Eh bien, j’estime qu’il est essentiel que les familles participent aux soins parce qu’elles sont le point de référence en ce qui concerne leurs membres. Elles connaissaient la personne avant que son comportement ne soit modifié par la maladie et elles sont le baromètre qui indique à quel point le traitement donne des résultats. L’équipe médicale, elle, ne connaît que le malade. Ainsi, les familles sont le point de référence parce que la véritable guérison consiste à ramener le malade à l’état dans lequel il était avant, ou du moins le plus près possible de cet état. Dès lors, il faut que les parents et les familles soient intégrés dans les équipes soignantes et il faut disposer d’un ombudsman national ou provincial qui interviendra pour le compte des familles. Il faut apporter des changements à la loi pour favoriser la participation des familles et pour permettre aux aidants naturels d’accéder plus facilement aux soins, même si le proche qui est malade résiste au traitement.
Une chose est sûre, l’âge de consentement minimum doit être de 18 ans, comme pour les autres maladies. Pourquoi permettre à un adolescent de 16 ans, en pleine crise psychotique, de prendre lui-même ses décisions sans bénéficier de l’appui d’un parent?
Par ailleurs, gouvernements fédéral, provinciaux et régionaux doivent travailler de concert à la mise sur pied de comités consultatifs de consommateur. J’ai toujours pensé que ces comités devraient comprendre des membres de famille.
En Ontario, plus particulièrement, les soins de santé mentale relèvent du ministère de la Famille et des Services sociaux, à la différence des autres soins de santé. Ce faisant, il est extrêmement difficile d’assurer une transition en douceur. J’estime que même les jeunes adolescents, de 14 ans par exemple, qui présentent des signes précoces de psychose, devraient pouvoir accéder à des programmes d’intervention précoce normalement destinés aux adultes.
M. Ashok Malla, directeur de la recherche, Hôpital de recherche Douglas : Merci de m’avoir invité à prendre part à ce dialogue et surtout à entendre les deux exposés qui viennent juste de nous être donnés.
Je suis professeur de psychiatrie à McGill et je suis titulaire d’une chair canadienne de recherche en psychose précoce. Avant cela, toutefois, il y a deux ans, je travaillais à London et j’ai eu la chance de prendre part au premier programme d’intervention précoce en cas de psychose au Canada et j’ai aussi eu la chance de pouvoir compter sur des gens comme Tara qui a travaillé à nos côtés quand elle est allée mieux, ainsi que des membres de sa famille.
Histoire de replacer le tout en contexte, sachez que la psychose n’est qu’un exemple des troubles mentaux très graves que nous rencontrons dans n’importe quelle population. La maladie mentale n’épargne aucun pays sur cette planète.
La raison pour laquelle ces troubles sont particulièrement graves, c’est qu’ils apparaissent à l’adolescence et qu’ils restent en arrière-plan pendant toute la vie, en ce sens que ceux qui en sont atteints demeurent toujours vulnérables. C’est un peu comme le diabète. Vous pouvez n’avoir aucun symptôme, mais la maladie n’est pas partie pour autant. On pourrait dire autrement que, la plupart du temps, les personnes présentant une première attaque de psychose sont hospitalisées. Ce ne serait pas nécessaire si nous avions des programmes adaptés. D’après certaines des données que nous venons juste de recueillir, 30 pour cent des personnes qui se présentent à l’hôpital lors d’une première crise de psychose ont déjà eu des problèmes avec la loi. Dans la plupart des cas, il s’agit de problèmes mineurs, mais leurs problèmes s’aggravent parce qu’elles ne savent pas, au départ, comment se retrouver dans le système. Quinze pour cent de ces personnes ont déjà essayé de se suicider. Quinze pour cent ce sont blessés lors de ces tentatives de suicide ou de l’agression violente par quelqu’un d’autre et 15 pour cent ont eu des comportements agressifs quelconque. Tous ces gens-là sont des personnes qui n’ont pas été traitées. Qui plus est, il faut attendre environ un an à deux ans pour bénéficier d’un traitement en cas de psychose. Pour les dépressions, c’est huit ans. Pour les phobies et les troubles d’anxiété, c’est 26 ans. Cela vous donne une idée de la situation dans laquelle nous nous trouvons quant à la reconnaissance des premiers symptômes de la maladie mentale.
Pour répondre à votre rapport, plus particulièrement, je suis entièrement d’accord avec ce qu’ont dit Tara et Phyllis. Je ne pourrai mieux l’exprimer qu’elles, mais j’ajouterais certaines choses, en fonction de mon expérience et en fonction des recherches que nous avons effectuées sur de nombreuses années.
Pour commencer par ce qu’a dit Phyllis, quand on y pense, elle ne fait que réclamer ce qui est ordinaire et que notre système a transformé en quelque chose d’extraordinaire. Les gens demandent simplement que les familles soient invitées à participer aux soins de l’être cher. Il n’y a rien d’extraordinaire à cela, mais en général le système le rejette.
Je trouve que le comité a tout à fait raison dans son rapport quand il suppose que le système de soins de santé mentale est beaucoup plus bâti selon le point de vue des fournisseurs de service que du point de vue des clients ou des utilisateurs. C’est inacceptable et il faut changer cette situation. Au nombre des changements qui s’imposent, il convient d’instaurer une relation, complexe mais nécessaire, entre les services communautaires, les hôpitaux et les centres universitaires, en partie parce que le savoir actuel est davantage concentré dans les centres universitaires et les hôpitaux, mais que les services sont vraiment offerts au niveau communautaire.
L’un des facteurs qui limite le plus les améliorations possibles est l’absence de formation adaptée et, dans toutes les interventions, je pense que la chose la plus malheureuse qui nous soit donné de constater, c’est de savoir qu’il existe beaucoup plus, en termes de traitement, que ce qui est proposé. Les connaissances dans le domaine du traitement des maladies mentales ont véritablement explosé au cours des 20 dernières années et je ne parle pas ici simplement de l’aspect thérapeutique. Je veux plutôt parler des interventions non médicalisées, qui ne sont que très peu utilisées. Environ 10 pour cent des patients seulement bénéficient d’interventions familiales adaptées — pourtant, au moins 25 études montrent que les interventions en milieu familial réduisent de moitié des taux de rechute.
Des services adaptés culturellement, ce qui est votre point 1.2, sont essentiels. J’ai appris davantage à ce sujet depuis que je vais à Montréal qui est une ville particulièrement multiculturelle et multiethnique. Dans certains secteurs, 44 pour cent de la population est d’origine étrangère. Des services adaptés culturellement doivent comporter beaucoup plus que des services de traduction ou d’interprétation. Il faut correctement former le personnel, assurer la souplesse et l’accès aux services et permettre au système d’être plus simple pour mieux servir des populations bigarrées.
Hier, on m’a demandé de voir un jeune homme qui, malheureusement, ne répondait pas au critère de notre programme parce qu’il n’en était pas à son premier épisode, mais je l’ai tout de même accueilli. Ses parents sont cambodgiens. Lui, parvenait à peine à articuler un mot parce qu’il était terriblement atteint. On venait juste de le libérer d’un autre hôpital où il avait passé sept jours. Le père n’avait aucune idée de la façon de négocier avec le système. On ne lui avait donné aucun médicament. Comme j’avais des échantillons du médicament dont il avait besoin, je le lui en ai donné. En outre, la famille n’avait pas d’argent pour acheter des médicaments. Le grand problème dans notre système de soins de santé, c’est que les gens doivent acheter leurs médicaments.
Section 1.4, le dépistage et l’intervention précoces. Nous devons tous reconnaître que nous ne connaissons pas ce qui cause la maladie mentale et nous ne connaissons pas non plus la cause de la plupart des troubles médicaux. Ce que nous savons, en revanche, ce sont les facteurs de risque. Nous savons qu’il existe des facteurs de risque qui nous permettent de déterminer qui coure le plus grand risque de subir des troubles mentaux un jour et qui peut en réchapper, surtout dans le cas de la schizophrénie et du trouble maniaco-dépressif. Nous savons également que les délais dans le traitement de ce genre de troubles portent atteinte au bien-être de la personne, à celui de la famille et, plus encore, qu’ils compliquent le pronostique à long terme. Ce qui est intéressant, avec ces troubles, c’est que le diagnostic à terme d’un an est le même qu’à terme de 15 ans et l’on ne peut pas changer grand-chose à cela. Ainsi, c’est dans les deux premières années que le créneau d’intervention est le plus favorable.
Nous-mêmes et d’autres avons signalé des délais de un à deux ans, comme je le disais, et vous me croyez si vous voulez, mais ces délais ne sont pas dus au fait que les gens ne réclament pas de traitement. Cette partie du délai est très faible en comparaison de l’autre, de celle qui est due aux valses hésitations qui interviennent une fois le traitement réclamé. En moyenne, les gens réclament un traitement pendant un an à deux ans et prennent quatre contacts avec des professionnels de la santé avant d’obtenir gain de cause.
La solution? Je vais vous donner mon avis sur certaines solutions générales. Je pense que nous devrions adopter des programmes généraux d’initiation à la santé mentale, pas uniquement sur ce qu’est la maladie mentale, sur ce qu’est la schizophrénie, mais sur les facteurs de risque. La population, surtout les enseignants et les élèves du secondaire, doit savoir ce que sont ces facteurs de risque et pouvoir détecter qui présente les risques les plus élevés.
Je pense que l’on n’a jamais vraiment essayé d’appliquer des mesures d’amélioration de l’état de santé des personnes qui sont particulièrement à risque. Je vais vous donner quelques exemples. Je pense à des enfants chez qui la maladie mentale est établie. Eh bien, ces enfants-là présentent 10 à 40 fois plus de risques de développer ce genre de troubles mentaux. Ceux qui ont un statut socioéconomique inférieur, qui résident dans des régions densément peuplées, dans les grandes villes, surtout s’ils ont entre huit et 12 ans, qu’ils appartiennent à une minorité visible, surtout dans des secteurs à dominance caucasienne — il est maintenant établi que ces jeunes courent un grand risque de développer des troubles mentaux graves. Les adolescents qui sont déjà à risque à cause d’un problème de toxicomanie — par exemple parce qu’ils consomment du cannabis, même de façon modérée — avant qu’ils n’atteignent l’âge de 15 ans courent trois fois et demi plus de risques de présenter une schizophrénie.
Pour ce qui est des solutions, je crois que nous devrions suivre l’exemple du National Health Service en Angleterre et au pays de Galles et établir une stratégie nationale d’intervention précoce en matière de psychose. Les Britanniques ont consacré 39 millions de livres par an et ont ouvert d’importants services, un par million d’habitants, qui appliquent des pratiques des exemplaires. À l’échelon fédéral, il serait important de financer plusieurs projets de démonstration dans le domaine de l’intervention précoce en matière de psychose et de traitement d’autres troubles mentaux graves qui bénéficierait d’un financement complet pour appliquer des modèles de prestation de services, pour évaluer les traitements et effectuer de la recherche, en sorte que nous puissions acquérir de nouvelles connaissances et préparer les provinces en vue de la mise en œuvre d’une stratégie négociée dans ce domaine. Malheureusement, les connaissances dans ce domaine ne sont pas entièrement transposables d’un pays à l’autre, parce que nos systèmes de santé sont différents.
Nous devons réserver des budgets, tout particulièrement dans le cas de la recherche et de la prévention précoce en ce qui concerne la schizophrénie et les troubles maniaco-dépressifs, par le biais d’organismes comme les IRSC ou, mieux encore, par l’intermédiaire de Santé Canada, mais pas en concurrence avec la recherche biomédicale. Si je dis cela, c’est que la recherche biomédicale est beaucoup plus avancée dans les méthodes qu’elle applique. Les méthodes sont plus simples et plus directes. J’effectue aussi ce genre de recherche et, croyez-moi, il m’est beaucoup plus facile d’obtenir une subvention pour la neuro-imagerie que pour l’intervention précoce.
Nous devons définir l’axe à suivre pour transférer les connaissances en dispensant une formation appropriée. Par exemple, il nous faut effectuer des études dans le domaine de l’intervention précoce, études auxquelles devra prendre part le secteur des soins primaires afin que nous puissions enseigner à ces gens-là comment reconnaître très tôt la maladie mentale et voir si nous pouvons ensuite transférer cette connaissance de façon générale.
Les programmes scolaires en santé mentale — je suis d’accord avec ce qu’a dit Tara, ils sont très importants, mais nous devons être très prudents quant à ce que nous allons couvrir dans les écoles. Le milieu de l’enseignement est généralement efficace pour certains types de problème, mais il faut guider les enseignants et le faire en collaboration avec les services de santé mentale universitaires.
S’agissant du point 1.5, l’amélioration de l’accès, je crois que nous devons faire preuve d’ouverture et de souplesse en ne maintenant l’intégrité du système que dans la mesure où celle-ci est garante des besoins des clients et de leurs familles. J’estime que les systèmes deviennent parfois très rigides au point que certains passent au travers les mailles du filet. Par exemple, dans le cas d’un trouble grave mais à faible incidence, comme la schizophrénie, il faudrait que les patients aient un accès direct au système. Ils ne devraient pas avoir à passer par un médecin de famille. S’ils jugent nécessaires d’accéder à un spécialiste, il faudrait au moins leur donner la possibilité de se faire évaluer, ce qui devrait se faire avec le moins de restrictions possibles, pas nécessairement dans une clinique. Nous faisons cela depuis de nombreuses années et je peux vous garantir que les jeunes gens y adhèrent tout de suite et nous obtenons de meilleurs résultats que s’ils devaient se rendre dans une clinique ou à l’hôpital.
Il faudrait, j’estime, reformuler les solutions de remplacement aux soins hospitaliers et pas simplement imaginer des prolongements des anciens systèmes, que ce soit en milieu communautaire ou dans les hôpitaux. Par exemple, l’idée d’un hôpital de jour est tout à fait valable — mais je suis sûr que certains de mes collègues ne seront pas d’accord avec moi — pour une population plus âgée, mais pas pour les jeunes. Vous n’arriverez pas à faire venir un jeune de 17 ou 18 ans dans un hôpital de jour où il devra attendre toute une journée. Il faut appréhender de façon différente la façon de nous occuper de ces jeunes, que ce soit dans un café, à l’école ou à domicile.
Je vous recommande de prendre connaissance d’une étude qui se déroule depuis plusieurs années maintenant, à Birmingham en Angleterre, où les centres de remplacement des hôpitaux pour les jeunes ne sont pas situés dans un hôpital ou une clinique mais au cœur des secteurs résidentiels et l’on y trouve d’anciens patients au côté d’un personnel formé. Cette formule est beaucoup moins stigmatisante. Si l’on a fait cela à Birmingham, c’est parce qu’on y trouve une très importante population qui vient de l’est de l’Inde, chez qui le taux de psychose est cinq à six fois supérieur et qui hésite pourtant à réclamer des soins. Eh bien, cette formule a réglé ce problème. Le taux d’admission involontaire est quasiment nul.
Les enfants et les adolescents doivent faire l’objet d’une attention toute particulière, parce que la plupart des troubles psychiatriques apparaissent à cet âge ou que l’on détecte, chez ces jeunes, certains des facteurs de risque dont je vous parlais. Cependant, la ségrégation entre service pour adolescents ou enfants et service pour adultes est artificielle, selon moi, et elle est contre-productive. Il convient à tout prix de protéger les ressources destinées à ce groupe d’âge car il faut traiter de façon suivie les troubles qui apparaissent à l’adolescence en sorte que l’on puisse compter sur les compétences nécessaires quand une personne a besoin d’être soignée plutôt que de lui faire passer X nombres d’années dans tel ou tel service puis de la transférer ailleurs quand elle atteint l’âge magique de 18 ans.
Pour terminer, je vais vous parler de la stigmatisation. Inutile de dire que c’est sans doute notre principal défi et qu’il faudrait effectuer énormément de recherche avant que nous puissions trouver une intervention efficace. Selon moi, il ne vaut pas vraiment la peine de consacrer beaucoup d’argent à offrir davantage de services. Je recommande de commencer cette étude sur ce qu’il faut faire afin de réduire la stigmatisation chez les fournisseurs de services eux-mêmes. On trouve en effet chez eux énormément de comportements stigmatisant, même s’ils sont inconscients. Il y a, comme Phyllis le mentionnait, le fait de laisser les familles à l’écart, comme si elles n’avaient rien à faire là-dedans. Je dis toujours à mes étudiants et à mon personnel : « Quand vous voyez quelqu’un qui va être votre patient, imaginez-vous que vous allez traiter votre frère, votre sœur ou votre fils. Mettez-vous dans la position des membres de la famille et commencez à leur parler ». La campagne contre la stigmatisation et la recherche sur la stigmatisation doivent démarrer à cet échelon, à celui du service qui est au bas de l’échelle.
