Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 5 - Témoignages du 18 février 2008 - Séance du matin
WHITEHORSE, YUKON, le lundi 18 février 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit à ce jour 8 h 15 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et bonjour aussi à tous ceux qui sont venus écouter et, je l'espère, participer à l'audience du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts portant sur la pauvreté et la détérioration des régions rurales. Nous sommes heureux d'être à Whitehorse ce matin, première étape du voyage du comité dans les territoires du Nord.
Ce comité a été autorisé en mai 2006 à étudier le problème de la pauvreté dans les régions rurales du Canada, en vue d'en faire rapport. Depuis lors, nous avions publié un rapport d'étape. Nous nous sommes rendus dans toutes les provinces du Canada. Nous avons visité 17 collectivités rurales. Nous avons parlé à plus de 260 personnes et organisations, y compris des experts d'autres pays.
Nous avons atteint la phase finale de la préparation de ce rapport, mais il reste encore au comité à rendre visite aux territoires du Nord. Nous sommes fermement convaincus que pour pouvoir étudier la question de manière appropriée, nous devons nous assurer qu'aucune province ou territoire n'est laissé à l'écart de nos discussions. Nous sommes ici aujourd'hui pour vous entendre nous parler de vive voix de vos histoires, de vos préoccupations au sujet de vos collectivités, ainsi que des membres de ces collectivités qui éprouvent des difficultés. Au cours de nos voyages dans les provinces, nous avions été profondément touchés par le remarquable groupe de Canadiens d'horizons divers qui nous ont fait partager leur passion, leurs connaissances et leurs préoccupations au sujet des régions rurales du Canada.
Nous espérons donc pouvoir nous faire une idée précise de la situation au Yukon, dans les Territoires du Nord- Ouest ainsi qu'au Nunavut. Partout où nous sommes passés, nous avons dit que chaque région de notre pays comportait un élément rural, et que cet élément a la même importance pour nous que ce soit dans le Nord ou dans le Sud. Pour nous rendre d'un océan à l'autre, il faut d'abord que nous passions par le Nord et que non seulement nous partagions avec vous quelques-unes de nos idées sur ces questions, mais ce qui est encore plus important, que nous écoutions ce que les habitants du Yukon ont à dire.
Nous avons une longue liste de témoins; je m'en tiendrai donc là afin de permettre à nos distingués témoins de se faire entendre. Nous avons donc le plaisir d'ouvrir la séance, ce matin, en donnant la parole à Bev Buckway, mairesse de Whitehorse et première vice-présidente de l'Association of Yukon Communities. Nous sommes heureux que vous ayez accepté de venir nous parler aujourd'hui.
Est également présente, une personne que nous connaissons bien. C'est l'honorable Larry Bagnell, député du Yukon. Bonjour, soyez le bienvenu.
Je note également la présence de Ione Christensen, avec qui nous sommes très liés car elle a été une de nos collègues au Sénat pendant plusieurs années et a été l'éloquente porte-parole du Yukon au Parlement.
Nous allons maintenant entendre la mairesse.
Bev Buckway, première vice-présidente et mairesse de la Ville de Whitehorse, Association of Yukon Communities : Bonjour, honorables sénateurs, mesdames et messieurs. Soyez les bienvenus dans la capitale du Yukon.
Avant de faire ma déclaration officielle, je tiens à vous remercier d'être venus consulter les habitants du Yukon. Le Yukon couvre une vaste zone géographique et présente de nombreux défis pour les 32 714 personnes chargées de gérer notre territoire et ses habitants. Nous sommes souvent oubliés. Il est décevant de lire un rapport de Statistique Canada et de constater que le Yukon n'est pas inclus, ou encore de lire un rapport sur le logement au Canada et de voir que le Yukon n'est pas non plus représenté. Pire encore, il est décevant de voir une carte du Canada qui ne comporte que dix provinces.
Nous qui vivons ici, sommes devenus très sensibles à ce genre d'affronts et nous apprécions donc le fait que vous soyez venus au Yukon pour nous entendre.
Sur un plan plus officiel : au nom de l'Association of Yukon Communities, je vous remercie de m'offrir cette occasion de prendre la parole devant vous.
L'Association of Yukon Communities représente les huit municipalités constituées et cinq conseils consultatifs locaux élus au Yukon. Plus de 90 p. 100 de la population du Yukon réside dans des collectivités membres de notre association.
Nous savons que votre comité se préoccupe de l'importance et de l'ampleur de la pauvreté dans les régions rurales au Canada et qu'il recherche des mesures destinées à réduire la pauvreté dans les régions rurales et l'insuffisance des opportunités offertes au Canada.
Bien qu'au Yukon, les municipalités n'interviennent pas directement dans les programmes sociaux ou l'éducation, les autorités municipales sont responsables du développement de la conscience communautaire. Nous considérons que l'éducation, les transports publics, les logements à prix modique, l'éducation portant sur l'alcool et les drogues et le traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie sont des étapes importantes sur la voie de la réduction de la pauvreté.
Je vois, d'après votre rapport intérimaire de décembre 2006, que vous reconnaissez que, dans les régions rurales, la pauvreté n'existe pas seulement chez les agriculteurs. C'est bien le cas au Yukon. Une faible part seulement de l'économie est basée sur l'agriculture, mais comme la population de notre collectivité la plus importante est inférieure à 25 000 personnes, on peut considérer que l'ensemble du Yukon est rural.
Comme vous l'avez noté au sujet des pauvres dans les provinces, au Yukon, il s'agit souvent de mères seules, d'Autochtones, de personnes ayant un faible niveau d'instruction ainsi que de personnes âgées, handicapées ou sans emploi.
Tous ceux qui vivent au Yukon, qu'ils soient pauvres ou ne le soient pas tellement, ont un rôle important à jouer pour assurer la durabilité des collectivités du Yukon, et il est important pour le Canada que le Yukon ait des collectivités durables. Les ressources minérales du Yukon, ses forêts boréales et ses rivières aux eaux pures, représentent une valeur économique importante pour le Canada. Les collectivités du Yukon protègent la souveraineté de ces ressources et l'accès à celles-ci.
Bien qu'il se situe à une échelle nettement inférieure, le problème de la diminution de la population dans les petites collectivités du Yukon est analogue aux problèmes causés par la diminution de la population dans les régions rurales du sud du Canada. Au fur et à mesure que cette tendance se poursuit, les recettes municipales en souffrent, ce qui réduit la prestation des services, entraîne des faillites, augmente le chômage et accélère la diminution de notre population.
La satisfaction des besoins élémentaires en matière d'alimentation et de logement coûte très cher dans les régions rurales du Yukon. Les coûts de transport, de construction et la disponibilité de ces services sont des facteurs qui entrent tous en ligne de compte. Plus la collectivité est éloignée, plus les coûts sont élevés et donc plus haut se situe la ligne de pauvreté. Les municipalités peuvent adopter des stratégies locales pour offrir des logements à prix modique, mais elles ont besoin pour cela d'une aide financière des gouvernements fédéral et territorial.
Le climat et la géographie ont de fortes répercussions sur la condition des pauvres de nos collectivités. Les distances à parcourir pour accéder à des services sont grandes et le coût des déplacements est élevé. Au Yukon, la pauvreté peut constituer un danger de mort, en particulier en hiver.
L'éducation peut jouer un rôle important dans la réduction de la pauvreté intergénérationnelle. Au Yukon, les autorités municipales ne participent pas au financement des écoles ou des collèges, mais elles devraient pouvoir contribuer à l'efficacité des établissements d'enseignement en leur offrant pour cadre des collectivités sûres comportant des activités récréatives constructives pour tous les jeunes. Nous sommes prêts à apporter notre soutien à tout ordre de gouvernement ou toute organisation gouvernementale ou non gouvernementale capable de contribuer à une meilleure sensibilisation aux besoins en matière d'éducation des Yukonnais vivant en milieu rural.
L'Association of Yukon Communities apprécie l'optique adoptée par le comité pour étudier la question de la pauvreté dans les régions rurales. Nous sommes heureux que vous ayez inclus le Yukon dans cette étude. Encore une fois, merci d'avoir invité l'Association of Yukon Communities à participer
Larry Bagnell, C.P., député, Yukon — porte-parole de l'opposition officielle pour les affaires du Nord, à titre personnel : Merci, sénateurs, je suis ravi de vous revoir.
La présidente : Nous aussi. Je tiens à dire à la mairesse que dans le sud du Canada, sur la Colline du Parlement, le Yukon n'est pas oublié. Larry communique souvent avec nous. Il a la meilleure volonté du monde et ce qu'il a à dire est très instructif pour ceux qui travaillent sur la Colline.
M. Bagnell : Je tiens à me faire l'écho des déclarations de la mairesse. Je voulais commencer exactement de la même manière; j'avais l'intention de mentionner Statistique Canada. On nous oublie souvent ici et nous sommes donc ravis que vous vous soyez donnés la peine de nous rendre visite, car certains comités oublient complètement le Nord dans leurs voyages. En tant que critique pour le Nord, il est important pour moi que vous alliez aussi dans les territoires du Nord et au Nunavut. Nous vous en sommes reconnaissants, mais ce que nous n'apprécions pas, c'est que des rapports tels que ceux de Statistique Canada nous laissent complètement à l'écart.
J'ai aussi lu votre excellent rapport intérimaire. En tant que président du caucus rural à la Chambre des communes, je peux vous dire que ce rapport contient des informations que le gouvernement du Canada et notre Chambre des communes n'ont pas. Le travail du Sénat constitue un élément de valeur ajoutée car il présente le résultat de recherches approfondies dans des domaines que la Chambre des communes n'étudie pas parce qu'elle n'a pas le temps de le faire ou parce qu'elle est absorbée par d'autres études. Nous apprécions le travail du Sénat et nous utiliserons votre rapport. Je l'ai distribué à un certain nombre de parlementaires qui travaillent sur les questions rurales. Cette information nous sera utile.
Je vais essayer de vous donner un aperçu du Yukon. Vous entendrez aujourd'hui de nombreux intervenants de qualité qui vous parleront des problèmes de pauvreté. Je voudrais situer ce qu'ils vont vous dire dans son contexte, de manière à ce que vous sachiez comment cette information cadre avec la situation du Yukon en général. Ils peuvent vous parler de la pauvreté dans les régions rurales et je vous expliquerai d'où ils viennent, Je vous parlerai aussi de quelques points dans votre rapport qui m'ont frappé.
Je vous ai remis cette carte. Le Yukon est en blanc; il est plus grand que n'importe quel pays européen. Comme la mairesse l'a dit, il a près de 33 000 habitants, mais il y a lieu de noter que 23 000 d'entre eux vivent à Whitehorse. C'est donc une région plus vaste que n'importe quel pays en Europe et dont la grande majorité du territoire n'est peuplé que par une dizaine de milliers de personnes. Le Yukon est une région lointaine et rurale, ce qui est la source de bien des problèmes.
Environ 25 p. 100 de la population est constituée par des Autochtones, qui sont essentiellement des membres des Premières nations. Quatre pour cent environ de la population est francophone. Il y a aussi un groupe de Philippins qui est petit mais dynamique, quelques Chinois et quelques personnes venues de l'Inde.
Il y a 14 Premières nations, qui sont toutes différentes. Je ne peux pas vous les décrire toutes maintenant, mais elles sont totalement différentes. Elles ne sortent pas du même moule. En ce sens, c'est un peu comme en Europe. Elles diffèrent par leur culture, par leurs chansons, par leurs traditions et par leurs systèmes de gouvernance traditionnelle.
Comme vous le savez probablement, les Autochtones ont un système de gouvernance différent. Leur culture a un caractère collectif. Quant aux solutions, leurs solutions aux problèmes de la pauvreté et leur système de gouvernance est différent de notre façon traditionnelle de procéder. Vous devrez tenir compte de ces différences lorsque vous étudierez des méthodes plus sophistiquées de lutte contre la pauvreté.
En dépit de cette faible population — ces habitants ne rempliraient même pas un grand stade dans le Sud — le Yukon a 24 gouvernements. Il y a huit municipalités, comme l'a dit la mairesse, ainsi que quelques villes et villages, et 14 Premières nations avec leurs propres gouvernements. Si les gouvernements font partie de la solution, ce n'est donc pas le potentiel qui manque.
Comme certains d'entre vous le savent, nous attendons Ken Dryden mercredi. Il tiendra une réunion locale pour discuter de la pauvreté. Le thème qu'il a choisi est « Il faut tout un pays pour résoudre le problème de la pauvreté », ce qui signifie que tous les ordres de gouvernement doivent travailler de concert. Ce n'est pas le potentiel pour le faire qui manque au Yukon.
Le plus gros employeur ici est, de loin, le gouvernement. Je vous ai déjà dit qu'il y a 24 gouvernements et je ne sais pas exactement à quel chiffre s'élève la population active — à peu près 16 000 personnes sans doute — mais il y en a déjà 3 000 ou 4 000 qui travaillent au gouvernement du Yukon. Il y a le secteur privé; il y a l'industrie minière, mais elle connaît des cycles constants d'expansion et de ralentissement. En 1982, toutes les mines importantes ont fermé ici et cela a eu un effet profond sur la nature de l'économie. Le tourisme est l'autre industrie importante.
Normalement, je ne mentionnerais pas l'agriculture et les forêts, sauf que c'est là le nom de votre comité. Nous avions une industrie forestière relativement prospère, en particulier dans le sud-est, dans le coin inférieur droit de votre carte. Malheureusement, l'affrontement aux États-Unis autour de la question du bois d'œuvre résineux n'a pas arrangé les choses, non plus qu'un certain nombre d'autres facteurs, si bien que notre industrie forestière ne se porte pas très bien en ce moment.
Nous avons une communauté agricole active, ce dont vous parleront certainement d'autres témoins plus tard. Nous avons notamment beaucoup de foin pour les pourvoyeurs.
Dans votre rapport, vous parlez des transports qui sont un gros problème ici. Vous pouvez vous rendre de Whitehorse dans le Sud sans trop de difficulté. Il y a trois vols par jour, probablement plus qu'il n'y en a dans les collectivités rurales du nord des provinces. Un vol qui relie directement Whitehorse à Dawson, à mi-hauteur du Yukon. Pratiquement personne ne vit dans la moitié nord du Yukon. On peut probablement compter sur les doigts de la main le nombre de personnes qui vivent là-haut, si l'on fait exception d'Old Crow, un village très intéressant à l'extrémité nord du Yukon. Ces vols sont quotidiens mais en dehors de ceux-ci, il n'y a pas de vols intérieurs au Yukon.
Il y a des routes qui conduisent à chaque collectivité importante, toujours à l'exception d'Old Crow, que nous pouvons cependant rejoindre par avion. À cet égard, le Yukon est mieux desservi que les Territoires du Nord-Ouest ou le Nunavut où il n'existe pratiquement pas de routes. Nous sommes très en avance sur eux à cet égard.
Cependant, pour les habitants des collectivités rurales qui ont une route, mais pas de liaison aérienne, et qui sont pauvres, comment avoir accès à des services? Il n'y en a pas, sauf peut-être une épicerie, un poste d'essence et deux ou trois autres commerces. Comment se rendre chez le dentiste lorsqu'on est pauvre? Il n'y a pas de service d'autocar dans ces collectivités. L'essence est coûteuse et les gens qui sont pauvres n'ont probablement pas de véhicule. Manifestement, il n'y a pas de psychiatre dans ces petites collectivités. Il est difficile d'avoir accès à des services de santé, à des services liés à la pauvreté et à tous les services gouvernementaux, sauf à Dawson et à Watson Lake, lorsque l'on vit dans une collectivité de moins de 1 000 habitants.
Les populations rurales et urbaines, comme la mairesse peut certainement l'attester, n'ont absolument rien de commun; je suppose d'ailleurs que c'est vrai pour une grande partie du Canada. Whitehorse est une ville nordique prospère. Il se pourrait que, par habitant, ses infrastructures soient plus importantes que n'importe où ailleurs au monde; et c'est une ville très active. Si vous vous promenez dans la grande rue, vous ne risquez pas de vous faire bousculer parce que les gens sont polis ici, et vous verrez beaucoup de voitures. Par contre, dans les rues principales de certaines de ces collectivités rurales figurant sur votre carte, vous ne verrez pas un seul véhicule en plein milieu de la journée. Économiquement, c'est souvent la dépression sauf s'il y a une exploitation minière dans le secteur.
En ce qui concerne le mode de vie et les besoins, c'est le jour et la nuit. Dans une de ces petites collectivités, les gens peuvent se trouver plongés dans la pauvreté sans que personne ne le sache.
Certaines sont des villes à industrie unique. Sur la carte, à droite, à mi-hauteur, se trouve la ville de Faro, qui était essentiellement une mine de plomb et de zinc. Maintenant que la mine est fermée, les habitants continuent avec beaucoup de courage. Même le poste d'essence a fermé récemment. Imaginez-vous là-bas à des kilomètres de tout, sans même un poste d'essence. La plus grosse épicerie est fermée. Comme le disait la mairesse, il est difficile de maintenir une collectivité en existence lorsque les services commencent à disparaître.
L'environnement pour une stratégie de lutte contre la pauvreté dans les régions rurales au Yukon est différent en ce qui concerne les Premières nations en ce sens que le Yukon a signé les revendications territoriales pour l'ensemble du Yukon, et que les revendications territoriales de 11 des 14 villages ou zones ont été réglées. Sans trop entrer dans le détail, chaque pouce carré du Yukon fait partie du territoire ancestral d`une de ces 14 Premières nations, ce qui a des répercussions sur les prises de décision. Nous avons donc aussi ces 14 gouvernements qui servent leur population et qui pourraient apporter une aide utile à l'élaboration de stratégies de lutte contre la pauvreté.
Comme vous l'avez probablement constaté au cours de certaines de vos réunions, l'aide sociale aux Autochtones est liée aux tarifs provinciaux et territoriaux. À moins que la province ou le territoire ne relève les taux d'aide sociale ou de prestation sociale, les taux des Premières nations ne peuvent pas être augmentés parce que le gouvernement fédéral serait alors tenu de s'aligner sur eux de manière à ce que tout le monde touche le même montant.
Actuellement, le gouvernement du Yukon essaie de relever les taux d'aide sociale et il se heurte à une résistance de la part du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Je ne sais pas où en est actuellement cette question, mais nous ne voulons pas voir un ralentissement de ce processus parce que les taux d'aide sociale n'ont pas augmenté ici depuis pas mal de temps.
Vous rencontrerez toutes sortes de groupes au Yukon qui luttent contre la pauvreté, qui est profonde. Nous avons un solide groupe d'ONG ici. Chaque Première nation fournit des services à Whitehorse même. Il y a le Skookum Jim Friendship Centre pour les Autochtones en milieu urbain et ceux qui sont allés s'installer à Whitehorse. Bon nombre de ces groupes appartiennent à la Yukon Anti-Poverty Coalition, dont je suis un des membres fondateurs. C'est probablement le groupe qui connaît le mieux ces questions; vous allez les entendre aujourd'hui, ce qui est excellent car cette coalition recueille les réactions de tous ces différents groupes.
La population de ceux qui souffrent du SAF, le syndrome d'alcoolisme fœtal, est aussi plus importante chez nous que dans certaines autres parties du Canada, avec tous les problèmes que cela entraîne et la nécessité de la mise en place d'une aide. C'est un parfait exemple de ce que nous faisons : une stratégie destinée à traiter les causes profondes et même économiques. Le programme paraît coûteux, mais il est plus rentable. Une personne souffrant du SAF peut coûter aux contribuables et aux gouvernements plus d'un million de dollars au cours de sa vie. Pourtant, si nous intervenons à un stade précoce du problème, nous économiserons beaucoup d'argent et réduirons toute cette somme de souffrances. Cette méthode fondée sur la prévention permettrait de faire face à tous les problèmes liés à la pauvreté et aux énormes coûts assumés par la société; il est donc très bon que vous prépariez une stratégie.
Dans toute la moitié septentrionale du Canada, il n'y a pas d'universités, y compris dans le nord des provinces et des territoires. Nous avons pourtant ici un collège qui offre des cours de niveau universitaire. J'ai remarqué dans votre rapport que vous parliez de campus répartis dans les zones rurales. Or, le Yukon College joue un rôle efficace à cet égard, car il a des campus dans tout le Yukon.
Un problème existe cependant pour les élèves du secondaire. Cette année, j'ai assisté à toutes les cérémonies de remise des diplômes au Yukon. Il m'est parfois arrivé d'aller jusqu'à Ottawa pour assister à la remise de son diplôme à un seul étudiant. Comme vous pouvez vous l'imaginez, dans un petit village de quelques centaines de personnes, il n'y a pas beaucoup d'élèves au secondaire et en particulier en 12e année. Imaginez le choix de cours qui peuvent être offerts alors qu'on a besoin d'enseignants du secondaire spécialisés pour chacune des disciplines. On n'en a pas beaucoup, si bien que les élèves voient leurs options limitées s'ils restent dans les régions rurales du Yukon. Un certain nombre d'entre eux viennent à Whitehorse pour y suivre des cours plus complets au niveau secondaire, mais ils perdent alors l'appui familial dont nous avons probablement tous bénéficié lorsque nous fréquentions l'école secondaire. À un si jeune âge, il est dur de ne pas pouvoir compter sur le soutien de sa famille. La situation de l'éducation est donc difficile à cet égard.
Ce qui nous aide, c'est le téléenseignement. Il permet d'enseigner de plus en plus de sujets. Bien que le Yukon soit mieux connecté que la plupart des autres régions du Canada — tout est relié par Internet à haute vitesse — plusieurs endroits du Canada ne sont pas connectés alors que cette connexion serait utile. Ce serait également utile dans le domaine des soins de santé car cela permettrait de transmettre des images de qualité aux médecins de Vancouver et d'Edmonton qui pourraient ainsi prononcer un diagnostic; Internet permettrait aussi de transmettre à Whitehorse des images provenant des régions rurales du Yukon.
Je le répète, à cause de notre faible population, il n'y a pratiquement pas de spécialistes au Yukon. Ceux-ci viennent toujours du Sud. Nous empruntons aux provinces, et celles-ci ne sont pas tenues de nous faire bénéficier de leur système de soins de santé. Cela crée toujours un problème. Chez nous, il y a des évacuations médicales qui coûtent de 10 000 à 15 000 $ lorsque quelqu'un d'une région rurale doit aller voir le médecin. Cet argent pourrait être mieux dépensé, mais cela fait partie de la vie dans les régions rurales.
Le programme Breakfast for Learning, dont je suis certain que vous avez tous entendu parler, fonctionne ici et il est important pour les centaines d'enfants qui ne reçoivent pas une alimentation appropriée chez eux. Tout le monde sait combien l'alphabétisation contribue à réduire la pauvreté; il faut donc absolument que nous continuions à financer ce programme. Il fonctionne au Yukon, mais il pourrait l'être encore plus s'il était mieux financé.
Des programmes tels que l'aide préscolaire aux enfants des Premières nations, l'éducation de la petite enfance, la garde d'enfants, les garderies de jour, et cetera, connaissent ici un énorme succès depuis les quelque 20 dernières années. À cause de ce succès, les villages en demandent plus. Je ne sais pas combien nous en avons maintenant, quatre, cinq ou six, mais chaque collectivité en veut parce que ces programmes ont si bien réussi à changer la vie des jeunes élèves, dont beaucoup sont des Autochtones, à un moment de la vie où l'on peut agir le plus efficacement, auprès d'eux.
Il y a des années que nous faisons des démarches pour obtenir une aide financière plus importante en faveur du programme d'aide scolaire car il change vraiment la vie de ces enfants, et offre à ceux qui vivent dans des régions rurales pauvres un soutien dont ils seraient autrement privés. Ce programme donne de si bons résultats. Je le répète, un investissement si modeste au début, permettrait d'économiser plus tard les centaines de milliers de dollars que l'on est obligé de dépenser lorsque quelqu'un fait fausse route.
Bien entendu, le changement climatique nous pose des problèmes, et cela quatre fois plus que dans le reste du Canada; avec la Russie septentrionale, c'est nous qui connaissons les problèmes les plus graves. Nous n'avons pas le dendroctone du pin, mais nous avons le typographe de l'épinette, toutes sortes d'infrastructures instables et un pergélisol qui fond, ce qui coûte des sommes faramineuses. Les programmes d'infrastructure normaux ne suffisent pas. Nous avons besoin de beaucoup plus d'argent ici parce que nous avons peu de contribuables dans cette immense région, d'énormes problèmes climatiques et de coûteux problèmes d'infrastructure. Manifestement, le financement par personne n'est pas la solution.
