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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 18 - Témoignages du 5 novembre 2009


OTTAWA, le jeudi 5 novembre 2009

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 50, pour étudier le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (vice-président) occupe le fauteuil.

[français]

Le vice-président : Chers collègues, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

[Traduction]

Merci aux deux témoins qui ont accepté de venir ici ce matin. Nous allons entendre le Dr Gabor Maté à titre personnel, ainsi que M. Wayne Skinner, directeur adjoint de clinique, programme de toxicomanie du Centre de toxicomanie et de santé mentale.

Dr Gabor Maté, à titre personnel : Merci de m'avoir invité. C'est un honneur d'être ici et je suis très heureux d'avoir la possibilité de vous présenter un point de vue sur la toxicomanie. Je suis médecin à Vancouver. Je travaille depuis 11 ans dans le Downtown Eastside de Vancouver, qui est bien connu comme étant peut-être le lieu d'Amérique du Nord où il se consomme le plus de drogues. Mes clients sont des personnes qui se trouvent à l'extrémité de la gamme des toxicomanies — des personnes qui souffrent de dépendance grave aux drogues, de problèmes de santé mentale ainsi que de complications pathologiques qui en découlent comme le VIH, l'hépatite C, et des maladies multiples. Mes clients meurent au début de la trentaine, de la quarantaine et de la cinquantaine de complications de toutes ces affections, de surdoses, de suicide ou de violence, notamment.

Ce sont des personnes les plus durement touchées par la toxicomanie, mais également par ce que je considère être une conception sociale rétrograde des toxicomanies. Je sais que je ne dispose que de peu de temps. Je vais essayer de vous résumer mon point de vue sur la toxicomanie, qui n'est pas seulement un point de vue personnel; ce point de vue est également basé sur des données scientifiques.

En Amérique du Nord, il y a trois façons de concevoir la toxicomanie. La première et la plus courante est celle qui sous-tend en fait le système juridique et d'après laquelle la toxicomanie est une question de choix. Les gens semblent faire des choix néfastes, immoraux ou dysfonctionnels. En les incitant à changer d'idée, par des punitions ou parfois par des récompenses, nous les amenons à se comporter comme nous voudrions qu'ils le fassent, de sorte que la toxicomanie est conçue comme une maladie ou un trouble décisionnel. En fait, un psychologue de Harvard vient de publier récemment un ouvrage qu'il a intitulé de cette façon — Addiction : A Disorder of Choice (La toxicomanie — Un trouble décisionnel). Sur le plan scientifique, cela ne tient pas debout et sur le plan humain, c'est un point de vue rétrograde. Néanmoins, la conception la plus répandue est que les gens choisissent d'être toxicomanes.

Ce point de vue ne permet évidemment pas de répondre à la question de savoir pourquoi quelqu'un déciderait d'avoir le VIH, de vivre dans le Downtown Eastside, de perdre sa dignité, ses dents, sa santé, sa famille, ses relations personnelles, et subsister aux marges de la société? Pourquoi quelqu'un ferait-il ce genre de choix? Il est évident que voir là une question de choix ne serait constituer une explication raisonnable de cette situation.

La deuxième explication est plus humaine; elle considère que la toxicomanie est une maladie, et effectivement, si vous scannez le cerveau des toxicomanes, vous constaterez que certaines structures essentielles du cerveau sont altérées et que le cerveau n'a pas une épaisseur normale; la matière blanche et la matière grise du cerveau ne se développent pas comme elles le devraient. Si le toxicomane consomme des drogues depuis longtemps, peu importe lesquelles, même si je parle ici de drogues dures comme la cocaïne, la métamphétamine, l'héroïne, les opiacées et l'alcool — vous constaterez que la masse du cerveau est réduite parce que la matière grise ne s'est pas développée comme elle le devait. C'est effectivement une maladie. Vous pouvez le voir sur les images du cerveau obtenues par balayage, notamment.

En considérant la toxicomanie comme une maladie, le toxicomane ne porte plus le stigmate associé à sa situation, parce qu'il est considéré comme un malade; au moins, celui-ci n'est pas atteint moralement. Cette conception soulève par contre deux problèmes. Le premier est qu'elle ne permet pas d'expliquer pourquoi certaines personnes souffrent de cette maladie ni pourquoi certaines personnes y sont vulnérables et que d'autres ne le sont pas.

Selon le point de vue médical général, qui ne repose pas sur des bases scientifiques solides, c'est une prédisposition génétique qui permet de savoir si une personne sera toxicomane ou non. Je vais expliquer dans un instant pourquoi cette explication n'est pas satisfaisante.

Les modèles basés sur le choix et sur la maladie ont en commun l'avantage d'exonérer la société de toute responsabilité. Si quelqu'un est né avec certains gènes, ou si quelqu'un fait de mauvais choix, alors la société n'est pas responsable de la façon dont nous traitons les enfants ni les membres des Premières nations, et je le mentionne parce que 30 p. 100 de mes clients dans le Downtown Eastside sont des membres des Premières nations, alors que celles-ci ne représentent que deux ou trois pour cent de l'ensemble de la population canadienne.

Les modèles basés sur les notions de choix et de maladie n'expliquent donc pas la situation. Ils exonèrent la société. Ils font disparaître la nécessité d'examiner la façon dont nous traitons les toxicomanes, dont nous traitons les enfants, et dont nous abordons, d'une façon générale, la question de la toxicomanie dans notre société.

Le troisième modèle est le seul qui repose sur des bases scientifiques, d'après ce que je sais. C'est le modèle bio- psycho-social du développement humain. « Bio-psycho-social » veut dire que la biologie de l'être humain, y compris la biologie du cerveau de l'être humain, est façonnée par l'environnement dans lequel cette personne est née, est conçue et vit. Il est facile de le démontrer. Par exemple, les enfants dont les mères sont déprimées ou stressées souffrent plus souvent d'asthme que les autres. Autrement dit, l'état émotionnel de la mère a un effet physiologique sur les poumons des enfants. Cela n'est pas nouveau; c'est une conclusion qui repose sur de nombreuses études. C'est tout simplement un exemple de la façon dont la biologie d'un être humain est façonnée par son environnement affectif et psychologique. À la fin de la vie, c'est la même chose. Une étude parue il y a quelques années dans le New England Journal of Medicine montrait que, lorsqu'une personne âgée était hospitalisée, son conjoint risquait davantage de tomber malade peu après. Autrement dit, l'état physiologique du conjoint est influencé par les émotions que celui-ci ressent lorsque l'autre conjoint tombe malade.

Je ne fais que mentionner ici que les êtres humains vivent dans un contexte bio-psycho-social, que leur biologie entretient des liens étroits avec l'environnement dans lequel ils vivent, qu'il s'agisse d'environnement social ou affectif. Par exemple, une étude a montré récemment que la pauvreté a un effet sur la fonction génétique du cerveau. Cette science s'appelle l'épigénétique : elle examine la façon dont l'environnement influence les gènes.

Pour revenir à la toxicomanie, il faut se demander comment la concevoir d'un point de vue bio-psycho-social? Un chercheur américain, le Dr Vincent Felitti, médecin et chercheur en Californie, affirme que le fait de ne voir dans la toxicomanie qu'une mauvaise habitude ou un comportement autodestructeur offre l'avantage d'escamoter le rôle qu'elle joue dans la vie du toxicomane. Autrement dit, il affirme que nous devons étudier le rôle que joue la toxicomanie. Qu'est-ce que la toxicomanie apporte à un toxicomane? D'un point de vue strictement médical, cela est très clair : les toxicomanes s'auto-administrent des médicaments. Ils ont recours à l'auto-médication pour soigner leur dépression, par exemple. Vous avez tous entendu parler des antidépresseurs qui augmentent le taux de sérotonine, comme le prozac et le paxil. La sérotonine est une substance chimique du cerveau qui est essentielle pour le contrôle de l'humeur, mais la cocaïne fait également augmenter le niveau de la sérotonine, de sorte que le cocaïnomane traite en fait sa dépression par auto-médication.

Les gens utilisent l'auto-médication pour le THADA, le trouble de l'hyperactivité avec déficit d'attention, un trouble qu'un médecin a diagnostiqué chez moi et pour lequel j'ai pris pendant un moment des stimulants comme la dexedrine ou le ritalin, qui augmentent le niveau d'une substance chimique du cerveau appelée la dopamine; la dopamine joue un rôle essentiel dans la motivation, l'incitation et l'attention. Lorsqu'une personne souffrant de THADA prend un stimulant, elle se calme, aussi étrange que cela puisse paraître, mais c'est ainsi que l'on traite cet état. La métamphétamine, la cocaïne, la nicotine et la caféine sont tous des stimulants. Les gens qui consomment la plupart de ces drogues traitent ainsi leur hyperactivité par auto-médication; ils s'en servent pour se calmer.

Les gens traitent également le trouble de stress post-traumatique par l'auto-médication. Les opiacées sont des substances qui réduisent fortement le stress. Il y a beaucoup de toxicomanes qui souffrent de TSPT ou de troubles connexes. Les gens utilisent l'auto-médication pour lutter contre l'angoisse, l'angoisse sociale, les phobies sociales, notamment. À un certain niveau, c'est une forme d'auto-médication désespérée et pas très habile, mais néanmoins très attrayante.

Si l'on veut examiner de façon plus approfondie la biologie du cerveau des toxicomanes, ce qu'il faut faire si l'on veut étudier les catégories de drogues utilisées, comme les opiacées — l'héroïne, l'opium et la morphine — et les divers opioïdes, le percocet et le percodan, par exemple, on constate que ces médicaments sont utilisés par la médecine chinoise depuis 3 000 ans pour soulager la douleur. Les opiacées sont des médicaments antinévralgiques puissants qui atténuent non seulement la douleur physique, mais également la douleur émotionnelle. La structure cérébrale qui interprète l'importance émotionnelle de la douleur physique réagit également à l'importance émotionnelle de la souffrance psychologique. Si vous causez à quelqu'un une douleur émotionnelle, et faites un scan de son cerveau, vous constaterez que la partie du cerveau qui réagit est la même que celle qui est touchée si cette personne reçoit un coup de couteau. C'est pourquoi on parle de remarque blessante ou d'expérience douloureuse.

La question qui se pose en matière de toxicomanie ne consiste pas uniquement à rechercher la cause de la toxicomanie, mais celle de la douleur. Il faut examiner les études et les recherches effectuées sur les toxicomanes. Dans le Downtown Eastside de Vancouver, je n'ai pas rencontré, en 11 ans, une seule toxicomane qui n'ait pas été agressée sexuellement quand elle était enfant — pas une seule. Il y a également beaucoup d'hommes toxicomanes qui ont été agressés sexuellement. S'ils ne l'ont pas été, ils ont été maltraités, abandonnés ou négligés.

Les études sont claires. Une grande étude portant sur 17 000 adultes en Californie a montré que, lorsqu'un enfant avait vécu six expériences négatives au cours de son enfance — c'est-à-dire un divorce acrimonieux, un parent toxicomane, un parent en prison, la violence familiale, la maltraitance — il avait, rendu à l'âge adulte, 4 600 fois plus de chances de consommer des substances par injection qu'un enfant n'ayant pas vécu de telles expériences. Autrement dit, les traumatismes subis pendant la petite enfance multipliaient par 46 la probabilité de consommer des drogues de cette façon.

Je n'ai pas le temps de vous décrire en détail cette expérience, mais elle n'est pas controversée — je ne fais que vous présenter les données scientifiques actuelles concernant le cerveau, même si elles ne sont pas encore enseignées dans les facultés de médecine. Le cerveau humain se développe selon son environnement et non pas selon un strict programme génétique. C'est l'environnement qui détermine les circuits cérébraux qui vont se développer et ceux qui ne se développeront pas. Un enfant qui ne voit aucune lumière pendant cinq ans sera aveugle, parce que le cerveau de l'enfant a besoin de lumière pour développer le circuit qui lui permet de la percevoir.

Le développement du circuit nécessaire à l'apaisement interne de la douleur, le développement du circuit de l'incitation et de la motivation — c'est-à-dire, le développement des circuits cérébraux sur lesquels agissent les substances opiacées ou les endorphines produites par le corps, et le développement des circuits relatifs à l'incitation et la motivation, qui font appel à la dopamine, une substance chimique — exigent également un environnement approprié. Cet environnement est la présence d'un fournisseur de soins parentaux qui n'est pas stressé, qui est à l'écoute de l'enfant et constamment présent. Il est possible de faire ces expériences avec des animaux. Les récepteurs cérébraux de la dopamine seront moins développés, et ils risqueront davantage de consommer de l'alcool et de la cocaïne lorsqu'ils seront adultes. Je parle ici d'animaux de laboratoire. Vous pouvez séparer les bébés singes de leurs mères et mesurer leurs niveaux de dopamine dans le cerveau. Deux jours après la séparation, ce niveau diminue. Autrement dit, c'est un modèle bio-psycho-social, et le cerveau humain se développe en fonction de l'environnement. Par exemple, il y a une catégorie de singes qui sont génétiquement prédisposés à l'alcoolisme, parce qu'ils possèdent un gène qui les protège de l'effet sédatif de l'alcool. Cela veut dire que, lorsqu'ils boivent, ils peuvent être complètement ivres sans tomber par terre ou sans dormir. Chez les singes qui sont élevés par leurs mères, ce gène est inactif. Chez ceux qui sont séparés de leurs mères, ce gène est actif. Ce sont ceux-là qui sont en danger.

Il y a une étude qui vient d'être publiée aux États-Unis, il y a trois mois, qui montre que chez les enfants susceptibles d'être génétiquement prédisposés aux toxicomanies, le gène en question est inactif lorsqu'ils sont élevés dans un milieu familial stimulant. Lorsque ces enfants sont élevés dans des familles dysfonctionnelles ou subissent des traumatismes ou des dysfonctions, ils deviennent toxicomanes.

Voilà en deux mots ce que dit la biologie. Cela veut dire que nos programmes de traitement de la toxicomanie sont destinés au secteur de notre population qui a été le plus gravement maltraité. Cela veut également dire que le système juridique vise le secteur de la population qui a été le plus maltraité, c'est-à-dire invariablement des personnes qui ont été traumatisées pendant leur enfance, qui ont des troubles de santé mentale qu'ils soignent par auto-médication avec des drogues et qui, à cause de l'illégalité des drogues dont ils dépendent, commettent des crimes et ont des démêlés avec le système judiciaire.

