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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 1 - Témoignages du 21 novembre 2007


OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, à examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes ainsi qu'à étudier l'ébauche d'un budget.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

D'abord, nous devons nous occuper de certaines motions pour affaires courantes. Il est question de l'ordre de renvoi adopté par le Sénat le 20 novembre concernant les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé. Selon la motion dont il s'agit, la question est renvoyée au Sous-comité de la santé des populations. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : En deuxième lieu, il y a une motion présentée par le sénateur Munson : que l'ordre de renvoi adopté par le Sénat le 20 novembre concernant les questions d'actualité touchant les grandes villes canadiennes soit confié au Sous-comité sur les villes. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Enfin, que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunisse pour examiner la pauvreté, l'itinérance et le logement conformément à l'ordre de renvoi touchant la santé des populations adopté par le Sénat le 20 novembre et conformément à l'ordre de renvoi à propos des villes adopté par le Sénat le 20 novembre et qu'il communique les témoignages présentés au Sous-comité de la Santé des populations et au Sous-comité des villes.

Comme vous le savez, nous avons décidé que la composante « pauvreté, logement et itinérance » de l'étude sur les villes s'inscrivait mieux dans les travaux du comité principal parce qu'elle présente aussi un intérêt pour le Sous-comité de la santé des populations. Donc le comité principal est saisi de la question. Tous les renseignements que nous obtiendrons des témoins aujourd'hui et que nous recevrons durant toute autre audience sur la pauvreté, le logement et l'itinérance viendront alimenter les études des deux sous-comités.

Il y a ici rien de nouveau. C'est une question qui était restée en suspens à la dernière séance. La motion est proposée par le sénateur Cochrane. Êtes-vous d'accord pour l'adopter, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le président : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs; nous avons réglé les affaires courantes.

[Français]

Aujourd'hui, nous examinerons la pauvreté, l'itinérance et le logement.

[Traduction]

Nous avons commencé à étudier la question au cours de la dernière session de la 39e législature et nous poursuivons ce travail au cours de la présente et deuxième session. Je veux souligner que le travail est pris en charge par le comité en son intégralité — nous venons d'adopter une motion à cet égard, car il se rapporte aux deux études de nos sous- comités, celui de la santé des populations et celui des villes.

De même, nous faisons fond sur des travaux antérieurs — et je crois qu'il faut la peine de le noter — réalisés au Sénat à propos des divers aspects de la pauvreté. Le rapport de 1971 produit sous la direction du sénateur Croll me vient à l'esprit. C'était un rapport particulièrement important.

Il y a aussi à cet égard les travaux d'un autre sénateur, le sénateur Cohen, qui a écrit en 1997 un livre intitulé La pauvreté au Canada : Le point critique.

Nous nous en remettons aussi au travail que réalise actuellement le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, sous la direction de notre collègue, le sénateur Fairbairn. Ce comité se penche sur la question de la pauvreté en milieu rural, en particulier, et c'est là une étude qui a été mise en branle au Sénat à l'initiative du sénateur Segal.

Il y a déjà une bonne somme de travail qui a été abattue, et nous en faisons les fondements de notre étude de ces questions capitales auxquelles font face les Canadiens et les Canadiennes. Aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur les questions relatives au logement.

Nous accueillons quatre témoins venus nous aider sur ce point. Je vais les présenter dans l'ordre où ils prendront eux-mêmes la parole. D'abord, il y a John Anderson, directeur des Affaires gouvernementales à l'Association des coopératives du Canada. L'association en question appuie ses membres du secteur coopératif en proposant des services dans trois secteurs de base — le développement; les affaires gouvernementales et la politique publique; et une table de concertation.

Vient ensuite Nicholas Gazzard, directeur général de la Fédération de l'habitation coopérative du Canada. La fédération, créée en 1968, sert de tribune au mouvement canadien du logement coopératif.

Par la suite, nous accueillerons Sharon Chisholm, directrice générale de l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine, qui a également été établie en 1968 — c'était toute une année. L'association est un organisme national sans but lucratif dont la raison d'être est de soutenir et de renforcer le secteur du logement social.

Le dernier témoin, mais non le moindre — certainement à mon avis à moi — M. Derek Ballantyne, président- directeur général de la Société du logement communautaire de Toronto. La société de M Ballantyne est le plus important propriétaire d'immeubles locatifs au Canada. Elle appartient à la ville de Toronto et a à sa charge quelque 60 000 unités d'habitation en location. J'ai eu le plaisir de présider pendant quelques années un des organismes absorbés par la Société du logement communautaire de Toronto — la société du logement sans but lucratif de la ville de Toronto, ou Cityhome.

Bienvenue à tous et merci d'être là. Nous allons commencer par écouter John Anderson, de l'Association des coopératives du Canada.

John Anderson, directeur, Affaires gouvernementales et politique publique, Association des coopératives du Canada : Je me réjouis de la possibilité que vous m'offrez de m'adresser à vous en compagnie de mon collègue, Nicholas Gazzard, directeur général de la Fédération de l'habitation coopérative du Canada. La Fédération est l'un de nos 34 membres, qui comprennent aussi des coopératives et des fédérations coopératives regroupant toutes les principales centrales de caisses de crédit; le groupe d'assurance The Co-operators; des coopératives de détail comme Federated Co-operatives Limited, Co-op Atlantic, Growmark et Mountain Equipment Co-op; des coopératives agricoles comme Gay Lea et United Farmers of Alberta; ainsi qu'une foule de fédérations coopératives de la santé et d'emploi.

En 2009, la CCA célébrera son 100e anniversaire à titre d'association nationale des coopératives canadiennes. En partenariat avec le Conseil canadien de la coopération, notre homologue francophone, nous formons un réseau de plus de 9 000 coopératives et de plus de 13 millions de membres individuels.

Les coopératives ont été formées pour lutter contre la pauvreté. La première coopérative a été créée en 1844 par les travailleurs du textile à Rochdale, un centre urbain de l'Angleterre, afin de combattre la pauvreté qui les écrasait. Les principes de la coopérative de détail qu'ils ont formée sont la base du mouvement mondial actuel — un mouvement qui compte environ un milliard de membres.

Au Canada, l'histoire des coopératives est aussi liée à la lutte contre la pauvreté. Qu'il s'agisse des caisses populaires fondées par Alphonse Desjardins, des coopératives de détail de l'Ouest ou de la région de l'Atlantique, ou encore du mouvement national des coopératives de logement, nous croyons que le modèle coopératif au Canada a démontré qu'il peut être un outil essentiel dans cette lutte.

J'aimerais commencer par cette citation tirée des délibérations d'un comité sénatorial :

Le Comité a constaté que la solution, comme le problème, doit être multidimensionnelle. Elle doit comporter divers éléments qui doivent s'intégrer dans un plan cohérent pour éliminer la pauvreté au Canada.

Ça vous rappelle quelque chose? Ce n'est pas une future conclusion de votre comité mais bien celle du rapport du Comité sénatorial spécial sur la pauvreté en 1971 — que le sénateur Eggleton a évoqué et que j'ai relu pour me préparer à présenter mon exposé.

Depuis cette époque, les taux de pauvreté au Canada, quelle que soit la façon de les mesurer, sont restés très élevés et sont beaucoup plus élevés que dans la plupart des pays européens comparables. Nous n'avons toujours pas de plan cohérent. Non seulement les gouvernements fédéral, provinciaux, municipaux et autochtones ne sont pas coordonnés, mais il n'y a pas non plus de coordination au sein du gouvernement fédéral sur cette question. Et il n'y a pas de coordination avec d'importants intervenants comme les organisations patronales, syndicales et communautaires.

À l'assemblée annuelle de la CCA, en juin dernier, les délégués ont adopté une résolution demandant au gouvernement fédéral d'établir une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Nous sommes fiers du fait que cette résolution a été adoptée à l'unanimité. Nous soulignons également que c'est le premier exemple d'une grande organisation du secteur des affaires et de l'économie qui s'engage à appuyer cet objectif.

Nous invitons les autres grandes organisations commerciales et les autres secteurs économiques à prendre des engagements semblables. La pauvreté, c'est bien connu, touche tout le monde. Ses effets ne se limitent pas aux pauvres. Nous sentons tous que le tissu social s'effiloche.

Dans notre résolution contre la pauvreté, nous demandons au gouvernement fédéral d'utiliser le modèle coopératif comme important outil de lutte contre la pauvreté. Par notre programme international très respecté, nous avons appris comment les coopératives peuvent servir dans la lutte contre la pauvreté. De nombreuses leçons que nous avons tirées de notre travail dans plus de 40 pays en développement peuvent s'appliquer chez nous.

Depuis 2003, le mouvement coopératif canadien s'est allié au gouvernement fédéral pour réaliser la très fructueuse Initiative de développement coopératif. Par cette initiative, qui se termine en 2008 et que nous tentons de faire renouveler pour cinq autres années, nous avons aidé à développer plusieurs nouvelles coopératives urbaines.

L'expérience démontre que les coopératives peuvent servir à atteindre de grands objectifs de politique publique. Dans un cadre urbain, les coopératives, de pair avec d'autres organisations de la société civile, peuvent contribuer à sortir les gens de la pauvreté.

J'aimerais vous présenter l'un des nombreux exemples de situations où les coopératives font une différence. Neechi Foods Co-op est une coopérative d'emploi autochtone qui exploite un magasin de détail à Winnipeg — dans un quartier qui compte une importante population autochtone et où les taux de pauvreté et d'itinérance sont élevés.

Les populations de Premières nations, de Métis et d'Inuits ont des taux de pauvreté de deux ou trois fois supérieurs au taux canadien déjà élevé. Neechi offre divers produits d'alimentation et a mis sur pied des programmes connexes, comme des paniers de fruits pour les enfants.

La pauvreté entraîne souvent une mauvaise nutrition, et Neechi s'efforce de contrer ce problème. De plus, Neechi lutte contre la pauvreté en offrant des emplois à des Autochtones et en leur permettant ainsi d'acquérir des compétences en affaires et de développer leur confiance en soi.

Passons maintenant à la question du logement et de l'itinérance. Il y a eu de nombreuses études visant à déterminer le nombre de ménages ayant des « besoins impérieux ». Quel que soit le motif de ces études, il est incontestable que plus de 1,5 million de ménages ont des besoins impérieux au pays.

Toutes les organisations de première ligne qui travaillent directement avec les itinérants s'entendent maintenant sur une grande conclusion, soit l'importance de promouvoir le « logement d'abord ». Autrement dit, on ne peut pas résoudre complètement les problèmes de santé mentale et de toxicomanie qui affligent de nombreux itinérants si les sans-abri n'ont pas d'abord accès à un logement sûr et à prix modique.

Le logement à prix modique n'est pas un domaine de politique publique où nous ne savons pas très bien quoi faire pour résoudre le problème. L'ère du logement social actuelle a débuté en 1973 lorsque la Loi nationale sur l'habitation a été modifiée pour faciliter le développement des coopératives de logement sans but lucratif et d'autres types de logements sans but lucratif. Elle a permis la construction de centaines de milliers de logements permanents à prix modique qui existent encore aujourd'hui.

À certains égards, le nombre de logements construits importe moins que la création d'un modèle durable de logement à prix modique qui vise notamment à loger les démunis. La solution est à portée de main et n'attend que les ressources pour pouvoir être mise en œuvre.

La CCA appuie les positions présentées aujourd'hui par la Fédération de l'habitation coopérative du Canada et ses collègues du logement social. La Fédération porte notamment le flambeau du logement à prix modique et peut réaliser les solutions.

En conclusion, j'aimerais résumer certaines des principales raisons pour lesquelles nous pensons que le modèle coopératif présente des avantages importants comme outil de lutte contre la pauvreté.

Premièrement, les coopératives créent des actifs communautaires en réinvestissant les bénéfices dans la collectivité et en aidant à créer un cadre favorable au développement économique communautaire; deuxièmement, les coopératives restent en affaires plus longtemps que d'autres entreprises du secteur privé, d'après une étude réalisée par le gouvernement du Québec; troisièmement, les coopératives sont des écoles des affaires et de participation communautaire; et, quatrièmement, les coopératives appartiennent à des intérêts locaux et sont contrôlées localement

Je terminerai mon exposé sur cette note. Je serai heureux d'apporter un complément d'information à toute question que j'ai pu soulever, durant la période de questions prévue à la suite de l'exposé.

Nicholas Gazzard, directeur général, Fédération de l'habitation coopérative du Canada : Je tiens à vous remercier d'abord de l'occasion que vous m'offrez de venir vous parler du logement coopératif et du logement en général. John Anderson a décrit quelque peu le contexte dans lequel s'inscrit la question de l'accès à un logement abordable au Canada.

J'aimerais d'abord vous expliquer un peu ce que sont les coopératives d'habitation, en particulier, puis revenir à une des choses que M. Anderson a mentionnées, soit les besoins impérieux de logement.

Les coopératives d'habitation sont d'abord et avant tout des habitations qui appartiennent à une coopérative gouvernée par ses membres, également les résidents de l'établissement qu'ils tiennent sans but lucratif. Conçues pour la plupart dans le cadre de programmes fédéraux, les coopératives proposent des logements locatifs abordables aux gens à revenu moyen et une aide adaptée à leurs moyens financiers aux ménages à faible revenu. Le gouvernement fédéral a cessé de financer les nouveaux projets de coopératives d'habitation en 1992, ce qui nous laisse 1 600 projets de cette nature construits sous son parrainage, soit près de 65 000 unités d'habitation au Canada. À un moment donné, près de 30 000 d'entre elles servaient à loger une famille à faible revenu, mais le retrait de l'aide fédérale au fil du temps a réduit la capacité de loger les Canadiens à faible revenu de manière abordable et efficace.