Dans la prestation de services, nous devrions chercher à faire en sorte que la personne traitée conserve une certaine capacité d’autonomie, quelle que soit cette autonomie. Dans notre système, soit nous ne faisons rien, soit nous confinons les gens à un rôle de patient, pour le reste de leur vie, et nous faisons en sorte qu’ils deviennent dépendants des services que nous leur offrons. C’est quelque chose de très délicat, mais je crois que nous devrions essayer de le faire — et vous avez ici un excellent exemple de quelqu’un qui est tout à fait autonome et qui a, j’espère, un excellent avenir que je souhaite moi-même pour mes enfants.
Nous avons l’un des meilleurs centres de santé mentale au monde, mais il nous reste encore beaucoup à faire. J’ai vu comment fonctionnent les réseaux de santé mentale au Japon et en Suisse. Je peux vous dire que le nôtre est incroyablement meilleur, mais je pense que nous devons faire davantage pour qu’il soit véritablement accessible aux gens qui en ont le plus besoin.
Merci beaucoup.
Le président : Merci à vous trois.
Répétez-moi quel pourcentage de personnes qui ont besoin d’une intervention précoce en bénéficient effectivement?
M. Malla : Très peu. Il n’existe que très peu de programmes d’intervention précoce au Canada. Le mouvement sur ce plan a démarré au milieu des années 90, à Melbourne, en Australie.
Pour notre part, nous avons lancé notre programme en 1997, et c’était l’un des tout premiers. Il y a encore beaucoup à faire sur le thème de l’intervention précoce. Il n’est pas simplement question de donner des traitements précoces, puisque le fait de dispenser un traitement plus tôt ne répond pas vraiment à la définition d’intervention précoce. Nous devons faire deux choses. En matière d’intervention précoce, nous devons adopter une approche différente qui consiste à traiter les jeunes, à tenir compte de leur besoin de développement, pour qu’ils puissent se rétablir complètement. Nous ne devons pas perdre cela de vue. Nous devons également réduire les délais de traitement. Il s’agit donc d’une approche sur deux fronts, en quelque sorte.
Le président : Quand vous dites que très peu de gens qui en ont besoin bénéficient d’une intervention précoce, parlez-vous de cinq à dix pour cent?
M. Malla : Ce serait bien.
Le président : Vous avez parlé de la stigmatisation pratiquée par ceux-là même qui travaillent dans le domaine de la santé mentale, ce à quoi l’on n’aurait pas pensé a priori. On aurait, au contraire, imaginé que le groupe le plus susceptible d’avoir supprimé la stigmatisation était justement constitué de ceux et de celles qui travaillent dans le réseau de la santé mentale. Je suis surpris d’entendre dire que ces gens-là affichent les mêmes attitudes que la population en général. On ne s’y serait pas attendu, n’est-ce pas?
Pouvez-vous nous donner deux ou trois exemples, et peut-être que Tara qui a été patiente en aura elle-même, de personnes, censées offrir le service, qui sont tombées dans la stigmatisation?
Mme Grant-Parker : Très rapidement, il y en a deux qui me viennent à l’esprit. Il y a d’abord eu ce cas quand nous avons dû transporter notre fils par ambulance, quand il a fallu l’hospitaliser.
Le président : De retour à Whitby.
Mme Grant-Parker : Non, c’était avant Whitby. Nous cherchions encore à le faire traiter et il a eu une rechute. Nous avons dû le faire transporter en ambulance et, quand nous sommes arrivés à l’hôpital, nous savions exactement ce dont il avait besoin parce qu’il était — excusez-moi, il était en fait déjà traité à Whitby et il était venu passer la fin de semaine à la maison. Nous savions qu’il avait besoin d’un certain médicament. L’infirmière s’est énervée contre moi parce que j’insistais pour qu’on lui donne ce médicament. Je lui ai dit : « Vous devez vous rendre compte que ce médicament, pour mon fils, c’est la même chose qu’un inhalateur ou de l’oxygène pour quelqu’un qui souffre d’asthme et qui a de la difficulté à respirer ». Il serait donc bien que l’on reconnaisse ne serait-ce que la gravité des cas.
Au HEEO, il y a ce que les parents d’Ottawa appellent la salle aux mystères. Les enfants qui sont transportés par ambulance passent par une certaine salle et personne ne pouvait les voir. Cette pièce avait une petite fenêtre et pour quelqu’un qui souffre de psychose, qui peut délirer, le fait de se retrouver dans une salle qui a une petite fenêtre, par laquelle n’importe qui peut vous regarder et où vous pouvez entendre chaque fois qu’une annonce est faite, ce n’est pas l’idéal.
Quoi qu’il en soit, revenons-en à l’urgence. Vous devez comprendre que la plupart des parents ne savent pas vraiment ce qui se passe dans de telles situations. Si vous ne vous êtes jamais rendu à l’urgence avant, si vous ne savez rien des psychoses — et moi je n’avais aucune idée de ce qui m’arrivait. Mon fils avait commencé à se comporter de façon très différente puis, soudain, il s’est mis à ne plus vouloir me parler, à ne plus vouloir que je m’occupe de lui. J’ai innocemment déclaré au médecin : « Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec moi ou je ne sais pas ». Il m’a répondu : « Je pense que c’est sans doute vous le problème ». J’ai encore du mal à imaginer qu’en 2002 j’aurais pu entendre ce genre de remarque de la bouche d’un médecin dans un établissement de grande réputation.
Le président : Cela est révélateur.
Mme Grant-Parker : L’autre lieu où la stigmatisation a énormément cours, c’est l’école secondaire. Mon fils était un élève très bien noté, il avait été athlète de l’année au secondaire, mais quand il est tombé malade, aucun enseignant, aucun entraîneur et aucun administrateur n’a jamais téléphoné pour savoir comment il allait. Personne de l’école n’a essayé de nous contacter. Il y a deux endroits où les jeunes de cet âge peuvent espérer obtenir de l’aide et l’un de ces endroits, c’est l’école. L’école est une énorme communauté et il faut pouvoir accéder à une aide là-bas, il faut pouvoir accéder à un personnel médical.
Le président : Tout le monde s’enfuie.
Mme Grant-Parker : Nous sommes plutôt tenaces chez nous et j’ai donc appelé l’école pour dire que, selon moi, les choses ne s’étaient pas particulièrement bien passées. J’ai déclaré que, si mon fils avait souffert d’un cancer, l’école aurait sans doute lancé une campagne de financement pour lui et les cadeaux se seraient empilés dans sa chambre. Mais voilà, ai-je ajouté, mon fils est devenu persona non grata, un individu avec qui plus personne ne veut avoir affaire, à cause du stigmate accroché à sa maladie. C’était pourtant les amis de mon fils. Il est en train de se faire un nouveau groupe d’amis.
Le président : Tara, voulez-vous dire quelque chose?
Mlle Marttinen : L’une des premières fois où j’ai pris la parole, c’était devant un groupe d’infirmiers et d’infirmières d’un service psychiatrique au Centre des sciences de la santé de London. Après mon exposé, tout le monde est venu me voir pour me dire : « C’était vraiment intéressant. Ainsi, tu fais des choses, tu as une vie. Je ne te vois que quand tu es malade et je ne savais pas que tu vivais d’autres choses ailleurs ». Les infirmières ne comprennent ou n’imaginent pas que nous avons une vie à part notre maladie. Il est important d’envoyer des ambassadeurs de la santé mentale ou des jeunes gens, des clients, visiter des médecins et des infirmiers et infirmières pour leur parler de ce qu’ils vivent quand ils ne sont pas malades, pour se montrer aux équipes soignantes quand ils sont en forme, afin de personnaliser davantage les patients.
Le président : Même si les infirmiers et infirmières dont vous parlez sont spécialisés en psychiatrie, ils ne sont pas conscients que vous avez une existence hors de l’hôpital.
Mme Marttinen : Non. Ils sont désensibilisés; tout ce qu’ils voient, c’est la maladie. Ils traitent la personne comme s’il s’agissait d’un être irrationnel, dépendant, infantilisé. Moi, je n’ai jamais été hospitalisée et j’ai vraiment beaucoup de chance. Je n’ai jamais vécu l’expérience de la stigmatisation que l’on peut connaître en milieu hospitalier. D’un autre côté, j’ai des amis qui me racontent des histoires horribles, de choses qui leur sont arrivées, comme des propos déplacés tenus devant eux par des médecins. C’est vraiment triste.
Le sénateur Cordy : Tara, cela nous ramène à ce que disait Phyllis relativement à la nécessité de faire participer les familles parce qu’elles sont la référence dans le cas de la personne qui est traitée. Quand on traite une personne, il faut le faire de façon holistique.
Revenons-en à la question du dépistage et de l’intervention précoces. Tara, vous avez eu de la chance que votre mère connaisse quelqu’un dans le système et qu’elle a pu se renseigner.
Phyllis, vous nous avez dit que vous êtes tenace et que vos vous êtes servie de l’Internet pour trouver les informations.
Que se passerait-il dans le cas d’une famille qui n’aurait pas accès à Internet ou qui ne connaîtrait pas quelqu’un dans le système? Comment ces gens-là s’en sortent-ils? Est-ce qu’ils parviennent à obtenir des services d’intervention précoce?
M. Malla : Je pourrais peut-être vous répondre en vous disant non. Aucune province au Canada ne dispose de stratégie d’intervention précoce. Celle qui est le plus près d’en avoir une est peut-être la Colombie-Britannique. Quand j’étais en Ontario, jusqu’à il y a deux ans, nous avons constitué un groupe de travail qui a fini par convaincre le gouvernement d’investir un peu d’argent dans l’intervention précoce, mais ce programme a été adopté après mon départ et je n’en ai donc pas profité. Quoi qu’il en soit, il a tout de même été adopté et nous espérons qu’il sera codifié sous la forme d’une politique que nous aurons attendue trois ans.
Comme nous l’avons tous indiqué, nous avons besoin d’une stratégie nationale comme celle envisagée en Australie, comme la stratégie nationale des National Health Services en Angleterre qui en est maintenant à sa troisième année. Pour l’instant, il s’agit-là de programmes d’élite. Je serais le premier à dire que mon programme est un programme d’élite. C’est moi qui l’ai lancé. Je suis allé à Montréal et j’ai été spécifiquement recruté pour cela. La population que nous servons peut avoir accès à ce programme, mais pas les gens qui habitent de l’autre côté de Montréal. En général, les Canadiens n’ont pas accès à ce genre de services.
D’un autre côté, ce n’est pas simple à lancer un tel programme. Le dépistage précoce est très complexe. On peut facilement interpréter les premiers signes comme étant caractéristique des tourments de l’adolescence ou comme étant simplement dus à une première consommation de cannabis. Toutefois, ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine de l’enseignement de l’intervention précoce offrent maintenant des programmes de formation. Le problème, c’est le financement. Nous venons tout juste de lancer un programme du genre à Montréal, en collaboration avec les CLSC, qui sont les centres locaux de soins communautaires, mais nous devons quasiment quémander pour obtenir des fonds. Nous recevons bien quelques donations ici et là. On ne parvient pas à obtenir des fonds pour ce genre de projet. Certains ne croient pas que c’est faisable.
J’ai récemment reçu un commentaire que je n’ai aucune hésitation à vous faire connaître. Récemment, on m’a refusé une subvention de recherche, que je suis en train de resoumettre d’ailleurs. Eh bien, l’un des examinateurs m’a dit que mon projet ne tenait pas debout, parce que les médecins de famille n’apprendraient jamais à reconnaître des psychoses par qu’ils sont trop occupés. C’était le principal commentaire que l’on m’a fait. Il est certain que l’on ne réussit pas dans tous les cas, mais au moins il faut essayer quelque chose de différent quand tout le reste a échoué.
Pour 55 pour cent des patients psychotiques, le premier contact est le médecin de famille. Seuls 5 pour cent d’entre eux, et je cite ici vos propres données — c’est très peu, mais tout de même mieux que les données françaises — obtiendront un traitement après la première visite. La plupart du temps, on passe à côté du diagnostique, pas parce que le médecin de famille n’est pas bon, mais parce que pour faire la différence entre une crise d’adolescence et une psychose, il faut posséder des connaissances très spécialisées. Par ailleurs, il peut y avoir des résultats faux positifs et certains médecins estiment que cela leur fait perdre une heure. Cependant, selon moi, c’est une heure qui est payante quand on dit à quelqu’un qu’il n’a pas de psychose. Le système a donc besoin d’une capacité d’évaluation immédiate.
Quand une mère appelle pour dire que son fils de 17 ans est d’accord pour consulter le jour même et qu’on lui répond qu’on le recevra dans deux semaines, il y a de fortes chances que, deux semaines plus tard, il dise : « Je n’ai jamais été d’accord pour vous rencontrer ». Or, si le jour de l’appel téléphonique on pouvait envoyer quelqu’un pour s’entretenir un peu avec lui, pour prendre un premier contact qui n’est rien de formel, ce serait bien et c’est ce dont nous avons besoin dans le système. Je peux vous garantir que ce ne sera pas plus cher que d’ouvrir des lits d’hôpitaux. Nous venons de terminer une étude économique qui fait ressortir que les coûts sont neutres et que l’opération est même rentable.
Le sénateur Cordy : Dans mon incarnation antérieure, j’étais éducatrice, j’enseignais à l’élémentaire, et je sais que parfois on peut orienter un élève vers un médecin, mais que la famille en crise devra éventuellement attendre six mois avant de voir quelqu’un. Je me demande dans quelle mesure on intègre les éducateurs dans ce système. Vous avez dit qu’il fallait les éduquer, pour qu’ils puissent repérer certains signes. Les éducateurs sont en première ligne et ils voient les enfants cinq heures par jour.
Je me demande combien d’éducateurs sont tenus au courant au sujet de ce qui se passe. J’ai parfois été frustrée quand j’enseignais à l’élémentaire de ne pas recevoir l’information dont j’avais besoin pour donner un enseignement holistique aux enfants. Il est évident que nous n’allions pas diffuser aux quatre vents les informations que nous aurait communiqué un médecin ou l’hôpital, mais les psychologues et psychiatres se méfiaient presque de nous parce que nous n’étions que des enseignants et que nous ne pouvions pas nous occuper de cela. Est-ce encore le cas?
M. Malla : Je crois que c’est encore largement le cas et je pense qu’il faut, là aussi, changer certaines choses, pas uniquement dans notre système de santé, mais parle biais d’un dialogue entre le secteur des soins et celui de l’enseignement. Beaucoup de psychologues scolaires ont reçu une excellente formation pour traiter des problèmes psychologiques, mais ils connaissent assez mal les troubles mentaux graves, les facteurs de risque et les comportements précoces qui permettent de se douter qu’on est en face d’un cas grave. Même quand on sait qu’un enfant a des difficultés — je ne vous ai parlé que de quatre ou cinq facteurs de risque. Eh bien, ce genre de connaissance peut être utile et, plus tard, au secondaire, dans les premières années de l’adolescence, il peut être nécessaire de recueillir d’autres renseignements sur cet enfant.
À London, nous avons administré un programme dans le cadre duquel notre clinicienne principale faisait le tour de toutes les écoles secondaires pour participer à des réunions de consultation d’orientation. Tous les mois, elle se rendait dans une école différente, ce qui nous a permis de faire beaucoup d’interventions précoces. Le rendement n’a pas été énorme, mais il nous a permis de mettre des visages sur des noms et, quand les écoles nous appelaient, nous savions de qui il s’agissait. En fait, les écoles n’ont pas donné le nom des enfants et elles peuvent simplement indiquer qu’elles ont constaté tel ou tel comportement chez lui et nous demander s’il y a lieu d’agir ou simplement de continuer à l’observer. Nous donnons ce genre de conseil en permanence. Cependant, si les deux systèmes ne sont pas en rapport l’un avec l’autre, rien ne se passera jamais.
