Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 11 - Témoignages du 22 octobre 2009
OTTAWA, le jeudi 22 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à qui a été confié le projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bon matin, chers collègues. Ce matin nous poursuivrons l'examen du projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence.
Selon le résumé, le projet de loi S-232 aurait les conséquences suivantes :
[Français]
Le projet de loi S-232 modifie la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues afin de faciliter la fabrication et l'exportation de produits pharmaceutiques pour remédier aux problèmes de santé publique touchant de nombreux pays en voie de développement et pays les moins avancés, en particulier les problèmes résultant du VIH/SIDA, de la tuberculose, du paludisme, et d'autres épidémies.
[Traduction]
Nous commencerons la séance d'aujourd'hui avec l'UNICEF, une organisation internationale que bon nombre de nous connaissons pour son engagement dans diverses initiatives, notamment pour la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant, la prévention de l'infection chez les jeunes ainsi que le traitement et la protection des enfants victimes du sida.
Nos témoins de ce matin pour l'UNICEF sont M. Robert Gass, personne-ressource pour le VIH pédiatrique à l'UNICEF; Mme Meg French, directrice, Programmes internationaux; et M. Tenu Avafia, spécialiste des politiques du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Propriété intellectuelle et droit commercial.
Bienvenue, et merci d'être parmi nous aujourd'hui. Monsieur Gass, la parole est à vous.
Robert Gass, personne-ressource pour le VIH pédiatrique à l'UNICEF, UNICEF : Merci beaucoup, monsieur le président et distingués sénateurs. C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui et j'aimerais vous remercier pour l'occasion que vous me donnez de parler en faveur du projet de loi proposé, le projet de loi S-232, qui vise à modifier le Régime canadien d'accès aux médicaments adopté par le Parlement en mai 2004.
Le Sénat canadien mérite des félicitations pour avoir tenu compte des besoins des personnes des pays sous- développés et agi en conséquence, surtout en ce qui concerne les pays les plus touchés par des maladies mortelles comme le VIH, la tuberculose et la malaria. L'UNICEF, pour laquelle je travaille, est aussi déterminé à améliorer la guérison, surtout chez les femmes et les enfants, et à trouver de nouvelles façons innovatrices d'y arriver. C'est dans le haut de notre liste de priorités. Aussi croyons-nous que la loi proposée pourrait permettre la mise en place d'un mécanisme important pour assurer à long terme un accès durable aux médicaments et ainsi protéger les populations les plus vulnérables.
Pour les prochaines minutes, j'aimerais attirer votre attention sur les besoins particuliers des nourrissons et des enfants affectés et infectés par le VIH dans les pays sous-développés, et sur la façon dont les modifications à la loi pourraient leur être bénéfiques.
Selon le plus récent rapport sur le VIH d'Accès universel des Nations Unies, émis il y a trois semaines seulement, on évalue à 2 millions le nombre d'enfants aux prises avec le VIH dans le monde, sur un total de 33 millions de personnes infectées par ce virus. En 2007, 370 000 enfants ont contracté le VIH, et tous nécessitaient un traitement immédiat, sans parler de ceux qui y étaient déjà admissibles. Le VIH tue beaucoup d'enfants, surtout dans les pays les plus touchés. Rien que pour 2007, on a dénombré 270 000 enfants morts à cause du VIH. Ça équivaut à environ 7 p. 100 de tous les enfants qui meurent avant l'âge de cinq ans en Afrique subsaharienne. Cependant, certains pays sont plus touchés que d'autres, si bien que la proportion d'enfants qui meurent du VIH peut atteindre 25 p. 100.
La progression de la maladie est beaucoup plus rapide chez les nourrissons et les enfants que chez les adultes. Environ 30 p. 100 des enfants infectés par le VIH meurent avant l'âge d'un an, et 50 p. 100 avant d'avoir atteint deux ans. Par contre, le fait de recevoir un diagnostic d'infection au VIH ne se traduit pas toujours par une condamnation à mort. Le fait de traiter la maladie suffisamment tôt peut faire une énorme différence. Une étude réalisée en Afrique du Sud a démontré que lorsque le traitement commençait avant qu'un nouveau-né infecté par le VIH atteigne 12 semaines, le taux de mortalité diminuait de 75 p. 100. Un des problèmes qu'il faut régler d'urgence est que, trop souvent, il n'y a pas de médicaments ou ceux qui sont disponibles ne sont pas adéquats pour traiter des enfants. Modifier la loi actuelle pourrait aider à créer des occasions d'affaires et ainsi contribuer au développement de formules pédiatriques adaptées aux enfants.
Le nombre de traitements à prix abordable offerts aux adultes a augmenté plutôt rapidement, mais les traitements pour enfants n'ont pas suivi le rythme. Les enfants ne sont pas des adultes miniatures à qui on peut simplement administrer une moins grande quantité de médicaments que les adultes. Il y a plusieurs différences physiologiques entre les adultes et les enfants qui influent sur l'efficacité des médicaments qui sont administrés aux enfants. De plus, il faut tenir compte de certains éléments comme la voie d'administration, la palatabilité et la facilité avec laquelle le soignant pourra administrer ces médicaments à un jeune enfant. C'est pourquoi il est si encourageant de voir les efforts déployés par Apotex pour mettre au point un médicament trois en un, ce qu'on appelle une combinaison à dose fixe, pour le traitement des enfants infectés par le VIH. Cette combinaison à dose fixe ferait une grande différence dans la vie des enfants, parce que ça faciliterait la tâche des travailleurs de la santé qui prescrivent les médicaments, les enfants auraient plus de facilité à prendre leurs médicaments, et ça garantirait aux enfants de prendre la bonne dose en fonction de leur âge et de leur poids.
Autrement dit, ça donnerait de meilleurs résultats pour les enfants atteints du VIH, qui sont les patients les plus vulnérables dans certaines des parties les plus pauvres du monde. Toutefois, l'entreprise Apotex a indiqué qu'elle refusait d'entreprendre cette tâche importante si aucun changement n'est apporté à la législation actuelle pour simplifier la démarche d'homologation des nouveaux médicaments. Les fabricants de médicaments de marque ne peuvent le faire car ce n'est pas eux qui détiennent les brevets des trois médicaments entrant dans la combinaison à dose fixe. La modification de la loi permettrait aux fabricants de produits génériques de créer une nouvelle gamme de médicaments, comme des traitements de deuxième ligne, qui pourraient s'avérer plus efficaces en raison de leur disponibilité et permettrait de réduire l'écart de qualité entre les médicaments offerts dans les pays développés et ceux offerts dans les pays en voie de développement.
Nous savons que le traitement fonctionne sur les enfants infectés par le VIH. De nombreuses études réalisées aux quatre coins du monde — en Afrique, en Asie et en Occident — ont démontré à maintes reprises que les enfants peuvent survivre au virus et mener une vie normale. En Amérique du Nord, les enfants infectés pendant l'accouchement sont maintenant dans la vingtaine. Malgré tout, la grande majorité des bébés et des enfants atteints du VIH dans les pays en voie de développement — près des deux tiers — n'ont toujours pas accès à un traitement salutaire et sont incapables d'adhérer au traitement parce que les médicaments actuellement disponibles ne sont pas conçus pour eux. Un projet de loi comme celui que vous étudiez actuellement aura, s'il est adopté, une incidence importante sur la vie des enfants en facilitant la production de médicaments antirétroviraux abordables adaptés aux enfants.
Ce qui explique que certains enfants n'ont pas accès aux traitements n'est pas tellement une question de capacité humaine limitée ou un manque d'infrastructures. Au contraire, il y a beaucoup d'enfants qui ont commencé à recevoir des traitements : nous sommes passés de 75 000 enfants en 2005 à 275 000 quatre ans plus tard. Cette hausse est notamment attribuable au nombre croissant de travailleurs de la santé ayant été formés pour soigner les enfants et à la décentralisation de la prestation des soins de santé pour le VIH pédiatrique. Par exemple, le nombre d'établissements capables de traiter les enfants atteints du VIH dans les pays à revenu faible et moyen a augmenté de 80 p. 100 entre 2007 et 2008 uniquement. Par contre, on manque souvent de médicaments pour les traiter.
Avec le temps, de plus en plus d'enfants et de nourrissons devront faire la transition vers des traitements de deuxième ligne, qui sont généralement beaucoup plus coûteux et plus difficiles à suivre que les traitements de première ligne. Il existe beaucoup moins de produits génériques pour les traitements de deuxième ligne — ce qui explique en grande partie les coûts élevés. L'adoption de ce projet de loi et la modification de la loi pourraient inciter davantage les fabricants à mettre au point des produits de deuxième ligne adaptés aux enfants.
Pour ce qui est des nourrissons déjà infectés, c'est une tout autre histoire. Les enfants nés d'une mère infectée au VIH, s'ils ne sont pas déjà infectés eux-mêmes, risquent fortement de contracter le virus durant l'allaitement. De récentes études ont démontré que l'administration d'antirétroviraux aux nourrissons durant la période d'allaitement peut s'avérer une protection efficace. L'Organisation mondiale de la santé a tenu compte de ces résultats et est en train d'évaluer, cette semaine, la possibilité de recommander un traitement préventif prolongé aux antirétroviraux pour ces nourrissons. Si cette recommandation est approuvée, il y aura un nombre encore plus grand de nourrissons devant avoir accès à des médicaments antirétroviraux et ce, pendant des périodes encore plus longues, pour les protéger contre une éventuelle infection au VIH. Le passage à une loi simplifiée, ici au Canada, pourrait jouer un rôle crucial dans la concrétisation de ces mesures.
J'aimerais aborder brièvement trois points soulevés au sujet de ce projet de loi : tout d'abord, la nécessité de ce projet de loi compte tenu de l'engagement actuel de la communauté internationale à lutter contre l'épidémie de VIH-sida. À mon avis, c'est essentiel. ONUSIDA et l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, signalent que pour deux personnes inscrites au traitement, cinq nouvelles infections sont déclarées. Il est évident que les efforts de traitement actuels ne pourront être maintenus uniquement par des programmes de dons. Il ne peut y avoir de solution durable sans le recours aux mécanismes du marché. Et ce sera de plus en plus le cas au fur et à mesure que de nouvelles catégories de médicaments seront mises sur le marché et que les millions de personnes qui suivent actuellement un traitement de première ligne devront passer à un régime de prise de médicaments de deuxième ligne, des médicaments beaucoup plus coûteux.
Deuxièmement, en vertu de la loi actuelle, les ONG qui achètent des médicaments doivent obtenir l'approbation des gouvernements avant de pouvoir se procurer les médicaments à l'appui de leurs programmes. Comme vous le savez, l'UNICEF assume une fonction importante d'achat et d'approvisionnement pour fournir aux pays moins développés de toute la planète les médicaments essentiels qui sauvent des vies. L'UNICEF veut s'assurer que des activités d'achat et d'approvisionnement soient instaurées le plus rapidement possible pour éviter toute interruption de l'approvisionnement des diverses installations, ce qui peut avoir des répercussions sur la santé des personnes infectées. Les collègues de nos quartiers généraux d'approvisionnement visent à respecter un délai maximal de trois mois entre le moment où la commande est faite et le moment où les médicaments arrivent sur le terrain. Comme le système actuel du RCAM entraînerait des délais beaucoup plus longs, il nous serait difficile d'y recourir en tant que source fiable d'approvisionnement. L'approbation des modifications recommandées à cette législation permettrait toutefois d'améliorer de façon importante le délai d'exécution.
Troisièmement, l'approbation des médicaments. L'UNICEF s'inquiète beaucoup de la qualité des médicaments fournis par ses réseaux. Ainsi, tous les médicaments fournis par l'entremise des entrepôts de l'UNICEF sont préalablement approuvés par l'Organisation mondiale de la santé ou un autre organisme de réglementation important. L'UNICEF estime que le processus de présélection de l'OMS est irréprochable. Par conséquent, les médicaments approuvés en vertu de ce processus répondent automatiquement aux normes d'approvisionnement de l'UNICEF. Les médicaments approuvés uniquement par un des autres organismes de réglementation des médicaments, notamment Santé Canada, font l'objet d'un examen interne complémentaire par l'UNICEF afin de déterminer leur recevabilité.
Le gouvernement et la population du Canada ont fait preuve de courage et de leadership en adoptant le Régime canadien d'accès aux médicaments. Les fabricants de produits génériques au Canada ont démontré qu'ils peuvent concurrencer avec succès avec d'autres fabricants de produits génériques tant au niveau du prix que de la qualité. Cependant, nous croyons que la loi, dans sa forme actuelle, a entravé la réussite du RCAM principalement en raison des complications inutiles inhérentes au processus. L'adoption de la licence unique permettra de grandement simplifier le processus de délivrance des licences et d'approvisionnement. En outre, cette façon de faire constituera un incitatif beaucoup plus intéressant pour les fabricants de produits génériques et les gouvernements des pays moins développés qui souhaitent participer à la mise au point et la distribution de médicaments dont ils ont tant besoin. Bien que la distribution de médicaments ne soit pas la seule solution pour sauver la vie des enfants, c'est une composante essentielle de la réponse globale.
Merci encore de m'avoir donné l'occasion de commenter cet important projet de loi.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Gass.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant passer à l'autre exposé puis à la période de questions.
Tenu Avafia, Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), spécialiste des politiques, Propriété intellectuelle et droit commercial, UNICEF : Merci mesdames et messieurs les sénateurs. J'aimerais tout d'abord remercier le comité de me donner l'occasion de témoigner au nom du PNUD. Nous estimons que cette audience sur une modification de la législation canadienne visant à faciliter l'exportation des médicaments essentiels par des pays fabricants comme le Canada est d'une extrême importance. En fait, cette démarche est conforme au mécanisme adopté le 30 août 2003 par l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, visant les pays qui ne possèdent pas une capacité suffisante ou des usines de fabrication de médicaments leur permettant de répondre aux besoins en matière de santé publique.
