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LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 décembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, s’est réuni aujourd’hui à 16 heures pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Français]

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Ce soir nous avons le plaisir d'accueillir un panel de témoins qui seront les derniers témoins, hormis quelques fonctionnaires, que nous entendrons pendant notre étude de ce projet de loi — étude qui a été assez exhaustive, je dois dire.

[Traduction]

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, Jeet-Kei Leung, coordonnateur des communications, de la BC Compassion Club Society, Kirk Tousaw, directeur exécutif, de la Beyond Prohibition Foundation, Philippe Lucas, fondateur/directeur exécutif de la Vancouver Island Compassion Society et Lynne Belle-Isle, conseillère aux programmes, programmes nationaux de la Société canadienne du sida.

Merci d’être avec nous. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir accepté de comparaître en même temps, même si nous savons que chacun d’entre vous va parler au nom de son organisation.

Monsieur Tousaw, veuillez commencer.

Kirk Tousaw, directeur exécutif, Beyond Prohibition Foundation : Honorables sénateurs, merci de m’avoir invité à témoigner. J’ai lu le compte rendu des séances précédentes. Je parle au nom de tous les Canadiens lorsque je dis que nous apprécions tout le travail que le comité effectue sur cette question essentielle. Tous les Canadiens méritent l’analyse rigoureuse de ce projet de loi à laquelle votre comité a procédé. Je vous invite à continuer de faire preuve d’autant de rigueur dans vos délibérations et de remplir le rôle traditionnel de cette Chambre, à savoir celui d’un organe de réflexion, et de refuser une escalade radicale et dangereuse dans la guerre contre les drogues.

Je représente ici la Beyond Prohibition Foundation, un jeune organisme sans but lucratif qui demande l’abrogation de l’interdiction du cannabis et son remplacement par un régime de production et de distribution du cannabis aux consommateurs adultes qui serait réglementé et imposé. Je suis également ici en qualité d’avocat de la défense, étant donné que je pratique dans le cabinet Conroy & Company. J’ai pratiqué des deux côtés de la frontière canado-américaine. J’ai connu le régime des peines minimales obligatoires des États-Unis tant au palier étatique que fédéral. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que, même si l’on emprisonne depuis 30 ans des gens pendant des 10, 20, 30 et même 50 ans, il y a toujours des drogues, la violence est un phénomène quotidien sur le marché noir et pour chaque « trafiquant de drogues » envoyé en prison, il y en a cinq qui sont prêts à prendre la relève.

Je suis également ici, et c’est peut-être l’aspect le plus important, en qualité de père. Ma femme, Debbie, et moi sommes les parents de trois jeunes enfants, Kaya, neuf ans, Cayden, cinq ans et Oaklen, trois ans. Les parents ont tous les mêmes espoirs et les mêmes rêves pour leurs enfants : assurer leur sécurité, leur permettre de faire de bons choix, construire une société qui leur offre des possibilités multiples, tout en réduisant les dangers auxquels ils font face pendant qu'ils grandissent. Je suis convaincu au plus profond de moi-même que ce projet de loi ne nous permettra pas d’atteindre ces objectifs. Il va en fait avoir un effet exactement contraire.

Je ne me propose pas de reformuler en détail ce qui vous a déjà été dit sur cette question. On pourrait faire une longue liste des méfaits sociaux que ce projet de loi va certainement provoquer : augmentation de la violence et des victimes sur le marché noir, tant chez les participants que chez les témoins innocents, augmentation considérable de nos populations carcérales avec des augmentations correspondantes dans le domaine de la violence, des décès, des maladies, des viols et du recrutement dans les gangs; un système de justice pénale qui souffre déjà du fardeau de la prohibition des drogues qui sera encore surchargé davantage, répercussions disproportionnées sur les jeunes, les minorités visibles et les personnes qui vivent dans des régions non desservies par des programmes judiciaires de lutte contre la toxicomanie et des poursuivants qui se refusent à exercer les vastes pouvoirs discrétionnaires que leur accorde ce projet de loi.

On pourrait faire également une longue liste des choses que ce projet de loi ne permettra absolument pas d’obtenir. Il n'y aura pas de réduction de la demande de drogues, aucune diminution de l’offre des drogues, aucune diminution de la pureté des drogues, aucune augmentation du prix des drogues, aucune réduction des pouvoirs du crime organisé et en fait, une augmentation probable de ce pouvoir, aucun effet dissuasif, aucune augmentation de la durée des sentences imposées aux gros trafiquants et importateurs, les cibles apparentes de ce projet de loi, et aucune amélioration de la sécurité publique.

Vous avez bien sûr écouté soigneusement les témoins qui m’ont précédé et vous savez déjà toutes ces choses. Vous avez entendu des policiers déclarer que ce projet de loi ne modifiera pas la façon dont les services de police choisissent d’affecter leurs ressources limitées et effectuent un travail difficile. Vous avez entendu un procureur de la Couronne d’expérience parler des problèmes de rétention du personnel et du fait que ce projet de loi va complètement bouleverser leur façon de faire leur travail. Vous avez entendu des Américains parler des échecs et des méfaits de leur système, alors que nous nous apprêtons à en faire une pale d’imitation.

Je ne peux pas ajouter quoi que ce soit à ces témoignages. C’est pourquoi je vais vous raconter l’histoire de deux personnes, parce qu’en fin de compte ce projet de loi va toucher des personnes : des fils et des filles, des mères et des pères, des Canadiens. Lorsqu’on parle de crime, il est très facile d’oublier que nous parlons d’êtres humains. Il est bien trop facile pour les politiciens de faire peur à la population pour justifier un programme qu’on qualifie de « lutte contre les criminels », de diaboliser les consommateurs et les vendeurs de drogues, d’en faire des gens « autres », des marginaux, de les appeler des « vendeurs » ou des « drogués » et utiliser des termes qui déshumanisent ces mères, pères, frères, fils, sœurs et filles et les transforment en objets.

La réalité est plus complexe. Certains membres des niveaux supérieurs des organisations criminelles sont violents, dangereux et ont choisi la voie du crime. Cependant, ils ne seront pas le moindrement touchés par ce projet de loi, si ce n’est qu’il aura peut-être pour effet de réduire la concurrence, auquel cas ces trafiquants deviendront plus forts et plus entreprenants.

Au Michigan, au début de ma carrière, je me suis occupé d’une affaire de trafic de cocaïne. Les accusés, un frère et une sœur, vivaient en Californie et il était allégué qu’ils avaient envoyé par la poste, plus de cinq kilogrammes de cocaïne de la Californie au Michigan, une quantité de cocaïne qui tiendrait probablement sur un de ces petits napperons.

Il était allégué que le frère était le cerveau, la sœur le passeur qui avait, à une reprise, déposé de la cocaïne dans un bureau de poste situé en Californie. Il existait de fortes preuves contre la sœur, mais peu contre le frère. Ils ont été extradés de la Californie au Michigan, parce qu’en Californie, ce crime était punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. La police et les poursuivants ont pensé que, lorsque les accusés risqueraient de se voir imposer au Michigan une peine minimale obligatoire de 20 ans d’emprisonnement sans aucune possibilité de demander la libération conditionnelle, ils seraient peut-être disposés à parler et à dénoncer leurs fournisseurs qui faisaient partie de cartels mexicains.

Ce n’est pas ce qui s’est passé, principalement, parce que, s’ils l’avaient fait, les fournisseurs auraient exercé des représailles contre les membres de leur famille, qui auraient très probablement été tués. La soeur a été condamnée et le frère acquitté. Elle avait un enfant. Elle a été condamnée à 20 ans de prison. Cela remonte à 10 ans. Il lui reste encore 10 ans de prison à purger.

Cet enfant a été privé de sa mère avec tous les risques qu’une telle privation entraîne et pour quelle raison? La quantité de cocaïne pour laquelle elle a été incarcérée n’est qu’en fait qu’une goutte dans la mer proverbiale qui entoure le Michigan, les États-Unis, le Canada et tous les autres pays, pratiquement sans aucune interruption.

Plus récemment ici au Canada, j’ai représenté un homme appelé Mat Beren. En 2005, il a été arrêté parce qu’il cultivait 1 000 plantes de cannabis en vue de les distribuer aux 400 membres que comptait à cette époque la Vancouver Island Compassion Society, VICS, et pour la recherche qu’effectuait cette société. Il cultivait ces plantes dans une remise située dans une zone rurale et il la louait au propriétaire qui était au courant de la situation. M. Beren recevait un salaire modeste pour son travail. Il recevait beaucoup moins que ce qu’il aurait pu gagner en travaillant dans le secteur du cannabis non médical. Tous les membres de la Vancouver Island Compassion Society ont l’autorisation de leur médecin pour utiliser le cannabis à titre de médicament, mais très peu d’entre eux, tant à cette époque qu’aujourd’hui, bénéficient du régime d’exemption très restrictif et complexe qu’a mis sur pied le gouvernement fédéral.

M. Beren a contesté la validité de ce régime, à l’égard de la marijuana consommée à des fins médicales et après un long procès, nous avons obtenu partiellement gain de cause et certaines parties du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales ont été déclarées invalides.

Mais étant donné que sa conduite a finalement été jugée illégale, il a été déclaré coupable de production et de possession de marijuana aux fins d’en faire le trafic. La décision a été portée devant la Cour suprême du Canada par le biais de demandes reconventionnelles d’autorisation.

La juge du procès, la juge Koenigsberg qui siège depuis 16 ans à la haute cour, a entendu pendant des semaines des témoignages concernant M. Beren, concernant le VICS et les motifs à l’origine de son comportement — les circonstances de l’infraction et la situation du contrevenant — et elle a accordé à M. Beren une absolution inconditionnelle.

Dans ses motifs de sentence, elle a déclaré que, s’il existait une affaire qui se prêtait à ce genre de mesure, c’était bien celle-ci. Avec le projet de loi que vous étudiez, M. Beren serait en prison aujourd’hui et il aurait été condamné à une peine minimale de trois ans d’emprisonnement pour avoir fourni un médicament biologique à des Canadiens souffrant de maladies graves et chroniques.

J’estime qu’une telle situation est condamnable. J’estime qu’elle est mauvaise. Lorsque j’entends le ministre de la Justice déclarer au comité, comme il l’a fait, que cette loi n’aurait aucun effet sur les consommateurs ou sur les producteurs de marijuana médicale, il a tort. Lorsqu’il affirme que ce projet de loi est conçu pour cibler les gros trafiquants de drogues et les importateurs, il a également tort.

Ce projet de loi constitue un pas de géant dans la mauvaise direction. Il aura des conséquences tragiques. Tout comme la guerre contre les drogues qu’il représente et aggrave, c’est une mesure qui va à l’encontre des données scientifiques, qui sera concrètement inefficace et qui reflète une faillite morale. Ceux qui appuient le projet de loi, qui voteront en faveur de ce projet et le laisseront devenir une loi de ce grand pays, auront du sang sur les mains et devraient avoir honte.

Jeet-Kei Leung, coordonnateur des communications, BC Compassion Club Society : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité de vous parler directement. Je suis le coordonnateur des communications de la BC Compassion Club Society. C’est un organisme à but non lucratif qui gère, depuis 1977, le premier et le plus important distributeur de cannabis médicinal au Canada.

Au cours des 12 dernières années, nous avons servi plus de 5 500 membres qui souffrent de maladies graves ou terminales. Je vais également mentionner rapidement que dès notre deuxième année, nous avons mis sur pied un centre de bien-être à côté de notre local et nous avons utilisé les revenus provenant des ventes au Canada pour offrir des soins de santé naturels, accessibles et abordables à nos membres dans le cadre de notre modèle sans but lucratif. L’année dernière, nous avons subventionné plus de 89 p. 100 du coût réel de plus de 2 500 traitements offerts par notre centre de bien-être, dans sept domaines, comprenant l’acupuncture, le counseling clinique et la nutrition holistique.

Nous, nos membres et de nombreuses autres personnes sont profondément inquiètes des répercussions qu’aura le projet de loi C-15 sur les patients qui consomment de la marijuana médicinale ainsi que sur les cultivateurs qui la leur fournissent par l’intermédiaire des clubs de compassion. Selon des témoignages que le comité a déjà entendus, il semblerait qu’en fait, les cultivateurs qui travaillent pour des clubs de compassions seront passibles des peines obligatoires prévues par le projet de loi C-15.

Pour citer l’avocat-conseil de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice du Canada, Paul Saint-Denis, lorsqu’on lui a cité l’exemple d’un cultivateur qui avait été pris en train de faire pousser 600 plants pour un club de compassion, a déclaré : « C’est une culture illégale. Il a déjà enfreint la loi. »

Notre organisme a été créé près de cinq ans avant que le programme du gouvernement fédéral ne soit mis sur pied. Nous sommes fiers d’avoir mis en œuvre et développé collectivement les services, les normes et les procédures dont d’autres clubs de compassion, y compris certains situés aux États-Unis, se sont inspirés. En fait, nous estimons que la qualité des remèdes que nous fournissons ainsi que le soutien et les services qui y sont associés sont largement supérieurs à ce qu’offre le programme fédéral.

C’est pourquoi je veux prendre cette occasion pour donner aux honorables sénateurs du comité quelques explications sur la façon dont se cultive le cannabis dans le contexte d’un club de compassion et comment cette culture nous permet de fournir de la marijuana médicinale de haute qualité à nos 5 000 membres.

Nous avons conclu des contrats avec 24 cultivateurs en vertu desquels ils s’engagent à travailler exclusivement pour nous. Cela fait partie de la procédure de diligence raisonnable et cela nous permet d’éviter tout lien avec le crime organisé. Ces cultivateurs acceptent que leur site soit inspecté. Ils acceptent également de pratiquer des prix inférieurs au marché pour que nous puissions fournir à nos membres ces plantes médicinales à un prix raisonnable. Chaque variété que nous distribuons est testée en laboratoire deux fois par an pour rechercher la présence éventuelle de contaminants microbiologiques de façon à garantir la sécurité des personnes dont le système immunitaire est affaibli. Soixante-dix pour cent de nos variétés sont cultivées biologiquement, ce qui est une méthode de culture plus coûteuse, et qui donne des rendements inférieurs à celles qui utilisent des produits chimiques. Même les cultures qui ne sont pas totalement biologiques ont recours uniquement aux prédateurs et aux pesticides naturels.

Un tiers de nos cultivateurs ont plus de 10 ans d’expérience dans la culture du cannabis. Notre cultivateur le plus ancien a 30 ans d’expérience. L’expertise est reliée à l’importante question des variétés, alors que le programme de Santé Canada ne s’en préoccupe pas.

Si le tétrahydrocannabinol, THC, est l’ingrédient le plus actif du cannabis, à lui seul, le THC peut avoir des effets secondaires désagréables et il est évident que le pourcentage des autres cannabinoïdes, ainsi que des autres composantes des plantes, comme les terpènes et les flavonoïdes, jouent un rôle important pour moduler la fonction et l’efficacité thérapeutiques.

Chaque variété offre une formulation différente des pourcentages de cannabinoïdes qui nous permet de prédire quels sont ses effets thérapeutiques généraux et ainsi de nous adapter aux symptômes et aux besoins de nos membres.

Nos cultivateurs offrent à nos membres près de 80 variétés. Un bon nombre de nos cultivateurs sont devenus des reproducteurs de façon à renforcer d’une variété particulière et à préserver de nombreuses variétés uniques. Lorsque nous perdons la personne qui cultive une variété donnée, nous risquons de perdre les données génétiques de cette variété.

Que se passe-t-il lorsque nous perdons un cultivateur? Je vais prendre un exemple qui remonte à plusieurs années. Pour l’exemple, j’appellerai ce cultivateur Jim. Lorsque l’entreprise d’un de nos cultivateurs les plus expérimentés a été fermée, Jim cultivait des plantes ayant la qualité qu’exige la recherche, c’est-à-dire des produits 100 p. 100 biologiques. Il avait maîtrisé l’utilisation des prédateurs naturels et avait mis au point une bouillie microbiologique pour lutter contre l’oïdium, le fléau numéro un pour la plupart des cultivateurs.

Jim était également un de nos cultivateurs les plus compréhensifs. Il nous fournissait huit à dix livres de plantes médicinales tous les deux mois réparties en huit variétés à un prix qui était inférieur de 500 à 600 $ au prix du marché. Cet approvisionnement nous a permis de fournir à nos membres une plante médicinale de la qualité qu’exige la recherche au prix de sept dollars le gramme. Jim était lui-même handicapé et utilisait ce revenu pour financer un camp d’été pour les enfants handicapés. Jim n’est pas le seul à être motivé par le fait de savoir qu’il aide des gens malades. La plupart de nos cultivateurs nous font des dons en plantes médicinales, en temps et en argent, bien au-delà de ce qu’exigent nos contrats.

Après que les policiers sont venus chez lui, il a cessé de cultiver le cannabis. Il craignait d’aller en prison. Il avait dans la cinquantaine et craignait de perdre son terrain. À l’époque, il nous fournissait plus de 50 p. 100 du cannabis indica, une variété de cannabis qui offre un grand intérêt sur le plan thérapeutique et médicinal. Cette perte a été longtemps ressentie par de nombreux patients, en attendant que nous réussissions à lui trouver un remplaçant.

Le cas de Jim s’est produit il y a quatre ans, bien avant qu’on ait commencé à parler de peines minimales obligatoires pour la culture du cannabis. On en parle beaucoup maintenant et nos cultivateurs sont vraiment inquiets des répercussions que pourrait avoir ce projet de loi sur eux. Plusieurs d’entre eux nous ont déclaré qu’ils pensaient devoir cesser de nous fournir. Ce sont des gens qui ont des familles, qui ne veulent pas aller en prison. Ils sont souvent propriétaires de leur terrain et craignent de perdre leur maison.

Nous craignons beaucoup que la perte du pouvoir discrétionnaire que possèdent les tribunaux n’entraîne, dans le cas de cultivateurs affiliés à un club de compassion, non seulement la traumatisation de personnes décentes et généreuses, mais qu’elle ait des effets dévastateurs sur des milliers de membres qui s’en remettent à eux pour obtenir le cannabis médicinal qui constitue une partie essentielle ou très utile de leur traitement.

Les peines minimales obligatoires dont est passible la culture du cannabis vont gravement nuire au travail des clubs de compassion, alors que nous pensons que ces clubs sont largement acceptés et reconnus par la société parce qu’ils fournissent un service utile. Un sondage national de Maclean effectué en 20026 a permis de constater que 92 p. 100 des Canadiens approuvaient l’utilisation de la marijuana à des fins médicales.

L’image qu’on se fait des clubs de compassion est le plus souvent reliée à la marijuana, mais on a tendance à oublier tous les autres services que ces clubs fournissent à la collectivité. Ces services peuvent prendre la forme de la défense des intérêts des membres et d’une aide pour avoir accès aux services sociaux, de la répartition des dons provenant de différentes sources, de la mise sur pied d’activités gratuites qui contribuent à renforcer le sentiment d’appartenance de nos membres. De plus, nous fournissons des services en santé mentale au moyen de séances de counseling et du centre de bien-être, ainsi que des soins palliatifs destinés à nos nombreux patients qui souffrent de maladies terminales et qui ont adhéré à notre club.

J’ai été fier d’être au service de la B.C. Compassion Club Society pendant les sept dernières années. Avant de travailler pour le service des communications, j’ai travaillé pendant cinq ans à faire de la distribution de première ligne. Pendant ce temps, j’ai appris à connaître personnellement des centaines de membres et un bon nombre d’entre eux m’ont raconté leur histoire. La maladie ne connaît pas les barrières et ni les classes sociales. Des gens par ailleurs tout à fait normaux ont dû livrer des batailles héroïques pour survivre et vivre dignement. Le nombre de personnes qui m’ont confié que le cannabis était un ingrédient essentiel à leur survie et à leur guérison est vraiment étonnant. De nombreux membres m’ont parlé du fait que grâce au cannabis, ils pouvaient diminuer la quantité de médicaments sur ordonnance qu’ils consommaient ou même cesser d’en prendre, étant donné qu’ils avaient constaté que ces médicaments provoquaient une forte accoutumance et avaient de graves effets secondaires. Les gens me parlaient constamment de l’importance qu’avait le cannabis dans leur vie, dans leur capacité de vivre dans la dignité.

Depuis que nous avons lancé une campagne pour informer la population des dangers de ce projet de loi, nous avons parlé à un grand nombre de nos membres ainsi qu’à la population. Presque tous nous ont demandé de faire connaître publiquement notre point de vue. J’ai avec moi une pétition que nous avons lancée il y a trois mois. Je la présente au comité dans l’espoir que vous la lirez, prendrez connaissance des préoccupations qui y sont exprimées et qui sont partagées par tous ceux qui l’ont signée. Nous espérons que les sénateurs qui sont membres du comité réussiront à éviter les conséquences tragiques que pourrait entraîner pour des personnes particulièrement vulnérables l’adoption des peines minimales obligatoires pour la culture du cannabis.

Merci de votre attention et de votre intérêt pour cette question.

La présidente : Merci, M. Leung. J’ai demandé si la procédure permettait au comité de recevoir une pétition. En attendant la réponse, je vais tenir pour acquis que nous avons le droit d’accepter une pétition; je vous invite donc à la remettre à la greffière à la fin de la séance.

Le sénateur Nolin : Un d’entre nous pourra déposer la pétition au Sénat en votre nom.

M. Leung : Je vous en serais reconnaissant.

Philippe Lucas, fondateur/directeur exécutif, Vancouver Island Compassion Society : Honorables sénateurs, greffiers, et membres du public, bonjour. Je m’appelle Philippe Lucas et je suis le fondateur de la Vancouver Island Compassion Society. Je suis chargé de recherche au Centre de recherche sur les toxicomanies (Center for Addictions Research) de la Colombie-Britannique. Je suis également conseiller municipal de la ville de Victoria. Je fais aussi partie des quelque 4 000 Canadiens autorisés par le gouvernement fédéral à consommer du cannabis à des fins médicales.

