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Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 21 juin 2010

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier des questions relatives à l'antiterrorisme (sujet : contexte actuel du terrorisme : l'étendue de la menace pour le Canada).

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, il s'agit de la cinquième séance du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme de la présente session parlementaire. Je vous signale que le projet de loi S-7 était rendu à l'étape de la deuxième lecture à la Chambre la semaine dernière. Le ministre et les fonctionnaires responsables témoigneront sur cette mesure législative lundi prochain. Nous commencerons alors à leur poser des questions à ce sujet. Le sénateur Furey a soulevé bien des questions avec éloquence à l'étape de la deuxième lecture.

Nous poursuivons aujourd'hui l'analyse de l'évolution de la menace terroriste ces cinq dernières années au Canada et de la façon dont nos forces de sécurité se sont adaptées.

Nous avons la chance de recevoir trois spécialistes. Martin Rudner est professeur émérite à l'École des affaires internationales Norman Paterson de l'Université Carleton. Il est à bien des égards l'initiateur des études sur la sécurité au Canada. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles sur le terrorisme, la sécurité et le renseignement. Il a aussi participé à plusieurs exposés sur ces questions, dont « Nature of the Security Threat » pour le compte du ministère de la Justice Canada, le programme de formation sur la nomination des avocats spéciaux en 2008; et « Protecting Canada's Critical National Infrastructure Against Terrorism, » une initiative conjointe du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, du ministère de la Justice Canada et de l'ambassade d'Israël en 2009. Il a également témoigné sur l'étendue de la menace devant le comité en 2005.

Le professeur Tom Quiggin a travaillé 15 ans dans les forces armées, soit cinq ans aux opérations et 10 ans au renseignement. Il a fait partie du contingent canadien durant les guerres de Bosnie et de Croatie, en plus d'avoir été affecté en Russie, au Bélarus, en Pologne, en Ukraine, en Albanie et dans plusieurs autres pays. Il a travaillé au service de renseignement d'un certain nombre d'organisations gouvernementales, comme le Bureau du Conseil privé, Citoyenneté et Immigration Canada, où il a travaillé aux crimes de guerre, l'Agence des services frontaliers du Canada, l'Agence du revenu du Canada et le ministère de la Justice Canada. Il a fait partie du tribunal international des crimes de guerre en ex-Yougoslavie et il a donné un programme de formation sur le renseignement et la preuve aux avocats de la défense pour les commissions militaires à Guantanamo Bay. Il est également chercheur à l'Université de technologie Nanyang pour le projet de recherche avancée sur l'évaluation du risque et l'avenir du gouvernement de Singapour.

Steve Hutchinson est professeur au Département de criminologie de l'Université d'Ottawa depuis janvier 2008. Il a présenté son mémoire sur des questions de sécurité à l'Université Carleton, à Ottawa, sous la direction de M. Pat O'Malley, titulaire d'une chaire de recherche du Canada en criminologie et justice pénale. Ses travaux portent avant tout sur la sécurité nationale, le renseignement, le terrorisme et le crime organisé, notamment les produits du crime, les lois et le blanchiment d'argent; l'application de la loi dans les domaines public et privé; les innovations contemporaines concernant la politique de justice pénale; et enfin, ce qui nous intéresse particulièrement, les théories sur la sécurité et le risque.

Je vous remercie, messieurs, de prendre le temps de nous aider dans nos travaux. Je demanderais à M. Rudner de commencer. Vous avez 10 minutes pour présenter votre exposé. Ainsi, les sénateurs auront amplement l'occasion de poser des questions.

Martin Rudner, professeur distingué émérite, Université Carleton, à titre personnel : C'est un honneur et un privilège de comparaître devant le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme.

Comme vous l'avez indiqué, je vais commencer mon exposé en me concentrant sur l'évolution du terrorisme durant les dernières décennies. Je vais tout d'abord parler du concept de cycle du terrorisme. Pour beaucoup, le « terrorisme », ce sont des attaques, des explosions et des fusillades qui font des morts et des blessés. Mais, en fait, le terrorisme, c'est une série d'activités et d'actions qui se terminent par une attaque.

Le concept a d'abord été élaboré par la Commission d'enquête relative aux mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India. Je l'ai d'ailleurs inclus dans mon rapport de recherche présenté pour la préparation du rapport final de la commission. Le juge Major en a parlé abondamment. Je vais vous résumer le concept.

Le cycle du terrorisme consiste en une série d'actions et d'activités qui commence logiquement par : la planification stratégique; le recrutement de militants et de participants; leur formation en tant que membres d'organisations terroristes; des collectes et des transferts de fonds; et l'acquisition d'équipements de logistique, comme des armes, des explosifs, des passeports falsifiés et d'autres matériels dont ont besoin les terroristes pour leur mission.

Fait notable, le cycle du terrorisme comprend aussi le renseignement et l'infiltration des institutions des pays visés. Par exemple, nous savons qu'Al-Qaïda a déployé des efforts pour infiltrer des organisations comme la Police métropolitaine au Royaume-Uni, le service de sécurité britannique et celui des Pays-Bas, du Danemark et des États- Unis. Les terroristes sont des professionnels en matière de renseignement.

Nous savons aussi qu'ils communiquent par Internet et d'autres moyens; qu'ils s'occupent de propagande, d'éducation et d'endoctrinement; qu'ils établissent un réseau de maisons de passeurs et de cellules dormantes. Ils se préparent sur le plan tactique et partent en mission de reconnaissance pour ensuite attaquer les cibles.

Toutes ces activités terroristes constituent une infraction en vertu des lois sur le terrorisme dans les démocraties, notamment au Canada. Il importe que le comité ait une vision d'ensemble du cycle du terrorisme pour répondre à la menace par des mesures législatives.

Comment le concept s'applique-t-il à Al-Qaïda? Je pense que nous pouvons cerner quatre vagues de terrorisme jihadiste international sous l'égide de cette organisation.

Tout a commencé lorsque les Arabes qui habitaient principalement en Afghanistan durant la période talibane ont proclamé le jihad contre l'Occident, les États-Unis et les sociétés musulmanes qui ne se conformaient pas aux diktats de l'islam selon eux. Ces terroristes ont mené des attaques en Europe, au Moyen-Orient et aux États-Unis, le 11 septembre 2001.

Une deuxième vague est survenue quand des militants ont attaqué les systèmes de défense contre le terrorisme des pays musulmans comme l'Égypte, la Syrie baathiste et socialiste, l'Algérie, le Maroc, et cetera.

Des militants se sont réfugiés en Occident — en Europe de l'Ouest, au Royaume-Uni et même en Amérique du Nord, un phénomène que je nomme Takfir wa al-Hijra dans mes écrits. D'abord présentée par le prophète Mahomet, cette notion implique de se couper des sociétés infidèles et de partir en exil. Mahomet est parti de La Mecque pour aller à Médine, où il a réorganisé et rebâti le mouvement de contre-attaque.

Toute une série de personnes ont quitté les États arabo-musulmans pour participer à deux activités du cycle du terrorisme dans les démocraties. D'abord et avant tout, ces terroristes ont fait de la propagande et ont causé de l'agitation pour renverser les régimes dans les États musulmans qu'ils estimaient traîtres. Ils ont ensuite recruté des compatriotes dans les pays occidentaux pour contre-attaquer l'Algérie, l'Égypte, la Syrie, le Maroc et d'autres pays jugés dissidents.

Ces efforts ont provoqué une quatrième vague de terrorisme, soit la menace intérieure dans la plupart des sociétés occidentales, comme au Canada. Les gens étaient surtout recrutés dans les familles d'immigrants de première ou de deuxième génération provenant d'États arabo-musulmans pour participer au jihad contre leurs sociétés démocratiques. Al-Qaïda appelle cette quatrième vague Al-Qaïda al Oum, la mère Al-Qaïda. Oussama ben Laden et son équipe la dirigent à partir de régions frontalières du Pakistan et de l'Afghanistan. Le mouvement est désormais mondial et il se fonde sur une doctrine élaborée par un des principaux théoriciens d'Al-Qaïda, Abu Musab al-Suri : le système des systèmes. Au lieu d'être organisés de manière hiérarchique, ces terroristes forment une organisation horizontale de réseaux qui en dirigent d'autres dans le monde et qui appliquent la doctrine de la mère Al-Qaïda, menée par Oussama ben Laden. Il y a des organisations régionales au Yémen, en Arabie saoudite, en Afrique de l'Ouest, en Afrique du Nord, en Asie du Sud-Est et dans d'autres régions où on effectue certaines activités liées au cycle du terrorisme, dont l'aboutissement est de créer des groupes locaux qui vont mener des attaques contre des cibles dans leurs pays. Il s'agit de l'évolution des quatre vagues d'Al-Qaïda jusqu'à présent.

Comment les responsables de la sécurité et du renseignement ont-ils réagi dans les démocraties?

Par ailleurs, j'ai soumis à la greffière du comité mon rapport de la commission d'enquête sur Air India, qui traite du sujet en détail, en anglais et en français. Je pense que notre temps serait mieux employé si nous nous concentrions sur le troisième sujet.

Le président : Des exemplaires ont été remis.

M. Rudner : Le juge Major en a parlé abondamment. Je serai heureux de répondre à vos questions à ce sujet aujourd'hui ou plus tard.

Je veux parler de la troisième question, parce que le Canada ne l'a pas traitée comme il se doit. Il s'agit des menaces terroristes à nos infrastructures énergétiques essentielles et de notre capacité à réagir efficacement pour les protéger.

Al-Qaïda vise explicitement les infrastructures énergétiques. Le Canada est particulièrement ciblé, parce qu'il est une superpuissance énergétique et qu'il est le principal exportateur de pétrole et de gaz naturel aux États-Unis. Les objectifs stratégiques d'Al-Qaïda à cet égard sont : d'abord, nuire aux économies dans ce qui est pour cette organisation le monde infidèle; ensuite, affaiblir la capacité du monde infidèle de réagir à ses menaces opérationnelles, soit les actes terroristes; enfin, exploiter la dépendance des États-Unis à l'égard des importations et saigner le pays à blanc. Ce sont les propos exacts d'Oussama ben Laden.

Les cibles sont les oléoducs, les puits de pétrole, les raffineries et, plus particulièrement, le personnel qualifié, soit les cadres des entreprises et les techniciens, sans parler des plates-formes de forage en mer et de la marine marchande. Des pétroliers comme le navire français Limburg ont été attaqués. Il y a eu des attaques contre les infrastructures énergétiques qui n'ont presque pas été rapportées dans nos médias. Des attaques sont survenues au Moyen-Orient, en Irak, en Arabie saoudite, au Yémen — notamment contre l'entreprise canadienne Nexen —, en Turquie, en Europe, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en France et aux États-Unis, sans compter les attaques ratées au Canada. Comme je l'ai dit, dans Sawt al- Jihad, la publication d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique, on indiquait viser explicitement le Canada en 2007.

Pour ce qui est de la réaction du Canada, elle a été essentiellement passive. Nous pouvons toutefois déterminer trois types d'approches à la protection des infrastructures essentielles, énergétiques ou non.

Tout d'abord, il y a l'approche défensive réactive, soit la présence de gardiens et de barrières pour renforcer les cibles. Ces activités sont menées par des entreprises privées, des municipalités et des aéroports pour protéger chaque installation. Cependant, cette approche est essentiellement réactive et défensive.

La deuxième approche est celle de la gestion du risque. Elle est plutôt défensive, car elle se fait en réaction à des évaluations de vulnérabilité. Les ressources sont allouées par les organismes concernés — l'entreprise, l'aéroport, entre autres — pour couvrir les risques actuariels. Par expérience, les ressources servent à pallier la vulnérabilité. On a tendance à mettre l'accent sur la gestion des conséquences négatives d'une attaque contre une installation.

La troisième approche est stratégique, préventive et proactive. Des initiatives sont prises pour déterminer à l'avance les menaces et prévenir les attaques. Cette approche demande une évaluation intégrée dans tous les milieux pour donner l'alerte rapidement et réagir de manière coordonnée. L'accent est mis sur la résistance. Peu importe ce qui arrive, la cible est immédiatement remise en état de fonctionner. Le meilleur exemple? Les attaques dans le métro de Londres en juillet 2007. Le service avait repris dans les 24 heures; l'ennemi était vaincu.

Comment faut-il s'organiser au Canada? À mon avis, notre leadership fédéral est fragmenté. Le Bureau du Conseil privé n'a pas de responsabilité particulière en ce qui concerne la protection de nos infrastructures énergétiques essentielles. Parmi le personnel chargé de l'évaluation internationale au BCP, personne ne travaille à temps plein ou même à temps partiel pour analyser les menaces aux infrastructures énergétiques essentielles, malgré que nous soyons une superpuissance. À Sécurité publique Canada, il y a un adjoint responsable de la protection des infrastructures essentielles. Jusqu'à récemment, les cadres supérieurs ne se préoccupaient pas des menaces et des problèmes que pose la protection de ces infrastructures. Il y a quatre semaines, le nouveau sous-ministre a signalé son intention de remédier à la situation lorsqu'il a pris la parole à une conférence organisée par l'Université Carleton. J'espère et j'ai confiance qu'il va y arriver.

Ressources naturelles Canada régit et gère le secteur de l'énergie au quotidien. Malheureusement, sa division efficace et innovatrice qui s'occupait de la protection des infrastructures énergétiques essentielles a été fermée par manque de fonds. Sécurité publique Canada a cessé de la financer, même si 40 p. 100 du budget n'avaient pas été dépensés à la fin de l'exercice.

Le président : Quand cela est-il arrivé, monsieur?

M. Rudner : L'an dernier.

Ce sont maintenant des personnes de différentes sections à Ressources naturelles Canada qui sont responsables. En passant, ce ministère ne peut plus compter sur une importante unité de recherche. Non seulement je disais du bien de cette unité, mais la vérificatrice générale du Canada a indiqué que cette unité de Ressources naturelles Canada connaissait du succès, qu'elle innovait et qu'elle était efficace. La vérificatrice générale a rarement louangé une équipe chargée de la sécurité nationale.

Il y a aussi le Centre intégré d'évaluation des menaces, le CIEM, qui procède à l'analyse intégrée des menaces au Canada. Mais aucun employé à temps plein ne s'occupe des infrastructures essentielles et personne n'est affecté au secteur de l'énergie.

Au Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, il y a présentement une petite unité de trois personnes compétentes. Cela dit, personne d'autre n'est responsable de la protection des intérêts énergétiques de la super puissance énergétique que constitue le pays. À la Gendarmerie royale du Canada, il n'y a qu'une personne qui travaille à temps partiel. À Recherche et développement pour la défense Canada, les effectifs sont plus importants, mais on y fait de la recherche.

Mon temps est presque écoulé. Permettez-moi de parler de la question problématique, soit la gestion des risques. Nous en entendons beaucoup parler. Dans le rapport final du juge Major, une section complète du volume I y est consacrée.

Le problème de la gestion des risques, c'est que les gestionnaires des risques évaluent, dans un sens, le risque actuariel : d'après notre expérience, quels sont nos handicaps? Le terrorisme pose problème dans la mesure où nous devons gérer des « risques insidieux ». Pas insidieux dans le sens moral — même si ce l'est —, mais dans le sens que nous n'avons pas d'expérience actuarielle. Les attaques du 11 septembre 2001 sont arrivées une fois, tout comme celles de Londres et de Madrid.

Autrement dit, notre ennemi est créatif et innovateur, il s'adapte et il est habile. Les choses se produisent une fois. Nous ne pouvons pas mesurer la menace par des normes actuarielles. Les risques sont faibles, mais les conséquences sont catastrophiques. À mon avis, pour s'occuper du problème, il faut essayer de pénétrer l'esprit de notre ennemi par une analyse professionnelle détaillée.

Autrement dit, si Al-Qaïda a décidé de ne pas attaquer un champ de pétrole, il sera épargné. Dans le cas contraire, le champ sera attaqué. Ce qui est bien, si l'on peut dire, c'est qu'Al-Qaïda s'exprime. Nous avons accès aux communications de cette organisation, car elle doit obtenir l'approbation des autorités religieuses. Grâce à nos compétences analytiques et à nos qualifications, nous pouvons pénétrer l'esprit de notre ennemi et comprendre les « risques insidieux » qui existent dans notre secteur énergétique.

Je suis désolé si j'ai dépassé le temps dont je disposais. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Vous avez soulevé bien des questions chez mes collègues. Nous vous les poserons après avoir entendu les exposés des autres témoins.

Passons à M. Hutchinson.

Steven Hutchinson, professeur adjoint, département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie de nouveau de m'avoir invité aujourd'hui et de prendre le temps d'écouter ce que nous avons à dire sur ces questions importantes.

Je veux parler de deux ou trois tendances légèrement différentes qui concernent la menace terroriste au Canada pour faire suite aux problèmes abordés par M. Rudner.