Le sénateur Cordy : Tara, est-ce que vous prenez la parole devant des jeunes dans des écoles? C’est votre rôle?
Mme Marttinen : Non, je n’ai pas encore pris la parole devant des jeunes dans des écoles. On me l’a demandé, mais je n’ai pas trouvé le temps d’y aller, pendant que je suivais mes études à Western.
London administre un projet de jeune ambassadeur. Des jeunes gens faisant partie de groupes à risque suivent une formation en consultation pour encadrer d’autres adolescents, eux-mêmes à risque, pour leur parler. J’ai déjà rencontré de petits groupes comme celui-là.
Le sénateur Cordy : Comme nous l’avons dit, la stigmatisation est très présente dans la population adulte. Quand on est adolescent, on ne veut certainement pas paraître différent de ses petits camarades. Ils veulent se fondre dans la masse. Est-ce difficile pour un jeune, je sais que vous, vous l’avez fait, mais est-ce difficile pour un adolescent de déclarer : « J’ai un problème »?
Mme Marttinen : C’est très difficile. J’étais pétrifiée la première fois que je l’ai dit à quelqu’un. Comment, en effet, annoncer « J’ai perdu mes facultés mentales »? D’une certaine façon, vous avez l’impression d’être quelqu’un de diminué.
Moi, j’ai décidé de l’annoncer à mes amis, parce que s’ils le savaient, ils allaient pouvoir me soutenir. Ils faisaient partie de mon groupe de soutien et je pense que je pourrais parler de réseau de soutien. Toutefois, je suis toujours restée très en santé et je n’ai jamais eu d’accident, de pensée bizarre ou irrationnelle. Comme cela venait de moi, mon entourage l’a relativement bien pris mais je connais des gens qui, parce qu’ils avaient des comportements différents, n’ont pas eu la même qualité de réception.
Le sénateur Cordy : Avez-vous réfléchi à la façon la plus facile, pour une jeune personne, de se confier à adulte de confiance?
Mme Marttinen : La façon la plus facile de se confier à un adulte de confiance? Je crois que l’anonymat est très important.
Le sénateur Cordy : Excusez-moi?
Mme Marttinen : L’anonymat. On a peur que tout le monde soit au courant. Quand quelqu’un est au courant, tout le monde finit par le savoir et les gens vous traitent différemment. Je pense donc que c’est une dimension qui est toujours importante.
L’une des raisons pour lesquelles j’estime que l’école n’est pas le lieu idéal où traiter les gens, c’est à cause du stigmate actuellement associé à la maladie mentale. Quand un élève franchit une certaine porte à l’école, il risque de faire l’objet de ragots.
Le sénateur Cordy : La stigmatisation est même présente dans le domaine scolaire. C’est très bien, quand on cinq, six ou sept ans de demander une aide dans ses études. Toutefois, dans les classes supérieures, ce genre de demande est stigmatisé. Ainsi, quand on parle de maladie mentale et que l’on va dans une certaine pièce ou que l’on franchit une certaine porte, c’est vrai, c’est ce qui se produit.
Mme Marttinen : Ma mère a appelé mon directeur d’école après que j’ai été diagnostiquée, parce qu’elle voulait le lui en parler. Nous nous sommes tous assis ensemble pour lui faire part de la nouvelle et il a déclaré : « C’est parfait. Tout va très bien. Je communiquerai l’information à tes professeurs et ils réagiront en conséquence. »
J’ai donc fini mon secondaire. J’étais en onzième quand j’ai été diagnostiquée. J’ai continué trois ans et après, je suis revenue pour demander à un enseignant de m’écrire une lettre de recommandation pour une bourse. Je lui ai dit « Pouvez-vous m’écrire cette lettre de recommandation? C’est au sujet de la santé mentale » et je suis partie. Il a appelé chez moi et il a dit : « La santé mentale, qu’est-ce que c’est? » En réponse, je lui ai parlé de mon diagnostic. Je lui ai demandé s’il était au courant. Il m’a dit qu’on venait juste de lui apprendre que j’avais des problèmes chez moi. Je ne sais pas de quels problèmes il voulait parler, mais il n’était pas au courant que j’étais atteinte d’une grave maladie mentale. Je pense que s’il l’avait su, il m’aurait traitée différemment. Cela aussi, c’est de la stigmatisation.
Le sénateur Cordy : Phyllis, quand on prend le cas de votre fils, il s’agissait d’un bon élève, d’un excellent athlète et il faisait donc partie de ces enfants qui sont très estimés au secondaire — plus particulièrement ceux qui sont dans les sports, ce qui est sans doute malheureux parce que cela passe avant les résultats scolaires. On aurait pensé qu’il aurait été le modèle parfait pour expliquer qu’il n’y a rien de mal avec la maladie mentale, mais ce n’était pourtant pas la situation dans laquelle se trouvait votre fils.
Mme Grant-Parker : C’est un dilemme, parce que la seule façon de briser la stigmatisation, c’est de pouvoir compter sur suffisamment de gens comme Tara. Cependant, le risque est très grand pour ces gens-là — et Tara a eu de la chance parce que, comme elle le disait, elle n’a jamais eu de crise. Mon fils en a eu et ses amis ont été témoins de ses comportements, ce qui les a mis très mal à l’aise — ce n’était rien de catastrophique, mais ils n’étaient pas à l’aise avec mon fils.
Moi qui suis sa mère, quand on me demande pourquoi il a été hospitalisé, ce qui ne va avec lui, je suis toujours très prudente dans mes réponses, dans la façon dont j’annonce la chose, pour qu’il ne soit plus stigmatisé ou qu’il ne fasse plus l’objet de discrimination.
Nous avons un excellent programme à Ottawa qui s’appelle Parents’ Lifelines of Eastern Ontario — PLEO. Il s’agit d’un organisme de parents qui apporte un soutien aux familles dont les enfants souffrent de maladie mentale. Notre directrice générale et son fils, Justin, qui a 20 ans, de même qu’un psychiatre de l’Hôpital Royal Ottawa font la tournée des écoles secondaires et obtiennent d’excellentes réactions. Cette formule donne des résultats. D’ailleurs, un jour, l’une des élèves de l’École secondaire Glebe a déclaré à Justin — elle lui posait en fait une question — « Avant que je te pose ma question, je dois te dire que je te trouve très courageux. Je suis très impressionnée que tu ais eu le courage de venir nous parler aujourd’hui. »
Ainsi, ce genre d’entreprise donne des résultats, mais les jeunes qui y participent courent un grand risque. J’ai demandé à la mère de Justin, pas à lui, quelle répercussion cela avait eu sur lui et elle m’a dit : « En ce qui nous concerne et en ce qui le concerne, il s’agit d’une maladie comme n’importe quelle autre. C’est comme ça et pas autrement. » C’est pour cela que l’on veut dire les choses. Cependant, il est indéniable que c’est difficile à faire. On ne sait pas comment l’information communiquée va être utilisée et où elle va se retrouver, si elle ne va pas un jour empêcher l’intéressé d’obtenir un emploi ou que sais-je encore — tous les risques ne sont pas connus.
Le sénateur Keon : Merci beaucoup à vous trois pour vous être déplacés et nous avoir éclairés dans ce domaine.
Je vais commencer par vous, Phyllis. Nous cherchons à déterminer comment structurer tout cela pour permettre un accès à des services communautaires ou à des services de santé mentale qui seraient associés à des établissements communautaires, sans doute à des soins primaires, à des soins à domicile ou autres. À votre connaissance, existe-t-il des programmes communautaires auxquels vous auriez pu vous adresser — semblables à celui vers lequel Tara s’est tourné — et cela aurait-il grandement changé les choses dans la façon dont la maladie de votre fils a été gérée?
Mme Grant-Parker : Énormément! C’est ce que nous voulions. Le fait d’avoir voulu faire traiter notre fils dans une autre ville a eu d’énormes répercussions, ne serait-ce que son intégration. Pour commencer, l’intégration dans la société, à la sortie de l’hôpital, est un obstacle de taille. En revanche, si le traitement est offert à domicile, si l’on est resté en contact avec la collectivité, c’est merveilleux.
Nous avons un programme comme celui qui est offert à London, mais il est sous-financé. Ainsi, nous n’avons pas de capacité sur place.
J’ai participé à plusieurs réunions pour réclamer le financement de la santé. C’est intéressant — j’ai toujours pensé que mon hôpital fait partie de la collectivité. Je me retrouve toujours dans des réunions où l’on fait une opposition entre les services communautaires et les services hospitaliers, comme s’il s’agissait de deux choses différentes. Nous avons appelé London. Nous avons essayé de faire inscrire notre fils dans ce programme, mais nous étions trop loin et nous n’avons pas, non plus, réussi à le faire inscrire Hamilton.
Le sénateur Keon : Dr Malla, je connais bien la documentation médicale, mais pas la documentation psychiatrique. Nous n’avons certainement jamais assez fouillé la question, mais j’ai l’impression qu’en règle générale, du moins pour ce qui est de la documentation disponible, l’intervention précoce est déterminante dans la discipline de la santé mentale, surtout pour les jeunes patients, mais qu’il est pas possible de la pratiquer parce que nous n’avons pas de centre d’accès. C’est cela?
M. Malla : Tout à fait.
Le sénateur Keon : J’ai été intrigué de ce que vous nous avez dit sur la façon dont vous envisagez l’avenir — il ne fait aucun doute que vous avez réussi dans ce que vous faites. Cependant, la population en général n’a pas accès à ce dont vous parlez, d’après ce que je constate.
Nous sommes en train de nous demander comment nous allons parvenir à intégrer les services de santé mentale offerts au Canada, comment nous allons parvenir à un modèle et à un plan stratégique qui permettront d’intégrer les services de santé mentale, en partant de la pire des situations, c’est-à-dire les services psychiatriques légistes, jusqu’au meilleur des cas, c’est-à-dire les services hospitaliers offerts au sein de la communauté. Il est évident que nous devrons assurer une certaine continuité et, surtout, garantir un accès à la base, un suivi étant assuré à partir de là. Comment envisagez-vous la chose?
M. Malla : Évidemment, le premier facteur est que les troubles mentaux sont extrêmement hétérogènes. Il y a une hiérarchie des besoins, même au sein de catégories de troubles spécifiques. On doit en tenir compte avec n'importe quel système. Il se peut qu'une bonne proportion de ce qu'on appelle des troubles mentaux n'exige en fait qu'une intervention minime, ou n'exige en tout cas qu'une intervention spécialisée. Je songe ici aux troubles anxieux et à la dépression moyenne, par exemple, qui se prêtent idéalement au traitement dans un centre de soins primaires. Dans bien des cas, on n’a même pas besoin de faire appel à un médecin; il faut du personnel formé, sachant exactement ce qui marche avec cette population.
Il existe ensuite un autre palier de services destinés aux troubles mentaux graves de première apparition — et je pense que c'est essentiellement de cela que parlons aujourd'hui, c'est-à-dire la première apparition d'un trouble mental grave qui, s'il ne bénéficie pas du meilleur traitement possible, le plus tôt possible, peut avoir des conséquences énormes à longue échéance. Je reviens sans cesse au National Health Service en Angleterre. Ce service a pris l'initiative non seulement d’élaborer une stratégie mais également d'investir dans des services pour lesquels on a défini des normes très claires. C'est peut-être ce que nous devrons faire, pour chaque catégorie de troubles, en sachant qu'il peut y avoir des chevauchements. Le comportement humain est très complexe.
Le facteur de stigmatisation, bien qu'il soit très général, est trop complexe pour être réglé au moyen d’une stratégie unique. Offrir un traitement précoce et permettre aux gens d'aller mieux contribue en soi à la déstigmatisation car, quand les gens ne paraissent pas étranges, personne ne peut savoir qu’ils sont différents.
Il est clair que vous aurez un travail énorme à faire si vous voulez formuler des recommandations ou dresser un plan global à l'échelle du pays pour faire en sorte que les services de santé mentale soient intégrés et uniformes. Dans ce contexte, vous devrez peut-être penser aussi à établir une sorte de hiérarchie des troubles et des besoins.
Par exemple, si une personne souffrant de schizophrénie a des parents qui s'en occupent attentivement, tout ce que vous aurez à faire sera peut-être de mettre à leur disposition des interventions médicales et d’assurer la contribution de la famille au départ. Ce genre de patient n'aura sans doute pas besoin de beaucoup plus, à la différence d'un patient qui n'a qu'un seul parent souffrant lui aussi de trouble mental. Ce patient aura besoin de niveaux de service complètement différents. Vous allez donc devoir créer un système qui donnera peut-être l'impression qu'il est uniforme, de l'extérieur, mais qui tiendra compte de ces différences, à l'intérieur.
Je précise en passant que nous venons de publier une étude démontrant que le soutien familial et social est le meilleur indicateur prévisionnel de réhospitalisation au cours des trois années suivantes — ce qui n'est pas une nouvelle pour les familles. Toutefois, il y a des jeunes qui n'ont pas de famille qui les appuie et l'on doit donc prévoir un niveau de service complètement différent pour eux.
Je m'excuse si ma réponse à votre question est complexe mais il s'agit d'un problème complexe. Je pense que le fardeau imposé aux services judiciaires provient en réalité du fait que des services ne sont pas fournis dans le cadre du système régulier.
Le sénateur Keon : Tara, si vous deviez vous rendre régulièrement dans une clinique, préféreriez-vous qu'il y ait au-dessus de la porte un panneau disant « Services communautaires de santé mentale » ou « Services communautaires de santé et d’aide sociale » ?
Mme Marttinen : Probablement « Services communautaires de santé mentale » — il faut appeler les choses par leur nom.
Le sénateur Keon : Vous en êtes maintenant à l'étape, je suppose, où ça ne vous cause plus aucun problème de dire au revoir à un ami en ajoutant « Je dois aller là pour un rendez-vous ». Vous êtes au-delà de ça.
Mme Marttinen : Je crois que je suis un peu au-delà de ça. Vous savez, il y a peut-être encore des gens qui ont des difficultés avec ça mais, sur le plan pratique, c'est ce qui identifie l'organisme de service — j'espère que nous arriverons tous au point où nous pourrons accepter tout le monde et accepter que certaines personnes puissent avoir des problèmes de santé mentale. En fait, ce ne sont pas vraiment des problèmes mais des préoccupations. Je ne peux pas vraiment répondre à votre question car j'en suis arrivée au point où je suis à l'aise avec ça et je ne peux donc pas savoir comment réagissent les autres. Il réagissent peut-être d’une manière différente de la mienne — et, personnellement, je suis jamais entrée dans un immeuble portant un panneau disant « Services de santé mentale » ou quelque chose comme ça. Dans la plupart des cas, c'est un panneau assez ambigu.
M. Malla : Je pense que Tara est une fille très brave mais aussi gentiment idéaliste car la réalité est que, dans bien des cas, ce n'est pas comme ça que les choses se passent, et c'est pourquoi on voit beaucoup d'acronymes dans les programmes d'intervention précoce. Nous avons trouvé l'acronyme PEPP, en anglais, avant même de nommer le programme. Nous avons adapté le nom du programme à l'acronyme : Programme de prévention et d'intervention précoce pour les psychoses. Je me souviens du jour au où nous avons trouvé cet acronyme.
Nous venons tout juste d'ouvrir une clinique de haut risque dans notre centre, que nous avons appelée CAYR — Centre d'évaluation des jeunes à risque. Une fois que les gens franchissent la porte, c’est différent. Personne ne peut dire que nous tentions de dissimuler les choses — mais, à mes yeux, c'est comme dire qu'un bon mensonge est préférable à une mauvaise vérité.
Le sénateur Keon : Ce que j'essayais de dire, c'est qu'il serait sans doute extrêmement préférable d'intégrer les services de santé mentale à l'ensemble des services sociaux et des services de santé. Nous convenons tous que les services sociaux en seront un élément très important.
M. Malla : À condition que l'argent soit protégé.
Le sénateur Cochrane : Tara, je ne veux pas m'ingérer dans votre vie privée et, si vous ne voulez pas répondre à ma question, c'est bien. Votre traitement a-t-il été payé par un régime d'assurance médicale ou par votre mère ?
