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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 9 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international s’est réuni ce jour à 16 h 15 pour étudier, dans le but d’en faire rapport, la politique étrangère canadienne relative à l’Iran, ses implications et d’autres questions connexes ainsi que pour étudier une ébauche de rapport concernant le document intitulé Présentation au Parlement de la proposition de services et de droits connexes de Passeport Canada, daté mars 2012, conformément à la Loi sur les frais d’utilisation, L.C. 2004, ch. 6, par. 4(2).

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous allons examiner, pour en faire rapport, la politique étrangère canadienne relative à l’Iran, ses implications et d’autres questions connexes. Avant de donner la parole aux témoins, je rappelle aux sénateurs qu’après avoir entendu les témoignages, nous allons revenir à notre autre étude relative aux frais d’utilisation et nous procéderons à un vote sur cette question.

Le sénateur Nolin: J’ai une question à propos de la note que nous venons de recevoir du MAECI. Non, c’est très bien, j’attendrai.

La présidente: Très bien. Nous aborderons ce point. Nous reprenons notre étude sur l’Iran. Nous allons entendre, à titre personnel, trois spécialistes: deux avocats et un professeur. Par vidéoconférence, nous allons entendre Ramin Jahanbegloo, professeur agrégé en science politique de l’Université de Toronto, et en personne, nous allons entendre Ali Ehsassi et Kaveh Shahrooz, qui sont tous les deux avocats. Je crois comprendre que les témoins se sont entendus pour que M. Jahanbegloo commence.

Nous préférons que nos témoins présentent un bref exposé pour que nous ayons suffisamment de temps pour les questions des sénateurs. Bienvenue au comité.

Ramin Jahanbegloo, professeur agrégé en science politique, Université de Toronto, à titre personnel: Madame la présidente et sénateurs, je vous suis très reconnaissant de m’avoir donné la possibilité de comparaître devant vous et de parler d’un sujet qui, à mon avis, mérite qu’on lui accorde davantage d’attention que nous le faisons actuellement. J’aimerais vous parler de mes principales préoccupations au sujet des violations des droits de la personne en Iran et vous présenter quelques recommandations.

Permettez-moi de commencer par dire que nous vivons, à l’heure actuelle, une époque historique, en particulier pour ce qui est des changements survenus au Moyen-Orient. Compte tenu de l’ampleur des changements politiques, il est important d’examiner de plus près ce qu’il en est de la défense de la démocratie et des violations des droits de la personne en Iran.

Tous ceux qui connaissent bien la situation politique en Iran ne soutiendront jamais que la République islamique d’Iran est un pays normal avec lequel le Canada peut avoir des relations diplomatiques, économiques et culturelles normales. Henry Kissinger disait que la diplomatie était l’art de contenir le pouvoir, mais la seule chose certaine que nous sachions à propos de l’Iran est que si nous ne réagissons pas constamment contre les violations des droits de la personne commises en Iran, cela compliquera tous les efforts que la communauté internationale pourra déployer à l’avenir pour contenir le pouvoir répressif que la République islamique exerce contre son propre peuple.

Trois ans après les élections présidentielles contestées de 2009, la situation des droits de la personne dans la République islamique d’Iran continue de se détériorer et se trouve dans une crise sans précédent. Pratiquement, aucun groupe n’a été épargné. Les journalistes, les avocats, les défenseurs des droits des femmes, les intellectuels, les membres des groupes minoritaires et les étudiants font partie de ceux qui sont visés par un gouvernement iranien paranoïaque. Les citoyens ordinaires sont régulièrement maltraités. Au moment où nous nous parlons, des dizaines de défenseurs des droits de la personne sont emprisonnés parce qu’ils ont essayé de changer la situation qui règne en Iran.

Je pense que la situation des droits de la personne en Iran n’a jamais été aussi grave et dangereuse qu’elle l’est aujourd’hui, même pour les Canadiens iraniens qui se rendent en Iran et qui sont emprisonnés parce qu’on les accuse d’être des espions et des révolutionnaires. Étant donné cette réalité, il me paraît urgent et essentiel que le gouvernement canadien mette en œuvre des politiques qui renforcent la défense de la démocratie en Iran, tout en montrant le vrai visage du régime iranien et en pénalisant ses principaux instruments de répression.

Le gouvernement canadien a déjà fait preuve d’un grand courage parce qu’il a demandé à l’Iran de rendre des comptes au sujet de ces graves violations. Le Canada est désormais bien placé pour influencer les mesures que pourra prendre la communauté internationale en réponse aux abus des droits de la personne commis en Iran en exerçant des pressions sur le régime iranien pour qu’il cesse ses agissements criminels. C’est la raison pour laquelle je suis un des membres de la communauté iranienne au Canada qui estime que la politique étrangère canadienne devrait s’intéresser principalement à la question des droits de la personne et non pas à celle du nucléaire.