Il paraît clair que le nombre d'attaques terroristes réussies ou non qui se sont produites au Canada et aux États-Unis a augmenté ces 10 dernières années. Dans ces deux pays, on indique dans plusieurs rapports que le nombre d'attaques terroristes perpétrées ou tentées depuis le 11 septembre 2001 a pratiquement doublé par rapport aux 10 années précédentes.

Même si les médias et le public se concentrent souvent sur les attaques spectaculaires et très organisées qui sont menées à bien ou non, il y a aussi un grand nombre d'attaques réalisées et planifiées par des individus qui semblent agir seuls ou se réunir en groupe de deux ou trois et qui ont peu de rapport avec les grandes organisations terroristes comme Al-Qaïda.

Richard Reid, qui avait des explosifs dans les chaussures, et Farouk Mutallab, qui avait des explosifs dans les sous- vêtements, deux hommes bien connus, ont aussi planifié leurs attaques et agi en grande partie seuls pour détruire des avions de ligne. À la suite des événements, on a associé Richard Reid à un camp de formation terroriste en Afghanistan. Cet homme avait cependant planifié son attaque en Amérique du Nord sans recevoir beaucoup d'aide. Des liens ont également été établis avec d'autres groupes concernant le financement.

La récente tentative d'attentat à la bombe survenue à Times Square, à New York, a aussi été planifiée, organisée et menée par une seule personne. La tentative a échoué. À la suite de l'incident, on a établi un lien entre l'individu et près d'une douzaine d'autres suspects. De plus, l'auteur présumé est possiblement associé aux talibans du Pakistan. Cependant, l'attentat a parfois été planifié par une seule personne.

Je vais maintenant parler des individus qui agissent seuls, sans nécessairement faire partie d'un important groupe terroriste bien organisé. Selon le témoignage recueilli auprès de la famille et des amis après les événements, les individus — et je vais parler du terrorisme intérieur dans une minute — sont passés par des périodes d'intensification de leurs croyances extrémistes avant d'organiser, de planifier et de mener leurs attaques.

J'insiste pour dire que, même s'il est extrêmement important de se pencher sur certaines grandes organisations terroristes internationales, une tendance semble se dessiner en Amérique du Nord concernant les attaques terroristes et les tentatives d'attaques par des gens qui agissent en grande partie seuls.

Les groupes terroristes bien organisés comme Al-Qaïda, le Hamas et le Hezbollah ont une influence au Canada et aux États-Unis. M. Rudner a parlé de certains aspects de cette influence. Toutefois, ces groupes sont de plus en plus concurrencés par des personnes qui agissent seules, ceux qu'on appelle les « loups solitaires » dans la sous-culture terroriste. Ce sont des petits cercles d'initiés ou même des personnes qui agissent seules.

Ce type de terrorisme pose problème sur le plan stratégique dans les domaines de l'application de la loi et du renseignement. En général, nous avons appris des enquêtes menées sur les groupes terroristes et les groupes criminels organisés que plus une organisation est grande, plus elle a de membres, plus elle court le risque d'être démasquée ou d'être infiltrée par des agents d'application de la loi ou du renseignement.

Les grands groupes qui font fi des lois, comme les groupes du crime organisé ou les grandes organisations terroristes, sont très dépendants de la confiance accordée à leurs membres, qui doivent être loyaux et discrets, même si nous constatons l'émergence d'une sorte de réseau terroriste, qui évite aux dirigeants d'être en contact étroit avec leurs subordonnées. Quoi qu'il en soit, ces groupes dépendent toujours d'une certaine confiance devant être accordée aux membres, qui doivent être fidèles.

Cela fait que de nombreux plans complexes élaborés par des groupes terroristes, comme ceux qu'ont mis en œuvre les 18 de Toronto il y a peu de temps — il y a également plusieurs exemples en Angleterre —, ont été déjoués par des agents d'application de la loi et du renseignement. C'est peut-être en partie pourquoi un représentant d'Al-Qaïda a récemment louangé l'approche du « loup solitaire », soit un individu qui agit seul dans un pays occidental. Le porte- parole faisait plus particulièrement l'éloge de Nidal Hasan, le major de l'armée américaine qui a tué par balle 13 collègues à Fort Hood. Il a dit que cet officier était un pionnier et un modèle, quelqu'un qui avait indiqué la voie à suivre à tous les musulmans qui se retrouvent parmi les incroyants.

Même s'il n'y a pas eu un changement énorme concernant les individus qui agissent seuls, la tendance commence à s'accentuer. Ce type de terrorisme demande de mettre en œuvre un autre cadre d'analyse et des techniques d'application de la loi et du renseignement différentes.

On peut comprendre que, tout de suite après les attaques du 11 septembre 2001, le champ d'enquête et d'analyse portait sur les grands groupes terroristes internationaux bien organisés comme Al-Qaïda. Il importe bien sûr de continuer de s'intéresser à ces groupes, qui posent toujours une menace à la sécurité nationale du Canada.

Le renforcement des mesures de sécurité effectué avant et après le 11 septembre 2001 et l'augmentation de la pression exercée sur les organisations terroristes au pays et à l'étranger compliquent la tâche des grands groupes bien organisés qui cherchent à planifier et à réaliser des activités complexes et spectaculaires. Cela peut expliquer en partie la tendance des terroristes à attaquer de manière individuelle. Selon moi, le nombre d'individus et de petits groupes qui agissent en grande partie seuls continuera probablement d'augmenter dans les pays occidentaux comme le Canada et les États-Unis.

En parallèle à cette tendance à une forme d'action plus individuelle, le terrorisme du « loup solitaire », il y a une tendance qui n'a toujours pas été étudiée à fond par les chercheurs ou, encore moins, par les services de police et de renseignement.

On peut voir cela comme la maturation et la prolifération de l'idéologie islamiste radicale, dont on dirait presque qu'elle a maintenant sa sous-culture, à laquelle des personnes adhèrent au Canada, aux États-Unis, dans d'autres pays occidentaux qui prônent la tolérance et ailleurs dans le monde.

On ne s'adresse plus seulement à une partie précise des populations musulmanes pour diffuser les principes et les objectifs radicaux liés à l'islam. Par exemple, ces principes et objectifs ont évolué en une idéologie globale bien organisée qui attire toutes sortes de laissés-pour-compte et de marginaux dans les sociétés démocratiques, au Moyen- Orient et dans les pays arabes.

Cette idéologie plus convaincante et radicale semble donner lieu à une sous-culture, elle-même organisée selon un vaste ensemble de principes recueillis dans plusieurs versions de l'islam radical. Ces principes et objectifs vont directement à l'encontre des idéaux dominants dans les démocraties occidentales. Cette idéologie attire davantage de personnes qu'il y a, disons, 10 ou 15 ans.

Des rapports indiquent qu'il y a différents types d'individus qui, pour une raison ou une autre, se radicalisent désormais peu à peu avant de finalement embrasser le terrorisme. Si l'on exclut des exemples très connus comme l'attentat du 11 septembre 2001, les 17 de Toronto ainsi que certaines affaires importantes et très spectaculaires, bien des attaques terroristes survenues ces 10 dernières années en Amérique du Nord ont été planifiées et réalisées par des individus radicalisés qui, auparavant, ne partageaient pas les idées des extrémistes islamiques.

Je répète qu'il s'agit d'observations préliminaires, car il n'y a toujours pas eu beaucoup de recherche effectuée à ce sujet. Il semble également y avoir quelque chose de séduisant dans l'idée de souscrire à une idéologie terroriste radicale comme l'antiaméricanisme et l'anticapitalisme. Ces idéologies sont relativement populaires dans certaines parties de la population et certaines sous-cultures.

Cet attrait est peut-être fondé, à tout le moins en partie, sur l'honneur et la fierté que suscitent bon nombre de terroristes faits martyrs, dans certaines régions du Moyen-Orient, lorsqu'ils ont commis une attaque suicide ou un attentat à la bombe. Par exemple, en Palestine et à Gaza, de jeunes hommes, par ailleurs relativement bien équilibrés et éduqués, sont continuellement incités à se faire martyrs une fois qu'ils auront atteint l'âge adulte par des militants et même par leurs familles.

Des rapports montrent qu'il est désormais chose courante pour bien des jeunes hommes et un nombre croissant de jeunes femmes de vouloir être martyrs un jour. Dans ces communautés, on réserve de grands honneurs et on accorde beaucoup de respect à ceux qui répondent à l'appel de la violence terroriste, un phénomène qui semble à certains égards s'étendre à d'autres régions que celles où les martyrs d'attentats à la bombe font partie du paysage.

Ces 10 dernières années, les enquêtes, les analyses et la surveillance en ce qui concerne notamment les tendances organisationnelles, idéologiques et culturelles ainsi que les changements relatifs à l'étendue de la menace ont été essentielles pour prévenir la violence terroriste au Canada. Même si nous avons peut-être adopté une vision étroite après les événements du 11 septembre 2001, il semble que nous n'examinons plus seulement les grands groupes terroristes internationaux bien organisés, mais aussi toutes sortes d'activités liées au terrorisme contemporain, et ce, malgré que nous n'ayons toujours pas élaboré de programmes complets d'intervention contre la radicalisation ni même une théorie ou une ébauche de théorie sur ce problème.

Par exemple, les services de police et de renseignement comme la GRC et le SCRS ont entrepris des projets de recherche et d'analyse sur les processus et les dangers de la radicalisation et sur ce qu'ils appellent le terrorisme intérieur. Je pense que nous devons continuer de consacrer des ressources suffisantes concernant ces nouveaux problèmes, même s'ils ne sont pas aussi sensationnels que l'ont été certains événements importants plus spectaculaires.

Il faut avant tout parvenir à comprendre dans une certaine mesure les étapes ou les phases de la radicalisation des individus et ensuite déterminer les facteurs de risque qui peuvent mener des individus et des communautés à se radicaliser. Comme ces risques changent selon les groupes et les personnes, il faut élaborer des stratégies d'intervention efficaces et réussir à les mettre en œuvre aux moments opportuns.

Ces programmes seront extrêmement utiles pour comprendre les nombreux aspects du terrorisme. Je pense que nous avons fait beaucoup de progrès ces 10 dernières années, et plus particulièrement ces cinq dernières années, pour comprendre que le terrorisme est un problème plus complexe et plus vaste que nous ne l'avions envisagé au départ.

Le président : Il vous reste une minute.

M. Hutchinson : Je vais conclure rapidement. Je dois aborder l'importance particulière que revêtent ces questions sur le plan pratique pour les services de police, mais aussi pour les organismes des secteurs public et privé.

Même si nous avons compris que tous les Canadiens doivent participer à la prévention du crime, je pense que nous devons approcher le problème du terrorisme en mettant à contribution un plus grand nombre d'institutions et d'organismes autres que les services de police et de renseignement pour prévenir les attentats terroristes au Canada.

Nous savons que des particuliers ont contribué de manière significative à prévenir des attentats terroristes. Par exemple, ils ont joué un rôle important dans la tentative d'attentat à la bombe de Richard Reid et celle de Times Square, à New York. Je serai heureux de parler davantage de cela et de ce que font les services de police et de renseignement pour s'attaquer à ce problème complexe, mais je vais en rester là pour l'instant.

Le président : C'est très apprécié. Nous allons bien sûr remettre la transcription complète de votre déclaration et nous aurons amplement le temps de poser des questions pour que vous puissiez donner d'autres informations.

Avant de céder la parole à M. Quiggan, je signale que, tout à l'heure, j'aurais peut-être dû dire qu'il a servi le Canada en Bosnie et en Croatie de même qu'il a été affecté en Russie, au Bélarus, en Pologne, en Ukraine, en Albanie et dans d'autres pays.

Nous vous sommes reconnaissants du travail que vous avez effectué pour le Canada dans ces pays. Nous comprenons que vous n'êtes peut-être pas autorisé à communiquer l'entièreté de ces activités. Cependant, je manquerais à mon devoir si je n'exprimais pas ma reconnaissance au nom du comité et du Sénat du Canada pour ce que vous avez accompli en tant que militaire et agent de renseignement au service du pays.

Tom Quiggan, chercheur supérieur attaché à l'université, Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, Université Carleton, à titre personnel : Je vous remercie. Permettez-moi de dire à l'instar de mes confrères qu'il s'agit d'un privilège et d'un honneur d'être ici, et que c'est loin d'être un fardeau.

Permettez-moi de parler tout d'abord de moi, de certaines croyances que j'ai adoptées au fil des ans et de certaines choses que m'a apportées le service. Je parlerai de ma participation à une affaire de certificat de sécurité nationale, qui me permettra de répondre à trois questions précises que vous nous avez posées. Pour terminer, je donnerai deux mots clés sur lesquels nous devons selon moi nous concentrer — « connaissance » et « argent ». J'en parlerai davantage à la fin de mon exposé.

Je dirais tout d'abord que je suis un constitutionnaliste convaincu, quelqu'un qui croit fermement à l'ordre public. Je pense que l'État a besoin de systèmes de justice, de renseignement et de police efficaces et fiables. Je pense aussi que les grandes valeurs sont une affaire d'État, en particulier durant une crise ou une période difficile. Il ne faut pas renier nos valeurs dans une période trouble.

J'ai également constaté personnellement les effets de l'échec : les conséquences qu'entraînent les États défaillants et la violence politique. J'en ai majoritairement, mais pas exclusivement, pris conscience durant mon service dans les pays comme la Bosnie et la Croatie et pour avoir travaillé dans les États en déroute comme l'Albanie.

De plus, j'ai joué des rôles où le pragmatisme et les faits étaient essentiels au succès de la mission, sinon à notre survie. C'est pourquoi je suis maintenant un adepte résolu du pragmatisme et que je tiens à vérifier les informations. C'est en partie dû au fait que j'ai déjà été affecté aux opérations militaires de recherche et de sauvetage en haute mer, à la lutte anti-sous-marine dans l'Atlantique Nord et en tant qu'agent de renseignements en Bosnie et en Croatie.

Après mon service militaire, j'ai participé aux enquêtes sur la sécurité nationale à la GRC, plus particulièrement à celle réalisée sur Momin Khawaja, à Ottawa. J'ai pris part à la préparation d'évaluations du risque et de la menace pour le premier ministre, le Cabinet, des sénateurs, des députés et des juges fédéraux. J'ai également témoigné à six reprises dans des affaires pénales...

Le président : Puis-je vous demander de ralentir pour que les interprètes sortent vivants de cette expérience difficile?

M. Quiggin : D'accord; à la Cour fédérale du Canada, on sait que je parle trop, et trop vite.

Le président : Jusqu'à présent, comme vous êtes loin d'avoir dépassé vos 10 minutes, je ne parle que du débit.

M. Quiggin : Je présente mes excuses aux interprètes.

Permettez-moi maintenant de parler brièvement de l'histoire de Hassan Almrei et de l'affaire de certificat de sécurité nationale qui l'a mené en prison pendant six ans et demi ou sept ans. En avril 2008, j'ai été contacté par Paul Copeland, un avocat de la défense de Toronto. J'ai été quelque peu surpris de recevoir un appel d'un avocat de la défense, étant donné que j'ai toujours travaillé pour la GRC, des services de police, des tribunaux, et cetera.

Cela dit, M. Copeland m'a demandé de consulter l'examen du renseignement de sécurité concernant M. Almrei pour en livrer un témoignage. Le résumé de l'examen du renseignement se veut l'explication officielle de l'affaire concernant M. Almrei. On tentait alors de justifier grâce à lui pourquoi cet homme avait passé six ans et demi en prison.

J'ai d'abord refusé poliment, mais j'ai tout de même consulté l'examen qu'on m'avait envoyé par courriel et j'en suis sorti transformé. Après 20 minutes, je pouvais affirmer que rien ne justifiait les soupçons qu'on avait conçus à l'égard de Hassan Almrei, même si cette personne avait passé des années en prison, ce qui renvoie à mes réflexions sur le constitutionnalisme en droit. Rien n'indiquait que M. Almrei était membre d'Al-Qaïda ou d'un groupe affilié ou associé à cette organisation.

Vous vous demandez peut-être comment j'ai fait pour constater cela aussi rapidement, en 20 minutes, plusieurs années après. La réponse se trouve dans un fait établi : les connaissances théoriques sur le terrorisme et les connaissances pratiques sur les groupes terroristes actuels.

Par exemple, le rapport mentionnait les Frères musulmans et indiquait que l'un des membres de la famille de M. Almrei en était membre. Il laissait entendre que d'une façon ou d'une autre, cela faisait de lui un membre d'Al-Qaïda. Le fait est que les groupes terroristes ne s'aiment pas tous. Les Frères musulmans, en particulier, ont juré de renoncer à la violence. Ils détestent passionnément Al-Qaïda, et Al-Qaïda les déteste à un point tel que nous ne pouvons pas le concevoir.