Pour les personnes ayant un revenu fixe, telles que les personnes handicapées, les personnes âgées et toutes celles qui ont un revenu fixé par le gouvernement, l'argent ne va pas loin à cause du coût élevé de la vie ici.
Les tarifs téléphoniques en sont un bon exemple. Comme l'a dit la mairesse, avoir le téléphone dans le Nord peut être une question de vie ou de mort. Ce n'est pas un luxe. Pourtant, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, a, au cours des années, pris des décisions qui ont accru les tarifs téléphoniques pour les pauvres alors qu'il réduisait les tarifs interurbains pour ceux d'entre nous qui en ont les moyens, ce qui défie la logique lorsqu'on veut réduire la pauvreté.
Il y a une importante étude sur les femmes sans-abri, dont vous parleront certainement des témoins. Récemment terminée, elle couvre le Nunavut, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Elle contenait d'excellentes données sur les éléments déterminants du phénomène de l'itinérance chez les femmes en particulier.
Nous avons aussi ce que l'on appelle l'itinérance relative dans le Nord. Avant votre visite, nous avons vécu deux ou trois semaines de températures de 40 degrés sous zéro. Vous avez de la chance de ne pas avoir vécu cela. Avec de telles températures, les gens ne dorment pas dans la rue comme ils le font à Toronto ou à Vancouver. Cela signifie qu'ils dorment quelque part où il fait chaud mais où ils ne devraient pas se trouver. Des jeunes filles sont placées dans des maisons en compagnie de personnes avec qui elles ne devraient pas avoir de contact ou, en fait, elles sont même obligées de se prostituer si elles ne veulent pas mourir de froid dans la rue.
Nous avons toutes sortes de cas de surpeuplement et des enfants qui se retrouvent dans des situations impropres. C'est un type d'itinérance différent. Il est invisible et il en est d'autant plus insidieux, mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pas.
Nous avons eu l'initiative en faveur de l'utilisation de l'énergie éolienne pour réduire le réchauffement climatique. Cette initiative est un exemple qui montre que les programmes fédéraux ne fonctionnent pas ici sans argent supplémentaire. Les fonds étaient insuffisants parce que tout coûte plus cher ici. Nous avons une indemnité de séjour dans le Grand Nord, mais elle n'a pas changé depuis des années. Nous voulons qu'elle soit augmentée aux fins de l'impôt sur le revenu.
Enfin, la toxicomanie est un grave problème. Quelle que soit la région du Canada où elle existe, elle est responsable de la majorité des crimes. Soit il s'agit de personnes sous l'effet d'une drogue, soit d'individus qui essaient d'obtenir de l'argent pour en acheter. Encore une fois, il importe de s'attaquer à cette cause profonde. La toxicomanie conduit aussi à l'insuffisance alimentaire, parce que les gens qui en sont victimes dépensent leur argent pour satisfaire leur assuétude au lieu de se nourrir. Nous n'avons pas d'installation fonctionnant à plein temps qui offre un nombre important de places. Nous avons des programmes de lutte contre les abus de l'alcool et de la drogue, mais nous pourrions en faire plus sur le plan local.
En ce qui concerne le système correctionnel, pas nécessairement au Yukon, mais dans d'autres parties des territoires, emprisonner quelqu'un à des milliers de kilomètres de chez lui, le prive encore une fois de l'appui de toute sa famille et risque de le plonger dans la pauvreté pour le reste de son existence.
Enfin, dans votre stratégie, vous pourriez tenir compte de la règle des 80-20 établie par un groupe qui a fait des études sur la pauvreté : 20 p. 100 des gens sont responsables de la vaste majorité des problèmes, et les autres 80 p. 100 ne vivent pas longtemps dans la pauvreté. Pour le groupe des 80 p. 100, des solutions simples donnaient des résultats acceptables, mais pour les autres 20 p. 100, il fallait des investissements beaucoup plus importants. Le groupe des 20 p. 100 coûtait des millions de dollars en soins de santé entre autres et avait des problèmes pendant toute leur vie. Dans leur cas, il fallait donc un investissement plus important pour les sortir de la pauvreté, investissement qui donnait d'ailleurs en général de bons résultats.
J'espère que vous pourrez entendre des témoins de groupes très divers. Il y a deux problèmes au Yukon. Le premier est le traitement des symptômes, la pauvreté elle-même. Nous ne pouvons pas laisser les gens dans le besoin. Nous devons les nourrir. Vous entendrez des groupes tels que Maryhouse et l'Armée du Salut; vous entendrez parler du service extérieur fourni par la fourgonnette qui circule la nuit, apporte de la nourriture aux adolescents, et cetera. La seconde question consiste à traiter les problèmes qui sont à la source, les causes profondes de la pauvreté, de manière à ce qu'on n'ait plus besoin de tous ces autres services pour s'occuper des pauvres.
L'honorable Ione Christensen, ancien sénateur du Yukon, à titre personnel : Bienvenue, sénateur Fairbairn, sénateur Mercer, sénateur Mahovlich et sénateur Peterson. Je vous remercie de votre visite. Je m'intéresse personnellement à la question car j'ai siégé à ce comité avant de prendre ma retraite. À mon sens, cette étude est importante pour le long terme. Il est à espérer que les gouvernements s'en inspireront pour leur planification à long terme car c'est précisément ce dont on a besoin pour résoudre certains de ces problèmes.
Comme nous le savons, l'important mouvement de migration vers tous les centres urbains laisse le Canada rural de plus en plus appauvri, de plus en plus dépeuplé. L'agriculture et les forêts, qui sont les secteurs intéressant le comité sont de plus en plus menacées à cause d'un certain nombre de facteurs, dont le réchauffement climatique. La concentration de la population dans les centres urbains du Canada crée de très gros problèmes pour le reste de notre pays. Il faut absolument que nous nous attaquions au problème de la migration.
Pour ce qui est du Nord, nous sommes heureux de votre visite. Je sais qu'on a dit qu'il n'y avait pas d'agriculture dans le Nord et qu'on s'est demandé pourquoi vous y veniez. Le Nord représente plus d'un tiers de la masse continentale du Canada. Comment pouvez-vous éliminer un tiers de notre pays et ne pas en tenir compte dans votre étude? Cela n'a pas de sens. Nous ne sommes peut-être pas très peuplés, mais nous avons beaucoup de ressources dans des secteurs très divers.
Le Canada rural prendra de plus en plus d'importance au fur et à mesure que le réchauffement climatique se poursuivra. Nous verrons une réduction de l'énergie disponible ainsi que des voyages à cause des besoins et des exigences en matière d'énergie. À Toronto, on ne consommera plus de produits alimentaires que l'on trouvera dans un rayon de 100 milles; il faudra donc compter sur les régions rurales et ces zones devront être saines. Ces régions ont besoin d'industries pour que leurs habitants puissent travailler. Le manque d'emplois contribue beaucoup à la pauvreté.
Nous avons tout d'abord considéré la situation dans l'agriculture, mais le problème ne tient pas uniquement au fait que les gens abandonnent les fermes. Lorsqu'ils le font, dans les collectivités qui dépendent de ces agriculteurs, les commerces et la station-service ferment aussi à leur tour. Cet abandon des fermes a un effet d'entraînement et c'est une situation qu'il faut que nous étudions à long terme. Nous devrons trouver des moyens qui permettront aux gouvernements d'encourager les gens à rester dans les régions rurales du Canada, car il est important pour la santé de notre nation d'avoir cette population rurale.
Mes vœux vous accompagnent pour cette étude. Votre rapport intérimaire a été bien accueilli. Lorsque vous discuterez de cette question, il faudra bien faire comprendre au gouvernement qu'il s'agit d'une étude à long terme. Vous ne pouvez pas considérer la question dans la simple perspective d'un mandat de cinq ans. Pour avoir un Canada en bonne santé, il est indispensable que l'étude porte sur le long terme.
La présidente : Au début de l'aventure dans laquelle nous nous sommes engagés, le sénateur Christensen a vigoureusement défendu la cause de cette région, ce qui a incité le reste d'entre nous, du moins ceux qui se trouvent autour de la table aujourd'hui, à insister sur l'importance d'une visite dans les territoires. Pour les habitants du sud du Canada, toutes ces terres couvertes par la neige ne sont pas rurales. Elles le sont pourtant et nous avons donc tenus à entendre les voix de ces habitants, ce que nous n'aurions jamais pu faire à Ottawa.
Nous sommes parvenus à entreprendre cette partie de l'étude et nous en sommes reconnaissants.
Le sénateur Mercer : Votre Grâce, Larry Bagnell et sénateur Christensen, merci d'être venus. Je suis heureux de me retrouver à Whitehorse. Lors de ma dernière visite, le sénateur Christensen a été mon guide et elle a fait un excellent travail.
J'ai quatre questions à poser et j'essayerai d'être bref.
Votre Honneur, vous avez dit dans votre rapport, qu'au Yukon, la pauvreté peut être mortelle, en particulier en hiver à cause de la rigueur extrême du climat. Des systèmes ont-ils été mis en place sur tout le territoire pour essayer d'éviter de genre de situations? Si les températures tombent parfois à 40 degrés sous zéro, voire même plus bas, et s'il y a des endroits où les gens vivent sans les ressources nécessaires, le chauffage approprié, il ne faut pas attendre longtemps pour qu'ils se retrouvent en difficulté.
Mme Buckway : Nous avons un système d'intervention d'urgence bien rôdé au Yukon. Quelqu'un m'a dit ce matin que leur voiture avait gelé et que le câble du chauffe-bloc s'était désagrégé. Imaginez ce que cela représente de conduire à Whitehorse quand il fait 40 degrés sous zéro ou pire — il fait encore beaucoup plus froid dans les collectivités rurales qu'à Whitehorse — lorsque leur voiture tombe en panne sur la route, ses occupants sont à la merci de dame nature et dans un tel cas, la seule aide possible est celle que peuvent leur apporter les voyageurs qui empruntent la même route.
Chez nous, il y a parfois de longues distances à parcourir. Les gens n'hésitent pas un seul instant à faire 450 kilomètres pour aller faire des courses à Whitehorse. En un sens, dans les collectivités, on ne manque absolument pas d'aide, à moins, bien sûr, de sortir de chez soi et de succomber aussitôt au mauvais temps. Je crois que nous jouissons d'une certaine sécurité ici. Cependant, la longueur des distances peut présenter un danger.
Le sénateur Mercer : Monsieur Bagnell, vous avez aussi parlé des problèmes de transport. Lorsque nous avons eu une réunion dans un centre communautaire à Picture Butte, en Alberta, nous avons pu constater que les gens se regroupaient parfois pour organiser un service d'autobus, probablement payant, leur permettant de se rendre à Lethbridge pour y obtenir le même genre de services que ceux que les gens sont obligés d'aller chercher à Whitehorse. Ces types de services ont-ils fait leur apparition dans certaines des petites collectivités du territoire?
M. Bagnell : Il est possible qu'il y ait des services qui ont été créés de manière informelle. Il y avait autrefois un service d'autocars avec Dawson, mais il a été supprimé. D'autres localités sont reliées par autocar avec certaines des petites collectivités; elles avaient même des liaisons aériennes à une époque où elles étaient plus actives. Les gens se regroupent donc parfois de manière informelle, mais il ne s'agit pas d'un mouvement aussi organisé qu'il pourrait ou devrait l'être.
Autre remarque à propos de ce que disait la mairesse, il n'y a pas de patrouille de police sur nos routes. Si votre voiture tombe en panne lorsqu'il fait 40 degrés sous zéro, au milieu de nulle part, tout ce que vous pouvez espérer c'est que quelqu'un d'autre passe par là.
Le sénateur Mercer : La police ne patrouille pas les routes?
M. Bagnell : Non, il y a des postes de la GRC dans chaque collectivité, mais les policiers sortent rarement de leur collectivité, sauf lorsqu'ils se rendent à Whitehorse à des réunions ou pour d'autres raisons. Il n'y a pas de patrouille routière.
Le sénateur Mercer : Monsieur Bagnell, vous avez également mentionné le typographe de l'épinette. Au cours de ce voyage, notre première étape a été Prince George, il y a de cela plusieurs mois. Nous y avons constaté la présence de l'autre insecte. Le typographe fait-il beaucoup de dégâts? A-t-on essayé d'utiliser les arbres endommagés, comme nous avons vu le faire à Quesnel, en Colombie-Britannique, où l'on essaie de créer une industrie pour exploiter les arbres tués par cet insecte?
M. Bagnell : La situation est suffisamment grave pour que le sénateur Hillary Clinton et John McCain, le chef des républicains, soient déjà venus ici pour la voir. Il y a quelques exemples de ce type d'exploitation. Nous n'avons pas apprécié de devoir attendre très longtemps pour obtenir les permis d'exploitation. On essaie donc d'exploiter ces arbres, mais cela cause un autre problème ici. Comme nous vivons dans un climat semi-aride et comme nous avons des conifères qui prennent facilement feu, cela crée un risque élevé d'incendie de forêt. Non seulement nous perdons tout ce bois d'œuvre mais le risque d'incendie de forêt est énorme. Autour de la ville de Haines Junction, par exemple, dans la partie inférieure gauche de la carte, la situation est dangereuse à cause des centaines de kilomètres carrés d'arbres tués par le typographe de l'épinette.
Le sénateur Mercer : Bien sûr, cela représente un danger pour le parc.
M. Bagnell : Lorsque nous avons essayé d'exploiter ces arbres, l'obligation de les transporter sur de longues distances nous a immédiatement placés dans une situation économique désavantageuse. Et puis, les Américains ont imposé leurs tarifs. Comment la plus grande nation au monde peut-elle avoir peur d'une région telle que le Yukon qui a si peu d'arbres? C'est pourtant le cas et les Américains nous ont imposé des tarifs qui nuisent aussi à notre industrie.
Le sénateur Mercer : Vous avez évoqué le faible peuplement de cette vaste région et vous avez ensuite mentionné le fait qu'il y avait 24 gouvernements. Je suppose que sur ces 24 gouvernements, il y en a quelques-uns qui représentent les 14 Premières nations.
M. Bagnell : Il y a 14 Premières nations, huit municipalités, un gouvernement fédéral et un gouvernement territorial.
Le sénateur Mercer : Cela fait-il trop de gouvernements? Je ne devrais peut-être pas vous poser cette question. Sénateur Christensen, peut-être voudriez-vous y répondre puisque vous n'avez pas à vous inquiéter d'être élue.
Mme Christensen : Je ne dirais pas que nous sommes surgouvernés, mais nous avons de la gouvernance à revendre. Comme l'a fait remarquer M. Bagnell, il y a 14 Premières nations, avec chacune un conseil de cinq personnes environ. Chaque conseil municipal, quant à lui, est composé de cinq à six personnes. Et puis, il y a le gouvernement territorial, sans compter une foule de conseils et de commissions scolaires.
Divisez ce chiffre par 30 000 personnes et cela vous fait une belle proportion d'élus. À cet égard, les gens sont biens représentés. Le nombre de gouvernements crée certains problèmes, mais cela fait que les gouvernements sont beaucoup plus proches de la population. On peut donc parfois obtenir des réactions beaucoup plus rapides. Il y a des avantages et des inconvénients.
Le sénateur Mercer : La population peut aussi être extrêmement politisée.
Mme Christensen : C'est exact.
Le sénateur Mahovlich : Il y a beaucoup de gouvernance, mais êtes-vous unis? C'est là la clé. Tout le monde est-il d'accord avec ce qui se passe au Yukon?
Mme Christensen : Un énorme effort est déployé pour essayer d'atteindre un consensus sur un grand nombre de questions. Cela ne marche pas toujours, mais beaucoup d'efforts sont faits pour établir un consensus. En fait, si vous posez la même question à deux habitants du Yukon, vous n'obtiendrez jamais deux fois la même réponse. Tout le monde a sa petite opinion parce que nous sommes fortement politisés. C'est une bonne chose parce que le débat est vigoureux, mais les politiciens ont du mal à parvenir à un consensus et à aller de l'avant compte tenu de la diversité des intérêts politiques.
Le sénateur Mahovlich : Les gens doivent être très au fait des choses; c'est pourquoi nous avons quelqu'un comme M. Bagnell.
Mme Christensen : C'est vrai.
Le sénateur Mahovlich : Je me posais aussi des questions au sujet de la santé? Vos hôpitaux à Whitehorse sont-ils compétitifs avec ceux d'Edmonton, par exemple? Avez-vous un appareil IRM?
Mme Christensen : Non.
M. Bagnell : Il y a un grand hôpital dans la capitale de chaque territoire. Il y en a aussi de tout petits. Cela pose deux problèmes. Nous ne pratiquons pas d'opérations chirurgicales implorantes ici. Les personnes qui ont besoin d'être opérées vont dans le Sud. Vous pouvez imaginer ce que cela représente pour une personne d'une collectivité rurale qui n'est jamais sortie de son village et qui débarque à l'aéroport de Vancouver. C'est un véritable cauchemar. Deuxièmement, pour la personne qui souffre du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), il n'y a pas d'autre hôpital. Si vous vous souvenez bien, lorsque le SRAS est apparu au Canada, il a provoqué la fermeture de deux hôpitaux à Toronto, mais là-bas, il est toujours possible d'aller dans un hôpital voisin. Ici, par contre, les gens mourront d'autres maladies parce qu'ils ne pourront pas être hospitalisés ailleurs si l'hôpital est fermé.
C'est cela le danger de n'avoir qu'un seul hôpital et aucune possibilité d'opération chirurgicale importante dans la moitié nord du Canada. Comme les soins de santé relèvent des provinces, cela signifie que nous sommes obligés d'emprunter aux provinces et que nous sommes donc à leur merci. Si elles ne veulent pas de nous dans les lits de leurs hôpitaux, si elles ne veulent pas envoyer leurs spécialistes des maladies cardiovasculaires dans le Nord, elles ne sont pas tenues de le faire, parce que ce sont elles qui paient les soins de santé. Les provinces se sont montrées généreuses à notre égard, mais cette relation n'est établie sur aucune base formelle.
La présidente : Merci à tous pour vos exposés. Nous allons maintenant entendre notre prochain groupe de témoins.
Kim Lawson, liaison avec l'employeur, formatrice en milieu de travail, Yukon Council on disABILITY : Les tableaux 1 et 2 dont je parlerai se trouvent au dos du document. Vous pourrez les consulter pendant que je parle car ils vous aideront à mieux comprendre.
Je travaille au Yukon Council on disABILITY depuis deux ans, où j'assure la liaison avec l'employeur et je suis formatrice en milieu de travail. Lorsque quelqu'un a besoin d'un appui après avoir obtenu un emploi, je peux l'assister sur une base quotidienne ou en fonction des besoins. Voilà mon rôle.
Je tiens à remercier mes collègues, Julie Dufresne et Kim Hague, de m'avoir aidée à préparer cet exposé. Nous sommes un petit groupe et nous nous sommes donné beaucoup de mal pour le faire.
Je commencerai par une citation de notre amie, Lucy McGinty, de la Première nation de Selkirk, à Pelly Crossing :
La pauvreté est une réalité au Yukon; elle est tout à fait évidente dans notre petite Première nation et elle ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Il faudra du temps et de l'argent pour y mettre fin et pour pouvoir dire sans hésitation que nous avons le contrôle de la situation. La pauvreté touche tous les membres de notre collectivité, à cause de la pénurie dans le domaine du logement, de l'éducation, de l'alphabétisation, de la formation, de l'emploi, des mesures sociales et de la santé, ainsi que du bien-être spirituel et émotionnel. Je considère que l'on devrait doter des collectivités de fonds de lancement qui leur permettraient d'engager la lutte contre la pauvreté; de chercher des solutions pour vaincre la pauvreté et créer un environnement plus sain et plus sûr pour tous. Je dois dire que c'est le groupe des Autochtones qui est la principale victime de cette situation car il a été privé de son indépendance et il faudra beaucoup de temps pour que la situation change, mais j'estime que nous sommes capables d'y parvenir.
Je voudrais ensuite vous lire l'énoncé de mission du Yukon Council on disABILITY :
Être une ressource pour les Yukonnais handicapés pour toutes les questions touchant à l'équité, à la sensibilisation de la collectivité, à la politique gouvernementale et à l'emploi.
Je vous remercie de votre invitation. Nous sommes honorés de représenter tant d'organisations. Pour préparer notre exposé, nous avons parlé à nos partenaires communautaires, ainsi qu'aux Premières nations et à des organismes gouvernementaux et sans but lucratif.
La pauvreté et l'incapacité sont des problèmes complexes. Les deux graphiques figurant au dos de ce document permettront d'illustrer, je crois, les liens existant entre la pauvreté et le fait d'être handicapé. Ces deux documents s'inspirent d'un document intitulé Chronic Poverty and Disability, écrit par l'Action on Disability and Development au Royaume-Uni.
Comme le montre le tableau 1, il y a un rapport bilatéral entre l'incapacité et la pauvreté et les nombreuses variables qui les relient. Je ne m'étendrai pas sur ces variables, mais permettez-moi cependant d'en mentionner quelques-unes.
Au tableau 1, vous verrez que le fait d'être handicapé peut affecter votre revenu personnel. Les Yukonnais handicapés sont vulnérables à la pauvreté pour un certain nombre de raisons. Par exemple, les personnes handicapées se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu'elles veulent faire des études supérieures ou entrer dans la population active. Les difficultés d'accès à l'éducation et à l'emploi signifient également que ces personnes se trouvent exclues des réseaux sociaux et sont parfois isolées.
D'autre part, leurs handicaps entraînent souvent des coûts supplémentaires pour ces personnes. Elles peuvent avoir besoin de technologie d'aide et de matériel spécial. La plupart du temps, ce matériel est coûteux, et au Yukon, l'accès à une aide financière est limité. En outre, le Yukon rural n'est pas accessible, en particulier pour les personnes qui ont des problèmes de mobilité. L'absence de transport peut aussi les empêcher d'avoir une vie active, de rencontrer d'autres personnes, de se rendre au travail, de voir un médecin, et cetera. Le fait d'avoir des contacts sociaux limités peut contribuer à avoir une piètre estime de soi, ce que je constate chaque jour chez mes clients.
En fait, les personnes handicapées se trouvent souvent prises dans un cercle vicieux, comme le montre le tableau 2. Une incapacité peut avoir un effet sur le revenu mais le fait d'être pauvre peut aussi avoir un profond effet sur la vie quotidienne d'un handicapé. Par exemple, il est plus difficile de demeurer en bonne santé lorsque l'on se trouve dans une situation économique inférieure. Le nombre limité d'établissements de santé pouvant accueillir des personnes handicapées crée également un problème dans les régions rurales du Yukon. Les professionnels de la santé et des services sociaux font de leur mieux avec les ressources dont ils disposent. Même ici à Whitehorse, il y a une pénurie de professionnels, notamment de psychiatres — nous n'en avons qu'un — d'audiologistes, d'infirmières et de médecins. Bon nombre de nos clients vont dans le Sud pour se faire soigner. D'autre part, l'accès à un régime alimentaire nutritif et varié et à des fruits et des légumes d'un prix abordable présente un défi constant dans les régions rurales du Yukon.
Il y a une terrible pénurie de logements à prix modique accessibles au Yukon. Nos clients — et cela se produit tous les jours — nous disent combien il leur est difficile de trouver des logements acceptables et sécuritaires sans moisissure et parasites, dotés d'un chauffage approprié, alimentés en eau et sans trafiquant de drogues comme voisin. Au cours de nos visites dans les collectivités, on nous a dit que la situation est désastreuse. Louer un appartement au Yukon coûte très cher. Les mauvaises conditions de vie ont d'énormes répercussions sur la santé physique et mentale. Les gens courent alors plus de risques de se blesser, de tomber malades ou d'être handicapés en présence de conditions non hygiéniques, moins sûres et stressantes.
En outre, tout le monde a le droit d'avoir une expérience, des activités et des rapports sur le plan social, récréatif et culturel, et tout le monde en a le besoin. Cependant, lorsque les besoins quotidiens sont à peine satisfaits, il est difficile de trouver de l'argent pour des activités récréatives. Ces personnes se trouvent alors socialement isolées. Nous considérons que l'isolement social est à la fois causé par les problèmes de santé et une situation économique précaire.