J’ai commencé à consommer du cannabis pour des raisons médicales en 1995, après qu’on ait découvert que j’avais l’hépatite C. Apparemment, une opération subie à Ottawa, en 1982, a fait de moi une des victimes canadiennes du sang contaminé. Le cannabis médical ou thérapeutique aide à lutter contre la nausée, la perte d’appétit et les douleurs localisées qui accompagnent souvent l’hépatite C. Cependant, il est difficile pour bien des Canadiens de trouver une source d’approvisionnement sûre et régulière. C’est pourquoi, en 1999, j’ai quitté ma carrière d’enseignant du secondaire pour ouvrir la Vancouver Island Compassion Society (VICS), centre de recherche sur le cannabis thérapeutique, de distribution et de défense des droits, un organisme à but non lucratif situé à Victoria, en Colombie-Britannique.

Environ 14 mois après son ouverture, la VICS a fait l’objet d’une descente de police, à la suite de quoi j’ai été accusé de trois chefs de trafic de cannabis avec l’intention de le distribuer. Même si la VICS a rouvert ses portes dix jours plus tard, j’ai passé les deux années suivantes devant les tribunaux à me battre pour les droits des Canadiens malades et qui souffrent. Après avoir entendu comment la VICS a changé la vie de ses membres, le juge provincial Higginbotham m’a accordé une absolution inconditionnelle et a loué en ces termes le travail accompli par l’organisation :

« M. Lucas a amélioré la qualité de vie d’autres personnes en faisant courir un risque minime, voire inexistant, à la société, même s’il l’a fait en dehors de tout cadre juridique. Il a fourni ce que le gouvernement ne pouvait pas fournir, à savoir un approvisionnement en marijuana sûr et de grande qualité pour les personnes qui en avaient besoin à des fins thérapeutiques. »

Depuis ce jour béni de l’été 2002, le petit centre du fin fond de l’Ouest du Canada, la VICS, est devenu un centre de recherche de réputation internationale qui sert d’exemple dans le monde entier en matière d’accès responsable et efficace au cannabis thérapeutique axé sur les patients. Sur ce point, j’ai eu la chance de conseiller un certain nombre d’États américains pour la mise sur pied de programmes de distribution de cannabis médical et il y a 18 mois, j’ai été invité par le ministre de la Santé d’Israël à l’aider à mettre en place un programme naissant pour le cannabis médical.

Je vous fais part de mon histoire aujourd’hui pour montrer que, si le projet de loi que vous étudiez actuellement avait été en vigueur quand j’ai été arrêté en 2000, toute la sagesse et les raisonnements du juge Higginbotham n’auraient servi à rien et ses louanges n’auraient pour finir eu que peu de poids, car il n’aurait eu d’autre choix que de me condamner à une peine de prison obligatoire de deux ans. Cette peine d’emprisonnement aurait affecté ma vie et celle du millier de membres de la VICS d’innombrables façons. Mon épouse et moi-même aurions été privés de notre mariage à l’été 2002, puis de la naissance de ma fille Sophie l’an dernier. Je n’aurais pas pu poursuivre mes études de maîtrise à l’University of Victoria, et je n’aurais probablement pas pu me porter candidat au conseil municipal de Victoria, où je lutte contre le sans-abrisme et les méfaits de la toxicomanie. Rien de cela n’aurait été possible si le projet de loi C-15 avait été en vigueur.

D’après l’Enquête sur les toxicomanies au Canada réalisée en 2004 par le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, plus d’un million de Canadiens consomment aujourd’hui du cannabis à des fins médicales, mais ils ne sont qu’un peu plus de 4 000 à être à l’abri d’une arrestation et de poursuites en vertu du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales de Santé Canada, programme fédéral jugé inconstitutionnel cinq fois en cinq ans parce qu’il limite trop fortement l’accès légal au cannabis thérapeutique. Si l’on ajoute un taux d’arrestation national pour des crimes liés au cannabis en croissance constante et les peines minimales obligatoires proposées par le projet de loi C-15, nous courons droit à une catastrophe dont des dizaines de milliers de patients canadiens feront les frais.

Par souci d’économie et pour contrôler la qualité de leurs médicaments, nombre de consommateurs de cannabis thérapeutique canadiens produisent aujourd’hui leur propre cannabis et le partagent parfois avec d’autres patients.

Les efforts d’application de la loi relative au cannabis sont très largement déployés au Canada, et les cancéreux, les personnes qui vivent avec le VIH-sida, celles qui ont une hépatite C ou qui souffrent de sclérose en plaques, d’épilepsie ou de douleurs chroniques que la consommation de cannabis soulage actuellement seront inévitablement arrêtés, tout comme les employés des sociétés de compassion qui prennent tant de risques pour les aider. À cause des peines minimales obligatoires, les juges seront impuissants à empêcher l’incarcération de personnes gravement atteintes ou souffrant de maladies chroniques, qui consomment du cannabis pour soulager leurs souffrances.

Pour ce qui est de la déjudiciarisation par le recours aux programmes judiciaires de désintoxication, j’enjoins à ce comité de se demander ce qu’une personne atteinte d’un cancer ou du VIH-sida qui consomme du cannabis thérapeutique pour soulager les symptômes de sa maladie ou atténuer les effets secondaires de ses traitements gagnerait à être orientée vers un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie qui interdit expressément puis punit par l’incarcération la consommation même de ce médicament. Plus important encore sans doute, que gagnera globalement notre société à persécuter sans doute de façon imprévue, mais inévitable, des Canadiens gravement atteints ou souffrant de maladies chroniques?

J’ai souvent entendu le ministre de la Justice défendre ce projet de loi en affirmant que les Canadiens sont généralement favorables aux lois qui répriment les infractions reliées aux drogues. Cependant, les membres de ce comité ne devraient pas oublier que depuis 10 ans, tous les sondages nationaux réalisés au sujet du cannabis thérapeutique montrent que plus de 80 p. 100 des Canadiens sont favorables à un accès médical à cette substance. Cela est vrai dans toutes les provinces et indépendamment des affiliations politiques.

Il ne fait aucun doute pour moi que les Canadiens souhaitent voir diminuer la consommation problématique des drogues et reculer la criminalité qui l’accompagne, mais ils méritent des politiques qui permettront vraiment d’atteindre cet objectif et pas des mesures inefficaces dont il est prouvé qu’elles augmentent les coûts judiciaires et carcéraux ainsi que la transmission du VIH-sida et de l’hépatite C, sans faire reculer pour autant la criminalité et la violence associées aux drogues ou la toxicomanie. Cependant, dans des questions d’une telle importance pour la santé et la sécurité publiques, il est impératif de privilégier les données scientifiques et de mettre de côté l’idéologie et l’opinion publique. En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, les données sont on ne peut plus claires : elles sont tout simplement inefficaces. Des études approfondies sur les peines minimales obligatoires menées dans le monde entier montrent que le projet de loi C-15 ne fera pas reculer la consommation de drogues, pas plus que la criminalité et la violence, et que les Canadiens ne seront pas plus en sécurité.

En fait, le projet de loi C-15 dévalorisera tous les segments de la société qu’il touchera : des policiers à qui sera confiée la tâche difficile d’appliquer ces lois inefficaces aux juges obligés d’incarcérer des citoyens par ailleurs respectueux des lois et d’emprisonner des Canadiens gravement atteints ou souffrant de maladies chroniques et ceux qui font tout leur possible pour les aider.

Mesdames et messieurs les membres de ce comité, croyez-moi, aucun des projets de loi que vous examinerez pendant votre mandat ne risque autant de faire gaspiller pour rien l’argent des contribuables, de conduire à des atteintes aux droits de la personne et aux libertés civiles, et d’accroître inutilement les souffrances et la propagation de maladies que le projet de loi que vous étudiez aujourd’hui.

Au nom des Canadiens gravement atteints ou souffrant de maladies chroniques et de leurs proches, je suis venu aujourd’hui faire appel à votre jugement, demander votre compassion et vous demander instamment de bloquer le projet de loi C-15.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention, ainsi que du travail que vous accomplissez sur cette question importante; je répondrai volontiers à vos questions.

[Français]

Lynne Belle-Isle, conseillère aux programmes, programmes nationaux, Société canadienne du sida : Bonjour à tous, je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.

[Traduction]

Je vais parler en anglais. Je voulais simplement faire une remarque.

Merci de m’accorder la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui.

La présidente : Vous pouvez parler dans la langue de votre choix.

Mme Belle-Isle : C’est très bien. Je parle au nom de la Société canadienne du sida, et en celui d’une coalition qui regroupe plus de 120 organisations communautaires de lutte contre le VIH-sida et surtout, je suis la porte-parole des 58 000 personnes qui vivent avec le VIH au Canada et ceux qui sont à risque.

J’ai une formation d’épidémiologiste et je m’intéresse donc à la pandémie du VIH. Je travaille actuellement comme consultante de programme, principalement dans le domaine de l’élaboration de politiques, du renforcement des capacités avec nos organisations membres et, ce qui est plus pertinent aux fins qui nous occupent aujourd’hui, j’effectue de la recherche communautaire.

Il y a quelques années, j’ai voyagé d’un bout à l’autre du Canada, dans le cadre d’un projet de recherche, pour parler aux personnes atteintes du VIH-sida qui utilisent le cannabis à des fins médicales. Nous voulions savoir ce qu’ils savaient du programme fédéral qui légalise pour ces personnes la possession de cannabis à des fins médicales. Nous voulions savoir s’il existait des obstacles qui les empêchaient d’avoir accès à la fois au programme fédéral et à une source de cannabis pour son utilisation à des fins médicales, parce qu’ils nous avaient dit qu’ils avaient de la difficulté à avoir accès à ces deux choses.

Essentiellement, les personnes qui souffrent du VIH-sida utilisent le cannabis principalement pour stimuler leur appétit et pour conserver un poids santé, ce qui les aide à survivre, à réduire la nausée et les vomissements, prendre leurs médicaments, et également, à diminuer la douleur, principalement la douleur neuropathique, particulière au VIH, qu’il est difficile de traiter avec les analgésiques habituels.

Les études récentes effectuées en Amérique du Nord montrent qu’environ 14 à 37 p. 100 des personnes qui sont atteintes du VIH utilisent le cannabis à des fins médicales pour atténuer leurs symptômes. Si l’on prend le pourcentage médian, disons 25 p. 100 à titre approximatif, cela représente 14 500 personnes qui sont atteintes du VIH et qui utilisent actuellement le cannabis au Canada. C’est un chiffre approximatif. Comme M. Lucas l’a déclaré, quatre pour cent des répondants à une enquête canadienne sur les toxicomanies ont déclaré utiliser le cannabis à des fins médicales. Si nous extrapolons à partir de ce chiffre pour l’appliquer à la population canadienne, cela représente un peu plus d’un million de personnes.

Notre programme fédéral dessert actuellement un peu plus de 4 000 personnes autorisées. Nous nous inquiétons vivement du fait que les Canadiens vont face à des obstacles lorsqu’ils veulent avoir accès légalement au cannabis à des fins médicales, ainsi que des répercussions que ce projet de loi pourrait avoir sur ces personnes. Dans l’étude que j’ai publiée dans la revue AIDS Care en 2007, 26 p. 100 seulement des personnes qui ont rapporté consommer du cannabis à des fins médicales — ce sont des personnes qui sont atteintes du VIH — avaient réussi à obtenir l’autorisation du gouvernement de le faire. Ces personnes se heurtent à cette difficulté même si la Société canadienne du sida a diffusé de l’information au sujet de ce programme. Nous avons préparé une série de fiches de renseignements qui expliquent étape par étape non seulement la procédure à suivre pour demander de participer à ce programme, mais pour parler de cette question avec un médecin. Nous avons organisé des ateliers pour les travailleurs de première ligne faisant partie d’organisations communautaires dans l’ensemble du Canada pour être sûrs qu’ils sont en mesure d’aider les personnes dont ils s’occupent à suivre le processus de demande. Cette difficulté persiste même si le VIH est un des états pathologiques mentionnés à l’annexe 1 du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales pour lesquels le comité consultatif d’experts de Santé Canada a conclu qu’il existait suffisamment de preuves pour justifier son usage médical; cette difficulté demeure même si la majorité des médecins qui s’occupent de personnes atteintes du sida sont favorables à l’utilisation du cannabis dans le but d’atténuer les symptômes. Ils sont toutefois toujours réticents à signer les formulaires du gouvernement.

Compte tenu de tous ces facteurs, je me pose de sérieuses questions au sujet de l’effet du projet de loi proposé, le projet de loi C-15, sur les personnes qui utilisent le cannabis à des fins médicales qui éprouvent des difficultés à obtenir légalement accès à cette plante à cause de tous ces obstacles.

Mon étude montre également que la personne moyenne qui est atteinte du VIH utilise environ 66 grammes par mois de cannabis à des fins médicales. Cela représente un peu plus de deux onces, soit deux sacs à sandwich bien remplis. Si une personne était arrêtée avec cette quantité de cannabis en sa possession, je pense qu’elle serait certainement soupçonnée de trafic. Je m’inquiète des répercussions juridiques qui pourraient découler de ces soupçons. Je m’inquiète surtout des personnes atteintes du VIH qui cultivent leur cannabis à des fins médicales. Là encore, mes études montrent qu’environ 16 p. 100 des répondants cultivaient eux-mêmes le cannabis qu’ils utilisaient à des fins médicales, et que la moitié d’entre eux environ avait réussi à obtenir un permis pour le produire légalement. L’autre moitié ne l’avait pas obtenu. Aux termes du projet de loi C-15, ces personnes risqueraient d’être envoyées en prison, ce qui me préoccupe.

Même lorsque les gens ont obtenu un permis de production, ils ont eu des démêlés avec les agents d’application de la loi. J’ai siégé au comité consultatif des intéressés de Santé Canada sur la marijuana à des fins médicales pendant que le règlement sur l’accès à la marijuana était modifié. Nous avons participé à ce processus en présentant des commentaires. Nous avons travaillé collectivement, nous avons travaillé pour mettre sur pied des mécanismes de protection pour ces personnes, en particulier celles qui avaient obtenu une autorisation légale, comme la création de cartes d’identité avec photo et celles d’une ligne d’appel ouverte 24 heures par jour permettant aux policiers de vérifier auprès de Santé Canada la validité d’un permis. Malgré tous ces mécanismes de protection, je reçois toujours personnellement des appels de personnes à qui l’on a confisqué l’équipement, détruit les plantes de cannabis, même si elles possédaient un permis.

Je pense en particulier au cas d’un homme qui était bouleversé, et dont le permis avait expiré deux jours auparavant. Il attendait de recevoir son renouvellement. Cela fait cinq ans qu’il avait ce permis et il était très malade.

Les policiers sont arrivés et il n’a pas été en mesure de produire un permis valide parce qu’il avait expiré deux jours avant. Les policiers, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas réussi à communiquer avec Santé Canada. Ils lui ont passé les menottes devant les membres de sa famille et ils l’ont obligé à les garder pendant trois heures en attendant cette communication.

Ils n’ont pas réussi à communiquer avec Santé Canada. Ils ont confisqué son équipement et son cannabis, et détruit ses plantes. Il a fallu des mois pour régler cette affaire. Il a finalement récupéré son équipement, mais bien évidemment, pas ses plantes. Il a dû recommencer à zéro et sa santé ainsi que sa famille en ont beaucoup souffert.

Lorsque je pense à ces situations, je ne vois pas comment le projet de loi C-15 va protéger les personnes qui ont un permis de culture. Je crains que ce genre d’incident regrettable ne se multiplie.

Enfin, j’aimerais parler de la situation plus générale, au-delà de la consommation du cannabis. Le projet de loi C-15 va avoir pour effet d’envoyer davantage de personnes en prison pour des infractions reliées aux drogues en général — des personnes qui risquent fort d’avoir, au départ, des problèmes de toxicomanie. Nous parlons principalement de gens marginalisés — des gens qui vivent dans la pauvreté, avec des problèmes de logement ou sans domicile fixe, des personnes qui souffrent de troubles de santé mentale et d’autres problèmes sociaux.

Nous pouvons nous boucher les yeux et prétendre que personne ne consomme de drogue en prison, mais nous savons tous que ce n’est pas la vérité. Malheureusement, la plus grande partie de la consommation de drogue qui se fait dans les prisons se fait par l’injection, parce que c’est une façon plus rapide de consommer une drogue. C’est également plus facile à dissimuler; le système métabolise plus rapidement les drogues de cette façon qui sont ainsi moins faciles à déceler à l’analyse.

Malheureusement, comme j’espère que vous le savez, les détenus n’ont pas accès à des programmes d’échange de seringue. Des gens me disent — et j’ai effectué une autre étude au cours de laquelle j’ai tenu des groupes de discussion dans l’ensemble du Canada avec des personnes qui utilisent les drogues ou les ont utilisées — qu’ils ont été obligés de voler des aiguilles dans les services de santé, qu’ils ont ensuite partagées avec leurs codétenus, ou alors qu’ils ont improvisé et fabriqué leurs propres instruments pour pouvoir s’injecter.

À cause de la situation en milieu carcéral, le taux de VIH-sida dans les prisons fédérales est de sept à dix fois supérieur à celui de la population en général et celui de l’hépatite C est 30 fois plus élevé. Vous pensez peut-être que la situation dans les prisons n’a pas d’effet sur la société, mais ces personnes sont libérées à un moment ou à un autre. Je n’ai pas besoin de vous parler du problème que constitue le VIH, dans le monde entier.

Lorsque les gens qui ont passé du temps en prison reviennent dans nos collectivités, il existe peu de services capables de les aider à réintégrer la société ou à régler leur problème de toxicomanie. C’est ce qui les amène à reprendre la vie qu’ils connaissaient avant d’être envoyés en prison.

J’ai tenu des groupes de discussion pour un autre projet pour savoir précisément si les services de réduction des méfaits, comme les programmes d’échange de seringue, leur étaient utiles —ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. Savez-vous quel était le principal sujet dont ils voulaient me parler? Ce n’était pas d’avoir accès à des seringues aseptisées, c’était d’avoir accès à un traitement.

Cela détruit le mythe selon lequel les toxicomanes et ceux qui ont des problèmes de consommation de drogues ne veulent pas se faire soigner. Ils le veulent. Ils ne veulent pas toutefois être obligés de suivre un traitement et ils veulent participer à un traitement qui leur offre un environnement favorable à leur santé et à leur bien-être.

Cela dit, je pense que le projet de loi C-15 est un pas dans la mauvaise direction. Je vous invite à examiner soigneusement les conséquences de ce projet de loi et j’espère que vous pourrez le bloquer. Je vous remercie du temps que vous m’avez consacré.

La présidente : Merci à tous.

[Français]

Nous passons aux questions. Sénateur Nolin, je sais que vous avez plusieurs questions.

Le sénateur Nolin : Je suis prêt à aller en deuxième ronde, mais auparavant, je voudrais demander un éclaircissement à Mme Belle-Isle.

Madame Belle-Isle, vous avez travaillé à Santé Canada de 1994 et 2002. Pour le bénéfice de mes collègues, comme le gouvernement du Canada a dû adopter le règlement sur l'accès à de la marijuana à des fins médicales, est-ce que vous étiez impliquée dans le processus de mise en place de cette réglementation?

Mme Belle-Isle : Non, pas du tout.

[Traduction]

Le sénateur Nolin : Maintenant, je vais poser de vraies questions; je veux parler des consommateurs et des membres, des membres de vos deux sociétés — et nous passerons ensuite à d’autres questions.

Premièrement, étant donné qu’un bon nombre de Canadiens qui nous regardent en ce moment se disent probablement : C’est une blague, ce n’est pas vrai. Quel genre de membres sont-ils et sont-ils là pour les vraies raisons ou font-ils semblant et veulent-ils tout simplement consommer ces drogues à des fins récréatives?

Pourriez-vous tous les deux nous dire comment vos organisations choisissent ou acceptent leurs membres? J’ai entendu l’un de vous parler de documents médicaux. Pourriez-vous expliquer au comité comment cela fonctionne?

M. Lucas : Absolument; le mois dernier, la Vancouver Island Compassion Society a inscrit son millième membre. Au cours des 10 dernières années, nous n’avons accepté que des membres auxquels leur médecin avait recommandé expressément la consommation de cannabis. Autrement dit, tous nos membres ont l’appui de leur médecin pour qu’ils consomment de la marijuana à des fins médicales. Les membres doivent également suivre un processus d’inscription qui prend un certain temps.

Au cours de cette inscription, nous passons de 35 à 40 minutes avec chaque candidat pour lui expliquer les différents types de cannabis, les différentes variétés auxquelles M. Leung a fait allusion, ainsi que les différentes méthodes de consommation. La plupart de nos membres ne fument pas le cannabis : ils le mangent, ils l’absorbent avec de l’huile ou selon d’autres méthodes.

Il est bon de mentionner que les 1 000 membres que nous avons à la Vancouver Island Compassion Society ont obtenu des recommandations auprès de plus de 350 médecins locaux. Le milieu médical a été très favorable à l’orientation de leurs patients vers notre organisation qui est quasi-légale.

D’un autre côté, et c’est assez bizarre, seuls quelques-uns de ces 1 000 membres ont le droit officiel d’utiliser le cannabis par l’intermédiaire de Santé Canada. Autrement dit, ces mêmes médecins qui n’hésitent pas à envoyer des gens à nos points de distribution sont plus réticents à remplir les documents de Santé Canada. Je pense que cette réticence vient des formalités administratives à accomplir, du stigmate associé à être reconnu comme un médecin qui a recommandé le cannabis à des fins médicales et pour toutes sortes d’autres raisons. Nos membres possèdent l’équivalent d’une ordonnance, comme ils en auraient une pour toute autre substance qu’ils pourraient utiliser pour leur maladie.

Le sénateur Nolin : La situation de Vancouver est-elle comparable?

M. Leung : Oui, nous avons un processus d’inscription qui est semblable pour le club de Victoria. Je peux vous fournir des chiffres sur les caractéristiques démographiques des membres à qui nous offrons nos services.

Le sénateur Nolin : Ces statistiques concernent les membres que vous refusez?

M. Leung : Les membres doivent présenter un formulaire de demande rempli par leur médecin traitant. Là encore, moins de 4 p. 100 de nos membres détiennent des permis fédéraux. Pourtant, près de 20 p. 100 de nos membres sont des gens qui souffrent du VIH-sida; 11,5 p. 100 ont le cancer; 12 p. 100 ont eu l’hépatite C et l’hépatite B; 10 p. 100 utilise le cannabis pour l’arthrite et près d’un quart de nos membres consomment le cannabis pour soulager des douleurs chroniques.