Néanmoins, la coopérative d'habitation représente indéniablement un succès au Canada. Elle a servi à créer des collectivités sécuritaires et durables qui aident les individus et les familles à se sortir du cycle de la pauvreté et de l'hébergement inadéquat. Elle s'est également révélée être la forme la plus rentable d'aide au logement, comme le font voir les conclusions des évaluations successives de la SCHL. Depuis plus d'une trentaine d'années, les coopératives jouent un rôle clé quand il s'agit de loger les Canadiens de manière abordable dans des collectivités fortes. Elles peuvent jouer un rôle important dans la solution à long terme qu'il faut apporter aux problèmes que pose la crise du logement au Canada.

J'aimerais parler justement de cette crise du logement. Il y a quelques semaines, dans le discours du Trône, la gouverneure générale a affirmé que les Canadiens s'inquiètent du prix des logements et du nombre d'itinérants qui vivent dans la rue. Aujourd'hui, nous publions un rapport sur les besoins en logements au Canada; on y voit que les Canadiens ont raison de s'inquiéter de la situation à laquelle nous faisons face dans le domaine du logement.

Presque 1,5 million de ménages présentent ce que la SCHL décrit comme étant des « besoins impérieux de logements ». La SCHL définit les « besoins impérieux de logement » comme étant ceux d'un ménage qui doit prendre plus de 30 p. 100 de son revenu avant impôts pour se loger de manière adéquate et convenable. Sur les 1,5 million de ménages en question, ce sont plus de trois millions de Canadiens qui présentent des besoins impérieux de logement, et le nombre de ménages en question devrait augmenter de plus de deux millions d'ici 20 ans, à moins que nous ne commencions à agir pour contrer le phénomène.

Au-delà des statistiques relatives aux logements, il y a des gens en chair et en os qui font les frais du manque de logements abordables au Canada. Les résultats de notre rapport ne sont pas étonnants, mais ils n'en sont pas moins honteux. Les Canadiens les plus durement touchés sont les plus vulnérables, les jeunes, les vieux, les familles monoparentales, les ménages autochtones, les nouveaux immigrants et les locataires, qui comptent pour plus des deux tiers de ceux qui présentent des besoins impérieux de logements.

Les immigrants fraîchement arrivés présentent un taux de besoins en logements qui est de trois fois supérieur à celui des non-immigrants. À cet égard, le taux des familles monoparentales est deux fois supérieur à celui des autres ménages canadiens. Le taux de besoins impérieux de logements dans les ménages autochtones — les chiffres ne vous surprendront pas, mais ils montrent que la situation est mauvaise — est supérieur de 78 p. 100 à celui des ménages non autochtones. La statistique la plus honteuse est peut-être la suivante : 15 p. 100 des enfants Canadiens de moins de 10 ans sont aux prises avec un besoin impérieux de logements. C'est plus d'un enfant canadien sur six qui n'est donc pas logé adéquatement. Nous nous demandons pourquoi nous avons un problème de pauvreté chez les enfants au Canada.

Comme le montre notre rapport, il y a toute raison de croire que les ménages en question ont de la difficulté à trouver un logement acceptable. Quatre-vingt-neuf pour cent d'entre eux n'ont pas les moyens de se loger de manière acceptable, ce qui fait que le besoin impérieux de logements comporte trois dimensions — la taille du logement, son prix et sa qualité —, la question du prix étant de loin le problème le plus important pour 1,3 million de ménages.

Du point de vue géographique, trois territoires — la Colombie-Britannique, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse — présentent les pourcentages les plus élevés en ce qui concerne les besoins impérieux. Au Nunavut, c'est près de 40 p. 100, par rapport à 13,7 p. 100 pour l'ensemble du Canada. Même dans la province où le taux est le plus bas, soit l'Alberta, un ménage sur dix présente des besoins impérieux. Il s'agit là d'une province où il n'y a pas de dette, dans un pays où il n'y a pas de déficit. Cela semble ahurissant : dans un pays béni des dieux comme le Canada, le mieux que l'on puisse faire, c'est d'avoir un ménage sur dix qui présente des besoins impérieux de logements.

Un logement abordable n'est pas une bonne chose que pour les familles et les collectivités; c'est également un élément capital d'une croissance économique saine. Comme Don Drummond, premier vice-président et économiste en chef du Groupe Financier Banque TD, l'affirme en conclusion d'un rapport sur le logement abordable, une offre inadéquate de logements abordables fait obstacle à l'investissement et à la croissance des entreprises.

De plus, l'existence de logements abordables réduit le coût des services policiers, des soins de santé dispensés d'urgence, des soins de santé mentale, du soutien social et de la justice.

Tous les ordres de gouvernement ont un rôle à jouer du point de vue des besoins impérieux de logements, mais ne nous leurrons pas : c'est un problème national qui exige une solution concertée à l'échelle nationale, et il doit y avoir une solution.

Dans la nuit du 23 janvier 2006, celle des élections fédérales, le premier ministre a parlé des aspirations que nous pouvons tous avoir en commun en tant que Canadiens. Il a parlé des immigrants qui découvrent des occasions nouvelles dans un pays nouveau et des personnes âgées qui recherchent la sécurité, mais un immigrant sur trois n'a pas accès à un logement qu'il a les moyens de se payer et un aîné sur cinq de plus de 75 ans vit la même situation.

Le premier ministre n'a pas créé la crise du logement avec laquelle nous sommes aux prises au Canada aujourd'hui, mais, en faisant preuve de leadership, il peut aider à la résoudre.

Sharon Chisholm, directrice générale, Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis heureuse de me trouver ici. Depuis toutes les années où je travaille à Ottawa, c'est la première fois que je vais rencontrer le Sénat pour parler de la question du logement. Nous nous sommes déjà rencontrés pour discuter de pauvreté, et de pauvreté chez les enfants, en particulier; il est merveilleux de pouvoir venir vous rencontrer pour discuter de logement.

L'idée avec laquelle je veux d'abord et avant tout vous laisser, c'est que le gouvernement fédéral se trouve à un carrefour où il pourrait décider de délaisser les interventions dans le domaine du logement. On a parlé de l'année 1968. À peu près à cette époque, le gouvernement fédéral a commencé à intervenir beaucoup dans le domaine du logement et, en 40 ou 50 ans, il a fini par construire quelque 600 000 unités d'habitation dans des collectivités de tout le Canada, en comptant les coopératives dont vous avez entendu parler. Nous souhaitons préserver ces unités d'habitation, mais nous savons aussi qu'il faut vraiment en augmenter le nombre.

Les provinces ont été très actives quand il s'agit d'utiliser les fonds fédéraux ou d'associer leur travail aux initiatives et programmes fédéraux pour la construction de logements, mais nous savons que, durant la longue période en question, les provinces ne se sont pas activées à moins d'une mesure incitative de la part d'un programme fédéral, par exemple le financement moitié-moitié ou, pour parler du cas récent d'un fonds en fiducie, un transfert direct d'argent. Les provinces ont investi des sommes considérables dans le secteur du logement, mais elles l'ont fait seulement là où le gouvernement fédéral a fait preuve de leadership et offert un financement de contrepartie.

Comme nous arrivons à un moment où le gouvernement fédéral envisage de limiter son pouvoir de dépenser et de restreindre le rôle qu'il joue à l'égard de certaines orientations sociales, je soulignerais que le logement représente pour lui un outil et un levier puissants s'il souhaite demeurer lié aux affaires des collectivités, aider les collectivités à être saines et compétitives, et servir les immigrants d'une manière que M. Gazzard a déjà évoquée.

Outre l'intérêt social et le fait de s'organiser pour que chacun ait un toit au-dessus de la tête, le gouvernement fédéral compte d'autres intérêts comme la sécurité des quartiers, la compétitivité des villes, l'établissement des nouveaux arrivants et, de façon générale, des questions économiques où il serait possible de faire progresser les choses au moyen d'investissements et d'interventions dans le secteur du logement. En renonçant à cet outil, vous renoncez à beaucoup.

L'étude de mesdames et messieurs les sénateurs arrive à un moment important dans le secteur du logement. J'espère que vous allez vous assurer que le gouvernement fédéral continue de jouer un rôle important pour ce qui est de savoir comment le secteur du logement se développe au pays, même dans les cas où les programmes sont administrés et exécutés localement. En voyageant partout au pays, j'ai entendu dire à maintes reprises qu'il faut que le gouvernement fédéral continue de participer à l'exercice, car il y tient un rôle capital.

Nous nous sommes réunis avec nos partenaires provinciaux et territoriaux l'an dernier pour discuter du fait que le gouvernement fédéral et d'autres ordres de gouvernement voient arriver la fin d'un certain nombre de leurs programmes. La Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance, le Rental Assistance Program, le PAREL, l'Initiative en matière de logement abordable et les fonds en fiducie pour le logement vont tous s'éteindre en 2010. Dans certains cas, le financement disparaîtra avant. Le moment est venu d'étudier ce à quoi le rôle du gouvernement fédéral pourrait ressembler à l'avenir. C'est pourquoi nos collègues et nos associations de partout au pays ont conçu une campagne et cerné certaines questions clés à régler. Notre campagne appelle le gouvernement fédéral à maintenir tout au moins son investissement actuel.

Par l'entremise de la SCHL, le gouvernement fédéral consacre actuellement deux milliards de dollars par année au logement social et au logement abordable. Cette somme permet de subventionner des hypothèques et des maisons que nous avons achetées et construites au fil des ans. D'ici 2035, ce qui est assez loin dans l'avenir, j'en conviens, mais cela viendra très vite, toutes ces hypothèques auront été réglées. Elles commencent à rapporter déjà. Dans certains cas, les gens ont réglé l'hypothèque et n'ont plus besoin d'aide fédérale.

En essayant de garder ces unités d'habitation, nous devons nous assurer que les logements existants sont toujours destinés aux ménages à faible revenu. Certains groupes seront en mesure d'atteindre le but; d'autres projets manqueront de moyens. Certains projets ont bénéficié d'un bon entretien; d'autres ont besoin d'aide financière pour que les réparations puissent se faire.

D'après nos calculs, environ 20 p. 100 du budget fédéral serait nécessaire pour conserver le parc de logements existants et continuer à le destiner à ceux qui en ont besoin. Cependant, si le gouvernement fédéral devait affirmer qu'il maintient le budget, pour ne pas dire qu'il l'augmente, 80 p. 100 du budget en question serviraient à faire construire de nouveaux logements. D'ici au moment où les hypothèques seront remboursées, cela pourrait donner 21 000 unités d'habitation par année de plus. Si les provinces gardent la pédale au fond et collaborent, ce pourrait être le double.

Nous ne sommes pas encore en 2035, mais, tout de même, à mesure que les hypothèques prennent fin, les fonds libérés pourront être réinvestis dans les collectivités. Jusqu'à ce moment-là, je conseillerais au gouvernement fédéral de mettre en place des programmes qui nous permettent d'enrichir toujours l'offre de logements abordables. Tout au moins, s'il ne prévoit pas de nouveaux investissements, s'engager à demeurer présent dans le dossier et continuer de réserver les deux milliards de dollars en question aux logements abordables représenterait à nos yeux une mesure extraordinaire. Cela garderait les provinces comme partenaires dans le cadre de l'exercice et ferait voir aux collectivités que le gouvernement fédéral est encore présent, ce qui veut dire que tous les ordres de gouvernement seront présents. Cela permettrait aux gens dont le nom figure sur les listes d'attente d'avoir à nouveau de l'espoir.

Je sais que certaines personnes se font dire que, d'ici 10 ans, ils obtiendront peut-être une unité d'habitation — c'est peut-être 12 ans maintenant dans le cas d'Ottawa. Pour les gens qui ont deux enfants de quatre et de six ans et qui vivent dans un logement peu sécuritaire, avoir son nom sur une telle liste n'est pas très utile. Dans de nombreux cas, ils consacrent plus de la moitié de leur revenu au logement. Souvent, ils vivent dans un secteur qui est situé loin de l'endroit où se trouvent les possibilités d'emploi.

Le gouvernement fédéral devrait continuer à jouer un rôle dans le domaine parce qu'il souhaite que les Canadiens aient une meilleure santé et que les coûts de la santé diminuent. Je participe depuis un certain temps aux travaux de la table ronde sur les déterminants socioéconomiques de la santé du Conference Board du Canada, aux côtés de gens provenant du secteur privé et de différentes administrations provinciales. Nous en sommes tous venus à la conclusion que le logement est le déterminant de base de la santé. Là où il n'y a pas de logements sécuritaires, il n'est pas très sensé de parler de meilleur régime alimentaire; il n'est pas très sensé de parler d'accès aux programmes de loisirs. La personne a besoin tout d'abord d'une adresse.

Quoi qu'il en soit de la définition de l'OMC, de la définition des déterminants de la santé approuvée par l'Agence de la santé publique du Canada, la table ronde du Conference Board du Canada recommande vivement que le logement soit considéré comme un déterminant de la santé à proprement parler. C'est dire à quel point c'est important pour notre bien-être.