Par conséquent, le fait qu'un membre de la famille d'une personne fasse partie des Frères musulmans laisse supposer que cette personne ne serait pas membre d'Al-Qaïda. M. Almrei est également un hafiz, c'est-à-dire qu'il connaît le Coran par cœur et qu'il est en mesure de passer un examen du gouvernement saoudien qui montre que c'est le cas. Les terroristes qui ont de fortes croyances religieuses, peu importe la confession, sont extrêmement rares. Les auteurs des attentats du 11 septembre, de l'attentat à la bombe dans le métro de Londres, et cetera., viennent de familles qui pratiquent peu leur religion ou qui ne pratiquent pas de religion. Les gens qui sont vulnérables à l'extrémisme le sont précisément en raison de leur manque de connaissances religieuses, et non pas le contraire.

De toute façon, l'affaire a été soumise au juge Mosley, de la Cour fédérale, qui, je crois, est également le sous- ministre adjoint à qui l'on doit la loi antiterroriste actuelle. Il a examiné cette affaire, disons, de façon intensive pendant une certaine période. Au bout du compte, dans la décision qu'il a rendue, il a dit :

Je suis convaincu qu'Hassan Almrei ne s'est pas livré au terrorisme et n'est pas ni n'a jamais été membre d'une organisation dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes terroristes. Je conclus qu'il n'y a aucun motif raisonnable de croire qu'Hassan Almrei constitue aujourd'hui un danger pour la sécurité du Canada. Par conséquent, je conclus qu'aucun des motifs d'interdiction de territoire énoncés au paragraphe 34(1) de la Loi n'a été établi et, par conséquent, je conclus que le certificat n'est pas raisonnable et doit être annulé.

Cette décision a été rendue après que l'homme a passé six ans et demi en prison sans avoir été représenté.

Il faut signaler que des connaissances de base et des connaissances théoriques sur le terrorisme ont permis d'annuler cette affaire et de la régler. Sur une note un peu plus positive, je dirais que dans l'affaire de Momin Khawaja, ici à Ottawa, on a utilisé amplement de connaissances solides, tout comme dans l'affaire des 18 de Toronto, pour laquelle certaines personnes considèrent qu'il y a eu des hauts et des bas. Néanmoins, la plupart de ces affaires ont donné de bons résultats. Il s'agit de bons exemples qui illustrent comment bien faire les choses; on ne manque donc pas de possibilités.

Vous m'avez demandé de parler des motifs, de la culture et de l'objectif d'une personne qui envisage de commettre un acte terroriste. Je crois qu'il est important de noter qu'au cours des deux derniers siècles, les motifs qui ont poussé les gens à commettre des actes terroristes n'ont pas changé. Le terrorisme, c'est un acte politique. Le terrorisme, c'est un acte commis par les plus faibles contre les plus forts; en d'autres mots, c'est la méthode employée par les plus faibles. Le terrorisme, c'est le recours à la violence pour tenter de changer la politique du plus fort.

Il y a différentes façons d'examiner le terrorisme ou de l'étudier. L'une d'elles consiste à examiner les typologies, et il y a cinq types de terrorisme. Il y a le terrorisme ethno-national, qui compte des groupes comme les Tigres de libération de l'Eelam tamoul, TLET, au Sri Lanka ou la Patrie basque et liberté, ETA, en Espagne.

Il y a le terrorisme politico-religieux, qui semble être le principal type de terrorisme de nos jours. Le terrorisme politico-religieux inclut Al-Qaïda, le Lashkar-e-Toiba, le Front Moro islamique de libération, et cetera.

Les terrorismes d'extrême gauche et d'extrême droite existent toujours. Le groupe Baader-Meinhof est l'un des plus vieux exemples de terrorisme d'extrême gauche, et Timothy McVeigh aux États-Unis est un exemple de terroriste d'extrême droite.

Il y a également le terrorisme à cause unique. Les gens qui le pratiquent se préoccupent de dossiers comme l'environnement, l'avortement, et cetera. Ils agissent pour une cause particulière.

Mentionnons aussi le terrorisme parrainé par l'État, qui a perdu du terrain. Bon nombre d'États ont abandonné ce type de terrorisme et ne le parrainent plus. Par exemple, la Libye a cessé de le faire. Toutefois, l'Iran est présentement un merveilleux exemple d'État qui parraine délibérément le terrorisme et qui, pour autant qu'on le sache, accroît son parrainage au Hezbollah, ce qui est important pour nous au Canada. Nous allons en discuter tout à l'heure.

Les motifs précis des terroristes ont changé au fil des ans. À Ottawa, Momin Khawaja est passé par une période de radicalisation à partir de septembre 2000 environ, à un point tel qu'en janvir 2002, il commettait des actes terroristes considérés criminels selon le Code criminel du Canada. Son motif précis — ce qui l'a mené vers l'extrémisme —, ce sont les territoires palestiniens et la deuxième Intifada, qui a commencé en septembre 2000.

Fait intéressant, dans le cas de ses collègues du Royaume-Uni, qui ont également été reconnus coupables, leurs intérêts de base concernaient le Cachemire, les conséquences pour le Cachemire et, dans une moindre mesure, l'Afghanistan. Ce qui est fascinant, c'est que lorsqu'ils ont commencé à travailler en groupe, ils ont délaissé l'Afghanistan, le pays qu'ils voulaient soutenir, pour concentrer leurs efforts sur le Royaume-Uni, où ils voulaient commettre des attentats à la bombe. C'est l'invasion en Irak dirigée par le Royaume-Uni et les États-Unis qui a motivé ce changement.

Pour tous ces types de terrorisme, il est clair que les motifs sont d'ordre politique. Il pourrait s'agir de groupes religieux; ainsi, les justifications qu'ils donnent aux massacres commis, entre autres, pourraient être liées à une idéologie religieuse; et la cohésion peut s'expliquer par une morale religieuse. Toutefois, les motifs réels sont d'ordre politique.

La leçon à retenir est la suivante : ce qui se passe là-bas a de l'importance ici. Également, le choix que nous faisons ici au Canada de participer ou non à la guerre en Irak, au Moyen-Orient ou en Afghanistan, a de l'importance ici — et non pas seulement là-bas.

La deuxième question que vous avez posée portait sur l'adaptation des services de renseignement et de police aux nouvelles réalités. M. Rudner a utilisé les termes « passif » et « réactif »; c'est, à mon avis, la meilleure explication qui me vienne à l'esprit. On a amélioré les organismes gouvernementaux, et je ne minimise pas l'importance de ces améliorations. Nous sommes meilleurs aujourd'hui qu'en 2005 et qu'en 1985.

Toutefois, ces améliorations ont été réactives, limitées et modestes. De leurs côtés, les méchants — c'est-à-dire les gens qui participent à des activités liées au terrorisme transnational, au crime organisé, à la migration clandestine, aux drogues, au blanchiment d'argent, et cetera — se sont améliorés du point de vue logarithmique. L'écart entre notre situation et la leur augmente depuis plusieurs années déjà.

Je vous ai parlé de la situation de Hassan Almrei pour soulever un point, à savoir les connaissances. La puissance ne peut à elle seule empêcher le terrorisme. Les États-Unis forment la plus grande superpuissance et le plus puissant pays jamais connu. Malgré tout le pouvoir militaire qu'il possède, ce pays n'a rien fait pour empêcher le terrorisme. La technologie en elle-même n'est pas nécessairement un atout dans la lutte contre le terrorisme; souvent, elle devient un handicap, car elle façonne notre mentalité.

Les divers organismes que nous avons au Canada réduisent trop souvent les fonds consacrés à la formation — ils n'offrent pas de formation générale — et compte tenu du roulement élevé de leurs analystes, ces derniers n'ont pas la possibilité d'acquérir la base de connaissances dont ils ont besoin. Ce problème persiste. Il importe également de souligner que les connaissances se trouvent en grande partie à l'extérieur du gouvernement. Même dans des secteurs supposément confidentiels du gouvernement, comme la défense, les services de renseignement et la sécurité, la plupart des spécialistes se trouvent à l'extérieur du gouvernement; par conséquent, la plupart des réponses qu'il nous faut se trouvent à l'extérieur également.

En terminant, permettez-moi de vous parler des connaissances et de l'argent. Pour ce qui est des connaissances, un certain nombre de centres partout dans le monde étudient les questions de violence politique et de terrorisme. Souvent, les meilleurs se trouvent à l'extérieur du gouvernement ou sont indépendants de leur gouvernement, même s'ils mènent des activités dans des organismes gouvernementaux. Les connaissances que ces centres produisent, dont la plupart peuvent être transmises au Canada, sont pertinentes pour notre pays. Si nous avions un centre de connaissances qui étudiait les politiques, la violence politique et le terrorisme, tout un réseau mondial serait automatiquement prêt à nous aider.

Dans son rapport sur Air India, le juge Major a affirmé qu'on devrait créer un tel centre au Canada. À mon avis, c'est une idée pragmatique — et je crois fermement aux idées pragmatiques —, et on aurait dû le faire depuis longtemps. Les pays qui sont prêts à collaborer avec nous sont les Pays-Bas, la Norvège, l'Autriche, la Suède, les États- Unis, Singapour et le Maroc. La liste est longue, et ce serait très avantageux pour nous.

Même le Hezbollah a son centre d'études et de recherches. C'est avant tout un groupe terroriste qui a une aile politique, et il a son propre centre d'études et de recherches où l'on étudie la violence politique. Nous n'en avons pas au Canada. Je n'insinue pas qu'en créant un groupe au Canada, il nous faudrait établir des liens avec les membres du Hezbollah et traiter avec eux. Toutefois, je dis que nous devrions lire leurs travaux attentivement, car au cours des dernières années seulement, des groupes comme le Hezbollah, le Hamas et les Frères musulmans ont étendu leur influence rapidement au Canada et ils y sont arrivés grâce à leur convergence avec l'extrême gauche. L'extrême gauche au Canada a une série de projets avec des groupes comme le Hezbollah, le Hamas, la Conférence du Caire, et cetera.

Mon dernier point porte sur l'argent. Au début, le sénateur Segal a dit que le projet de loi S-7 a été adopté à l'étape de la deuxième lecture et qu'il est maintenant étudié en comité. Ce projet de loi a été parrainé par la Coalition canadienne contre le terrorisme, la C-CAT. C'est une idée brillante et très pragmatique, car les groupes terroristes comptent trois types de membres. Il y a tout d'abord les terroristes eux-mêmes. Ces gens préparent les attaques, construisent les bombes et les font poser. Il y a également les sympathisants. Il s'agit du personnel de soutien, des financiers, des membres de la collectivité qui fournissent des maisons sécuritaires, des billets, et cetera. Le dernier groupe, qui est plutôt large, se compose de personnes disposées à fournir quelques dollars et à fermer les yeux.

Il est extrêmement difficile de décourager les terroristes au moyen d'une compétence législative, car ils sont de vrais sympathisants qui défendent une cause et, de toute façon, ils ont tendance à croire qu'ils sont au-dessus des lois. Toutefois, le plus important, c'est que dans le cas du deuxième groupe, les personnes sont des membres de la collectivité qui ont des placements, qui possèdent des entreprises et qui exercent des fonctions au sein de la collectivité; voilà pourquoi ils n'aiment pas attirer l'attention. Comme ils n'ont pas le courage de participer à des activités terroristes, ils tendent à rester dans l'ombre. Si le projet de loi S-7 est adopté tel quel, il permettra d'exposer ces gens qui veulent rester dans l'ombre.

En tant qu'ex-militaire ayant travaillé dans le domaine de l'application et de l'analyse de la loi, je dirais que le projet de loi S-7 aura un effet très dissuasif sur les personnes qui rendent le terrorisme possible. En d'autres mots, si nous éliminons le financement et le soutien, il deviendra difficile d'être terroriste.

Pour conclure, il est malheureux qu'en 1984, nous n'ayons pas eu à notre disposition un projet de loi comme le projet de loi S-7. Si cela avait été le cas, toute la situation liée à Air India et ses répercussions seraient bien différentes. Autrement dit, après l'explosion de l'appareil d'Air India, les événements du 11 septembre et une série d'autres attaques, ce projet de loi aurait été un outil de contestation civile extrêmement utile pour s'attaquer non pas aux terroristes, mais aux gens qui rendent le terrorisme possible en le finançant.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Quiggin.

Monsieur Rudner, vous avez parlé des efforts que mènent ces divers groupes pour s'infiltrer dans les forces de police et de sécurité dans d'autres pays. Savez-vous si ce problème existe dans notre propre pays?

M. Rudner : Malheureusement, nous ne savons pas si l'adversaire a tenté de s'infiltrer dans les services de sécurité et de renseignement canadiens ou si des gens ont été arrêtés. Par contre, nous savons qu'ils ont réussi à le faire dans pratiquement tous nos pays amis et alliés. Mon hypothèse, c'est qu'il est peu probable que l'adversaire nous ait perdus de vue.

Je crois que la solution réside dans la fusion de la contre-ingérence et du contre-terrorisme. Depuis le 11 septembre 2001, on accorde à la contre-ingérence une place plus discrète et au contre-terrorisme, une place plus importante dans le milieu collectivité du renseignement. À mon avis, il est temps de fusionner, au moins en partie, les deux aspects du renseignement, comme dans le secteur de la défense du Canada, en incluant le contre-terrorisme dans la contre-ingérence et vice versa.

Le président : Merci de cette intervention.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, et merci de votre contribution.

J'attire votre attention sur la recommandation qu'a faite l'ancien juge Major dans son rapport au sujet de l'enquête sur l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, car au moins deux d'entre vous, comme vous l'avez mentionné dans votre exposé, ont participé à cette enquête.

J'ai eu deux réactions au rapport, et je veux connaître votre opinion là-dessus. La première, c'est qu'il semble que nous n'ayons pas appris comment gérer la question de l'isolement des différents organismes qui jouent un rôle dans le maintien de la sécurité au Canada. La première recommandation du juge Major a trait à la nomination d'un conseiller en matière de sécurité nationale au Conseil privé qui aurait la responsabilité de « résoudre, de manière définitive, les différends entre les organismes responsables de la sécurité nationale ».

Cette recommandation me fait peur, car elle me donne à penser qu'il y a une guerre intestine comparable à celle qui a donné lieu aux événements du 11 septembre aux États-Unis. Des représentants de la GRC, du SCRS, du MDN et d'autres organismes nous ont assurés qu'ils communiquent entre eux et qu'ils coordonnent leurs activités. Cependant, d'après la recommandation principale du juge Major, il faut apporter des améliorations pour assurer l'efficacité des organismes.

Ma deuxième réaction porte sur les outils législatifs auxquels nous avons eu accès en ce qui concerne les poursuites. Je sais que M. Quiggin a participé aux débats sur le certificat de sécurité national. On recommande entre autres que la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité soit modifiée pour prévoir l'échange accru d'informations avec d'autres organismes, et que la Loi sur la preuve au Canada soit modifiée pour établir un nouveau privilège relatif à la sécurité nationale. Cette recommandation montre clairement que la Loi sur la preuve au Canada ne convient pas aux poursuites qui concernent la divulgation et la conservation de renseignements stratégiques. Le juge Major a également recommandé la modification des lignes directrices fédérales en matière de poursuite. Il semble que nos outils législatifs soient mal adaptés pour faire face aux difficultés que pose la défense de ces questions devant les tribunaux.

Avons-nous encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir régler les questions de sécurité au Canada, mis à part tout ce que vous avez décrit, dans le cadre du système judiciaire dont le Canada est doté?

M. Rudner : Merci beaucoup d'avoir posé ces deux questions très pertinentes. Je vais répondre à chacune d'elles, puis les autres pourront y répondre également.

À propos de l'idée de nommer un conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale qui jouerait un rôle majeur, dans son rapport, le juge Major cite mon rapport de recherche présenté à cette commission justement parce que j'étais d'avis que nous avions besoin d'un conseiller en matière de sécurité nationale ou d'un coordonnateur de la collectivité du renseignement qui aurait un rôle majeur à jouer pour, en premier lieu, en finir avec le cloisonnement. Il nous faut une intervention coordonnée.

En deuxième lieu, il nous faut des initiatives proactives. Quelqu'un doit avoir une vue d'ensemble, guidée par des analyses et des connaissances, pour renforcer l'argument de M. Quiggan, au lieu de se laisser tout simplement guider par une impression que quelque chose mérite enquête; le tout doit être guidé par une connaissance de ce qui nécessite une enquête. L'idée, c'était d'instaurer un programme axé sur l'analyse du renseignement, sous la direction d'un conseiller en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre; un conseiller qui a du poids, non seulement en vertu du fait qu'il retient l'attention du premier ministre, mais également parce qu'il peut allouer un budget discrétionnaire modeste aux différents organismes, budget qui s'ajoute à leurs ressources pour leur permettre d'être proactifs. Toutefois, ils sont responsables devant le Parlement de ces ressources supplémentaires.

