Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 14 juin 2010
Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour examiner des questions relatives à l'antiterrorisme.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à la quatrième séance du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme pour la troisième session de la 40e législature. Nous poursuivons nos audiences sur les dynamiques du terrorisme, leurs transformations, et la façon dont nos forces de sécurité peuvent faire face à ces dynamiques en transformation. Nous avons la chance de recevoir trois experts aujourd'hui pour nous aider à étudier ces enjeux. Certains se sont déplacés sur une longue distance et ils ont fourni des déclarations écrites. Je permettrai aux sénateurs de poser des questions après les déclarations préliminaires de 10 minutes chacune.
Notre premier témoin, M. Dwight Hamilton, auteur et ancien membre du renseignement militaire de la Défense nationale, a beaucoup écrit sur les questions liées au terrorisme. Il est l'auteur principal et le rédacteur de Inside Canadian Intelligence, qui expose les nouvelles réalités de l'espionnage et du terrorisme international; et il est le coauteur, avec Kostas Rimsa, de Terror Threat : International and Homegrown Terrorists and Their Threat to Canada.
Il sera suivi de M. Michel Juneau-Katsuya, un ancien haut gradé de la Gendarmerie royale du Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité. Il a exercé les fonctions d'enquêteur, d'agent du renseignement et d'analyste stratégique. Il était responsable des plans d'urgence pour le SCRS et sa connaissance de l'Asie lui a valu le poste de directeur de l'Unité de l'analyse stratégique pour l'Asie du Pacifique. Il est maintenant chez Northgate Group Corp et conseille des clients des secteurs publics et privés.
Il sera suivi du professeur Ronald Crelinsten, qui détient un doctorat en criminologie de l'Université de Montréal. Il est un des membres fondateurs du comité de rédaction de Terrorism and Political Violence, la plus importante revue spécialisée consacrée à l'étude du terrorisme. Il siège au Conseil consultatif international du International Journal of Conflict and Violence. Il a été professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa de 1982 à 2004, et est chargé de recherche principal pour un projet de recherche sur les violations flagrantes des droits de la personne à l'Université Leiden au Pays-Bas, et il est chercheur principal du Centre for Global Studies de l'Université de Victoria. Nous sommes chanceux que vous ayez trouvé le temps dans vos horaires chargés de nous aider avec certaines de ces questions. Monsieur Hamilton, veuillez débuter.
Dwight Hamilton, auteur, Terror Threat : International and Homegrown Terrorists and Their Threat to Canada, à titre personnel : Ces observations ont pour but de donner au sous-comité un aperçu de la nature en évolution du terrorisme au Canada, des activités des services de sécurité gérant cette menace, ainsi que des suggestions sur la façon dont divers intervenants pourraient accroître l'efficacité d'un programme de lutte contre le terrorisme au Canada de portée générale.
En raison de facteurs spatiaux et temporels, je n'aborderai pas les activités des Tigres libérateurs de l'Eelan Tamoul, de Babbar Khalsa International, ni l'implication du Canada sur le théâtre des opérations militaires en Afghanistan.
La principale menace en matière de sécurité qui se pose au Canada en 2010 est le dilemme concernant les terroristes jihadistes islamiques d'origine intérieure. Le risque de préjudices physiques et matériels pour les citoyens qui provient de ce groupe est le plus élevé. En ce qui a trait à l'organisation des individus qui sont attirés vers cette activité, le concept de base de structure cellulaire de réseaux de soutien et de groupes d'affinités, qui est analysé en détail au chapitre 10 de l'ouvrage que j'ai rédigé avec Kostas Rimsa, reste pertinent. En dépit de leur nom, les cellules d'origine intérieure ont presque toujours des liens qui s'étendent au-delà des frontières internationales. Compte tenu du fait que le jihaddisme islamique possède un attrait trans-mondial tel qu'on n'en a jamais vu depuis l'époque du Komintern, il s'agit d'une question clé, comme en fait foi l'affaire de la bande des 18 terroristes de Toronto. Non seulement un leadership et des conseils opérationnels de niveau supérieur peuvent-ils provenir de l'étranger, mais nous voyons maintenant de jeunes Canadiens, même issus de familles modérées, s'aventurer dans des zones de conflit à l'étranger pour s'initier au jihad. À leur retour, ils pourraient apporter une expérience précieuse à toute opération d'origine intérieure.
Les cellules d'origine intérieure ont pris de plus en plus d'importance pour le leadership d'Al-Qaïda en raison des circonstances changeantes de la conjoncture suite au 11 septembre 2001. Sur la scène internationale, de nombreux commandants d'Al-Qaïda de niveaux supérieur et intermédiaire ont été tués ou capturés par les forces de sécurité. Tout récemment, il s'agissait des chefs des opérations intérieures et extérieures, en décembre 2009, et du numéro trois du groupe, Mustfa al-Yazid, au début du mois. Cela a donné lieu à l'exercice de pression pour qu'on parvienne à la réussite voulue au moyen de méthodes qui n'éclipsent pas nécessairement le compte de tueries d'une opération du genre de celle du 11 septembre 2001, et ne présentent pas les risques associés au fait que des militants hautement entraînés traversent les frontières. L'un des leaders a affirmé que de nombreuses petites frappes, y compris les échecs, peuvent avoir le même résultat souhaité pour ce qui est de maintenir la force du message. Gardez à l'esprit que, bien que seulement trois attaques terroristes d'origine intérieure aient entraîné des pertes massives — Madrid, Londres et Fort Hood — plus de 200 complots ont été déjoués dans le monde depuis 2001.
Les leaders d'opinion ont passé beaucoup de temps à tenter de déterminer une cause profonde unique manifeste parmi les systèmes de croyances d'Al-Qaïda qui expliquerait la motivation sous-jacente aux actions jihadistes. Une telle simplicité est une fausseté. Une échelle de croyances mobile allant de conservateur à extrême est présentée au chapitre 6 de mon livre et un aperçu des motivations jihadistes générales se trouve dans la partie intitulée « Basic Facilitators ». La situation mondiale en évolution garantit pratiquement aux jihadistes de ne pas manquer de munitions pour concrétiser leur vision du monde. Il ne semble rien y avoir à l'horizon immédiat qui les inciterait à échanger leurs épées pour des charrues.
Compte tenu de l'attaque à la bombe incendiaire d'une banque d'Ottawa en mai et du vandalisme des machines bancaires de la région de Toronto liés aux sommets du G8 et du G20, on peut se demander si ces actes peuvent être des précurseurs de quelque chose de plus sérieux que l'activisme sociopolitique et le dommage matériel. Un groupe qui s'identifie lui-même en tant que FFFC a revendiqué la responsabilité de l'attaque survenue à Ottawa.
Cette série d'événements rappelle les premiers jours d'Action directe, un groupe de terroristes gauchiste et anarchiste qui était actif au Canada au cours des années 1980. Deux aspects sont pertinents quant à la situation d'aujourd'hui. Premièrement, les attaques d'Action directe ont pris de l'expansion et sont devenues plus sophistiquées avec le temps. Deuxièmement, aucun individu provenant de la branche de soutien direct comptant environ 40 militants issus de cellules de Vancouver, Winnipeg, Toronto et Montréal n'a jamais été accusé.
Plus de deux décennies se sont écoulées depuis, mais l'attrait de l'aventure à causes multiples et contestataire n'a pas disparu. On ne peut s'attendre qu'à ce qu'il s'accroisse, compte tenu de la position économique incertaine dans laquelle le monde occidental se trouve actuellement. Aujourd'hui, dans une société qui, de l'avis des partisans de nombreuses convictions politiques, a perdu sa vision, on voit des nombres croissants de jeunes chômeurs très perfectionnés sur le plan technique chercher quelqu'un pour donner l'exemple. Les jihadistes ne sont pas les seuls à chercher une mission. Il y a de nombreuses missions parmi lesquelles choisir. Il y a à peine deux semaines, un activiste chevronné de Victoria, qui avait été entraîné en tant que bouclier humain et qui avait entrepris antérieurement des missions similaires dans des environnements hostiles, a été déclaré disparu du navire Challenger II à destination de Gaza, après que ce dernier ait été pris d'assaut par les commandos israéliens. Le reportage de presse comportait une citation d'un ami du bouclier humain : « C'est ce qu'il fait; c'est ce à quoi il croit. » Cette source était un ancien chef de cellule d'Action directe qui avait purgé une peine d'emprisonnement de sept ans au Canada en raison des activités du groupe.
Pour ce qui est de l'état de préparation et des capacités des forces de sécurité qui sont nécessaires pour composer avec les menaces actuelles et nouvelles attribuables à la situation décrite ci-dessus, je crois les rapports Kenny, combinés à la surveillance continue de la vérificatrice générale, ont eu l'excellent résultat de faire ressortir les lacunes de la défense du pays. Toutefois, si les recommandations en question ne sont pas mises en œuvre par le gouvernement et ne font que recueillir la poussière sur les tablettes, le Canada pourrait s'exposer à une surprise très désagréable sous peu, compte tenu de la probabilité que des groupes utilisent des tactiques terroristes complexes, aidés par une technologie des armes de plus en plus évoluée. Il est certain que les groupes d'origine intérieure amélioreront leur efficacité avec le temps. De nombreuses petites frappes pourront avoir une incidence importante si elles sont exécutées simultanément. Souvenez-vous de ce à quoi ont mené les 15 bombes posées dans des boîtes aux lettres dans le quartier de Westmount en 1963.
À mon avis, le changement positif le plus important dans le paysage de la sécurité nationale depuis le 11 septembre a été la création d'une approche axée sur les groupes de travail par rapport aux renseignements et à l'application de la loi par différentes organisations.
Le travail en vase clos a toujours été le talon d'Achille des services de sécurité occidentaux, et les Américains sont toujours aux prises avec leurs divisions classiques dans le tumulte suscité par le plastiqueur de Detroit un peu plus tôt cette année. Nous devrions renforcer les liens entre les organisations et idéalement, s'efforcer d'adopter une approche sans heurt.
Parmi les autres forces, on compte la tentative d'élaborer une approche communautaire pour les services de police sur le terrain en réponse au Jihad islamique. Les forces de sécurité doivent continuer à augmenter le recrutement de musulmans canadiens tout en veillant à ce qu'il n'y ait pas d'infiltration dans leurs rangs puisqu'il s'agit d'une tactique terroriste typique qui a déjà été employée. N'oubliez pas qu'un membre des 18 accusés de Toronto avait suivi une formation dans nos forces armées.
Les niveaux d'immigration au Canada continueront d'augmenter à court et à moyen terme en raison du fait que nous n'avons pas suffisamment de travailleurs pour stimuler l'économie complexe que le Canada a mise en place au cours des cinq dernières décennies. Cette tendance démographique aura pour effet, entre autres, d'augmenter les tâches de sélection du SCRS.
Ceux qui suivent le dossier s'accordent pour dire que le régime de certificat de sécurité doit être remplacé par une procédure d'expulsion des indésirables. Peut-être qu'un arrangement diplomatique avec une tierce partie pourrait fonctionner, dans le cadre duquel un pays hôte accepterait ces gens en échange de quelque chose de valeur égale que le Canada peut offrir. On a dépensé jusqu'ici des sommes faramineuses tirées des poches des contribuables pour livrer cette bataille. Les avocats du gouvernement ont eu des années pour trouver une solution, pourtant nous en sommes pas plus avancés que lorsque la procédure a été mise en place.
Le drame devant les tribunaux se poursuit et on constate que d'autres problèmes ressortent du drame judiciaire continu, des personnes intentant des poursuites contre le gouvernement au sujet du traitement qui leur a été réservé dans le cadre des affaires internationales. Déjà en croissance, l'industrie des poursuites contre le gouvernement pour ses soi-disant péchés dans le monde nébuleux du terrorisme international fera bientôt partie intégrante du fait d'être Canadien. Pour empêcher les juges de vider le Trésor en attribuant des montants de plus en plus élevés à titre d'indemnisation, peut-être serait-il pratique d'établir un régime d'indemnisation formel semblable à celui qui a été mis en place après la crise d'octobre.
En ce qui concerne les tribunaux qui obligent les terroristes condamnés à suivre des cours de maîtrise de la colère, sauf votre respect, cela envoie le mauvais message au public en plus d'être totalement inacceptable. Les terroristes ne sont pas en colère. Il ne s'agit pas d'une bataille de rue. Le terrorisme est une tactique de guerre non conventionnelle et les terroristes, de même que leurs sympathisants, sont des personnes très motivées. Certains d'entre eux pourraient tuer de sang froid et par pur plaisir, non pas par colère. Le condamné de la bande des 18 accusés de Toronto qui a suivi un tel cours, plutôt que de passer une décennie derrière les barreaux, ce que l'on peut obtenir grâce à une peine, est maintenant libre comme l'air; mais au moins, il n'est pas en colère. En effet, son avocat a dit qu'il était « très heureux » et qu'il voulait étudier l'ingénierie.
De nombreux experts estiment que les terroristes ne peuvent pas être réadaptés. Si ce que j'ai mentionné dans mes écrits antérieurs, soit qu'une guerre d'idées devrait être remportée, est vrai, il est impératif de se concentrer sur les jeunes pour leur tendre la main avant que la graine de terrorisme ne soit plantée.
Par conséquent, il serait judicieux d'élaborer une infrastructure de relations publiques ou une stratégie communautaire de sensibilisation à l'antiterrorisme. Une telle initiative nous permettrait de tenter de détruire l'attrait de l'extrémisme par le biais d'initiatives de communication et d'activités connexes, en plus de constituer une façon novatrice de donner aux parents consciencieux l'occasion de recevoir de l'aide s'ils découvrent que leur enfant se tourne vers le jihad. Il est impératif qu'une telle démarche s'inscrive dans le système scolaire.
À ce titre, nous avons besoin d'un leadership affirmé. Explorer des idées, telles que les partenariats publics-privés ou les allègements fiscaux pour les entreprises qui manquent cruellement de vision et qui investissent sérieusement pour régler ce problème. Il faudrait transformer les chefs d'entreprise musulmans canadiens modérés éminents en ambassadeurs antijihadistes. Jusqu'ici, le Canada a eu la chance de vivre moins de conflits civils attribuables aux sympathisants jihadistes que des pays comme la Grande-Bretagne, la France, et d'autres pays européens. Par conséquent, il s'agit d'une occasion à saisir pour maintenir cet état de fait.
Finalement, on pourrait dire que le plus important problème stratégique qu'a le Canada avec le terrorisme, c'est l'opinion publique. L'occasion est donnée aux médias de donner l'exemple. Malheureusement, certains médias ont donné un terrible exemple. En octobre 2009, le directeur du SCRS, Richard Fadden, a parlé publiquement d'un partenariat large entre les organisations non gouvernementales, les avocats et les journalistes défenseurs des droits, créant du coup un héros pour notre ère, une espèce de partisan du jihad se battant pour la liberté semblable à l'idole gauchiste étudiant, Che Guevara. Voilà ce qu'a dit le directeur :
Parfois, on dirait que le fait d'être accusé d'avoir des liens terroristes au Canada est devenu un symbole de prestige, un insigne de courage... Pour certains membres de la société civile, ce concept est en quelque sorte romantique.
Rien n'accroîtrait davantage l'efficacité des mesures antiterroristes dans notre société respectueuse de la loi que le discrédit de cet état d'esprit erroné. Les 18 de Toronto n'étaient pas des enfants, comme me l'a dit un jour un directeur principal du service des informations. Ils rêvaient de devenir massacreurs. Ce n'est pas une « malheureuse petite aventure de camping hivernal » qui a eu lieu en Ontario dans la région des chalets en 2005, comme voudrait le faire croire au public canadien un chroniqueur d'un des grands journaux de ce pays. C'était une pratique.
Voyons le problème sous un angle différent. Si la bataille de Toronto avait réussi, les pertes de vies en sol canadien auraient été plus importantes que tout ce qui s'est produit dans l'histoire du pays. À côté, le raid de Dieppe est une totale fête des fraises. Peut-être qu'aujourd'hui, les Canadiens qui sont enterrés sous le sable de cette plage ensanglantée en France devraient être en colère.