Je suis un spécialiste des politiques portant sur la propriété intellectuelle et le droit commercial. Je travaille au service VIH-sida du PNUD situé à New York. Avant de déménager dans cette ville, j'occupais un poste en Afrique du Sud, un pays qui affiche le plus grand nombre de personnes atteintes du VIH-sida. Ce sont donc des questions qui me tiennent à cœur.
Les travaux du PNUD en matière de propriété intellectuelle et d'accès aux médicaments s'inspirent de notre travail en tant que coparrain fondateur de ONUSIDA. En fait, le PNUD est l'organisme chef de file pour ce qui est de promouvoir et de favoriser un contexte législatif essentiel pour étendre les interventions liées au VIH-sida. Pour nous, cela veut dire mettre en œuvre des lois sur la propriété intellectuelle afin de faciliter l'accès au traitement.
Mon collègue a fait référence à un rapport publié récemment et conjointement par ONUSIDA, l'OMS et l'UNICEF. En décembre 2008, 4 000 030 personnes atteintes du VIH-sida dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ont bénéficié de traitements antirétroviraux, ce qui représente 42 p. 100 des besoins mondiaux. Il reste tout de même 58 p. 100 de la population atteinte qui ont besoin de traitement et qui n'y ont pas accès. Pour chaque personne admise à suivre un traitement en 2007, deux nouvelles infections et demie étaient déclarées. Du point de vue du PNUD, il est extrêmement important de mettre l'accent sur des solutions durables et à long terme.
Un autre rapport a récemment été diffusé, The Treatment Timebomb, publié par le All-Party Parliamentary Group on AIDS du Royaume-Uni, en juillet 2009. On y relève que seulement 3 p. 100 des personnes qui reçoivent actuellement un traitement antirétroviral en sont aux médicaments de deuxième ligne. Toutefois, ce chiffre augmentera régulièrement au fur et à mesure que la résistance aux médicaments les oblige de passer d'un traitement de première ligne à un traitement de deuxième ligne. Nous savons également que les antirétroviraux de deuxième ligne, ou ARV, sont beaucoup plus dispendieux que ceux de première ligne. En fait, le plus bas prix pour des antirétroviraux de deuxième ligne est de 590 $ par patient, par année, par opposition à 87 $ par patient pour un traitement de première ligne.
Traditionnellement, l'un des principaux facteurs de réduction du prix des ARV a été la concurrence sur le marché des médicaments génériques. Selon toute vraisemblance, vous avez pris connaissance au cours des derniers jours d'une diapositive présentée par Médecins Sans Frontières, MSF, qui montre l'effet de la concurrence des médicaments génériques sur la baisse des prix des ARV de première ligne, soit d'environ 10 400 $ par patient, par année, au tournant du millénaire pour aussi peu que 87 $ par patient, par année. Il s'agit d'une réduction de prix de l'ordre de 99 p. 100. Le principal catalyseur de cette énorme réduction du prix est le fabricant indien de médicaments génériques, Cipla Ltd., qui s'est engagé à fournir des ARV à des patients à revenu faible et moyen pour la somme de 1 $ par jour en 2001.
C'est grâce à la loi indienne sur les brevets de 1970 que Cipla et un regroupement d'autres fabricants importants de médicaments génériques, notamment Ranbaxy Laboratories Limited, Dr. Reddy's Laboratories Ltd. et Sun Pharmaceutical Industries Limited, ont joué ce rôle critique dans la réduction du prix des médicaments. Après avoir décrété son indépendance, l'Inde s'est dotée d'une loi très semblable à celle de son ancien maître colonial, le Royaume-Uni. Ainsi, en 1950, une commission a formulé des recommandations visant à modifier la loi afin de faciliter la production de médicaments génériques, ce qui a ensuite mené à l'adoption de la Loi sur les brevets, en 1970. Comme vous le savez, cette loi ne permettait pas d'obtenir un brevet pour des produits pharmaceutiques, elle visait plutôt les processus. Toutefois, comme l'Inde doit dorénavant respecter ses obligations vis-à-vis de l'OMS depuis 2005, l'adoption de la Loi de 2005 portant modification de la Loi sur les brevets a radicalement réduit la capacité de l'Inde à continuer à produire des versions brevetées de médicaments génériques de qualité sécuritaire pour les ARV de première et de deuxième ligne.
Le PNUD a récemment demandé la tenue d'une étude afin de mieux comprendre en quoi la Loi de 2005 portant modification de la Loi sur les brevets influera sur la capacité de l'Inde à maintenir son statut de pharmacie des pays en développement. Nous espérons que cette étude menée en partenariat avec le gouvernement indien de New Delhi, pourra démarrer en décembre de cette année. Essentiellement, une première lecture du rapport nous fait voir clairement que la situation a changé de façon radicale.
Des multinationales ont commencé à acheter les entreprises indiennes de fabrication de médicaments génériques. La transaction la plus notable est la récente acquisition de la plus grande entreprise pharmaceutique indienne, la Ranbaxy Laboratories Limited, par la compagnie multinationale japonaise Daiichi-Sankyo Company Limited, en juin 2008. D'autres entreprises indiennes ont récemment été rachetées, notamment l'entreprise Matrix Laboratories Limited, par Mylan Laboratories Inc, et la Shantha Biotechnics Limited, par le Groupe sanofi-aventis. Cette situation tient en partie à l'évolution naturelle des entreprises de produits génériques relativement avancés qui essaient d'accéder à un niveau supérieur de la chaîne de R et D. Une autre raison est que la Loi de 2005 portant modification de la Loi sur les brevets rend beaucoup plus difficile ou compliquée l'exportation de médicaments génériques de l'Inde vers les pays en développement qui en ont besoin.
L'Inde a joué un rôle crucial dans l'approvisionnement en médicaments essentiels pour plusieurs pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Avec le temps, il deviendra de plus en plus important que les autres pays qui disposent d'une capacité de fabrication, comme le Canada, encouragent la concurrence afin de permettre aux compagnies de combler le vide qui existe relativement aux médicaments de deuxième ligne.
Des réformes législatives continuent de s'opérer dans plusieurs pays parce que des pays importateurs et exportateurs modifient leurs lois afin de rendre le mécanisme du 30 août 2003 de l'OMC opérationnel. Il demeure important qu'il y ait d'autres sources d'approvisionnement générique et qu'une loi habilitante existe tant pour les pays importateurs que pour les pays exportateurs.
Présentement, la plupart des travaux du PNUD portent sur la demande. Nous aidons les pays en développement et les pays les moins développés à modifier leurs lois afin d'assouplir l'Accord sur les ADPIC pour qu'ils puissent importer des médicaments de pays comme le Canada. Aussi bonnes que les lois des pays importateurs puissent être, elles seront de peu d'utilité si les pays exportateurs ne facilitent pas comme il se doit l'utilisation du mécanisme du 30 août 2003. Je suis personnellement d'avis que le RCAM actuel ne tire pas entièrement parti d'un espace offert par la décision du 30 août 2003 de l'OMC à plusieurs niveaux, notamment, par exemple, en exigeant l'émission d'une licence obligatoire pour chaque envoi de médicaments et en fixant un plafond sur le nombre maximal d'envois.
Nous, au sein de la pratique du PNUD contre le VIH-sida, croyons que les pays qui disposent d'une capacité de fabrication ont un rôle important à jouer en ce qui a trait à l'examen des lois pour permettre une utilisation opportune et souple du mécanisme du 30 août. De plus, nous pensons que le projet de loi S-232 comprend plusieurs améliorations fondamentales à la loi actuelle, dont la solution de la licence unique.
Par exemple, le paragraphe 6 du mécanisme du 30 août 2003 prévoit une disposition qui permet aux pays en développement, à condition qu'ils soient dans un groupe économique régional dont au moins 50 p. 100 des membres comptent parmi les pays les moins développés — et il s'agit principalement de pays d'Afrique — de collaborer à l'importation de médicaments en vertu du mécanisme du 30 août 2003. Nous croyons fermement que la solution à licence unique est absolument essentielle pour mettre en application la signification du mécanisme du 30 août dans le respect des termes et de l'intention de l'accord. De plus, le projet de loi S-232 élimine la durée de deux ans des licences obligatoires pour les produits autorisés, ce qui est extrêmement important.
Un bref examen des autres pays qui ont émis des licences obligatoires au fil des ans indique que dans de nombreux cas, ils ont relié la durée de la licence obligatoire à la durée des urgences en matière de santé publique dans leur pays. Par exemple, en Indonésie, une licence obligatoire a été émise en 2007 pour l'AZT et le 3TC, pour la durée du brevet, c'est-à-dire sept ans. En 2007, la Thaïlande a aussi émis une série de licences obligatoires d'une durée de cinq ans.
Je dois insister sur le fait que le mécanisme du 30 août ne prévoit rien actuellement qui limite les pays ou les oblige à fixer une limite de temps sur les autorisations d'exporter. Pour ces raisons, je crois que le Canada a une occasion extrêmement importante de demeurer l'exemple parfait, tout en gardant à l'esprit qu'il a été le premier pays à adopter cette loi afin de répondre aux préoccupations humanitaires des pays en développement, particulièrement étant donné qu'un nombre croissant de pays exportateurs se placent à l'avant-scène pour assumer le rôle de fournisseurs de médicaments pour les personnes atteintes du VIH-sida dans les pays les moins développés et dans les pays en développement.
Nous croyons également que le projet de loi S-232 se montrera à la hauteur de l'intention initiale du RCAM.
Cela conclut mes quelques remarques. Je vous remercie de votre temps et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Avant de donner la parole au sénateur Massicotte et ensuite au sénateur Harb, j'aimerais que vous m'aidiez à clarifier une chose, monsieur Gass. Ai-je bien compris lorsque vous avez dit que l'examen d'un médicament par l'OMC est une politique que l'UNICEF préconise et sur laquelle elle insiste, ou s'il s'agit d'une exigence d'une autre organisation? Est-ce compris, à votre connaissance, dans le projet de loi S-232? Autrement dit, si le projet de loi S-232 était adopté dans sa forme actuelle, serait-il toujours nécessaire que l'OMC examine le médicament avant qu'il puisse être envoyé partout dans le monde?
M. Gass : Je vous remercie beaucoup de votre question. Comme nous faisons tous partie de la famille des Nations Unies, l'OMS, l'UNICEF, le PNUD et d'autres, nous essayons essentiellement d'observer un ensemble commun de principes.
Pour que l'UNICEF fournisse ces médicaments, ils doivent avoir été approuvés par au moins un organisme de réglementation contraignant, comme Santé Canada ou l'Agence européenne des médicaments. S'ils ont déjà été approuvés par l'OMS, alors ils suivent un processus automatique parce que nous connaissons bien tous les différents examens qui sont effectués à ce chapitre. S'ils ont été approuvés par l'un des autres organismes, comme Santé Canada, la Food and Drug Administration aux États-Unis, l'Agence européenne des médicaments, et cetera, alors un examen supplémentaire est effectué à l'UNICEF pour s'assurer que tout est sous contrôle. Il s'agit d'un examen très bref. Il n'a jamais entraîné le rejet de médicaments qui avaient déjà été approuvés par l'un des autres organismes. Cependant, les médicaments sont soumis à un examen additionnel d'environ un jour ou deux qui vise à étudier le dossier pour s'assurer que tout est en place.
Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de résumer ce que beaucoup d'entre nous comprenons jusqu'à maintenant. On nous dit que l'objectif est très honorable. En 2003, la plupart des pays ont convenu, et évidemment l'OMC a convenu, qu'un problème existait, et qu'il fallait y remédier. Les pauvres de la planète sont dans le besoin, et le problème est grave et urgent. Nous semblons également convenir que l'objectif n'a pas été atteint. Les objectifs fixés en 2003 n'ont pas été atteints. Nous sommes maintenant devant un projet de loi qui cherche à modifier notre loi en vue de corriger nos lacunes relativement à ce besoin.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour essayer de comprendre. Nous ne sommes pas le seul pays au monde. Le programme a échoué sur le plan international. Je suis heureux qu'un représentant des Nations Unies soit ici, surtout un spécialiste du commerce et de la propriété intellectuelle. Pourquoi le programme a-t-il échoué mondialement? Nous n'avons pas tous les mêmes lois. Nous devrions certainement faire notre part, mais y a-t-il quelque chose de plus grand qui a entraîné l'échec et dont nous ne parlons pas ou que nous ne pouvons pas réparer?
M. Avafia : Merci de votre question, sénateur. Je crois que la décision du 30 août n'a pas fonctionné pour plusieurs raisons, ou pour deux raisons principales. La première, c'est que le processus est extrêmement lourd et que présentement, les pays dans le besoin obtiennent leurs médicaments d'autres sources, comme le plan d'urgence du président des États-Unis pour lutter contre le sida, le PEPFAR, ainsi que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. À mesure que les gens choisissent des médicaments de deuxième ligne, le coût de ces programmes augmentera, et la durabilité des projets découlant du PEPFAR, de même que celle du Fonds mondial, posera problème. Je pense que de plus en plus de pays devront prendre part au processus lourd sur le plan administratif qu'est la décision du 30 août afin d'essayer d'y trouver leur chemin.