Mme Marttinen : Il a été couvert en partie par l'assurance, mais pas les frais de déplacement. Nous avons dû demander des subventions pour voyager entre Sault-Ste.-Marie et London mais elles nous ont souvent été refusées parce que nous voyagions si souvent et que nous ne répondions pas nécessairement aux critères. Nous avons donc dû assumer une partie des dépenses mais la majeure partie a été payée par l'assurance.
Le sénateur Cochrane : Phyllis, comment va votre fils, maintenant ?
Mme Grant-Parker : Il va très bien. Il n'est pas complètement guéri mais il est retourné à l'école — il a besoin de deux crédits supplémentaires — et il envisage d'aller à l'université.
Le sénateur Cochrane : C’est merveilleux.
M. Malla, je suis très impressionné par ce que vous nous avez dit. Comment peut-on obtenir le meilleur traitement possible des personnes qui connaissent le mieux la situation ?
M. Malla : Comment obtenir le meilleur traitement ? À l'heure actuelle, je pense que tout dépend de l'endroit où vous habitez. Si vous habitez là où il y a quelqu’un qui a un intérêt particulier et qui offre un programme spécial, vous obtiendrez de l'aide. Voilà pourquoi nous avons besoin de normes nationales — et surtout de formation. Les compagnies pharmaceutiques font un excellent travail pour vendre leurs médicaments. Il n'y a pas une personne unique qui vend un seul autre traitement. Donc, tout dépend — si vous avez la chance de vivre dans une région où existe un programme dont vous avez besoin, vous obtiendrez un bon traitement.
Le sénateur Cochrane : C’est difficile à trouver, n'est-ce pas ?
M. Malla : Non. Vous pouvez faire des recherches sur Internet — il y a une douzaine de programme d'intervention précoce très développés dans le monde, peut-être 15. Nous sommes tous reliés par Internet. Si vous cherchez « intervention précoce », vous trouverez.
Le sénateur Callbeck : Tara, quand vous traitez avec des gens ou que vous discutez avec des groupes de gens, y a-t-il une différence s’il s'agit d'un groupe de jeunes ou de personnes âgées, du point de vue de la réduction de la stigmatisation ?
Mme Marttinen : Je ne pense pas. À mon avis, il y a deux groupes d'âge en ce qui concerne la stigmatisation. Il y a les personnes âgées, qui ont l'expérience des maladies mentales chroniques et des stéréotypes médiatiques. Quand je leur parle de maladie mentale, j'ai tendance à faire disparaître l'image qu'elles ont en tête et elles en arrivent presque à croire que je n'ai pas de maladie mentale. « Vous êtes en tellement bonne santé. Qu’est-ce qui ne va pas avec vous ? »
Quand je parle à des jeunes, ils n'ont pas autant d'expérience de la maladie mentale. Ils la constatent mais ce n'est pas gravé dans leur esprit et ils n'ont pas autant d'expérience d’un membre de la famille tombant malade, par exemple. Ils ont en réalité moins de réactions négatives. Ils ont une attitude plus positive. De manière générale, je pense qu'ils ont une attitude plus positive parce qu’ils savent qu'il existe une plus grande possibilité de réaliser quelque chose de mieux que la maladie mentale chronique.
Le sénateur Callbeck : Phyllis, quand vous parlez de comités consultatifs de consommateurs — il y en a un dans votre hôpital et vous en faites partie, si je comprends bien. Vous avez constaté que c’est utile, ce qui veut dire, à l'évidence, qu'on vous écoute. Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait en créer, ainsi que les gouvernements provinciaux et les autres organismes publics, comme chaque hôpital, par exemple ?
Mme Grant-Parker : Oui. Je crois que cela permettrait de discuter de ces questions d'un point de vue commun. Nous avons des patients, des membres des familles, du personnel médical de l'hôpital, etc. Mon expérience m'a montré que cela permet de discuter des problèmes et de faire des propositions, et c’est juste au niveau de l'hôpital. Je pense que ce serait très bien d'en créer au palier fédéral.
Le sénateur Callbeck : Docteur, vous dites que les programmes d'études en santé mentale peuvent être importants mais qu'ils ne sont généralement efficaces que pour certains types de problèmes. Pourriez-vous préciser votre pensée ?
M. Malla : Je pense qu'un excellent exemple de ces dernières années nous est offert par l'efficacité des programmes scolaires de lutte contre le taxage. Le taxage n'est pas que le taxage — il a toutes sortes de conséquences sur les autres enfants et peut provoquer des problèmes de santé mentale. Un autre exemple est celui de l'identification précoce des troubles du développement.
Toutefois, pour ce qui est des troubles mentaux graves, leur fréquence est faible. C'est peut-être 60 à 70 cas par an sur 100 000 membres de ce groupe d'âge. Il ne s’agit donc pas d'un grand nombre d'enfants. Il serait très difficile de mettre sur pied des programmes aussi spécifiques. La meilleure chose que l'on puisse faire, c'est de sensibiliser les gens pour qu'ils connaissent les possibilités et les services disponibles s'ils constatent tel ou tel type de comportement. C'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Pepin : M. Malla, en qui concerne les étudiants en médecine et les infirmières — beaucoup de témoins nous ont dit qu'ils ne savent rien des maladies mentales. Certains nous ont parlé de leur expérience en arrivant à l'urgence, où des infirmières et des médecins leur disaient des choses inappropriées.
D'après vous, devrait-t-il y avoir une formation pour les infirmières et les médecins ? Quand j'étais infirmière, nous avions trois mois de formation dans un hôpital psychiatrique, et c'était la même chose pour les internes. Les internes et le personnel infirmier devraient-ils recevoir une formation spéciale ou devrait-on s'en remettre totalement à des bénévoles et à des infirmières ayant reçu une formation ?
M. Malla : Non. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Au cours des 10 dernières années, la plupart des facultés de médecine du Canada ont introduit une sensibilisation aux maladies mentales. À l'université Western, où j'ai passé 20 ans, j'ai vu ce changement. Nous avons commencé par enseigner de simples compétences en entrevue aux étudiants en médecine de première année, alors que cela se faisait auparavant en troisième année. Je pense aussi qu'il faut dispenser plus de formation de sensibilisation au personnel médical. Hélas, le nouveau système d'enseignement supérieur au Canada a abandonné l'ancienne méthode de l'internat en rotation qui obligeait chaque étudiant à passer une période fixe dans chaque spécialité. Aujourd'hui, ça ne se fait plus et je pense que c'est dommage.
Le sénateur Pepin : Madame Grant-Parker, vous avez dit qu'il faudrait consulter les parents et que l'âge auquel un jeune peut donner son approbation devrait passer de 16 ans à 18 ans. Pourriez-vous préciser votre pensée ?
Mme Grant-Parker : En vertu de la loi actuelle, un jeune de 16 ans qui souffre de maladie mentale doit signer un formulaire pour que l'équipe médicale puisse en discuter avec sa famille. Sans ce formulaire de consentement, la famille ne peut recevoir aucune information. Mon fils a dû signer un formulaire de consentement disant qu'on pouvait discuter avec moi de sa situation et de son traitement. S'il avait refusé, nous n’aurions pas eu d'informations. Nous ne pouvions rien approuver sans qu’il ait signé un formulaire auparavant.
Le sénateur Pepin : Cette loi existe-t-elle depuis longtemps ? Je sais que l'âge de consentement varie d'une province à l'autre — je sais par exemple qu'il est plus bas au Québec.
Le président : C'est moins de 16 ans ?
Le sénateur Pepin : Si vous avez une fille qui a de fréquentes relations sexuelles, elle peut demander des contraceptifs à son médecin dès l'âge de 14 ans.
Mme Grant-Parker : Ce qui est intéressant, c'est que si votre fille avait une autre maladie, il n'y aurait même pas de discussion. Toutefois, avec cette maladie, la capacité de décision de la personne est réduite. Heureusement, dans notre cas, notre fils nous a autorisés à intervenir. Il a demandé notre aide dès le départ.
Il y a environ six mois, alors qu'il ne pouvait plus recevoir suffisamment d’aide, il m'a dit : « Avec ce genre de maladie, il faudrait se faire un mal considérable ou en faire à quelqu'un d'autre pour qu’on vienne nous aider ». Voilà son expérience. Il ne cessait de demander de l'aide.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voulais vous dire, Tara, que j'ai travaillé avec un très grand nombre de jeunes au cours des années et que vous m'impressionnez beaucoup. Vous êtes la Terry Fox de la santé mentale. Vous êtes très encourageante mais, cette attention, pensez à vous d'abord. Vous avez cependant beaucoup à offrir aux gens qui vous entourent et au pays, comme vous le faites aujourd'hui.
Phyllis, vous avez été une mère merveilleuse. Vous êtes tellement rationnelle, et surtout si équilibrée. Merci beaucoup à toutes les deux.
Docteur, je voudrais vous poser une question car je sais que notre session devrait déjà être terminée. Vous avez dit que le résultat au bout d'une année est le même qu’au bout de 15 ans. Vouliez-vous parler de la schizophrénie et des troubles psychotiques, ou de la santé mentale en général ?
M. Malla : Non, je parlais précisément de la schizophrénie et des troubles psychotiques. Toutefois, je devrais apporter une précision en disant que, pour une raison que j'ignore, la majeure partie de la recherche effectuée dans ce domaine-là l’a été sur le terrain. La schizophrénie et les troubles psychotiques sont sans doute les deux domaines qui ont suscité les recherches les plus exhaustives, sur le plan des résultats à long terme et de l'intervention précoce.
Je pense que les gens ont cru pendant longtemps, et croient encore, qu’être maniaco-dépressif est moins perturbant. Toutefois, des données récentes portent à croire que l'on se porte peut-être mieux à court terme mais pas vraiment à long terme car ces patients abandonnent le traitement plus fréquemment. Ils ont le sentiment que leur problème va se régler, qu’il ne durera pas, mais c'est faux.
Je précise qu'il s'agit là de résultats d'études. C'est peut-être vrai pour d'autres, je ne le sais pas.
Le sénateur Trenholme Counsell : J’aimerais continuer la discussion à ce sujet car je vois aujourd'hui des gens que je voyais il y a 10 ans et qui sont incroyablement mieux aujourd'hui, ce qui résulte essentiellement d'une meilleure gestion de leur cas, d'une meilleure pharmacologie. En vous écoutant, j'ai eu l'impression que vous n’aviez pas beaucoup d'espoir, mais vous êtes peut-être seulement très réaliste.
M. Malla : Je voudrais dire deux choses à ce sujet. Premièrement, quand je fais est une affirmation de ce genre, c'est que nous parlons de données sur de grands groupes. Il peut donc y avoir des individus pour qui ce n'est pas vrai. Je faisais référence aux résultats d'une étude pilote internationale sur la schizophrénie qui a débuté il y a longtemps, dans les années 60, et c'est la seule portant sur les résultats à long terme.
En revanche, ce n'est pas du pessimisme mais simplement un avertissement dans le sens où, en moyenne, on perd une année ou deux à chercher et trouver un traitement puis, si l'on ne trouve pas le meilleur traitement dans les premières années, la situation se détériore. Je parle ici de détérioration neurobiologique, cognitive et sociale dans les trois à cinq premières années.
Je voulais donc parler de cette période qui n'est pas très longue si l'on veut obtenir le meilleur résultat possible.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avec les nouveaux médicaments, et dites-nous franchement ce que vous savez, pensez-vous qu'un trouble qui aurait pu devenir chronique en un an ou deux peut maintenant être amélioré, ou est-ce que le résultat sera quand même moins bon que ce qu'il aurait été si la gestion avait été meilleure la première année ?
M. Malla : Avec les nouveaux médicaments, l'amélioration du résultat n'est que marginale, en tout cas pour ce qui est de la schizophrénie et des troubles psychotiques. Ceci s’explique en partie parce que le médicament ne peut pas tout faire. D'autres interventions sont nécessaires, même avec les patients qui prennent régulièrement leurs médicaments.
Par exemple, le plus gros problème sur le plan clinique, et je peux vous le dire en tant que clinicien, c’est de s’assurer que les jeunes prennent régulièrement leurs médicaments.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oh, je le sais bien.
M. Malla : Ce n’est pas seulement une question d'effets secondaires. C'est un problème interne au jeune homme : pourquoi un jeune de 19 ans qui va bien cesse-t-il de prendre ses médicaments ? Si vous voyez ça du point de vue de la santé — je n’ai pas besoin de ça — c’est tout un art de le convaincre.
Certes, les nouveaux médicaments ont amélioré les résultats mais les données semblent indiquer que l'amélioration est relativement marginale et, tant qu'il n’y a pas tous les autres systèmes de soutien avec l'intervention familiale, les compétences, la formation, etc., ils n'auront pas d'impact énorme.
Le président : Je vous remercie tous et toutes d’être venus aujourd'hui. Vous nous avez beaucoup apporté.
Sénateurs, nous avons un dernier groupe de témoins composé de deux membres de la magistrature ontarienne. J'avais d'abord l'intention de faire appel au juge Carruthers, qui a fait des déclarations très directes à ce sujet dans un journal, il y a probablement six ou sept mois. Quand nous préparions ses audiences, je pensais qu'il serait idéal de recueillir l'opinion de membres de la magistrature étant donné que nous avons essentiellement parlé de l'aspect judiciaire, aujourd'hui.
Nous avons eu témoignage extraordinaire de représentants de la police de diverses régions, ce matin, ainsi qu'un exposé de la Société Elizabeth Fry et d’autres personnes qui s'occupent des détenus après leur mise en liberté.
Le juge Carruthers a suggéré que nous faisions appel au juge Schneider.
Nous aimerions savoir ce que vous pouvez nous dire au sujet d'une question qui nous préoccupe tous, c'est-à-dire que la désinstitutionnalisation semble avoir eu pour effet que les prisons du système de santé mentale sont un peu devenues les asiles du XXIe siècle. C’est un triste commentaire sur la société canadienne — nous sommes en tout cas quelques-uns à le penser. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord et, deuxièmement, ce que l'on pourrait faire pour renverser cette tendance et réduire le taux de récidive. Pour les gens qui souffrent de maladies mentales, il semble que les prisons soient équipées de portes tournantes. Ils y entrent comme criminels, ils n'obtiennent pas de traitement, ils y restent un certain temps puis ils en sortent dans un état qui n'est pas meilleur que quand ils sont entrés, et qui est parfois bien pire, avant de revenir plus tard. Pour l'ensemble de la société, c'est manifestement le système le plus improductif que l'on puisse imaginer, et c’est en quelque sorte ce que le juge Carruthers a dit il y a quelque temps, et c’est qui m'a incité à vous inviter tous les deux à comparaître.
Permettez-moi de dire que je suis ravi de vous accueillir. Je vous ai offert la possibilité de témoigner à huis clos mais vous avez dit que vous étiez prêts à témoigner en public, ce qui est magnifique.
Finalement, je ne peux résister au plaisir de vous dire que vous êtes sans doute devant le seul groupe de politiciens où il n'y a aucun avocat. Nous avons deux médecins, deux enseignants, une infirmière, deux travailleurs en santé communautaire et un vieux professeur, moi-même, mais pas d'avocat.
Nous allons commencer avec vous, monsieur le juge Carruthers. Vous avez la parole.
L’honorable Douglas Carruthers, juge, témoignage à titre personnel : J'ai pensé qu'il ne pouvait pas y avoir d'avocat dans votre groupe quand j'ai lu les documents que vous avez préparés et que j'ai constaté leur lucidité et leur brièveté; il ne fait aucun doute que — permettez-moi de faire une parenthèse. Quand je suis venu à Ottawa la première fois pour m'adresser au CRTC, il y avait là un certain Pierre Juneau qui m’a tout de suite impressionné en me disant qu'il ne voulait pas que je tienne l'audience comme s'il s'agissait d’un tribunal. J'ai essayé.
Je suis président de la Commission d’examen de l’Ontario. Il y a une commission dans chaque province et territoire, relevant du Code Criminel du Canada. Ces commissions se penchent uniquement sur les cas de personnes accusées d'avoir commis un acte criminel et que l'on juge inaptes à subir un procès à cause d'un trouble mental, ou qui sont passées devant un tribunal qui a conclu qu'elle pouvait pas être tenues criminellement responsables à cause d'un trouble mental.