Michel Juneau-Katsuya, président-directeur général, Northgate Group Corp. : J'avais rédigé un texte en prévision d'aujourd'hui, mais fidèle à mes gènes français, j'ai probablement pris deux fois plus de temps que ce qu'on m'avait alloué. J'improviserai un peu pour aborder certains points. Mes propos seront semblables à ce que vous trouvez dans le texte que vous avez reçu.
J'aimerais immédiatement situer le contexte en mentionnant que depuis le 11 septembre, plus de 900 milliards de dollars ont été dépensés à l'échelle mondiale pour lutter contre le terrorisme. Comme vient de le mentionner M. Hamilton, il y a eu des centaines d'attentats terroristes et de préparation d'attentions terroristes. Des milliers de personnes sont mortes. La question qui se pose immédiatement à l'esprit d'une personne logique est la suivante : verrons-nous bientôt la fin du terrorisme? Malheureusement, la réponse est non, pas du tout.
Vous avez posé trois questions précises auxquelles je répondrai directement. La première portait sur la nature du terrorisme. A-t-elle changé et évolué différemment? En 2002, dans une série d'entrevues dont j'ai fait mention, j'avais prévu qu'il y aurait quatre vagues de terrorisme. Malheureusement, aujourd'hui, je vous annonce qu'une cinquième vague se profile à l'horizon.
La première vague était celle des soldats d'Al-Qaïda, ces gens qui avaient été entraînés par Al-Qaïda dans leur camp et qui ont été envoyés à l'étranger pour perpétrer des attaques contre le monde occidental. La seconde vague était celle des groupes terroristes qui n'avaient pas été nécessairement entraînés par Al-Qaïda mais qui avaient adopté leur cause et décidé de prendre la relève. La troisième vague était celle du soi-disant terrorisme d'origine intérieure, l'œuvre de jeunes qui avaient grandi et qui étaient nés dans ce pays et qui avaient décidé de l'attaquer, encore une fois prenant fait et cause pour Al-Qaïda.
La quatrième vague a aussi été mentionnée par M. Hamilton il y a quelques minutes; c'est celle que j'appelle les groupes d'intérêt spéciaux, ces groupes qui n'adoptent pas nécessairement la cause d'Al-Qaïda, la cause extrémiste, mais qui sont inspirés par les idéologies anarchiste ou altermondialiste et qui ont décidé de faire avancer leurs intérêts politiques. Au cours des cinq dernières années, à titre d'exemple, il y a eu 11 attentats à la bombe au Canada qui étaient directement liés à ces incidents : deux dans la province de Québec, en lien à l'antimondialisation et l'idéologie anti- américaine; six en Colombie-Britannique, en lien à l'écoterrorisme surtout, deux en Alberta, liés à l'écoterrorisme et au néonazisme et un à Ottawa, qui a été perpétré il y a trois semaines environ. Toutes ces attaques sont menées par des groupes autres qu'Al-Qaïda qui ne sont pas des extrémistes religieux, mais qui veulent, comme je l'ai dit, amener la société au bord du gouffre et créer une nouvelle société de ses cendres.
Malheureusement, cela nous amène à parler des sommets du G8 et du G20. Comme nous le savons, les deux sommets se tiendront dans quelques semaines, et déjà on sent que les choses vont mal tourner. Je pense que ces réunions resteront dans les mémoires pour diverses mauvaises raisons, notamment les affrontements violents entre la police et les manifestants. Depuis 1999, une tendance regrettable se dessine. Malheureusement, bien que son intention fut de mieux maîtriser les foules, la police fait davantage partie du problème que de la solution.
On a décidé d'écarter du site les manifestants qui essaient en toute légitimité d'exercer leur droit démocratique et d'exprimer leurs doléances auprès des représentants élus, et de les installer dans un corral où ils pourront manifester ni vu ni connu. Cela a contribué à contrarier les éléments les plus extrémistes de ces groupes, qui s'en servent pour se justifier d'avoir pris les choses en main, comme on l'a vu récemment à Ottawa. Des actes de vandalisme ont déjà été commis à Toronto. Je crois qu'il ne s'agit là que de la partie visible de l'iceberg, et qu'on verra bien pire.
Je me dois également de parler d'une nouvelle forme de terrorisme, le narcoterrorisme d'Al-Qaïda. En Afrique occidentale, où j'ai beaucoup travaillé, on constate une coopération croissante avec les cartels de la drogue colombiens qui ont décidé d'acheminer de la cocaïne dans cette région parce qu'il n'y a ni Garde côtière ni système de défense sur toute la côte Ouest de l'Afrique. Les bateaux viennent très près des côtes et larguent la cocaïne, qui est ensuite ramassée par des pêcheurs qui la ramènent sur la terre ferme. Ces cargaisons sont destinées à l'Europe ou à l'Asie.
Grâce à nos sources de renseignements, nous avons pu confirmer que les cellules africaines d'Al-Qaïda se sont associées à ces gens. Le problème, c'est que c'est une occasion en or pour celles-ci d'empocher de grosses sommes d'argent, de recruter de nouveaux membres et d'accroître leur stock d'armement. On peut facilement s'imaginer que, comme on l'a vu en Colombie avec les FARC et l'ENL, les narcoterroristes en fassent leur commerce.
La différence entre les activités criminelles et le terrorisme, c'est que les terroristes ne font pas le commerce de la terreur. Ils veulent défendre une cause et exprimer leur grief. Or, le narcoterrorisme et la criminalité, c'est une autre paire de manches. Ces gens là en font leur métier. Dès que les activités terroristes et criminelles se rejoignent, le terrorisme devient une industrie. Bien que ce soit très inquiétant, cela ne représente pas une menace immédiate pour le Canada parce que c'est probablement l'Afrique qui va être aux prises avec ce problème, mais nous en ressentirons sans aucun doute les retombées.
Rappelons-nous que le jeune nigérien qui a mené l'attaque terroriste de Noël à bord d'un vol à destination des Amériques avait été formé par cette cellule, laquelle est maintenant associée au cartel colombien. Il s'agit d'une alliance extrêmement inquiétante que nous n'avions pas prévue.
Je vous parlais plutôt de la nature du terrorisme. Les causes et origines du terrorisme sont diverses. Je conviens qu'il s'agit d'une forme d'intervention militaire, d'une tactique de guerre, mais nous devons bien comprendre l'origine du terrorisme, et c'est ce qui m'amène à votre deuxième question, à savoir est-ce que les autorités chargées de l'application des lois réussissent mieux à combattre le terrorisme. Oui, en partie.
Le problème, c'est que toutes les mesures prises par la police et l'armée, y compris l'envoi de troupes en Afghanistan, ainsi que par les Services de renseignements, n'ont visé que le traitement superficiel des symptômes du problème. Cette seule approche ne nous permettra pas de régler la question du terrorisme. En fait, j'irais même jusqu'à dire qu'on pourrait tripler le budget du SCRS, de la GRC et de l'armée sans pouvoir réussir à mettre fin au terrorisme, parce qu'au bout du compte, si un seul terroriste réussit à passer à travers les mailles du filet, même si il ou elle ne réussit pas son attentat, on aura tourné en dérision tous les efforts et toutes les sommes investies et les sacrifices accomplis.
Par exemple, il y a trois ans, lorsqu'il y a eu l'attentat à la bombe liquide à Londres, aucun avion ne s'est écrasé, personne n'a été tué ou blessé, toutefois, nous avons changé la façon dont nous nous déplaçons et avons dépensé des millions de dollars pour changer nos méthodes de sécurité. Même lorsque nous ne réussissons pas, ils réussissent, alors les terroristes ont toujours l'avantage; c'est pourquoi je recommande que nous nous concentrions sur les causes profondes du terrorisme.
Le terrorisme, à mon avis, est issu de frustrations qui n'ont pas été entendues ou auxquelles on n'a pas répondu adéquatement. Je crois que nous avons tous une certaine part de responsabilité pour la situation qui prévaut actuellement dans le monde. Nous savons d'où proviennent ces frustrations. Elles proviennent de la situation en Palestine et des territoires occupés, de la situation au Sud du Liban, de la situation en Iran, et du soutien que nous accordons à des gouvernements corrompus dans le Golfe parce que nous voulons avoir accès à leur pétrole, et cetera. Si nous pouvions supprimer ces frustrations, nous pourrions retirer leur motivation à se battre. Quelqu'un qui n'a aucune raison de se battre ne choisit pas comme carrière de se faire exploser.
La troisième question est de savoir si la société civile et les entreprises privées peuvent faire davantage. Nous pouvons certainement faire plus. Malheureusement, je ne crois pas qu'on ait suffisamment encouragé les gens à faire davantage. Pour reprendre une expression populaire, la sécurité, c'est l'affaire de tous. Malheureusement, dans ce pays, nous avons l'habitude de laisser le gouvernement payer la facture pour la sécurité sans exception. Je suis maintenant dans le secteur privé, et mes clients disent qu'ils sont prêts à faire leur part, mais qu'ils ont besoin de soutien. Nous sommes actuellement en mode réaction.
L'ancien ministère du Solliciteur général a fait une étude il y a environ cinq ans qui a démontré que de 80 à 85 p. 100 des infrastructures essentielles au Canada appartiennent au secteur privé ou sont exploitées par celui-ci. Lorsque le gouvernement a dit qu'il allait protéger les infrastructures essentielles, le secteur privé a répondu qu'il n'avait pas attendu le gouvernement et qu'il avait déjà lui-même assuré cette protection, mais qu'il avait besoin d'être davantage proactif.
Nous pouvons nous-mêmes appliquer certaines solutions dans ce domaine. Par exemple, le Information Sharing Analysis Centre aux États-Unis regroupe des entreprises et partage de l'information avec une tierce partie de confiance, et l'information est partagée avec la communauté à titre de renseignement. La facture et les économies d'échelle sont partagées entre toutes les entreprises.
Pendant ma dernière minute, je veux vous parler de deux sujets qui selon moi sont très importants pour le Canada, quoique peut-être un peu à l'extérieur du domaine de compétence du comité. Il y a deux questions de sécurité que j'aimerais porter à votre attention. D'abord, l'espionnage étranger. Il a été prouvé que nous perdons des milliards de dollars. Oui, le terrorisme tue. Toutefois, à mon avis, les activités d'espionnage étranger au Canada créent davantage de dommage à notre capacité de compétitionner internationalement.
Finalement, dans l'esprit de l'extraordinaire héritage laissé par le premier ministre Pearson, je crois que le Canada pourrait et devrait jour un rôle de leader en matière de sécurité mondiale. Ce pays a besoin d'une vision nationale, et ce pourrait être notre réponse. Malheureusement, selon tous les analystes, le monde verra sa situation s'aggraver avant qu'elle ne s'améliore. Nos ressources naturelles ont été réduites, et il y a le réchauffement de la planète, et cetera. Ainsi, le Canada pourrait se donner un rôle de leader, comme nous l'avons fait avec l'Afrique du Sud relativement à l'apartheid. Nous avons pu mettre fin à l'apartheid sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. Je crois que nous pouvons y arriver encore une fois, si nous nous donnons cette vision.
[Français]
Le président : Nous vous remercions de votre contribution.
[Traduction]
Je cède maintenant la parole à M. Crelinsten.
Ronald Crelinsten, associé de recherche principal, Centre for Global Studies, Université de Victoria, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
[Français]
Je pourrais facilement consacrer au moins une heure à chacune de vos questions.
[Traduction]
Mes remarques d'aujourd'hui sont étayées dans mon récent livre, Counter-terrorism, dans lequel je tente d'élaborer un cadre détaillé pour contrer le terrorisme au XXIe siècle.
Votre première question porte sur ce qu'on pourrait appeler la thèse du nouveau terrorisme, selon laquelle il y a eu une hausse du terrorisme motivée ou inspirée par la religion au milieu des années 1990. La théorie de la vague de David Rapoport — pas la même que l'intervenant précédent — est une variation de cette thèse, selon laquelle il définit quatre vagues de terrorisme moderne : les anarchistes du XIXe siècle, les anticolonialistes du début du XXe siècle; les révolutionnaires gauchistes du milieu du XXe siècle; et les fondamentalistes religieux de la fin du XXe siècle.
Outre sa motivation religieuse, et les autres caractéristiques de ce nouveau terrorisme comprennent les suivantes : létalité accrue; vouloir la mort de nombreuses personnes; manque d'intérêt pour des objectifs politiques, mais davantage d'intérêt pour les objectifs religieux ou du millénaire; un phénomène transnational et mondialisé agissant au-delà des frontières partout dans le monde; fanatique, prêt à mourir et non disposé à négocier, surtout dans le contexte des attentats-suicides. Tout cela nécessite la préemption et des tueries ciblées en tant que meilleure réaction. On fait valoir que les vieilles méthodes antiterroristes ne seront pas efficaces.
Il y a des faits qui ne s'inscrivent pas dans la thèse du nouveau terrorisme, que nous appellerons contrefactuels. D'abord, le terrorisme fondé sur des motifs religieux est en fait très vieux, remontant au moins aux zélotes juifs du premier siècle. Il y a des groupes laïcs de la fin du XXe siècle, tels que les Tigres tamouls, qui utilisent également des attaques suicidaires. Certaines attaques terroristes qui ont entraîné de grands nombres de victimes étaient antérieures au supposé terrorisme de masse des années 1990; l'exemple le plus important étant le bombardement d'Air India en 1985.
La première vague d'anarchistes était transnationale, les terroristes agissant au-delà des frontières et dans de nombreux pays, tandis que les groupes de la troisième vague tels que le FLQ étaient inspirés par une idéologie transnationale de libération nationale et de guérilla urbaine. Au niveau tactique, les terroristes restent plutôt conservateurs, favorisant les techniques traditionnelles de bombardements, d'assassinats, d'assauts armés et de prises d'otages. Les groupes inspirés par la religion, tels que le Hamas, ont souvent des objectifs politiques clairs. Même Al- Qaïda a des objectifs politiques : le renversement des régimes apostats en Égypte, en Jordanie, en Arabie saoudite, entre autres. Les bombes humaines sont des bombes intelligentes et, à ce titre, ne peuvent pas être dissuadées, même si c'est discutable. Il y a un grand nombre d'autres personnes impliquées qui le sont peut-être, en particulier les collectivités où elles vivent. La dissuasion ou des négociations sont peut-être également possibles. Plus ça change, plus c'est la même chose.
[Français]
Plus ça change, plus c'est pareil.
[Traduction]
Les groupes terroristes ont tendance à innover au moyen du même arsenal de tactiques, plutôt restreint. Par exemple, les attaques du 11 septembre ont combiné les détournements d'avions et les attentats-suicides à la bombe. Pour les attaques de 2008 à Mumbai, on a utilisé des assauts armés et la prise d'otages, ainsi que des BlackBerrys, des navigateurs GPS, des CD remplis d'images par satellite à haute résolution obtenues de Google Earth, ainsi que de multiples téléphones cellulaires munis de cartes SIM commutables qui étaient difficiles à retracer. Les agresseurs communiquaient au moyen de téléphones satellites et se tenaient au courant des activités de leurs camarades terroristes en regardant les reportages télévisés en direct dans les chambres d'hôtel qu'ils occupaient. Leurs dirigeants depuis le Pakistan les incitaient et leur fournissaient une rétroaction au sujet des réactions de la police, également recueillies dans les reportages télévisés en direct.
Bref, plutôt que d'avoir créé un nouveau terrorisme, les terroristes d'aujourd'hui s'activent dans de nouveaux contextes, en utilisant de nouvelles variations de nouvelles technologies, ainsi que de nouvelles combinaisons de vieilles tactiques. Les vieilles menaces persistent ou sont transformées, tandis que de nouvelles menaces apparaissent. Le résultat est une combinaison du nouveau et de l'ancien. Je dirais que les facteurs les plus importants de changement des règles de jeu sont Internet et la technologie électronique.
Pour ce qui est de la nature d'Al-Qaïda, est-ce un soulèvement mondial ou une marque de commerce? Avant le 11 septembre, Al-Qaïda était hiérarchique, dirigé par des leaders, bien organisé et parrainé par l'État par l'intermédiaire des talibans. Après le 11 septembre et l'invasion de l'Afghanistan, Al-Qaïda est devenu diffus et désorganisé, sans asile sûr ou promoteurs étatiques. Ils ont eu recours à des groupes régionaux animés des mêmes idées et ont propagé une rhétorique idéologique qui favorise les opérations et les attaques autodirigées. Al-Qaïda est devenu une marque de commerce qui inspire l'autoradicalisation.