La seconde raison, c'est que je crois que les pays, surtout individuellement, sont soumis à des pressions bilatérales exercées par certains pays développés lorsqu'ils essaient d'assouplir les règles à des fins de santé publique. Par exemple, en 1997, lorsque l'Afrique du Sud a essayé d'apporter une modification relativement simple à son Medicines and Related Substances Act, 1965, pour permettre l'importation parallèle, elle a fait l'objet d'une poursuite tristement célèbre intentée par 39 compagnies pharmaceutiques multinationales. Dans une certaine mesure, la poursuite s'est conclue par la Déclaration de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique, dans le cadre de laquelle tous les membres de l'OMC ont reconnu que des assouplissements existaient et qu'ils pouvaient être utilisés à des fins de santé publique; pourtant, les pressions bilatérales continuent toujours.
Par exemple, la Thaïlande, qui, comme je l'ai mentionné, a d'abord émis des licences obligatoires pour deux médicaments antirétroviraux et ensuite pour différents médicaments contre le cancer, a été traitée plutôt durement par certains pays développés; elle a entre autres reçu des menaces de sanctions. Le gouvernement thaïlandais a réalisé une analyse coûts-avantages sur les sommes économisées grâce à l'émission de ces licences par rapport aux pertes de préférences commerciales. Au bout du compte, elle a conclu que le gain prévu en Thaïlande se chiffre à 358 millions de dollars sur cinq ans pour ce qui est des cinq licences obligatoires qui ont été émises. Il me fera plaisir de partager avec votre comité les preuves fournies par le gouvernement thaïlandais.
Par conséquent, les raisons bilatérales ont beaucoup à voir avec la situation, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de pays dont la capacité de mettre en œuvre le mécanisme à proprement parler est limitée et qui sont, dirais-je, plus vulnérables individuellement aux pressions exercées bilatéralement.
Le sénateur Massicotte : Si j'étais pour résumer ce que je viens d'entendre, vous dites essentiellement que les médicaments de première ligne sont fournis par des organisations comme les fondations de Bill et Melinda Gates et ainsi de suite et qu'il existe d'autres solutions pour ce type de médicaments. Le problème se situe du point de vue des traitements de deuxième ligne qui, de toute évidence, coûtent plus cher et ne peuvent être fournis par toutes ces fondations.
Vous dites que le principe de l'offre et de la demande ne fonctionne pas surtout parce que les entreprises pharmaceutiques ont recours au trafic d'influence, au chantage ou à la coercition, si vous voulez, pour décourager les pays importateurs d'agir selon ce principe. Est-ce que je résume bien vos propos? C'était beaucoup moins éloquent mais essentiellement, est-ce bien ce que vous avez dit?
M. Avafia : En gros, oui. Certains pays développés font pression sur des pays en développement qui tentent d'assouplir les mécanismes pour des raisons de santé publique.
Le sénateur Massicotte : Vous êtes un spécialiste des politiques en matière de propriété intellectuelle et de commerce aux Nations Unies. Vous en savez probablement bien davantage que nous sur ces questions. Nous reconnaissons tous la nécessité pour chaque pays d'avoir des droits de brevets. Bien entendu, nous voulons encourager l'innovation et protéger et récompenser ceux qui innovent. L'innovation est fondamentale à tous points de vue, car elle nous permet de progresser comme nation, grâce à l'amélioration de la productivité et à l'innovation. Par conséquent, les entreprises pharmaceutiques sont tout aussi fondées que d'autres inventeurs à dire : « Protégez nos droits s'il vous plaît, car ils sont notre système de récompense. »
L'OMC pensait avoir trouvé un mécanisme qui permettait de maintenir cette structure de récompense, ce moyen de reconnaître l'innovation, tout en répondant à un besoin très important des pays pauvres en matière de santé. Tout le monde est d'accord avec ce principe; je suis certain que nous sommes tous d'accord ici avec ce principe.
Le point de vue des entreprises pharmaceutiques — et elles nous le diront certainement lorsqu'elles seront appelées à témoigner —, c'est que les procédures adoptées par l'OMC et par le Canada étaient justifiées et nécessaires pour assurer la protection de leurs droits intellectuels. De toute évidence, l'OMC pensait la même chose.
Vous êtes un spécialiste du commerce; qu'en pensez-vous? Les entreprises pharmaceutiques ont-elles raison d'agir ainsi ou exagèrent-elles la menace qui pèse sur leurs droits liés à la propriété intellectuelle? Où se situe l'équilibre? Vous êtes un spécialiste de ces questions.
M. Avafia : C'est la question qui se pose depuis toujours du point de vue de la protection de la propriété intellectuelle. La position du PNUD à cet égard — dont témoignent bon nombre de nos rapports sur le développement humain, dont le plus récent est le Rapport mondial sur le développement humain 2005 —, c'est qu'il faut, d'une part, créer un équilibre en protégeant les investissements faits par l'innovateur pour produire un nouveau médicament et, d'autre part, s'assurer que cette innovation sera disponible ou accessible pour ceux qui en ont besoin, d'autre part.
Nous considérons que l'Afrique représente environ 2 p. 100 seulement de la consommation mondiale de produits pharmaceutiques. Je ne pense pas que l'application de ce mécanisme particulier, qui a été instauré pour répondre à un besoin très précis, ne vienne changer quoi que ce soit d'important à l'état actuel des choses; la balance continuera de pencher du côté des entreprises axées sur la R et D.
Le sénateur Massicotte : Si tel est le cas, je suis convaincu que les gens à l'origine du projet de loi initial au Canada, qui ne visait qu'un pays, qu'un lot, craignaient que de nombreuses commandes soient passées et que ces médicaments n'aillent pas aux 2 p. 100 dont vous parliez mais finissent par trouver leur chemin jusqu'à d'autres pays qui n'y étaient pas admissibles. Je suis convaincu que c'est ce qui explique toutes les mesures de contrôle instaurées. L'actuel projet de loi cherche à éliminer certains de ces contrôles.
Pensez-vous vraiment que l'élimination des contrôles n'entraînera pas la création de droits de propriété intellectuelle pour les 98 p. 100 de la population qui ne bénéficient pas du faible coût des médicaments génériques?
M. Avafia : C'est une bonne question. Pour ce qui est des mesures anti-détournement, car voilà essentiellement ce que les mesures de contrôle visaient à contrer, nous estimons que la lettre originale du 30 août prévoit déjà plus de souplesse que nécessaire pour ce qui est des préoccupations exprimées à l'égard du détournement, tout en facilitant l'accès.
En regardant les cinq années qui se sont écoulées depuis la création du RCAM et l'unique occasion où celui-ci a été utilisé, nous constatons que jamais des médicaments destinés au Rwanda ou à un autre pays ne se sont retrouvés sur les marchés d'un autre pays — du moins, ce genre de situation n'a jamais été rapporté. Par conséquent, nous estimons que la version actuelle du projet de loi S-232 prévoit des mesures adéquates pour contrer le détournement; le fait d'utiliser des étiquettes et un lettrage différents pour ces médicaments ont été très utiles à cet égard également. Nous estimons que rien ne justifie de créer ces obstacles additionnels en ce qui concerne l'approvisionnement en médicaments.
J'aimerais attirer l'attention des membres du comité sur le paragraphe 6 du mécanisme établi dans la lettre du 30 août qui, selon moi, présume de l'intention des pays membres de l'OMC lorsqu'ils en sont d'abord arrivés à la décision du 30 août, c'est-à-dire en prévoyant une situation où différents pays collaboreraient l'un avec l'autre afin de fournir des médicaments de source unique. Voilà pourquoi il n'est pas possible de délivrer une seule licence pour un seul lot.
Je suis loin d'être un spécialiste de l'approvisionnement et peut-être que mon collègue de l'UNICEF pourra en dire davantage mais, pour bien des pays d'Afrique, il est assez embêtant de prévoir les besoins en approvisionnement de médicaments, notamment parce que différents organismes se sont engagés à leur en fournir.
Comme nous avons pu le constater, la seule et unique fois que le Rwanda a tenté d'avoir recours au mécanisme, à mi-parcours, ils ont décidé qu'ils avaient besoin de médicaments additionnels. Nous estimons que l'élimination de ces obstacles — et nous croyons que la solution de la licence unique éliminerait ces obstacles tout en protégeant les intérêts des entreprises pharmaceutiques — est un pas important dans la bonne direction.
Le sénateur Ringuette : J'aimerais que vous précisiez davantage cette question. Ce débat semble indiquer que les détenteurs de la propriété intellectuelle pour ces médicaments sont privés de redevances. Avez-vous examiné les lois en vigueur actuellement et le tableau des redevances dans les lois qui régissent le RCAM? Qu'en pensez-vous? Êtes-vous d'avis que les redevances versées sont acceptables et raisonnables pour les détenteurs de brevets?
M. Avafia : Pour tout dire, oui. Je crois que l'échelle de redevances du RCAM est un des aspects positifs de la loi dans sa forme actuelle.
En 2005, le PNUD et l'OMC ont rédigé un document dans lequel ils proposent une façon de calculer les redevances. Nous nous sommes servis d'une échelle mobile établie à partir du rang occupé par les différents pays selon l'indice du développement humain du PNUD et, à partir de là, avons déterminé quelles devraient être les redevances à verser. Nous estimons que les dispositions actuelles du RCAM sont très semblables et qu'elles n'entraveraient en rien le processus.
Le sénateur Harb : Pouvez-vous me dire s'il existe des pays dans le monde qui fournissent des médicaments de deuxième ligne aux pays les moins développés?
M. Avafia : Oui, certains pays le font.
Le sénateur Harb : Pouvez-vous nommer quelques-uns de ces pays?
M. Avafia : La question n'est pas tant de savoir s'il s'agit de médicaments de deuxième ligne, mais plutôt de déterminer si ces médicaments sont toujours protégés par un brevet.
Le sénateur Harb : Pouvez-vous nommer un pays?
M. Avafia : L'Inde est un de ces pays. Le Brésil en est un autre. Des ententes ont été conclues entre le gouvernement du Brésil et celui du Mozambique en vue de fabriquer des combinaisons de médicaments. Je crois que la fabrication de deuxième ligne n'a pas encore commencé, mais elle est certainement en train de s'organiser.
Le sénateur Harb : Le Brésil et l'Inde font tous deux partie des groupes qui, en vertu de l'Annexe 15, peuvent faire ces choses. Certains pourraient croire que ce qui explique que les pays développés envoient peu de médicaments aux pays en développement, c'est que les pays dans le besoin obtiennent ces médicaments plus facilement et moins cher auprès d'autres pays en développement. Cela pourrait-il expliquer pourquoi rien ne se passe dans des pays comme le Canada, les pays de l'Union européenne ou les États-Unis, selon vous?
M. Avafia : Je crois qu'une des raisons pour lesquelles les médicaments de deuxième ligne n'ont pas pris leur essor, jusqu'à présent, est que la majorité des gens se soumettent actuellement à une thérapie de première ligne. On suppose que dans 7 à 10 ans, ces personnes passeront à la thérapie de deuxième ligne. Si environ quatre millions de personnes se soumettent actuellement à une thérapie de première ligne, il ne fait aucun doute que l'accès à la thérapie de deuxième ligne sera un enjeu crucial dans un avenir rapproché.
Si l'on considère la capacité de production du Brésil et celle des fabricants de médicaments génériques de l'Inde, compte tenu de la Loi de 2005 portant modification de la Loi sur les brevets, on doit conclure que le marché des médicaments de deuxième ligne ne comptera pas autant de joueurs que celui des médicaments de première ligne.
Le sénateur Harb : Il y a un cercle vicieux. Nous savons tous que la main-d'œuvre coûte moins cher dans les pays en développement. Ces pays ont la capacité et la main-d'œuvre, et ils ont maintenant accès à des permis qui les autorisent à produire ces médicaments. Comme pour n'importe quel autre produit de consommation, si les conditions sont similaires, les sociétés vont fabriquer leurs médicaments dans des pays en développement plutôt que dans des pays développés. Cela explique peut-être pourquoi certaines multinationales s'arrachent des entreprises de l'Inde, du Brésil et d'ailleurs : elles peuvent fabriquer des produits de deuxième ligne.
J'essaie de comprendre ce qui se passe, et je crois que vous nous avez déjà donné la réponse, c'est-à-dire qu'il faut que nous soyons plus sensibles à ce problème. Il faudrait probablement que les pays développés fournissent davantage de ressources aux pays en développement.
J'aimerais par contre savoir quelles sont les ressources nécessaires. Est-ce de l'argent qu'il faut? Si le problème est la fabrication, ils peuvent déjà fabriquer des produits. La liste de pays est volumineuse et, selon moi, certains de ces pays ne sont pas en développement, par exemple Taïwan ou Singapour. Ils peuvent tous faire quelque chose.
J'ai l'impression qu'il y a un manque de leadership et je ne sais pas qui est responsable de la situation. Est-ce l'OMS qui ne joue pas son rôle? Je ne veux pas jeter le blâme sur une organisation ou une autre, mais est-ce la faute du G8, des Nations Unies? Qui est-ce qui ne fait pas son travail? Il me semble que le mécanisme est déjà en place.
Comme l'a également dit le sénateur Massicotte, je ne crois pas que le fait que nous approuvions demain le projet de loi S-232 — que je voulais appuyer — changera quoi que ce soit à l'approvisionnement, compte tenu de ce que vous venez de nous dire au sujet de l'Inde et du Brésil, qui ont déjà la capacité de produire les médicaments.
M. Avafia : Pour parler franchement, c'est une question de profit. C'est une question de profit, et je crois que certaines sociétés des pays en développement, tout comme des sociétés des pays développés, seraient intéressées à fabriquer des médicaments pour faire du profit. Apotex a fixé un prix extrêmement concurrentiel sur le marché international. Je crois que le coût était de 19 sous par comprimé du médicament expédié par l'entremise du RCAM.