Le principal secteur démographique dont sont issus nos membres, soit 42 p. 100, est celui de la tranche d’âge de 50 à 64 ans et il y a huit pour cent de nos membres qui ont 65 ans et plus. Ce sont les personnes au sujet desquelles M. Saint-Denis a déclaré dans son témoignage qu’il ne pouvait rien faire pour elles et qui seront visées par le projet de loi.

Le sénateur Nolin : Pour l’information du comité, si nous comparons les variétés et ce que vos deux organisations offrent à leurs membres, comment comparez-vous cette offre avec celle de Santé Canada? N’y a-t-il qu’une seule variété de cannabis? Y a-t-il diverses variétés? Pourquoi y a-t-il des Canadiens qui pourraient avoir accès légalement à la marijuana et qui n’essaient pas d’obtenir cet accès et qui s’adressent plutôt à une de vos deux organisations?

M. Leung : Mauvaise qualité et manque de sélection des variétés —

Le sénateur Nolin : Qu’entendez-vous par mauvaise qualité?

M. Leung : Nous entendons constamment des commentaires au sujet du produit offert par Santé Canada, qui est fourni par la société Prairie Plant Systems, selon lesquels le produit est toujours de mauvaise qualité. Toutes les parties de la plante sont moulues ensemble. On ne sépare pas les fleurs des tiges et des feuilles.

Le sénateur Nolin : Vous avez parlé de 80 variétés. Combien y a-t-il de variétés dans les systèmes d’accès légaux fédéraux?

M. Leung : Je ne pense pas qu’ils offrent —

Mme Belle-Isle : Une.

M. Lucas : Santé Canada offre une seule variété et une seule méthode d’ingestion. Il envoie du cannabis moulu chez les gens sans leur donner d’instructions sur la façon de l’utiliser à part de le fumer — la raison évidente.

Dans les points de distribution comme ceux de la British Columbia Compassion Club Society et de la Vancouver Island Compassion Society, nous offrons un vaporisateur pour la muqueuse buccale. Les gens peuvent diriger le jet sous la langue. Nous fabriquons des huiles, des teintures et des produits comestibles. À la Vancouver Island Compassion Society, nous avons constaté que les gens qui avaient plus de 65 ans toléraient beaucoup mieux les produits comestibles que les produits destinés à être fumés.

Le programme de Santé Canada n’offre aucunement ces options. De plus, nous aidons nos membres à la fin de leur vie. Au cours de cette seule année, j’ai effectué six inscriptions au chevet de personnes qui étaient mourantes dans un hospice, un hôpital ou chez eux. Santé Canada prend de 8 à 20 semaines pour traiter une demande de participation à son programme. S’il ne reste à ces personnes que deux mois à vivre, comme c’est souvent le cas, il est physiquement impossible qu’elles puissent utiliser légalement du cannabis à des fins médicales pour finir leurs jours. Elles ne peuvent pas être couvertes par le programme fédéral de marijuana à des fins médicales.

Je ne sais pas si le comité est au courant de la situation actuelle, dans laquelle moins de 20 p. 100 des participants aux programmes fédéraux commandent leur cannabis auprès de Santé Canada. Près de la moitié ont le droit de produire leur propre cannabis et 30 p. 100 environ se le procurent sur le marché noir ou par l’intermédiaire des sociétés de compassion. Parmi les personnes qui obtiennent leur cannabis de Santé Canada, 1 400 des 4 000 participants au programme doivent de l’argent à Santé Canada pour le cannabis qu’ils ont acheté. Ces personnes ont soit décidé de ne pas payer, soit ne sont pas en mesure de le faire. Il en résulte que les participants au programme fédéral du cannabis doivent près de 1,5 million de dollars à Santé Canada. Santé Canada a supprimé 636 personnes de la liste des personnes qui peuvent avoir accès à ce cannabis, qui est la seule offre légale de cannabis à des fins médicales au Canada. Ces gens sont obligés de s’en procurer sur le marché noir ou de vivre sans cet appui.

La présidente : Comment vos prix se comparent-ils avec ceux de Santé Canada?

M. Lucas : Nos prix vont de 6 à 9 $ le gramme de cannabis. Le cannabis de Santé Canada se vend à environ 5 $ le gramme plus les taxes et le transport. Nous ne facturons pas de taxe sur ce que nous fournissons.

Les autres produits que nous fournissons — les huiles et les teintures — sont faits par nous. Ce sont également des solutions moins coûteuses que l’ingestion de la fumée de cannabis, même en utilisant le marché noir. Notre vaporisateur pour la muqueuse buccale, qui contient 400 doses, peut subvenir aux besoins d’un patient pendant deux semaines et coûte environ 10 $. La Vancouver Island Compassion Society a également fait don, l’année dernière, d’une quantité de cannabis équivalant à 10 000 $. Chacun de nos membres a le droit à une petite quantité gratuite par semaine. La plupart des consommateurs à faible revenu profitent chaque semaine de ces dons.

La présidente : Nous avons prévu dans notre horaire une plage spécialement longue pour vous, mais elle n’est pas infinie.

[Français]

Le sénateur Nolin : C'est pourquoi je me suis inscrit à la deuxième ronde de questions.

[Traduction]

La présidente : Il serait bon que les questions et les réponses soient concises.

Le sénateur Campbell : Je ne sais pas pourquoi cela vous surprend. Le gouvernement est incapable de fabriquer des isotopes nucléaires. Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il pourrait faire pousser de la marijuana à des fins médicales?

Est-ce que l’un d’entre vous connaît le nombre de personnes qui sont inculpées chaque année parce qu’elles fournissent des drogues aux sociétés de compassion?

M. Tousaw : Je n’ai pas ce chiffre. Ma pratique consiste, dans l’ensemble, à défendre des personnes qui sont accusées d’avoir violé les lois canadiennes relatives au cannabis. Une partie importante de mes clients produisent la marijuana à des fins autres que médicales, ou pour eux-mêmes à des fins médicales, ou ils sont en possession de marijuana à des fins médicales. Il n’est pas rare que des accusations soient portées. Je reçois toutes les semaines des appels de personnes qui ont des problèmes avec les policiers parce qu’ils ont cultivé du cannabis ou en ont consommé à des fins médicales ou autres.

M. Lucas : J’ai fait beaucoup de recherches sur la marijuana à des fins médicales au Canada et j’ai beaucoup publié sur ce sujet. Il y a environ 15 organismes de distribution bien établis au Canada. La moitié d’entre eux ont été victimes d’interventions des agents d’application de la loi. Ils ont été inculpés de production ou de distribution de cannabis.

Le sénateur Campbell : D’une façon générale, sur quoi débouchent ces accusations?

M. Tousaw : Je dois dire que j’ai eu beaucoup de succès pour mes clients. J’ai mentionné le cas de M. Beren qui a reçu une absolution inconditionnelle pour son accusation de culture.

À l’heure actuelle, il n’est pas inhabituel que les personnes accusées demandent de subir un procès. Habituellement, elles inscrivent un plaidoyer de culpabilité si elles produisent du cannabis médical pour elles ou pour d’autres. Elles présentent les faits au cours des enquêtes sur sentence. Ces enquêtes permettent au juge de prendre connaissance des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant. Il est courant que les accusés reçoivent une absolution inconditionnelle ou sans condition.

Ce projet de loi a pour effet de supprimer entièrement ce pouvoir discrétionnaire. La peine maximale pour la production passe de 7 à 14 ans, ce qui fait que ces infractions ne pourront plus donner lieu à une absolution. Cette situation ne tient même pas compte de l’effet des peines minimales.

M. Lucas : Au Canada, aucun organisme de distribution légitime n’a jamais été condamné. Cette situation changera complètement avec le projet de loi C-15.

Le sénateur Campbell : Il y a une personne qui a été accusée de produire 1 000 plants.

M. Tousaw : Oui, c’est exact. C’était M. Beren.

Le sénateur Campbell : Cela fait beaucoup de plants.

J’essaie de comprendre la situation. Je pense que projet de loi est stupide. La marijuana ne devrait pas y figurer. Elle s’y trouve pour la simple raison que nous n’avons pas encore admis que la marijuana est un produit beaucoup plus inoffensif que l’oxycontin ou le percocet, qui sont couramment utilisés.

M. Tousaw : Ou que l’alcool.

Le sénateur Campbell : Quel est le minimum de plants qu’un cultivateur doit cultiver pour pouvoir fournir ses clients?

M. Tousaw : Il faut replacer la situation dans son contexte. On pense que 1 000 plants sont une quantité énorme. En fait, je représente constamment des personnes qui sont accusées d’avoir fait pousser plus de 1 000 plants. Ce chiffre est en fait une goutte d’eau par rapport à la quantité de marijuana qui est produite au Canada. N’oubliez pas que les Canadiens consomment à eux seuls entre 6 et 10 millions de grammes de marijuana par semaine dans ce pays. Nous aimons le cannabis.

Il faut également replacer dans son contexte les 400 personnes qui recevaient le cannabis de M. Beren. Cela représente environ 2,5 plants par destinataire. Les économies d’échelle entrent en jeu. Ces plants étaient cultivés dans une remise — pas une très grande remise — située sur une propriété à la campagne. Il est vrai que le chiffre d’un millier de plants semble être un chiffre très important, mais ça ne l’est pas si on pense à la production de marijuana.

Le sénateur Campbell : Devrions-nous essayer de chiffrer tout cela?

M. Tousaw : Non, je pense qu’il est vraiment absurde d’essayer de mettre un chiffre sur le nombre de plantes. Cela aura pour effet de multiplier les producteurs. Si des producteurs à des fins non médicales savent qu’ils risquent une peine de trois ans d’emprisonnement s’ils vont pousser 1 000 plants, et de neuf mois s’il y en a moins de 200, il est probable qu’ils vont faire pousser 199 plantes dans cinq endroits différents. Nous allons assister à une prolifération des sites de culture de marijuana dans l’ensemble du pays.

Ce résultat est exactement le contraire de ce que nous voulons tous obtenir, à savoir empêcher la culture de cette plante dans les banlieues et dans les sous-sols. Cultivons ces plantes-là où nous cultivons toutes les autres; dans des fermes et dans des serres. Nous éviterons ainsi tous les problèmes dont on affirme qu’ils sont associés aux sites de culture de marijuana.

M. Lucas : Au moment où il a été arrêté, M. Beren était le seul fournisseur de cannabis de la Vancouver Island Compassion Society. C’était le seul fournisseur pour les 400 membres. Depuis cette descente, nous avons maintenant six fournisseurs répartis entre l’île de Vancouver et les îles Gulf. Autrement dit, nous sommes passés d’un seul site de production qui était facile à gérer, à six sites de production, ce qui est beaucoup plus difficile à gérer. Pour placer la situation — ces deux plants et demi par personne — dans son contexte, je préciserai qu’en tant que consommateur légal de cannabis à des fins médicales au Canada, j’ai le droit de faire pousser 49 plants pour moi-même. Les 49 plants pour lesquels je possède un permis de culture de Santé Canada ne sont rien par rapport aux 2,5 plants que M. Beren cultivait pour nos membres.

Le sénateur Campbell : J’ai déclaré au Sgt. Chuck Doucette, lorsqu’il a comparu devant le comité, que 30 plants étaient considérés comme une quantité correspondant à un usage personnel en Colombie-Britannique.

M. Tousaw : Je pense que ce chiffre est une bonne approximation. Si le comité devait adopter ce projet de loi — et je lui demande de n’en rien faire — la mesure qui protégerait le mieux les consommateurs, les fournisseurs et les distributeurs de marijuana à des fins médicales serait de prévoir une exception qui soustrairait la marijuana à des fins médicales non seulement aux peines minimales obligatoires, mais carrément à l’application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. De cette façon, la marijuana serait toujours interdite dans la mesure où cela est nécessaire ou souhaité — je ne pense pas que cela soit nécessaire ni souhaitable. Au moins, nous n’allons pas arrêter et incarcérer des personnes qui cultivent et distribuent le cannabis à des fins de compassion et qui aident des gens qui luttent contre la maladie.

Le sénateur Campbell : Auraient-ils un permis?

M. Tousaw : Le problème est qu’il est impossible d’avoir accès au système de marijuana médicale du gouvernement. 99,5 p. 100 des consommateurs de marijuana médicale ne sont pas protégés par le régime du gouvernement.

Le sénateur Campbell : Mais ils ont une ordonnance de leur médecin, n’est-ce pas?

M. Tousaw : La plupart d’entre eux, oui.

Le sénateur Campbell : Il faut quand même avoir des règles.

M. Lucas : Treize États ont légalisé la consommation de cannabis médical, y compris la Californie, où se trouvent des dizaines de milliers de centres de distribution. L’État de l’Oregon a un programme de défense affirmative. Cela veut dire que, si une personne est arrêtée parce qu’elle a consommé, cultivé ou distribué du cannabis, les accusations sont retirées, si elle est en mesure d’établir que c’était à des fins médicales.

L’Oregon a également un programme de marijuana médicale administré par l’État qu’il est intéressant de comparer au nôtre. Il a démarré en 1999; il est administré par un organisme central et les personnes qui veulent s’y inscrire doivent obtenir la recommandation de leur médecin; cela n’a pas empêché 20 000 personnes de s’inscrire à ce programme, dans un État dont la population représente le dixième de celle du Canada, au cours de la période pendant laquelle 4 000 Canadiens se sont inscrits au programme fédéral. Je pense que cette comparaison fait ressortir les problèmes que nous connaissons avec la bureaucratie et le programme fédéral à l’égard du cannabis médical. Cela nous donne également une idée de ce qui peut se faire et devrait se faire avec notre programme fédéral.

Le sénateur Joyal : Merci pour votre témoignage.

J’ai écouté attentivement ce que disaient M. Tousaw et M. Lucas. Cela m’a laissé un peu perplexe parce que vous soutenez dans votre mémoire que la plupart de vos clients, ou des gens avec qui vous êtes en contact tous les jours, vont se retrouver en prison si ce projet de loi est adopté et mis en œuvre.

Par contre, le commissaire du Service correctionnel du Canada a témoigné devant nous le 19 novembre. Dans son exposé, et par la suite aussi, il a déclaré ce qui suit : « Pour le moment, nous n’avons pas de données qui nous permettent de déterminer si les changements proposés auront un effet direct sur le nombre de délinquants qui sont sous notre responsabilité. »

Nous lui avons posé des questions. Je lui ai personnellement posé des questions. J’ai dit que cela était étrange parce que ce projet de loi aura pour effet d’envoyer des gens en prison. Le but de ce projet de loi est d’imposer des peines minimales obligatoires et il prévoit des peines supérieures à deux ans, comme vous l’avez constaté. Le projet de loi devrait donc avoir un effet.

Il a été évasif dans ses réponses, pour utiliser un adjectif diplomatique. Il a refusé de dire que le projet de loi aurait des répercussions financières sur le nombre de détenus et il a été évasif sur les coûts qu’entraînerait ce projet de loi.

D’après votre propre expérience et compte tenu des réponses qu’il nous a fournies, selon lesquelles il n’est pas en mesure de dire que la mise en œuvre du projet de loi entraînera une augmentation importante de la population des détenus, que répondriez-vous à cette conclusion du commissaire?

C’est un homme raisonnable. Il est le directeur des pénitenciers fédéraux dans notre pays.

M. Tousaw : L’objectif du projet de loi est d’envoyer des gens en prison, et l’objectif est d’envoyer des gens en prison pour des périodes supérieures à celles qui leur permettraient de purger leur peine dans un établissement provincial; autrement dit, une peine de plus de deux ans d’emprisonnement est une peine fédérale.

Je suis époustouflé que l’on puisse affirmer qu’il n’y aura aucun effet sur les coûts associés au système correctionnel. Nous savons, d’après l’expérience des États-Unis, que leur régime de peines minimales obligatoires a pratiquement mis en faillite leurs systèmes pénitentiaires, tout en amenant des conditions d’incarcération qui sont, à mon avis, inhumaines et contraires aux droits de la personne.

Mme Belle-Isle a parlé ici du fait que le taux de VIH chez les prisonniers était sept fois supérieur à celui que l’on retrouve dans la population générale et que ce rapport était de 30 pour l’hépatite C. Il y a de la violence dans les prisons. Les prisons servent à recruter des membres pour les gangs. Les prisons n’enseignent pas aux détenus comment se réadapter à la société. Les prisons enseignent le contraire.

Dans mon exposé, je dis que nous devrions chercher les moyens d’éviter d’envoyer les gens en prison et non pas de les y mettre. Il est toutefois possible que l’affirmation selon laquelle ce projet de loi n’aura pas d’influence sur le budget du Service correctionnel du Canada n’est peut-être pas ce que le témoin voulait dire. Il voulait peut-être dire qu’il n’avait pas de données.

Il est certain qu’envoyer des gens en prison coûte de l’argent.

La présidente : Pour être juste avec le commissaire, je pense qu’il voulait dire qu’il n’avait pas de données solides et qu’il ne voulait pas se hasarder à faire une prévision.

M. Tousaw : Tout comme le ministre de la Justice ne disposait pas de données solides.

Le sénateur Joyal : Je vais citer ses réponses. Lorsqu’il a affirmé posséder des données, cela concernait le projet de loi C-25. Il avait ces données, mais ne voulait pas les rendre publiques. Cependant, au sujet de ce projet de loi-ci, il a déclaré ne pas avoir de réponse. Je me souviens bien de la discussion que j’ai eue avec lui. Je lui ai dit : « Vous n’avez pas modifié votre réponse. Elle sera vérifiée après l’examen détaillé des conséquences prévues dans la Loi. Nous saurons alors si vous avez raison ou si vous avez tort aujourd’hui. »

Je ne veux pas avoir une discussion avec la présidente. Ce n’est pas ce que je cherche. J’essaie de comprendre quel sera l’effet de ce projet de loi sur la population carcérale.

M. Lucas : Lorsque ce projet de loi s’appelait le projet de loi C-26 et que j’ai eu la possibilité de témoigner devant la Chambre des communes à son sujet — ce projet de loi est pratiquement inchangé, comme vous le savez tous — le ministre de la Justice de la Colombie-Britannique de l’époque estimait que ce projet de loi entraînerait une augmentation de 700 détenus par année. Le ministre a également déclaré publiquement que cela voudra peut-être dire qu’il faudra construire des prisons supplémentaires, parce que celles que nous avons sont déjà surpeuplées.

De plus, le ministre craignait que ce projet de loi déplace les criminels violents. Autrement dit, il nous amènerait à placer des délinquants non violents qui ont commis des infractions reliées aux drogues dans des cellules qui seraient mieux utilisées pour des criminels violents. Je suis convaincu que ce projet de loi aura des répercussions et c’est là le témoignage qu’a rendu notre ministre de la Justice à l’époque; ce sont les déclarations publiques qu’il a faites.

Le sénateur Joyal : J’ai une autre question pour Mme Belle-Isle.

[Français]

Vous avez témoigné au sujet du nombre de prisonniers qui pouvaient souffrir de VIH/Sida ou de l'hépatite C. Avez-vous un nombre exact dans la population de prisonniers dans les prisons fédérales actuellement? Vous avez mentionné le chiffre d'environ 20 p. 100 de prisonniers qui pourraient être atteints de VIH/Sida. Pouvez-vous être plus précise sur ces chiffres?

Mme Belle-Isle : Je ne crois pas que j'ai fait référence à 20 p. 100. Le chiffre qu'on m'a donné provient des Services correctionnels Canada. On rapporte qu'en prison fédérale, il y a de sept à dix fois plus de cas de VIH/Sida que dans la population en général et qu'il y a 30 fois plus de cas d'hépatite C. C'est vraiment le seul chiffre que j'ai en ce moment. Cela provient du gouvernement fédéral, des Services correctionnels.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'une personne qui souffre du VIH/Sida ou de l'hépatite C peut consommer de la marijuana en prison si son médecin lui en prescrit?

Mme Belle-Isle : Non, absolument pas, malheureusement, non. Il y a eu des cas où l’on a essayé de défendre les droits des personnes pour pouvoir le faire en prison, mais cela n'a pas été approuvé. On leur donne à la place des produits synthétiques, pharmaceutiques de THC, que les gens n'aiment pas beaucoup. Comme M. Jeet-Kei Leung l’a décrit tantôt, quand c'est du THC pur sans les autres cannabinoïdes inclus dans la plante, cela produit des effets néfastes. On devient plus excité, plus anxieux. Ce n'est pas du tout comme la plante, quand c'est la plante en entier. Non, ils ne peuvent pas fumer en prison du tout. Les gens ont donc tendance à prendre des substances illégales, on ne parle pas de cannabis à des fins médicales, ils vont s'injecter plutôt parce qu'ils ne peuvent pas vraiment fumer en prison, peu importe la substance.

M. Lucas : Ce n’est pas seulement la fumée. On a essayé de défendre un prisonnier qui pouvait utiliser de la marijuana légalement, et les biscuits en prison n'ont pas été permis non plus. Ce n’est pas seulement la fumée, tu n’as pas le droit à la marijuana d'une façon ou d'une autre en prison.

Le sénateur Joyal : Et cela a déjà été contesté devant les tribunaux?

M. Lucas : Absolument. Monsieur Conroy a plaidé un ou deux cas à ce sujet.

Le sénateur Joyal : Combien y a-t-il de centres d’aide aux personnes autorisées à consommer de la marijuana à des fins médicales au Canada?

Mme Belle-Isle : Une quinzaine.

M. Lucas : Vous parlez des clubs de compassion?

Le sénateur Joyal : Oui.

M. Lucas : Il y a à peu près une quinzaine de clubs de compassion bien établis.

M. Lucas : À Vancouver par exemple, il y en a trois ou quatre, à Victoria, deux, à Montréal au moins deux probablement trois, à Toronto à peu près trois, mais aucun n’est légal. Tout le travail que l'on fait n'est pas régi par Santé Canada ou par les gouvernements fédéral ou provincial.

Le sénateur Joyal : Sont-ils tous susceptibles d’être l'objet de poursuites judiciaires?

M. Lucas : Oui, absolument. Je me suis fait arrêter pour la distribution de marijuana médicale dans mon club de compassion. À peu près la moitié de ces clubs ont souffert des arrestations de la police.