De même, la sécurité des quartiers est une question primordiale où il est possible d'améliorer les choses; pour cela, il faut renouveler les quartiers en prenant pour instrument le logement. Nous savons aussi que, dans la mesure où les enfants sont logés de manière sécuritaire, ils sont plus susceptibles de terminer leurs études secondaires — ce qui accroît leur degré d'employabilité — et nous savons tous à quel point c'est important pour le mieux-être du Canada. Une fois qu'une personne est logée de manière sécuritaire, elle peut chercher du travail et se faire un horaire où elle peut aller travailler régulièrement. Cela peut comporter des avantages pour l'environnement si la planification se fait correctement. Autrement dit, les diverses interventions dans le domaine du logement répondent aux critères de ceux qui se soucient des dépenses publiques. Même que l'accroissement de l'offre de logement aura pour effet de modérer l'inflation des prix dans le domaine. C'est vu comme un outil efficace pour empêcher que le prix des maisons ne continue de s'emballer.

Le fait d'investir dans le logement abordable n'a aucun effet négatif sur la productivité; de fait, il améliore la compétitivité des lieux. Nous savons à quel point cela est important. Cela permet aux nouveaux arrivants de s'établir plus rapidement.

Comme vous êtes appelés à envisager la nature du rôle que doit jouer le gouvernement à l'avenir et le genre de coopération intergouvernementale qui s'impose à cet égard, je voudrais souligner que le Canada a conclu avec les provinces des ententes bilatérales fructueuses qui ont produit d'excellents collectifs d'habitation partout au pays et qui ont permis aux provinces de faire valoir leurs intérêts, peut-être en fournissant des unités d'habitation aux personnes âgées, aux immigrants en voie d'établissement, ou encore en aidant à revitaliser une collectivité. En même temps, le gouvernement fédéral a défendu ses propres intérêts. C'est un excellent secteur pour les partenariats.

L'Initiative en matière de logement abordable, coparrainée par le gouvernement fédéral et les provinces, représente un excellent partenariat qui a abouti à une grande quantité d'unités d'habitation. Si ce n'était de l'intervention du gouvernement fédéral à cet égard, les provinces n'auraient pas offert un financement égal. Les provinces partagent les frais moitié-moitié avec le gouvernement fédéral. Cette formule s'est révélée une façon importante d'injecter des sommes d'argent dans le secteur du logement.

Je vais vous laisser sur un message sans équivoque : nous croyons que le logement représente un rôle et une responsabilité qui incombe au gouvernement fédéral de concert avec les administrations provinciales et municipales. La Fédération de l'habitation coopérative du Canada continuera de véhiculer ce message en espérant être très active au moment des prochaines élections, pour s'assurer que tous les Canadiens comprennent l'importance de la participation du gouvernement à la mise en place de logements abordables.

Parmi nos membres, nous comptons 80 fournisseurs de logements situés partout au pays et quelque 50 groupes de promoteurs du logement. Ils ne sont ni fournisseurs ni constructeurs; ils sont simplement conscients du fait que leur travail est important, si bien qu'ils se sont joints à nous. Onze des provinces et territoires sont membres de notre organisation. L'Ontario n'en est pas membre, ni l'Alberta pour cette année, mais je suis sûre que cette dernière reviendra l'an prochain, et nous allons continuer à nous battre pour que l'Ontario se joigne à nous. Vingt-cinq villes sont membres de notre organisme. Chaque grande ville du Canada participe à nos travaux, tout comme le font une quarantaine d'universités et d'universitaires, et plusieurs autres groupes encore. Nous défendons une large gamme d'intérêts.

Merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé.

Le président : Merci beaucoup, et merci de nous avoir fourni votre documentation.

Nous allons maintenant écouter un fournisseur/gestionnaire de logement, Derek Ballantyne, président-directeur général de Logement communautaire de Toronto.

Derek Ballantyne, président-directeur général, Logement communautaire de Toronto : Merci de l'occasion que vous m'offrez de vous adresser la parole. Comme vous l'avez souligné, d'une certaine façon, je suis un praticien parmi les théoriciens. Pour notre part, il s'agit de mettre en œuvre le produit issu de la politique. D'une certaine façon, notre société est unique. Nous avons été mis sur pied il y a environ cinq ans. Nous possédons tous les logements de propriété publique dans la ville de Toronto, c'est-à-dire ce qui a été construit par la municipalité par le truchement de Cityhome. Cela englobe aussi les logements appartenant à la province, qui comptent parmi les plus vieux logements sociaux que l'on trouve au Canada. De fait, leur construction remonte aux années 40, à l'époque où la ville de Toronto a décidé d'elle-même d'adopter des mesures pour lutter contre la pauvreté, revitaliser certains quartiers et améliorer les conditions de logement des citoyens à faible revenu. Elle l'a fait en prélevant 1 p. 100 de l'assiette fiscale en 1947 pour mettre en branle le projet qui a abouti à ce qui est connu aujourd'hui sous le nom de Regent Park. Cinquante ans plus tard, nous sommes en train de refaire cet ensemble résidentiel, et j'expliquerai peut-être, au fil de mes observations, les raisons pour lesquelles nous en viendrons peut-être là de nouveau.

Nous avons l'avantage de disposer d'un grand nombre de programmes, de logements qui ont été construits dans le cadre de divers programmes — programmes fédéraux, fédéraux-provinciaux, provinciaux, d'autres où nous avons tout fait nous-mêmes. Par conséquent, nous avons connu toute la gamme possible des mesures de soutien à l'aménagement de logements abordables et, de ce fait, avons pris conscience de la complexité qui caractérise la tâche dont il est question, concrètement.

Nous logeons 164 000 personnes. Je préciserais que c'est là le nombre connu. Toutes les estimations le font voir, nous logeons probablement près de 200 000 personnes. C'est près de 40 p. 100 des résidents à faible revenu de Toronto. Ce sont les résidents qui touchent le plus faible revenu dans la ville de Toronto. De ce fait, nous avons affaire non seulement au simple fait de fournir des logements et aux dimensions complexes que cela peut comporter, mais aussi à la pauvreté elle-même — et il s'agit d'une pauvreté très complexe. J'aimerais en toucher un mot aussi.

Premièrement, il y a les difficultés que posent nos logements. Environ 65 p. 100 des 60 000 unités que nous avons ont été construites avant 1975. Elles ont dépassé nettement le stade où il s'agit de renouveler le parc résidentiel, de remettre les choses à neuf, de régénérer le parc pour les ménages à faible revenu. Une des grandes difficultés qui se posent, comme d'autres personnes ont pu le faire remarquer, c'est que les investissements que nous avons faits dans le domaine du logement en tant que pays — à l'échelle fédérale, provinciale et municipale — doivent être renouvelés et, pour l'instant, il n'y a aucune façon de réunir le capital nécessaire pour le faire.

Notre société a mobilisé environ 500 millions de dollars de ses propres actifs pour partir le bal. Nous avons franchi environ la moitié du chemin qu'il faut parcourir pour régénérer notre parc de logements. Pour être franc, à mon avis et de l'avis d'autres personnes, ce n'est pas tout qu'il faudrait régénérer. Il y a une bonne partie qu'il faudrait simplement remplacer, mais il n'y a pour cela aucun programme, aucun engagement.

Comme Mme Chisholm l'a souligné, le gouvernement fédéral a pris certains engagements dans le domaine du logement qui, dans la mesure où ils sont maintenus, constitueraient une source de financement pour lancer le processus de renouvellement et de régénération du parc de logements existant. Il est d'une importance absolument capitale de se pencher sur les besoins impérieux d'aujourd'hui et de demain; cependant, il est tout aussi capital de maintenir le parc que nous avons construit pour que nous puissions continuer à fournir ces logements abordables.

Notre parc de logements est véritablement en piteux état. C'est souvent la direction qui est accusée à cet égard, mais puis-je vous rassurer sur un fait : si vous vous entretenez avec les locataires qui ont à supporter ces conditions, ils ne jettent pas la pierre à la direction. Ils affirment plutôt que ce sont des structures vieilles et délabrées qu'il faut renouveler. Comme c'est le cas pour toute maison, après 35 ou 40 ans, il faut remplacer le toit, tout comme la plomberie, les planchers, la cuisine, les salles de bain et ainsi de suite, et nous n'avons simplement pas reçu les fonds nécessaires pour le faire, ni ne sommes pas parvenus à réunir les ressources nécessaires.

Par conséquent, c'est un peu loin de la ville de Toronto, mais c'est un signe avant-coureur de ce qui s'amène dans le secteur sur le plan national. Nos logements sont essentiellement les plus vieux, mais la situation est très semblable du point de vue de la forme et du financement sous-jacent à une bonne part des logements construits partout au Canada — et nous allons tous devoir affronter le problème à l'avenir.

J'aimerais aborder avec vous aussi les questions relatives à la pauvreté et le lien qu'elles ont avec le logement. Comme je l'ai mentionné, nous logeons près de 200 000 résidents à faible revenu dans la ville de Toronto. Nous le faisons essentiellement dans des quartiers où à peu près tous les résidents sont pauvres. Je parle de « quartiers », car bon nombre de nos projets sont très grands et conçus de façon unique pour les ménages à faible revenu. Si vous excluez nos résidents âgés — il y en a environ 25 000 —, plus de 50 p. 100 des résidents restants ont moins de 21 ans. Dans environ 85 p. 100 des cas, ce sont des personnes « de couleur », et dans 25 p. 100 des cas environ, des Néo-Canadiens. Le visage de la pauvreté et le visage du logement social dans les grands centres urbains se sont transformés rapidement et continuent de se transformer. Nous devons reconnaître que le simple fait de fournir des logements sociaux ne représente qu'un élément de la solution aux problèmes que posent la pauvreté et la pauvreté complexe dans les grands centres urbains.

Bien entendu, ce n'est pas la même situation dans chacun des centres urbains du Canada, mais ça se ressemble de plus en plus : une racialisation, de nouveaux immigrants et des jeunes qui sont essentiellement marginalisés et totalement exclus d'une société que nous croyons, à juste titre, équitable et inclusive. Je passe beaucoup de temps avec les jeunes de ces collectivités et j'en conclus qu'ils sont devenus extraordinairement aliénés. Ils vivent dans des endroits où il y a très peu d'espoir — du fait qu'ils sont aliénés des structures civiques qui pourraient faire appel à eux, du fait qu'ils n'ont pas l'impression d'avoir une grande prise sur leur environnement et du fait qu'ils ont l'impression que leur sort ne cause pas de grands soucis. Notre société essaie de faire appel à ces jeunes — et nous le faisons de plusieurs façons, au moyen de programmes de formation en leadership, de programmes de mobilisation civique et, de plus en plus, de programmes d'emploi — et vous allez peut-être vous demander pourquoi un organisme du domaine du logement s'adonne à de telles activités. C'est tout à fait un instinct de survie de notre part qui nous pousse à faire cela. Si nous n'arrivons pas à diriger ces jeunes vers une vie constructive, nous allons souffrir en tant que ville et nous allons souffrir en tant que société du logement. Par conséquent, en tant que société, nous commençons à faire appel à ces jeunes et nous constatons qu'ils ont une grande soif de participer, mais qu'il y a une absence totale de coordination de programmes et de coordination des intentions sur le terrain entre les divers ordres de gouvernement et les divers secteurs d'intervention.

Par exemple, la question de l'emploi est extrêmement complexe chez les jeunes. Nous avons des jeunes de 22 à 26 ans qui n'ont jamais travaillé de leur vie. Nous ne pouvons nous attendre à ce qu'ils intègrent immédiatement la population active — ils ont besoin de formation et de soutien. Cependant, nous éprouvons beaucoup de difficultés à trouver de la formation et du soutien dans notre milieu, car ce n'est pas une chose qui est financée dans le secteur du logement ni pour les programmes d'emploi traditionnels auxquels nous avons accès, qu'ils soient parrainés au départ par le gouvernement fédéral ou, comme cela se fait de plus en plus, par les autorités provinciales et municipales. C'est un défi énorme qui se profile à l'horizon pour nous.

Je veux vous laisser sur une note qui comporte tout de même un peu d'espoir : nous progressons et croyons poser parfois les bons gestes aux bons endroits. Nous avons tiré de nombreuses leçons de l'histoire de la ville de Toronto avec la construction de secteurs à revenus mixtes, à mode d'occupation mixte, et nous avons commencé progressivement à rebâtir les logements à des endroits comme Regent Park, ensemble résidentiel de 2 100 ménages à faible revenu qui sera refait et deviendra un ensemble de 5 200 unités d'habitation totalement écologiques, très avancées sur le plan environnemental et, ce qui est encore plus important, occupées par des gens aux revenus divers, occupées par des propriétaires et des locataires.

Ce faisant, nous avons créé des possibilités d'emplois pour près de 500 personnes, non seulement du point de vue de la construction, mais aussi pour les entreprises qui s'y installent, dont les propriétaires doivent tous signer un document signalant leur intention d'engager du personnel localement, et sans oublier tous les experts-conseils et entrepreneurs qui travaillent avec nous à construire un avenir de ce genre.

S'il y a quelque espoir pour nous tous, et particulièrement nous qui nous nous trouvons dans la ville de Toronto, c'est de trouver des partenaires meilleurs, des partenaires dotés de moyens financiers plus grands, pour que nous puissions poursuivre ce processus de transformation et nous attaquer non seulement aux problèmes de logement, mais aussi aux questions connexes liées à la pauvreté.

Le président : Ce sont des défis énormes. Deux cent mille personnes : c'est supérieur à la population de la plupart des villes du pays — 200 000 locataires rattachés à cette société de logements particulière.

