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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 15 - Témoignages du 18 octobre 2012


OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international auquel a été déféré le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, le comité poursuit son examen du projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions.

Dans la première partie de la séance, nous accueillons M. Ilario Maiolo, conseiller juridique principal de la Croix- Rouge canadienne, M. Louis Maresca, conseiller juridique du Comité international de la Croix-Rouge, l'honorable Warren Allmand, président national du Mouvement fédéraliste mondial — Canada et, à titre personnel, M. Robin Collins et M. Walter Dorn, lequel est président du département de la sécurité et des affaires internationales du Collège des Forces canadiennes.

La salle est comble. Je pense que certains d'entre vous connaissent bien le mode de fonctionnement d'un comité, mais si vous avez une déclaration préliminaire à faire, pouvez-vous être aussi brefs que possible? Nous acceptons les mémoires. Nous tenons à donner aux sénateurs suffisamment de temps pour vous questionner.

Je commence par M. Maiolo, de la Croix-Rouge canadienne.

Ilario Maiolo, conseiller juridique principal, Croix-Rouge canadienne : Merci d'avoir accepté d'entendre le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Avant de commencer, j'aimerais rappeler rapidement au comité la composition et le mandat du mouvement de la Croix-Rouge.

Dans le secteur humanitaire mondial, nous constituons la première organisation et le réseau le plus étendu. Nous n'avons pas de parti pris. Notre mandat est d'aider les victimes de conflits et de catastrophes naturelles de façon neutre et impartiale, indépendante des gouvernements.

Dans le monde entier, le mouvement compte près de 100 millions de membres, bénévoles et amis. Il comporte trois éléments principaux, 187 sociétés nationales dans chaque pays, soit une société de la Croix-Rouge ou du Croissant- Rouge : le comité international de la société de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et le Comité international de la Croix-Rouge.

La Croix-Rouge a été le témoin direct de la gravité des problèmes causés par les armes à sous-munitions. Au moins 21 États, dans les 4 parties du monde que sont l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Asie et l'Europe, sont aux prises avec ce problème ou l'ont été au cours des cinq dernières décennies. Dans certains pays, ces armes sont utilisées depuis longtemps, à une grande échelle, tandis que dans d'autres, on les a utilisées beaucoup moins longtemps, mais de façon intense. Dans les deux cas, les populations civiles ont énormément souffert.

Les survivants de l'explosion d'une arme à sous-munitions sont susceptibles d'avoir subi des blessures graves ou d'avoir reçu de nombreux fragments, pas seulement dans les organes vitaux, et d'avoir aussi perdu les mains et les pieds. Les blessures aux yeux sont très répandues. Une seule explosion peut tuer ou blesser plusieurs personnes, plus, en particulier, que tous les autres débris de guerre explosifs.

Le Mouvement de la Croix-Rouge s'est mobilisé pour aider les victimes à refaire leur vie. Avec l'appui du Comité international de la Croix-Rouge (le CICR), les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont fourni des services de prothèse et de réadaptation, des programmes de microcrédit et d'autres programmes assurant des moyens d'existence aux victimes, elles ont sensibilisé les populations des régions touchées aux risques que présentent ces armes et elles ont renforcé les réseaux communautaires pour assurer la durabilité de leurs programmes.

Le CICR, qui a été le fer de lance du Mouvement de la Croix-Rouge à Oslo, a suivi les négociations dès leur début. La Croix-Rouge canadienne a été très heureuse de la signature de la convention d'Oslo par le Canada, en décembre 2008. Nous croyons que ce traité permet de concilier la sécurité et les considérations humanitaires.

Comme l'a dit le président Jakob Kellenberger du CICR, lors de ce moment historique :

[...] la route qui mène vers Oslo ne s'arrête pas à Oslo. Elle se termine là où on n'utilise plus ces armes, là où les stocks ont été éliminés, là où les régions polluées ont été nettoyées et où les victimes ont reçu l'aide nécessaire pour reconstruire leur vie.

Pour ne pas dévier un seul moment de cet objectif, il faut notamment s'assurer de l'adoption de lois nationales contraignantes qui condamneront ces armes à l'inemploi. Nous sommes heureux de constater que, plus tôt cette année, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi S-10 pour mettre en œuvre la convention d'Oslo et très heureux que le projet de loi permette d'atteindre les objectifs de la Convention sur les armes à sous-munitions en érigeant en infractions les actes interdits par la convention, mais les exceptions prévues à l'article 11, c'est-à-dire la question de l'interopérabilité, nous inquiètent.

À cette fin, je suis heureux d'être en compagnie de mon collègue du CICR, M. Louis Maresca, conseiller juridique de l'Unité mines et armes, qui a longtemps travaillé à ce dossier, depuis le début du processus d'Oslo. Il pourra donner au comité des opinions précises sur le projet de loi.

La présidente : Écoutons donc le conseiller juridique du Comité international de la Croix-Rouge.

Louis Maresca, conseiller juridique, Comité international de la Croix-Rouge : Le CICR tient d'abord à féliciter le Canada pour l'effort déployé pour devenir signataire de la Convention sur les armes à sous-munitions. En la signant, le 3 décembre 2008, puis, en préparant le projet de loi S-10, il a prouvé qu'il appuyait les objectifs du traité, qui vise à mettre fin à l'emploi des armes à sous-munitions et à s'attaquer aux conséquences graves que ces armes exercent sur les populations civiles des pays touchés.

Le CICR vient, aujourd'hui, donner son opinion sur le projet de loi. Je tiens à remercier le comité de nous avoir permis de le faire.

Cette loi nationale est un élément important de la mise en œuvre des traités internationaux à l'échelon national, et cela est particulièrement vrai des traités sur le droit humanitaire international. Globalement, nous croyons que le projet de loi aidera à promouvoir les objectifs de la convention dans plusieurs domaines importants. Il érigera en infractions, dans le droit canadien, les actes interdits par la convention. Il autorisera aussi des exceptions pour certaines activités qui cadrent avec les objectifs de la convention, par exemple l'acquisition, la détention et le transfert d'armes à sous- munitions pour leur destruction, la mise en place de contre-mesures et la formation aux techniques de détection, d'enlèvement ou de destruction.

Comme plusieurs témoins qui nous ont précédés, nous voulons attirer l'attention sur l'article 11 du projet de loi, qui établit des exceptions pour certaines actions reliées à la coopération et aux opérations militaires avec des États qui ne sont pas parties à la convention. Comme nous l'expliquons dans le document que nous communiquerons plus tard aujourd'hui au comité, la portée de ces exceptions nous inquiète. D'après nous, elles sont générales et si on les adopte telles quelles, elles risquent de permettre des activités contraires au but et à l'objet de la convention et, au bout du compte, de contribuer au maintien de l'utilisation des armes à sous-munitions plutôt qu'à leur élimination.

Comme il est mentionné dans le sommaire du projet de loi, l'article 11 découle de l'article 21 de la convention, particulièrement des paragraphes 3 et 4. Pourtant, l'article 21 n'a jamais eu pour but d'épargner la coopération et les opérations militaires. L'article reconnaît que cette coopération et les opérations combinées avec des États non signataires peuvent se poursuivre, et il vise à ce que cette sorte de coopération ne contrecarre pas les objectifs humanitaires de la convention. Cela est d'abord visible dans l'énumération des activités interdites en toutes circonstances à l'État partie, au paragraphe 4 de l'article 21, et dans les exigences du traité selon lesquelles l'État partie doit promouvoir les normes de la convention et faire de son mieux pour décourager les autres États d'employer des armes à sous-munitions.

D'après le CICR, les exceptions doivent également tenir compte de l'importance du but et de l'objet de la convention dans l'application ou l'interprétation de l'article 21. L'objectif de la convention, qui est de faire définitivement cesser les souffrances et les pertes en vies humaines causées par l'utilisation des armes à sous-munitions au moment de leur emploi, lorsqu'elles ne fonctionnent pas comme prévu ou lorsqu'elles sont abandonnées, peut seulement être atteint lorsque les signataires travaillent à mettre fin à toute utilisation de ces armes, notamment dans le contexte d'une coopération et d'opérations militaires.

L'alinéa 11(1)c), notamment, qui permettrait à des forces canadiennes directement engagées dans l'emploi d'armes à sous-munitions dans le cadre d'un détachement ou d'une affectation auprès des forces armées d'un État non partie, nous inquiète. Il suspend effectivement l'application des principales interdictions de la convention qui s'appliquent à ces forces et semble aussi s'opposer au paragraphe 4 de l'article 21, qui interdit clairement l'utilisation, la mise au point, la production, l'acquisition et la constitution de stocks d'armes à sous-munitions même dans le cadre d'une coopération et d'opérations militaires. Nous nous interrogeons donc sur la compatibilité des exceptions et des objectifs globaux de la convention.

En terminant, le CICR recommande vivement au comité de donner aux exceptions prévues dans le projet de loi S-10 une interprétation aussi étroite que possible, pour ne pas courir le risque de compromettre les objectifs de la convention. Le mémoire que nous remettrons au comité offre des recommandations en ce sens.

La présidente : La parole est à l'honorable Warren Allmand, du Mouvement fédéraliste mondial. Bienvenue de nouveau au Parlement et au comité.

L'hon. Warren Allmand, C.P., O.C., C.R., président national du Mouvement fédéraliste mondial — Canada : Merci beaucoup madame la présidente. À titre de président du Mouvement fédéraliste mondial, je suis reconnaissant au comité de m'accorder l'occasion de présenter nos observations sur le projet de loi S-10. Nous recrutons nos membres partout au Canada, nous existons depuis longtemps et nous faisons partie d'un mouvement international constitué d'organisations nationales et régionales réparties dans 26 pays. Le Mouvement fédéraliste mondial cherche à renforcer la primauté du droit à l'échelle internationale ainsi que le réseau international d'organismes favorisant la gouvernance mondiale, notamment le système des Nations Unies. Nous avons joué un rôle de premier plan au Canada et sur la scène internationale dans la mobilisation des appuis pour la nouvelle Cour pénale internationale.

L'article 11 du projet de loi S-10 nous inquiète particulièrement. Nous pensons que les exceptions qu'il prévoit placeraient le Canada en porte-à-faux par rapport aux principaux objectifs et buts du traité et que, en conséquence, elles mineraient l'application de la totalité du traité. Autrement dit, les interdictions de l'article 1 du traité sont essentiellement renversées par les exceptions prévues par l'article 11, sans que l'article 21 puisse les sauvegarder ou les réhabiliter. Bien sûr, votre comité a été mis au courant de ces inquiétudes par d'autres témoins.

Je dois faire remarquer que l'exposé que nous présentons aujourd'hui comprend une analyse détaillée du projet de loi par des juristes éminents, sous la forme d'une lettre ouverte au ministre Baird des Affaires étrangères concernant l'interprétation de l'article 21 de la convention et leur condamnation de l'article 11 du projet de loi. La lettre est signée par 24 juristes, qui sont, pour la majorité d'entre eux, des professeurs de droit international. Elle est jointe aux remarques que j'ai distribuées au comité. En ma qualité de signataire, j'ai pris l'initiative de vous présenter ce texte au nom de ce groupe de juristes et je serai heureux de répondre aux questions que vous poserez sur cette analyse.

Bref, la lettre ouverte se concentre sur l'article 1 de la Convention sur les armes à sous-munitions et sur l'article 21. Elle évalue les diverses interprétations possibles de l'article 21 et conclut que la meilleure interprétation de cet article et de l'article 1 est que, conformément au paragraphe 3 de l'article 21, les parties peuvent s'engager dans des opérations conjointes avec les forces armées d'États non parties qui utilisent également des armes à sous-munitions, mais d'une manière qui ne correspond ni à une participation ni à une aide directe au déploiement de ces armes. Autrement dit, l'exception prévue dans le paragraphe 21(3) est limitée par le paragraphe 4 du même article. C'est ce que la lettre ouverte explique entièrement.

En conséquence, l'article 11 du projet de loi S-10 autorise précisément la sorte de participation ou d'aide directe qu'interdit l'article 1 de la Convention sur les armes à sous-munitions dans le paragraphe 21(4). À l'unanimité, les juristes concluent que l'article 11 contredit manifestement les articles 1 et 21 de la convention. Pour se conformer de bonne foi avec ses obligations internationales, le Canada, c'est ce que nous recommandons, doit donc supprimer l'article 11 ou le réviser en profondeur.