Le sénateur Joyal : Dans votre évaluation de ce projet de loi, vous arrivez à la conclusion que, si comme vous l'avez dit dans une de vos réponses antérieures, dans les poursuites entreprises contre ces clubs, aucune poursuite n’a été admise. Vous estimez que si ce projet de loi est adopté tel quel, la plupart des clubs pourraient faire l'objet d'intervention policière, de saisie et de poursuite?

M. Lucas : Dès le lendemain de l’adoption du projet de loi, si la police arrive, ce serait une peine minimale obligatoire de trois ans pour M. Leung et ses employés parce qu'une école vient de s'établir à quelques coins de rue de leur établissement. Il en serait de même pour mes employés. On parlerait de deux à trois ans de peine minimale obligatoire. Aucun juge ne pourrait arrêter cela et ce serait fini. Quand on comprend que leur club produit de la marijuana pour 5000 personnes, notre club en produit pour 1 000 personnes, c'est déjà encore plus de monde juste à Victoria et Vancouver qu'il y en a dans tout le programme canadien de Santé Canada. C'est un impact sérieux.

[Traduction]

M. Leung : Il est exact que cela fait 11 ans que nous sommes situés au coin de Commercial Drive et de la 14e Avenue à Vancouver et qu’une école s’est ouverte juste en face de nous, il y a quatre ans environ, nous avons établi avec ses responsables d’excellentes relations. Ils sont venus visiter notre local, nous leur avons fourni des explications et nous communiquons très bien. Nous nous inquiétons des répercussions que ce projet de loi pourrait avoir pour nous avec cette école située juste en face.

De plus, il y a la question connexe de l’inclusion des boutures dans le nombre des plantes, parce que les boutures ne produisent pas de plantes. Ce ne sont pas des plantes productrices, mais elles sont nécessaires pour préserver les variétés. Si les boutures étaient comprises dans cette quantité, alors 80 p. 100 de nos cultivateurs tomberaient dans la catégorie des 200 plantes et plus, et seraient passibles de la peine minimale d’au moins un an.

Le sénateur Wallace : Monsieur Tousaw, j’ai une brève question supplémentaire. Bien évidemment, vous êtes gravement préoccupé par les répercussions sur les clubs de compassion. Le ministre de la Justice fédérale et les procureurs généraux des provinces s’inquiètent vivement du commerce des drogues, de la production de drogues, du trafic de drogues, de l’importation et de l’exportation. D’après ce que j’ai compris, le projet de loi C-15 est le fruit de nombreuses années de discussion et de consultation entre toutes les provinces et le gouvernement fédéral. Il semble que les ministres de la Justice des gouvernements provinciaux soient favorables au projet de loi C-15 et, en particulier, le ministre de la Justice de la Colombie-Britannique. Êtes-vous au courant de cet appui? Vous avez fait des commentaires au sujet des répercussions que le projet de loi pourrait avoir sur l’administration de la justice en Colombie-Britannique, mais le ministre semble y être favorable. Le savez-vous?

M. Tousaw : Je le sais. Je sais également qu’un procureur principal de la Couronne a témoigné au sujet des effets concrets du projet de loi sur la charge de travail, l’accumulation des dossiers, la durée des procès, le refus des mises en liberté sous cautionnement et des dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve. Il est facile de comprendre pourquoi les représentants élus sont favorables au projet de loi. Un des porte-parole d’un groupe appelé Law Enforcement Against Prohibition a déclaré qu’il était impossible de gagner la guerre contre les drogues, mais que c’était une guerre qu’il était par contre possible de financer et que c’était un programme que les politiciens aimaient beaucoup.

En réalité, si les personnes qui examinent cette donnée sont des personnes qui réfléchissent, elles savent que ce projet de loi n’influencera aucunement le commerce des drogues en Colombie-Britannique, au Canada, ni dans le monde. Le projet de loi n’aura aucun effet sur le commerce des drogues. Il n’y a aucun élément dans toutes les données scientifiques concernant tous les autres pays qui ont essayé ce genre de loi qui le prouve. La législation américaine est beaucoup plus sévère que le projet de loi proposé et il y a encore un commerce des drogues aux États-Unis et il se vend beaucoup de drogues dans la rue. En 2008, le pourcentage des finissants du secondaire aux États-Unis qui ont déclaré pouvoir obtenir des drogues assez facilement ou très facilement étaient vraiment surprenant : 83,9 p. 100 peuvent obtenir de la marijuana facilement ou très facilement, 47 p. 100, de l’amphétamine, 42 p. 100, de la cocaïne, et 35 p. 100, du crack.

Ce programme d’interdiction, cette tentative de réduction de l’offre, ne fonctionne pas. Tous les témoins que vous avez entendus ont déclaré que les seules méthodes efficaces de lutte contre la toxicomanie étaient le traitement et la prévention. Cela n’empêche pas le gouvernement d’être prêt à dépenser beaucoup d’argent pour surveiller, poursuivre et emprisonner les gens.

J’ai lu l’autre jour qu’on venait de fermer un autre centre de réadaptation en Colombie-Britannique; celui-là desservait le nord de la province. Maintenant, les adolescents qui ont des problèmes de toxicomanie doivent faire des centaines de kilomètres pour se faire traiter. C’est aller dans la mauvaise direction, et tous ceux qui tiennent compte des preuves le savent.

La présidente : Sénateur Wallace, je peux vous inscrire pour le tour principal de questions, si vous le souhaitez, mais nous sommes en train de poser des questions supplémentaires en utilisant le temps de parole du sénateur Joyal. Le sénateur Nolin a une question supplémentaire tout comme le sénateur Campbell.

Le sénateur Campbell : La mienne n’est pas une question supplémentaire.

M. Lucas : Sénateur Wallace, je suis un représentant élu. Je fais régulièrement des sondages sur un certain nombre de questions. Les sondages sont très importants, mais lorsqu’il faut prendre des décisions clés sur des mesures législatives qui vont toucher les Canadiens de façon aussi importante que ce projet de loi, il faut tenir compte des données scientifiques. On ne peut pas justifier un projet de loi en se fondant uniquement sur l’opinion des ministres de la Justice des provinces.

Je dirais en réponse à une des questions posées par le sénateur Joyal au sujet des statistiques qu’il faut tenir compte des données scientifiques. Nous ne pouvons pas utiliser les statistiques de façon sélective. Il faut tenir compte de l’ensemble des preuves. Il n’est pas possible d’appuyer ce projet de loi si l’on se base sur les données scientifiques; si l’on se base sur ce que vous avez entendu jusqu’ici.

Le sénateur Nolin : L’un d’entre vous a mentionné la peine maximale de 14 ans et le fait que ce projet de loi empêcherait votre client, M. Beren, le seul fournisseur du groupe de M. Lucas, d’obtenir une absolution inconditionnelle. Pouvez-vous expliquer comment ce projet de loi va interdire cette peine?

M. Tousaw : L’absolution est prévue par le Code criminel. Les accusés peuvent perdre le droit de demander une absolution en fonction de la durée de la peine maximale dont ils sont passibles.

Le sénateur Nolin : Faites-vous référence au paragraphe 730(1) du Code criminel?

M. Tousaw : Je crois que c’est probablement cette disposition, mais je n’ai jamais été très bon avec les chiffres. J’ai vu plusieurs personnes entrer dans la salle avec de gros livres noirs et je m’en remets à eux. Ils n’y auront pas droit. S’ils sont accusés de possession aux fins de trafic de plus de trois kilogrammes de marijuana, c’est une inculpation qui entraîne une peine maximale de 14 ans et l’accusé n’a pas droit à l’absolution inconditionnelle. Si l’accusé est inculpé de production, la peine est d’une durée maximale de sept ans et il a le droit de demander une absolution. Dès qu’il y a une peine minimale obligatoire, l’accusé ne peut demander une absolution à cause de cette peine minimale. Si le projet de loi est adopté, je vous prie d’introduire une exception pour les producteurs, les distributeurs et les patients pour ce qui est de la marijuana médicale, parce qu’autrement, les deux messieurs assis à ma gauche pourraient se retrouver en prison pour un bon bout de temps.

Le sénateur Joyal : Le projet de loi traite également du trafic et de l’importation. Je comprends qu’en raison de votre rôle, vous vous intéressez principalement à la production. Avez-vous des commentaires à faire sur les dispositions qui traitent du trafic et de l’importation?

M. Tousaw : Oui. Je peux dire qu’en réalité, ce projet de loi ne modifiera aucunement les peines imposées pour l’importation de drogues en quantités importantes au Canada. Il n’aura tout simplement aucun effet sur l’importation. Il y a déjà des lois dans ce domaine. Les juges imposent régulièrement de lourdes peines de prison pour l’importation de drogues au Canada. J’ai entendu le ministre de la Justice parler du fait que le projet de loi visait les chefs des réseaux criminels qui avaient recours à la violence et qui s’attaquaient à la société canadienne en important du poison dans notre pays. J’entends cette affirmation depuis des années. Il suffit de prendre cinq minutes et de faire une recherche dans une base de données gratuite appelée CanLII pour trouver les motifs de la détermination des peines dans les affaires d’importation pour constater facilement — R v. Canyon, 2009, Cour du banc de la Reine du Manitoba 280, trafic et possession aux fins de trafic de cocaïne et d’ecstasy, 40 kilogrammes de cocaïne, 12 ans; R. v. Marchesi, 2009, ABCA 304, trafic et possession aux fins de trafic, cocaïne, sept grammes de cocaïne seulement, absence de casier judiciaire, trois ans d’emprisonnement; R. v. Lee, complot, trafic de marijuana, 27 mois d’emprisonnement; R. v. Smith, trafic transfrontalier, six ans de pénitencier — qu’au Canada, les gros importateurs de drogues ne reçoivent pas une petite tape sur les doigts. Ce n’est pas ce qui se passe. Cela n’arrive pas. Le projet de loi ne modifiera pas les peines imposées aux gros trafiquants de drogues. Il s’appliquera uniquement aux personnes vulnérables, aux personnes qu’en fait le projet de loi, d’après ce qui nous a été dit, ne devait pas viser.

M. Lucas : En réalité, ce projet de loi aura pour effet de détourner les ressources qui étaient affectées à la répression de l’importation et du trafic commis par des adultes de substances destinées aux jeunes. Ce sont là les préoccupations des Canadiens lorsque l’on parle de drogues et de crimes reliés aux drogues, qui sont en fait davantage des crimes reliés à une interdiction. L’importation au Canada et le trafic commis par des adultes de drogues destinées aux jeunes sont les domaines dans lesquels nous devrons concentrer nos ressources policières et qui devraient nous préoccuper, mais malheureusement ce n’est pas cette activité qui sera ciblée. C’est ce que l’on peut déduire du fait que le nombre des arrestations effectuées actuellement au Canada concerne chaque année 50 000 consommateurs de cannabis qui sont accusés de possession personnelle. C’est ce que disent les statistiques policières en matière d’arrestation. Si nous voulons cibler cette activité, il faudrait alors modifier le projet de loi de façon considérable pour qu’il vise l’importation ou le trafic de drogues par des adultes qui vendent aux jeunes. Si nous ne le faisons pas, ce projet de loi va absorber des ressources dont nous avons désespérément besoin, comme vous l’ont dit les représentants des services de police, qui manquent de personnel et de ressources.

Nous devons affecter ces ressources aux domaines qui importent aux Canadiens et ce sont les domaines dont je viens de parler qui importent.

Le sénateur Milne : Madame Belle-Isle, vous dites que les médecins sont réticents à signer les formulaires de demande d’utilisation de la marijuana à des fins médicales. Pourquoi cette réticence?

Mme Belle-Isle : C’est une bonne question. Je ne peux vous dire que ce que m’ont dit les gens qui sont atteints du VIH. Je n’ai pas parlé directement aux médecins, sinon aux quelques médecins qui se trouvent à siéger au comité consultatif des intéressés dont je fais partie.

D’après ce que me disent les gens, les médecins sont réticents, parce qu’ils craignent souvent de mettre en jeu leur responsabilité. Ils estiment qu’ils ne possèdent pas suffisamment de renseignements sur le cannabis considéré comme un « médicament », parce que ce n’est pas un médicament approuvé. C’est un médicament naturel sur lequel ils ne possèdent pas beaucoup d’information.

Ils ne pensent pas être suffisamment bien informés pour pouvoir fournir des conseils sur le dosage et sur la façon de consommer le cannabis. Le dialogue s’établit alors entre le patient et le médecin, basé sur l’expérience qu’a le patient de la consommation de cannabis à des fins médicales et la décision est prise conjointement par le patient et le médecin.

Comme M. Lucas l’a fait remarquer, et comme des gens me l’ont dit pendant que j’organisais ces groupes de discussion, les médecins semblent être davantage enclins à signer une lettre de diagnostic, qui est en fait ce dont il s’agit, à mentionner un symptôme ou une raison pour laquelle le patient pourrait tirer profit de la consommation du cannabis, par opposition à prescrire du cannabis, parce qu’ils ne prescrivent que les médicaments approuvés et que le cannabis n’en est pas un pour le moment.

Ce sont des questions qui touchent la responsabilité. De plus, l’Association canadienne de protection médicale, qui est l’organisme qui assure les médecins, a clairement fait savoir qu’elle n’était pas favorable à ce que les médecins participent à ce programme; elle a préparé un genre de renonciation qui exonère le médecin de toute responsabilité et le protège contre les poursuites en responsabilité. Le patient peut remettre cette renonciation à son médecin et demander que celui-ci soit exonéré de toute responsabilité et que le patient assume la responsabilité découlant de la consommation de cannabis comme traitement médical.

Le sénateur Milne : Monsieur Lucas, vous dites qu’il y a 400 médecins qui vous envoient régulièrement des gens?

M. Lucas : Il y en a 350.

Le sénateur Milne : Ils ne vous les envoient pas avec une ordonnance, mais avec une recommandation disant que le cannabis pourrait leur être utile.

M. Lucas : Vous avez tout à fait raison. Il faut revenir au tout début de ce programme. Lorsque Santé Canada a mis sur pied le programme, l’Association médicale canadienne, les organismes médicaux provinciaux comme le College of Physicians and Surgeons of British Columbia et l’Association canadienne de protection médicale, qui assure 95 p. 100 des médecins au Canada, tous ces organismes ont clairement refusé d’être les gardiens du programme. Ils ont également élaboré des énoncés de politique dans lesquels ils déclaraient qu’ils ne voulaient pas être les gardiens du programme. Ils trouvent que ce rôle ne leur incombe pas. Malheureusement, il n’y a pas d’autres groupes qui pourraient jouer ce rôle. Nous savons que le cannabis est un médicament. La communauté médicale doit assumer une certaine responsabilité à l’égard du programme, mais étant donné que ce produit n’a pas subi les tests qu’on utilise habituellement pour les autres produits pharmaceutiques traditionnels, la profession médicale s’inquiète de la situation.

Mon gastroentérologue a rempli mon formulaire — je suis un utilisateur légal — comme l’a fait mon généraliste. Il a toutefois été clair. Il m’a dit de ne dire à personne qu’il avait rempli mon formulaire, qu'il ne remplirait aucun autre formulaire et qu'il n’aimait pas le processus.

Je pense que la demande de 33 pages et le renouvellement annuel auquel il faut procéder ensuite, crée un certain malaise chez les médecins parce que ce traitement est très différent des autres ordonnances qu’ils remplissent. Il n’y a pas eu d’enquête auprès des médecins pour savoir pourquoi ils refusaient de signer ces formulaires, mais il est évident qu’un grand nombre d’entre eux ne le font pas.

M. Tousaw : Le formulaire de renonciation dont a parlé Mme Belle-Isle qui a été préparé par l’ACPM à l’intention des médecins du Québec ne vaut pas au Québec, parce qu’aux termes du code du Québec, on ne peut renoncer à la responsabilité médicale.

Le sénateur Milne : Ce n’est donc qu’un morceau de papier.

La présidente : D’après le code civil.

M. Tousaw : C’est exact. La renonciation n’est pas valide dans la province de Québec.

Le sénateur Milne : Madame Belle-Isle et monsieur Lucas, quelle sorte de surveillance exercez-vous sur vos producteurs pour veiller à ce qu’ils fournissent leur cannabis seulement à vous et non pas à des amateurs de cannabis?

M. Leung : Lorsque les cultivateurs signent un contrat avec nous, ils acceptent que nous inspections leurs sites de culture. Ils nous présentent également leurs factures d’électricité pour que nous puissions comparer la quantité d’électricité consommée avec la récolte qu’ils nous fournissent; nous pouvons voir s’il n’y a pas de gros écarts.

Le sénateur Milne : Vous avez une certaine expérience qui vous permet de dire que, si un cultivateur consomme tant de kilowatts par mois, c’est qu’il a à peu près tel nombre de plants?

M. Leung : C’est exact.

M. Lucas : En plus de cette expérience, l’inspection des lieux est une bonne façon de savoir ce qui se passe. Comme M. Leung l’a mentionné, notre organisme effectue des analyses pour rechercher les métaux lourds, les impuretés biologiques et les cannabinoïdes et pour contrôler la pureté et la qualité du produit; mais il y a surtout le fait que tous ces producteurs pourraient alimenter le marché noir et faire beaucoup plus d’argent s’ils le voulaient. Autrement dit, ils ont décidé de cultiver le cannabis pour qu’il soit distribué aux Canadiens qui sont gravement et chroniquement malades. Ils le font parce que cela leur donne le sentiment de faire quelque chose d’utile, d’agir pour le bien de la société et de renforcer la collectivité; ils sont fiers de leur travail, ils cultivent le cannabis à des fins médicales, parce qu’ils ont choisi de le faire. S’ils décidaient un jour de vendre leur produit sur le marché noir, ils gagneraient beaucoup plus d’argent.

Le sénateur Milne : Quelle est la différence de prix?

M. Lucas : La différence de prix à l’heure actuelle en C.-B. est que le biologique triple A, comme nous appelons le cannabis biologique de première qualité, se vend autour de 2 800 à 3 000 $ la livre à l’heure actuelle, à Victoria et Vancouver. La Vancouver Island Compassion Society paie entre 2 000 et 2 400 $ la livre pour ce produit. Nous parlons d’une réduction d’environ 30 p. 100 dans la plupart des cas et ce montant de 30 p. 100 représente un bénéfice net.

Le sénateur Nolin : Le sénateur Milne a parlé de la question de la production. Quel est le lien qui existe entre vos organismes et le projet de loi, la production et les nouvelles peines pour la production, qui est l’élément clé?

Vous avez fait allusion à plusieurs reprises au fait que la marijuana médicale est biologique à 70 p. 100. Revenons donc à M. Beren. M. Beren cultivait tous ces produits pour la Vancouver Island Compassion Society de Victoria, l’organisme de M. Lucas. Est-ce que M. Beren produisait une variété ou combien en faisait-il pousser? S’agissait-il de marijuana biologique? En vendait-il aussi aux amateurs?

M. Tousaw : Le projet du VICS —

Le sénateur Nolin : Je reviens toujours au cas de M. Beren parce qu’il est public.

M. Tousaw : C’est une décision rapportée.

Le sénateur Nolin : Elle est rapportée; chacun peut la lire. Je ne veux pas aller dans les détails concernant vos autres producteurs qui ne souhaitent peut-être pas que leurs noms soient mentionnés publiquement.

M. Tousaw : Je fournirai au comité les motifs de la décision relative à la peine, parce que ces motifs ne sont pas rapportés. Je les ai et je les remettrai au comité.

Le sénateur Nolin : Je vous invite à le faire; nous en avons besoin rapidement.

La présidente : Les avez-vous avec vous maintenant?

M. Tousaw : Seulement sur support électronique; je pourrais les envoyer par courriel à Mme Richardson. J’ai mon BlackBerry, et je peux probablement vous les envoyer d’ici.

M. Beren cultivait uniquement le cannabis pour la Vancouver Island Compassion Society. Au moment de son arrestation, il produisait environ 15 variétés différentes. Il possédait environ 50 variétés génétiques différentes qu’il préservait sous la forme de plantes-mères.

Le cannabis est cultivé, comme beaucoup de plantes — les pommes, par exemple — non pas habituellement à partir de graines, mais à partir de boutures, de façon à préserver le type génétique de la variété. Les cultivateurs conservent des plantes-mères sur lesquelles ils prennent des boutures. M. Beren conservait environ 50 variétés différentes, plus un placebo de chanvre qu’il faisait pousser dans son site, tout cela était destiné aux membres de la VICS. Il recevait un salaire de 30 000 $ par année pour cultiver le cannabis, ce qui est une somme bien évidemment inférieure à ce qu’il aurait pu gagner sur le marché noir.

M. Leung a parlé d’un aspect tragique de cette arrestation, à savoir la perte de toutes ces variétés génétiques. Il lui a été impossible de continuer la recherche qu’il effectuait sur les variétés qui étaient plus efficaces pour certains symptômes, étant donné que la police a détruit toutes les plantes.

Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation où non seulement —

Le sénateur Nolin : Sans avertir M. Beren? La Loi réglementant certaines drogues et autres substances s’applique toujours à M. Beren.

M. Tousaw : Absolument.

Le sénateur Nolin : Pourquoi n’a-t-il pas été informé que ses biens seraient détruits?

M. Tousaw : Lorsque la police fait une descente et arrête des cultivateurs, elle détruit habituellement toutes les plantes avant de quitter les lieux.

Le sénateur Nolin : Cette disposition ne se trouve pas dans le projet de loi, mais ce serait là commencer un autre débat.

M. Tousaw : Vous avez entendu M. Lucas vous dire qu’il avait six fournisseurs. Il y a maintenant plusieurs sites de culture, et non un seul site, un fournisseur, une surveillance facile et une production intégralement biologique. La production est maintenant diversifiée. Je pense que c’est une mauvaise direction.

M. Lucas : Pendant les cinq ans qui ont précédé la descente, nous avions essayé de mettre au point des variétés qui répondaient à certaines symptomatologies. Nous voulions une variété qui serait efficace pour les douleurs chroniques, qui sont un des principaux facteurs pour ce qui est des symptômes, sinon la principale maladie pour laquelle les gens viennent nous voir.

La seule raison pour laquelle je mentionne tout cela est qu’en quelques heures, nous avons perdu, comme l’a mentionné M. Tousaw, toute cette recherche. C’est exactement la même chose que si quelqu’un venait dans votre bureau, prenait votre équipement, vos dossiers, tout ce sur quoi vous avez travaillé et que tout cela disparaissait, non pas pour un mois ou un an, mais à jamais. Cinq ans de recherche et de travaux génétiques ont été perdus.