Je crois que la présence d'un conseiller est extrêmement importante et j'espère que le gouvernement du Canada étudiera sérieusement la recommandation du juge Major.

Concernant le lien entre le renseignement et les preuves, j'ai eu l'honneur et le privilège de siéger à la Commission O'Connor, qu'on appelle communément la Commission Arar. Le juge O'Connor était préoccupé par la communication des renseignements, mais dans sa recommandation écrite, il disait que rien dans ce rapport ne devrait être perçu comme une volonté d'empêcher la collectivité du renseignement de communiquer des renseignements; rien ne devrait être perçu comme une contrainte. Toutefois, tous les gens de la collectivité du renseignement ont cru que dans son rapport, le juge indiquait qu'ils ne devraient pas communiquer des renseignements et qu'il valait mieux pour eux de ne pas le faire au cas où ils comparaîtraient devant une autre commission d'enquête judiciaire.

À mon avis, les conséquences de ce rapport doivent maintenant être annulées, car pour des raisons que nous avons tous les trois présentées, il est essentiel de communiquer les renseignements. Je crois que les membres du comité ont entendu d'autres personnes dire la même chose et qu'ils le comprennent grâce à leur propre compréhension des difficultés du contre-terrorisme. Je dirais cependant qu'utiliser des renseignements comme preuve devant le tribunal comporte des difficultés. Cela ne fait aucun doute. La difficulté, comme le sénateur Joyal le dit, vient du problème de la divulgation. Nos tribunaux exigent le contre-interrogatoire et c'est tout à fait convenable dans les affaires criminelles et dans d'autres affaires dans une démocratie, mais permettez-moi d'affirmer que d'autres pays y ont également fait face.

Par exemple, les Pays-Bas ont adopté une loi qui permet de présenter devant les tribunaux des renseignements d'origine électromagnétique, qui sont dans une certaine mesure les renseignements les plus confidentiels de tous, d'une façon qui permet de les utiliser comme preuve, sans divulguer les sources et les méthodes.

L'une des choses que nous devons faire dans notre processus, c'est accroître nos connaissances non seulement de l'adversaire, mais également de nos amis et de nos alliés des autres démocraties et de la façon dont ils font face à l'adversaire.

Le président : Quelqu'un d'autre veut-il répondre?

M. Quiggin : Je suis tout à fait d'accord pour dire que les deux fonctions, le renseignement et l'application de la loi sont isolés l'une de l'autre. Comme M. Rudner l'a dit, la Commission Arar a eu l'effet de le confirmer encore plus qu'auparavant.

Une solution possible serait d'examiner de quelle façon les autres pays l'ont fait. Par exemple, comme les Danois ont mis toutes leurs enquêtes sur la sécurité nationale sous le même toit, les services de renseignement et les responsables de l'application de la loi travaillent dans le même édifice, utilisent les mêmes systèmes informatiques, mangent dans la même cafétéria et relèvent du même patron. C'est peut-être efficace là-bas en raison de la culture et de l'histoire danoises, mais il vaut la peine d'examiner ce modèle.

L'autre choix que nous avons c'est d'examiner ce que d'autres pays ont fait et dire que ces deux systèmes ne voudront jamais communiquer entre eux. Aucune grande entité bureaucratique ne veut communiquer tous ses renseignements à l'autre grande entité bureaucratique, surtout quand les services de renseignement sont d'un côté et que les organismes d'application de la loi sont de l'autre parce qu'ils ont des mandats différents.

Par exemple, aux Pays-Bas, Peter Knoop a quitté le ministère des Affaires étrangères et est en train de créer un nouvel organisme sur la radicalisation, que le gouvernement néerlandais fera fonctionner et financera, mais qui sera indépendant du gouvernement, et un certain nombre de pays ont fait le même genre de choses. L'organisme néerlandais sera une excellente source d'inspiration pour bien des gens. Les Norvégiens font la même chose par l'institut norvégien de recherche pour la défense, le FFI, qui fonctionne à partir du ministère de la Défense. En Suède, Magnus Ranstorp est à la tête du centre d'études des menaces asymétriques, qui fonctionne à partir du collège suédois de la défense nationale, mais qui est indépendant du gouvernement. En d'autres mots, on peut communiquer les renseignements.

Peut-être que l'une des solutions, c'est de nous rendre compte que la plupart des connaissances dont nous avons besoin pour ces opérations, tant du côté du renseignement que de celui de l'application de la loi, existent déjà. Elles sont là. Il s'agit de trouver un endroit où on peut les apprendre. C'est le genre de chose qu'un centre comme celui que le juge Major a proposé pour étudier la violence politique et le terrorisme peut faire, car le gouvernement n'a pas de prise sur lui — tout comme les services de renseignement et de police, et il peut toujours trouver les renseignements dont nous avons besoin du point de vue tactique, opérationnel et stratégique.

Il existe des solutions, des moyens. Il suffit de créativité et de détermination, comme d'autres pays en ont eues par le passé.

Le président : Monsieur Hutchinson, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Hutchinson : Je me fais l'écho de mes collègues, et j'ajouterai une autre perspective. Nous constatons que les organisations auxquelles s'intéressent les services de police et de renseignement sont de plus en plus en réseaux et échangent très efficacement les renseignements entre elles. Pour lutter contre elles, ce pourrait être un handicap pour nous que de ne pas pouvoir en faire autant avec nos institutions, tant au sein des gouvernements qu'entre institutions publiques et privées, dans une certaine mesure.

Je suis d'accord avec la recommandation. Je pense aussi que l'échange de l'information devrait, de fait, être en tête de liste des priorités. Cet échange va à l'encontre de la tradition de cloisonnement de l'organisme de renseignement, et de certaines luttes de pouvoirs qui s'y sont livrées. Il n'est pas facile de s'en défaire.

Le sénateur Furey : On a demandé à la directrice du Centre intégré d'évaluation des menaces si les renseignements circulaient entre les organismes comme la GRC, le Centre intégré d'évaluation des menaces et le SCRS. Elle a répondu par l'affirmative. Pensez-vous que le problème pourrait venir en partie de ce que les organismes eux-mêmes n'ont pas conscience du problème?

M. Hutchinson : J'examinerais les organismes en question. Peut-être voit-on les choses autrement au niveau de la direction ou dans certains secteurs de la GRC et du SCRS, par exemple parmi les agents subalternes de la GRC et du renseignement. M. Quiggin connaît mieux ces secteurs, mais les points de vue peuvent diverger au sein des organisations elles-mêmes.

M. Quiggin : Comment puis-je répondre à cette question sans mettre personne en difficulté?

Le président : Le terme « peut-être » est parfois assez utile.

M. Quiggin : J'ai travaillé pour plusieurs organismes du gouvernement : le BCP, CIC, la GRC et JUS — tout l'alphabet y passe. J'ai travaillé pour chacun d'eux à un moment ou à un autre. Mes observations pourraient quelque peu contredire la perception de la directrice du CIEM. Dans des organismes centraux comme le BCP, je n'ai pas toujours vu l'information circuler librement, et j'ai assisté à beaucoup de luttes internes.

J'ajouterai qu'au niveau opérationnel, chez les subalternes, la collaboration est possible sous pression. Les gens peuvent mettre de côté tous ces sigles, SCRS, GRC, CIC, ASFC. Quand la situation l'exige, ils collaborent et le travail se fait. Ils trouvent des moyens créatifs de contourner certains obstacles. C'est une bonne chose.

Au haut de l'échelle, les directives de la haute direction semblent nous pousser à échanger, à faire mieux. C'est bon, mais ensuite il y a cette ribambelle de cadres intermédiaires et de bureaucrates qui, régulièrement, semblent décider que les impératifs bureaucratiques ont préséance sur le succès opérationnel. C'est une lutte de tous les instants.

Il faut dire que le Sénat romain a eu cette même discussion il y a 2 000 ans.

Le président : Vous voyez ce que cela a donné.

M. Quiggin : Les résultats à long terme n'ont pas été mirobolants, c'est un fait.

Le sénateur Smith : Je vais peut-être méditer un peu à haute voix sur ce que vous avez dit tous les trois, et vous pourrez répondre par la suite.

J'étais dans mon cabinet d'avocat, ce matin, au coin des rues King et Bay à Toronto, par exemple, quand j'ai entendu parler de dépenses extraordinaires. Apparemment, on avait beaucoup trop dépensé sur la sécurité. Ce n'est pas le genre de société dans laquelle je veux vivre et je crois qu'on pourrait trouver des solutions beaucoup plus économiques pour la prochaine fois. À bien y penser, même avec tout l'argent investi et tous leurs réseaux, 10 ans plus tard, les Américains ne sont pas plus près de trouver Oussama ben Laden. Ils disent toujours qu'il est quelque part au Pakistan ou en Afghanistan, qu'il se déplace d'un endroit à l'autre. Je me demande combien de milliards ont déjà été dépensés là-dessus.

M. Hutchinson nous a dit qu'à l'avenir, ce pourrait être quelqu'un qui fait cavalier seul. Je ne suis pas sûr que votre gigantesque réseau puisse repérer le genre d'activité d'un terroriste qui fait cavalier seul, comme dans le cas de l'incident survenu à Times Square. Et puis on a parlé des États défaillants.

Je ne crois pas que la Somalie y soit impliquée, parce que c'est pour de l'argent. Cependant, on trouve le moyen de convaincre les bombes humaines qu'ils iront tout droit au paradis, et je ne sais pas s'ils pensent qu'ils auront un énorme harem ou ce qui les pousse à commettre des attentats suicides, mais il y a des gens qui sont prêts à le faire.

Si nous dépensons de l'argent, quel serait le moyen le plus efficace de le faire? Par exemple, quand on a arrêté les 18 de Toronto, ces jeunes gens, la première réaction de la communauté — et je vis à Toronto —, a été de dire que la police allait trop loin. Et pourtant, plus de la moitié ont plaidé coupables.

Si nous voulons éduquer ces jeunes, nous n'arriverons probablement pas à grand-chose nous-mêmes. Il faut que cela vienne de leur propre société, de leur communauté. Ils pourraient accorder foi à l'enseignement des leurs. Je crois bien que l'événement a pu susciter une prise de conscience.

Quel que soit le montant, quel serait l'emploi le meilleur et le plus stratégique à faire de cet argent, si nous voulons avoir un effet valable sur cette situation, pour qu'elle s'améliore au lieu de s'aggraver?

M. Quiggin : Pour ce qui est de l'utilisation efficace des fonds, j'ai parlé, dans mon exposé, du savoir, qui fait plus que la technologie ou le pouvoir. Vous avez raison, après avoir dépensé on ne sait combien de milliards de dollars, les Américains ne se sentent pas plus en sécurité aujourd'hui que le 12 septembre 2001, au lendemain de la tragédie du 11 septembre.

Comme nous sommes des pays occidentaux technocrates, nous avons le culte de la technologie, de la hiérarchie et de l'organisation. Nous dépensons en ce moment des sommes phénoménales pour installer ces nouvelles machines indiscrètes à rayons X dans les aéroports. Nous comptons sur la technologie pour résoudre nos problèmes de sécurité. En réalité, quiconque étudie pendant un certain temps la sécurité dans les aéroports se rend compte que ce qu'il nous faut, en fin de compte, c'est une gamme de mesures de sécurité non contraignantes conjuguées à une ou deux mesures fermes, et que la sécurité doit être fondée sur les connaissances.

Il suffit de voir les pays qui s'y entendent en matière de sécurité dans les aéroports — Singapour et Israël en sont les meilleurs exemples. Ce qui est agréable dans ces aéroports-là, c'est qu'on y passe rapidement.

L'aéroport Changi de Singapour est l'un des plus beaux aéroports du monde, et l'un des plus achalandés. On peut y arriver en taxi, obtenir sa carte d'embarquement, avoir passé le poste de sécurité et être attablé dans un restaurant en 20 ou 25 minutes les jours les plus lents. Ils doivent leur rapidité à un système fondé sur les connaissances, le renseignement et les antécédents, plutôt qu'à un tas de machines qui font une vérification ponctuelle à un point de contrôle. C'est un peu semblable en Israël. Ils font beaucoup de profilage comportemental plutôt que de ne se fier qu'à la technologie « dure ».

Pour favoriser l'utilisation efficace des fonds, je dirais que c'est une solution. C'est plus économique, mieux et moins indiscret. De plus, les défenseurs des droits de la personne se soucient moins de ces méthodes. Tout le monde y gagnerait.

Pour ce qui est du savoir, la production et la diffusion des connaissances sont moins coûteuses que la production et la distribution de chars d'assaut, d'avions de chasse et tout le reste. Un centre comme celui que propose le juge Major coûtera des millions de dollars sur une période de 10 ans. Cette solution ne coûterait pas des dizaines ou des centaines de millions.

Tout est dans la façon de s'y prendre. La sécurité d'endroits comme les aéroports et les frontières devrait plus s'appuyer sur le renseignement et la réflexion. Une approche fondée sur le savoir sera beaucoup plus efficace par rapport aux coûts qu'une approche technologique pour nous rassurer et nous donner le sentiment d'être en sécurité et de savoir ce que nous faisons.

Le président : Avez-vous une autre brève question, sénateur Nolin?

Le sénateur Nolin : Oui. À la suite de la longue analyse qu'ils ont menée sur les attaques du 11 septembre, les États- Unis ont conclu à une défaillance du réseau de renseignement. Est-ce vrai? Je pense que c'est la conclusion qu'ils ont tirée, et pourtant rien n'a changé. Pourquoi?

M. Quiggin : La communauté du renseignement des États-Unis compte, je crois, 16 organismes distincts.

Le sénateur Nolin : Le principe est le même, soit l'échange de renseignement fondé ou non sur les connaissances humaines.

M. Quiggin : Ce qui est curieux, c'est que l'organisme de renseignement central, la CIA, et le bureau d'enquête, le FBI, ne relèvent pas du directeur du renseignement national, le DNI, et le DNI n'exerce aucun contrôle budgétaire sur les organismes.

En conséquence, si on regarde la situation d'il y a 10 ans et celle d'aujourd'hui, les progrès ont été modestes. Si on est réaliste, je ne pense pas que les Américains soient plus avancés de façon générale qu'il y a 10 ans. C'est parce qu'ils ont cette pléthore d'organismes et de guerres de territoire. Les décisions et l'action, au bout du compte, ne dépendent pas que d'une personne.

Quant le juge Major suggère que le conseiller en matière de sécurité nationale détienne le pouvoir de décision finale, je suppose qu'il entend par-là le pouvoir budgétaire ou disciplinaire, ou la capacité de saisir directement le premier ministre du problème. C'est le genre de solution qu'il nous faut, qui engendre l'action et qui fait qu'on peut dire à des gens : « Exécutez la mission ou nous trouverons quelqu'un d'autre. »

M. Hutchinson : J'aimerais poursuivre dans la même veine. Il est difficile de savoir où fixer la limite de ce qu'on investit dans quelque chose, et de la justifier. Je conviens que l'argent n'est pas toujours la meilleure solution à un problème. Je suis aussi porté à penser que la simple augmentation de la capacité technologique n'est pas non plus forcément une solution.

Il y aura certains éléments de base importants. Je suis plutôt d'accord que, en tant que société, au Canada, si nous décidons résolument de prévenir le terrorisme et de tout savoir à son sujet, il nous faut une espèce de centre du savoir. Je pense que ce centre serait utile en tant qu'entité distincte du gouvernement. Certains, comme le CIEM, remportent un peu de succès, sans le moindre doute.

Le problème, c'est de savoir quand il faut accepter d'investir dans un concept comme ce centre, et quand en rejeter l'idée. Je n'ai pas de réponse. Il faut certains éléments. Ceux d'entre nous qui voudraient étudier et connaître le terrorisme et qui tentent d'obtenir des bourses pour mener des recherches et effectuer des études à long terme de la radicalisation, par exemple, ont parfois de la difficulté à les obtenir.

Une modeste somme permettrait à un chercheur de faire une étude longitudinale à long terme de la radicalisation au Canada. Nous n'avons aucun centre qui réunisse même les chercheurs éparpillés dans tout le pays qui s'intéressent au terrorisme. Nous ne nous rencontrons que dans le cadre de ces conférences annuelles.

D'après ce que je sais, il conviendrait probablement de centraliser nos connaissances sur ce vaste problème.

M. Rudner : Sénateur Smith, pour moi, la question n'est pas tant de savoir combien d'argent il faut dépenser, mais quelle en est la valeur ajoutée. La clé, c'est la valeur ajoutée en regard des sommes investies.