Le concept de soulèvement mondial masque les contextes et les programmes locaux. De nombreux gouvernements utilisent le concept pour regrouper leurs problèmes de soulèvement dans l'effort antiterrorisme mondial, comme la Russie avec la Tchétchénie, la Chine avec Xinjiang et l'Ouzbékistan avec les opposants islamiques.
L'autoradicalisation prend de nombreuses formes et ne mène pas toujours à la violence. Lorsqu'elle mène à la violence, elle peut prendre différentes formes. Dans le cas de certains Américains ou Canadiens d'origine somalienne, par exemple, un parallèle peut être établi avec les Canadiens qui sont allés en Espagne pour prendre part à la guerre civile espagnole. La menace d'origine intérieure a trait au fait que plus de citoyens ou d'immigrants établis se rendent à l'étranger pour recevoir une formation en terrorisme et reviennent au pays pour lancer des attaques, aider et encourager d'autres à lancer des attaques terroristes ailleurs comme dans l'affaire Khawaja, ou à planifier et préparer des attaques chez eux, sans aller recevoir de formation à l'étranger, tel que les 18 de Toronto. Les chefs d'Al-Qaïda ont affiché récemment des appels sur Internet, encourageant les participants à planifier de simples attaques qui n'exigent pas beaucoup de connaissances ou de préparation. Cela fait ressortir la menace du loup solitaire qui se prépare et agit seul.
Bref, il y a une limite trouble entre les activités et les plans dirigés par Al-Qaïda et les activités et les plans autodirigés. Al-Qaïda tente de rester pertinent et engagé, tandis que sa capacité a été sérieusement diminuée. Cela ne signifie pas qu'il ait donné suite à tous ses communiqués ou que ces derniers mènent à des plans et des attaques.
Pour ce qui est de votre deuxième question, les activités et les plans antiterroristes peuvent être à court, à moyen ou à long terme. Ils peuvent être tactiques ou stratégiques, réactifs ou proactifs, coercitifs ou persuasifs, offensifs ou défensifs. Ils peuvent être locaux, régionaux ou mondiaux.
Les changements législatifs et structuraux qui ont eu lieu depuis 2001 au Canada avaient pour but de tenter d'être plus proactifs et stratégiques. On semble reconnaître l'importance d'une approche incluant l'ensemble du gouvernement comme l'illustre, par exemple, la création de Protection civile Canada. L'OTAN aussi est de plus en plus consciente de l'importance de cette approche.
L'accroissement des pouvoirs devrait toujours être accompagné par l'accroissement de la supervision et de la responsabilité, en particulier lorsque les exigences du secret entrent en conflit avec celles de la transparence. Il existe des preuves que ce principe a été reconnu, sinon toujours appliqué. Les renseignements relatifs à la sécurité et le maintien proactif de l'ordre posent des défis particuliers aux sociétés démocratiques, et il faut toujours prendre soin d'intégrer les valeurs et les pratiques démocratiques dans les mesures de sécurité.
La pratique démocratique a tendance à accroître la sécurité, bien qu'un grand nombre de personnes croient que le contraire est vrai. Le meilleur plan antiterroriste n'éliminera jamais complètement le risque de terrorisme, comme l'a dit l'intervenant précédent. Pour cette seule raison, les principes démocratiques ne devraient pas être abandonnés à la légère et les pratiques antidémocratiques doivent être assujetties à des dispositions de temporisation et de surveillance accrue qui exigent une reddition de comptes à la fin de la période de temporisation.
Du point de vue fiscal, le matériel, et les programmes, ou même les analyses antiterroristes conçus pour déjouer les terroristes peuvent être coûteux, sur les plans des fonds, du temps et du personnel. À notre époque de bouleversements économiques, les facteurs coûts/avantages deviennent plus aigus. D'un point de vue politique, les solutions rapides et la rhétorique radicale semblent parfois plus attrayantes que les solutions à long terme et les explications nuancées. La volonté politique et le capital humain sont tout aussi importants que les ressources financières pour déterminer la meilleure façon d'agir pour protéger les intérêts de la société en matière de sécurité.
À cour terme, le renforcement des capacités électroniques de la police et des organismes de renseignement, l'accroissement de la sécurité portuaire et du contrôle des conteneurs ainsi que des cargaisons aériennes sont tous importants. L'assurance ou l'amélioration de l'échange d'information entre les organismes de renseignement et d'application de la loi est liée à la question épineuse à savoir quand mettre sous arrêt. Cette question continue de poser des défis difficiles, tels que le rapport approprié entre le renseignement et la preuve, la protection des sources et des méthodes, par opposition à la poursuite d'une affaire criminelle et à l'établissement d'un équilibre entre les besoins en matière de sécurité et de justice.
Nos plus proches alliés, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont différentes approches relativement à ce problème. Quelle est la position du Canada sur cette question? L'accroissement de la représentation des diverses collectivités culturelles et linguistiques du Canada au sein de ces organismes de sécurité et d'application de la loi devrait également être une priorité absolue en termes immédiats.
À moyen terme, les mesures antiterroristes peuvent avoir des conséquences imprévues sur le plan de la facilitation ou de l'accélération des processus de radicalisation, et de facilitation du recrutement terroriste. Une stratégie d'antiterrorisme qui intègre les droits de la personne et l'éducation interculturelle pour les collectivités à risque et pour les représentants de l'État qui ont des rapports avec ces collectivités permettrait peut-être d'éviter ce piège. L'information du public au sujet de la nature de la menace terroriste pour le Canada, tant au pays qu'à l'étranger, et au sujet des limites de ce que le gouvernement peut faire à cet égard, peut renforcer la confiance du public dans le gouvernement. Elle peut également prévenir des attentes irréalistes de la part du public quant aux capacités du gouvernement de composer avec la radicalisation et le terrorisme. Ceci pourrait servir à inoculer le public contre les types de sensationnalisme médiatique qui se manifestent pendant une crise réelle, de sorte que le public soit moins susceptible de céder à la panique ou d'exiger des solutions rapides qui, à long terme, créent plus de problèmes qu'elles n'en règlent. Un avantage supplémentaire de l'information du grand public consisterait à prévenir la création de boucs émissaires ou de préjugés fondés sur la peur qui jouent en faveur des idéologues radicaux et de leaders terroristes qui cherchent à justifier leurs discours empreints de haine et leurs actions violentes.
Les efforts de déradicalisation qui permettent d'offrir aux collectivités des outils et des connaissances nécessaires pour contrer le discours terroriste et pour reconnaître et signaler les signes de radicalisation et l'évolution vers la violence sont importants. Je suis d'accord avec d'autres intervenants pour dire qu'une approche antiterroriste fondée sur les services de police communautaires est la plus propice à cet égard. Cette approche doit faire notamment appel à la sensibilisation des agents de contrôle qui ont affaire chaque jour aux personnes même qui sont perçues actuellement comme étant les plus susceptibles de radicalisation ou d'implication dans le terrorisme.
À long terme, le règlement des conflits les plus persistants à l'étranger doit devenir une priorité absolue pour les Affaires étrangères, le développement et l'aide, ainsi que la consolidation de la paix. Le Canada avait l'habitude de jouer dans la cour des grands à cet égard, et il devrait le faire à nouveau. Cela est dans l'intérêt du Canada en matière de sécurité, puisque de tels conflits fournissent aux fanatiques et aux idéologues le matériel dont ils ont besoin pour répandre leurs discours de haine et de violence et pour séduire les individus aliénés et les orienter sur la voie de la violence terroriste.
Votre troisième question concerne ce qu'on peut appeler l'approche exhaustive ou l'approche à l'échelle du gouvernement. Il existe de nombreux modèles différents d'antiterrorisme, autres que les modèles coercitifs traditionnels de la justice criminelle et de la guerre. Chacun d'eux fait appel à la société, aux entreprises, aux travailleurs et aux organismes autres que les organismes de sécurité de différentes façons. Comme mon temps est limité, je n'en présenterai que quelques-uns. On pourra y revenir lors de la période de questions.
Le modèle de justice criminelle et le modèle guerrier sont des approches de base. Les citoyens et les collectivités jouent un rôle dans le signalement des crimes. Les médias, quant à eux, jouent un rôle important en moussant le soutien du public à l'égard de la guerre. Le modèle du renseignement n'a pas besoin de présentation. J'ajouterai ici qu'il est essentiel de compter sur des communautés diverses sur les plans linguistique et culturel. Le modèle défensif met l'accent sur la protection de l'infrastructure, le renforcement des cibles, la préparation aux situations d'urgence, la gestion des catastrophes, la santé publique et la résistance des citoyens. Le secteur privé joue un rôle essentiel à cet égard, tout comme les organismes de santé publique, les organismes de protection de l'environnement, de même que les organismes responsables des dépenses et des revenus du gouvernement, la classe politique et les médias.
Le modèle persuasif ou communicatif, ou encore l'approche fondée sur le cœur et l'esprit, vise la déradicalisation. Les diasporas sont essentielles à cet égard, tout comme le sont les médias. Pour leur part, les groupes d'entreprise et les multinationales peuvent jouer un rôle en veillant à ce que leurs activités respectent les pratiques et les règlements régissant l'environnement, la culture et le travail.
Parmi les modèles moins traditionnels, on compte celui axé sur le développement, qui se concentre sur le renforcement des capacités au sein des États défaillants à la suite de conflits, et sur l'aide et le développement à l'étranger. Les ONG sont importantes à cet égard. Pour sa part, le modèle axé sur la sécurité humaine vise à améliorer la vie des citoyens grâce à la réduction de la pauvreté, à l'éducation et à la formation professionnelle.
Le modèle axé sur le sexe reconnaît que la plupart des terroristes sont des hommes, que les femmes terroristes sont souvent motivées par la vengeance de la mort des membres masculins de leurs familles, et que les mères, les filles et les épouses peuvent jouer un rôle important en matière de déradicalisation et de désengagement. La coopération internationale et transnationale s'entend de la participation de la société civile et du secteur privé, y compris des organismes intergouvernementaux, des ONG, des groupes transnationaux et des groupes d'entreprise. Une approche réellement exhaustive exige d'allier les différents modèles que je viens de présenter. Il ne s'agit pas de déterminer quel modèle utiliser, mais plutôt d'établir quand utiliser tel ou tel modèle, selon quelle combinaison ou quel ordre et pendant combien de temps.
Le sénateur Joyal : Je sais que mes collègues ont de nombreuses questions à poser aux témoins. Merci de vos exposés.
Vous vous êtes concentrés sur de nombreuses initiatives qui touchent un certain nombre des ministères mentionnés dans votre document, mais aucun d'entre vous n'a insisté sur le rôle du Parlement ou des parlementaires dans ce contexte, aussi bien à l'échelle provinciale qu'à l'échelle fédérale, la sécurité n'étant pas un champ de compétence exclusif. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
Le président : Il est possible, sénateur, que nous ne sommes pas aussi importants dans ce dossier que certains pourraient le croire. Cependant, écoutons ce que les spécialistes ont à dire à ce chapitre.
M. Crelinsten : Merci de cette question, sénateur. J'ai dû donner mon exposé rapidement, mais j'ai fait référence au rôle des politiciens à quelques reprises.
Les politiciens constituent la source de renseignements préférée des médias. Les médias les consultent pour connaître le point de vue officiel. En fait, j'ai aussi étudié le terrorisme dans les médias. Margaret Thatcher avait créé l'expression « l'oxygène de la publicité » en parlant du terrorisme. Elle voulait dire que, sans publicité, le terrorisme mourrait. Elle critiquait les médias qui, selon elle, privilégiaient trop souvent le point de vue de terroristes. J'ai fait des études quantitatives et qualitatives à ce sujet, et j'ai observé que cette affirmation n'est pas fondée. La plupart du temps, les médias se font l'écho des politiciens et suivent le discours officiel de l'application de la loi.
Les parlementaires de tous les niveaux — je suis heureux que vous ayez mentionné les provinces, et c'est même le cas des administrations municipales, car ce dossier est aussi important pour les municipalités — peuvent jouer un rôle important en matière de sensibilisation du public. Ils peuvent favoriser l'ouverture et la transparence dans les questions que les organismes d'application de la loi et de sécurité doivent traiter avec moins d'ouverture. Vous avez accès aux rapports de surveillance. Vous pouvez également compter sur d'excellents comités, comme le vôtre. Grâce à la présentation de rapports au public, vous tentez d'attirer l'attention sur les menaces réelles et sur les limites du gouvernement. Plusieurs d'entre nous ont insisté sur le rôle du secteur privé. Les ONG sont très importantes.
L'autre rôle consiste dans la formation de réseaux — avec des parlementaires d'autres pays afin de découvrir les pratiques exemplaires, d'effectuer des visites sur le terrain, de tisser des liens avec des entreprises, comme l'a indiqué M. Juneau-Katsuya. Votre travail vous amène quotidiennement à former des réseaux et à sensibiliser le public, et il s'agit d'un rôle très important.
[Français]
M. Juneau-Katsuya : C'est une question très importante parce que malheureusement nous sommes confrontés aussi à une certaine naïveté de la part des députés et des gens qui sont élus. Nous le voyons dans le domaine du contre- espionnage et dans le domaine de l'antiterrorisme.
Je prendrai l'exemple d'une communauté qui a une grande importance à Toronto, la communauté tamoule. Pendant très longtemps, le LTTE, et encore aujourd'hui, a dominé la communauté tamoule. De par le nombre qu'ils sont à Toronto, ils couvrent trois circonscriptions électorales.
Pendant très longtemps, trop longtemps, les partis politiques, les gouvernements qui se sont succédé pendant les 20 dernières années, ont ignoré les cris d'alarme et les appels au secours de la communauté. Littéralement, le LTTE avait pris en otage sa propre communauté.
Le LTTE n'avait pas l'intention, c'est-à-dire les Tigres tamouls, de faire du mal à la population canadienne en général, mais avait trouvé une façon de soutirer de l'argent. Les autorités ont estimé qu'en moyenne dix millions de dollars étaient extorqués de la communauté tamoule pour être envoyés en soutien aux activités terroristes des Tamouls à l'extérieur. Cela malgré les appels constants faits par les autorités auprès du gouvernement pour les avertir de cette situation de prise en otage. C'est notre responsabilité de protéger nos citoyens et citoyennes.
Heureusement, la situation a changé il y a quelques années quand finalement le gouvernement a décidé de déclarer le LTTE comme étant un groupe terroriste. Immédiatement, on l'a vu en l'espace de deux semaines, la GRC commençait à faire des perquisitions afin de trouver l'information essentielle servant à décapiter la tête du groupe.
Mon exemple cherche à illustrer dans quelle mesure il est important pour les élus de se renseigner auprès du SCRS et des autorités.
Nous avons énormément d'information à notre disposition. C'est très important pour ne pas accorder un soutien tacite, direct ou implicite à des groupes qui ne le désirent pas ou qui ne le méritent pas. L'information est importante en même temps pour éviter d'avoir l'air fou parce qu'on s'adonne à des séances photo et on participe à des choses. En réalité, le reste du monde nous regarde et se demande ce qui se passe là-bas alors que les États-Unis, l'Europe, voire même l'ONU ont pris dix ans pour déclaré que le LTTE, étaient des terroristes. C'est un premier élément.
Un autre élément important concernant les élus, c'est qu'ils devraient beaucoup plus écouter la communauté et le monde des affaires qui sont prêts à contribuer financièrement pourvu qu'il leur revienne quelque chose en retour. Il doit y avoir quelque chose pour eux, mais ils sont prêts à s'engager dans la lutte et à contribuer.
Il faut que les élus puissent traduire ces demandes en des actions concrètes où les autorités pourront soutenir les initiatives du secteur privé.
[Traduction]
M. Hamilton : J'aurais une fonction précise à recommander aux parlementaires et aux simples députés enthousiastes : diriger le Programme d'approche communautaire dont j'ai parlé plus tôt. Je sais que la GRC et le SCRS ont un programme du genre, mais j'envisage quelque chose de plus large portée. Des députés pourraient assurer la coordination des entreprises et des enseignants. Pour vérifier si le programme fonctionne, on pourrait d'abord le mettre en œuvre à l'échelle locale. Le député de la circonscription visée pourrait agir comme coordonnateur. Les entreprises auraient un rôle essentiel à jouer à cet égard, car mon plan prévoit qu'elles financeraient 100 p. 100 du programme. On ne peut pas s'attendre à ce que le gouvernement contribue davantage; il devrait continuer à financer l'application de la loi. Je veux proposer un programme qui ne coûterait rien au gouvernement, de façon à ce que les parlementaires jouent le rôle de lobbyistes, un rôle qu'ils jouent très bien. Il ne serait alors pas si difficile de trouver l'argent pour financer les programmes. Voilà la fonction que je réserverais aux parlementaires.
