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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 6 - Témoignages du 6 mai  2009


OTTAWA, le mercredi 6 mai 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Nous sommes heureux aujourd'hui de souhaiter la bienvenue au gouverneur de la Banque du Canada, M. Mark Carney, ainsi qu'au premier sous-gouverneur, M. Paul Jenkins. Bienvenue, messieurs.

C'est la deuxième visite du gouverneur Carney auprès de notre comité. Lors de sa première comparution l'année passée, le gouverneur nous avait souligné que la détérioration de la conjoncture économique et financière aux États- Unis aurait des retombées directes sur l'économie canadienne et l'économie mondiale.

Il nous avait aussi dit que les turbulences sur les marchés financiers mondiaux continueraient de se répercuter sur le coût et la disponibilité du crédit ici au Canada, avec des conséquences pour la gestion de la politique monétaire au Canada.

[Traduction]

Personne n'avait réellement prévu l'ampleur du ralentissement économique que nous connaissons actuellement à l'échelle mondiale. Il est important d'insister sur le fait que la Banque du Canada a agi selon son mandat afin d'aider l'économie canadienne à traverser cette période difficile.

Normalement, la Banque du Canada conduit la politique monétaire en ajustant le taux cible du financement à un jour, ce qui a souvent pour effet d'influer sur le taux préférentiel, le taux d'intérêt hypothécaire et les taux des obligations des banques. Dans la dernière année, la banque a usé de cet outil autant qu'elle le pouvait, baissant le taux cible du financement à un jour au niveau jamais vu de 0,25 p. 100.

La banque a aussi pris d'autres mesures. Par exemple, elle a envisagé la possibilité de procéder à l'assouplissement quantitatif et à l'assouplissement direct du crédit. Plusieurs s'entendent pour dire que, grâce à toutes ces mesures, la Banque du Canada a joué un rôle vital pour nous aider à traverser cette période difficile. En fait, il semble que les choses s'améliorent tant sur les marchés du crédit que dans l'économie canadienne.

Je ne sais pas si l'on doit remercier M. Carney ou M. Jenkins, mais Statistique Canada a dévoilé aujourd'hui une hausse de 23,5 p. 100 du nombre de permis de construire délivrés en mars par rapport à février, et le baril de pétrole se vend maintenant 56 $, ce qui correspond au plus haut taux que l'on ait vu depuis décembre dernier. Quand j'ai quitté mon bureau, le TSX avait dépassé les 10 000 points.

Nous sommes impatients de connaître vos opinions sur la situation économique au Canada et à l'étranger, en particulier en ce qui concerne l'accès au crédit pour les entreprises et les ménages. Le sujet est d'intérêt considérable pour les membres du comité.

Sur ce, je vais présenter rapidement les membres du comité. Sont présents : le sénateur Joseph Day, du Nouveau- Brunswick, qui ne fait pas partie de ce comité, mais qui est un observateur intéressé et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales; le sénateur Mac Harb, de l'Ontario; le sénateur Paul Massicotte, du Québec; le sénateur Céline Hervieux-Payette, du Québec; le sénateur Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Irving Gerstein, de l'Ontario; le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Francis Fox, du Québec; le sénateur Trevor Eyton, de l'Ontario; le sénateur Donald Oliver, de la Nouvelle-Écosse; et le sénateur Yoine Goldstein qui, malheureusement, en est à sa deuxième et dernière réunion comme vice-président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Pardonnez-moi de vous avoir gardé pour la fin, mais je tenais à souligner votre présence.

Sur ce, monsieur le gouverneur, je vous demanderais de nous présenter votre exposé. Je suis certain que vous et M. Jenkins accepterez volontiers de répondre à nos questions.

[Français]

Mark J. Carney, gouverneur, Banque du Canada : Monsieur le président et distingués membres du comité, je vous remercie. Avant que Paul Jenkins et moi ne répondions à vos questions, permettez-moi de passer en revue certains des faits saillants et des conclusions énoncés dans le plus récent Rapport sur la politique monétaire, que nous avons fait paraître le 23 avril.

Plus particulièrement, j'aimerais vous donner quelques précisions sur le cadre de conduite de la politique monétaire reposant sur des mesures non traditionnelles, qui a été publié en annexe du rapport.

Nous traversons une période difficile sur le plan économique et l'économie canadienne est secouée par une récession prononcée et synchronisée à l'échelle du globe. Ces derniers mois, cette récession a été accentuée par des retards dans la mise en œuvre des mesures visant à restaurer la stabilité financière dans le monde.

Les décideurs des pays du G20 réagissent maintenant à la crise mondiale par un engagement renouvelé à l'égard de mesures concrètes et de plans détaillés. Selon notre scénario de référence, ces politiques seront mises en œuvre rapidement et de façon efficace et leurs effets se feront pleinement sentir l'année prochaine. Les discussions qui se sont déroulées à Washington à la fin d'avril vont dans le même sens.

Étant donné la situation économique et financière actuelle à l'échelle du monde, la Banque prévoit maintenant que la récession au Canada sera plus profonde qu'elle ne l'envisageait dans la Mise à jour de janvier du rapport sur la politique monétaire. Le retour à la croissance sera retardé d'un trimestre, soit jusqu'à la fin 2009, et la reprise au pays sera un peu plus graduelle.

[Traduction]

Bref, les perspectives d'évolution de l'économie canadienne sont généralement les mêmes qu'en janvier, mais leur profil s'est déplacé. On prévoit que le PIB réel du Canada reculera de 3 p. 100 cette année. La croissance reprendra à l'automne et s'accélèrera pour atteindre 2,5 p. 100 en 2010 et 4,7 p. 100 en 2011.

Nos prévisions en matière d'inflation sont en gros conformes à celles de janvier. L'inflation mesurée par l'IPC global sera temporairement négative en 2009, mais le taux d'augmentation de l'indice de référence et celui de l'IPC global devraient retourner à la cible de 2 p. 100 visée par la banque au troisième trimestre de 2011.

Dans ce contexte, la banque a abaissé son taux directeur de un quart de point de pourcentage le 21 avril, pour le ramener à un quart de pourcentage, ou 25 points de base, comme monsieur le président l'a mentionné. La banque estime que ce taux est sa valeur plancher. Sous réserve des perspectives de l'inflation, la Banque du Canada s'est engagée à le maintenir à ce niveau jusqu'à la fin de juin 2010. Je parlerai tout à l'heure plus en détail de cet engagement conditionnel.

Au total, depuis décembre 2007, nous avons abaissé les taux d'intérêt de 425 points de base. Ils ont ainsi touché leur creux historique et leurs niveaux le plus bas possible. La banque est d'avis que cet assouplissement cumulatif, conjugué à son engagement conditionnel de maintenir le taux à un bas niveau pendant une période prolongée, représente l'orientation qu'il convient pour la politique monétaire afin que l'économie se remette à tourner à pleine capacité et que la cible d'inflation de 2 p. 100 soit réalisée.

Toutefois, nous vivons une période d'incertitude. Si une impulsion additionnelle se révélait nécessaire, la banque conserve une flexibilité considérable dans la conduite de la politique monétaire en contexte de bas taux d'intérêt. Nous avons expliqué de façon détaillée que cette flexibilité serait mise à profit dans la conduite de la politique monétaire lorsque le taux directeur se situe à sa valeur plancher dans le cadre qui a été présenté dans la plus récente livraison du Rapport sur la politique monétaire. Dans ce document, nous décrivons les instruments non traditionnels à notre disposition, les principes qui guideraient nos interventions à l'aide de ces outils, si nous décidions de les utiliser, et les stratégies de désengagement auxquelles nous aurions recours lorsque ces instruments ne seraient plus nécessaires.

Les trois principaux instruments dont la banque dispose pour mettre en oeuvre la politique monétaire une fois le taux directeur fixé à sa valeur plancher sont : les déclarations conditionnelles au sujet de la trajectoire future des taux directeurs; l'assouplissement quantitatif, qui consiste à acheter des actifs financiers en les finançant par la création de réserves; et l'assouplissement direct du crédit, qui consiste à effectuer directement des achats ciblés d'actifs privés. Au besoin, ces instruments pourraient être utilisés séparément ou en parallèle afin d'améliorer les conditions financières, de façon à soutenir la demande globale et, en définitive, à atteindre la cible d'inflation.

Comme vous le savez, la banque a utilisé le premier instrument le 21 avril. À la suite de son engagement conditionnel de maintenir les taux à 25 points de base jusqu'à la fin de juin 2010, les taux d'intérêt ont baissé sur toute la gamme d'échéances correspondant à la période de l'engagement, y compris par rapport aux taux observés aux États-Unis dans la courbe des taux.

Permettez-moi de réitérer que l'engagement conditionnel de la banque n'est pas une garantie, mais il dépend plutôt des perspectives de l'inflation. La banque établira toujours son taux directeur à un niveau compatible avec la réalisation de la cible d'inflation de 2 p. 100 au cours de l'horizon visé pour la politique monétaire. Parallèlement, si la banque devait mettre en oeuvre des mesures d'assouplissement quantitatif ou d'assouplissement direct du crédit, elle le ferait de façon mûrement réfléchie, en s'appuyant sur les principes suivants : premièrement, l'objectif de ces opérations serait d'améliorer l'ensemble des conditions financières afin de soutenir la demande globale et d'atteindre la cible d'inflation; deuxièmement, les achats d'actifs seraient concentrés dans les échéances les plus susceptibles de maximiser l'effet des interventions sur l'économie; troisièmement, les mesures seraient appliquées de la façon la plus globale et la plus neutre possible; quatrièmement, la banque agirait prudemment, en limitant les risques liés à son bilan et en veillant à se désengager de ces stratégies au rythme approprié. Si la banque devait recourir à ces instruments non traditionnels, elle suivrait de près un certain nombre d'indicateurs pour en évaluer l'efficacité. Le plus important serait l'effet de l'intervention sur l'ensemble des conditions de financement auxquelles sont confrontés les ménages et les entreprises.

D'autres indicateurs serviraient à jauger les retombées directes du recours à un instrument en particulier. Par exemple, on jugerait de l'efficacité des déclarations conditionnelles concernant l'évolution du taux directeur par leur effet sur les taux d'intérêt à plus long terme. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous avons constaté une incidence quasi immédiate de notre annonce du 21 avril concernant le taux directeur. L'efficacité des mesures d'assouplissement quantitatif se mesurerait dans un premier temps en fonction de la modification éventuelle de la courbe des taux et, de manière plus générale, de l'évolution des conditions globales de financement. Pour sa part, l'efficacité des mesures d'assouplissement direct du crédit serait évaluée à la lumière du recul des primes de risque et de la hausse des activités d'émission.

L'évolution des modalités du crédit aux entreprises peut en outre être mesurée au moyen de l'enquête sur les perspectives des entreprises et de l'enquête auprès des responsables du crédit qu'effectue la banque. De plus, la banque a mis au point des mesures du coût des emprunts et un indice des conditions financières à l'échelle de l'économie. Afin d'accroître la transparence, la banque a ajouté de nouvelles pages dans son site eeb, qui présentent en détail les conditions du crédit au Canada. Le lien se trouve dans la partie gauche de la page d'accueil de la Banque du Canada.

Le dénouement des positions prises par la banque dans le cadre des facilités de crédit et programmes d'achat d'actifs mis en place — c'est-à-dire la stratégie de désengagement advenant le cas où ces politiques étaient appliquées — serait guidé par son évaluation des conditions régnant sur les marchés du crédit et des perspectives en matière d'inflation. Plusieurs possibilités de désengagement s'offrent à la banque; elle peut notamment laisser les actifs acquis arriver naturellement à échéance, les refinancer ou les vendre.

Enfin, le cadre décrit également comment la banque communiquerait son recours à des mesures de politique non traditionnelles. Les communiqués d'annonce du taux directeur demeureraient axés sur le taux cible du financement à un jour et continueraient de comporter une déclaration conditionnelle au sujet de l'orientation future du taux directeur. La banque préciserait également dans chaque communiqué si elle a l'intention de mettre en oeuvre un programme d'achat d'actifs et elle indiquerait l'ampleur approximative du programme en question. L'institution expliquerait les grands objectifs de ses acquisitions d'actifs et la manière dont elles seraient financées. Les modalités détaillées seraient dévoilées à part.

Dans les communiqués qu'elle publie les jours d'annonce du taux directeur et dans ses rapports sur la politique monétaire, la banque continuerait de présenter son évaluation de la situation économique et des perspectives en matière d'inflation. Les discours que prononcent ses dirigeants et leurs témoignages devant les comités parlementaires, tels que celui-ci, seraient autant d'occasions supplémentaires où la banque pourrait rendre compte en détail de la façon dont elle conduit la politique monétaire. Comme toujours, la banque se réserve le droit d'annoncer de nouvelles mesures en dehors du calendrier établi pour tenir compte de circonstances exceptionnelles.

Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée, au terme de ma déclaration, de discuter avec votre comité de ce cadre et du rôle qu'il pourrait être appelé à jouer dans l'atteinte de la cible d'inflation de la banque.

[Français]

Permettez-moi de conclure en disant quelques mots sur les perspectives de l'économie canadienne.

Bien que le niveau d'incertitude demeure élevé, surtout du fait que l'économie canadienne dépende des forces à l'extérieur de nos frontières, nous restons confiants dans les perspectives d'une reprise économique future au Canada.

Cette reprise devrait être soutenue par les facteurs suivants : la remontée progressive de la demande extérieure; la fin de l'ajustement des stocks dans le secteur du logement au Canada et aux États-Unis; la solidité du bilan des banques, des entreprises et des ménages canadiens; le fonctionnement relativement efficace de notre système financier et l'amélioration graduelle des conditions financières au Canada; la dépréciation passée du dollar canadien; les mesures de relance budgétaire; et la rapidité et l'ampleur des mesures de politique monétaire prises par la Banque.

Sur ce, monsieur le président et distingués membres du comité, M. Jenkins et moi serons heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Monsieur Carney, vous avez indiqué que la Banque du Canada prévoit poursuivre son assouplissement quantitatif et qu'elle compte agir prudemment en limitant les risques liés à son bilan et en veillant à se désengager de ces stratégies au rythme approprié. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la nature de ces risques? Pouvez-vous nous préciser comment ils seront gérés, mis à part ce que vous avez déjà dit dans votre énoncé?

Est-ce que certaines séries d'événements pourraient précipiter la mise en oeuvre des mesures d'assouplissement quantitatif ou s'agit-il simplement d'évaluer la situation dans son ensemble?

M. Carney : Pour récapituler les définitions, l'assouplissement quantitatif signifie que la Banque achètera des actifs en les finançant par la création de réserves à la banque centrale. Ces actifs pourraient être des obligations d'État ou des titres privés, par exemple des obligations de sociétés. Dans le cas des obligations d'État, il n'y a aucun risque de crédit pour la Banque du Canada, mais il y a un risque lié au marché, notamment en raison de l'évaluation à la valeur de marché de ces obligations. S'il y avait une hausse généralisée des taux d'intérêt dans la courbe des taux, on verrait alors une baisse de l'évaluation à la valeur de marché pour ces obligations. La banque devrait alors choisir entre réaliser des pertes ou conserver les obligations jusqu'à leur échéance. Ce serait un risque à prendre pour son bilan.

L'autre risque, qui est plutôt similaire, concerne le risque lié au taux d'intérêt des obligations de sociétés, la hausse généralisée des taux d'intérêt et la perte en capital découlant du prix d'achat des obligations. Un autre risque associé aux obligations de sociétés touche le risque de crédit que pourrait devoir assumer la Banque du Canada advenant un problème de crédit associé à une obligation en particulier.

Afin de limiter les risques, il est important de bien cibler ces achats. Je vais enchaîner avec la deuxième partie de votre question parce que je crois que c'est pertinent. Une partie de la réponse consisterait à cibler les achats en fonction de la portion de la courbe des taux appropriée compte tenu de la situation économique. Il nous faut évaluer le tout en fonction des circonstances entourant l'économie. Dans mon introduction, mais vous trouverez aussi des détails dans le cadre de travail, j'ai parlé de la possibilité de conserver les obligations jusqu'à leur échéance, puisque leur valeur devrait normalement remonter à un certain moment, et que la perte liée à l'évaluation à la valeur du marché devrait être absorbée d'ici la date d'échéance. Tout devrait ensuite se replacer jusqu'à l'échéance de l'obligation. Dans le cas des obligations de sociétés, il est impossible de ne pas prendre de risque de crédit. Selon la taille des opérations, il pourrait être nécessaire de réaliser une partie de ce risque de crédit.

Le jugement devrait avoir une valeur relative lorsqu'il s'agit des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises sur le marché du financement des entreprises. Cela constituerait un véritable échec sur ce marché — ça ne se limiterait pas au fait que nous n'aimions pas le niveau des titres de société; ce serait un véritable échec du marché. Ce pourrait être, par exemple, une importante prime de liquidité adoptée en raison d'énormes problèmes sur le marché financier, et le risque-récompense serait tel que cette mesure aurait du bon sens.

Il faut savoir que la banque a un bilan financier solide. Par ailleurs, la banque a eu une capacité de gain considérable au fil des ans, les gains nets étant transférés au gouvernement fédéral. Je tiens à souligner que si on décide de prendre quelque mesure d'assouplissement du crédit que ce soit, ce devra être fait en étroite collaboration avec le gouvernement, étant donné ses aspects fiscaux.

Quand pourrait-on commencer à prendre ces mesures? Je tiens à répéter que notre position actuelle, c'est-à-dire notre politique et notre position générales, est suffisante — la combinaison des taux actuels et de notre engagement conditionnel. À l'heure actuelle, nous ne prévoyons pas qu'il sera nécessaire de prendre des mesures de relance supplémentaires, que ce soit par l'assouplissement quantitatif ou l'assouplissement du crédit.

Qu'est-ce qui rendrait la prise de mesures nécessaire? Un choc négatif — un choc négatif sur les perspectives économiques qui serait net, concret et continu — qui aurait une incidence sur les perspectives en matière d'inflation dans la mesure où nous ne croyons pas, vu le niveau de relance actuel dans l'économie par les politiques et les filets mis en place, atteindre la cible d'inflation dans un avenir rapproché. La banque devrait alors décider s'il faut d'autres mesures de relance. Si c'est le cas, nous évaluerions à ce moment-là où nous obtiendrions le meilleur rendement pour notre argent. Nous voudrions trouver ce qui aurait le plus grand impact sur l'ensemble des conditions financières, que ce soit des mesures d'assouplissement quantitatif ou d'assouplissement du crédit, ou encore une combinaison des deux, et cibler à nouveau l'inflation dans un proche avenir.

Pour résumer cette question compréhensible et hypothétique, je dirais qu'il est difficile d'y répondre parce que, comme vous l'avez mentionné dans votre déclaration préliminaire, les marchés financiers changent. Les contraintes auxquelles nous faisions face il y a deux mois ne touchent pas nécessairement les mêmes secteurs aujourd'hui. Il faut donc évaluer la situation à un moment donné.

Le président : Le sénateur Goldstein aimerait poser une autre question.

Le sénateur Goldstein : En ce qui concerne les mesures d'assouplissement quantitatif, vous avez laissé entendre dans votre exposé que si vous vous engagiez sur cette voie — ce qui n'est pas le cas en ce moment —, l'un des critères que vous prendriez en considération serait le suivant, et je cite : « Les mesures seraient appliquées de la façon la plus globale et la plus neutre possible. » Je ne sais pas ce que « neutre » signifie dans ce contexte. Pouvez-vous m'aider à comprendre?

M. Carney : Oui. Merci pour la question.

La meilleure façon de le qualifier est de le remettre dans le contexte d'une mesure d'assouplissement quantitatif; le principal aspect est la création de réserves par la banque centrale pour acheter des actifs publics ou privés. Concentrons-nous sur le côté privé, parce que c'est là que le principe de neutralité s'applique. À cet égard, la banque chercherait à être tout à fait neutre dans ses rapports avec les secteurs industriels et les régions. Il n'existe aucun élément de politique industrielle ici. Comme je l'ai dit plus tôt, il doit s'agir d'un échec du marché généralisé que nous nous efforcerions de corriger. Nous chercherions ensuite à utiliser des mécanismes qui permettraient d'appliquer les mesures de relance d'une manière générale. Dans le cadre, nous avons fait mention du recours possible aux adjudications.

Je ne dis pas que c'est ce que nous ferions, mais nous pourrions envisager une approche comme celle de la Banque d'Angleterre, qui procède à l'adjudication quotidienne de titres de tout acabit. Des limites de concentration seraient naturellement établies par secteur, par type de titre, et cetera, afin de ne pas cibler la relance d'un secteur économique en particulier ou d'une partie seulement de l'économie. Ceci s'explique par une évidence : nous nous intéressons à l'aspect macroéconomique, c'est-à-dire aux conditions financières globales. Les décisions de ce type seraient clairement du ressort du gouvernement.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Merci d'être avec nous. J'ai lu attentivement votre rapport et je dois dire que, probablement comme la plupart des Canadiens, il y a certainement des éléments qui m'échappent. Mais à la page 18, je peux lire vos propos concernant le coût et la disponibilité de crédit aux entreprises qui se sont encore détériorés au cours des trois derniers mois.

Quand vous avez, avec le ministre des Finances, décidé de racheter des hypothèques qui étaient garanties par le gouvernement, mais qui étaient à l'intérieur des banques canadiennes, pour un montant allant jusqu'à 200 milliards de dollars, je pensais que cela donnerait, au moins, des liquidités aux banques pour permettre des prêts aux entreprises. Ce n'est pas le phénomène qu'on a vu. On a plutôt constaté un resserrement du crédit.

Peut-être que les banques qui ont de meilleures performances se sont moins mal comportées sur les marchés que nos voisins, mais comment peut-on expliquer aux Canadiens, qui ont pratiquement repris sur leurs épaules un peu plus lourdement les 200 milliards d'hypothèques, le fait qu'il n'y a pas de crédit disponible et que sans crédit disponible, les entreprises ne peuvent pas avancer et générer de la richesse?

M. Carney : Si je peux utiliser le rapport et son graphique, on peut discuter de ce sujet très important. Premièrement, la croissance du crédit au Canada ralentit, mais il y a une croissance du crédit au Canada. Si vous regardez à la page 18 de la version française, graphique 12, la croissance du crédit aux ménages est encore plus forte que la moyenne historique. Pour les entreprises, la croissance diminue et c'est normal dans une récession. C'est un aspect de la demande pour le crédit en même temps que l'offre de crédit.

Le deuxième point concerne les taux de crédit. En haut du tableau 2, nous avons fourni les taux clés au Canada. Ces taux sont affichés et mis à jour sur notre site Internet chaque semaine. Les taux clés pour les entreprises, les taux d'obligation, à la dernière colonne, sont à peu près les mêmes qu'avant le début de la crise. Les primes de risque ont beaucoup augmenté, mais en somme, les taux pour les entreprises sont les mêmes. Mais les autres taux, les taux hypothécaires par exemple, ont chuté.

En ce qui concerne les taux hypothécaires variables au Canada, il est possible d'avoir un taux hypothécaire variable de 3 p. 100. C'est la première fois et probablement la dernière fois dans notre histoire.

Le sénateur Hervieux-Payette : J'espère.

M. Carney : Nous sommes neutres. C'est un principe de la banque. Nous sommes neutres à ce sujet. Il y a des effets, mais nous avons quand même des avantages dans ce contexte.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les entreprises elles-mêmes se plaignent. La plupart de mes collègues et moirecevons des plaintes des gens d'affaires. À ce moment-ci, quelle est la mesure que vous préconisez, une fois que vous êtes rendu à 0,25 p. 100 et que les banques n'augmentent pas la possibilité, pour les gens d'affaires, d'avoir accès à du crédit, comment peut-on garantir la croissance économique? Même si les ménages consomment, on a quand même un nombre accru de chômeurs. Surtout si on veut rejoindre l'objectif que vous avez fixé, qui m'a énormément impressionnée, parce que vous dites qu'en 2010, ce sera 2,5 p. 100 et en 2011, 4,7 p. 100. Mais pour en arriver là, il faudra que quelqu'un investisse quelque part et générer de la richesse.

Je me dis que vous avez probablement fait des simulations sur vos ordinateurs.

M. Carney : Plusieurs.

Le sénateur Hervieux-Payette : La chose que nous n'avons pas, non plus, comme outil, c'est le crédit accordé aux particuliers comparé aux entreprises. J'imagine que les montants sont plus importants pour les entreprises que pour les particuliers.

M. Carney : Il y a des défis. Les termes pour les entreprises deviennent plus difficiles. Ce ne sont pas les prix, mais les termes qui deviennent plus difficiles, nous l'avons vu dans notre sondage. Il y a des exemples dans notre rapport. Pour ce qui est des efforts des banques, il faut le dire, maintenant les banques canadiennes fournissent leur crédit aux entreprises; pas nécessairement au prix qui satisfait les entreprises, mais la situation au Canada est considérablement meilleure qu'ailleurs. Il n'y a pas de comparaison ailleurs.

Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Très brièvement, comme le gouverneur l'a mentionné, dans son ensemble, le taux de croissance reste positif pour le crédit aux ménages et aux entreprises. Dans le détail, les prêts aux entreprises des banques à charte sont aussi positifs. Les problèmes, dans un sens relatif, sont sur les marchés des capitaux; sur le marché du papier commercial par exemple.