Un autre sujet de préoccupation, moins grave, concernant le projet de loi est l'absence de toute mention de mesures concrètes, exigées aux paragraphes 1 et 2 de l'article 21 de la convention, que les États parties sont tenues de prendre pour encourager d'autres États à ratifier la convention ou à y adhérer, promouvoir les normes de la convention, décourager l'utilisation des armes à sous-munitions et notifier leurs obligations à leurs alliés non parties à la convention. Nous recommandons donc, aussi, que, en révisant le projet de loi S-10, on ajoute des dispositions qui permettront au Canada de s'acquitter de sa responsabilité de travailler à l'universalisation de la convention, d'en promouvoir les normes, de décourager l'utilisation des armes à sous-munitions, et ainsi de suite.

Je rappellerais au comité que l'élaboration, par les États, de pratiques pour mettre en œuvre la convention sur les armes à sous-munitions peut s'inspirer de la mise en œuvre de la Convention sur les mines antipersonnel, la convention sur les mines terrestres, par la communauté internationale. Grâce à cet instrument international très analogue, le Canada a pu apporter une contribution notable à un régime robuste qui a permis de réduire l'utilisation des mines terrestres et qui a sauvé des milliers de vies. Les soldats canadiens ont pu alors et continuent de pouvoir maintenir leur interopérabilité avec nos alliés, y compris dans le cas des Forces canadiennes et américaines déployées à une grande échelle, en Afghanistan, pendant plus d'une décennie.

La Loi canadienne de mise en œuvre de la Convention sur les mines antipersonnel de 1997 ne renfermait aucune disposition semblable à l'article 11 du projet de loi S-10. Aucune exception n'était prévue pour la conformité du Canada au traité sur les mines terrestres, à la manière de l'article 11, qui va à l'encontre de la convention sur les armes à sous-munitions.

Dans son libellé actuel, le projet de loi S-10 renferme des dispositions contraires au but et à l'objet du traité. Il est illogique pour le Canada d'adhérer à un traité dont le but est l'interdiction absolue de l'utilisation et du transfert d'armes à sous-munitions, d'une part, et, d'autre part, de promulguer une loi nationale qui crée des exceptions autorisant le personnel canadien à précisément se livrer à des types d'activités interdites ou proscrites par la convention.

Si, donc, il devient manifeste que le Parlement canadien est incapable d'amender le projet de loi S-10 en supprimant l'article en question, ou n'y est pas disposé, nous estimons que le comité devrait recommander le renvoi du projet de loi S-10 au gouvernement, pour en tirer une nouvelle mouture conforme, cette fois, aux obligations découlant du traité.

Je vous remercie de votre attention, madame la présidente.

La présidente : Merci.

Au tour, maintenant, de M. Collins.

Robin Collins, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, madame la présidente, je vous parlerai en tant qu'ancien président de la coalition Mines Actions Canada, alors que j'ai participé activement, à compter de 1996, à la formulation de recommandations pour l'interdiction des mines antipersonnel et, à compter de la fin de l'an 2000, à la réflexion sur les armes à sous-munitions.

J'étais le principal auteur de la position antérieure de principe de la coalition sur les bombes à sous-munitions, et la coalition a adopté les recommandations, en 2001.

La Convention sur les armes à sous-munitions représente un progrès énorme et une réussite pour tous les gouvernements et toutes les organisations qui ont travaillé de longues heures chaque jour à l'élaboration d'un cadre juridique pour l'interdiction d'un type d'arme épouvantable. Une majorité, 111 pays, l'a signée. Il en reste beaucoup qui doivent relever le défi.

Mon opinion sur le projet de loi S-10, Loi sur la mise en œuvre et la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions, est partagée par beaucoup d'autres personnes. Nous croyons que, à cause de son article 11 qui autorise des exceptions contraires à l'esprit et au texte du traité, le Sénat et la Chambre des communes doivent amender le projet de loi.

Un des points que nous avons fait valoir en 2001, et qui s'applique expressément au projet de loi S-10, est que les militaires canadiens doivent refuser de participer à des exercices ou des campagnes où ces armes sont encore utilisées par nos alliés. Nous étions de cet avis parce que nous ne voulions pas voir les soldats canadiens utiliser une arme que nous condamnions, et que nous voulions que nos alliés sachent clairement à quelle enseigne loge le Canada, afin qu'ils remplacent ces armes par d'autres et qu'ils utilisent d'autres méthodes.

Lors de sa comparution le 3 octobre, le ministre Baird avait raison de dire que les armes à sous-munitions sont des armes terribles et horribles et qu'elles doivent être détruites. Il a dit espérer que l'adhésion du Canada au traité en stigmatise l'utilisation et décourage les États non parties au traité de les utiliser.

Il prenait ainsi les bonnes positions : en interdire l'usage par le Canada et encourager les États non parties au traité à renoncer également à leur utilisation.

Il est de notoriété publique que la Coalition internationale contre les armes à sous-munitions appuie le traité dans son ensemble, mais dénonce son paragraphe 21(3) et le fait que la notion d'interopérabilité peut être interprétée ou manipulée pour autoriser l'utilisation des armes à sous-munitions dans les opérations multinationales. Nous ne pouvons pas nous retrouver dans une situation où les alliés permettent l'utilisation des armes à sous-munitions par une gestion cynique des tâches.

À titre d'exemple, nous ne pouvons pas autoriser les Canadiens à piloter l'avion pendant que les Américains appuient sur le bouton pour larguer des bombes en grappes. Bien d'autres avant nous ont souligné que le projet de loi canadien, le S-10, permet explicitement que l'interdiction de toute forme d'aide dans l'utilisation des armes à sous- munitions soit transgressée, ce qui va manifestement à l'encontre de l'esprit et de la lettre du traité.

Les militants n'ont pas apprécié le paragraphe 21(3), que les activistes ont qualifié de tache au traité. Cet article en était un de compromis, mais il ne devait pas autoriser les Canadiens dans les conflits à prendre part à des actions permettant aux alliés ou aux Canadiens d'utiliser des armes à sous-munitions. Bien au contraire, le traité exige des signataires qu'ils encouragent les alliés, en prêchant par l'exemple, à cesser d'utiliser ces armes et à signer le traité.

Le ministre des Affaires étrangères a également mentionné qu'il serait naïf de croire qu'un Canadien dans un bataillon de 60 000 soldats américains serait en mesure de dicter les règles à suivre à cet égard.

Je dirai donc respectueusement qu'en signant un traité bannissant l'utilisation d'une arme odieuse qui, aux yeux de tous ici, cause des dommages humanitaires graves, nous sommes tenus d'exiger que ces armes ne soient utilisées dans aucune des opérations militaires à laquelle nous participons avec nos alliés, ou d'affecter tout soldat canadien à une autre tâche. C'est le cas pour les armes chimiques, biologiques et nucléaires, les lasers aveuglants, les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions. Il faut parfois faire mieux que nos amis.

Le Canada doit édicter une loi qui précise sans ambiguïté que la disposition sur l'interopérabilité ne permet en aucun cas de collaborer à des opérations où des armes à sous-munitions sont utilisées.

J'aimerais terminer par une réflexion sur la responsabilité spéciale du Canada à l'égard de ce projet de loi et du traité, ainsi que sur l'importance que cela revêt. Si le rôle du Canada est si important, c'est parce que le traité jumeau de ce traité, la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, est notre œuvre. En 1996-1997, en effet, nous menions un petit groupe d'États aux vues similaires vers une conclusion historique et fructueuse. La Convention sur les armes à sous-munitions est une émanation directe du traité d'Ottawa, et les projecteurs du monde entier sont braqués sur nous encore une fois.

Comme vous le savez sans doute, nombre d'observateurs considèrent le projet de loi du Canada, le S-10, comme le plus mauvais ayant été présenté par un État signataire ou partie à la convention. L'adopter dans sa forme actuelle ternirait notre réputation, d'autant plus qu'il pourrait inciter d'autres pays à emprunter la même voie.

J'espère que vous pourrez supprimer les dispositions problématiques. Elles ne présentent aucun intérêt utile ou éthique. L'article 11 du projet de loi S-10 est incompatible avec une interdiction complète des armes à sous-munitions. Sans cette modification, je recommande que le projet de loi soit rejeté.

Je vous remercie de votre attention et du temps que vous m'avez accordé.

La présidente Merci, monsieur Collins.

Notre dernier témoin, monsieur Walter Dorn.

[Français]

Walter Dorn, président, Département de la sécurité et des affaires internationales, Collège des Forces canadiennes, à titre personnel : Merci infiniment, honorables sénateurs, de cette opportunité de m'adresser à vous.

[Traduction]

La Convention sur les armes à sous-munitions est une grande réalisation, après ce que j'appelle la décennie de noirceur, c'est-à-dire la période qui a séparé l'adoption de la convention d'Ottawa en 1997 de la convention d'Oslo en 2008.

L'interdiction complète prévue dans la convention mérite d'être accompagnée des mesures de mise en œuvre les plus fermes qui soient. Les traités de contrôle des armes comme celui-ci accroissant la sécurité tant nationale qu'internationale, je suis heureux que le Canada ait finalement décidé de ratifier la convention de 2008. Toutefois, comme d'autres témoins ce matin, j'ai trois grandes réserves au sujet de l'article 11 du projet de loi S-10.

Du point de vue légal, l'article 11 s'applique aux opérations militaires menées en collaboration avec des pays non parties au traité. Cet article crée malheureusement une échappatoire incroyable, assez grosse pour qu'on puisse y engouffrer des cargaisons complètes de bombes à grappes. En effet, il permet aux soldats canadiens qui participent à des opérations multinationales « d'aider une autre personne », « de diriger des activités », « d'aider ou d'assister une personne » et de « comploter avec une autre personne » concernant l'utilisation d'armes à sous-munitions. Ces mots proviennent tous de l'article en question.

Cet article contrevient donc clairement au traité, même en donnant à l'article 21 l'interprétation la plus large possible. Cet article permet aux parties de prendre part à des opérations multinationales avec des États non parties au traité — ce qui est tout à fait normal —, mais il ne permet pas aux États parties d'aider ou de collaborer dans l'utilisation des armes à sous-munitions. Les Canadiens dans une chaîne de commandement américain ou qui se battent aux côtés des Américains ne sont pas autorisés par la loi, en vertu de ce traité, à utiliser des armes à sous-munitions ou à collaborer à leur utilisation.

L'article 11 du projet de loi constitue, en fait, une réserve au traité, chose interdite par l'article 19 du traité même. De plus, l'article contrevient à l'objet et au but de la convention, ce qu'interdit la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.

Mon deuxième argument concerne la moralité. Comme je côtoie quotidiennement des militaires qui ont participé à des missions multinationales et que je peux être appelé à y participer moi-même en tant que civil en vertu du Code de discipline militaire, je dois vous dire que le projet de loi dans sa forme actuelle risque de nous placer dans une situation compromettante.

Les militaires canadiens qui sont déployés ne veulent pas être forcés de violer un traité ou être associés à sa violation. En vertu du projet de loi, les Canadiens seront forcés d'accepter des ordres qu'ils jugent illégaux. Ils se trouveront ainsi dans une impasse juridique entre les lois nationales et internationales. Les soldats sont entraînés à obéir à des « ordres légaux ». Il en résultera de la confusion, car les lois sont contradictoires. Une interdiction totale, comme le prévoit la convention, serait beaucoup plus claire.

Il en découle aussi d'autres questions morales inquiétantes. Aimerions-nous voir le Canada être accusé de complicité dans l'utilisation des armes à sous-munitions? Voulons-nous que le Canada applique deux normes : une pour ses missions en solo et une autre pour les missions multinationales auxquelles il participe? Auriez-nous accepté pareille exception lorsque nous avons ratifié la convention sur la torture ou les conventions de Genève?

Mon troisième point concerne les normes que nous établissons. Lorsque les États parties appliquent des réserves et restreignent leur interprétation du traité, ils affaiblissent tout le traité. La convention doit être renforcée et non pas affaiblie.

En ce qui a trait à la création de norme, nous pouvons appliquer le test de Kant : le Canada souhaiterait-il voir d'autres pays appliquer les réserves prévues à l'article 11?Dans des missions multinationales avec d'autres groupes dont un pays n'est pas signataire de la convention, voudrait-on que cela autorise tous les États parties, amis ou ennemis, qui font partie du groupe à utiliser les armes à sous-munitions? Les États agressifs pourraient recourir à ce type de disposition pour tenter de justifier les violations du traité pendant leurs propres opérations multinationales.

Qui plus est, voudrions-nous voir les autres parties inclure leurs propres exceptions et échappatoires qui dépassent les limites du traité? Après avoir donné à la convention une interprétation servant ses intérêts, le Canada pourra-t-il se permettre de critiquer les autres pays qui font de même pour d'autres dispositions du traité?