Le sénateur Wallin : Nous discutons de ce dossier depuis environ deux semaines. Comme c'est l'habitude chaque semaine, j'aimerais aborder quelques points.
M. Crelinsten a bien exposé la question. Nous pouvons utiliser le modèle de justice criminelle et le modèle antiterroriste afin de comprendre le comportement de ceux qui commettent des actes terroristes. Vous verrez ici ce que je privilégie. Ma question porte sur la comparaison entre la criminalité et le terrorisme. J'aimerais qu'on me réponde à la lumière de ce que M. Hamilton a dit, à savoir que les terroristes ne sont pas en colère et, par conséquent, qu'on ne peut pas les apaiser en étant plus gentil, en changeant d'attitude à leur égard, en essayant de les comprendre ou en leur prêtant l'oreille. Nous savons qu'il est plus difficile, dans une démocratie qui laisse une grande place à la transparence et aux médias, de poursuivre ceux qui ont commis des actes de terrorisme. Est-ce pourquoi nous avons choisi le modèle criminel, où y a-t-il une autre justification qui m'échappe?
M. Juneau-Katsuya : Dans le cas du terrorisme, comme j'ai essayé de l'expliquer dans mon exposé, nous attaquons le problème de deux façons. Les interventions forcées de la part des autorités se font lorsque nous sommes confrontés à une menace immédiate. Nous sommes « assiégés » et la menace est réelle. Malheureusement, cela ne traite que les symptômes parce que la cause du problème se trouve ailleurs.
Faire la part entre l'élément criminel et l'élément antiterroriste est un défi pour nos sociétés. Nous essayons d'une certaine façon d'utiliser les deux, mais il y a deux moyens de procéder. Le système judiciaire devra clarifier cette confusion le temps venu. Entre-temps, il y aura des contestations jusqu'en Cour suprême du Canada, qui définira la situation. Cela fait peut-être partie du problème que nous avons créé entre l'élément antiterroriste et l'élément criminel. Mais ce n'était pas un acte criminel. Nous avions besoin de quelque chose de différent.
Le sénateur Wallin : Voilà où je veux en arriver. Lorsqu'il y a des actes terroristes, je sais qu'il est difficile de poser des accusations, et les accusés ensuite nous poursuivent. À un moment donné, il faut se décider. Si on le traite comme un problème criminel, alors il faut que le modèle criminel devienne plus strict. Si nous décidons d'utiliser le modèle antiterroriste, ces lois devront être plus transparentes afin d'être acceptables. Nous suivons par défaut la voie du système de justice criminelle, et nous créons donc toute une autre série de problèmes.
M. Juneau-Katsuya : Nos mécanismes de sécurité sont intégrés au système de justice criminelle, dans lequel se trouvent des principes qui nous empêchent de faire ce que l'administration du président Bush a fait, c'est-à-dire d'aller au-delà du système judiciaire. C'est un problème dangereux. Il faudra un jour rendre des comptes à ce sujet.
Le sénateur Wallin : C'est tout simplement différent.
Le président : J'ai une question pour M. Hamilton qui a dit qu'un système de règlement des griefs extrajudiciaire serait peut-être mieux. Dans le cadre de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant, ma question est la suivante : est-ce que ce système de règlement des griefs respecterait la Charte des droits et libertés? Suspendrions-nous l'application de la Charte des droits et libertés — par exemple par une loi? La Cour suprême du Canada vient juste de statuer que non seulement la Charte des droits et libertés s'applique à toutes les activités judiciaires, mais également aux tribunaux administratifs fédéraux et provinciaux partout au pays. Ce que vous suggérez pour répondre à la préoccupation du sénateur Wallin à propos des différentes approches dans le cadre des contraintes des différents modèles dont M. Crelinsten a parlé. Est-ce le germe d'une nouvelle idée sur laquelle vous aimeriez que le comité se penche plus longuement? Nous aimerions connaître votre avis à ce sujet.
M. Hamilton : Je vais réfléchir à la question et transmettre ma réponse au comité. Les Services de renseignements ont un problème avec le système du Code criminel. Je sais qu'il ne s'agit pas d'information secrète, mais je ne sais pas si la population sait que le groupe des 18 de Toronto était au moins la troisième cellule à Toronto. La première était algérienne et la deuxième, d'Al-Qaïda. Le problème qu'avaient la GRC et le SCRS était qu'ils ne pouvaient pas produire de preuves en vertu du Code criminel, qui sont nécessaires en cour criminelle.
Le sénateur Wallin : C'est ce que je disais.
M. Hamilton : Dans le cadre du terrorisme, le problème est que souvent lorsque vous arrivez à ce stade, il est trop tard parce que la dynamique du terrorisme ne nous permet plus d'attraper ces gens.
Le SCRS et la GRC ont suivi une procédure normale : ils ont perturbé une action. Certains des hommes de la cellule ont quitté le pays et d'autres pas. En gros, le SCRS et la GRC ont fait savoir à la cellule qu'elle était surveillée et ils ont essayé de faire pression sur eux. Je sais que la GRC et le SCRS ont fait le mieux qu'ils pouvaient, mais franchement, nous devons corriger le système parce que ce n'est pas suffisant.
Je crois parler au nom de nombreux Canadiens lorsque je dis que nous ne voulons pas savoir que ce sont des terroristes dont on a perturbé les actions; nous voulons simplement qu'ils ne soient pas en liberté. Il faut trouver une façon pour que les autorités policières et les services de renseignements puissent s'occuper de ces individus sans avoir à présenter autant de preuves.
Pour des raisons historiques, le terrorisme s'est retrouvé sous le système du Code criminel. Depuis les derniers événements, il y a plus de pertes de vie et donc ils ressemblent plus à des actes de guerre.
Le président : Sénateur Wallin, vouliez-vous ajouter quelque chose?
Le sénateur Wallin : Je pense que nous touchons au but. Je ne sais pas si M. Crelinsten veut ajouter quelque chose, mais je pense que les observations de M. Hamilton touchent au vif du sujet.
Le président : Le professeur Crelinsten a parlé de différents modèles, mais je crois qu'on peut dire, suite à la lecture de son mémoire, qu'il ne semblait pas favoriser un modèle en particulier, mais semble plutôt indiquer une combinaison des différents modèles nécessaires, selon le contexte. Est-ce une bonne interprétation de vos propos?
M. Crelinsten : C'est une bonne interprétation, et il est intéressant d'examiner le passé lorsque l'on parle de la justice criminelle et de la guerre. Lors des audiences sénatoriales de 1985 présidées par William Kelly, le terrorisme n'était pas inclus dans le Code criminel. Le meurtre et toutes les autres choses que les terroristes font y étaient inclus, et j'ai dit alors que c'était une bonne chose parce que dès que l'on crée des infractions spéciales, on se retrouve avec un problème.
Après le 11 septembre 2001, je n'étais pas au Canada et je n'aurais rien pu faire de toute façon — parce que le mouvement était trop important — et de nombreux pays sont allés dans cette direction. L'Australie l'a fait, tout comme le Royaume-Uni. Cependant, pas l'Allemagne. Ils n'ont pas de crimes précis liés au terrorisme, ils utilisent des procédures. Cependant, j'ai parlé de la question du moment de l'arrestation, et voilà ce dont il s'agit. Le Royaume-Uni va aussi loin que possible avec ses renseignements. Il prend même le risque d'une attaque. Ils attendront autant que possible, et le complot aux explosifs liquides de 2006 a été démantelé à cause d'une fuite médiatique lors de la conférence de presse de Condoleezza Rice, et ils ont dû agir rapidement, mais ils étaient très en colère. Les États-Unis utilisent maintenant les forces policières pour perturber les activités des terroristes. Ils font rapidement des arrestations pour les désorganiser.
En tant que criminologue, je proposerais le retour à une justice criminelle pure. Cela a un effet dissuasif, mais pour éviter tous les problèmes que l'on a, il faut améliorer nos services de renseignements et dépendre d'eux beaucoup plus jusqu'à ce qu'on ait un bon dossier. Lorsque cela n'est pas possible, le Royaume-Uni a essayé d'utiliser des mesures restrictives et l'assignation à résidence, mais les tribunaux ne le permettent pas parce que nous sommes des démocraties.
Dans de tels cas, on fait de son mieux, et c'est à ce moment qu'on peut utiliser l'autre liste. Résoudre le conflit palestinien permettrait de résoudre un grand nombre de problèmes, mais il s'agit là d'affaires étrangères et c'est à beaucoup plus long terme. Le modèle axé sur le sexe que j'ai mentionné, l'éducation des femmes et des filles, est une autre solution. Ziad Jarrah, l'homme qui pilotait l'avion qui s'est écrasé en Pennsylvanie, avait une petite amie turque. Malgré les ordres de Bin al-Shidh, il a insisté pour retourner à Hambourg pour lui dire adieu. On aurait pu le dissuader de poursuivre. Le chef d'Al-Qaïda au Maghreb a démissionné parce que sa femme lui a dit de le faire, alors les femmes jouent un rôle dans ces situations. En éduquant les femmes, elles ont moins d'enfants, elles ont moins de branches nues, comme disent les Chinois, autour de ces hommes en chômage qui essaient un peu de tout, du parachute au terrorisme. Tous ces autres modèles, comme le développement, sont essentiels. Pour éviter les problèmes que nous avons maintenant, utilisons les services de renseignements aussi longtemps que possible jusqu'à ce qu'on ait de bonnes preuves, et puis frappons grâce à la justice criminelle.
Le sénateur Jaffer : J'ai une observation brève au sujet de ce qu'a dit le professeur Crelinsten à propos du rôle des femmes. J'ai travaillé avec des femmes des terres tribales du Pakistan. Nous essayons de convaincre les jeunes hommes de ne pas devenir des kamikazes, en parlant à leurs mères, mais c'est un processus à long terme. C'est une tentative d'utiliser nos ressources dans un autre domaine.
Je pourrais poser tant de questions, mais le temps est limité, alors je vais me concentrer sur un domaine qui m'inquiète grandement, et c'est celui des terroristes d'origine intérieure. Il est encourageant de vous entendre dire que nous devons nous occuper des symptômes. Si je peux poser une deuxième question, elle sera à ce sujet.
Vous avez tous parlé des terroristes d'origine intérieure. Vous avez parlé de l'autre forme de terrorisme, mais je veux me concentrer sur les jihadistes. Si vous deviez dresser une liste, avec qui devons-nous discuter pour être entendus dans les collectivités? Par exemple, il y a quelque temps, nous avons mis en place la table ronde sur le terrorisme. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé; on n'en entend plus parler. Une table ronde des leaders des communautés avait été mise en place. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que l'on fait dans les communautés pour rejoindre les jeunes. Vous avez parlé des enseignants.
S'il y avait une liste de choses à faire, si nous rédigions un rapport, que devrions-nous faire pour rejoindre ces jeunes pour leur donner un sentiment d'appartenance à la collectivité? Vous avez parlé de ceux qui faisaient partie des forces de sécurité, et je suis encouragée par les grands progrès que le SCRS a faits. Nous faisons ces choses, mais que pouvons-nous faire d'autre?
M. Crelinsten : Le gouvernement se trouve devant un dilemme en ce qui concerne les terroristes d'origine intérieure, puisque si l'initiative semble menée par le gouvernement, des problèmes de confiance surgissent. Il faut débuter dans les communautés avec les leaders, les enseignants, les écoles. Certains des programmes de déradicalisation au Singapour et en Malaisie et dans d'autres pays utilisent un processus de mentorat. Les parlementaires ont peut-être un rôle à jouer au plan local, pour revenir à la question du sénateur Joyal. Il faut discuter avec les communautés pour qu'elles fassent confiance aux autorités et les avertissent lorsqu'elles voient des problèmes.
N'oublions pas que c'est le père du terroriste de Noël qui a lancé l'alerte. C'est le système qui a échoué. Les familles s'inquiètent et devraient savoir qui appeler, qui rejoindre, et les parlementaires pourraient s'assurer que les lignes de communication demeurent ouvertes.
Il faut commencer par l'éducation et l'établissement de la confiance dans les communautés. Vous avez parlé de long terme. C'est la chose la plus importante. Cela dépasse un horizon électoral. Dans une relation personnelle, on a constaté que ce qui fonctionne le mieux c'est de créer un sentiment d'appartenance, un sentiment de prise en charge de soi, de possibilité d'obtenir un emploi et de faire quelque chose d'utile. J'ai été un peu désinvolte en disant que l'on pouvait faire du parachutisme ou du terrorisme. Nombre de ces jeunes hommes aiment le risque. Ce sont des casse-cou et on pourrait facilement les diriger vers le parachutisme. Je ne sous-estimerais pas une mesure comme de permettre aux communautés d'avoir des programmes de parachutisme, des programmes casse-cou, quelque chose de différent à faire. Peut-être le soccer — la Coupe du monde — les sports, l'éducation et la religion bien sûr est très importante pour contrer les fausses interprétations du Coran et de l'islam. Il y a de nombreuses idées précises qui sont dénaturées.
Je vais vous donner un exemple. Tous les musulmans devraient se méfier des non-musulmans. J'oublie la phrase en arabe, mais elle est fausse. Mohammed respectait beaucoup le roi de Perse, par exemple, alors c'est une idée fausse, mais c'est ce qu'on dit. Comment éduquer ces gens? La plupart des jeunes jihadistes ne connaissent pas l'islam. Ils ne connaissent pas l'arabe. Ils écoutent des prédicateurs radicaux sur le web ou dans des mosquées illégales et ils parlent en anglais, et ils apprennent un méli-mélo de choses et l'utilisent pour se justifier. Nous avons besoin d'arguments contraires.
J'étais à une conférence en Australie où les policiers de Victoria travaillent très bien avec les communautés à risque. C'est un très bon modèle. La GRC étudie des choses semblables ici. M. Hamilton l'a mentionné, mais une des femmes à la conférence a dit : « Je suis musulmane; je fais partie de la communauté de Victoria, et lorsqu'ils viennent voir les leaders religieux, je suis une athéiste, je ne vais jamais à la mosquée, je me sens exclue. » Il ne faut pas seulement s'occuper de la religion. Nous devons comprendre les communautés et savoir qui en sont les leaders.
M. Juneau-Katsuya : Lorsque l'on parle particulièrement du terrorisme d'origine intérieure, on parle de jeunes hommes et femmes qui se nourrissent, comme on vient de le dire, d'idées de l'étranger. Il ne s'agit pas nécessairement de personnes opprimées. Ce ne sont pas nécessairement des gens qui ont vu leur maison détruite par un officier de l'armée, ou d'autres choses semblables. Ce sont des gens qui ont été recrutés sur un plan intellectuel ou idéologique, et peut-être parce qu'ils sont jeunes et émotifs, et cela constitue un défi phénoménal.
La communauté peut jouer un grand rôle. Nous devons élargir notre perspective. Notre tendance naturelle est de penser à Al-Qaïda et aux musulmans radicaux, mais il y en a bien d'autres. Par exemple, il y a eu récemment un incident dans la communauté sikhe de la Colombie-Britannique où une parade a été organisée pour glorifier les martyrs, les kamikazes et les terroristes. La communauté ne peut pas tolérer cela. Nous avons des lois qui nous permettent d'agir sur-le-champ et de mettre fin à de telles choses. Ce sont les leaders de la communauté qui ont organisé la parade, et nous ne pouvons tolérer cela.
Malheureusement, dans la psychologie d'un terroriste, en plus de rechercher les émotions fortes, il y a l'idée romantique d'être un combattant de la liberté, de se battre pour ses frères et ses sœurs. Ils n'ont même pas fait l'expérience des choses contre lesquelles ils se battent, mais ils sont complètement consommés par elles.
