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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 14 - Témoignages du 19 novembre 2009


OTTAWA, le jeudi 19 novembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été soumis le projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour honorables sénateurs, et bonjour à vous, monsieur Taubman.

Je suis Michael Meighen et j'ai l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Ce matin, nous poursuivons notre examen d'un projet de loi d'initiative parlementaire émanant du Sénat, le projet de loi S- 232. Le projet de loi a été déposé par notre ancien collègue et ancien vice-président du comité, l'honorable Yoine Goldstein, le 31 mars 2009.

Selon le sommaire, le projet de loi S-232 :

[Français]

[...] modifie la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues afin de faciliter la fabrication et l'exportation de produits pharmaceutiques pour remédier aux problèmes de santé publique touchant de nombreux pays en voie de développement et les pays les moins avancés, en particulier les problèmes résultant du VIH-SIDA, de la tuberculose, du paludisme et d'autres épidémies.

[Traduction]

Aujourd'hui, nous entendrons Antony Taubman, directeur de la Division de la propriété intellectuelle à l'Organisation mondiale du commerce et ancien directeur par intérim et chef de la Division des questions mondiales de la propriété intellectuelle à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Je tiens à informer mes collègues que, pour des raisons évidentes, M. Taubman ne peut pas faire d'observations sur le projet de loi que nous examinons, le S-232, mais il nous fournira de l'information sur l'accord de l'Organisation mondiale du travail sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les ADPIC, qui constituent le fondement du droit international sur lequel s'appuie le régime canadien d'accès aux médicaments.

Avant de commencer, monsieur Taubman, je devrais peut-être vous présenter les sénateurs présents, si vous nous voyez tous.

De ce côté de la table, à ma gauche immédiate, il y a le sénateur Ringuette du Nouveau-Brunswick. À sa gauche, votre droite, il y a le sénateur Peterson de la Saskatchewan, le sénateur Fox du Québec, le sénateur Mahovlich de l'Ontario. À mon extrême droite, le sénateur Oliver de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Greene de la Nouvelle-Écosse et le sénateur Harb de l'Ontario.

Nous vous sommes très reconnaissants, monsieur Taubman, de prendre le temps aujourd'hui de venir discuter avec nous. Je crois savoir que vous avez un exposé préliminaire, que je vous inviterai à faire, puis, si vous voulez bien répondre à nos questions, nous vous en serions grandement obligés.

Antony Taubman, directeur, Division de la propriété intellectuelle, Organisation mondiale du commerce : Merci beaucoup, monsieur le président. Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous dans le cadre de vos délibérations sur une question d'importance fondamentale pour la collectivité internationale, soit l'accès aux médicaments vitaux pour ceux qui en ont désespérément besoin.

Comme le président l'a mentionné, je ne comparais pas devant vous à titre d'expert indépendant, libre d'exprimer mes opinions personnelles. Je suis là encore moins en tant que partisan ou défenseur d'une politique ou d'une interprétation juridique quelconque, ni en tant que représentant autorisé de l'Organisation mondiale du commerce. Je travaille au sein du secrétariat de l'OMC et la seule contribution que je puisse faire à votre comité se situe à un niveau un peu technique.

Pour utiliser une analogie grossière avec le Sénat, mon rôle et mon statut se rapprochent davantage à ceux des employés qui organisent et convoquent vos séances de comité. Ce sont les 153 gouvernements membres de l'OMC qui jouent un rôle équivalent au vôtre, mesdames et messieurs les sénateurs, et qui prennent les décisions.

Avec votre permission, je vous expliquerai le rôle de notre secrétariat, je vous donnerai des renseignements de base sur la déclaration sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique adoptée à Doha et sur le soi-disant mécanisme du paragraphe 6 établi conformément à cette déclaration, et je vous ferai part de notre réflexion sur l'application de ce mécanisme.

Je suis actuellement directeur de la Division de la propriété intellectuelle où je travaille avec un petit groupe de collègues talentueux et dévoués responsables de l'administration des ADPIC. Ils fournissent des services au conseil des ADPIC, gèrent les notifications et les procédures officielles en vertu de l'Accord sur les ADPIC et assurent l'assistance technique à la formation en partenariat avec d'autres organismes internationaux comme l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'Organisation mondiale de la Santé, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement et d'autres.

Depuis le début de cette décennie, nous nous occupons surtout de la propriété intellectuelle et de la santé publique, notamment de l'accès aux médicaments, y compris la mise en œuvre de la Déclaration de Doha et du mécanisme prévu au paragraphe 6.

Pour vous donner une idée de l'importance de ce mécanisme, il s'agit de la seule modification parmi toutes celles qui ont été présentées pendant les négociations commerciales du Cycle d'Uruguay que les membres de l'OMC aient acceptée depuis que l'encre a séché sur cette imposante liasse de papier en 1994. Cela reflète l'importance de cette question pour nos membres et, bien sûr, pour le secrétariat qui exécute les volontés de nos membres.

Le paragraphe 6 de la Déclaration de Doha constitue également un pas important vers une plus grande cohérence entre les politiques en matière de santé publique et les politiques en matière de propriété intellectuelle. Comme notre directeur général, Pascal Lamy, le disait dans un discours, le 14 juillet 2009, « le système international de priorité intellectuelle ne peut pas fonctionner indépendamment de questions plus vastes de politiques publiques, par exemple comment satisfaire des besoins élémentaires comme la santé, l'alimentation et un environnement propre ».

La Déclaration de Doha revêt une importance fondamentale pour l'OMC et pour l'application des accords sur les ADPIC, mais elle a également contribué à façonner le cadre de coopération multilatérale en matière de propriété intellectuelle et de santé publique tout au long de cette décennie.

Cette coopération est une responsabilité pratique majeure. En effet, nous avons donné de nombreuses formations dans l'ensemble du monde en voie de développement sur la Déclaration de Doha et sur le mécanisme du paragraphe 6 que vous examinez. Nous avons donné beaucoup plus d'une centaine de séminaires de formation partout dans le monde depuis 2004, lorsque ce mécanisme a commencé à prendre forme.

Je dois être clair, hélas, sur ce que nous ne faisons pas et pourquoi nous ne pouvons pas le faire, puisque cela limite inévitablement ma contribution à vos délibérations. Notamment, je ne peux pas exprimer d'opinion sur l'interprétation du texte ni sur la compatibilité de lois ou de projets de loi canadiens avec les ADPIC.

Je suis désolé si cette position semble évasive ou peu utile — ce n'est absolument pas le cas —, mais peut-être que l'explication même vous aidera dans vos délibérations puisqu'elle vous donnera une idée de la manière dont le régime des ADPIC est géré en pratique.

Le secrétariat est chargé d'aider les 153 membres de l'OMC, y compris le Canada, à mettre en œuvre les ADPIC en tenant compte de leurs propres intérêts nationaux et de leurs priorités. Nous avons à cœur de fournir toute l'assistance possible pour aider à la mise en œuvre du mécanisme du paragraphe 6. Cependant, l'ensemble de nos membres n'ont pas jugé utile que le secrétariat cherche à se prononcer sur les projets de loi nationaux, ni que nous évaluions la comptabilité des ADPIC et de leurs choix législatifs. C'est à nos membres qu'il appartient d'en discuter entre eux.

En effet, il est assez inhabituel qu'un employé du secrétariat comparaisse devant une entité comme ce comité pour témoigner en séance publique sur un processus législatif national. Honnêtement, je comparais aujourd'hui parce que vous nous avez encouragés à le faire. Nous espérons pouvoir vous aider dans vos délibérations malgré ces contraintes.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la première disposition de fond de l'Accord sur les ADPIC, avant toute définition des normes de protection de la propriété intellectuelle, précise que les membres sont libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en œuvre les dispositions de l'accord dans le cadre de leur propre système et pratique juridiques. Nos membres continuent à insister sur cette souplesse au niveau politique et pratique. Par exemple, lors de l'examen annuel du mécanisme du paragraphe 6, l'un de nos membres a rappelé cette disposition — l'article 1.1 — pour insister sur le fait que les lois de mise en œuvre du paragraphe 6 ne devraient pas nuire à l'interprétation et à l'application de la modification aux ADPIC au niveau national par d'autres membres et que cette mise en œuvre ne devrait pas servir de précédent pour la mise en œuvre de la décision ailleurs.

Il y a encore assez peu de lois de mise en œuvre du mécanisme du paragraphe 6 qui nous ont été signalées et nous avons donc assez peu d'expérience sur laquelle nous appuyer.

L'Accord sur les ADPIC établit un repère juridique pour les attentes mutuelles qu'ont les membres de l'OMC à l'égard des régimes de propriété intellectuelle des autres membres. Il définit, dans un contexte multilatéral, les normes que les partenaires commerciaux peuvent exiger les uns des autres, et prévoit plusieurs avenues pour régler les différences lorsque deux pays ne s'entendent pas sur la question de savoir si ces normes sont respectées au niveau national.

L'Accord sur les ADPIC n'est donc pas une sorte de loi type. Aucun régime national fonctionnel de la propriété intellectuelle ne transposerait simplement le libellé tel quel de l'Accord sur les ADPIC directement dans la législation nationale. Le mécanisme du paragraphe 6 dont nous discutons n'est pas un système autonome d'acquisition de médicaments. Ce n'est même pas un régime d'octroi de licences obligatoires. Il s'agit plutôt d'un moyen pour créer une voie juridique afin de pouvoir fonctionner librement dans certaines circonstances où des pays ne peuvent pas utiliser efficacement l'octroi de licences obligatoires; en d'autres mots, lorsque cette voie n'existait pas encore.

Le mécanisme du paragraphe 6 a été proposé comme modification à l'Accord sur les ADPIC dans le but de créer une voie juridique qui n'existait pas auparavant, mais pour être appliqué, il doit être mis en œuvre dans un contexte juridique et pratique plus vaste et aussi d'une manière conforme aux directives plus générales énoncées dans la Déclaration de Doha.

Strictement parlant, le mécanisme est une dérogation juridique. Il annule certaines exigences des ADPIC et lorsque, bientôt nous l'espérons, il deviendra une modification en bonne et due forme du traité, et il continuera à définir les circonstances dans lesquelles les membres n'auront aucun recours juridique auprès de l'OMC en ce qui concerne les choix des législatures et des administrations nationales. Cependant, il ne s'applique pas automatiquement. Il aide à définir une voie juridique, mais il appartient toujours au pays de choisir d'emprunter cette voie et de décider du moment de le faire.