Je vais poser la première question à M. Ballantyne. Essentiellement, votre exposé portait sur les défis auxquels vous faites face en gérant ce portefeuille. J'ai remarqué que vous avez dit la même chose que d'autres lorsque vous avez dit vous soucier d'un processus de renouvellement touchant le parc de logements vieilli; de même, la nécessité d'investir des sommes d'argent dans l'infrastructure, dirais-je, est une question que nous ont soulignée les représentants de la FCM ici aussi cette semaine.

Je voulais aussi vous poser des questions au sujet des gens qui frappent à la porte — votre liste d'attente. Pouvez- vous me dire combien de noms il y a actuellement sur cette liste et combien de temps il faudra à ces gens pour obtenir ce genre de logement? On nous a certainement donné des statistiques à propos de gens dont le loyer dépasse 30 p. 100 des revenus, peut-être plus de 50 p. 100 parfois, et nombre de ces gens frappent à votre porte. Pouvez-vous me dire ce qu'il en est en ce moment?

Deuxièmement, dans un article paru dans le Toronto Star il y a une semaine, on disait que Toronto est devenue une terre de condos. Il se construit un millier de condos à tout moment, ce qui a pour effet de réduire le taux de vacance à Toronto parce que bon nombre des unités dont il est question se retrouvent sur le marché de la location. Bien entendu, il faut voir en quoi cela aide vraiment les gens qui sont à la recherche d'un logement abordable. J'aimerais que vous commentiez cette question.

Ma troisième question porte sur Regent Park. J'ai grandi à quelques pâtés de maisons de Regent Park, à l'époque où on construisait l'ensemble résidentiel. Regent Park subit actuellement un processus de renouvellement; on y remplace progressivement ce qui s'y trouvait. Du projet classique de logement social il ressortira un projet de logement mixte. Vous avez d'autres projets de logement social. Quelles sont les possibilités que des logements mixtes y soient implantés aussi — car notre expérience, au fil des ans, nous dit que le fait de concentrer les démunis dans des logements sociaux au sens classique du terme n'est pas particulièrement une bonne idée?

M. Ballantyne : Certes, je centre mes observations sur la question de l'infrastructure; j'ai l'impression que mes collègues ont traité de l'aspect demande.

Pour illustrer l'aspect demande dans le cas de la ville de Toronto plus particulièrement, disons qu'il y a environ 70 000 ménages sur la liste d'attente de logements sociaux. Pour mettre cela en perspective, disons qu'il y a environ 95 000 unités d'habitation sociales dans la ville de Toronto. Pour chaque unité, il y a quelqu'un qui attend.

Les 70 000 ménages en question représentent de 120 000 à 130 000 personnes. C'est un grand nombre. Mieux comprendre qui sont ces gens est une question qui nous taraude depuis un certain temps déjà. Récemment, nous avons réalisé une enquête auprès des gens dont le nom figure sur la liste d'attente. Poser des questions à 70 000 personnes serait une tâche d'envergure, mais nous avons plutôt réalisé une enquête bien structurée à l'intention des ménages qui figurent sur la liste d'attente.

Essentiellement, contrairement à des mythes qui peuvent circuler, ce sont des gens à très faible revenu. Les ménages dont les revenus sont les plus bas sont ceux qui attendent depuis le plus longtemps. Cela semble évident. Si vous avez un revenu très bas, vous avez très peu de choix sur le marché.

Ce qui nous intéressait, c'était de savoir où les gens vivent en ce moment. Essentiellement, les ménages en question sont installés dans de très petites unités d'habitation, ils se trouvent en double et en triple dans de petits appartements dans les sous-sols — ce que nous considérons comme des conditions inférieures aux normes. Nous n'assimilons plus cette notion à une norme d'occupation — les normes municipales sont rigoureuses. C'est vraiment la concentration d'être humains qui se trouvent dans une unité d'habitation particulière qui pose problème. Il y a des ménages où on nous a dit que les quatre personnes partagent un appartement à deux pièces dans un gratte-ciel en banlieue de Toronto et dorment à tour de rôle.

Cela ne donne pas de bons résultats chez les enfants. Ils n'arrivent pas à apprendre, à étudier; ils ne réussissent pas bien à l'école et ne sont pas préparés à fréquenter l'école, sans oublier l'impact sur les parents. Sinon ils sont pris dans d'autres circonstances.

Essentiellement, les jeunes couchent ici et là. Ils n'ont pas d'adresse fixe. Ce sont ces gens-là qui attendent d'obtenir un logement à Toronto.

Quant à savoir combien de temps ils attendent, la réponse est complexe. Si vous êtes une personne âgée et que vous êtes prête à vous installer n'importe où dans la ville de Toronto et que vous accepterez un studio — qui se trouve en bonnes quantités simplement parce qu'on en a construit à l'époque où le studio était considéré comme le meilleur type de logement pour une personne âgée —, nous pouvons vous trouver un logement dans les six mois. Si vous avez une famille avec trois enfants ou plus, vous pourriez bien attendre 12 ans ou plus.

Il n'est pas simple de dire : « J'ai besoin d'un logement, j'en prendrai un n'importe où », car le travailleur à faible revenu n'a pas les moyens de s'installer à Scarborough tout en travaillant à Rexdale — ce sont deux extrémités d'une ville, séparées par 25 kilomètres; la personne doit vivre quelque part près de son lieu de travail. Les logements abordables ne sont pas également répartis dans le paysage. Le lieu de construction choisi, la disponibilité et l'emplacement trahissent une tendance historique.

Il y a une pénurie particulièrement criante de logements pour les familles dans les secteurs centraux de la ville — ce qui m'amène à votre deuxième question. Le délai d'attente est conditionné par ce qui est accessible et ce à quoi on a accès.

Si vous écartez le cas des personnes âgées — vous avez les mêmes statistiques pour la liste d'attente — vous voyez que 70 p. 100 des ménages tirent de leur travail une partie, sinon l'intégralité de leur revenu. Or, le revenu moyen des ménages actuellement logés s'élève à 18 000 $ par année. Ces gens-là travaillent, mais à un salaire très bas. Ce ne sont pas des gens qui se trouvent devant de nombreux choix sur le marché.

Toronto a été qualifiée de terre de condos. Environ 40 000 unités ont été ajoutées à l'intérieur du vieux périmètre de la ville de Toronto depuis huit ans. En moyenne, elles font 1,6 chambre à coucher. Ce sont rarement des logements pour une famille et, dans pratiquement tous les cas, le prix est hors d'atteinte pour quiconque touche un revenu de moins de 30 000 $ par année.

Il y a eu un accroissement du parc de logements locatifs — augmentation allant jusqu'à 50 p. 100, selon certains, mais ça revient à 20 p. 100 — dans le cas des nouveaux condos... de logements locatifs... les investisseurs-acheteurs qui les remettent sur le marché de la location... cela ne donne pas des logements locatifs abordables. Ce n'est pas abordable.

Cela nous amène à un autre problème qui prend de l'ampleur de notre point de vue à Toronto, ainsi que dans d'autres centres urbains. Les condominiums représentent un bienfait inestimable et ont pour effet de revitaliser les centres-villes d'un quartier, mais ils éliminent des quartiers en question la dimension familiale qui y avait jadis cours. Les quartiers en question ne sont plus abordables du point de vue des familles.

On pourrait se demander : « Qu'est-ce que cela peut nous faire? » Les spécialistes de la santé de la population canadienne vous diront qu'il y a deux déterminants de la santé et de la santé à long terme. D'abord, il y a le logement, ensuite, la planification. Ils sont liés. La santé d'une personne qui ne vit pas dans un quartier où tout est à distance de marche, qui n'est pas près des services, qui est pauvre et qui est ne peut plus faire cela dans la ville de Toronto, est environ moitié moins bonne de celle d'un membre de tout autre ménage et particulièrement des ménages à revenu élevé. Nous déplaçons la pauvreté et créons du même coup un énorme problème de santé.

Pour répondre à votre dernière question au sujet de Regent Park, comme quelqu'un me l'a décrit récemment, c'est par intimidation que nous avons obtenu le projet de Regent Park. Nous n'avons toujours pas de partenaires financiers solides à cet égard. Notre société fait un investissement risqué qui, à notre avis, va porter fruit. Nous n'avons pas tout l'argent qu'il faut pour terminer ce projet de 12 ans. Ce serait merveilleux d'obtenir une contribution provinciale et fédérale.

C'est tout de même un merveilleux modèle d'avenir pour d'autres quartiers, par exemple à Toronto et à Montréal, puis, dans une certaine mesure, à Vancouver et dans d'autres petites villes du pays, où il y a toujours une grande concentration de logements sociaux et où l'avènement de secteurs à revenu mixte aux endroits en question serait un bienfait.

Pourquoi choisissons-nous des secteurs à revenu mixte? Quelle que soit la statistique que vous décidez de retenir — ce n'est pas moi qui ai pensé à ça —, les résultats sont nettement meilleurs dans les secteurs à revenu mixte pour tous les jeunes, qu'ils proviennent d'un ménage à revenu élevé ou à faible revenu — les résultats scolaires sont meilleurs, le degré de préparation à l'école et les perspectives d'emploi aussi.

Soixante-dix pour cent des gens qui obtiennent un travail l'obtiennent parce qu'ils ont des contacts et des réseaux sociaux qui leur permettent d'accéder au travail là où il y en a. La personne qui vit dans un quartier 100 p. 100 pauvre n'a pas ce genre de contacts.

Le sénateur Keon : C'est assurément un problème horrible; cela ne fait aucun doute. Le président vous a peut-être dit que nous réalisons deux grandes études : lui s'occupe des villes, moi, je m'occupe de la santé des populations.

Mes lectures à ce sujet me laissent pantois. L'aspect demande ne me pose aucun problème. Vous prêchez au converti. Je n'ai pas vraiment besoin qu'on me trouve d'autres arguments pour me convaincre. Je suis déjà convaincu.

J'ai beaucoup entendu parler des coopératives. Quand on lit au sujet des types de logements sociaux subventionnés qu'il y a au Canada, on constate qu'il y a toute une mosaïque. C'est si variable que je n'arrive pas à savoir comment vous pourriez, par exemple, vous retrouver devant le gouvernement fédéral et dire : « Voici mon programme. Je veux aménager des logements et j'appuie le principe des revenus mixtes. »

Il me semble que vous avez à tenir compte d'un si grand nombre de facteurs complexes. J'aimerais bien pouvoir arriver à comprendre la situation dans son ensemble au cours des mois à venir. Je n'ai aucune idée en ce moment. C'est si complexe que je ne sais pas comment vous pouvez aborder ce programme énorme, du moins quand il s'agit de chercher un financement national, autrement qu'en disant : « Donnez-nous plus d'argent », ce qui ne fonctionne nulle part.

Je ne sais pas lequel d'entre vous voudrait aborder cette question. Peut-être que Mme Chisholm pourrait commencer, puis M. Ballantyne pourrait prendre le relais.

D'une façon ou d'une autre, il faut apporter des précisions et en arriver à une certaine compréhension des choses, et il doit y avoir des dépenses majeures. Cela ne fait aucun doute, qu'il s'agisse de réserves autochtones ou du centre-ville de Toronto ou de Vancouver ou de je ne sais où. La situation ne peut durer; cela ne fait aucun doute.

Je ne sais pas qui serait capable de concevoir un programme de cette nature. J'ai une formation en sciences de la santé; pendant ma carrière, j'ai dû rédiger d'importantes propositions tous les cinq ans, et puis un peu plus tard tous les trois ans — et, parfois, tous les ans dans le cas des petites subventions. Si je n'arrivais pas à présenter une proposition bien organisée et parfaitement structurée, je savais que je donnais un grand coup d'épée dans l'eau.

Il me semble que, dans ce domaine, l'une des raisons qui font que nous sommes confrontés à des problèmes si graves au chapitre de la santé de la population et dans les villes, c'est que les gens qui demandent des fonds ne formulent pas de propositions réelles et concrètes. Je vais m'arrêter là et vous laisser essayer d'éclairer la lanterne du comité.

Mme Chisholm : Vous avez décrit certains des éléments qui font que les questions relatives au logement que nous devons régler sont complexes. Nous sommes en train de vivre une transition entre l'époque où le gouvernement fédéral créait des programmes, parfois en partenariat avec les provinces, parfois non, mais une époque de programmes universels, supposés fonctionner dans toutes les régions du pays. C'est une époque révolue. En réalité, cette transition a été en partie très bénéfique, puisqu'elle a engendré une démarche axée davantage sur l'esprit d'entreprise et sur l'innovation, ainsi que sur les besoins particuliers des différentes régions du pays.

À l'heure actuelle, investir de façon intelligente dans le logement, c'est réfléchir aux résultats escomptés, sous plusieurs aspects. Je veux vous rappeler ce que M. Ballantyne a dit sur l'importance de la situation géographique et de l'accès à l'emploi, ainsi que sur l'importance, pour les enfants, de pouvoir fréquenter régulièrement l'école et côtoyer d'autres enfants. Quand on commence à définir les résultats escomptés et que les partenaires investissent aussi, que ce soit les provinces ou d'autres partenaires, et qu'ils commencent aussi à définir les résultats auxquels ils s'attendent, les solutions et les programmes sont beaucoup plus faciles à cerner.