Je vais vous lire un bref passage de mon ouvrage sur la toxicomanie intitulé In the Realm of Hungry Ghosts : Close Encounters with Addiction. Je vais vous lire un paragraphe et ensuite, je conclurai :

Le sergent-détective Paul Gillespie, chef de l'escouade des crimes sexuels de Toronto, a sauvé des enfants des griffes des producteurs de pornographie sur Internet. Comme le Globe and Mail l'a rapporté lorsqu'il a pris sa retraite, les six années passées dans ce poste n'ont pas atténué pour lui toute l'horreur des scènes dont il a été témoin :

Paul Gillespie n'a jamais pu s'habituer aux pleurs et aux cris de douleur des enfants que des vidéos montraient en train d'être violés et molestés comme il en avait vu trop souvent sur le Web. « Écouter la bande-son de ces films nous amène au-delà de l'horreur », déclare le plus célèbre policier canadien de la lutte contre la pornographie enfantine... Mais c'est l'image silencieuse des enfants désespérés qui lui déchire le plus le cœur. « Ils ne crient plus, ils sont résignés » dit-il au sujet des enfants qui figurent sur ces images. « Leur regard est mort. Vous savez qu'ils ont abandonné tout espoir. Voilà ce qui est leur vie. »

Ce passage appelle deux remarques. La première est que le regard d'une personne est mort lorsque la souffrance qu'elle ressent est insupportable. Le « regard mort » est l'expression d'un blocage émotif, et c'est la façon dont le cerveau réagit à un traumatisme accablant. Ces personnes suppriment alors toutes leurs émotions. Certaines se fichent de tout. Elles ne sont plus reliées à leurs sentiments et elles arrêtent de se développer, parce que, pour pouvoir se développer sur le plan affectif, il faut pouvoir être vulnérable. Les plantes ne poussent que lorsqu'elles sont vulnérables. Les crustacés doivent quitter leur carapace pour grandir. C'est la même chose avec les êtres humains. Lorsqu'on bloque ses émotions, on arrête de se développer. La plupart des toxicomanes fonctionnent comme des enfants dans leur vie affective.

Deuxièmement, je vais vous lire le commentaire que j'ai rédigé au sujet de ce passage :

Regards morts, résignation : en une phrase, cet homme compatissant a résumé le sort des enfants agressés. Et pourtant, ces paroles reflètent une grande ironie. La vie des enfants agressés ne cesse pas lorsqu'ils sont sauvés — lorsqu'ils sont sauvés, parce que la plupart d'entre eux ne le sont pas. Ils deviennent, la plupart du temps, des adolescents toujours traumatisés et deviennent adultes avec un regard toujours mort. Leur sort continue de préoccuper les services de police et les tribunaux, mais ce ne sont plus des êtres qui brisent le cœur de ceux qui les voient et ils n'ont plus l'air vulnérable. Ils rôdent aux marges de la société et ce sont des hommes endurcis avec des visages ravagés; ce sont des voleurs, des cambrioleurs, ce sont des prostituées maquillées qui vendent du sexe sur le siège arrière des voitures pour obtenir des drogues ou un peu d'argent, ce sont des petits vendeurs de drogues ou des petits entrepreneurs qui distribuent de la cocaïne dans des hôtels miteux.

Ce sont ces personnes que le système judiciaire doit maintenant rechercher, poursuivre, punir et détenir. Le New York Times a publié, il y a 15 jours, un article qui disait que la crise économique avait entraîné une augmentation importante du nombre des jeunes fugueurs aux États-Unis — des jeunes qui vivent dans la rue — parce que les gens sont stressés, les familles éclatent et il y a des parents qui n'ont pas assez d'argent pour nourrir leurs enfants, alors ces enfants quittent la maison. Comme le disait le New York Times :

Presque un tiers des enfants qui quitte leur foyer, volontairement ou non, chaque année échangent du sexe contre de la nourriture, des drogues ou un lit pour la nuit, d'après plusieurs études publiées dans des revues universitaires et de santé publique. Mais ce genre de système de troc est dangereux, car il peut rapidement devenir de la prostitution structurée, où il y a échange d'argent. À ce moment-là, les éducateurs spécialisés et les responsables des services de police disent qu'il est très difficile d'aider ces fugueurs à renoncer à vivre dans la rue. Bien souvent, ils vivent dans des relations abusives et la loi commence à les considérer davantage comme des adolescents criminels que des victimes mineures.

Voici le parcours du criminel toxicomane : les enfants maltraités rejoignent leurs pairs, quittent leur famille, commettent des crimes et tôt ou tard, ils vont se retrouver dans les prisons que l'on construit pour mettre en œuvre les lois actuelles. C'est là la réponse qu'apporte le Canada au phénomène de la maltraitance des enfants.

Je vais m'arrêter là. J'ai hâte de discuter de ces choses avec un groupe de personnes aussi éminentes, mais je peux vous dire que, du point de vue scientifique, du point de vue humain et du point de vue social, ces personnes n'ont pas besoin d'être punies plus sévèrement. Elles ont plutôt besoin de soins et de compréhension. Les enfants ont besoin d'être mieux protégés. Comme l'a dit un maître spirituel que je respecte beaucoup : « Les gens ne peuvent accepter la vérité qu'en présence de compassion. » Si nous voulons que ces gens transforment leur vie, il ne faut pas leur rendre la vie plus dure, mais plus facile. Les études montrent également clairement que le stress est le premier déclencheur des rechutes chez les toxicomanes. Plus les gens sont stressés, plus ils s'accrochent à leur toxicomanie.

Le vice-président : Merci, Dr Maté.

Wayne Skinner, directeur adjoint de clinique, Programme de lutte contre les toxicomanies, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Je tiens également à vous dire à quel point je suis reconnaissant de comparaître aujourd'hui. J'ai eu une longue carrière dans le domaine des toxicomanies. J'ai travaillé pour la Fondation de la recherche sur la toxicomanie pendant 22 ans, à divers titres, dont la plupart étaient de nature clinique. J'ai travaillé ces 10 dernières années pour le Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CTSM, l'organisation à laquelle s'est jointe la Fondation de la recherche sur la toxicomanie. Mes travaux ont principalement porté sur les troubles concomitants, à savoir les problèmes de santé mentale des toxicomanes. Il est maintenant de plus en plus reconnu que pour travailler dans le domaine de la toxicomanie, tout comme dans celui de la santé mentale, il faut bien connaître les deux domaines, parce que ces problèmes sont associés chez la plupart de gens avec qui nous travaillons. C'est le cadre qui a influencé ma pratique.

Je vais vous lire rapidement certains commentaires pour que nous puissions ensuite entamer une discussion.

Le vice-président : Ne parlez pas trop vite. Si vous voulez que la postérité puisse lire la transcription des débats, vous allez devoir nous aider.

M. Skinner : Je vais prendre mon temps. Merci.

Il est important qu'une discussion publique s'engage au Canada sur les graves défis et problèmes que pose la consommation des drogues. Il faut que cette discussion porte à la fois sur les drogues licites et illicites. Ce sont là des problèmes difficiles qui nous concernent tous et pour lesquels il ne semble pas exister de solutions simples. Nous participons à bien des égards à une expérience sociale permanente qui s'appuie sur un ensemble de stratégies et d'approches visant à réduire les méfaits associés à la consommation de drogues. En cherchant notre voie dans ce domaine où règne une grande confusion, nous devons rechercher des données scientifiques. Lorsque nous trouvons des orientations basées sur ces données, nous devons être suffisamment braves pour « appliquer les données scientifiques », pour reprendre l'expression souvent répétée de H. David Archibald, fondateur de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, qui est en fait décédé cet été.

Les données, à mon avis, appellent une stratégie de lutte contre les toxicomanies qui comporte quatre volets. On parle parfois de quatre piliers : prévention, traitement, atténuation des méfaits et application de la loi. Nous devons nous poser les questions suivantes : quel poids relatif doit-on accorder à ces quatre éléments fondamentaux pour élaborer une politique efficace de lutte contre les toxicomanies? Existe-t-il des données scientifiques pouvant nous mener à prendre des décisions éclairées?

Au cours des 10 dernières années, j'ai été invité à maintes reprises à donner des conférences et animer des ateliers au Canada et à l'étranger au sujet des toxicomanies et des problèmes qui y sont associés, en particulier les problèmes de santé mentale. Presque chaque fois que je prends la parole devant un groupe, si je ne soulève pas moi-même d'entrée de jeu le sujet, un participant parle de la stigmatisation des toxicomanies et de la maladie mentale. J'ai donc pris l'habitude de traiter dès le début du phénomène de la stigmatisation et c'est ce que je vais maintenant faire.

La façon dont nous comprenons et concevons les problèmes liés à la consommation de drogues détermine les aspects que nous prenons en compte, ce qui, à son tour, influence la recherche de solutions. Si nous refusons de voir dans la toxicomanie et la maladie mentale des problèmes de santé, il est très facile de se laisser gagner par des préjugés très anciens et très profondément ancrés dans nos esprits à l'égard des toxicomanies et des toxicomanes. Ces perceptions nous éloignent des preuves scientifiques et nous amènent à adopter des attitudes et des croyances qui, au lieu de nous aider à lutter contre les problèmes liés à la consommation de drogues, ne font que les aggraver.

On peut donner de nombreux exemples des stéréotypes et de la stigmatisation dont la toxicomanie et les toxicomanes ont fait l'objet dans le passé. Récemment, j'ai toutefois enrichi ma collection d'exemples illustrant ce phénomène. Il s'agit de brochures que j'ai reçues par la poste, comme de nombreux Canadiens, au cours de la dernière campagne électorale fédérale. On peut lire ce qui suit sur ces brochures : « Les « drogués » et les vendeurs de drogues n'ont rien à faire près des enfants et des familles. Leur place est dans les centres de désintoxication et en prison... Ces personnes ont leur place dans les centres de désintoxication et dans les prisons ».

Lorsque j'ai trouvé cette brochure dans ma boîte à lettres, je n'en croyais pas mes yeux. J'ai ensuite réfléchi à la raison pour laquelle cette brochure avait été envoyée. J'ai abouti à la conclusion qu'il s'agissait d'une manœuvre politique brillante. Lorsque je montre cette brochure à mes auditeurs, comme je l'ai fait cette dernière année, je leur demande de ne pas tenir compte de son expéditeur et de qui y est représenté. Je les invite plutôt à réfléchir à ce qu'elle dit sur nous — les électeurs, les citoyens et les contribuables canadiens — et sur les raisons pour lesquelles l'envoi de ce genre de brochure est très efficace au cours d'une campagne électorale. Les auteurs de cet envoi postal nous connaissent bien et savent comment envoyer un message bien ciblé. Ce qu'ils savent à notre sujet, c'est que nous avons peur de la toxicomanie et des toxicomanes. Et pourtant, une personne sur cinq parmi nous connaîtra un problème de consommation de drogues dans sa vie. Aucune famille, aucun quartier et aucune collectivité n'est à l'abri de ce genre de problème.

Cependant, lorsque nous parlons de drogués et de vendeurs de drogues, nous ne pensons pas à nos propres enfants, à nos amis ou à nos familles. Ce sont plutôt des préjugés qui nous viennent à l'esprit et ces préjugés ont pour principal effet de dénigrer et de déshumaniser ceux qui sont la cible de la stigmatisation. La stigmatisation repose sur les stéréotypes qui suscitent la peur et provoquent des perceptions négatives à caractère déshumanisant.

Il est intéressant de constater qu'il est toujours possible de traiter impunément de « drogué » quelqu'un qui a un problème de consommation de drogues. Le terme clinique utilise pour décrire un drogué est « personne souffrant de dépendance aux opioïdes ». Je mentionne en passant, qu'une des grandes craintes que ressentent la plupart des gens qui ont ce genre de problème et qui songent en fait à se faire traiter, c'est qu'on les appelle des « drogués », des « junkies », des « alcolos » ou des « cocaïnomanes ».

La dépendance aux opioïdes est un problème de santé dont les critères de diagnostic figurent dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Beaucoup d'autres étiquettes sont publiquement apposées aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale et aux toxicomanes. Je vois cependant mal quel autre terme à part celui de « drogué » aurait pu être utilisé dans cet exemple sans que cela provoque un véritable tollé ou une situation gênante.

Nous devons reconnaître qu'il est possible d'exploiter les craintes du public à l'égard des problèmes de consommation de drogues, en particulier en ayant recours à un langage et à des images stéréotypées qui nous encouragent à voir les consommateurs de drogues comme des êtres qui n'appartiennent pas vraiment à la race humaine, des personnes qui n'ont rien à voir avec nos enfants, nos familles, nos amis ni même ceux de quelqu'un d'autre. Il faut donc lutter contre la stigmatisation des personnes qui ont des problèmes de dépendance. Nous devons le faire au nom de nos valeurs sociétales, mais aussi parce qu'il nous faut « appliquer les données scientifiques ». Les études font ressortir l'efficacité des politiques publiques reposant sur des stratégies de santé visant à prévenir, à traiter et à atténuer les méfaits que cause la consommation des drogues au Canada, tout comme l'inefficacité des approches axées sur une application plus rigoureuse des lois et l'imposition de peines minimales obligatoires.

Je sais que certains organismes, dont le Centre de toxicomanie et de santé mentale, où je travaille, ont présenté devant les comités permanents de la Chambre des communes et du Sénat des mémoires qui préconisent l'adoption de lois, de politiques et de pratiques accordant une place équilibrée à la prévention, au traitement, à l'atténuation des méfaits et à l'application de la loi.

Voici les principaux thèmes qui ressortent selon moi des recherches menées jusqu'ici : l'incapacité des changements législatifs proposés de s'attaquer aux causes premières de la toxicomanie et le risque que ces changements causent plus de tort encore aux toxicomanes et à la société, étant donné que c'est en prison que trop souvent les personnes qui y sont détenues sont initiées aux drogues injectables.

La difficulté de distinguer clairement entre les consommateurs et les vendeurs est un point important de ces mémoires. L'application des lois dans ce domaine est principalement axe sur ce qui se passe dans la rue et la nouvelle loi vise donc d'abord les personnes les plus vulnérables alors que celles qui vendent et importent de la drogue et exploitent des entreprises de vente de drogues illégales poursuivent leurs activités en toute impunité.