Les membres de l'OMC ont exigé une importante marge de manœuvre sur le plan de la politique, c'est-à-dire de leurs choix législatifs nationaux, et ils insistent là-dessus avec raison. Il serait donc inapproprié et inacceptable que je fasse des commentaires sur ces choix.

La solidité et la légitimité du régime du droit international ne dépendent pas uniquement du contenu des normes sur lesquelles les membres se sont entendus entre eux. Le régime du droit international requiert également une définition claire de la portée et des limites du droit international en tant que tel, et des choix politiques légitimes que les membres sont libres d'adopter en tant qu'États souverains à l'intérieur de l'espace politique qui leur appartient.

Bon nombre des questions soulevées dans le cadre du projet de loi relèvent des choix que les membres de l'OMC peuvent faire eux-mêmes dans le but de faire avancer les grands objectifs des ADPIC d'une manière politiquement et juridiquement compatible avec leurs propres régimes nationaux.

Dans l'ensemble des pays membres de l'OMC, on constate une grande diversité dans les moyens d'établir un juste équilibre entre les intérêts du détenteur de brevet et les autres utilisations de la technologie brevetée d'une part, et de l'intérêt du grand public à la fois dans le droit substantiel et dans les garanties procédurales. Alors que tous les membres cherchent à atteindre les mêmes grands objectifs politiques, cette diversité reflète la variété des intérêts politiques, des traditions et des régimes juridiques, des contextes politiques plus vastes, des accords bilatéraux et régionaux et autres accords de coopération que négocient les membres.

Pour ce qui est de l'interprétation des ADPIC au niveau international, plusieurs mécanismes officiels ont été créés à cette fin et nous, au secrétariat, notre structure nous isole de ces mécanismes. À la suite d'une recommandation du Conseil des ADPIC, les membres de l'OMC peuvent collectivement adopter une interprétation des ADPIC qui fera autorité. En outre, il existe plusieurs options de règlement des différends qui peuvent aboutir à une décision juridique officielle qui interprète les dispositions de l'accord dans la mesure où une telle interprétation est nécessaire pour régler un différend bilatéral, mécanisme auquel le Canada a lui-même eu recours pour certaines questions relatives au droit des brevets.

Le secrétariat, et les fonctionnaires comme moi, n'ont pas ce pouvoir, et nos membres, à qui cette organisation appartient après tout, nous ont dit clairement de ne pas confondre ces voies hiérarchiques. Si nous cherchions à faire valoir une interprétation type qui nous plaît, cela créerait de l'incertitude quant à la portée des obligations juridiques que les membres s'imposent les uns les autres.

En ce qui concerne le mécanisme du paragraphe 6, le président du Conseil général de l'OMC a indiqué que les membres peuvent demander au Conseil des ADPIC d'examiner rapidement toute question concernant l'interprétation ou la mise en œuvre de la modification au paragraphe 6, en vue de prendre les mesures qui s'imposent. À ce jour, ce mécanisme n'a pas été utilisé, quoique le conseil fasse un examen annuel du régime, et il reçoit également les lois de mise en œuvre adoptées par les membres de l'OMC, y compris le Canada.

Permettez-moi, en conclusion, de faire quelques observations sur l'application actuelle du mécanisme du paragraphe 6.

Pour situer le mécanisme en contexte, il offre une marge de manœuvre additionnelle pour de nombreux mécanismes qui existent déjà dans l'Accord sur les ADPIC et qui ont été reconnus et clarifiés dans la Déclaration de Doha.

Ce mécanisme s'applique à un ensemble de circonstances précises et répond aux difficultés, ciblées dans la Déclaration de Doha, auxquelles pourraient faire face certains pays dont les capacités dans le secteur pharmaceutique sont insuffisantes ou inexistantes pour utiliser efficacement les dispositions d'octroi de licences obligatoires de l'Accord sur les ADPIC. Le mécanisme s'applique uniquement lorsqu'un pays souhaite utiliser une licence obligatoire pour diversifier ses approvisionnements de médicaments, mais qu'il ne peut pas le faire parce que les autres fournisseurs sont assujettis à des brevets accordés par des pays étrangers. Ces cas constituent un sous-ensemble restreint de tous les scénarios d'approvisionnement pharmaceutique auxquels ces pays font face à l'heure actuelle.

Étant donné que le mécanisme s'insère dans un contexte plus vaste, les membres de l'OMC ont reconnu qu'il serait souhaitable de promouvoir le transfert de technologies et le renforcement des capacités dans le secteur pharmaceutique afin de surmonter justement ce problème. En effet, on encourage les membres à utiliser ce système pour promouvoir l'atteinte de cet objectif en transférant la capacité de production aux pays intéressés. En effet, dans la pratique, notre secrétariat fournit un soutien à de telles initiatives et, en particulier, à un certain nombre de mesures importantes prises par l'Organisation mondiale de la santé pour encourager le développement d'une capacité de production interne, surtout sur le continent africain.

Bien qu'elle soit importante, la solution du paragraphe 6 n'est pas la solution complète aux problèmes d'accès mais, comme le disait le directeur général Lamy, le paragraphe 6 doit être examiné périodiquement et il faut utiliser les résultats de ces évaluations afin que l'OMC puisse poursuivre ses efforts pour que ce mécanisme contribue, avec d'autres mesures, à améliorer l'accès aux médicaments.

Des examens annuels sont effectués depuis 2004. Il s'agit d'examens officiels menés par le Conseil des ADPIC dont les détails sont du domaine public, et je ne vais donc pas vous les livrer de manière exhaustive, mais il est juste de dire que ces examens ont porté essentiellement sur l'état d'avancement des lois de mise en œuvre, c'est-à-dire les mesures prises par nos membres pour appliquer la décision et les progrès réalisés en vue de l'acceptation de la modification aux ADPIC. Cette modification n'est pas encore en vigueur et doit être adoptée par les deux tiers de nos membres, et c'est pourquoi l'examen annuel se penche sur des questions comme l'étendue de la mise en œuvre de cette décision.

En outre, les efforts de pionnier du Canada dans la mise en œuvre du mécanisme pour expédier des médicaments ont fait l'objet d'éloges dans le cours de ces examens. Lors des plus récents examens, certains ont dit craindre que la mise en œuvre du mécanisme ne devienne trop lourde, mais aucune proposition n'a été formulée pour réformer le régime.

Au secrétariat, nous sommes conscients du débat qui se poursuit à savoir si le mécanisme du paragraphe 6 est adéquat. Nous ne pêchons pas par excès de confiance, et M. Lamy a dit qu'il ne fallait pas croire aveuglément au succès. Nous tenons autant que quiconque à ce que le mécanisme porte fruit et à ce que des réponses soient trouvées aux questions qui sont soulevées à l'heure actuelle dans le cadre du débat sur la politique. Est-ce que le régime fonctionne? Quelles sont les meilleures options qui s'offrent aux membres pour la mise en œuvre du mécanisme au moyen d'une loi nationale? Le régime, tel que négocié par nos membres, comporte-t-il un problème inhérent? Est-ce qu'il est trop lourd et complexe? Dans la négative, pourquoi est-il si rarement utilisé? Pour comprendre pourquoi ces questions se posent, il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer le recours limité au mécanisme.

Premièrement, il faut tenir compte de la protection restreinte que confèrent les brevets à l'égard d'un médicament essentiel dans les pays exportateurs à faible coût. Dans certains cas, des médicaments génériques pourraient déjà être disponibles et faire concurrence aux médicaments produits en vertu du régime prévu au paragraphe 6. Dans de tels cas, l'octroi de licences obligatoires pour des exportations a une utilité réduite. Lorsque les pays importateurs admissibles ne signalent pas leurs besoins au moyen du mécanisme, il va de soi que le mécanisme lui-même sera de peu d'utilité.

Il faut alors se demander pourquoi ces pays ne signalent pas leurs besoins. Cela changera peut-être lorsqu'ils essaieront de se procurer des médicaments de nouvelles générations pour lesquels ils n'auront peut-être pas la même liberté d'action, selon l'évolution des brevets dans des pays exportateurs de médicaments génériques bien établis comme l'Inde. Il s'agit là d'une question empirique pour laquelle il faudra faire de nombreuses études approfondies avant de pouvoir tirer des conclusions claires.

Deuxièmement, comme notre directeur général l'a dit, la disponibilité même du mécanisme, de même que l'évolution du climat au sein des professions de la santé et des sociétés pharmaceutiques, aideront peut-être les gestionnaires de programmes d'acquisition de médicaments à négocier des prix plus bas, tout comme la perspective d'une licence obligatoire peut servir en général de levier lors de la négociation d'un accès volontaire à la technologie. D'une manière ou d'une autre, les prix ont chuté de manière spectaculaire au cours de la décennie. Quoi qu'il en soit, la concurrence entre les producteurs de médicaments génériques peut rendre moins intéressant pour les programmes d'acquisition l'octroi de licences obligatoires dans les pays développés où les coûts sont plus élevés. Encore une fois, il s'agit là d'une question empirique sur laquelle je ne vais pas faire de constatations.

Troisièmement, les règles préexistantes sur les ADPIC ont déjà permis l'exportation d'une proportion importante des médicaments produits en vertu d'une licence obligatoire interne. La seule restriction était que la licence obligatoire ne soit pas utilisée principalement pour les exportations — en d'autres mots, que l'essentiel de la production soit destinée au marché intérieur. Cette modification prévoit expressément l'ouverture d'une nouvelle voie d'acquisition parallèle. Elle précise que cette règle s'applique toujours.

Quatrièmement, le mécanisme est encore dans une longue phase de mise en œuvre, et peu nombreux sont les pays qui nous ont informés qu'ils ont adopté une loi. Même l'étape relativement simple d'adoption officielle de cette modification, c'est-à-dire de modification à l'Accord sur les ADPIC, qui n'impose aucune obligation précise aux membres, est plus longue que prévue. Deux fois déjà le délai d'acceptation a été reporté et nous sommes encore bien loin du nombre requis pour l'entrée en vigueur officielle du mécanisme. Ce report n'est pas une contrainte pratique, mais il illustre bien le fait que la mise en œuvre prend plus de temps que prévu.

De manière générale, la Déclaration de Doha indique qu'il faudra assouplir d'autres dispositions relatives aux ADPIC afin de promouvoir l'atteinte d'objectifs en matière de santé publique. Nous savons que nos membres ont examiné diverses options en ce qui concerne les articles susceptibles d'être brevetés, les médicaments brevetés pouvant faire l'objet de contrefaçon, ainsi que les exceptions et les restrictions, comme l'exception relative à l'approbation réglementaire que le Canada a réussi à faire valoir lors du règlement d'un litige. Diverses voies ont été choisies pour encourager une plus grande concurrence entre les sociétés génériques et la réduction des prix qui en découlerait.