Nous parlons d'investissement et de connaissances à valeur ajoutée sur au moins trois plans. D'abord, il faudrait savoir à quels paradigmes les terroristes adhèrent. Par exemple, quels buts visent-ils? Quelle est leur stratégie pour les atteindre? Quelles tactiques vont-ils employer pour mettre en œuvre ces stratégies? C'est le paradigme du terroriste. Nous l'étudions parce qu'eux-mêmes en discutent plus ou moins ouvertement pour trouver ce qu'ils considéreraient comme des solutions optimales. Si nous l'étudions, si nous en faisons un suivi, nous arriverons à le savoir

La deuxième question est la suivante : Qui sont les terroristes? Par exemple, j'estime qu'il nous faut des gens qui connaissent bien les méthodologies de la sociologie, et qui sont à l'aise avec elles, pour déterminer ce qui amène quelqu'un au terrorisme. En Grande-Bretagne, par exemple, le module de sociologie de l'Université d'Oxford a publié une importante étude sur les membres d'Al-Qaïda capturés en Europe. On y constate que le principal domaine de spécialité des terroristes capturés en Europe était le génie, le second, la médecine et le troisième, l'informatique. Nous apprenons des choses sur la composition de l'organe terroriste en Europe. Le deuxième facteur, c'est la mentalité. Quelles sont les caractéristiques psychologiques qui poussent un ingénieur, un médecin ou un informaticien à devenir un terroriste du Jihad? Nous avons besoin de le savoir.

Troisièmement, très franchement, il nous faut savoir comment les démocraties composent avec ce problème en effectuant une analyse comparative des mesures qu'ont prises les autres pays démocratiques pour faire face de manière appropriée et démocratique à la menace terroriste, dans le but de recenser les pratiques exemplaires. Je pense que tous ces aspects peuvent être étudiés, comme le suggèrent mes collègues, avec un modeste investissement, avec des modules de recherche indépendants qui présentent une immense valeur ajoutée et qui seraient composés de chercheurs, d'universitaires et de gens qui ont de l'expérience opérationnelle et qui connaissent la langue et la culture des terroristes ainsi que l'histoire et la dynamique du terrorisme.

Un investissement raisonnablement modeste peut représenter une valeur ajoutée susceptible, j'en conviens avec mes collègues, de nettement accroître notre aptitude à faire face à une menace.

Le sénateur Wallin : J'aimerais connaître votre avis sur deux choses, à savoir le concept de centre du savoir et celui de grand manitou de l'information. Nous envisageons ces deux concepts dans un contexte incompatible pour l'un comme pour l'autre.

Nous ne prenons pas le problème assez au sérieux. La réaction à l'Université de Waterloo a été plus vive et plus rapide lorsqu'il s'est agi d'emploi de stéroïdes par une équipe sportive que des 18 de Toronto, un groupe qui s'est constitué à Waterloo. Je ne plaisante pas. Nous avons un problème si nous ne pensons pas que cela nous regarde et si nous croyons que la capture d'Oussama ben Laden résoudra tout.

Tout d'abord, comment créer la demande pour le genre de services ou de mécanismes dont vous parlez, que ce soit un grand manitou de l'information ou des centres du savoir?

Deuxièmement, la raison d'être des machines coûteuses et du contrôle aléatoire dans les aéroports par exemple, c'est que les machines résisteraient à toute contestation fondée sur la Charte. Dès qu'on fait quoi que ce soit pour recueillir des renseignements en douceur, on se fait taper sur les doigts. Vous dites souhaiter que quelqu'un puisse prendre les décisions, mais du même souffle, vous dites aussi qu'il nous faut composer avec les règles et ne pas faire de compromis sur nos valeurs. Comment est-ce possible, avec ces points de vue diamétralement opposés?

M. Quiggin : Tout d'abord, le profilage comportemental tel que pratiqué à Singapour, en Israël et ailleurs a très mauvaise presse, en partie parce que personne ne se porte à sa défense. Le profilage comportemental est nettement moins intrusif que tout autre système et beaucoup moins axé sur la race, l'origine ethnique, la langue ou l'habillement. C'est une question de sensibilisation. Un centre du savoir, disons, capable de se faire entendre, permettrait de beaucoup mieux sensibiliser le public et de composer beaucoup plus efficacement avec ces problèmes sur les tribunes comme celle- ci, par exemple.

Pour ce qui est de résister à une contestation fondée sur la Charte, j'en ai déjà discuté avec d'autres organismes gouvernementaux. Il serait intéressant que le gouvernement et le ministère de la Justice du Canada se mettent à exploiter la Charte comme mécanisme de lutte contre le terrorisme. Il y a au Canada des groupes qui sont financés par le gouvernement, par l'intermédiaire d'organismes de bienfaisance.

Le sénateur Wallin : Merci. C'est très juste.

M. Quiggin : Il arrive que notre gouvernement finance indirectement des groupes par l'intermédiaire d'organismes de bienfaisance dûment enregistrés à l'échelle fédérale, qui prônent diverses croyances qui n'ont rien en commun avec la Charte et les valeurs canadiennes.

J'ai écrit sur le sujet et j'en ai discuté avec des gens. Il serait intéressant que le gouvernement ou le ministère de la Justice dise : « Nous allons désormais nous fonder sur la Charte pour accorder le financement au Canada; si nous devons financer un groupe ou lui accorder un statut, que ce soit directement ou indirectement, nous voulons nous assurer que ce groupe particulier et les valeurs qu'il prône sont conformes à la Charte. »

La Charte s'applique dans les deux sens et pourrait être un bon mécanisme de lutte contre le terrorisme.

Le président : Selon la manière dont on procède, ne risque-t-on pas que les nombreux organismes religieux qui, par définition, se distinguent par leurs règles d'adhésion et leurs croyances, ne satisfassent plus à la Charte? Je ne pense pas que ce soit ce que nous recherchions.

M. Quiggin : Non, ce n'est pas notre intention. Cependant, si nous devons les financer par l'intermédiaire d'organismes de bienfaisance entre autres, le gouvernement a le droit de fixer des critères plus rigoureux. Leurs croyances particulières peuvent bien ne pas concorder avec la Charte, mais il s'agit de déterminer s'ils enseignent ces croyances à d'autres. Je fais cette distinction fondamentale. Ils peuvent bien mener leur vie comme bon leur semble. S'ils inculquent ces valeurs à quelqu'un d'autre, c'est tout autre chose.

Le sénateur Wallin : Je pense que ce qui me préoccupe est clair. On nous met les bâtons dans les roues. Nous avons cette discussion chaque semaine. Quand on impose des normes relatives à la preuve criminelle pour les cas de terrorisme, il nous est difficile, voire impossible, d'y satisfaire.

Je crois que les problèmes viennent en partie de ce que la main droite ne veut pas savoir ce que fait la main gauche. Dans certains cas, c'est délibéré, parce que les normes relatives aux éléments de preuve des uns pourraient empêcher les autres d'obtenir les renseignements dont ils ont besoin.

M. Quiggin : J'ai témoigné dans le cadre de diverses affaires qui étaient assujetties à des normes différentes. L'affaire Khawaja était une affaire pénale. C'était donc la norme « hors de tout doute raisonnable ». La norme de la Cour fédérale est de plus vaste portée et plus facile à satisfaire. Si le projet de loi S-7 est ratifié, c'est la norme de poursuite civile de la Cour fédérale qui s'appliquera, et non une norme de poursuite pénale. Les normes relatives aux éléments de preuve sont moins rigoureuses, plus vastes et, bien franchement, plus faciles à satisfaire.

Sénateur Smith, vous parliez d'efficacité des fonds investis. Le projet de loi S-7 créera un mécanisme relativement efficace pour poursuivre beaucoup plus de gens qui soutiennent le terrorisme, à la faveur d'une norme relative aux éléments de preuve qui est moins restrictive que celle liée à la preuve au pénal qu'appliquent la Cour supérieure de justice de l'Ontario et les tribunaux pénaux.

M. Rudner : Sénateur Wallin, j'aimerais répondre au premier segment de votre question, sur la culture de la sécurité du Canada. Je me permets de plaisanter un peu. Si le Canada attrapait Oussama ben Laden, la plupart des Canadiens proposeraient qu'on lui fasse un sermon, dans les deux langues officielles, sur le développement durable, l'égalité entre les sexes, l'équilibre régional, et cetera, et il serait accueilli ici.

Le sénateur Wallin : Et il faudrait lui dire de ne pas recommencer.

M. Rudner : Sérieusement toutefois, je pense que vous avez tout à fait raison, la plupart des Canadiens n'ont pas l'impression que le terrorisme constitue une menace pour le Canada.

Où est le problème? Je pense qu'il vient en partie du gouvernement, et en partie de l'éducation. La difficulté, dans une démocratie, réside notamment dans le mode de gestion du processus judiciaire pour l'administration de la justice. La Couronne a tendance à ne pas divulguer au public des éléments d'affaires qui, selon elle, sont en instance et dont il ne convient donc de parler que devant le tribunal. Au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie et dans la plus grande partie de l'Europe, l'information sur la menace terroriste et les suspects arrêtés peut être communiquée aux médias sans que ce soit considéré comme préjudiciable au droit à un procès impartial.

L'atteinte d'un juste équilibre au Canada dépendra de la Charte et de nos traditions juridiques, mais cela mérite réflexion. J'estime qu'il est vital pour l'administration de la justice que le public soit informé, dans la même mesure qu'un procès équitable est vital pour l'administration de la justice.

Permettez-moi un mot sur l'éducation. Je suis préoccupé. Mon collègue, M. Hutchinson, a dit qu'il y a dans les universités du Canada un petit groupe dont l'enseignement et la recherche sont axés sur la sécurité nationale et le terrorisme. On peut les compter sur les doigts des deux mains. Près de 2 000 chaires de recherche du Canada ont été établies sous les auspices du gouvernement du Canada. Une seule porte sur les enjeux liés à la sécurité nationale, et elle a été attribuée à une professeure adjointe de l'Université Laval. Il n'y en a pas eu une seule pour le renseignement.

Il y a pénurie de ressources dans le système d'enseignement de troisième niveau. Les étudiants s'inscrivent en grand nombre aux cours qui portent sur le sujet. Le problème est dans l'offre. Comment le surmonter?

À cause de leur politique, les conseils subventionnaires canadiens ne financeront pas la recherche sur la sécurité nationale et le terrorisme, par principe. La question s'est posée entre l'Association canadienne pour les études de renseignement et de sécurité et le Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH. Le CRSH ne la financera pas parce que c'est trop délicat.

Je ne pense pas que le financement devrait être direct. Le SCRS et la GRC ne devraient pas se mêler de création de programmes universitaires. Ce n'est pas correct. D'un autre côté, si le directeur du SCRS rencontre les présidents d'universités à une réception et leur dit : « En passant, les études sur la sécurité nationale et le renseignement que vous faites sont importantes », il veut signaler aux universitaires qu'il faudrait en faire davantage à ce chapitre.

En faisant de même, le Sénat et les parlementaires auraient une énorme influence. Nous avons un problème d'offre, qu'il faut régler.

Le président : Monsieur Rudner, je pense que vous seriez d'accord avec les conclusions que j'ai tirées de mon expérience à l'Institut de recherche en politiques publiques et dans les universités. Par définition, la question dont vous parlez est interdisciplinaire. Le mode de fonctionnement cloisonné dans bon nombre de ces centres universitaires — qu'on soit historien, politicologue ou sociologue — est contraire à la base de financement interdisciplinaire.

Les jeunes universitaires se préoccupent de permanence et d'avancement professionnel. Souvent, ils doivent choisir un cheminement qui s'inscrit dans l'univers cloisonné, sinon ils n'avanceront pas. Il est possible qu'il y ait des problèmes du côté du gouvernement, que le juge Major a effectivement cernés, sur le plan des connaissances. Cependant, nos collègues de la communauté universitaire ont eux aussi un travail de réflexion à faire, dans le cadre de ce processus, si je peux me permettre cette franchise.

Avant de laisser la parole au sénateur Furey, j'aimerais demander à mes collègues du comité de réfléchir au principe de la perturbation licite. Un témoin a dit au comité que les 18 de Toronto étaient le deuxième ou le troisième réseau que la police et les forces de sécurité surveillaient.

Bien qu'on ait manqué de preuves sur les autres réseaux et qu'on en ait eu assez sur les 18 de Toronto, d'autres méthodes, désignées par l'euphémisme « travail policier licite », ont été employées pour perturber ces réseaux et ont eu l'effet souhaité, c'est-à-dire qu'elles les ont perturbés avant que le mal soit fait. Je pense que les Canadiens savent très bien établir une distinction entre le travail de prévention de la police et des services de renseignement pour empêcher le mal d'être fait d'une part, et les activités légitimes d'application de la loi qui visent à traduire devant nos tribunaux les auteurs d'actes répréhensibles ou de complots pour en exécuter d'autre part.

Je ne vous demande pas de répondre tout de suite à ce commentaire, mais seulement d'y réfléchir. Il serait bon de réserver un moment avant la fin de l'audience pour que vous nous disiez ce que vous en pensez.

Le sénateur Furey : Un témoin nous a dit que les succès passés semblent avoir favorisé la baisse de la vigilance au Canada face à la menace du terrorisme. Estimez-vous qu'il y a baisse de la vigilance dans le public? Plus précisément, à en juger par la réaction du Parlement à la menace, quelle attitude les parlementaires affichent-ils, selon vous, à cet égard? Baisse de la vigilance, sentiment de fausse sécurité ou conscience de la menace?

M. Rudner : Je crois qu'il y a une complaisance solidement ancrée dans la culture politique canadienne et, à n'en pas douter, dans les médias canadiens. Je pense que l'hypothèse qui prévaut chez les Canadiens est celle-ci : nous sommes des gens bien et honnêtes, alors comment est-il possible que quelqu'un nous veuille du mal? Malheureusement, il y a des organisations qui s'engagent, à l'intérieur même de notre pays, dans des activités qui nous causent du tort. Il y a même des organisations qui s'engagent dans des activités à l'échelle internationale et dont l'objectif est de nous faire du mal. En conséquence, nous faisons face à une certaine réalité, et l'idée de nous en occuper ne nous plaît pas. Nous nions l'évidence.

À mon avis, le Parlement doit prêcher par l'exemple : il ne doit pas effrayer les Canadiens et, au lieu d'adopter une attitude alarmiste, il doit faire preuve de réalisme. Le Parlement doit trouver des façons et des moyens de fournir des explications aux électeurs et au public en général. Il doit aussi transmettre aux médias des communiqués qui disent : voici en quoi consistent les menaces, voici la nature du danger auquel nous faisons face et, en passant, nous devrions faire confiance à notre Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Nous n'essayons pas de semer la panique chez les gens.

Permettez-moi de citer lord Carlile, qui était le vérificateur indépendant de la loi sur le terrorisme en Grande- Bretagne. Il a affirmé que la raison pour laquelle il n'y a pas eu d'attaques, c'est précisément parce que les organismes du domaine de la sécurité et du renseignement ont réussi à s'occuper de ces menaces et ce, dans une société où les gens sont au courant des menaces.

Nous reviendrons peut-être sur la perturbation plus tard.

Le sénateur Tkachuk : Devrions-nous rester en Afghanistan? Nous y sommes en raison des attaques terroristes. Je pense donc qu'il s'agit d'une question de sécurité nationale.

M. Quiggin : Quand je travaillais à Singapour en 2006-2007, cette même question a été posée : qu'en est-il de l'Afghanistan? D'un point de vue canadien, je dois prendre du recul et regarder la situation sous un angle plus large. En réalité, ce n'est pas l'Afghanistan qui façonnera l'avenir. Le vrai problème, pour notre avenir et celui de nombreux autres peuples, c'est le Pakistan et la région de la frontière pakistanaise.

La question de savoir si nous devons garder nos forces militaires en Afghanistan est, en quelque sorte, une question tactique ou opérationnelle. Nous devons prendre du recul et examiner la question sous un angle stratégique plus large pour déterminer de quelle façon nous nous y prendrons pour nous engager au Pakistan et pour nous assurer que son économie fonctionnera à un rythme suffisant pour éviter son effondrement. Nous devons aussi chercher à savoir comment modifier l'opinion des Pakistanais, parce que c'est l'ISI pakistanaise, et cetera, qui cause de nombreux problèmes.

Le Canada dit toujours qu'il veut être une puissance internationale, qu'il veut intervenir et qu'il veut être un gardien de la paix. Eh bien, soit nous sommes engagés, soit nous ne le sommes pas, mes amis. À mon avis, nous devrions continuer à jouer un rôle dans la région. En quoi consistera ce rôle et qui en assurera la gouverne? Voilà autant de questions qui susciteront de nombreux débats, mais si nous avons vraiment l'intention d'être présents sur la scène mondiale, à l'image d'un pays digne du G8 et du G20, nous avons intérêt à demeurer engagés et à nous concentrer sur la question.