Les effets négatifs que risquent d'avoir ces lois sévères se feront particulièrement sentir dans les collectivités autochtones, une population qui, comme l'a déclaré Dr Maté, est déjà surreprésentée dans les centres de traitement et les prisons. Dans certaines collectivités autochtones, la dépendance aux opioïdes touche près du quart de la population adulte. Les peines minimales obligatoires ne pourront qu'aggraver la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes.

L'expérience acquise aux États-Unis et ailleurs en ce qui touche les peines minimales obligatoires fait ressortir les effets négatifs imprévus de cette approche. Ces effets comprennent une escalade du coût des services correctionnels et une absence de réduction de la criminalité ou de la consommation de drogues.

Il a été démontré de très nombreuses fois que le traitement et la prévention sont beaucoup plus rentables que l'incarcération.

Les programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie doivent pouvoir compter sur un financement permanent, devraient être plus nombreux et plus accessibles et devraient s'inscrire dans un ensemble de services et de mécanismes de soutien destinés aux personnes ayant un problème de consommation de drogues et qui souffrent des nombreux problèmes de santé qui y sont associés.

Permettez-moi de donner un visage humain au problème de la toxicomanie dont est saisi le comité. Ces exemples visent non seulement à caractériser des problèmes très graves, mais ils décrivent aussi la situation de personnes réelles et les problèmes auxquels elles sont confrontées. Nous constatons que les problèmes graves et persistants liés à la consommation de drogues sont associés à de nombreux autres problèmes, notamment la maladie mentale, la maladie physique, la marginalisation et l'exclusion sociales ainsi que les démêlés avec le système de justice pénale. Ces problèmes et la façon dont ils sont traités privent ceux qui en sont victimes des compétences et du capital social dont tout le monde a besoin pour mener une vie agréable et saine.

Je vais vous parler de Peter. J'ai fait sa rencontre parce qu'il participait au programme de traitement à la méthadone que la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, et maintenant le CAMH, offrent depuis les années 1960 aux personnes qui souffrent de dépendance aux opioïdes. La méthadone n'est pas un produit de substitution qui fait l'unanimité, mais c'est en fait une des pharmacothérapies qui a fait l'objet du plus grand nombre d'évaluations dans le domaine de la santé. Les recherches indiquent que les personnes qui suivent ce traitement ont un taux de rechute et de récidive moins élevé que les autres et un taux d'intégration et de fonctionnement social plus élevé. Le traitement à la méthadone, renforcé par des services de traitement psychosociaux, inspiré de l'approche bio-psycho-sociale dont a parlé Dr Maté, constitue une bonne pratique pour cette population. Malgré tout cela, le traitement à la méthadone est fortement stigmatisé et les personnes qui le suivent font l'objet de nombreux préjugés.

Peter s'est inscrit à ce programme lorsqu'il a été libéré d'un établissement fédéral. Il avait une quarantaine d'années à cette époque. Son dossier indiquait que depuis son adolescence, il avait passé plus de temps derrière les barreaux que dans la collectivité. Il avait déjà essayé l'héroïne, mais ses véritables drogues de prédilection étaient les opioïdes obtenus sur ordonnance. Il a estimé que leur qualité était mieux contrôlée et qu'il était plus facile de se les procurer que l'héroïne, dans la plupart des villes canadiennes. Il avait été arrêté à plusieurs reprises pour des vols qualifiés et des infractions contre les biens, crimes qu'il avait commis pour s'acheter ces drogues. Ayant passé plus de temps en prison qu'en liberté, il avait appris à s'intégrer avec succès et à vivre en paix dans le monde carcéral, mais pas ailleurs. Une fois libéré, il se trouvait à l'extérieur d'un monde dont il connaissait les règles, où il pouvait compter sur un soutien et où il jouissait d'un certain statut. C'était un prisonnier modèle. Il a été libéré dans un monde où il n'avait aucun soutien familial, pas d'amis, pas de travail, et où ses projets échouaient toujours; cette fois-ci, il a choisi de suivre un programme de méthadone puisqu'il s'est dit que s'il était protégé, si je peux m'exprimer ainsi, contre la tentation de consommer des drogues, il risquerait moins de rechuter et de se retrouver en prison. Le problème était qu'à l'extérieur, il vivait une vie misérable. Il était de plus en plus déprimé et angoissé, et son passé, marqué par de mauvais traitements physiques et émotifs, a commencé à le torturer. Auparavant, il aurait consommé des drogues pour échapper à ses problèmes. Après réflexion, il s'est dit qu'il serait mieux en prison que dans la rue. Il se demandait s'il ne pourrait pas faire exprès de récidiver et d'être renvoyé en prison. Il a cependant tenu bon. Il a bénéficié d'un soutien actif pour lutter contre sa toxicomanie et ses problèmes de santé mentale. Il a réussi à obtenir l'appui de personnes se trouvant dans sa situation et il s'est joint à une communauté religieuse.

Le chemin vers la vie normale est très long et est semé d'embûches. Le toxicomane acquiert lentement le sentiment qu'il possède des compétences personnelles, qu'il n'est pas seul, et qu'il peut réussir certaines choses. Il fait son chemin. Il veut réussir, mais il est convaincu depuis longtemps, et cela remonte à son enfance, pour reprendre ses mots, qu'il est un bon à rien et que tous ses efforts sont voués à l'échec. Avec d'énormes difficultés, Peter a continué à lutter pour vivre à l'extérieur plutôt que d'abandonner et de se retrouver en prison.

Le CTSM accorde tous les ans des prix appelés « Les prix du courage de s'en sortir ». On les appelle maintenant « Les prix pour changer sa vie ». Peter n'a jamais souhaité un tel prix et ne l'a jamais obtenu, mais il y a quelque chose dans son attitude qui montre qu'il a le courage de vouloir s'en sortir. Une des difficultés que l'on rencontre lorsqu'on travaille avec ces personnes est de trouver le moyen de renforcer leur désir de croire qu'ils peuvent réussir dans le monde. Accroître la durée des peines d'incarcération reviendra à créer d'autres Peter, non pas des Peter qui finalement, grâce à la thérapie et à un soutien social se sont pris en main, mais le Peter qui nous est arrivé et qui vivait mieux en prison que dans la collectivité. Il est rassurant de penser qu'une façon d'améliorer la sécurité est d'envoyer les gens en prison, mais les études démontrent que cette approche nuit à la santé physique et mentale des détenus et les prive des aptitudes, des compétences et du soutien dont ils ont besoin pour s'intégrer à la société. Les personnes qui ont appris à vivre dans un établissement correctionnel perdent la capacité et l'envie de vivre dans le monde réel.

Sylvie est une femme qui est décédée d'une surdose accidentelle cette année. Elle n'avait pas passé de longues périodes en prison, mais elle avait eu des démêlés avec la justice, le plus souvent sous la forme d'une probation, pendant la plus grande partie de sa vie adulte. On pourrait la décrire comme une « droguée ». C'est le terme qu'elle employait en fait pour se décrire. Elle ne prenait pas d'héroïne. Elle consommait principalement des médicaments obtenus sur ordonnance. Elle arrivait à se procurer très facilement ses drogues auprès de certains médecins. Lorsqu'elle a commencé à travailler avec des professionnels de la santé mentale et de la toxicomanie, ils n'ont pas réussi à communiquer avec ses médecins de façon à coordonner leurs interventions. Produit d'un mariage interracial, Sylvie, une très jolie femme, n'avait connu que des relations difficiles fondées sur l'exploitation. L'ironie est qu'elle soit venue demander de l'aide pour régler ses problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Elle avait été admise dans un programme judiciaire de santé mentale et avait été intégrée à une équipe de santé mentale et à des services de lutte contre la toxicomanie. Elle voulait quitter le genre de vie qui était le sien, mais elle avait trop facilement accès à ses produits lorsque sa volonté faiblissait. Il lui était facile d'aller voir un médecin à son bureau et de repartir avec des drogues.

Techniquement, on aurait pu l'appeler une vendeuse de drogues, parce qu'elle était toujours prête à aider ses amis et ces derniers savaient qu'elle pouvait facilement se procurer des drogues; c'est pourquoi il lui demandait souvent de le faire. La vie dans la rue est régie par des règles très dures, mais une faveur en vaut une autre dans ce milieu. Lorsqu'elle avait besoin de quelque chose, elle savait qu'elle pouvait compter sur certaines personnes parce qu'elle les avait déjà aidés. C'est comme ça que les choses se font. C'est la loi de la jungle, mais il y a également un système de crédit. Il serait bien simple de pouvoir distinguer facilement les consommateurs de drogues des vendeurs de drogues dans la rue, mais bien souvent, c'est la même personne qui se trouve à un point différent du cycle qui consiste à trouver, à consommer et à désirer des drogues.

Le cas de Sylvie montre aussi que les personnes ayant un problème de consommation de drogues sont particulièrement vulnérables pendant les périodes de transition. La sortie de prison, le sevrage de la drogue, le début et la fin d'un traitement sont des moments qui comportent de graves dangers pour les personnes qui cherchent à se sortir de leur dépendance. Il y a non seulement les risques de rechute, mais celui des surdoses, comme le cas de Sylvie le montre tragiquement. Les personnes en transition courent également d'autres risques. Ils ont besoin de systèmes de soutien solides pour les aider à passer d'une étape de leur vie à une autre. Les personnes obligées de passer ces étapes toutes seules sont trop souvent des candidates à l'échec.

Lorsque nous parlons de drogues illicites, il faut également savoir que le chemin qui mène à ces drogues passe par les drogues réglementées que l'on peut se procurer facilement dans notre société — le tabac, l'alcool et les médicaments. Ce sont les véritables drogues d'introduction. Si nous voulons savoir à quel point il est difficile de cesser de consommer des drogues, il suffit de songer à la dépendance que provoquent le tabac et la nicotine, pour mieux comprendre les difficultés auxquelles font face ceux qui veulent modifier leur comportement.

Les organismes d'application de la loi ont un rôle important à jouer en ce qui touche l'identification et l'interception des personnes qui exercent des activités illégales. Tout le monde est d'accord sur ce point. Les recherches indiquent que des stratégies comme les programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie plutôt que l'option correctionnelle de la condamnation et de l'incarcération donnent de meilleurs résultats pour les consommateurs de drogues qui sont traduits devant les tribunaux. Je pense que l'association de l'application de la loi au traitement offre beaucoup de possibilités et il existe des exemples de bonnes et de mauvaises pratiques dont nous pourrions nous inspirer dans ce domaine.

Pour conclure, je dirais qu'à certains égards, les défis que nous devons relever en ce qui touche l'élaboration d'une politique sociale pour lutter contre la toxicomanie sont assez semblables à ceux que doivent relever les personnes qui doivent choisir entre s'en sortir ou rechuter. Il y a les vieilles habitudes et les attitudes traditionnelles qui peuvent nous empêcher de voir là des problèmes de santé qui appellent des solutions appropriées. Il y a de vieilles habitudes et des attitudes traditionnelles qui nous incitent à concevoir ces problèmes selon des points de vue ancrés au plus profond de nous-mêmes, tout comme l'habitude de consommer des drogues est profondément ancrée chez les toxicomanes. Dans les deux cas, les défis sont les mêmes. Allons-nous reprendre ces comportements confortables ou saurons-nous apprendre et devenir plus sages pour imaginer une nouvelle série de politiques, de pratiques et de compétences? Cela ne fera pas disparaître les défis auxquels nous devrons faire face, mais cela nous permettra d'utiliser pour le faire des méthodes plus positives, éclairées et surtout, efficaces. Si nous appliquons les données scientifiques, nous pourrons utiliser une stratégie équilibrée à quatre volets, application de la loi, réduction des méfaits, traitement et prévention, qui nous permettra d'y parvenir.

Le vice-président : Merci, monsieur Skinner.

Le sénateur Milne : Docteur Maté, quel est le pourcentage de vos clients qui ont été initiés aux drogues intraveineuses en prison?

Dr Maté : Je ne connais pas la réponse à cette question. Il faudrait regarder les études générales. Je ne pense pas que ce soit le cas pour la plupart d'entre eux.

Le sénateur Milne : Vous ne le pensez pas?

Dr Maté : Pas pour la plupart, mais un certain nombre certainement. Je ne peux pas vous le dire.

Le sénateur Milne : C'est une des préoccupations qui nous a été exprimée. M. Skinner nous en a également parlé.

M. Skinner : Certains rapports épidémiologiques montrent qu'un quart environ des personnes qui consomment des drogues par injection affirment avoir été initiées à cette pratique en prison.

Le sénateur Milne : Ont-ils été envoyés en prison au départ pour une autre raison?

M. Skinner : Oui. Cela pourrait même être pour une autre forme de consommation des drogues. La personne peut s'être retrouvée en prison parce qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction liée au cannabis, mais dans la culture carcérale, le détenu se trouve dans une situation désespérée et a accès, ce qui est assez bizarre, à des substances qu'il peut s'injecter dans les veines. Malheureusement, les prisonniers n'ont pas accès à de bonnes seringues. J'ai entendu parler de personnes qui utilisaient des stylos Bic ou d'autres appareils étranges pour s'administrer des drogues dans les veines. Lorsqu'on entend ce genre de chose, il n'est pas difficile d'imaginer que ces pratiques peuvent entraîner des infections et répandre le VIH et l'hépatite. C'est un autre aspect de ces problèmes.

Dr Maté : Habituellement, la personne qui se retrouve en prison a eu une enfance difficile, a été très tôt éloignée d'adultes attentifs, a établi des liens avec un groupe de pairs sous la forme d'un gang ou d'un groupe de la rue, a commencé à commettre de petites infractions, est passée à d'autres infractions plus graves et ensuite s'est retrouvée en prison, que les drogues ou non soient impliquées. Que ces personnes aient commencé à consommer de façon excessive des drogues avant d'aller en prison ou qu'elles aient commencé en prison, les antécédents comprennent habituellement une enfance difficile et l'incapacité du système social à sauver ces jeunes. C'est la raison pour laquelle ces personnes se retrouvent en prison.

M. Skinner : Je peux peut-être vous parler d'un cas qui a eu beaucoup d'effet sur moi, parce qu'il illustre bien les problèmes que rencontrent les personnes dans cette situation lorsqu'elles veulent obtenir de l'aide. Un toxicomane qui suivait un traitement à la méthadone a dû cesser le traitement lorsqu'il est arrivé en prison. Pendant sa détention, il a commencé à consommer des drogues par voie intraveineuse. C'est lui qui m'a parlé de l'utilisation du style Bic pour y placer des drogues que l'on essaie de faire rentrer dans les veines. Il a été infecté par le VIH. Il existe des preuves assez fortes indiquant qu'il a attrapé cette infection en prison.