Permettez-moi de conclure pour de vrai en vous faisant part de certaines réflexions de notre directeur général sur le moyen de rendre le régime encore plus efficace. Cette question fait l'objet de nombreuses discussions politiques ici à Genève et pourrait vous intéresser à titre d'information ou de manière plus pratique.

Encore une fois, notre directeur général a abordé cette question dans un discours récent, où il disait :

L'objectif en soi n'a jamais été la délivrance d'une multitude de licences obligatoires. L'objectif était et reste l'accès à des médicaments meilleur marché pour les pauvres. Le système doit donc être jugé en termes de prix et d'accès. Un simple recensement des notifications au titre du système prévu au paragraphe 6 est un indicateur médiocre des résultats obtenus en matière de santé publique. [...]

[...] il faut peut-être aussi réfléchir à la façon dont les programmes d'approvisionnement pourraient faire un usage plus efficace du système tel qu'il est. Celui-ci crée une voie juridique pour l'accès aux médicaments, mais il ne peut pas en lui-même générer un niveau de demande commercialement viable.

De fait, le système reconnaît explicitement la nécessité d'effectuer des économies d'échelle pour les programmes d'approvisionnement dans les régions où il existe une proportion importante de pays moins avancés (PMA). De façon plus générale, il est ouvert à une coordination entre les besoins d'importation et les pays d'origine, de façon à assurer les économies d'échelle nécessaires. (...)

L'utilisation effective du système de propriété intellectuelle et des flexibilités prévues dans l'Accord sur les ADPIC est importante, mais elle n'est pas isolée du reste : la législation et les politiques en matière de propriété intellectuelle doivent être associées à des politiques d'approvisionnement en médicaments, à des sauvegardes favorables à la concurrence, et à la réglementation des médicaments à des fins de sécurité et de qualité.

Ainsi, se pose en pratique la question de savoir comment rendre les fournisseurs commercialement viables et efficaces par rapport au coût dans le cadre du système actuel. Dans quelle mesure est-il possible de coordonner et de regrouper des commandes afin de réaliser des économies d'échelle? Dans quelle mesure les commandes peuvent-elles être étalées dans le temps pour assurer un approvisionnement constant, pour qu'il en vaille la peine que les producteurs s'équipent et respectent les exigences de la réglementation? De quelle manière peut-on réaliser ces économies d'échelle et d'argent à l'intérieur du cadre actuel?

Ce système est en pleine évolution au niveau international. Les pays utilisent toute une gamme de flexibilités de l'Accord sur les ADPIC pour promouvoir l'accès aux médicaments. Comme nous avons été informés d'un nombre relativement peu élevé d'expériences législatives nationales en ce qui a trait au paragraphe 6, et qu'encore moins de besoins réels nous ont été signalés au moyen de ce système, c'est-à-dire des besoins d'approvisionnement pharmaceutique, nous avons peu de faits sur lesquels nous appuyer pour évaluer la meilleure façon d'aller de l'avant.

Je sais, honorables sénateurs, que ces observations générales ne régleront pas les questions importantes dont vous êtes saisis, mais j'espère qu'elles permettent de situer votre important travail dans son contexte international. Je suis maintenant à votre disposition pour vous aider davantage, notamment pour vous fournir ultérieurement des réponses plus détaillées à des questions auxquelles je n'aurai pas pu répondre pendant la séance, en raison des contraintes de temps ou des limites de mes propres connaissances. Je vous remercie infiniment de votre attention.

Le président : Merci, monsieur Taubman. Nous vous sommes reconnaissants de l'information que vous nous avez fournie. Elle nous sera utile.

Pendant votre exposé, les sénateurs Gerstein et Frum, tous les deux de l'Ontario, se sont joints à nous. Tous les membres sont donc présents, ce qui vous montre l'intérêt que nous portons à ce dossier.

Avec votre permission, je vais maintenant céder la parole à ceux qui m'ont fait savoir qu'ils souhaitaient vous poser des questions.

Le sénateur Harb : À Doha, lors de la réunion de l'OMC, on a parlé du cycle du développement. On y avait décidé, entre autres choses, de réserver d'importantes sommes pour aider les pays les moins développés, notamment les nations africaines et les pays en voie de développement, à obtenir de l'information de l'OMC, puisque bon nombre de ces pays ne sont pas représentés à Genève. C'est pourquoi, lorsqu'il se passe quelque chose dans votre bureau, ils n'en ont pas la moindre idée. S'ils étaient informés, ils ne seraient pas en mesure de comprendre, car certaines de ces questions sont complexes. Cette disposition est l'une de ces questions complexes, comme vous avez eu raison de le dire, dont un nombre restreint de pays se sont prévalus. La question est complexe.

Tous les témoins qui ont comparu devant le comité ont fait valoir un point fort clair : il y a une tragédie, un problème en Afrique. Presque tous les témoins nous ont dit qu'une seule mesure ne permettra pas de résoudre le problème. Nous devons utiliser une approche holistique qui aura recours à plusieurs mesures.

Vous comparaissez devant nous pour parler plus précisément du paragraphe 6. J'aimerais vous poser plusieurs questions.

D'abord, à votre connaissance, combien de pays se sont prévalus de cette disposition? Ensuite, avez-vous une liste des sociétés ou des organisations qui ont soulevé des préoccupations relativement au paragraphe 6?

M. Taubman : Merci beaucoup, sénateur Harb. J'aimerais rapidement répondre à votre première question, car elle est importante pour nous. Notre organisation est composée de membres qui sont tous traités sur un pied d'égalité. Ils jouissent tous des mêmes droits de représentation et chacun de leur vote a le même statut. En revanche, comme vous l'avez mentionné, nous avons des préoccupations quant à la représentation physique des membres et la capacité de travailler avec ces enjeux fort complexes.

Je pourrais vous faire une conférence sur le sujet, mais je ne rentrerai pas dans les détails. Je peux en revanche vous dire que des efforts concertés ont été déployés pour garantir que les pays les moins développés se retrouvent au cœur des préoccupations et reçoivent une attention spéciale en ce qui concerne leurs besoins en matière de renforcement des capacités. Je vous dirais que le groupe de pays les moins développés à Genève est actif et a envie d'exprimer ses intérêts.

Comme vous l'avez mentionné, depuis la conférence de Doha, bon nombre de ressources ont été mobilisées afin de combler ce besoin. Je peux vous dire qu'aujourd'hui même, un autre don considérable a été effectué afin de garantir que les représentants des pays les moins développés pourront assister à notre conférence ministérielle à la fin du mois. La préoccupation demeure toujours, mais des efforts sont déployés pour y remédier.

En ce qui concerne votre question portant sur les soins de santé, nous avons un programme de coopération technique qui met particulièrement l'accent sur les besoins des pays les moins développés. Une des initiatives vise plus précisément les pays les moins développés qui n'ont pas de représentants à Genève, soit les pays qui ne sont pas représentés en personne par notre mission à Genève. Une initiative intitulée « La semaine de Genève » rallie ces pays dans cet édifice, et nous leur offrons une séance d'information détaillée. Nous travaillons avec eux pour pouvoir pallier le problème.

Il s'agit d'un travail de longue haleine, mais j'aimerais quand même vous rassurer. Sachez que, au secrétariat, cet enjeu constitue une priorité, car nous avons vu le besoin et tentons d'y répondre. Nous déployons beaucoup d'énergie pour faire ce que nous pouvons pour satisfaire ce besoin.

En ce qui concerne le paragraphe 6, dans mes observations, je vous ai parlé de ce que j'ai appellé, et c'est un euphémisme à mon avis, la période prolongée de la mise en œuvre. Cela prend un certain temps pour que le mécanisme entre en œuvre. Un petit nombre de lois ont été soulignées dans le système. Je songe, notamment, à des mesures législatives précises, telles que la loi canadienne dont vous êtes saisis en ce moment. Cette loi fait partie des lois d'avant- garde dans ce domaine. Nous avons uniquement reçu des notifications de l'Union européenne, de la Suisse, de la Norvège, de l'Inde, des Philippines et de Singapour.

Si vous demandez combien de membres ont pris des mesures pour se prévaloir de la décision du mécanisme, il s'agit des membres qui ont avisé de lois existantes.

Quand il s'agit des pays importateurs, soit les pays qui veulent importer des médicaments, seul le Rwanda a signalé le besoin d'importer des médicaments qui sont exportés par la société canadienne Apotex en vertu de votre loi. C'est le seul cas jusqu'à présent.

Cette situation nous amène à nous poser une question : n'y a-t-il pas un besoin? Qu'est-ce qui se passe? En gros, il faut mieux comprendre les besoins d'approvisionnement précis de ces pays. Nous savons que les pays en développement, plus particulièrement dans l'Afrique subsaharienne et les pays les moins développés, ont grandement besoin d'obtenir des médicaments à faible coût. Ces besoins sont urgents. Une série de mesures permet de partiellement répondre à ces besoins, mais, de toute évidence, elles ne sont pas suffisantes.

Ainsi, nous continuons à travailler avec l'aide technique, en partenariat avec l'Organisation mondiale de la Santé et l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, pour faire en sorte que les pays comprennent mieux le système et le perçoivent d'une manière pratique et, avant tout, pour associer le système à des activités d'approvisionnement pratiques. Comme je l'ai déjà mentionné, le système ne fonctionne pas isolément. Il ne s'agit pas d'une pharmacie en ligne indépendante. Il s'agit d'un moyen qui permet aux programmes existants d'approvisionnement d'offrir un meilleur accès à des médicaments à moindre coût.

Il existe un problème de coordination, qui consiste à faire le pont entre l'offre et la demande d'une manière plus systématique. Cette coordination dépasse bien le cadre de notre mandat en tant qu'organisation précise. Il s'agit d'un problème de coordination sous-jacente et de collaboration. Je peux vous dire que la coordination est en train d'avoir lieu. Elle met l'accent sur les pays qui ont le plus de demandes. J'espère que, d'une manière ou d'une autre, cette coordination permettra éventuellement de combler ces besoins de manière plus systématique, que l'on ait recours ou non au paragraphe 6.

Le sénateur Oliver : Merci de votre exposé. Vous nous avez fait un excellent survol de la façon dont l'OMC souhaite utiliser le mécanisme qui se trouve au paragraphe 6. Les pays membres, tels que le Canada, pourront maintenant mieux comprendre le paragraphe en question et les modifications que vous avez soulignées.