Comme M. Tousaw l’a également suggéré, nous faisions également pousser, ce qui a plus tard donné lieu à une accusation, du chanvre non psychoactif. Nous faisions pousser ce chanvre parce que nous avions obtenu l’approbation éthique pour effectuer un essai clinique à double insu sur l’effet du cannabis fumé sur les douleurs chroniques. Il nous fallait un placebo de chanvre pour effectuer cette analyse à double insu pour que les gens ne sachent pas s’ils fumaient du chanvre ou une variété de cannabis à fort contenu de THC. Il est ironique de savoir que ces plantes ont également donné lieu à des accusations.

Il est également bon de mentionner que nous faisions pousser également certaines variétés de Santé Canada pour voir si nous pouvions obtenir de meilleurs résultats que Santé Canada — ou du moins voir ce que nous obtiendrions.

Le sénateur Nolin : Mme Belle-Isle sera probablement en mesure de répondre, mais M. Lucas et M. Leung peuvent intervenir. Pour ce qui est du domaine des douleurs chroniques et des symptômes, est-ce que cela est couvert par le Règlement sur l’accès la marihuana à des fins médicales?

Mme Belle-Isle : Si vous lisez le règlement, vous verrez qu’il y a deux colonnes. La première concerne les symptômes et l’autre les états pathologiques. Pour le VIH, je crois que la douleur y figure, mais également…

Le sénateur Nolin : Un moment s’il vous plaît. Vous connaissez très bien votre sujet, mais pas nous. Vous dites que premièrement la personne doit être identifiée en fonction d’une maladie et on passe ensuite aux symptômes. Est-ce bien cela?

Mme Belle-Isle : Je ne dirais pas que c’est l’un ou l’autre. Ce sont les deux en même temps.

Le sénateur Nolin : L’un et l’autre?

Mme Belle-Isle : Oui. Pour une personne qui est atteinte du VIH, de nombreux symptômes sont associés à cette maladie, dont notamment la douleur. Dans le cas d’une personne qui souffre d’arthrite grave, le symptôme associé à cet état pathologique est la douleur; il y a beaucoup de grands-mères qui en profitent.

Le sénateur Nolin : Il y a un symptôme que la plupart des Canadiens comprennent bien, c’est la douleur. Qu’est-ce que la douleur chronique comparée à la douleur?

M. Lucas : La douleur chronique est une douleur qui répond mal aux traitements traditionnels. Elle est associée à plusieurs états pathologiques — bien souvent, comme l’a dit Mme Belle-Isle, elle est associée à la douleur neuropathique. Les gens atteints de sclérose en plaques, les gens qui souffrent de neuropathie à cause de la fibromyalgie et du VIH-sida souffrent de douleur chronique.

Le sénateur Nolin : Ces maladies sont toutes couvertes par le règlement. Pourquoi les Canadiens n’utilisent-ils pas ce règlement?

M. Lucas : Je ferais une mise en garde; si la personne a le VIH-sida, la sclérose en plaques ou souffre de douleur chronique, elle fait partie de la catégorie un; elle peut avoir accès au programme sur la simple recommandation du médecin. La catégorie deux relève un peu le seuil d’accès, c’est-à-dire que la personne doit avoir également le consentement d’un spécialiste. Pour mon l’hépatite C, mon gastroentérologue devait être favorable à la consommation de cannabis, ainsi que mon généraliste.

Mme Belle-Isle : Puis-je apporter une précision? Le programme n’exige plus la signature d’un spécialiste. Le médecin qui signe le formulaire est uniquement tenu de déclarer qu’il a consulté un spécialiste.

Le sénateur Nolin : Monsieur Tousaw, vous parlez constamment d’un amendement que nous pourrions apporter au projet de loi. Avez-vous des suggestions à faire?

M. Tousaw : Je pourrais vous fournir cette suggestion par voie électronique. Je serais heureux de le faire. J’ai plusieurs projets d’amendement qui pourraient atténuer certaines conséquences négatives du projet de loi.

Le sénateur Nolin : Pouvez-vous nous envoyer cette suggestion rapidement?

M. Tousaw : Je pourrais le faire ce soir.

Si je peux ajouter quelque chose, je ne voudrais pas introduire davantage de confusion au sujet de ce règlement, mais je tiens à préciser quelque chose; si quelqu’un souffre de douleur chronique parce qu’il a de l’arthrite, son généraliste peut signer les formulaires de demande et il n’est pas tenu de consulter un spécialiste.

S’il souffre de douleur chronique parce qu’il a des migraines, il tombe alors dans une catégorie différente. Il doit voir son généraliste, il doit également consulter un spécialiste; ensuite, son généraliste doit faire certaines déclarations au sujet de cette consultation. C’est un ensemble complexe de symptômes.

En fin de compte, n’importe qui peut obtenir de la marijuana à des fins médicales au Canada pourvu qu’il ait l’appui d’un médecin pour un état pathologique et un symptôme, s’il est en mesure de remplir toutes les conditions qu’impose le gouvernement fédéral. En théorie, il pourrait obtenir de la marijuana médicale s’il s’est blessé à un orteil et pour la douleur associée à cet état pathologique, si le généraliste et le spécialiste sont d’accord.

Bien entendu, nous savons, d’après les témoignages que les médecins ne sont même pas favorables à ces demandes dans le cas du VIH-sida, de sorte que cela ne se produit jamais. Je tenais toutefois à être clair au sujet de la répartition entre ces deux catégories.

La présidente : Sénateur Campbell, si vous permettez, le sénateur Rivest n’a pas encore posé de question et il voudrait en poser une.

[Français]

Le sénateur Rivest : J’aimerais tout d'abord vous féliciter. Je suis impressionné de la qualité de votre travail. Je partage l'avis du sénateur Campbell. À mon avis, ce projet de loi n’est rien d’autre qu’une parade politique, mais dont les conséquences humaines et sur le système judiciaire seront considérables.

Maître Tousaw, vous avez dit au sénateur Nolin que vous prépariez certains amendements. Vous vous trouvez déjà dans une espèce de flou juridique où, dans l'état actuel du droit, vous risquez d’être poursuivi. Sur le plan juridique, les sentences seront plus lourdes et le danger sera plus grand pour vous et ceux qui travaillent pour vous.

Dans la mesure où le statut n’est toujours pas défini pour les groupes de compassion, comment pouvons-nous faire une exception, dans le cadre de ce projet de loi, pour vous protéger? Je suppose que votre groupe et d’autres organismes qui, comme vous, ont accompli un travail remarquable ont pris certaines démarches.

Comment se fait-il que l’on ne réussisse pas à vous donner un statut juridique qui réglerait bien des problèmes ?

[Traduction]

M. Tousaw : J’aimerais bien connaître la réponse à la deuxième question. Divers tribunaux ont examiné la constitutionnalité du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales et ont invité le gouvernement à examiner soigneusement la question de la réglementation de ce que les tribunaux ont appelé le « réseau de fournisseurs non agréés » qui fournissent traditionnellement les consommateurs de marijuana à des fins médicales. Par exemple, dans Hitzig c. Canada, la Cour d’appel de l’Ontario a annulé certaines parties du règlement, et a suggéré au gouvernement fédéral d’envisager, lorsqu’il révisera le règlement, de réglementer les clubs de compassion par l’attribution de permis. Le gouvernement a décidé de ne pas aller dans cette direction — ce qui a eu, à mon avis, des conséquences tragiques.

Pour protéger ces groupes, j’ai soutenu devant le juge Koenigsberg que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances devait prévoir une exception pour la production, la distribution et la possession de marijuana à des fins médicales. Notre droit actuel contient des infractions qui exigent une intention générale ou une intention spéciale. Ce projet de loi crée des infractions avec intention spéciale dans le domaine de la culture du cannabis. Autrement dit, les producteurs ne sont assujettis à des peines minimales obligatoires que s’ils cultivent le cannabis à des fins de trafic.

À mon humble avis, il ne serait pas très différent de soustraire à l’application de ce projet de loi, et de la LDS également, la marijuana produite ou distribuée à des fins médicales. Une telle exception ne réglerait pas toutefois tous les problèmes. Cela n’empêcherait pas les gens d’être arrêtés. Cela résoudra le principal problème, à savoir que les gens qui sont en possession, produisent et distribuent de la marijuana médicale ne risqueront plus de voir les droits que leur accorde l’article 7 de la Charte — liberté et sécurité de la personne — compromis par la possibilité d’être condamnés par un tribunal pénal.

La légitimité à laquelle aspirent des organisations comme le VICS et la BCCCS, qui opèrent de façon tout à fait transparente et ouverte, dépendra de la mesure dans laquelle ces organismes pourront éviter les contacts avec les services de police. Ce genre d’exception ne supprime pas les moyens dont disposent les services de police ou les poursuivants pour agir. Une telle exception crée un cadre plus équitable et plus généreux pour les groupes qui, comme ces deux organisations, font un travail utile.

M. Lucas : Certains politiciens ont envisagé de présenter des projets de loi visant à légaliser les centres de distribution. Libby Davies, député de Vancouver East, a été un des principaux partisans de ces centres. Nous espérons que des mesures comme un projet de loi d’origine parlementaire ou autre seront prises pour défendre les centres de distribution de cannabis à des fins médicales.

À l’appui de l’idée de M. Tousaw, il serait extraordinaire qu’il ressorte du gâchis que constitue le projet de loi C-15, et auparavant le projet de loi C-26, des mesures législatives positives pour les consommateurs de cannabis médical dans l’ensemble du Canada, et des mesures visant à protéger les centres qui fournissent du cannabis médical au Canada. Si ce projet de loi peut donner un résultat positif, ce serait bien celui-là. Je vous invite à examiner sérieusement ce que M. Tousaw va sans doute vous communiquer avant la fin de la journée. Ce sera au moins une petite récompense pour les Canadiens touchés par le projet de loi C-15. De cette façon, les Canadiens qui sont gravement et chroniquement malades seront au moins soustraits aux principales répercussions de ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : J’ai une question au sujet de la définition de « trafic ». À votre connaissance, y a-t-il trafic lorsque la personne qui fournit de la marijuana médicale en donne à une autre personne qui souffre d’une maladie comparable, mais qui n’a pas réussi à obtenir la drogue dont elle a besoin?

M. Lucas : L’aspect paradoxal est qu’à cause de la mauvaise qualité du cannabis de Santé Canada, et de la plus grande partie du cannabis vendu sur le marché noir, les consommateurs à des fins médicales — qu’ils détiennent un permis ou non — décident souvent de cultiver leur propre cannabis. Ils le font pour leur réduire les coûts, pour être sûrs d’avoir un produit sûr et de bonne qualité et pour cultiver les variétés qui leur conviennent.

Lorsqu’ils trouvent une variété qui aide à traiter la paralysie spasmodique associée à la sclérose en plaques, il est naturel qu’ils veuillent la faire connaître au groupe local des patients qui souffrent des mêmes symptômes qu'eux. Il n’est pas du tout inhabituel que des patients qui utilisent le cannabis à des fins médicales partagent leurs médicaments avec d’autres patients dans un esprit d’entraide.

Selon le droit actuel, ce partage constitue du trafic. Comme on vous l’a dit, le fait de passer un joint à quelqu’un constitue également du trafic. Lorsqu’on parle des centres de distribution et des uns ou deux grammes que nous distribuons à nos patients chaque jour, il est incontestable que le fait de fournir cette drogue constitue du trafic. Nous tenons une bonne comptabilité de ce trafic. Nous ne l’avons jamais nié. Lorsque nous comparaissons devant un tribunal, nous montrons clairement que nous travaillons de façon transparente et que nous sommes prêts à rendre des comptes.

Le sénateur Joyal : Monsieur Lucas, j’étais député au Parlement lorsque nous avons adopté un projet de loi visant à indemniser les victimes de l’hépatite C. Ce projet de loi vous a-t-il été utile?

M. Lucas : Je vous en suis reconnaissant, sénateur Joyal. Grâce à cette indemnité, ma femme et moi avons pu verser un acompte sur une maison. Une partie de l’indemnité que j’ai reçue au palier provincial a facilité la création de la Vancouver Island Compassion Society. J’ai obtenu mon diagnostic en 1995 et reçu mon premier paiement de la province de l’Ontario. J’ai utilisé une partie de ces fonds pour commencer le centre de distribution.

En d’autres termes, oui, et merci.

Le sénateur Joyal : Je ne vous demandais pas de me remercier.

M. Lucas : Je vous remercie quand même, et pas seulement pour moi. Ma femme est la directrice exécutive du Hepatitis C Council of British Columbia. De nos jours encore, elle aide les gens à remplir les formulaires pour qu’ils obtiennent l’indemnité fédérale. Cette mesure a été d’une grande utilité pour ces personnes, en particulier celles qui ont des symptômes plus lourds que les miens.

La présidente : Avant de partir, M. Leung, le conseil que nous avons obtenu au sujet de la procédure à suivre est qu’il n’est pas certain que les comités puissent accepter des pétitions. Il est possible que cela n’entre pas dans les pouvoirs d’un comité. Pour éviter toute controverse, je vous propose de remettre votre pétition au sénateur Nolin. En tant que sénateur, il a le droit de présenter une pétition au Sénat. Le fait que les comités ne puissent recevoir de pétition n’a rien à voir avec le fait que le Sénat peut en recevoir. Je vous remercie d’avoir pensé au comité, mais nous allons nous abstenir cette fois-ci pour ne pas courir de risque.

M. Leung : C’est une excellente solution. Merci beaucoup.

La présidente : Je vous remercie tous. Vous avez donné des témoignages très intéressants et très utiles.

Comme dernier témoin dans cette longue étude détaillée de ce projet de loi, nous avons le plaisir d’accueillir Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice du Canada. Merci de comparaître. Nous avons des questions à vous poser. Allez-vous faire une déclaration d’ouverture, monsieur Saint-Denis?

Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada : Non, c’est la deuxième fois que je me présente devant le comité au sujet de ce projet de loi. Je suis ici pour répondre à des questions, et j’espère pouvoir vous fournir des réponses utiles, mais je n’ai pas d’exposé à présenter.

La présidente : Nous avons dû vous demander de revenir parce que nous nous sommes posés d’autres questions.

M. Saint-Denis : Bien sûr.

[Français]

La présidente : Nous débuterons avec une question du sénateur Nolin.

Le sénateur Nolin : À l’article 3 du projet de loi, on parle de circonstances aggravantes.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous spécifier la ligne et la page?

Le sénateur Nolin : C'est un texte que j'ai repris.

La présidente : C'est la page 3, ligne 19, je pense.

Le sénateur Nolin : Vous parlez de l'usage du bien immobilier d'autrui. Si l’usage se faisait avec le consentement du propriétaire de ce bien immobilier, est-ce que cela changerait la circonstance aggravante?

M. Saint-Denis : En se basant sur le libellé qui est devant nous, je dirais que la permission ne modifierait pas la direction de cette disposition.

Le sénateur Nolin : Pourquoi alors parler d'autrui?

M. Saint-Denis : De façon générale, nous visions des situations où le bien d'autrui serait peut-être utilisé sans la connaissance de l'individu en question. Si on parlait d’un usage avec la connaissance de l'individu, celui-ci serait alors coupable de l'acte autant que la personne qui l’utilise.

Le sénateur Nolin : Je vous l'accorde. Toutefois, pourquoi s’agirait-il d’une circonstance aggravante? La personne qui commet l'infraction est passible de poursuites comme le producteur. Cependant, en quoi le fait que le propriétaire du bien immobilier consente à ce que son immeuble ou terrain soit utilisé pour produire une substance illicite peut constituer une circonstance aggravante?

M. Saint-Denis : Ce n’était pas cette circonstance que l'on visait. Nous visions celle où le propriétaire ne donne pas son consentement.

Le sénateur Nolin : Dans une des questions posées plus tôt, j'ai cru comprendre que le projet de loi C-15, qui est la suite du projet de loi C-26 déposé lors d'une autre session parlementaire, a été longuement discuté par les procureurs généraux du Canada, soit les procureurs généraux des provinces et du fédéral. Ces discussions ont commencé quand? Et quelle était l'ampleur de l’accord?

M. Saint-Denis : Vous parlez de discussions sur le projet de loi C-26 ou de discussions qui se seraient peut-être tenues avant le dépôt du projet de loi C-26?

Le sénateur Nolin : Nous parlons du projet de loi C-15. Le projet de loi C-26 faisait partie d'une autre session parlementaire. Il n’en sera donc pas question.

Quelles discussions ont eu lieu, sur les plans politique et administratif, entre vous et vos collègues des provinces, sur l'instauration, par le biais d’une loi fédérale, de peines minimales obligatoires?

M. Saint-Denis : Il en fut peut-être question dans l'année précédent le dépôt du projet de loi, dû peut-être au fait qu’un autre projet de loi fut déposé auparavant.

Le sénateur Nolin : Les discussions ont commencé avec vos collègues provinciaux après que l'ancêtre du projet de loi C-15 fut introduit?

M. Saint-Denis : Si j’ai bien compris, vous ne teniez pas à savoir ce qui s’était passé avant.

Le sénateur Nolin : J’aimerais savoir quand les discussions entre les procureurs généraux ont commencé.

La présidente : Si on parle de différents chiffres, le public qui nous regarde ne comprendra pas. On parle toutefois du processus qui a mené au dépôt du projet de loi C-15.

M. Saint-Denis : Pour les procureurs généraux des provinces, peut-être dans l'année antérieure au projet de loi C-26, peut-être un petit peu plus et pas tous les procureurs, certains procureurs, notamment les procureurs de l'Ouest, ont témoigné un intérêt dans ce genre de choses. Et puis, avec le projet de loi C-26, les discussions se sont entamées et se sont formalisées davantage au niveau politique et des fonctionnaires. Je dis un an, c'est peut-être un petit peu plus.

Le sénateur Nolin : Je voudrais, monsieur Saint-Denis, explorer avec vous toute la question du cannabis, de la production du cannabis à des fins thérapeutiques. On vient d'entendre des témoins qui, de toute évidence, ont une certaine expérience dans le domaine des clubs compassion et de l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques.

Le ministre, lorsqu'il est venu témoigner, de façon péremptoire, a affirmé que ce projet de loi ne visait pas ce type d'activités et visait beaucoup plus les activités du crime organisé.

On vient d'entendre, et tout au long de notre examen, on a entendu plusieurs témoins qui ont soulevé des préoccupations importantes quant à l'effet de la mise en œuvre du projet de loi C-15. Croyez-vous que des amendements s'imposent?

M. Saint-Denis : Au projet de loi?

Le sénateur Nolin : Oui.

M. Saint-Denis : Je dois avouer que je n'ai pas eu la chance d'écouter les témoins qui viennent juste de comparaître. Mais le ministre l'a dit clairement, que l'on ne visait pas les clubs de compassion ou l'usage thérapeutique de la marijuana.

Et puis, de fait, ce projet de loi ne vise pas l'usager, la personne qui est en possession pour quelques fins.

Le sénateur Joyal : Quelques fins médicales que ce soit?

M. Saint-Denis : Quelques fins que ce soit, sauf dans les cas de possession aux fins de trafic. Mais la possession simple, que ce soit pour l'usage personnel ou l'usage thérapeutique, cela ne vise pas du tout ces activités.

Le sénateur Rivest : La réalité juridique est qu'ils sont touchés, « visa le noir tua le blanc ».

M. Saint-Denis : Non, si on examine les dispositions ici, on ne parle pas d'infraction de possession, mais de possession aux fins de trafic, d'exportation et d'importation, pas du tout de simple possession.

La présidente : Excusez-moi, je ne comprends pas très bien là. Si quelqu'un cultive de la marijuana, s'il gagne sa vie, comme on vient d'entendre, il y a des gens qui le font et on nous dit qu’ils ne gagnent pas beaucoup d'argent, mais qu’ils gagnent leur vie en produisant, en cultivant de la marijuana pour les clubs de compassion; cela c'est du trafic, non?

M. Saint-Denis : Madame la présidente, ce n'est pas la possession. Ce dont on parlait il y a deux secondes, mais de la culture.

La présidente : La production.

M. Saint-Denis : On fait la production et les dispositions de ce projet de loi visent certainement les activités de production. Mais en ce qui concerne les activités de production de 200 plants ou moins, il faut que ce soit pour des fins de trafic.

Alors, si vous me posez la question sur les clubs de compassion, je ne sais pas si ces clubs font la production comme telle ou ne font que vendre. S'ils ne font que vendre, ils ne seraient normalement pas visés par ce projet de loi. S'ils font la production pour des fins de trafic, ils seraient visés par le projet de loi.

Le sénateur Joyal : Le serpent commence quelque part! Le club de compassion va le prendre où?

Le sénateur Nolin : Je pense que l'on devrait expliquer à M. Saint-Denis ce qu'on a entendu tout à l'heure; le fournisseur unique du club compassion de Victoria, à l'époque, avait 800 membres; ce fournisseur a été poursuivi au criminel et a été, en passant, absous complètement au procès; les cause est en appel et chemine jusqu’à la Cour suprême. C’est la cause de M. Baron en Colombie-Britannique. Il avait, au moment de la saisie, 1 000 plants. Et il était un employé du club compassion de Victoria. Vous avez là je pense, un résumé; c'est un producteur, c'est un employé. Le club compassion le sait. Tout est illégal; c'est de la production illégale, c'est à la limite du trafic parce qu’il y aura transfert d'une substance interdite entre le club compassion et ses membres. Tout ce qu'on n'a pas dans cela, c'est l'importation. Si on avait creusé un peu, on aurait peut-être trouvé qu'un des membres de Victoria est résidant de Seattle. On n'a pas de témoignages à cet effet, mais les faits que je viens de raconter, c'est la situation : M. Baron a été blanchi par la Cour suprême de Colombie-Britannique, en première instance.

Et avec le projet de loi C-15, tout cela serait illégal et M. Baron serait en prison pour trois ans.

M. Saint-Denis : C'est juste.

Le sénateur Nolin : Est-ce qu'on ne doit pas amender le projet de loi, étant donné que le ministre m'a dit textuellement : « non, M. Nolin, ce n’est pas ce qu’on veut, on veut s'en prendre au crime organisé. »

M. Saint-Denis : Le problème, à ce que je sache, avec les clubs de compassion, c’est qu’il n'y a aucun contrôle sur leurs activités.