Je vais maintenant prendre la liberté de recommander aux sénateurs de prendre la mesure suivante. Premièrement, les sanctions associées aux violations des droits de la personne sont des façons utiles et efficaces de cibler leurs auteurs et de faire savoir au peuple iranien que la communauté internationale se préoccupe de leur sort. Les sanctions associées aux violations des droits de la personne sont faciles à prendre et ont des effets symboliques considérables. Plus nous sanctionnons les agresseurs, plus nous rendons transparents les mécanismes de répression utilisés en Iran.

Deuxièmement, le principal défi qui se pose au Canada est, d’après moi, d’établir des contacts avec la société civile iranienne. Les déclarations politiques au sujet de l’Iran sont certes importantes, mais elles ont un effet limité et sont peu efficaces. Il serait important que le Canada redouble d’efforts pour aider les défenseurs iraniens de la société civile et des droits de la personne. Sur le plan pratique, cela veut dire financer des programmes qui permettront aux dissidents et aux démocrates iraniens de communiquer entre eux de façon sécuritaire. Je veux dire par là leur donner accès à l’information, un aspect fondamental, accès à Internet et aux médias de diffusion. Les institutions canadiennes pourraient aider les Iraniens en accordant des subventions visant à donner accès à Internet dans le but de favoriser les communications et de créer une cyber force.

Troisièmement, le Canada devrait continuer à refuser l’entrée dans ce pays aux hauts fonctionnaires iraniens et à encourager d’autres pays à faire la même chose. C’est un moyen important qui permet d’isoler les responsables de ces abus et d’exprimer une solidarité avec les forces démocratiques. Même si certaines visites sont tout de même autorisées au nom du dialogue, je pense que l’élite au pouvoir ne devrait plus pouvoir venir au Canada et que le gouvernement canadien devrait être en mesure de garantir aux citoyens canadiens que les dirigeants et les collaborateurs du régime iranien ne mettront jamais les pieds au Canada.

Enfin et surtout, à l’heure où le gouvernement canadien recherche des moyens d’exercer des pressions sur le régime islamique pour l’obliger à respecter les lois internationales et surtout les droits civils de ses citoyens, il me paraît essentiel de ne pas oublier le rôle fondamental que peuvent jouer les membres de la diaspora iranienne au Canada et leur besoin d’avoir des contacts avec leurs familles.

Sur ce point, je prends la liberté d’ajouter à mes recommandations la grave préoccupation que suscite, pour la communauté iranienne au Canada, la fermeture de la section des visas canadiens de Téhéran et les nombreux cas de rejet de visas demandés par des étudiants iraniens et leurs familles. Ces mesures ont terni l’image qu’avait le Canada de refuge pour les dissidents iraniens. J’aimerais ajouter que toute action qui a pour but d’informer et d’aider les jeunes iraniens à comprendre les politiques et les valeurs canadiennes s’inscrit dans les objectifs de la diplomatie canadienne.

Je vous remercie tous pour votre attention. Je vous remercie à l’avance pour les mesures concrètes que vous pouvez prendre pour aider les Iraniens à exercer leurs droits de la personne fondamentaux.

La présidente: Merci, monsieur. Nous allons maintenant passer à M. Ehsassi.

Ali Ehsassi, avocat, à titre personnel: Sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui. Je félicite les distingués membres du comité d’avoir entrepris une étude approfondie de la politique étrangère canadienne à l’égard de l’Iran et j’espère sincèrement pouvoir vous être utile.

L’Iran n’est pas un pays facile à comprendre, même dans une époque normale. Ce pays a toujours constitué une énigme, mais les nombreuses manifestations qu’a connues l’Iran en 2009, conjuguées à toute une série d’événements plus récents qui sont survenus dans la région du Moyen-Orient, ont eu pour effet d’aggraver encore cette complexité.

La communauté internationale a eu connaissance pour la première fois de l’ampleur de l’impopularité du régime iranien au cours de l’été 2009. Comme des fonctionnaires du gouvernement iranien l’ont eux-mêmes admis, plus de 3 millions d’Iraniens sont descendus dans les rues de Téhéran. Il est bon de souligner que les foules qui ont manifesté dans les différentes villes de l’Iran font, par comparaison, des manifestations qui se sont produites dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient des événements mineurs.

Les bouleversements de l’été 2009 ont ébranlé les fondements mêmes de la République islamique. Depuis ces événements, la communauté internationale et les Iraniens ont dû faire face à un régime atteint de paranoïa et qui est conscient du fait que sa légitimité est gravement mise en doute. Nous avons constaté ainsi que l’Iran se transformait peu à peu en une dictature militaire derrière une façade théocratique. Les Iraniens se sont non seulement vu imposer une idéologie tout à fait discréditée pendant plus de 30 ans, mais ils doivent maintenant subir un régime qui a un dossier catastrophique en matière de droits de la personne, une économie sauvage et une corruption endémique. Parmi d’autres conséquences, mentionnons une politique étrangère iranienne faite de bluffs et de fanfaronnades, et un effort concerté de la part du régime en place pour limiter les liens entre les Iraniens et le monde extérieur.