Nous n'avons rien à voir avec les détenus de la population carcérale générale qui peuvent souffrir d'un trouble mental. Dans une certaine mesure, Richard a plus le contact avec eux que moi, qui suis juge siégeant. Comme juge de la Cour suprême de l'Ontario depuis 20 ans, il m’est arrivé de voir des personnes qui ont été trouvées non coupables pour raison d’aliénation mentale, comme on disait à l'époque, mais, de manière générale, nous n'avons plus à connaître, et c'est heureux je pense, des crimes de rue qui représentent une si grande partie de l'activité criminelle traitée devant nos tribunaux.
Le critère, dans tous les cas, est de savoir si l'on peut dire que l'individu qui est devant nous pose une menace grave pour la collectivité; si on ne le peut pas, il est libre de partir — et, comme il n’a été condamné pour aucun crime, il reste en dehors du champ d'application de la justice, il est libre. Nous laissons partir ainsi environ 120 personnes par an. Personne n'a tenu de statistiques officielles sur notre taux de récidive, à ma connaissance, et s’il y en avait, je les connaîtrais, mais Richard et moi avons essayé de calculer combien de personnes nous avons laissé au cours des années retourner dans la collectivité, en toute liberté ou à certaines conditions, et qui ont commis une nouvelle infraction — je pense que nous en sommes encore à un peu moins de 1 %, n'est-ce pas, Richard ?
Dans un rapport récent, les docteurs Hucker et Webster ont conclu que, pour des raisons qu'ils ne pouvaient indiquer, les gens qui sont passés dans notre système semblent avoir plus de respect pour ce que nous leur disons que les gens qui sont dans le système de libération conditionnelle. Je vous dis ça simplement parce que c'est ce qui est dit dans le livre. Je ne sais aucunement pourquoi nous avons un taux de récidive aussi bas.
Je peux vous dire qu'il y a à Penetang un groupe de psychologues qui font la promotion d'un outil de mesure du risque et de la récidive qui contesteront probablement le chiffre que je viens de vous donner mais, pour tirer leurs conclusions, ils tiennent compte de chaque petite tape sur la main et de chaque soupir qu'un patient peut pousser lors de son traitement à l'hôpital. Nous, nous envisageons la récidive du point de vue des actes réels et non pas de choses qui pourraient être considérées comme un comportement impopulaire.
Quelqu'un a demandé à M. Malla comment une personne peut obtenir le meilleur traitement possible en s'adressant aux personnes les mieux informées, et je pense que ce que Richard et moi-même pouvons répondre, c'est qu'il faut d'abord avoir commis un crime. C'est regrettable, certes, mais les gens qui passent devant nous obtiennent probablement le meilleur traitement possible — ce qui est sans doute paradoxal : il faut qu'ils aient commis un acte criminel et qu'ils aient été jugés non criminellement responsables ou inaptes à cause d'un trouble mental.
Le président : J'ai rarement entendu une critique aussi puissante du système que cette seule phrase.
Juge Schneider.
L’honorable Richard Schneider, juge, témoignage à titre personnel : Je vous ai distribué la transcription d'un exposé qui a été fait il y a six ans au Queens' College de Cambridge, en Angleterre. Il s’agissait d'une communication de l'Institut canadien d'études juridiques supérieures dont le titre était — j'étais l'un des participants et je sais que vous n'avez pas eu l'occasion de lire le texte — « The Criminal Code of Canada : Mental Health Act of Last Resort ».
Le président : Comme il n'y a plus de loi fédérale sur la santé mentale, c'est devenu aujourd'hui la loi sur la santé mentale de première instance, n'est-ce pas ?
Le juge Carruthers : Il y a des lois sur la santé mentale dans les provinces.
Le président : Oui, mais pas de loi fédérale.
Le juge Carruthers : Non, mais le Code criminel, qui est une loi fédérale, est la loi sur la santé mentale de dernière instance.
Pour savoir comment les choses se passent en réalité au palier provincial ou territorial, il faut savoir que les deux lois sont en vigueur en même temps, et je peux vous dire — quelqu'un a dit tout à l'heure qu'il fallait faire quelque chose d’extrême pour obtenir de l'aide. Je ne sais pas exactement à quoi il faisait allusion, car je suis arrivé en retard, mais il avait raison. Comme le disait Doug, tout le monde sait que, malheureusement, la carte en or pour obtenir des soins en santé mentale au Canada, c’est une accusation pénale ou une inculpation. C'est comme ça qu'on obtient les soins psychiatriques dont on a besoin.
Ayant été criminaliste avant d'être nommé à la magistrature, j'ai vu des douzaines de cas. Mon cabinet se consacrait surtout à la défense des patients psychiatriques qui avaient des problèmes avec la justice pénale. Quand un adolescent se faisait arrêter par la police, la famille était folle de joie parce qu'elle savait qu'il allait maintenant obtenir une évaluation qu’il lui était impossible d'obtenir dans le système civil, un rapport complet. Si les choses allaient vraiment, vraiment bien, il serait jugé inapte à subir son procès à la fin de l'évaluation et de l'audience subséquente et le tribunal ordonnerait qu'il obtienne un traitement obligatoire pouvant durer 60 jours.
Comme vous le savez, il y a un processus sur le plan civil, en tout cas en Ontario, et je suppose qu'il existe aussi dans les autres provinces et territoires, pour obtenir un traitement involontaire mais c'est un labyrinthe très difficile à négocier, avec toutes sortes de droits d’appel, et les décisions sont très difficiles à faire appliquer.
Si vous avez un être cher qui a beaucoup de chance, à la fin de l'ordonnance de traitement et une fois qu'il aura été jugé apte à subir son procès, il sera jugé non criminellement responsable et sera confié à la Commission d'examen de l'Ontario ou de la province, laquelle devra s'en occuper indéfiniment et veiller à ce qu'il obtienne un logement adéquat, des soins médicaux, des vêtements, des médicaments et toutes les choses dont vous avez parlé au sujet de la porte tournante qu'il faut fermer.
Je peux vous dire — je ne sais pas si vous voulez que je continue ou si vous préférez que je réponde aux questions...
Le président : Continuez, je vous en prie, c'est tout à fait incroyable.
Le juge Carruthers : J'aimerais ajouter que Richard était psychologue clinicien avant de devenir avocat. Il a une double expérience.
Le juge Schneider : On a créé une Cour de la santé mentale au centre-ville de Toronto. Elle existe maintenant depuis mai 1998 et son rôle est de s'occuper exclusivement des personnes souffrant de troubles mentaux et faisant l'objet d'allégations pénales. En réalité, elle a un double mandat : expédier les questions préliminaires au procès, pour une évaluation de l'aptitude et du traitement, et ensuite, à la conclusion de l'affaire, ralentir la porte tournante dont vous parliez. Ce que l'on constate, c'est qu'il y a des gens qui reviennent continuellement devant les tribunaux, sans aucune amélioration. La raison en est, ou en était au moins à Toronto avant la création de la Cour de la santé mentale, que les gens étaient jetés à la rue avec un uniforme orange sans aucune identification, sans carte OHIP, sans assistance sociale, sans logement, sans rendez-vous chez le médecin et sans billet d'autobus. Il n’était pas étonnant qu'ils reviennent très rapidement devant la Cour.
L'une des autres fonctions principales de la Cour est d'équiper les gens qui sortent du système de justice pénale d'une trousse de survie élémentaire pour réduire le risque qu’ils reviennent devant la Cour. On s'efforce ainsi de les aider à réintégrer le système civil dont ils étaient sortis.
Je peux vous dire qu'il y a actuellement un nombre sans précédent de personnes souffrant de troubles mentaux qui franchissent les portes des palais de justice du Canada, essentiellement à cause de l’incapacité des systèmes civils à s'en occuper adéquatement. Ce sont ainsi les tribunaux qui se retrouvent pris avec le problème. Donc, le Code criminel est notre Loi sur la santé mentale du Canada de dernière instance.
Le juge Carruthers : J'aimerais ajouter quelque chose à ce que Richard vient de dire. La Cour de la santé mentale de Toronto est en réalité sa création à lui et je crois pouvoir dire que c'est la seule au monde. On était censé en créer deux autres en Ontario mais elles ne l'ont pas été.
Nous nous étions réunis le 23 août de l'année précédant sa création pour en discuter avec certaines personnes et, le 14 mai suivant, elle entrait en activité. C'est un record absolu et c'est uniquement grâce à lui.
Le président : Voulez-vous faire d'autres remarques ?
Le juge Schneider : Je voulais juste dire que les gens dont nous parlons, dans le système de justice pénale — on peut les appeler des patients judiciaires ou des accusés ayant des troubles mentaux — sont tous, et je dis bien « tous », délibérément, des échecs du système civil de santé mentale. La raison pour laquelle je dis cela est que, quand un nouveau client arrive devant la Cour de la santé mentale, il a invariablement un très gros dossier de troubles mentaux provenant du système civil. Donc, le système civil l'avait — mais l’a laissé partir, soit parce qu'il l'a laissé s'échapper, soit parce que la législation ou les ressources n'ont pas pu s'en occuper et qu'il est passé dans les mailles du filet civil pour être rattrapé un plus tard par le filet judiciaire, et nous le retrouvons devant un tribunal après avoir attiré l'attention de la police, généralement pour une question relativement mineure mais, souvent, majeure, comme avoir poussé quelqu'un d’une plate-forme de métro.
Malheureusement, les cours pénales se retrouvent avec la responsabilité de cette population — et, bien sûr, la police, les criminalistes, les juges et les prisons ne sont pas ce qu'il y a de mieux pour s'en occuper.
Vous avec donc raison de dire, monsieur le président, que les prisons sont en train de devenir de facto les hôpitaux psychiatriques de notre siècle. Il y a actuellement plus de personnes souffrant de troubles mentaux dans les prisons du Canada que dans les hôpitaux de santé mentale, les hôpitaux psychiatriques.
Le président : Pourriez-vous nous résumer le processus ? Si quelqu'un commet un crime et se fait arrêter, à quelle étape du processus décide-t-on qu’il relève de la Cour de la santé mentale et non pas du système judiciaire régulier ?
Le juge Schneider : Il peut entrer dans le système à n'importe quelle étape. En général, la première indication nous est donnée le lendemain de l'arrestation, quand il passe devant le tribunal des cautionnements et que l'on constate qu'il ne va manifestement pas bien. C'est peut-être parce qu'il se comporte de manière étrange, qu'il parle de manière bizarre ou qu’il ne communique pas. Autrement dit, il y a quelque chose qui attire l'attention de l'avocat de service, du juge de paix ou du juge des cautionnements, et on l'envoie devant la Cour de la santé mentale où il sera examiné en audience publique. Si nous concluons qu'il y a clairement un problème — parce que quelqu'un peut fort bien être en difficulté sans avoir de trouble mental — nous l'envoyons devant un psychiatre. Des psychiatres sont affectés à la Cour cinq jours par semaine et ils font des évaluations immédiates.
Le juge Carruthers : L'évaluation se fait sur place, pas à l'hôpital.
Le président : Au palais de justice même ?
Le juge Schneider : Oui, les psychiatres ont des bureaux à côté des tribunaux —
Le juge Carruthers : Le patient n'occupe donc pas un lit d'hôpital pendant 15 ou 20 jours.
Le juge Schneider : Tel est donc le processus. Le patient est identifié au tribunal, en règle générale lors de sa première comparution, puis il est envoyé à la Cour 102. Nous procédons à l'évaluation psychiatrique, nous rendons un jugement sur l'aptitude à subir le procès, nous examinons s'il y a lieu la demande d’ordonnance de traitement présentée par la Couronne, et tout cela constitue la procédure normale. Si l'accusé ne veut pas résoudre le problème à la fin de ce processus en plaidant coupable et qu'il souhaite se défendre, il est alors jugé apte à subir son procès et il est renvoyé devant un tribunal de première instance.
Le président : Donc, vous le renvoyez si vous concluez qu'il est apte à subir son procès ?
Le juge Schneider : C’est ça.
Le président : Et ceci a commencé en 1997 ?
Le juge Schneider : La Cour?
Le président : La Cour de la santé mentale.
Le juge Schneider : Elle a été conçue en 1997 et a ouvert ses portes en mai 1998.
Le président : Cela fait donc sept ans qu’elle existe et, durant cette période, il y a eu un mouvement énorme de désinstitutionnalisation. Le mouvement a débuté avant 1997 mais il s'est beaucoup accéléré à la fin des années 1990 et au début de ce siècle.
Ai-je donc raison de penser que la demande de services de la Cour de la santé mentale a augmenté pendant que l'institutionnalisation diminuait ?
Le juge Schneider : Exactement. La désinstitutionnalisation a été accompagnée d'une foule de promesses brisées. D'abord, on avait dit qu'on économiserait de l'argent en fermant des lits d'hôpitaux et que cet argent serait investi dans des services communautaires de santé mentale, ce qui ne s'est jamais fait. Ensuite, on avait dit que les patients qui étaient traités dans les anciens établissements psychiatriques traditionnels seraient traités adéquatement dans la communauté. Je crois qu'on n'en savait encore vraiment rien au moment où a décidé de désinstitutionnaliser.
C'est donc une combinaison de manque de ressources et d'orientation particulière de la plupart des lois provinciales et territoriales sur la santé mentale qui fait que nous voyons un nombre sans précédent de personnes souffrant de troubles mentaux, de sans-abri, qui déambulent dans les rues de Toronto et qui, malheureusement, créent parfois des problèmes. Il y a 10, 15 ou 20 ans, on ne voyait pas ces gens-là dans la rue.
Le président : Une dernière question sur la procédure, après quoi je donnerai la parole à Mme Pepin. Présentez-moi le même scénario dans le cas d'un adolescent.
Le juge Schneider : S'il s'agit d'un adolescent, il ira devant un autre tribunal. S'il a moins de 18 ans, il ira devant le tribunal de la jeunesse.
Le président : Pensez-vous que le tribunal de la jeunesse est assez qualifié — vous ne voudrez peut-être pas faire de commentaire à ce sujet — ou est aussi qualifié que votre Cour de la santé mentale ?
Le juge Schneider : Non. Il n’y a pas de Cour de la santé mentale pour la jeunesse. Le principal tribunal de la jeunesse du centre-ville de Toronto se trouve au 311 Jarvis Street, et je peux désigner ma Cour comme tribunal de la jeunesse pour lui venir en aide. J'ai le pouvoir de déclarer que ma Cour est un tribunal de la jeunesse si le véritable tribunal de la jeunesse fait face à une situation exceptionnellement difficile.
Toutefois, sur le plan pratique, et essentiellement pour des raisons d’ordre biologique, on ne trouve généralement pas dans cette population les mêmes problèmes psycho judiciaires. Je ne sais pas si vous avez parlé à des experts des troubles mentaux, notamment de la schizophrénie, mais celle-ci s’épanouit généralement à la fin de l'adolescence ou au début de la vingtaine, et la personne ne relève donc plus du tribunal de la jeunesse. Certes, il y a des cas particuliers qui présentent des symptômes de troubles psychotiques avant l'âge de 18 ans mais, de manière générale, cette population a des problèmes de comportement ou des troubles qui ne posent pas les questions d'ordre psycho judiciaire dont nous parlons, c'est-à-dire l'inaptitude à subir son procès et l'absence de responsabilité criminelle. Pour que ces questions se posent, il faut généralement souffrir de psychose en pleine efflorescence.
Le juge Carruthers : Puis-je ajouter quelque chose ? Vous devez savoir que, lorsque le projet de loi C-30 a été adopté et que des modifications ont été apportées à la partie XX.I du Code criminel, ce qui est la base juridique de ce que Richard et moi faisons avec les personnes souffrant de troubles mentaux, on a créé un nouveau dispositif pour remplacer celui qui existait depuis plus de 150 ans, et c'est un très bon dispositif. Il y a plus de 100 articles dans le Code criminel et on y trouve tout ce qui est nécessaire pour faire fonctionner le dispositif.