Les entreprises qui utilisent cette source pour leurs capitaux sont dans une situation plus difficile. En même temps il est vrai aussi que, avec le ralentissement de l'économie, les taux de croissance du crédit aux ménages et aux entreprises sont moins robustes maintenant.

Comme le gouverneur l'a mentionné, comparé à la situation américaine où en Europe, c'est très différent ici.

Le sénateur Hervieux-Payette : Dernière question, j'observe le marché justement pour mettre plus de liquidités à la disposition des entreprises qui en ont besoin. Il y a des émissions d'obligations par les banques qui se font presque régulièrement, et récemment, à des taux qui sont quand même raisonnables pour celui qui met l'argent, mais assez intéressantes par rapport aux obligations du Canada.

D'un autre côté, entre ce que la personne va recevoir, 4, 5 ou 6 p. 100, et les 9, 10, 12 p. 100 et plus que l'entreprise va recevoir, on en parlait tantôt, les conditions font qu'il y a des écarts très grands. C'est comme si les entreprises venaient tout simplement de découvrir l'analyse de risque. C'est vrai qu'il y a moins de disponibilité au niveau de l'équité. Mais au niveau de la dette, est-ce que vous croyez que nos entreprises sont si dangereusement endettées pour que les banques soient aussi craintives?

M. Carney : Non. En général, nos entreprises ont des bilans forts. Et c'est un des avantages. Je voudrais vous assurer que nous suivons de près cette situation concernant la disponibilité du crédit aux entreprises et aux ménages au Canada.

En ce qui concerne les marchés de capitaux, car c'est un point très important, nous voyons quelques signes encourageants. Mais c'est trop tôt pour être entièrement rassuré en ce moment, en ce qui concerne le fonctionnement du marché des capitaux et surtout le fonctionnement des marchés des obligations corporatives.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Merci beaucoup d'être ici. J'ai une question en deux parties. Vos responsabilités portent bien entendu sur la politique monétaire, mais les gouvernements, c'est-à-dire le gouvernement fédéral et toutes les provinces, sont responsables de la politique budgétaire. Pouvez-vous nous exposer succinctement les pressions qui s'exercent sur vous actuellement, décrire les mérites relatifs de la politique budgétaire, donc essentiellement du projet de loi C-10, et nous expliquer ce que font ou ne font pas les provinces et comment fonctionne la politique monétaire aux côtés de ces budgets?

M. Carney : Voilà par quoi je vais commencer. Vous posez une question très importante, qui tombe à point nommé.

Je dirais tout d'abord que l'importance du choc économique subi outre-frontières et ses répercussions au Canada nous obligent à rajuster tant la politique monétaire que budgétaire. J'ai parlé assez longuement des rajustements apportés à la politique monétaire. Je dirais également que des rajustements importants ont été apportés à la politique budgétaire par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux au cours des derniers mois. Dans l'ensemble, ces rajustements vont de pair avec les mesures souhaitées par tous les pays du G20, donc par toutes les grandes économies de ce monde.

Tous semblaient s'entendre quant à la nécessité d'implanter des mesures discrétionnaires de relance de l'économie, de l'ordre de 2 p. 100 du PIB. On parle ici de décisions plutôt que de mécanismes de stabilisation automatique. Ces mécanismes sont très importants, mais il faut parfois les assortir de mesures discrétionnaires.

Le Canada a apporté des rajustements importants à sa politique budgétaire. Le Canada profite aujourd'hui, comme vous le savez, de tous les efforts déployés au cours des 15 dernières années par les citoyens et les gouvernements, qui ont mis de l'ordre dans la politique budgétaire du pays. Nous jouissons d'une marge de manœuvre financière considérable.

Dans des situations comme celle que nous vivons actuellement, une des choses dont il faut se rappeler, sur laquelle nous insistons, c'est qu'il est absolument essentiel de ne pas compromettre la crédibilité de ces politiques, sans quoi les mesures seront contre-productives. Nous sommes certainement d'avis que la crédibilité de la politique monétaire n'est pas compromise. Les attentes liées à l'inflation au Canada et les attentes à moyen terme demeurent bien ancrées au niveau de 2 p. 100. Diverses options s'offrent à nous, au besoin, pour permettre l'atteinte de cet objectif, mais nous n'y aurons recours que si le contexte l'oblige, et le ferons seulement dans la mesure nécessaire.

Si vous regardez l'éventail complet des mesures et pas seulement les statistiques, qui sont très éloquentes pour ce qui est de notre niveau d'endettement relatif et des cotes des titres gouvernementaux sur les marchés, vous verrez certainement que le Canada jouit d'une crédibilité et d'une souplesse financières énormes. Voilà une des choses qui nous permet de tenir le coup pendant cette période difficile.

M. Jenkins : J'ajouterais peut-être un autre élément pour ce qui est de la politique budgétaire. Des mesures de relance sont appliquées partout dans le monde, ce qui est très important pour le Canada. Étant donné que nous évoluons dans une économie ouverte, nous entretenons bien entendu des liens commerciaux directs avec des pays comme les États-Unis. Il faut également tenir compte de l'importance du prix des produits de base. Quand on pense à la politique budgétaire et à son rôle dans la relance de l'économie, il faut également penser à la dimension mondiale, car ces mesures sont appliquées par de très nombreux pays. À n'en point douter, toutes ces mesures contribuent à la relance globale de l'économie au Canada, qui profite des liens commerciaux qu'il entretient avec le reste du monde.

Le sénateur Harb : Il y a environ 18 mois, ce comité s'est rendu aux États-Unis pour y étudier le marché et la fonction du marché. Nous avons rencontré là-bas un certain nombre de gens qui gravitaient autour des fonds de couverture. Ces personnes nous ont dit qu'un désastre était imminent parce que le secteur n'était pas réglementé. Pour illustrer le principe, nos interlocuteurs ont renvoyé à l'image du troupeau : dès qu'un individu bouge, tous les autres suivent. Ils nous ont dit que l'effondrement allait provoquer un choc que tous ressentiraient. Certains membres du comité peuvent vous le confirmer, et c'est sans doute écrit dans notre procès-verbal.

Selon tout ce qu'il nous a été donné de voir et d'entendre au Canada, nos banques se portent bien parce qu'elles sont bien réglementées. Elles sont solides, bien gérées et représentent à peu près le seul secteur financier à n'avoir fait l'objet d'aucune intervention gouvernementale.

C'est très bien; toutefois, nous voyons de plus en plus dans le monde des gouvernements qui nationalisent les institutions, qui prennent possession de sociétés, et cetera. Est-ce qu'il faut s'attendre à des problèmes dans le futur? Lorsque nous discutons de commerce et d'investissement, de règles internationales, de l'OMC, et cetera, quelqu'un finira bien par mettre fin à ce genre d'activités, par exemple lorsqu'un produit reçoit une subvention directe du gouvernement et fait concurrence à un autre produit.

Vous avez discuté du type de relance qui permettrait d'en revenir à un taux d'inflation de 2 p. 100. Avez-vous discuté des conditions ou des facteurs sous-jacents? De quel type de normes parlons-nous? Avez-vous un plan d'urgence qui détermine pendant combien de temps vous pouvez continuer d'injecter de l'argent et de posséder, et cetera? Quelle est la stratégie de sortie?

De plus, sommes-nous appelés à faire quelque chose en tant que gouvernement ou que comité? Devons-nous formuler une recommandation en vue de l'adoption de nouveaux règlements?

Une des choses qu'on nous a dites aux États-Unis, c'est que le secteur financier n'était pas réglementé. Les fonds de couverture se sont effondrés et c'est la raison pour laquelle ils sont aux prises avec ce problème.

M. Carney : Monsieur le sénateur, vous avez soulevé plusieurs points très importants. Si vous le permettez, je dirais qu'ils relèvent de deux catégories. Tout d'abord, il y a celle de la « réciprocité » des marchés, comme je l'appelle : l'effondrement des fonds de couverture et les swaps. Ensuite, il y a les trains de mesures budgétaires adoptés à l'égard des banques, le soutien des systèmes financiers et toute la dimension internationale rattachée à ces questions.

Tout d'abord, pour ce qui est de la « réciprocité » des marchés, j'aurais quelques points à ajouter aux vôtres. Une des choses qui nous ont surpris dans toute cette crise, c'est qu'essentiellement, elle n'ait pas été causée par les fonds de couverture. Il y a deux ans et demi, certaines personnes auraient dit qu'un des maillons les plus faibles de la chaîne était l'industrie non réglementée des fonds de couverture, et que la dynamique était procyclique. En réalité, à l'origine de la crise, il y a eu les actifs défaillants et les produits structurés. Toutefois, la crise a été exacerbée par le système à proprement parler et, dans une certaine mesure, par les activités apparentées aux fonds de couverture et aux activités de positionnement et de négociation pour compte propre menées par les grandes institutions financières complexes établies de par le monde. La crise n'est pas attribuable à la multiplication des fonds de couverture.

Parmi les victimes de cette crise, on compte plusieurs marchés très importants à partir desquels se financent non seulement les sociétés, ce qui renvoie à la question des marchés de capitaux dont il a été question plus tôt, mais également les banques internationales reconnues pour l'efficacité de leurs opérations. La Banque du Canada est très préoccupée par la nécessité de constituer ce que nous appelons des marchés continus durables. Ces marchés essentiels — y compris ceux de prise en pension des titres de société, des obligations gouvernementales, du papier commercial et des produits dérivés de taux d'intérêt — doivent être exploités 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour assurer le bon fonctionnement de notre système.

Dans le monde, mais moins au Canada, tout juste avant l'effondrement de Bear Stearns et de Lehman Brothers tandis que le marché était mis à rude épreuve, ces marchés ont interrompu leurs activités. Ce faisant, ils ont causé d'énormes dommages à des institutions qui par ailleurs se portaient bien. Ils ne se sont pas nui eux-mêmes, mais ils ont porté atteinte à des institutions par ailleurs en bonne santé.

Mais revenons-en à aujourd'hui. Comment les gens mèneront-ils leurs affaires sachant qu'il est toujours possible que ces marchés interrompent leurs activités s'ils sont de nouveau mis à aussi rude épreuve? Nous trouvons cette situation inacceptable. Ces interruptions ne sont pas nécessaires. Elles sont attribuables à l'infrastructure du marché. Cette question peut se régler et nous nous efforçons à l'heure actuelle de trouver des solutions pour le Canada. Le Canada n'a pas été soumis à cette dynamique, en partie parce que ses marchés n'étaient pas aussi importants qu'ailleurs.

Pour avoir un système financier bien huilé, il faut non seulement des banques adéquatement gérées et financées, mais également des marchés résilients, dotés de la bonne infrastructure. Pour profiter des avantages, il faut vous tenir sur deux jambes. Le Canada pourrait se tenir sur deux jambes. L'une d'elles étant clairement assez solide, ne reste plus qu'à constituer la deuxième, ce qui ferait de nous un véritable chef de file mondial. Voilà ce que nous pensons.

La deuxième catégorie, elle aussi importante, est celle des trains de mesures budgétaires. Je parle moins du plan de relance budgétaire de 2 p. 100 auquel le sénateur Greene a fait allusion, qui constitue une politique budgétaire traditionnelle — l'infrastructure, les mesures fiscales, et cetera. Je parle plutôt des mesures budgétaires d'urgence appliquées en réaction à la crise de septembre 2008. Un certain nombre de pays ont adopté des mesures d'urgence efficaces à l'égard de leurs systèmes financiers, avant que le reste des pays concernés n'emboîte le pas.

Bien qu'elles ne s'en soient pas prévalues, les banques canadiennes ont l'option d'emprunter au marché en profitant d'une garantie offerte par le gouvernement du Canada. Des frais seraient normalement assortis à une telle démarche. Aux États-Unis, les banques ont cette option et elles s'en prévalent tout le temps pour des raisons évidentes. Au Royaume-Uni, c'est la même chose. Le temps est venu de mettre un frein à ces garanties pour remettre le système sur pied et le rendre pleinement fonctionnel, bref pour faire de lui le modèle qu'il devrait être.

Nous sommes conscients de toutes ces choses. Étant donné que nous avons le système financier le plus solide, c'est plus facile pour nous. Les garanties ne sont pas utilisées et nous pouvons y mettre un frein. Toutefois, il est préférable d'orchestrer les choses dans un souci de coordination, et non au détriment des autres.

La coordination doit également se faire en temps utile. Notre secteur financier se trouve toujours en position précaire. Au cours des prochaines semaines, des décisions importantes à propos des banques seront prises aux États- Unis, au Royaume-Uni et en Europe continentale. Ce n'est pas nécessairement le meilleur moment de se retirer de ce secteur. L'an prochain, lorsque le Canada assurera la présidence du G8, on peut l'imaginer jouant le rôle du courtier honnête pour régler certaines de ces questions. Nous verrons bien ce que l'avenir nous réserve.