En terminant, je dirai que l'article 11 du projet de loi dans sa version actuelle semble être en contravention légale du traité, ce qui ouvre la voie à de graves dilemmes moraux et affaiblit la norme contre l'utilisation de ces armes terribles. Il doit donc être supprimé ou modifié.

Pour conclure sur une note positive, je dirai que le comité du Sénat a l'occasion de renforcer cette nouvelle norme internationale et solide. Ce projet de loi est une belle occasion pour le Sénat de jeter un regard éclairé sur la question et de jouer un rôle de premier plan avant son examen par la Chambre. Il est à espérer qu'en soumettant ce projet de loi au Sénat en premier, le gouvernement montre qu'il est disposé à le voir y apporter des améliorations. La mise en œuvre pleine et entière du traité est maintenant entre vos mains.

La présidente : Merci, monsieur Dorn.

Monsieur Collins, j'aimerais clarifier un point avec vous. Je sais que vous avez participé à maintes reprises à ce type de négociations et j'aimerais m'assurer que j'ai bien compris votre témoignage. Vous avez mentionné qu'il s'agit d'un traité imparfait. Vous auriez préféré qu'il n'y ait pas de section ou de mécanisme portant sur l'interopérabilité dans la convention. Ainsi, vos commentaires au sujet de l'article 10 renvoient au fait que la convention permet l'utilisation des armes à sous-munitions dans certains cas.

M. Collins : Je tiens tout d'abord à préciser que je n'ai pas participé aux négociations; j'ai été président de la coalition canadienne pendant un certain temps. Oui, pour répondre en partie à votre question, c'est-à-dire que les activistes, la Coalition contre les armes à sous-munitions et les organisations internationales sont d'avis que l'article 21 du traité est imparfait. Nous avons parfois parlé d'une « tache ». Le traité est ce qu'il est. Je sais que le Canadien qui a participé à sa rédaction pour le compte des Affaires étrangères, Earl Turcotte, était d'avis que l'article tel que rédigé ne permettrait pas aux Canadiens, qui collaborent avec des alliés, d'utiliser des armes à sous-munitions. Il était rédigé de façon à permettre aux alliés de collaborer, pas nécessairement de collaborer où, par exemple, les Américains utiliseraient des armes à sous- munitions là-bas, et les Canadiens, sans être en contact, sans leur fournir d'aide quelconque, ne les utiliseraient pas ici. C'est probablement un scénario qu'on avait en tête en rédigeant l'article 21, mais si vous regardez le libellé, ce n'est pas en fait ce qu'il dit. On y décèle vaguement une possibilité en quelque sorte. C'est un peu ambigu. Le fait est que les autres États, qui ont appuyé le traité et pris position à propos de l'article 21, ont clairement indiqué que le libellé ne permet pas d'enfreindre l'article 1 du traité, les interdictions.

Le sénateur Hubley : Je vous remercie tous de vos exposés ce matin. Ce sont des exposés très importants. L'information qu'ils contiennent doit être entendue et diffusée.

J'aimerais dire, d'entrée de jeu, qu'il s'agit d'une arme terrible, pour ne pas dire abominable. Près de 98 p. 100 des victimes sont des civils. Ces armes détruisent des vies, des familles et des collectivités, et la destruction se poursuit longtemps après la fin du conflit.

Je suis heureux qu'on ait mentionné le traité sur les mines terrestres, l'accord d'Ottawa, car son grand succès international ne tient pas seulement à sa direction, mais au fait qu'il ne comportait pas de disposition sur l'interopérabilité, ce qui a forcé, à mon avis, les pays à prendre leurs responsabilités. Ils ont tous dû apporter leur contribution et avoir le volet humanitaire en tête au moment de rédiger leur loi.

Après avoir examiné notre convention sur les armes à sous-munitions, et en particulier bien sûr le projet de loi S-10, notre projet de loi de ratification, je m'interroge sur les répercussions de notre interprétation de l'article 21, tel qu'il est présenté à l'article 11 du projet de loi S-10,sur l'universalité du traité. Je pose la question à qui voudra bien y répondre.

M. Maresca : Si les autres n'y voient pas d'inconvénient, je vais vous donner notre point de vue sur la question.

Le Comité international de la Croix-Rouge est une organisation qui collabore étroitement avec ses délégations qui se trouvent dans plus de 80 pays partout dans le monde, de même qu'avec les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du mouvement du Croissant-Rouge pour encourager l'adhésion au traité et promouvoir sa ratification et sa mise en œuvre complète. La question de l'universalité et de l'universalisation est importante pour nous et nous discutons souvent de la question avec les gouvernements.

Nous craignons en effet que si les pays élaborent des lois comme celle-ci, en prévoyant de telles exceptions, cela envoie le signal aux autres États qu'on peut en quelque sorte ratifier le traité et permettre en même temps aux forces de continuer à être associées à l'utilisation des armes à sous-munitions. Un pays qui ne participe pas aux opérations multinationales pourrait hésiter à signer un tel traité parce qu'elle n'en obtiendrait que les miettes, si on veut. Nous craignons que ces vastes exceptions concernant l'interopérabilité, lorsqu'elles sont intégrées à la législation nationale, incitent les autres pays à ne pas signer le traité. Nous sommes donc préoccupés par les répercussions que cela peut avoir sur l'universalisation du traité.

Le sénateur Hubley : Si l'argument est — et c'est un argument que nous avons entendu — que le libellé de l'article 21 du traité force les pays à adopter une loi comme celle du Canada, est-ce crédible? L'article 21 du traité est-il rédigé de telle sorte qu'il force un pays à opter pour une définition très large qui mine le but de la convention? L'article 21 suggère-t-il cela?

M. Allmand : Non, je ne crois pas du tout que ce soit le cas. On pourrait supprimer totalement l'article 11 et ratifier le traité, et être tenus quand même de respecter toutes les dispositions prévues à l'article 21 de la convention, y compris le paragraphe 3, qui permet à un pays comme le Canada, un État partie qui a ratifié la convention, de participer à des opérations militaires conjointes avec des États qui ne l'ont pas ratifiée. Toutefois, comme je l'ai mentionné, et d'autres aussi, le traité sur les mines terrestres ne comporte pas de disposition comme l'article 11. Nous participons à des opérations conjointes avec des pays qui n'ont pas ratifié le traité sur les mines terrestres. Cela ne nous empêche pas de collaborer avec d'autres pays, mais cela signifie que nous respectons totalement la convention. Tout comme nous respectons la convention sur les mines terrestres, nous respecterons cette convention.

Dans la lettre ouverte que j'ai déposée avec mes observations, qui a été rédigée par 25 juristes, principalement des professeurs en droit international, les signataires sont d'avis qu'on peut interpréter l'article 21 et l'article 1 comme disant qu'il est possible de prendre part à une opération conjointe, disons, avec les États-Unis, tout en respectant pleinement toutes les dispositions du traité, et que l'article 11 est inutile. L'article 11 ouvre la porte à une fragilisation du traité dans son ensemble. L'article 11 n'a pas sa raison d'être.

Le sénateur Hubley : De toute évidence, d'autres pays sont du même avis. À part celle de l'Australie, l'interprétation du Canada est sans doute la pire à ce jour. Je crois qu'ils ont trouvé de meilleures façons d'interpréter l'article 21.

Si nous avons le sentiment d'avoir raison d'interpréter de façon aussi large cet article, et que les autres ont tort, ne sommes-nous pas obligés d'agir? Avons-nous signifié d'une manière quelconque aux autres pays que nous désapprouvons leur loi?

M. Allmand : J'allais vous parler de la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande n'a pas de disposition comme l'article 11, mais elle en a une qui dit que les membres des forces armées ne violent pas le paragraphe 10(1) simplement en collaborant à une opération, un exercice ou toute autre activité militaire avec les forces armées d'un État qui n'est pas partie à la convention et qui peut s'engager dans des comportements interdits par le paragraphe 10(1).

D'autres pays se sont assurés, dans leur loi de mise en œuvre, que les membres de leurs forces armées ne contreviennent pas aux intentions générales de la convention en participant à des opérations prévues au paragraphe 21(3).

Le sénateur D. Smith : J'ai un commentaire et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. C'est en quelque sorte une question. J'ai jeté un coup d'œil à la liste des juristes. Je crois en connaître une dizaine parmi eux. C'est un processus complexe. Nous avons accueilli le ministre qui a été notre premier témoin. Bon nombre de ces questions ne nous sont pas venues à l'esprit à ce moment-là. Je note que la lettre de Warren Allmand est signée d'hier. Il faut présumer qu'il n'y a pas encore eu de réponse.

Est-ce que l'un d'entre vous a eu l'occasion de discuter directement avec le ministre, ou avec ses fonctionnaires, pour savoir qu'elle sera cette réponse? Lorsque j'ai entendu ces arguments, je me suis dit qu'il fallait garder l'esprit ouvert, mais j'ai alors pensé au vieil adage : « Quand on veut, on peut ». Si vous avez pu en discuter avec le ministre ou ses fonctionnaires, j'aimerais certes que le comité soit informé des réponses que vous avez obtenues, et j'ose espérer que vous nous transmettrez le tout pour nous tenir au courant.

M. Allmand : Sénateur Smith, si la lettre est signée d'hier seulement, même si elle a été envoyée précédemment, c'est que nous avons continué à recueillir des signatures de professeurs de droit jusqu'à la dernière minute.

Le sénateur D. Smith : Je vois. Y a-t-il eu une réponse?

M. Allmand : Non, il n'y en a pas eu. Je viens de vérifier auprès du directeur exécutif de notre bureau. Il m'indique que l'on n'a pas répondu.

Le sénateur D. Smith : Si jamais on finit par vous envoyer une réponse, je vous prierais d'en transmettre une copie au comité.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Mes questions vont s'adresser à M. Ilario Maiolo, qui représente les 100 000 membres de la Croix-Rouge à travers le monde. Soyez le bienvenu.

Le gouvernement du Canada est de bonne foi quand il travaille à cette législation. Depuis 1999, 370 millions de dollars ont été donnés à des États — je vous dirai pourquoi par la suite. En 2010-2011, 30 autres millions de dollars ont été affectés et, dernièrement, pour le Laos, 1 million de dollars a été affecté pour essayer de détruire ces armes à sous-munitions. Le Canada a mis ces sommes à la disposition des États pour les aider à nettoyer les zones contaminées, à détruire les stocks, à réhabiliter les victimes et aider les États dans le besoin.

J'ai vu que vous étiez préoccupé par la mise en œuvre de plans qui viseraient la destruction des armes à sous-munitions. Je crois que, actuellement, le Canada élabore de tels plans et je crois que ces plans seront certainement connus avant la ratification. Je voyais ici que les Forces canadiennes ont déjà entamé le processus de destruction des stocks, et l'inventaire des armes à sous-munitions qui restaient a été retiré des stocks de munitions opérationnelles; alors toutes les méthodes sont actuellement examinées.

Selon vous, quelles sont les mesures que le gouvernement n'a pas encore prises concernant ce plan dont vous nous avez parlé?

M. Maiolo : Tout d'abord je voulais expliquer que le problème a plusieurs faces. Certainement la législation aujourd'hui comporte un aspect surtout, c'est la criminalisation des provisions de la convention. Je ne voulais pas insinuer par mon témoignage que les mesures ne sont pas adéquates jusqu'à présent. Pour le Canada, à travers des dons à la Croix-Rouge canadienne nous avons pu, de manière multilatérale, soutenir les opérations du CICR avec des sociétés nationales qui s'occupent des travaux de réhabilitation des victimes des bombes à sous-munitions. Je ne voulais pas dire que les mesures sont inadéquates. Nous serons toujours prêts à recevoir des contributions au mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge afin d'aider les victimes. Mais je ne voulais pas, de manière spécifique, critiquer le fait que les efforts des victimes n'ont pas été suffisants jusqu'à maintenant. Je ne sais pas si mon collègue du CICR a quelque chose à ajouter là-dessus.