Ce qui est dommage, à notre avis, c'est qu'on nous demande à la fin de chaque audience de trouver la solution la moins onéreuse et la moins restrictive pour l'accusé. Voilà l'orientation fondamentale. Ainsi, quand une personne qui est en prison vient devant nous en première instance, la solution la moins onéreuse et la moins restrictive dans son cas sera peut-être l'unité de sécurité moyenne de North Bay. Mais que ferons-nous, après avoir décidé que la solution la moins onéreuse et la moins restrictive est l’unité de North Bay, si nous apprenons qu'elle n'a pas de lit ? Nous ne pouvons pas renvoyer la personne en prison, car nous n'avons pas le pouvoir de le faire, mais elle devra quand même pourrir en prison pendant parfois 9 ou 10 mois avant d'obtenir un lit à North Bay. Voilà l'un des problèmes que vous avez créés, au palier fédéral, en confiant la mise en application de votre grand dispositif à la province.
Le deuxième problème est le manque de connaissances sur les troubles mentaux. C'est un problème omniprésent dans l'appareil judiciaire, sauf en ce qui concerne Richard et moi, et ce n'est pas bon pour la population.
Je m'occupe actuellement d’un jeune homme qui a été condamné pour meurtre en 2002. Il avait commis un meurtre alors qu'il était dans une institution. Il avait été placé en hôpital en 1996. Au moment du meurtre, il avait 17 ans, ou venait juste d'avoir 18 ans, et on l'a envoyé dans l'établissement pénitentiaire à sécurité la plus maximum de tout l'Ontario. Il vient de passer neuf années dans le système, dont six et demie en détention solitaire, et il est encore en prison. Il ne reçoit aucun traitement. Quand vous parlez de fermer les institutions — les gens qui gèrent celle-là veulent se débarrasser de lui. S'il ne peut pas rester à l'hôpital où il est — et, comme l’a dit son avocat, on a construit Penetang pour des gens comme lui — où va-t-il aller ? Je me bats pour qu'il retourne à l'hôpital. Chaque année depuis neuf ans, notre commission a rendu une ordonnance pour qu'il soit détenu dans un hôpital mais les tribunaux se moquent complètement de nous et l'ont mis en prison.
Le sénateur Pépin : Votre Cour est fantastique. Qui paye les services que vous dispensez ?
Le juge Schneider : Au départ, la Cour n'avait aucune ressource, pas d'argent, pas de budget. Elle a été créée grâce au travail d'un de mes collègues, le juge Ormston qui est un juge siégeant. Je ne suis juge que depuis quatre ans.
Le juge Carruthers : C’est un enfant !
Le sénateur Pepin : Absolument.
Le juge Schneider : J'ai travaillé sur le protocole de la Cour quand j'étais avocat, pas juge. Il a d'abord fallu obtenir la coopération du juge en chef et du juge régional principal pour qu'ils nous donnent des locaux au tribunal — ce qui était parfait parce qu'il y avait des cellules à côté du tribunal et que les gens pouvaient donc être isolés de la population générale; de l'autre côté, il y avait des bureaux pour les psychiatres et pour les travailleurs judiciaires en santé mentale, dont je ne vous ai pas encore parlé.
Il y a en effet à la Cour des travailleurs en santé mentale qui sont des travailleurs sociaux aidant les gens à reprendre contact avec le système dont ils sont sortis ou qui ne les pas bien servis.
Le sénateur Pépin : Qui paye ?
Le juge Schneider : Veuillez m'excuser, je parle de tout et de rien. On a réaffecté des ressources existantes — grâce à la coopération de plusieurs partenaires, notamment le Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, qui faisait de toute façon les évaluations, mais dans un contexte hospitalier. Ce sont donc les mêmes personnes qui viennent au tribunal et qui font le même travail, mais sur place au lieu d'attendre que l'accusé leur soit livré et reste dans leur établissement pour être analysé. Nous avons aussi eu des agences qui servaient la même population et qui viennent maintenant sur place.
Il s'agissait ensuite d’obtenir la coopération de l'Aide juridique de l'Ontario pour qu'un certain nombre d'avocats soient affectés à la Cour, et nous avons obtenu un procureur de la Couronne qui nous est réservé. Nous avons aussi obtenu une formation spéciale pour les gardes et les commis. Les choses ont évolué avec les années.
Le juge Carruthers : Ce fut une chose remarquable à voir, le dernier jour, quand toutes les pièces du casse-tête furent mises en place. Il y avait plus de 70 personnes réunies dans une salle de tribunal de la Old Courthouse de Toronto. J'y étais et je me suis demandé comment nous avions réussi à accomplir tant de choses en si peu de temps. N'oubliez pas cependant que 3 ministres sont également intervenus — des Services correctionnels, du Procureur général et de la Santé. La coordination était magnifique. Tout le monde était prêt à agir.
Le sénateur Pépin : Comme on l'a dit, le personnel des établissements pénitentiaires manque de connaissances dans ce domaine. Comme des hôpitaux psychiatriques ont fermé leurs portes, on trouve plus de personnes souffrant de troubles mentaux dans les établissements pénitentiaires. Considérant l'expérience que vous avez acquise avec la création de cette Cour, que pourriez-vous nous dire pour aider les personnes qui sont à l'intérieur ? Comment pouvons-nous nous organiser ? Comment pouvons-nous organiser les choses pour aider ces personnes ?
Le juge Schneider : Tout dépend de l'étape à laquelle vous voulez intervenir. Voulez-vous parler des gens qui sont déjà à l'intérieur ?
Le sénateur Pépin : Oui.
Le juge Schneider : Je ne suis pas un expert du système pénitentiaire mais je pense qu'il s'agit de lui donner des ressources, un meilleur personnel, de meilleures possibilités traitement, dans des situations correspondant à un environnement quasi hospitalier. Toutefois, l'intervention prophylactique la plus efficace ne proviendra pas des prisons ni de la Cour de la santé mentale. Elle proviendra de l’amélioration du système civil de la santé mentale. Si le système civil de santé mentale possède un filet serré et offre des services adéquats à la population, on peut penser qu'il y aura beaucoup moins de patients qui passeront par le tribunal puis devant la Commission d’examen et au pénitencier. Idéalement, c'est dans le système civil de santé mentale que l'investissement peut être le plus productif.
Comme vous l'avez dit, il y a des gens qui sont déjà dans le système. La question est donc de savoir ce qu'on va faire avec eux. C'est la même chose pour la Cour de la santé mentale dans la mesure où il s'agit de préparer leur sortie, de les équiper comme il faut avant la sortie afin qu'il y ait un filet de sécurité pour eux lorsqu'ils retournent dans la communauté et de ne pas simplement les jeter à la rue avec une combinaison orange en espérant qu'ils survivront.
Le sénateur Pépin : Ils nous ont dit qu’ils n’ont aucun service.
Le juge Schneider : Il faut rétablir leur lien avec la communauté si l'on veut qu'ils aient la moindre chance de s'y réinsérer avec succès.
Le président : Juge Schneider, combien de juges y a-t-il à la Cour de la santé mentale?
Le juge Schneider : Le nombre n'est pas fixe. Il y en a quelques-uns qui ont un intérêt spécial, probablement quatre ou cinq qui y travaillent à tour de rôle. J'y suis probablement de 50 p. 100 à 60 p. 100 du temps, et il y a un autre juge, Ted Ormston, qui y est probablement pendant 40 % ou 50 % du temps.
Le président : Le reste de temps, vous vous occupez donc de procès traditionnels en première instance à la Cour suprême ?
Le juge Schneider : Je suis à la Cour de justice de l'Ontario, qui est notre Cour provinciale.
Le président : L'ancienne Cour du banc de la Reine.
Le juge Schneider : Non, c'est notre Cour provinciale, où 98 % des affaires pénales sont entendues. Il y a très peu de causes qui vont en Cour supérieure aujourd'hui.
Le sénateur Callbeck : Je voudrais vous poser quelques questions sur le projet de loi C-10 — que vous connaissez certainement très bien. Il est actuellement en deuxième lecture au Sénat et il passera ensuite devant un comité permanent. Vous serez peut-être appelé à témoigner, je ne sais pas. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, d'un point de vue général, car il donnera beaucoup plus de pouvoirs aux commissions d’examen ainsi qu'à la police. J'aimerais tout d’abord savoir ce que vous pensez des changements concernant les déclarations des victimes, dans le cas d’accusés non criminellement responsables.
Le juge Carruthers : D'abord, nous avons déjà eu le privilège d’y témoigner. L'élargissement des pouvoirs dont vous parlez, au sujet des commissions, concerne les évaluations et il règle un problème important qui existait auparavant avec les personnes qui étaient jugées inaptes à subir leur procès et qui n'avaient aucune chance d'être jamais jugées aptes à le subir. Ces personnes revenaient continuellement devant la Commission, année après année, ce qui n'était pas normal.
Ce projet de loi prévoit un mécanisme qui permettra à la Commission d'examen d’ordonner la mise en liberté de ces personnes si elles ne posent aucune menace sérieuse à la sécurité publique et qu’il n'y a aucune chance réelle de pouvoir les traiter.
En ce qui concerne les déclarations des victimes, je pense qu'une réunion est prévue à ce sujet dans deux semaines avec le ministère de la Justice à Ottawa. Je ne suis pas sûr que cela nous concerne directement. Nous recevons des déclarations de victimes et nous en tenons compte quand elles sont pertinentes. Je dois cependant dire qu’elles portent rarement sur les questions qui nous préoccupent. Néanmoins, nous essayons de les obtenir par le truchement du représentant du Procureur général, qui est partie à la procédure dont nous sommes saisis parce qu'il représente la communauté.
Notre seule préoccupation est que nous ne pensons pas qu'il nous appartienne de solliciter des déclarations des victimes, ni qu'il devrait y en avoir une nouvelle chaque année. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Richard a peut-être quelque chose à ajouter.
Le sénateur Callbeck : Je me demandais simplement si vous aviez vu le projet de loi C-10 et si vous pensez qu'il y a certains pouvoirs que la Commission d'examen devrait détenir.
Le juge Schneider : Comme l’a dit le juge Carruthers, nous sommes allés devant le comité parlementaire avec une liste assez longue d'amendements au Code qui, selon nous, permettraient au système de fonctionner beaucoup mieux et réduiraient le temps que les gens y passent.
Le comité a retenue en partie la possibilité pour les commissions d'examen d’ordonner des évaluations. Les dispositions actuelles sont inutilement restrictives. Je n'ai pas le texte du projet de loi devant moi mais elles sont limitées aux cas où la Commission n'a aucun rapport devant elle et où aucun rapport n'a été préparé depuis 12 mois.
Quoi qu'il en soit, ce que j'aurais recommandé, c'est que la Commission — parce que les tribunaux prennent rarement une décision initiale quand on conclut que la personne est inapte à subir son procès ou qu'elle n'est pas criminellement responsable, et qu’ils s'en remettent alors à la Commission... Laisser la Commission d’examen sans le pouvoir, dans l'esprit de Winko, d’ordonner une évaluation serait tout à fait contraire au raisonnement de la Cour suprême.
Il me semble évident que le texte a été rédigé par quelqu'un qui ne comprenait pas comment fonctionne le système. Il y a souvent un rapport qui a été produit dans les 12 derniers mois. La question est savoir s’il porte bien sur les questions au sujet desquelles nous serons appelés à prendre une décision. Et je dis « nous » parce que je suis aussi président suppléant de la Commission d'examen de l'Ontario et de la Commission d’examen du Nunavut. Le rapport joint à la mise en accusation porte normalement sur l’aptitude à subir le procès ou sur la responsabilité criminelle, pas sur le choix de la solution la moins onéreuse et la moins restrictive, ce qui est précisément ce que doit décider la Commission.
En ce qui concerne les inaptes, le fait que quelqu'un les ait examinés et ait donné un avis au cours des 12 derniers mois sur leur inaptitude n’est pas pertinent parce que l’inaptitude est une chose qui fluctue avec l'état clinique du patient. Elle peut changer de jour en jour, d’heure en heure. Donc, limiter le pouvoir de la Commission d’ordonner une évaluation comme on le fait dans le projet de loi est inutilement restrictif. Je pense qu'il aurait suffi de modifier légèrement le texte de l'article 672.11 en ajoutant « ou commission d’examen » après le mot « cour ». C'était la solution la plus simple.
Le plus gros problème du projet de loi, à part la possibilité d’ordonner des évaluations, concerne la possibilité pour la Commission de traiter l’accusé comme une personne inapte. Nous faisons cela de manière très agressive à la Cour de la santé mentale parce que nous avons des praticiens qui connaissent très bien la législation et qui savent comment l'appliquer mais, si vous sortez de ce petit domaine, vous constaterez que les ordonnances de traitement ne proviennent généralement pas du tribunal, ce qui signifie que l’accusé est jugé inapte par la Commission d’examen provinciale ou territoriale et qu’il reste sous sa juridiction jusqu’à ce qu'il devienne apte à subir son procès. Si la Commission n'a pas la possibilité d’ordonner un traitement, comme le tribunal peut le faire en vertu de l'article 672.58, cela signifie que la province ou le territoire où réside l'accusé dépend de la législation civile locale pour pouvoir le faire traiter. Donc, vous avez une personne inapte qui restera dans le système 3, 4 ou 5 fois plus longtemps que si la Commission avait le pouvoir d'ordonner qu'elle soit traitée pendant une période pouvant atteindre 60 jours comme les tribunaux peuvent le faire en vertu de .58. Si la Commission — qui, comme vous le savez, est composée d'experts — avait les mêmes pouvoirs que les tribunaux en vertu de .58, vous constateriez que les personnes inaptes resteraient beaucoup moins longtemps dans le système. Nous recommandons vigoureusement cette solution mais elle a à peine été prise en considération.
L'autre problème majeur du projet de loi C-10, je crois, est que l'on pas modifié la définition de l'inaptitude à subir le procès de façon à y inclure la période allant jusqu'à la fin du processus sentenciel. Je pense que l'on a conservé la définition qui dit que c’est jusqu'à la fin du verdict, ce qui laisse un vide juridique dans les cas où l'accusé devient inapte après le verdict mais avant la sentence.
Dans l'arrêt Balliram de la Cour supérieur de l'Ontario, le juge McWatt a interprété l'article 2 en élargissant la définition de l'inaptitude à subir le procès. Nous avions espéré que le législateur s'en inspire mais il ne l'a pas fait.
Le juge Carruthers : En pratique, il arrive souvent qu’une personne ait décompensé après le verdict, par exemple en attendant une demande de déclaration de délinquant dangereux. Vous êtes alors coincé car la personne est inapte à recevoir une sentence mais elle a été condamnée, et il est complètement absurde de ne pas étendre la définition, comme le propose Richard, de « verdict » à « sentence », ce qui réglerait tout le problème.
Le sénateur Keon : Je suis médecin et je dois admettre que je ne comprends pas bien tout ce processus. Je vous félicite cependant pour ce que vous essayez de faire.
Ça doit être terrible pour une personne souffrant de trouble mental, surtout si elle est jeune, d'être impliquée dans le système de justice pénale. Si elle est condamnée, c’est presque une situation de fin de vie. Comme vous le savez, ces personnes ne peuvent pas faire d'études universitaires. Leurs possibilités d'emploi sont incroyablement limitées et leur vie est pratiquement ruinée. Pour un jeune, c'est une catastrophe.
Le juge Carruthers : Puis-je vous interrompre un instant ?
Le sénateur Keon : Oui.
Le juge Carruthers : Vous avez peut-être raison à certains égards mais j’aimerais attirer votre attention sur quelque chose. Vous vous souvenez probablement tous du jeune homme qui a tiré avec une arme à feu sur un journaliste de la télévision, ici même, à Ottawa, et qui l’a tué.
Le président : C’était Brian Smith.
Le juge Carruthers : Le jeune homme s’appelait Jeffrey Arenburg et il est encore dans notre système. Pendant cinq ans, il a fait la navette entre la Nouvelle-Écosse et l’Ontario en implorant qu’on fasse quelque chose pour lui. Il croyait que la télévision contrôlait ses pensées, ce dont il souffrait. Tout le monde l'a rejeté. Il n’a jamais reçu aucun traitement. Les tribunaux l'ont rejeté. Les hôpitaux l'ont laissé partir. S’il pouvait passer devant un juge, pensait-il, il pourrait expliquer sa situation et tout irait bien. Il a donc pris son arme à feu et s’est rendu sur le terrain de stationnement de CJOH-TV à Ottawa en attendant que quelqu'un sorte de l'immeuble. C’est Brian Smith, qu’Arenburg ne connaissait pas, qui est sorti, Arenburg a tiré deux fois sur lui et une balle a traversé le crâne de Brian Smith qui est mort.