Nous devons parler aux leaders des communautés et leur montrer d'une certaine façon que le Canada, et le monde occidental en général, essaie sérieusement de corriger certaines des situations problématiques dont j'ai parlé. Lorsqu'il n'y a pas d'action tangible, les modérés n'ont pas de voix. Cela nourrit les extrémistes qui disent : « Voyez, on vous avait dit qu'ils ne faisaient rien. » Nous devons donner une voix aux modérés.
M. Hamilton : J'entends dans les communautés que de nombreuses personnes ont très peur de parler, ce qui est compréhensible.
Le président : Dites-vous que les gens modérés et les gens qui ne s'intéressent pas à la violence dans certaines de ces communautés ont peur de parler?
M. Hamilton : Oui. Tarek Fatah, un porte-parole à Toronto, nous a dit que nous devons trouver une façon de communiquer directement avec eux sans susciter la peur ou créer des risques pour eux. Ils doivent se sentir à l'aise. Les Canadiens musulmans modérés représentent l'avenir de notre pays. À moins d'en profiter maintenant, nous pourrions connaître de nombreux problèmes.
Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas un grand amateur de cette théorie des doléances. Je ne crois pas que l'on devient antisémite par soi-même. Il y a une culture qui amène cette personne à croire ce qu'elle croit, et ces choses les entourent. Ben Laden ne s'intéressait pas à la Palestine. Avant le 11 septembre 2001, il a dit qu'il s'est intéressé au terrorisme parce que les Américains étaient présents en Arabie saoudite. C'était une question d'affaires étrangères; ce n'était pas très important. Les gens ne se faisaient pas tuer ou ne mouraient pas de faim en Arabie saoudite. Il a perdu la boule et a recruté tous ces gens parce que les Américains étaient en Arabie saoudite. Il est difficile de vaincre un homme comme cela qui peut recruter des gens. Je pense qu'il a pu les recruter à cause du milieu dans lequel ces gens vivaient, le totalitarisme, le manque de démocratie et beaucoup de haine envers les Juifs, les Blancs et les chrétiens, ce qui est un terreau très fertile.
Comment explique-t-on que des gens nés ici à qui l'on transmet le même message se sentent interpellés?
M. Juneau-Katsuya : C'est une observation juste. Avant de s'insurger contre la politique étrangère, ben Laden jouait un rôle qui avait été créé par la CIA. Il servait les intérêts de la CIA durant la guerre contre l'Union soviétique en Afghanistan. Il a perdu ses illusions lorsque la CIA a abandonné son groupe.
Je suis d'accord avec vous. Les terroristes embrasseront n'importe quelles causes qui servent leurs intérêts. Parfois, ils invoquent la cause des Palestiniens aux fins du recrutement, parfois ils promettent 77 vierges et même l'Arabie saoudite.
Le sénateur Tkachuk : Il est rentré en Arabie saoudite et il a participé aux affaires de sa famille. C'est une famille riche ayant des intérêts dans le secteur de la construction. Ce n'est pas la CIA qui en a fait un révolutionnaire, il l'était déjà.
M. Juneau-Katsuya : Exactement, il a été recruté parce qu'il était susceptible de l'être. J'ai dit plus tôt que ces jeunes personnes sont embrigadées pour des raisons intellectuelles. Les terroristes nés en sol canadien ne sont pas recrutés sur la base de leur expérience personnelle. Les terroristes qui proviennent de l'étranger sont embrigadés pour tout un ensemble de raisons. Toutefois, il existe un dénominateur commun. Je crois que la religion n'est qu'une infime composante des arguments de recrutement. L'aspect politico-idéologique a beaucoup plus de poids et s'appuie par les événements dont ils sont témoins.
Je fais référence à l'idéologie, à une attitude antisémite, et cetera. Ces éléments sont enracinés dans une culture qui s'appuie sur des événements historiques. Voilà comment une culture évolue. Cela n'apparaît pas soudainement, c'est plutôt nourri au fil du temps.
Dans le cas du conflit israélo-palestinien, probablement que toutes les familles des deux côtés de la clôture ont connu la perte d'êtres chers et le deuil. Certains peuvent avancer que cela rend impossible toute réconciliation, mais je ne suis pas d'accord. Je pense que nous pouvons les réconcilier en leur montrant certains gestes qui ont été posés au sein de notre collectivité.
Par exemple, le président Obama a récemment demandé à ce que l'expression « extrémiste islamique » ne soit plus utilisée, parce que ce ne sont pas tous les musulmans qui sont des extrémistes. Il est donc très important de faire preuve de délicatesse et de prudence lorsqu'on parle d'un phénomène ou d'une personne. Le fait de faire attention à nos propos peut améliorer beaucoup le dialogue.
Le sénateur Tkachuk : On change les mots, mais pas le concept. En d'autres termes, ils n'utilisent plus l'expression « terroriste » aux États-Unis, mais cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas des terroristes. Il y a effectivement des extrémistes islamiques qui constituent un groupe précis de personnes au sein de la communauté qui pose problème.
M. Juneau-Katsuya : Alors pourquoi ne pas les appeler « des extrémistes religieux », de manière à inclure la milice chrétienne également?
Le sénateur Tkachuk : C'est inexact. Il n'y a pas de milice chrétienne qui bombarde des immeubles comme le World Trade Centre. Aucun groupe chrétien ne s'est lancé dans une guerre.
M. Juneau-Katsuya : L'explosion à Oklahoma City était le fait d'une milice.
Le sénateur Tkachuk : Cet attentat a été réalisé par un membre d'une milice, mais pas pour des raisons religieuses. Il s'agissait de raisons politiques. C'était un taré qui pensait que le gouvernement était trop puissant et qu'il devait le faire exploser. Le fait qu'il soit d'une confession religieuse précise n'a rien à voir avec l'attentat.
M. Juneau-Katsuya : Lorsque nous étudions leurs méthodes de recrutement et leurs discours ainsi que d'autres aspects, le fait qu'ils soient des chrétiens, suprématistes blancs ou autres est très important.
Le sénateur Tkachuk : Donc, d'après vous, cet homme...
M. Juneau-Katsuya : M. McVeigh.
Le sénateur Tkachuk : ... qui a commis cet acte criminel en Oklahoma pourrait entrer dans la même catégorie que le groupe qui a pris le contrôle des avions le 11 septembre et qu'Al-Qaïda? Ce serait la même chose?
M. Juneau-Katsuya : Il y a beaucoup de similitude au niveau du discours, de la motivation et de la façon dont ils en sont arrivés à faire ce qu'ils font. La terminologie est différente, mais le schéma est le même.
Le sénateur Tkachuk : C'est très intéressant.
J'ai une autre question. Je ne sais pas très bien comment l'Agence du revenu du Canada traite les dons de charité versés aux groupes religieux, sauf peut-être que les groupes religieux peuvent émettre des reçus pour dons de charité. Comment cela fonctionne-t-il chez les musulmans? Un imam peut ouvrir un local dans un centre commercial et déclarer que c'est une mosquée. Est-ce que Revenu Canada va le considérer comme étant une organisation caritative?
M. Juneau-Katsuya : Il faut suivre un processus de demande. Si l'organisation répond aux critères, oui.
Le sénateur Tkachuk : Comment un groupe religieux peut-il être éligible? Comment est-ce que, par exemple, notre église catholique ukrainienne à Saskatoon pourrait être éligible? Est-ce que l'organisation doit envoyer une demande à titre d'organisme national, est-ce qu'on emploie le même numéro que sur les déclarations d'impôt sur le revenu ou est- ce que chaque église présente une demande par paroisse.
Le président : Indépendamment des réponses des témoins à cette question, il serait également utile que le comité demande une note d'information sur une recherche détaillée à ce sujet. Par conséquent, nous pourrions savoir la façon dont les groupes religieux présentent et font approuver leurs demandes auprès de l'ARC, et quels critères et seuils sont employés dans le cadre de cet examen. Ce serait très utile et je vous en serais très reconnaissant.
M. Juneau-Katsuya : Brièvement, il y a un processus à suivre. Pour obtenir ce type de désignation on passe surtout par une simple formalité. L'un des problèmes que nous avons au Canada, c'est que beaucoup de sectes ont été en mesure de se prévaloir de ce statut privilégié. Le fait qu'il n'y ait pas assez d'agents de l'ARC pour enquêter sur ces organisations pose aussi problème. Cette lacune a longtemps été utilisée à mauvais escient par les différents groupes terroristes pour acheminer de l'argent un peu partout, même à des organisations criminelles dans une certaine mesure.
Depuis les attentats du 11 septembre, on s'est surtout attelé à essayer de neutraliser les terroristes en les privant de leurs moyens financiers. Malheureusement, cette pratique est appelée à prendre fin, dans une certaine mesure. Au Canada, on peut employer cette pratique pendant un certain temps, mais bientôt, elle s'avérera inefficace en raison de la nouvelle tendance dont j'ai parlé. Si le narcoterrorisme devient maintenant une source fiable d'enrichissement grâce au trafic de cocaïne pour les cartels de la drogue, il ne s'avérera pas aussi nécessaire d'avoir recours à cette autre source.
Le sénateur Tkachuk : L'argent, c'est le nerf de la guerre. Si ben Laden n'avait pas valu quelques centaines de millions de dollars, je ne crois pas qu'il aurait aussi bien réussi dans son entreprise.
Le sénateur Nolin : J'aimerais revenir à la question fondamentale qui a été posée par le sénateur Wallin : quel modèle devrions-nous adopter, les poursuites criminelles ou d'autres moyens? Je suis d'accord avec vous, professeur Crelinsten, car je partage votre point de vue. Lorsque nous avons commencé à étudier le droit, beaucoup de participants estimaient que nous devrions employer le Code criminel, car nous avons été plus efficaces en le respectant qu'en créant de nouvelles infractions.
Monsieur Hamilton, j'ai été intrigué par votre réponse. Vous avez dit qu'à Toronto, il y a un problème avec l'application du Code criminel et la qualité des preuves. Je n'ai pas de réponse à vous donner. S'il y a un problème dans l'application de la loi, peut-être que la loi n'est pas assez claire. C'est probablement là le problème. Peut-être que nous devrions changer la loi ou reformuler l'infraction. L'autre option qui s'offre à nous, c'est de créer un système parallèle. Qui surveillerait ce système?
Voilà la question posée par le sénateur Wallin. Je crois que nous avons un bon système.
M. Hamilton : L'expression « système parallèle » me rend nerveux.
Le sénateur Nolin : Moi aussi, après tout nous sommes encore un État de droit. La primauté du droit est essentielle.
M. Juneau-Katsuya : Le régime des certificats de sécurité constitue un système parallèle. C'était un échec total. Le droit d'un pays de se protéger et d'expulser les éléments indésirables est un droit totalement acceptable.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je suis entièrement d'accord.
M. Juneau-Katsuya : D'un autre côté, le SCRS fait maintenant face à une situation où ils sont appelés à témoigner; et plutôt que de révéler la preuve qu'ils ont accumulée, parce qu'ils ne l'ont pas vraiment accumulée dans un contexte de procédures criminelles, on voit qu'après avoir dépensé des millions de dollars en procédures, certains peuvent nous accuser — les Nations unies le font — d'avoir abusé du droit contre certains individus.
Le SCRS se retrouve donc, à la dernière minute, à devoir dire qu'ils retirent les accusations plutôt que de continuer parce qu'ils ne veulent pas révéler leur preuve. C'est très problématique. Certains disent même qu'un cercle complet a été fait et que, peut-être, nous aurions dû laisser à la GRC le travail qu'ils faisaient auparavant.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : La question soulevée par le sénateur Wallin est essentielle aux travaux du comité. Devrions-nous poursuivre avec le modèle pénal? Ce modèle ne date pas d'hier. La jurisprudence a été accumulée pendant plus de 120 ans. En 1982, nous avons enchâssé la Charte dans notre structure. Le fait de connaître certains écueils au sein du système justifie-t-il la création d'un nouveau système? Je ne suis pas de cet avis.
Le président : Du point de vue historique, rappelons-nous que la Loi sur les mesures de guerre constituait essentiellement un instrument visant à contourner toutes les protections rattachées au droit criminel.
Le sénateur Nolin : Nous avons une certaine expérience de cela.
Le président : En effet. Mais si l'on pense à la Charte des droits et libertés, qui a été adoptée dans les années suivant l'application de la Loi sur les mesures de guerre, et si l'on pense à la manière dont la Charte a été invoquée à divers moments, de manière légitime par les avocats de la défense au nom de leurs clients — ce que prévoit un régime de jurisprudence ouvert — et si l'on songe à la nécessité de démanteler quelque chose avant qu'elle ne se réalise de manière préventive, qu'il y ait ou non suffisamment de preuves pour intenter une poursuite, nous arrivons au cœur, je pense, de la question que vous soulevez.
Le sénateur Nolin : C'est une question d'application de la loi. S'il leur faut davantage de pouvoirs, c'est probablement une bonne question. Ont-ils besoin de nouveaux pouvoirs ou d'une plus grande souplesse dans l'application de la loi? C'est une chose dont nous pourrions discuter.
M. Juneau-Katsuya : L'un des défis consiste à former les juges. Il y a eu des conclusions assez étranges : nous l'avons vu au procès Air India. Nous l'avons vu au procès Khawaja. L'un des problèmes auquel nous faisons face c'est peut- être celui de la formation et des connaissances des juges.
Du point de vue de l'application de la loi, pour ma part, je pense qu'il s'agit d'une question pénale. Nous devrions modifier et affiner le Code criminel au besoin, car comme je le disais dans ma dernière réponse, le système comporte déjà des mécanismes de sauvegarde. Comme vous le disiez, il existe depuis environ 120 ans et cela fait donc pas mal de temps qu'on l'améliore.
Le sénateur Nolin : Nous avons commis des erreurs, nous les avons corrigées et il existe encore des erreurs.
M. Juneau-Katsuya : C'est un travail qui ne finit jamais.
Le président : Monsieur Hamilton et monsieur Crelinsten, voulez-vous répondre à la question du sénateur Nolin?
M. Crelinsten : J'ai déjà dit que si vous vouliez vous restreindre à la justice pénale, vous devez compter sur les services de renseignement pour obtenir toutes les preuves nécessaires pour monter un dossier solide. Le premier procès d'une personne impliquée dans les attaques du 11 septembre s'est déroulé en Allemagne et s'est soldé par un échec parce que les États-Unis ont refusé de fournir des preuves qui auraient pu être utilisées pendant le procès. En général la preuve existe, mais elle est protégée. Lors d'une conférence l'an dernier, le commissaire de la GRC a dit qu'il fallait enseigner aux services de renseignement et d'application de la loi l'échange d'information et que les services de renseignement devraient peut-être réunir des renseignements en vue d'une poursuite criminelle, de manière à pouvoir échanger plus d'informations. Il y a aussi les renseignements étrangers qui sont essentiels. Nous ne voulons pas ruiner nos relations, ce qui devient une autre raison de reculer. Il faut travailler également avec les organismes étrangers afin de créer une culture d'application de la loi et de respect de l'échange de renseignements chez tous les intervenants. On a créé toutes ces cloisons — suite à la Commission Church aux États-Unis et à la Commission McDonald ici — et dans le passé nous avons eu nos raisons de séparer les différents services de renseignements. Maintenant, le 11 septembre nous force à les réunir.
M. Hamilton : Est-ce que les législateurs seraient favorables à la modification de certaines dispositions du Code criminel? Ce serait bien mieux que de jeter le bébé avec l'eau du bain, parce que ce serait au moins un point de départ. On peut prévoir des problèmes si, par exemple, telle infraction est passible d'une telle peine sauf s'il s'agit d'un acte de terrorisme qui donnerait lieu à une peine additionnelle. Nous pouvons prévoir de nombreuses zones grises. Est-ce que le tort qu'un terroriste pourrait causer au pays est plus grave que celui que pourrait causer un criminel? Si c'est multiplié par 5 000, les décideurs auront à traiter une question très délicate. On nous a habitués à considérer que la vie est sacrée. Une vie égale à 500. Sur le plan éthique, je ne sais pas comment nous pourrions approcher cette question, mais sur le plan pratique, le tort que peut causer un terroriste est effectivement plus grave que le tort que peut causer un criminel.