Le sénateur Joyal : Vous voulez tous les mettre en prison!

M. Saint-Denis : On ne sait pas précisément à qui ils vendent. Les clubs de compassion maintiennent qu'ils ne vendent qu'aux gens qui ont des ordonnances ou qui s'identifient comme des gens ayant des besoins pour des fins thérapeutiques. C'est ce qu'ils disent. Est-ce que c'est ce qu'ils font? Je ne sais pas exactement si leur vente est exclusivement pour des fins thérapeutiques ou non. On ne le sait pas. Alors, 1 000 plants, cela donne énormément de marijuana comme vous le savez, sénateur Nolin.

Le sénateur Nolin : Mais vous savez, 1 000 plants divisés en 50 types de cannabis différents, parce que les 800 membres ne veulent pas tous avoir le même type de cannabis, cela s'explique.

M. Saint-Denis : Possiblement, mais aucun des clubs de compassion ne sont contrôlés, on n’a pas d’inspecteur, on ne connaît rien au sujet des opérations ni les ventes. Alors, on peut comprendre que le gouvernement ait une certaine appréhension concernant ces activités.

Le sénateur Nolin : Les fois où les tribunaux ont été invités à explorer cette opération, je pense qu’avec les témoignages que l'on a entendus ce soir, on en arrive à la conclusion que les tribunaux ont utilisé leur discrétion pour absoudre ces gens parce qu'ils remplissaient selon eux un besoin. On peut ne pas être d'accord juridiquement, mais la population semble, de toute évidence, être en accord avec cela et les tribunaux l'ont fait.

Est-ce que l'on doit amender le projet de loi pour tenter de réduire au moins la largeur du ratissage qu’il pourra malheureusement effectuer malgré l'intention du ministre?

M. Saint-Denis : Je ne crois pas que je puisse répondre oui ou non à cette question. La seule chose est que je ne sais pas quel genre d'amendement vous pourriez apporter, qui ferait en sorte qu'il n'y aurait pas d'abus si l’on ouvrait la porte à des exceptions de ce genre, sans une certaine surveillance quelconque, soit des agences fédérales ou provinciales. Si on fait des exceptions pour des clubs de compassion, je peux vous garantir que ce sera une porte ouverte qui sera utilisée par la création d'une multitude de clubs de compassion, qui ne seront peut-être pas plus « compassionnés » que leur portefeuille.

Le sénateur Joyal : J’ai une question supplémentaire là-dessus.

La présidente : D'accord. Il y a d'autres questions, ensuite il y aura une dernière intervention du sénateur Nolin.

Le sénateur Joyal : Il faut quand même connaître la réalité. La marijuana que distribuent les clubs de compassion ne tombe pas du ciel comme la manne dans le désert. Ils la prennent quelque part.

Pour éviter d’avoir des peines minimales obligatoires, ils devront s'approvisionner auprès d'une multitude de personnes qui pourront leur fournir moins de cinq plants afin d’éviter la peine minimale obligatoire. Si je lis, à la page 4 du projet de loi C-15 :

à six mois, si l’infraction est commise à des fins de trafic et que le nombre de plantes en cause est inférieur à 201 et supérieur à cinq,

Si je vous prends au mot, c'est ce que cela veut dire.

M. Saint-Denis : C'est juste. Toutefois, il faut quand même reconnaître que les clubs de compassion ne sont pas des organisations légitimes face à la loi. Ce sont des organisations qui distribuent de la marijuana illégalement. On n'a pas créé une exception. Même dans le contexte de la distribution ou de l'accès à la marijuana à des fins thérapeutiques, on n'a pas permis la création d'une organisation qui pourrait se livrer à la distribution en grande quantité. On a un régime qui permet la possession individuelle ou de façon plus récente maintenant, la production pour deux personnes. Et puis, c'est tout. C'est ce que l'on a maintenant avec les règlements concernant l'accès à la marijuana aux fins thérapeutiques. Des clubs de compassion ne sont pas légitimes.

Le sénateur Nolin : Pour les rendre un peu plus légitime, les tribunaux ont utilisé l'article 730 du Code criminel à leur discrétion pour absoudre ces gens-là tout en les reconnaissant coupables. Peut-être qu'un amendement verrait à redonner au tribunal ce type de discrétion.

M. Saint-Denis : Possiblement.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Il y a eu beaucoup de discussions autour de cette table de la part des témoins qui ont fait des commentaires au sujet des dispositions du projet de loi C-15 en matière de trafic. En particulier, les dispositions qui constituent l’article 1, comme vous le savez certainement, qui modifie l’alinéa 5(3)a) de la loi. Cette modification de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prévoit, d’après ce que je comprends, une échelle progressive de peines minimales obligatoires qui s’appliquent au trafic de drogues.

J’ai le sentiment, à écouter les commentaires des témoins, qu’il existe une certaine confusion sur la notion de trafic, et peut-être une incompréhension des circonstances aggravantes qui sont mentionnées — non seulement mentionnées, mais qui font partie intégrante de cet article. Peut-être que tout le monde comprend bien la notion, mais j’ai entendu suffisamment de commentaires à ce sujet pour me demander si c’est bien le cas.

Pourriez-vous nous expliquer les rapports qui existent entre les circonstances aggravantes et la notion de trafic tel que cela figure à l’article 1 du projet de loi?

M. Saint-Denis : Je pense qu’il faut commencer par la définition de trafic. Le trafic couvre toute une gamme d’activités, y compris le fait de donner, de vendre, de vendre sans contrepartie, par exemple. La façon la plus simple d’expliquer le trafic est que la peine minimale ne s’applique aux affaires de trafic que si l’une de ces circonstances est présente.

Par conséquent, si je donne un joint à mon ami, je fais le trafic, mais je ne risque pas une peine minimale obligatoire. Ce n’est pas le but du projet de loi. Il vise les affaires concernant, par exemple, le crime organisé ou celles où il y a recours aux armes ou à la violence. Le simple trafic, même s’il y a une contrepartie financière, n’est pas visé. Il faut que s’ajoute une circonstance aggravante — pas n’importe laquelle, mais une des circonstances aggravantes énumérées — pour déclencher l’application d’une peine minimale.

Le sénateur Wallace : Avez-vous la liste des circonstances aggravantes devant vous?

M. Saint-Denis : Oui.

Le sénateur Wallace : Il n’est pas nécessaire de les lire une à une, mais pouvez-vous mentionner la nature de chacune des circonstances aggravantes concernant le trafic, pour que cela soit clair?

M. Saint-Denis : Après le trafic, il faut établir soit que la personne a commis l’infraction pour un groupe criminel organisé, que la personne a utilisé ou menacé d’utiliser une arme ou la violence. Cela déclenche l’application d’une peine minimale d’un an. Il y a une quatrième circonstance aggravante que je ne devrais pas oublier, qui est le cas où l’accusé a déjà été déclaré coupable. Cela lui vaudra une peine minimale d’un an.

Il y a un autre aspect qui entraîne l’imposition d’une peine minimale de deux ans. Si le trafic a lieu dans une école ou à proximité d’une école, ou dans un endroit public habituellement fréquenté par les personnes de moins de 18 ans, si le trafic a lieu dans une prison ou si la personne utilise un adolescent pour commettre l’infraction de trafic, si une de ces circonstances est présente, l’accusé fera l’objet de la peine minimale de deux ans.

En l’absence de ces circonstances, il n’y a pas de peine minimale. Le simple fait de vendre, de donner ou de transporter, en l’absence de ces différentes circonstances, n’entraîne pas l’imposition d’une peine minimale.

Le sénateur Wallace : Vous avez parlé d’un des paragraphes de l’article 1, la nouvelle division 5(3)a)(ii)(A), qui parle d’une circonstance aggravante qui peut entraîner une peine minimale d’emprisonnement de deux ans. Cette disposition fait référence à la perpétration d’une infraction. Je vais la paraphraser et citer la partie que je vous demande de commenter : « dans tout autre lieu public normalement fréquenté par des personnes de moins de 18 ans ou près d’un tel lieu. »

Nous avons entendu des commentaires au sujet de ce qui peut sembler constituer une ambiguïté dans cette disposition. Comment savoir qu’un endroit est fréquenté par des personnes de moins de 18 ans? Est-ce que cette expression apparaît ailleurs dans le Code criminel ou savez-vous comment les tribunaux ont interprété cette disposition?

M. Saint-Denis : Elle figure à l’heure actuelle dans les lignes directrices en matière de peine de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. C’est un des facteurs qu’un tribunal doit prendre en considération à titre de circonstance aggravante possible. L’expression que vous trouvez ici s’inspire d’une expression qui figure à l’heure actuelle dans la LDS.

Dans ce contexte, je ne pense pas que cette expression ait été interprétée par les tribunaux, qu’ils lui aient donné un sens particulier, mais les tribunaux sont tout à fait capables de régler ce genre de question. Nous ne pensons pas que cette disposition puisse faire problème.

Le sénateur Wallace : Puis-je poser une autre question?

La présidente : Voulez-vous me laisser poser une question supplémentaire, sénateur Wallace?

Le sénateur Wallace : Certainement.

La présidente : C’est une circonstance aggravante — l’expression « dans tout autre lieu public… ou près d’un tel lieu. » Je veux que cela soit bien clair; vous ne connaissez pas de jurisprudence portant sur cette expression, de sorte que nous ne savons pas le sens que les tribunaux donneront à cette disposition. Est-ce bien exact?

M. Saint-Denis : À ma connaissance, cette expression n’a pas été interprétée. Par contre, cela ne veut pas dire qu’elle n’a jamais été utilisée.

La présidente : Nous avons entendu les témoignages d’avocats, et dans un cas, celui d’un juge à la retraite, qui disaient que cette expression était très large. L’exemple que je cite régulièrement pour essayer d’obtenir une réponse est un arrêt d’autobus fréquenté non seulement par les enfants, mais par les adultes. Ne pouvez-vous pas nous donner quelques indices sur la façon dont cette disposition sera probablement appliquée?

M. Saint-Denis : Je peux vous donner une idée générale dans le sens que je ne pense pas qu’un arrêt d’autobus soit visé par cette expression, mais il est possible que certaines parties d’un centre d’achat le soient. Bien évidemment, les écoles sont visées, mais elles sont de toute façon mentionnées dans cette disposition. Les terrains de jeux sont l’un de ces lieux, par exemple.

C’est là le genre de choses dont s’occupent les tribunaux. Oui, la formulation de cette expression est large; mais sans aller jusqu’à énumérer tous les lieux susceptibles d’être visés, nous avons préféré retenir l’idée générale; le principe que nous voulions établir.

Je suis d’accord avec vous et avec les témoins qui ont dit que cette expression avait une large portée, mais les tribunaux sont tout à fait capables de la définir.

La présidente : Excusez-moi, je sais que c’est votre temps de parole, sénateur Wallace, et vous en serez dédommagé, mais étant donné que ce sujet a été soulevé, je veux être sûre de bien comprendre. Si j’ai bien compris, cette expression existe déjà et constitue une ligne directrice en matière de détermination de la peine.

M. Saint-Denis : C’est exact.

La présidente : Mais ici, elle déclenche quelque chose; ce n’est plus une ligne directrice.

M. Saint-Denis : C’est exact.

La présidente : C’est une règle stricte qui impose une peine minimale obligatoire, et c’est la raison pour laquelle cette disposition n’accorde pas au tribunal le même pouvoir discrétionnaire que celui qu’il peut appliquer lorsque l’expression constitue une simple ligne directrice. Je repose la question. Au-delà de l’affirmation selon laquelle les tribunaux peuvent régler tous les problèmes que nous leur soumettons, nous n’avons pas d’éléments plus précis permettant de comprendre le sens de ces mots.

M. Saint-Denis : Je crains qu’il n’y ait rien de plus précis. Nous avons écarté l’idée, mais nous avons envisagé d’énumérer les lieux où ces activités pouvaient être exercées. Cette liste aurait peut-être été très longue.

La présidente : Il y a déjà des tribunaux qui ont déclaré que l’expression « centre communautaire » était trop vague.

M. Saint-Denis : Les « centres communautaires » pourraient être très vagues selon le centre communautaire considéré. Cela dépend des faits de l’affaire.

La présidente : Il y aura donc des litiges.

Je vous remercie, sénateur Wallace, pour votre patience.

Le sénateur Wallace : Pour revenir à votre remarque, madame la présidente, sur l’objectif de ce paragraphe, il vise évidemment à protéger le plus possible les jeunes, ceux de moins de 18 ans, pour qu’ils ne soient pas victimes du trafic de drogues. C’est l’objectif essentiel de la disposition. Je suppose que nous pouvons débattre de la portée de l’expression, mais je sais en me basant sur ma propre expérience que les tribunaux interprètent couramment les termes qui figurent dans les lois. Cette interprétation n’a rien d’extraordinaire, l’admettez-vous?

M. Saint-Denis : Je suis tout à fait d’accord. Comme vous l’avez fait remarquer à juste titre, l’idée était d’éviter que les jeunes soient en contact avec les drogues ou le trafic de drogues, avec des activités liées aux drogues.

Le sénateur Wallace : Nous avons entendu de nombreux témoignages et de nombreuses opinions sur l’efficacité des peines minimales obligatoires. Monsieur Saint-Denis, connaissez-vous l’histoire des peines minimales obligatoires qui font partie du Code criminel ou de lois connexes? Pouvez-vous nous en faire l’historique? Combien de peines minimales obligatoires y a-t-il? Sont-elles apparues et pendant quelle période?

M. Saint-Denis : Je crains ne pas être en mesure de vous fournir une description détaillée de l’histoire des peines minimales obligatoires, que ce soit dans le code ou ailleurs. Elles ont toutefois formé une partie des dispositions du Code criminel. Il n’y en a pas beaucoup. En fait, il y avait, à un moment donné, une peine minimale pour une infraction reliée aux drogues. L’infraction d’importation comportait une peine minimale depuis, je crois, 1960 aux termes de l’ancienne Loi sur les stupéfiants. Cette disposition a été invalidée. La peine minimale était de sept ans d’emprisonnement et l’article ne tenait pas compte de la possibilité qu’un tribunal puisse être obligé d’imposer une peine minimale de sept ans pour l’importation d’une petite quantité de drogues; la Cour suprême a donc invalidé cette disposition.

La Cour suprême a été amenée à examiner les peines minimales du code et pourvu qu’il existe un lien rationnel entre l’infraction et la peine, les tribunaux ont confirmé ou maintenu ces peines. Après le terrible événement qui s’est produit à Montréal au cours duquel un certain nombre de femmes ont été tuées à coups de fusil, nous avons introduit un certain nombre d’infractions reliées aux armes à feu passibles d’une peine minimale de quatre ans d’emprisonnement dont la plupart ont été contestées, mais dont la validité a été confirmée.

Le sénateur Wallace : Si j’ai bien compris, les peines minimales obligatoires ne sont pas une chose récente.

M. Saint-Denis : Non.

Le sénateur Wallace : Si j’ai bien compris, il y en a 44 dans le Code criminel, qui remontent jusqu’en 1976, et parmi ces 44, 34 d’entre elles ont été adoptées avant 2006. Savez-vous si c’est bien le cas?

M. Saint-Denis : Je n’en suis pas certain, mais je sais que les peines minimales obligatoires font partie de notre code depuis que je m’en occupe et je le fais depuis 1981. Les peines minimales obligatoires ne sont donc pas inhabituelles.

Si nous laissons de côté le contexte canadien, sur le plan international, les peines minimales dans le domaine des drogues ne sont pas du tout inhabituelles. Plusieurs pays en ont adopté, y compris des pays européens, des pays d’Afrique et d’Asie. Certaines peines minimales sont extrêmement sévères, d’autres le sont moins. Les peines minimales font partie du régime des peines dans la plupart des pays, en particulier dans le domaine des drogues.

Le sénateur Wallace : Je vous remercie.

La présidente : Question supplémentaire : J’ai vu des commentaires d’après lesquels, dans la plupart, je dirais, des pays démocratiques, parce que c’est ce dont parlait ce commentaire, qui avaient adopté des peines minimales dans leur Code criminel, ces codes prévoyaient également, habituellement, la possibilité pour les tribunaux d’exercer leur pouvoir discrétionnaire et d’écarter ces peines minimales obligatoires lorsque les circonstances le justifiaient. Est-ce un résumé assez juste de ce que font la plupart des autres pays, d’après vous?

M. Saint-Denis : Honnêtement, je ne peux pas vous le dire. J’ai fait une brève recherche sur cette question, mais je n’ai pas examiné cet aspect. Cela ne veut pas dire que c’est effectivement le cas ou que ça ne l’est pas. Je n’en sais rien.

La présidente : Je sais que je vous en demandais beaucoup, mais il est toujours bon d’essayer d’obtenir des renseignements.

Le sénateur Wallace : Question supplémentaire à cette question. D’après ce que j’ai compris, le tribunal a la possibilité de ne pas imposer la peine minimale obligatoire prévue par le projet de loi dans le cas d’un accusé qui suit un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie ou un programme provincial.

M. Saint-Denis : Lorsqu’il y en a.

Le sénateur Wallace : Oui; à la fois les programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie et les services provinciaux de traitement de la toxicomanie, qui à eux deux desservent une grande partie du territoire, vous en conviendrez, j’en suis sûr.

M. Saint-Denis : Il a ce pouvoir, plus un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la présentation de preuves concernant les circonstances aggravantes. S’il existe des circonstances aggravantes, mais que pour une raison ou une autre, la Couronne choisit de ne pas les mentionner, alors le tribunal n’imposera pas de peine minimale obligatoire.

Le sénateur Milne : Monsieur Saint-Denis, puis-je déduire de votre réponse que vous dites que finalement cette loi confie cette décision au poursuivant et non pas au tribunal.

M. Saint-Denis : Cela dépend de quel aspect vous voulez parler.

Le sénateur Milne : Je fais référence à la réponse que vous avez donnée au sénateur Wallace.

M. Saint-Denis : J’ai déclaré qu’il existait un certain pouvoir discrétionnaire.

Le sénateur Milne : Pour ce qui est des accusations à porter.

M. Saint-Denis : C’est la situation actuelle.

Le sénateur Milne : Oui, mais ce projet de loi permet que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé en secret et en l’absence de tout contrôle public. C’est l’effet du projet de loi.

M. Saint-Denis : C’est ce que prévoit également le droit actuel.

Le sénateur Milne : M. Saint-Denis, lorsque j’ai entendu la réponse que vous avez donnée au sénateur Nolin, cela m’a un peu irritée. Votre première réponse a été de dire « Dans ce projet de loi. » De quelle autre loi parlons-nous en ce moment même. C’est de cette loi dont nous parlons. Vous avez également utilisé le mot « peut-être » quatre ou cinq fois dans votre première phrase. J’espère que vous n’essayez pas d’éviter de répondre aux questions, parce qu’il me semble que c’est dans cette voie que vous vous engagez.

Nous avons entendu ici le témoignage de Thomas Kerr, du Centre for Excellence in HIV/AIDS. Il a parlé du problème que constituait l’emploi de l’expression « organisation criminelle » dans ce contexte. Son étude, qui portait apparemment sur la vente des drogues illicites chez les toxicomanes de la rue dans le Downtown East Side de Vancouver, lui a permis de constater que les vendeurs de drogues qui étaient eux-mêmes des consommateurs, travaillaient habituellement par groupe de quatre : un rabatteur, un vendeur, un détenteur et un percepteur. Ce sont les toxicomanes les plus gravement défavorisés qui, d’après lui, jouent ces rôles.

Si j’ai bien compris, selon le Code criminel, un groupe de trois personnes constitue une organisation criminelle. Un groupe de quatre personnes en constitue certainement un. Est-ce que la peine minimale s’appliquerait à ces personnes? Ce projet de loi est-il conçu pour attraper les personnes de notre société qui sont les plus vulnérables?

M. Saint-Denis : Vous posez la question suivante : Est-ce que ce projet de loi a été conçu dans ce but? Non.

Le sénateur Milne : Sera-ce l’effet du projet de loi?

M. Saint-Denis : Est-ce que cela arrivera? Il est possible que cela arrive, oui.

Le sénateur Milne : Je trouve ce projet de loi de plus en plus décourageant.

Des partisans de l’utilisation médicale de la marijuana nous ont dit qu’une des raisons pour lesquelles les médecins ne prescrivaient pas la marijuana médicale aux gens qui en avaient besoin était que, pour le faire, ils devaient remplir un formulaire de 30 pages. Le gouvernement a-t-il l’intention de réviser le règlement actuel pour éviter cela?

M. Saint-Denis : Je ne peux pas vous le dire. Je ne le sais pas.

La présidente : Cela relève-t-il de Santé Canada?

M. Saint-Denis : Cela relève de Santé Canada.

La présidente : Le formulaire de 30 pages et ce règlement?

M. Saint-Denis : C’est exact.

Le sénateur Nolin : Il y a plus; le ministre de la Santé est le ministre responsable de la LDS.

M. Saint-Denis : C’est également exact.

Le sénateur Milne : Nous tournons en rond.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir sur la question des clubs de compassion parce que votre réponse a été, comme on dit en anglais, « illusive ». C'est mon opinion; je peux me tromper. Cependant, je pense qu’il est important pour nous — qui allons être appelés à voter sur ce projet de loi — de savoir ce que nous faisons pour nous éviter de découvrir, lorsque la loi sera interprétée, que l’on a récupéré, à l'intérieur du Code criminel, les clubs de compassion parce que l'on nous a dit ce soir qu'aucun d'entre eux n'avait été condamné jusqu'ici à l'intérieur des dispositions du Code criminel.

Selon votre réponse, tous ces clubs pourraient être accusés, trouvés coupables et sujets à des sentences minimums parce qu'ils doivent s’approvisionner en cannabis quelque part. À moins qu'ils l’achètent de producteurs qui en cultivent moins de cinq plants, ils tomberaient automatiquement à l'intérieur des dispositions de ce projet de loi s'ils en achètent plus que cinq, avec des peines allant de six mois à neuf mois à un an ou à 18 mois, selon la quantité.

Dans votre esprit, quel objectif aviez-vous à l'égard des clubs de compassion lorsque vous avez rédigé ce projet de loi?