Il faut une loi habilitante. Il n'y a pas assez de pays qui ont interprété la décision du 30 août avec autant de liberté que nous pouvons aujourd'hui le faire pour que des sociétés de médicaments génériques, comme Apotex, puissent combler ce vide dans les pays développés — de même que dans les pays en développement, c'est vrai.
À mes yeux, l'enjeu est de créer un marché de concurrence et, au moins, de créer un environnement habilitant dans lequel les sociétés des pays développés pourront prendre part à la concurrence si elles le souhaitent et si elles entrevoient une occasion de profit.
M. Gass : J'aimerais ajouter brièvement que, comme mon collègue l'a mentionné, nous ne parlons que de deux des pays concernés. L'intérêt pour les traitements de deuxième ligne est plus grand que cela. Un organisme de financement appelé Unitaid, initialement mis sur pied par la France, s'est maintenant étendu à un grand nombre de pays. En gros, cet organisme prélève un montant sur les billets d'avion; un montant précis de chaque billet d'avion vendu est utilisé pour acheter des médicaments contre le VIH, la tuberculose et la malaria. Une grande partie de l'argent recueilli est remise à la Fondation Bill et Melinda Clinton pour que davantage de traitements de seconde ligne soient fournis à ces pays.
Il y a également d'autres organismes donateurs importants, par exemple le Fonds mondial et le Plan présidentiel d'urgence d'aide à la lutte contre le sida, le PEPFAR, qui ont été en mesure de fournir des traitements de ce genre. L'enjeu est toujours le coût, particulièrement pour les traitements de deuxième ligne, mais également pour les traitements de première ligne puisque de nouvelles catégories de médicaments sont produites. C'est un domaine très dynamique. La recherche se poursuit, et nous continuons de créer de nouvelles catégories de médicaments, qui sont utilisées dans des traitements de première ligne. Aux alentours de la semaine prochaine, l'OMS réévaluera ce qu'elle considère comme la combinaison idéale de traitements de première ligne. Un des médicaments principaux sera remplacé par un autre.
Dans cette conjoncture, s'il n'y a pas de concurrence entre un large éventail de sociétés pharmaceutiques, les conditions seront favorables pour que les prix continuent d'augmenter, ce qui accroîtra l'écart entre la qualité des soins prodigués dans les pays en développement et dans les pays développés.
La concurrence est essentielle et elle le restera. On a beau dire que les sociétés pharmaceutiques ont convenu de prendre des mesures pour fournir des licences volontaires pour les médicaments qui existent déjà; il reste que de nouveaux médicaments feront leur apparition, de nouvelles catégories de médicaments, des médicaments qui devront être élaborés différemment selon qu'ils seront destinés à des enfants ou à des adultes, et cetera. Si nous sommes incapables de maintenir une concurrence suffisante, les prix continueront d'augmenter, ce qui rendra les programmes de dons non viables et fondamentalement trop coûteux pour les gouvernements des pays en développement.
Le président : Avant de donner la parole au sénateur Peterson, et en abusant peut-être de mon autorité de président, j'aimerais vous demander si vous êtes tous deux en train de dire, et en particulier monsieur Avafia, que vous êtes convaincus que le RCAM pourrait être modifié pour tirer profit de possibilités que prévoit la décision du 30 août mais dont le RCAM ne tient pas compte? Est-ce une simplification exagérée, qui serait néanmoins exacte?
M. Avafia : En résumé, je crois que ça serait possible. Le RCAM n'exploite pas toutes les possibilités qu'offre le mécanisme prévu par la décision du 30 août, et nous croyons que le projet de loi S-232 met beaucoup mieux à profit ces possibilités.
Le président : Je ne veux pas lancer un débat, mais certains sénateurs sont préoccupés par le fait que le projet de loi S-232 pourrait aller au-delà des possibilités qui s'offraient déjà et devenir incompatible avec les ententes que nous avons passées avec l'OMC. Je crois que c'est ce qui pose problème. Vous êtes le deuxième témoin qui affirme que les possibilités sont plus grandes que celles dont le RCAM se prévaut aux termes des règlements de l'OMC. Nous devrons tenter d'aller au fond de cette question.
Le sénateur Peterson : Dans le même ordre d'idées, existe-t-il des éléments qui ne relèvent pas du projet de loi S-232 mais qui pourraient aider à corriger les lacunes du RCAM?
M. Avafia : C'est une question difficile, car, au bout du compte, le mécanisme prévu par la décision du 30 août est une question d'interprétation; il dépend de l'interprétation que chaque pays décide de lui donner. Nous croyons que le projet de loi S-232 est plus qu'adéquat et qu'il constitue un pas dans la bonne direction.
Un pays comme le Brésil pourrait aller encore plus loin et adopter une interprétation encore plus souple tout en respectant sans contredit l'esprit de la décision du 30 août. C'est donc une question d'interprétation. Je crois tout de même que le projet de loi S-232 est entièrement conforme à la décision du 30 août.
Le sénateur Greene : Le président a posé ma question, mais j'aimerais connaître votre opinion à cet égard. Il semble que, d'une certaine façon, nous sommes dans une impasse. Chacun de nous aimerait beaucoup pouvoir être utile. Nous constatons le besoin et nous le comprenons. Nous le ressentons. Nous avons une loi conforme au règlement de l'OMC, et le mécanisme de l'OMC lui-même a été établi en fonction du besoin que nous constatons.
Vous avez dit que la décision du 30 août est lacunaire, qu'elle est défectueuse à de nombreux égards et qu'elle pourrait être améliorée. Notre loi se fonde sur cette décision alors j'imagine que, par conséquent, elle est défectueuse elle aussi.
La nouvelle loi cherche, bien entendu, à régler tous ces problèmes. Cependant, on nous signale que la loi n'est pas conforme à la décision de l'OMC, et en tant que pays, nous nous devons d'observer ce que prescrit cette décision.
Si l'on suppose que les avis juridiques qui nous ont été donnés sont exacts et que le projet de loi est bel et bien incompatible avec la décision de l'OMC, et si nous sommes tous conscients du problème, est-ce que nous ne devrions pas faire porter nos efforts sur l'OMC afin de trouver une manière de l'inciter à réviser sa position?
M. Avafia : La décision du 30 août de l'OMC était un compromis. Pour être honnête, je crois qu'elle comporte certains défauts. Elle pourrait être améliorée, mais c'est ce que nous avons. Je conviens qu'il est extrêmement important que les pays s'assurent que les lois qu'ils adoptent sont conformes à la décision du 30 août.
Cependant, je crois également que, sous sa forme actuelle, le projet de loi S-232 est compatible avec la décision du 30 août. D'après moi — et, encore une fois, cela découle peut-être de notre statut de premier pays à avoir adopté une loi pour mettre en application le mécanisme de la décision du 30 août —, le RCAM poursuivait un objectif noble, mais c'était une interprétation conservatrice du mécanisme. Le projet de loi S-232 découle d'une interprétation plus libérale, qui demeure cependant dans les limites de la décision.
Le sénateur Gerstein : Merci beaucoup pour votre exposé, monsieur Avafia.
Selon certaines informations présentées dans le cadre de l'examen du RCAM de 2007, les problèmes n'étaient pas attribuables aux modalités du RCAM, mais à d'autres pays qui produisent des médicaments génériques à moindre coût. Je vais vous lire un extrait d'une présentation qui m'a troublé :
Apotex offrirait selon toute vraisemblance son produit au prix coûtant, mais le site Web de la Clinton Foundation indique que cinq importants fabricants de médicaments génériques indiens seraient en mesure de vendre aux pays de l'Afrique des versions de ce produit à prix moindre que celui indiqué par Apotex dans sa demande au commissaire.
Pouvez-vous nous faire part de vos observations là-dessus? Je ne comprends pas bien toute cette question des coûts. La citation est tirée de la page 39 du Rapport sur l'examen législatif des articles 21.01 à 21.19 de la Loi sur les brevets, qui date de 2007.
M. Gass : Je vais commencer. Le prix des médicaments antirétroviraux a connu une baisse considérable. Cela a été une conséquence de la concurrence qui existe. Sans cette concurrence, ça aurait été une tout autre histoire. Quand j'ai commencé à travailler dans le domaine du VIH, il y a environ 10 ou 15 ans, le prix de la médication pour traiter un patient pendant un an s'établissait entre 15 000 et 20 000 $. C'était plus cher pour les enfants. Les coûts ont chuté pour s'établir aux montants dont nous parlons maintenant; ils se chiffrent maintenant à environ 100 $ ou moins dans le cas des associations médicamenteuses à dose fixe. Tout cela a été le fruit de la concurrence. Sans cette concurrence, il n'y aurait pas eu d'incitation à réduire les prix et à rendre les médicaments disponibles pour d'autres personnes. C'est un élément important de la question. Cela a permis de sauver des milliers et milliers de personnes qui n'auraient pas pu avoir accès à des médicaments antirétroviraux autrement et qui auraient donc été emportées par la maladie.
Les prix continuent de baisser. La Fondation Clinton a joué un rôle capital à ce chapitre, en négociant avec les fabricants. Pour être honnête, nous sommes stupéfaits de voir les prix continuer de baisser. Quand ils ont atteint 300 $ par personne, nous avons été abasourdis et nous croyions que c'était un immense pas en avant. Quand ils ont atteint 150 $, nous nous sommes demandé comment c'était possible. Les prix continuent de baisser, ce qui démontre que les sociétés pharmaceutiques qui produisent ces médicaments réalisaient d'immenses marges bénéficiaires.
Je peux vous assurer que ces sociétés ne produisent pas les médicaments en question à perte. S'ils rendent les médicaments disponibles à moins de 100 $ par patient par année, ce n'est pas par grandeur d'âme. Je les félicite d'avoir rendu possible la production de ces médicaments sous forme de génériques afin que davantage de gens puissent en bénéficier, mais elles continuent de faire du profit.
La concurrence est essentielle. Les négociations effectuées par des organisations comme la Fondation Clinton, qui rassemblent différents fabricants de médicaments génériques, leur présentent différents éléments et font baisser les prix, ont été déterminantes. Cependant, ça s'applique aux médicaments qui sont en circulation depuis un certain temps. De nouveaux médicaments plus efficaces continueront à faire leur apparition. Il faudra que cette concurrence perdure si l'on veut que ces médicaments demeurent abordables.
Le sénateur Gerstein : Êtes-vous conscient du fait que la Fondation Clinton disposait d'une liste de cinq fabricants offrant le médicament à la moitié du prix demandé par Apotex?
M. Gass : Je n'ai pas accès aux données exactes, mais ça ne me surprend pas. Je ne le nierais certainement pas. De nouvelles économies de coûts ne cessent de se présenter tout au long de ce processus. En réalité, les fabricants de médicaments génériques avec lesquels la Fondation Clinton a travaillé il y a un an et demi ou deux ans avaient un prix plancher pour ces antirétroviraux. Un an plus tard, après de plus amples discussions et négociations, le prix plancher avait encore diminué. Apotex avait un prix déterminé. Cela a incité les autres fabricants de médicaments génériques à chercher ce qu'ils pourraient faire pour réduire encore davantage leurs prix. Ainsi, de nombreuses vies ont pu être sauvées.
Meg French, directrice, Programmes internationaux, UNICEF : Si je peux me permettre d'ajouter, au moment auquel vous avez fait référence, lorsque le rapport a été publié, il existait une différence de prix. Cependant, au moment d'expédier les médicaments, le prix d'Apotex avait chuté et était comparable à ceux des entreprises indiennes. Le prix initial était plus élevé, mais il a chuté vers la fin.
M. Gass : Le prix d'Apotex était inférieur aux prix indiens avant cela. Il s'agit d'un cycle. Aucun pays ne conservera indéfiniment le monopole du plus bas prix disponible. Heureusement, cette concurrence continuera à faire baisser les prix.
Le sénateur Moore : Je veux clarifier certains points dont j'ai entendu parler hier et aujourd'hui.
Vous avez fait référence au Fonds mondial et au PEPFAR. De quoi s'agit-il? Que font ces deux entités, et quelles sont leurs répercussions sur le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui?
M. Gass : Ce sont deux organisations de première importance. L'abréviation PEPFAR correspond au Plan présidentiel d'urgence d'aide à la lutte contre le sida des États-Unis et il s'agit d'une loi qui a été promulguée par notre dernier président, George Bush. Le PEPFAR dispose d'un budget substantiel pour l'achat de médicaments destinés aux pays à faible revenu.
Le sénateur Moore : À combien s'élève ce budget annuel?
M. Gass : Avez-vous ces chiffres, monsieur Avafia?
M. Avafia : Non, je ne les ai pas.
Le président : Pourriez-vous les envoyer au comité?
M. Gass : Oui. Je crois qu'il s'élève à 35 milliards de dollars. C'est une somme d'argent considérable pour acheter des médicaments. Je crois qu'il était auparavant de 5 milliards de dollars et qu'il a été augmenté pour passer à 35 milliards, mais je devrai vérifier cela.
Le sénateur Moore : Où sont situés ses bureaux?
M. Gass : À Washington.
Le sénateur Moore : Et en ce qui concerne le Fonds mondial?
M. Avafia : Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a été créé après que Kofi Annan eut exhorté les pays développés à essayer de trouver une solution pour faciliter l'accès aux traitements.
Le sénateur Moore : S'agit-il d'une solution liée au financement?
M. Avafia : Oui. C'est une réserve d'argent dont le secrétariat est établi à Genève et dont le conseil est chargé d'acheter des médicaments afin de lutter contre le VIH, la tuberculose et le paludisme dans les pays en développement.