Comme pour d'autres questions abordées précédemment, tout cela dépendra du contexte. Toutefois, le point que vous soulevez est tout à fait à propos. Il faut coordonner les efforts. Comme vous le proposiez, le Canada aurait un rôle à jouer parce qu'il n'a pas eu à recourir à ces instruments, ce qui lui assure une meilleure objectivité.

Le sénateur Harb : J'aurais une petite question complémentaire.

Le comité se penche actuellement sur les frais exigés par les sociétés émettrices de cartes de crédit. Certaines de ces sociétés ont publié leurs états financiers. Ces sociétés se portent très bien, et c'est une excellente nouvelle. Elles paient des impôts, ce qui est encore mieux.

Vous attendez-vous à des retombées négatives du côté des consommateurs qui ont emprunté de l'argent? Ils ont peut-être emprunté de l'argent pendant la crise et éprouvent peut-être encore des difficultés. Nous n'avons peut-être pas fini de voir les défauts de paiement du côté des consommateurs.

M. Carney : Ce n'est pas une petite question, bien au contraire. Si vous voyez les choses ainsi, je dois vous dire que ce comité a encore beaucoup de pain sur la planche. Nous savons que vous vous intéressez à cette question, comme d'autres sur la Colline. Comme vous le savez, ce n'est pas un problème pour la majorité des détenteurs de carte de crédit, en ce sens qu'environ 75 p. 100 d'entre eux règlent leurs soldes à la fin de chaque mois.

L'endettement des ménages a atteint des moyennes jamais vues. Il s'agit principalement de l'endettement dû aux hypothèques et aux marges de crédit. L'endettement associé aux cartes de crédit est demeuré statique tout au long de cette période. Cela ne signifie pas que personne ne s'est endetté au moyen d'une carte de crédit, mais, dans l'ensemble, nous ne l'avons pas observé.

Évidemment, les faillites personnelles ont augmenté. C'est une période difficile. Bien que nous puissions prévoir une croissance vers la fin de l'année et en 2010, la situation de l'emploi se détériorera davantage avant de s'améliorer. Il ne fait aucun doute que la pression se fera sentir sur certains ménages.

M. Jenkins : Nous suivons de très près l'évolution de la situation en ce qui concerne le bilan du secteur des ménages. Nous surveillons les tendances pour ce qui est de la croissance du crédit et des frais de service de la dette et la façon dont ils influencent la capacité du secteur des ménages de financer ses dettes. Dans une des publications principales de la banque, la Revue du système financier, nous soumettons de façon générale le système financier à des tests de tension. Il est certain que nous surveillons étroitement le secteur des ménages pour toutes les raisons que vous avez avancées.

Le sénateur Gerstein : Monsieur Carney, à la page 11 du Rapport sur la politique monétaire d'avril, la Banque dresse une liste d'un certain nombre de facteurs qui devraient soutenir une reprise économique anticipée. Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les conditions préalables essentielles pour qu'il y ait une reprise économique?

M. Carney : Merci pour votre question, c'est un point important à préciser. D'abord et avant tout, la principale condition préalable est la stabilisation du système financier mondial. Nous avions déjà établi cette condition préalable dans nos prévisions de janvier. En fin de compte, nous avons été déçus des progrès enregistrés à cet égard.

Que faut-il pour que le système financier mondial se stabilise, malgré le rendement encourageant enregistré récemment dans divers marchés financiers dans le monde? Il faut rétablir, stabiliser et consolider le système bancaire aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans le territoire continental européen, ainsi que de façon générale. Nous nous réjouissons du fait que des plans très complets ont été mis en place à cette fin dans ces pays clés. Il faut maintenant les mettre en œuvre. Demain, l'annonce des résultats des tests de tension marquera une étape importante de cette mise en œuvre aux États-Unis. L'étape suivante sera la vente d'actifs de certaines de ces institutions phares au moyen d'une série d'instruments établie par le Trésor américain et la Réserve fédérale américaine.

Il faut procéder à ces deux étapes. La transparence est de mise, de sorte que la situation des déficits financiers soit présentée de façon crédible. Il doit aussi y avoir une injection de capitaux, et des capitaux du gouvernement seront prévus comme filet de sécurité. Il semble que ce ne sont pas toutes les banques qui auront besoin de ces capitaux, mais elles auront le temps de se procurer elles-mêmes les capitaux dont elles auront besoin. Par ailleurs, une séparation des actifs est essentielle pour que nous ayons des banques qui fonctionnent bien et qui cherchent à miser sur l'avenir plutôt qu'à résoudre les problèmes du passé, situation qu'on connaît bien.

Il s'agit de la condition préalable la plus importante. Dans le contexte de la stabilisation du système financier mondial, il est aussi important que les travaux du G20 continuent de progresser de façon constante en vue de créer la nouvelle architecture financière. À la banque, nous sommes extrêmement heureux des résultats de la réunion des dirigeants du mois d'avril, et plusieurs décisions clés ont été prises. En gros, je dirais que nous sommes passés de 30 000 pieds de principes à 5 000 pieds d'objectifs. Malheureusement, il reste encore beaucoup à faire, mais le processus permet aux personnes chargées d'accomplir le travail de se concentrer sur ce qu'elles doivent faire. Si nous continuons à progresser, nous aurons la confiance nécessaire.

Le sénateur Gerstein : Si je comprends bien ce que vous dites, vous estimez que, sur le plan national, les éléments nécessaires pour soutenir la reprise sont en place?

M. Carney : Il est certain que nous devons rester vigilants, parce que l'incertitude qui plane est énorme et qu'il va y avoir d'autres chocs et reculs. Je ne voudrais pas vous donner l'impression que nous marchons au radar.

Cela dit, un vaste plan de relance est en place. Comme toujours, il faut du temps pour que les mesures de relance monétaire et budgétaire aient une incidence, et nous croyons que les effets se feront de plus en plus sentir au cours de cette année, mais surtout en 2010. De façon similaire, les plans de relance budgétaire internationaux auxquels M. Jenkins faisait allusion auront des incidences en 2010 grâce aux produits de base, par l'entremise de la voie commerciale. Nous avons fait preuve de transparence à l'égard de la forme que devrait prendre, à notre avis, notre plan de relance et des limites qu'il devrait comporter. Notre scénario de réussite demeure cohérent. Compte tenu de la vitalité de l'économie, s'il n'y a pas de perturbations négatives et que le système financier mondial continue de se stabiliser, nous nous attendons à ce que la croissance reprenne à la fin de cette année et à ce qu'elle s'accélère en 2010.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Premièrement, j'aimerais profiter de l'occasion pour vous féliciter. Il y a deux semaines, vous avez décidé de réduire votre taux d'escompte à 0,25 p. 100 et vous vous êtes engagés à ne pas le changer pour une période de 12 à 13 mois. Je suis convaincu que cela mènera à une stabilité et que cela apportera une contribution importante à notre croissance économique. Cela a été courageux. Dans l'histoire de la Banque du Canada cela n'avait jamais été fait auparavant. Donc en mon nom et au nom de tous les Canadiens, félicitations, messieurs.

Le but de ce Rapport de politique monétaire ainsi que le but de notre rencontre aujourd'hui est de mieux comprendre les risques. On lit le rapport, qui contient 32 pages en français et 28 pages en anglais et on essaie de comprendre.

Vous dites qu'au quatrième trimestre, on prévoit une croissance économique. Vous projetez 2,5 p. 100 l'an prochain et 4,7 p. 100 en 2011. Cependant, dans le même rapport, vous parlez d'assouplissement quantitatif. Le lecteur tout comme moi, simples Québécois, essayons de comprendre le risque. Quelle est votre certitude quant à ces taux de 2,5 et de 4,7 p. 100? Ne va-t-on pas plutôt avoir une décroissance et avoir recours à l'assouplissement quantitatif?

On lit toutes ces pages, et on essaie de comprendre au bout du compte, de façon très simple, quelles sont les probabilités d'avoir une croissance économique. Vous êtes quand même les experts au Canada, vous êtes les plus crédibles, les plus versés dans ce domaine. Êtes-vous très confiants d'atteindre les 2,5 p. 100 l'année prochaine? Êtes- vous juste confiants? Êtes-vous certains à 90 p. 100? À 10 p. 100? Quel niveau de confort peut-on chercher?

Parce qu'effectivement on essaie de rechercher cette confiance en lisant les 32 pages en français. Je n'arrive pas à savoir si l'on doit être confiant, très confiant ou pas si confiant. Quelle est votre opinion sur ce point?

Une réponse très courte fera l'affaire.

M. Carney : Comme d'habitude, c'est une question difficile. C'est notre prévision, notre scénario de référence. Et c'est la conjoncture économique la plus probable d'ici la fin de 2010. Mais il est clair qu'il y a un grand éventail d'incertitude. Nous venons de discuter des défis concernant la stabilisation du système financier mondial.

Il y a également des risques à la baisse en ce qui concerne la collection des déséquilibres mondiaux, ces fameux déséquilibres mondiaux. Il y a des risques à la hausse en même temps. Il se peut que les consommateurs et les entreprises reprennent confiance plus rapidement que prévu. Ou encore que la reprise à l'échelle du globe soit plus forte qu'escomptée.

Mais bien sûr il y a des risques. Et vers la fin de ce rapport, à la page 28, il y a une définition des risques. Pour la première fois, la Banque du Canada a publié une projection relative à l'inflation mesurée par l'IPC global. Si vous êtes pessimiste, on peut juger la probabilité d'avoir un taux d'inflation plus bas que prévu ou, si vous êtes optimiste, plus haut.

J'ai l'impression que vous êtes plus confiant que cela. Quand vous dites probablement 51 p. 100, je suppose que vous êtes plus confiant que cela.

M. Carney : Il y a quelques points ici. Mais au fond, nous avons le mandat d'atteindre le taux cible d'inflation et nous avons des options. S'il y avait un choc à la baisse, nous prendrions une des options, par exemple l'assouplissement quantitatif ou l'assouplissement du crédit, pour atteindre notre taux cible d'inflation.

Le sénateur Massicotte : Je ne persisterai pas parce que je pense que je n'aurai pas de réponse. Concernant l'assouplissement quantitatif, quand on regarde les mesures disponibles, le but c'est de donner les liquidités au marché bancaire. Si je me souviens bien, cela fait quatre à six mois, avec le ministre des Finances, que vous avez fait des déclarations selon lesquelles les banques canadiennes ne faisaient pas leur part. Elles ne faisaient pas assez d'efforts pour mettre les liquidités sur le marché. Les banques canadiennes ont répondu, malgré vos commentaires, que leur taux de prêts augmentait, en termes quantitatifs, de 9 p. 100.

Il y a toujours un risque. Vous pouvez mettre plus de liquidités sur le marché, mais il n'est pas certain que ces liquidités vont aller vers les prêteurs. Si je comprends bien, par exemple au Japon, ils ont essayé la même chose, mais cela n'a pas fonctionné parce que les banques ont réservé leur capital pour leurs propres besoins. Comment gérez-vous ce risque et comment peut-on s'assurer que, même si vous faites des efforts, les banques vont effectivement faire leur part pour s'assurer que le marché canadien en bénéficie?

M. Carney : Si j'ai bien compris votre question, elle comporte deux aspects. En ce qui concerne la situation au Japon, dans les années 1990, leur politique était de cibler effectivement le passif de la banque centrale, c'est-à-dire de créer de nouvelles liquidités pour la Banque centrale du Japon. Ici, notre cadre est l'amélioration des conditions financières financée par la création de nouvelles liquidités par la Banque centrale du Canada. Nous ciblerions les actifs, pas les passifs. Dans un sens, c'est entièrement différent comme cadre, comparativement au fait de gérer la politique monétaire « at the effective lower bound ».

M. Jenkins : En ce qui concerne le cadre que nous avons présenté dans le rapport sur la politique monétaire, le but des mesures, si ces mesures sont nécessaires, est d'améliorer les conditions financières dans l'économie globale, pour le Canada, pour augmenter le taux de croissance réel dans l'économie; c'est là-dessus qu'on se concentre. Au Japon, la situation dans les années 1990 était différente. L'approche que nous utiliserions dans notre cadre est différente dans le sens où le souhait est d'augmenter le niveau de crédit et le fonctionnement des marchés financiers.

[Traduction]

Le président : Le sénateur Eyton a un bref commentaire à ajouter rapidement.

Le sénateur Eyton : Mon commentaire porte sur les taux d'intérêt ciblés. Nous savons en quoi ils consistent et qu'ils sont le principal outil de votre politique monétaire. Nous semblons bien nous débrouiller à cet égard maintenant. Nous tirons parti de l'expérience japonaise. Nous avons beaucoup entendu parler de l'inflation, mais nous n'avons absolument rien entendu dire à propos de la stagflation et des risques que cela se produise. Je tiens compte du contexte d'un plan de relance de deux ans dans le cadre duquel nous avons tout misé sur un programme d'une durée limitée qui, à notre avis, nous donnera des réponses.