À l'heure actuelle, vu surtout que nous en sommes à la dernière phase de financement des fonds en fiducie, chacune des provinces présente sa propre liste de programmes et essaie toutes sortes de choses. Dans certains cas, elles touchent la cible et dépensent probablement très bien leur argent, c'est-à-dire notre argent; dans d'autres cas, pas du tout. Les programmes en question ne font pas toujours l'objet d'une évaluation. Cela n'est pas obligatoire. Les gouvernements provinciaux doivent rendre des comptes non pas au gouvernement fédéral, mais bien à leurs électeurs. Je pense que nous sommes en train de rater une occasion de voir ce qui fonctionne bien dans certaines collectivités.

La nature des interventions en matière de logement a changé. Dans les années 70, et 80, nos vraies préoccupations, c'était la création d'emplois et la construction de logements; aujourd'hui, ce qui nous préoccupe, c'est plutôt la sûreté des collectivités, l'employabilité, le dynamisme, la concurrence, le coup de pouce qu'il faut donner aux enfants pour qu'ils commencent bien leur vie, ce genre de choses. Une fois que l'on a décidé ce qui est le plus important, les initiatives viennent toutes seules.

Le sénateur Keon : Quelqu'un s'est-il essayé à écrire là-dessus?

Mme Chisholm : Oui, il y a un certain nombre de documents sur les projets qui obtiennent des résultats, de bons résultats. Il y a un peu de documentation là-dessus, mais pas beaucoup au Canada. Je peux essayer de voir ce que je peux trouver pour vous.

M. Ballantyne : Ce que dit Mme Chisholm n'est pas faux. C'est déroutant, parce que nous devons composer aujourd'hui avec un ensemble de politiques qui ne vont nulle part ou avec un ensemble de programmes qui souffrent toujours de l'absence d'une orientation stratégique qui les aurait unifiés d'une façon ou d'une autre. Nous devons composer avec cet ensemble déroutant d'interventions multiples, qui sont effectuées à différents moments et qui semblent donner différents résultats.

À mon sens, la réponse est assez simple. Si on réfléchit à cela dans le contexte des déterminants sociaux de la santé, si on réfléchit à la question du logement dans ce contexte, alors il faut que les interventions en matière de logement soient différentes d'une collectivité à l'autre. Il le faut parce que le problème de l'offre de logements est différent d'une collectivité à l'autre. Il y a une crise du logement dans certaines collectivités nordiques. Ce n'est pas tant un problème d'offre qu'un problème de capacité de payer ou de qualité des logements. Dans des villes comme Calgary, l'offre est abondante, mais il n'y a pas de logements pour les travailleurs à faible revenu, pour les sans-abri ou pour la classe ouvrière. À Toronto, c'est différent.

Si nous avons appris quoi que ce soit, c'est que, si nous réfléchissons au passé et nous posons la question de savoir si nous avons réglé certains problèmes liés à l'itinérance, nous constatons que nous avons connu le succès le plus grand lorsque les collectivités ont été en mesure d'utiliser le financement offert et d'élaborer un plan balisé par certains résultats et objectifs. Une fois que tout le monde était convaincu que les plans allaient fonctionner, le financement était accordé en fonction de ces plans, de l'agencement des ressources qu'ils prévoyaient.

En ce sens, nous cessons de prescrire des solutions — parce que c'est toujours ce qui a fini par nous causer des problèmes — pour prescrire plutôt les résultats escomptés, en fonction des collectivités.

S'il y a un pays qui a connu du succès, c'est bien le Royaume-Uni, où le gouvernement central a fixé des objectifs pour les collectivités. Le gouvernement a dit aux collectivités : voici les objectifs que vous devez atteindre, et voici du financement et des programmes d'aide pour y arriver, mais c'est vous qui allez devoir décider comment les choses vont se passer. Les collectivités qui présentaient les plus faibles résultats sur le plan socio-économique ont dû relever la barre, et elles y sont parvenues. Cela a donné lieu à une réflexion commune intéressante sur la façon de procéder à des interventions globales dans ces endroits.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Anderson, vous avez parlé de l'Initiative de développement coopératif, que vous aimeriez voir se poursuivre. Vous avez dit qu'un certain nombre de nouvelles coopératives urbaines avaient vu le jour dans le cadre de cette initiative. A-t-elle profité aux régions rurales, ou ne visait-elle que les régions urbaines?

M. Anderson : L'Initiative de développement coopératif, qui est un programme de cinq ans exécuté en partenariat par les intervenants du secteur des coopératives, c'est-à-dire l'ACC et l'organisme francophone, le CCC, vise à la fois les régions urbaines et les régions rurales. C'est un programme en ce sens que l'initiative offre de l'aide aux groupes qui souhaitent établir de nouvelles coopératives.

Dans le document que j'ai fait distribuer — si vous ne l'avez pas encore, vous allez le recevoir —, vous pouvez lire une partie de notre proposition en ce qui concerne l'Initiative de développement coopératif. Sur la première page, par exemple, il y a une photo d'une femme qui se trouve dans les locaux d'une nouvelle coopérative d'une collectivité métisse du Manitoba ayant reçu du financement dans le cadre de l'IDC pour sa création. Il s'agit du premier point de vente au détail de cette collectivité. Grâce à la coopérative, les gens n'ont plus à parcourir de longues distances pour se procurer de la nourriture; ils peuvent donc mieux manger, et la présence de la coopérative les aide à sortir de la pauvreté. C'est l'une des parties. Il s'agit d'un programme conçu pour les deux types de collectivités dont nous souhaitons le renouvellement et l'expansion. Je ne vais pas en parler aujourd'hui, mais nous avons un document qui présente ce que nous aimerions voir réaliser à cet égard.

Nous pensons que le modèle des coopératives peut être important, parce que le rôle du gouvernement devrait aussi être de donner un coup de main aux gens, d'effectuer de très petites interventions pour mettre sur pied des coopératives qui sont en mesure de créer de nouveaux logements permanents, de nouveaux services permanents et de nouveaux emplois permanents, tout cela étant géré par les collectivités. Une partie importante de la solution, c'est de permettre aux gens qui vivent dans la pauvreté de prendre leur destin en main. Selon nous, les coopératives sont un moyen de le faire. Ce n'est pas le seul moyen, mais c'en est assurément un, et c'est pourquoi l'adoption de ce modèle doit être particulièrement encouragée.

Je veux simplement compléter la dernière idée et ajouter à ce que M. Ballantyne disait du modèle britannique : ce qui est important au sujet de ce modèle, c'est que les Britanniques avaient une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté ainsi qu'une autre stratégie à l'échelle communautaire. Ils ont commencé par envisager la façon d'élaborer une stratégie nationale. L'un des problèmes, au Canada, c'est que nous faisons beaucoup de choses, et les différents ordres de gouvernement font beaucoup de choses, mais sans coordination. Il faut que nous construisions de nouveaux logements, mais il faut aussi que nous nous penchions sur les questions de l'emploi, de la santé, et cetera. Je trouve intéressant que M. Ballantyne examine la question de l'emploi en même temps que celle du logement, parce que ces deux questions sont interreliées. Comment faire tout cela? Il est important d'élaborer ce genre de stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.

Le sénateur Callbeck : La Fédération de l'habitation coopérative du Canada nous a présenté un mémoire qui parle du fait d'offrir des logements locatifs abordables aux gens dont le revenu est moyen et de l'aide fondée sur le revenu aux ménages à faible revenu. D'où vient cette aide accordée en fonction du revenu?

M. Gazzard : Habituellement, elle est offerte sous forme de financement offert aux coopératives soit par le gouvernement fédéral dans le cadre de ses programmes, soit par le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et des territoires, dans le cadre d'ententes de partage des coûts. Il arrive parfois que l'aide vienne des seules provinces.

Le sénateur Callbeck : Je pensais avoir lu que le financement provenant du gouvernement fédéral avait pris fin en 1993.

M. Gazzard : Non, ce sont les programmes de développement auxquels le gouvernement a mis fin, mais les engagements pris dans le cadre de ces programmes sont respectés. En règle générale, il s'agit d'un engagement de 30 à 35 ans envers un projet. À la fin, l'hypothèque est remboursée, et le gouvernement fédéral met fin aux subventions. Le problème, cependant, c'est que, si la subvention du gouvernement fédéral prend fin, la nécessité de loger les familles à faible revenu, elle, existe toujours. Les coopératives n'ont alors peut-être plus l'hypothèque à payer, mais elles sont confrontées au problème du vieillissement des bâtiments, comme M. Ballantyne l'a expliqué tout à l'heure. Elles doivent rénover les bâtiments, mais elles doivent aussi continuer de s'occuper des besoins des familles et des ménages à faible revenu qu'elles hébergent.

C'est une des raisons qui nous poussent à dire, comme l'ACHRU et d'autres organisations représentées ici aujourd'hui, qu'il faut au moins commencer à s'attaquer à ce problème. Nous aimerions voir le gouvernement fédéral renouveler son engagement à financer le logement abordable lorsqu'il sera dégagé de ses responsabilités découlant des ententes en vigueur.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce que vous dites est très intéressant. J'ai vécu à Toronto pendant 19 ans, et mes deux enfants y vivent actuellement, ce qui fait que je m'intéresse beaucoup à cette ville, ainsi qu'à d'autres villes.

Je pense que nous parlons des villes, même si, pour ma part, je vis dans une petite collectivité et j'appartiens plutôt au milieu rural. Je voulais poser une question au sujet de Regent Park. Il est évident qu'il y a des rénovations en cours là-bas. Avez-vous dit que 2 000 personnes y vivent, et qu'il y en aura bientôt 5 000? C'est bien ça?

M. Ballantyne : Il y a actuellement 2 100 unités d'habitations à Regent Park. Ce qui est particulier, là-bas, c'est qu'environ 1 300 de ces unités sont des maisons à trois, quatre ou cinq chambres à coucher. Il y a beaucoup d'enfants, et le nombre de familles comptant des enfants en bas âge est élevé.

Le sénateur Trenholme Counsell : Le quartier se trouve-t-il au centre-ville?

M. Ballantyne : Oui. Nous allons rénover ou rebâtir toutes ces maisons et construire aussi de nouvelles maisons de propriété privée.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je connais le quartier. Je voulais m'assurer que j'avais le bon nom en tête, parce que je voulais poser une question et comparer ce quartier à un quartier qui, à mon avis, pose véritablement problème, le quartier Jane- Finch.

Dans le cadre de ce processus, tenez-vous compte de l'ensemble de la collectivité et de ses besoins, des bibliothèques jusqu'aux soins de santé, en passant par les garderies, les programmes pour les personnes âgées et l'accessibilité pour les personnes handicapées? Le cas échéant, utilisez-vous un modèle précis?

On a parlé de la Grande-Bretagne. J'y suis allée, l'an dernier, et nous avons visité une ville dont j'essaie de me rappeler le nom. C'était l'une des villes choisies pour les rénovations et la reconstruction dans le cadre du modèle. J'ai vu l'un des projets, et je l'ai trouvé très bien. Il y a différents types de logements à Regent Park, non?

M. Ballantyne : En ce moment, il n'y a à Regent Park que des logements subventionnés et réservés aux familles à faible revenu.

Le sénateur Trenholme Counsell : C'est l'aspect que j'aurais critiqué, par rapport à ce que j'ai vu en Grande- Bretagne. Cependant, d'après ce que j'ai compris, vous allez cesser de faire ce genre de chose. Je crois que, à l'avenir, les projets seront faits de différents types de logements.

Je voulais poser une question au sujet du modèle. Je pense qu'un projet comme celui de Regent Park devrait être doté d'un centre de soins de santé et des systèmes les plus récents en matière de programmes de garderie et de développement du jeune enfant, ainsi que de programmes pour les personnes âgées. Si c'est le cas, quel modèle avez- vous adopté?

Peut-être pourriez-vous nous dire quelles différences vous voyez à l'heure actuelle entre Regent Park et le quartier Jane-Finch, pour lequel, je pense, on n'a pas adopté ce genre de modèle?

M. Ballantyne : Pour que les choses soient claires, je vais commencer par Regent Park. Nous avons passé pas mal de temps à examiner ce qui s'était fait ailleurs, surtout dans les pays industrialisés du monde occidental, parce que l'histoire du logement social dans ces pays est en quelque sorte semblable à la nôtre. Nous sommes allés aux États- Unis, au Royaume-Uni et en France et avons fait un bref séjour dans les pays scandinaves. Nous avons fini par conclure que ce qui ressemblait le plus à ce que nous souhaitions obtenir comme résultat, c'était un quartier situé à quelques rues de Regent Park seulement, le quartier du St. Lawrence Market.

Il s'agit d'un quartier qui a été en grande partie aménagé dans les années 70 par la Ville de Toronto, dans une zone qui était auparavant industrielle. La Ville a aménagé le quartier pour y attirer des familles aux revenus différents. On s'est efforcé de réfléchir aux besoins en matière d'infrastructure et aux besoins des gens dès le départ. On a réfléchi dès le départ aux loisirs, à la santé, à l'enseignement et au bien-être. On a prévu tout cela pour accueillir des familles à différents niveaux de revenu.

Dans ce cas précis, la Ville de Toronto a fait preuve de leadership en soutenant le logement social, en intervenant et en favorisant le genre de réaménagement qui a eu lieu dans ce quartier.

Trente ans plus tard, les résultats, au sujet desquels on a interrogé les résidents, étaient positifs, et ils continuent de l'être. Lorsque nous nous sommes penchés sur les données démographiques que nous étions en mesure d'obtenir sur ce quartier, nous avons constaté que les indicateurs de la santé étaient encore positifs.