Ici encore, je ne suis pas certain du montant exact de ce fonds, mais pour autant que je sache, il est d'au moins 3 à 5 milliards de dollars.
M. Gass : Je crois qu'il est maintenant plus près de 8 milliards de dollars.
Le sénateur Moore : Est-ce que le Canada y contribue?
M. Avafia : Oui.
Le sénateur Moore : À combien s'élève notre contribution?
M. Avafia : Je ne connais pas le montant précis, mais je peux vous communiquer ces chiffres.
Le sénateur Moore : Comment fonctionnent-ils? Prenons l'exemple d'Apotex. Est-ce qu'un de ces fonds a joué un rôle? Est-ce qu'ils fournissent de l'argent aux pays importateurs pour qu'ils achètent les produits et les médicaments d'Apotex? Est-ce que ça fonctionne de cette façon?
M. Gass : Tout à fait. Si un médicament a été approuvé par un des organismes de réglementation, que ce soit Santé Canada, l'OMS, ou la Food and Drug Administration, aux États-Unis, l'argent du Fonds mondial ou du PEPFAR peut servir à l'acheter. La Food and Drug Administration a créé une licence temporaire ou une autorisation temporaire qui permet d'exporter certains de ces produits vers d'autres pays. Ce n'est pas pour un usage aux États-Unis.
Quand il y a de la concurrence et que le prix de ces médicaments diminue, ça veut dire que pour chaque dollar, on peut fournir ou acheter plus de produits.
Le sénateur Moore : Les pays qui veulent bénéficier du Fonds mondial doivent présenter une demande. Nous avons entendu dire qu'il fallait environ un an pour faire approuver une licence obligatoire. Si un pays fait une demande au Fonds mondial, combien faut-il de temps pour qu'elle soit examinée et approuvée?
M. Gass : Ça prend un certain temps. Il faut compter sept à huit mois, voire un an. Mais une fois que c'est fait, ce n'est pas pour une seule livraison. Le financement peut servir pour des périodes de deux, trois ou quatre ans. Certains pays financés par le Fonds mondial il y a quatre, cinq ou six ans ont encore des fonds.
Le sénateur Moore : Est-ce que le processus d'approbation des demandes a lieu parallèlement au processus de demande du régime, qu'il s'agisse d'une licence volontaire ou obligatoire? Ou faut-il que le dossier soit prêt et le financement approuvé avant que les pays puissent présenter une demande dans un autre processus, comme dans le cas d'Apotex et du RCAM?
M. Gass : En fait, ce sont deux processus distincts.
Le sénateur Moore : Est-ce que l'un suit l'autre? Ils n'ont pas lieu en même temps. Dans l'exemple d'Apotex, ça s'étend sur deux ans. Ils ont dit qu'il fallait un an pour le processus et les négociations, et donc qu'ils devaient commencer un an plus tôt pour obtenir l'argent. On parlait d'au moins deux ans.
M. Gass : Je pense qu'il n'y a pas de lien entre les deux processus.
Le sénateur Moore : Je le sais, j'ai entendu. Mais on parle d'une période d'un an ou de 20 mois.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Avafia, vous nous avez dit que le fait que la demande soit limitée et que de nombreux pays dont vous avez parlé n'achètent pas de médicaments s'explique principalement, ou en grande partie, par la pression que les entreprises pharmaceutiques exercent. Si nous adoptons le projet de loi, comment permettra-t-il de surmonter cet obstacle important? Le Canada est un pays fournisseur. Qu'est-ce qui nous dit que cette pression et ce genre de problèmes disparaîtront?
M. Avafia : Avant de vous répondre, j'aimerais parler rapidement du Fonds mondial et du PEPFAR qui, je crois, contribuent énormément à l'accès aux traitements. Ces deux programmes et d'autres programmes semblables sont réellement différents du Régime canadien d'accès aux médicaments. Le régime canadien crée un environnement qui permet aux entreprises de se faire concurrence et de faire baisser les prix pour qu'on puisse en faire plus avec l'argent qui provient du Fonds mondial et du PEPFAR.
En ce qui concerne les obstacles et les pressions bilatérales dont j'ai parlé, avec le temps, nous avons vu que des pays étaient prêts à utiliser leur marge de manoeuvre parce que les besoins devenaient plus urgents. Chaque fois qu'un pays octroie une licence obligatoire pour l'importation de médicaments, la position juridique s'affermit, et c'est encourageant pour les plus petits pays.
Si on regarde les études de cas concernant les premiers pays à octroyer des licences obligatoires, ou à utiliser une marge de manœuvre bien délimitée, comme l'Afrique du Sud et le Brésil, et quand on pense à l'Inde, qui a modifié ses lois pour mieux exploiter la marge de manoeuvre dans l'accord, ce sont des pays importants qui peuvent mieux résister aux pressions bilatérales. Les pays plus petits ou moins développés voient cette forme de souplesse; ils apprennent de cette expérience et ça leur donne de l'espoir. Nous voyons un plus grand nombre de pays utiliser leur marge de manoeuvre.
Toutefois, l'utilisation de cette marge de manœuvre dépend de la loi habilitante du pays fournisseur, et c'est pourquoi le régime canadien, ou en tous cas le projet de loi S-232, sont si importants. Il peut y avoir bien des pays en voie de développement avec des lois exemplaires, mais pas assez de fournisseurs, et nous serons encore aux prises avec l'obstacle des prix élevés, comme au début.
Le président : Merci, sénateur Massicotte. Nous avons dépassé le temps prévu de cinq minutes, mais ça valait la peine. Vos exposés étaient enrichissants et clairs. Merci à vous trois d'être venus nous rencontrer. C'était très utile.
[Français]
Nous sommes maintenant prêts à entendre les représentants de l'Association canadienne du médicament générique et d'Apotex Inc. sur le projet de loi S-232.
[Traduction]
Apotex Inc. est le seul fabricant de produits pharmaceutiques qui a expédié une version générique d'un médicament breveté à un pays en voie de développement en ayant recours au Régime canadien d'accès aux médicaments. Apotex a donc sûrement une opinion du régime et pourrait avoir des recommandations à faire pour l'améliorer.
Apotex et l'Association canadienne du médicament générique nous présenteront également leur perception du projet de loi S-232. Nous accueillons aujourd'hui le président de l'association, M. Jim Keon. Les représentants d'Apotex sont M. Jack Kay, président-directeur général, et M. Bruce Clark, vice-président des Affaires médicales et réglementaires.
Je crois que chacun des témoins présentera un court exposé. Nous allons commencer par M. Keon. Bienvenue à vous tous, et merci d'être ici avec nous.
Jim Keon, président, Association canadienne du médicament générique : Au nom de l'Association canadienne du médicament générique, j'aimerais dire que nous sommes très heureux d'être ici, et de vous présenter notre point de vue sur le projet de loi S-232.
L'Association canadienne du médicament générique représente pratiquement tous les fabricants de médicaments génériques au Canada, qu'il s'agisse de multinationales ou d'entreprises canadiennes comme Apotex.
Le président : Combien y en a-t-il?
M. Keon : Dix à douze entreprises sérieuses fabriquent et vendent des produits au Canada.
Comme vous le savez peut-être, maintenant, la majorité des médicaments délivrés sur ordonnance au Canada sont des médicaments génériques. Ça aussi, c'est un développement intéressant.
J'aimerais faire de brefs commentaires et ensuite laisser la parole à Apotex. C'est le seul fabricant canadien de médicaments génériques qui a eu recours au RCAM. Je crois que tout le monde est intéressé à avoir des détails sur son expérience.
Malheureusement, je crois que ce qui ressortira, c'est que le système ne fonctionne pas très bien. Notre association l'avait prévu, comme bien d'autres groupes, lorsque le projet de loi a été présenté. À notre avis, le principal problème, c'est que de nombreux éléments concernant la propriété intellectuelle vont au-delà de ce qui est nécessaire pour que notre pays respecte les conditions de l'OMC et de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle.
La décision de l'OMC qui a mené à la création du régime définit les exigences fondamentales auxquelles un pays exportateur doit satisfaire pour accorder une licence obligatoire à un fabricant de produits génériques. Ces exigences auraient pu être appliquées plus facilement. Mais on est allé plus loin et le régime est actuellement contrôlé en grande partie par les intérêts des détenteurs de droits de propriété intellectuelle, ce qui empêche l'acheminement humanitaire de médicaments aux pays qui en ont désespérément besoin.
L'Association canadienne du médicament générique appuie les changements proposés à la Loi sur les brevets dans le projet de loi S-232. Nous croyons que le processus simplifié de demande et d'octroi de licences qui est prévu dans le projet de loi va dans le même sens que la Déclaration de Doha et la décision de l'OMC. Il assure aussi la conformité à l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle.
Nous émettons cependant une réserve à propos de la modification de la Loi sur les aliments et drogues qui ferait en sorte que les approbations d'autres pays seraient reconnues dans le régime. Ce n'est pas quelque chose que nous demandons; nous ne croyons pas que c'est nécessaire. L'industrie des médicaments génériques a fait savoir qu'elle appuyait le mécanisme d'approbation de Santé Canada dans le Régime d'accès aux médicaments. Notre position n'a pas changé.
Nous avons remis au greffier un mémoire où nous présentons notre point de vue plus en détail. Si vous avez des questions, j'y répondrai avec plaisir. Je vais maintenant laisser la parole aux représentants d'Apotex, une entreprise qui a une expérience directe du programme. Je vous remercie.
Jack Kay, président-directeur général, Apotex Inc. : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs; c'est un plaisir pour moi d'être ici pour vous parler de l'expérience d'Apotex par rapport au Régime canadien d'accès aux médicaments. L'objectif de départ de la loi était louable : envoyer dans les pays en développement des médicaments dont ont grandement besoin des milliers de personnes qui connaissent une mort inutile faute d'accès aux médicaments qui pourraient leur sauver la vie.
Nous sommes la seule entreprise au Canada à avoir appliqué les principes du RCAM en mettant au point Apo- TriAvir, qui réunit en un seul trois médicaments contre le VIH-sida. Plusieurs ONG, et notamment MSF, Médecins Sans Frontières, estiment qu'il s'agit-là de la combinaison la plus avantageuse.
C'est le Rwanda qui a été le premier pays à présenter une demande de ce produit. Nous sommes entrés dans le processus en nourrissant de grands espoirs et avec la volonté de consacrer l'argent à la recherche et au développement. Apotex n'a aucunement l'intention de faire des bénéfices avec le processus. Nous sommes une entreprise canadienne et à ce titre, nous voulions contribuer à changer les choses. Nous n'étions toutefois pas prêts à faire face aux obstacles et aux querelles juridiques qui allaient compliquer nos rapports avec cette lourde législation.
Il suffirait de quelques retouches pour que tout aille rondement. Il serait tragique de ne rien faire et de laisser mourir le processus après un seul essai. L'occasion nous est donnée, à nous les Canadiens, de faire une différence et de montrer au reste du monde comment il faut procéder.
Je voyageais en compagnie de M. Clark dans l'avion qui apportait la première livraison de notre médicament au Rwanda en 2008. J'ai pu observer directement le changement qu'il pouvait apporter dans beaucoup de vies. Apo- TriAvir a été distribué à 21 000 patients qui vivaient avec le sida et pour lesquels il restait peu d'options. J'ai été marqué pour toujours. Sans ce médicament, beaucoup de ces personnes seraient mortes aujourd'hui. L'énorme différence que peut faire la mise en place d'un processus approprié n'échappera à personne en Amérique du Nord ni ailleurs dans le monde.
En conclusion, l'occasion nous est donnée de faire en sorte que le RCAM fonctionne, quel que soit le parti politique qui ait notre appui. En autant que la volonté politique y soit, les modifications à apporter à la loi ne sont pas considérables. Nous n'avons d'autre choix que d'agir. La réponse est à la portée de notre main.
J'aimerais inviter M. Clark à dissiper les faussetés qui ont été dites sur ce qu'Apotex a connu comme expérience et aux étapes qui ont marqué le parcours.
Le président : Monsieur Kay, est-ce que quelqu'un peut nous dire quelles modifications il faudrait apporter à l'actuel RCAM?
M. Kay : Les modifications sont dans le projet de loi.
Le président : Par conséquent, à l'exception, si je comprends bien, de la question des approbations à obtenir à l'étranger pour que le médicament soit reconnu, vous appuyez le projet de loi.
M. Kay : En exceptant les fabricants étrangers, oui. Nous appuyons les modifications au projet de loi à cette exception près.
Le président : Merci. Monsieur Clark, à vous la parole.
Bruce Clark, vice-président, Affaires médicales et réglementaires, Apotex Inc. : Mesdames et messieurs les sénateurs, il faut dire dès le départ que ce dont je vais parler n'est que l'expérience d'une seule entreprise dans le contexte du RCAM.
On sentait bien, déjà à la lecture du titre de la loi, que cette démarche constituait un engagement envers l'Afrique, un engagement qui s'est soudain métamorphosé, allez savoir comment, en un régime.
C'est ainsi que nous percevions ce qui a transpiré. Il nous faut nous demander dès le départ ce qu'est l'objectif de la loi? Quelle en est l'intention? Cela aidera à répondre à certaines questions. Si son intention est bien de remettre la substance entre les mains des personnes qui en ont désespérément besoin pour traiter des maladies qui ne le sont pas actuellement et si le besoin persiste indépendamment des autres options disponibles, il faut examiner l'objectif de la loi. Le besoin existe toujours.