C’est la raison pour laquelle nous devrions être sensibles aux répercussions sociales et économiques de ces politiques. Indifférent au bien-être de sa population, le régime iranien serait très satisfait si la communauté internationale refusait tout contact avec l’Iran. Les changements profonds qui touchent le régime iranien et ses nouvelles orientations posent des défis considérables aux responsables de la politique étrangère. Et pourtant, la principale leçon à tirer est qu’il faut prendre en compte ce nouveau clivage entre le gouvernement iranien et les Iraniens et exploiter dans toute la mesure du possible le gouffre qui sépare l’appareil de la République islamique de la majorité de la population iranienne et de renforcer la société civile dans ce but.

Il serait certainement néfaste de surestimer l’influence que le Canada peut exercer sur les événements qui se déroulent en Iran, mais lorsque des actions sont envisagées, nous sommes toujours amenés à choisir entre les cas où la meilleure solution est d’agir collectivement de façon multilatérale alors que dans d’autres cas, il faut adopter des initiatives discrètes, tenant compte de nos propres caractéristiques.

La majorité des Iraniens ont une opinion favorable du Canada. À la différence de nombreux autres pays, ils ne croient pas que notre pays se soit lancé dans des manœuvres politiques dans ses rapports avec l’Iran. Bien au contraire, il faut féliciter les diplomates canadiens en poste en Iran pour avoir créé une belle tradition d’initiatives culturelles méritoires avant le décès tragique de Mme Zahra Kazemi, l’exemple le plus connu étant, bien entendu, la course Terry Fox, qui a eu lieu à Téhéran pendant plusieurs années. En outre, le Canada accueille aujourd’hui une communauté iranienne dynamique et nombreuse qui a des liens affectifs et intellectuels avec son pays d’origine.

L’année dernière, on a parlé d’un risque de guerre qui a fait les manchettes et les gros titres. En raison de nos préoccupations légitimes, le gouvernement canadien a appuyé ce que faisaient ses alliés. L’acquisition de la technologie nucléaire par l’Iran est après tout régie par les normes internationales et constitue un défi auquel seule la diplomatie multilatérale peut s’attaquer.

Il faut juger de l’efficacité des sanctions imposées à un tel régime en se demandant si elles visent le gouvernement iranien et évitent, dans toute la mesure du possible, de punir la population iranienne en général.

À mon avis, les sanctions qui ont été prises jusqu’ici ont été trop peu sévères pour les hauts dirigeants du régime iranien et trop dures pour la population iranienne. À titre d’exemple, une loi canadienne à portée très vaste s’applique à pratiquement tous les Iraniens canadiens alors que 49 hauts dirigeants de la République islamique seulement figurent sur la liste noire prévue par les lois canadiennes.

Cela dit, il faut accepter le fait que le régime de sanctions internationales prises à l’égard de l’Iran reflète une coopération politique internationale. Il serait irréaliste de s’attendre à ce que le Canada n’agisse pas de concert avec ses alliés les plus proches, mais on pourrait tout de même espérer que le gouvernement canadien interprète la Loi sur les mesures économiques spéciales en s’abstenant d’imposer des restrictions injustifiées à des individus et à des activités dépourvus de liens avec le gouvernement iranien.

Le développement le plus troublant a été l’aspect public de la diplomatie canadienne et la façon dont nous avons expliqué notre position à l’égard de l’Iran. Les images montrant des millions d’Iraniens exigeant héroïquement leurs droits en 2009 et la brutalité de la répression du gouvernement iranien qui en a suivi ont frappé les esprits de millions de personnes dans le monde entier. Il serait par contre difficile de trouver des éléments indiquant que ces événements ont influencé la position du Canada à l’égard de l’Iran. Il convient certes de féliciter le Canada pour avoir aidé la Commission des droits de la personne des Nations Unies à effectuer son évaluation annuelle du dossier catastrophique de l’Iran en matière de droits de la personne, mais cette pratique est bien antérieure à 2009.

Nous nous sommes bien trop souvent contentés d’une diplomatie du mégaphone et de radicaliser notre discours au sujet de la question nucléaire et nous avons été à peu près silencieux sur les autres priorités. Une position plus nuancée serait sans doute préférable, mais cela ne veut pas dire que nos responsables de la politique étrangère ne devraient pas agir de façon audacieuse vis-à-vis de l’Iran ou ne devraient pas rechercher des solutions novatrices pour faire progresser d’autres intérêts. Nous sommes fiers d’affirmer que notre politique étrangère s’inspire de la notion d’équivalence morale, mais nous devons saisir toutes les occasions de faire valoir les valeurs canadiennes pour mettre en œuvre une politique délibérée consistant à renforcer la société civile iranienne.