À Regent Park, nous essayons de refaire ce qui a été fait dans le quartier du St. Lawrence Market, avec quelques ajouts. Il y a, entre autres, le programme environnemental, duquel nous devons tous nous occuper. Nous réduisons au minimum l'empreinte de Regent Park au chapitre des émissions de dioxyde de carbone. L'empreinte va correspondre à environ 30 p. 100 de l'énergie qu'il faut à l'heure actuelle pour faire fonctionner les édifices. Tout bâtiment, commercial ou non, devra être relié à un système central de production d'énergie, qui fonctionnera en partie grâce à des sources géothermiques.

Vous avez ensuite posé une question au sujet de l'infrastructure sociale. Les deux choses que nous avons faites se sont révélées être les plus compliquées de tout ce programme. Démolir et reconstruire les logements a probablement été la partie la plus facile du travail.

Les municipalités se sont vu confier la responsabilité d'une bonne partie de l'infrastructure communautaire, de l'infrastructure sanitaire et ainsi de suite, mais elles n'ont pas les fonds nécessaires ou ne sont pas en mesure de le faire, particulièrement à Toronto. Elles ne disposent pas de l'espace nécessaire, en dehors de l'assiette fiscale et de l'assiette de l'impôt foncier, pour régler ce genre de problèmes.

Nous avons dû faire preuve de créativité pour générer le capital nécessaire pour transformer en espaces de garderie adéquats des locaux situés au sous-sol et qui n'étaient pas finis. Nous avons essayé de voir auprès des commissions scolaires si elles étaient prêtes à rebâtir l'infrastructure des écoles de façon à pouvoir saisir l'occasion d'améliorer réellement la condition des lieux. On a investi dans un centre de soins de santé, et nous essayons d'obtenir du ministère de la Santé de l'Ontario qu'il réinvestisse pour l'amélioration de ce centre, afin de combler les lacunes au chapitre des besoins communautaires.

Enfin, toute collectivité a besoin pour réussir d'organismes dynamiques et qui fonctionnent bien. À Regent Park, comme dans d'autres quartiers de Toronto, les locaux coûtent très cher. Pour nous, le défi consiste à trouver le moyen de payer les coûts qui y sont liés.

À ce sujet, nous avons connu quelques collaborations intéressantes. En fait, nous sommes en train de travailler à obtenir l'autorisation d'augmentation de la densité de la part de la Ville de Toronto, pour pouvoir réinvestir l'argent dans la création d'un espace pour un groupe qui s'appelle Parents for Better Beginnings and Focus.

Vous ne connaissez peut-être pas Focus, mais il s'agit d'un programme de déjudiciarisation tout à fait novateur, financé en partie dans le cadre du financement réservé à la santé, et qui vise les jeunes susceptibles de poser des gestes qui peuvent leur attirer des problèmes à qui il offre une formation dans le domaine des médias. C'est quelque chose qui n'avait jamais été fait auparavant. Les jeunes qui terminent le programme savent publier dans le Web, réaliser des films, écrire des articles et diriger une émission de radio. Le programme n'a pas de locaux, et nous voulons lui en donner dans le cadre de ces projets de quartiers intégrés.

L'un des plus gros défis consiste à agencer tous les éléments qui permettent d'assurer la santé d'un quartier. Comme nous sommes une société de logements, nous nous trouvons dans une position unique et privilégiée pour encourager cela, mais, sincèrement, je ne crois pas que c'est à nous qu'il revient de le faire.

Dans le cas du quartier Jane-Finch, la situation est beaucoup plus complexe, parce que la propriété des terrains n'est pas uniforme. C'est un quartier très diversifié à plusieurs égards. Nous y possédons pas mal de biens immobiliers, mais pas suffisamment pour décider de l'orientation du quartier. Par conséquent, il nous serait très difficile d'obtenir le genre d'avantages que nous avons dans les endroits comme Regent Park.

Il faut que je vous explique que, à Regent Park, nous dominons la situation, dans la mesure où nous avons invité certaines entreprises franchisées à s'installer, et nous négocions la vente des franchises à des groupes communautaires pour leur permettre de s'occuper de la formation et de générer des revenus grâce à ces entreprises.

Ce genre de choses exige une collaboration étendue, et aucune organisation, gouvernementale ou non, n'est particulièrement bien préparée à ce genre de collaboration.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je vais poser deux questions sur des sujets qui m'intéressent. Première question : y aura-t-il une bibliothèque dans votre complexe? Je ne parle pas d'une bibliothèque à l'ancienne; je veux dire une bibliothèque contenant beaucoup d'information, d'outils technologiques et de ressources. Deuxième question : vous êtes-vous associés au University Health Network — je pense que c'est le nom de l'organisation — pour élaborer un modèle de centre de santé communautaire?

M. Ballantyne : Pour ce qui est de la santé, les discussions n'en sont qu'à l'étape initiale. Il a fallu un certain temps pour que des groupes comme celui-là s'intéressent à ce que nous faisons. Nous nous sommes associés à l'Université de Toronto. Pour en revenir au modèle de bibliothèque, il y a là-bas une bibliothèque publique, l'une des bibliothèques du centre-ville où il y a le plus d'activité. Les responsables de cette bibliothèque songent à réinvestir dans leur infrastructure. Nous avons appuyé deux ou trois autres initiatives. L'une d'entre elles concerne un centre d'apprentissage mis sur pied conjointement avec l'Université de Toronto pour offrir une expérience d'apprentissage d'un type nouveau. Regent Park est un très gros quartier d'immigrants. Beaucoup de gens là-bas n'ont pas été à l'école passé le secondaire ou n'ont pas cheminé au sein de régimes d'enseignement semblables aux nôtres. L'Université de Toronto a innové en demandant à des professeurs volontaires de ses différentes facultés de donner des cours en fonction d'un nouveau modèle d'enseignement dans le cadre de son programme d'enseignement aux adultes.

Nous offrons des cours de philosophie, d'économie, de religion et ainsi de suite, mais sous l'angle du vêtement. L'un des cours avait pour thème le vêtement, ce qui est une façon d'attirer les gens et de les amener à connaître un milieu d'apprentissage d'une manière tout à fait différente de ce qui se faisait jusqu'à maintenant. Nous travaillons avec des groupes communautaires locaux à faire de Regent Park un quartier branché, où les gens auront accès gratuitement à Internet, de façon que tout le monde puisse profiter des ressources qu'Internet offre et que les gens puissent commencer à s'organiser ensemble dans le monde électronique, afin de combler le fossé numérique qui a toujours séparé ces quartiers des autres.

Le sénateur Munson : Il va nous falloir deux ans pour rédiger notre rapport, et ma question est peut-être une question simple à laquelle il sera possible de répondre plus tard, mais j'ai besoin de comprendre ce que les gens dont nous parlons vivent. Vous avez dit que certains d'entre eux devront peut-être attendre 12 ans ou plus; où vont-ils attendre? J'aime bien regarder les choses du point de vue du client, de façon à pouvoir comprendre cette étude à partir du bas et en remontant. Qu'est-ce que je vivrais si j'étais un immigrant ayant une famille et occupant un emploi au salaire minimum? Pour me joindre à une coopérative, il faut que j'attende. Une fois que j'y suis, est-ce que je peux y rester tant que je veux? Qu'est-ce qui se passe lorsque je trouve un logement social? Combien de temps puis-je y rester? Y a-t-il des mécanismes en place pour m'aider à améliorer ma situation?

Il faut que je comprenne tout cela à partir du bas, à partir du niveau où se trouve la personne qui est prête à s'installer dans une coopérative. J'aimerais que vous m'expliquiez brièvement comment cela fonctionne.

M. Gazzard : Je vais répondre à la partie de votre question qui a trait aux coopératives, sénateur Munson. Il y a en fait deux façons de devenir membre d'une coopérative. Dans la plupart des cas, les coopératives d'habitation conservent une liste d'attente; cependant, les coopératives qui ont été construites en Ontario dans le respect des exigences provinciales ont recours à des listes d'attente centralisées pour les différents secteurs de gestion des services. Cela ne signifie pas que devenir membre de l'une de ces coopératives est plus facile. Les listes d'attente des coopératives d'habitation peuvent être aussi longues que celles qu'ont évoquées M. Ballantyne et Mme Chisholm, et les familles à faible revenu peuvent attendre pendant des années, dans beaucoup de cas. Dans certains cas, les familles à faible revenu peuvent trouver plus facilement une place dans une coopérative d'habitation loin de leur lieu de travail, mais cela ne revient qu'à remplacer un problème par un autre.

Cependant, une fois que l'on a obtenu une place, il n'y a pas vraiment de limite quant au temps qu'on peut y habiter. Il y a des gens qui passent le reste de leur vie dans une coopérative d'habitation, après s'y être installés relativement jeunes. Il y a aussi des gens qui y sont de passage et qui profitent de cette occasion pour améliorer leur situation et faire l'acquisition de leur propre maison. La situation des gens qui vivent dans ces coopératives varie beaucoup, mais celles- ci offrent vraiment aux gens l'occasion d'améliorer leur sort.

Nous avons entendu une histoire intéressante ce matin à l'occasion d'une conférence de presse. Nous y avons amené une femme qui vit dans une coopérative d'habitation. À cause de la violence, elle a dû quitter sa famille et s'installer dans un taudis, squattant des divans ici et là, et elle a eu la chance d'obtenir une place dans une coopérative. Elle vient d'une famille à faible revenu, mais elle a été en mesure de retourner à l'école. Elle est en train de faire sa maîtrise, et qui sait ce qui va lui arriver. Elle va peut-être continuer de vivre dans cette coopérative, mais sans avoir besoin de la subvention réservée aux personnes à faible revenu, ou elle va peut-être s'installer ailleurs, mais l'objectif de la coopérative va avoir été atteint d'une façon ou d'une autre.

En ce qui concerne le temps pendant lequel une personne peut vivre dans les autres types de logements en question, je vais laisser M. Ballantyne et Mme Chisholm répondre à la question.

M. Ballantyne : La durée du séjour dans un logement social n'est pas limitée, mais le loyer augmente en fonction du revenu jusqu'à ce qu'il atteigne le niveau du marché et une certaine limite, ce qui permet d'utiliser ailleurs dans le système l'argent qui servait à subventionner une partie du loyer. Dans l'ensemble, il s'agit de logements modestes. Ainsi, les gens qui améliorent substantiellement leur situation financière partent. Nous avons observé ce roulement. J'estime que 30 % des résidents des logements sociaux vont y demeurer à vie. Ils y sont parce qu'ils sont pauvres, et ils vont continuer d'être pauvres parce qu'ils ont une invalidé, une maladie ou autre chose, ou encore ce sont des personnes âgées dont le revenu est très modeste, parce qu'il provient du RPC ou d'un autre type de prestations, et ces gens-là ne vont jamais s'installer ailleurs tout simplement parce que leur revenu n'est pas susceptible d'augmenter.

Existe-t-il d'autres mécanismes liés aux logements pour venir en aide à ces ménages? De façon générale, selon notre expérience, le logement social se trouve dans un compartiment à part des autres mesures d'aide. C'est logiquement le lieu où les gens établissent des liens, mais les politiques publiques n'ont jamais permis de tirer parti au maximum de la situation.

Le sénateur Munson : Nous venons tout juste de parler de ce modèle. Existe-t-il un modèle provincial qui aurait connu du succès et que nous pourrions envisager comme un exemple à suivre pour mieux faire les choses dans le domaine du logement? Je vous pose cette question pour le compte rendu, parce que j'ai déjà été journaliste, et que les journalistes cherchent toujours un sujet pour la manchette, j'imagine. Êtes-vous tous d'accord pour dire qu'il y a au Canada une crise du logement?

M. Gazzard : Tout à fait. M. Ballantyne a décrit le quartier du St. Lawrence Market comme étant un modèle. Un autre modèle serait le quartier False Creek, à Vancouver, dont l'aménagement a été planifié et où on a créé, dans une ancienne zone industrielle, des logements sociaux, à but non lucratif, coopératifs et ordinaires. Cela a très bien fonctionné. Les résultats sont du même ordre que ceux qu'on a obtenus dans le quartier du St. Lawrence Market.

Le Canada a un peu de retard dans ce domaine, parce que nous avons attendu plus longtemps qu'ailleurs avant de nous occuper de la question du logement social, et parce que nous commençons à prendre conscience des problèmes que posent les vieux bâtiments un peu plus tard qu'ailleurs aussi. Nous avons parlé du Royaume-Uni. Il se passe des choses très intéressantes ailleurs aussi, par exemple à Chicago, où on est en train de remplacer certains des pires logements sociaux par des logements d'un type novateur. Nous avons aussi beaucoup de choses à apprendre des autres pays du monde.

Mme Chisholm : On a mis sur pied des projets extraordinaires sur la côte est. Je suis sûre que vous connaissez le quartier de Halifax qui est autour de l'angle des rues Gottingen et Gerrish, où il y a eu tant de problèmes de trafic de drogues et un grave manque d'investissements, où les logements étaient de plus en plus délabrés et le quartier devenait de plus en plus dangereux. Récemment, on a investi dans un projet d'habitations touchant tout un pâté de maisons, là où se trouvait auparavant un Sobeys. La ville, la province et le gouvernement fédéral ont participé au projet, comme toutes sortes d'organismes de l'endroit.