[Traduction]

M. Maresca : Je n'ai rien de précis à ajouter si ce n'est, pour autant que j'aie bien compris votre question, que le Canada a effectivement pris bon nombre de mesures importantes aux fins de la suppression des armes à sous-munitions, tout au moins au pays. Ainsi, comme vous avez pu l'entendre, j'en suis persuadé, même avant d'avoir ratifié le traité, le Canada avait retiré ces armes de ses stocks de guerre. On a commencé à les détruire. En tant que pays signataire, le Canada a aussi joué un rôle important et utile dans l'amorce de la mise en œuvre de la convention. Le Canada a en effet participé activement aux discussions avec les États parties pour contribuer à l'établissement des mécanismes requis à l'échelon multilatéral pour mettre en œuvre le traité et encourager d'autres pays à y adhérer. Le Canada a modulé ses actions en fonction des grands objectifs de ce traité sur différents tableaux, autres que ce projet de loi. Comme je l'indiquais dans ma déclaration préliminaire, la majorité des dispositions du projet de loi vont dans le sens des objectifs de la convention. Ce sont vraiment les enjeux liés à l'interopérabilité qui nous préoccupent le plus.

Je signale en outre que ce traité vise à bien des égards des objectifs de prévention. Si d'importants efforts ont été déployés pour supprimer les armes à sous-munitions et essayer d'améliorer le sort des victimes, il est tout aussi important de veiller à ce que de telles armes ne soient plus jamais utilisées, ce qui nous permettra de cesser de dépenser pour nous débarrasser des stocks d'armes non utilisées ou pour aider d'éventuelles victimes. J'espère que ma réponse vous apporte un éclairage supplémentaire.

M. Collins : Je vais réitérer ce qui vient d'être dit. La plus grande partie du projet de loi S-10 est tout à fait louable. Bon nombre d'entre nous traitons des problèmes liés aux dispositions sur l'interopérabilité. Mais il s'agit en général d'un très bon projet de loi, et le traité lui-même est excellent.

Le Canada n'est pas vraiment un utilisateur d'armes à sous-munitions. On ne s'en est jamais servi. Nos seules interactions avec ces armes sont donc survenues dans le cadre d'opérations conjointes avec nos alliés. Cela met en relief le problème d'une loi qui nous permet non seulement d'utiliser des armes à sous-munitions par l'entremise de nos alliés, mais aussi d'ordonner aux soldats du Canada et des pays alliés d'utiliser des armes semblables dans le cadre d'opérations conjointes. Cela va tout à fait à l'encontre des objectifs du traité.

J'aimerais faire une autre comparaison concernant les victimes. Nous voulons que le traité fasse en sorte qu'il n'y ait plus de nouvelles victimes. Il est vrai que le Canada comme plusieurs autres pays est également venu en aide aux victimes des mines terrestres. Le meilleur exemple nous vient du gouvernement américain qui a versé plus d'argent que quiconque pour aider ces victimes, mais qui n'a pas ratifié le traité. Les Américains s'autorisent encore à utiliser des mines terrestres. Il s'agit de deux aspects distincts de la problématique. Il faut cesser l'utilisation de ces armes, d'une part, et aider les victimes, d'autre part. Nous ne voulons pas qu'il y ait d'autres victimes. Nous souhaitons interdire l'utilisation de telle sorte que ces armes ne fassent pas de nouvelles victimes.

La présidente : Sénateur Fortin-Duplessis, voulez-vous poser votre seconde question ou entendre une autre réponse?

Le sénateur Fortin-Duplessis : Écoutons la réponse.

M. Dorn : Tout comme il l'a fait pour la convention sur les mines terrestres, le gouvernement du Canada pourrait exercer son leadership sur les tribunes internationales dans ce dossier. Il pourrait contribuer à l'établissement d'un système de vérification efficace, l'une des lacunes de ce traité. Il pourrait appuyer le travail d'enquête des ONG. Il pourrait participer aux efforts déployés pour aider les victimes et établir des programmes internationaux à cette fin. Et surtout, dans le contexte du travail de votre comité, il pourrait se donner une loi qui servira de modèle à suivre pour d'autres pays.

Le sénateur Wallin : Je pense que nous convenons tous ici que les armes à sous-munitions ont un impact épouvantable en situation de guerre. Je crois que le Canada a adopté une position de principe sur leur utilisation en prêchant par l'exemple et en encourageant les autres pays à lui emboîter le pas, comme il est tenu de le faire.

Voici ce qui m'inquiète au sujet de vos requêtes. Je vous invite à vous mettre un peu à notre place en abordant cette problématique sous un angle différent. Que feriez-vous alors en face d'une telle requête? On laisse entendre que, plutôt que de prêcher par l'exemple et de miser sur l'encouragement et le leadership, nous devrions d'une certaine façon être disposés à renoncer à notre souveraineté, à notre droit de nous défendre, pour faire valoir notre argument auprès d'autres nations. Si d'autres pays nous disaient : « Vous devez utiliser des armes à sous-munitions » et essayaient d'influer sur nos politiques en matière de défense, de sécurité et d'affaires étrangères, nous pousserions tous les hauts cris. C'est pourtant exactement ce que vous nous demandez; vous voudriez que nous disions quoi faire à d'autres pays. Nous voulons plutôt servir de modèle et d'incitatif.

Vous pouvez tout simplement répondre par un oui ou par un non de sorte que votre opinion soit consignée. Nous demandez-vous de renoncer à notre souveraineté, à notre droit de défendre nos intérêts, nos idées et nos valeurs, en rendant impossible pour nous toute participation à une opération militaire ou de sécurité avec n'importe lequel de nos alliés partageant nos préoccupations ou nos intérêts?

M. Allmand : La réponse est non. Comme je le disais, le traité sur les mines terrestres n'a aucune disposition semblable à l'article 11. Au cours des dernières années, nous avons travaillé aux côtés des Américains en Afghanistan. Nous n'avions pas besoin d'un article 11pour nous permettre de le faire. Je ne vois pas pourquoi nous aurions besoin de cet article 11 qui prévoit que :

L'article 6 n'a pas pour effet d'interdire à la personne visée...

b) de demander expressément l'utilisation... de telles armes...

c) d'utiliser, d'acquérir ou de posséder de telles armes...

Cet article entre totalement en contradiction avec l'article 1 du traité.

Le sénateur Wallin : Je voulais dire — et je veux vraiment insister sur ce point — que les autres pays vont faire comme bon leur semble. Dans à peu près toutes les situations envisageables, nous allons intervenir sous les auspices de l'OTAN ou des Nations Unies, dans le contexte d'une coalition des partenaires pour une même cause ou conjointement avec un autre pays intéressé. Êtes-vous en train de nous dire que nous ne devrions pas agir de la sorte, que nous ne devrions jamais collaborer avec d'autres pays utilisant les armes à sous-munitions de quelque manière et sous quelque forme que ce soit, même si nos intérêts nationaux sont en jeu?

M. Allmand : C'est non.

Le sénateur Wallin : Est-ce que tout le monde est du même avis? Nous ne devrions pas collaborer avec d'autres pays?

M. Allmand : C'est non pour ce qui est de favoriser l'utilisation d'armes à sous-munitions.

Le sénateur Wallin : Je veux dire dans le cadre d'une opération militaire ou de sécurité. Si nous jugeons que l'intérêt national du Canada est en jeu et que nous devons nous défendre contre un ennemi, ou défendre nos valeurs ou nos droits, et que nous participons pour ce faire à une opération militaire avec nos alliés, êtes-vous en train de nous dire qu'il vaudrait mieux que nous demeurions sagement à la maison, plutôt que de prendre part à une telle opération avec des pays qui utilisent encore les armes à sous-munitions?

M. Maresca : Si vous me le permettez.

La présidente : Je vais donner la parole à M. Collins qui a été le premier à indiquer qu'il souhaitait répondre.

M. Collins : La question est un peu tendancieuse, car elle laisse entendre certaines choses. Tout d'abord, la défense de notre souveraineté peut passer par la défense de notre droit de ne pas utiliser d'armes à sous-munitions. Ce serait mon premier argument.

Deuxièmement, le traité que nous avons signé nous permet de collaborer avec des alliés qui ont toujours la possibilité d'utiliser de telles armes. Nous ne disons donc pas que nous ne devons pas coopérer avec des alliés dans une situation semblable. Je dirais qu'il pourrait y avoir mésentente dans un cas où, par exemple, les Américains utiliseraient ces armes dans une bataille à un certain endroit où nous ne sommes présents d'aucune manière, pendant que nous refuserions de le faire ailleurs. C'est peut-être un scénario possible dans le cadre de ce traité. Il faudrait examiner les considérations juridiques, car c'est un scénario difficilement envisageable sous cet aspect.

Je dirais que le Canada ne devrait participer à aucune opération avec un allié qui utilise les armes à sous-munitions, car nous voulons nous servir de notre influence pour les inciter à cesser d'employer ces armes que nous jugeons tous abominables.

La présidente : Monsieur Dorn, si vous voulez répondre brièvement, puis ce sera M. Maresca.

M. Dorn : C'est non pour moi aussi. Nous pouvons encore participer à une opération conjointe avec les États-Unis, qui n'ont pas signé la convention sur les armes à sous-munitions. L'article 21 nous autorise à le faire. Il nous interdit par contre d'utiliser nous-mêmes ces armes dans le cadre d'une telle opération. Le plan d'opération militaire pourrait alors être assorti d'une restriction indiquant que le Canada ne participera pas aux décisions concernant le largage de bombes à sous-munitions. Malheureusement, les dispositions prévues à l'article 11 laissent entendre que les Canadiens peuvent le faire, ce qui contreviendrait selon nous au traité.

M. Maresca : Deux choses. Premièrement, je ne crois pas que l'on puisse dire que c'est tout ou rien dans ce contexte. On serait en droit de s'attendre à ce que le Canada s'acquitte de ses obligations en s'employant à dissuader les utilisateurs, à mobiliser ses partenaires de la coalition et à trouver des solutions de rechange aux armes à sous- munitions, surtout dans le contexte des opérations conjointes.

J'ajouterais que la question des armes à sous-munitions n'est pas la seule qui se pose en matière d'interopérabilité dans les opérations conjointes avec les alliés et les partenaires de la coalition. L'aspect interopérabilité intervient également dans bien d'autres traités. Dans bien des cas, des pays de l'OTAN sont parties à certains traités, alors que leurs partenaires ne le sont pas.

Pour ce qui est du Canada et des États-Unis, je signalerais simplement que le protocole additionnel à la Convention de Genève conclu en 1977 est un document très détaillé qui codifie à bien des égards le droit humanitaire international existant. Le Canada est signataire de ce protocole; les États-Unis ne le sont pas. On y traite de questions tout à fait fondamentales en définissant notamment ce qu'on entend par objectif militaire et attaque sans discrimination. Il y a divergence d'opinions quant à l'interprétation que l'on doit faire de ces termes. Dans certains cas, les infractions à l'encontre de ces dispositions sont considérées comme des crimes de guerre. Il n'y a toutefois pas eu d'impact sur l'interopérabilité entre le Canada et les États-Unis. Les deux pays ont continué de collaborer et de trouver des solutions à leurs divergences d'opinions concernant ces règles tout à fait fondamentales du droit humanitaire international. Je voulais donc faire valoir que la problématique ne se limite pas aux armes à sous-munitions, car le Canada traite de questions semblables avec ses alliés depuis plusieurs années dans une variété de contextes différents.

La présidente : Il semble y avoir deux questions supplémentaires, la mienne et celle du sénateur Smith. Nous essaierons de poser rapidement nos questions, sans doute à MM. Dorn et Collins, et nous vous prions d'y répondre brièvement.

L'article 21 est celui qui offre selon vous une porte de sortie qui fait que les armes à sous-munitions ne sont pas interdites totalement. Il en permet en fait l'utilisation. C'est ce qui a été négocié. C'est le principe même d'une convention; les pays peuvent la signer ou non. Il y a ensuite l'article 11.

L'Australie a adopté une approche différente de celle de la Nouvelle-Zélande qui reconnaît l'article 21, mais laisse à d'autres instances le soin de déterminer ce que peut faire un militaire. À l'article 11 — et je ne connais pas aussi bien le régime australien — on énumère ce qui est acceptable pour que le militaire ne fasse pas l'objet d'accusations.

On établit d'emblée les utilisations acceptables en essayant de limiter l'application. Ainsi, l'article 11 indique la façon dont l'article 21 est interprété en précisant les exceptions. Certains soutiennent que l'on limite ainsi la portée de l'article 21 et que l'approche de la Nouvelle-Zélande suivant laquelle il n'y aura pas d'accusations contre les soldats constitue une exemption générale. Le temps nous dira laquelle de ces deux approches est la plus favorable à l'abolition pleine et entière des armes à sous-munitions.

C'est en quelque sorte le point de vue plus récent des militaires qui ont bien sûr participé à l'élaboration des processus de ratification dans les différents pays.

Voulez-vous poser votre question supplémentaire, sénateur Smith, pour que nos témoins répondent aux deux à la fois?