M. Rudner : Je pense que la véritable question, c'est de savoir pourquoi nous nous sommes là. Je crois que notre objectif était justifié tant sur le plan moral que sur le plan politique. Nous étions là d'abord et avant tout pour empêcher l'Afghanistan de devenir un refuge pour ceux qui désirent mener, à l'échelle internationale, des attaques terroristes contre le reste du monde, y compris contre le monde islamique. Cependant, il y a eu un changement dans la nature de la mission, ce qui s'explique par le fait que nous tous, les membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, de l'OTAN, sommes des démocraties. Nous avons essayé de transformer l'Afghanistan pour en faire une démocratie libérale semblable à la nôtre. Compte tenu de la culture politique de l'Afghanistan, cette transformation est perçue comme une mesure imposée par des non-croyants étrangers sur une société qui n'a jamais vécu le colonialisme, qui a résisté à l'Union soviétique et au Royaume-Uni précisément en raison du fait qu'il s'agit d'un pays qui est fier de ses traditions, avec un T majuscule. En fait, les traditions de l'Afghanistan comprennent des comportements et des valeurs considérés comme contraires à notre Charte des droits et libertés et à notre façon de concevoir la démocratie politique. Chacune de nos bonnes intentions est entrée en conflit avec la culture et les croyances locales. La résistance s'intensifie précisément parce que nous sommes perçus par les Afghans comme une menace pour leur culture et leur système de valeurs. Franchement, il s'agit d'un vrai dilemme pour lequel il n'y a pas de solution facile.

Le sénateur Tkachuk : Avant que nous y allions, leur culture, c'était celle des talibans.

M. Rudner : Il n'y avait pas de résistance envers les talibans.

Le sénateur Tkachuk : Les gens vivent à l'âge de pierre, se comportent comme s'ils vivaient à l'âge de pierre et sont une menace pour les démocraties qui ne veulent pas vivre à l'âge de pierre. N'avons-nous pas la responsabilité de dire que nous pensons qu'ils peuvent changer sans perdre leur culture et leurs valeurs, que peut-être qu'un peu d'éducation de niveau secondaire — plutôt que de battre les femmes et des choses de ce genre — constitue une bonne voie à suivre. Ne pouvons-nous pas être plus francs au sujet des raisons pour lesquelles nous sommes là? Nous ne pouvons pas nous enfouir la tête dans le sable. J'ai entendu des gens dire que nous avons perturbé leur culture. Quelle culture?

M. Rudner : Pour eux, il s'agit d'une culture qui a des racines très profondes, et voilà où se trouve notre dilemme.

Le sénateur Tkachuk : Je le sais, mais c'est dangereux.

M. Rudner : C'est dangereux, mais ils sont prêts à se battre pour ce qu'ils croient être leur intégrité culturelle, et à nous tuer en grand nombre. Nous ne sommes pas préparés à payer ce prix en sang et en argent. Voilà notre dilemme.

Nous n'y sommes pas à des fins malveillantes; nous sommes là pour des raisons d'intérêt national qui sont, je crois, dans l'intérêt de la sécurité internationale. Comment allons-nous faire pour concilier ce point de vue avec celui des Afghans au sujet de leur système de valeurs, de leurs croyances et de leur intégrité politique?

Le sénateur Wallin : Aux fins de la discussion, je crois que nous devons faire une distinction entre talibans et Afghans. La culture afghane existait avant les 10 années du règne des talibans. Ces gens ne protégeaient pas la culture afghane.

M. Quiggin : Un des échecs réels des missions a été, comme l'a indiqué le professeur Rudner, le fait que nous avons essayé de démocratiser le pays. Je sais qu'au ministère des Affaires étrangères, on aime ce genre de choses et que c'est une mesure qui plaît aux Canadiens, mais en réalité, le pays n'a pas besoin de démocratie; il a besoin d'une certaine forme de développement. Si l'eau circule dans les conduites, si le système d'égouts fonctionne, si l'école locale est ouverte et que le village n'est pas soumis à des tirs d'artillerie lourde aujourd'hui, c'est une bonne journée.

Si le développement se poursuit pendant une certaine période de temps, les Afghans trouveront la route à suivre qui les conduira vers un avenir meilleur. Il se peut que cela soit fondé sur la culture afghane traditionnelle, qui peut prendre des années pour bouger, mais ils vont y arriver. Si nous leur disons que nous allons leur imposer la démocratie, ils résisteront par principe, à tout le moins. Nous avons besoin d'adopter la bonne approche, et c'est tout aussi nécessaire que n'importe quoi d'autre. Nous nous acharnons à évaluer le pays selon des normes démocratiques, mais en vain; de toute façon, ce n'est pas ainsi qu'on devrait procéder.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi votent-ils?

M. Quiggin : Ils ont l'habitude de voter par l'entremise d'une série de conseils qu'ils ont depuis des années. On leur dit de voter, donc ils votent. La plupart votent selon les lignes de pensée établies par la tribu ou la communauté, dans le sens que leur dicte la communauté, et ils ont l'impression que quelque chose va se passer. Bien entendu, rien ne s'est produit parce qu'il y a seulement eu un semblant d'élections.

En Occident, nous disons : « Oh, regardez, il y a eu élections en Haïti, en Somalie ou en Afghanistan. » Nous nous félicitons et nous pensons que c'est fantastique. Cependant, nous avons tendance à penser que le simple fait de tenir des élections représente quelque chose. Nous avons tendance à penser au processus lui-même, ce qui est la mentalité bureaucratique qui prévaut à Ottawa. Il est bien que le processus fonctionne, mais nous avons besoin de résultats, c'est- à-dire des routes, de l'eau dans les aqueducs et de quoi manger. C'est ce qui amènera la paix et la stabilité à long terme.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une dernière question, qui est liée à ce dont le sénateur Wallin parlait. Supposons que tout le monde s'en allait. Que se passerait-il?

M. Quiggin : Les Pakistanais sauteraient de joie. Les Indiens seraient inquiets. Les Russes détesteraient cela avec passion, et l'Afghanistan retournerait probablement à ce qu'il était sous un régime semblable à celui des talibans, à moins qu'un des différents groupes ne soit en mesure de prendre le contrôle.

Une des raisons pour lesquelles le Pakistan continue de créer de l'agitation en Afghanistan, c'est parce que l'Inde demeure la plus grande crainte du Pakistan, pour de bonnes raisons historiques. Si on pouvait retirer cette peur de l'équation, c'est-à-dire si le Pakistan et l'Inde avaient vraiment une relation stable, le Pakistan ne ressentirait plus le besoin de créer de l'agitation en Afghanistan.

Si l'OTAN, dans son ensemble, ou si le monde entier quittait l'Afghanistan demain, les Pakistanais y retourneraient en un clin d'œil pour essayer de réorganiser ce qu'ils avaient fait dans le passé. Le chemin vers la paix en Afghanistan passe probablement par New Delhi et Islamabad, et non par Kaboul.

M. Rudner : J'ai deux autres commentaires. Au nord — dans la partie nord de l'Afghanistan —, près de l'Ouzbékistan, on retrouve des Ouzbeks. C'est pourquoi il s'agit du lieu le plus stable jusqu'à présent. Dans l'Ouest de l'Afghanistan, il y a les Iraniens, soit les Daris. Ils parlent une langue perse et sont de confession chiite. Ils ont été réprimés par les talibans. Fait intéressant à noter, ils ont, encore une fois, bénéficié de la présence de l'OTAN. Cet avantage serait perdu si l'OTAN se retirait.

Le sénateur Manning : Bienvenue, chers témoins. Je crois que le professeur Hutchinson a mentionné le rôle — en matière de prévention du terrorisme — que jouent d'autres organismes au Canada, et le rôle accru que les services de police et d'autres organismes auraient à jouer en la matière. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Hutchison : En ma qualité de criminologue, je cherche à m'appuyer sur d'autres domaines, dans lesquels nous avons de bonnes connaissances, comme le crime organisé, et à voir ce qui s'applique à ce qui s'est fait au cours des 10 dernières années en matière de terrorisme au sein des organismes de police et de renseignement.

En ce qui concerne la prévention du crime et la gestion du problème de la criminalité dans la société canadienne, nous avons observé que le fait de n'avoir qu'une seule institution pour s'occuper des accusations criminelles, d'interroger des suspects, de faire des arrestations et de transmettre les dossiers des suspects au procureur et aux tribunaux donne de bons résultats. C'est le cas si nous réagissons et si nous répondons à des actes criminels.

Certains de mes collègues parlent aussi de la question de la prévention. Si nous voulons empêcher des personnes qui sont au Canada de se radicaliser et de s'engager dans des activités terroristes, ou si nous voulons prévenir les attaques terroristes en sol canadien, plus généralement, nous avons besoin d'une approche en réseau. Non seulement les institutions publiques et les organismes comme le SCRS et la GRC doivent communiquer entre eux, mais je crois que le secteur privé a un rôle à jouer. Par exemple, en ce qui concerne la prévention du crime, l'industrie de l'assurance a fortement appuyé l'idée des programmes de surveillance de quartier, qui aident à réduire le taux de criminalité dans certaines communautés. Le secteur de l'assurance joue un rôle dans ce programme.

Je pense que les autres organismes du secteur privé ont un rôle à jouer en matière de prévention du terrorisme. Selon ce que je connais des entreprises du secteur privé, il semblerait que c'est ce que la loi exige. Nos institutions financières doivent signaler les transactions suspectes et les transferts en espèces qui dépassent un certain montant. Celui-ci était autrefois de 10 000 $, mais je crois qu'il a maintenant été modifié. Certains de ces principes sont intégrés dans la loi, et nous obligeons les institutions privées et le secteur privé à accepter l'idée qu'ils sont en quelque sorte engagés dans la prévention du terrorisme.

Ce n'est pas que j'ai pensé à un modèle bien structuré qui tient compte de l'engagement des différents acteurs et des organismes de tous les secteurs. Cependant, il faut parler de la mobilisation des entreprises privées, par exemple, dans les centres urbains, qui sont généralement des cibles prisées des attaques terroristes. Doit-il y avoir une sorte de réseau de communication des entreprises pour leur permettre de parler de ce qu'ils savent et d'échanger des renseignements? Je crois que le secteur privé devrait également communiquer avec les corps policiers responsables de la gestion, de la sécurité et de la gestion des infrastructures urbaines et des zones urbaines.

Encore une fois, pour empêcher un évènement de survenir, un seul organisme ou une seule institution ne serait pas en mesure de le faire, en fin de compte; cela doit être fait grâce à un effort concerté. Nous devons convenir que nous avons tous un rôle à jouer.

En ce qui concerne des recommandations précises — en matière de terrorisme — à l'intention de ces organismes en particulier, il s'agit d'une question intéressante. Nous n'avons pas poussé la réflexion à ce sujet plus loin parce que, traditionnellement, nous ne parlons que des organismes d'État comme le SCRS et la GRC. Il n'y a pas beaucoup de discussion ou de débat sur le rôle du secteur privé.

Le président : D'autres membres souhaitent-ils intervenir ou ajouter quelque chose à cette réponse?

M. Rudner : Je n'ajouterai qu'une seule chose, pour poursuivre dans la même veine que le professeur Hutchinson. Dans le secteur de l'énergie, certaines des grandes sociétés pétrolières ont développé, d'une part, leur propre capacité de recueillir des renseignements sur les menaces perçues et, d'autre part, d'en faire l'analyse. À cette fin, les entreprises du domaine de l'énergie et les services publics ont créé un réseau pour le secteur de l'énergie. Ressources naturelles Canada appuie et soutient le projet. C'est probablement l'une des rares initiatives institutionnalisées de ce genre au Canada.

Le président : Je crois que le Canadien moyen est d'avis qu'en ce qui concerne les infrastructures essentielles, quelqu'un quelque part maîtrise la situation — grâce à la photographie par satellite, aux divers autres dispositifs de détection, à la coopération policière et aux bases de données du secteur privé. Quelqu'un connaît les risques immédiats et les risques à moyen terme et a un plan pour faire face à cette menace. Seraient-ils trop naïfs d'en arriver à cette conclusion?

M. Rudner : Tout à fait et sans contredit : oui. Le réseau ne s'occupe pas de cela.

Le président : Voulez-vous cesser d'être assis entre deux chaises et nous dire ce que vous pensez vraiment?

M. Rudner : Non seulement cela n'existe pas dans ce contexte global, mais au Canada, nos infrastructures essentielles nationales ne sont toujours pas intégrées de façon à ce que, par exemple, le gaz naturel soit utilisé pour produire de l'électricité, ce qui permettra d'alimenter les hôpitaux en eau.

Le sénateur Wallin : Devrions-nous avoir cette discussion à huis clos?

M. Rudner : C'est une discussion publique.

Le sénateur Wallin : Je le sais.

M. Rudner : Nous ne sommes pas encore allés aussi loin au Canada.

Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose à cette réponse?

M. Quiggin : Les deux seules petites lueurs d'espoir, peut-être, sont les provinces du Nouveau-Brunswick et de l'Alberta, qui ont toutes deux un programme d'infrastructures essentielles. L'Alberta est probablement plus avancée que le Nouveau-Brunswick, mais au moins, les deux empruntent la bonne ligne de pensée. Ces provinces ont attendu que le gouvernement fédéral trace la voie à suivre. Cela ne s'est pas produit. Elles se sont donc dit que si rien n'aboutit, elles le feraient elles-mêmes.

Le président : Je me souviens qu'il y a un certain nombre d'années, un ministère ou un organisme a été créé pour la protection des infrastructures essentielles et qu'un sous-ministre principal en était responsable. Ai-je des hallucinations?

M. Quiggin : Il s'agissait de Protection civile Canada, qui est devenu le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile, et qui, en quelque sorte, a disparu au sein de Sécurité publique Canada. Je demanderais à quiconque parmi vous de me dire où aller pour trouver ce plan pour la protection des infrastructures essentielles, parce que j'aimerais le lire. Je ne pense pas qu'il existe.

Le président : Peut-être doit-il être secret, par définition, pour que nous ne puissions pas le consulter.

M. Rudner : Il ya deux semaines, un plan d'action a été publié par cet organisme. Il a fallu cinq ans pour le rédiger. En somme, le plan stipule qu'il faut qu'il y ait échange d'information, point.

Le président : Au moins, nous pouvons leur accorder le mérite d'avoir préparé le tout avec soin.

M. Rudner : Oui.

Le sénateur Joyal : J'ai deux séries de questions. Monsieur Rudner, vous avez beaucoup parlé de la sécurité des infrastructures énergétiques, mais vous n'avez pas du tout mentionné les risques biochimiques qui, à mon avis — même si je peux me tromper —, sont encore plus grands. Le spécialiste, c'est vous, et non pas moi. Cependant, pouvez-vous commenter?

Ma deuxième question est la suivante : le juge Major en est venu à la conclusion que nous avons besoin d'une autorité supérieure pour régir les divers organismes. Comme vous l'avez dit, il faut ordonner l'ensemble, avoir une vision plus large et tout le reste. Selon ses propres observations, ces mesures devraient être prises immédiatement, même avant l'adoption de la loi sur le privilège relatif à la sécurité nationale, et cetera. Autrement dit, la décision est d'ordre administratif et elle relève du premier ministre, si j'ai bien compris.

Pourquoi le ministère de la Sécurité publique n'a pas été capable d'assumer cette responsabilité, que nous avons donc dû confier à quelqu'un d'autre? N'est-on pas en train de conclure que les pouvoirs actuels du ministre de la Sécurité publique ne lui permettent pas d'exercer l'autorité qui devrait lui être dévolue? Je ne cible aucun ministre en particulier; je fais uniquement référence à la structure des opérations gouvernementales.

M. Rudner : Je vais commencer par répondre à la première question. Dans ma déclaration devant ce comité, j'ai dit que le secteur de l'énergie était présenté comme une cible. Les attaques biochimiques font partie des tactiques de l'adversaire. Oui, indubitablement, comme tactiques, les menaces biochimiques ne doivent pas être prises à la légère, surtout que l'on connaît maintenant le niveau d'instruction des terroristes, si l'on se fie aux révélations de l'Université d'Oxford et aux conclusions d'autres études portant sur les terroristes que l'on a capturés. Beaucoup de terroristes ont une formation scientifique, y compris en médecine et en ingénierie. Étant donné ce profil particulier, oui, les menaces biochimiques sont à prendre au sérieux. À mon avis, le secteur énergétique constitue une cible tactique.

Le sénateur Joyal : Prenons l'exemple des infrastructures d'eau potable dans les villes. Si quelqu'un décidait de contaminer ces sources d'alimentation en eau en y répandant un virus, il pourrait tuer beaucoup de gens avant que les autorités ne puissent intervenir.

M. Rudner : Effectivement, d'ailleurs, les infrastructures d'eau potable sont considérées comme l'un des 10 secteurs à surveiller au Canada, précisément pour cette raison. Bien sûr, le problème c'est que la responsabilité de l'eau, tout comme la responsabilité dans beaucoup d'autres secteurs, est fragmentée. Elle incombe aux municipalités. Il n'existe aucun organisme fédéral qui s'occupe de l'eau potable. Cette situation crée un autre genre de problème sur lequel, à mon avis, le comité devra se pencher dans le cadre de son étude sur les infrastructures nationales essentielles. Oui, ce que vous avez dit est très juste.