Lorsque les gens qui sont dépendants des opiacés et suivent un traitement à la méthadone se retrouvent en prison, ils ont besoin que l'on continue à leur fournir leurs médicaments. Cela réduirait les risques qu'ils fassent ce genre de chose. Dans ce cas-ci, la personne en question se trouvait dans une situation assez désespérée. Il recherchait de la drogue et était très vulnérable aux occasions d'en consommer, ce qui a eu un effet assez dramatique pour lui.

Le sénateur Milne : Vous avez demandé dans votre exposé, M. Skinner, si nous étions capables d'apprendre et de faire preuve de maturité pour élaborer une nouvelle série de politiques, de pratiques et de compétences. Nous avons entendu le Dr Maté nous affirmer que tous les toxicomanes qu'il avait rencontrés avaient été agressés dans leur enfance et qu'ils n'avaient aucune vie affective. Il a déclaré qu'ils avaient perdu la base émotive qui leur aurait permis d'apprendre et de se développer. Comment pouvons-nous surmonter cet obstacle?

Dr Maté : Sénateur, je n'ai pas dit qu'ils n'étaient pas capables de faire ces choses, même si j'ai effectivement mentionné qu'ils se refermaient sur eux-mêmes. N'oubliez pas ce que M. Skinner et moi avons mentionné le modèle bio-psycho-social de développement. Autrement dit, il y a le fait que les gens établissent, pendant toute leur vie, une relation avec leur environnement. Lorsque l'environnement est positif, stimulant et favorable, les gens peuvent se développer. Il existe dans le cerveau une fonction que nous connaissons maintenant très bien qui s'appelle la neuroplasticité. C'est la capacité qu'a le cerveau d'établir de nouveaux circuits vers la fin de la vie. Le Dr Norman Doidge vient de publier un best seller intitulé, The Brain That Changes Itself, (Le cerveau qui se transforme lui-même), qui documente cette fonction et j'en parle également dans mon livre.

Les gens sont capables de changer, mais il faut que les conditions soient favorables à un changement. La question qui se pose pour moi, et je crois que M. Skinner se la pose aussi, est de savoir comment placer ces personnes dans ces conditions favorables. De notre point de vue, les approches punitives sont loin de favoriser les changements positifs.

M. Skinner : Vous avez abordé un point essentiel. On pourrait analyser la situation en disant qu'elle est désespérée et que nous devrions donc enfermer ces personnes à tout jamais. Ce n'est pas le message que nous voulons transmettre. Notre message est que nous devons essayer de comprendre les personnes qui connaissent ces problèmes et donc nous intéresser à leur développement et à leurs besoins et qu'il est possible de les placer dans un milieu qui leur permettra de s'en sortir. Il existe des façons prometteuses et efficaces de s'attaquer à ces problèmes et il y a des réussites qu'il faudrait faire connaître.

Ce n'est pas un travail facile, mais il offre des possibilités que n'offre certainement pas la détention à perpétuité.

Le sénateur Milne : Vous dites qu'il existe des exemples de bonnes et mauvaises pratiques qui nous permettraient d'apprendre dans ce domaine. Pourriez-vous nous donner des exemples?

M. Skinner : Je vais parler d'une façon générale, mais il existe des provinces et des territoires où les rapports entre les services de police et le personnel du système de santé sont assez négatifs. Dans ce genre de cas, les policiers adoptent une attitude assez rigide. Il y a d'autres provinces, et Vancouver en est un bon exemple, où les services de police ont beaucoup fait pour humaniser leurs rapports avec les toxicomanes. Ils ont préparé des commentaires pour faire comprendre à la population qu'il ne s'agit pas de criminels ordinaires, que ce sont des personnes qui souffrent très gravement de problèmes profondément humains. Ils ont obtenu des réactions à ce genre d'initiatives, ce qui est très important. Il y a donc quelques alliances.

Les Européens ont adopté des méthodes plus radicales, comme offrir de l'héroïne aux toxicomanes, fournir des aiguilles neuves et des sites d'injection sécurisés. Les services de police collaborent à ces initiatives.

Dr Maté : À Vancouver, nous avons un site d'injection surveillé, que le gouvernement fédéral essaie, ce qui est regrettable à mon avis, de fermer. Le service de police local de Vancouver y est très favorable, alors que le service de police fédéral s'y oppose. Toutes les études montrent que ce genre de centre a des effets positifs sur le plan de la santé, de l'économie et du droit. Néanmoins, malgré toutes ces preuves, le gouvernement fédéral veut le fermer et la GRC souhaite la même chose.

Nous avons d'autres établissements d'atténuation des méfaits. Nous avons lancé récemment un projet à Vancouver qui consiste à fournir de l'héroïne ou de l'hydromorphone intraveineuse, qui est un opiacé synthétique. Cela a entraîné une diminution de la criminalité, atténué la dysfonctionnalité et renforcé la fonctionnalité.

C'est ce que montrent de nombreuses études effectuées en Europe. Il existe de nombreuses études qui montrent ce qui donne des résultats et ce qui n'en donne pas. Tout ce que je demande de ma profession, la profession médicale, de la société en général et du système judiciaire en particulier, est d'agir conformément aux données scientifiques, d'appliquer ces données, comme le disait quelqu'un que M. Skinner a cité. Nous disposons de ces données. Elles ne sont même pas controversées. Le seul obstacle dans la mise en œuvre de ces données est simplement les attitudes dont a parlé M. Skinner.

Le sénateur Milne : Si vous avez ces études, docteur Maté, nous aimerions les obtenir pour les examiner.

Dr Maté : Je serais heureux de vous envoyer une liste de références.

Le sénateur Milne : Merci.

Le vice-président : En outre, si vous avez des choses que vous voulez nous transmettre au sujet des questions que nous avons examinées ce matin, je vous invite à les envoyer à notre greffière.

Dr Maté : Monsieur le président, je me ferais un plaisir de vous laisser un exemplaire de mon livre, au cas où quelqu'un voudrait le lire. Il contient toutes les références, y compris les études scientifiques.

Le vice-président : Je vous remercie.

Le sénateur Banks : Je ne suis pas un membre permanent du comité, et je n'ai donc pas entendu les témoignages précédents au sujet de ce projet de loi. Je remplace le sénateur Campbell, qui connaît bien le sujet dont vous avez parlé, docteur Maté. Ce n'est pas mon cas.

Nous admirons tous ce que vous faites et les efforts que vous avez déployés dans votre travail. L'environnement dans lequel vous travaillez n'est pas, vous le reconnaîtrez certainement, courant. En fait, vous avez dit vous-même qu'il était différent sur certains aspects. Je crois que vous avez dit que c'est là que se trouvait peut-être le plus grand nombre de toxicomanes en Amérique du Nord.

J'estime que les affirmations générales sont toutes fausses, y compris celles qui consistent à dire ici qu'il n'y a aucun choix ou que la toxicomanie est toujours une maladie. Je pense que c'est un peu des deux. J'estime que c'est parfois une question de choix.

Il y a des gens qui sont devenus des toxicomanes et qui n'ont pas vécu toutes les choses horribles dont vous avez parlé; j'en connais quelques-uns et je dirais, si vous me le permettez que, comme cela a été le cas de plusieurs de mes amis, qui ont déjà été ce que l'on pourrait qualifier des drogués, certains ont cessé de l'être par choix, et je dirais donc que c'est également une question de choix. Il y a des gens qui, malgré l'information à laquelle ils peuvent facilement avoir accès et même s'ils n'ont pas été maltraités lorsqu'ils étaient enfants ou qu'ils n'ont pas eu d'enfance dysfonctionnelle, deviennent des toxicomanes pour d'autres raisons. C'est peut-être une minorité, mais ils deviennent des toxicomanes.

Il n'est pas possible de soutenir qu'il y a, dans notre société, des personnes qui ne savent pas que ce n'est pas une bonne idée de se mettre une aiguille dans le bras et d'y introduire de l'héroïne. Personne ne peut dire : « Je ne le savais pas. Je pensais que ce n'était pas dangereux. » Ce n'est tout simplement pas la vérité.

Admettez-vous que des gens sont devenus des toxicomanes parce qu'ils ont décidé, à un moment donné, d'essayer les drogues?

Je signale en passant que je suis totalement opposé à ce projet de loi pour des raisons qui n'ont rien de médicales.

Dr Maté : Très bien. Sénateur Banks, j'aimerais pouvoir dire que j'aime beaucoup ce que vous venez de dire, mais ce n'est pas le cas ici.

Premièrement, il n'est pas possible de contester les données scientifiques, y compris l'étude que j'ai citée qui a démontré une augmentation de 4 600 p. 100 des dangers que couraient les enfants qui avaient connu ces expériences négatives.

Le sénateur Banks : Excusez-moi, mais je n'ai pas dit que ces choses n'étaient pas vraies.

Dr Maté : Je sais que vous ne l'avez pas dit.

Le sénateur Banks : Mais il y a des gens —

Dr Maté : Non, je comprends très bien ce que vous dites. Il est incontestable que l'immense majorité des toxicomanes endurcis ont connu le parcours dont j'ai parlé.

Comme vous le dites, il y a des personnes qui n'ont pas connu ces difficultés particulières. Cependant, ce que vous constatez dans leur cas, et j'ai connu de nombreuses personnes de ce genre dans ma pratique de médecin, c'est qu'il n'y a pas eu, peut-être, de traumatisme grave ou de maltraitance dans la famille, mais il y a toujours eu une perte affective importante et un stress chez les parents qui ont influencé le développement d'un enfant sensible.

Cela commence déjà dans l'utérus. Il est possible de stresser les femmes lorsqu'elles sont enceintes, tout comme les animaux, et de prédire que leur rejeton risquera davantage que les autres d'être dysfonctionnel. Le développement de l'enfant est déjà commencé. Une étude effectuée après le 11 septembre a porté sur les femmes qui étaient enceintes à l'époque et qui ont souffert d'un trouble de stress post-traumatique à la suite de la catastrophe du World Trade Centre. À l'âge d'un an, selon l'étape de la grossesse des femmes qui ont souffert du TSPT, ces enfants avaient déjà des niveaux anormaux de l'hormone du stress.

Le fait d'avoir des taux élevés d'hormone du stress est un facteur de risque pour la toxicomanie, parce que celle-ci est une façon de contrôler le stress. Il n'y a pas un seul cas de dépendance à quoi que ce soit que j'ai examiné, qu'il s'agisse de l'effet de substances, de comportement, de drogues licites ou illicites, dans lequel le sujet examiné a bénéficié de l'appui émotif qui permet un développement harmonieux de l'être humain.

Je parle ici également en tant que parent, et en tant que bourreau de travail comme père et comme médecin. Je sais que mes enfants ont vécu des pertes affectives parce que je n'étais pas là pour m'occuper d'eux. Ils n'ont pas été maltraités, il n'y a pas eu de traumatisme, mais il leur a manqué quelque chose dont ils avaient besoin.

Ensuite, les enfants qui n'entretiennent pas de bonnes relations avec les adultes ont tendance à avoir des relations plus intenses avec leurs pairs. Ils n'ont pas été maltraités, mais lorsqu'ils se lient avec des pairs, d'après les études, ils ont davantage tendance à consommer des drogues. J'ai corédigé un autre livre sur l'influence des pairs sur le développement de l'enfant appelé, Hold On to Your Kids (Restez proche de vos enfants). En bref, je ne souscris pas à votre affirmation selon laquelle ces gens n'ont pas connu de pertes; ils n'ont peut-être pas souffert une perte aussi importante que la majorité des toxicomanes endurcis ont connue.

La question des choix dépend de la façon dont vous comprenez les êtres humains. Oui, à un niveau superficiel, on peut dire qu'il y a un choix. Si je mets une aiguille dans mon bras, c'est un choix que je fais. Mais les gens ne savent pas ce qui influence ce choix. Les gens ne sont pas conscients des mécanismes qui les poussent à prendre leurs décisions.

Il y a aussi le fait que tous ceux qui consomment de la drogue ne deviennent pas des toxicomanes. La plupart des gens qui essaient l'héroïne n'en deviendront pas dépendants. La plupart des gens qui essaient la cocaïne, l'alcool, le tabac, la cigarette n'en seront pas dépendants. Si certaines personnes utilisent ces substances et sont également vulnérables, alors la drogue et la vulnérabilité vont les amener à une toxicomanie.

Vous parlez de choix, mais je ne reconnais pas que les gens font des choix. Les gens ne décident pas librement de devenir toxicomanes. Ils ont peut-être décidé d'essayer quelque chose à un moment donné, mais ils n'ont pas choisi de devenir toxicomanes; personne ne le souhaite.

Enfin, il y a ceux qui décident plus tard de briser leur dépendance, cela est vrai, il y en a. Habituellement, c'est parce qu'ils ont bénéficié d'un soutien dans leur vie. Quelqu'un a essayé de les comprendre et a décidé de les soutenir. Comme je l'ai mentionné plus tôt, les gens n'acceptent de voir la vérité qu'en présence de compassion. Les gens qui réussissent à s'en sortir sont habituellement ceux qui ont trouvé un programme, une personne, ou un autre soutien qui les ont aidés, avec compréhension, à le faire. Ce n'était pas une décision purement individuelle. Il a fallu beaucoup de force individuelle pour le faire, mais cette réussite repose quand même sur le modèle bio-psycho-social du soutien.

J'espère que ces commentaires répondent aux vôtres.

Le sénateur Banks : Votre dernière affirmation est certainement vraie.

Dr Maté : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Nous avons eu beaucoup de témoignages de toutes sortes, que ce soit des gens qui traitent la toxicomanie, qui sont dans le système carcéral au niveau de la gestion des prisons et des pénitenciers, qui sont dans le processus judiciaire avec différentes lunettes et différentes visions. Je pense qu'on fait face à un problème complexe et qui dit problème complexe dit solution complexe de différents intervenants et de différents milieux. On m'indique que le sénateur Banks aimerait vous rendre hommage pour la difficulté du travail que vous effectuez avec les gens aux prises avec — je ne dirai pas maladie, on va tenir compte de la théorie — cette dépendance et c'est tout à votre honneur.