M. Saint-Denis : Comme je l'ai indiqué plus tôt, les clubs de compassion ne sont pas légitimes, ce sont des clubs qui se livrent à des activités illégales.

Le sénateur Joyal : Pourquoi les tribunaux ne les ont-ils pas condamnés antérieurement?

M. Saint-Denis : C'est à la discrétion des juges.

Le sénateur Joyal : Et pourquoi les juges ont utilisé cette discrétion? Est-ce parce que les juges ont conclu qu'ils remplissaient une vocation et qu’ils répondaient à un besoin social que le gouvernement n'avait pas lui-même satisfait?

M. Saint-Denis : C'est fort possible.

Le sénateur Joyal : Justement. Vous venez de confirmer ce que je crains. Le gouvernement n'a pas changé sa capacité d'approvisionner les personnes qui ont actuellement le droit de consommer de la marijuana à des fins médicales. Il n'a pas amélioré ses capacités de donner à ces personnes de la marijuana en qualité et en quantité suffisante, et il y a eu une espèce de réponse du milieu. Les tribunaux ont reconnu que cette façon de répondre aux besoins n’était peut-être pas ce que le gouvernement envisageait, mais qu’elle répondait à un besoin social particulier. Par les effets de cette loi, on va tous les rendre illégaux, mais l'approvisionnement va rester le même, c'est-à-dire pauvre et insuffisant.

Si c'est ce que l’on fait avec ce projet de loi, on a un problème. Au ministère de la Justice, les problèmes sociaux vous concernent un peu moins, car ils relèvent du ministère de la Santé. Cependant, comme législateurs, lorsque nous étudions un projet de loi, il faut se préoccuper de la légalité du geste, mais également de l'impact social que le projet de loi aura sur un groupe de la population qui est défavorisé ou qui est aux prises avec un besoin particulier.

Lorsque vous rédigez un projet de loi, vous ne pouvez pas ignorer l'impact qu’il aura sur un certain nombre de citoyens, qui vont tous se retrouver en prison le lendemain avec des traitements tout à fait insuffisants. Vous avez lu les témoignages comme nous. Si vous pouviez nous dire : « Ne vous en faites pas, il y a des traitements disponibles en prison. Ne vous en faites pas, il y a tout ce qu'il faut pour les psychologues, les consultants, les médecins, et cetera. Ne vous en faites pas, le nombre de sidéens dans les prisons est en diminution. Ne vous en faites pas, les personnes qui sortent de prison sont en meilleure santé que lorsqu'elles y rentrent » — alors que 20 p. 100 de celles qui sortent de prison ont le sida.

Vous ne pouvez pas me demander d'adopter un projet de loi en me fermant les yeux et en me disant : « Tout va aller très bien, Madame la Marquise, demain matin dans les prisons canadiennes. »

M. Saint-Denis : Ce projet de loi n'a pas comme objectif d'essayer de régler tous problèmes qui existent...

Le sénateur Joyal : Non, mais vous allez en créer plus avec ce projet de loi. C'est cela mon problème!

M. Saint-Denis : Vous avez posé des questions intéressantes, mais au ministère de la Justice, on ne pouvait certainement pas essayer de créer des exceptions aux dispositions que l'on a ici pour des activités que nous reconnaissons comme étant illégales. Vous devez admettre que le ministère de la Justice ne peut pas permettre aux gens de se livrer à des illégalités. On ne pouvait pas créer une exception pour une activité que nous reconnaissons comme étant illégale.

Vous avez entendu des témoins des clubs de compassion. J'ose croire que ce ne sont pas les seuls clubs de compassion qui existent au Canada. Il y en a plusieurs. Je ne sais pas s’ils ont le niveau de contrôle que les gens présents prétendent avoir chez eux, mais je sais qu'il y a des cas où le club de compassion vend de la marijuana à des fins thérapeutiques pour des maux qui sont quand même relativement mineurs. « Je me sens un peu stressé, est-ce que je peux avoir un joint s'il vous plaît? »; « Ça va mal aujourd'hui, je suis déprimé. Est-ce que je peux avoir un joint s'il vous plaît? »

Lorsqu'on étudiait les règlements concernant l'accès à la marijuana à des fins thérapeutiques, ce n’était pas ce genre de maux que nous visions. Je dois quand même avouer une certaine confusion concernant ce genre d'enthousiasme pour une drogue pour laquelle on n’a presque aucun test. On sait que la marijuana aide dans certains cas très spécifiques, mais pour une raison historique quelconque, on n’a pas beaucoup d'information concernant la valeur thérapeutique de la marijuana. Il y a énormément de gens qui disent que c'est bon pour eux. Cela a une certaine valeur, mais ce ne sont pas des preuves scientifiques. Les médicaments testés en profondeur par la communauté scientifique médicale sont sous un contrôle beaucoup plus sévère que celui qu’on veut imposer sur une drogue pour laquelle il y a très peu de preuves scientifiques quant à sa valeur thérapeutique.

Alors, lorsque l'on vient me dire que les clubs de compassion font un travail intéressant et qu'ils sont utiles, d'accord, mais je reste quand même un peu hésitant à accepter sur parole 100 p. 100 de ce qu'ils disent.

Tenant compte du fait que c'est le ministère de la Justice et que l'on a affaire à des activités illégales, le ministre de la Justice ne peut tout simplement pas créer des exceptions pour permettre des activités qui sont reconnues comme étant illégales selon la loi. Je regrette.

Le sénateur Joyal : Et que les tribunaux n'ont jamais voulu sanctionner.

M. Saint-Denis : Les tribunaux étant ce qu'ils sont, il n'est pas tout à fait juste de dire qu’ils n'ont jamais voulu sanctionner. Il y a un cas, celui d'un individu, dont j'ai malheureusement oublié le nom, à Montréal, qui était à la tête d'un club de compassion et qui a été condamné.

Il faut faire une distinction entre ce qui se passe dans les tribunaux en Colombie-Britannique, où l’on reconnaît qu'il y a parfois des décisions qui sortent un peu de l'ordinaire, d'une part, et ce qui se passe à ailleurs au Canada, d'autre part.

Le sénateur Nolin : J’aurais une question sur le pouvoir discrétionnaire des juges dans d'autres juridictions. Le ministère de la Justice a publié, en 2006, une étude qui a examiné les pays de common law, principalement les pays du Commonwealth, nos alliés les plus près, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et ainsi de suite. Je n’ai même pas besoin d'aller dans le texte en profondeur, dans les faits saillants, c'est encore plus facile pour les journalistes qui ne veulent pas tout lire, on y lit que la plupart des autres instances — par rapport au Canada — qui ont créé des peines d'emprisonnement obligatoires accordent à leurs tribunaux un certain pouvoir judiciaire discrétionnaire. En effet, la clause de pouvoir judiciaire discrétionnaire permet aux juges d'imposer une peine moins lourde dans les cas de circonstances exceptionnelles.

C'est chez vous, quand même. Je comprends que vous ne l'ayez pas lu, mais il y a dû y avoir quelqu'un qui vous en a parlé en bout de ligne, justement pour couvrir la situation des clubs de compassion auxquels mon collègue Joyal fait référence. Il faut croire qu'à part le cas de M. Saint-Onge à Montréal, les juges ont tous absout les clubs de compassion parce qu'ils avaient un pouvoir discrétionnaire.

M. Saint-Denis : Vous avez raison, j'oubliais ce rapport.

Le sénateur Nolin : Je dis M. Saint-Onge, mais c'est peut-être M. Saint-Maurice. Je ne veux pas que le nom de M. Saint-Onge soit retenu, mais il y a une personne de ce nom dans l'opération. C'est quand même majeur. Il faut laisser à quelqu'un, en bout de ligne, la possibilité de ne pas avoir envoyé en prison obligatoirement quelqu'un qui a été trouvé coupable, si l’on découvre que la loi n'avait pas prévu l'excuse qui se produit.

M. Saint-Denis : Vous avez tout à fait raison. Ce rapport fait état d'une juridiction où l’on a permis une certaine discrétion aux juges. Lorsque madame la présidente me posait la question, je ne pensais pas à ce rapport, mais à d'autres cas. C'est juste. Il y a des juridictions, des pays, où l’on a permis une discrétion aux tribunaux même dans le contexte d'un régime qui prévoyait des peines minimales.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais poser une question supplémentaire sur ce point.

Monsieur Saint-Denis, je pense aux réserves répétées que vous avez émises au sujet des clubs de compassion et de l’idée d’accorder une protection légale aux organisations qui n’ont pas de permis, qui ne sont pas réglementées et qui ne sont même pas légales selon le droit actuel.

Cependant, serait-il contraire à l’économie et à l’objet de ce projet de loi d’accorder un certain pouvoir discrétionnaire lorsque le juge est convaincu que la production ou la distribution de la marijuana vise une fin thérapeutique et que l’imposition d’une peine minimale obligatoire serait trop sévère dans les circonstances? Je ne parle pas en ce moment des clubs de compassion, qui sont des organisations. Je parle du but de l’activité en question. Une telle exception serait-elle contraire à l’objet du projet de loi tel qu’il nous a été expliqué?

M. Saint-Denis : Lorsque je pense aux clubs de compassion, je pense toujours à la distribution de marijuana.

La présidente : Je ne parle pas des clubs de compassion. Je parle d’un juge devant lequel l’expression « club de compassion » n’a jamais été mentionnée, mais d’un tribunal où l’accusé est inculpé de cultiver ou de fournir de la marijuana à une fin thérapeutique; l’accusé réussit à démontrer qu’il a agi véritablement dans un but thérapeutique et non pas en fait à des fins récréatives.

Je pensais avoir entendu le ministre et tous les autres dire que l’utilisation thérapeutique n’était pas l’activité que le projet de loi essayait de réprimer, qu’il n’imposerait pas de peine minimale obligatoire dans ce genre de cas. Comprenez-vous ce que je vous demande? Si ce n’est pas le cas, je vais essayer encore une fois.

M. Saint-Denis : Oui, je vous comprends parfaitement. Vous avez parlé de deux situations. La première concerne une certaine forme de distribution, et l’autre, la fourniture.

La présidente : La production ou la fourniture.

M. Saint-Denis : Pour ce qui est du volet distribution, le projet de loi ne visera pas cette activité. Pour ce qui est du trafic, à moins que les clubs de compassion ne fassent le trafic au bénéfice d’une organisation criminelle ou qu’il le fasse de façon très évidente, les circonstances aggravantes prévues par le projet de loi ne s’appliqueront pas à ces situations.

Ce qui nous laisse la question de la production. Vous demandez si un tel pouvoir discrétionnaire judiciaire irait à l’encontre de l’économie du projet de loi. Je dirais que, techniquement, oui, parce que le projet de loi ne prévoit pas ce genre de situation. Si le comité estime qu’il serait bon d’introduire une exception ou une disposition de ce genre, alors il devra le décider lui-même, mais cela ne correspondrait pas à ce qui figure dans le projet de loi.

La présidente : Même si cela était conforme aux assurances qui nous ont été données par les auteurs du projet de loi? Je ne sais pas; je vais devoir réfléchir à la question. Ce sont là les questions auxquelles nous allons réfléchir. J’ai trouvé votre réponse intéressante.

Vous aviez une autre question, sénateur Nolin?

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Saint-Denis, je veux revenir sur votre qualification des sentences et des décisions des tribunaux de la Colombie-Britannique. On a entendu, un seul témoin qui a produit une étude à l'Université Simon Fraser sur ce qu'il prétend être une tendance manifeste de la part des tribunaux de la Colombie-Britannique à donner des peines inférieures à ce qu'elles devraient être.

À partir de ce témoignage, on a systématiquement posé la question à tous ceux qui sont venus devant nous, qui, de près ou de loin, pouvaient apprécier le travail des tribunaux. Tout le monde, sans exception, a contredit cette étude avec d'autres études à l'appui. Des professeurs, des juristes, une juge à la retraite, tout le monde a contredit cette étude.

Vous me ramenez à ce constat qu'au ministère de la Justice, on fait une distinction entre le travail de la magistrature de la Colombie-Britannique et celle du reste du Canada. J'aimerais au moins comprendre sur quoi vous assoyez votre opinion.

M. Saint-Denis : C'est surtout sur des perceptions telles que l'on nous les a transmises par nos plaideurs en Colombie-Britannique. C’est peut-être parce qu'ils sont voisins de l'Alberta ou que la même infraction est peut-être assujettie à une punition plus sérieuse, mais certainement que la perception de nos procureurs en Colombie-Britannique est que l'on a souvent vu des décisions qui menaient à des sentences qui étaient, d'après eux, plutôt légères.

Le sénateur Nolin : Votre collègue du ministère fédéral de la Justice, qui a travaillé à la cause Beren, a dû être surpris de la décision de la juge Koenigsberg, même s’il s’y attendait un peu, quand celle-ci a reconnu M. Beren coupable et a donné une sentence qui l'a absout inconditionnellement.

Je crois que nous devons mettre de côté l'usage thérapeutique du cannabis pour plutôt nous concentrer sur les infractions telles le trafic d’importation.

Le témoin précédent nous a cité quelques causes où les sentences minimales imposées ne vont vraiment pas dans le sens de celles imposées par les tribunaux de la Colombie-Britannique. Dans un cas, une personne s’est vue condamnée à huit ans de prison pour avoir importé six grammes de cocaïne. Cette personne a dû trouver son voyage plutôt couteux.

M. Saint-Denis : Sans doute, mais il y avait peut-être d'autres facteurs aggravants.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la question des circonstances aggravantes.

[Traduction]

Le sénateur Wallace a soulevé ce point. C’est un point sur lequel j’aimerais obtenir une précision.

[Français]

J’aimerais un éclaircissement sur la circonstance aggravante à laquelle on se réfère au paragraphe (D), en haut de la page 2 du projet de loi.

[Traduction]

À la page 2, le projet de division (D) en haut de la page :

a, au cours des 10 dernières années, été reconnue coupable d’une infraction désignée ou purgé une peine d’emprisonnement…

[Français]

Comment dois-je interpréter cette disposition?

M. Saint-Denis : On parle de deux périodes, soit celle où l'individu est condamné et le moment où sa sentence d'emprisonnement prend fin. On cherchait à s'assurer qu’un individu incarcéré, ne pouvant donc pas être condamné pour une infraction liée aux drogues dans les cinq dernières années étant donné qu'il était en prison, ne pourrait bénéficier du fait qu'il n’a pas été condamné dans les 10 dernières années.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous répéter votre réponse?

M. Saint-Denis : Prenons l’exemple d’une personne condamnée qui, au cours des 10 dernières années, a passé cinq ans en prison. Le fait de ne pas avoir commis d'infraction, n’en étant pas capable, car il était en prison, ne devrait pas compter en sa faveur. Par conséquent, cette période de 10 ans compterait seulement à partir du moment où l’individu a quitté le milieu carcéral et non à partir du moment où il a été condamné.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Ce n’est pas la façon dont j’ai interprété cette disposition. Ce n’est pas la façon dont j’ai compris le projet de loi. Je vais vous expliquer comment je l’ai interprété quand je l’ai lu. Je ne suis pas avocat; je lis simplement cette disposition et je veux la comprendre.

La personne « a… été reconnue coupable d’une infraction désignée, » cela veut dire d’après moi que parmi les infractions désignées, la personne a été trouvée coupable de trafic; cette personne a donné une pilule d’ecstasy à quelqu’un d’autre au cours d’un rave et a été déclarée coupable. Cet alinéa dit, d’après moi, que la personne a été déclarée coupable « d’une infraction désignée ou » — de sorte que c’est là une autre circonstance — « purgé une peine d’emprisonnement relativement à une telle infraction [au cours des 10 dernières années]. »

D’après mon interprétation de cette disposition, l’autre circonstance est que la personne a été détenue parce qu’elle purge une peine. Cela veut dire qu’elle a bien pu purger une peine d’un jour, de deux mois, de cinq ans ou de neuf ans. Pour moi, cette deuxième circonstance et ces deux conditions devraient concerner les 10 années précédentes, d’après la version anglaise, parce que « within the previous 10 years » (au cours des 10 dernières années) peut aussi bien viser la personne qui a été déclarée coupable que le fait de purger une peine d’emprisonnement. La façon dont cette disposition est rédigée n’est pas aussi limpide que vous pouvez souhaiter nous l’expliquer ce soir.

M. Saint-Denis : Nous pensions qu’elle était claire, mais peut-être qu’à force de la travailler, nous avons acquis une compréhension du but à atteindre et ce n’est peut-être pas ce que dit la forme finale. Cependant, lorsque je lis cette disposition, j’estime que cette période de 10 ans commence soit à partir du moment où la personne a été déclarée coupable ou à partir du moment où la personne a fini de purger sa peine d’emprisonnement. Il est possible d’être déclaré coupable sans être envoyé en prison, comme vous le savez.

Le sénateur Joyal : Oui, bien sûr. L’accusé peut obtenir une absolution.

M. Saint-Denis : Il peut obtenir une absolution, ou il peut obtenir une libération conditionnelle ou un certain nombre de choses.

L’accusé peut être déclaré coupable et purger une peine d’emprisonnement. Nous avons pensé qu’il était bon d’avoir une disposition qui parlait de condamnations antérieures au cours des 10 dernières années, mais si neuf de ces dix dernières années avaient été passées en prison, alors cette personne n’aurait pas eu la possibilité de commettre une infraction reliée aux drogues.

Le sénateur Joyal : Ce n’est pas ce que nous avons entendu.

M. Saint-Denis : C’est du moins la théorie.

La présidente : Puis-je poser une question supplémentaire?

M. Saint-Denis : L’objet de cette disposition est d’accorder un avantage à la personne qui n’a pas fait l’objet de condamnation pendant une période de 10 ans.

Si l’accusé a été condamné il y a 11 ans, alors il n’y a pas de circonstance aggravante, ou si l’accusé a purgé une peine d’emprisonnement qui s’est terminée il y a 11 ou 12 ans, et qu’il commet une autre infraction désignée, alors il n’y a pas de circonstance aggravante.

Cependant, si l’accusé est sorti de prison après avoir purgé neuf ans d’emprisonnement et commet une deuxième infraction désignée, une deuxième circonstance aggravante, alors cette circonstance entre en jeu.

La présidente : Je retire ma question supplémentaire.

[Français]

Le sénateur Nolin : L'article 10 de la loi, sous l’alinéa « Détermination de la peine », on prévoit une série de circonstances aggravantes. À l’alinéa 10(2)b), on retrouve ce qui suit : « a déjà été reconnue coupable d'une infraction désignée ». présume que c'est là que vous avez puisé les circonstances — qu’on ne peut plus appeler aggravantes, car elles font partie de l'actus reus de l'infraction.

M. Saint-Denis : Oui.

Le sénateur Nolin : Madame la présidente, sans être avocate, a souligné un problème majeur. On voit une énorme différence entre le juge qui apprécie les circonstances aggravantes, comme il est fait mention au présent article 10, et le juge qui est confronté à un élément constitutif qui le force à rendre une décision. Vous durcissez alors la situation constitutive en y ajoutant cet élément de purger une sentence, donc du temps d'incarcération, à l'intérieur de cette période de 10 ans.

M. Saint-Denis : En effet.

Le sénateur Nolin : À la limite, on parle d'une double sentence pour une même infraction.

M. Saint-Denis : Je dirais non.

Le sénateur Nolin : Du moins, certains tenteront de le voir ainsi.

M. Saint-Denis : Je ne crois pas.

Le sénateur Nolin : Non?

M. Saint-Denis : La période de 10 ans commence soit à partir du moment où l'individu est trouvé coupable ou à partir du moment où il a complété sa sentence carcérale.

Le sénateur Nolin : Je comprends, mais pourquoi ne vous êtes-vous pas limité à ce dont on parle à l’article 10?

M. Saint-Denis : C'est parce qu'on a cru qu'il était important de couvrir la situation de l'individu, qui avait été en prison et qui n’avait pas commis d'infraction ou n’avait pas été condamné pour une infraction, parce qu'il était justement à l’intérieur du dix ans.

Le sénateur Nolin : À l'extérieur du dix ans. Dans l’article10 , il n'y a pas de limite de dix ans.

M. Saint-Denis : Non, il n’y en a pas. C'est juste.

Le sénateur Nolin : Cela peut être n'importe quand dans la vie antérieure de la personne trouvée coupable ou de l'accusé.

Je crois que madame la présidente a mis le doigt sur un problème important. Les avocats vont sûrement exploiter cette distinction. Cela m'apparaît majeur.

Encore une fois, on réduit la discrétion judiciaire et cela fait partie des normes et de la qualité de notre système de justice.

Le ministre lui-même, dans l'examen du projet de loi précédent le projet de loi C-25, a presque louangé le travail de nos tribunaux. Alors, je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas confiance dans ce cas-ci et que l’on imposerait des peines et que l’on énumérerait une série de situations qui forceraient les juges à rendre une peine minimale obligatoire.

Madame la présidente a mis le doigt sur une situation et fait la distinction entre la détermination de la peine, qui est du ressort du juge, et des éléments constitutifs.

La présidente : C'est un beau discours plein de compliments à mon endroit, mais ce n'est pas une question.

Le sénateur Nolin : Ma question est toujours la même. Ne voyez-vous pas là l'ouverture à un amendement qui permettrait à un juge de retrouver, de conserver toute la discrétion judiciaire avec tout ce que cela implique de circonstances aggravantes — on n'a pas encore parlé des communautés autochtones qui représentent une surpopulation ou est en surnombre de la clientèle carcérale — en tenant compte de tout ce qui entoure l'exercice de la discrétion judiciaire?

Pourquoi ne pas redonner cette discrétion au juge. Ce serait approprié qu'un juge puisse examiner le cas, à la lumière des faits, mais en conservant sa discrétion, pour être sûr que la personne qui rentre à l'intérieur d'une excuse non prévue mais qu'on — c'est toujours possible — jugerait de ne pas être sujet à cette peine-là.

M. Saint-Denis : La politique telle qu'on la retrouve dans ce projet de loi n'a pas pour objectif de donner plus de discrétion aux judiciaires, mais d'en donner moins.

Le sénateur Nolin : Le projet de loi enlève la discrétion judiciaire. Donc en l'enlevant, elle fait partie du projet de loi.