Permettez-moi de répondre maintenant à votre deuxième question au sujet du conseiller en matière de sécurité nationale. Je crois que le juge Major, comme vous l'avez dit, considère que la décision de donner au conseiller en matière de sécurité nationale plus de pouvoirs est une décision administrative. J'ajouterais qu'il est intéressant de voir que dans son rapport, le juge Major fait remarquer que pratiquement chaque autre conseiller ou coordinateur en matière de sécurité nationale qui a précédé celui qui est en poste actuellement était opposé à cette idée. C'est surtout le professeur Bruce Hoffman, un autre universitaire, et moi-même qui l'avons défendue; et le juge Major l'a acceptée. La question est de savoir pourquoi les autres n'y étaient pas favorables.

Il faut lire leurs écrits pour connaître les raisons qui se résument, selon moi, à des considérations bureaucratiques. Toutefois, le problème, ici, c'est que le conseiller en matière de sécurité nationale ne relève pas du ministère de la Sécurité publique, mais du Bureau du Conseil privé. D'après la loi, le ministre responsable de la sécurité publique est responsable de la coordination d'agences particulières et il gère les portefeuilles du SCRS, de la GRC, de l'Agence des services frontaliers du Canada, du Service correctionnel du Canada et des Services de probation. Le ministre de la Sécurité publique n'exerce pas de contrôle sur le SCC ni sur d'autres composantes des services de renseignement et de sécurité au Canada. En vérité, ce ministre n'a pas le pouvoir de réinterroger le conseiller en matière de sécurité nationale. Ce pouvoir incombe au premier ministre.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, le ministre est responsable de chacune des agences citées et doit répondre de leur budget et de leur fonctionnement général respectif, conformément au principe de la responsabilité ministérielle que l'on a décrit comme un des éléments primordiaux de notre système. Toutefois, le ministre ne peut pas dire aujourd'hui que le ministre exercera la responsabilité globale consistant à planifier, donner des directives et s'assurer que l'on fera tomber les barrières qui séparent les différents organismes, n'est-ce pas?

M. Rudner : Le ministre de la Sécurité publique n'a pas de responsabilité budgétaire ou juridique, par exemple, à l'égard des ministères responsables d'infrastructures essentielles comme RNCan, Transports Canada et le ministère fédéral des Finances, entre autres. Le ministre est confiné dans un rôle de gestion de la coordination, qui lui permet d'exercer une certaine pression morale, mais le conseiller en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre, selon le juge Major, étant donné qu'il est au niveau du premier ministre, aurait et devrait avoir un pouvoir et une influence plus grands.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, le ministre pourra dépasser ce cadre afin de donner des directives à n'importe quel ministère dont la responsabilité entre dans le plan général, et prendre des initiatives à l'intérieur de la planification globale des objectifs et des priorités; est-ce bien ce que vous êtes en train de me dire?

M. Rudner : Oui, c'est ce que je crois, et il me semble que c'est aussi ce que pense le juge Major.

Le sénateur Joyal : À propos de la Loi sur la preuve au Canada, avez-vous participé aux discussions avec le juge Major sur la nécessité de modifier cette loi, notamment les articles 38 et 39, afin de trouver un équilibre entre ce qui devrait demeurer confidentiel et ce qui pourrait être déposé devant les tribunaux pour que la poursuite puisse disposer de plus de moyens qu'elle n'en avait par le passé?

M. Rudner : Non, je n'ai pas participé à ces discussions.

M. Quiggin : J'aimerais dire quelque chose rapidement au sujet de la Loi sur la preuve au Canada. En Grande- Bretagne, lorsqu'il y a un problème à propos de l'équivalent de l'article 38 de la loi canadienne, le juge qui entend la cause est le même que celui qui dirige le procès criminel. Ici, au Canada, si une question est soulevée en vertu de l'article 38 dans un procès criminel, tout le monde doit traverser la rue pour se rendre à la Cour fédérale, sans avoir la certitude qu'elle siègera ou qu'il y aura un juge disponible à ce moment-là. Enfin, une fois l'audience terminée et la décision rendue, il faut traverser la rue dans l'autre sens pour s'adresser au juge du tribunal pénal, lui expliquer la situation et ainsi de suite. C'est un processus fastidieux.

Dans la plupart des autres pays, le juge qui entend les requêtes au sujet de l'équivalent de l'article 38 dirige aussi le procès pénal. Si ce processus était modifié au Canada, les procédures se feraient beaucoup plus rapidement; ce qui serait une excellente idée.

Le procès de Momin Khawaja, ici à Ottawa, a déraillé à de nombreuses reprises en raison de l'article 38, et c'est exactement pour cette raison qu'il a duré aussi longtemps.

Le sénateur Joyal : Pensez-vous que les juges appelés à se prononcer sur ces questions ont l'expertise professionnelle nécessaire, compte tenu de la difficulté d'établir un équilibre entre la confidentialité et l'application des disposions de la Loi sur la preuve au Canada? Si on compare ces affaires à celles que les tribunaux sont habitués de traiter, les juges ont-ils les compétences requises pour s'assurer que le tribunal sera suffisamment sensible à ces différences lorsqu'il entendra des causes de ce genre?

M. Quiggin : J'ai eu le plaisir de me retrouver en face du juge Mosley à quelques occasions, et je peux vous assurer, en ce qui le concerne, qu'il a toute les connaissances nécessaires sur la façon dont les services de renseignement fonctionnent et qu'il est très à l'aise dans les contre-interrogatoires de témoins.

Le sénateur Joyal : Est-ce en raison de son expérience?

M. Quiggin : Oui, je crois. J'ai également remarqué au fil des ans — particulièrement dans le cadre du procès de Momin Khawaja dans lequel j'ai témoigné — que ce n'est pas le travail des services de renseignement ou d'application de la loi d'éduquer les juges; ce n'est pas à eux de le faire. Toutefois, j'ai vu des juges demander qu'on leur explique comment cela fonctionnait.

Ils sont désireux de comprendre de nouveaux concepts et d'assimiler de nouvelles connaissances, ce qui est positif. Je sais qu'en coulisses, il y a des programmes de formation destinés aux juges fédéraux et aux juges traitant des affaires criminelles également. Il ne serait pas mauvais qu'il y en ait un peu plus, parce que les tribunaux commencent à s'occuper de questions auxquelles ils n'étaient pas habitués, et les juges sont comme tout le monde, ils doivent parfois se faire guider.

Le président : Je fais remarquer que M. Quiggin a été qualifié d'expert des questions relatives aux sources et à la fiabilité des renseignements par la Cour fédérale et qu'il est également expert en matière de terrorisme jihadiste, tant auprès de la Cour fédérale que des tribunaux pénaux.

J'aimerais savoir, par simple curiosité, comment vous avez obtenu cette qualification? Qui vous a donné cette certification pour les fins de la preuve, dans le cadre d'un procès et des procédures qui l'entourent?

M. Quiggin : Dans n'importe quel procès au Canada, que ce soit à la Cour fédérale ou dans un tribunal pénal, la défense et la poursuite peuvent demander qu'un individu vienne témoigner, pas sur les faits reliés à l'affaire, mais pour donner son opinion. L'autre partie, que ce soit la défense ou la poursuite, a le droit de s'y opposer. Elle peut arguer que le témoin en question n'est pas crédible, qu'il n'a pas les compétences nécessaires, et cetera.

Le président : Ou aussi le prouver.

M. Quiggin : Effectivement, et si c'est le cas, au bout du compte, le juge qui préside le procès pourra dire s'il reconnaît l'expertise du témoin qualifié dans un domaine étroitement défini ou s'il refuse d'entendre ce témoin. C'est aussi simple que cela.

M. Rudner : J'aimerais ajouter un commentaire à ce que vient de dire M. Quiggin. J'ai aussi comparu devant des juges de la Cour fédérale et j'ai été impressionné par le niveau de leurs connaissances. Nous avons organisé un séminaire destiné aux juges de la Cour fédérale qui portait sur le terrorisme. L'objet de ce séminaire n'était pas de définir la loi, mais de voir le terrorisme comme un phénomène et les renseignements comme une réponse, pour que les juges puissent comprendre la différence entre les questions de renseignement et de sécurité nationale et en quoi celles-ci se distinguent des activités criminelles telles qu'on les entend normalement.

Conjointement avec la Cour fédérale du Canada et la Cour suprême du Canada, le centre Carleton a organisé en juin 2007 une conférence internationale majeure sur l'administration de la justice et la sécurité nationale dans les démocraties. Cette rencontre a attiré 14 ou 15 juges des plus hauts tribunaux de neuf pays, en plus d'universitaires canadiens et de partout dans le monde. Plus de 200 personnes des milieux juridique et judiciaire y ont participé. Le livre de cette conférence devrait être publié un peu plus tard cette année.

Ensemble, les universitaires, les juges et les professionnels de la justice ont tenté d'acquérir une base de connaissances, dans ce pays, en se comparant à d'autres et en examinant leur propre expérience, de façon à pouvoir arriver à faire, au bout du compte, ce que propose le sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Nous tournons un peu en rond. Un peu plus tôt, vous avez dit que les universitaires n'avaient pas les moyens suffisants pour effectuer des études à long terme sur le terrorisme, et cetera. Vous avez ajouté qu'il n'y avait qu'une personne qui travaillait à mi-temps sur ces questions, dans une chaire de l'Université Laval. En même temps, si les juges qui doivent entendre ces affaires n'ont pas l'expérience nécessaire pour comprendre le phénomène ainsi que les différents contextes et détails complexes sur la manière dont tout cela fonctionne, nous ne réussirons pas à bien préparer les tribunaux.

Monsieur Hutchinson, vous êtes professeur de criminologie. Comment enseignez-vous le terrorisme, dans les universités, à ceux qui travailleront dans nos tribunaux?

M. Hutchinson : Le terrorisme tend à être traité comme une sous-catégorie dans une multitude de disciplines. Les sociologues commencent à s'y intéresser en raison des implications sociologiques. Les géographes s'intéressent également au terrorisme pour les implications géographiques, et cetera. Quant aux criminologues, ils essaient d'enseigner les distinctions et les similitudes entre le terrorisme vu comme activité criminelle, mais aussi comme un acte en tant que tel.

La plupart des infractions criminelles figurant dans le Code criminel du Canada outre, par exemple, les agressions sexuelles et autres crimes de même nature, ont un mobile ou sont motivées par des considérations vénales. Le terrorisme, comme l'ont mentionné mes collègues, n'est pas motivé de la même façon par l'appât du gain; il y a donc une différence fondamentale entre le terrorisme et les autres types d'activités criminelles. Nous considérons le terrorisme comme une activité criminelle, mais dans beaucoup de contextes sur lesquels nous nous méprenons. C'est utile pour des fins juridiques, car cela nous permet de poursuivre les auteurs d'activités terroristes, mais j'espère que les juges comprendront certaines similitudes puisqu'il est utile, dans la loi, de considérer le terrorisme comme une activité criminelle, mais pas de la manière traditionnelle dont on l'entend. Alors, nous essayons d'enseigner les deux facettes.

Le sénateur Joyal : Je me pose la même question au sujet des avocats spéciaux. Lorsque nous avons discuté de cette fonction et que nous avons formulé une recommandation à cet égard, l'une des choses qui nous préoccupaient, c'est que les avocats spéciaux ne pourraient plus défendre des gens accusés de terrorisme, puisqu'ils seraient considérés comme une source d'information impartiale pour le tribunal. Si nous ne formons pas suffisamment les juges, les avocats et les autres experts du système judiciaire, nous serons insuffisamment outillés pour nous adapter, ce dont nous avons besoin pour mieux affronter les menaces terroristes, selon le juge Major.

M. Quiggin : J'ai donné trois séances de formation pour les avocats spéciaux au ministère de la Justice. Dans les trois cas, j'ai principalement abordé le sujet du renseignement comme élément de preuve. J'ai donné une autre séance de formation aux avocats de la défense de la commission militaire de Guantanamo Bay, au cours de laquelle je mettais aussi l'accent sur le renseignement comme élément de preuve. À mon avis, le programme des avocats spéciaux fonctionne. Il évolue et doit changer. Au départ, il était restrictif, comme vous l'avez décrit. En effet, si on devenait un avocat spécial ici, on ne pouvait plus travailler ailleurs. Je crois que des pressions sont exercées auprès du ministère de la Justice pour que ce ne soit plus le cas.

Tant que les séances de formation se poursuivent et que le processus continue à évoluer, le programme est sur la bonne voie. Nos avocats de la défense pourront acquérir tout un bagage et apprendre à poser les bonnes questions, mais ils continueront d'être assujettis à la loi sur le secret pour que ce qu'ils savent ne se retrouve pas entre de mauvaises mains. Jusqu'à maintenant, le programme a été très efficace, à mon avis. Il fonctionne, mais il doit continuer d'évoluer.

Le sénateur Joyal : Le juge Major recommande que, dans les poursuites pour terrorisme, les avocats spéciaux bénéficient des pouvoirs que prévoit la Loi sur l'immigration, et il fait référence à l'article 21.

La semaine dernière, j'ai mentionné qu'il faudrait trouver un moyen d'évaluer les renseignements confidentiels d'une manière impartiale. À l'heure actuelle, il arrive que des organismes refusent de transmettre certains renseignements de crainte qu'ils soient utilisés dans le cadre d'une poursuite et qu'ils soient diffusés, ce qui entraverait le cours d'autres enquêtes. Il faut trouver un moyen de permettre au tribunal de s'assurer que la non-divulgation de renseignements confidentiels ne nuira pas à l'issue du procès, une condition essentielle à l'efficacité du système.

M. Rudner : J'aimerais vous parler du modèle britannique, puisque notre système est en grande partie basé sur celui du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni s'est doté d'un bureau spécial qui comporte un secrétariat des avocats spéciaux. C'est là que les renseignements confidentiels sont conservés. Ce bureau assure la confidentialité liée à la sécurité nationale. Pour les raisons que vous avez mentionnées, peut-être que le ministère de la Justice pourrait un jour évaluer à nouveau le modèle britannique afin de déterminer dans quelle mesure il pourrait être adapté pour le Canada et être utilisé ici.

Le président : Le comité aussi pourrait s'en charger.

Le sénateur Furey : Monsieur Quiggin, dans votre exposé, vous avez parlé de cinq types de terroristes : ethniques et sociaux, politiques et religieux, d'extrême gauche et d'extrême droite, défenseurs d'une cause particulière et parrainés par l'État. Pourriez-vous les classer selon la menace potentielle qu'ils représentent pour le Canada? En général, quel est le niveau d'éducation de ces terroristes? À quel point sont-ils évolués sur le plan du financement, de l'armement, des techniques de communication, et cetera?

M. Quiggin : Dans les années 1970, les organisations terroristes ethniques et nationales remportaient la palme; elles étaient suivies de près par celles de l'extrême gauche et de l'extrême droite. Les terroristes défendant une cause particulière n'étaient pas si nombreux, et on n'entendait pratiquement jamais parler du terrorisme politique et religieux. À l'heure actuelle, c'est l'inverse. Des analyses statistiques simples nous montreraient que les groupes politiques et religieux sont les plus nombreux, suivis des groupes ethniques et nationaux, puis probablement des groupes défendant une cause particulière. Comme je l'ai dit, le terrorisme parrainé par l'État est en régression depuis plusieurs années; seuls les Iraniens peuvent encore véritablement être accusés d'y avoir recours.

Dans l'avenir, nous aurons affaire aux groupes politiques et religieux pendant encore un certain temps, alors nous ferions mieux de nous y faire. Trop souvent, les groupes islamiques retiennent l'attention, mais ce ne sont pas les seuls qui posent problème. Il existe des groupes fondamentalistes dans bien d'autres sphères qui ne font habituellement pas les manchettes.

Même s'il est vrai que le terrorisme est une menace, il ne faut pas oublier que se faire renverser par une voiture, tomber de sa motocyclette ou être frappé par la foudre en sont d'autres exemples. Nous nous adaptons à toutes ces menaces.

Voilà plutôt ce qui m'empêche de dormir : d'ici cinq à dix ans, des groupes de terroristes dirigés par des scientifiques qui ont une certaine vision de l'environnement ou du monde pourraient posséder des armes chimiques et biologiques.

Dans bien des pays, les questions politiques et religieuses de même que les enjeux ethniques et nationaux continueront de poser problème. J'ai toutefois vraiment peur de ce que pourront faire les groupes environnementalistes comme « Earth first » d'ici cinq à 10 ans. Des scientifiques dont l'objectif est bien souvent de réduire la population mondiale jusqu'à un niveau qu'ils jugent soutenable se trouvent à la tête de ces groupes. J'en ai une peur bleue.