Le transport est également un problème pour les personnes à faible revenu au Yukon à cause de l'immensité du territoire. Pour ceux qui ont des revenus limités, il est difficile d'acheter une automobile et de l'utiliser. Il n'y a pas de réseau de transport qui relie les diverses collectivités. Même à Whitehorse, lorsqu'il fait 40 degrés sous zéro, il est hors de question de se rendre à pied au travail, à l'école ou à un rendez-vous chez le médecin. Ce problème de transport devient encore beaucoup plus compliqué pour les personnes handicapées.
Nous concluons cet exposé en recommandant que des mesures soient prises pour réduire la pauvreté et l'effet des facteurs que nous venons de décrire.
Premièrement, il faudrait créer des logements sociaux plus inclusifs au Yukon, en particulier dans les collectivités rurales. Les personnes âgées, les jeunes, les familles monoparentales, les femmes à risque et bien entendu, les personnes handicapées devraient pouvoir avoir accès à des logements sécuritaires et abordables.
Deuxièmement, l'emploi et l'éducation constituent l'un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté. Les gens devraient pouvoir avoir les moyens de poursuivre des études, même dans de petites collectivités. L'exode des jeunes se fait sentir dans l'ensemble du territoire. Il faut nous assurer que les enfants continuent à fréquenter l'école.
Troisièmement, il faudrait mettre en service un réseau de transport privé ou public reliant l'ensemble du Yukon ou apporter un appui à sa création.
Quatrièmement, il y a une foule de programmes de prévention au Yukon dans différents domaines, y compris l'alcool, le tabac, les programmes de bébés en santé et les drogues. Envoyer des messages positifs est une bonne idée, mais il faut aussi que les gens puissent réaliser les changements requis. Dans les petites collectivités en particulier, ils devraient pouvoir avoir accès à une alimentation nutritive, à prix abordable, à des activités récréatives et culturelles.
Cinquièmement, il faudrait appuyer la création de projets économiques et sociaux dans les régions rurales du Yukon afin de permettre aux gens d'être plus autonomes et capables de subvenir à leurs besoins. Les collectivités rurales n'offrent pas beaucoup de possibilités d'emploi. En outre, elles ont besoin de projets sociaux qui faciliteront l'établissement de réseaux sociaux plus forts.
Sixièmement, le milieu de travail devrait être aménagé de manière à pouvoir accueillir les personnes handicapées.
Septièmement, les gouvernements devraient continuer à développer le système de soins de santé dans les collectivités rurales. Les personnes handicapées pourraient alors vivre n'importe où au Yukon. Elles ne seraient pas obligées de venir s'installer à Whitehorse pour bénéficier du soutien et des services médicaux, sociaux ou autres dont ils ont besoin.
Kate O'Donnell, directrice, Maryhouse : Je remercie le comité d'avoir invité Maryhouse à participer. Je suis directrice de Maryhouse Apostolate. Je crois qu'il serait bon d'esquisser un bref historique de cette organisation et d'expliquer comment nous sommes venus au Yukon et ce que nous faisons pour les pauvres.
En 1953, l'évêque Jean-Louis Coudert, OMI, a invité Madonna House Apostolate a ouvrir sa première mission, ici au Yukon. Madonna House Apostolate est une communauté de laïcs, de femmes et de prêtres sous les auspices de l'Église catholique. En novembre 1953, Catherine DeHueck Doherty, notre fondatrice, est venue en visite et a accepté d'y envoyer une équipe. En 1953, Whitehorse était un lieu bien différent. En mai 1954, les trois principaux membres de notre équipe sont partis de Combermere, en Ontario et sont arrivés ici le 13 juin 1954.
Lorsque l'évêque Coudert nous a invités à Whitehorse, il nous a demandé de pourvoir aux besoins essentiels, tant physiques que spirituels des habitants du Yukon. Notre premier et principal objectif était alors de fournir un gîte aux hommes et aux femmes du Yukon qui avaient besoin de venir à Whitehorse pour des raisons d'ordre médical. Bon nombre de ces personnes étaient des femmes enceintes venues des diverses collectivités car les médecins jugeaient qu'il était plus prudent qu'elles accouchent à Whitehorse. L'évêque Coudert s'était rendu compte qu'il y avait peu de logements sécuritaires pour les personnes qui arrivaient en ville. À l'époque, il y avait de nombreux arrivants au Yukon, en particulier des hommes qui cherchaient du travail. Il était fréquent qu'ils n'aient pas les moyens de s'installer à l'hôtel. Je crois que le jour où nous sommes arrivés ou le lendemain, en tout cas peu de temps après — nous en avons une photo — un groupe de personnes qui se rendaient de l'État du Missouri à l'État de l'Alaska s'étaient trouvées en panne au Yukon et n'avaient nulle part où aller. Cette nuit-là ou la nuit suivante, quatre ou cinq de ces personnes sont venues vivre chez nous en attendant de pouvoir poursuivre leur voyage.
L'évêque Coudert nous a également demandé de répondre aux besoins de tous ceux qui vivaient autour de nous à l'époque. Maryhouse est une maison installée dans un des quartiers de la ville. Comment vivons-nous? Nous vivons de donations. Nous ne recevons pas de salaire et continuons à dépendre de la générosité des bienfaiteurs pour faire notre travail. Au cours de ces 54 dernières années, nous sommes venus en aide à toutes sortes de personnes, y compris de voyageurs tombés en panne ici, en particulier des personnes venant des États-Unis, ce qui arrive encore. Il est difficile de trouver de l'aide pour les voyageurs. La responsabilité d'aider les gens retombe souvent sur les églises ou sur Maryhouse. Comme nous vivons d'aumônes et que nous aidons les personnes qui séjournent chez nous, d'autres personnes entendent parler de nous et nous demandent de l'aide. Voilà le genre de personnes que nous avons touché. C'étaient souvent des personnes qui ne figuraient peut-être pas sur les listes de l'aide sociale, mais qui avaient besoin d'aide.
Nous avons découvert que les personnes qui faisaient appel à notre aide le faisaient individuellement. Nous n'avions pas de programme annonçant, « Nous sommes ouverts, venez nous aider ». Au fil des années, la distribution de nourriture est devenue une de nos activités. Whitehorse n'a pas de véritable banque alimentaire. Nous avons des programmes de distribution d'aliments. L'Armée du Salut est importante et apporte, elle aussi, une aide réelle. Elle a une cantine qui est ouverte cinq jours par semaine. Cependant, les gens venaient chez nous pour trouver quelque chose à manger. Nous avons donc maintenant ce que nous appelons un programme d'alimentation d'urgence. Nous sommes uniquement autorisés à distribuer des aliments non périssables. C'est ce que nous donnons. Les gens peuvent y avoir accès. Nous n'avons pas beaucoup de critères. Nous nous contentons essentiellement de demander aux gens de s'identifier pour savoir à qui nous avons affaire.
Depuis des années, les gens font appel à nous pour diverses raisons, par exemple, quelqu'un qui est en panne d'essence et qui se trouve dans une situation critique. Ce sont des personnes qui peuvent avoir un emploi ou même deux, mais qui font appel à nous lorsque leur laveuse cesse de fonctionner, que leur voiture a des problèmes ou qu'ils sont à court de bois; ou encore qu'ils n'ont peut-être pas pu payer leur facture de chauffage et qu'ils ont besoin de quelque chose. Nous les écoutons et nous les aidons si nous le pouvons. Nous nous chauffons nous-mêmes au bois et nous leur en donnons.
À n'importe quel moment de la semaine ou de la nuit, des gens viennent frapper à notre porte. Ce sont souvent des hommes seuls, sans abri, qui cherchent des chaussures, des bottes, des tuques et des gants pour l'hiver. En été, ils nous demandent des vêtements. Ils se contentent parfois de nous demander un simple verre d'eau. Nous n'avons pas beaucoup de place pour les sans-logis et ce sont donc eux qui viennent à nous. Nous sommes là, tout simplement; et nous pouvons leur offrir un verre d'eau.
Nous coopérons souvent avec d'autres agences de Whitehorse, en particulier l'Armée du Salut, Kaushees Place, le Centre pour femmes Victoria Faulkner et diverses églises.
Il y a quelques semaines, j'ai assisté à une réunion à laquelle la mairesse de Whitehorse, Bev Buckway, a parlé de la situation du logement à Whitehorse. Mme Buckway a noté que les gens parlaient souvent d'itinérance et d'itinérance relative. Je crois que Maryhouse touche les personnes que nous classerions dans les catégories des pauvres relatifs ou cachés. Beaucoup de gens donnent l'impression de bien fonctionner ou de ne pas être totalement démunis, mais en fait, ils ont des problèmes. Ils sont pauvres. Il y a beaucoup plus de pauvreté cachée ici. Bon nombre de personnes avec qui nous entrons en contact, comme je l'ai dit, peuvent avoir un emploi; elles ont parfois même deux emplois mais avec un salaire minimum. Elles ont souvent des emplois à temps partiel sans avantages sociaux, ce qui limite leur accès aux soins de santé et autres services du même genre.
Ce que je sais, c'est que si ces personnes occupent un emploi à salaire minimum, elles ne bénéficient d'aucun soin dentaire. Ces soins sont réduits au minimum. C'est une des choses qui influent sur la santé et tout le reste.
Certains de ceux que nous rencontrons mènent cette vie marginale parce que ce sont des toxicomanes, ou parce qu'ils ont des problèmes de santé mentale ou encore parce qu'ils souffrent de handicaps physiques.
Cela fait 54 ans que j'essaie d'être là pour ceux qui sont dans le besoin. Je dirai qu'en dehors de ceux qui utilisent notre programme des aliments, ceux qui viennent le plus souvent chez nous sont des hommes seuls, qui semblent être ceux qui sont les plus démunis.
Ross Findlater, coprésident, Yukon Anti-Poverty Coalition : Bonjour. Merci de bien vouloir nous entendre. Je suis coprésident de Yukon Anti-Poverty Coalition et également président du Whitehorse Planning Group on Homelessness.
« Larry » avait 17 ans. Il avait vécu toute sa vie dans des familles d'accueil et dans des foyers de groupe. Mais la chance lui avait enfin souri car il faisait maintenant partie d'un programme de soins de transition où on le préparait à la vie active.
C'était la première fois qu'il allait faire des provisions. Au bout d'un quart d'heure, on l'avait retrouvé errant dans le magasin. Quand on lui a demandé s'il y avait un problème, il a avoué qu'il n'avait jamais fait de courses auparavant. Quand on lui a demandé ce qu'il aimait manger, Larry a répondu « de la soupe aux tomates ». On l'avait alors dirigé vers l'allée où se trouvaient les soupes. Dix minutes plus tard, on l'avait repéré à nouveau, mais cette fois, son panier était rempli de conteneurs de soupe aux tomates. Il avait 17 ans et n'avait pas la moindre idée de ce que c'était de faire des courses.
Imaginez ce que cela serait pour nous de ne jamais avoir fait de courses en compagnie de son père ou sa mère ou de n'avoir jamais eu l'occasion de faire quoi que ce soit dans la cuisine. Imaginez n'être jamais allé dans une banque ou n'avoir jamais été amené dans un magasin d'ameublement et de se retrouver tout d'un coup seul pour le faire.
Cette histoire véridique de Larry a eu une fin heureuse, mais tout le monde n'a pas cette chance. La pauvreté prend des formes très diverses au Yukon; notamment sur le plan du manque d'opportunités et d'expérience.
En novembre dernier, le gouvernement territorial du Yukon a annoncé qu'il avait l'intention de relever les taux d'aide sociale, qui n'ont pas changé depuis 1992. Un des objectifs de cette augmentation est d'améliorer les chances du bénéficiaire de s'affranchir de toute aide financière. Le gouvernement territorial a précisé que l'aide à l'hébergement et au loyer sera portée des 390 $ actuels à 490 $ par mois. La plus récente enquête sur les loyers du Yukon Bureau of Statistics pour décembre 2007 indique que dans le centre de Whitehorse, le loyer médian pour un appartement d'une chambre est de 690 $ et de 725 $ pour un appartement d'une chambre à Riverdale. C'est dans ces deux secteurs de Whitehorse que l'on trouve la vaste majorité des appartements.
Quel que soit le moment où les taux proposés entreront en vigueur, le fait qu'il manque déjà 200 $ à un locataire pour couvrir son loyer mensuel ne l'aidera pas à se débarrasser de la dépendance à l'égard de l'aide gouvernementale. Cela signifie qu'il devra réduire considérablement le poste nourriture pour payer le loyer et qu'il ne lui restera plus d'argent pour se nourrir dès la fin de la seconde ou troisième semaine du mois, situation dont les politiciens et nous- mêmes entendons parler depuis plusieurs années.
Pour ces raisons, le recours aux banques alimentaires et aux programmes de distribution de repas chauds est beaucoup plus fréquent à Whitehorse, en particulier dans le cas des femmes et des enfants. Cela a également conduit la Yukon Anti-Poverty Coalition à créer une nouvelle Whitehorse Food Bank Society, un service complet de distribution alimentaire à Whitehorse. Ces services sont accessibles aux Yukonnais à faible revenu des collectivités extérieures dans la mesure où ils sont capables de se rendre à Whitehorse.
Dans votre rapport intérimaire, vous déclarez que le manque de transport est à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté dans les régions rurales. C'est certainement le cas au Yukon. En novembre dernier, une autre coprésidente de la coalition et moi-même avons tenu des consultations sur les problèmes de pauvreté dans les collectivités extérieures de Whitehorse. Nous avons entendu dire que des personnes âgées et de jeunes mères célibataires de ces collectivités avaient beaucoup de difficulté à accéder à de nombreux biens et services, notamment les produits d'épicerie. Lorsque ces personnes peuvent profiter de la voiture d'une autre personne pour se rendre à Whitehorse, l'occasion est trop fréquemment gâchée lorsqu'elles se font rançonner par le conducteur qui exige d'être payé, ou réclame plus d'argent, sous peine de ne pas les ramener chez elles.
Des études longitudinales ont montré que l'absence d'un régime nutritif bien équilibré aboutit avec le temps, à une diminution de la santé physique et mentale, si bien que la spirale descendante de la pauvreté se poursuit.
Un des facteurs qui contribuent à la pauvreté au Yukon est l'absence de compréhension et le manque de possibilités de traitement pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Les individus dont le processus cognitif est différent ont des difficultés à trouver et à conserver un emploi satisfaisant et bien rémunéré. En tant qu'ancien membre du conseil d'administration national de l'Association canadienne pour la santé mentale, je connais bien les stigmates qui s'attachent aux Yukonnais ayant des problèmes de santé mentale dans leur vie quotidienne et les effets que cela a sur eux.
Comme vous l'avez dit dans votre rapport intérimaire, la faiblesse de la population a joué un rôle dans l'absence d'options de traitement nécessaires et désirables au Yukon. Par exemple, on continue à suggérer la création d'un programme de traitement de jour depuis mon arrivée au Yukon il y a plus de 30 ans. Si de tels services et moyens de soutien étaient mis en place localement, il serait à notre avis possible d'aider un plus grand nombre de Yukonnais ayant des troubles mentaux à trouver un emploi stable.
Quelle est la bonne solution? La bonne solution est d'interroger les victimes de la pauvreté et de les écouter. Un bon exemple de cette démarche nous est donné par le Fonds de loisirs pour enfants du Yukon qui connaît un grand succès et est très apprécié. Il améliore considérablement l'égalité des opportunités en apportant une aide financière aux enfants des familles à faible revenu, leur permettant ainsi de participer à des activités récréatives, des sports, des activités dans le domaine de la musique et de la danse. Lorsqu'on les a interrogés, les parents à faible revenu ont clairement indiqué leurs priorités.
Quelle autre bonne solution y a-t-il? Au fil des années, la coalition a proposé aux trois derniers gouvernements territoriaux d'adopter une approche multisectorielle et inclusive à l'élaboration d'une stratégie globale de lutte contre la pauvreté au Yukon.
L'Initiative de partenariats en action communautaire (IPAC) du gouvernement fédéral, et maintenant, la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance, étaient parfaitement ciblées. L'approche multisectorielle communautaire s'est avérée efficace dans des collectivités de tout le Canada, y compris à Whitehorse.
La pauvreté et le problème connexe de l'itinérance sont un peu comme un iceberg. La plupart des gens ne voient que le bout qui dépasse. En règle générale, les Yukonnais font preuve de compassion lorsqu'ils savent que la pauvreté est réelle et qu'ils en connaissent les effets sur les familles du Yukon, comme le montre leur générosité en octobre dernier au cours de la Semaine de lutte contre la pauvreté et l'itinérance que nous avons parrainée. Lorsque nous permettons aux gens de connaître les faits, ils réagissent comme il se doit.
Nous croyons indispensable de travailler de concert afin d'édifier une société compatissante qui offre d'égales possibilités à tous les citoyens de prospérer et permet d'assurer une distribution équitable de la richesse.
En conclusion, je voudrais citer Norman MacEwan :
Il y a plus de bonheur dans le partage que dans la possession. Nous gagnons notre vie grâce à ce que nous acquerrons, mais c'est en donnant que nous donnons un sens à la vie.
Je vous remercie de votre attention.
[Français]
Claude Gosselin, prêtre, Groupe de concertation Solidarité Pauvreté : Madame la présidente, je vous remercie de votre invitation. Je suis représentant du Groupe de concertation Solidarité Pauvreté. C'est un groupe qui existe depuis à peine quatre ans, et qui est constitué d'un regroupement libre de différents organismes qui se soucient de la pauvreté chez les francophones.
Le groupe a commencé curieusement avec ce questionnement : « Est-ce qu'il y a des pauvres chez les francophones? » On a l'impression que les francophones au Yukon sont ici pour le plaisir. On s'est alors posé des questions sur cette réalité et cela a permis le regroupement des gens de différents milieux tels : l'Association franco-yukonaise, bien sûr, des gens du domaine de la santé, des groupes de femmes, des gens de l'église où je travaille, des groupes qui se soucient de l'économie chez les francophones et des groupes scolaires.
Notre réflexion, porte sur les mêmes enjeux que ceux de la Yukon Anti-Poverty Coalition. Les enjeux sont les mêmes pour tout le monde. Les francophones qui ont choisi de vivre ici ont des difficultés supplémentaires à cause de leur langue. Ces difficultés sont difficiles à nommer parce qu'on se dit si les francophones sont venus vivre ici, bien qu'ils endurent la réalité linguistique. On vit tous au Canada et l'on a tous droit aux mêmes services. Il y a des réalités cachées et c'est cela qui est difficile à nommer ou à comptabiliser.
Un de nos objectifs est d'assurer la sensibilisation à la pauvreté des francophones parce que c'est un fait. Est-ce que, effectivement, on peut nommer une pauvreté qui est reliée à la francophonie? Je vous nomme donc quelques causes qu'on a pu identifier : l'isolement vécu par les francophones, soit à cause de la langue ou de l'éloignement de leur propre famille. Il manque des réseaux en dehors des familles puisque nos familles ne sont pas ici.
Il y a une pauvreté que j'appelle une pauvreté cachée car les gens n'osent pas nécessairement demander de l'aide puisqu'ils se disent : « J'ai voulu venir ici. » Mais, quand la réalité frappe, soit qu'ils soient malades, que la famille grossisse, qu'il y ait une perte d'emploi ou des difficultés à en trouver un, à un moment donné, ils seront obligés de vivre avec moins et d'aller chercher des services.
La barrière linguistique, bien sûr, est une autre cause. Que ce soit des services de santé, des services sociaux, ou de la justice, c'est toujours un droit à défendre. À ce moment-là, on peut toujours se débrouiller en anglais, mais quand on est malade, on aime bien savoir ce qu'on a en français. Les services sociaux, spécialement ceux concernant les familles, ne sont pas nécessairement des services bilingues. Il y a certains efforts qui sont faits par tous ces services, mais il reste que l'on est obligé d'admettre qu'on n'a pas de service en français pour régler un problème familial, économique ou un problème de justice, et cela ajoute un degré de pauvreté supplémentaire.
Les francophones au Yukon ne représentent que 1 200 à 1 500 personnes sur le même territoire d'une population de 30 000. Ces francophones sont activement impliqués dans différents secteurs de la population et se ils mêlent au monde anglophone. Il reste qu'il y a peut-être une inégalité des chances. Si tu arrives au Yukon et tu es un employé du gouvernement, tu risques de ne pas avoir trop de problème. Tu vas même avoir de la difficulté à identifier des pauvres francophones. Mais si tu arrives ici sans emploi, pour recommencer une vie et vivre plus simplement, je ne suis pas sûr que tu vas avoir les mêmes droits et les mêmes chances. C'est pour cette pauvreté qu'on essaie de trouver des solutions.
La solution la plus simple est de se parler, de favoriser une concertation et une réflexion commune pour développer un réseautage entre différentes organisations; découvrir ensemble les ressources qui existent en anglais et peut-être aiguillonner les personnes vers les ressources déjà existantes, mais qui ne sont pas nécessairement visibles pour les francophones.
Identifier les besoins des francophones du Yukon qui vivent la pauvreté, et des problèmes de logement. Ce que Ross exprimait tout à l'heure, ce sont les mêmes besoins. Par contre, la barrière linguistique crée davantage d'isolement pour ces personnes et restera un des points majeurs. Pour contrer l'isolement et aider les gens à exprimer leurs besoins, un des mandats de l'Association franco-yukonaise est de rassembler les francophones pour avoir certains sons de cloche sur leur réalité. Ils organisent des rassemblements culturels, le souper communautaire du vendredi, ce qui nous permet de cibler les nouveaux arrivants; de cerner leurs besoins; de détecter ceux et celles qui ne viennent plus. Habituellement, ce n'est pas parce qu'ils vont mieux, mais peut-être parce qu'ils vivent des difficultés. Alors, cela nous rend plus sensibles à chacun des individus et à leur réalité.
Il est très difficile d'identifier les solutions adaptées à la pauvreté chez les francophones, parce qu'on ne veut pas nécessairement ghettoïser la pauvreté francophone. Depuis un an ou deux, on adopte davantage les objectifs de la Yukon Anti-Poverty Coalition et on essaie d'exposer ce que des francophones peuvent vivre par rapport à ces réalités particulières. La banque alimentaire sera bilingue : je veux dire manger, cela se fait dans toutes les langues. Mais les francophones vont-ils se sentir bienvenus à cette banque alimentaire? Quand on peut travailler à la base dans la construction de ces objectifs, c'est tant mieux.
Favoriser la mise en place de solutions communes pour lutter contre la pauvreté. En se parlant, on peut développer, « Ah oui, un tel fait ceci, on va ouvrir cela à tout le monde. Un tel fait cela ou un tel pourrait faire ceci, mais on a besoin d'aide, on a besoin d'un appui d'une autre organisation. » On a alors un lieu où l'on peut se concerter davantage et mettre en place des réseaux d'entraide par rapport aux naissances d'enfants, à des deuils qui sont parfois difficiles à vivre, et susciter le bilinguisme chez des organisations qui existent déjà, créer des cuisines collectives, ouvrir davantage le repas communautaire gratuitement le vendredi soir. Il y a plein de petites choses qui, à un moment donné, fait une différence parce qu'il y a des lieux où les gens peuvent s'exprimer et faire valoir leur réalité.
Assurer la représentation et la revendication pour la lutte contre la pauvreté. Carrément, on se colle sur les objectifs de la Yukon Anti-Poverty Coalition pour développer ce qu'on souhaite un jour, le Free Younger Whitehorse; un jour, dans cinq ans, où effectivement, on pourrait penser à un Yukon libre de toute pauvreté.
J'aurais quelques petites recommandations qui viennent plus d'observations que d'études : favoriser le service bilingue des services de première ligne, parce que c'est là qu'on a le plus de besoins, que ce soit les services sociaux, les services de santé, les services juridiques. Si en première ligne, on est servi dans notre langue, c'est sûr que les solutions vont venir plus rapidement.