Le sénateur Nolin : Monsieur Juneau-Katsuya, la définition sous-tend un élément d'intention. Nous avons passé des heures à discuter autour de cette table dans le comité précédent pour déterminer si l'intention devait être un des éléments du crime. Commencer avec l'intention, c'est créer un cauchemar pour les avocats.
Le sénateur Wallin : Toutefois, cet élément figure déjà dans la loi, et c'est important.
Le sénateur Nolin : On se demandait si nous devions garder le facteur intention dans la loi.
[Français]
Monsieur Juneau, vous nous parlez de la protection des infrastructures essentielles. Vous faites référence au fait que plus de 80 p. 100 des propriétés de ces infrastructures est privé. Vous semblez développer le fait qu'il y a des modèles d'interaction entre les services de sécurité et le privé qui n'ont pas fonctionné. Je voudrais vous entendre un peu plus sur cela.
M. Juneau-Katsuya : Ils n'ont jamais même vu le jour.
Le sénateur Nolin : Je comprends, c'est parce qu'il y a une muraille?
M. Juneau-Katsuya : Voilà! La résistance vient des autorités. La responsabilité de protéger les infrastructures essentielles revient au gouvernement, la propriété où les opérateurs viennent principalement du secteur privé. Lorsque vient le temps de passer d'un mode réactif à un mode proactif, on demande aux autorités de partager des informations, histoire de voir à l'avance le problème afin qu'on puisse diminuer son impact. Malheureusement, les autorités disent qu'elles ne peuvent pas partager l'information pour diverses raisons telles que la sécurité nationale, l'absence de codes de sécurité nécessaires et autres. On trouve toutes les excuses au monde pour ne pas partager l'information.
Le sénateur Nolin : Vous parlez dans votre document de modèles qui leur ont été suggérés. Quels étaient ces modèles?
M. Juneau-Katsuya : Le modèle principal s'inspire d'un modèle déjà en fonction aux États-Unis, le ISAC, Information Sharing Analysis Center. Grosso modo, voici comment il fonctionne. Cela a commencé sous l'administration Clinton. On regroupe les compagnies par secteurs industriels, on établit un prix pour chaque compagnie — ce qui revient à endosser le coût des opérations — et ces compagnies partagent leurs informations avec une équipe chargée d'en faire l'analyse. Une fois entrée l'information provenant du gouvernement, on est capable de rattacher les différentes informations ensemble.
Je vous donne l'exemple d'un incident qui s'est produit en 2002. Un groupe de 25 directeurs de sécurité responsables de la sécurité pour les grandes compagnies pétrolières de l'Alberta se réunit une fois par mois pour discuter sécurité. Le but n'est pas d'être compétitif ou de nuire aux autres compagnies, mais de s'aider. Lors d'une de ces rencontres, un directeur lève la main pour dire que sa compagnie vient de recevoir une lettre d'attentat à la bombe et que si quelqu'un a entendu parler de quelque chose de le lui faire savoir. Quelqu'un d'autre lui répond que trois semaines passées quelqu'un a défoncé un de ses entrepôts et volé des bâtons de dynamite. Chacun d'eux avait fait rapport à leur détachement respectif de la GRC, mais la GRC n'avait pas fait les liens.
Cependant, l'histoire finit bien. Suite à la réunion, ces dernières informations ont été passées à la GRC, qui a pu procéder à des arrestations. On a retrouvé les bâtons de dynamite. Tout est beau, mais si quelqu'un avait volé la dynamite en Nouvelle-Écosse et l'avait ramenée par autobus, par exemple, jusqu'en Alberta, cela aurait été différent, comme l'a souligné un des membres, on n'aurait pas pu faire le lien. La conclusion est qu'on doit partager cette information tous ensemble.
Le problème est que les autorités ne veulent pas la partager l'information parce que c'est trop délicat. Donc, on va prendre modèle sur les États-Unis et on va se doter d'une entité semblable. Pour favoriser la création de ces entités, au nombre de 12, le gouvernement américain a donné trois millions de dollars. Le reste des coûts est financé par le privé.
Le sénateur Nolin : Par les membres parce qu'il s'agit de leur propriété.
Le président : Quelqu'un voudrait-il ajouter autre chose?
[Traduction]
Le sénateur Furey : Ma question correspond un peu à celle du sénateur Nolin. Dès qu'on parle de cette question particulière, on se retrouve toujours à essayer d'équilibrer les besoins en matière de sécurité avec les droits accordés par la Charte. Comme vous l'avez dit, monsieur Hamilton, si nous peaufinons le Code criminel, nous ne pouvons pas le modifier sans devoir faire face aux dispositions de la Charte. Vous avez parlé du directeur, Richard Faden, du SCRS, lors de la mention d'un partenariat élargi des divers groupes. Un autre témoin a également cité le directeur Fadden. J'imagine qu'on ne peut pas être directeur du SCRS sans être souvent cité. Une chose qui a été portée à notre attention, c'est qu'il a dit, en fait, qu'il existe une cabale qui est le fruit du hasard constituée d'ONG, de journalistes défenseurs des droits et d'avocats qui ont réussi à mitiger notre efficacité en matière de contre-terrorisme. Est-ce vrai? Où se trouve l'équilibre selon vous? Pensez-vous que ça va pencher en faveur de notre besoin en matière de sécurité ou bien voyez- vous plutôt un parti pris plus favorable pour le respect de la Charte des droits?
M. Crelinsten : Je dois dire que ce genre de discours me préoccupe.
Le sénateur Furey : Vous voulez dire les propos du directeur Fadden?
M. Crelinsten : Oui. Pas les vôtres. Je vous remercie d'avoir soulevé ce point.
Le président : Nous sommes nombreux à nous méfier du sénateur Furey, mais pas à ce point.
M. Crelinsten : Peut-être un jour.
De toute façon, les gens font leur travail. Les avocats de la défense doivent faire leur travail. Les médias ont le droit de faire le leur. Je vous ai déjà parlé des médias. Je ne sais pas à quoi pensait l'inspecteur Fadden lorsqu'il a dit cela ou dans quel contexte il a prononcé ses paroles, ou bien s'il essayait d'être provocateur.
Ça me rappelle la fois où un journaliste de CJOH à Ottawa m'a interviewé. Le SCRS venait tout juste d'être mis sur pied en 1984, et la plupart des gens qui le composaient étaient d'anciens agents de sécurité de la GRC. Un diplomate soviétique faisait l'objet d'une filature par un agent du SCRS, et il a fait le truc classique de ralentir à un feu vert et d'accélérer au moment où il est passé au feu rouge. L'agent du SCRS l'a suivi sur le feu rouge, et un policier d'Ottawa l'a arrêté et a émis une contravention. Sa question était la suivante : « N'est-ce pas scandaleux? Notre sécurité n'est-elle pas menacée? » Et j'ai répondu un peu de la façon suivante : il existe des lois pour les agents de sécurité civils; ils doivent se plier à la loi. Ils devraient disposer davantage de matériel afin qu'ils puissent dire : « Il m'a filé entre les doigts; continuer la poursuite d'où tu es. » Il y a d'autres façons de se conduire que d'enfreindre la loi. Si ça ne leur plaît pas, ils n'ont qu'à retourner à la GRC. Le journaliste n'était pas content parce qu'il voulait obtenir un certain point de vue.
Nous vivons dans une démocratie. Il est beaucoup plus facile de combattre le terrorisme dans un état totalitaire. Quelqu'un aurait pu citer la phrase célèbre du juge israélien Barak selon laquelle on se bat avec une main dans le dos. Comme je l'ai mentionné plus tôt, l'approche démocratique renforce ultimement notre sécurité. Il faut ensuite penser à la façon dont nous allons aborder cet aspect. Il faut laisser le soin aux avocats de la défense de faire leur travail.
Un avocat de la défense m'a demandé de témoigner dans le cas concernant un Palestinien. Quelqu'un avait été accusé de terrorisme, et l'avocat de la défense m'avait demandé si je voudrais témoigner dans un procès concernant une attaque dans un avion. Cet avion appartenait aux lignes aériennes EL AL, et il était quelquefois utilisé pour des activités civiles et d'autres fois pour des activités militaires. L'avion avait été attaqué lorsqu'on l'utilisait pour des activités civiles, mais l'attaque était considérée comme étant un acte de guerre. J'ai dit que je ne témoignerais pas parce que je n'étais pas d'accord.
Les avocats s'efforcent de trouver la meilleure cause. Il en va de même pour les médias. C'est leur droit. S'ils font des erreurs, ce qui arrive à tout le monde, il convient de leur en demander compte. La transparence est importante. Peut- être le travail du SCRS est-il plus difficile parce que les projecteurs sont braqués sur le service, mais il lui incombe alors d'assurer une meilleure formation et de mieux développer les choses.
Le président : Monsieur Hamilton, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. Hamilton : Je ne voudrais surtout pas citer M. Fadden pour la troisième fois. On m'a appelé au téléphone quand ce commentaire a paru dans le journal et mon patron, qui a été rédacteur en chef pendant de nombreuses années a fait la remarque suivante : « On croirait vous entendre. Vous n'arrêtez pas de répéter la même chose. » Ce à quoi j'ai répondu : « Oui, ce n'est pas le seul cas. » C'est ainsi que je gagnais ma vie autrefois et je sais comment juxtaposer les titres, utiliser la programme neurolinguistique pour obtenir un certain effet. En d'autres termes, je sais comment ne pas dire la vérité en disant la vérité et vice versa, comme toute autre personne qui travaille dans les médias.
Le président : Allez-vous me contraindre à défendre l'intégrité des médias? Me mettez-vous dans cette situation, en tant que président du comité? Si je pose la question rhétorique, c'est pour être prêt quand le moment viendra.
M. Hamilton : Non je suis farouchement opposé à toute censure, bien sûr. Je pense qu'il pourrait y avoir une occasion à saisir. Pendant les années 1980, quand Reagan et Thatcher étaient au pouvoir, il y avait beaucoup de détournements d'avion. Il y a eu le fameux détournement de l'avion de TWA, avec le gars dans le poste de pilotage avec le pilote, où on a refusé de laisser l'avion décoller. C'est comme ça que les Américains ont procédé. Les médias n'essayaient pas de faire de l'obstruction, mais permettaient des fuites qui entravaient les négociations pour que les otages soient libérés. Les Américains voulaient travailler selon un ensemble de principes directeurs et, croyez-le ou pas, la presse a accepté, parce qu'elle ne souhaitait pas être séditieuse ou quoi que ce soit.
Je ne dis pas que ce sera facile, mais il faut une initiative d'une sorte ou d'une autre parce que la censure n'est pas possible. On ne peut pas mettre à bas ce pilier, car la tyrannie commence là où prend fin la liberté.
Le président : Sans vouloir faire de la provocation, je voudrais ajouter que, par le passé, quand l'ambassadeur Taylor a tant contribué à la sortie des Américains de l'Iran, les médias canadiens ont fait preuve, me semble-t-il, d'une remarquable retenue. Ils savaient ce qui se passait longtemps avant de le publier. On leur a demandé de faire preuve de retenue. Leur propre sens commun les a amenés à faire preuve de retenue, retenue qui était essentielle pour que soit menée à bien l'opération permettant à ces gens de fuir Téhéran. Il ne s'agit pas de présenter un seul côté des choses, pour être équitable, et je ne suggère pas que c'est ce que vous impliquez.
M. Juneau-Katsuya : Comme M. Crelinsten vient de le dire, chacun a son travail et doit le faire. Je ne sais pas à quoi a pensé M. Fadden quand il a dit ce qu'il a dit, mais sa déclaration critiquait une critique émanant de certains individus. La critique est une chose saine dans notre système. Peut-être d'ailleurs le SCRS doit-il porter sa propre croix pour avoir choisi de ne pas dire grand-chose. Quand des journalistes appellent et tâchent de s'informer sur ce qui se passe, la seule réponse fournie est : « Pas de commentaires ». Ce n'est pas d'un grand secours. D'une certaine façon, le point de vue cynique que je peux avoir parfois peut se justifier du fait que le SCRS se conduit ainsi pour servir ses propres fins.
Nous parlions il y a un moment du secteur privé. Moi, je suis dans le secteur privé. Depuis 31 ans, je travaille dans le domaine de la sécurité et du renseignement. Si j'ai un contrat et que j'échoue, mon client a vite fait de me remercier. Si le SCRS échoue et qu'il y a une autre attaque terroriste, le budget du service double. On peut se demander alors quel est l'avantage de travailler plus fort?
Le président : Vous ne remettez pas en doute leur motivation, seulement le jugement dont ils font preuve lors de la perpétration de l'acte, n'est-ce pas?
M. Juneau Katsuya : Exactement. Merci beaucoup. Ce qui me préoccupe, c'est le fait que l'on n'avise pas ou ne sensibilise pas le public. Par exemple, tout de suite après les attentats du 11 septembre, les sondages effectués ont révélé que plus de 50 p. 100 de la population étaient prêts à céder une partie de ses droits civils pour se sentir davantage en sécurité. Je dirais : « Ca suffit. Certains de ces doits civils sont le fruit de plusieurs générations de travail. » Il faut informer le grand public.
Je pense que les journalistes et les avocats notamment posent les bonnes questions parce qu'ils sont les lanternes qui nous éclairent en cette période nébuleuse comportant plusieurs défis. J'aimerais que le SCRS informe le public, et ne se contente pas de faire de la propagande.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons parlé d'un système parallèle et le sénateur Furey, de même que le sénateur Nolin, ont soulevé un certain nombre de questions. Lorsque les terroristes ont perpétré les attentats du 11 septembre, ils n'ont pas commis de meurtres, bien qu'en fait, c'était bien de cela qu'il s'agissait. Ils commettaient un acte qui, à leur avis, signifiait le début de la fin de la civilisation, du droit d'avoir des droits civils, du droit d'avoir une Charte des droits. Leur but n'était pas de tuer quelqu'un; il était de tuer suffisamment de personnes pour que nous perdions tous nos droits. Il faudrait un crime qui soit si terrible qu'il devrait être traité d'une façon totalement différente pour que l'on puisse dire qu'il ne s'agit pas d'un crime normal commis contre quelqu'un parce que l'auteur n'aime pas la personne en question. Ce crime constitue une menace pour tout le monde et pour l'essence même d'une société libre et démocratique.
Je ne veux pas dire que nous devrions suspendre les droits civils, mais certains crimes nécessitent que les sociétés démocratiques les examinent de près d'une façon totalement différente. Cela n'a rien à voir avec la protection des droits civils. Il s'agit de nous protéger pour que nous puissions protéger nos droits civils.
Le président : Monsieur Crelinsten, vouliez-vous répondre en premier à cette observation?
M. Crelinsten : C'est une question clé en lien avec la compréhension de la nature du terrorisme. Vous tapez dans le mille lorsque vous dites que le but n'est pas le meurtre en tant que tel, parce que les gens qui en font les frais ne sont que le moyen d'arriver à d'autres fins.
Toutefois, je pense que vous êtes un peu aveuglé par les chiffres. Pour revenir sur la crise d'octobre, j'ai toujours dit qu'elle pouvait nous apprendre tout ce dont nous avons besoin de savoir ici parce qu'elle contient tous les enseignements à tirer. Lorsque Pierre Laporte a été kidnappé, une cellule appelée Nelson a fait des rapports, dont vous vous souvenez peut-être. La façon dont Paul Rose rédigeait ses communiqués et exerçait ses activités laissait croire aux gens que le FLQ était beaucoup plus important qu'il ne l'était en réalité. Ce n'était pas aussi grave que les attentats du 11 septembre, mais cette situation a suscité la panique dans les ordres de gouvernement et était à l'origine de l'invocation de la Loi sur les mesures de guerre, qui n'avait pas été utilisée depuis la Deuxième Guerre mondiale, et le déploiement de soldats dans les rues. La solution a été fournie par la police, malgré tous les gens qui étaient arrêtés.
Pour attribuer à Trudeau le mérite qui lui revient, les règlements d'urgence spéciaux en vertu de la Loi sur les mesures de guerre ont été éliminés quelques mois plus tard; ils avaient donc une fin. En abordant la question sous cet angle, on se rend compte qu'une crise très grave a été réglée de façon urgente, puis tout était fini et les choses sont retournées à la normale. En fait, nous avons rallié nombre de séparatistes au sein du gouvernement et les avons aidés grâce à de nombreux programmes à long terme. Nombre d'entre eux se sont joints au Parti québécois et se sont lancés en politique, ce qui a eu des conséquences. L'objectif principal des attentats du 11 septembre n'était pas de mettre un terme à la civilisation telle que nous la connaissons; c'était de susciter une réaction qui entraînerait des révolutions dans les régimes apostats du Moyen-Orient. À ce moment-là, ce n'était pas lié à l'ennemi lointain.