Le sénateur D. Smith : C'est très simple; je voudrais seulement qu'on me confirme quelque chose. Selon mon interprétation des propos de M. Allmand, le Canada devrait faire la même chose que pour le traité sur les mines terrestres, à savoir renoncer à l'article 11. Comme tout a bien fonctionné avec les mines terrestres, il devrait en être de même maintenant. C'est très simple. Est-ce bien ce que vous nous dites?

M. Allmand : Tout à fait. J'ajouterais que l'article 11 va selon moi beaucoup plus loin que ce qui est prévu en Nouvelle-Zélande. Dans le cadre d'opérations conjointes, il autorise entièrement l'utilisation d'armes à sous-munitions et les ordres donnés à cet effet. À mon avis, cela va à l'encontre du paragraphe 4 de l'article 23 du traité, ainsi que de l'article 1. En fait, la porte est grande ouverte avec l'article 11, ce qui n'est pas nécessaire dans le cas des opérations conjointes. On peut mener de telles opérations sans l'article 11.

M. Dorn : L'article 21 de la Convention sur les armes à sous-munitions n'offre pas de porte de sortie. Il ne permet pas l'utilisation de telles armes. Il précise simplement qu'il est possible de continuer à participer à des opérations conjointes avec des États non signataires. On n'y stipule pas qu'il est possible d'utiliser des armes à sous-munitions dans le cadre de ces opérations. On veut simplement faciliter les choses aux pays qui souhaitent collaborer avec des États n'ayant pas ratifié le traité...

La présidente : Cela permet l'interopérabilité. C'est ce que j'essayais de dire.

M. Dorn : C'est une forme d'interopérabilité.

M. Collins : Selon les avis juridiques obtenus, l'article 21 ne permet pas en lui-même au Canada d'utiliser ces armes dans le cadre d'opérations conjointes ni d'en ordonner l'utilisation. Des critiques font valoir que l'article 1 laisse planer une certaine ambiguïté, mais selon les juristes qui se sont prononcés à la lumière des déclarations des États lors de la rédaction de l'article 21, tout était très clair à ce moment-là.

Certains pays dont le Canada font valoir qu'il y a là une échappatoire nous permettant en fait de contrevenir au traité. Quelque 35 États ont affirmé au moment de la rédaction de l'article en question que l'on ne créerait pas une échappatoire permettant d'enfreindre l'article 1 du traité où l'on retrouve les dispositions d'interdiction.

La Nouvelle-Zélande a sans doute adopté la loi pouvant servir de modèle d'excellence. Cette loi reprend essentiellement ce qui est prévu à l'article 21, ce qui serait acceptable pour le Canada également. On pourrait très bien renoncer totalement à l'article 11 du projet de loi S-10. Il serait suffisant de prévoir des dispositions semblables à celles de la Nouvelle-Zélande. Selon moi, il serait préférable que le Canada convienne de ne participer à aucune activité avec des alliés utilisant des armes à sous-munitions

La présidente : J'essayais de prouver les choses par leur contraire. Si l'on n'essaie pas d'interpréter les choses dans une perspective canadienne, on laisse l'ambiguïté.

M. Collins : Tout à fait. C'est d'ailleurs ce que je voulais laisser entendre tout à l'heure. Le Canada devrait préciser de façon non équivoque que la disposition visant l'interopérabilité ne permettra jamais de collaborer dans l'utilisation d'armes à sous-munitions. Cela devrait être inclus dans le projet de loi S-10.

La présidente : Honorables sénateurs, j'aimerais savoir ce que vous souhaitez faire maintenant. Nous avons dépassé le temps prévu. J'ai un second tour de questions avec les sénateurs Hubley et Fortin-Duplessis. Il faudrait que vous soyez extrêmement brefs, sans quoi nous devrons consacrer moins de temps à nos témoins suivants.

Le sénateur Hubley : Je viens de relire l'article 1. Il est très explicite, et cela ne nous fera pas de tort de l'entendre de nouveau :

Chaque État partie s'engage à ne jamais, en aucune circonstance :

a) employer d'armes à sous-munitions;

b) mettre au point, produire, acquérir de quelque autre manière, stocker, conserver ou transférer à quiconque, directement ou indirectement, des armes à sous-munitions;

c) assister, encourager ou inciter quiconque à s'engager dans toute activité interdite à un État partie en vertu de la présente Convention.

C'est ce que le Canada a signé.

Nous avons effectivement une disposition permettant l'interopérabilité, mais je crois que nous devons nous montrer très prudents dans son interprétation. J'aimerais vous remercier, mais je ne veux pas prendre trop de temps.

La présidente : Très bien. Je considère qu'il s'agit d'une déclaration, plutôt que d'une question.

Le sénateur Hubley : D'accord.

La présidente : Je crois que nous pourrons en reparler lors de notre examen du projet de loi.

Sénateur Fortin-Duplessis, puis-je passer au prochain groupe de témoins?

Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question est brève, mais il est possible que la réponse soit longue.

La présidente : Peut-être pouvez-vous la poser et je demanderai à nos témoins, si la réponse est effectivement trop longue, de nous la transmettre par écrit.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : La question s'adresse à n'importe lequel de nos témoins. Connaissez-vous les lois de mise en œuvre d'autres pays du common law et leur approche sur l'extraterritorialité? Et comment les lois des autres pays se comparent-elles au projet de loi S-10 à ce sujet?

[Traduction]

M. Collins : Je ne connais pas en détail les positions des autres pays de droit commun.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je parle de ceux qui ont déjà ratifié.

[Traduction]

M. Collins : Oui. Je pourrais dire que cinq pays, dont le Canada, entretiennent des doutes dans leur interprétation de l'article 21. Les quatre autres pays sont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Japon et l'Australie. Il y a d'autre part 35 États, y compris la Nouvelle-Zélande, qui sont tout à fait convaincus de la pertinence de cet article.

M. Maresca : Je pourrais peut-être vous répondre brièvement quant à la question de l'application extraterritoriale. Pour autant que je sache, et je ne crois pas faire erreur, tous les États parties ayant une tradition de common law appliquent leurs lois à leurs ressortissants à l'étranger. Ainsi, les simples citoyens comme les membres des forces armées sont assujettis aux lois de leur pays lorsqu'ils séjournent à l'étranger.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.

La présidente : Un grand merci à tous pour votre présence. Je crois que vous nous avez aidés à y voir plus clair dans le débat concernant le projet de loi S-10. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir fait part de votre point de vue et de vos suggestions concernant son interprétation. Nous en tiendrons compte dans la poursuite de notre étude.

Honorables sénateurs, pour la seconde partie de notre séance, nous accueillons par vidéoconférence Mme Tamar Gabelnick, directrice des politiques pour la Coalition contre les armes à sous-munitions; et ici même, représentant Action Mines Canada, M. Paul Hannon, directeur général et Mme Erin Hunt, agente de programme. Nous recevons aussi M. Ken Epps, agent de projet principal, Project Ploughshares.

Nous commençons un peu en retard, alors avant de céder la parole à Mme Gabelnick, je demanderai aux témoins de s'en tenir à de brèves observations préliminaires, afin de laisser assez de temps pour les interactions avec les sénateurs durant la période des questions et réponses.

[Français]

Tamar Gabelnick, directrice des politiques, Coalition contre les armes à sous-munitions : Merci, madame la présidente. La Coalition contre les armes à sous-munitions remercie ce comité pour l'occasion de présenter nos commentaires sur le projet de loi S-10.

La Coalition contre les armes à sous-munitions regroupe les membres de la société civile internationale qui œuvrent dans une centaine de pays, y compris le Canada, pour l'éradication des armes à sous-munitions. La Coalition contre les armes à sous-munitions et la campagne internationale pour interdire des mines antipersonnel, ont travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement canadien depuis de nombreuses années sur les questions du désarmement humanitaire. Le leadership du Canada dans la Convention de Doha est mondialement reconnu. Maintenant, le monde compte sur le Canada pour jouer un rôle aussi important pour la Convention sur les armes à sous-munitions.

[Traduction]

Nous sommes aujourd'hui ravis de voir le Canada se rapprocher du statut d'État partie. Toutefois, la CMC est profondément préoccupée par certains éléments du projet de loi S-10, que nous jugeons contraire à la lettre et au but de la Convention, et nous exhortons le Sénat à les modifier.

La CMC reconnaît que la relation étroite qu'entretient le Canada avec les États-Unis requiert la participation régulière à des exercices et à des opérations militaires avec un État non partie. En effet, l'article 21 de la convention a été inclus pour rendre possible ce genre de coopération militaire. En même temps, selon nous et selon la vaste majorité des États qui se sont prononcés sur le sujet, l'article 21 ne constitue pas une exception à l'interdiction de porter assistance stipulée à l'article 1, qui s'applique en toutes circonstances.

Selon nous, le paragraphe 21(3) vise à clarifier qu'une simple participation à des opérations conjointes est autorisée et que l'État partie n'est pas légalement responsable des activités entreprises par un État non partie au cours de telles opérations. Ce n'est pas une autorisation de prêter assistance à ces activités.

L'article 11 du projet de loi S-10 laisse entendre, toutefois, que le paragraphe 21(3) permet une telle exception. Un tel raisonnement est erroné pour deux raisons principales.

Premièrement, selon la Convention de Vienne sur le droit des traités, un article doit être interprété en fonction de l'objet et du but de la convention, à savoir mettre fin à l'utilisation d'armes à sous-munitions et à faire cesser les souffrances causées par l'emploi de telles armes.

Deuxièmement, les paragraphes 1 et 2 de l'article 21 obligent les États parties à promouvoir la norme de la convention et à décourager les États non parties d'utiliser des armes à sous-munitions. Il serait donc incohérent et illogique que le même article exige que de tels efforts mettent fin à l'utilisation, tout en autorisant qu'on prête assistance.

L'alinéa 11(1)c) du projet de loi S-10 va plus loin en permettant expressément aux Canadiens d'utiliser, d'acquérir, de transférer ou de posséder des armes à sous-munitions lorsqu'ils sont détachés auprès des forces armées d'un autre État. Cette disposition semble permettre une violation directe de l'article 1 de la convention. Elle semble également aller à l'encontre du paragraphe 21(4), qui rappelle que rien dans l'article ne peut autoriser un État partie à acquérir, à transférer ou à utiliser lui-même des armes à sous-munitions. Cela soulève aussi la question suivante : le Canada interdit-il, oui ou non, l'utilisation des armes à sous-munitions?

Nous comprenons certes le besoin de protéger les soldats canadiens d'éventuelles poursuites s'ils utilisent par inadvertance des armes à sous-munitions, comme dans le cas des mines antipersonnel, mais plusieurs États ayant adopté la même exigence n'ont pas de lois qui prévoient des exceptions aussi larges et détaillées. D'ailleurs, nous pourrions encourager le Canada à examiner, entre autres, les lois de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège ou même celles du Canada pour mettre en œuvre la convention d'Ottawa.

Par ailleurs, l'article 11 semble insinuer que les alliés du Canada continueront d'utiliser des armes à sous-minutions, mais l'utilisation future n'est plus une certitude en raison de la stigmatisation internationale qui existe maintenant contre une telle utilisation. Depuis 2006, seule une poignée d'États ont utilisé des armes à sous-munitions, et chaque occasion a soulevé un tollé international. Les États-Unis eux-mêmes ont critiqué l'utilisation d'armes à sous-munitions en Lybie en 2011, et ils semblent s'éloigner de l'utilisation d'armes à sous-munitions, surtout dans le contexte des opérations conjointes.

Nous craignons que le projet de loi S-10 risque de porter atteinte à la stigmatisation établie, qui est essentielle non seulement pour la prévention de l'utilisation future, mais aussi pour l'universalisation de la convention. Si des États non parties à la convention constatent que la stigmatisation prend de l'ampleur à toutes les occasions possibles, ils se rendront compte que l'utilisation future n'est pas politiquement faisable et n'auront aucune raison de ne pas souscrire à la convention. Par contre, si les États parties continuent de faciliter l'utilisation des armes à sous-munitions, la stigmatisation sera moins évidente, et il y aura moins de motivation à adhérer à la convention.