Par contre, la question qui me vient en tête fait part plus du commentaire que vous avez fait sur le fait qu'il n'y a pas de preuves, que le fait de mettre les gens en prison réduisait le taux de criminalité. Le projet de loi, comme le ministre de la Justice nous l'a expliqué, n'est qu'un outil parmi l'ensemble de la boîte à outils pour venir à bout de la problématique des drogues. Je pense que vous êtes un outil extraordinaire pour venir à bout des problèmes des drogues mais il y a d'autres outils qui doivent être utilisés et celui-là vise particulièrement le trafic.

Comme ce projet de loi vise le trafic, et non pas nécessairement les toxicomanes en tant que tels, à un moment donné dans la vie de ces gens, il y a eu une accessibilité à une drogue parce qu'au-delà du processus biologique et autres, il y a eu une accessibilité. Ne pensez-vous pas qu'en s'attaquant au trafic et en réduisant l'accessibilité, les gens qui étaient devant vous, qui étaient jeunes à un moment donné, qui ont eu un accès facile, ont pu développer et tomber dans la drogue en raison de la facilité d'accès, au-delà des autre contextes familiaux, biologiques, et ainsi de suite. Ne pensez- vous pas qu'en réduisant l'accès et en s'attaquant au trafiquant, on ne règlera pas le problème de la drogue en s'entendant sur le fait que ce n'est pas le seul outil?

[Traduction]

Dr Maté : Merci, sénateur, d'avoir posé cette question. Nous avons plus d'un siècle de données scientifiques sur la question de savoir si l'interdiction de l'offre de drogues par des moyens juridiques est efficace. Les données proviennent du monde entier et montrent que peu importe que la situation juridique soit radicale et draconienne, elle ne peut interdire l'offre de drogues.

Il y a un juge américain à la retraite, le juge Gray, en Californie, qui a déclaré qu'essayer d'abroger la loi de l'offre et de la demande revenait un peu à vouloir abroger la loi de la gravité. Cela est impossible. Premièrement, ce n'est pas un outil efficace.

Deuxièmement, comme M. Skinner l'a fait remarquer, la différence que l'on fait entre toxicomane et fournisseur de drogues est une différence très ténue, en particulier, dans la rue. Étant donné que la substance est illégale, les toxicomanes doivent commettre un crime pour obtenir l'argent pour l'acheter. Une des façons d'obtenir de l'argent est de vendre des drogues à une autre personne. En fait, l'illégalité des drogues ne fait que multiplier les activités du trafic au lieu de les diminuer.

Quant à savoir s'il s'agit là d'un outil parmi d'autres, M. Skinner a parlé des quatre piliers de la stratégie, la réduction des méfaits, la prévention, le traitement et l'application de la loi. De mon point de vue, sénateur, il n'y a pas quatre piliers au Canada. Nous avons trois allumettes et un pilier.

Pour ce qui est des sommes qui sont consacrées à chacun de ces secteurs, il est évident que c'est celui dont il est démontré qu'il ne donne aucun résultat, à savoir l'application de la loi, qui est choisi et que ceux dont il est démontré qu'ils donnent de bons résultats n'obtiennent pratiquement aucun d'appui financier. Il y a aussi le fait que dans une société — en particulier de nos jours, où nous sommes particulièrement conscients du caractère fini des ressources financières que l'on peut affecter aux programmes sociaux — il faut décider où placer énergies et notre argent. Je dis que nous avons choisi la mauvaise direction, comme toutes les données scientifiques le démontrent.

Entre parenthèses, je mentionnerais que l'intention est très bonne. Il est incontestable que l'intention à la base de la loi est d'empêcher une chose horrible de se produire. Je ne remets pas du tout en doute la motivation du ministre, celle du parti au gouvernement ni des personnes qui appuient la législation, je dis simplement qu'elle ne repose pas sur aucune donnée scientifique.

M. Skinner : Je tiens à dire que l'intention semble être très claire, mais lorsque vous y réfléchissez, vous voyez qu'il s'agit d'un outil. Dans le domaine de l'application de la loi, il est facile de s'attaquer aux personnes qui vivent dans la rue. Les services d'application de la loi réussissent déjà très bien à contrôler ces personnes et la logique derrière les peines minimales obligatoires est que nous ne nous soucions absolument pas des circonstances. Si nous vous arrêtons, nous allons vraiment vous punir et vous allez subir une peine très lourde.

Il me semble que, d'une certaine façon, cette loi va uniquement cibler les personnes de la rue. Si nous réussissions à, effectivement, arrêter une personne qui se trouve à la tête de ce système, j'imagine que les sanctions juridiques qui lui seraient imposées seraient considérables, si nous pouvions démontrer son implication dans ces activités.

Voilà ce qui m'inquiète. Cette excellente intention va avoir un effet négatif imprévu, à savoir punir davantage les membres de la société qui sont les plus vulnérables, qui sont déjà très surveillés par la police dans ce domaine, et qui n'ont pas les soutiens dont ils ont besoin, les trois piliers, dont a parlé le Dr Maté.

D'après les données de la GRC relatives aux saisies — simplement les quantités de drogues qui sont saisies annuellement — plus de 90 p. 100 des saisies concernent le cannabis. Les activités policières exercées avec succès contre des drogues comme la cocaïne, l'héroïne, la métamphétamine et l'ecstasy sont minimes par comparaison. Le cannabis représente plus de 90 p. 100 de toutes les saisies.

Cela donne également une image troublante, parce que la consommation de cannabis est très courante au Canada. Elle se rapproche, à l'heure actuelle, de celle du tabac, pour ce qui est de la consommation annuelle. Je crois qu'il y a environ 17 p. 100 des Canadiens qui ont admis avoir fumé du cannabis l'année dernière. Encore une fois, qu'allons- nous faire avec ces politiques et quelles seront les orientations des services de police? Ce sont là les aspects qui devraient nous inquiéter.

L'intention est vraiment très bonne. Encore une fois, j'espère que l'on pourra trouver des méthodes plus sages, si je peux m'exprimer ainsi, qui introduiraient un meilleur équilibre entre les quatre piliers et que nous pourrions travailler mieux sur ces choses, mais cette méthode existe depuis longtemps, mais il demeure qu'elle va à l'encontre des données scientifiques.

[Français]

Le sénateur Carignan : Au niveau du traitement de la toxicomanie, pour avoir eu de la famille qui a été aux prises par la dépendance, j'ai pu réaliser que le traitement était quasi impossible si la personne ne prenait pas sur elle de prendre la décision de se faire traiter.

Comment peut-on travailler sur la personne afin qu'elle prenne une décision? Vous avez parlé de l'exemple de Peter, qui était intéressant. Il a pris sa décision après être allé en prison quelques fois, après avoir rencontré des gens, avoir eu des services de soutien à l'intérieur de la prison. Peut-être Peter n'aurait pas pris cette décision s'il n'avait pas eu ce passage obligé en prison, après la rencontre de certaines personnes qui l'ont amené à un processus intellectuel pour décider de se faire traiter. Est-ce qu'on ne peut pas utiliser la prison comme non pas seulement jeter la clé, mais aussi mettre la personne dans un état de sobriété où elle pourra avoir accès à des soutiens, à de l'aide pour l'amener à prendre cette décision à être traitée? Est-ce que cela ne peut pas être un aspect positif de la prison?

[Traduction]

Dr Maté : Il est effectivement vrai que certaines personnes décident à un moment donné d'essayer de s'en sortir. La question est de savoir quelles sont les conditions qu'il convient d'instaurer pour les inciter à faire ce choix. Rien n'indique que les punitions sévères soient la solution; c'est habituellement le contraire.

Le moine catholique, Thomas Merton, a écrit qu'avant que les gens ne puissent croire à la possibilité d'une victoire, ils doivent en avoir eu un avant-goût. Dans ce contexte, cela veut dire que ces personnes doivent d'abord bénéficier d'un soutien et de compassion. Elles auront alors beaucoup plus tendance à décider de se rétablir.

Si les conséquences négatives amenaient les gens à essayer de guérir, je n'aurais plus de patients dans le Downtown Eastside, parce qu'il n'existe pas d'endroit au monde où ces personnes sont autant harcelées, bousculées et privées de tout, que celles qui vivent dans les rues de Vancouver. Cela ne suffit pas à les amener à renoncer aux drogues. C'est précisément parce qu'elles ne bénéficient d'aucun soutien dans ces conditions.

Il est vrai que, lorsque mes patients reviennent de prison, ils ont pris du poids et ils ont l'air en meilleure santé. Ils sont peut-être passés par une période de sevrage, mais ils ont eu accès à une nourriture saine et à un endroit chaud pour dormir. Ils ne vivaient pas dans la rue de sorte qu'ils ont l'air en meilleure santé. Ils rechutent toutefois très rapidement, parce que leurs problèmes fondamentaux n'ont pas été réglés.

J'aimerais bien pouvoir dire qu'il existe effectivement des programmes de soutien et de traitement appropriés dans les prisons, mais ce n'est pas le cas. Ce n'est pas ce qui se passe. Les gens sont en fait emprisonnés dans des locaux surpeuplés avec d'autres criminels, et il n'est pas facile d'y survivre. Je ne sais pas s'il existe un établissement où les détenus obtiennent le soutien dont ils ont besoin en prison.

Même dans ce cas, il ne s'agirait pas d'imposer des peines plus longues ou plus sévères. Il faudrait leur fournir un soutien. Il n'y a rien qui justifie la méthode punitive — il n'y a aucune donnée scientifique qui la justifie. Cela ne fonctionne tout simplement pas.

M. Skinner : J'aimerais faire aussi un commentaire. Nous offrons des programmes auxquels nos clients sont obligés de participer et ils obtiennent de bons résultats. Il s'agit des programmes d'aide à l'emploi, pour les personnes qui, du point de vue de l'employeur, n'ont plus rien à offrir, et qu'il est prêt à congédier. Avec ce programme, l'employeur va toutefois préserver l'emploi de ces personnes qui ont un problème de toxicomanie ou de santé mentale et qui sont prêtes à se faire traiter. Dans ces conditions, les gens se font traiter, parfois avec réticence ou à contrecoeur, mais ils réussissent bien. Ils réussissent aussi bien que les personnes qui participent volontairement à un traitement. Nous avons donc des exemples de traitement obligatoire qui donne de bons résultats. Je trouve cela intéressant. Comment se fait-il que cela fonctionne aussi bien dans ce cas et si mal dans les autres programmes obligatoires offerts dans le système de justice pénale?

Cela est peut-être lié à la citation qu'a donnée le Dr Maté. En ce qui concerne les programmes d'aide aux employés, les gens sont motivés parce qu'ils ont quelque chose à perdre. Ils ne veulent pas perdre leur emploi, mais ils risquent également de perdre autre chose, parce qu'il est humiliant de perdre son emploi de cette façon. De plus, il y a le fait qu'il est possible de motiver ces personnes. Elles veulent bien faire et être un exemple pour leur famille et leurs amis. Lorsqu'on arrive à les motiver, cela peut changer beaucoup de choses.

Cet aspect ne me préoccupe pas trop lorsque j'accueille quelqu'un dans un programme de traitement. Je veux savoir quel est son niveau de motivation, mais j'accepte tous ceux qui veulent se faire traiter. Il est possible de travailler efficacement dans ce contexte. Les programmes de traitement obligatoire des employés donnent de bons résultats, selon les études.

Le Service correctionnel du Canada a quelques programmes qui sont excellents. Sous bien des aspects, le problème ne vient pas du fait que les personnes qui participent à ces programmes sont en prison; les problèmes commencent lorsqu'ils retournent dans la société, sans avoir accès à suffisamment de soutien et d'aide.

Il est possible d'exploiter efficacement les situations, mais il arrive souvent qu'en fait, ces personnes ne bénéficient pas d'un environnement attentif, de sorte qu'ils ont même du mal à subvenir à leurs besoins essentiels. Il y a des collègues des services correctionnels qui m'ont dit qu'ils avaient un programme important, l'alphabétisation, mais que le budget qui lui était consacré avait été réduit. Il faut savoir que la plupart des gens qui se retrouvent en prison ne savent ni lire ni écrire et les responsables veulent qu'ils se trouvent un travail. Le milieu carcéral leur offre la possibilité d'alphabétiser ces personnes et il y a des gens qui souhaitent obtenir ces services. Il faut travailler sur la conception, l'investissement, l'objectif et la stratégie du programme. S'il faut envoyer des gens en prison, il faudrait au moins faire preuve de compassion à leur endroit et les considérer comme des personnes qui peuvent se réadapter. C'est dans cela qu'il faut investir plutôt que de réfléchir à la durée de leur emprisonnement. Les études montrent que ce genre de choses donne de bons résultats.

Il y a un autre aspect qu'il faudrait améliorer; il faut renforcer le lien entre les services offerts aux détenus et la collectivité. Il faut que ces programmes soient intégrés de façon à ce que, lorsque les gens sont libérés, ils soient motivés à y participer. Les gens récidivent ou font une rechute dans les 30 jours qui suivent leur libération. C'est le plus fréquent et c'est un problème grave.

Pour ce qui est de ces périodes de transition, nous savons que ce sont des périodes à très haut risque et nous savons qu'il existe des stratégies efficaces. Nous pourrions mieux faire les choses dans ce domaine. Je suis heureux que vous ayez soulevé ce point.

Dr Maté : Vous parlez de service « correctionnel ». Il est ironique d'utiliser ce mot, parce que si vous regardez l'étymologie, corriger quelque chose veut dire corriger les défauts. Les gens qui sont pris en charge par le service correctionnel sont des personnes qui ont vécu des vies très difficiles, d'après toutes les études. Le Service correctionnel devrait avoir pour but de corriger cette situation, mais ce n'est pas ce qu'il fait. Il pense que corriger veut dire punir.

Le Service correctionnel devrait s'appeler le service punitif, ce qui décrirait mieux ce qu'il fait. Ce n'est pas parce que le Service correctionnel n'offre pas des possibilités aux détenus, mais il n'a pas la compréhension nécessaire, ni les fonds ni l'appui. Ce n'est pas de cette façon qu'il fonctionne. J'aimerais beaucoup voir un véritable service « correctionnel »; cela serait utile.

Le sénateur Wallace : Merci pour vos exposés. J'ai écouté ce que vous avez dit, et il est évident que vous vous intéressez surtout à la consommation de drogues et à la toxicomanie. Vous connaissez la vie de ces gens et vous connaissez leur réalité. Comme pour tout ceci, nous vous félicitons pour le travail que vous accomplissez. Pour ceux d'entre nous qui ne sont pas confrontés à ces problèmes, nous disons merci, parce que vous savez ce que cela apporte aux familles et à la société. C'est la pire des choses.