Notre entreprise a été appelée à composer avec des aspects particuliers qui constituaient un défi en soi. À la base, le processus RCAM tel qu'il est actuellement rédigé exige d'un pays qu'il notifie l'OMC de son intention ou de son intérêt à se procurer une substance en vertu de cette disposition. Puis, il est tenu de notifier le gouvernement du Canada, dans le cas qui nous occupe, et ensuite une entreprise comme Apotex, de son désir de se procurer la substance.
Le problème c'est qu'à cette étape-ci le produit n'est pas défini. Une longue liste de produits est annexée à la loi. Je suis sûr que l'on en a parlé précédemment. TriAvir ne figurait pas sur la liste. L'une des premières étapes était de déterminer pour quel produit et dans quelle juridiction les besoins étaient les plus criants ainsi que quelle forme posologique ou méthode d'administration du produit était la plus efficace. Ce n'est pas une décision que nous avons prise même si nous avons participé aux discussions.
Comme M. Kay l'a déjà dit, MSF a joué un grand rôle dans l'établissement des besoins. En discutant avec Santé Canada, ils se sont entendus pour déclarer que TriAvir était la combinaison qui serait mis de l'avant. Le processus a été long, mais est allé assez rondement. Une bonne collaboration a été établie entre la communauté médicale, les ONG et Santé Canada lors des discussions sur les méthodes à prendre pour faire avancer le produit. Le processus d'approbation au Canada a été remarquablement efficace et rapide.
Il restait une difficulté quant au fait qu'un pays devait se présenter et être identifié. Si vous vous mettez dans les souliers des pays qui demandent, ils comprennent que certaines dispositions de la loi au Canada leur permettent d'obtenir certains types de produits. Cependant, il n'est pas clair quels produits cela peut être, ni quelle entreprise peut leur fournir ou dans quel terme l'approvisionnement peut être fait. Tout dépend de la confiance. Il est impossible pour eux d'étudier le catalogue d'Apotex ou de toute autre entreprise et de dire tout simplement « Nous voulons ce produit. Comment pouvez-vous nous le fournir? » Ils peuvent toutefois se tourner vers les fabricants indiens ou brésiliens, choisir le produit qu'ils veulent acheter et poursuivre le processus. Par conséquent, beaucoup de temps a été gaspillé dans les étapes initiales du processus pour chercher à attirer des pays. Sept pays nous ont approchés. Le Rwanda est le seul qui ait suivi le processus après avoir compris ce que l'on attendait d'eux. Tous les autres pays ont abandonné parce que le processus était trop compliqué, trop frustrant et qu'il ne valait pas la peine d'investir tous ces efforts; ils avaient d'autres solutions qui s'offraient à eux.
La prochaine difficulté, si l'on peut dire, se situait à l'étape des négociations d'une licence volontaire. Nous avons tenté, avant l'approbation du produit, qui a eu lieu en juin 2006, d'approcher les brevetés. Dans le cas de TriAvir, il y avait quatre détenteurs de brevets : trois entreprises et une personne. Chacune de ces parties devait être rencontrée séparément pour discuter de licence. Le processus a débuté presque en même temps que l'approbation de Santé Canada. La réponse que nous ont donnée l'industrie des médicaments de marque et les détenteurs de brevets fut qu'il était trop tôt pour entamer des discussions parce que le produit n'avait pas encore été approuvé et qu'aucun pays ne s'était montré intéressé. Par conséquent, nous ne pouvions même pas entamer de discussion pour une licence volontaire avant qu'un pays ne se montre intéressé, ce qui n'est arrivé qu'un an plus tard.
Ce n'est qu'en 2007 que le Rwanda a enfin présenté une demande et qu'alors nous avons pu dire aux entreprises de médicaments de marque qu'un pays s'était manifesté. Alors les négociations ont débuté concernant les termes d'ententes de licence. Au bout du compte, malgré la grande publicité qui faisait état de la volonté d'accorder des licences volontaires, lorsque l'on en arrivait aux choses pratiques et aux détails de ces licences, les conditions étaient complètement inacceptables et bien loin des termes définis dans le RCAM.
Curieusement, les redevances ne furent pas un obstacle important. Je crois que les deux parties étaient d'accord sur les taux de redevance, aucune objection n'a été soulevée. Les problèmes concernaient les dépôts de marque de commerce et le détournement — vous en avez sûrement entendu parler plus tôt — ainsi que les processus de vérification qui vont bien au-delà des dispositions prévues par le RCAM.
Ensuite est venue la question de la logistique entourant la livraison du produit au Rwanda. Comme le témoin précédent l'a déjà dit, les processus d'approvisionnement dans les pays en développement sont très complexes. Un grand nombre de pays doivent avoir des processus d'appels d'offres transparents parce que les fonds pour acheter des produits viennent de la Banque mondiale ou d'autres organismes. C'est donc un processus très long. Aussi, après avoir développé ce produit et navigué au travers de nos lois, nous ne savions toujours pas si nous serions en mesure de livrer le produit au Rwanda parce que nous devions encore passer à travers un processus d'appels d'offres. Comme vous le savez, les prix étaient également un problème, mais nous avons eu la chance de pouvoir négocier des prix de matières premières qui nous permettaient de rester compétitifs.
Ce projet de loi donnerait la possibilité d'élaborer des dispositions régionales visant à structurer la durée des brevets délivrés et les licences obligatoires d'une région, ce qui nous permettrait, simplement en fonction de l'économie d'échelle, de réduire les coûts. C'est une des répercussions les plus importantes lorsqu'il est question de coûts.
Au beau milieu du processus, lorsque les responsables du Rwanda ont réalisé que ça fonctionnerait et qu'un produit leur serait livré, ils ont voulu doubler leur demande, ce que nous ne pouvions faire. Nous aurions pu acheter des matières premières et le fabriquer, mais nous n'aurions pu en envoyer davantage parce que nous étions limités par la structure de la loi, ce qui, à notre avis, est complètement ridicule. De plus, nous avions deux ans pour livrer la quantité de produits qu'ils avaient commandés.
Comme vous le savez peut-être, nous avons envoyé le produit en deux envois : un en septembre de l'année dernière, et l'autre en septembre de cette année, et ce, afin de maximiser la durée de conservation du produit. Nous ne voulons pas leur envoyer assez de médicaments pour 21 000 patients pour une période de deux ans dans un même envoi. Cependant, nous devons respecter les limites de deux ans imposées par la loi actuellement en vigueur. Cette période peut être prolongée de deux ans en vertu des dispositions actuelles. Toutefois, pour ce faire, nous devons travailler la logistique, ce qui s'avère tout à fait injustifié quand on pense à l'utilité du produit livré.
En examinant chaque étape, avec une semaine supplémentaire ici ou un mois de plus là, on s'aperçoit qu'il faudrait plus d'années pour mettre en oeuvre ce processus parce que nous ne pouvons faire fi de la structure de la loi. D'autres aspects du processus fonctionnent très bien. Comme je l'ai dit, nous sommes heureux de travailler avec l'approbation de Santé Canada. L'examen est efficace et le processus s'est déroulé sans faille. La préqualification de ce produit par l'OMS, qui est une autre étape essentielle du processus, s'est également déroulée en douceur. Le problème est que si le Rwanda souhaite passer une nouvelle commande, nous devrons reprendre les négociations depuis le début.
Hier encore, nous avons lu dans la presse que les entreprises pharmaceutiques qui produisent des médicaments d'origine disent faire leur part et encourager leurs membres à délivrer des licences volontaires comme elles l'ont fait la dernière fois. La réalité est qu'elles n'ont pas délivré de licences volontaires la dernière fois. Ces produits ont été fournis en vertu d'une licence obligatoire. Nous avons été obligés d'agir ainsi. Je ne sais pas à quoi elles font référence lorsqu'elles disent encourager leurs membres à continuer avec des licences volontaires. Cela ne s'est pas produit.
Le sénateur Fox : Est-ce que le processus des licences obligatoires est difficile?
M. Clark : Non. Une fois que la décision d'opter pour les licences obligatoires a été prise, je crois que nous l'avons reçu dans les 14 ou 15 jours qui ont suivi. Pourquoi imposer la licence volontaire dans ce cas? Il n'y a pas de mésentente au sujet de la durée de la licence. Les taux de redevances sont annexés au projet de loi. Personne, des deux côtés de la table, n'a manifesté son désaccord ni jugé ces taux inappropriés ou limitatifs. Le problème c'est qu'ils le sont. Pourquoi n'optons-nous pas directement pour une licence obligatoire? La question posée concerne le détournement. C'était un autre aspect de la négociation.
D'un point de vue très pratique, il faut penser à la quantité de produits que nous envoyons dans un pays comme le Rwanda pour guérir une maladie très grave, un pays où les gens meurent et qui dispose d'une infrastructure pour les distribuer. Quelle est la probabilité qu'ils les renvoient dans les pays développés? Il est difficile de concevoir de quelle manière ils pourraient les enlever à leur propre peuple et les redistribuer aux pays développés, particulièrement si on tient compte du fait que les comprimés portent la mention « XCL », ce qui signifie que ces produits ne peuvent être distribués ni vendus au Canada.
M. Kay : De plus, aucun produit ayant un nom de marque semblable n'existe dans ce marché dans les pays développés.
M. Clark : D'un point de vue sommaire, il s'agit de certaines des difficultés que nous avons rencontrées. Comme M. Kay l'a dit plus tôt, certains des correctifs simples à la loi actuelle contenus dans ce projet de loi rendraient la chose plus efficace et plus réaliste.
Ça ne peut pas être un processus unique. On doit chercher quelque chose qui est durable, et pour être durable, ça doit être pratique pour toutes les parties. Je crois que des dispositions similaires ont été élaborées dans sept ou huit autres pays, bien que rien ne leur ait été livré. Une explication simple à ça est qu'ils n'ont pas Apotex. En tant qu'entreprise canadienne, nous nous sommes engagés il y a cinq ans à saisir cette occasion de faire une différence à l'échelle mondiale et de répondre à un besoin des plus importants. C'était la bonne chose à faire. Nous sommes allés de l'avant et, sans tenir compte des difficultés, nous avons poursuivi nos efforts.
Je n'ai jamais oublié les paroles d'un diplomate africain qui s'appuyait sur sa perception et son expérience du RCAM. Il a dit que le Canada a trahi la confiance que l'Afrique lui avait accordée. Lorsqu'on entend une telle chose de responsables d'autres pays qu'on essaie d'aider, ça rend plus modeste. Est-ce que les Canadiens savent à quel point nous en faisons peu pour répondre aux besoins imposés par une maladie qui se traite très bien avec un régime qui peut être très maniable si de simples modifications y sont apportées?
Il faut rapidement apporter les modifications nécessaires afin que nous puissions faire ce que nous faisons.
Le président : Merci à vous tous. C'était très complet et clair.
J'aimerais clarifier un point. Je crois que vous avez dit que c'était un an avant la demande du Rwanda. Est-ce la faute du RCAM, la faute du Rwanda ou la faute d'Apotex?
M. Clark : Je ne crois pas que ce soit la faute de quiconque. Je crois qu'en vertu de la loi actuelle, les pays ne savaient pas quoi faire. Nous nous trouvions dans une situation où nous tentions de déterminer quels produits étaient nécessaires. Il faut également comprendre qu'il y a des manières de fournir des produits génériques aux pays en voie de développement, et c'est ce que nous faisons, sans être limités par les brevets. On parle de produits bien précis qui sont essentiels et régis par des brevets, ce que nous savons tous.
La vérité est que les pays sont mystifiés par le processus. Dans le cas d'une transaction normale, nous offririons le produit X requis pour traiter la maladie Y, et ils pourraient l'acheter directement de nous. Avec le RCAM, nous leur parlons d'un processus, non pas d'un produit. Nous essayons d'expliquer de quelle manière ils doivent présenter une demande au Conseil des ADPIC, puis ils doivent en informer le gouvernement du Canada et, par la suite, Apotex. Ils ne comprennent pas pourquoi. Ils disent qu'ils peuvent faire directement affaire avec Aurobindo Pharma en Inde, par exemple, et acheter ce produit directement des tablettes. Par conséquent, pourquoi devraient-ils passer par ce processus?
C'est la discussion que nous avons eue, comme je l'ai dit, avec sept pays différents. Lorsque nous avons essayé de leur expliquer le processus, leurs yeux sont devenus vitreux. Ils n'ont pas compris pourquoi ils devaient faire ça.
Le président : Est-ce qu'un de ces sept pays a acheté des produits ailleurs?
M. Clark : Je ne sais pas.
Le sénateur Moore : Monsieur Keon, combien de fabricants représentez-vous? Vous avez dit qu'il y en avait 10 ou 12. Je croyais que vous auriez su le nombre exact.
M. Keon : Nous avons huit fabricants, un fabricant de produits chimiques fins et cinq entreprises de recherche sous contrat, donc 14 membres en tout.
Le sénateur Moore : M. Kay, vous avez vu le projet de loi. Selon vous, est-il conforme aux normes de l'OMC?
M. Kay : Je n'en ai aucune idée.
M. Keon : L'association croit que oui.
Le sénateur Moore : M. Keon, votre association l'a-t-elle regardé?
M. Keon : Oui, nous l'avons regardé.
Le sénateur Moore : La décision rendue le 30 août dont nous avons entendu parler accorde une certaine souplesse à la mise en œuvre de ce processus et à l'adoption de ce projet de loi. Croyez-vous qu'il répond aux exigences de l'OMC?