En conclusion, nous aimerions souligner que l'intérêt que porte la CMC au projet de loi S-10 n'est pas théorique ni légaliste. Il s'agit d'empêcher que des gens subissent des dommages réels. Nous sommes personnellement au courant des effets terribles, d'après ce que nous racontent nos membres sur le terrain et nos organisateurs de campagne. Mentionnons, entre autres, le cas d'un individu qui a perdu ses deux mains, ses deux jambes et une bonne partie de son ouïe lors d'une opération de déminage en Serbie; une personne dont le fils, un soldat américain, a trouvé la mort en déminant des armes à sous-munitions en Irak; une personne qui a perdu une partie de son bras à l'âge de huit ans à cause d'armes à sous- munitions; et un homme dont le fils, qui venait d'avoir cinq ans, a été tué au Liban. Les armes à sous-munitions infligent, sur le coup, des souffrances réelles et horriblement douloureuses qui durent pendant plusieurs décennies. La convention a été créée justement pour prévenir de tels dommages, et c'est ce que nous voulons que la loi canadienne renforce sans équivoque.

Nous vous demandons une fois de plus de réviser le projet de loi S-10, et nous avons hâte de poursuivre notre partenariat étroit avec le Canada lorsqu'il deviendra un État partie.

Paul Hannon, directeur général, Actions Mines Canada : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l'occasion de comparaître devant le comité aujourd'hui. J'espère que vous serez soulagés d'apprendre que je ne parlerai pas uniquement de l'article 11. Je m'attarderai sur d'autres points aussi.

Je suis le directeur général d'Actions Mines Canada et je travaille sur le dossier des armes à sous-munitions depuis 1999. J'ai vu la souffrance humaine causée par ce type d'armes et j'ai vu comment la communauté internationale a uni ses forces pour établir un équilibre entre les préoccupations d'ordre humanitaire et le besoin de sécurité dans le cadre du processus d'Oslo, qui a débouché sur la Convention sur les armes à sous-munitions. À titre de membre d'une équipe de négociation de la société civile, j'ai été ravi d'apprendre que le Canada se joignait aux 105 États parties à la convention. En tant que Canadien, j'étais très fier de constater que le Canada figurait parmi les premiers pays à signer la convention en 2008. Comme je l'ai dit, je travaille sur ce dossier depuis 1999, et le fait de voir notre ambassadeur signer le traité a été un des points forts de ma carrière.

Le Canada avait déjà fait preuve de leadership dans le cadre du traité d'Ottawa et du dossier des mines terrestres. Aussi, nous avons été heureux de constater que le Canada démontrait le même leadership et la même sagesse tout au long du processus d'Oslo. Le gouvernement du Canada mérite d'être félicité pour son rôle dans l'élaboration d'une définition rigoureuse des armes à sous-munitions et d'une définition large et innovatrice du mot « victime ». Par ailleurs, le Canada a commencé la destruction de ses stocks avant même de ratifier la convention et, une fois de plus, notre pays a montré la voie à suivre en étant le premier État à soumettre volontairement un rapport de transparence annuel aux termes de l'article 7. Bref, le leadership dont a fait preuve le Canada jusqu'ici mérite d'être félicité, chose que j'ai faite à maintes reprises.

Toutefois, le projet de loi dont nous sommes saisis risque d'entacher cet excellent bilan. Voilà pourquoi nous avons un certain nombre de réserves. Nous accueillons favorablement les sanctions pénales prévues dans le projet de loi S-10, car elles nous aident à remplir nos obligations en vertu de l'article 9 de la convention, mais il y a quatre points qui nous préoccupent.

Premièrement, certains aspects de l'article 21 de la convention ne sont pas abordés dans le projet de loi S-10. Certains appellent cette disposition l'article de l'interopérabilité, mais je préfère l'appeler l'article de l'universalisation. En vertu de l'article 21, le Canada a des obligations positives qui consistent à aider à universaliser la convention et à décourager l'utilisation d'armes à sous-munitions. Or, le projet de loi reste muet là-dessus. Il est nécessaire de faire mention des obligations positives d'informer nos alliés de nos responsabilités aux termes de la convention et de décourager l'utilisation de ces armes. Le projet de loi doit tenir compte de toutes les obligations que nous nous sommes engagés à remplir en signant le traité.

Deuxièmement, le projet de loi S-10 ne dit rien sur les investissements, le transfert et le stockage pour des entités étrangères. On convient que l'investissement dans les producteurs d'armes à sous-munitions est considéré comme une forme d'assistance et qu'une telle activité est, par conséquent, interdite, mais le projet de loi doit clarifier davantage cette interdiction. Nous avons rencontré toutes les grandes institutions financières du Canada et, bien que celles-ci soient en faveur du désinvestissement, le processus serait plus facile si le gouvernement l'indiquait clairement sous la forme d'une mesure législative. Le projet de loi aurait également du mordant s'il prévoyait une interdiction du transfert des armes à sous-munitions sur le territoire canadien. Enfin, même si cette question peut relever de l'interdiction de posséder des armes à sous-munitions, nous aimerions que le projet de loi interdise explicitement le stockage des armes à sous-munitions appartenant à des entités étrangères sur le territoire canadien, même dans le cadre d'opérations conjointes. En incluant des dispositions sur le désinvestissement, le transfert et le stockage pour des entités étrangères, le Canada pourrait ainsi atteindre son objectif de mettre fin à la souffrance causée par les armes à sous-munitions.

Troisièmement, le projet de loi ne fait aucune mention des dispositions de la convention relatives à la coopération et à l'assistance aux victimes. Je suis convaincu que le Canada collaborera à l'échelle internationale pour appuyer la sensibilisation aux risques, la dépollution et la destruction des stocks et pour aider les victimes d'armes à sous- munitions, mais j'estime qu'il serait utile d'inscrire, dans le projet de loi, les mandats des organismes gouvernementaux comme l'ACDI et le MAECI. Cela facilitera et précisera davantage leur travail.

Enfin, les dispositions en matière d'interopérabilité prévues dans le projet de loi S-10 nous préoccupent énormément. Avant d'en discuter, j'aimerais clarifier certaines des observations qui ont été faites précédemment au sujet de l'interopérabilité. Le traité d'Ottawa ne comporte pas de dispositions sur l'interopérabilité et, pourtant, cela n'a jamais empêché le Canada de travailler avec ses plus proches alliés qui n'ont pas encore adhéré au traité. De plus, la signature de la convention par le Canada n'a pas empêché nos militaires d'assumer des rôles de premier plan dans des opérations conjointes, notamment en Afghanistan et en Libye. Je suis très conscient de la complexité des conflits, de la coopération militaire et des opérations conjointes, mais je tiens à rappeler aux sénateurs que nous sommes ici pour discuter d'une mesure législative qui vise à interdire totalement l'utilisation d'une arme qui a infligé des dommages horribles à des personnes et à des communautés dans 24 pays et dans trois autres zones, à la fois au moment de son emploi et des décennies après la fin du conflit. Le but de la convention est très clair :

[...] faire définitivement cesser les souffrances et les pertes en vies humaines causées par l'utilisation des armes à sous-munitions au moment de leur emploi, lorsqu'elles ne fonctionnent pas comme prévu ou lorsqu'elles sont abandonnées [...].

Action Mines Canada a de sérieuses réserves au sujet de l'article 11 du projet de loi S-10. En essence, nous estimons que les défenses prévues à l'article 11 vont à l'encontre de l'objet et du but du traité. Nous n'approuvons pas l'interprétation de l'article 21 de la convention aux termes de l'article 11 du projet de loi. Actions Mines Canada, ses membres et bon nombre de ses collègues partout dans le monde ne croient pas que l'article 21 de la convention permet aux États de se soustraire à leurs obligations de ne jamais, en aucune circonstance, porter assistance dans toute activité interdite à l'article 1 de la convention. Même si 35 États, dont bon nombre de nos alliés de l'OTAN et de la FIAS, conviennent que l'interdiction de porter assistance s'applique même aux opérations jointes, le Canada semble adopter la position contraire.

Les détachements et les échanges représentent une question particulière à laquelle la plupart de nos alliés doivent faire face. Certains ont dit que les exceptions prévues dans le projet de loi S-10 sont nécessaires pour faire face à la réalité à laquelle le personnel des Forces canadiennes est confronté.

Toutefois, étant donné que la plupart des États parties à la convention sont membres de l'OTAN et de nos autres alliances, et compte tenu du taux de ratification, nous jugeons que la réalité est telle que l'interdiction des armes à sous- munitions constitue la nouvelle norme. Dans cette nouvelle réalité, nos alliés qui ne sont pas encore parties à la convention sont bien au fait de nos obligations et de nos responsabilités de ne pas utiliser des armes à sous-munitions ou de ne pas aider à leur utilisation. Ils savent que le Canada a interdit les armes à sous-munitions et que cette interdiction s'applique à tous nos militaires.

Nous sous-estimons nos alliés si nous pensons qu'ils ne sont pas au courant des dispositions de la convention et qu'ils ne sont pas en mesure de s'adapter à la nouvelle norme. Il y a 15 ans, grâce au leadership canadien, la nouvelle norme consistait à interdire les mines terrestres. Les alliés non parties au traité d'Ottawa se sont adaptés à la nouvelle norme, et je suis convaincu qu'ils le feront dans ce cas-ci.

Selon le libellé actuel du projet de loi, les défenses et les échappatoires prévues à l'article 11 présentent un danger pour le traité. Cette disposition nuit à l'interdiction de porter assistance puisqu'elle prévoit d'énormes échappatoires, au lieu de rétrécir le libellé afin d'assurer la clarté requise selon la norme du droit pénal canadien. Si le Canada ratifie la convention en adoptant le projet dans sa forme actuelle, il sera beaucoup plus difficile de convaincre d'autres États à nous emboîter le pas.

Pour ceux qui le lisent à l'extérieur du Canada, ce projet de loi, tel qu'il est rédigé, donne l'impression que le Canada essaie de gagner sur tous les plans : il veut être perçu comme un chef de file dans le domaine humanitaire en bannissant les armes à sous-munitions, tout en tolérant leur utilisation par les États qui ne sont pas signataires de la convention.

Le ministre Baird s'est adressé au comité il y a deux semaines concernant l'art du possible. Nous vivons tous les jours dans l'art du possible. Pendant des années, on nous a répété qu'il était impossible de bannir les mines terrestres et ensuite, on a nous a dit qu'il était impossible de bannir les armes à sous-munitions, mais nous avons tous prouvé que c'était tout à fait possible.

La Convention sur les armes à sous-munitions nous a montré qu'il est possible de mettre en balance les questions de sécurité et les questions humanitaires et d'en arriver à une interdiction complète des armes à sous-munitions. C'est la convention même qui permet cet équilibre. Nul n'est besoin pour le Canada de chercher à trouver un équilibre dans nos lois alors qu'il existe déjà. Aujourd'hui, il est possible de veiller à ce que le Canada joue un rôle de premier plan et se tienne du côté des victimes des armes à sous-munitions pour dire « plus jamais » en modifiant la loi pour en combler les lacunes et montrer que nous étions sincères à Dublin lorsque nous avons approuvé un libellé qui vise « à faire définitivement cesser les souffrances et les pertes en vies humaines causées par l'utilisation des armes à sous-munitions au moment de leur emploi, lorsqu'elles ne fonctionnent pas comme prévu ou lorsqu'elles sont abandonnées ».

Notre mémoire écrit, que nous déposerons dans la journée, contient un supplément d'informations et de formulations, le cas échéant, et nous serions heureux de répondre à toute question. Merci de votre attention.

La présidente : Merci, monsieur Hannon.

Je présume, madame Hunt, que vous êtes ici pour seconder M. Hannon pendant la période des questions.

Erin Hunt, agente de programmes, Action Mines Canada : Oui.

La présidente : La parole est maintenant à M. Ken Epps.

Ken Epps, agent principal de projet, Project Ploughshares : Merci au comité permanent de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je représente Project Ploughshares, organisme de paix œcuménique du Conseil canadien des Églises. Je suis, entre autres, responsable de la recherche et de l'élaboration des politiques sur les questions concernant les armes conventionnelles, dont les traités sur le désarmement comme les conventions sur les mines terrestres et les armes à sous- munitions et les traités sur le contrôle des armements, comme le futur traité international sur le commerce des armes.

Depuis 1987, Project Ploughshares a publié un rapport annuel sur les conflits armés dans le monde entier. Lorsque l'on fait le suivi des guerres qui ont été menées sur une période de 25 ans, l'on remarque une tendance dans les conflits armés récents qui se rapporte aux délibérations du comité concernant le projet de loi S-10. Ce qui ressort le plus, c'est que, aujourd'hui, la quasi-totalité des conflits dans le monde sont intra et non interétatiques, comme c'est actuellement le cas en Syrie. Si bien des conflits armés ont des dimensions internationales, par exemple la FIAS en Afghanistan, il n'y a pas, en ce moment, de conflits entre États.