À ce jour, on a mis sur pied là-bas un projet visant les itinérants et dans le cadre duquel on leur offre un logement permanent, parce qu'ils sont heureux dans ce quartier; ils le voient comme leur quartier. Le trafic de drogues a diminué, et se fait davantage maintenant un peu plus loin. La valeur des propriétés situées sur la rue Gerrish est en hausse, les gens commencent à rénover leurs maisons, et le quartier est plus vivant qu'auparavant. Y marcher la nuit est plus sûr qu'avant. Dans le cadre de ce projet, on construit des maisons en rangées sur la rue Gerrish, pour que les familles puissent se réinstaller dans le quartier ou puissent échapper au problème de surpeuplement des quartiers avoisinants. C'est un modèle de succès. L'Université Dalhousie a pris une part active au projet, et je pourrais vous mettre en contact avec des gens qui en savent davantage à ce sujet.

M. Ballantyne m'a par ailleurs rappelé certains projets fantastiques qui ont été mis sur pied au Québec. Certains de ces projets ont consisté en l'acquisition de logements locatifs fabuleux mais vieux, à Montréal, et qu'il fallait rénover, mais dont le loyer devait continuer d'être raisonnable, et c'est ce qu'ont fait la ville, les coopératives et les organismes communautaires de Montréal et de Québec, et les quartiers en question revivent. Il y a une revitalisation des quartiers qui est possible grâce aux investissements dans les logements des secteurs qui vont à la dérive.

Les données obtenues à Montréal montrent que les investissements dans les logements donnent souvent lieu à d'autres types d'investissements dans les quartiers, par exemple au retour des cafés, des épiceries, des pharmacies, et cetera, ce qui, en retour, crée de l'emploi et rend l'atmosphère plus intéressante. Toutes ces choses ramènent les familles dans les centres-villes. Une fois qu'il y a des enfants dans un centre-ville, ça fait une énorme différence quant aux services offerts et à l'ambiance générale des quartiers. Il y a d'énormes avantages à faire intervenir la ville pour qu'elle contribue à préparer les quartiers à la nouvelle offre de logements.

La Ville de Vancouver, par exemple, a décrété que tout nouveau projet construit au centre-ville doit réserver 20 p. 100 de ses unités aux logements abordables. Ces unités sont réservées, puis le promoteur cherche un partenaire du secteur des organismes sans but lucratif pour les construire ou pour payer les coûts de construction de ces unités et pour leur gestion. Certaines des unités sont réservées aux familles, et chacun des projets doit comporter des locaux pour les garderies. C'est ce qui a fait du centre-ville de Vancouver un quartier familial, et c'est quelque chose qu'on constate lorsqu'on visite le centre-ville. On y trouve le genre de services dont les familles ont besoin. La situation des écoles s'y est améliorée, et elles ne sont plus vides.

Le résultat est beaucoup plus intéressant que si on y avait construit des condos, où, comme M. Ballantyne l'a fait remarquer, une ou deux personnes vivent, ce qui fait des quartiers où il y a peu d'enfants.

Le sénateur Munson : C'est quelque chose qui contribue naturellement à la santé.

Mme Chisholm : Oui, et nous avons des chiffres qui le prouvent.

Le président : Comme le sénateur Munson l'a dit tout à l'heure, l'étude au sujet des villes se déroule sur plus de deux ans, et celle qui concerne la santé de la population, sur environ un an et demi. Nous espérons terminer la partie en cours et formuler des recommandations d'ici le milieu de l'année 2008. La partie la plus importante de l'étude porte sur la pauvreté, le logement et l'itinérance. Nous allons faire chacune des parties avec l'information que nous avons obtenue et les recommandations en découlant, au fur et à mesure.

Le sénateur Pépin : En rapport avec la question du sénateur Keon et ce que vous avez dit, il semble que les besoins en matière de logement ont énormément changé depuis 1971. Auparavant, c'était celui d'avoir un toit, et, maintenant, il s'agit de rendre le logement et la société meilleurs parce que les enfants doivent être bien éduqués, nourris et logés pour que la société soit équitable.

Corrigez-moi si je me trompe, mais il ne semble pas y avoir de plan cohérent ou de coordination entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et, dans certains cas, les administrations municipales. Il n'y a pas non plus de coordination entre les intervenants, les entreprises et les quartiers. Je suis peut-être dans l'erreur, mais y a-t-il un groupe ou une personne à qui les gens puissent demander de coordonner les besoins et de les faire valoir auprès des gouvernements fédéral ou provinciaux? Ce groupe ou cette personne existent-ils? Que faut-il pour coordonner les interventions? J'ai l'impression que nous avons besoin d'une personne ou d'une organisation qui puisse coordonner les besoins et les faire valoir auprès des différents ordres de gouvernement.

Mme Chisholm : Il y a au Canada un certain nombre de groupes de revendications qui essaient de le faire. Vous avez tout à fait raison, sénateur, lorsque vous dites que nous avons besoin d'une collaboration et d'une communication accrues entre les différents ordres de gouvernement, de façon à ce qu'on sache au moins ce que les autres font.

La Colombie-Britannique, par exemple, parraine une réunion de ministres provinciaux, fédéraux et territoriaux responsables du logement qui aura lieu en février 2008 à Vancouver, quoiqu'on ne soit pas encore sûr si le ministre fédéral va y participer. Ce genre de réunions sont d'importantes occasions d'envisager ce qui peut être fait. Nous sommes confrontés à un énorme problème, et pas seulement dans une seule région du pays. Le problème se pose partout. Il faut se coordonner, et il faut communiquer, être ouvert, responsable et transparent, pour que les groupes communautaires qui interviennent et relèvent ces importants défis sachent à quoi s'attendre. Dans bien des cas, il y a absence de communications. Nous ne disposons même pas des données nécessaires pour déterminer où les besoins les plus importants se font sentir et comment investir au mieux pour obtenir les meilleurs résultats possibles.

La structure institutionnelle du Canada ne favorise pas ce genre de communication horizontale à l'échelle communautaire et de communication verticale entre les gouvernements. Au lieu de cela, nous constatons que, comme M. Ballantyne l'a expliqué, les groupes communautaires essaient de rassembler les intervenants à l'échelle communautaire. Il faut pourtant que cela se fasse dans l'ensemble des gouvernements et dans l'ensemble de leurs ministères. Le problème touche non seulement le logement, mais aussi l'immigration, la santé et les services à l'enfance.

Vous avez tout à fait raison. Le Canada n'a pas fait suffisamment d'efforts pour trouver des façons de mettre fin au cloisonnement et de déterminer le genre d'organisations et de soutiens dont nous avons besoin pour accomplir cela et pour être plus efficaces.

Le sénateur Pépin : Vous parlez de différents groupes, comme les immigrants, les personnes âgées et les familles monoparentales.

M. Anderson : Outre le fait d'avoir coordonné les stratégies nationales, provinciales et fédérales-provinciales, nous avons appris que les gens pauvres sont concentrés dans les quartiers pauvres des grandes villes.

Il y a plusieurs années, j'ai coordonné les travaux de recherche effectués dans le cadre d'une importante étude réalisée par Centraide à Toronto et qui s'intitulait « Poverty by Postal Code ». Nous avons déterminé quels quartiers de Toronto présentaient un taux de pauvreté très élevé. Des études du même genre ont été réalisées dans d'autres villes. Je sais que la Ville de Toronto, Centraide et d'autres organisations de Toronto ont commencé à s'occuper des problèmes de logement dans ces quartiers. La Ville de Montréal a choisi certains quartiers sur lesquels elle souhaite concentrer ses efforts. C'est une partie de la solution que nous devons appliquer. En réalité, c'est quelque chose qu'il faudrait faire partout au Canada, c.-à-d. que nous devrions commencer à cibler les quartiers où il y a un réel besoin d'investissements dans les logements, l'emploi, la santé et tous les autres services essentiels à l'enrayement de la pauvreté.

[Français]

M. Gazzard : Je suis d'accord avec ce que Sharon a dit. C'est absolument essentiel d'avoir une coopération entre les différents paliers gouvernementaux. Il est bien établi au Canada que la livraison des programmes d'adaptation demeure une juridiction provinciale. Il est également essentiel d'avoir la coopération du gouvernement national pour établir les besoins des municipalités.

Le sénateur Pépin : On aurait besoin d'une stratégie de logement nationale.

M. Gazzard : Exact.

[Traduction]

Le sénateur Cochrane : Je m'excuse si on a répondu à ma question sur les personnes âgées en mon absence. Dans les années 80, 20 p. 100 des personnes âgées vivaient dans la pauvreté; aujourd'hui, cependant, il s'agit de 5 p. 100 d'entre eux seulement, d'après mes recherches.

Y a-t-il moins de personnes âgées qui ont peine à trouver un logement abordable ou qui vivent dans un logement inadéquat aujourd'hui qu'il y a 30 ans?

M. Gazzard : Je ne peux pas répondre de façon précise à votre question parce qu'elle porte sur des données d'il y a 30 ans, mais je dirais que nous sommes encore placés devant un problème aujourd'hui, puisque 19 p. 100 des Canadiens âgés de plus de 75 ans ont des besoins impérieux, d'après les chiffres produits par le gouvernement. La situation n'est pas réjouissante. Ce chiffre est plus élevé que la moyenne nationale en matière de besoins de logement, qui est de 13,7 p. 100. Que la situation se soit améliorée ou non depuis 30 ans, le problème continue d'exister.

Cependant, pour citer le rapport que nous avons fait faire, le manque à gagner pour être capable de payer les coûts de logement est moins grand chez les personnes âgées. C'est chez les jeunes familles qu'il est le plus important. Résoudre ce problème pour les personnes âgées ne coûte pas aussi cher, mais, à mes yeux, c'est une situation déplorable que celle dans laquelle des gens qui mettent leur vie au service de leur pays d'une façon ou d'une autre, simplement en étant de bons citoyens, finissent par passer la majeure partie de la période où ils sont vulnérables dans un logement inadéquat. C'est un problème grave qu'il nous reste encore à régler.

Le sénateur Cochrane : Dites-vous que c'est encore 15 p. 100?

M. Gazzard : Je dis que 19 p. 100 des Canadiens âgés de plus de 75 ans sont dans le besoin.

Le président : Et vous dites que cela a rapport avec le logement abordable?

M. Anderson : Qui est défini comme un besoin impérieux; c'est exact, sénateur.

M. Ballantyne : La demande a été passablement stable pendant un temps, et les projections que nous avons faites pour la ville de Toronto indiquent que le revenu des personnes âgées est en hausse. Celui des personnes âgées à faible revenu a augmenté plus rapidement que celui des autres groupes de gens à faible revenu, parce qu'il y a eu davantage de politiques publiques ciblant les personnes âgées que les autres groupes au cours des dix dernières années.

Il y a une chose qui est de plus en plus complexe et qui a trait à la situation des personnes âgées par rapport à leur logement, et c'est que la question de leur santé devient de plus en plus complexe, et que, le vieillissement est devenu un problème plus complexe et plus pressant qu'auparavant. Les gens vivent plus longtemps aujourd'hui, ce qui suppose qu'ils vivent des situations qui exigent une certaine modification ou une certaine adaptation des logements. Les services nécessaires pour appuyer la vie autonome sont beaucoup plus complexes qu'il y a dix ans. Cette tendance va s'accentuer.

Le sénateur Cochrane : Quelles sont les exigences auxquelles une personne qui souhaite obtenir une place dans une coopérative d'habitation doit se plier? Y a-t-il des exigences ou certains critères?

M. Gazzard : La seule exigence, mis à part le fait d'avoir besoin d'un logement, le fait d'être inscrit sur une liste d'attente d'une coopérative d'habitation, c'est que la personne doit comprendre ce que le fait de s'installer dans une coopérative suppose. Les choses sont un peu différentes, dans la mesure où les membres d'une coopérative ont certaines responsabilités. Ces responsabilités ne sont pas indûment lourdes. Habituellement, lorsqu'on propose une place dans une coopérative d'habitation à une famille, on lui explique ses responsabilités. Les membres de la coopérative exercent une fonction de gouvernance, parce qu'ils élisent un conseil de direction, lequel prend les décisions qui déterminent l'orientation de la coopérative.

Par ailleurs, l'appartenance à une coopérative présente des avantages importants, notamment le fait qu'elle offre à beaucoup de gens une première occasion de s'engager comme citoyens, de comprendre les questions relatives à la gouvernance, à la communication et à la création d'une communauté. À part ça, non, ce n'est pas comme un club auquel on ne peut appartenir si on n'a pas le profil voulu. J'espère que cela répond à votre question.

Le président : Il reste du temps pour deux ou trois autres questions.

J'ai une question plutôt élémentaire à poser. Je la pose parce que le problème est énorme et cause des défis à plusieurs égards. Le logement est lié à tant d'autres choses. Les choses sont très complexes, et je pense, comme le sénateur Keon l'a dit, qu'il y a un énorme besoin de financement. Évidemment, il y a les limites au financement qu'un gouvernement est prêt à accorder.

S'il y avait, disons, trois domaines prioritaires, dans lesquels le gouvernement devrait intervenir, selon vous, au chapitre du logement, quels seraient ces trois domaines?

Mme Chisholm : Le gouvernement fédéral devrait exprimer clairement son intérêt. Il n'y a pas eu de déclaration. Il y a beaucoup d'ambiguïté. Il y a une certaine érosion, je dirais, depuis 10 ou 15 ans. Il faut que le gouvernement exprime clairement son intérêt. Cela pourrait contribuer pour beaucoup à maintenir celui des autres intervenants — ceux dont la présence est nécessaire et importante. Je ne parle pas seulement des gouvernements; je parle de toutes sortes d'intervenants. Voilà un premier pas qu'il est important de faire.