Une politologue appelé Jeanne Knutson a dit que les terroristes doivent se préoccuper de deux choses : l'attention, c'est-à-dire qu'ils doivent faire quelque chose de suffisamment intéressant sinon on les ignorera; puis la violence, c'est- à-dire que s'ils vont trop loin ils vont provoquer un effet de ressac. Du point de vue de Al-Qaïda, les événements du 11 septembre ont été une erreur parce qu'ils ont abouti à un effet de ressac — l'invasion de l'Afghanistan. L'Irak était une erreur qui a fait triompher Al-Qaïda. Ils ont fait d'une défaite une victoire, parce qu'ils avaient dépassé les bornes avec les attentats du 11 septembre et qu'ils avaient suscité une réponse correcte, c'est-à-dire l'invasion de l'Afghanistan et le renversement des talibans. Si nous nous étions arrêtés là et que nous avions mis l'Irak de côté, notre situation serait bien meilleure aujourd'hui.
Le sénateur Furey : Ma question s'adresse à M. Juneau-Katsuya, et elle est peu courante mais importante. Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire que l'espionnage étranger a une immense incidence sur notre économie. Pouvez-vous nous en dire davantage?
Le président : Peut-être y a-t-il un ouvrage auquel vous pourriez faire référence. Je n'en mentionnerai aucun parce que ce serait inapproprié, mais peut-être que notre invité pourrait le faire.
M. Juneau-Katsuya : Merci de me donner la possibilité de faire cette publicité. J'ai coécrit un livre intitulé Nest of Spies : The Startling Truth About Foreign Agents at Work Within Canada's Borders. Pour quantifier un peu ce que j'avance Je dois dire qu'il y a cinq types d'activités d'espionnage au Canada : économique, industrielle, interférence étrangère dans le cadre de laquelle des pays envoient leur corps de police pour faire de la manipulation, intimider et contrôler des collectivités; politique, c'est-à-dire où des gens manipulent le processus démocratique ainsi que nos représentants élus; et militaires. Toutes ces formes d'espionnage ont une incidence sur notre société. L'espionnage économique et industriel a la plus grande incidence financière. L'espionnage économique a lieu lorsqu'un pays envoie des membres de son service de renseignement voler nos secrets commerciaux. L'espionnage industriel a lieu lorsqu'une société vole les secrets d'une autre entreprise. Au bout du compte, ces activités nuisent à notre pays.
En 1995, je travaillais pour le SCRS en tant que chef de la zone Asie-Pacifique. J'ai demandé à un de mes analystes de l'époque de faire une analyse fondée sur des faits : combien d'argent l'espionnage économique ou industriel nous fait perdre chaque année? Nous avons pu démontrer qu'à cette époque nous perdions en moyenne de 10 à 12 milliards de dollars par année au Canada. Aux États-Unis, une étude semblable a été réalisée. Ils ont estimé une perte de 24 milliards de dollars, soit deux fois plus qu'au Canada. Toutefois, il faut rappeler que leur économie est 10 fois plus importante que la nôtre, par conséquent, par habitant nous perdions cinq fois plus que les États-Unis. Un petit pays comme le nôtre ne peut pas se permettre de telles pertes. À ma connaissance, il n'y a aucune autre étude de cette nature qui essaie de quantifier et de qualifier les sommes perdues. Malheureusement, il y a eu d'autres études de faites aux États-Unis. Le directeur du FBI a récemment révélé que selon cette organisation, les États-Unis perdent actuellement 250 milliards de dollars par année. Ces pertes se sont accrues de façon exponentielle. On peut seulement spéculer que si nous doublons nos pertes de 1995, notre approximation sera probablement près de la réalité.
[Français]
Le président : Je m'en souviens, car j'ai eu l'opportunité de lire votre livre en détail.
[Traduction]
Je ne pense pas que vous ayez fait un lien entre la question de l'espionnage qui est vraie et probante, et une approximation de la menace terroriste. Est-ce exact?
M. Juneau-Katsuya : Je n'ai pas fait ce lien. Ces deux questions évoluent sur des niveaux différents.
La prochaine question est celle-ci : pourquoi le Canada? Pourquoi y en a-t-il autant ici? Il y a toute une panoplie de raisons. D'abord, il y a un manque de discussion sur cette question. Tous les gouvernements, les uns après les autres, refusent d'en parler. Ils adoptent la politique du je ne dis rien de mal, je ne vois rien de mal. Cela se fait au détriment de nos industries parce que les entreprises ne savent pas qu'on les a épiées. Ils viennent au Canada parce que le Canada est une société axée sur la connaissance. Nous avons des centres de recherche phénoménaux, et nous offrons de la technologie de pointe dans bien des secteurs, mais nous n'avons pas de loi pour nous protéger. Deux petites dispositions ont été ajoutées de façon impromptue lorsque nous avons modifié la Loi sur les secrets officiels, mais elles n'ont jamais été mises en application. Comme il n'y a pas de loi, les responsables de l'application de la loi n'y portent pas attention; ils n'ont donc aucune ressource pour faire des enquêtes.
Au bout du compte, le secteur privé est livré à lui-même pour tenter de se protéger, ce qu'il est capable de faire. Cela montre bien la culture d'entreprise, plus que toute autre chose, lorsqu'il est question de sensibilisation. À mon humble avis, si ce n'était pas du fait que les actes de terrorisme tuent les gens, l'espionnage étranger serait et devrait être la question de sécurité nationale la plus urgente pour le Canada.
Puisque personne n'a examiné la question, je suggère humblement que le comité le fasse. Vous avez la capacité de faire enquête et d'inviter des témoins. Nous ne pouvons prétendre être en mesure de déterminer des solutions si nous ne connaissons pas les enjeux.
Le sénateur Patterson : Je voudrais soulever une question dont on n'a pas beaucoup parlé dans les exposés, mais qui est importante : le rôle d'Internet dans la promotion du terrorisme. Des enquêtes utilisant Internet ont été très efficaces pour déterminer la source et poursuivre les agresseurs d'enfants. Avez-vous des commentaires au sujet du rôle d'Internet pour radicaliser nos jeunes? Si l'on met de côté la question du droit pénal par opposition aux autres approches, devrait-il y avoir des dispositions contre la promotion du terrorisme sur Internet?
M. Hamilton : Internet est tellement important que l'on pourrait dire que c'est peut-être la nouvelle façon pour une organisation terroriste d'exécuter certaines de ses stratégies. Cela se fera de plus en plus. Depuis que j'ai écrit mon dernier livre, il y a eu des changements qui ont modifié de façon fondamentale la façon dont les gens communiquent, notamment YouTube et Twitter. Ces applications n'existent que depuis quelques années. Si la technologie se développe à cette vitesse, nous verrons sans doute encore plus de choses au cours des cinq prochaines années. En d'autres termes, c'est une croissance exponentielle. Les techniques des armes croissent également à un rythme exponentiel. Ces deux éléments sont des domaines à risque. Je n'ai aucune idée quel genre d'armes nous retrouverons dans la rue dans 10 ans. Je peux entrer chez Radio Shack aujourd'hui et y trouver des choses qui se vendent 4,99 $ et que les meilleures armées au monde n'avaient pas il y a 10 ou 20 ans.
J'hésite à faire des prédictions. Nous devrions attendre 10 ans, mais je pense que ce serait une bonne chose de mettre en place des vérifications dès maintenant.
M. Juneau-Katsuya : Vous avez tout à fait raison. Les communications en général et Internet en particulier constituent un défi phénoménal pour les organismes d'application de la loi et les organismes de renseignement. Avec les données qu'il est possible d'envoyer par iPhone ou tout appareil de cette nature, il est possible de prendre une photo d'une personne qui descend d'un avion et de l'envoyer immédiatement à un commando qui aura alors la description exacte de la personne qu'il veut exécuter. Les terroristes ont maintenant un cryptage dont nous n'avons pas la clé, car il est mathématiquement impossible de déchiffrer leurs codes.
La jeune génération est phénoménalement apte à utiliser cette technologie. C'est un énorme défi pour la police. Il est possible de communiquer d'un côté et de l'autre de la frontière sans interception.
Comme quelqu'un l'a déjà dit : « Ce n'est pas le message, c'est le médium. » Le médium est utilisé pour manipuler l'esprit de toutes sortes de radicaux. C'est ce qui est arrivé à de nombreux jeunes. Il y a divers groupes qui exploitent ce médium. Il y a environ deux ans, un groupe lié à Al-Qaïda a envoyé un message disant que le Canada devrait être attaqué, et plus spécifiquement, l'industrie pétrolière en Alberta. À moins de donner une adresse municipale, c'est en quelque sorte difficile de s'arrêter là. C'est une façon de communiquer en général avec un auditoire qui accueille bien ces messages. Nous ne savons pas qui va recevoir le message et qui sera le prochain rebelle qui fera quelque chose.
M. Crelinsten : C'est une excellente question. Dans mon exposé, j'ai dit qu'Internet et la technologie électronique avaient changé les règles du jeu. Il suffit de voir toutes les technologies qui ont été utilisées dans les attaques à Mumbai.
Les études ont démontré qu'en 2007 le courriel était la principale façon de communiquer pour les jeunes. Le courriel est maintenant chose du passé. Twitter et Facebook l'ont remplacé. On prévoit que d'ici 2015 la technologie mobile, c'est-à-dire les téléphones cellulaires et les autres nouvelles technologies, remplacera la bureautique.
Le président : Je suis surpris de constater que l'envers de la médaille, c'est que toutes les technologies mobiles utilisent des signaux radios qui peuvent être surveillés beaucoup plus facilement que les anciennes lignes terrestres. Par conséquent, comme vous l'avez justement indiqué, et comme l'a mentionné le sénateur Patterson, le défi représente également une occasion remarquable pour une observation légale comme moyen de prévention pour nos services de sécurité. Suis-je trop optimiste?
M. Crelinsten : Non, c'est une très bonne suggestion, et c'est pour cette raison que je demande, à court terme, une augmentation des capacités Internet d'application de la loi et de renseignements. Vous avez mentionné la pornographie, et c'est un excellent argument. Ce qui s'est fait dans le domaine de la pornographie infantile devrait être répété dans ce domaine également. L'application de la loi rattrape son retard dans le cas de ce média, mais je sais que les technologies informatiques au gouvernement ont pris beaucoup de retard en raison des budgets.
Toutes sortes de gens, y compris des membres de la famille royale, se sont fait prendre en raison de la technologie cellulaire. Des messages qui n'auraient pas dû être entendus ont été interceptés. Il devrait s'agir d'une façon très utile de recueillir de l'information. Par exemple, cela a été fait dans le domaine de l'antiradicalisation.
Momin Khawaja a écrit un blogue qui a été utilisé devant un tribunal et est devenu une source de recherche. Un chercheur canadien a étudié le blogue de Momin Khawaja, où il parlait de la façon dont il s'est radicalisé. C'était en 2002, pendant la seconde intifada. Il était un musulman séculier et il a commencé à regarder des vidéos et à lire des blogues sur ce qui se passait en Palestine. Il a ensuite commencé à lire des théories bâclées sur le jihad et s'est radicalisé seulement grâce à Internet. Il n'a pas été recruté.
M. Juneau-Katsuya : Le problème et le défi, c'est que les terroristes s'adaptent très rapidement et très bien. Ils apprennent des exemples mentionnés par M. Crelinsten il y a un instant et, la fois suivante, ils sont plus prudents.
Lors d'un incident heureux, dans un raid en Colombie au cours duquel ils tentaient de capturer des membres d'un cartel, ils avaient la mauvaise adresse, sont allés de l'autre côté de la rue et sont accidentellement tombés sur le centre de communication du cartel. Ils ont appelé la NSA, et celle-ci a trouvé des équipements qu'elle ne connaissait pas. Le cartel était mieux équipé que la NSA elle-même.
Un autre problème, c'est que les capacités de cryptage accessibles sur Internet rendent les choses très difficiles pour les organismes d'application de la loi. Les États-Unis ont tenté d'adopter une loi prévoyant que la clé de toutes les technologies de cryptage devait être remise au gouvernement. Toutefois, cela viole le droit à la vie privée.
Le sénateur Furey : Je comprends ce que vous dites au sujet de l'utilisation d'Internet comme outil pour faire passer un message. Selon vous, pourrait-il aussi s'agir de l'arme de l'avenir pour semer le chaos dans les institutions, les organisations et le gouvernement?
M. Juneau-Katsuya : J'ai indiqué que les terroristes sont extrêmement conservateurs dans leur technique. Jusqu'à maintenant, nous avons eu de la chance, parce que notre talon d'Achille n'est pas l'assassinat des gens; notre talon d'Achille, c'est notre système économique. Les cybers espions, en particulier ceux de la Chine, nous ont épinglés à répétition. Ils comprennent que toutes nos infrastructures essentielles peuvent s'effondrer instantanément. Si les terroristes le comprenaient, ils pourraient bloquer notre système de contrôle aérien, par exemple. S'ils le faisaient, les avions ne pourraient pas atterrir, mais il y aurait tout de même des avions dans les airs. Cela constituerait une attaque terroriste incroyable qui ferait de nombreuses victimes. Ils pourraient paralyser nos institutions financières ou nos systèmes de communications, par exemple.
Oui, il pourrait s'agir d'une arme de choix. Dans chaque attentat terroriste, il y a un élément de logistique. Lorsqu'un groupe terroriste se prépare en vue d'un attentat, il doit envisager la possibilité de réussite avec leurs capacités techniques, leur compréhension de la cible et l'occasion qu'ils saisissent de mener une attaque, entre autres choses.
M. Crelinsten : Au sujet de la nature conservatrice des terroristes et en examinant leurs objectifs, nous constatons que des cybers attaques ont eu lieu en Estonie dans le domaine politique, et que les États s'en servent. Nous soupçonnons la Chine de l'avoir fait avec Google, c'est-à-dire de l'espionnage industriel.
Les terroristes peuvent faire tant de choses à peu de frais qu'ils n'ont pas nécessairement besoin de cet élément pour l'instant. Encore une fois, cela revient à ce que j'ai dit auparavant sur le fait de placer la barre trop haut. J'ai du mal à imaginer un groupe qui voudrait réellement troubler complètement l'infrastructure occidental ou l'objectif que ce groupe tenterait d'atteindre, à moins qu'il ne tente réellement de provoquer le second avènement du Christ, par exemple.
Le sénateur Joyal : Pour revenir à la question du modèle de justice criminelle, comment réagiriez-vous à la possibilité de créer, dans notre cour pénale, une division spécialisée dans les activités terroristes? Il pourrait y avoir un procureur spécial qui aurait prêté serment et qui aurait une formation dans le domaine du renseignement. Ainsi, le SCRS et la GRC seraient peut-être plus à l'aise pour ouvrir leurs dossiers.
Le président : Je pense que les Français ont une division distincte pour cela.
M. Juneau-Katsuya : C'est exactement ce qu'ils faisaient et c'était extrêmement efficace. Toutefois, nous continuons d'avoir des problèmes lorsque nous présentons des preuves. Dans le système de justice pénale canadien, on a le droit de voir la preuve pour préparer sa défense.
Le président : La présomption d'innocence n'est pas aussi impérieuse dans le système français.
M. Junea-Katsuya : Oui, ce qui ne ressemble pas du tout aux Français.
Le sénateur Joyal : Le poste de défenseur spécial que nous avons créé dans le système constitue une méthode pour filtrer les renseignements auxquels les tribunaux auraient normalement accès. Après la décision du tribunal sur le certificat de sécurité et celle du tribunal en Grande-Bretagne, selon moi, le poste de défenseur spécial se situe entre la divulgation nulle et le fait de partir avec le dossier sous le bras en montrant au tribunal qu'il y avait un élément de sécurité qui ne pouvait pas être divulgué pour protéger les sources ou d'autres enquêtes, par exemple.