Nous constatons aussi que le nombre de conflits armés a généralement baissé au cours des 15 dernières années, passant de 44 conflits en 1994 à 24 conflits en 2010. C'est, bien entendu, une tendance réjouissante qui montre que la communauté internationale a accru sa capacité de mettre fin aux conflits et d'éviter qu'ils ne se reproduisent. Ensemble, ces deux tendances — la nouvelle nature des guerres et la diminution du nombre de conflits — nous permettent de réfléchir aux doctrines et aux outils de guerre traditionnels et de les modifier.

Malgré la baisse frappante du nombre de conflits, les conséquences disproportionnées des conflits armés interétatiques sur les civils sont toujours les mêmes. Chaque année dans le monde, des dizaines, voire des centaines, de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sont tués, blessés ou déplacés à cause de conflits armés; c'est un fait particulièrement important lorsque l'on examine les armes à sous-munitions au lendemain d'un conflit armé.

Les conséquences dévastatrices des armes à sous-munitions sur les civils pendant les conflits et bien après est la principale raison d'adopter et de pleinement mettre en œuvre des traités humanitaires de désarmement comme la Convention sur les armes à sous-munitions.

L'on comprend que les dirigeants militaires peuvent faire valoir certains systèmes d'armes et arrangements qu'ils estiment nécessaires pour entraîner ou protéger leurs troupes ou atteindre d'autres objectifs militaires. Comme des témoins précédents vous l'ont signalé, le ministère de la Défense nationale est favorable au projet de loi S-10 et à son article 11 en partie parce qu'il veut garder le statu quo s'agissant de l'entraînement et de l'interopérabilité avec certains alliés. Cependant, il revient aux dirigeants politiques d'avoir une vision plus globale de la situation. Il leur faut aussi tenir compte de la gamme complète d'obligations humanitaires internationales que le Canada a acceptées. Dans ce cas, l'obligation de prévenir l'utilisation d'armes à sous-munitions pour protéger les civils doit être primordiale.

Nous invitons les membres du comité à avoir cette vision plus globale. Nous nous préoccupons du fait que le projet de loi S-10, et notamment l'article 11, contient des lacunes et crée une incertitude qui minerait l'esprit et l'objectif de l'engagement du Canada à mettre en œuvre la Convention. Nous demandons au comité de tenir compte de la nouvelle nature des conflits modernes et de reconnaître ses conséquences disproportionnées sur les civils, en particulier celles des armes à sous-munitions. Nous vous demandons de faire preuve de leadership politique et d'esprit novateur pour modifier le projet de loi S-10 afin de permettre aux forces armées canadiennes de maintenir leur interopérabilité avec les alliés tout en veillant à ce que le Canada applique pleinement la Convention.

Par le truchement du projet de loi S-10, le Canada peut faire preuve d'un leadership qui porte fruits. En renforçant l'interdiction totale d'utiliser des armes à sous-munitions, le projet de loi S-10 révisé rehaussera la sécurité civile et sauvera des vies et des membres dans le monde entier.

Merci de votre attention.

La présidente : Merci, monsieur Epps.

Le sénateur Hubley : Bienvenue à tous. Il s'agit vraiment d'une question importante.

Je tiens à vous remercier, monsieur Hannon, d'avoir soulevé d'autres points que nous devrions probablement étudier aussi, même si l'article 11 nous captive tous.

Le projet de loi S-10 permet-il le stockage ou le maintien d'armes à sous-munitions sur le territoire canadien en toutes circonstances? J'aimerais faire un suivi. Cette question extraterritoriale s'y trouverait aussi. S'appliquerait-elle aussi aux ressortissants canadiens et aux résidents permanents à l'étranger qui travaillent peut-être pour des entreprises privées? Avez-vous un commentaire à formuler?

M. Hannon : Dans notre mémoire, nous avons suggéré que l'on fasse des ajouts au libellé du projet de loi S-10 pour refléter l'obligation du Canada de détruire ses stocks. Nous savons qu'il a déjà commencé à le faire, qu'une demande de propositions a été présentée, ou du moins une demande de déclarations d'intérêt, et que le processus est bien avancé. Nous pensons que le Canada peut détruire ses stocks bien avant la date limite et qu'il le fera. Nous nous en réjouissons, c'est clair, et nous voudrions bien sûr privilégier ce type d'approche ambitieuse dans notre projet de loi et montrer que nous sommes vraiment sincères.

Nous avons entendu dire, non seulement au comité mais ailleurs, que pour l'instant, le Canada n'a pas l'intention de conserver d'armes à sous-munitions aux fins d'entraînement ou de recherche. Nous nous en réjouissons aussi, car la plupart des organisations humanitaires qui font du déminage n'utilisent pas de munitions réelles dans les entraînements. Elles n'estiment pas que cela soit nécessaire. Nous en sommes aussi satisfaits.

Nous pensons toutefois qu'il est important que le projet de loi S-10 précise que le stockage étranger sur le territoire canadien, qu'il s'agisse de notre territoire souverain ou de territoire que nous détenons pendant un conflit, devrait être interdit. Nous croyons que cela cadre avec l'article 1 et tous les éléments relatifs à l'aide, et nous aimerions que cela soit énoncé expressément pour éviter toute ambiguïté quant à notre position.

Chaque munition détruite est une munition qui ne détruira pas de vie ou de membre. Cela fait partie des éléments préventifs et des objectifs humanitaires du traité et de tous les efforts que sa rédaction a nécessités. Nous aimerions que le libellé contienne des précisions à cet égard.

Le sénateur Hubley : J'aimerais aussi que vous nous disiez si le projet de loi S-10 permet aux Forces canadiennes de transporter sur le territoire canadien des armes à sous-munitions appartenant à des États qui n'ont pas signé la convention.

M. Hannon : Nous croyons comprendre qu'il ne dit pas grand-chose sur ce point. Nous croyons qu'un Canadien ne devrait participer à l'utilisation, à la production ou au transfert des armes à sous-munitions à aucun moment, à aucun endroit, pour aucune raison et pour personne. Nous devons faire en sorte que cela soit parfaitement clair. Le traité que le présent projet de loi vise à mettre en œuvre est une interdiction globale qui a pour but de mettre fin à l'utilisation de ces armes à tout jamais. Nous y arriverons seulement en faisant en sorte que personne n'en détienne ou n'ait l'occasion d'en utiliser et nous exprimons clairement nos valeurs aux autres. Nous estimons qu'ils les respecteront.

Le sénateur Hubley : Y a-t-il d'autres mesures que le Canada devrait prendre pour respecter les obligations positives de la convention? Elles pourraient se rapporter à la destruction — et nous avons entendu dire qu'elle a commencé — et à l'enlèvement des armes à sous-munitions. Y a-t-il des aspects éducatifs auxquels le Canada devrait participer s'agissant de la sensibilisation aux risques, et bien entendu des plans d'aide aux victimes en ce qui touche l'obligation du Canada de faire rapport au titre de la convention? Avez-vous des commentaires à formuler sur ces points?

M. Hannon : J'en ai. Comme je l'ai dit pendant mes remarques liminaires, jusqu'à présent, le Canada a fait preuve d'un leadership remarquable pour ce qui est de présenter des rapports annuels. Nous croyons que cela devrait être noté dans le projet de loi. C'est une obligation à laquelle nous nous conformons sans peine. Le personnel change, les gouvernements changent, mais si c'est inscrit dans la loi, il est clair pour tout le monde que nous devons maintenir ces normes d'excellence à l'avenir.

Pour ce qui est de l'aide aux victimes, de la destruction et de l'enlèvement des stocks, nous croyons qu'il serait utile de mentionner les deux ministères et organismes qui seraient normalement concernés — les Affaires étrangères et l'ACDI — dans le projet de loi pour qu'ils comprennent qu'ils ont pour mandat clair d'appuyer ce point. Ils le font déjà de diverses façons, mais j'estime que le MAECI le fait beaucoup plus que l'ACDI, et j'aimerais que l'ACDI en fasse davantage. Nous les voyons comme des obstacles fatals au développement et nous estimons qu'il est tout à fait naturel qu'ils fassent partie du mandat de l'ACDI. Encore une fois, les gouvernements changent, les responsables changent, les hauts fonctionnaires changent et les ministres aussi. Si c'est inscrit dans la loi, c'est clair; c'est une obligation que nous comprenons et que nous sommes résolus à respecter.

Le sénateur Hubley : J'ai une autre petite question qui pourrait faire en sorte que je ne puisse pas participer à la deuxième ronde. J'aimerais connaître l'opinion de Mme Gabelnick et celle de M. Hannon.

Les troisièmes réunions des États parties se sont tenues à Oslo le mois dernier. Qu'est-ce que les autres pays ont dit du projet de loi S-10 et de la loi de ratification des Canadiens, s'il y a lieu?

Mme Gabelnick : Un certain nombre de pays ont mentionné explicitement le Canada ou l'Australie, mais on pouvait clairement deviner ce qu'ils voulaient dire, et il y avait aussi le CICR et les représentants des Nations Unies, la Norvège et l'Autriche, je crois. Ils s'inquiétaient tous que la loi de mise en œuvre nationale ne soit pas conforme à la lettre et à l'esprit de la Convention sur les armes à sous-munitions. Le fait qu'ils l'aient dit tout haut était assez éloquent. D'habitude, les États ne s'ingèrent pas dans les questions nationales d'autres pays, comme leurs lois. Le message était assez éloquent, et il était clair qu'il visait l'Australie, qui vient tout juste d'adopter sa loi, et le Canada, qui, nous l'espérons, a encore le temps d'apporter des amendements à son projet de loi.

M. Hannon : Oui. En plus, des représentants de divers pays sont venus vers moi et m'ont dit : « Vous devez être heureux que la Norvège et d'autres pays se disent préoccupés du projet de loi canadien ». J'ai dû répondre honnêtement : « En fait, je ne le suis pas, car je préférerais que nous ne parlions pas des lois nationales canadiennes ». Je veux corriger ce projet de loi. Je crois que nous pouvons le faire et arriver aux résultats que nous visons.

Pour nous, il est clair que le Canada n'a pas l'intention d'utiliser ces armes. Voici ce que nous devons faire : il faut s'assurer que nos lois vont en ce sens, qu'elles protègent les membres des Forces canadiennes qui pourraient participer à une opération interarmées aux côtés des forces d'un État qui n'est peut-être pas d'accord avec cette position; il faut s'assurer qu'il est clairement établi que nous ne pouvons pas les aider à les utiliser parce que nous croyons qu'il s'agit d'une arme d'emploi aveugle qui doit être interdite. Alors, nous pouvons améliorer le projet de loi et continuer à être un chef de file — un rôle que tous s'attendent de nous — et redevenir le chef de file que nous avons été.

Beaucoup de préoccupations ont été soulevées, tant directement que lors d'assemblées plénières. Maintenant que le projet de loi est public, les gens constatent que ce qu'ils croyaient que le Canada allait faire ne correspond pas vraiment à ce que dit la mesure législative. En général, ceux qui l'ont lu et étudié sont plutôt surpris et stupéfaits.

La présidente : Monsieur Hannon, êtes-vous d'avis que l'article 11 ne devrait pas être dans le projet de loi, ou dites-vous que l'on devrait en revoir ou en modifier certaines parties?

M. Hannon : Je pense que la mesure législative actuelle relative à la convention sur les mines, la Convention d'Ottawa, nous offre un modèle sur la façon de traiter de la question de l'interopérabilité. Elle comporte un article sur l'interopérabilité que l'on pourrait facilement intégrer dans cette mesure législative, à mon avis. Il y a sans doute des pays qui ont réglé la question différemment. La Clinique internationale de défense des droits humains de la Faculté de droit de Harvard et Human Rights Watch ont présenté des suggestions; je crois que le CICR a fait des recommandations écrites au sujet du libellé. Je pense qu'il y a beaucoup de façons de régler la question.

La présidente : Je comprends, mais ce n'était pas très clair. Dites-vous que l'article 11 devrait être retiré du projet de loi? Est-ce votre avis?

M. Hannon : En raison du libellé actuel de l'article 11, on laisse entendre que nous pourrions souscrire à leur utilisation ou même que nous pourrions les utiliser nous-mêmes. Personnellement, je ne crois pas que cela ait été l'intention, mais c'est ainsi que les gens le perçoivent. S'il peut être réécrit afin d'établir clairement qu'aucun Canadien ne sera associé à l'utilisation de cette arme ou n'en facilitera l'utilisation, alors c'est très bien. Cependant, si cela ne peut être fait, vous devriez peut-être simplement le retirer.