Au début de votre exposé, vous nous avez fait une mise en garde et avez expliqué pourquoi vous ne pouviez pas nous fournir une interprétation article par article du projet de loi dont nous sommes saisis. Je comprends bien votre point de vue, puisque les 152 autres pays membres n'apprécieraient pas que vous fournissiez cette interprétation. Vous avez indiqué avoir lu la première loi adoptée par le Canada. J'aimerais savoir si vous avez pris connaissance du projet de loi S-232 dont nous sommes saisis.

M. Taubman : Je ne l'ai pas lu en détail. Je l'ai parcouru, mais je ne voudrais pas en parler en détail.

Le sénateur Oliver : L'exemption que vous nous avez longuement décrite aujourd'hui permet de faciliter l'exportation de médicaments génériques aux pays en développement et aux pays les moins développés qui sont aux prises avec des problèmes de santé publique. En revanche, vous avez indiqué que seul un pays, le Rwanda, s'est prévalu de ce mécanisme par l'entremise du Canada.

Le mécanisme abroge les restrictions de l'alinéa 31f) de l'Accord sur les ADPIC. Cependant, on a continué d'inclure dans l'exemption le fait que d'exporter des médicaments aux pays les moins développés ne minerait pas la protection des brevets légitimes prévue dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC. Cette exemption est une des mesures de protection.

Une des préoccupations que l'on peut avoir avec la loi canadienne est que ces mesures de protection risquent d'être négligées. Vous nous avez indiqué que dans votre loi, il existe un mécanisme qui permettrait à un pays, tel le Canada, de demander au Conseil des ADPIC d'examiner un problème.

Si le Canada était préoccupé par le fait qu'une de ces mesures n'était pas protégée, est-ce qu'il pourrait en faire part à votre conseil? Le cas échéant, quelles étapes faudrait-il suivre?

M. Taubman : Oui, effectivement. Lorsque nous avons convenu de modifier l'Accord sur les ADPIC et que le mécanisme a été enchâssé dans la loi, le président du Conseil général, soit le corps principal qui prend ces décisions, a émis une déclaration qui expliquait les préoccupations et les intérêts de nos membres dans la négociation et la conclusion de cet accord. Je vais vous en parler. Cela pose exactement les mêmes questions que vous avez soulevées. La déclaration du président, par exemple, indique que le système sera établi de bonne foi afin de protéger la santé publique et ne sera pas un instrument dont on pourra se servir pour atteindre les objectifs industriels ou commerciaux.

On a beaucoup débattu de la question du détournement. Les membres craignaient que l'objectif du système pourrait être compromis si les médicaments étaient détournés des marchés où on les envoyait. En d'autres termes, on expédiait les médicaments à un pays qui en avait besoin, mais les approvisionnements étaient détournés en raison de leur faible coût, par exemple, et renvoyés dans un pays riche qui pourrait en tirer des avantages économiques. Les gens étaient préoccupés de ce détournement possible et voulaient veiller à ce que l'on mette en place des mesures efficaces pour contrer le problème.

En ce qui concerne votre question relative aux préoccupations que pose la mise en œuvre, la déclaration du président du Conseil général indique que les membres devraient tenter de résoudre tout problème découlant de l'utilisation et de la mise en œuvre de la modification de manière expéditive et à l'amiable. La déclaration propose ensuite les diverses approches que l'on peut adopter. On peut notamment soulever la question auprès du Conseil des ADPIC. Plus particulièrement, tout membre peut demander au Conseil des ADPIC d'examiner avec célérité, en vue de prendre des mesures appropriées, toute question portant sur l'interprétation ou la mise en œuvre de la modification, y compris des questions portant sur le détournement.

Il s'agit d'une entente entre nos membres. On n'y a pas encore eu recours, mais le Canada, à titre de membre de l'OMC, peut le faire. En tant que secrétariat, il suffirait qu'on nous demande d'examiner cette question lors d'une séance du Conseil des ADPIC, et nous traiterions la demande en conséquence. Notre rôle en tant que secrétariat consiste tout simplement à préparer le programme et la documentation. Il incomberait au gouvernement du Canada de décider de poser une question d'interprétation ou de mise en œuvre relative à la modification à l'Accord des ADPIC. Je ne voudrais pas me perdre en conjectures quant à savoir pourquoi personne ne l'a fait jusqu'à présent. Bon nombre de pays sont, à l'heure actuelle, en train de débattre de la question. Parfois, les gens préfèrent résoudre le problème dans leur propre pays avant de le soulever dans une tribune internationale.

Hormis ce que j'ai mentionné tout à l'heure, lorsque je vous parlais de l'examen annuel du système, on n'a pas soulevé ce problème auprès du Conseil des ADPIC. L'examen se penchait seulement sur le fait de faire rapport relativement aux mesures prises par nos membres dans la mise en œuvre du système et le fait qu'ils s'encourageaient les uns les autres à mettre en œuvre et à accepter cette modification.

Le président : Puis-je vous poser une question supplémentaire? Monsieur Taubman, je n'ai peut-être pas bien compris ce que vous avez dit, mais, au Canada, en ce qui concerne les impôts, nous pouvons consulter le ministère des Finances et lui dire : « Je songe à faire telle ou telle chose. Est-ce que cela contreviendrait à une loi fiscale? Pouvez-vous nous rendre une décision anticipée à cet effet »?

Est-ce de cela que vous parlez? Si le Canada choisit de le faire, il peut dire : « Voici ce que nous proposons de faire pour la loi nationale. Veuillez s'il vous plaît nous fournir une décision anticipée pour que nous sachions si cela contreviendrait à nos obligations en vertu de l'OMC et de l'Accord des ADPIC »?

M. Taubman : Je ne pense pas que ce type de mécanisme soit disponible. Il est possible de demander une interprétation du libellé de l'Accord des ADPIC, ou du traité, mais cela n'a pas encore été effectué pour un accord de l'OMC. Le seuil politique pour y parvenir est très élevé. Il ne s'agit pas de s'adresser au ministère des Finances pour obtenir une décision précise, mais plutôt d'adopter une autre loi ou de conclure un codicille au traité. Ce n'est pas une option viable dans votre situation actuelle.

La seule autre source fiable d'interprétation se trouve dans le processus de règlement des différends. On y a recours lorsqu'un partenaire commercial est assez préoccupé par les choix faits par un pays pour entamer un mécanisme de règlement des différends. Il existe des mécanismes plus informels de consultation entre les membres. Ces consultations sont surtout menées à huis clos et ne sont pas publiques; elles ne se retrouvent pas dans les délibérations officielles du Conseil des ADPIC. Ces consultations ont lieu à huis clos. En revanche, il n'existe pas de mécanismes précis qui vous permettent d'obtenir un jugement au préalable sur une option que vous envisagez. Il faudrait que je vous donne un cours fastidieux sur la loi et la politique de l'OMC pour vous expliquer pourquoi cette option, qui semble logique, n'est pas disponible. Les raisons politiques pour lesquelles c'est ainsi sont bonnes. Mais je n'entrerai pas dans les détails.

Le président : Enfin, si le sénateur Oliver me le permet, est-ce que seul un pays membre peut soulever une préoccupation relative au mécanisme de règlement des différends, ou est-ce que l'OMC peut elle-même initier le processus?

M. Taubman : Non. Cela peut uniquement se faire par le biais d'un autre pays membre. À titre de secrétariat ou d'organisation, nous n'avons pas, si vous voulez, l'autorité de faire régner l'ordre. Je suis certain que, si j'avais stationné ma voiture de manière illégale sur la Colline parlementaire, quelqu'un serait automatiquement venu me voir et m'aurait donné une amende ou aurait fait remorquer ma voiture. Cette autorité ne s'applique pas dans ce cas-ci. Il faut qu'un autre pays membre dépose une plainte précise, en invoquant la loi ou le mécanisme. Ce n'est pas automatique. Un processus de non-respect des conditions est enclenché lorsqu'une plainte est déposée par un autre pays membre.

Le mécanisme de règlement des différends permet de résoudre des désaccords bilatéraux entre les pays membres, plutôt que d'avoir un mécanisme centralisé où nous sommes responsables de maintenir l'ordre et de prendre des mesures correctives. Nous ne pouvons pas le faire. Des raisons très vastes l'expliquent.

Le sénateur Oliver : Vous avez longuement expliqué le paragraphe 6. Il s'agit d'une modification à l'Accord des ADPIC, et certaines mesures de protection ont été comprises dans l'exemption. Certains témoins qui ont comparu devant le comité ont indiqué que le projet de loi S-232 abrogera ces mesures de protection. Des témoins ont signalé que le projet de loi permettra une production illimitée de copies génériques des médicaments brevetés destinés à l'exportation vers un pays en développement en vertu de licences obligatoires ouvertes accordées sans que le détenteur du brevet soit avisé.

Voici la question que j'aimerais vous poser : est-ce que l'on peut demander au Conseil des ADPIC d'examiner un tel problème afin de voir s'il est conforme à l'accord?

M. Taubman : Votre question porte sur deux éléments. D'abord, il s'agit d'une question de conformité. Le fait de savoir si le Canada ou un autre pays se conforment à l'Accord des ADPIC est une question qui se pose que lorsqu'un autre pays fait une plainte. Il s'agit, en quelque sorte, d'une procédure judiciaire entre les deux parties dans une poursuite. C'est plutôt de cette nature-là. La conformité ne serait pas soulevée auprès du Conseil des ADPIC, le comité où nos membres travaillent en collaboration.

En revanche, parfois, en ce qui concerne le vaste champ d'application de la Loi sur la propriété intellectuelle, les membres ont posé des questions à un autre pays afin d'obtenir plus de renseignements sur leurs lois. Par le passé, les pays ont eu recours à cette option pour couvrir toute une gamme de questions portant sur le droit de la propriété intellectuelle. À nouveau, en principe, cette option est possible, puisque nos membres et nos gouvernements peuvent poser des questions portant sur l'approche qu'un autre pays appuie pour mettre en œuvre le paragraphe 6 de l'Accord sur les ADPIC.

Dans le passé, ce processus a permis d'obtenir quantité de renseignements utiles, et il ne s'agissait pas d'une question litigieuse. Il ne s'agissait pas d'un procès. Ces renseignements étaient fournis dans un objectif de transparence car, en ce qui concerne les lois nationales, il peut être parfois difficile de comprendre les détails de ce qui se passe dans 153 pays différents.

Voici les deux possibilités. Dans un des cas, un pays doit déposer une plainte, ce qui se fait rarement.

Sénateur Oliver : Nous ne sommes pas dans une position où nous pourrions faire l'objet d'une plainte puisque nous n'avons qu'une ébauche de loi. Nous n'avons pas de projet de loi ni de loi. Il ne s'agit que d'une ébauche. Alors, cette initiative pourrait être soumise au Conseil général à titre de cas. Est-ce une possibilité?