Est-il possible qu'une stagflation se produise après la période du plan de relance de deux ans? Si c'était le cas, que ferions-nous? Nous aurions mis à exécution un programme dynamique qui n'aurait peut-être pas donné tous les résultats souhaités.

M. Carney : C'est notre travail de veiller à ce que la partie « flation » de la stagflation ne se produise pas. Nous préciserions sans aucun doute que, à notre avis, nous avons les outils nécessaires pour atteindre la cible d'inflation à partir du bas, si je puis dire. Comme nous en avons parlé plus tôt, nous prévoyons un fléchissement de l'inflation totale de l'indice des prix à la consommation cette année, puis un retour à la cible d'ici le troisième trimestre de 2011. Nous avons les outils nécessaires pour ramener l'inflation à l'objectif visé et la maintenir à ce niveau ou pour empêcher qu'elle échappe à tout contrôle lorsque nous utiliserons ces outils.

Pour ce qui est de l'inflation, nous exprimerions de nouveau notre intention d'atteindre notre cible, en prenant soin de préciser que nous avons la capacité pour y arriver.

Le problème, par contre, si vous me permettez de généraliser un peu votre question, c'est qu'il doit y avoir un transfert à partir d'un plan de relance du secteur public visant à combler un écart qui découle de la crise et qui touche aussi bien la consommation et l'investissement au pays que notre position et notre contribution en matière d'exportations nettes, et ce, à partir des exportations nettes. Ce transfert doit avoir lieu. Il proviendra en partie de la reprise de nos marchés d'exportation, dont nous avons besoin. Pour bien comprendre nos prévisions, vous devez savoir que nous ne nous attendons pas à ce que les États-Unis enregistrent une croissance explosive. Nous prévoyons une croissance plutôt timide en 2010 et 2011. Nous ne prévoyons pas que la croissance mondiale atteindra les niveaux atteints plus tôt au cours de cette décennie. Cela aura des répercussions.

Nous constatons toutefois que les bilans sont bons du côté des entreprises, et qu'ils sont solides du côté des ménages. Le transfert devrait être possible, mais nous devons gérer les politiques ensemble d'une manière crédible pour que les gens aient la confiance nécessaire pour prendre les rênes. Nous avons vraiment besoin de voir que les progrès se poursuivent ailleurs. Si la demande extérieure s'affaiblit, la croissance au Canada va s'affaiblir, mais nous allons nous concentrer sur l'inflation.

Le sénateur Oliver : Ma question fait suite à celle du sénateur Eyton. Elle porte sur l'inflation à moyen terme. J'imagine qu'il s'agit du troisième trimestre de 2011 maintenant.

Vos observations sont claires. Aujourd'hui, vous nous avez dit que nous allions toujours établir notre taux directeur à un niveau compatible avec la réalisation de notre cible d'inflation de 2 p. 100 au cours de l'horizon visé pour la politique monétaire, et que la banque s'était engagée à maintenir le taux de financement à un jour à un quart de pour cent jusqu'en juin 2010. Au moment où nous allons sortir de la récession, les prix de l'énergie devraient augmenter. La confiance rétablie des consommateurs entraînera une augmentation de la demande à l'égard des biens et services à une période où les stocks seront très, très réduits. Vous vous attendez à une croissance exceptionnelle, comme vous l'avez dit, à 4,7 p. 100. Devrions-nous nous inquiéter du risque que, dans la deuxième moitié de 2010, les taux d'intérêt soient augmentés, et peut-être considérablement, pour maintenir l'inflation dans l'échelle visée de 1 à 3 p. 100? Si vous commencez à augmenter les taux d'intérêt, cela causera-t-il des problèmes pour les entreprises qui veulent investir et accroître leurs activités?

M. Carney : Merci, sénateur, pour votre question.

Le premier élément dont il faut tenir compte, c'est que l'économie canadienne a subi un grand bouleversement. C'est le cas pour le présent trimestre et le trimestre prochain, et même compte tenu du taux de croissance que nous enregistrons au quatrième trimestre, qui a donné lieu à un écart de production, soit la différence entre le potentiel de croissance de l'économie et la situation dans laquelle elle se trouve, qui sera considérable — ce n'est pas du tout sans précédent, mais c'est considérable. Il faudra du temps. En fait, d'après nos calculs, il faudra jusqu'au troisième trimestre de 2011 pour que cet écart se resserre, même avec de forts taux de croissance.

Le sénateur Oliver : Donc, au troisième trimestre de 2011, vous allez devoir commencer à augmenter les taux d'intérêt?

M. Carney : Nous avons certes fait preuve d'une transparence considérable. Normalement, nous vous ferions part de notre dernière décision du bout des lèvres. Nous vous en ferions part, mais nous ne ferions pas preuve d'une aussi grande transparence, et je ne veux pas en dire plus. Les taux d'intérêt vont, à un moment donné, être plus élevés qu'aujourd'hui, mais c'est à un moment donné à l'avenir.

Le sénateur Oliver : Une fois que vous aurez commencé à augmenter les taux, y aura-t-il une restriction en ce qui concerne la croissance pour les personnes qui veulent accroître de nouveau leurs stocks et développer leur entreprise et qui veulent emprunter pour le faire?

M. Carney : Nous allons veiller à ce que les conditions financières soient compatibles avec une croissance durable, plutôt qu'une croissance inflationniste, une croissance qui est conforme à la cible d'inflation de 2 p. 100. Il y a une foule d'autres facteurs, par exemple le retour d'une certaine dose de confiance, l'amélioration continue des conditions financières au pays ou d'autres aspects liés à la demande.

J'aimerais toutefois faire un autre commentaire, si vous me le permettez, parce que c'est important. À notre avis, l'un des risques d'une situation comme celle-ci, c'est que la perspective du potentiel de croissance de l'économie n'est pas tenue à jour. Par conséquent, en tant que banque centrale, on pourrait se surprendre à penser qu'il y a une capacité et un écart de production plus grands que dans les faits. C'est la raison pour laquelle nous avons examiné attentivement ce qu'est, à notre avis, le taux de croissance potentielle au Canada. Dans ce rapport, l'une des boîtes techniques en fait la description.

Essentiellement, compte tenu de l'ampleur de la restructuration qui est en cours, en particulier dans notre secteur manufacturier, et compte tenu de nos prévisions pour ce qui est de l'investissement cette année et l'année prochaine, nous croyons que la croissance de la productivité sera beaucoup moins grande que ce qui avait été prévu. Par conséquent, le taux de croissance potentielle est inférieur cette année, et il le sera l'année prochaine de même qu'en 2011. En fait, le niveau de départ du potentiel de croissance de l'économie est lui aussi inférieur.

Il en résulte que l'écart est moins grand qu'il le serait autrement. C'est important. On peut mieux encadrer la gestion des politiques par la suite, pour que nous ne passions pas à côté de notre objectif, mais que nous l'atteignons évidemment.

Je voudrais dire une dernière chose à ce sujet. Nous faisons normalement le point sur le potentiel une fois par année, en octobre. Vu l'ampleur de ce qui s'est passé et l'importance de cette information, nous avons refait une mise à jour dans ce rapport et nous réviserons les données en octobre, pour que la population et le comité aient une meilleure idée de la limite de vitesse, si je peux dire, de l'économie canadienne.

Le sénateur Moore : D'abord, merci aux témoins pour leur présence.

Combien de personnes travaillent à la Banque du Canada?

M. Carney : Il y a 1 200 employés.

Le sénateur Moore : En juin dernier, nous avons examiné le projet de loi C-50, qui a reçu la sanction royale le 18 juin. Ce projet de loi accordait de nouveaux pouvoirs à la Banque du Canada, d'énormes pouvoirs, qui lui permettent d'acheter ou de vendre à n'importe quelle personne des titres ou d'autres instruments financiers qui satisfont à la politique établie par le gouverneur en vertu du paragraphe 18.1. Et si le gouverneur estime qu'une tension grave et exceptionnelle s'exerce sur un marché ou un système financier, la banque peut acheter ou vendre tous titres ou autres instruments dans la mesure jugée nécessaire selon lui. L'article suivant prévoyait que la banque devait établir une politique et la publier dans la Gazette du Canada.

Avant de parler davantage de la politique publiée le 26 juillet, et de ce qui s'est passé ici, j'aimerais vous poser une question. Vous avez été invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales et vous avez décliné l'invitation, ce que je trouve vraiment surprenant, compte tenu des pouvoirs que vous demandiez.

Pourriez-vous nous donner des détails à ce sujet?

M. Carney : Je ne me souviens pas exactement des circonstances entourant cette demande.

Le sénateur Moore : Je sais qu'on vous a fourni trois dates pour votre comparution, et que vous ne vous êtes pas présenté devant le comité. Vous n'avez pas délégué M. Jenkins, que nous connaissons, ni aucun autre des 1 200 employés. Pourtant, le fait qu'on accorde ces pouvoirs à la banque était un événement marquant.

Revenons à la politique que vous avez publiée le 26 juillet. J'ai été surpris quand je l'ai lue. Elle ne s'applique pas seulement à votre capacité d'acheter des instruments au Canada. Elle vous permet d'élargir l'éventail des titres achetés au-delà des obligations et des bons du Trésor du gouvernement du Canada, et d'inclure tout titre émis par le gouvernement du Canada ou par le gouvernement des États-Unis; par les États membres de l'Organisation de coopération et de développements économiques; les obligations de sociétés et de municipalités en dollars canadiens, y compris les obligations libellées en dollars canadiens émises par des entités étrangères; les acceptations bancaires libellées en dollars canadiens et assortis d'une échéance qui ne dépasse pas 365 jours; les billets à ordre dont l'échéance ne dépasse pas 365 jours; le papier commercial, y compris le papier commercial adossé à des actifs; et enfin, les titres à plus d'un jour adossés à des actifs et libellés en dollars canadiens.

Vous avez le pouvoir discrétionnaire de faire ces transactions, et vous devez les annoncer. Il n'est pas précisé combien de temps à l'avance vous devez les annoncer. En bas, en petits caractères, on peut lire : « Ce pouvoir est inscrit dans la Loi depuis 2001. » Je parle ici de la deuxième partie, qui vous permet de faire les transactions à l'extérieur du Canada. Si cet élément figure dans la loi depuis 2001, je me demande pourquoi il a été répété dans la nouvelle loi. Est-ce que ce pouvoir a déjà été utilisé?

M. Carney : Oui. Je vais vous répondre.

D'abord, en vertu de l'alinéa 18g)(ii) de la loi, auparavant 18g.1), qui est entré en vigueur en 2001, la banque pouvait faire exactement ce que vous disiez, y compris, je dirais aussi, acheter des actions. L'exigence à respecter était et est encore...

Le sénateur Moore : Ce ne serait pas possible avec des actions.

M. Carney : Si vous lisez l'alinéa 18g)(ii), vous verrez qu'il le permet. Le gouverneur doit déclarer les tensions graves et exceptionnelles dans l'économie. Il doit faire cette déclaration au moment approprié, peut-être après les faits, peut- être avant. Cette mesure s'inspire de l'expérience vécue au Japon, où ça s'est avéré nécessaire.

Je voudrais maintenant parler des changements rattachés au projet de loi C-50. Le but était de moderniser les options dont dispose la banque pour injecter des liquidités dans le système financier. Il existait une liste très détaillée du genre de titres que la banque pouvait acheter ou vendre. Certains n'ont plus cours sur le marché canadien. Et ceux qui sont transigés et qu'il faut prendre en considération, comme le papier commercial adossé à des actifs, et d'autres formes d'obligations de l'État et du Trésor émis par des gouvernements étrangers, ne figuraient pas sur la liste. Ils ont été inclus dans les modifications à la loi, et la banque a publié une politique.

Vous demandiez si nous avions eu recours à la politique?

Le sénateur Moore : C'est une question que j'ai posée, oui.

M. Carney : Avec la chute de Lehman Brothers, AIG a plongé, et toute une série d'établissements bancaires américains se sont trouvés en difficulté. Lorsque les marchés monétaires et financiers internationaux ont connu un gel des liquidités, la banque a appliqué la politique en question pour injecter des liquidités dans le système financier canadien, et veiller à ce que les ménages et les entreprises du Canada continuent à accéder à des liquidités. On peut voir d'après les tableaux qu'ils ont continué à avoir accès aux liquidités et au crédit pendant la crise. Nous avons procédé avec des garanties. Nous avons fourni des liquidités aux banques.

Le sénateur Moore : Aux banques canadiennes, vous voulez dire?