Songez à cet exemple. Jeffrey Arenburg travaille et vit maintenant dans la communauté parce qu'il a été traité. On a fait un travail extraordinaire avec lui. Au bout de trois mois, il reconnaissait sa faute, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Donc, pour répondre à votre préoccupation, il y a beaucoup de gens comme lui qui retournent dans la communauté. Il voulait retourner en Nouvelle-Écosse pour être avec sa famille. Le procureur général de l'Ontario a donné son accord, la commission psychiatrique de la Nouvelle-Écosse a donné son accord, notre commission d’examen a dit qu'il devrait retourner en Nouvelle-Écosse, mais le procureur général de la Nouvelle-Écosse a refusé et tout s’est arrêté pour lui.
Le sénateur Keon : Je comprends bien.
Le juge Carruthers : Il est maintenant dans la région de Toronto. Ce n'est pas le seul exemple mais il me semble pertinent.
Le sénateur Keon : Par contre, si vous êtes le père ou la mère de ce jeune homme, vous devez reconnaître que ce n'est pas un succès remarquable. Il a tué l'un de mes bons amis et il se retrouve maintenant dans la communauté. Je lui souhaite bonne chance mais il est certainement évident que le système a lamentablement échoué dans son cas.
Le juge Carruthers : C’est exactement ce que Richard vient de vous dire : le système civil a échoué. Si le système civil n'avait pas échoué, il ne serait pas devenu notre client.
Le sénateur Keon : D’accord. J’apprécie beaucoup ce que vous faites, vous et le juge Schneider, mais je suis préoccupé par le nombre de jeunes qui entrent dans le système de justice pénale et qui, selon moi, ne devraient pas y être. On devrait les traiter. Je suppose que vous dites la même chose. On devrait traiter leur maladie mentale et non pas les matraquer une deuxième fois.
Le juge Schneider : Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est un échec lamentable de notre société qu’on ne soit même pas capable de traiter ces gens-là avant qu'ils ne soient accusés d'avoir commis un acte criminel. Je ne saurais être plus d'accord avec vous.
Je crois que ce que vous dit le juge Carruthers, c’est que, malgré les échecs — qui ne sont certainement pas une bonne chose, comme vous le dites — beaucoup de ces gens sont quand même capables de s'en sortir. On devrait cependant être en mesure de s'en occuper beaucoup plus tôt. Ils ne devraient jamais franchir la porte de notre tribunal. Ils devraient être rattrapés par le système civil de santé mentale et y rester. Les tribunaux sont des mécanismes extrêmement brutaux. Nous pouvons être brutalement efficaces parce que nous pouvons rendre des ordonnances que les gens sont obligés de respecter mais les choses ne devraient jamais aller aussi loin.
Dans un monde idéal, nous pourrions fermer les portes de la Cour de la santé mentale demain matin parce que le système civil réussit à s'occuper de ces gens comme il faut. Autrefois, il y a 15, 20 ou 25 ans, il était anormal que les personnes souffrant de troubles mentaux passent en justice mais, aujourd'hui, on en voit un nombre sans précédent.
Le sénateur Keon : Je répète que je tiens à vous féliciter pour ce que vous faites. Je vous admire beaucoup mais ce que j'attends de notre comité, c’est qu'il arrive à empêcher que ces personnes — surtout les jeunes — entrent dans le système de justice pénale. Il est vrai que les personnes plus âgées peuvent retourner dans la communauté et y fonctionner assez bien. Nous avons entendu hier quelqu'un qui semble bien fonctionner dans la communauté mais, quand il s'agit d'un jeune, tellement de portes lui sont fermées que cela doit être en soi un facteur considérable de dépression.
Le juge Schneider : Exact. L’une des choses que nous envisageons actuellement — nous essayons d’obtenir des crédits des gouvernements provincial et fédéral pour mettre cela en place à Toronto — serait un système de déjudiciarisation avant l'arrestation. Autrement dit, quand la police répond à un appel d'urgence ou à un incident dans la rue, elle aurait accès à un plus grand nombre de choix.
À l'heure actuelle, quand un agent arrive sur le lieu du conflit, il peut séparer les parties et les renvoyer, il peut arrêter les parties en vertu de la Loi sur la santé mentale ou les envoyer vers un service d'urgence psychiatrique de l’Annexe 1, ou il peut porter une misérable accusation en vertu du Code criminel.
L'idéal serait d'emmener l'individu à l'hôpital et d’exploiter la solution médicale. Nous avons désincité — je crois que c'est un mot — la police à ce sujet.
Voici ce qui se passe. Les agents arrivent sur le lieu du conflit ou répondent à un appel d'urgence. Ils arrêtent Johnny, qui est incontrôlable, et l’emmènent au service psychiatrique d’urgence. Ils attendent — il faudra deux agents, un de chaque côté de l'accusé potentiel. Ils attendent à l'urgence que le résident en psychiatrie arrive. Généralement, celui-ci examinera l'individu pendant cinq minutes, déterminera s’il répond ou non aux critères de la Loi sur la santé mentale, et l'individu pourra repartir. Voilà ce qui va arriver après que la police ait investi, je n'exagère pas, plusieurs heures dans ce processus.
Le juge Carruthers : Comme le disait Richard, autrefois, ils arrivaient à la beignerie avant les agents de police.
Le juge Schneider : Maintenant, quand la police arrive sur les lieux, ce n'est pas une question d’ignorance ou de mauvaise appréciation des options, c’est simplement qu'elle n'a plus le temps.
Ce qu'il faut faire, c’est créer un système qui donnera à la police plus de possibilité de faire des choix dans le cadre de la Loi sur la santé mentale, ou de ce qui en tient lieu aujourd'hui. Ce qu'il faut, c’est créer un service où la police pourra déposer l'individu qui, selon elle, souffre de problèmes psychiatriques. Une fois arrivé là, l'individu passera d’office sous la responsabilité du service, et ce ne sera pas un choix, ce sera obligatoire. Évidemment, ce service serait ouvert 24 heures sur 24 et aurait l'obligation, dans un délai de 24 heures par exemple, de prendre une décision au sujet de l'individu, c'est-à-dire de le renvoyer à l'hôpital, ou de le placer en désintoxication, ou de l’amener à un hôpital. Ce service serait chargé de s'occuper de l'individu, de réinciter la police à prendre des décisions car, chaque fois qu'elle fait ça, c'est un individu de moins qui arrive le lendemain matin devant ma Cour de la santé mentale ou un individu de moins qui fait l'objet d'une nouvelle série d'accusations pénales, lesquelles entraînent évidemment une énorme stigmatisation pouvant avoir des répercussions durant toute la vie.
Nous devons donc faire en sorte que les cas soient traités plus en amont, en identifiant les individus ayant des problèmes, et nous assurer que le système civil de santé mentale joue son rôle immédiatement. Ce n'est pas le cas actuellement.
Le sénateur Keon : Notre comité est déterminé à faire quelque chose à ce sujet. Je sais que le président et nous tous y sommes déterminés. C’est également le cas de la police, qui était représentée ici ce matin, et je sais que c'est aussi votre cas. Le problème semble être que les lacunes du système sont trop grosses et que personne ne sait plus vraiment comment les combler.
Le juge Carruthers : Ce n'est pas une priorité très élevée pour qui que ce soit — et je dis ceci sans vouloir offenser les personnes qui peuvent vraiment y faire quelque chose. C'est vraiment loin dans la liste des priorités.
Le juge Schneider : Il y a des lacunes, vous avez raison. Il faudrait un système parfaitement efficace dans toute la région de Toronto, avec des transferts efficaces d'information, ce qui exige de l'argent. Je peux cependant vous garantir qu’un tel système permettrait de réaliser des économies considérables au palier provincial car ça coûte très cher de s'occuper du même individu problématique en le renvoyant continuellement devant un tribunal. C'est le recours aux tribunaux qui coûte le plus cher, et de loin.
Le sénateur Keon : Je vous remercie tous les deux et je vous demande — puisque vous avez énormément d'influence — de diffuser continuellement le message chaque fois que vous en aurez l'occasion, comme nous le ferons, ce qui nous permettra peut-être d’accomplir quelque chose ensemble.
Le sénateur Trenholme Counsell : Après avoir lu des rapports à ce sujet, j'ai l'impression que nous allons devoir nous en remettre à l'intérêt, au dévouement et à la bonne volonté des gouvernements provinciaux.
La Saskatchewan est mise en exergue dans ce rapport et c’est peut-être le meilleur exemple disponible de ce qu'on peut accomplir avec des ordonnances de traitement communautaire. Est-ce que je me trompe ?
Le juge Schneider : Le rapport a été produit en 1990, juste au moment où nous envisagions une législation similaire en Ontario. On a constaté que les ordonnances de traitement communautaire, qui semblaient très bien, n'ont pas beaucoup changé les choses. En théorie, c’est un instrument qui offrait un potentiel considérable pour que les gens ne soient pas hospitalisés mais, en réalité, les résultats n'ont pas été à la hauteur de ce qu'on espérait.
Le juge Carruthers : Tout d'abord, ce n'est pas une ordonnance. C’est un document consensuel et les gens ne donnent pas leur consentement. Vous ne pouvez pas ordonner à quelqu'un d'aller à l'hôpital. Quelqu'un m'a demandé quel effet cela avait pu avoir sur le fonctionnement de notre Commission et j’ai dit que nous les avons complètement oubliées, nous n'en entendons plus parler — voilà leur efficacité.
Vous n'en avez pas vu beaucoup, Richard ?
Le juge Schneider : Non.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ai-je donc raison de dire que tout relève en fin de compte des provinces ? Notre comité bien faire tout son possible mais c'est quand même une responsabilité provinciale, n'est-ce pas ?
Le juge Schneider : Ils y a des choses que nous pouvons faire pour rendre le système de justice pénale plus efficace — comme les petites modifications dont nous avons parlé au sujet du projet de loi C-10. Par contre, si vous voulez que les gens n’entrent pas dans le système de justice pénale, il va falloir que les provinces et les territoires améliorent leur système civil de santé mentale. Je ne sais si le gouvernement fédéral peut les y aider en leur accordant une aide financière mais c'est incontestablement une question de législation provinciale.
Le juge Carruthers : Quand nous avons créé la Cour, il nous manquait 28 000 $ pour nous assurer d’avoir suffisamment de travailleurs sociaux, et le ministère de la Santé a dit : « Non, nous ne payons plus ». Je crois qu'il nous manquait 28 000 $. Heureusement, les autres ministères ont été tellement embarrassés qu'ils ont mis de l'argent dans la caisse, mais le ministère de la Santé n'a toujours rien payé. On nous a facturé 34 000 $ pour créer un système.
Le juge Schneider : Il y a 2 000 à 3 000 personnes qui passent devant Cour chaque année.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez parlé du procès de Andrew Goldstein et des commentaires du juge. Voici ce que j'ai lu : « Je n'ai absolument aucun doute que les gens se pencheront un jour sur la manière dont nous avons traité la maladie mentale — nous serons peut-être tout disparus ce jour-là — et seront absolument effarés ».
Le juge Carruthers : C’est un juge de New York.
Le président : D'après vous, pourquoi l'expérience de la Cour de la santé mentale n'a pas été reproduite ailleurs au Canada ?
Le juge Schneider : Il y a plusieurs raisons à ça. Premièrement, pour réaffecter les ressources que nous avons au centre-ville de Toronto, il faut pouvoir faire des économies d'échelle et avoir une masse critique. Autrement dit, il faut un certain volume pour justifier qu'un psychiatre soit présent au tribunal chaque jour de la semaine.
Le président : Je suppose que ce volume existe à Winnipeg, à Vancouver, à Montréal et probablement à Calgary.
Le juge Schneider : Je suis allé en Alberta il y a quatre ou cinq ans — on parlait d'un projet pilote à Calgary ou à Edmonton mais je ne pense pas qu'il ait jamais vu le jour.
Je sais qu'on parle d'un projet pilote à Vancouver et à Ottawa. Il y en a un au Nouveau-Brunswick. Il faut faire attention car il y a un certain nombre de paradigmes différents qui partagent le même nom « Cour de la santé mentale ». Si vous lisez les études et que vous voyez celles qui viennent des États-Unis, vous verrez qu'il y a là-bas des centaines d'exemples mais qu'il s'agit de modèles complètement différents, avec des mandats complètement différents. Ils sont tous basés sur le système américain de justice dans les affaires de drogue, et leur rôle consiste seulement à offrir une solution de remplacement des sentences traditionnelles. C’est volontaire. Les deux questions psycho judiciaires fondamentales qui nous préoccupent, l'aptitude à subir son procès et la responsabilité criminelle, sont tenues pour acquises. On considère que ces deux éléments sont présents pour envisager un plaidoyer de culpabilité. C'est donc complètement différent. Le système du Nouveau-Brunswick s’inspire du modèle américain. Ce n’est pas du tout ce que nous faisons ici.
Donc, pour répondre à votre question, il est vrai qu'il y a probablement dans les grands centres urbains du Canada une population suffisante pour justifier une telle Cour.
Le président : Quel a été le plus gros obstacle que vous ayez eu à surmonter ? Cela nous dira, à ceux d'entre nous qui ont été des bureaucrates, où se trouvent les points de résistance.
Le juge Schneider : Obtenir que les ministères et services isolés acceptent de coopérer. Il y a de toute façon dès le départ une résistance naturelle au changement, qu'il soit bon ou mauvais. Il y a une inertie considérable dans le système et on peut trouver des millions de raisons pour dire qu’un autre système ne sera pas meilleur. Il y aura une résistance simplement parce que c'est un changement.
En outre, si vous avez 10 personnes autour d'une table, certaines auront un budget en augmentation et d'autres, en diminution. Il faut donc réussir à convaincre les personnes dont les budgets augmentent que le résultat net du changement sera une économie. Pour faire marcher quelque chose comme ça — car, en Ontario en tout cas, chaque dollar dépensé dans la province provient du budget d'un ministère, sauf dans le cas du bureau du médiateur. Il faut donc trouver quelqu'un qui a un pouvoir omni ministériel de prendre l'argent dans les poches des ministères et de le dépenser là où il est convaincu qu'il pourra faire des économies, même si certains budgets augmentent et d'autres diminuent. Si vous avez quelqu'un qui possède un tel pouvoir, ça peut peut-être marcher.
Le président : Dans votre cas, je suppose que le juge en chef vous a donné un appui crucial.
Le juge Schneider : Vous avez raison. Son appui a été crucial au début et des budgets spécifiques ont maintenant été établis, depuis que la Cour a été créée et a élargi ses fonctions. Quand nous avons commencé, nous n'avions besoin que de 28 000 $.
Le juge Carruthers : Nous avons fait des miracles en créant cette Cour et je pense que ce qui a beaucoup aidé, c'est que les trois ministères concernés ont pu voir qu'ils allaient en tirer beaucoup d'avantages politiques sans que ça leur coûte très cher. Quand ils ont compris ça, ils ont adhéré et ça nous a beaucoup aidés. Avant ça, cependant, nous dépendions de gens qui n'avaient pas vraiment le pouvoir de déclencher le processus.
Le président : Il a donc fallu beaucoup de volonté politique pour y arriver.
Le sénateur Pepin : Nous savons qu'il y a dans les autres pays des minorités visibles qui vivent avec de sérieux problèmes de santé mentale. Nous savons que, dans certains cas, un membre d'un groupe minoritaire aura six fois plus de risque d'être détenu en vertu de la loi sur la santé mentale.
Comme l'Ontario est une province où il y a beaucoup de membres des minorités visibles, ce problème y existe-t-il ? Pensez-vous que cette situation se soit répétée ici ou non ?
Le juge Carruthers : À ma connaissance, il n'y a pas dans notre système un nombre excessif de membres des minorités dont vous parlez. Richard et moi travaillons également pour la Commission d'examen du Nunavut, où nous allons souvent. Si vous voulez voir des situations tragiques, allez là-bas. C'est un désastre. Nous voyons des gens qui souffrent du syndrome de l'alcoolisme foetal et de beaucoup d’autres choses semblables. Il s'agit évidemment dans tous les cas de membres des minorités, à quelques exceptions près.
En Ontario, par contre, je ne sache pas que nous ayons un nombre excessif d'autochtones ou de membres des minorités visibles.