M. Keon : Oui.
Le sénateur Moore : Monsieur Clark, vous avez dit avoir composé avec les quatre titulaires de brevet et que vous étiez déjà prêt à conclure une entente concernant les redevances et la marque. Qui satisfaites-vous en ce qui a trait au détournement? S'agit-il de ces titulaires de brevet? Avec qui d'autres traitez-vous ici? Lorsqu'on observe l'ensemble du processus, avec qui traitez-vous?
M. Clark : C'est une discussion avec les titulaires de brevet.
Le sénateur Moore : Combien de temps a pris ce processus? Vous avez dit avoir commencé en juin 2006.
M. Clark : Oui, et ce n'est pas avant la fin du mois d'août 2007 que s'est conclu l'ensemble du processus.
Le sénateur Moore : C'est une question de négociation entre votre entreprise et ces titulaires de brevet, en plus de toutes les autres exigences législatives. Ça a pris tant de temps?
M. Clark : C'est exact.
M. Kay : Il leur a fallu autant de temps pour dire qu'ils ne nous octroyaient pas une licence volontaire.
Le sénateur Moore : Je sais. Je voulais en arriver à ça. J'ai posé cette question hier. Pour en arriver au processus de licence obligatoire et prendre une décision en 15 jours, ce qui, à mon avis, est tout à fait raisonnable, il a fallu 14 mois. N'y a-t-il pas de date butoir à laquelle on peut déterminer que les gens n'ont pas été en mesure de s'entendre, par exemple après trois mois, et à partir de laquelle on adopte un processus obligatoire? Ce processus ouvert semble être un problème important dans le cas présent.
M. Clark : Telle que la loi a été rédigée, il existe en réalité un processus de 30 jours. Il est stipulé que, pour qu'un processus volontaire soit adopté, la décision doit être prise dans les 30 jours.
Au cours de ces 14 mois, nous avons en réalité essayé de trouver, en toute bonne foi, un terrain d'entente ou, à tout le moins, une manière d'en arriver à obtenir une licence volontaire. Finalement, nous avons été incapable de le faire. Nous avons décidé que c'était assez, et nous avons opté pour la licence obligatoire.
Le sénateur Moore : Votre entreprise n'aurait-elle pas pu mettre un terme plus tôt à ça, en déterminant que ça n'allait nulle part et en convenant qu'il était nécessaire d'opter pour un processus obligatoire?
M. Clark : La loi prévoit une période de 30 jours au cours de laquelle nous devons démontrer avoir essayé de négocier une licence volontaire en toute bonne foi. Une partie de notre difficulté résidait dans le fait qu'il est simple d'inscrire un tel point dans la loi, mais nos avocats nous ont dit qu'il fallait aller au-delà de la bonne foi et qu'ils souhaitaient amorcer le processus de négociation avant d'entamer la période de 30 jours par défaut. C'est pour cette raison que nous avons mis un terme à ces négociations qui ont duré 14 mois.
Le sénateur Moore : Le sénateur Fox ou quelqu'un d'autre s'est informé du fait que le Rwanda s'est manifesté en 2007. De quelle manière un pays qui fait de l'importation procède-t-il? Doit-il faire affaire avec l'ambassade locale? Communique-t-il directement avec vous? Que fait-il pour bien connaître les lois canadiennes et la liste de produits offerts afin de savoir si votre produit y apparaît? Vers qui doit-il se tourner?
M. Clark : C'est un des principaux problèmes. Il n'y a pas de manière claire de procéder. C'est à ce moment que les ONG ont donné un bon service, que ce soit Médecins Sans Frontières, la Fondation Clinton ou toute autre. Elles essaient de sensibiliser davantage les pays en voie de développement à cet égard.
Le sénateur Moore : Parlez-nous du processus qui a permis à Apotex d'établir des liens avec le Rwanda.
M. Clark : Nous avons reçu une télécopie du chef de leur programme de traitement du VIH qui a apparemment pris connaissance par lui-même de la loi et de la possibilité de faire cette demande en vertu du CRAM. Il a fait la demande au Conseil des ADPIC et à l'OMC, puis a suivi le processus nécessaire pour informer le gouvernement canadien et nous-mêmes. C'est une personne qui travaillait au sein de cette organisation. Ça ne s'est pas fait par l'entremise d'une ambassade. La demande provient habituellement de ministères de la santé ou de personnes qui travaillent au sein de ministères de la santé et qui s'informent au sujet du processus.
Le sénateur Moore : Qui a alors l'obligation de remettre la loi au Rwanda afin que les responsables puissent savoir avec quoi ils composent?
M. Clark : Dans ce cas, nous leur avons fourni l'information du mieux que nous le pouvions de même qu'un processus par étape pour les aider.
Dans les autres cas, il semble que les pays doivent se débrouiller pour obtenir l'information et connaître les possibilités qui s'offrent à eux; c'est un problème. Nous devons trouver un meilleur moyen de permettre au Canada d'informer les pays en développement de cette possibilité; il y a une importante lacune à cet égard.
Le président : Je suis peut-être le seul à le penser, mais comme je suis avocat, j'imagine que je peux le dire; on dirait que les avocats comptent parmi les méchants dans cette affaire. Si, après trente jours, les avocats ne pensaient pas que vous pouviez faire preuve de bonne foi, que vous avez dû continuer pendant je ne sais combien de mois, je ne comprends pas. J'espère que les prochaines questions vont me permettre de comprendre pourquoi, après trente jours, vous n'avez pas conclu que vous aviez fait de votre mieux et passé à l'étape suivante.
M. Kay : C'est déjà assez difficile d'avoir affaire à un avocat; nous avions affaire à quatre cabinets différents.
M. Keon : La difficulté qui émane de ce processus est en partie liée au fait que, pour amorcer des négociations, vous devez avoir trouvé un pays qui veut acheter votre produit. Quand vous allez dans un pays pour présenter votre produit, vous n'avez pas de licence. C'est rétrograde. Vous voulez dire au Rwanda ou à un autre pays que vous pouvez lui fournir le produit, mais vous n'avez pas de licence. Pour amorcer la procédure de demande de licence obligatoire et les négociations volontaires, les entreprises veulent savoir à qui vous allez vendre le produit, mais vous n'avez pas encore de droit légal de le vendre.
Par conséquent, tout le processus actuel est complexe et rétrograde. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi est un pas dans la bonne direction; il simplifie les choses.
Le sénateur Moore : Le Rwanda a-t-il dû obtenir l'approbation du financement auprès du Fonds mondial avant de faire appel à votre entreprise? Il paraît que ce processus s'étend lui aussi sur un an et qu'il doit avoir lieu avant que l'entreprise ne présente une demande.
M. Clark : Ça, je ne le sais pas.
M. Kay : Nous avons amorcé le processus en misant sur la confiance, en espérant que le Rwanda finirait par trouver un moyen de payer la facture pour les produits commandés.
Le sénateur Harb : Merci pour votre exposé. Vous avez dit que vous étiez probablement la seule entreprise dans les pays développés à fournir ce type de produit et à faire ce genre d'envoi. Est-ce exact?
M. Kay : Nous sommes la seule entreprise au Canada.
Le sénateur Harb : Y a-t-il d'autres pays développés qui le font?
M. Clark : Pendant que nous étions au Rwanda, nous avons vu un autre fournisseur de cette association de produits, mais il terminait son contrat pour commencer à vendre les produits d'Apotex.
Le sénateur Harb : De quel pays était ce fournisseur?
M. Clark : De l'Inde.
Le sénateur Harb : C'est ce que je voulais faire valoir. Il y a beaucoup de cauchemars autour de vous. Vous êtes le héro, dans un sens. D'après votre exposé, vous voulez bien faire les choses. De façon générale, je vous crois, et je suis certain que mes collègues vous croient aussi. Cependant, vous faites face à beaucoup de concurrence de la part des pays développés, comme le Brésil, l'Inde, la Chine et d'autres pays qui s'ajouteront à la liste. Vos prix doivent être concurrentiels par rapport aux leurs. Un autre cauchemar vient de la législation, qui vous crée des obstacles, et le troisième cauchemar, c'est que vous êtes leur pire cauchemar et qu'ils sont votre pire cauchemar. Je parle ici des fabricants de médicaments d'origine, parce que, n'en déplaise à qui que ce soit, vous êtes en concurrence avec eux aussi. Enfin, nous avons l'engagement envers l'Afrique. Il existe de nombreuses variables
Vous proposez que nous commencions par appuyer le projet de loi S-232 — cela vous permettra au moins de résoudre certains de vos cauchemars et de passer à l'étape suivante. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Clark : Je pense que c'est juste.
M. Kay : Oui.
Le sénateur Hard : Monsieur Keon, quand nous avons reçu le témoin, le sénateur Goldstein, qui a déposé le projet de loi, a dit qu'une partie du projet de loi prévoyait le remplacement d'un pays par une ONG. C'est-à-dire que les demandes de produit seraient présentées par une ONG plutôt que par un pays. Cependant, quand l'OMC a accepté de permettre aux pays de présenter des demandes, elle n'a pas parlé des ONG. À votre avis, compte tenu de cet élément, le projet de loi serait-il toujours conforme aux dispositions de l'OMC, ou pensez-vous que, même si le projet de loi est adopté, nous devons tout de même obtenir des précisions auprès de l'OMC?
M. Keon : Comme l'ont dit M. Clark et les témoins précédents, les ONG jouent un rôle essentiel dans ce dossier. Le Fonds mondial a l'argent nécessaire pour acheter ces produits. Or, il veut les obtenir à un prix plus concurrentiel pour pouvoir en acheter davantage et traiter plus de gens.
Nous avons toujours été favorables à l'idée de permettre aux ONG de travailler avec les pays pour les aider à déterminer leurs besoins et les représenter par la suite.
Le sénateur Massicotte : C'est tout à votre honneur de faire cela sur la base du prix coûtant. Vous êtes manifestement un Canadien responsable qui collabore avec la société. Je suis un partisan convaincu du régime de marché. Je crois fermement que les intérêts des pauvres de ce monde seraient mieux servis dans un marché libre. Cela dit, nous devons trouver un mécanisme qui vous permettrait de faire un profit acceptable de sorte que vous ayez la motivation nécessaire pour répondre non seulement à quelques besoins, mais à de nombreux besoins de façon dynamique.
Cette modification à la loi permettra-t-elle cette saine concurrence, où nous ne dépendons pas de la générosité ou de la nature non lucrative d'un contrat d'approvisionnement? Que doit-on faire pour que de nombreuses parties se fassent concurrence et que cela réduise les coûts de sorte que tous y gagnent?
M. Kay : En fait, cela va nous permettre d'être concurrentiels au Canada. Nous devons quand même être concurrentiels à l'échelle mondiale. Si, au bout du compte, ils peuvent acheter ces produits de l'Inde, par exemple, à un coût moindre que s'ils les achetaient d'une entreprise canadienne, tant pis. Si la loi n'est pas modifiée, les entreprises canadiennes ne seront pas en mesure d'intensifier leurs efforts et de miser sur la fabrication des produits au Canada.
Le sénateur Massicotte : Est-ce parce que les obstacles sont tels que vous ne pouvez pas être concurrentiels?
M. Kay : Ce n'est pas que nous ne pouvons pas être concurrentiels. C'est qu'il faut savoir manoeuvrer habilement à travers la bureaucratie, à travers la législation. Au bout du compte, cela ne vaut pas la peine parce que je peux consacrer mes ressources à d'autres activités qui me permettront d'obtenir un bon rendement du capital investi. Je n'ai aucun problème à fournir des médicaments qui pourraient sauver des vies au prix coûtant parce que c'est une responsabilité sociale de l'entreprise, pourvu que je ne paralyse pas l'ensemble de mon organisation.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi alors n'augmentez-vous pas vos prix? Vous demandiez 19 cents et l'expérience s'est révélée positive; si vous demandiez 30 cents, auriez-vous plus d'intérêt à vous soumettre à cette lourde bureaucratie et seriez-vous tout de même capable de fournir le produit?
M. Kay : À 30 cents, ils achèteraient les médicaments d'un autre pays.
Le sénateur Massicotte : En fait, vous pouvez vous permettre d'être plus concurrentiel quand il y a moins d'obstacles. Compte tenu de la situation actuelle dans le monde, ce qui compte le plus, c'est qu'on réponde aux besoins, peu importe que le produit provienne ou non du Canada. Vous semblez dire que d'autres pays disposent de mécanismes comportant moins d'obstacles qui leur permettent de répondre à ce besoin à un coût moindre. Est-ce exact, ou y a-t-il des besoins moins sensibles au prix auxquels on ne répond pas et qui vous permettent de fabriquer un produit plus solide?
M. Kay : Il y a des besoins auxquels on ne répond pas. Par ailleurs, certains pays préféreraient ne pas acheter d'une entreprise indienne et faire affaire avec un pays industrialisé comme le Canada, parce qu'ils savent que la qualité des produits fabriqués ici respecte les normes les plus élevées.
Le sénateur Massicotte : Si tel est le cas, alors pourquoi ne demandez-vous pas un prix plus élevé pour faire un profit qui vous motiverait à vous soumettre à ce processus et à ne pas nuire à l'approvisionnement?
M. Kay : Si nous le pouvions, nous le ferions, mais nous ne le pouvons pas. Nous devons être concurrentiels. Au bout du compte, c'est de la marchandise.
Le sénateur Massicotte : Nous tournons en rond. Pour certains produits, il n'y aucune concurrence. Il y a un besoin auquel on ne répond pas, ou il y a peut-être une certaine demande à laquelle peut répondre un producteur de grande qualité comme le Canada. Je ne crois pas vraiment que vous allez faire cela en grande partie à titre non lucratif. Je veux être certain que la structure que nous allons créer vous motivera à poser ce geste de nombreuses fois et à faire concurrence aux autres pays.