Favoriser la concertation entre les organismes francophones, et avec tous les organismes sur le territoire pour qu'on puisse harmoniser davantage nos ressources. Là, où l'on se bute souvent, c'est que les services sont nombreux au Yukon, il ne nous manque rien au Yukon. J'ai de la misère à dire cela, car j'ai peine à y croire, mais il paraît qu'ils reçoivent 900 millions de dollars par année du fédéral pour tous les services offerts au Yukon. Comment pourrait-on décloisonner ces services pour avoir un espace de créativité, qui ferait qu'on arrêterait de se dire : « Ah, cela, ce n'est pas mon domaine, il faut que tu parles à telle autre personne » ou « Pour cela, il faut que tu parles à telle autre personne, il faut que tu parles à tel autre service. »
On n'est que 30 000 personnes ici. On peut tous tuer notre caribou, notre original, pêcher à l'année, se faire une réserve de saumon et il y a encore du monde qui ne mange pas et il y a encore du monde qui a de la misère à se loger. Il me semble qu'on pourrait être un lieu de créativité beaucoup plus fort qui nous permettrait de passer de l'utopie à la réalité. C'est souvent ce qui amène les gens ici. Tout le monde a ce dynamisme d'inventer quelque chose et l'on se bute souvent à des contraintes administratives qui viennent tuer cette créativité et nous obliger au même constat que si on était dans de grandes villes. Tout le monde connaît tout le monde. Cela va bien quand tu as des amis ici. Mais quand tu es pauvre, tu as moins d'amis.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Premièrement, je vous remercie de vos déclarations. Elles sont toujours instructives. J'ai un certain nombre de questions que j'avais griffonnées au début mais auxquelles le témoin suivant a répondu. Je souhaitais parler du logement. Je voudrais maintenant parler de la disponibilité de logements en général. Je vais adresser cette question à Mme Lawson. Quel est le pourcentage de logements disponibles qui sont accessibles pour les personnes handicapées?
Mme Lawson : Dans le cas de Watson Lake, il y a un seul endroit apparemment qui est accessible. Pour tout le territoire ou Whitehorse, notre ville, je ne connais pas le chiffre, mais il est extrêmement bas. Nous avons constamment des clients qui nous demandent une aide financière pour les aider à adopter les logements existants. Il y a des personnes en fauteuil roulant qui sont physiquement condamnées à vivre dans deux pièces; ce sont des personnes qui ont des problèmes de mobilité.
L'existence de logements accessibles est un très gros problème sur le territoire. Je regrette, mais je n'ai pas de chiffre à vous donner.
Le sénateur Mercer : Je m'en doutais, mais j'essayais de me faire une idée de la situation.
Mme Lawson : Il y a très peu de logements.
Le sénateur Mercer : Y a-t-il des logements sociaux à Whitehorse, pour les personnes âgées ou pour les familles?
M. Findlater : Oui, nous en avons 480 environ, au total. Ils sont administrés soit par la Whitehorse Housing Authority soit par la Grey Mountain Housing Society, un programme de logement des Premières nations. Grâce aux Jeux d'hiver du Canada tenus l'an dernier, nous avons eu la chance de bénéficier de 48 nouvelles unités. Nous avons de beaux logements sociaux neufs pour 48 groupes de personnes âgées, familles ou individus.
Le sénateur Mercer : Ces 480 logements constituent l'essentiel des logements locatifs à Whitehorse?
M. Findlater : J'ai les statistiques de décembre. À Whitehorse, il y avait 851 appartements à louer. Je ne pense pas qu'il s'agissait de logements sociaux. Je crois que c'étaient des logements privés. Les 480 logements sociaux représentent à peu près un tiers du total des appartements disponibles à Whitehorse.
Le sénateur Mercer : Il y en a environ 1 300 au total.
M. Findlater : Mme Lawson a répondu tout à l'heure qu'il n'y avait qu'un appartement accessible à Watson Lake, or, il y en a 35.
Le sénateur Mercer : Partout où nous allons, on nous parle du problème de la santé mentale et du manque de professionnels dans ce domaine. La situation est encore aggravée par l'éloignement par rapport aux grands centres.
Il me semble que les facultés de médecine de notre pays reçoivent des millions de dollars du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux. Cela faciliterait-il les choses que les écoles de médecine du Sud prévoient, dans le cadre de la formation des médecins résidents, un stage à Whitehorse? À votre connaissance, le territoire a-t-il jamais essayé de s'entendre avec ces facultés pour le faire? Cela coûte cher d'envoyer quelqu'un dans le Sud. Comme Larry Bagnell l'a d'ailleurs dit tout à l'heure, pour quelqu'un qui débarque seul à l'aéroport de Vancouver, quelqu'un qui n'est peut-être jamais sorti du territoire et qui peut être un membre des Premières nations, l'expérience est terrifiante. Elle l'est déjà pour ceux d'entre nous qui voyagent régulièrement et débarquent à l'aéroport de Vancouver.
À votre connaissance a-t-on jamais essayé de prendre contact avec des facultés de médecine?
Mme Lawson : Je ne pense pas. En ce qui concerne la question de la santé mentale, nous avons eu la chance que l'Association canadienne pour la santé mentale amène ici la Commission canadienne des droits de la personne. Nous avons tenu trois ateliers la semaine dernière à l'occasion de la Semaine nationale de la santé mentale. Plus de 100 personnes ont participé au dernier atelier, qui était consacré aux personnes atteintes de maladie mentale, ce qui pourrait représenter une personne sur cinq. Regardez autour de notre table. Combien d'entre nous souffriront-ils, ou ont souffert d'une maladie mentale?
Cet atelier avait pour objet d'aider les personnes atteintes de maladie mentale à réintégrer la population active. Il est fréquent que des gens arrivent en disant : « J'ai mal au dos », mais une fois que les travailleurs de la santé les connaissent et parviennent à leur donner confiance, ils se rendent compte qu'il ne s'agit pas simplement de maux de dos. Il s'agit en fait d'un problème de santé mentale. Ces personnes peuvent en réalité souffrir de troubles bipolaires, de dépression ou de bien d'autres choses encore.
Notre ami, Brian Eaton, travaille pour la Second Opinion Society, ici, à Whitehorse. Il a fait des copies d'un merveilleux document qu'il va aussi vous remettre. Il traite de la santé mentale dans le territoire. C'est un énorme problème.
Le sénateur Mahovlich : J'ai quelques questions à vous poser. En ce qui a trait au coût de la vie, vous avez dit que le financement de l'aide sociale existe depuis 1992?
M. Findlater : C'est exact. Nous en sommes à notre seizième année de financement de l'aide sociale. Les données du gouvernement font état d'une augmentation du coût de la vie de 25,6 p. 100 au cours de cette période. À l'heure actuelle, les gens fonctionnent avec environ 74 cents par dollar. Le gouvernement a annoncé son intention d'augmenter les montants, mais bien que cela ait été annoncé il y a trois mois et demi, rien n'a encore été fait. L'augmentation ne fera que ramener un financement inapproprié à l'augmentation du coût de la vie sans pour autant refermer l'écart.
Le sénateur Mahovlich : Le coût de la vie évolue chaque année.
M. Findlater : Oui, c'est un fait.
Le sénateur Mahovlich : Quelqu'un a attiré l'attention du gouvernement sur ce fait. Comme le coût de la vie change à chaque année, ainsi en est-il du coût de la pauvreté.
M. Findlater : Oui, il y a deux ans la Yukon Anti-Poverty Coalition a été heureuse d'appuyer le plan du gouvernement d'indexer le salaire minimum. Désormais, le salaire minimum augmente d'un certain pourcentage le 1er avril en fonction du coût de la vie. Nous favorisons une même approche directement avec le ministre pour l'aide sociale parce que les gens ne peuvent attendre encore 16 ans avant que les taux n'augmentent.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Gosselin, vous avez dit que les choses doivent changer. N'avez-vous jamais voyagé disons en Finlande, en Norvège ou même en Sibérie, qui sont des pays nordiques, pour y observer ce qui s'y fait en matière de pauvreté? Ces pays ont-ils des niveaux de pauvreté comme nous en avons dans notre région du Nord? N'avez-vous jamais pensé à quelque chose du genre? Pour changer, peut-être devrons-nous aller à l'extérieur de nos frontières pour découvrir si d'autres personnes ont des solutions meilleures que les nôtres.
[Français]
M. Gosselin : Si vous avez un peu d'argent à me donner pour y aller, ce sera un plaisir, sénateur, de prendre un peu de temps pour aller voir en Norvège ou en Sibérie. Mais je n'avais jamais quitté le Québec avant de venir ici.
Il y a sûrement des études qui sont faites, mais il faudrait faire confiance à notre vision locale, à nos ressources locales et au potentiel de créativité des gens qui sont ici.
Ce que Ross dit, pourquoi est-il obligé de le répéter tous les ans? Pourquoi est-on obligé de répéter les mêmes réalités tous les ans? On peut aller en Sibérie pour s'apercevoir qu'ils ont trouvé une réponse, mais je ne suis pas sûr que M. Putin a beaucoup de réponses sur le sujet présentement.
[Traduction]
Le sénateur Peterson : Madame Lawson, vous avez parlé de déficience. Les gens qui ont besoin d'un fauteuil roulant ou d'un équipement spécialisé peuvent-il s'adresser à un ministère provincial pour obtenir une aide financière?
Mme Lawson : Santé et Affaires sociales du Yukon offre des soins à domicile. D'une part, il n'y a pas beaucoup de gens. Si quelqu'un a subi un traumatisme médullaire, vous pouvez compter sur les doigts d'une seule main le nombre de personnes qui peuvent rester sur le territoire. Voilà pour le début.
Par exemple, Mme Judi Johnny, qui est assise tout près de vous, a eu des problèmes avec son fauteuil roulant. Il y a quelqu'un sur le territoire qui peut aider à les modifier. Toutefois, la plupart du temps, les gens doivent aller à l'extérieur pour que l'on puisse adapter leur fauteuil. Il n'y a rien ici. Les gens doivent s'absenter pendant plusieurs semaines à la fois, et parfois des mois — j'ai un client qui a dû s'absenter pendant quatre mois — pour que leur équipement soit adapté à leur corps.
Il y a deux grands fournisseurs ici. L'un est Northern Alpine pour l'orthétique et les appareils destinés aux personnes ayant un handicap. Les personnes qui ont besoin de services de réhabilitation ou qui ont subi une blessure, une blessure importante, sont envoyées à l'extérieur de la région. Ici, il n'y a rien qui permette de les accommoder.
Quand à vivre dans une collectivité, sachez qu'à Dawson City les rues sont en terre battue et que les trottoirs sont en bois. Les trottoirs en bois sont munis de marches et ne sont pas accessibles. Plusieurs immeubles de notre ville ne sont pas accessibles par la rue principale, par exemple la librairie. La ville est consciente de ces lacunes et tente de les corriger, mais il s'agit d'aspects qui bénéficient de droits acquis. Ainsi, plusieurs immeubles de la ville ne sont pas accessibles pour Mme Johnny.
Le sénateur Peterson : Madame O'Donnell, vous dites qu'il n'y a pas de banque alimentaire mais qu'il existe des programmes d'alimentation. Est-ce que les programmes deviennent une banque alimentaire? Est-ce que vous constatez que les gens comptent de plus en plus sur votre programme?
Mme O'Donnell : Oui, les gens comptent sur nous et aussi sur l'Armée du Salut, et c'est la raison pour laquelle la Yukon Anti-Poverty Coalition a travaillé à l'établissement d'une banque alimentaire. Le travail est en cours et elle verra le jour. Au début, quelqu'un a dit : « Vous n'aurez plus rien à faire », mais j'ai répondu : « Je ne crois pas. » Les gens continueront de passer à travers les mailles du filet et auront besoin de nous. Ils auront besoin de la banque alimentaire et des deux programmes d'aide.
Je ne crois pas que ce besoin disparaîtra.
Le sénateur Peterson : Monsieur Gosselin, vous avez parlé des francophones qui sont venus ici par choix. Existe-t-il des collectivités francophones au Yukon et pour lesquelles il existerait un groupe de soutien solide ou sont-elles plutôt dispersées sur l'ensemble du territoire?
[Français]
M. Gosselin : Selon les statistiques, il y a à peu près de 700 à 800 francophones qui demeurent à Whitehorse. Les autres sont éparpillés sur tout le territoire du Yukon et n'ont pas nécessairement le soutien. À Dawson City, je dirais qu'il y a un rassemblement volontaire de certaines personnes, mais curieusement, les francophones qui vivent en dehors de Whitehorse sentent moins le besoin de s'identifier à la francophonie et d'avoir des services spécifiquement francophones.
Les communautés sont petites et la communauté la plus significative où il peut y avoir certains programmes en français, c'est Dawson City. Mais le noyau dur de la francophonie est à Whitehorse et dans les environs. Tout ce qui est cherché en termes de soutien par rapport au service bilingue entre autres est souhaité pour tout le Yukon, surtout dans les services de première ligne. On parle des services sociaux et des services de santé.
J'ai oublié tout à l'heure de dire qu'il y a un phénomène nouveau. Les gens qui vivent ici invitent leurs parents vieillissants à venir vivre ici parce qu'ils ne veulent pas retourner dans l'Est pour s'en occuper. Donc, les parents âgés viennent ici. J'ai connu des personnes âgées qui écoutaient Télé-Métropole Montréal à la semaine parce qu'ils croyaient qu'ils étaient encore à Montréal. Elles vivaient isolées dans leur maison. Elles recevaient de la visite de home care une fois par semaine. Encore là, c'est difficile d'avoir des services en français. L'isolement est très lourd à porter pour la personne âgée parce qu'elle ne veut pas dire qu'elle regrette d'être venue. C'est aussi très difficile pour les personnes aidantes qui s'occupent de leurs parents âgés. Cela devient lourd à porter, mais encore là, ils ne demanderont pas d'aide parce qu'ils ont choisi de les faire venir.
Dans certains cas, il arrive des situations difficiles à vivre, de violence physique ou psychologique, de manipulation, d'isolement, ou de grande solitude. Curieusement, on doit parler de cas particuliers parce qu'on n'est pas nombreux, mais de plus en plus, les cas particuliers se multiplient dans la réalité des aînés qui viennent au Yukon pour vivre avec leur famille.
[Traduction]
La présidente : Nous tenons à remercier ce groupe de s'être présenté aujourd'hui. Il nous a fait part de choses que normalement nous n'entendrions pas. Il est important pour nous de savoir qu'ici au Yukon il y a aussi des situations difficiles que les gens tiennent pour acquis dans les grands centres et dans d'autres parties du Canada. On ne pense pas toujours que ces difficultés peuvent se produire ici aussi. Vous faites un travail merveilleux et nous vous sommes reconnaissants d'être venus.
Nous sommes heureux d'accueillir le prochain groupe de témoins qui représente le gouvernement du Yukon. L'autre jour, j'ai expliqué à un chic représentant des médias, qui m'appelait à Ottawa, tout ce dont nous voulions parler. J'ai commencé à lui parler des secteurs les plus difficiles dans lesquels nous sommes déjà passés et je lui ai dit que la chose la plus difficile a été de prendre l'avion pour Prince George. Je parlais du dendroctone du pin, et il a dit : « Est-ce que vous parlerez à Tony Hill? » M. Hill est le directeur de la Direction de l'agriculture au gouvernement du Yukon. Le représentant des médias m'a dit que le Yukon éprouve des difficultés incroyables avec le dendroctone du pin.
Nous avons grand hâte d'entendre ce que vous avez à dire.
Lesley McCullough, directrice, Relations intergouvernementales, gouvernement du Yukon : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis ici aujourd'hui en compagnie de M. Tony Hill, directeur de la Direction générale de l'agriculture, de Mme Diane Reed, directrice de la Direction générale de la gestion des forêts, et de M. Bob Holmes, directeur des Ressources minérales, énergie, mines et ressources.
Nous n'avons pas de mémoire officiel à remettre à votre comité. Nous sommes ici en réponse à votre demande. Plus particulièrement, vous avez demandé à M. Hill, à Mme Reed et à M. Holmes d'être ici. J'ai pensé vous situer le contexte et vous donner des renseignements généraux au sujet du Yukon, du gouvernement et de ses relations en particulier avec les Premières nations du Yukon, des rapports juridiques, avec l'espoir que cela vous permette de profiter pleinement de ce que mes collègues et d'autres intervenants pourront vous communiquer.
Une partie de ces renseignements pourrait être nouvelle pour vous et une autre partie pourrait faire référence à des choses que vous connaissez déjà et que vous avez dans votre trousse d'information. J'essayerai donc de faire vite.
Si vous avez des questions auxquelles nous ne sommes pas en mesure de répondre, du moins nous quatre, nous en prendrons note et nous nous engageons à vous fournir une réponse.
Le Yukon est un des trois territoires du Nord canadien. Il a été établi en tant que territoire distinct en 1898 et compte un gouvernement élu, un conseil élu, depuis au moins 1910. Nous avons une longue histoire de développement politique au Yukon. Je ne suis pas sûre que vous ayez déjà été dans d'autres territoires. Si vous prévoyez y aller, vous aurez la possibilité de voir et, j'en suis sûre, d'entendre que nous partageons plusieurs choses avec les autres territoires, mais qu'il y a aussi plusieurs aspects qui nous sont particuliers.
Le Yukon est le seul des territoires à avoir un système de partis politiques, et ces dernières années, chacun des trois partis politiques principaux a formé le gouvernement. Le Yukon a également négocié une Entente sur le transfert de responsabilités avec le Canada, laquelle est entrée en vigueur en 2003. En vertu de cette entente, le Yukon a l'autorité et la compétence législative en matière de ressources naturelles, y compris les terres, les mines et les minéraux, l'eau et l'évaluation environnementale. La Loi sur le Yukon a été modifiée en conséquence. C'est important parce que cela signifie que nous sommes le seul territoire ayant cette particularité. Les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut négocient toujours un transfert de responsabilités.
À la suite de cette Entente sur le transfert de responsabilités, le rapport entre le Yukon et le ministère des Affaires indiennes et du Nord n'est plus le même que dans le cas des autres territoires. Le ministère ne prend plus les décisions concernant les terres et les ressources comme c'est le cas dans les autres territoires.
Le ministère conserve la responsabilité du développement économique du Nord mais le Yukon aimerait conclure une entente à cet effet. Cependant, nos rapports sont différents de ceux des autres territoires.
La population du Yukon se situe entre 32 000 et 33 000 habitants et les trois quarts vivent à Whitehorse, la capitale. Les 6 000 autres personnes résident dans les 16 autres collectivités du Yukon. Ainsi, d'Old Crow, dans le nord, à Watson Lake, dans le sud-est du Yukon, la population est très faible et se situe à moins de 2 000 habitants par collectivité tout au plus. Deux ou trois collectivités ont une population de quelques centaines d'habitants, et certaines, même moins de 100 personnes.
Sept collectivités sont incorporées et ont un gouvernement local. Les autres collectivités ne le sont pas et relèvent de la Loi sur les municipalités, bien que cela ne soit pas tout à fait exact comme je vous l'expliquerai en parlant du rôle des Premières nations et du gouvernement.
Whitehorse est la seule ville en ce qui a trait à la population en vertu de la Loi sur les municipalités. Toutes nos collectivités ont pris de l'expansion à un rythme croissant. Habituellement, la population diminue un peu en hiver mais selon nos données elle s'est accrue ces dernières années, s'est maintenue et progresse maintenant à un rythme lent et stable.
Le quart environ de la population du Yukon se réclame des Premières nations ou d'une autre descendance autochtone. C'est ce qui a incité le Yukon à établir un cadre politique unique au Canada. Le Yukon compte 14 Premières nations. De ce nombre, 11 ont négocié des accords de revendications territoriales, ou ententes définitives comme nous les appelons, et ont également négocié des ententes d'autonomie gouvernementale.
Sénateur Peterson, je crois que vous siégez également au Comité permanent des peuples autochtones. Vous avez aussi entendu des représentants des Premières nations du Yukon la semaine dernière, à Ottawa, lorsque des représentants du Yukon s'y trouvaient.
Selon nous, et nous nous congratulons probablement, nous sommes à l'avant-garde du pays pour ce qui est du règlement des revendications territoriales par les Autochtones. Nous avons abordé la question des revendications territoriales grâce à la négociation d'une entente modèle, une entente finale parapluie, qui sert de cadre pour toutes les revendications territoriales négociées au Yukon. Cette entente garantit un degré élevé d'uniformité au sein d'une population relativement petite. Elle permet également à chacune des Premières nations du Yukon de négocier des dispositions qui lui sont propres et qui respectent nos propres priorités.
Les ententes définitives des Premières nations du Yukon font état d'une variété de droits constitutionnels et de droits issus de traités, y compris une compensation financière et la propriété foncière. Ces ententes confirment que les Premières nations sont propriétaires des terres octroyées par l'entente, et j'estime que la propriété représente environ 9 p. 100 des terres non montagneuses utilisables du Yukon. Les ententes font également référence aux droits de récolte et à la participation aux organismes de gouvernement public. À cet égard, elles sont générales. Toutefois, les Premières nations du Yukon ont des ententes d'autonomie gouvernementale qui en font des personnes morales et qui leur permettent de faire des affaires en leur propre nom et au nom de leurs citoyens.
Ces ententes établissent la compétence législative des Premières nations relativement aux citoyens et aux terres, et les lois adoptées en vertu de ce régime ont préséance sur celles du Yukon portant sur les mêmes questions. Ainsi, une loi valide des Premières nations a priorité sur une loi valide du Yukon.
La Loi sur les Indiens ne s'applique pas aux 11 Premières nations du Yukon qui ont signé des ententes définitives ni aux terres qui leurs sont conférées par l'entente. Bien qu'il existe toujours quelques réserves au Yukon, aucune ne relève de la Loi sur les Indiens.
En général, les Premières nations fournissent des services directement à leurs propres citoyens sur la plus grande partie de leur territoire, y compris des services d'aide sociale, de logement et d'éducation postsecondaire. Cela signifie qu'au Yukon, trois niveaux de gouvernements fournissent une variété de services. Les Premières nations fournissent plusieurs services à leurs propres citoyens. Le Canada offre plusieurs services aux trois bandes qui relèvent toujours de la Loi sur les Indiens et aux Indiens de plein droit qui ne sont pas du Yukon. Le Yukon offre des services au reste de la population.
Une Première nation peut négocier le transfert de services avec le gouvernement, et une telle négociation est en cours à l'heure actuelle. Il y a au Yukon, ce que nous appelons le Yukon Forum qui permet aux gouvernements des Premières nations et au gouvernement du Yukon de se réunir régulièrement pour discuter de questions prioritaires, de domaines sur lesquels ils ont compétence commune et sur lesquels ils souhaitent agir de manière coopérative.
Nous cherchons à rassembler ces divers niveaux de gouvernement afin d'être en mesure d'offrir les meilleurs services possibles à la population. Certaines collectivités du Yukon sont essentiellement constituées de Premières nations. Compte tenu que la région locale est surtout constituée de terres conférées par l'entente, la Première nation locale fournit la plupart des services, puisqu'elle représente le gouvernement local, bien que ce gouvernement ne soit pas assujetti à la Loi sur les municipalités dans cette région.
Les employeurs principaux du Yukon continuent d'être le gouvernement, le secteur minier, le secteur touristique et le secteur du développement des ressources renouvelables. Les représentants du gouvernement du Yukon que vous entendrez aujourd'hui vous en parleront un peu plus.
Le Yukon compte également une communauté artistique en plein essor qui exporte son art vers les marchés du Sud.
J'ai entendu le sénateur parler d'éducation. Le Yukon peut compter sur un niveau d'éducation relativement élevé. Le territoire est bien desservi par le réseau à large bande et par une connexion Internet.
Je vous ai entendu parler du réseau de transport à d'autres intervenants. Comparativement à d'autres territoires, vous constaterez que le réseau de transport est très perfectionné, du moins relativement, puisqu'il n'y a qu'une seule collectivité qui ne soit accessible par la route. Cela signifie que, d'une certaines façon, certaines de nos collectivités qui, bien qu'elles soient isolées, ne sont pas aussi isolées que celles d'autres territoires.
Plusieurs Yukonnais, particulièrement ceux qui vivent à l'extérieur de Whitehorse, ont toujours un mode de vie de subsistance. Ce style de vie est parfois attribuable à des facteurs culturels, parfois à des facteurs économiques, et parfois aux deux.
Ce que vous entendrez aujourd'hui de la part des représentants du gouvernement du Yukon et aussi d'autres intervenants vous amènera à prendre conscience que le Yukon est une terre de contrastes dans l'ensemble du Nord et vous pourrez ainsi mieux formuler vos recommandations. D'une certaine façon, le Yukon est très développé et, à certains égards, comme je suis sûr que vous en entendrez parler, il y a encore beaucoup de défis à relever. J'espère que moi-même et d'autres représentants du gouvernement du Yukon pourront vous fournir l'information que vous attendez de nous et une partie du contexte qui vous aidera à évaluer ces contrastes.