Le juge Schneider : Je ne connais pas les chiffres. Je suis sûr qu'ils existent. En ce qui concerne les autochtones, il est certain qu'ils sont surreprésentés dans le système de justice pénale, de manière générale.
Pour ce qui est de la Cour de la santé mentale, qui est celle que je connais le mieux, ou de la Commission d'examen, je ne pense pas que les minorités y soient surreprésentées du tout mais, je l'admets, je n'ai pas de chiffres pour appuyer cette affirmation.
Le sénateur Pepin : En Ontario, une personne sur quatre est membre d’une minorité visible. Je me demandais s'il y en avait dans votre système.
Le juge Carruthers : Certainement pas en si grande proportion.
Le président : Je vous remercie tous les deux d'être venus témoigner. Ceci nous sera très utile.
Le juge Carruthers : C’était un privilège pour nous.
Le président : Sénateurs, nous arrivons maintenant à la période des témoignages individuels. Je vais demander à chaque personne qui désire témoigner de se présenter. Vous aurez deux minutes pour faire votre exposé. Je vais surveiller l’horaire car nous vous avons déjà pris du retard.
M. Lionel Berger, à titre personnel : J’ai une famille, je suis avocat à la retraite et je suis président d'une organisation de santé mentale. Mon fils a été hospitalisé il y a six ans suite à un épisode maniaco-dépressif.
Je voudrais faire quelques remarques. Tout d'abord, je pense qu'on exagère quand on parle de l'échec du système civil. La raison pour laquelle le système de justice pénale entre parfois en scène est que l'acceptation du traitement par l'individu dépend souvent d'une crise et non pas de la persuasion.
En ce qui concerne la stigmatisation, je vais vous donner le conseil que j'ai reçu au moment de la première hospitalisation : « N'en parlez strictement à personne, sauf si c'est vraiment indispensable ». J'ai maintenant l'occasion de faire des allocutions en public et je peux vous dire que les spécialistes de la santé mentale à qui je parle estiment que c'était un conseil catastrophique. Ce qu'il aurait fallu dire, c'est que c'est une question difficile et que ça dépend de la personne à qui on en parle. L’idée qu’il faut n'en parler à personne sauf si c'est vraiment indispensable — ce genre de conseil ne fait que renforcer la stigmatisation de la santé mentale dans l'esprit des parents.
On peut se poser des questions sur la notion de santé mentale communautaire. Il faut avoir le courage, individuellement, de révéler l'existence d’un problème de santé mentale et avoir le courage, collectivement, de dire que c’est une question qui relève de la communauté.
L'une des choses que j'ai apprises dans une récente série sur la réadaptation à laquelle j'ai assisté, cinq ans et demi après, est qu’il est important de reconnaître que l'individu qui souffre d’un problème de santé mentale est un individu, pas seulement quelqu'un qui a besoin de prendre des médicaments — ce serait trop limité. Il faut adopter une perspective plus large — l'acceptation de l'individu en tant que tel a beaucoup de conséquences.
J'entends toutes sortes de commentaires. L'angoisse des parents et des professionnels de la santé mentale est compréhensible. On cherche des solutions, de la même manière que Job voulait souffrir sans avoir de réponse, voulait seulement qu'on l'écoute. Il faut éviter d'être naïf ou d'exagérer les problèmes simplement parce qu'on cherche des solutions. Parfois, il n'y a pas de solutions simples à des problèmes complexes. Parfois, c'est une crise qui amène quelqu'un à accepter le traitement.
Le président : Merci.
M. Don Weitz, à titre personnel : J'ai combien de temps, sénateur ?
Le président : Deux minutes.
M. Weitz : Vous avez reçu un exemplaire de mon mémoire, intitulé « A wakeup call on electroshock ».
Le président : Oui, il a été distribué.
M. Weitz : Je vais passer tout de suite aux recommandations parce que personne ne m'avait dit combien j'aurais de temps.
Je demande au comité de recommander l'interdiction nationale des électrochocs, ou de ce qu'on appelle l'électroconvulsothérapie, par les psychiatres. En effet, ce soi-disant traitement a provoqué une quasi épidémie de dommages cérébraux, comme la perte de mémoire permanente, depuis son introduction au Canada dans les années 40. Ce soi-disant traitement de la dépression ne traite rien du tout. Il terrorise. Il traumatise. Il y a dans la littérature anglophone au moins 411 cas de morts causées par ce traitement soi-disant sûr, efficace et qui sauve la vie. Je demande donc au comité de recommander au minimum un moratoire en attendant des recherches complémentaires — lesquelles ont d'ailleurs été recommandées par le Board of Health en Ontario en 1984 quand nous avons témoigné mais, malheureusement, le Toronto Board of Health n'a aucun pouvoir.
Ma deuxième recommandation est que l'on adopte une loi ou un règlement obligeant à produire des rapports sur l'électroconvulsothérapie et les électrochocs. À l'heure actuelle, il n'y a aucune loi à ce sujet au palier provincial ou national. C'est totalement facultatif. Les hôpitaux ne sont pas obligés d'envoyer un rapport à une banque de données centrale quand ils infligent des électrochocs ni quand il y a des complications médicales suite à cette procédure controversée.
Ma dernière recommandation est de vous inviter à des audiences publiques sur les médicaments psychiatriques les 2 et 3 avril à la mairie de Toronto, ainsi que la semaine suivante, les 9 et 10 avril, sur les électrochocs. Durant ces audiences, nous aurons un groupe de professionnels de premier ordre qui joueront le rôle d'animateurs. Ce ne seront pas des conférenciers. Les seules personnes qui seront autorisées à prendre la parole et à présenter des témoignages seront des personnes qui prennent actuellement des médicaments psychiatriques ou à qui on en a prescrit, ainsi que des personnes qui ont subi des électrochocs.
J'aurais bien aimé avoir plus de temps.
Le président : Nous lirons la suite de votre mémoire, soyez-en sûr.
Mr. Weitz : Vous avez le dépliant annonçant les audiences ?
Le président : Oui, merci.
Lembi.
Mme Lembi Buchanan : Bon après-midi. Je serai aussi brève que possible. J'ai un exemplaire de mes notes, que l'on peut distribuer.
Les personnes souffrant de trouble mental non seulement font face à de la discrimination au travail, elles ont aussi de grandes difficultés à avoir accès aux programmes de sécurité du revenu quand elles n'ont plus d'emploi. Je parle ici du crédit d'impôt fédéral pour invalidité, de la pension d’invalidité du Canada et aussi des prestations d’assurance-invalidité de longue durée des compagnies d'assurances privées. J'ai dû me battre pour obtenir les prestations auxquelles mon mari, Jim, avait droit. Ça m'a pris 10 ans. Nous allons devoir tout recommencer l'an prochain mais vous vous pourrez lire ce que j'ai préparé à ce sujet.
L'Agence du revenu du Canada nous a obligés à aller en justice pour obtenir le crédit d'impôt fédéral pour invalidité. La cause est passée devant la Cour de l'impôt ainsi que devant la Cour d’appel fédérale parce que l’ARC avait décidé qu'elle voulait une révision judiciaire. La décision de la Cour de l'impôt a été confirmée.
Nous avons dû nous battre pour obtenir l'assurance-invalidité de longue durée — encore une fois, la bataille a été longue contre Prudential.
Je tiens cependant à dire que nous n'aurions jamais imaginé qu'il serait plus difficile de se battre contre le gouvernement que contre une compagnie d'assurances privées.
Jim est une personne très intelligente, active et pleine de ressources. Il souffre de trouble bipolaire, dont le diagnostic a été établi en 1973 quand on l'a découvert en haut de la cathédrale St. Patrick à New York, où nous vivions à l’époque, attendant qu'un hélicoptère vienne pour l'emmener auprès de Dieu. Grâce à une nouvelle drogue merveilleuse, le carbonate de lithium, qui n’est rien de plus que du sel ordinaire, Jim a réussi à guérir. Toutefois, il a perdu son emploi auprès de la compagnie de téléphone de New York...
Le président : Au lieu de nous présenter un long historique, pouvez-vous nous dire ce que vous recommandez ?
Mme Buchanan : Je veux seulement dire qu'il a perdu son emploi à la compagnie de téléphone de New York. En fait, chaque fois qu'il avait un épisode maniaco-dépressif, ce qui lui est arrivé à New York, à Los Angeles et à Toronto, il a perdu son emploi parce qu'on ne comprenait pas sa maladie mentale et que les employeurs n'avaient aucun désir d'intégrer à leur effectif des personnes souffrant de maladie mentale grave.
J'en arrive à mes recommandations. Il faut reconnaître que les personnes souffrant de maladies mentales sont parmi les plus vulnérables de notre société, ce qui nous oblige à veiller à ce qu'elles soient traitées justement, équitablement et avec respect et dignité. Très peu ont des porte-parole. Il est temps d’admettre qu'il y a dans notre société une incompréhension fondamentale de l'effet débilitant des troubles psychiatriques, ce qui signifie qu'il faut améliorer l'éducation au sein du gouvernement — je ne suis pas la première à le dire — ainsi que dans l'industrie privée pour veiller à ce que personne ne fasse pas l'objet de discrimination à cause d'une interprétation erronée des lois ou d'une application inappropriée des règlements déterminant l'admissibilité.
Il est temps de reconnaître aussi que la plupart des personnes souffrant de trouble mental grave sont incapables de défendre leur cause elles-mêmes et de protester contre l’injustice. Il faut donc nommer un médiateur pour les aider à avoir accès aux programmes de sécurité du revenu. Je ne parle ici que des programmes fédéraux, sauf en ce qui concerne l’ILD à laquelle elles ont droit.
Une dernière chose. Mon mari et moi-même sommes en vie aujourd'hui grâce aux services médicaux extraordinaires que nous avons pu obtenir dans la province depuis 1990. Je suis atteinte de cancer terminal. Lui-même est évidemment atteint d'une maladie chronique et il est sujet à des rechutes, mais je ne pense pas qu'il y ait un seul autre pays au monde — nous avons vécu aux États-Unis — avec un système de soins de santé financé par l'État qui aurait pu nous donner les soins que nous avons obtenus ici.
Je suis d'accord avec M. Malla qui a dit que, malgré tous les problèmes que nous avons, et ils sont légion, nous sommes quand même heureux de ce que nous avons.
Le président : Merci beaucoup.
Mme Sandra Schwartz, à titre personnel : Je m'appelle Sandra Schwartz et je suis une consommatrice survivante. Mon principal problème avec la santé mentale est qu’il y a beaucoup de gens qui, comme moi, ont fait l'objet d'un double diagnostic — c'est-à-dire de santé mentale et de difficultés d'apprentissage.
J'ai rencontré beaucoup de problèmes à Toronto, ne serait-ce que pour obtenir un diagnostic. J'ai été diagnostiquée à l'âge adulte, alors que j'avais des problèmes à trouver du travail. J'ai participé à des programmes différents, et j'ai dû passer de l'un à l'autre parce que personne ne comprenait la notion de difficultés d'apprentissage. Je me suis adressée à programme sur les difficultés d'apprentissage et on ne m'a pas acceptée à cause mon problème qui s'était développé dans le cadre d’une crise émotionnelle résultant de ma maladie mentale.
Je participe maintenant à un autre programme à Progress Place mais c’est parce que j'ai la chance qu'il y a là quelqu'un qui comprend les difficultés d'apprentissage car c'est un programme pour les personnes souffrant de maladie mentale. Il devrait y avoir des programmes de soutien à l'emploi et de soutien des compétences sociales spécialement conçus pour les personnes ayant ce double diagnostic.
On peut trouver de l'aide pour les problèmes de développement et de l’aide pour la maladie mentale mais il n'y a rien qui conjugue les deux. La seule bonne chose — il y a eu une période où j'étais sans abri — quand on a une maladie mentale conjuguée à des difficultés d'apprentissage, c’est que j'ai pu obtenir du bien-être social et des prestations d'invalidité à cause de la maladie mentale, pas à cause des difficultés d'apprentissage. Si c'était pour ça, on aurait refusé.
Le président : Sandy, merci de votre témoignage car nous avons entendu d'autres témoins, dans d'autres régions, nous parler des problèmes de double diagnostic.
Mme Julie Haubrich : Je suis une travailleuse de développement communautaire qui travaille actuellement pour une organisation à but non lucratif d'aide au logement à la municipalité de Toronto. Je travaille pour cette organisation depuis cinq ans. J'ai travaillé pendant 13 ans dans le secteur du développement communautaire à la municipalité de Toronto pour des hommes et des femmes sans abri, dont beaucoup souffraient de troubles mentaux.
J'ai beaucoup appris durant ces années en écoutant les gens me parler de leur vie et de leurs difficultés. L'une des premières choses que j'ai apprises, c'est que, quand on commence avec l'étiquette — l'étiquette apposée sur la personne qui est malade — on ne peut pas s'en sortir. Pour que les choses changent, il faut s'intéresser à la personne au complet. Il faut être motivé par l'espoir, l’espoir qu'on a un avenir. Il faut tenir compte de la personne dans son être complet, de ses forces et de ses qualités, en reconnaissant qu'elles ont une valeur.
J'aimerais vous faire faire un petit voyage. Je voudrais que vous vous demandiez ce que serait votre vie — et certains d'entre vous êtes peut-être dans cette situation — si vous étiez étiqueté comme personne ayant une maladie mentale, et que vous vous demandiez ce que c’est que souffrir de dépression et des symptômes dont souffrent ces personnes ayant différentes maladies. Je voudrais ensuite vous demander de réfléchir à ce que serait votre vie si des membres de votre famille ne pouvaient pas s'occuper de vous, n'étaient pas là, ne pouvaient pas vous accompagner dans votre lutte contre la maladie, dans votre lutte contre les symptômes, et vous voyaient simplement dépérir.
Demandez-vous ensuite ce que deviendrait votre monde si vous perdiez votre emploi à cause de cette maladie. Demandez-vous ce que serait votre vie si vous ne pourriez pas conserver votre emploi à cause de vos difficultés parce que votre employeur ne les comprend pas, et que vous perdiez votre revenu. Finalement, sans revenu, où iriez-vous vivre ? Demandez-vous ce que vous feriez ce soir si vous n'aviez pas de logement, pas de carte de crédit, nulle part où aller. Et il y a évidemment longtemps déjà que vous n'auriez plus de voiture.
Je veux simplement que vous sachiez que ce sont là les histoires que nous racontent souvent les gens qui souffrent de maladie mentale. Parfois, cela a commencé dans leur jeunesse et ils n’ont donc jamais occupé un emploi. Ils n'en ont jamais perdu puisqu'ils n'en ont jamais eu. Parfois, ils l’ont perdu et n’ont jamais pu en trouver un autre.
Je sais que le logement ne relève pas des compétences fédérales et je pense que c'est une erreur. Nous sommes dans un pays où des gens ont besoin de logements. J'ai vu dans mon travail des gens qui ont pu se remettre sur pied parce qu’ils ont obtenu un logement, ou un emploi, quelque chose qui leur a donné de la valeur — même des petits emplois sans importance peuvent être une planche de salut.
J'espère que vous tiendrez compte de tout ça.
Le président : Nous ne serons pas limités au domaine fédéral.
Mme Haubrich : Je pense qu'il faut tenir compte tout ça, de la personne complète.
Mme Morra Stewart, à titre personnel : Je m'appelle Morra Stewart et je suis une consommatrice survivante. Je veux simplement dire que je suis vraiment très favorable à ce qu'on donne plus d'argent aux centres communautaires. On n’a pas le choix. Ou en est à l'hôpital, dans un lit, avec des médecins et des infirmières, ou on n’est nulle part. L'argent qui était — comme vous l'avez dit, il y a eu la désinstitutionnalisation. Eh bien, cet argent devrait aller à la communauté parce que la plupart des patients psychiatriques préfèrent de toute façon vivre dans leur communauté.
Voilà ce que je voulais dire. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup.
Mr. Weitz : Veuillez m'excuser, j'ai oublié de me présenter.
Le président : Non, j'ai votre nom.
Mr. Weitz : Pour le procès-verbal, je m'appelle Don Weitz. Il est très important que les survivants psychiatriques soient reconnus et identifiés correctement. Je suis également un survivant des électrochocs.
Le président : Je vous remercie tous et toutes d’être venus aujourd'hui. La séance était très intéressante.
La séance est levée.