Nous — c'est-à-dire le groupe avec lequel je travaille auprès des associations provinciales de l'ensemble du pays, et auquel M. Gazzard et M. Ballantyne participent — pensons que le gouvernement devrait à tout le moins s'engager à maintenir son niveau d'investissement actuel. Nous aimerions le voir faire cela. Nous demanderons à tous les gouvernements de prendre cet engagement dès maintenant, et nous aimerions qu'ils le fassent avant la prochaine élection, pour que le gouvernement d'alors, quel qu'il soit, ait l'appui nécessaire pour à tout le moins maintenir les budgets actuels.

J'aurai une troisième suggestion à faire.

M. Gazzard : Je vais renchérir sur ce que Mme Chisholm a dit. Je suis tout à fait d'accord avec elle. La tâche à laquelle nous devons nous atteler immédiatement, c'est de nous assurer que le gouvernement fédéral continue de donner au moins le peu d'argent qu'il donne à l'heure actuelle. Mais il nous faut aussi travailler là-dessus.

Il y aura d'importantes réductions au cours de la prochaine décennie, mais un nouvel investissement est nécessaire dès maintenant. Nous en avons parlé tout à l'heure, mais, ce dont nous avons besoin par-dessus tout, c'est d'une stratégie cohérente. Nous sommes confrontés à un problème qui touche l'ensemble du pays, et il s'agit d'un problème complexe. Un engagement multilatéral serait un bout de chemin de fait; nous aurions quitté la ligne de départ.

Cependant, le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership dans ce dossier. Il ne peut pas espérer régler le problème en ne faisant que déclarer que le logement est du ressort exclusif des provinces et leur transférer des points d'impôt ou autre chose et les laisser s'en occuper. Il y a des normes nationales en matière d'éducation et de santé. À mon sens, le logement est le troisième élément essentiel à une qualité de vie durable au Canada, et le gouvernement fédéral doit faire preuve du genre de leadership dont doit faire preuve le gouvernement national lorsqu'il s'agit de régler un problème national.

M. Anderson : Voici mes trois priorités : la première, c'est une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et, dans le cadre de celle-ci, une stratégie nationale en matière de logement, ce qui est ma deuxième priorité. Ma dernière priorité serait une stratégie visant les Premières nations, les Métis et les Inuits, à l'intérieur de cette stratégie nationale en matière de logement. Parmi tous les problèmes liés au logement — c.-à-d. dans les réserves, à l'extérieur de celles-ci et dans les régions urbaines du Canada —, la question du logement chez les Autochtones est la première que nous devrions régler. Le manque de logements est chez eux tellement plus grave que chez les autres groupes qui composent notre société. Un peu partout dans le monde, on accuse le Canada de négligence dans ce dossier, et on a raison de le faire.

M. Ballantyne : Il y a deux réponses à cette question : l'une du point de vue des gens, l'autre du point de vue des programmes. Du point de vue des gens, il est clair qu'il y a ceux qui vivent dans des logements sociaux et qui vont continuer d'y vivre, et nous devons conserver ces logements et les gains que nous avons faits à cet égard. Évidemment, c'est quelque chose que je ne peux que défendre, compte tenu de ma situation, mais c'est aussi quelque chose d'essentiel pour l'ensemble du pays. Si nous commençons à perdre les 600 000 unités réparties dans l'ensemble du pays, nous perdons du terrain.

Deuxièmement, nous devons penser aux Canadiens à faible revenu qui, pour la plupart, travaillent dans des centres urbains et contribuent à la santé de l'économie et des villes; nous devons faire quelque chose du côté de l'offre. Il ne s'agit pas nécessairement toujours de financer les programmes de logement social. Il sera possible de faire beaucoup de choses sur le plan fiscal pour rendre la construction de logements locatifs plus économique. Il existe des moyens d'encourager l'investissement privé dans ce domaine, moyens qui n'ont pas encore été pris. Nous oublions tous que la plupart des unités multirésidentielles en milieu urbain ont été construites dans le cadre de programmes d'incitation du gouvernement. Très peu de logements locatifs ont été construits spontanément, parce que la situation économique était favorable. C'est quelque chose qui a été en grande partie encouragé par le biais du régime fiscal, ce que nous avons oublié.

Troisièmement, je dirais que, quoi qu'on fasse par rapport au logement, il faut le faire de façon intelligente et en tenant compte des liens entre la question du logement et d'autres questions, de façon à régler plusieurs problèmes en même temps.

Le président : Voilà une excellente réflexion.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai fait un petit aparté avec le sénateur Keon, et nous voulions dire à tous ici présents qu'il n'y a pas de normes nationales au Canada en matière d'éducation et de santé. Je vous l'accorde, il y a davantage de programmes dans ces domaines, ou à tout le moins dans le domaine de la santé. Je voulais tout simplement vous le faire remarquer.

Je voulais savoir s'il y a des modèles. À mon sens, mis à part les personnes âgées, le groupe dont la situation est la plus déplorable, c'est celui des jeunes de la rue, que ce soit les Autochtones ou de nouveaux arrivants, ou qui que ce soit d'autre. D'après ce que je peux comprendre, voici ce qu'on fait pour leur fournir un toit : ils se présentent à une heure déterminée, soupent ou mangent quelque chose, passent la nuit puis doivent s'en aller le matin — c'est une porte tournante, cela ne donne pas grand-chose, mis à part peut-être une protection temporaire contre les éléments.

Existe-t-il au Canada des modèles qui intègrent autre chose, en plus du logement, qui, je l'espère, intègrent des éléments sociaux, de la santé et de l'éducation? Y a-t-il au Canada des modèles dont vous voudriez nous parler et dont le logement n'est qu'une partie?

M. Ballantyne : Je peux vous donner deux exemples concernant Toronto. Je suis désolé de ne parler que de Toronto, mais c'est là que j'ai acquis mon expérience.

Le sénateur Munson : C'est là que jouent les Maple Leafs.

M. Ballantyne : C'est une autre tragédie.

Il y a deux organisations à Toronto. La première, c'est Covenant House, qui se trouve à être à un coin de rue de chez moi, au centre-ville. Covenant House s'occupe des jeunes de la rue. On leur fournit un logement pendant un certain temps, de l'aide à l'emploi et des services de conseil en emploi, et on travaille avec eux pour les préparer à devenir autonomes. Les personnes qui participent au programme doivent respecter un certain code de comportement et certaines règles, mais c'est un milieu axé sur les jeunes. Il s'agit d'un lieu agréable, confortable et propre, dans un quartier que les jeunes connaissent bien. On ne les amène pas loin du centre-ville, dans un endroit qui leur serait complètement étranger.

Le taux de succès est passablement élevé à Covenant House. L'organisation est en grande partie financée par le gouvernement, mais elle reçoit aussi des dons de particuliers. Il faut beaucoup d'énergie pour que cela fonctionne.

L'autre organisation innovatrice, c'est un groupe qui s'appelle Eva's Phoenix, qui s'occupe exclusivement des jeunes et qui est issue d'un autre groupe qui s'occupe de problèmes d'itinérance. Ce sont des jeunes qui ont bâti Eva's Phoenix. Ils ont rénové un ancien bâtiment de la Ville de Toronto. Des jeunes ont travaillé auprès des syndicats et des gens de métier en vue d'acquérir les compétences nécessaires pour le faire. Ils continuent d'acquérir des compétences, surtout des compétences relatives aux métiers, et ils quittent Eva's Phoenix après six à 12 mois pour entrer sur le marché du travail. Le taux de succès est très élevé à Eva's Phoenix, et on parvient à sortir les jeunes de la rue et à les placer dans une situation dans laquelle ils sont entourés de pairs, de gens avec qui ils ont des affinités, un groupe sain, dont les habitudes de vie sont saines, dont les membres ont des compétences, une confiance sociale et un engagement de citoyen que les jeunes n'auraient pas trouvé dans la rue et s'ils avaient continué de séjourner temporairement dans des refuges.

Le sénateur Trenholme Counsell : Pouvez-vous me donner une idée des chiffres?

M. Ballantyne : Pour ce qui est de Covenant House, je ne connais pas les chiffres. À Eva's Phoenix, les groupes comptent de 20 à 25 personnes, c.-à-d. que le programme est assez intensif, mais c'est nécessaire pour sauver des vies.

Le président : Nous essayons de faire venir des représentants de certains de ces groupes ici. Nous avons une rencontre de prévue déjà avec les représentants d'un groupe de Halifax, et nous espérons aussi rencontrer les représentants d'Eva's Phoenix, parce que c'est un autre aspect dont nous devons nous occuper.

Le sénateur Cook : Je vous ai écoutés nous donner beaucoup d'information cet après-midi. C'est un casse-tête dont je vais devoir assembler les 10 000 morceaux.

Le segment de la population dont je n'ai pas entendu parler, c'est celui qui est composé des gens âgés de 55 à 64 ans qui ont leur propre maison, dont les enfants sont partis, dont le revenu est faible, qui n'ont pas d'argent pour les réparations ou pour les autres frais et qui vivent souvent seuls. Quels sont les programmes offerts à ce segment de la population? Tout à coup, il n'est plus possible, pour des raisons d'ordre financier, de conserver la résidence familiale. On ne peut tout simplement plus se permettre l'espace qu'on appelle son « chez-soi »; je pense aux babyboomers du pays. Je me demande ce qui s'offre à eux.

M. Gazzard : C'est une question intéressante. Les besoins impérieux de logement touchent surtout les locataires, mais ils touchent aussi certains propriétaires, notamment les gens pauvres qui vivent en milieu rural dans les Maritimes, dans votre province et en Nouvelle-Écosse, là où les maisons familiales sont souvent en piètre état. En général, le problème tient non pas à la capacité de payer la maison, mais bien au fait de ne pas avoir d'argent pour les réparations. Les seuls programmes dont j'ai connaissance, ce sont les programmes d'aide à la remise en état des logements. C'est un exemple de financement direct du gouvernement du Canada par l'intermédiaire de la SCHL, mais les programmes sont exécutés par les provinces. Voilà donc un programme, mais je sais pour avoir parlé avec des fonctionnaires de votre province et d'ailleurs dans les Maritimes que cela ne suffit pas et qu'il faut d'autres programmes. Les conditions de vie, dans certains cas, sont plutôt médiocres.

Le sénateur Cook : Je suis trop vieille pour être une babyboomer. Je suis une jeune personne du troisième âge, j'imagine — j'appartiens au groupe qui soulève de plus en plus de préoccupations, au Canada, du point de vue de la santé. Il y a des gens qui vivent à la maison alors qu'ils ne devraient plus y vivre, et c'est quelque chose qui peut avoir des répercussions sur leur santé. Ils n'allument le chauffage que lorsque leurs enfants leur rendent visite, et ils prétendent que tout va bien. Aussitôt les enfants partis, rentrés chez eux, ils baissent le thermostat.

C'est la dure réalité dans ces régions, et les gens ont recours aux banques alimentaires en attendant de recevoir un quelconque chèque de pension. La question du logement abordable se pose vraiment pour ces gens, et je souhaiterais que quelqu'un s'en occupe.

M. Gazzard : Il y a deux façons d'aborder ce problème : l'une, c'est d'offrir un moyen pour les gens de réinvestir dans leur maison; l'autre, comme vous l'avez si bien dit, sénateur, c'est un problème de revenu. Les gens qui appartiennent au groupe d'âge dont vous avez parlé sont pauvres, leur revenu est fixe et, si on ne prend pas de mesures du côté de l'aide au revenu, leurs perspectives d'avenir sont sombres.

Le sénateur Cook : Nous allons les retrouver à l'urgence de nos hôpitaux, alors nous pouvons investir dès le départ ou payer plus tard.

M. Anderson : Je suis d'accord avec ce que M. Gazzard a dit. La Ville d'Ottawa envisage de créer un programme qui permettrait aux personnes âgées à faible revenu qui vivent à la maison de reporter le paiement de leur impôt foncier tant qu'ils continuent de vivre à la maison. Il ne s'agit pas d'une solution complète aux genres de problèmes dont vous parlez, mais cela met en lumière le fait que, bien souvent, les personnes âgées qui ont une maison dans une ville où la valeur des propriétés est en hausse se trouvent dans une situation difficile. Leur revenu diminue en même temps que leur impôt foncier augmente en raison d'une espèce d'évaluation fondée sur la valeur des propriétés sur le marché. Toute cette question de ce que les aînés à faible revenu paient, non seulement l'impôt sur le revenu, mais aussi l'impôt foncier, mérite qu'on s'y attarde.

Évidemment, l'autre solution, qui a la faveur du secteur des coopératives, c'est la construction de nouvelles coopératives d'habitation, et c'est la solution fondamentale à ce problème. Offrir un choix aux gens.

Le président : Je sais que vous avez encore plein de questions à poser, mais le temps dont nous disposions est écoulé. Permettez-moi de vous remercier tous d'avoir témoigné devant le comité. Vous nous avez bien renseignés au sujet de certaines des questions relatives au logement, lequel fait partie de ce tout qui forme l'étude sur la pauvreté, le logement et l'itinérance que nous effectuons. Encore une fois, merci de vos témoignages.

Avant de suspendre nos travaux, honorables sénateurs, nous devons procéder à un vote sur l'adoption d'un budget de 40 000 $ proposé par le Sous-comité sur les villes.

Le sénateur Pépin propose d'adopter le budget. Est-ce d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée.

La séance est levée.


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