Tony Hill, directeur, Direction générale de l'agriculture, gouvernement du Yukon : Je vous donnerai un peu d'information sur l'agriculture au Yukon. La superficie du Yukon est un peu supérieure à 483 000 kilomètres carrés, soit environ 75 p. 100 de la taille de l'Alberta, mais avec 1 p. 100 de sa population. Au total, seulement 2 p. 100 des terres du Yukon auraient un potentiel agricole et ces terres sont généralement situées le long des grandes rivières du sud et du centre du territoire. En raison du besoin en eau et de conditions climatiques appropriées, les terres arables représentent beaucoup moins que 2 p. 100.
À l'heure actuelle, un peu moins de 10 kilomètres carrés de superficie sont consacrés à l'agriculture, mais un peu moins de 40 kilomètres carrés sont utilisés comme prairies de fauche et pour les cultures de grande production. Le recensement agricole de 2006 fait état de 148 fermes. Cette industrie dessert surtout les marchés territoriaux locaux en aliments et en alimentation du bétail, et elle est menée par les producteurs de foin et de fourrage, de production animale et de production de légumes.
Dans le document que je vous ai fourni, vous verrez à l'examen du diagramme à secteurs qu'environ 45 p. 100 des revenus agricoles totaux proviennent de la production de foin et que cette production reflète une importante population de chevaux au Yukon.
L'industrie des légumes joue un rôle de plus en plus important en agriculture. De même, les industries de l'élevage, de la viande rouge, de la volaille, des œufs, des produits laitiers et d'autres produits animaux, de même que de gazon en plaques et de produits horticoles jouent des rôles importants.
Un certain nombre d'associations représentent les divers intervenants du milieu agricole, y compris la Yukon Agricultural Association, la Growers of Organic Food Yukon, le Fireweed Community Market et la Yukon Food Processors Association.
Les pratiques en matière de production agricole au Yukon vont de l'agriculture biologique à des méthodes d'exploitation intensive plus traditionnelles. En règle générale, les agriculteurs du Yukon comptent sur l'irrigation et utilisent des engrais commerciaux, mais peu d'herbicides, d'insecticides, de fongicides, d'hormones animales ou d'antibiotiques.
Au chapitre de l'irrigation, le Recensement sur l'agriculture de 2006 fait état de 1 851 acres irriguées. Ce chiffre représente environ 20 p. 100 de la superficie des terres cultivées.
La production biologique a fait des progrès ces cinq dernières années. En 2007, il y avait quatre producteurs certifiés biologiques au Yukon; actuellement, un producteur est en voie d'obtenir sa certification. Le nombre s'est accru par rapport au recensement de 2006 alors qu'il n'y avait que deux producteurs certifiés biologiques et deux autres en cours de certification.
Toutefois, plusieurs autres producteurs déclarent utiliser des pratiques biologiques ou quasi-biologiques. La disponibilité d'aliments biologiques pour les animaux et d'engrais organiques sont deux problèmes qui limitent la croissance du secteur de l'agriculture biologique, bien que des aliments organiques pour les animaux soient maintenant produits au Yukon.
D'un point de vue financier, la production agricole semble marginale au Yukon. Pour 2006, les frais d'exploitation d'ensemble de 4,26 millions de dollars sont plus importants que les revenus agricoles totaux de 4,08 millions de dollars. L'écart entre les frais d'exploitation et les revenus agricoles a diminué comparativement à l'an 2000, alors que les revenus s'établissaient à 4,19 millions de dollars et les dépenses, à 4,75 millions de dollars.
Un certain nombre d'études ont été commandées sur les coûts et les revenus de la production agricole au Yukon et elles tendent à montrer que les coûts élevés et la faible production continuent de représenter des défis majeurs pour l'industrie. Plus particulièrement, les coûts de la main-d'œuvre sont considérés comme des contraintes importantes dans le marché actuel. La production à petite échelle et les investissements élevés sont probablement deux autres causes importantes pour expliquer que les conditions financières soient difficiles.
En 2006, l'industrie comptait 215 exploitants agricoles pour un total de 148 fermes. L'âge moyen des exploitants à temps partiel et à temps plein au Yukon est de 51 ans, soit un an de plus que la moyenne nationale. L'exploitant agricole moyen vieillit, et le nombre d'exploitants âgés de 35 à 55 ans est en déclin, plus que dans d'autres catégories. Cette tendance est un thème récurrent en agriculture et les questions de planification de la relève et de formation devront être abordées pour que l'industrie connaisse du succès dans le futur.
Plus de la moitié des exploitants ont un travail à plein temps ou à temps partiel à l'extérieur de la ferme. Selon les données statistiques, l'exploitation agricole au Yukon demeure un passe-temps ou un choix de vie pour plusieurs producteurs. Les données statistiques font état d'une forte demande de main-d'œuvre au Yukon.
La majorité des produits sont vendus à la ferme, c'est-à-dire près de 75 p. 100 de la production.
Au Yukon, les consommateurs sont très désireux de faire leurs achats localement. Ce désir se reflète dans l'appui accordé aux marchés communautaires et dans les fortes ventes à la ferme. Il se traduit aussi dans les prix élevés pour une production limitée au Yukon. Les prix locaux peuvent être de deux à quatre fois supérieurs à ceux des produits importés. La mise en marché de la production locale est également favorisée par le « régime des 100 milles » qui favorise la consommation d'aliments produits dans un rayon de 100 milles.
La presque totalité de la production agricole du Yukon est vendue au Yukon même. Bien que le soutien à la production locale ait encouragé les producteurs locaux, ce n'est pas la raison pour laquelle les produits ne sont pas exportés. Le coût élevé de la production et les quantités limitées ont restreint les produits du Yukon à la consommation locale. Seules des quantités limitées de bois de velours de wapitis, de gazon en plaques, de foin et de miel sont exportées.
Le développement du territoire agricole est soutenu par la politique agricole du gouvernement du Yukon. En vertu de cette politique, les terres publiques sont accessibles pour la production agricole et pour le pâturage. Un titre en fief simple peut être obtenu en échange d'un engagement à s'adonner à l'exploitation agricole et à apporter aux terres des améliorations d'une valeur égale ou supérieure à la valeur marchande. Les baux de pâturage sont disponibles dans le cadre d'un programme.
La Direction générale de l'agriculture offre aussi des services d'éducation aux agriculteurs dans plusieurs domaines de la gestion agricole et sur les méthodes de production nordiques.
Le Yukon participe au Cadre stratégique agricole fédéral-provincial-territorial qui vise à faire progresser et à améliorer l'agriculture partout au Canada. Ce cadre prévoit un financement fédéral et territorial sur cinq ans pour couvrir les coûts de mise en œuvre de l'entente au Yukon.
En décembre 2007, l'industrie agricole et agroalimentaire du Yukon, Agriculture et Agroalimentaire Canada et la Direction de l'agriculture du Yukon ont conclu un plan de développement sur cinq ans. Ce plan de développement pluriannuel propose des stratégies pour résoudre des problèmes de l'industrie reliés à l'infrastructure, à la réglementation, au financement, à la mise en marché et à la collecte d'information. De même, le plan favorise le développement dans des secteurs particuliers comme la production de viande et de légumes. La plupart des stratégies de l'industrie touchent des aspects qui profiteront à tous les secteurs, de la production de foin et de viande à la production biologique.
Le but général du plan de développement pluriannuel est d'accroître et de maintenir la production, les ventes et la rentabilité de l'industrie agricole et agroalimentaire du Yukon.
La présidente : Merci beaucoup. Les renseignements que vous nous fournissez vont au-delà de ce que les gens d'Ottawa disent quand il est question d'agriculture dans cette partie du pays, ce qui est une des raisons pour lesquelles nous voulions vous entendre. Autrement, nous pourrions croire qu'il n'y a rien qui pousse par ici.
Diane Reed, directrice, Direction générale de la gestion des forêts, gouvernement du Yukon : Permettez-moi de vous donner un bref aperçu du potentiel de l'industrie forestière du Yukon.
La forêt boréale subarctique représente quelque 27 millions d'hectares ou 57 p. 100 de notre territoire. De ce total, 5,4 millions d'hectares sont considérés comme étant productifs, ce qui représente une très petite partie de notre territoire forestier.
Il y a trois facteurs majeurs qui influencent la gestion et le développement des forêts sur notre territoire. Comme il a été mentionné précédemment, un de ces facteurs est la cession de l'autorité en matière de gestion de la ressource au Yukon. Nous menons depuis 2004 des discussions de politique publique et nous sommes aujourd'hui prêts à passer aux consultations publiques en vue de l'adoption d'une loi sur les ressources forestières qui modernisera l'industrie.
Comme il a été mentionné plus tôt, il y a les revendications territoriales des Premières nations et les droits des peuples autochtones. Quatorze Premières nations occupent des territoires qui se chevauchent au Yukon. Les 11 Premières nations qui ont conclu une entente sur le règlement de leurs revendications territoriales administrent leur territoire traditionnel. Nous avons cherché à collaborer avec ces Premières nations en vue de notre administration courante du territoire.
Le troisième et dernier facteur qui influence la politique de gestion forestière est l'impact de nombreux groupes d'utilisateurs et les considérations écologiques concernant le territoire. À l'heure actuelle, plus de 30 p. 100, et même près de 40 p. 100 de notre territoire font l'objet d'une planification forestière intégrée. Nous planifions cette utilisation avec les Premières nations de Champagne et d'Aishinhik, le conseil des Tlingits de Teslin, la Première nation de Kaska et la Première nation de Dawson.
Nous cherchons à mettre au point une analyse moderne des ressources pour compléter notre planification et nos investissements forestiers. Nous cherchons également à mettre au point des solutions pour régler les nombreux problèmes qui ont affecté le développement d'une industrie forestière au Yukon. Comme il a été mentionné plus tôt, nous sommes à établir un cadre de réglementation. Ce cadre de réglementation et la politique moderne contribuent à créer un meilleur climat d'investissement au Yukon. Nous cherchons aussi à définir le territoire forestier et nous sommes à mettre au point les possibilités de coupe annuelle (PCA) pour les secteurs où la planification forestière est terminée.
Nous travaillons également très fort pour surveiller et prévoir notre régime de perturbations naturelles. Nous élaborons des outils de surveillance et d'évaluation du risque et d'intervention en cas de début d'incendie et de prolifération d'insectes afin de pouvoir récupérer la fibre avant qu'elle ne perde sa valeur. À titre d'exemple, nous avons récemment dû composer avec une invasion de typographes sur une superficie de 400 000 hectares. En 2004, 1,8 million d'hectares ont été incendiés sur notre territoire, et nous cherchons activement à faciliter la récupération de ce bois.
Un des défis qui compliquent singulièrement le développement d'une importante industrie forestière au Yukon est que nous avons des fibres de forêt boréale, qu'il n'y a pas d'économie d'échelle au Yukon et que nous ne pouvons concurrencer les grandes scieries du Sud.
Un autre défi est que nous sommes désavantagés au plan concurrentiel avec nos terres à bois et nos coûts de fabrication. Les distances sont longues à couvrir pour la mise en marché. Nous avons des coûts d'énergie très élevés et il n'y a, actuellement, aucun marché pour les résidus de bois de sciage. Plusieurs producteurs situés plus au Sud comptent sur ces résidus et sur le marché des copeaux pour améliorer leurs revenus.
Qu'est-il possible de faire au Yukon? Il est possible d'avoir une industrie forestière et des PCA axées sur la capacité de charge biologique et sur l'acceptabilité par la collectivité. La collectivité participe à l'établissement des PCA au Yukon. Nous avons un petit marché local ou des marchés de créneaux de proximité comme la construction de bâtiments en bois, le bois de chauffage, les sciages et le revêtement. Il existe aussi des débouchés dans les marchés de produits non standard comme les sciages de dimensions non standard, la biomasse ou tout type de modèles d'arbres abattus sur coupe jusqu'au commerce.
Nous souhaitons établir un partenariat de travail entre le gouvernement, l'industrie et les collectivités pour planifier la récolte forestière, pour élaborer des blocs d'accès et de coupe, pour respecter les exigences en matière de reboisement et pour entreprendre des travaux de recherche et développement. Le gouvernement sera très engagé pour soutenir les petites entreprises de chez nous et pour protéger le bien public.
Nous espérons également capitaliser sur la sensibilité des consommateurs. Il est possible d'élaborer une campagne « d'utilisation du bois du Yukon » pour créer un marché local.
Les éléments de base sont en place, notre planification de gestion forestière est presque terminée et le projet de loi sur les forêts est prêt à faire l'objet d'une consultation publique. Des PCA ont été établies à Haines Junction et à Teslin et quelque 350 000 mètres cubes de bois peuvent être abattus dans la région de Watson Lake.
À l'heure actuelle, nous soutenons une industrie active de coupe de bois de chauffage et nous sommes en plein développement d'un plan d'action pour l'industrie forestière en partenariat avec les intervenants de l'industrie et d'autres services du gouvernement, comme la Société de développement du Yukon et le Energy Solutions Centre. Ce plan d'action de l'industrie forestière vise à trouver de nouveaux débouchés dans le domaine de la bioénergie pour nos produits du bois.
Robert Holmes, directeur, Ressources minérales, énergie, mines et ressources, gouvernement du Yukon : Je veux vous parler un peu de l'industrie minérale du Yukon.
Comme l'a dit Mme McCullough, le Yukon est un endroit spécial. Il se produit chez nous des changements que d'autres régions du Canada aimeraient vivre, et de manière générale, peu de gens à l'extérieur du Yukon en ont conscience. J'ai toujours été ébloui par la capacité des Yukonnais de défendre ce qu'ils jugent bon et, en bout de ligne, d'aller dans le sens du bien public.
Notre direction, celle des ressources minérales, est notamment responsable de l'administration des droits miniers du Yukon. Le Yukon est vaste, puisqu'il fait deux fois la taille du Royaume-Uni et à peu près la même taille que la France ou l'Espagne. Le Yukon compte quatre bureaux de registraire minier situés à Whitehorse, Dawson City, Mayo et Watson Lake. À l'heure actuelle, près de 90 000 concessions et baux ont été enregistrés sur le territoire, et ces concessions sont réparties sur moins de 4 p. 100 de l'ensemble du territoire.
Bien que le Yukon ait toujours été réputé pour l'exploitation minière, il y a eu reprise ces dernières années. Je dirais qu'il s'agit d'une nouvelle industrie minière parce que le tissu social est récent dans le Yukon d'aujourd'hui. Premièrement, il y a eu un transfert de responsabilités qui fait en sorte que le Yukon a des pouvoirs qui ressemblent à ceux d'une province en matière de ressources. Cette autorité est différente de celles de deux autres territoires.
Deuxièmement, et d'autres intervenants l'ont mentionné avant moi, il y a des terres ayant fait l'objet d'une revendication territoriale qui sont largement peuplées et qui sont assorties d'ententes d'autonomie gouvernementale. Ce rapport entre les gouvernements publics et les gouvernements des Premières nations est assez particulier au Canada. Nous ne saurions regarder ailleurs pour trouver des exemples de la façon de mettre en place de tels rapports.
Troisièmement, nous disposons d'une nouvelle loi sur l'évaluation environnementale. La Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon (LEESEY), qui au Yukon remplace la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, est inhabituelle en ce qu'elle constitue le seul mécanisme d'évaluation pour les gouvernements fédéral, du Yukon et des Premières nations. Nous n'avons pas à nous préoccuper d'harmonisation des processus d'évaluation fédérale et provinciale, lesquels posent des difficultés au sud du 60e parallèle. Cette loi est également inhabituelle en ce qu'elle s'applique non seulement aux effets environnementaux, mais également aux effets socioéconomiques de projets et aux mesures d'atténuation qui sont proposées au sud du 60e parallèle. Elle permet aussi de tenir compte des effets de proposition de développement sur les populations autochtones et sur les droits issus de traités des Indiens.
Ces trois exemples illustrent le nouveau paysage social du Yukon qui s'est développé au cours des cinq à dix dernières années. En bout de ligne, les Yukonnais exercent beaucoup plus d'influence sur le développement de leur territoire qu'auparavant.
Traditionnellement, c'est le secteur minier qui a le plus contribué à l'économie du Yukon, si l'on fait exception de l'apport du gouvernement. C'est l'afflux de gens lors de la ruée vers l'or du Klondike en 1896 qui a mené à l'adoption d'une loi fédérale en 1898. Depuis la ruée vers l'or, le Yukon a été témoin du développement et de la fermeture de plusieurs camps miniers. Chose surprenante, les champs aurifères de Dawson sont toujours actifs. L'exploitation des placers à Dawson et dans d'autres centres mobilise environ 1 000 personnes sur le territoire. Ces dernières années, la valeur annuelle de la production de l'industrie se situe autour de 50 millions de dollars.
Historiquement, le secteur de l'exploitation minière en roche dure a connu des cycles en dents de scie pour ce qui est du développement et de la production. Par exemple, la mine Faro, établie à la fin des années 1960 a été fermée de manière permanente en 1998. Cette fermeture a entraîné un déclin de la ville de Faro dont la population est passée d'environ 1 800 personnes à peut-être 200 personnes. Cette fermeture a également eu d'autres effets négatifs au Yukon.
De même, la fermeture et, dans certains cas, l'abandon de mines a entraîné des responsabilités environnementales considérables aux dépens du Trésor public. Aujourd'hui, le gouvernement et l'industrie mènent des activités de planification et de mise en œuvre de mesures de remise en état et de fermeture, notamment à Faro, Mount Nansen, Clinton Creek et Elsa.
L'industrie minière du Yukon avait presque disparu à la fin des années 1990, à l'exception de l'exploitation des placers. Il n'y avait que des mines en roche dure inactives et les niveaux d'exploration étaient tombés à 5 millions de dollars. Toutefois, un certain nombre de facteurs dont les prix record pour les métaux et de nouvelles technologies ont fait en sorte qu'il y a aujourd'hui un regain d'activité en matière d'exploration minérale et de développement. L'an dernier, les dépenses d'exploration au Yukon ont atteint 140 millions de dollars et les dépenses en matière de développement ont été d'environ 60 millions de dollars. Ces niveaux d'investissements — et ils ne concernent que les exploitations minières en roche dure — représentent près de 7 000 $ par habitant, ce qui, dans le contexte de l'Ontario, serait l'équivalent d'une industrie de 70 milliards de dollars.
Ce montant par habitant ne comprend pas la valeur de la production minière. À l'heure actuelle, Sherwood Copper exploite un gisement cupro-aurifère près de Pelly Crossing et l'entreprise générera cette année des revenus de près de 200 millions de dollars. Notre industrie d'exploitation des placers est également en bonne santé comme je vous l'ai dit plus tôt.
Tous ces changements pourraient avoir des répercussions considérables sur le climat économique du Yukon. Le Yukon affiche un potentiel minéral considérable et compte plusieurs gisements de classe mondiale. Par exemple, le gisement Mactung que s'affaire à développer la North American Tungsten Limited est le plus grand gisement de tungstène non développé à l'extérieur de la Chine. Il faut aussi savoir que le tungstène est un métal stratégique, puisqu'il n'y a pas d'autres mines de production en Amérique du Nord autre que celle qui est située à la frontière du Yukon.
Toutefois, les infrastructures sont une des difficultés majeures en ce qui a trait à la croissance durable et à long terme du secteur minier. Le transport des produits vers le marché et l'approvisionnement du secteur minier peuvent créer des barrières considérables pour l'accès au Yukon, ce qui pourrait empêcher certains projets d'aller de l'avant, projets qui auraient pu être amorcés dans des parties plus développées du pays.
Il importe que les retombées locales profitent aux collectivités du Yukon et aux membres Premières nations. Dans la plupart des cas, les compagnies cherchent véritablement à fournir ces avantages. Nous encourageons les compagnies à établir des liens solides avec la collectivité locale et à conclure des ententes socioéconomiques avec les collectivités des Premières nations. Ces ententes de participation socioéconomiques, parfois appelées ententes sur les répercussions et les avantages (ERA), ne sont pas requises en vertu de la loi, et la plupart du temps le gouvernement n'y est pas partie. Ces ententes contractuelles comprennent habituellement des mesures visant la formation et le recrutement local, le développement d'entreprises locales et la participation au suivi environnemental. Dès qu'une ERA est mise en place, il semble que les obstacles réglementaires au développement fondent comme neige au soleil.
Par le passé, des compagnies ont érigé des villes d'entreprises qui avaient tendance à isoler la main-d'œuvre et les avantages d'une mine des collectivités locales et de l'économie locale. Heureusement, cette période est terminée. Les villes de Faro, Clinton Creek et Elsa étaient des villes d'entreprises. Aujourd'hui, les employés sont transportés suivant des rotations régulières et profitent de logements temporaires sur le site de la mine. Les employés peuvent avoir leur résidence permanente au sein de collectivités du Yukon ou peuvent vivre dans des centres plus importants comme Whitehorse, Edmonton ou Vancouver. Certains ouvriers qualifiés sont même déplacés en avion à partir du Canada atlantique. Comme il est très difficile aujourd'hui de trouver des ouvriers qualifiés, la recherche de main-d'œuvre s'étend à l'ensemble du pays, et les ouvriers recrutés peuvent être transportés à partir de n'importe quel endroit. L'industrie minière de notre pays fait face à une pénurie considérable de main-d'œuvre qualifiée.
Le secteur de l'approvisionnement et des services profite grandement du développement minier. Whitehorse est devenu un centre d'approvisionnement et de services pour le Yukon et pour le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Par exemple, les grandes sociétés de consultants en environnement et en génie civil ont maintenant des succursales à Whitehorse.
La Yukon Mine Training Association a été créée il y a plusieurs années pour aider à former les Yukonnais à occuper des emplois au sein de l'industrie. Elle travaille en collaboration avec les Premières nations, l'industrie, le Yukon College et le gouvernement pour l'élaboration de programmes de formation. Pour sa part, le gouvernement du Yukon collabore avec la Yukon Mine Training Association afin d'identifier les sources de financement et de fournir de l'information sur les débouchés qui se présenteront dans le secteur minier.
Permettez-moi de conclure avec les réflexions suivantes. L'industrie minière du Yukon est en croissance rapide. Le gouvernement et l'industrie travaillent fort pour maîtriser les nouvelles structures de gouvernance du Yukon afin de mettre sur pied des projets qui apportent une véritable valeur ajoutée au Yukon. Tous les intervenants cherchent à créer de l'emploi local et à obtenir des retombées locales pour le Yukon, tout en évitant les obligations futures en matière d'environnement. Le premier défi est l'infrastructure et le deuxième, la pénurie de main-d'œuvre compétente et disponible dans les collectivités. Nous abordons ces défis grâce à des stratégies de formation et en encourageant les ententes sur les répercussions et les avantages.
Il y aurait beaucoup à dire encore, mais je m'en tiendrai à cela. Je vous remercie de m'avoir offert la possibilité de m'adresser à votre comité sénatorial.
La présidente : Merci beaucoup pour vos exposés. Cela ne vous surprendra guère de savoir qu'à Ottawa on ne peut imaginer que le Yukon ait beaucoup à voir avec tout ce que vous avez mentionné. C'est une des raisons pour lesquelles il est important de quitter Ottawa et de venir entendre les gens qui font ce que vous faites ici.
Le sénateur Mercer : Je suis impressionné par les chiffres qui concernent l'agriculture. Quand nous nous sommes préparés pour venir ici, les gens nous disaient qu'il fallait examiner la situation de la pauvreté rurale. Nous n'étions pas ici pour nécessairement étudier l'agriculture. Toutefois, dans le Canada rural, les gens parlent d'agriculture.
Avez-vous prévu parler de ce que les agriculteurs locaux produisent pour le marché local? Je sais que vous produisez bien des choses ici. Vous dites qu'à l'exception d'un petit nombre de produits, tout est consommé au Yukon. Est-ce qu'il y a des gens qui disent : « Nous n'avons pas ce produit, il est coûteux à importer et il peut être produit au Yukon. Peut-être devrions-nous nous engager dans cette voie? »
M. Hill : Plusieurs initiatives agricoles ont été lancées au Yukon parce qu'il y a une forte population de chevaux. Le secteur agricole a commencé à fournir les aliments pour les chevaux et aussi pour d'autres animaux parce qu'il était coûteux de faire venir de l'Alberta un produit aussi encombrant que le foin. La région la plus rapprochée où l'on fait pousser du foin est à 1 000 milles au sud d'ici. Il pourrait en coûter 80 $ la tonne pour acheter le foin, mais il en coûte 250 $ pour la livrer ici. En conséquence, il est avantageux de le faire pousser ici.