M. Kay : Nous continuerions à le faire à titre non lucratif parce que c'est la bonne chose à faire. Nous avons la capacité et les ressources.
Le sénateur Gerstein : J'aimerais revenir à la question du sénateur Massicotte. Au cours du processus, qui peut comporter des obstacles plus ou moins grands, à quel moment de votre discussion avec un client éventuel parlez-vous de prix? À quel moment votre client se renseigne-t-il à propos des coûts?
M. Clark : Je vais reprendre l'exemple de l'expérience que nous vivons actuellement. Nous n'avons pas parlé de prix avant qu'il ne soit clair que, du côté du Rwanda, un processus valide était bel et bien en place. C'est-à-dire qu'on pouvait entrevoir le résultat final. Une discussion a eu lieu à propos du processus d'appel d'offres, et on nous a dit : « C'est votre appel d'offres. C'est le prix. » La discussion à propos du prix a probablement eu lieu aux deux tiers du processus.
En ce qui concerne le prix et le changement qu'il est proposé d'apporter à la législation, en élargissant l'application du modèle de licence obligatoire pour qu'elle englobe une région ou un territoire — le Rwanda n'est pas le seul pays à avoir besoin de ce produit; toute la région en a besoin — nous sommes en mesure de nous procurer des matériaux bruts à un bien meilleur prix lorsqu'on augmente le volume. Une part de la confusion qui entourait l'établissement du prix du produit d'Apotex au départ était que — en raison des coûts de développement — il s'élevait à plus de deux fois le coût commercial que nous pouvions établir en raison des économies d'échelle. Si nous pouvons viser plusieurs régions, nous serons en mesure de réduire le prix et d'être concurrentiels à l'échelle internationale. Ce n'est pas difficile d'être concurrentiels à l'égard du prix. L'élément moteur pour nous, c'est de garantir que nous serons en mesure de mettre quelque chose sur le marché.
Je suis d'accord pour qu'on s'interroge sur l'établissement du prix ou l'aspect économique, si vous le voulez. Nous devons mettre en place un processus durable. Pour qu'il soit durable, même si on décide de le faire sans but lucratif, nous devons quand même réduire les coûts le plus possible pour offrir une solution au coût de revient, à un prix que ces pays sont prêts à payer.
Le sénateur Fox : Les organisations du Fonds mondial jouent-elles un rôle dans la détermination du prix qui est jugé acceptable? Est-ce qu'elles imposent des conditions relativement au financement? Vous avez parlé d'appels d'offres.
M. Clark : Dans le cadre du processus d'appel d'offres ouvert, le fait d'avoir à être concurrentiel est implicite. Je n'ai rien vu qui laisse entendre qu'il y a des contrôles ou une échelle de prix jugée acceptable.
M. Kay : Il faut se rappeler qu'à l'heure actuelle nous n'avons qu'une seule expérience.
Le sénateur Ringuette : Merci de nous parler de votre unique expérience en tant qu'entreprise canadienne et pour toute cette bonne volonté dont vous faites preuve dans les efforts que vous déployez.
Je suis quelque peu consternée. D'une part, certains collègues semblent se disputer au sujet du marché libre. Il semble que, si l'on veut promouvoir les marchés libres, il faudrait éliminer les complexités et les règles. Essentiellement, c'est ce que vise le projet de loi S-232.
Au cours des cinq dernières années, quels produits faisant partie de la liste des produits du RCAM ont été expédiés du Canada vers les pays en voie de développement, et par quels fabricants de médicaments d'origine?
M. Kay : Nous n'avons pas les moyens de répondre. Je sais que, par l'entremise d'autres organisations, les fabricants de médicaments d'origine donnent des produits à l'Afrique subsaharienne, mais je n'en connais pas la valeur.
Le sénateur Ringuette : Le sénateur Goldstein nous a indiqué qu'il s'agit d'environ 50 000 $ par année, par fabricant canadien.
M. Keon : Les fabricants de médicaments d'origine et les fabricants de médicaments génériques donnent d'importantes quantités de médicaments aux pays en voie de développement, en dehors du cadre du RCAM. Partenaires Canadiens pour la Santé Internationale, PCSI, est une organisation à but non lucratif d'aide humanitaire et d'aide au développement. Un fabricant de médicaments génériques, Pharmascience Inc., de Montréal, est l'entreprise qui a fait le plus de dons par l'entremise de PCSI au cours des dernières années. Oui, les entreprises pharmaceutiques font des dons de médicaments.
Le projet de loi et la loi visent à permettre aux fabricants de médicaments génériques de fabriquer les médicaments brevetés, ce qui leur permet de réduire le coût de ces médicaments qu'il leur serait autrement impossible de produire.
Le président : Au bout du compte, il y a eu plus de dons de médicaments faits hors du cadre que dans le cadre du RCAM.
M. Kay : Il ne s'agit cependant pas toujours de médicaments brevetés.
M. Keon : Les fabricants de médicaments génériques fabriquent des médicaments non brevetés et les exportent vers plus de cent pays. Le projet de loi traite des médicaments brevetés que les fabricants de médicaments génériques pourraient fabriquer en vertu de licences obligatoires.
M. Clark : En ce sens, c'est une chose que de donner des médicaments par l'entremise de diverses organisations. Cependant, le projet de loi ne traite pas de charité; nous parlons ici d'autodétermination. Le projet de loi permet aux pays de définir leurs besoins; ils disposent des ressources et de l'infrastructure nécessaires pour s'occuper des questions qui leur sont propres. Il s'agit dans ce cas d'autodétermination et de capacité de choisir. On ne parle pas de charité, mais bien de choix.
Le sénateur Fox : Dans votre déclaration, vous avez employé l'expression « solutions simples ». Une solution simple serait d'éliminer la licence volontaire au profit de la licence obligatoire. Est-ce possible?
M. Clark : Ça l'est, même en vertu de la loi actuelle. C'est le mécanisme par défaut. La licence obligatoire est prévue dans les cas où les entreprises n'obtiennent pas de licence volontaire.
Le sénateur Fox : Conserveriez-vous la licence volontaire, en y ajoutant des contraintes de temps strictes? Mais à partir de ce moment-là, ne serait-ce pas une licence obligatoire?
M. Clark : C'est exactement notre avis. C'est non seulement inutile pour les deux parties, mais aussi une perte de temps, le leur et le nôtre, lorsque les deux ont convenu de la structure de la licence obligatoire.
Le sénateur Fox : La première solution simple serait donc d'adopter la licence obligatoire. La seconde serait d'éliminer l'exigence selon laquelle le processus doit être lancé à la demande d'un pays donné.
M. Clark : C'est exact. La disposition pourrait prescrire l'établissement d'une licence obligatoire à l'échelle régionale ou la possibilité de viser certaines régions.
Le sénateur Fox : Donc, une ONG qui ferait une demande devrait obtenir l'appui du pays concerné, est-ce exact?
M. Kay : Lorsqu'une ONG intervient, elle représente un pays ou une région en particulier.
Le sénateur Fox : L'avantage des modifications proposées est que les ONG devront jouer un rôle actif pour obtenir l'appui des pays, alors qu'à l'heure actuelle les pays ne savent pas qu'une telle possibilité existe. J'aurais imaginé que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, par la voix des ambassades, aurait fait connaître ce procédé canadien. Pourtant, vous me dites que le ministère ne l'a pas fait, qu'il n'a pas pu le faire ou qu'il le ne voulait pas.
M. Clark : Si le ministère l'a fait, nous n'en avons aucune preuve, à en juger par le nombre de questions provenant de divers pays.
Le sénateur Fox : Voilà donc deux solutions simples. Quelle est la troisième?
M. Clark : Ce serait de supprimer la contrainte de temps. Dans le cadre du RCAM, la période prévue actuellement est de deux ans. Nous souhaitons qu'il n'y ait plus de date d'expiration, parce qu'après avoir négocié la licence pour une région, il semble ridicule de devoir l'utiliser avant, disons, le 1er janvier 2011.
Le président : Si je vous comprends bien, lorsque vous vouliez faire un second envoi, vous deviez reprendre le processus de zéro.
M. Clark : Nous devrions effectivement reprendre le processus pour une deuxième expédition.
Le sénateur Fox : Est-ce que ce sont les trois solutions simples, ou y en a-t-il d'autres?
M. Clark : D'après notre expérience, nous croyons que ce sont les obstacles les plus importants.
Le sénateur Frum : M. Clark a mentionné les aspects juridiques à respecter pour se conformer à l'OMC. À ce propos, le projet de loi comporte un problème de non-conformité, qui concerne la durée de la licence. L'OMC exige une limite ou une durée définie, ce que le projet de loi éliminerait. L'OMC exige également un énoncé portant sur la quantité. Or le projet de loi l'éliminerait aussi.
Ma question ne porte pas sur la conformité. Ce sont vos commentaires sur le détournement qui m'intéressent. Manifestement, les abus liés au détournement vous intéressent aussi. Avec un projet de loi n'imposant aucune restriction de temps ou de quantité et des destinations où, sauf votre respect, les occasions de marché noir sont légions, pourquoi un tel marché ne s'installerait-il pas?
M. Clark : Je n'ai pas de réponse simple. Nous devons nous poser d'autres questions. Les fabricants de médicaments d'origine distribuent déjà leurs produits dans ces régions. Si l'éventualité d'un détournement de leurs produits dans ces régions ne les préoccupe pas, alors je ne sais pas pourquoi, sous le régime de la présente loi, nous devrions nous en faire. Il est clairement indiqué que les produits ne peuvent être utilisés que dans le cadre de ces programmes. Tous les organes de réglementation des divers pays savent de quels produits il s'agit.
Les dispositions relatives à la transparence qui se trouvent dans la loi actuelle ne nous posent aucun problème. Nous avertissons les détenteurs de brevet de notre intention d'envoyer les produits et nous leur indiquons les quantités. Nous en faisons ensuite le suivi sur notre site Web. Ce n'est un secret pour personne. Ces dispositions demeurent nécessaires. Nous n'avons aucune objection à cet égard.
Nous avons la capacité de prévoir les quantités et les marchandises à livrer, ainsi que le calendrier d'expédition, pour pouvoir fonctionner comme une entreprise raisonnable et fournir ces produits de façon durable.
M. Kay : La question du détournement préoccupe les grandes entreprises pharmaceutiques dans la mesure où les médicaments sont détournés vers des pays où ils se vendent beaucoup plus cher.
Lorsqu'il s'agit des produits que nous fournissons, non seulement ils portent une marque distinctive, mais ils ne sont pas commercialisés par les fabricants de médicaments d'origine. Ils ne fabriquent pas de produits à triple combinaison.
Autre facteur important : le produit ne peut pas être vendu au Canada ni aux États-Unis. Au Canada, il ne peut pas l'être parce qu'il n'a pas de numéro d'identification du médicament, donc aucun pharmacien ne peut l'acheter ni le vendre. De plus, aux États-Unis, il n'a pas de numéro de code national de médicament, et ne peut donc pas y être acheté ni vendu. C'est une sorte d'échappatoire, mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer qu'il n'y a pas de détournement.
Le sénateur Frum : Je ne connais pas grand-chose au marché noir des médicaments, mais ceux qui y participent s'occupent-ils vraiment du marquage? J'ai souvent entendu dire que les produits portent une marque distinctive, mais est-ce que ça change quelque chose pour les marchands ou les acheteurs illégaux de médicaments?
M. Kay : Le commerce illégal est omniprésent. Notre rôle est de nous assurer que nous emballons et marquons les produits de manière à ce qu'ils ne puissent être revendus à un autre organisme authentique et à ce qu'ils arrivent à bon port. Je ne peux pas contrôler le marché noir.
M. Clark : La participation des ONG et d'autres organisations au processus aurait l'avantage de leur faire assurer la surveillance et de leur faciliter l'accès au programme.
Le sénateur Frum : Je suis d'accord. Actuellement, les ONG ne sont pas admissibles.
M. Clark : Il faut quand même une entente avec un pays. Les ONG ne seraient pas en mesure de distribuer un produit dans un pays sans avoir signé une entente, simplement pour une question de logistique. C'est toujours le pays qui sera le titulaire de l'entente, sous le régime de la loi.
Le président : D'après ce que je comprends, le règlement de l'OMC exige de préciser la durée et la quantité, entre autres — mais aucun chiffre n'est fixé. Qu'est-ce qui vous empêcherait de donner des chiffres qui ne correspondent pas à vos intentions et de fixer une limite de 10 ans?
M. Kay : En effet, il faudrait que la durée soit indéterminée, mais qu'il y ait une période et une quantité limites.
Le président : Cela ne semble pas contrevenir au règlement de l'OMC, mais je ne pratique plus le droit.
M. Keon : L'entente de l'OMC énonce que la quantité exportée ne doit pas dépasser les besoins. Aucune quantité n'est précisée. Dans la proposition, nous demandons de pouvoir fabriquer des produits en quantité suffisante pour les exporter afin de répondre aux besoins.
Le sénateur Raine : Je suis heureuse de constater que la structure de redevance établie dans la loi actuelle et la loi proposée ne pose de problème à personne. Est-ce exact?
M. Clark : Oui. Surtout en sachant que les fabricants de produits d'origine affirment ne pas vouloir exiger de redevances. Je ne crois pas que ce soit un problème. Pas plus tard qu'hier, ces entreprises ont affirmé qu'elles ne veulent pas demander de redevances sur ces produits.
M. Kay : Si ces entreprises exigeaient une redevance, cela gonflerait nos coûts, et donc les prix.
Le président : Je remercie vivement les témoins. Cette discussion a été très instructive pour nous tous.
(La séance est levée.)