M. Carney : Oui, aux banques canadiennes, et nous avons repris les titres que vous avez mentionnés pour être plus sûrs.

Le sénateur Moore : Vous ne parlez pas ici des hypothèques?

M. Carney : Oui, tout à fait. Nous donnons aussi de l'information à ce sujet. Je fais référence ici à une section sur le crédit qui se trouve sur notre site web. Vous y trouverez la liste de toutes les facilités et la composition de notre bilan. Les titres que nous avons repris sont énumérés. Tous ces renseignements sont publiés. Nous utilisons ces titres pour protéger notre bilan, parce qu'en fait, nous accordons un prêt à une banque pour qu'elle puisse continuer à fonctionner.

Le sénateur Moore : Quand vous dites « facilités », vous voulez dire des titres?

M. Carney : Oui.

Le sénateur Moore : Est-ce que cela s'ajoute aux 200 millions de dollars en hypothèques que vous avez achetées des banques à charte canadiennes?

M. Carney : La Banque du Canada n'a pas acheté d'hypothèques. C'est le gouvernement du Canada qui en a acheté, pour un montant beaucoup moins élevé. Il s'agit du Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés du gouvernement du Canada. Notre bilan représente environ 75 milliards de dollars. Et je voudrais aussi ajouter, si vous me permettez, que la capacité de la banque de prendre des mesures d'assouplissement quantitatif ou d'assouplissement du crédit — je parle d'acheter des titres pour améliorer les conditions financières de sorte que les ménages et les entreprises du Canada accèdent à un crédit suffisant — afin d'atteindre l'objectif d'inflation, est prévue à l'alinéa 18g)(i) de la Loi sur la Banque du Canada, et n'exigerait pas la déclaration de tensions graves et exceptionnelles au pays, sur le coup ou plus tard.

Le sénateur Moore : Est-ce prévu dans la deuxième partie?

M. Carney : C'est prévu dans la Loi sur la Banque du Canada de 2001. Les dispositions de cette loi cadrent avec les pouvoirs attribués à la Réserve fédérale américaine, à la Banque d'Angleterre, à la Banque centrale européenne, à la Banque du Japon, à la Reichsbank, à la Banque nationale suisse, et à toutes les autres grandes banques centrales.

Le sénateur Moore : Il aurait été plus éducatif et instructif si vous étiez venus nous voir en juin dernier et aviez abordé cette question avec nous et le public canadien.

Est-ce que la Banque du Canada achèterait des éléments d'actif toxiques, comme l'a fait Henry Paulson, l'ancien secrétaire du trésor aux États-Unis?

M. Carney : Nous avons environ 26 milliards de dollars impayés en facilités de liquidité. Elles sont prêtées en contrepartie de titres de très grande qualité. Il ne s'agit pas d'achats, mais de prêts garantis sur titres. Les éléments d'actif toxiques ne se qualifieraient pas. La réponse courte concernant ces facilités est non.

Le sénateur Moore : Vous ne les achèteriez pas.

M. Carney : Si jamais nous poursuivions l'assouplissement du crédit, nous le ferions de la manière la plus neutre possible. Les éléments d'actif toxiques sont généralement concentrés. Ils sont toxiques parce qu'ils consistent en un secteur ou un type précis de titres. C'est pour cette raison que nous avons un principe de neutralité indépendant du principe de prudence, qui protège adéquatement notre bilan et qui éviterait l'achat d'éléments d'actif toxiques. La neutralité et la prudence empêcheraient de faire de tels achats dans l'éventualité où nous décidions de poursuivre l'assouplissement du crédit, ce qui demeure une question ouverte.

Le sénateur Eyton : J'aimerais parler des prêts fixes aux entreprises. Nous savons que le taux de la banque est à un creux historique et que vous vous êtes engagés à le maintenir à ce niveau encore longtemps. En général, les banques suivent à peu près la tendance afin que leur marge augmente un peu. Cependant, les banques ont mentionné que leurs coûts d'emprunts avaient augmenté et que, par conséquent, il leur a été difficile de se conformer entièrement à la tendance dictée par les taux du financement à un jour de la Banque du Canada.

De plus, les banques canadiennes et internationales hésitent à accorder des prêts interbancaires. À cause du coût d'emprunt pour financer leurs activités et de l'absence de prêts interbancaires, il est plus difficile pour les banques de réagir comme vous l'auriez souhaité.

Est-ce que les initiatives et les développements récents ont contribué à la stabilisation des coûts d'emprunts aux banques? Est-ce que le taux diminue? De la même manière, les prêts interbancaires sont-ils plus fréquents?

M. Carney : Merci pour cette question. Il s'agit de problèmes importants avec lesquels nous sommes aux prises depuis le début de la crise en juillet 2007. On a observé d'énormes tensions, tout d'abord dans le marché interbancaire, puis, d'une manière plus générale, dans les marchés du financement à long terme. Il me fait plaisir de signaler que dans les deux cas, le coût du financement s'est amélioré considérablement pour les banques. Le tableau 11 présenté à la page 15 de la version anglaise du Rapport sur la politique monétaire indique que les frais de financement des banques canadiennes changent en fonction de taux variables. Vous pouvez y voir les taux à court terme, qui sont inférieurs à 1 p. 100, ce qui est conforme à l'abaissement du taux de la Banque, et à plus long terme, les écarts de la dette sur cinq ans. Les frais de financement bancaire au Canada ont commencé à diminuer de façon marquée comme nous l'avions prévu. Nous avons observé cette réaction. Les banques canadiennes n'ont pas eu recours aux garanties du gouvernement. On a en partie misé sur le Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés, qui a contribué aux frais de financement et a été un élément important.

Dans le marché interbancaire, nous avons observé un important progrès au cours des derniers mois. Le Canada a toujours eu le plus faible écart du marché interbancaire en ce qui a trait au taux du financement à un jour prévu. Nos écarts ont chuté à 20 ou 25 points de base. Par comparaison, aux États-Unis, les écarts ont commencé à descendre à 75 ou 80 points de base après avoir été nettement supérieurs à 100. Les écarts observés en Europe et au Royaume-Uni sont légèrement plus élevés que ceux des États-Unis. Nous avons toujours eu un meilleur rendement. Nous sommes presque revenus aux niveaux qui ont précédé le début de la crise, pas seulement la série de faillites de Lehman. Nous approchons de ce qui pourrait être la nouvelle normale.

Pourquoi avons-nous eu un si bon rendement? Il ne fait aucun doute qu'il est en partie attribuable à la force de nos institutions.

Pour être honnête, pendant cette période difficile, notamment d'octobre jusqu'au dernier échange, c'est grâce aux facilités fournies par la Banque du Canada et autorisées en vertu de l'alinéa 18g)i) de la Loi sur la Banque du Canada. La combinaison des deux a permis de redresser la situation. La capacité des banques de financer en grande partie sur la base de liquidités est un des signes encourageants des marchés financiers.

Avec le départ du président, je souhaite soulever un autre point. Nous avons fait autre chose en ce sens le 21 avril. Nous avons fourni des liquidités au moyen de facilités provenant des 26 milliards de dollars, et ce, dans un horizon d'un à trois mois. Nous avons observé une amélioration, mais compte tenu du temps qu'il faudra pour stabiliser la situation financière mondiale, ce travail se fera au cours de cette année et de la prochaine. Il sera nécessaire de fournir une mesure de liquidités de la Banque du Canada pour cette année civile.

Pour cette raison, et afin de renforcer notre engagement conditionnel au maintien de notre taux du financement à un jour à 25 points de base, nous allons prolonger certaines de ces facilités d'un mois et de trois mois par des émissions de valeurs mobilières venant à échéance à six mois et à 12 mois. Nous avons fait une enchère afin que les banques aient à lutter pour obtenir cet argent, mais nous aurons un plancher de 25 points de base et un plafond de 50 points de base. Cela prouve que nous investissons notre argent comme nous l'avons dit. Nous prêtons avec garantie jusqu'à 12 mois à un taux qui correspond au taux du financement à un jour attendu. Cela a également aidé le marché.

Le sénateur Eyton : J'étais à New York lundi dernier. Un sage a essayé de m'expliquer les programmes gouvernementaux américains. Un de ces programmes est le TARP, le Troubled Asset Relief Program, qui a essentiellement pour but de bâtir les bilans des banques et des compagnies d'assurance. Le deuxième est un programme d'investissement public-privé, le PPIP. Dans le cadre de ce programme, ils achètent pour les prêts et les titres des actifs traditionnels à des conditions très favorables.

Le troisième est le Term Asset-Backed Securities Loan Facility, le TALF, qui n'en est qu'à ses premiers balbutiements. Il est semblable aux PPIP intermédiaires, sauf qu'il s'adresse aux nouveaux titres et prêts.

Ce qu'ils couvrent rejoint vos assouplissements quantitatifs et du crédit. C'est essentiellement la même chose. Ce qui m'a inquiété en tant que Canadien quand j'ai entendu ça, c'est l'énorme quantité d'argent en jeu. Ensemble, ces programmes totalisent environ 3 billions de dollars.

J'aimerais connaître vos commentaires sur ce que j'appellerais la dislocation ou les difficultés du marché étant donné l'importance du prêt et la proximité des États-Unis. Le Canada et les États-Unis représentent fondamentalement un seul et même marché, même en incluant nos institutions financières. Je me suis penché sur le total de ces facilités et je me suis demandé quelles pourraient être les répercussions au Canada. Elles doivent être importantes. De quelle manière composez-vous avec ça?

M. Carney : Premièrement, comme nous le savons évidemment tous, il y a la taille du Canada relativement à celle des États-Unis. Nous devons regarder la taille de leur économie et utiliser le facteur de multiplication par 10 habituel.

Deuxièmement, il y a l'importance relative qu'a toujours eue aux États-Unis le secteur financier non bancaire qui a pour effet d'accroître l'ampleur de ce qui s'y fait. Comme vous le savez, ce secteur est bien plus important aux États- Unis qu'il ne l'est ou ne l'a jamais été au Canada. C'est le secteur qui a été le plus lourdement touché. Par conséquent, particulièrement en ce qui a trait au TALF, l'attention se porte sur ce qu'on appelle maintenant les éléments d'actifs toxiques, du côté des valeurs mobilières. Le marché est en déconfiture et les dégâts sont considérables.

Ils essayent d'offrir du même coup une mesure de l'assouplissement du crédit — pour utiliser notre terminologie — en relançant ce marché à l'aide de capitaux privés et publics. Ce n'est pas un problème qui touche le Canada, parce que nous n'avions pas de marchés de produits structurés de grande envergure. Nous en avions un, qui était le papier commercial adossé à des actifs non bancaires. Il a maintenant été restructuré et corrigé.

Le sénateur Eyton : Qu'en est-il de l'investissement canadien dans ces éléments d'actifs qui se retrouve au Sud?

M. Carney : Nous n'avons pas entendu parler pour le moment d'investissements, et nous n'essayerons jamais de contrecarrer ces investissements. Ce n'est pas notre rôle.

Il est dans l'intérêt du Canada dans l'économie mondiale que ces facilités fonctionnent et que ces marchés soient restructurés, éradiqués ou relancés. Le PPIP, auquel vous avez fait référence, permet de retirer les prêts traditionnels et les prêts dits toxiques du bilan. Ça fait partie des conditions sine qua non dont nous avons parlé précédemment, et nous devons y voir des améliorations.

Le sénateur Eyton : Par conséquent, notre situation est satisfaisante.

M. Carney : À cet égard, nous tirerons profit de la mise en œuvre fructueuse de ces facilités. Nous ne sommes pas directement exposés à ces facilités. Nous ne sommes qu'exposés aux répercussions découlant de leur bonne ou de leur mauvaise gestion.

Le sénateur Ringuette : Une des questions que je me pose à cet égard concerne le marché du crédit. Vous avez parlé précédemment de 75 milliards de dollars de prêts hypothécaires assurés pour une possibilité de 200 milliards de dollars déterminée par le gouvernement fédéral. On m'a dit que le taux d'intérêt des fonds du gouvernement prêtés pour fournir de la liquidité à notre système bancaire était de 1,7 p. 100. Pourriez-vous confirmer cette information?

M. Carney : Je ne suis pas le mieux placé pour vous donner le taux d'intérêt précis, mais le taux d'intérêt plancher pour la facilité est en lien avec le tarif payé sur les obligations hypothécaires du Canada émises par la SCHL. Pour les besoins de ce comité, en termes très généraux, ces écarts ont changé, mais ils se situent à 75 points de base — soit les trois quarts de 1 p. 100 — au-dessus du taux auquel emprunte le gouvernement du Canada.