En décembre 2007, nous avons élaboré un plan de développement quinquennal qui vise à produire davantage d'aliments, non seulement pour les animaux, mais aussi pour le marché de l'alimentation, le marché des légumes, l'industrie des cultures de serre et les cultures de grande production comme la pomme de terre. L'agriculture n'en est qu'au stade de développement là où le territoire le permet afin de pouvoir produire davantage de ces produits de base.
Le sénateur Mercer : Vous avez dit que le prix local peut être de deux à quatre fois supérieur à celui des produits importés. Le Yukon me semble être la seule place au monde où il est possible de faire de l'argent avec l'agriculture. Est- ce que les gens qui exploitent une ferme travaillent également hors de la ferme parce qu'ils en ont besoin?
M. Hill : Je dirais que plus de 90 p. 100 des agriculteurs ont un emploi à l'extérieur de la ferme. Il y a peu d'agriculteurs à plein temps. Bien que Whitehorse ne soit pas la meilleure région pour la production agricole, c'est là que se trouvent les emplois à temps plein, de sorte qu'environ 70 à 75 p. 100 des fermes sont situées autour de Whitehorse. Cette concentration reflète le besoin d'un revenu provenant de l'extérieur de la ferme.
Le sénateur Mercer : Vous avez parlé de débouchés pour la récupération de bois dans des secteurs ravagés par le typographe et les incendies. De quelle manière créez-vous ces débouchés?
Mme Reed : Nous fournissons tous les services d'ingénierie et nous assurons la construction de routes, l'aménagement et la délivrance de permis en vue de la récolte du bois. Ensuite, nous aborderons la question du reboisement. Le gouvernement cherche à encourager les gens à récupérer le bois en reprenant à leur compte les activités de planification préalable et celles qui font suite à la récolte.
Le sénateur Mercer : À quoi utilise-t-il le bois? Vous avez parlé de l'utiliser pour le chauffage.
Mme Reed : Il y a deux petites usines au Yukon, l'une à Dawson et l'autre est aussi un détaillant à Whitehorse. Elles fabriquent notamment des revêtements muraux et du bois brut de sciage de dimensions courantes pour la construction. Il y a aussi une autre petite scierie dans la région de Haines Junction. Elle dessert actuellement des marchés à créneaux en Alaska en les approvisionnant en bois de construction de dimensions non courantes.
Au Yukon, les taux de récupération sont faibles parce que l'investissement en capital requis pour avoir une scierie à haute efficacité n'existe pas. C'est la raison pour laquelle nous cherchons des marchés pour les produits résiduels de ces scieries, notamment au chapitre de la bioénergie et des biocombustibles.
Le sénateur Mercer : Vous avez parlé d'exigences en matière de reboisement. Ma province, la Nouvelle-Écosse, a des plans de reboisement majeurs et rigoureux. Que prévoyez-vous planter et avez-vous l'intention de modifier les forêts qui étaient là au départ?
Mme Reed : Oui, nous cherchons à élaborer un programme de recherche perfectionné pour aborder le changement climatique parce que le Yukon représente un peu le canari dans le puits de mine en matière de changement climatique. Nous reboisons actuellement avec de jeunes plants que nous récoltons dans la région comme c'est le cas dans la plupart des régions du Canada. Toutefois, nous envisageons également de faire des essais avec d'autres essences provenant d'ailleurs, afin d'avoir une longueur d'avance face à l'évolution du changement climatique.
Le sénateur Mercer : Je suis toujours préoccupé par la présence du canari dans le puits de mine en raison de ce qui se produit parfois.
J'ai deux questions rapides à vous poser, monsieur Holmes. Vous faites venir des ouvriers qualifiés par avion et la même chose se produit au sud du 60e parallèle dans des endroits comme Fort McMurray. Il y a maintenant des vols hebdomadaires directs en partance d'Halifax et de St. John's, Terre-Neuve-et-Labrador, vers Fort McMurray, surtout parce qu'on fait la rotation des équipes. Quel avantage économique y voyez-vous pour le Yukon étant donné que ces gens viennent travailler ici et retournent chez eux avec leurs salaires? À part les aliments que ces gens consomment et quelques autres dépenses, et eu égard au fait qu'il y a une exploitation minière, est-il économiquement avantageux pour le Yukon que tout cet argent quitte les lieux?
M. Holmes : Bien sûr, nous préférons que l'on recrute des Yukonnais locaux dans la mesure du possible, mais cela n'est guère possible dans l'industrie minière. On considère parfois cette industrie comme une industrie à faible technologie, mais dans les faits, c'est probablement une des industries qui exige les technologies les plus évoluées au pays. Les travailleurs que nous recherchons ont de grandes compétences et sont instruits. Bien que le niveau d'éducation moyen soit élevé au Yukon, une grande partie de ces compétences n'y sont pas disponibles. Avec le temps, la situation s'améliorera, selon moi. Avec les efforts de reconstruction de l'industrie, et dès que nous aurons quelques mines de plus en production, la masse critique d'expertise reviendra au Yukon.
Le sénateur Mercer : Il est une chose que nous voyons apparaître dans d'autres parties du pays et c'est la pénurie d'ouvriers qualifiés. Vous en avez fait état concernant les mines. Avez-vous envisagé la possibilité de recourir à l'immigration pour corriger en partie ce problème? Il y a dans le monde des ouvriers qualifiés qui ont l'expérience de l'exploitation minière en roche dure.
M. Holmes : Personnellement, je ne suis pas au courant que nous ayons fait quelque chose en ce sens.
Mme McCullough : Le ministère du Développement économique collabore avec le Canada en vue d'améliorer le taux d'immigration vers le Yukon, précisément dans ce but. Le gouvernement du Yukon a signé plusieurs ententes en matière d'immigration, certaines visant les investisseurs, d'autres les ouvriers qualifiés. Je me renseignerai et fournirai à votre comité des détails sur la nature de ces ententes. L'immigration est un besoin qui a été reconnu.
Le sénateur Mercer : Ce que je cherche à dire est que les travailleurs viennent s'établir ici pendant un certain temps, ce qui augmente les retombées économiques.
Le sénateur Peterson : Monsieur Hill, la saison de croissance au Yukon est bien différente de ce qu'elle est ailleurs au Canada. Est-ce que cette différence permet de s'intéresser à des cultures spécialisées chez vous?
M. Hill : L'été est court, mais les journées sont plus longues. En juin, par exemple, les jours durent de 19 à 20 heures, ce qui est 18 p. 100 de plus qu'ailleurs. Par conséquent, le nombre de degrés-jour est également supérieur. Nous produisons des récoltes plus rapidement ici que vous ne pouvez le faire au niveau du 49e parallèle. Par exemple, nous pouvons faire pousser ici en 70 jours une récolte que vous mettrez 90 jours à produire ailleurs. C'est un avantage certain.
Le sénateur Peterson : Je m'intéresse à l'histoire de la pomme de terre Yukon Gold. J'en cultive à Elbow, en Saskatchewan, près du lac Diefenbaker, et tous mes amis de la ville me demandent d'en apporter toujours davantage. Est-ce que ces pommes de terre viennent ici?
M. Hill : Non, elles ne poussent pas ici.
Le sénateur Peterson : Et moi qui croyais retourner chez moi avec une véritable histoire intéressante. Cette pomme de terre est bonne.
Madame McCullough, vous avez parlé des Premières nations. Je m'intéresse à cette question puisque je fais partie du comité des peuples autochtones. Je suis allé récemment au Nouveau-Mexique où j'ai pu rencontrer des représentants des Apaches, des Pueblos et des Navajos. Ce sont tous des descendants de la Première nation d'Athabasca, qui sont originaires de cette région. La langue des Navajos est similaire à celle des Dénés. Au Mexique, la nation des Pueblos compte 19 tribus et celle des Navajos, 67, mais les deux groupes fonctionnent comme un seul groupe. Lors de pourparlers avec le gouvernement, ces nations ne parlent pas de gouvernement à gouvernement, mais plutôt de nation à nation.
Y a-t-il des points communs avec les Premières nations de votre région qui permettraient d'en arriver à un résultat similaire? Il s'agit peut-être d'une piste à explorer pour trouver des solutions, non?
Mme McCullough : Onze des 14 Premières nations du Yukon appartiennent au Conseil des Premières nations du Yukon, qui est essentiellement un groupe politique et qui est constitué en fonction de l'évolution de priorités communes. Outre les relations établies dans les ententes d'autonomie gouvernementale et des ententes sur le règlement des revendications territoriales, il y a également un forum du Yukon qui devrait être incorporé dans une nouvelle loi. Une loi sur la gouvernance du Yukon stipule que le gouvernement élu du Yukon et les gouvernements des Premières nations du Yukon doivent se rencontrer collectivement au minimum quatre fois l'an, si j'ai bonne souvenance, pour identifier les priorités communes, et cetera.
Si vous me demandez s'il existe un organisme similaire à un conseil tribal, je vous répondrai qu'il y a des conseils tribaux. Par exemple, les Premières nations de Tutchone du Nord ont un conseil tribal comme c'est le cas de la Première nation de Kaska et des Premières nations de Tutchone du Sud. Je crois que plusieurs Premières nations — et je ne suis pas en mesure de parler en leur nom — ont travaillé à l'établissement de l'autonomie gouvernementale depuis un certain temps et veulent exercer cette autonomie gouvernementale et déterminer par eux-mêmes comment travailler avec d'autres Premières nations dans le cadre d'organismes politiques et autres.
Le Conseil des Premières nations du Yukon, auquel appartiennent la plupart des Premières nations du Yukon, est actif depuis longtemps.
Le sénateur Peterson : Les Pueblos et les Navajos ont leur propre système scolaire. Le programme est approuvé par l'État et mis en œuvre par ces groupes. Il y a des programmes d'immersion qui peuvent comporter l'étude de la langue. Cela leur donne une meilleure idée de leur identité, de ce qu'ils font et leur apporte une grande fierté.
Je sais que dans ma propre province, la Saskatchewan, les membres des Premières nations sont divisés. La province compte une grande diversité de bandes qui ne semblent pas collaborer entre elles pour faire des choses qui leur permettraient de devenir une nation plus forte.
Mme McCullough : Je ne crois pas que la situation ici soit analogue à celle de la Saskatchewan, d'après ce que je crois comprendre. Dans une large mesure, les Premières nations du Yukon ont choisi de collaborer entre elles pour négocier des revendications territoriales et pour élaborer un modèle commun et faire en sorte que les ententes soient inscrites dans la loi, au niveau territorial comme au niveau fédéral. Comme vous le savez, des représentants de la plupart des Premières nations du Yukon se sont rendus à Ottawa la semaine dernière pour y rencontrer des ministres, des députés, et cetera. La rencontre a porté sur la question de la mise en œuvre. La démarche s'est faite de concert avec le gouvernement du Yukon.
Je suis observateur de l'extérieur, mais j'estime qu'au plan historique il y a eu une véritable reconnaissance de la part des Premières nations du Yukon de la nécessité de travailler ensemble pour donner suite au plan d'action. Je crois qu'à cet égard, la situation ressemble davantage à celle qui prévaut dans le sud-ouest des États-Unis.
En ce qui a trait aux Navajos et aux Pueblos, et à des groupes linguistiques communs, vous avez parfaitement raison. Ce sont des descendants des Dénés et des Athabascas, mais leurs populations sont plus importantes et leurs groupes linguistiques aussi, ce qui facilite parfois ce genre d'unification. Toutefois, les Premières nations du Yukon ont toujours collaboré entre elles.
Le Conseil des Indiens du Yukon (CIY), fondé en 1974, réunit le Yukon Native Brotherhood et la Yukon Association of Non-Status Indians. Le CIY est la première organisation des Premières nations au Canada à dire : « Laissons de côté les questions de statut, parce que rien n'est basé sur le statut. » Le Conseil des Indiens du Yukon est issu de l'amalgamation des deux autres associations représentant les Indiens non inscrits et inscrits et travaille dans l'intérêt commun.
L'importance de travailler ensemble est reconnue depuis toujours.
Le sénateur Peterson : Je leur souhaite beaucoup de succès.
Monsieur Holmes, il y a beaucoup à dire au sujet du passage du Nord-Ouest et sur le fait qu'il pourrait être ouvert bientôt. Nous avons entendu parler de la souveraineté dans l'Arctique et de la possibilité d'aménagement de ports en eau profonde. Quelles seraient les répercussions de l'ouverture de ce passage pour les mines et les ressources du Yukon?
M. Holmes : Je crois que vous faites référence à la tentative des Territoires du Nord-Ouest d'établir un port à Bathurst Inlet.
Le sénateur Peterson : Je pense à l'ensemble du Nord. Vous dites que le transport vous pose problème, surtout le transport des ressources vers l'extérieur. Si l'on ouvrait un passage du Nord-Ouest et que vous disposiez d'un port en eau profonde, quelles en seraient les répercussions pour vos ressources minières?
M. Holmes : En toute honnêteté, j'avoue ne pas avoir entendu parler de grand-chose au sujet de l'aménagement d'un port en eau profonde dans le nord du Yukon. D'une part, une grande partie de la côte du Yukon est constituée en parc. Je ne crois pas que l'existence d'un port en eau profonde dans les Territoires du Nord-Ouest nous aiderait beaucoup parce que nous devrions traverser les montagnes et le fleuve MacKenzie pour l'atteindre.
La plupart des entreprises minières se tournent vers le Sud pour l'acheminement de leurs produits. Historiquement, elles se sont servies du port de Skagway, situé en Alaska, pour leurs expéditions. Ce port a été récemment rouvert aux produits miniers grâce à la mine Minto dont j'ai parlé, laquelle est située près de Carmacks. Les responsables ont travaillé avec le village de Skagway et avec la Alaska Industrial Development and Export Agency en vue de rouvrir le port de Skagway aux expéditions de minerais. La plupart des producteurs se tournent vers ce port. Il serait beaucoup plus utile que le Yukon puisse compter sur un bon réseau routier pour acheminer les produits vers le port de Skagway.
Le sénateur Peterson : Il m'apparaît plus sensé d'investir sur le réseau routier que sur ce type d'infrastructure.
En ce qui a trait au gaz et au pétrole dans la mer de Beaufort, y a-t-il des gisements au large de vos côtes?
M. Holmes : Oui, il y en a. Comme je ne connais pas grand-chose sur l'industrie pétrolière et gazière, je ne puis commenter.
Le sénateur Peterson : Rien ne s'est produit? Il n'y a aucun développement au large de vos côtes, du moins que vous sachiez?
M. Holmes : Il y a des développements au large de la côte de l'Alaska.
Le sénateur Peterson : Je le sais.
Le sénateur Mahovlich : Je crois que nous pourrions commencer par M. Robert Holmes et le le minerai. Je sais que les diamants sont devenus populaires récemment partout dans le nord du Canada. A-t-on fait certaines découvertes au Yukon?
M. Holmes : De diamants, non. On note cependant des rumeurs selon lesquelles il pourrait y avoir des diamants quelque part. Vous le savez, le Yukon est constitué de formations géologiques qui viennent du centre de la terre et qui sont entrées en collision. Il y a eu collision entre plusieurs formations géologiques qui se sont télescopées au fil de millions d'années, mais la roche elle-même est jeune. Les Territoires du Nord-Ouest sont constitués de roches archéennes anciennes qui sont là depuis des milliards d'années, et qui constituent un environnement nécessaire pour les diamants.
Peut-être y a-t-il des diamants très profondément enfouis dans le sol du Yukon, mais rien ne laisse entrevoir qu'ils puissent avoir une valeur commerciale. Il y a bien un projet d'extraction d'émeraudes au Yukon qui pourrait donner des résultats, mais malheureusement il n'y a rien en ce qui a trait aux diamants.
Le sénateur Mahovlich : Je m'interroge concernant le dendroctone du pin. Comment arrivez-vous à protéger vos arbres, au plan chimique? Est-ce que vous vous attaquez à cet insecte ou si vous vous contentez d'abattre les arbres?
Mme Reed : À l'heure actuelle, nous n'avons pas de dendroctones du pin au Yukon. Il y a par contre des typographes. Les températures plus froides nous gardent à l'abri du dendroctone.
Plusieurs grandes universités travaillent à mettre au point des moyens de lutter contre toutes sortes de scolytes, mais présentement rien n'est disponible. Des tentatives ont été faites pour injecter des pesticides ressemblant à de l'arsenic dans les arbres, mais le problème est qu'il est ensuite impossible d'utiliser le bois par crainte pour la sécurité des travailleurs. De toute manière, les arbres finissent par mourir. À l'heure actuelle, les populations de ces insectes se sont accrues à un taux exponentiel de sorte qu'il faut plutôt parler de récupération. Il n'y a pas grand-chose qui puisse arrêter la progression de ces infections. Nous avons besoin de conditions météorologiques favorables.
Le sénateur Mahovlich : Vous n'avez pas de dendroctones du pin aussi loin vers le Nord?
Mme Reed : Nous avons, en effet, des pins au Yukon, mais le froid qu'il y fait actuellement leur permet de résister au dendroctone du pin.
Le sénateur Mahovlich : Donc, l'autre jour, quand il faisait 50 degrés sous zéro, c'était plutôt une bonne chose.
Mme Reed : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Parlant d'agriculture, je dois dire que dans le nord de l'Ontario, dont je viens, on se demandait souvent quoi faire avec certaines mines abandonnées. On a pensé à l'agriculture, c'est-à-dire à y faire pousser quelque chose en y installant des sources de lumière. On pourrait, par exemple, y faire pousser des arbres miniatures. Vous êtes-vous, au Yukon, livrés à ce genre d'expériences?
M. Hill : Je ne suis au courant d'aucun essai de ce genre, bien qu'un cultivateur soit parvenu à faire pousser des fèves germées en ambiance contrôlée. Ce n'était pas dans une serre, mais dans un contenant. La lumière était entièrement artificielle et il a, effectivement, cultivé des germes en quantité suffisante pour approvisionner le marché local. En ce qui concerne les puits de mine, cependant, il ne s'est rien fait ici.
La présidente : Je commence à m'inquiéter très sérieusement du dendroctone du pin car, comme vous le savez, cet insecte traverse Prince George, traverse la frontière et se dirige vers notre forêt boréale du nord de l'Alberta. Il tente également de s'introduire dans le sud de la Colombie-Britannique et il semble déjà loucher sur la magnifique région de la Passe-du-Nid-de-Corbeau, tout près de chez moi.
Nous avons été surpris de constater, lors de nos déplacements dans d'autres régions du pays, que ce problème n'est guère évoqué dans les médias du Québec ou du nord de l'Ontario. Tout cela leur paraît sans doute loin. Mais, lorsque nous sommes venus ici et que nous nous sommes entretenus avec les diverses parties intéressées, nous avons constaté qu'elles craignent énormément que si cet insecte commence à se déplacer, si on ne parvient pas à l'arrêter en Alberta, il se propagera comme un véritable incendie au reste du pays et finira par atteindre Terre-Neuve-et-Labrador.
Notre coléoptère à nous est-il le même que le vôtre?
Mme Reed : Vous voulez dire le typographe?
La présidente : Oui.
Mme Reed : Le typographe attaque les épinettes, et le dendroctone du pin attaque les pins, mais il s'agit, dans les deux cas, d'espèces boréales. Pour l'instant, la population de typographes n'a pas atteint l'ampleur de celle du dendroctone du pin, qui a envahi une vaste zone, a franchi les montagnes et s'attaque actuellement au pin gris d'Amérique.
La zone touchée par le typographe est, elle aussi, vaste. Les ravages s'étendent sur tout le sud-ouest du Yukon, mais, vers l'intérieur des terres, les forêts d'épinettes ne sont pas atteintes. À l'heure actuelle, le typographe s'attaque aux arbres touchés par la sécheresse et les changements climatiques.
Nous ne sommes pas en mesure de savoir si l'infestation va, comme ça été le cas pour le dendroctone du pin, se développer de manière exponentielle. Nous suivons de près la situation afin d'évaluer les risques de voir le phénomène continuer à se propager. Comme dans tout domaine des sciences naturelles, nous ne pouvons qu'effectuer des projections à l'aide de modèles informatiques dans l'espoir de parvenir à une solution.
La présidente : Je tiens à vous remercier des renseignements que vous nous avez apportés car il s'agit d'un phénomène particulièrement inquiétant que nous ne semblons pas parvenir à maîtriser.
Le sénateur Mercer : En effet, madame la présidente, ce phénomène a quelque chose de passionnant. Nous avons pu, lors de notre déplacement en Colombie-Britannique, voir l'étendue des ravages que le dendroctone a faits. Nous avons, en quittant Prince George, survolé les montagnes et les zones dévastées.
Selon les habitants de la région, s'il pouvait y avoir, comme avant, deux semaines de température atteignant 30 degrés sous zéro ou 40 degrés sous zéro, le problème serait réglé. Il est tout à fait étonnant de voir que le typographe continue à se propager, étant donné qu'au Yukon, malgré le réchauffement de la planète, il y a encore des périodes où la température atteint 40 degrés sous zéro ou 50 degrés sous zéro.
Y a-t-il, effectivement, une température à laquelle cet insecte ne résiste pas?
Mme Reed : Je ne suis pas entomologiste, mais je crois savoir que, si le froid ne survient que tardivement dans la saison, tant le dendroctone du pin que le typographe semblent synthétiser une sorte d'antigel. Ce qu'il faudrait donc, c'est que les grands froids interviennent plus tôt. Plus le froid est retardé, moins il est probable qu'il parviendra à emporter ces insectes. En Colombie-Britannique, il ne fait probablement pas assez froid assez tôt au cours de la saison. Ici, les températures demeurent relativement normales et comme les températures vraiment froides se produisent assez tôt, la population de typographes demeure assez stable. Il est probable que la zone qui a été la plus atteinte a eu, pendant un an ou deux, un hiver assez doux.
La présidente : Je tiens à vous remercier. La situation que vous nous avez dépeinte au Yukon paraît meilleure que dans le sud du Canada. Lors de nos discussions à Ottawa, certains ont fait valoir que cela ne posait aucune difficulté sur le plan de l'agriculture, mais je vois que ce n'est manifestement pas le cas. Je vous souhaite une bonne continuation.
Il y a quelques jours, je m'entretenais avec un aimable représentant des médias, qui me vantait la qualité de vos pommes de terre. Nous nous demandions tous les deux pourquoi nous ne pourrions pas nous approvisionner davantage ici plutôt que dans l'Idaho. Je ne vous en dis pas plus pour l'instant, mais au cas où vous auriez une réponse à cette question, je vous demanderais de nous la faire parvenir.
Nous accueillons maintenant nos prochains témoins.
Charlotte Hrenchuk, coordonnatrice, Yukon Status of Women Council : Nous vous remercions de l'occasion qui nous est ainsi donnée de présenter à votre comité un exposé au nom du Yukon Status of Women Council. Notre organisation, petite et sans but lucratif, est à l'œuvre depuis 1973. Nous ne sommes affiliés à aucun organisme gouvernemental.
Au nord du 60e parallèle, les femmes vivent dans un monde qui, tant sur le plan économique, que sur le plan social et culturel, n'a rien de commun avec les situations que l'on peut observer dans le sud du pays. L'isolement, la dureté du climat, le dénuement, l'absence de moyens de transport accessibles et abordables, l'insuffisance des infrastructures, la cherté de la vie, la forte incidence de problèmes sociaux, la minceur des perspectives d'emploi et des possibilités de formation, les séquelles de ce qui s'est passé dans les écoles résidentielles et de la colonisation, autant de facteurs qui contribuent à la pauvreté et à l'errance des femmes du Yukon. Ce faisceau de conditions fait que de nombreuses femmes du Yukon se voient cantonner dans un état de dénuement, sans grand espoir de pouvoir en sortir.