Selon moi, il pourrait y avoir une souplesse dans ce système qui nous donnerait une meilleure option pour poursuivre les terroristes dans le cadre du système de justice pénale en vertu de la protection prévue par la Charte, d'une façon qui placerait le tribunal dans une meilleure position pour statuer sur le cas en question.
M. Juneau-Katsuya : C'est quelque part ici que se trouve la solution. Je ne pense pas qu'elle ait été trouvée. Nous n'avons pas réussi à établir cet équilibre nécessaire. L'un des problèmes réside au sein de l'autorité, le SCRS en particulier, qui est mal préparé parce que la culture a évolué plus rapidement que le système judiciaire ou au niveau de la préparation parce qu'ils n'ont pas été en mesure ou qu'ils n'étaient pas prêts à fournir des preuves suffisantes.
Cela a mis en colère l'un des juges, qui a dit : « D'accord, échangez des renseignements. Je vous donne la possibilité de décider ce que vous voulez divulguer, mais vous devez divulguer certaines preuves. » Ils n'ont rien divulgué, de sorte que le juge s'est mis en colère et a dit : « Très bien, vous ne voulez rien divulguer? Dans ce cas, vous allez tout divulguer. » C'est alors qu'ils ont dû se retirer en disant qu'ils n'allaient rien divulguer et qu'ils arrêteraient là. Il y a un équilibre.
Je sais que les sociétés de droit ont beaucoup discuté et débattu de l'importance de ces défenseurs. Pour une raison ou pour une autre, on leur a permis l'accès à des renseignements. Toutefois, qu'ont-ils divulgué et à quel point cela était-il utile à la défense pour se préparer? Pour être en mesure d'offrir suffisamment tout en respectant certaines des limites que nous avons raison de nous imposer continue d'être un défi pour nous, si on doit permettre aux individus de préparer leur défense afin de confronter les pairs qui les accusent et de faire face à la preuve présentée contre eux.
Le sénateur Joyal : Monsieur Crelinsten, êtes-vous d'accord?
M. Crelinsten : Oui, cela fait partie de ces problèmes insolubles, l'éducation aussi. Peut-être même avant d'en arriver au tribunal, les agences de renseignements et d'application de la loi doivent travailler ensemble et tenter de décider ensemble, peut-être, les preuves qui pourraient être utilisées et déterminer la façon d'établir un bon dossier, même pendant la collecte de renseignements.
Il s'agit de la question suivante : « Quand procéder à l'arrestation ». On pourrait généraliser cette question et dire qu'il s'agit de déterminer quand il faut passer de la cueillette d'information à la poursuite. C'est un engagement que tous devraient prendre. Le SCRS devrait s'y engager, sachant qu'ils peuvent donner suffisamment d'éléments de preuve qui pourraient être acceptés au tribunal, c'est à ce moment-là qu'ils procéderaient. Sinon, ils nous disent : « Laissez- nous recueillir davantage d'information pour voir jusqu'où nous pouvons aller. » Une fois engagé dans cette voie, il faut se poser la question des habilitations de sécurité pour les juges et les avocats de la défense.
Pourrions-nous nommer quelqu'un qui examine les éléments de preuve et qui ne soit pas impliqué dans la poursuite? Les médias et ceux qui font partie de la cabale disent que bien des choses ne sont pas dévoilées afin de couvrir des erreurs. Nous savons tous que c'est le cas.
Nous ne savons jamais pourquoi ils refusent de divulguer certaines choses. Est-ce que quelqu'un pourrait essayer de savoir pourquoi? Que ce soit le CSARS, l'inspecteur général ou bien quelqu'un d'autre? Ils pourraient dire : « Vous ne voulez pas divulguer certaines informations pour corriger une erreur. Quelqu'un se fera réprimander pour ça, mais cette information doit être divulguée. » Voilà le dilemme.
Le sénateur Joyal : Je ne pense pourtant pas que notre système ait pu s'adapter à ce genre d'approche. J'estime toujours que nous sommes embourbés dans un contexte où il n'y a pas de capacité, comme vous dites, dans le système, à un niveau ou à un autre, pour juger du sérieux et de la substance de l'argument visant à ce que des renseignements de sécurité soient fournis ou non à un certain point. On se retrouve dans les limbes, ce qui pourrait mener à la conclusion que puisqu'on ne peut pas poursuivre en vertu des dispositions habituelles du Code criminel, on a donc besoin d'un autre système.
M. Crelinsten : Cela se rapporte à une question antérieure concernant le nombre de vies qui ont été perdues et ce genre de chose. Les Britanniques ont percé le code Ultra des nazis, et ils savaient que Coventry allait être bombardé. Ils ne pouvaient rien faire pour se préparer afin que les nazis ne se doutent pas que leur code avait été percé, ils ont donc laissé Coventry se faire bombarder.
Le projet sur les violations des droits humains sur lequel je travaillais était dirigé par une ONG fondée par un amiral néerlandais. Il s'est prononcé contre la torture en disant : « S'il y avait une mine sur l'un de mes navires et que la torture était le seul moyen de la localiser, je laisserais ce navire exploser. »
Ce sont des décisions politiques. Du point de vue du renseignement de sécurité par rapport à l'application de la loi, peut-être devons-nous dire qu'il faut révéler certains éléments de preuve même si cela nous oblige à dévoiler une de nos sources ou à révéler un processus, si nous voulons une déclaration de culpabilité. Voilà la décision qu'il faut prendre, mais qui doit la prendre?
Le sénateur Joyal : Je pense qu'il faut prévoir dans notre système judiciaire un moyen qui permette de rendre de telles décisions arbitrales avant de passer devant le juge. Ainsi, la Couronne saura jusqu'à quel point elle peut se fier compter sur les éléments d'un dossier et ne pas se retrouver laissée pour compte parce que le SCRS s'est retiré en disant qu'il ne voulait plus rien divulguer.
Le risque qu'ils prennent lorsqu'ils se penchent sur un dossier, c'est qu'ils ne savent pas à quel moment ils devront dire non. Il n'existe pas de niveau intermédiaire où l'on examine l'information avant de commencer.
C'est pour cette raison que je pense que, dans le cadre du système de justice pénale actuel — que je soutiens tout à fait —, il faut que nous ayons cette capacité à un niveau où le public saurait qu'un véritable processus d'arbitrage a eu lieu, c'est-à-dire que des opinions contradictoires et ainsi de suite ont été présentées. C'est à ce niveau que je trouve qu'il manque quelque chose dans notre système, et qui fait en sorte que l'on conclut que le système fonctionne tant bien que mal. Nous sommes insatisfaits des résultats finaux, alors nous cherchons autre chose. Le système pourrait être amélioré.
M. Crelinsten : Je pense qu'ils disent que les coupables préfèrent le système anglais et les innocents le système français.
Le sénateur Nolin : Le principe est que c'est un bon système d'évaluation des éléments de preuve.
Le sénateur Jaffer : J'ai commencé cette série de questions plus tôt. Nous parlons tous de la façon dont il faut traiter la maladie, mais non pas de la façon de la prévenir. Vous avez parlé des symptômes. Quelqu'un disait que cela relevait des Affaires étrangères, mais c'est tout pour nous; on ne peut pas tout simplement dire que les Affaires étrangères vont s'en occuper. Cela touche à toute la collectivité.
Dans vos explications, vous avez parlé de la deuxième Intifada et de la façon dont cela touche les gens ici. Le monde est petit de nos jours et nous entendons parler de certaines choses.
J'aimerais que vous nous disiez comment prévenir le terrorisme par le biais des politiques que nous établissons. Je vais vous donner une réponse : Nous devons susciter la participation des collectivités dans notre système démocratique. Au bout du compte, nos politiciens doivent écouter ce que veulent les collectivités. Il s'agit d'un objectif à long terme.
Que devons-nous faire et comment devons-nous faire face à cela.
Je ne sais pas si vous m'avez donné une réponse complète à savoir comment faire pour susciter la participation de la collectivité afin d'empêcher les activités de terrorisme intérieures. Que faisons-nous à l'heure actuelle pour prévenir cela?
M. Juneau-Katsuya : Je suis tout à fait d'accord avec l'idée de faire attention de ne pas se pencher uniquement sur les symptômes à l'exclusion de la cause. Lorsqu'il s'agit de la cause, la collectivité doit participer parce qu'un des problèmes qui existent actuellement, c'est que les modérés n'ont plus voix au chapitre.
Certains pays ont été capables de mener à bien certaines actions que tous s'entendaient pour condamner, mais aucune action concrète n'est prise pour changer le cours des choses. Il suffit de prendre comme exemple les récentes interventions de la Marine israélienne contre la flottille qui se dirigeait vers Israël. Nous laissons les situations dégénérer au point tel que si l'on ose en parler, on sera accusé de prendre position. Ce n'est pas une question de prendre pour l'une ou l'autre des parties. Il s'agit plutôt de trouver des personnes raisonnables capables de rencontrer d'autres personnes raisonnables et de leur permettre de se réunir. C'est à ce chapitre que nous pourrions être très utiles.
Bien sûr, il est quelquefois difficile de s'ingérer dans les activités de pays étrangers, et dans des politiques qui sont très éloignées de nous, et quelqu'un nous accusera toujours de ne pas nous mêler de nos affaires. Toutefois, il y a des choses qui peuvent être mises en place maintenant et qui peuvent servir de base à ce qui viendra plus tard.
Il faut être bien renseigné, à savoir quel groupe représente quoi et quel est son message ou son programme politique. C'est un énorme début. Il y a des situations où il faudra intervenir financièrement, parce que certains des griefs et des causes profondes du terrorisme, selon moi, découlent de perspectives politiques, économiques et même juridiques.
Les membres de ce panel sont bien instruits, et vous savez très bien que nous ne réécrirons pas l'histoire, mais à un moment donné, nous devons être en mesure de nous en détacher et être capables d'écrire l'avenir dans une perspective différente.
Je sais très bien que, dans ma réponse, je ne vous donne pas nécessairement des éléments immédiatement tangibles. Il faut évaluer la question davantage pour proposer des réponses concrètes. Nous serons jugés sur les mesures concrètes que nous adopterons. Nous ne serons pas jugés par rapport à nos intentions ou à nos paroles. Comme on dit, c'est au fruit que l'on juge l'arbre.
Le sénateur Jaffer : Vous avez dit que nous devons jouer un rôle de leadership. Je n'essaie pas de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais vous avez parlé du rôle que nous avons joué dans l'apartheid. Par conséquent, grâce à nos politiques étrangères, nous pourrions jouer le genre de rôle que nous avons eu pour les nations de l'apartheid; est-ce exact?
Le président : À titre de question supplémentaire, dites-vous que si le casus belli disparaissait, que si les Palestiniens et les Israéliens s'entendaient d'un commun accord pour régler les choses et faire la paix et que tous les États du Golfe qui coopèrent devenaient des démocraties selon nos normes du jour au lendemain et que l'Iran renonçait à la menace nucléaire qu'il fait planer sur nous et que toutes ces tensions diminuaient, que, par définition, cela signifierait la fin des menaces terroristes?
Croyez-vous que le terrorisme, même le narcoterrorisme dont vous parliez plus tôt, est en fait un système autonome qui disparaîtrait lorsque tous ces problèmes, le Sri Lanka et j'en passe, disparaîtront, que ce terrorisme, cette option terroriste, n'existe qu'en raison de ces problèmes et que le terrorisme n'est pas une solution attrayante pour d'autres raisons? Je veux m'assurer que c'est bien ce que vous dites parce que c'est une proposition plutôt encourageante, mais peut-être un peu utopique.
M. Juneau-Katsuya : C'est exactement ce que je dis : faites disparaître la motivation et le désir de se battre disparaîtra
Le président : C'est un aspect déterminant. Je vais demander aux autres membres du panel de nous dire ce qu'ils en pensent.
M. Hamilton : Je vois ce qu'on veut dire. Je ne sais pas si je serais aussi optimiste, parce qu'avec le jihad islamique auquel nous avons affaire, comme vous le savez peut-être, il y avait un grand conflit de pouvoir classique entre le monde chrétien et le monde islamique. Et ce conflit a commencé bien avant que des jihadistes zélés aient eu l'idée d'exploiter leur religion. Ce serait une bonne façon d'expliquer les choses.
Le président : Pensez-vous que le problème entre sunnites et chiites disparaîtra lorsque ces autres problèmes seront réglés? En fait, ce problème explique une partie de la violence.
M. Hamilton : Oui peut-être.
Le président : Peut-être que les choses se déroulent dans le même contexte. Je vais laisser M. Hamilton y penser. Monsieur Crelinsten, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Crelinsten : Je vais vous donner deux exemples si vous voulez bien. Pour ce qui est de l'IRA, lorsque Gerry Adams a opté pour la voie politique, c'était un changement radical et la majorité des gens ont accepté cette proposition, mais la vraie IRA s'est séparée. Il y a des gens qui parlent de prendre des risques. Ils adorent cela. Pour ce qui est des Kurdes dans le sud-est de la Turquie, lorsque Öcalan a été capturé, il y avait une lueur d'espoir, mais par la suite, de nouveaux intervenants ont décidé de poursuivre la lutte. À mon avis, si tous ces problèmes étaient réglés, peut- être que la majorité des jihadistes laisseraient tomber le combat, mais certains d'entre eux trouveront peut-être une autre raison de poursuivre la lutte.
L'autre exemple que je veux vous donner est celui d'Action directe en France. Mitterrand a décidé d'amnistier les membres d'Action directe qui étaient derrière les barreaux. Il a été vertement critiqué, tout particulièrement lorsque certains d'entre eux ont par la suite commis des actes de violence graves. Le fait est que la majorité est retournée à la vie civile et a renoncé à la violence, et ceux qui ont commis des crimes par la suite ont facilement été repris par la police. À long terme, c'était une bonne politique et la même chose vaut pour les Brigades rouges.
Cependant, les choses ne sont pas aussi simples que cela, tout dépend du type de terrorisme et du contexte. Certains continueront à vouloir se battre. L'IRA a opté pour le trafic des drogues et pour les affaires. Certains aiment le pouvoir.
Le sénateur Jaffer : Voici la deuxième partie de ma question : que faisons-nous actuellement pour rejoindre ces collectivités?
Le président : Faisons-nous assez? C'est ce que vous semblez demander.
M. Juneau-Katsuya : J'allais dire pas suffisamment, ce qui est plutôt évident. Malheureusement, depuis le début des années 1990, le Canada semble céder de plus en plus la position d'influence qu'il avait jadis. Nous pouvions à l'époque être l'intermédiaire dans nombre de discussions et de négociations entre diverses parties.
Un des grands défis auxquels nous sommes confrontés est le fait que notre adversaire n'est pas un État. C'est tout un défi. Personne ne sera assis de l'autre côté de la table devant nous, d'où l'importance, encore une fois, de laisser l'élément modéré de la communauté s'exprimer. Je crois que dans une certaine mesure, cela rejoint ce qu'on avait dit, soit essayer de rejoindre les épouses et les sœurs, rejoindre ceux et celles qui peuvent dire non.
La nature humaine, sans chercher à adapter ce que disait Rousseau, recherche la paix, l'harmonie et le bonheur. La manifestation anormale que nous voyons au sein de la société chez certaines personnes qui recherchent les sensations fortes, et des gens qui sont tout simplement cinglées, a un effet composé. C'est en raison d'un des éléments que j'ai signalés dans mon texte, mais pas dans mes commentaires, à savoir l'apparition de terroristes non musulmans qui viennent grossir les rangs des terroristes. Les Jihad Janes, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, sont de plus en plus nombreuses. Certaines personnes marginalisées jugent que le terrorisme est un véhicule utile comme dans les années 1960, ce qu'on retrouve dans les groupes politiques plus radicaux. Soudainement, elles voient ce nouveau groupe comme le porte-voix dont elles ont besoin pour exprimer leur colère.
Le président : Je tiens à remercier nos témoins d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd'hui pour discuter de cette question. Ils nous ont fourni des renseignements et des idées fort utiles pour nos travaux.
Le sénateur Jaffer : Puis-je demander au président s'il est possible de demander à la Bibliothèque du Parlement de nous fournir des renseignements sur ce qu'on fait dans le domaine de programmes de rayonnement et ce qu'il en est de la table ronde qui a été mise sur pied par le gouvernement.
Le président : Je prends bonne note de votre question. Je demanderai au personnel de répondre à cette question le plus rapidement possible.
(La séance est levée.)