M. Taubman : Oui. Ce serait inhabituel. Dans certains cas, des pays ont fait rapport au Conseil des ADPIC dans le cadre de l'examen général de leurs lois. Ils ont indiqué que l'initiative législative était en cours, mais ils n'ont pas demandé au Conseil des ADPIC de débattre du processus législatif du pays en question. Cet examen était effectué au niveau national. Le Conseil des ADPIC mise plutôt sur l'information et la transparence et non pas sur l'examen de la conformité ou non avec l'Accord sur les ADPIC. Il insiste surtout sur la transparence.

Le président : Nous sommes presque à court de temps, mais j'ai deux autres intervenants qui m'assurent qu'ils poseront des questions courtes et concises. Si vous continuez de poser des questions brèves, nous aurons alors fini, monsieur Taubman, et nous ne vous garderons pas plus longtemps.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé.

J'ai quelques questions courtes à vous poser. Si vous n'êtes pas en mesure d'y répondre, je suis sûr que vous me le direz.

Les témoins que nous avons entendus nous ont dit que le projet de loi S-232 pourrait donner lieu à une contestation auprès de l'OMC.

En effet, des témoins qui ont comparu devant le comité nous ont dit qu'il existe de nombreux pays auprès desquels on pourrait acheter des médicaments génériques pour l'Afrique afin de réduire les coûts, de lutter contre VIH-sida, mais alors pourquoi le Canada se donne-t-il du mal pour faire adopter un projet de loi?

Pouvez-vous vous prononcer sur ces questions?

M. Taubman : Vous avez raison, monsieur le sénateur. Je ne peux pas répondre à votre première question. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas de contestation automatique quant à l'application uniforme des ADPIC au regard d'une loi ou d'une mesure que vous adoptez. Il y a un certain seuil politique. Il faut qu'un autre pays se sente suffisamment inquiet pour déposer une plainte. Avant qu'une plainte ne passe par un processus quasi judiciaire, il faut auparavant tenir des consultations. Ce n'est pas une situation qui se produit souvent, compte tenu de l'éventail de questions dont nous sommes saisis, mais c'est un droit dont peuvent se prévaloir d'autres membres de l'OMC, s'ils ont des préoccupations, afin de déposer une plainte. Cela étant, je ne peux pas vous dire qui est susceptible de le faire, ni quand, ni pour quel motif.

En ce qui concerne la question relative à l'argument qui est souvent avancé à savoir qu'il existe déjà des fournisseurs de médicaments génériques bon marché, pourquoi alors s'en préoccuper? Des experts en matière de santé publique seraient mieux placés que moi pour y répondre. Toutefois, nous envisageons de changer le paysage des médicaments de première ligne dont on a besoin sur le terrain. Nous examinons la possibilité d'une deuxième génération de médicaments antirétroviraux, notamment. Nous envisageons de nouveaux vaccins, de nouveaux traitements. Il ne s'agit pas uniquement d'examiner la pharmacopée existante, soit le recueil de médicaments existants. Les gens sont préoccupés par l'accès à la nouvelle génération de médicaments.

Dans ces cas-là, il se peut que les producteurs de médicaments génériques existants, les exportateurs de médicaments génériques, soient limités par des brevets, car depuis l'instauration de l'Accord des ADPIC, soit depuis 1995, la protection des produits pharmaceutiques par brevet n'est entrée en vigueur que graduellement dans les pays en développement, et l'Inde en est un bon exemple. Ainsi, ce pays n'offre une pleine protection des produits pharmaceutiques que depuis 2005. La situation est en train de changer.

Pourquoi se donner la peine de fournir cette protection? Pour deux raisons : premièrement, il se peut que des scénarios se produisent où cela devient une façon viable de répondre aux besoins. Il est difficile de prédire le qui, le quand, le où, et le combien. Cela dit, c'est entièrement possible sur le plan logique.

Deuxièmement, le Canada a déjà entrepris une initiative importante qui en fait un pionnier en mettant fin à la sécheresse, pour ainsi dire, et en instaurant un système. Nous avons constaté que les gens tiraient des enseignements de l'expérience de la mise en œuvre de tels mécanismes dans le domaine général de la propriété intellectuelle. C'est important dans ce domaine en particulier. Je ne saurais sous-estimer l'importance de ce que le Canada a fait jusqu'ici.

Il vous incombe de décider jusqu'où vous voulez aller, mais la contribution du Canada a été jusqu'ici importante.

Le président : Je crains que nous n'ayons plus de temps, chers collègues et monsieur Taubman. Je vous remercie d'avoir pris le temps de discuter avec nous aujourd'hui. Compte tenu des contraintes qui nous sont imposées, vous avez fait un excellent travail. Nous vous sommes reconnaissants de l'attention que vous avez portée à nos considérations.

J'ai déjà passé une année heureuse à Genève. Je suis sûr que vous vous y plaisez autant que moi. Merci d'avoir accepté de nous rencontrer dans des circonstances difficiles, avec lesquelles vous avez composé avec brio.

[Français]

Nous sommes maintenant prêts à écouter le point de vue du professeur Frederick Abbott sur le projet de loi S-232.

[Traduction]

Bonjour, monsieur Abbott. Merci d'être des nôtres.

Pour la gouverne des sénateurs, sachez que M. Abbott est éminent boursier Edward Ball et professeur de droit international à la Faculté de droit de l'Université d'état de la Floride. C'est également un chercheur de renom qui a travaillé pour de nombreuses organisations internationales. Il est l'auteur de nombreux livres et d'articles sur les enjeux internationaux de l'économie et de la propriété intellectuelle. Tout particulièrement, il nous fera part de ses connaissances de l'Accord sur les ADPIC, de la décision du 30 août 2003 de l'Organisation mondiale du commerce, de l'accès du Canada au régime de médicaments et des modifications proposées au projet de loi S-232.

Monsieur Abbott, je crois comprendre que vous avez entendu notre échange avec M. Taubman, à Genève.

Frederick M. Abbott, éminent boursier Edward Ball, professeur de droit international, Florida State University College of Law : Non, je n'ai rien entendu.

Le président : J'ai été mal informé. Comme vous l'avez peut-être deviné, il nous a entretenus, en des termes généraux sans nous faire part de ses opinions, sur le projet de loi S-232 et sur l'incidence que celui-ci pourrait avoir au regard de nos obligations en vertu de l'OMC et des ADPIC.

Voulez-vous faire une déclaration liminaire? J'espère que vous n'aurez pas d'objection à répondre aux questions des sénateurs.

M. Abbott : J'ai une déclaration liminaire qui durera environ 12 minutes. Cela vous convient-il?

Le président : Absolument.

M. Abbott : Je serai plus que ravi de répondre à vos questions.

Je vous suis reconnaissant de pouvoir comparaître devant le comité au sujet d'un projet de loi qui vise à modifier le Régime canadien d'accès aux médicaments, RCAM. J'ai comparu le 10 mars 2004 devant le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes dans le cadre de l'examen du projet de loi C-9 qui, dans sa version amendée, a été adopté et est devenu le RCAM.

J'ai fait part aux membres du comité de la Chambre, en 2004, de plusieurs préoccupations relatives à ce projet de loi. J'étais d'avis que plusieurs des restrictions et limites envisagées feraient obstacle à l'utilisation efficace du mécanisme législatif proposé. Bien que certaines améliorations aient été apportées au projet avant son adoption, il est clair que le Canada a décidé de ne pas user pleinement — ou efficacement — de la marge de manœuvre que lui donnait l'Accord sur les ADPIC de l'OMC, la Déclaration de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique de 2001 et la décision du 30 août 2003 accordant une dérogation.

Il était prévisible que les limites au RCAM allaient grandement réduire sa valeur pour résoudre les très graves problèmes de santé publique auxquels font face les pays en développement qui sont peu ou aucunement équipés pour donner effet aux licences obligatoires. Il n'est donc pas surprenant que ce comité réexamine le RCAM dans le but d'en faire un mécanisme plus efficace et plus utile.

Je devrais prendre quelques instants pour expliquer pourquoi il est raisonnable de penser que je possède l'expertise requise sur les mesures législatives visant l'application de la décision d'exemption de l'OMC du 30 août 2003. J'ai beaucoup écrit et publié sur l'Accord sur les ADPIC de l'OMC, sur les droits de propriété intellectuelle et commerciaux, et sur la relation entre ces derniers et les questions de santé publique, dont l'accès aux médicaments. J'ai travaillé pour l'Organisation mondiale de la Santé à titre d'expert-conseil, et je travaille actuellement en tant que consultant (bien que je ne comparaisse pas devant vous à ce titre) pour l'OMS, la Banque mondiale, l'OMC, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et d'autres organisations multilatérales au sujet du commerce, de la propriété intellectuelle et de la santé publique.

J'ai été juriste-conseil auprès du groupe de pays en développement ayant rédigé la proposition pour la Déclaration de Doha de 2001, et j'ai travaillé avec ces pays tout au long des négociations ayant mené à l'adoption de la Déclaration de Doha. J'ai par la suite conseillé le groupe de pays en développement chargé au premier titre de la négociation, à l'OMC, de la décision du 30 août 2003 accordant une dérogation, du début à la fin de ce processus. J'ai écrit des articles concernant ces négociations qui ont été publiés dans le Journal of International Economic Law, l'American Journal of International Law et dans d'autres publications.

J'ai aussi cosigné un guide de la Banque mondiale sur l'application de la décision du 30 août 2003 comprenant notamment des modèles d'avis et de l'information sur la législation de mise en œuvre. J'ai aussi cosigné un rapport de la Commission du commerce international du Parlement européen sur la question de savoir si le Parlement devrait accepter que s'applique à l'Union européenne l'amendement à l'alinéa 31b) de l'Accord sur les ADPIC visant à intégrer la décision du 30 août 2003 accordant une dérogation à l'Accord lui-même. J'ai par ailleurs participé à la rencontre internationale d'experts qui s'est tenue à Ottawa en avril 2007 dans le but d'examiner le RCAM, et j'ai préparé un rapport sur l'émission par le Canada de la première licence obligatoire à l'exportation le 19 septembre 2007 pour le compte de l'International Legal Materials (publié par l'American Society of International Law).

La décision du 30 août 2003 accordant une dérogation a été critiquée par des ONG qui cherchent à faciliter l'accès aux médicaments, ainsi que par certains universitaires, par des regroupements de fabricants de produits génériques et par quelques pays en développement, qui affirment que la décision introduit un ensemble de règles beaucoup trop laborieuses qui rendent difficile l'atteinte de l'objet premier, de permettre l'exportation de produits pharmaceutiques peu coûteux vers les pays en développement qui ne sont pas en mesure de fabriquer ces produits encadrés par un régime de licence obligatoire.