Sur certains plans, par contre, la situation au Yukon est la même que dans les autres régions du Canada. On y constate, par exemple, les mêmes inégalités envers les femmes que dans le reste du pays. Ainsi, au Yukon, une femme gagne en moyenne 85 p. 100 de ce que touche un homme. L'écart salarial n'est pas ici aussi grand que dans le reste du Canada, mais les chiffres sont quelque peu trompeurs. En effet, les salaires élevés payés par les gouvernements territorial et fédéral permettent à de nombreuses femmes d'échapper au besoin. Cela dit, l'écart de revenu augmente entre les femmes occupant un emploi auprès du gouvernement ou du secteur minier, et celles qui travaillent dans les services ou dans le tourisme. Le caractère saisonnier de l'activité de ces deux derniers secteurs, font qu'en hiver de nombreuses femmes n'ont pas de travail. Dans le tourisme et les services, de nombreux emplois ne sont qu'à temps partiel et ne procurent ni avantages sociaux, ni pension de retraite, ni sécurité.
Au cours des dix dernières années, l'écart entre les familles ayant les revenus les plus élevés et celles qui se situent à l'autre bout de l'échelle, indice de l'inégalité des revenus, s'est creusé au cours des dix dernières années. Dans les zones rurales du Yukon, les femmes ont moins d'occasions d'obtenir une formation qui leur permettrait d'accéder à ces emplois, qui se trouvent pour l'essentiel à Whitehorse. C'est un facteur de plus qui contribue à la pauvreté des femmes habitant les régions rurales du Yukon. Les femmes appartenant aux Premières nations doivent en outre faire face à la discrimination.
Depuis deux ans, le Yukon Status of Women Council se penche sur la situation des femmes du Yukon et sur leur errance, deux faces d'un même problème. Dans le Nord, le phénomène de l'errance est un phénomène qui passe en grande partie inaperçu, surtout chez les femmes. C'est pour cela que nous ne sommes pas en mesure de faire état de statistiques précises à cet égard. Ce que nous avons constaté, cependant, c'est que, au gré des circonstances, la pauvreté et l'errance guettent la plupart des femmes de nos régions.
Nous savons, par exemple, que c'est dans le Nord que l'on compte la plus forte proportion de femmes ayant recours aux refuges d'urgence. Le prix du logement a, au cours de ces quelques dernières années, augmenté de façon radicale. À Whitehorse, par exemple, la médiane des loyers avait, en décembre 2007, augmenté de 3,7 p. 100 par rapport à l'année précédente. À l'époque, le taux de logements vides atteignait, à Whitehorse, 2,8 p. 100, soit 1,6 p. 100 de plus que la moyenne nationale. Alors qu'en 2006, le salaire minimum au Yukon a été indexé à l'indice des prix à la consommation, ce qui entraînait un rajustement annuel des salaires, en 2008, l'augmentation salariale de 2,5 p. 100 est inférieure à l'augmentation des loyers au cours de la même période.
À Whitehorse, l'inflation atteint 4,1 p. 100 par an. Or, les prestations d'aide sociale, tant celles accordées par le gouvernement territorial que par le ministère des Affaires indiennes et du Nord, n'ont pas augmenté en dix ans. Le coût actuel du logement, de l'alimentation et des biens de première nécessité fait que, chaque mois, bien des femmes se trouvent contraintes de choisir entre payer le loyer et se nourrir elles et leurs enfants. Une des femmes que j'ai interviewées dans le cadre de mon étude, Un peu de bonté donnerait tant de résultats m'a dit ceci : « Souvent, je ne mange pas car je dois faire manger mon petit garçon. Peu m'importe d'endurer la faim, mais lui, il faut bien qu'il mange. Pense-t-on vraiment qu'un parent seul, sans revenu, sans pension alimentaire pour ses enfants, sans rien, puisse subvenir à ses besoins avec 500 $ par mois? »
Comme dans le reste du Canada, on trouve parmi les plus démunis, une très forte proportion de familles monoparentales menées par une femme. En ce qui concerne les femmes autochtones, la situation est encore pire, étant donné qu'en 2000, 73 p. 100 de ces mères vivaient en dessous du seuil de faible revenu. Les inégalités en matière d'emploi, la discrimination, le travail à la pièce, les emplois à temps partiel et les travaux saisonniers sont autant de facteurs de dénuement et d'itinérance.
On dirait que les règles et les règlements régissant l'aide sociale sont là non pas pour aider les femmes à sortir du cercle de l'indigence mais, plutôt, pour pénaliser la misère. Si une femme finit enfin par se trouver un emploi, elle est abandonnée à ses propres moyens et les problèmes de santé, les notes de dentiste et les dépenses imprévues vont souvent la contraindre à recourir à nouveau à l'aide sociale. Le système actuel semble davantage reposer sur une notion de charité plutôt que sur une véritable politique visant à donner à la population les moyens de subvenir à ses besoins élémentaires.
Le Yukon n'a pas de système progressif de soutien à l'indépendance de femmes. La misère oblige ainsi de nombreuses femmes à faire des choix qu'aucun être humain ne devrait être contraint de faire. Ainsi, une femme qui n'a pas de logement, ou qui n'a pas les moyens de nourrir ou de vêtir correctement ses enfants, va se voir contrainte de les abandonner au service de bien-être à l'enfance. Les handicaps ou incapacités condamnent certaines femmes et leurs enfants à une vie de privations. Or, souvent l'indigence mine la santé et mène à l'endettement et au désespoir, et entraîne sur la voie des toxicomanies et des situations abusives qu'on accepte simplement par souci de survie. Au Yukon, il n'est pas rare que les femmes soient réduites à consentir à des relations sexuelles simplement en échange d'un abri.
Quelles sont les solutions envisageables? Le Canada a adhéré à plusieurs conventions internationales affirmant le droit au logement et à l'alimentation. Il faudrait, par conséquent, que notre pays respecte davantage les responsabilités qui lui incombent dans le cadre de ces traités. Le gouvernement fédéral pourrait, par exemple, exiger des territoires qu'ils cessent de récupérer le supplément de la prestation nationale pour enfants. Le gouvernement pourrait également mettre en œuvre une politique nationale du logement permettant d'assurer à toute femme un logement décent, et augmenter les mesures de soutien et les subventions aux programmes de logement et plus particulièrement aux programmes en faveur des sans-abri.
Le gouvernement fédéral pourrait relever, et indexer, les prestations d'aide sociale versées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Il pourrait aussi modifier les règles de l'assurance-emploi, qui désavantagent les travailleurs saisonniers et à temps partiel, des femmes pour la plupart. Le gouvernement fédéral pourrait également ne plus limiter à une certaine somme par habitant le montant des subventions au logement pour les sans-abri, et adopter une formule fondée sur les besoins effectifs des intéressés, prenant notamment en compte une plus grande cherté de la vie dans le Nord.
Mais, le gouvernement fédéral devrait surtout accroître ses aides aux organisations communautaires qui s'attachent à soulager les personnes démunies, s'attacher à dissiper les idées préconçues de certains des pauvres et apporter les changements nécessaires aux divers systèmes qui ont pour effet d'enfermer les femmes dans le cercle de la pauvreté, de l'errance et du désespoir.
Barbara Powick, directrice exécutive, Kaushee's Place — Yukon Women's Transition Society : Vous m'excuserez, mais je n'ai pas son éloquence. Notre organisation est née de l'initiative d'une femme autochtone de Tagish. Nous sommes fières, chaque automne, lorsque son petit-fils nous apporte du poisson. Notre foyer de transition a neuf chambres, dans lesquelles sont installés 15 lits.
Une des raisons pour lesquelles je ne vais pas pouvoir m'adresser à vous en des termes aussi élégants que ceux qu'a employés Charlotte, c'est que notre foyer affiche complet et que nous sommes un peu débordées. Une des réactions normales du corps à un traumatisme est l'arrêt du système immunitaire puisqu'il n'est pas immédiatement nécessaire à la survie. En général, donc, dans les foyers de transition, les femmes et les enfants sont en permanence enrhumés ou grippés. Le foyer est ouvert 24 heures sur 24 et le personnel attrape, lui aussi, tout le temps des rhumes et des grippes. Lorsque je suis arrivée ce matin, les cinq membres de notre équipe étaient tous les cinq malades. Je suis heureuse d'avoir cette occasion de m'adresser à vous et de vous entretenir des réalités propres aux foyers de transition.
Dans un environnement qui, pour de nombreuses femmes, est un peu une zone de combat, nous essayons cependant de conserver le sens de l'humour. Dans le Nord, le risque d'être victime d'une agression sexuelle ou d'être tuée par leur partenaire est, pour les femmes, de 2,9 p. 100 plus élevé. Je précise que les chances d'être agressées sont beaucoup plus élevées pour les femmes autochtones que pour les autres.
Les taux sont très largement supérieurs aux taux nationaux. Environ 58 p. 100 des femmes abritées dans notre foyer de transition sont autochtones. Elles sont beaucoup plus nombreuses, aussi, à signaler des agressions. Elles peuvent demeurer gratuitement dans notre foyer de transition une trentaine de jours. Mettez-vous à la place d'une femme avec deux ou trois enfants lorsque la GRC a été appelée à intervenir en raison d'une agression et qui est emmenée de chez elle et placée dans un foyer de transition. Au cours de ces 30 jours, il lui faut trouver quelqu'un pour s'occuper des enfants, obtenir les soins médicaux nécessaires, faire intervenir la justice, trouver un logement et se préparer à déménager à nouveau. Je peux vous dire que bien que je sois assez débrouillarde, ce serait trop pour moi. Et pourtant, j'ai une voiture et une famille prête à m'aider.
Voilà les situations auxquelles nous faisons face quotidiennement et chaque cas présente bien sûr de nombreuses complications.
Dans le Nord, il est fréquent de constater ce que je vais appeler, faute d'une expression plus précise, une « mentalité de bloc » surtout au sein des communautés. J'ai travaillé dans d'autres foyers de transition, mais dans le Sud, et je n'ai pas constaté ce phénomène aussi souvent qu'ici. Je parle de la tendance que peut avoir quelqu'un de porter tous les membres de sa famille à se liguer contre sa femme pour la maltraiter, et en même temps pour occulter les souffrances qu'on lui cause. Dans ces conditions-là, les réactions de la femme sont, bien sûr, naturelles. Elle se retire de toute activité organisée. Le contact avec autrui devient difficile. Elles peuvent être tentées de se suicider. Elles peuvent être dépressives. Elles se rendent chez le médecin. Voilà, bien sûr, les indices ordinaires de la dépression. Il est fréquent que les femmes victimes de violence dans le Nord ne reçoivent pas la compréhension dont elles auraient besoin. Elles vont voir le médecin qui leur prescrit des médicaments antidépressifs qui les engourdissent et les empêchent de réagir rapidement aux actes de violence. Elles ont du mal à dormir et c'est, bien sûr, normal étant donné que pour survivre, il leur faut avoir le sommeil léger. Les médicaments ne font qu'ajouter à leurs difficultés. Puis, une femme peut décider d'aller consulter un avocat qui, là encore, risque de mal interpréter la réalité dont elle fait état. Imaginez la situation impossible dans laquelle se trouve une femme qui, dans un village de quelques centaines d'habitants, où un tiers de la population appartient à la famille du conjoint qui la maltraite, elle fait tout pour dissimuler ce qu'on lui fait et en déformer la réalité. Vous commencez à douter de votre perception. Vous commencez à vous demander si vous n'êtes pas en train de devenir folle. Il y a donc, au Yukon, tout ce problème du milieu qui affecte profondément le bien-être mental, émotionnel et spirituel des femmes.
Vous vous retrouvez dans ce genre de situation, sans accès à une aide juridique, sans qu'il puisse y avoir de répartition des biens familiaux et vous avez, en plus, du mal à penser et à réfléchir correctement. Il n'y a, pour ainsi dire, dans les communautés, aucun service de santé mentale. Dans nos régions, les services de santé mentale sont si minces que c'est le personnel du foyer de transition qui est obligé de s'occuper de ce genre de problème. Or, nous sommes loin d'avoir la formation nécessaire pour cela.
Cette absence de services sur lesquels compter mine la stabilité d'une femme qui a fait l'objet de violences, et elle tombe presque inévitablement dans le dénuement car elle n'a aucun moyen de faire valoir ses droits. Il n'existe pas, pour cela, les structures nécessaires. Sa santé commence à en subir les conséquences. Je tenais à vous dépeindre, en quelques mots, l'existence d'un grand nombre de femmes dans notre région.
Disons, en ce qui concerne l'éducation dans le Nord, que les occasions sont plutôt rares si vous êtes une femme, en particulier si vous habitez une zone rurale. Lorsque j'ai commencé, il y a huit ans déjà, à travailler au sein de notre organisation, nous ne disposions que d'un seul ordinateur et les deux autres foyers de transition que je voulais contacter, eux, n'en avaient pas du tout. Pour de nombreuses femmes, il n'est guère réaliste de penser à s'instruire à distance, d'autant plus qu'il est extrêmement difficile de trouver quelqu'un pour aider à s'occuper des enfants.
À Whitehorse, les moyens de transport sont limités, et inexistants dans les autres collectivités. Si, à Dawson par exemple, une femme cherche à fuir un état de maltraitance, elle ne trouvera même pas un autobus pour l'amener jusqu'ici. Souvent, il nous faut faire appel à des gens serviables et leur demander de nous aider à évacuer une personne qui, dans sa propre collectivité, court de gros risques.
Et puis, à supposer qu'elles parviennent à s'inscrire dans un collège, elles s'aperçoivent qu'elles doivent soit étudier à plein temps, soit renoncer aux études. Cela aussi, crée un réel obstacle à l'éducation des femmes. Il leur faut trouver de l'aide pour s'occuper de leurs enfants, se remettre un peu d'ordre dans les idées et, en plus, assimiler le contenu d'un programme.
Dans le genre de situation que j'évoquais tout à l'heure, il est rare qu'une femme puisse participer correctement à un programme d'enseignement, si elle n'a pas au préalable, l'aide dont elle a besoin pour intégrer ce qui lui est arrivé, et bien sûr, se trouver un logement. Cela nous ramène à ce que Mme Hrenchuk disait tout à l'heure.
Dans certaines de nos collectivités, l'enseignement secondaire dispensé ne va pas jusqu'à la 12e année et on voit donc arriver à Whitehorse des jeunes qui viennent pour finir leurs études mais qui ne sont pas vraiment prêts à quitter leurs familles et leur habitat traditionnel pour aller vivre dans une grande ville. C'est ainsi que les jeunes garçons renoncent en très grand nombre à leurs études. Dans le Nord, la situation des femmes a tendance à s'améliorer en ce qui concerne l'enseignement supérieur, mais nous continuons à ne toucher que 70 cents pour chaque dollar que peut gagner un homme.
Dans le Nord, les femmes commencent à occuper de nombreux emplois non traditionnels et les résultats sont plutôt bons. Pendant plusieurs années, j'ai travaillé dans le secteur minier mais j'y ai laissé une partie de ma féminité. J'ai fait face au harcèlement sexuel et côtoyé des gens qui semblaient tout ignorer des personnes du sexe opposé, ne pas savoir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas sur les lieux de travail. J'ai pu constater que, pour parvenir à gagner correctement leur vie, les femmes doivent généralement compromettre certains aspects de leur féminité.
Il n'est pas rare qu'elles aient à échanger des relations sexuelles contre de quoi nourrir et loger leurs enfants. Cela est vrai même dans notre foyer de transition.
Actuellement, à Whitehorse, la GRC réagit correctement aux incidents de violence familiale. Cela dit, c'est un peu la roulette russe, car c'est simplement qu'actuellement nous avons quelques agents de la GRC qui font preuve de compréhension et d'intelligence. On ne sait pas, par contre, ce qui se passera lorsqu'ils partiront. J'ai en effet entendu des choses épouvantables, voire criminelles, au sujet des réactions, des propos et des attitudes d'agents de la GRC appelés à intervenir lors de violences familiales, surtout lorsqu'ils ont eu affaire à des femmes sous l'influence de la boisson ou de la drogue. Nous ne disposons pas d'un lieu neutre et indépendant, où l'on puisse faire valoir ses droits. Je pourrais vous citer de nombreux exemples de femmes qui ont perdu leur emploi et leur place au sein de la communauté, simplement parce qu'elles ont essayé de défendre leurs droits et osé parler des violences qu'elles avaient dû endurer.
Il nous faut donc resserrer les liens avec la GRC, surtout en ce qui concerne la situation des femmes autochtones.
Je pourrais continuer, mais permettez-moi de m'arrêter ici.
Cate Innish, coordonnatrice de programme, Centre pour femmes Victoria Faulkner : Le Centre pour femmes Victoria Faulkner est plutôt une sorte de cercle amical. C'est un centre d'accueil qui a mis sur pied des programmes à l'intention des femmes de Whitehorse.
J'aimerais, si vous le voulez bien, évoquer divers aspects de la dichotomie santé-pauvreté.
Je voudrais vous citer les chiffres tirés d'un ancien rapport, puisque c'est aussi le rapport le plus récent, en l'occurrence le Yukon Health Status Report de 2003. Selon ce rapport, 22 p. 100 des Yukonnais ont eu, pour des raisons financières, du mal à s'alimenter au cours de l'année précédente. Dix pour cent n'ont pas eu assez à manger; 14 p. 100 ont craint ne pas avoir suffisamment d'argent pour se nourrir; 17 p. 100 n'ont pas pu manger à leur faim ou se procurer le genre d'alimentation qui leur convient.
Quinze pour cent des résidents des villes ont éprouvé une insécurité alimentaire, le chiffre équivalent étant de 30 p. 100 pour les habitants des zones rurales, c'est-à-dire les personnes n'habitant pas Whitehorse. Trente et un pour cent des familles monoparentales ont éprouvé un certain degré d'insécurité alimentaire, contre 21 p. 100 pour les couples avec des enfants. Naturellement, plus les revenus sont faibles, plus l'insécurité alimentaire est forte. Cinquante-deux pour cent des personnes à faible revenu ont fait état de leur insécurité alimentaire, le chiffre correspondant étant de 6 p. 100 pour les résidents ayant un revenu plus élevé. Il n'y a, en cela, rien de surprenant.
Le Centre pour femmes Victoria Faulkner abrite un des neuf projets lancés au Yukon dans le cadre du Programme canadien de nutrition prénatale de l'Agence de la santé publique du Canada. Contrairement à ce qu'il en est des projets analogues menés dans le sud du Canada, au Yukon, ce projet s'adresse à toutes les femmes enceintes et continue à accueillir les mères au cours des six mois suivant la naissance de leur bébé. Si, ici ce service n'est pas limité à certaines personnes, c'est en raison de l'isolement qui règne dans notre région et des problèmes qui se posent donc plus fréquemment au cours des périodes péri- et postnatales.
Dans le Nord, l'isolement et la pauvreté des moyens de transport constituent des obstacles qui empêchent souvent les femmes d'avoir accès aux services ou à l'information nécessaires, ainsi qu'à un réseau de contacts qui leur serait particulièrement utile. Cela est particulièrement vrai des mères à faible revenu. De nombreuses femmes vivent loin de leur famille. Elles n'ont donc pas, dans nos régions, le soutien dont elles bénéficieraient si elles vivaient plus près de leur famille. Le Programme canadien de nutrition prénatale permet de suivre l'état de santé des mères et de leurs bébés. Au Centre pour femmes Victoria Faulkner, une nutritionniste vient chaque semaine pour offrir des conseils en matière d'alimentation. Deux fois par semaine, la coordinatrice du programme organise à l'heure du midi un repas d'accueil où les femmes peuvent échanger des recettes et s'initier à la cuisine bon marché. Il y a, en outre, une distribution de bons de nourriture.
L'accès à une nourriture saine au cours de la grossesse et des premiers mois de la vie de l'enfant pose, là encore, un problème délicat à résoudre, notamment pour les mères à faible revenu, cela étant particulièrement vrai des personnes habitant ailleurs qu'à Whitehorse. Étant donné, par exemple, qu'à Old Crow, localité isolée, le lait et l'eau potable doivent être acheminés par avion, il est clair que le Kool-Aid et autres boissons à base de cristaux coûtent beaucoup moins cher à transporter que le jus de fruit, et c'est ce que les gens boivent en général.
La dépression chez les femmes est en partie liée aux difficultés économiques, au stress d'avoir à assumer en même temps plusieurs rôles, des violences et des discriminations. La dépression varie aussi en fonction du revenu et de l'éducation. Les habitants du Yukon ayant les revenus les plus faibles ont presque deux fois plus de chances de faire état de troubles dépressifs que les personnes à revenu élevé, et, au Yukon, les femmes ont deux fois plus de chances que les hommes de signaler des troubles dépressifs.
Ajoutons que la dépression post-partum est, dans le Nord, aggravée par les troubles affectifs saisonniers et que, souvent, ce genre de troubles n'est pas diagnostiqué, faute de médecin dans la communauté. Les lampes spéciales qui permettent de contrer les effets des troubles affectifs saisonniers coûtent environ 200 $ mais c'est hors de prix pour quelqu'un qui ne peut même pas se nourrir correctement.
J'aimerais, maintenant, vous parler d'un autre projet que l'on mène au Centre pour femmes Victoria Faulkner. Il s'agit d'un projet financé par le gouvernement du Yukon et qui s'appelle la Rural Pregnant Mom's Suite. Il s'agit d'un appartement de deux chambres à coucher, aménagé il y a à peu près un an. C'est un logement offert gratuitement à une femme enceinte et son partenaire qui habitent une des communautés de notre région, qui doivent venir à Whitehorse pour donner naissance à leur premier enfant. Nous les accueillons deux semaines environ avant la date prévue de l'accouchement. Nous ne pouvons hélas qu'y héberger deux couples à la fois. Il s'agit d'un appartement de deux chambres à coucher et, déjà, les besoins dépassent les locaux disponibles.
Permettez-moi, en dernier lieu, d'évoquer devant vous la question de la pauvreté et de la garde d'enfants. Pour qu'une femme puisse avoir un emploi, il lui faut avoir accès à un service de garde d'enfants abordable et correct. Or, malheureusement, les femmes qui occupent des emplois peu rémunérés, souvent des mères seules, n'ont même pas les moyens de payer le complément qu'on leur demande de verser en sus de la subvention. Ajoutons que l'on manque, tant à Whitehorse que dans les diverses communautés, de places de garderie et qu'en tout état de cause, les garderies ferment toutes à 17 heures. Récemment, pendant un certain temps, à Watson Lake, il n'y a pas eu le moindre service de garderie.
Judy Pakozdy, directrice exécutive, Fetal Alcohol Syndrome Society of Yukon (FASSY) : J'aimerais vous entretenir aujourd'hui des divers troubles liés à l'intoxication fœtale à l'alcool. La Fetal Alcohol Syndrome Society of Yukon existe depuis 1986.
Le nombre de personnes atteintes d'un trouble lié à l'intoxication fœtale à l'alcool atteint jusqu'à 3 p. 100 de la population du Yukon. Chaque année, 6 p. 100 des nouveau-nés ont été, avant même de naître, exposés suffisamment à l'alcool pour avoir des chances d'être atteints d'un de ces troubles. Dans 50 p. 100 des cas, les bébés atteints du syndrome d'alcoolisme fœtal sont nés de mères atteintes du même syndrome.
Notre mission consiste à éviter que cela se produise mais, compte tenu du contexte dans lequel nous œuvrons, c'est un peu une mission impossible. Un autre aspect de notre mission consiste à trouver des logements pour les personnes atteintes de ce handicap dû à une lésion cérébrale chez les enfants nés d'une mère qui consommait de l'alcool pendant sa grossesse.
Nous comptons parmi nos clients, un nombre disproportionné de personnes issues des Premières nations étant donné que les gens des Premières nations ont moins de mal à accepter un enfant qui a des troubles d'apprentissage, qui souffre d'autisme ou de quelqu'autre incapacité qu'un enfant souffrant du syndrome d'alcoolisme fœtal. En effet, le fait d'avoir un enfant atteint de ce syndrome engendre chez la mère un profond sentiment de culpabilité. On nous rapporte que même si, dans les diverses collectivités, les gens savent que de 30 à 40 p. 100 de la population sont atteints de cette incapacité, personne ne veut le reconnaître, parce que cette responsabilité pèse trop lourdement sur les épaules des mères.