Pour ramener cette discussion sur le projet de loi C-15, je dirais que ce projet C-15 est axé sur le trafic et la production de drogues, et insiste particulièrement sur le crime organisé. Il n'est pas facile pour nous, les législateurs, de trouver une solution magique au phénomène du commerce des drogues et du monde des drogues. Nous essayons d'apporter des améliorations progressives.

D'après ce que j'ai compris, le projet de loi C-15 a pour objectif d'essayer d'améliorer la situation actuelle en créant des collectivités et un environnement social où ceux qui ne sont pas toxicomanes aujourd'hui et ne consomment pas de drogues à l'heure actuelle, ne tomberont pas dans ce piège.

Par exemple, hier, le maire Fassbender de Langley, en Colombie-Britannique, a parlé du phénomène de la culture des drogues dans sa collectivité, des maisons qui étaient utilisées pour la production des drogues — la culture de la marijuana — et qui étaient incendiées, des luttes entre des gangs rivales, des armes utilisées ainsi que la crainte et les dommages que cela cause aux collectivités. Il nous a littéralement priés de faire quelque chose à ce sujet, parce que le système actuel est tout à fait incapable de contrôler ce genre d'activités.

Parallèlement — et ceux d'entre nous qui sont parents le comprendront très bien — nous ne voulons pas que nos jeunes se retrouvent dans des endroits où on leur vend des drogues. Dans notre société actuelle, je sais que cela est difficile. C'est la raison pour laquelle le projet de loi C-15 prévoit des peines plus sévères pour les vendeurs de drogues qui font ce commerce dans les écoles ou à proximité et influencent nos enfants.

Je vous décris là le contexte. Vous vous occupez principalement des problèmes liés à la toxicomanie une fois qu'ils sont apparus, mais nous, les législateurs, avons la responsabilité d'essayer d'empêcher, le mieux que nous pouvons, que des personnes soient attirées dans ce système et connaissent ces problèmes.

Docteur Maté, n'êtes-vous pas prêt à admettre que faire tout ce que nous pouvons pour empêcher le trafic de drogues et la production de drogues dans nos collectivités est un objectif louable? Nous pourrions peut-être avoir une discussion sur les façons d'y parvenir, mais reconnaissez-vous que c'est là un but louable et que c'est en fait le principal objectif du projet de loi C-15?

Dr Maté : Vous et moi, nous nous entendons sur les buts; il ne s'agit pas ici de buts divergents, mais des façons d'atteindre ces objectifs. Dans ma profession, au moins, nous sommes obligés d'agir en fonction des données scientifiques. J'aimerais que votre profession, c'est-à-dire le monde politique, soit également obligée d'agir de cette façon.

Si vous prenez les études, vous constaterez que ce qui est proposé ici a déjà été essayé ailleurs. Ce n'est pas un génie canadien qui a eu tout à coup l'idée de proposer des lois plus sévères et plus restrictives. Cela a déjà été essayé ailleurs dans le monde. À l'heure actuelle, les États-Unis font marche arrière, parce que leurs prisons sont surpeuplées. Pour ce qui est des prisons en Californie, les gymnases ne servent plus à faire de l'exercice, mais ils contiennent maintenant des lits superposés sur trois niveaux. Il n'y a pas suffisamment de locaux carcéraux aux États-Unis. En Californie, cela fait quelques mois qu'ils essaient par tous les moyens de libérer des détenus. C'est à cause des peines obligatoires que leurs prisons débordent, sont surpeuplées et malsaines. Pourquoi est-ce que nous ne tirons pas les leçons de ce que fait notre voisin du Sud? Je ne me souviens pas très bien des chiffres exacts, mais les États-Unis représentent cinq pour cent environ de la population mondiale, mais 25 p. 100 de la population carcérale mondiale. Ce sont là les statistiques, quelques peu approximatives. Il faudrait que je cherche les chiffres exacts, mais c'est dans cet ordre de grandeur.

Nous avons accès aux études qu'ils ont effectuées. Je comprends la frustration et les craintes du maire de Langley, la frustration, la crainte et l'angoisse de tous les parents, mais il y a une différence entre une réaction émotive — comme se dire, faisons quelque chose, empêchons ces gens de nuire — et les preuves scientifiques. La réaction émotive est une réponse humaine normale. Nous réagissons tous de cette façon. Je réagis de cette façon en cas d'urgence. C'est une tendance humaine naturelle, mais ce n'est pas une bonne base pour élaborer une politique. Il faut qu'une politique soit fondée sur des données scientifiques. S'il existe une seule donnée favorable aux dispositions de ce projet de loi, j'aimerais beaucoup en prendre connaissance.

Notre désir d'agir et notre frustration à l'égard des difficultés que la toxicomanie impose à notre société et à nos jeunes ne devraient pas nous amener à prendre de mauvaises décisions.

Enfin, pour ce qui est de la prévention, comme je le fais remarquer dans ce livre, la prévention de la toxicomanie commence au berceau. Cela doit commencer à la première visite prénatale, pour que nous accordions de l'aide aux familles, aux jeunes enfants et aux jeunes mères, en particulier aux familles en difficulté. Ce sont ces enfants qui sont attirés par la consommation des drogues. S'ils sont attirés par la consommation des drogues, peu importe que vous placiez des obstacles dans leur quête, ils vont trouver ces drogues. Historiquement, les gens l'ont toujours fait et dans tous les pays. Je sais bien que nous aimerions croire le contraire, mais cela ne fonctionne pas. Interdire l'offre des drogues, lorsqu'il y a une demande, ne peut être efficace.

Nous pouvons faire beaucoup de choses sur le plan social, civique, public, municipal, provincial et fédéral, et je serais en faveur des nombreux programmes qui permettraient de réaliser l'objectif que nous partageons ici, mais je ne peux souscrire à ce que vous affirmez au sujet des répercussions de ce projet de loi. L'intention est une chose; les répercussions sont quelque chose de complètement différent. Je peux vous dire aujourd'hui que dans 15 ans, si je vis toujours, nous pourrons revenir, examiner cette loi et ses résultats et vous constaterez qu'elle a eu en réalité, un effet contraire aux objectifs que vous vous êtes donnés.

Le sénateur Wallace : Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les lois ne devraient pas être basées sur les émotions. Elles doivent reposer sur un fondement solide. Nous avons entendu des témoignages qui indiquent que les collectivités qui ont pris des mesures sévères contre la culture des drogues sur leur territoire ont vu une amélioration sensible. Ces exemples viennent de la Colombie-Britannique.

Dr Maté : C'est exact. Excusez-moi de vous interrompre, mais ce qui se passe, c'est que ces personnes, au lieu de se trouver à Langley, se retrouvent dans le Downtown Eastside. Je peux vous parler du problème de Downtown Eastside. Le problème ne vient pas de Downtown Eastside mais du Canada. Nous avons besoin de bons programmes de traitement, de prévention et de réduction des méfaits dans l'ensemble du territoire. Il est facile pour une petite collectivité de dire « Pas dans ma cour », et de faire la vie dure aux toxicomanes et aux petits vendeurs pour les obliger à quitter la commune, mais ils ne vont pas disparaître complètement. Ils vont déménager et c'est ensuite moi qui les traite dans le Downtown Eastside de Vancouver, et tout le monde dit : « Qu'allons-nous faire avec le Downtown Eastside? » Le Downtown Eastside existe parce que Langley a adopté des programmes sévères.

Le sénateur Wallace : J'aimerais parler un moment du crime organisé, dont on retrouve les tentacules dans le commerce des drogues. Dois-je conclure de vos commentaires que nous avons perdu la bataille et que nous ferions aussi bien de laisser les criminels tranquilles, de nous occuper de traitement et d'accepter qu'il y aura des toxicomanes? Il est impossible d'empêcher le trafic, alors nous devons nous contenter de réagir par la suite?

Dr Maté : Non, au contraire.

Le sénateur Wallace : Que proposez-vous alors? Comment lutter contre le crime organisé et sa participation dans le commerce des drogues?

Dr Maté : Si M. Harper avait l'idée géniale de faire de moi le tsar des drogues au Canada, il y a un certain nombre de choses que je ferais. Premièrement, j'aiderais davantage les jeunes familles. J'accorderais des congés aux parents pour que les enfants restent avec eux, que les parents établissent des liens avec leurs enfants et leur fournissent un soutien affectif, de façon à ne pas stresser les parents et à les éloigner de leurs enfants comme le fait la situation économique actuelle.

Deuxièmement, je rechercherais les familles en danger grâce aux signalements des médecins et des autorités du domaine de la santé et je leur accorderais un soutien supplémentaire.

Troisièmement, je veillerais à ce qu'où se trouvent les enfants, qu'ils soient dans des garderies ou à l'école, reçoivent une stimulation affective, pas seulement une instruction et de la pédagogie, mais également un soutien affectif. Je les mettrais en rapport avec un réseau d'adultes qui serait là pour s'occuper d'eux et pour leur éviter de se retrouver, par force, parmi leurs pairs. C'est principalement par leurs pairs que les enfants s'initient à la consommation des drogues.

Pour ce qui est des toxicomanes établis, je leur fournirais la substance qu'ils consomment sous surveillance médicale. Les études font clairement ressortir tous les avantages d'un tel système. La criminalité diminue et la fonctionnalité augmente que les études portent sur la Suisse, l'Allemagne, la Hollande ou l'Angleterre. Voilà les choses que je ferais.

En agissant ainsi, je priverais immédiatement les gros vendeurs de drogues de leurs débouchés. Lorsque les gens peuvent obtenir leurs drogues sous surveillance médicale, ils n'ont plus besoin de les acheter sur le marché clandestin, ou du moins cela le diminuerait énormément. Il serait alors plus facile de séparer les gros vendeurs des petits vendeurs, ceux qui se font le plus souvent happer par le système judiciaire actuel.

Nous pourrions faire beaucoup de choses si nous appliquions des pratiques fondées sur des données scientifiques.

Le sénateur Wallace : Un dernier commentaire. Je ne peux qu'accepter ce que vous avez dit, mais je pense qu'il faut adopter une approche comportant au moins deux volets. Le premier consiste à fournir un environnement social stimulant et favorable, comme vous l'avez décrit, mais je dirais que l'autre volet consisterait à nous attaquer à ceux qui produisent et vendent des drogues dans notre société. D'un côté, j'accepte ce que vous dites, mais je pense que vous laissez de côté le phénomène de la production des drogues — je vous le dis avec respect — et du trafic. Si nous n'essayons pas de lutter directement contre ces activités, alors...

Dr Maté : Sénateur, je n'ai pas souvent l'occasion de débattre avec des sénateurs et je vais donc en profiter au maximum. C'est une possibilité qui ne se représentera pas pour moi. Comprenez-le.

Quelles sont les preuves? Je vous dis que nous disposons d'un grand nombre d'études internationales qui portent sur ce que vous proposez et elles démontrent toutes de façon convaincante que cela ne fonctionne pas. J'aimerais savoir sur quelles études vous vous appuyez pour dire que les peines obligatoires sont efficaces, ainsi que tout ce que vous allez faire. Où sont les études? Il y en a un très grand nombre. Elles démontrent que cela ne fonctionne pas, et je me demande ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons.

Le sénateur Wallace : Nous avons eu beaucoup de discussions au sujet des peines minimales obligatoires, non seulement au sujet de ce projet de loi, mais au sujet d'autres projets de loi également. Il y en a qui n'acceptent pas votre affirmation selon laquelle les peines minimales obligatoires ne donnent rien. Cela ne vous surprendra peut-être pas, mais hier, par exemple, nous avons entendu des représentants des services de police et nous l'avons également entendu dire par d'autres, qui sont en désaccord complet avec vous et ces témoins sont en contact avec la réalité des personnes qui sont inculpées et condamnées. Ils ne seraient pas d'accord avec vous et ils nous prient de leur donner l'outil que représentent les peines minimales obligatoires, comme l'a déclaré, mon collègue, le sénateur Carignan, et vous le savez très bien. Il n'existe pas de solution unique qui permettrait de régler le problème de société que nous avons. Je dis simplement qu'il y a des gens qui ne sont pas d'accord avec ce que vous dites.

Dr Maté : Ce n'est pas la première fois que des gens ne sont pas d'accord avec moi. C'est ce que j'ai constaté. Par contre, pour ce qui est des policiers, on leur a donné à faire un certain travail. Ce travail est irrationnel, parce qu'il s'agit de régler, à l'aide de méthodes policières, essentiellement, un problème de santé et un problème spirituel, qui est la toxicomanie. Lorsque je dis « spirituel », je ne donne pas à ce mot une connotation religieuse exotérique. Je veux simplement dire que les gens sont isolés et séparés de l'univers à cause des traumatismes qu'ils ont connus dans leur enfance, de sorte qu'ils se perçoivent comme étant seuls au monde. C'est le problème du toxicomane, et on demande à la police de faire un travail impossible dans le contexte de son rôle général. Les policiers ne créent pas les lois; ils ne font qu'appliquer celles qui existent. Du point de vue des activités policières, il serait très logique de mettre en prison à perpétuité le toxicomane qui a déjà été condamné, parce qu'il ne pourra pas récidiver. Tout ce qu'il faut, c'est davantage de prisons, c'est tout. Les policiers n'ont pas une conception bio-psycho-sociale des êtres humains. Ils voient les choses d'un certain point de vue : « Qu'est-ce qui va faciliter mon travail? Si je peux enfermer ces gars-là un peu plus longtemps, cela me facilitera le travail. »

Ce n'est pas ce que démontrent les études effectuées aux États-Unis. C'est le contraire, mais je comprends parfaitement qu'un policier puisse en arriver à cette conclusion. La situation est très frustrante pour eux. Ils travaillent très fort. Ils doivent aller devant les tribunaux dans des situations difficiles, présenter des preuves et ensuite ils voient ces gens qui sont toujours en liberté. Je peux comprendre leur frustration, mais ce n'est pas sur cela que l'on peut élaborer une politique en matière de drogue.

Le sénateur Wallace : Je m'oppose à une de vos affirmations. Je ne crois pas que je sois naïf, mais j'estime que nos policiers — je dirais l'immense majorité d'entre eux — estiment que leur rôle constitue à nous protéger — à protéger la société. C'est un travail difficile. Je dirais que leur principal motif n'est pas de se faciliter le travail. Leur travail consiste à vous protéger, à me protéger, moi et nos familles.