J'ai pour ma part toujours soutenu que, d'une part, la décision du 30 août a été le fruit de longues et intenses négociations entre des parties dont les vues concernant le mécanisme d'application à adopter étaient très différentes et que, d'autre part, la décision du 30 août constitue un compromis auquel en sont arrivées des parties qui cherchaient soit à répondre le plus directement et efficacement possible à des besoins en matière de santé publique, soit à protéger de prétendus intérêts industriels.

Ni des ONG, dont le but est d'établir un mécanisme facilitant l'accès le plus simple possible aux médicaments, ni l'industrie des produits pharmaceutiques brevetés n'étaient, ni ne sont d'avis que la décision du 30 août constitue une solution idéale pour accroître l'accès aux médicaments ou pour protéger l'industrie. Mais la question essentielle, qui ne fait pas pour l'instant l'objet d'un consensus, est de savoir s'il est possible de rendre effective cette solution négociée en lui donnant un cadre d'application approprié, ou si celle-ci est intrinsèquement vouée à l'échec.

Je crois pour ma part qu'il est possible de faire fonctionner les systèmes, et que les directeurs commerciaux de l'industrie pharmaceutique, les spécialistes de l'approvisionnement en médicaments et de bons avocats peuvent ensemble venir à bout des obstacles que constituent les prescriptions réglementaires ou bureaucratiques du mécanisme de l'OMC. Mais cela exige de consacrer des efforts considérables à l'élaboration de mécanismes nationaux de mise en œuvre tirant avantage de la marge de manœuvre offerte par le cadre juridique de l'OMC.

Le RCAM a emprunté une autre voie en prévoyant des exigences réglementaires et bureaucratiques qui s'ajoutent à celles de la décision du 30 août. Le RCAM a été conçu pour rendre plus difficile l'application efficace de la décision du 30 août. La question que doit se poser le comité est de savoir s'il devrait recommander la modification complète du RCAM afin de réellement promouvoir l'exportation de médicaments génériques à prix modique vers les régions qui en ont gravement besoin.

Le projet de loi S-232 tente de simplifier le RCAM et de tirer partie de la marge de manœuvre offerte par la décision du 30 août en donnant la possibilité à tout fabricant de produits pharmaceutiques d'obtenir une « licence unique » du commissaire au brevet l'autorisant à fabriquer et utiliser une ou plusieurs inventions pharmaceutiques brevetées dans un but d'exportation vers des pays admissibles ayant fait connaître leurs besoins en matière de santé publique. L'une des principales raisons d'être de ce mécanisme de licence unique est de résoudre un problème important lié à la façon dont fonctionne le marché mondial des produits pharmaceutiques. Nombre d'autorités adjudicatrices responsables des produits pharmaceutiques, si ce n'est la majorité d'entre elles, obtiennent leurs médicaments en publiant un appel d'offres ou de propositions d'approvisionnement à l'intention de l'industrie. Ces appels d'offres ne sont par ailleurs pas toujours concurrentiels; c'est le cas, par exemple, lorsque la demande concerne un médicament promu pour n'avoir qu'un seul fabricant à l'échelle mondiale.

Il est extrêmement difficile en pratique pour un producteur, par exemple, un fournisseur canadien éventuel, de répondre à une demande de soumission de façon conditionnelle, en faisant savoir que son offre dépend de l'obtention d'une licence obligatoire pour laquelle un processus assez long peut être nécessaire, processus qui peut comporter la modification d'une liste établie par le gouvernement en vue d'y ajouter le médicament en question, des négociations avec un détenteur de brevet concernant une licence volontaire et l'attente de la décision ultime du commissaire aux brevets concernant la pertinence de délivrer une licence.

Il n'est pas difficile à comprendre qu'une administration publique responsable des achats en matière de santé dans un pays en développement puisse être réticente à attribuer un contrat d'approvisionnement fondé sur le respect d'un certain nombre de conditions par le fournisseur. Le fait d'exiger d'un producteur canadien qu'il obtienne une licence obligatoire aux fins de l'exportation, dans chaque cas et pour chaque pays, comporte des difficultés évidentes.

Le RCAM suppose à l'heure actuelle que le producteur peut et doit mettre sur pied une ligne de production d'un produit pharmaceutique en vue de respecter un contrat unique devant être négocié et exécuté sur une période assez longue. Or, la licence individuelle doit prendre fin après deux ans. Les producteurs génériques canadiens vous en ont certainement parlé; il s'agit d'une proposition qui, tout simplement, est antiéconomique. Il s'agit d'un processus qui, presque inévitablement, risque de taxer indûment les ressources financières et humaines d'une entreprise. Si l'objet du RCAM est de faire des fabricants canadiens une source de médicaments génériques bon marché répondant aux besoins des pays en développement en matière de santé publique, ce processus va à l'encontre du but recherché.

Le mécanisme de licence unique permettrait aux fabricants canadiens de soumettre des propositions ou des offres en réponse aux demandes de médicaments des pays en développement qui cherchent à satisfaire leurs besoins en matière de santé publique. Les producteurs canadiens seront en mesure de s'engager à fournir les médicaments si leur proposition est retenue. De la même manière, le mécanisme de licence unique permettra aux producteurs canadiens de répondre directement aux demandes d'achat de pays en développement, ou de chercher à conclure des marchés avec des pays en développement, ce qui permettra aux producteurs d'assurer l'efficacité de la production sans craindre de ne pas pouvoir, à terme, respecter leurs engagements contractuels.

Cette proposition visant une licence unique est conforme à la décision du 30 août et à l'article 31 de l'Accord sur les ADPIC. L'alinéa 2 de la décision établit les obligations de membres importateurs et exportateurs concernant la délivrance d'une licence obligatoire. Ces obligations visent expressément les membres importateurs admissibles, les produits pharmaceutiques ainsi que les noms et les quantités de produits.

Il est clair, selon le libellé de la décision, que toute licence peut être délivrée pour plus d'un produit et pour l'exportation vers plus d'une destination. Rien dans la décision ne précise que les membres importateurs admissibles à une destination doivent donner l'avis de leur intention d'acheter et d'importer de façon simultanée, ou à titre de groupe unique. L'obligation des membres importateurs consiste à fournir certains avis au conseil de l'OMC sur les ADPIC avant que des produits ne soient exportés ou importés.

Le membre exportateur — le Canada — est tenu d'aviser le conseil sur les ADPIC de la délivrance de toute licence, ainsi que des conditions de la licence. De telles conditions visent notamment les produits, les quantités, la destination et la durée de la licence. Cependant, l'exigence d'avis ne limite pas l'application des conditions énoncées aux membres exportateurs. Il s'agit d'une exigence de rapport. La note en bas de page 8 de la décision du 30 août précise que les exigences d'avis ne nécessitent pas l'approbation d'un organisme de l'OMC.

Rien dans le libellé des exigences de rapport n'empêche le membre exportateur de déclarer que les pays de destination peuvent englober l'ensemble des membres importateurs admissibles qui avisent le conseil sur les ADPIC de leurs besoins, avant les importations, ou que les quantités fournies dépendront des besoins des membres importateurs donnant avis. De la même manière, rien dans les exigences de rapport n'empêche une mise à jour par le membre exportateur à mesure que la licence est exécutée.

L'article 31 de l'Accord sur les ADPIC continue de s'appliquer d'une façon générale aux exportations visées par une licence obligatoire, sauf si la décision du 30 août prévoit une modification ou une dérogation expresse. Pour ce qui est des licences obligatoires, l'alinéa 31a) prévoit que toute autorisation sera accordée selon le bien-fondé de la demande. Cette condition ne laisse nullement entendre que le bénéficiaire d'une licence obligatoire ne doit approvisionner qu'un seul destinataire ou un destinataire désigné de produits fabriqués sous licence.

Puisqu'il serait rare qu'un fabricant n'approvisionne qu'un seul acheteur, on doit prévoir qu'une licence obligatoire viserait normalement l'approvisionnement d'acheteurs multiples. Il n'y a rien d'inhabituel à un régime de licence obligatoire où les titulaires de la licence assurent l'approvisionnement d'acheteurs multiples au cours d'une période donnée.

Le projet de loi S-232 établira un cadre permettant à divers producteurs pharmaceutiques canadiens de demander au commissaire aux brevets une licence obligatoire d'exportation. Selon la mesure législative, le commissaire est tenu de délivrer une licence à tout demandeur qui répond aux conditions pertinentes et de rejeter toute demande qui ne respecte pas ces conditions ou qui ne correspond pas aux objectifs de la loi, si le commissaire arrive à cette conclusion en se fondant sur les pouvoirs généraux dont il dispose.

Le Parlement du Canada aura établi les critères selon lesquels le commissaire évaluera le bien-fondé de toute demande, en conformité de l'alinéa 31a), ainsi que de la lettre et de l'esprit de la décision du 30 août et de la Déclaration de Doha.

Le projet de loi S-232 prévoit que la licence obligatoire sera délivrée en réponse aux besoins de membres importateurs admissibles qui concluent un marché avec un fournisseur canadien. Rien dans la décision du 30 août n'exige que les quantités fournies aux termes de la licence d'exportation obligatoire soient établies à l'avance. La décision limite en effet les exportations aux quantités nécessaires pour répondre aux besoins des membres importateurs admissibles, mais on n'attend pas des membres importateurs qu'ils prévoient de façon précise les quantités de produits nécessaires au fil du temps.

Dans la décision du 30 août, les membres de l'OMC ont fait état de la notion de quantités prévues de produits. Selon la formule d'avis proposée par la Banque mondiale, par exemple, on propose de faire état de la quantité de produits pharmaceutiques, du nombre de patients à traiter et de la période visée pour assurer la souplesse voulue aux membres importateurs admissibles.

Le projet de loi S-232 ne fixe aucune limite à la durée d'une licence. Une telle approche est sensée, étant donné que les membres importateurs admissibles pourront vouloir faire état de l'évolution de leurs besoins en matière de santé publique. L'alinéa 31c) prévoit que la durée sera limitée aux fins auxquelles l'utilisation a été autorisée et l'alinéa 31g) prévoit que « l'autorisation d'une telle utilisation sera susceptible d'être rapportée... si et lorsque les circonstances y ayant conduit cessent d'exister et ne se reproduiront vraisemblablement pas. L'autorité compétente sera habilitée à réexaminer... »

Le projet de loi S-232 autorise le titulaire de brevet à demander à la Cour fédérale qu'elle mette fin à la licence si cette dernière ne donne pas les résultats escomptés, y compris en cas de détournement avec son consentement. Autrement, on peut s'attendre à ce que les licences prennent fin au moment où les brevets pour lesquels elles sont octroyées expirent.