Le sénateur Furey : En général, à quel point les terroristes d'aujourd'hui sont-ils évolués?

Mme Quiggin : On a souvent l'impression que les terroristes ont perdu la raison, qu'ils ont été victimes d'agressions sexuelles ou battus dans leur enfance, qu'ils sont le résultat de la pauvreté, et cetera.

Le plus terrifiant, c'est justement à quel point les terroristes sont normaux, en général. La plupart d'entre eux ont un bon niveau d'éducation. Si on étudiait un échantillon de terroristes, on constaterait qu'ils sont en moyenne plus cultivés que la population de laquelle ils proviennent. Les terroristes sont-ils instruits? Habituellement, la réponse est oui. Consomment-ils de la drogue et de l'alcool? En général, la réponse est non. Encore ici, l'alcoolisme et la toxicomanie chez les terroristes sont des problèmes moins fréquents que dans la population de laquelle ils sont issus.

En moyenne, les terroristes sont aussi moins fréquemment atteints de maladies mentales ou de troubles mentaux que leur population d'origine. C'est un peu inquiétant.

Il est intéressant de constater que les Momin Khawaja de ce monde ont généralement un bon niveau d'éducation, sont au fait des derniers progrès technologiques, proviennent de bonnes familles et sont peu pratiquants, mais qu'ils sont souvent assez amateurs. Il faut travailler fort et avoir beaucoup d'habiletés pour être un terroriste. Ils doivent être dotés de compétences en finances et d'habiletés techniques et opérationnelles. Ils doivent aussi faire preuve de leadership. Il est toutefois difficile d'acquérir ce genre de compétences dans une société comme la nôtre. En général, après avoir mené une attaque, les terroristes sont pourchassés et c'est d'autant plus difficile.

Dans l'avenir, nous craignons que les terroristes puissent se regrouper et s'adonner à leurs activités sans subir beaucoup de pressions extérieures. La raison pour laquelle l'Afghanistan représentait une telle menace, c'est que les terroristes ont pu se rassembler dans les collines du pays et y installer leurs camps pratiquement sans que le monde extérieur vienne les déranger. Ce genre de situation survient généralement dans des pays où le contexte politique est très instable, là où aucun organisme d'application de la loi ou service de renseignement ne peut les trouver.

Nous devrions désormais surveiller les États déstructurés. La Somalie figure parmi les endroits qui devraient attirer notre attention, comme le Soudan, l'Afghanistan, le Nord du Pakistan, et cetera.

Sont-ils évolués? Oui. La majorité d'entre eux ont un bon niveau d'éducation. Sont-ils très expérimentés? En ce qui concerne les groupes terroristes d'aujourd'hui, la réponse est non puisque nous les avons tellement dérangés en Afghanistan et dans quelques autres pays. Ils commencent toutefois à revenir en force et à réapprendre.

Le sénateur Furey : Croyez-vous qu'Internet représente une grande menace s'il est utilisé pour perturber les opérations des institutions financières et les activités des gouvernements et de la société en général?

M. Quiggin : Je considère que c'est un danger parmi d'autres, mais pas un grand danger. Il est intéressant de souligner que des groupes terroristes ont tenté quelques fois des attaques informatiques massives au moyen de l'Internet, mais il leur aurait fallu, pour parvenir à leur objectif, énormément de compétences, de moyens technologiques et de chance pour que se produise l'effet domino qu'ils recherchaient.

Récemment, deux jeunes hommes ont comploté, à Londres, pour réaliser un attentat prenant Internet pour cible. Ils ont eu l'idée novatrice de déterminer où se trouve le nœud primaire d'Internet au Royaume-Uni. Il est dans un bâtiment dont on peut voir une photo dans Internet et qui est facile à trouver. C'est dans le secteur de Canary Wharf.

Ils ont pu se rendre compte, chemin faisant, que le même bâtiment abrite et les ordinateurs principaux, et les ordinateurs de secours par lesquels passent toutes les données du réseau Internet à destination et en provenance du Royaume-Uni. Qui a eu cette idée? Je ne le sais pas, mais c'était probablement un ingénieur, et non un spécialiste de la sécurité.

Quoi qu'il en soit, après avoir jonglé avec l'idée de procéder à une attaque informatique au moyen d'Internet, ils ont décidé que c'était trop difficile et qu'il valait mieux trouver une personne qui réussirait à obtenir un emploi de concierge dans le bâtiment et qui y déverserait de l'essence pour y mettre le feu. C'est beaucoup plus pragmatique, comme approche, qu'une attaque informatique au moyen d'Internet, puisque tous les serveurs gérant les données du réseau Internet au Royaume-Uni se trouvent dans le même bâtiment. Nous ne sommes pas beaucoup mieux à cet égard au Canada.

M. Rudner : Permettez-moi d'ajouter une chose au point important que vient de soulever M. Quiggin à propos d'Internet. Ce réseau n'est pas seulement un moyen d'effectuer des attaques informatiques, mais c'est aussi un instrument important de recrutement.

Le sénateur Furey : Un instrument important de prosélytisme.

M. Rudner : De prosélytisme et de recrutement. Par exemple, Anwar al-Awlaki, qui est né aux États-Unis et qui vit actuellement au Yémen, a mis sur pied deux programmes importants de prosélytisme sur Internet. Ce sont des programmes qui ont une grande influence, y compris ici, au Canada. L'un de ces programmes s'appelle « les constantes du jihad » et l'autre, « 44 façons d'appuyer le jihad ». Ils comprennent une doctrine théorique et une doctrine tactique accessibles à quiconque sait se servir d'une souris.

Le sénateur Nolin : Je voudrais revenir sur la réponse de M. Hutchinson à mon collègue, le sénateur Joyal. La question portait sur la comparaison entre les crimes « ordinaires » prévus dans le Code criminel et les activités terroristes.

Comme vous le savez, le motif du crime fait partie de la définition du terrorisme. Nous avons discuté il y a quelques années de la possibilité d'exclure le motif de la définition, de manière à ce qu'il n'importe aucunement que le crime soit commis par conviction religieuse ou pour une autre raison précisée dans la loi que nous avons adoptée au départ, il y a de nombreuses années, en 2001. Faut-il enlever cet élément de la définition?

M. Hutchinson : C'est une question intéressante. Toute définition juridique...

Le sénateur Joyal : C'est trop compliqué. C'est un obstacle pour les procureurs, peut-être.

M. Hutchinson : Oui, mais la définition inclut et exclut certaines choses.

Le sénateur Nolin : C'est le sens de ma question. En quoi cet élément de la définition augmente-t-il le fardeau de la preuve?

M. Hutchinson : Sur le plan juridique, cet élément n'ajoute pas grand-chose à la définition. Nous l'avons inclus au départ dans la loi que nous avons adoptée, peu après les attentats du 11 septembre 2001, parce que nous avons emprunté la formulation employée dans une loi semblable adoptée aux États-Unis. La loi reflète la vision que nous avions du problème à l'époque. C'était un crime commis pour un motif à caractère politique. C'était ce qui distinguait ce crime des autres crimes.

Les définitions juridiques me causent des soucis, et je m'interroge toujours à leur sujet parce qu'elles délimitent la frontière entre les activités pour lesquelles une personne peut être inculpée et celles pour lesquelles elle ne peut pas l'être. Si le motif n'est pas présent, peut-on dire quand même qu'il s'agit d'un « attentat terroriste » au sens de la loi?

Le sénateur Nolin : C'est le cœur de ma question : faudrait-il conserver la définition telle quelle? Nous acceptons tous les deux que le motif criminel, ou l'intention coupable, est présent. Nous sommes arrivés à la conclusion que l'ajout d'un autre obstacle à franchir...

Le sénateur Joyal : Avons-nous créé un obstacle empêchant la loi d'avoir l'effet voulu?

Le sénateur Nolin : Exactement.

M. Hutchinson : Je n'avais jamais vu la question sous cet angle. C'est une façon intéressante de la présenter.

Le président : Lors de notre dernière séance, notre collègue, le sénateur Tkachuk, s'est servi de l'exemple d'une personne qui commet un vol qualifié dans un supermarché et qui tue cinq ou six personnes à cette occasion, avec son fusil de chasse. Corrigez-moi si je me trompe, monsieur le sénateur Tkachuk. Le sénateur a soutenu que ce crime est différent de celui d'une personne qui tue des enfants dans une école pour des motifs politiques. Ce sont des crimes différents, qui doivent être traités différemment.

Je ne suis pas en désaccord avec le sénateur Nolin lorsqu'il pose sa question, qui nous rappelle les discussions antérieures de notre comité sur l'utilité de cet élément de la définition pour prévenir le crime et poursuivre les criminels. Cependant, l'un de nos collègues a fait valoir que, dans l'esprit du public, ce sont des infractions très différentes.

Le sénateur Joyal : Dans un cas, il s'agit d'une personne qui cherche un gain personnel. Elle entre dans un centre commercial dans le but de s'emparer des marchandises qui s'y trouvent. Dans l'autre cas, la personne tue des gens pour une raison politique, ce qui correspond à la définition invalidée par le juge Rurtherford, en Ontario. La décision du juge a pour effet d'éliminer l'obligation de prouver que la personne poursuivait un objectif idéologique lorsqu'elle a commis des meurtres ou infligé des préjudices de façon préméditée.

Il y a une différence entre prouver une intention coupable et prouver qu'une idéologie est à l'origine de cette intention. C'est là que se situe la nuance entre les deux. Le public en général le comprend. Il est clairement admis que, si une personne commet un crime pour en tirer un gain personnel ou pour une raison précise concernant la personne visée, c'est différent du crime commis par la personne qui décide de s'attaquer à l'ordre politique ou social globalement, ce qui en fait un terroriste.

Le président : Quelqu'un parmi nos invités voudrait-il répondre à la question du sénateur Nolin?

Le sénateur Joyal : Je suis désolé de vous interrompre, monsieur le sénateur Nolin, mais ce sont des discussions que nous avons déjà tenues et qui semblent se répéter parce que le système n'a pas été adapté en conséquence.

Le président : L'un de nos témoins voudrait-il nous donner son avis à ce sujet?

M. Rudner : Comme je ne suis pas avocat, j'hésite à aborder cette question juridique, mais il me semble que, dans l'optique de la poursuite, les motifs de la personne peuvent être utiles. On n'a qu'à songer au cycle du terrorisme, au-delà de l'attentat lui-même. Par exemple, la propagande, l'endoctrinement, le recrutement ou le financement du terrorisme. Souvent, l'argent est collecté au Canada par une ONG qui ne financera pas un attentat au Canada, mais pourrait le faire au Sri Lanka, au Maroc ou ailleurs. En incluant les motifs dans la définition du crime, on se donne les moyens de poursuivre les responsables de chacune des phases du cycle du terrorisme qui se produisent au Canada. À l'inverse, si les motifs sont absents de la définition et si on doit tenir compte uniquement des actes criminels commis physiquement au Canada, nous nous privons d'un moyen pour lutter contre le cycle du terrorisme.

Le président : J'aimerais que nos témoins se penchent sur la question des interventions légales pour perturber les activités terroristes, par comparaison avec la protection par les poursuites judiciaires. Je soulève cette question parce que, dans le cas des 18 de Toronto, des agents secrets ont réussi, avec l'aide d'autres personnes œuvrant dans le domaine de la sécurité, à infiltrer un groupe qui aurait pu en fin de compte faire passablement de dégâts. Des poursuites judiciaires ont pu être intentées et les activités terroristes ont pu être perturbées avant qu'un attentat soit commis.

Selon l'évaluation que vous faites de nos forces de sécurité, disposons-nous de moyens de prévention suffisants, compte tenu des circonstances et de la gamme des dangers qui peuvent se présenter? Les 18 de Toronto sont-ils plutôt l'exception qui confirme la règle, à savoir que nous manquons de ressources à certains égards?

M. Quiggin : Permettez-moi premièrement de vous parler des idées générales qui entourent cette question. On parle fréquemment, un peu partout dans le monde, du « devoir de poursuivre en justice ». Essentiellement, cela signifie qu'il ne suffit pas de perturber les activités d'une organisation qui prépare un attentat. Pour que les gens puissent être convaincus que le système judiciaire fonctionne toujours comme il se doit, celui-ci ne doit pas simplement intervenir au nom de la justice, mais il doit se manifester au vu et au su de tous, dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Cela dit, je crois que vous avez raison. Il est très difficile, au Canada, d'arriver à faire la preuve nécessaire au-delà de tout doute raisonnable. Dans le cas de Momin Khawaja, on y est parvenu. L'affaire au Québec et celle des 18 de Toronto montrent qu'on peut y arriver, même si c'est très difficile.

Mon expérience de collaboration avec les forces de l'ordre m'a permis de constater que l'idée de perturber les activités criminelles est toujours valable, que ce soient les services de renseignement ou les services de police qui s'en chargent. C'est un moyen auquel nous devrons avoir recours. Souvent, on se rend compte, au cours d'une enquête, qu'on peut empêcher qu'un acte criminel soit commis en frappant à la porte de quelqu'un et en lui demandant si une personne donnée est impliquée dans un complot ou participe à des activités terroristes. Évidemment, ce quelqu'un dira non, mais nous savons que, dès que la porte se refermera, il courra raconter l'histoire à son ami. Ils sauront qu'ils sont découverts, et le complot s'arrêtera là.

Selon moi, nous devrions nous fixer comme objectif un idéal difficile à atteindre. Nous devons tâcher de nous acquitter de notre devoir de traduire les criminels en justice. C'est ce que nous devons viser, mais nous devons aussi nous dire que nous allons régulièrement rater cet objectif.

M. Rudner : Permettez-moi de confirmer ce que vient de dire M. Quiggin. En Grande-Bretagne, il y a eu des cas où l'on n'a pas trouvé suffisamment de preuves, où l'on n'a ni perturbé les activités terroristes, ni procédé à des arrestations et où des attentats terroristes se sont produits. En s'appuyant sur l'expérience tirée de ces échecs, on a conçu dans ce pays une stratégie qu'on nomme actuellement là-bas Contest 2 et qui repose sur les quatre P : protéger, préparer, pourchasser et prévenir. Pour le Canada, j'ajouterais un cinquième P : poursuivre en justice. Chaque P correspond selon moi à un élément qui a sa place dans la lutte antiterrorisme livrée par les services de renseignement et les services de police, dans le but d'assurer la sécurité publique. Dans certains cas, je ne pense pas que nous pourrons nous rendre au stade des poursuites judiciaires, mais nous pourrons protéger les gens et pourchasser les personnes malintentionnées.

Dans le monde du renseignement, on emploie l'expression « coffre à outils ». Il s'agit d'avoir recours aux cinq P du coffre à outils pour maintenir la sécurité nationale et la sécurité publique dans notre société.

M. Hutchinson : Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Mes collègues ont plus d'expérience que moi et, bien entendu, ils en savent davantage que moi sur le monde du renseignement. Cependant, on prononce un jugement moral important lorsqu'une personne est déclarée coupable, ou du moins lorsqu'elle est poursuivie pour un crime de ce genre. Il faudrait que cela se produise assez régulièrement. Mais je suis d'accord pour dire que c'est un élément parmi d'autres, dans la panoplie des stratégies antiterrorisme. Des poursuites judiciaires seront intentées régulièrement parce que nous devons affirmer régulièrement notre ferme opposition morale aux actes de ce genre, mais les autres stratégies doivent être considérées comme également utiles, à défaut d'avoir la même légitimité. Nous n'arriverons pas toujours au stade de la poursuite judiciaire.

Le président : Je remercie maintenant les témoins, M. Quiggin, M. Rudner et M. Hutchinson, d'avoir bien voulu nous consacrer du temps. Messieurs, vos témoignages nous ont été utiles. Je sais que mes collègues vous sont reconnaissants, eux aussi. Quelles que soient nos critiques et nos objections au sujet de l'intégration des activités dans le domaine de la sécurité nationale, au Canada, je crois pouvoir m'exprimer au nom de tous les membres du comité en souhaitant les meilleurs résultats possibles aux gens qui œuvrent dans ce domaine et qui travailleront très fort au cours des prochains jours, en uniforme ou autrement, pour prévenir des événements fâcheux et pour protéger non seulement nos invités étrangers, mais également les Canadiens contre les dangers qui peuvent exister. Je sais que j'exprime ainsi le point de vue de l'ensemble du comité.

Chers collègues, le projet de loi S-7 en étant à l'étape de la deuxième lecture, notre comité directeur se réunira pour discuter de la marche à suivre au cours des prochaines semaines. Nous déterminerons quand nous recevrons le ministre et les fonctionnaires et comment nous procéderons par la suite. Nous communiquerons avec vous d'ici la semaine prochaine pour nous assurer que le calendrier de travail de notre comité vous convient.

(La séance est levée.)


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