La présidente : Vous les comparez aux mines terrestres alors qu'en fait, les armes à sous-munitions — aussi dangereuses soient-elles — sont utilisées d'une toute autre façon. Or, dites-vous que le traité devrait être identique, même s'il pourrait s'agir d'une arme différente?

M. Hannon : Les deux armes sont interdites pour la même raison. Ce sont des armes à emploi aveugle qui ont des conséquences inhumaines.

La présidente : Toutefois, les militaires les utilisent différemment dans le cadre de leurs opérations. Une mine terrestre, ce n'est pas la même chose qu'une arme à sous-munitions, mais leur effet meurtrier est le même, cependant.

M. Hannon : Je ne suis pas forcément d'accord avec cette affirmation. Ce sont des mines à dispersion qui peuvent être déployées par les forces aériennes, l'artillerie et les soldats eux-mêmes. Les armes à sous-munitions ne peuvent pas être déployées par les soldats, mais elles peuvent être lancées par l'artillerie et les forces aériennes. Elles sont habituellement considérées comme des armes plus perfectionnées, mais je pense que ce perfectionnement a été remis en question parce qu'en réalité, ce sont les civils et non les militaires qui sont tués et blessés par cette arme. À ce jour — et j'ai assisté à de nombreux forums —, personne n'a pu faire valoir que dans ce conflit, les armes sous munitions sont absolument essentielles à l'obtention de résultats.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. Et, à nos quatre témoins, il nous a fait plaisir d'entendre vos rapports et d'entendre ce que vous aviez à dire sur le sujet.

Alors la plus terrible épreuve que mon mari et moi avons eu à vivre depuis que nous sommes mariés, c'est quand notre fils Claude a sauté sur une mine antipersonnelle et que la jambe est partie dans les airs, et cetera. Je ne devrais pas vous en parler car cela m'émeut énormément. Vous comprendrez que je suis extrêmement sensible et souhaite l'éradication de toutes les mines antipersonnelles qu'il y a dans le monde ainsi que les armes à sous-munitions.

Ma première question est la suivante : à votre connaissance, quand l'interdiction des armes à sous-munitions est-elle devenue une priorité pour certains pays et certaines organisations non gouvernementales? Vous ne savez pas? Pour vos organismes, quand avez-vous commencé à vous préoccuper de ça? J'imagine que c'est à la fondation.

[Traduction]

M. Hannon : L'organisme que je représente est une coalition d'ONG canadienne. Il a été créé en 1994 lorsque d'autres ONG se sont réunies et ont créé la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres. À l'époque, je travaillais chez Oxfam. Comme nos collègues d'Oxfam du Québec, des États-Unis, de Grande-Bretagne et d'ailleurs, nous pouvions constater que cela avait une grande incidence sur notre travail dans certains pays. Des gens étaient tués ou blessés par des mines terrestres. Ils ne pouvaient pas se rendre dans les champs, à l'école, l'église ou les hôpitaux.

J'ai décidé de jouer un rôle après m'être retrouvé par inadvertance dans un champ de mines au Rwanda. À mon retour, j'ai joint les rangs d'Action Mines Canada.

Au sein de l'organisme, nous avions le sentiment de devoir régler ce problème. Au fil des décennies, on a maintes fois tenté de réglementer ou de contrôler l'utilisation des mines terrestres. Tout le monde a conclu que la seule façon de régler le problème, c'était d'interdire cette arme. Nous étions du même avis.

Nos préoccupations remontent au conflit dans les Balkans, en 1999. En 2001, nous avons décidé d'agir dans le dossier relatif à cette arme. Nous sommes allés à Genève où nous avons participé aux discussions entourant la Convention sur certaines armes classiques, avec d'autres ONG. Nous avons dit qu'une nouvelle loi internationale portant sur cette arme était nécessaire, car lorsqu'elle ne fonctionne pas — comme cela se produit — cela crée en fait des champs de mines, ce qui empêche les gens de vaquer à leurs activités quotidiennes.

Grâce à ce travail, tout au long de la décennie, nous avons manifestement conclu que la seule façon de régler ce problème était de demander une interdiction complète. On ne peut utiliser cette arme de façon responsable; par sa nature, c'est une arme d'emploi aveugle qui a des effets inhumains. Le meilleur moyen d'empêcher cela, c'est de mettre en place une interdiction complète, une loi fédérale rigoureuse et une stratégie d'application claire.

Comme nous l'avons vu avec le traité sur les mines terrestres, lorsqu'on adopte les normes les plus strictes qui soient, les gens y souscrivent. Dans le monde, 80 p. 100 des pays ont signé le traité sur les mines terrestres et ce n'est pas parce que nous avons négocié à la baisse pour en arriver à un compromis. Cela est attribuable au fait que nous avons insisté pour avoir les normes les plus strictes qui soient.

Actuellement, la convention est la référence en matière d'armes à sous-munitions. Si nous l'appuyons, selon l'esprit dans lequel elle a été rédigée et les pays y ont adhéré, d'autres y adhéreront et la signeront; c'est ce qui se produit.

Pour ce qui est des armes à sous-munitions, je prédis que dans 15 ans, nous en serons au point où nous sommes actuellement pour les mines terrestres. Très peu de pays en auront. Nous nous réserverons le droit de les utiliser et elles ne feront pas beaucoup de victimes.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Mon autre question est la suivante, mais je ne sais pas si vous serez en mesure de répondre, peut-être que si. La convention des armes à sous-munitions est l'une des deux grandes initiatives internationales en cours visant à réglementer les armes à sous-munitions. L'autre processus était la convention des Nations Unies sur l'interdiction et la limitation de l'emploi de certaines armes classique. Et là en 2007, les États parties à cette convention se sont engagés à négocier une proposition visant à atténuer l'impact humanitaire des armes à sous-munitions.

Pourquoi les États ont-ils cru nécessaire de négocier la convention à l'extérieur du cadre de la convention des Nations Unies? Faut-il connaître ce que comporte la convention des Nations Unies, mais est-ce que vous êtes capable de me répondre là-dessus?

Mme Gabelnick : Je vais tenter de parler en français pour changer un peu. Donc, le problème comme Paul l'a décrit, c'est que les gens qui ont vu dans la réalité la situation de souffrance des gens ont dit que la seule solution, en fait, c'était une abolition totale des armes à sous-munitions. On a vu que pour la convention d'Ottawa, que dans le contexte de cette autre convention, la CCW si je comprends bien votre question, qui comprend les États comme les États-Unis mais aussi la Russie la Chine le Pakistan, l'Inde, Israël, que les seules solutions proposées allaient être les changements techniques pour dire qu'on va moins utiliser, dans certains cas seulement, ces armes.

Mais comme il y avait plusieurs États, la société civile et la CICR ont décidé que ça n'allait pas suffire pour régler la question, donc, ils ont décidé de commencer un autre processus où les pays avaient le contrôle parce que ce n'était pas un forum de consensus, de décider exactement ce qu'ils voulaient et mettre la barre assez haute.

Donc, l'idée avec une convention comme ça, c'est que les États qui sont prêts à faire partie à abolir, à interdire ces armes peuvent le faire quand ils sont prêts. Et les autres peuvent attendre. En attendant, ce qui est important c'est la stigmatisation de ces armes. C'est la raison pour laquelle on a des gros soucis avec le projet de loi S-10 parce qu'on trouve que cela diminue la stigmatisation. J'espère que j'ai répondu à la question et que vous avez compris mon français assez limité.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question était simplement pourquoi ils n'ont pas suivi la convention des Nations Unies et pourquoi c'était nécessaire de faire une autre convention pour pouvoir régler ce problème.

[Traduction]

M. Epps : La réponse courte, c'est que la CCAC — la Convention sur certaines armes classiques — est fondée sur un consensus, ce qui signifie que tous les États détiennent un droit de veto par rapport aux décisions. Ce fut l'approche utilisée tant pour les négociations sur les mines terrestres que celles sur les armes à sous-munitions. Leur échec est attribuable au processus consensuel. C'est un problème que l'on observe habituellement aux Nations Unies lorsque le consensus entre en jeu et c'est sans doute aussi ce que l'on constate actuellement dans le cas des négociations entourant le traité sur le commerce des armes.

Le sénateur D. Smith : Le bilan du Canada cet égard est excellent, étant donné ce qui s'est produit en 1997 avec le gouvernement libéral et en 2008 avec le gouvernement conservateur. La raison pour laquelle je le mentionne, c'est que s'il existe une possibilité d'obtenir un amendement, nous devons traiter la question sans partisanerie. À mon avis, plus ce sera approfondi, moins cela risque de se faire. Si nous avons l'occasion de faire un ajustement mineur ou un amendement, il faut que ce soit simple.

M. Hannon a parlé d'un certain nombre de modifications tandis que M. Epps a parlé de plusieurs échappatoires. Mme Gabelnick a indiqué que ce que la Norvège ou la Nouvelle-Zélande ont fait lui conviendrait.

Ma question est simple. Warren Allmand nous a aussi indiqué qu'il s'agissait simplement de supprimer l'article 11. Si on supprime l'article 11, la situation est la même que pour les mines terrestres. Si nous décidons d'essayer une approche simple, comme une de ces trois-là, par exemple — on ne parle pas d'une approche de puriste visant à régler tous les problèmes, mais d'une approche simple — opteriez-vous pour l'approche qui consiste à supprimer l'article 11, celle de la Nouvelle-Zélande ou celle de la Norvège? Laquelle choisiriez-vous?

M. Hannon : Je crois que je devrais répondre.

Le sénateur D. Smith : Vous pouvez tous y répondre.

M. Hannon : Je comprends votre point de vue au sujet de tous les partis.

Le sénateur D. Smith : Faites que ce soit simple.

M. Hannon : Dans le dossier des mines terrestres, nous avons travaillé avec tous les partis, qui ont tous appuyé les traités à cet égard. Pour ce qui est des armes à sous-munitions, nous avons collaboré avec les partis et nous les avons tous convaincus d'appuyer l'interdiction des armes à sous-munitions.

Pour modifier cette mesure législative afin de régler la question de l'interopérabilité, étant donné la préoccupation soulevée au comité à cet égard et étant donné que l'on a manifestement traité de la question dans la mesure législative elle-même, je proposerais, plutôt que l'élimination de l'article 11, de prendre comme modèle la loi néo-zélandaise ou le paragraphe 6(3) de notre propre loi sur les mines antipersonnel. Des préoccupations ont été soulevées. L'interopérabilité est un problème important et, à l'article 21(3) du traité, on reconnaît que nous pourrions collaborer avec un État non partie qui pourrait se réserver le droit de les utiliser ou qui pourrait, en fait, les utiliser. Je pense qu'aux yeux de tous, il serait plus acceptable d'avoir quelque chose. Si cela demeure inchangé, je préférais qu'il n'y ait rien du tout.

Le sénateur D. Smith : Je ne suis pas certain de savoir quelle était votre réponse.

M. Hannon : Toutes mes excuses.

Mme Gabelnick : Je pense que ce que M. Hannon veut dire, c'est que le modèle de la Nouvelle-Zélande est probablement la meilleure option pour le Canada, car on y reconnaît à tout le moins que ces opérations interarmées auront lieu, mais que toute forme d'aide est interdite. Par ailleurs, pourquoi ne pas regarder du côté de la loi canadienne sur les mines antipersonnel?

Monsieur le sénateur, j'aime le commentaire que vous avez fait lors de la séance précédente : quand on veut, on peut. Nous espérons vraiment que la volonté est là. Si vous voulez des suggestions concernant le libellé, c'est avec plaisir que nous vous en fournirons de très simples. Merci.

La présidente : Merci. Le temps est écoulé. Vous nous avez aidés dans nos discussions. Nous nous pencherons sur l'équilibre nécessaire entre la sécurité — qu'il incombe au gouvernement d'offrir aux citoyens —, les opérations que nous pourrions mener tant au pays qu'à l'étranger, et l'engagement continu de tous. Je n'ai entendu personne préconiser une quelconque utilisation des armes à sous-munitions par le Canada. Notre débat porte sur la meilleure façon de mettre en oeuvre la convention en tenant compte du droit canadien et l'équilibre nécessaire qui doit être établi en fonction des responsabilités du gouvernement.

Nous poursuivrons notre étude avec d'autres témoins, mais nous sommes très reconnaissants de vos commentaires. Si vous souhaitez présenter d'autres propositions, nous vous prions de le faire par l'intermédiaire du greffier, qui les distribuera aux membres du comité. Merci d'avoir pris le temps de venir témoigner et de nous avoir fait part de vos commentaires.

(La séance est levée.)


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