Deux aspects caractérisent la manière dont le taux est fixé. Le cours de compensation de ces facilités est fixé au moyen d'enchères. Par conséquent, le taux que j'ai mentionné est le taux plancher, et il ne peut pas être plus bas. Les banques doivent faire une offre. Par conséquent, le cours de compensation actuel est supérieur au taux plancher, ce qui n'arrive pas très souvent, mais il est supérieur au taux plancher actuel.

Le fait est que le gouvernement assume déjà les risques de ces hypothèques. Elles sont garanties par le gouvernement. Le gouvernement emprunte au taux qui lui est consenti et prête à un taux supérieur. Par conséquent, il y a un écart entre les deux sans assumer le risque au titre du fisc.

Le sénateur Ringuette : Je commence à être plutôt bien informée sur les cartes de crédit, mais je ne peux en dire autant pour ce qui est du crédit mondial. Je vous prierais donc de me corriger.

Je suppose que la quantité d'argent disponible dans le bassin de crédit mondial est limitée. Si le gouvernement du Canada acquiert 200 milliards de dollars, plus encore 12 milliards de dollars pour la situation des éléments d'actifs liés aux locations de voitures, ça enlève de la liquidité quelque part, parce que le gouvernement du Canada n'a pas de réserve. La Banque du Canada a une réserve, mais pas le gouvernement du Canada. Il doit emprunter cet argent.

M. Carney : Tout d'abord, je laisserais le soin au comité de vérifier cette information, mais je ne crois pas que le total soit de 200 milliards de dollars.

Le sénateur Ringuette : C'est le chiffre qu'ils ont donné. Cependant, il y a actuellement 75 milliards de dollars plus 12 milliards de dollars.

M. Carney : Deuxièmement, la réalité ici est qu'il s'agit d'éléments d'actifs. Ce sont des hypothèques qui figurent actuellement dans le bilan des banques.

Le sénateur Ringuette : Je comprends tout ça. La question que je vous posais portait sur les liquidités.

M. Carney : Ces actifs sont financés par le bilan des banques.

Le sénateur Ringuette : Bien.

M. Carney : En les revendant au gouvernement, on améliore les capacités de prêt des banques, ce qui nous a bien servis.

Le sénateur Ringuette : Oui.

M. Carney : Ensuite, le gouvernement du Canada a un actif et un passif nets qui compensent...

Le sénateur Ringuette : Ce que je vous demande, c'est de me dire où le gouvernement du Canada trouve l'argent.

M. Carney : Le programme d'emprunt du gouvernement a été bonifié au cours de cette année. Il emprunte de l'argent sur les marchés comme il le fait normalement.

Le sénateur Ringuette : C'est ce que je disais. Le gouvernement emprunte de l'argent sur le marché mondial du crédit. Si le gouvernement du Canada emprunte de l'argent sur le marché mondial du crédit, les liquidités disponibles dans ce marché sont moindres. Le marché ne dispose que d'un certain montant.

Le sénateur Massicotte : C'est comme une carte de crédit dont la limite est plus élevée.

Le sénateur Ringuette : Exactement.

Supposons que le gouvernement du Canada emprunte 75 milliards de dollars en plus des 12 milliards d'actifs liés à des locations, si je peux dire, cela fait 87 milliards, auxquels on ajoute les milliards du déficit, ce qui nous donnerait un total d'environ 100 milliards de dollars à 1,7 p. 100 d'intérêt. Les banques canadiennes peuvent acheter au sein du même marché de liquidités, à un taux de 1 p. 100. Alors, est-ce vraiment une aubaine pour nos institutions bancaires si nous payons 0,7 p. 100 de plus? Nous avons empêché un accès rapide aux liquidités à nos institutions bancaires.

M. Carney : Ce qu'on peut voir après que la poussière soit retombée, c'est que les banques repaient au gouvernement la totalité du 0,75 p. 100, ou un peu plus, lors des adjudications. Les banques n'ont pas besoin d'emprunter sur le marché.

Le sénateur Ringuette : Non, c'est le gouvernement qui le fait.

M. Carney : Le gouvernement est un emprunteur bien plus efficace que les banques. Sur le plan du volume, le gouvernement est un plus grand émetteur, c'est pourquoi il emprunte par l'entremise des banques. Aucune banque au Canada n'empruntera par l'entremise du gouvernement du Canada. Le gouvernement facture, sans aucun risque pour lui-même, trois quarts de 1 p. 100, ou plus, selon les résultats des adjudications.

C'est possible à cause de la manière dont nous avons établi notre marché hypothécaire, parce que comme vous le savez, le gouvernement fournit ce filet par l'entremise de la SCHL. Le gouvernement tire parti de la structure du marché hypothécaire canadien pour fournir ce financement et établir un filet. Du point de vue d'une banque privée, c'est un financement qu'ils devaient offrir auparavant et qu'ils n'ont plus besoin d'offrir. Ils paient pour cet avantage. Du point de vue du gouvernement, ça n'ajoute pas à la dette nette ni au risque net.

Le sénateur Ringuette : En réalité, on doit payer 0,7 p. 100 de plus au marché.

M. Carney : Le gouvernement doit prendre la décision, mais on parle de trois quarts de 1 p. 100 environ sur un grand volume. C'est de l'argent dépensé par le gouvernement et approuvé par le Parlement.

M. Jenkins : D'un point de vue global, un des éléments que nous avons dû gérer depuis le début de cette crise a été ce qu'on appelle le processus de désendettement. C'est l'inverse de l'énorme endettement qui nous a mis dans l'embarras. Par exemple, avec ce processus de désendettement, les gens sont retournés aux marges de crédit bancaires.

Nous voulions favoriser la croissance du crédit à l'échelle du marché. On pourrait y arriver en étendant le champ des institutions financières canadiennes, et dans le cas présent, des banques, afin d'offrir du crédit aux ménages. En achetant ces hypothèques aux banques, le gouvernement a pu ensuite leur donner la capacité d'aller plus loin et de prêter encore plus d'argent aux Canadiens.

On trouve ici une couverture globale particulièrement importante. Il ne s'agit pas tant d'utiliser les liquidités que d'en libérer pour que l'argent disponible soit vraiment utilisé pour créer du crédit.

Le président : Avez-vous une autre brève question, sénateur Ringuette?

Le sénateur Ringuette : Oui.

Le président : Il y a quatre autres personnes qui désirent poser des questions.

Le sénateur Ringuette : Par rapport à la déclaration de la Chine il y a quelques semaines relativement au dollar américain, et à la possibilité d'envisager d'autres moyens de mesurer les économies mondiales, quelles seraient les incidences sur l'économie américaine, et plus indirectement sur la nôtre, si une telle chose se produisait?

M. Carney : L'un des défis que nous devrons relever sera le rééquilibrage durable de l'économie mondiale. Nous avons dit plus tôt que l'un des risques était de ne pas y arriver dans l'horizon visé par nos prévisions. De plus, il n'y a certainement aucun signe indiquant un renversement du processus, ou un changement notable à l'horizon. Nous aurons besoin d'un mélange de politiques de gestion de la demande et de politiques structurelles dans les principales économies, y compris celles des États-Unis et de la Chine.

Je crois que ces pays le reconnaissent. Les taux de change auront un rôle à jouer dans cet ajustement, mais il n'y a pas nécessairement lieu de changer le système des taux de change.

L'article du gouverneur de la banque de Chine est intéressant, mais on doit le lire dans une perspective à très long terme.

Le sénateur Ringuette : En d'autres mots, vous ne voulez pas répondre.

M. Carney : Il s'agit d'une réflexion qui doit se faire sur une très longue période, et je ne crois pas que ce soit une proposition pertinente dans nos prévisions actuelles.

Le sénateur Fox : Je dois dire que j'admire votre maîtrise de la langue. J'ai dû répondre à des questions à la Chambre des communes, mais je ne crois pas m'en être tiré aussi bien que vous. Je sais que vous ne voulez pas faire la une de certains journaux économiques demain.

M. Carney : Nous verrons les manchettes demain. C'est très gentil, sénateur, mais on ne sait jamais.

Le sénateur Fox : Mes questions iront droit au but. Je n'entends plus le mot « déflation », même si, il y a quelques mois, il y avait des craintes à cet égard. Est-ce qu'on peut cesser de s'en inquiéter en ce moment?

Deuxièmement, vous dites que la reprise doit être appuyée par certains facteurs, l'un de ces facteurs étant la dépréciation du dollar canadien il y a quelque temps. On voit une faible hausse du cours du pétrole. Aujourd'hui, il était à 56 $. La dette des États-Unis croît énormément. Si nous sortons de cette récession, le prix des biens de consommation risque de croître et cela aura un effet sur le dollar canadien. Quels instruments de politiques avons-nous afin de maintenir le dollar canadien à un niveau intéressant pour les exportations, alors que nous avons des taux d'intérêt aussi bas que ceux que nous avons aujourd'hui? J'imagine que nous ne pouvons plus nous baser là-dessus.

Troisièmement, et je sais que M. Jenkins en a parlé, vous dites que la vigueur des ménages canadiens devrait contribuer à la reprise. Je suis quelque peu préoccupé par cette affirmation. Plus de ménages canadiens sont sans emploi que par le passé. De nombreuses personnes ont vu fondre leurs REER, et on sent une inquiétude réelle à l'égard de l'existence même des régimes de retraite. À quel point peut-on se fier sur ce pilier pour la reprise? Ce sont mes trois questions.

M. Carney : Nous essaierons d'y répondre rapidement. Je pourrais ne pas vous donner de réponse sur la devise. Qu'en pensez-vous? Nous gagnerons du temps. C'est seulement une question de temps.

Pour ce qui est de la déflation, qui consiste en une baisse durable et généralisée des prix, nous considérons que le risque de connaître une déflation au Canada est faible. Nous nous attendons cependant à un indice total des prix à la consommation négatifs au cours du présent trimestre et du troisième trimestre. Nous nous attendons à ce que l'indice de référence atteigne un plancher et rebondisse ensuite. Peut-être que la déflation n'est pas sur nos écrans radars, mais j'aimerais rappeler qu'un taux d'inflation qui se situe assez longtemps sous la cible nous préoccupe autant que s'il était au-dessus. C'est pourquoi nous prenons des mesures qui visent à nous assurer que nous reviendrons à la cible assez rapidement.

Ça explique également en partie pourquoi nous gérons les politiques aussi agressivement pendant cette période, maintenant que nous connaissons l'ampleur de certaines de ces forces.

Quant à la devise, j'aimerais dire très brièvement qu'un taux de change flexible fait partie intégrante de notre cadre. Ce pays a été bien servi par un taux de change flexible. Nous le surveillons étroitement et il y a un lien avec ce qui peut advenir de l'inflation au Canada dans le cas où des fluctuations constantes de la devise pourraient nous mener vers un resserrement global. D'après moi, vous aviez quatre questions. Je vais répondre à la troisième et laisser la quatrième, qui concerne les consommateurs, à M. Jenkins.

Vous avez dit que nous n'avons plus d'instruments. Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le sénateur, mais nous disposons d'autres instruments, et c'est pourquoi nous voulions publier ce rapport ainsi que le cadre. Honnêtement, nous aurions préféré qu'ils soient publiés avant de témoigner devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat pour que nous puissions en discuter. Soyons clairs. La banque a encore des outils importants et nous pourrions les utiliser pour atteindre les cibles relatives à l'inflation si nécessaire.

M. Jenkins : Monsieur le sénateur, je vais répondre très brièvement à votre dernière question. Dans notre scénario de référence, la consommation des ménages doit repartir à la hausse en 2010 et au début de 2011. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous surveillons étroitement ce qui se passe concernant le bilan du secteur des ménages. Nous sommes entrés dans cette période difficile dans une position beaucoup plus forte que presque tous les autres pays. Oui, le secteur des ménages est moins riche, mais grâce aux plans de stimulation qui sont en place, que ce soit au pays ou sur le plan international, nous prenons de la vitesse à mesure que nous avançons, nous voyons le nombre d'emplois augmenter, et la consommation sera un facteur important de ce scénario.

Le sénateur Goldstein : Il y a quelques mois, le magazine The Economist a rapporté l'inquiétude de certains économistes au sujet du financement commercial, particulièrement dans le domaine immobilier; un grand nombre d'hypothèques immobilières qui arrivent à échéance d'ici la fin de 2009 et le début de 2010, les prêteurs pourraient être réticents à les financer de nouveau, et il n'y aurait peut-être personne d'autre pour le refinancement.

Plus récemment, un bulletin d'information auquel je suis abonné et qui provient des États-Unis a rapporté les mêmes inquiétudes. Avez-vous des préoccupations en cette matière, et est-ce que la situation pourrait être inquiétante pour le Canada?

M. Carney : Je vous remercie d'avoir posé cette question. L'environnement de financement pour les biens immobiliers commerciaux est globalement très difficile aux États-Unis, c'est évident. C'est en partie une conséquence de la situation économique. C'est également en partie une conséquence des graves problèmes que le marché des titres adossés à des hypothèques commerciales a connus et des problèmes généralisés des marchés structurés. Ce contexte est très difficile aux États-Unis.