Un titulaire de brevet pourrait demander à la Cour fédérale de mettre fin à l'autorisation d'une licence si les circonstances qui ont mené à l'adoption du RCAM modifié changent, de telle façon que les raisons de son adoption changent au point où la loi ne remplit plus son objectif en matière de santé publique. Toutefois, cette éventualité ne semble pas mériter notre attention immédiate.

Durant l'examen législatif du RCAM en 2004, j'ai émis de sérieuses réserves concernant la décision de ne pas tirer parti de l'alinéa 31b), qui offre la possibilité de déroger des modalités prescrites dans des situations d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence ou en cas d'utilisation publique à des fins non commerciales. L'alinéa 31b) prévoit expressément que les gouvernements pourront déroger à la prescription de négociation préalable avec le titulaire du brevet selon les circonstances. Selon le paragraphe 5 de la Déclaration de Doha, les membres de l'OMC ont la liberté de déterminer les motifs sur lesquels fonder la délivrance de licences obligatoires. Cette disposition reconnaît également de façon explicite que des crises de santé publique comme celles qui sont liées au VIH-sida, à la malaria et à la tuberculose peuvent constituer des situations d'urgence nationale.

Ce qui est plus important peut-être en ce qui nous concerne, c'est qu'un bon nombre des achats faits par les membres importateurs admissibles risquent d'être réalisés par les autorités de Santé publique utilisant les produits pharmaceutiques pertinents à des fins publiques non commerciales. En pareils cas, l'Accord sur les ADPIC stipule expressément que les membres de l'OMC peuvent renoncer à l'exigence d'avis préalable. La négociation avec un titulaire de brevet risque de mener à des retards et non à l'octroi d'une licence volontaire dans des termes et des conditions raisonnables.

C'est ce à quoi a dû faire face le seul producteur de produits génériques canadiens qui, jusqu'à maintenant, s'est prévalu du mécanisme du RCAM. Encore une fois, je vous incite fortement à ajouter une option au nouveau cadre législatif, qui permettrait d'obtenir des licences sans négociation préalable avec le titulaire de brevet, une souplesse qui a été expressément intégrée à l'Accord sur les ADPIC pour une grande partie des cas.

En conclusion, la proposition principale du projet de loi S-232 concernant un mécanisme direct d'octroi de licence unique permettant de fournir aux pays importateurs admissibles les produits pharmaceutiques dont ils ont besoin correspond aux obligations du Canada aux termes de l'Accord sur les ADPIC et de la décision accordant une dérogation qui a été prise le 30 août 2003.

Je vous remercie de m'avoir écouté et de m'avoir donné la possibilité de témoigner devant vous. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Nous sommes ravis que vous soyez présent et vous remercions d'avoir pris le temps de présenter vos commentaires sur ce projet de loi.

Le sénateur Greene : Merci pour cet excellent exposé.

Il me semble que la majeure partie du temps qui s'est écoulé entre la décision d'Apotex de développer un médicament et la date à laquelle il a été expédié a été passé à rechercher un pays bénéficiaire et à tenter d'obtenir un contrat d'approvisionnement. Le processus administratif entrepris dans le cadre du RCAM a nécessité environ deux mois sur les quatre années au total. En fait, Apotex a obtenu une licence au moins huit mois avant d'obtenir un contrat d'approvisionnement.

Comment le projet de loi S-232 aurait-il changé les choses?

M. Abbott : Le projet de loi S-232 aurait de fait changé les conditions dans lesquelles Apotex pressentait des acheteurs potentiels. Il leur permettrait de livrer immédiatement la marchandise dès l'attribution d'un contrat.

Apotex se trouvait dans une situation où tous les acheteurs potentiels à qui cette compagnie s'adressait devaient tenir compte du fait que son fournisseur n'était pas en mesure de lui livrer le produit. Même à l'obtention d'un contrat, Apotex aurait été obligée de prendre tout le temps nécessaire, voire des mois, et de suivre la procédure de consentement requise avant d'être en mesure de fournir le produit.

Je pense que, si Apotex avait pu détenir une licence unique, les conditions de négociation auraient été nettement différentes.

Sénateur Greene : Diriez-vous que les procédures bureaucratiques aux termes du RCAM étaient efficaces?

M. Abbott : Je n'étais pas un expert-conseil pour Apotex. Je n'étais pas leur conseiller juridique et je ne suis pas en mesure de vous dire directement si Apotex a trouvé la procédure efficace ou non.

D'après ce que je peux comprendre à partir des documents qui ont été publiés par Apotex, c'est qu'ils ont trouvé que la procédure du RCAM était si complexe qu'ils ont juré de ne jamais entreprendre un tel processus de nouveau à moins que la loi ne soit modifiée. Je suppose donc, en me basant sur l'évaluation d'Apotex, qu'ils n'ont pas trouvé la procédure bureaucratique efficace. Apotex serait mieux placée pour vous dire avec précision ce qu'ils ont trouvé efficace ou inefficace en matière de procédure. D'après ce que je comprends, ils ont trouvé le processus plutôt difficile et contraignant.

Le président : Si j'ai bien compris ce qu'a dit notre premier témoin, M. Taubman, il a indiqué que peu, sinon aucun pays n'a profité du mécanisme établi au paragraphe 6 de l'accord de Doha. Est-ce exact?

M. Abbott : C'est exact.

Le président : Comment expliquez-vous cela?

M. Abbott : J'ai beaucoup écrit sur cette question, tant pour le Parlement européen que pour d'autres clients. Il faut commencer par établir un principe de base. Le fait est qu'avant le 1er janvier 2005, l'Inde n'accordait aucune protection conférée par brevet aux produits pharmaceutiques. Jusqu'à cette date, les producteurs indiens étaient en mesure de fournir à peu près n'importe quel médicament à un pays qui en avait besoin, sans se soucier des brevets. Jusqu'à ce que la protection par brevet des produits pharmaceutiques commence à entrer en vigueur et à avoir du poids, il était peu probable que le mécanisme de décision du 30 août soit directement nécessaire.

Par conséquent, il est fort probable que la mise en œuvre ou le recours à ce mécanisme aura lieu au fur et à mesure que la situation sur le marché pharmaceutique international évoluera. L'Inde délivre maintenant des brevets pharmaceutiques et assure la protection de ces produits au moyen de brevets. Par exemple, au fur et à mesure que les antirétroviraux de seconde génération commenceront à être protégés par des brevets en Inde, il deviendra nécessaire pour les pays de se prévaloir du mécanisme.

Je pense que c'est la principale raison pour laquelle ce mécanisme n'a pas été nécessaire jusqu'à maintenant, c'est-à- dire avant que la législation indienne sur les brevets soit changée et que cesse la production de médicaments génériques en Inde.

Le sénateur Frum : Hier, on nous a dit que le Canada était le pays où les médicaments génériques étaient les plus chers au monde. Le Sénat devra peut-être faire une étude sur cette question pour en déterminer les raisons. Toutefois, le témoin a dit que peu importe les mécanismes qui seraient mis en place — que l'on modifie ou non le RCAM au moyen du projet de loi S-232 —, cela n'aura aucune conséquence. Nos produits ne sont absolument pas concurrentiels sur le marché.

Pourriez-vous commenter sur ce sujet?

M. Abbott : Le prix des médicaments génériques au Canada est typiquement plus élevé que celui, par exemple, des produits indiens comparables. Le Canada est également connu à titre de producteur de produits génériques de haute qualité et de fournisseur fiable de produits génériques. Les producteurs canadiens ne seront en mesure de fournir des produits de façon efficace dans le cadre d'un système comme le RCAM que s'ils ont la possibilité de les produire en ayant recours à des économies d'échelle adéquates. C'est une des raisons pour lesquelles un mécanisme de licence unique est nécessaire. Si on dit aux producteurs canadiens qu'ils ne peuvent qu'obtenir un contrat unique pour un pays unique et pour une période de deux ans, cela créera sans contredit une situation non rentable pour les producteurs canadiens, qui ne seront pas en mesure de produire en quantité suffisante pour créer des économies d'échelle et être compétitifs sur le plan des prix.

Toutefois, si le Canada produisait réellement des produits génériques de la façon la moins efficiente de tous les producteurs mondiaux, alors je dirais que l'industrie de produits génériques au Canada aurait déjà cessé d'exister et qu'une compagnie comme Teva Pharmaceuticals, le meilleur producteur de produits génériques au monde, n'aurait pas acquis un des deux meilleurs producteurs de produits génériques au Canada si elle avait trouvé que le Canada était un producteur de produits pharmaceutiques génériques inefficace ou incompétent.

Le marché mondial de produits génériques est très compétitif et il exige que les compagnies offrent des prix compétitifs. Un des avantages du Canada, c'est que les entreprises comme Apotex et Teva Novapharm sont bien connues pour leur savoir-faire concernant la mise au point de molécules complexes. Bon nombre de médicaments antirétroviraux de seconde génération et d'autres produits qui pourraient être exportés correspondent tout à fait au genre de produit que les producteurs canadiens pourraient réaliser avec succès.

Je trouve étrange que l'on justifie de ne pas offrir certaines possibilités aux termes de la législation canadienne en affirmant que les producteurs canadiens sont inefficaces ou incompétents pour ce qui est de soutenir la concurrence sur le marché international. Si c'est le cas, il vaudrait mieux dire aux producteurs de produits génériques canadiens de fermer leurs portes immédiatement parce qu'ils ne seront pas en mesure de soutenir la concurrence sur le marché international. Il n'y a pas d'autre solution que de faire en sorte que ces producteurs soient plus compétitifs.

Le sénateur Frum : C'est une bonne réponse. Merci, monsieur Abbott.

Le sénateur Gerstein : Monsieur Abbott, ma question porte sur le détournement qui pourrait avoir lieu dans le cadre du projet de loi S-232. D'après ce que je comprends, les dispositions de garantie de la dérogation, qui ont été intégrées dans le RCAM, ont été acceptées par tous les membres de l'OMC, y compris le Canada; on souhaitait ainsi veiller à ce qu'elles servent à l'atteinte de l'objectif énoncé, c'est-à-dire d'exporter des médicaments génériques aux pays les moins développés ou en développement qui n'ont pas la capacité de produire eux-mêmes ces médicaments. En incluant les dispositions de garantie, les membres de l'OMC voulaient s'assurer que l'approvisionnement de médicaments génériques obtenus dans le cadre de la dérogation rejoindrait ceux qui en ont le plus besoin et que ces médicaments ne seraient pas détournés vers des marchés non visés ou non autorisés.