Notre travail se fait essentiellement auprès d'adultes atteints de ce syndrome. Il s'agit de personnes qui ont été placées dans des familles d'accueil, qui sont allées à l'école, puis qui ont fait de la prison et qui, maintenant, sont à la rue. Environ 50 p. 100 de nos clients, nous en avons actuellement 55, ont passé au moins une partie des deux dernières années soit à la rue soit à échanger des rapports sexuels en échange d'une petite place pour dormir à l'abri. Les lésions cérébrales dont elles sont atteintes sont à l'origine de comportements inacceptables. Personne ne l'admet, mais cela fait que ces personnes ont beaucoup de mal à se loger.
Même si elles finissent par se trouver un appartement, elles sont incapables d'observer les quelques règles de base nécessaires pour le conserver. Il n'est pas rare qu'elles déménagent quatre ou cinq fois par an. Or, déménager, cela coûte quelque chose même pour quelqu'un qui n'a presque rien. Si elles sont forcées de décamper pendant la nuit, elles vont devoir abandonner tous leurs vêtements, ce qui veut dire qu'il leur faudra repartir à zéro.
Ce syndrome ayant été si longtemps dénigré, les personnes qui en sont atteintes s'entendent constamment dire : « Si tu y mettais un peu du tien, ça irait mieux. » C'est parfaitement faux, étant donné qu'il s'agit d'une lésion cérébrale permanente. Ce qu'il nous faudrait dire à quelqu'un atteint de ce syndrome c'est : « Vous êtes effectivement atteinte d'une certaine incapacité, mais vous êtes loin d'être la seule. Nous allons vous aider à vous y adapter. Vous verrez, cela ne vous empêchera pas d'avoir une bonne vie. »
Mais, ce qui se passe actuellement, c'est que les gens grandissent et prennent de l'âge sans vraiment accepter qu'on les aide. En fin de compte, la seule aide qu'elles reçoivent est souvent en prison. En prison, en effet, ça va à peu près bien, parce qu'elles se retrouvent dans un environnement régulier. Elles sont nourries. Elles ont un lit. Le niveau de violence n'est tout de même pas aussi élevé que dans la rue. Pour certaines d'entre elles, la prison semble constituer une solution pas trop mauvaise. Mais, dans ces conditions-là, que pensez-vous qu'il arrive? On les libère en raison de leur bonne conduite!
Je suis consciente du fait que la situation que je vous dépeins peut sembler assez sombre, mais j'ai moi-même un fils de 27 ans qui est atteint du syndrome d'alcoolisme fœtal. J'ai commis des erreurs, mais je me suis attachée à les corriger dans une certaine mesure. Il vit à Victoria. Le gouvernement de la Colombie-Britannique, Dieu merci, lui verse une pension d'invalidité et paie pour un aide familial résidant. Six soirs par semaine, il enseigne la danse et étudie la chorégraphie à l'Université de Victoria, tout cela avec l'aide de personnes-ressources. Mais tout cela est attribuable au fait qu'il n'hésite pas à demander de l'aide et au fait, aussi, qu'il a été diagnostiqué assez tôt.
Le Yukon vient, justement, d'organiser des équipes de diagnostic. Ce projet n'en est qu'à ses débuts et cela nous a déjà permis de diagnostiquer 37 adultes. Le centre de développement de l'enfant et le système scolaire ont davantage de mal à constituer ce genre d'équipes car ils souhaitent former une équipe qui resterait sur place au Yukon. Nous avons décidé, en ce qui concerne les adultes, qu'il ne serait pas possible d'obtenir que le personnel spécialisé accepte de s'installer à demeure au Yukon. Je suis désolée, nous aimons le Yukon mais c'est un fait. Ainsi, les gens restent deux ou trois ans, se font une réputation, puis repartent. Donc, deux fois par an, nous faisons venir au Yukon une équipe de Calgary comprenant un généticien, un pédiatre et tout un groupe de psychologues. Cela donne de bons résultats pour notre clientèle d'adultes.
Ce qui ne va pas, par contre, c'est que nous manquons des ressources nécessaires pour donner aux personnes, chez qui l'on a diagnostiqué de telles lésions, l'aide dont elles ont par la suite besoin. Nous nous y attachons.
Que puis-je vous dire de plus à ce sujet? De 50 à 70 p. 100 des adultes atteints du syndrome d'alcoolisme fœtal finissent par succomber à une forme ou une autre d'assuétude. De nombreuses recherches sont en cours afin de découvrir dans quelle mesure l'assuétude est attribuable à des facteurs génétiques, familiaux, environnementaux ou autres. Il n'y a, au Canada, aucun centre de traitement destiné aux personnes atteintes de ce genre de lésion cérébrale. Il y a là une injustice manifeste.
Ce qu'il faudrait instaurer au Canada, c'est un régime national de pension pour les personnes atteintes d'une incapacité. Je ne parle pas seulement des personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme fœtal, mais de toute personne ayant une incapacité. Mon fils s'en sort bien parce que la Colombie-Britannique s'occupe assez correctement de lui et parce que je continue moi-même à l'aider.
La plupart des parents pensent que dès que leurs enfants atteignent l'âge de 18 ans, surtout s'ils sont difficiles comme peuvent l'être les enfants souffrant de ce syndrome, il est temps de déménager, ce que font la plupart des jeunes, mais, en fait, c'est les mettre à la rue où ils risquent de devenir meurtriers, violeurs ou victimes. Ils finissent par devenir infréquentables, mais ce n'est pas comme ça au départ. Ils deviennent simplement ce que nous les laissons devenir. Or, il est temps, je pense que nous fassions quelque chose.
Le sénateur Mahovlich : Dans le cadre de vos exposés, nous n'avons rien entendu dire au sujet de l'éducation religieuse. Y a-t-il des églises au Yukon?
Mme Powick : Oui, nous parlions justement de cela l'autre jour au foyer de transition. Dans d'autres régions du Canada, les églises ouvrent leur sous-sol, surtout quand il fait 40 degrés sous zéro ou 50 degrés sous zéro et qu'il n'y a pas de lieu d'hébergement pour les femmes.
Le sénateur Mahovlich : Oui, on y offre des repas. Parfois, il y a, dans les sous-sols des églises une banque alimentaire.
Mme Hrenchuk : On a des soupes populaires, mais on n'a pas vraiment de banque alimentaire. La Yukon Anti- Poverty Coalition a créé une organisation qui s'attache à monter une telle banque dans les deux années qui suivent. Jusqu'ici, nous avons simplement, ici et là, des soupes populaires. L'Armée du Salut, elle, a une soupe populaire qui fonctionne tous les jours. Dans les églises, c'est généralement une fois par semaine. En ce qui concerne les provisions d'urgence, l'Armée du Salut distribue, toutes les cinq ou six semaines, assez de provisions pour deux ou trois jours. Maryhouse, organisme laïc lié à l'Église catholique, distribue, une fois par mois, un sac de provisions qui permet de se nourrir deux ou trois jours.
Lorsque les gens, en milieu de semaine, n'ont déjà plus d'argent, je parle là soit les travailleurs économiquement faibles soit des personnes touchant l'aide sociale, on leur distribue des provisions leur permettant de se nourrir encore deux ou trois jours, mais c'est à peu près tout.
Le sénateur Mahovlich : Mais je me demandais aussi ce qu'il en était de l'éducation religieuse. Les personnes qui sont atteintes de ce syndrome d'alcoolisme fœtal bénéficient-elles d'une instruction religieuse? Pensez-vous que cela serait utile?
Mme Pakozdy : Elles ne savent pas lire. Elles ont été instruites au sein du système scolaire du Yukon, mais elles ne savent pas lire. Elles ne peuvent même pas lire les panneaux d'autobus, donc ne peuvent pas utiliser les transports en commun. De toute manière, elles n'auraient pas l'argent nécessaire.
Elles sont atteintes de lésions cérébrales permanentes, et c'est comme si alors qu'elles étaient encore à l'état de fœtus, leur mère avait eu un grave accident de voiture. Pour la plupart, leur visage ne se distingue aucunement du vôtre ou du mien. Elles semblent parfaitement normales et on s'attend donc de leur part à des réactions et à des aptitudes normales. Or, étant donné les lésions cérébrales qu'elles ont subies, elles ne sont pas du tout en mesure de répondre à ces attentes.
Le sénateur Mahovlich : Les femmes qui se sont fait abuser, s'adressent-elles aux églises pour obtenir de l'aide?
Mme Powick : Certaines. Depuis la naissance d'Internet, on voit arriver au Yukon un nombre croissant d'épouses Internet et il est fréquent qu'elles n'aient accès ni à des services de santé ni à des conseils juridiques. La plupart ont déjà un enfant. Elles n'ont pas accès aux logements sociaux. C'est le dénuement le plus complet. Les églises travaillent de concert avec nous pour essayer d'aider et de conseiller celles qui en ont le plus besoin.
Le sénateur Peterson : Madame Powick, Je peux vous dire que la violence faite aux femmes n'est pas particulière au Yukon. C'est un phénomène général. Nous avons, en Saskatchewan, par exemple, de nombreux problèmes à cet égard. J'y consacrais beaucoup de temps à l'époque, lorsque je présidais le conseil d'administration de la société Ranch Ehrlo. Ce qui se passe, c'est que les personnes qui n'ont guère de moyens hésitent à signaler ce qui leur arrive, car elles considèrent le problème comme insoluble. Elles savent qu'elles vont finir par devoir retomber dans la même situation et elles hésitent à faire le premier pas. Les seules qui nous contactaient étaient celles qui craignaient pour la sécurité de leurs enfants. C'est là qu'elles se décidaient à nous contacter.
Nous avons allongé la durée du séjour. Je pense que, maintenant, elles peuvent passer jusqu'à six mois dans un foyer de transition, puis se mettre à la recherche d'un logement où elles seront en sécurité. C'est vers cela, me semble-t-il, qu'il faut s'orienter. Trente jours, ça ne suffit pas.
Mme Powick : Vous avez raison. Dans certains autres ressorts, on trouve des appartements indépendants au sein d'un immeuble sécurisé. Les ressources nécessaires sont là pour que les femmes puissent faire la transition. Elles peuvent obtenir des conseils juridiques et avoir accès à la justice.
Au foyer de transition, nous avons aménagé cinq appartements indépendants. Ils sont actuellement tous occupés et nous avons une liste d'attente. Le département des logements sociaux de la Yukon Housing Corporation, a actuellement, sur sa liste d'attente, les noms de 60 à 70 femmes, dont 60 p. 100 sont des mères seules dont beaucoup ont dû fuir la violence.
J'estime qu'à Watson Lake, et ici également, il nous faudrait aussi des refuges de deuxième étape. On pourrait y séjourner plus longuement. Nous constatons également, parmi nos clientes, un nombre croissant de femmes plus âgées. Lorsque, dans les années 1970, je me suis installée au Yukon, les gens me demandaient toujours « Quand allez-vous repartir? » Personne ne restait ici pour prendre leur retraite. Mais, maintenant, beaucoup de gens s'y trouvent chez eux et n'ont aucune intention de repartir. C'est ici qu'ils vont se retirer. De nombreuses femmes plus âgées viennent au foyer de transition et c'est vraiment triste car beaucoup d'entre elles ont travaillé très dur toute leur vie durant et, pourtant, elles arrivent ici dans le plus grand dénuement. Tout était au nom de leur mari. Elles n'ont pas accès au compte en banque, ni au véhicule, ni à leur domicile et n'ont qu'un accès limité à l'aide juridique.
Je parle d'une dame plus âgée qui a quitté tout ce qu'elle avait et tout ce qu'elle a dû endurer. Souvent, sa santé est précaire. C'est dire qu'il lui faut pouvoir séjourner chez nous plus longtemps qu'une femme d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années.
Le sénateur Peterson : Madame Pakozdy, en ce qui concerne le SAF, si c'est bien ça, je ne me souviens pas, vous avez parfaitement raison, il n'y a pas de guérison et il faut en prendre son parti. Tout à l'heure, j'ai parlé à Mme Powick de la société Ranch Ehrlo. Je ne sais pas si vous êtes au courant des activités de cette société en Saskatchewan.
Mme Pakozdy : Non.
Le sénateur Peterson : Depuis 50 ans, nous nous occupons d'enfants troublés et désavantagés. Un de nos foyers familiaux n'accueille que des personnes atteintes de ce syndrome. Nous tentons de leur inculquer des connaissances pratiques et de leur apprendre comment discipliner leurs émotions et accomplir les gestes de la vie en société. Nous les hébergeons jusqu'à 18 ans. Souvent, ils nous arrivent à l'âge de 12, 13 ou 14 ans, ce qui nous donne assez de temps pour parvenir à de bons résultats. Nous pouvons également loger les parents et nous les encourageons à venir.
Je pense que nous accueillons des clients provenant de cette région et que les bandes nous envoient. Notre modèle semble donner de bons résultats, compte tenu des difficultés de la situation.
Mme Pakozdy : Le succès n'est pas complet, mais cela donne de bons résultats pour les personnes appartenant à ce groupe d'âge.
Le sénateur Peterson : Le programme pourrait être étendu.
Mme Pakozdy : Hélas, étant donné que cette incapacité est permanente, il faut apporter une aide qui, elle aussi, soit permanente. Pour l'instant, nous accueillons des jeunes de 18 ans et parfois nous les gardons jusqu'à 19 ans. Nous les hébergeons dans des foyers collectifs mais, lorsqu'ils atteignent l'âge limite, ils sont à la rue. Ou alors, ils trouvent à se loger dans des immeubles d'habitation où je n'oserais pas pénétrer sans être accompagnée de la GRC. Et puis, quelques semaines, voire quelques jours après avoir atteint l'âge limite, ils sombrent dans la criminalité simplement pour survivre.
Le sénateur Mercer : Vous me rappelez que j'ai eu beaucoup de chance et je vous en remercie.
Madame Powick, vous avez parlé de « mentalité de bloc » et cela m'a donné une meilleure idée des problèmes éprouvés par les femmes habitant de petites communautés rurales. L'expression que vous avez employée est très parlante. J'ai moi-même grandi dans une grande ville, Halifax. Avec un peu d'effort, on peut se perdre à Halifax, mais, dans une petite ville, on ne peut pas se perdre et il est donc très difficile de fuir une situation abusive.
Parlant du collège, vous avez dit, par contre, quelque chose qui m'a surpris. Vous avez dit que soit on étudie à temps plein, soit on n'étudie pas du tout. N'y a-t-il pas de programmes d'études à temps partiel dans ce collège?
Mme Powick : Oui, il y en a, mais le programme Winetap est un programme très exigeant. Il s'agit du programme d'instruction pédagogique. Là, il faut étudier à plein temps. Bien sûr, on peut toujours prendre un cours par-ci, un cours par-là, mais dans le cadre du programme qui mène au brevet d'enseignement, les études sont nécessairement à temps plein. Ainsi, une femme ne peut pas être admise au programme, et commencer à temps partiel en attendant de régler les divers problèmes qui, naturellement, se posent à une femme exploitée, surtout lorsqu'elle souhaite tout de même passer une partie de son temps avec ses enfants.
Mme Hrenchuk : Une partie du problème se situe sans doute aussi au niveau des possibilités d'aide financière. La plupart des programmes instaurés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord, exigent des études à plein temps. Si vous demandez une aide financière au ministère de l'Éducation du Yukon ou à quelqu'autre organisme, généralement, là encore, on exigera que vous vous inscriviez à temps plein. Il s'agit là, bien sûr, d'une condition qui défavorise les pauvres et qui, effectivement, exige qu'on étudie à plein temps ou pas du tout.
Le sénateur Mercer : Vous êtes-vous entretenue de cela avec l'administration du collège, et avec les responsables du ministère de l'Éducation du Yukon? Les avez-vous rencontrés pour évoquer avec eux le cas de ces personnes qu'il serait peut-être possible d'aider. Peut-être pourrait-on prévoir à leur intention des programmes d'études à temps partiel.
Mme Hrenchuk : Non, je ne l'ai pas encore fait.
Mme Powick : Au Yukon, un des graves obstacles au bien-être financier des femmes est l'absence de garderies, surtout après les heures normales de bureau. Pendant un certain temps, il n'y avait à Watson Lake pas une seule place de garderie, pas une. Or, comment une mère seule peut-elle gagner sa vie dans une ville où elle ne peut trouver aucune aide.
Pour rentabiliser les locaux du collège, ils ont organisé des cours du soir mais, jusqu'il y a un mois, on ne trouvait à Whitehorse aucun service de garderie après 17 heures. Dorénavant, il y a une garderie qui est ouverte plus tard, mais là, il s'agit de pouvoir y trouver une place.
Le sénateur Mercer : Vous parliez, Cate, de distribution de provisions. Serait-il utile de créer, à Whitehorse, une banque alimentaire? Plusieurs témoins nous ont dit, ce matin, que tel groupe distribue des aliments un jour, puis un autre groupe effectue une distribution un autre jour. Il me semble qu'une distribution plus régulière, dans le cadre d'une banque alimentaire, aiderait, d'abord, à mieux connaître la clientèle, et puis, à mieux la servir. Cette solution vous paraît-elle pratique?
Mme Innish : Oui, cela a été démontré par l'étude de faisabilité effectuée par la Yukon Anti-Poverty Coalition. On a ainsi créé une société de banque alimentaire qui tente actuellement d'organiser quelque chose, mais comprenez bien qu'il faut un certain temps pour trouver des locaux, monter un système de distribution et recueillir l'argent nécessaire pour mettre sur pied une banque alimentaire.
On a obtenu l'appui de la communauté. Yukon Electric, par exemple, a fait don d'un camion et d'une somme d'argent considérable. On a donc l'appui de la communauté, mais étant donné notre isolement, les réseaux de distribution alimentaire sont différents ici et nous n'avons pas autant de sources d'approvisionnement. Le transport par route est très coûteux. La mise en place des moyens nécessaires à une banque alimentaire s'effectue ici de manière quelque peu différente, mais le projet est lancé et on s'en occupe activement.
Mme Powick : C'est une cause pour laquelle je me passionne car de plus en plus de femmes ont besoin d'y avoir recours, et cela de plus en plus souvent. J'applaudis donc les efforts des organisations à but non lucratif, mais il nous faut, en outre, augmenter les prestations d'aide sociale car, comme nous l'avons constaté, de plus en plus de familles atteintes par un autisme de haut niveau ne parviennent pas à payer leur loyer et leurs factures de téléphone et d'électricité. Cela mord évidemment sur leur budget de nourriture et, bien sûr, nuit à l'alimentation des enfants.
Je parle bien de personnes sans déficience intellectuelle et néanmoins atteintes d'une incapacité. Si une telle personne se fait agresser dans la rue et qu'on lui vole 40 $, par exemple, elle se retrouve dans le pétrin. Pourtant, ce genre de chose se produit fréquemment. En matière de banque alimentaire, les besoins sont tellement importants qu'ils sont actuellement obligés de limiter le nombre de fois qu'une personne peut passer. C'est donc qu'il y a un problème systémique au niveau de l'aide sociale qui, actuellement, ne répond pas aux besoins des familles.
Le sénateur Mercer : Je comprends fort bien. Je ne voulais pas dire que la solution du problème passe par la création de banques alimentaires. J'y voyais simplement un service d'appoint.
Alors que nous allons entamer la rédaction de notre rapport, j'attire l'attention de mes collègues, et en particulier de nos recherchistes, sur les recommandations formulées dans le cadre de l'étude Il suffit de peu pour se retrouver sans abri : Une étude sur l'itinérance des femmes au nord du 60e parallèle. Ce rapport examine les diverses difficultés que nous avons évoquées ici ce matin. Je tiens à m'assurer qu'il en est fait mention aux fins du compte rendu de nos délibérations afin que, lors de la rédaction de notre rapport, nous sachions quelles sont les recommandations que nous allons retenir. Les recommandations formulées dans le cadre de ce rapport me paraissent pour ma part excellentes.
Madame Innish, cela tient à moi et non pas à vous, mais j'ai quelque difficulté à comprendre le fait que la dépression post-partum soit aggravée dans le Nord par les troubles affectifs saisonniers, c'est-à-dire par l'absence de soleil. Selon des recherches menées récemment, il semblerait qu'il faille pour cela prendre de la vitamine D. Le phénomène est nouveau et on ne sait pas encore très bien si cela est efficace. Je prends, en ce qui me concerne, de la vitamine D, mais j'habite la Nouvelle-Écosse où les jours ne sont pas trop courts. Les suppléments de vitamine D auraient-ils un effet bénéfique sur les personnes qui habitent des communautés qui manquent davantage de soleil?
Mme Innish : Tout à fait. Lorsque nous étions petits, le seul supplément alimentaire que mon père nous donnait était de l'huile de foie de flétan, c'est-à-dire, essentiellement, de la vitamine D. Cela dit, il y a des gens que le manque de soleil affecte plus que d'autres. Je ne sais pas si des travaux scientifiques ont été menés sur cette question, mais je pense que de telles personnes auraient effectivement besoin d'un supplément de quelque chose.
Le sénateur Mercer : Les régions situées au nord du 60e parallèle nous paraissent être l'endroit idéal pour effectuer des travaux sur les troubles affectifs saisonniers.
Mme Innish : Ce serait, en effet, l'endroit idéal.
Le sénateur Mercer : Vous avez également parlé du manque de places de garderie. Il faudrait également se demander s'il y a assez d'éducateurs de jeunes enfants dans une région où l'on constate un écart salarial sensible par rapport au reste du pays, en raison de l'isolement, et des salaires élevés des employés de la fonction publique et de l'industrie minière. Le salaire des éducateurs de jeunes enfants travaillant au Yukon sont-ils suffisamment élevés pour attirer le personnel nécessaire?
Mme Innish : Non, et c'est une autre question sur laquelle nous n'avons pas eu l'occasion de nous pencher. En effet, les salaires versés aux éducateurs de jeunes enfants au Yukon sont insuffisants.
Le sénateur Mercer : Je suis toujours surpris de voir qu'on verse aux éducateurs de jeunes enfants des salaires inférieurs à ceux qui enseignent en milieu scolaire.
Mme Innish : Pourtant, ils sont obligés d'effectuer des études postsecondaires et on s'attend à ce qu'ils acquièrent toutes les compétences nécessaires. Leurs salaires restent néanmoins faibles.
Le sénateur Mercer : Je tiens à vous remercier.
Madame Pakozdy, mon collègue, le sénateur Peterson, compte tenu de son travail de bénévole en Saskatchewan, est beaucoup plus que moi au courant des problèmes que pose le syndrome d'alcoolisme fœtal. J'ai fait du bénévolat dans de nombreux domaines, mais pas dans celui-ci. Je vais donc vous demander quelques précisions. Vous nous avez dit tout à l'heure que vos 55 clients actuels sont tous adultes. À quel âge ce syndrome peut-il être diagnostiqué, et à quel moment la société devrait-elle intervenir par des programmes à leur intention?
Mme Pakozdy : Pour le diagnostic, le meilleur âge se situe entre six mois et deux ans. Nous disposons d'un centre de développement de l'enfant où les enfants peuvent être diagnostiqués. Après être parvenue à un diagnostic, l'équipe de spécialistes établit un programme de garderie et formule des recommandations pour que l'enfant puisse, lorsqu'il entre à l'école, bénéficier là encore de mesures de soutien. À l'heure actuelle cependant, l'école n'a guère les moyens d'appliquer de tels programmes.
Lorsque nous avons commencé à diagnostiquer des adultes, tout le monde nous a dit « Mais pourquoi perdez-vous votre temps à faire cela? » On nous disait cela car ces gens finissent généralement en prison. On les voit mourir dans la rue. Aussi endurcis qu'ils puissent paraître, à partir du moment où le diagnostic nous permet de savoir quelles sont les parties du cerveau qui fonctionnent correctement et quelles sont celles qui sont atteintes, nous pouvons trouver les moyens de suppléer aux parties qui ne fonctionnent pas comme elles devraient. Tant qu'on dispose des ressources nécessaires pour les soutenir, les personnes souffrant de ce type de lésions cérébrales sont capables de modifier leur comportement du tout au tout.
Le sénateur Mercer : Je vous remercie du travail que vous faites
La présidente : Je tiens à vous remercier toutes au nom du comité. Nous sommes conscients des difficultés auxquelles vous avez à faire face. Les exposés que vous nous avez présentés nous ont permis de mieux saisir l'ampleur du problème et nous avons hautement apprécié la sensibilité avec laquelle vous nous avez exposé la situation. Permettez-moi de dire que vos clients ont beaucoup de chance de vous avoir toutes les quatre.
La séance est levée.