Même si nous sommes moins touchés, il est très difficile d'obtenir du financement au Canada. Nous nous en inquiétons et nous surveillons étroitement les impacts que cela pourrait avoir sur l'économie et sur les perspectives économiques. Nous avons rencontré à ce sujet, cette semaine, un certain nombre de joueurs importants, non seulement du milieu de la finance mais aussi du secteur du développement et de la construction.

Le sénateur Day : J'aimerais clarifier deux points et ensuite poser une question au sujet de laquelle vous serez peut- être en mesure de nous aider.

Le premier point à clarifier concerne la politique monétaire et les faibles taux d'intérêt. Vous avez parlé de mesures d'assouplissement quantitatif, ce qui suppose la création de réserves à la banque centrale. Dans quelques semaines, nous serons appelés à nous prononcer sur le Budget principal des dépenses. Est-ce que ce Budget principal des dépenses fera état de la création de ces réserves à la banque centrale ou procédera-t-on d'une autre façon?

M. Carney : Non.

Le sénateur Day : Qu'entendez-vous faire si cette mesure ne figure pas dans le Budget principal de dépenses?

M. Carney : Elle est inscrite dans notre bilan, qui est publié chaque semaine sur notre site web. Je fais référence ici à un guichet unique d'information sur toutes ces questions et accessible grâce à un lien situé dans le coin supérieur gauche de notre site web. Vous n'avez qu'à cliquer et ce lien vous amène à notre bilan et à tous les renseignements sur le sujet.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, si nous décidons de mettre en œuvre une telle stratégie, le conseil d'administration de la Banque du Canada entend l'annoncer à l'avance et diffuser régulièrement, à date fixe, les détails des décisions que nous prendrons les jours où elles seront prises. Ainsi, nous entendons annoncer en détail et à l'avance les mesures adoptées. D'ailleurs, vous pourrez suivre le déroulement de la stratégie grâce au bilan hebdomadaire.

Le sénateur Day : C'est utile.

Le deuxième point à éclaircir concerne les amendements à la Loi sur la Banque du Canada qui ont été adoptés en juin de l'an dernier en vertu de la Loi d'exécution du budget. Dans votre réponse au sénateur Moore, vous avez indiqué que d'autres administrations disposaient de pouvoirs semblables. Est-ce que l'exécution du budget était le bon moment pour mettre en oeuvre ces amendements que vous demandiez depuis quelque temps, ou les avez-vous mis de l'avant spécifiquement pour faire face au ralentissement économique anticipé?

M. Carney : Ce n'est pas à cause du ralentissement anticipé de l'économie. Je parlerais plutôt de conjoncture tenant au fait que les éléments visés de la Loi de la Banque du Canada étaient désuets, et que nous ne disposions que peu de pouvoirs pour assurer le type de facilités de liquidité et d'autres mesures, qui, à notre avis, pourraient se révéler nécessaires si la crise devait perdurer, et qui l'ont effectivement été. Évidemment, je ne parle pas pour le gouvernement, car celui-ci disposait d'un ensemble de mesures liées à la stabilité des systèmes financiers. Toutefois, ces amendements constituaient un élément de cet ensemble, et il semblait tout naturel de les inclure dans le projet de loi d'exécution du budget, mais la décision lui revenait.

De notre point de vue, nous parlions de modernisation, quelque chose que nous souhaitions depuis longtemps. Toutefois, ces amendements ont été mis en lumière par tout ce qui est arrivé sur les marchés mondiaux. Nous aurions été, disons, dans l'obligation de déclarer une urgence nationale au niveau du système bancaire central, assortie d'importants pouvoirs par opposition à un mécanisme plus direct et prévu dans un cadre stratégique.

Le sénateur Day : Lorsqu'on nous présente un projet de loi d'exécution du budget, il est difficile pour nous d'aborder tous les aspects qu'il comporte. En fait, la difficulté pour nous était que nous ne comprenions pas vraiment les effets de ces amendements, d'où ils provenaient et dans quel but.

Ma dernière question porte sur le projet de loi C-10. Il s'agit des amendements à la Loi sur les banques, lesquels figurent à la page 258 du projet de loi C-10. En effet, l'article 275 du projet de loi ajoute le paragraphe 983.2(1) à la loi. Nous avons adopté cet amendement, mais il serait intéressant de savoir ce qu'il signifie au juste.

Le paragraphe se lit comme suit : « Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par décret prévoir que telle disposition de la présente loi — la Loi sur les banques — ou de ses règlements ne s'applique pas à une banque, à Sa Majesté du chef du Canada ou à l'un de ses mandataires ou organismes ou à toute autre personne autrement assujettie à cette disposition. »

Êtes-vous en mesure de nous aider au sujet de ce paragraphe?

M. Carney : J'aimerais être le gouverneur en conseil, ce que je ne suis pas, pas plus que je ne suis ministre des Finances; alors, je ne vous suis d'aucune aide.

Le sénateur Day : Alors, vous ne connaissez pas cet article? Je crois que sa raison d'être est de permettre au gouvernement du Canada de prendre des fonds du Trésor pour les investir dans les banques.

M. Carney : Je ne connais pas les détails de cette disposition.

Le sénateur Massicotte : Au Canada, nous avons été très chanceux si l'on regarde les répercussions de la crise sur notre structure, mais d'autres pays dans le monde ont eu moins de chance. Les États-Unis se demandent quoi faire pour réglementer et gouverner, comment mettre en place des systèmes efficaces.

La semaine dernière, vous avez répondu à la même question devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Vous avez dit que, indépendamment du fait que nous avions connu des temps plus heureux, nous devions apprendre de l'expérience d'autres pays et envisager certains changements dans notre façon de réglementer notre propre industrie. L'Autriche a adopté un rôle de prudence tandis que la Banque du Canada joue un rôle différent. De quelle façon pouvons-nous changer notre système de façon à éviter le plus possible les surprises désagréables à l'avenir?

M. Carney : Conformément à l'entente conclue entre les leaders du G20, en avril, et aux recommandations des ministres et des gouverneurs de la banque centrale, il y a quelques semaines de cela, je dirais que l'une des choses les plus importantes est que tous les organismes de réglementation, dans le sens le plus large, doivent tenir compte des incidences que les mesures qu'ils prennent ont sur la stabilité des systèmes financiers, autrement dit, ils doivent réfléchir au système dans son ensemble ainsi qu'à leur responsabilité première.

Je parle ici de toute une série de questions que, si nous avions plus de temps, je serais heureux de discuter plus en détail. Je parle ici de questions comme la réglementation en matière de comptabilité, de capitaux des banques, de pensions et d'hypothèques ainsi que les ententes relatives à la marge des marchés financiers, qui peuvent avoir des effets malencontreux d'amplification et, ultimement, déstabiliser le système. Une première chose : l'existence de cette responsabilité connexe à l'égard du système. Et deuxièmement, il doit y avoir un mécanisme de coordination et de formulation des points de vue concernant le système afin que les décisions prises puissent être des décisions éclairées.

Ces responsabilités ne relèvent pas de la Banque du Canada, mais celle-ci assume une responsabilité générale qui consiste à examiner la stabilité financière conformément au préambule de la Loi sur la Banque du Canada. À ce moment-ci, nous considérons que notre rôle en est un de défense de nos intérêts, à savoir cerner les problèmes et en faire part à des comités comme celui-ci, et enfin, aux Canadiens. Nous entendons continuer à assumer un tel rôle.

Cependant, ce rôle est quelquefois difficile à assumer étant donné que lorsque l'institution définit les problèmes et nous en informe, les conseils que nous formulons ne sont pas toujours suivis. Dans certains cas, les problèmes sont relevés et signalés à maintes reprises. Dans le cas qui nous intéresse, le seul problème grave lié au marché des capitaux que nous avons eu dans le contexte de la présente crise a été relevé par la banque il y a de cela quelques années. En fin de compte, la banque a eu un rôle important à jouer, conjointement avec le gouvernement, à savoir trouver une solution à ce gâchis, bien que nous n'ayons aucune responsabilité directe à cet égard.

Le sénateur Moore : Monsieur Carney, pouvez-vous préciser ce que je crois que vous avez dit, c'est-à-dire qu'avec une approche prudente et équilibrée, vous pourriez acheter des actifs toxiques ou douteux?

M. Carney : Comme le mot « neutre » signifie « vaste », et que le mot « toxique » signifie « étroit »; que « prudence » égale « sécurité » et « toxique » signifie risqué, il est hautement improbable, compte tenu de nos principes, que nous achetions de tels actifs. En fait, la seule mise en garde que j'essaie de formuler est que le mot « toxique » a une définition incroyablement élastique.

Le sénateur Moore : Je m'inquiète du risque moral d'une telle démarche compte tenu de l'iniquité que peut susciter une mauvaise décision lorsqu'il y a de l'argent en jeu.

M. Carney : C'est à la fois un point extrêmement important et tout à fait juste et un élément dont il faut toujours tenir compte dans l'une ou l'autre de ces activités. Cela se résume à une concentration dans certains secteurs. En effet, si certaines institutions ou certains secteurs sont récompensés pour de mauvaises décisions, c'est contreproductif sur le plan des efforts visant l'objectif global. Franchement, il n'est pas nécessaire d'atteindre l'objectif global, qui est d'améliorer la situation financière pour atteindre la cible d'inflation.

Je peux assurer les sénateurs que l'expression « risque moral » est probablement utilisée plus fréquemment à la Banque du Canada que n'importe où au pays. Il s'agit d'une grande préoccupation pour nous. Nous étudions en long et en large la conception d'un nouveau système financier à mettre en oeuvre après la crise et nous réfléchissons à nos activités ainsi qu'à la façon de minimiser le tout, parce que les gens savent ce qui a été fait in extremis. Alors, comment restructurer le système?

Le sénateur Moore : Ne les laissez pas prendre avantage sur vous.

M. Carney : Nous y réfléchissons très sérieusement.

Le sénateur Moore : Tant vous que M. Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale, avez parlé de l'importance de stabiliser le système bancaire américain. Si je ne me trompe pas, vous avez dit que la Banque du Canada s'attend à une relance à la condition que les É.-U. et le R.-U. stabilisent leurs systèmes. Bien que cet aspect soit important pour le Canada, vous n'avez pas signalé qu'il s'agissait de l'un des facteurs susceptibles de soutenir la reprise au Canada. Dans quelle mesure est-ce important? Est-ce la clé de votre planification?

M. Carney : Il s'agit d'une condition préalable absolument essentielle à la reprise tant au Canada qu'à l'échelle mondiale. Cette condition préalable est énoncée clairement; elle figure dans le libellé de notre décision et est diffusée dans le rapport sur la politique monétaire.

Le sénateur Moore : Effectivement. Je me demande pourquoi vous n'en avez pas parlé aujourd'hui.

M. Carney : Ce n'est certainement pas parce qu'elle est devenue moins importante. Bien que nous ayons confiance dans la nature des plans et dans la volonté de l'administration américaine et d'autres administrations dans le monde, tout se résume à l'exécution. Ces plans doivent être mis en oeuvre. Ces plans sont effectivement mis en oeuvre, mais ils sont compliqués, alors il nous faudra du temps.

Un manque à gagner très important aura une incidence sur les activités et l'inflation au Canada, et la Banque du Canada entend réagir en conséquence.

Le président : Dans quelle mesure les liens entre les banques et les firmes de placement ont-ils contribué à aggraver la crise économique? Est-ce que votre travail serait plus facile s'il n'y avait aucun lien entre elles?

M. Carney : La crise a été amplifiée et s'est propagée en raison de problèmes survenus dans certaines institutions financières importantes et complexes, tant des banques que des firmes de placement. Rétrospectivement, nous constatons que la gestion de ces institutions était inefficace et qu'elles étaient très endettées.

L'expérience canadienne a démontré que si les institutions sont bien gérées et que leur niveau d'endettement est raisonnable, il peut y avoir des liens entre les banques et les firmes de placement. Pour revenir au point soulevé par le sénateur Massicotte, on peut tirer des leçons des erreurs commises ailleurs. Nous devons nous en inspirer pour mettre notre système à l'abri des risques éventuels.

Le président : Merci, monsieur Carney et monsieur Jenkins. Comme toujours vos témoignages ont été enrichissants et informatifs. Nous apprécions que vous ayez repris et maintenu la tradition de votre participation au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous vous souhaitons du succès dans votre travail; un travail très important pour les Canadiens. Nous félicitons la Banque du Canada des efforts qu'elle a déployés.

M. Carney : Merci beaucoup sénateur. Nous serons très heureux de nous présenter de nouveau devant ce comité.

(La séance est levée.)


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