Dr Maté : Je comprends.

Le sénateur Wallace : Je vous ai peut-être mal compris.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. Vous avez travaillé pendant de nombreuses années dans le domaine du traitement de la toxicomanie. Je crois savoir, docteur Maté, que vous avez travaillé pendant 10 ans dans ce domaine.

Dr Maté : Onze ans.

Le sénateur Joyal : Monsieur Skinner, vous travaillez dans ce domaine depuis plus de 20 ans, de sorte que vous avez une longue expérience de ces problèmes. Vous avez probablement assisté à l'évolution de la compréhension du phénomène de la toxicomanie, en général. Ce que vous savez aujourd'hui et que vous nous avez expliqué aujourd'hui est sans doute légèrement différent de ce que nous connaissions il y a 10 ou 20 ans. C'est une science, et elle évolue.

Vous avez fait allusion à cet aspect dans un commentaire que vous avez fait à une réponse précédente, mais j'aimerais que vous nous en disiez davantage. En vous fondant sur ce que vous avez vu ces 10 ou 20 dernières années, et sur ce que vous voyez aujourd'hui, pour ce qui est du taux de récidive des toxicomanes qui sont libérés de prison, que pensez-vous de l'importance que nos politiques accordent dans ce domaine d'un côté, au traitement et à la prévention et de l'autre, à l'application des lois? Comme vous l'avez décrit, votre approche à ce problème comporte quatre volets. Vous estimez que le gouvernement insiste essentiellement sur l'application de la loi, parce que c'est une action visible. Il est plus rassurant, sur le plan psychologique, d'entendre dire que les consommateurs de drogues seront envoyés en prison; c'est une affirmation apaisante qui permet aux gens honnêtes de dormir tranquille chez eux. En fait, j'aimerais savoir quelles sont les approches qu'il faudrait privilégier si l'on voulait s'attaquer directement aux racines de ce problème.

Je ne parle pas du crime organisé. Le crime organisé est autre chose. Je pense que nous confondons les deux. Nous confondons les gros trafiquants avec le toxicomane qui essaie d'obtenir sa drogue en revendant de petites quantités de drogues, ce genre de choses. Je crois que le grave problème que nous essayons de régler exige que nous accordions autant d'importance aux trois autres volets qu'à celui-ci.

D'après votre expérience, comment comparez-vous l'importance qui a été accordée aux autres approches par rapport à celle qui vise l'application de la loi? N'avons-nous pas retenu la solution facile qui semble être la plus efficace — à savoir, enfermer ces gens — au lieu d'essayer de les traiter ou de leur fournir l'appui médical et psychologique dont ces personnes ont besoin pour guérir et ne pas se retrouver en prison trois mois après leur libération?

Dr Maté : La réponse à cette question est simple. Si nous examinons l'aspect financier, nous constatons qu'une société accorde de l'importance aux choses auxquelles elle consacre des fonds. Les fonds sont presque tous dépensés sur le volet application de la loi. Les pourcentages représentent 80 p. 100 environ pour l'application de la loi et 20 p. 100 pour les trois autres approches, ou un pourcentage encore plus élevé pour l'application de la loi. C'est la raison pour laquelle je parle de trois allumettes et d'un pilier. Il n'est pas possible de faire tenir un édifice de cette façon; lorsque vous accordez de l'importance à un seul pilier, cela ne permettra pas de supporter le toit. Il n'est pas surprenant que le toit s'écroule sur nos politiques.

Sur le plan financier, voilà ce que l'on peut constater. Pour ce qui est du discours politique, j'entends très peu parler de prévention et de maltraitance des enfants, qui est la cause de la plupart des toxicomanies. J'entends très peu parler de l'appui à donner aux familles. L'Ontario a présenté un projet de loi sur les garderies, ce qui est une autre question. Une telle mesure aura pour résultat d'isoler encore davantage les enfants de leurs parents et de leur faire passer davantage de temps avec leurs pairs. Ils seront donc davantage enclins à accepter l'influence de leurs pairs et donc à consommer des drogues. À moins que ces garderies offrent à ces enfants une surveillance stimulante — pas seulement une surveillance, mais une surveillance qui soit stimulante sur le plan affectif. Je n'ai rien trouvé dans la loi ontarienne sur les garderies susceptible d'apporter le soutien affectif dont ont besoin les enfants. Cette mesure parle uniquement de leur donner une bonne instruction pour que les parents puissent venir les chercher à 6 h du soir.

Je dirais que toute l'idée de l'appui affectif dont ont besoin les enfants est absente du discours public. J'ai déjà enseigné dans une école secondaire. Cet aspect n'est pas abordé dans la formation des médecins, des éducateurs, des psychologues et des autres, encore moins dans le système judiciaire. Lorsque de jeunes criminels se retrouvent dans le système judiciaire, ils obtiennent très peu d'appui. Ces jeunes sont passés par toute une série de foyers d'accueil et ils ont été abandonnés de multiples fois parce qu'ils ont un comportement difficile. Ils se retrouvent dans le système des établissements pour adolescents. Vous pourriez aussi bien leur donner une pipe pour fumer du crack ou une seringue pour l'héroïne.

Je pense que ni le discours public ni les choix financiers sont orientés sur les trois autres volets. Je constate que la plus grande partie de l'attention est dirigée sur la mise en œuvre de lois qui sont impossibles à appliquer.

Le sénateur Joyal : Que pensez-vous du programme judiciaire de lutte contre la toxicomanie et de l'appui axé sur la réadaptation que ces toxicomanes peuvent obtenir une fois qu'ils ont été déclarés coupables de consommer des drogues ou d'en vendre pour pouvoir en consommer?

Dr Maté : Je pense que ce programme est un essai courageux et utile; c'est une mesure utile qui va dans la bonne direction. Ce n'est pas la solution, mais c'est une mesure qui est plus humaine, plus collégiale et moins répressive. Elle essaie davantage de respecter la dignité de la personne, et je suis en faveur de toute mesure qui va dans ce sens. Ce genre de programme judiciaire est un pas encourageant dans la bonne direction.

Le sénateur Joyal : Voulez-vous intervenir, monsieur Skinner?

M. Skinner : Je pense que les programmes judiciaires de lutte contre la toxicomanie sont importants. Il est important de signaler que les défenseurs de ces programmes sont issus du système de justice pénale. Ce sont les juges, les procureurs de la Couronne et les personnes qui travaillent dans ce système en Ontario qui ont lancé ce projet pilote dans ce domaine. Il y a dans ce système des personnes intelligentes qui ont des connaissances auxquelles nous pourrions demander d'élaborer des réponses plus efficaces pour les gens qui souffrent de ces problèmes.

Trop souvent, le tribunal doit passer son temps à régler des problèmes humains pour lesquels il doit fournir des directives. J'ai mentionné plus tôt que le traitement obligatoire imposé aux personnes sur le point de perdre leur emploi était une façon efficace d'amener les gens à changer et à modifier leurs comportements. La plupart des gens ne changent pas leur façon de vivre parce qu'ils se réveillent un beau jour en se disant « Je suis vraiment décidé à changer. » En général, les gens changent lorsque la douleur qu'ils ressentent dans leur situation actuelle est plus grande que la douleur que va leur causer un changement, comme le disent ceux qui font des entrevues de motivation. Lorsque quelqu'un est amené devant un tribunal, cela constitue une occasion de créer quelque chose qui donnera à cette personne la possibilité de changer sa vie. Les programmes judiciaires de lutte contre la toxicomanie sont un début. Il me paraît très prometteur d'appuyer ces programmes et de les utiliser de façon plus systématique à l'égard des personnes qui ont des problèmes humains complexes.

Le sénateur Joyal : Et les services de réadaptation dans les prisons? Que pensez-vous du nombre, de la qualité et de l'efficacité de ces programmes?

Dr Maté : J'ai été invité à prendre la parole dans quelques prisons de la Colombie-Britannique. Les contacts que j'ai eus avec les détenus et les membres du système correctionnel me disent qu'il n'y a rien de systématique. Cela dépend énormément du point de vue et de la personnalité particulière du directeur de la prison. Certains sont compréhensifs, d'autres plus stricts. Ils pensent qu'en étant stricts, ils peuvent atteindre leurs objectifs.

Les contacts limités que j'ai eus avec le système correctionnel me permettent de dire qu'il n'y a pas d'approche systématique et générale fondée sur le point de vue bio-psycho-social. Cela n'est pas surprenant, parce que même la profession médicale ne l'a pas encore tout à fait adopté.

Il existe ici et là des exemples encourageants, mais dans l'ensemble, la situation n'est pas bonne. On essaie surtout de contrôler les détenus et de leur imposer des règles plutôt que de favoriser le rétablissement et l'épanouissement de l'individu.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, nous n'avons pas vraiment introduit cette approche dans le système?

Dr Maté : Non. De plus, avec les restrictions budgétaires, il y a des programmes qui disparaissent, tant dans les prisons qu'à l'extérieur. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a supprimé le seul programme destiné aux jeunes toxicomanes du Nord de la Colombie-Britannique. Je peux dire que nous allons retrouver ces jeunes dans les nouvelles prisons que nous sommes en train de construire. C'est ce que nous sommes en train de faire, et nous le faisons très consciemment.

M. Skinner : Ce sont là des préoccupations valides. Par contre, le Service correctionnel du Canada a un centre de recherche sur la toxicomanie dans l'Île-du-Prince-Édouard. Ce centre a mis sur pied de bons programmes. Je pense à des programmes pour femmes ayant des problèmes complexes de santé mentale et de toxicomanie. Là encore, il s'agit de projets pilotes.

Le système n'est pas structuré autour de ce principe. Il existe toutefois des expériences sur lesquelles nous pourrions nous appuyer, si nous voulions vraiment envisager cette orientation et y consacrer des fonds. Essentiellement, le principe qui régit le système n'est pas celui de la logique correctionnelle, comme l'a affirmé le Dr Maté. Si nous voulions choisir cette orientation, il y a des éléments qui existent déjà et dont nous pourrions nous inspirer.

Le sénateur Joyal : À votre avis, est-ce que cela serait plus efficace que de construire d'autres prisons et d'ajouter de nouvelles cellules pour pouvoir garder tous ces gens en prison plus longtemps?

M. Skinner : Absolument. C'est toute la question de savoir comment nous allons traiter les personnes qui ont des démêlés avec la justice. Il existe des façons de le faire qui seraient, d'après moi, plus efficaces. Il est ironique de constater que ces façons sont basées sur une attitude ouverte et compréhensive.

Le problème est qu'une bonne partie de la population est remontée contre les personnes qui connaissent ces problèmes et a adopté une attitude de rejet. Il s'exerce des pressions pour que nous traitions sévèrement ces personnes, mais les études démontrent qu'une telle attitude ne peut qu'aggraver la situation. Il existe toutefois des méthodes qui peuvent faciliter le règlement des problèmes que vivent ces personnes, ainsi que ceux que connaît la société. Il ne s'agit pas simplement d'individus. Nous parlons en fait d'une question de santé publique, et non pas uniquement de modification d'un comportement individuel.

Le sénateur Joyal : Si j'ai bien compris le sens de votre propos, vous dites que ce projet de loi a été préparé avec une bonne intention, comme diraient certains sénateurs, à savoir cibler le crime organisé et les gros trafiquants; cependant, en poursuivant ces personnes, il va s'appliquer à tous ces toxicomanes qui ont davantage besoin de soutien psychologique et médical que, comme vous l'avez dit, de sanctions sévères, ce qui ne donnera pas les résultats que nous espérons.

M. Skinner : C'est une très bonne façon de résumer ma déclaration. Les sénateurs savent écouter.

Le sénateur Mercer : Tout comme le sénateur Banks, je ne suis pas membre permanent du comité, mais j'ai des idées très arrêtées sur ce projet de loi. Je ne l'aime pas.

Docteur Maté, vous avez dit quelque chose qui m'a interpellé. J'ai suivi votre exposé et je souscris à votre affirmation selon laquelle la plupart de ces gens ont été maltraités dans leur enfance. Dans votre dernière déclaration, vous avez toutefois affirmé quelque chose au sujet du projet de loi ontarien sur les garderies.

Dr Maté : Oui.

Le sénateur Mercer : Vous ai-je mal compris? J'espère que c'est le cas. Dites-vous que les garderies, qui détiennent un permis, pourraient favoriser plus tard la toxicomanie chez ces enfants?

Dr Maté : Je sais que cette déclaration peut paraître très surprenante, mais voici le raisonnement sur lequel elle est basée. Encore une fois, c'est un livre que j'ai corédigé, dont le titre est Hold On to Your Kids, (Restez proche de vos enfants), qui est fondé sur le travail d'un psychologue de Vancouver, Gordon Neufeld. Il fait remarquer qu'auparavant, les êtres humains se développaient au sein d'un réseau d'adultes et qu'il fallait un village pour élever un enfant. Traditionnellement, les êtres humains se sont toujours développés dans le cadre d'une famille étendue, d'un village, d'un clan ou d'une tribu, de sorte que les enfants pouvaient établir des liens avec de nombreux adultes compréhensifs, comme les oncles et les tantes, et les autres. Si vous marchez dans la rue d'un village en Afrique, vous vous apercevrez que tout le monde vous appelle « mon oncle », même si vous n'avez aucune relation avec ces personnes.

Aujourd'hui, en Amérique du Nord, nous avons perdu tous ces réseaux, à cause des changements économiques que nous avons connus depuis sept ans. Nous avons perdu le clan, la tribu, le village, la communauté et même la famille étendue. Lorsqu'un village de pêcheurs disparaît à Terre-Neuve et que les parents doivent partir travailler sur les sables bitumineux en Alberta, d'un seul coup, le cadre dans lequel ils exerçaient leur rôle de parents disparaît.

Dans notre société, il est fréquent que les deux parents doivent travailler pour subvenir aux besoins de leur famille et que les enfants passent la journée à la garderie. Ce n'est pas que les enfants ne devraient pas aller dans une garderie. Si c'est là qu'ils doivent être, eh bien, qu'ils y soient.

Des études américaines ont porté sur les niveaux de l'hormone du stress chez les enfants en garderie. En Roumanie, dans les terribles orphelinats qui existaient sous le régime communiste, les auteurs de ces études ont mesuré le cortisol, qui est une hormone du stress. Ils ont constaté que les niveaux de cortisol de ces enfants étaient extrêmement élevés. Ils étaient stressés. D'après ces études américaines, les enfants qui passent la journée dans les garderies ont des niveaux de cortisol plus élevés que ceux qui restent chez eux, sauf dans les garderies où il existe un ratio adulte-enfants suffisant et des relations enrichissantes entre eux.