Comment le projet de loi S-232 peut-il respecter cet engagement lorsqu'il permet la production illimitée de copies génériques de tout médicament protégé par un brevet pour l'exportation vers n'importe quel pays en développement dans le cadre d'une licence obligatoire ouverte sans rendre obligatoires la présentation de rapports et la surveillance des chargements?

M. Abbott : À ma connaissance, le projet de loi ne permet pas d'établir un système où l'on peut produire sans limite autant de médicaments que l'on veut. Le système est conçu pour répondre aux besoins des pays en développement. Il s'agit, premièrement, des pays qui sont les moins développés et qui essentiellement, par définition, ont peu ou pas de capacité de produire des produits pharmaceutiques et, deuxièmement, des pays qui ont informé le Conseil des ADPIC qu'ils n'ont pas la capacité de fabriquer les produits pharmaceutiques en question et qu'ils en ont besoin pour faire face à un problème de santé publique. Le système n'entre en jeu qu'en fonction des besoins des membres importateurs admissibles qui avisent le fournisseur canadien, lequel avertit le commissaire au brevet et le Conseil des ADPIC de l'OMC, que le pays membre aura besoin de telles quantités de produits.

En outre, le membre importateur admissible est expressément obligé en vertu de la décision de s'abstenir de promouvoir et de restreindre le détournement des produits importés. Cette obligation visée par le paragraphe 4 de la décision et ailleurs oblige le pays membre importateur admissible à interdire le détournement du produit. Par conséquent, il existe une obligation. Il existe aussi une disposition qui stipule que si un membre estime que les mesures adoptées pour éviter le détournement sont inadéquates, il peut, s'il le demande, consulter le Conseil des ADPIC. Par ailleurs, un grand nombre d'exigences concernant les avis sont imposées sur les membres importateurs et les membres exportateurs, y compris l'obligation d'aviser le Conseil des ADPIC des lots qui sont expédiés par la compagnie pharmaceutique exportatrice au moment où le produit est expédié.

Le système a également un certain nombre de dispositions intégrées qui ont pour objet de réduire au minimum ou d'empêcher le détournement, mais le système n'oblige pas le membre exportateur à imposer ces restrictions. Les dispositions de la décision imposent les restrictions concernant le non-détournement aux membres importateurs. Cela ne signifie pas que, s'il y a des preuves d'abus du système, que le commissaire canadien au brevet n'est pas en mesure de déterminer que les dispositions de la licence n'ont pas été respectées. Par exemple, on peut présumer que le contrat signé entre l'importateur et le fournisseur et qui sera transmis au commissaire des brevets indiquera la destination des médicaments et stipulera que ces médicaments ne sont pas destinés à être réexportés à partir de la destination convenue, ce qui enfreindrait les dispositions de l'entente et de la licence. Si ces conditions ne sont pas respectées, cela constituerait un motif qui permettrait au commissaire des brevets de mettre fin aux exportations dans ce pays.

Je pense que tous ces éléments sont inclus dans la décision. Le RCAM respecte en tout point ce qui est exigé par la décision de l'OMC.

Le sénateur Oliver : Ce que vous nous dites est important pour nous en tant que Canadiens, parce que lorsque nous avons étudié le premier projet de loi, le RCAM, vous nous aviez dit que vous étiez venu au Canada pour témoigner devant le comité de la Chambre des communes qui étudiait le projet de loi. À ce moment-là, vous aviez proposé plusieurs recommandations qui n'ont pas toutes été intégrées au projet de loi qui est devenu le RCAM. Je serais curieux de savoir si des recommandations qui n'ont pas été intégrées au projet de loi initial en 2004 sont comprises dans le projet de loi S-232. Voilà ma première question.

Ma deuxième question suit de près celle qui vous a été posée par le sénateur Gerstein. Bien des gens qui sont préoccupés par le projet de loi S-232 estiment qu'il éliminera les divers dispositifs de protection établis dans le cadre de l'entente des ADPIC et qu'il permettra l'octroi de licences sans préalablement aviser le propriétaire du brevet. Je vous ai entendu dire vers la fin de votre exposé aujourd'hui que vous aimez beaucoup le projet de loi S-232 et qu'il comprend bien des éléments qui selon vous auraient dû être inclus dans le projet de loi initial. Mais vous avez dit que nous devons obtenir une certaine forme d'amendement qui permettra aux fabricants de poursuivre leurs opérations et qui permettra l'octroi de licences sans d'abord en aviser le propriétaire du brevet. C'est ce que je vous ai entendu proposer comme amendement. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, avez-vous une ébauche de cet amendement?

M. Abbott : Je vais répondre à vos deux questions.

À l'époque où j'ai témoigné devant le comité de la Chambre, le plus sérieux problème ayant trait à la proposition du RCAM concernait une condition qui était proposée pour donner aux compagnies titulaires du brevet un droit de premier refus relativement aux contrats ayant été négociés par la compagnie de produits pharmaceutiques génériques. J'ai passé beaucoup de temps, tant dans les audiences du comité que dans d'autres réunions tenues au Canada, à expliquer comment un tel système ne fonctionnerait absolument pas. Heureusement, cette disposition a été éliminée de la législation et n'a pas été intégrée au RCAM.

Un autre mécanisme qui, selon moi, aurait dû être intégré portait sur une disposition visant à tenir compte du mécanisme accéléré figurant à l'alinéa 31b) de l'entente des ADPIC, qui n'était pas intégré au projet de loi initial, et qui visait à éliminer la liste officielle des produits pharmaceutiques pouvant être exportés en vue de l'uniformiser par rapport à la décision de l'OMC et aux lois de mise en application adoptées par d'autres pays. Par exemple, dans les pays de l'Union européenne, les médicaments doivent tous obtenir une autorisation selon les termes de leur mécanisme, et c'est le cas pour tous les pays qui ont adopté une loi semblable, sauf pour le Canada. La législation chinoise a récemment été modifiée dans le même sens.

Finalement, lors des audiences initiales, j'ai également proposé de prolonger le droit d'exportation vers les pays les moins développés qui n'étaient pas membres de l'OMC et j'ai expliqué pourquoi on devrait permettre ces exportations. J'estimais que c'était conforme au cadre de l'OMC et, une fois de plus, cela a été intégré à la loi.

Pour résumer brièvement, on a tenu compte de ma principale préoccupation. Mes deux préoccupations secondaires — soit l'inexistence d'un mécanisme accéléré et la liste des médicaments — n'ont pas été retenues, tandis que l'exportation aux pays les moins développés n'étant pas membres de l'OMC a été retenue.

Le sénateur Oliver : À cette époque, aviez-vous parlé du mécanisme de licence unique?

M. Abbott : Non, pas durant ces audiences. J'ai cependant mentionné dans la publication International Legal Materials, qu'un des problèmes ayant trait au RCAM a trait à l'exigence concernant l'octroi de licence au cas par cas, et pour chacune des destinations, qui honnêtement de manière pratique rend les choses extrêmement difficiles pour les producteurs qui doivent établir une ligne de production par exemple ou qui à l'heure actuelle ne peuvent pas produire de médicaments génériques au Canada parce que le produit est protégé par un brevet et qu'ils doivent établir une ligne de production pour un produit unique et un destinataire unique. Cette proposition sera coûteuse si elle se limite uniquement au contrat unique pour une période de deux ans; c'est-à-dire qu'il faudra faire la rétro-ingénierie du médicament, développer une ligne de production, passer par toute la panoplie de tests et préparer un médicament destiné à l'exportation pour qu'au bout de compte le contrat soit terminé au bout de deux ans. C'est tout simplement non rentable pour un producteur de médicaments génériques.

Pour ce qui est de votre deuxième question, le libellé actuel comprend une exemption relativement aux négociations préalables. Dans l'ébauche actuelle, le projet de loi comprend ce que j'avais proposé dans les audiences initiales devant le comité de la Chambre des communes, et je vous incite à conserver cette disposition dans le projet de loi actuel.

Le président : Je pense qu'il n'y a plus de questions, monsieur Abbott. Avez-vous quelque chose à rajouter?

M. Abbott : Je pense sincèrement que le Canada a accompli quelque chose d'important lorsqu'il a donné l'exemple à l'échelle mondiale dans sa décision initiale d'aller de l'avant et de mettre en œuvre la décision du 30 août et qu'il a exprimé le souhait d'utiliser les forces du secteur des produits génériques canadiens pour aider les pays en développement à résoudre leurs problèmes de santé publique. L'infrastructure bureaucratique du Canada, et j'utilise le mot bureaucratique de façon positive et non de façon péjorative, en ce qui a trait aux directives établies par la loi a fait un travail remarquable dans l'exercice de ses responsabilités aux termes de la loi. Je pense que la loi contient des empêchements importants qui font en sorte qu'elle ne peut pas être efficace. Grâce aux modifications proposées dans le projet de loi S-232, le Canada pourra réellement agir en tant que chef de file et devenir un des principaux fournisseurs de médicaments aux pays en développement pour les aider à résoudre leurs problèmes de santé publique.

C'est dans un esprit tout à fait amical que j'ai formulé mes critiques par rapport aux efforts canadiens, et dans l'espoir et l'attente que le Canada atteigne l'objectif qu'il s'est donné, d'accorder une aide considérable aux pays en développement ayant d'importants besoins en santé publique. C'est pour cela que je suis très reconnaissant d'avoir pu être entendu par votre comité.

Le président : Nous vous sommes reconnaissants, monsieur Abbott, d'avoir pris le temps de témoigner devant nous. Vous connaissez manifestement notre pays et êtes d'ailleurs venu ici à quelques reprises. En dépit du fait que vous n'étiez pas ici en personne, nous constatons que des progrès ont été réalisés dans la technologie de vidéoconférence; l'image ne tressautait pas et nous vous avons très bien entendu. Nous sommes tous d'accord sur l'objectif à atteindre. Parfois, nous ne nous entendons pas sur les moyens à prendre pour y arriver, mais nous tous ici, vous y compris, sommes clairement déterminés à atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, soit de fournir des médicaments à faible coût à ceux qui en ont le plus grand besoin.

Merci beaucoup de nous avoir aidés à comprendre cet enjeu et d'avoir peut-être stimulé notre réflexion sur les moyens à prendre pour aller de l'avant. Nous aurons certainement l'occasion de nous entretenir de nouveau. C'est tout au moins ce que j'espère. En attendant, je vous remercie très sincèrement.

(La séance est levée.)


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