Le sénateur Joyal : Vous avez transformé un élément de sentence et vous en avez fait un élément d'aggravation de l'infraction en transformant en l’alinéa 10(2) b) en 10(2) d).

Le sénateur Nolin : C'est la même chose pour tous les autres éléments.

Le sénateur Joyal : Exactement. En enlevant l’alinéa 10(2) b), qui était un des éléments que le juge devait évaluer lorsqu'il devait rendre sa sentence, lorsque le juge devait évaluer cet élément. Je vais prendre un exemple outrancier parce que c'est toujours l’exemple absurde qui nous permet de pousser la logique à bout : la personne a été reconnue coupable d'avoir donné une pilule d'Ecstasy dans un rave — c'est la chose minimum que l'on peut trouver dans la Loi sur le contrôle des drogues — quand le juge avait à évaluer la sentence, il se disait : « c'est mineur, on va donner une chance, et cetera. » Maintenant, vous l'avez transformé en circonstance aggravante du crime. Alors, le juge n'a plus à évaluer si une seule pilule c’est important versus dix kilos d'héroïne; le seul fait que la personne ait été reconnue coupable dans moins de dix ans avec une pilule d'Ecstasy, cette personne maintenant aura une peine d’un an minimum, tout de suite. Le juge n'a aucune discrétion; c'est un an minimum d'emprisonnement.

Vous avez changé quelque chose de fondamental dans la Loi sur les drogues comme auparavant interprété.

M. Saint-Denis : Vous avez tout à fait raison, sénateur Joyal. C'est le but de l’amendement.

Le sénateur Joyal : C'est outrancier parce qu'on devrait au moins circonscrire l'importance de l'offense, de la condamnation. Vous donnez à la circonstance aggravante d'une pilule la même importance que dix kilos d'héroïne. Le système doit être rationnel. Si on fait cela, il faut que le juge puisse, à un moment donné, évaluer les circonstances à l'intérieur desquelles la condamnation a été obtenue.

M. Saint-Denis : Mais il faut quand même se rappeler quelques petites choses. Mais avec votre exemple d'une pilule d'Ecstasy et le dix kilos d'héroïne, on a limité la discrétion des juges en ce qui concerne le minimum qu'ils peuvent imposer, mais pas en ce qui concerne le maximum.

Dans le cas de l'individu avec une pilule, la loi obligerait — ce n’était pas tout à fait clair dans votre exemple de la pilule; si le facteur aggravant était un de ceux-ci. Mais on va dire que oui. On va supposer.

Le sénateur Joyal : C'est cela.

M. Saint-Denis : Que c'est dans le cas d'un trafic qui a lieu.

Le sénateur Nolin : La personne avait une fausse carte d’identité. Elle n’avait pas 18 ans, mais 16 ans. Cela peut arriver. Je pense que cela arrive des fois.

M. Saint-Denis : Cela rentre dans le cadre d'un des facteurs aggravants et le juge doit imposer une peine minimale obligatoire. Mais dans le cas du dix kilos, le juge ne va pas imposer une peine minimale. La peine maximale pour le trafic c’est l’emprisonnement à vie. Il ne va pas se limiter à un an. Il va viser drôlement plus haut. Les juges ont quand même la discrétion d'apprécier les facteurs aggravants qui sont au-delà de ce que l'on prévoit dans la loi. On n'a pas éliminé la discrétion des juges. On l'a encadrée.

Le sénateur Nolin : C'est pour cette raison que cela fait partie du projet de loi.

La présidente : Vous avez mis un plancher.

[Traduction]

Je crois que nous avons fait à peu près le tour de cette question.

Le sénateur Joyal : J’ai une autre question : le paragraphe 5(2) modifiant le paragraphe 10(5) en haut de la page 6 :

à la personne qui termine avec succès un programme …

[Français]

Pourquoi avez-vous mis « successfully » ou « avec succès »? Sur quoi s'appuiera-t-on pour dire que le programme a été suivi avec succès?

[Traduction]

Pourquoi n’avoir pas dit : « à la personne qui termine un programme »?

[Français]

Pourquoi avoir mis cette qualification « successfully »?

M. Saint-Denis : Cela me paraît normal que l'on veuille que quelqu'un puisse terminer un programme de traitement avec succès. Ce sera aux tribunaux de juger si cela a été fait avec succès ou non. Normalement, lorsqu'un tribunal thérapeutique fait affaire avec un contrevenant, il va imposer certaines conditions, notamment s'abstenir de l'usage des drogues, peut-être un traitement psychologique ou tenter de se trouver un emploi ou des trucs semblables. Le tribunal va examiner la situation et déterminera à la fin, si oui ou non l'individu a rencontré les conditions imposées par le tribunal. C'est cela le succès.

Le sénateur Joyal : Pourquoi ne l’avait-on pas à l’article 720(2) du Code criminel?

M. Saint-Denis : Parce que dans l’article 720(2) du Code criminel, on ne parle pas des tribunaux de toxicomanie.

Le sénateur Joyal : Oui, on parle d'un traitement « Treatment program approuve by the province ». C’est exactement ce qu’on a dans les cours.

La présidente : Monsieur Saint-Denis a le droit de répondre aux questions qu’on lui pose.

M. Saint-Denis : C’est parce que les tribunaux de toxicomanie sont un phénomène très spécifique par opposition aux autres types de tribunaux approuvés par la province et qui peuvent recevoir des contrevenants qui comparaissent devant les tribunaux.

Les tribunaux pour ce que l'on appelle les programmes judiciaires de traitement de toxicomanie; c’est un phénomène que l’on a créé, il y en a six au pays. Ils ont un certain style d'opération et, si j'ai bien compris, ils opèrent différemment des autres programmes de traitement qui seraient disponibles pour les tribunaux.

Le sénateur Joyal : Je comprends, sauf que le « avec succès » s'applique autant aux tribunaux de traitement de toxicomanie qu'aux programmes de traitement provinciaux; et dans ces derniers, on n'avait pas cette qualification « avec succès ».

M. Saint-Denis : C'est vrai, mais le tribunal — vous parlez de discrétion — aura la discrétion de déterminer si, oui ou non, l'individu aurait complété avec succès son traitement. Dans les deux cas, le tribunal va superviser le traitement. Et dans les deux cas, le tribunal va, sans aucun doute, vouloir imposer certaines conditions. Pour les gens qui ont une dépendance toxicomane, ils vont au moins exiger que l'individu ne se livre pas à l'usage des drogues. Il va y avoir des tests d'urine, normalement, pris au hasard, pour s'assurer que l'individu suit ces conditions. S'il y a des rechutes, le tribunal va pouvoir estimer si, compte tenu des autres facteurs, des autres conditions, c'est assez pour déterminer que l'individu n'a pas terminé avec succès, ou que c’est avec succès, même s'il y a eu une ou deux rechutes.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Saint-Denis, nous avons des témoignages qui nous ont expliqué clairement que dans les programmes de traitement de la toxicomanie — et je crois que cela vaut également pour les programmes judiciaires — les participants à ces programmes étaient expulsés s’ils échouaient en cours de programme, s’ils échouaient aux analyses ou s’ils avaient fait une rechute. Le fait qu’ils terminent le programme veut dire qu’ils ont effectivement terminé le programme. Ils ne se sont pas contentés d’être présents et de faire comme s’ils le suivaient. Ils ont terminé le programme. Le programme impose le genre de conditions dont vous parlez.

C'est pourquoi je ne comprends pas très bien pourquoi avoir ajouté les mots « avec succès ». Comment définissez-vous cette expression dans une loi? Comment définissez-vous « terminé avec succès » par opposition à « terminé ».

M. Saint-Denis : L’interprétation est confiée au tribunal. L'expression « avec succès » ne veut pas nécessairement dire que la personne en question a respecté toutes les conditions imposées tout le temps. Je crois savoir qu’il y a des personnes qui terminent avec succès un programme même si elles ont eu une rechute au début ou à un moment donné au cours du programme.

La présidente : On leur a toutefois permis de continuer à participer au programme, et ce sont les responsables du programme qui prennent cette décision.

M. Saint-Denis : Je ne pense pas qu’une seule rechute va nécessairement entraîner l’expulsion d’un participant. Le tribunal va dire : « Oui, vous avez terminé avec succès le programme » ou « Non, vous n’avez pas terminé avec succès le programme, pour les motifs suivants », et ce sera donc au tribunal d’en décider.

Il faut prévoir une norme qui permette de dire « Je ne me suis pas contenté de faire semblant; j’ai réussi à répondre aux conditions imposées par le tribunal. » et le tribunal en tiendra compte. C’est le genre de personne qui aura terminé avec succès le programme.

La présidente : Je vois. Nous avons une autre question supplémentaire.

[Français]

Le sénateur Nolin : Si nous vous posons ces questions, ce n’est pas pour le plaisir de critiquer, mais parce que nous avons entendu des experts en désintoxication, des médecins — et pas juste de Vancouver, mais de Toronto et des gens de la région ici. Ils nous ont à peu près tous dit : « qu'est-ce que cela veut dire, "succès?" » C’est que l’on est aux confins du droit et de la médecine. C'est un état de santé; il n’y a pas un toxicomane passant à travers un processus pour qui tous les mécanismes sont adaptés à l'individu. Il n’y a pas de taille unique pour tout le monde.

M. Saint-Denis : Tout à fait.

Le sénateur Nolin : Les médecins ont dit que cela allait bien pour autant qu’ils étaient capables d'adapter, pour chacun des patients, l'objectif de la loi. « Laissez-nous juges », nous disent les médecins. Si la personne passe à travers le processus, ils vont faire leur rapport au juge, mais l’évaluation du succès ne sera peut-être pas la même d'un médecin à un autre. Parlant de guérir une maladie, pas un médecin ne va dire que la personne est guérie; peut-être que le décès va amener la guérison. La personne peut toujours être sujette à la rechute, nous avons entendu de nombreux témoins nous le dire.

M. Saint-Denis : C'est juste, mais la phrase ne veut pas dire que la personne soit guérie.

Le sénateur Nolin : Cela veut dire quoi à ce moment-là « avec succès »?

M. Saint-Denis : Cela veut dire tout simplement que la personne a complété le programme en observant les conditions imposées par le tribunal. Le tribunal n'exigera jamais qu'un individu soit guéri d'une toxicomanie.

Le sénateur Nolin : On a des experts de la santé publique, qui nous ont dit : le mot « succès », on ne l'aime pas. » Ils sont entièrement d'accord avec l’idée d’avoir des traitements alternatifs, une procédure alternative.

Le sénateur Joyal : On est tous d'accord avec cela.

Le sénateur Nolin : Tout le monde est d’accord avec cela; on était les premiers, il y a dix ans, à être d'accord avec cela. On trouve juste qu’il n’y en a pas assez, mais c’est un autre sujet. Là, au moins, on élargit cela aux programmes provinciaux.

La présidente : J’avais aussi une question.

[Traduction]

Ma question concerne également les programmes de traitement de la toxicomanie. Nous avons entendu un témoignage qui indiquait que ces programmes étaient souvent complets. Il y a davantage de candidats, dans un certain nombre d’endroits au Canada, qu’il y a de places.

Que se passe-t-il si quelqu’un est disposé à s’inscrire dans un programme de traitement de la toxicomanie et dit au juge : « Je serai très heureux de le suivre, mais il n’y a pas de place pour moi »? Est-ce que cette personne va demeurer en détention pendant un an ou deux? Que se passera-t-il?

M. Saint-Denis : J’en doute fort. S’il n’y a vraiment pas de place, alors il ne pourra participer au programme.

La présidente : Alors, dans un tel cas, il est coincé?

M. Saint-Denis : C’est exact. Je crois toutefois savoir que tous les programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie n’affichent pas complet. Je pense que les programmes les plus récents offrent encore des places.

Le sénateur Joyal : Je ne le pense pas. Cette affirmation a été contredite par d’autres témoins. Nous avons entendu des témoins qui ne corroborent pas votre réponse. Je m’en excuse sincèrement.

La présidente : Nous avons eu au moins un témoin qui nous a dit, comme je l’ai mentionné, il y a un moment, que bien souvent, il n’y avait pas de place dans ces programmes. Nous ne parlons pas de statistiques ici.

M. Saint-Denis : Comprenez-moi bien. Je crois savoir que, par exemple, en C.-B. et à Toronto, il n’y a pas de place. Ces programmes sont vraiment complets. Pour ce qui est des nouveaux programmes, on m’a dit — et cela remonte à trois ou quatre mois — qu’ils avaient la capacité d’accueillir davantage de participants.

La présidente : Le problème est que, bien sûr, même avec les nouveaux programmes, s’ils sont bons, ils se remplissent rapidement, n’est-ce pas?

M. Saint-Denis : Oui, ils se remplissent rapidement. Il n’existe toutefois pas un nombre infini de toxicomanes qui veulent participer à ces programmes. Les toxicomanes qui ont commis une infraction reliée aux drogues en ayant recours à la violence ou à une arme, ou qui sont membres d’une organisation criminelle, seront exclus de ces programmes. Il n’y a pas un bassin illimité de clients susceptibles de fréquenter ces centres de traitement.

Le sénateur Milne : J’ai une question supplémentaire.

La présidente : J’avais l’intention de vous donner la parole au cours d’un second tour, sénateur Milne; nous allons donc prétendre que c’est ce qui s’est passé.

Le sénateur Milne : Une organisation criminelle comprend trois personnes. Trois toxicomanes dans la rue constituent une organisation criminelle.

M. Saint-Denis : Il faut qu’ils fassent davantage que simplement se tenir sur un coin de rue. Il faut qu’ils participent à la perpétration d’une infraction.

Le sénateur Milne : L’une consiste à procurer des drogues. Je vous ai lu la liste des quatre personnes qui participent habituellement à une transaction reliée aux drogues dans les rues du Downtown East Side de Vancouver. Ce groupe est une organisation criminelle et ce sont tous des toxicomanes qui le font pour pouvoir s’acheter des drogues.

La présidente : Était-ce une question?

Le sénateur Milne : Je conteste l’utilisation constante de l’expression « organisation criminelle » telle qu’elle est définie par la loi, et qui est ciblée, d’après ce qu’on nous a dit, par le projet de loi. Pour moi, il est évident que ce projet de loi va ramasser les gens qui se trouvent dans les rues de nos villes et qui ont besoin d’aide. Ils ont besoin de soins médicaux, ils ont besoin de toutes sortes de choses comme des services de santé mentale, mais ce ne sont pas des gens que l’on considère habituellement comme faisant partie du crime organisé.

M. Saint-Denis : Vous avez raison.

Le sénateur Milne : Ces gens seront les plus faciles à attraper.

Nous avons entendu hier soir un témoin, qui représentait la Société canadienne du sida, qui nous a dit que la quantité moyenne que consomme un utilisateur de marijuana médicinale pendant un mois était d’environ deux onces. Supposons que cette personne soit arrêtée en possession de deux onces de cannabis alors qu’elle venait d’un club de compassion et rentrait chez elle, de quoi cette personne pourrait-elle être accusée si ce projet de loi était adopté?

M. Saint-Denis : Aucune accusation ne serait portée; cette personne a-t-elle l’autorisation de posséder du cannabis à une fin médicale?

Le sénateur Milne : Il y a peu de gens au Canada qui ont cette autorisation.

M. Saint-Denis : Si la personne n’a pas l’autorisation et est arrêtée, techniquement, la police a le pouvoir de porter une accusation ou de ne pas le faire. Vous dites que la quantité qu’elle possède représente la consommation moyenne d’un mois?

Le sénateur Milne : C’est ce qu’on nous a dit.

M. Saint-Denis : Si c’est la consommation d’un mois, alors la quantité de cannabis en sa possession sera faible. Le policier aura une décision à prendre; est-ce que je veux inculper cette personne qui est en possession d’une quantité minime? Si le policier porte une accusation, alors le projet de loi n’entrera pas en jeu. La personne sera inculpée de possession et ce sera tout.

Le sénateur Milne : Et si cette même personne est arrêtée une seconde fois?

M. Saint-Denis : Ce sera la même chose. Le projet de loi ne traite pas de la possession en soi. Ces personnes peuvent se faire arrêter autant de fois qu’elles le veulent; cela ne déclenche pas l’application du projet de loi.

Le sénateur Milne : Voilà qui est quelque peu rassurant, j’imagine.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je suis bien d'accord avec vous, les gouvernements ont, chacun leur tour, émis des doutes quant aux vertus thérapeutiques du cannabis. À un point tel qu'ils ont, la plupart du temps, posé la question à leurs organisations médicales, aux gens compétents qui ont la capacité, l'intelligence et la sagesse de mettre de côté la partisanerie et la politique, pour vraiment savoir si les effets du cannabis sont vraiment bons. Qui a répondu à cela?

J’ai été fort interpellé lorsque vous avez dit que, dans le fond, une espèce de mythologie règne autour du cannabis et que vous mettez en doute les clubs de compassion. Nos confrères américains ont abordé la question avec de grands doutes; ils en sont quand même venus à la conclusion que, effectivement, le cannabis avait des vertus thérapeutiques. Les Européens se sont dit : « C’est américain, ce n’est pas bon, on va faire nos propres recherches. » Qu'est-ce que l'Institut de recherche médicale européenne a conclu après trois ans d'évaluation? Effectivement, ce n'est pas bénin, ce n'est pas sans effet, mais oui, il y a des effets thérapeutiques au cannabis.

Dans le fond, ce n'est pas une question; malheureusement, il y a des gens qui font perdurer ce que plusieurs Canadiens, dans leur for intérieur, dans l’intimité de leur chez eux, concluent : « oui, il y a des vertus au cannabis à des fins thérapeutiques ». C’est probablement pour cela que 85 p. 100 de la population canadienne est d'accord avec l'usage thérapeutique du cannabis. C'est probablement pour cela que des gens, malgré la loi, organisent des clubs de compassion, font pousser du cannabis — qu’il serait bien plus payant de vendre au marché noir régulier — et donc, fournissent des clubs de compassion. Dites-moi, ils ne sont pas tous fous, ces gens? Ils ne font pas tous cela parce qu’ils sont une bande de convaincus ou d’aveuglés? Non.

Je termine en disant que je pense que l'on doit prévoir un amendement d’évaluation, puisque cette loi a malheureusement des conséquences sûrement imprévisibles. On le verra avec le temps. C'est d’ailleurs pour cela que vous avez accepté un amendement d'évaluation de deux ans, que l’on trouve un peu court, mais on verra. Qu'en pensez-vous?

M. Saint-Denis : Vous avez tout à fait raison. Le cannabis a des caractéristiques thérapeutiques; c'est reconnu. Mais ce n'est pas un médicament miraculeux.

Le sénateur Nolin : Personne ne prétend cela.

Le sénateur Joyal : C'est un analgésique.

M. Saint-Denis : Dans les clubs de compassion, on ne sait pas précisément quels sont les maux que l'on voudrait amoindrir, guérir ou attendrir, si vous voulez, avec le cannabis. C'est sûr que dans certains cas — et même aux États-Unis, d'ailleurs, je crois que c'est pour le glaucome —, on se sert de la marijuana pour atténuer cette condition. Et puis, il y en a sans doute d'autres qui ont été reconnus, comme vous dites. Mais il n'y a rien qui indique que dans ces clubs de compassion, on limite la distribution à ces cas. D'ailleurs, je suis pas mal certain que ce n’est pas le cas.

On permet l'usage de la marijuana pour une panoplie de conditions; certaines plus justifiées que d'autres, mais on n'a pas eu la même approche face à l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques que l'on a eu pour d'autres drogues qui sont autant contrôlées, par exemple l'héroïne, la morphine, la codéine dont on connaît précisément la posologie, le dosage, la force et la pureté du produit. Toutes ces autres substances ont été assujetties à un système rigoureux d’évaluations scientifiques et de production; on sait où on va, on sait d'où cela vient, on sait quelles sont les quantités. Nous n’avons pas ces données pour le cannabis.

Le sénateur Nolin : Vous savez la réponse à cela. Vous et moi, on la sait.

M. Saint-Denis : Je sais la réponse à cela.

Le sénateur Nolin : L'héroïne, le pavot et ses dérivés ont été synthétisés par les laboratoires scientifiques et on a été capable de reconstituer les molécules et les breveter. Quand on a été capable de breveter une molécule du THC, des médicaments ont été créés. Maintenant, une série de témoins nous ont dit que dans le cas du cannabis, le produit doit être naturel et personne ne peut breveter cela. Nous nous retrouvons dans un cercle vicieux.

M. Saint-Denis : Oui, mais on est quand même pris avec le phénomène d'une drogue que l'on veut utiliser pour des fins thérapeutiques sans en connaître précisément les quantités, les origines, la production, ce qui s'est passé entre le moment où ce produit est cultivé jusqu’au moment où c’est fabriqué, où c’est roulé en forme de cigarette.

Il y a énormément d'inconnus dans ce système et cela pourrait causer des problèmes à un moment donné.

Le sénateur Nolin : Je terminerai là-dessus : l’Institute of Medicine, aux États-Unis, l’INSERM, en Europe, notre comité, on a tout fait cela. Nous sommes partis des mêmes prémisses et nous en sommes arrivés à cette conclusion.

Oui, il peut y avoir des problèmes, mais si on compare à d'autres substances, c’est moins grave. Oubliez ce que notre rapport a dit. Les gens de l’Institute of Medicine aux États-Unis ont systématiquement décidé de cela. Le danger de la prohibition de la substance, on peut avoir beaucoup de plaisir avec cela. On en a des preuves.

[Traduction]

La présidente : Les opinions sont vraiment très diverses. Tous les membres du comité ont toutefois profité de l’expérience et de l’expertise du sénateur Nolin dans ce domaine, comme nous avons profité de votre expérience et de votre expertise ce soir, monsieur Saint-Denis.

M. Saint-Denis : Je vous remercie.

La présidente : C’est nous qui vous remercions.

M. Saint-Denis : Si je peux dire quelque chose, le sénateur Nolin et moi nous nous connaissons depuis pas mal de temps et je dois vous dire que j’ai également profité de son expertise et du travail qu’il a effectué — et le travail qu’a fait son comité précédent, en particulier dans le domaine du cannabis.

La présidente : Merci. Chers collègues, nous allons nous retrouver dans cette salle à 10 h 45 demain matin, pour procéder à l’étude article par article du projet de loi C-15.

(La séance est levée.)


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