Autrement dit, la véritable question n'est pas de savoir si l'enfant est en garderie; il s'agit de savoir s'il y a dans la garderie des adultes stimulants, compréhensifs et chaleureux qui s'occupent de ces enfants, des adultes ne feront pas seulement de la surveillance, mais qui vont aussi interagir avec compréhension avec les enfants.

S'il n'y a pas d'adultes ayant une présence aimante et apportant un soutien émotif, les cerveaux des enfants établissent automatiquement des liens avec leurs pairs, parce qu'ils doivent s'attacher à quelqu'un, tout comme un caneton doit s'attacher à quelqu'un. Si la cane n'est pas là, le caneton va s'attacher à un cheval, qui n'est pas conçu par sa nature pour amener ce caneton à l'âge adulte, tout comme ne l'est pas un être humain ni un jouet mécanique.

De la même façon, les enfants s'attachent aux autres enfants, par défaut. Lorsqu'ils s'attachent à d'autres enfants, ils cessent de se développer sur le plan affectif, parce que les êtres en développement ne peuvent s'aider les uns les autres à atteindre la maturité. Ils sont davantage stressés et s'ils sont plus stressés, ils risquent davantage de consommer des drogues. Le danger que peuvent représenter les garderies ne vient pas des garderies elles-mêmes, mais il faut veiller à ce que nos enfants, s'ils ne sont pas chez eux avec leurs parents, se trouvent dans des garderies où il y a des personnes qui remplacent les parents et qui ne sont pas de simples surveillants.

Le sénateur Mercer : Si un enfant vient d'une famille aimante et chaleureuse et si les circonstances économiques étaient telles qu'elles déboucheraient sur l'environnement familial traditionnel auquel vous avez fait référence, et si un enfant qui vit dans cet environnement fréquente également une garderie, il ne courrait pas un risque très grave s'il allait dans une garderie où il y a un ratio suffisant d'éducateurs et enfants?

Dr Maté : Vous avez raison. Autrement dit, je ne dis pas que les enfants doivent rester avec leurs parents; ils ont, par contre, besoin d'adultes stimulants et aimants.

Le sénateur Mercer : Nous parlons donc de la qualité des garderies et non pas de la notion de garderie.

Dr Maté : Absolument, nous parlons de la qualité des garderies. Je crains toutefois que cet aspect ne soit pas suffisamment compris dans nos garderies. Dans notre société, il y a un phénomène nouveau, c'est que les enfants établissent des liens avec les autres enfants, plus qu'ils ne l'ont jamais fait jusqu'ici. Lorsqu'ils ne sont pas en contact physiquement, ils communiquent entre eux par message texte, par téléphone ou par courriel. Autrement dit, le principal élément qui influence le développement de nos enfants, ce sont les autres enfants, ce qui est, sur le plan du développement et de l'éducation, une catastrophe.

Le sénateur Mercer : Dans les universités et les collèges canadiens qui offrent un programme d'éducation des jeunes enfants, est-ce que l'on enseigne cette idée?

Dr Maté : Non. J'ai donné une conférence au Canadian Institute for the Family, qui est principalement financée par des gens qui appuient le Parti conservateur du Canada. On m'a invité à prendre la parole devant ce groupe, plus tôt cette année, en mars ou en février. J'ai été heureux de le faire, parce que les membres de cet institut comprennent l'importance de la famille et du soutien affectif. Je ne partage pas leur perspective sociale, mais je souscris à leur idée d'insister sur l'importance du soutien affectif et de l'affection pour les enfants. Malheureusement, ce point de vue n'est pas adopté dans la pédagogie, dans l'éducation des enseignants, des éducateurs, des médecins ou de qui que ce soit en fait. L'importance des liens affectifs, qui sont à la base du développement de l'enfant est, pour l'essentiel, laissé de côté dans l'éducation des personnes qui s'occupent des enfants. On se préoccupe uniquement des aspects intellectuels de la pédagogie et pas des liens affectifs.

Le vice-président : J'aimerais moi aussi poser quelques questions.

Monsieur Skinner, avez-vous accès à des données sur l'ampleur du phénomène de la toxicomanie au Canada? Vous avez cité quelques chiffres et nous allons bientôt entendre les représentants du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, le CCLAT, au sujet des chiffres qu'il possède sur l'ampleur du phénomène.

M. Skinner : Oui.

Le vice-président : Par contre, avez-vous des chiffres sur l'ampleur du phénomène de la toxicomanie au Canada? Si vous n'avez pas ces données avec vous aujourd'hui, pourriez-vous nous les transmettre?

M. Skinner : Je n'ai pas cela avec moi. J'utilise en fait les données du centre au sujet de la prévalence, ce qui englobe leurs constatations des problèmes de consommation.

Le vice-président : Les chiffres du CCLAT?

M. Skinner : Oui.

Le vice-président : Nous aurons donc ces chiffres.

M. Skinner : Si j'ai autre chose, je serai heureux de vous le faire parvenir.

Le vice-président : Je ne sais pas si vous avez lu le paragraphe 5(2) du projet de loi, qui parle du programme judiciaire de lutte contre la toxicomanie.

M. Skinner : Oui.

Le vice-président : Dans le nouveau paragraphe (5), à la fin de cet article, le projet de loi énonce : « à la personne qui termine avec succès un programme [...] ». Comment pouvons-nous mesurer si le contrevenant a terminé avec succès le programme?

Dr Maté : Oui, comment mesurer cela?

M. Skinner : Il existe des méthodes.

Le vice-président : Vous savez, bien sûr, que les textes d'un projet de loi sont choisis dans un but particulier, de sorte que nous devons comprendre exactement ce que l'on entend par « terminer avec succès ».

M. Skinner : Existe-t-il déjà, dans le projet de loi, une disposition qui précise la façon de mesurer ce succès?

Le sénateur Nolin : Non. C'est la raison pour laquelle je me pose des questions au sujet de l'expression « avec succès ».

M. Skinner : En fait, j'ai des collègues qui travaillent dans l'évaluation des programmes, qui ont des compétences en matière de recherche, et qui pourraient vous aider sur ce point. Vous avez raison de demander comment l'on peut quantifier ce succès. Quels sont les objectifs que nous allons nous donner pour mesurer si le programme a été un succès pour cette personne?

Bien évidemment, il y a des choses comme le nombre des personnes qui récidivent et celui des personnes qui suivent effectivement des programmes de traitement de la toxicomanie et en fin de compte, il faut trouver une mesure de la qualité de vie qui invite la personne qui a suivi le programme à préciser subjectivement si le soutien qu'elle a reçu grâce à ce programme a effectivement amélioré sa qualité de vie apparente, son fonctionnement et a favorisé une façon de vivre plus saine. Ce sont de choses très difficiles à obtenir, mais ce sont habituellement là les indicateurs utilisés pour mesurer la réadaptation sociale et la santé personnelle. Vous allez probablement utiliser pour votre évaluation des indicateurs assez souples, qui vont mesurer ce qui est arrivé ou pendant une autre période au participant, et il y a des façons de le faire. Il existe effectivement une méthode scientifique qui pourrait être utile pour effectuer cette évaluation.

Dr Maté : J'ajouterais, sénateur, que les mesures que nous utilisons habituellement concernent la question de savoir si la personne a consommé des drogues. Il est possible de faire des tests d'urine, de prendre des échantillons de cheveu et d'apprendre ainsi si la personne en question a utilisé des drogues au cours des derniers jours ou mois. A-t-elle assisté aux réunions régulièrement? A-t-elle assisté aux séances de counseling? A-t-elle rencontré son agent de libération conditionnelle? Voici des choses que l'on peut mesurer. On ne peut toutefois pas mesurer la transformation qui s'est faite à l'intérieur de ces personnes. Il est possible de mesurer le comportement externe ou les paramètres, mais pas la transformation interne qui apparaîtra 1, 2, 5 ou 10 années plus tard, dans le genre de vie que cette personne vivra par la suite. Il n'est pas possible de mesurer ces aspects à court terme, parce qu'il s'agit de résultats à long terme.

Le vice-président : M. Skinner, d'après la façon dont cette disposition est rédigée, le tribunal doit être convaincu que le programme a été un succès à moins qu'il n'impose la peine minimale obligatoire, qui a été suspendue.

M. Skinner : Je vois.

Le vice-président : Si vous étiez devant un juge qui vous demandait si le délinquant a suivi le programme avec succès, vous utiliseriez les réponses que vous m'avez données, mais vous, docteur Maté, vous diriez : « Je ne sais pas comment évaluer si l'environnement bio-psycho-social du délinquant a évolué de façon appropriée. Cela, nous ne le savons pas. Personne ne le sait. »

Dr Maté : En bref, je dirais oui, il n'a pas consommé de drogues, il a assisté à toutes les séances et il semble sincère. Voilà les choses que je peux dire. Je ne pourrais pas parler au tribunal de sa réussite à long terme.

M. Skinner : Il y a bien sûr dans notre organisation des experts pour ce qui est de la méthodologie scientifique. Je vous donne une réponse plus hypothétique. Je viens de comprendre, pendant que vous parliez, que vous voulez savoir sur quelles données le juge va pouvoir baser sa décision.

Le vice-président : C'est le projet de loi qu'on nous demande d'adopter. Nous devons être convaincus que ce projet de loi peut être mis en application. Si vous avez des spécialistes qui travaillent avec vous, et qui ont écrit sur ce sujet, ou qui pourraient nous fournir des éléments utiles, je vous invite à en informer la greffière et nous serons heureux d'en prendre connaissance.

M. Skinner : Je le ferai. Merci.

Le sénateur Milne : Une question supplémentaire à ce sujet, sénateur Nolin, le sénateur Campbell m'a fait faire une visite très rapide du Downtown Eastside il y a quelques années, mais j'ai également été membre du conseil d'administration de Rapport House à Brampton, en Ontario, qui était un foyer pour les adolescents toxicomanes.

Ma question découle en fait de celle que vous a posée le sénateur Nolin. Est-ce que les gens que vous traitez, vos patients, docteur Maté, ont accès au programme judiciaire de lutte contre la toxicomanie à Vancouver et à Toronto? Serait-il utile de multiplier ces programmes? Il n'y en a que six au Canada.

Dr Maté : Je sais, et celui de Vancouver est tout récent, il n'existe que depuis quelques années, peut-être moins. Statistiquement, je ne peux pas vous dire combien il y en a, je n'ai pas ces chiffres. Comme je l'ai dit, je considère que c'est là une mesure encourageante, appropriée et qui va dans la bonne direction. J'aimerais que ces programmes judiciaires et les principes moraux dont il s'inspire soient plus répandus dans notre pays. C'est mon seul commentaire.

M. Skinner : Les chiffres sont parlants, sénateur. Il n'y en a que six, comme vous le dites. L'accès à ces programmes est donc restreint. Je sais que d'autres intervenants ont demandé qu'on augmente le nombre de ces programmes et je pense qu'il serait sage de le faire.

Le vice-président : J'aimerais ajouter à votre réponse, monsieur Skinner, que le projet de loi fait également référence à cette idée nouvelle des programmes provinciaux. Cela n'est pas limité aux programmes judiciaires de lutte contre la toxicomanie, mais vise également les programmes provinciaux, ce qui va probablement élargir l'accès à ces services.

Dr Maté : Sénateur, j'aimerais faire une remarque : j'ai récemment donné une conférence à l'Université Simon Fraser où se trouvait un policier de Victoria. Il m'a parlé de quelque chose que je vous inviterais à explorer. Je ne connaissais pas ce programme moi-même. Il m'a dit, qu'à un moment donné, en Colombie-Britannique, un policier avait le pouvoir d'obliger une personne à se faire traiter pendant une période de six mois. Si le toxicomane ne se faisait pas traiter, on pouvait le renvoyer en prison. Je n'étais pas au courant de ce programme et je ne connais pas le nom du projet de loi ou de la disposition législative. Il m'a déclaré qu'on avait finalement mis un terme à ce programme parce qu'il ne donnait pas de bons résultats. Je crois qu'il serait souhaitable que le comité entende quelqu'un qui connaisse ce programme et qui puisse expliquer pourquoi il a été finalement supprimé.

Le vice-président : Vous souvenez-vous de son nom?

Dr Maté : Non.

Le vice-président : Si nous avions quelques renseignements à ce sujet, nous pourrions explorer cet aspect.

Docteur Maté, combien y a-t-il de jeunes dans la population des toxicomanes du Downtown Eastside?

Dr Maté : Comme je l'ai dit, je travaille là depuis 11 ans. J'ai été frappé par le fait que le nombre des jeunes qui se trouvent là augmentait beaucoup.

Le vice-président : Lorsque nous parlons de jeunes, nous parlons des jeunes de moins de 18 et 19 ans.

Dr Maté : Je parle des jeunes adolescents. Je ne traite pas souvent ceux qu'on appelle les enfants de la rue, parce que ce n'est pas une population à laquelle j'offre mes services, mais j'ai été frappé par l'augmentation du nombre des jeunes qui se trouvaient dans ce quartier, en particulier avec la vague du crystal meth que nous avons connue en particulier en Colombie-Britannique, mais également dans le reste du Canada. La population des toxicomanes est de plus en plus jeune. En fait, il y a des toxicomanes âgés qui se sentent maintenant en danger parce qu'il y a davantage de jeunes toxicomanes agressifs dans ce quartier.

Le vice-président : Je vous remercie tous les deux pour vos témoignages et vos commentaires. Ils nous seront très utiles.

Collègues, nous devons examiner certains documents qui nous ont été transmis par les témoins et que l'on peut consulter sur Internet. Nous avons l'adresse URL de certains documents. Si le comité n'adopte pas une motion qui me permette d'accepter cette adresse comme référence appropriée, nous allons devoir inscrire au compte rendu tout ce qui figure sur cette adresse. Je ne pense pas que cela serait utile. J'ai besoin d'une motion à ce sujet, à savoir que pour les documents que l'on peut consulter sur Internet, l'URL des documents plutôt que les documents eux-mêmes soient annexés aux délibérations du comité.

Le sénateur Milne : Motion proposée.

Le vice-président : Motion proposée. Merci. Nous nous réunirons à nouveau dans deux semaines, le 18 novembre.

(La séance est levée.)


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