Pour terminer, j’aurais tort de ne pas souligner également que le gouvernement canadien en général n’a pas vraiment cherché à utiliser judicieusement l’expertise des Iraniens canadiens pour élaborer une position équitable, raisonnable et sophistiquée à l’égard de l’Iran.

Pour ne citer qu’un exemple, depuis des années de nombreux Canadiens d’origine iranienne ont fait savoir très clairement qu’ils ne voulaient pas que notre pays devienne un refuge pour les apparatchiks et les dirigeants de haut niveau les plus brutaux du régime iranien. Lorsque les médias canadiens ont rapporté que l’ancien directeur de la principale banque iranienne publique, Mohammad Reza Khavari, était arrivé à Toronto avec un passeport canadien et qu’il s’était établi dans le quartier Bridal Path de Toronto, la communauté irano-canadienne a réagi rapidement et plus de 2 000 Iraniens ont signé une pétition adressée au ministre de l’Immigration.

Étant donné que la banque participait au financement du terrorisme international, je suis sûr que tous les Canadiens s’inquiètent de savoir que M. Khavari se trouve ici au Canada. Aujourd’hui, soit six mois plus tard, la population et les médias canadiens ignorent complètement si le gouvernement canadien envisage de prendre des mesures à son endroit.

Une autre décision toute récente a pris complètement par surprise la communauté irano-canadienne; c’est l’annonce que l’ambassade canadienne à Téhéran allait fermer sa section des visas pour la transférer à Ankara. Comme vous pouvez l’imaginer, cette décision va avoir des conséquences très lourdes pour les familles de nombreux Irano-canadiens.

Je vous remercie de votre attention et j’ai hâte de répondre à vos questions.

La présidente: Merci, monsieur Ehsassi.

Nous allons maintenant passer à monsieur Shahrooz.

Kaveh Shahrooz, avocat, à titre personnel: Sénateurs, merci de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui au sujet de la politique canadienne à l’égard de l’Iran.

Permettez-moi de préciser clairement dès le départ les deux idées fondamentales sur lesquelles repose mon exposé. La première est que le gouvernement iranien est sans aucun doute une tyrannie brutale. Il constitue, à des degrés divers, un danger pour la région et une menace potentielle pour la communauté internationale, mais il y a surtout le fait que le gouvernement iranien représente un danger pour le peuple iranien. Les exécutions sommaires, les assassinats extraterritoriaux, la torture, le viol, la discrimination fondée sur le sexe et la religion sont des éléments constants de la politique du gouvernement iranien depuis plus de 30 ans. Ces violations des droits de la personne ont connu un sommet avec les exécutions massives des années 1980 avec la répression brutale des personnes qui manifestaient pour la démocratie en 2009.

Le Canada n’a pas été à l’abri de ces violations des droits de la personne. Le gouvernement iranien a assassiné Zahra Kazemi, une journaliste photographe canadienne et il continue à emprisonner un certain nombre de citoyens et de résidents permanents canadiens, comme Saeed Malekpour, Hamid Ghassemi-Shall et Hossein Derakhshan, des personnes dont le sénateur Frum a courageusement défendu les droits.

La deuxième idée est que malgré la brutalité du gouvernement iranien, toute action militaire visant l’Iran en raison de son programme nucléaire aurait des conséquences négatives très graves. Selon de nombreux spécialistes, une telle frappe ne ferait que retarder brièvement la production d’armes nucléaires par l’Iran tout en entraînant un nombre incalculable de victimes civiles. Une attaque risquerait également de créer une instabilité terrifiante comme celle que nous avons vu se propager en Iraq après l’invasion des États-Unis et peut-être de prolonger la vie du régime actuel, en permettant au gouvernement de revendiquer le rôle de défenseur de la souveraineté iranienne et, grâce à ce prétexte, d’aggraver la répression interne.

Compte tenu de ces deux idées, je pense que la façon la plus efficace d’amener un changement positif en Iran est de faire de la protection des droits de la personne le principal vecteur de la politique canadienne vis-à-vis de l’Iran. Rechercher la protection des droits de la personne pour les Iraniens est non seulement la position correcte sur le plan moral, mais elle permet également au Canada de s’appuyer sur les points forts de sa politique étrangère.

Quel qu’a été le parti au pouvoir au Canada, qu’il s’agisse des efforts qu’a déployés Pearson pour mettre fin à la guerre ou de l’opposition déclarée de Diefenbaker à l’apartheid, le Canada a toujours joué un grand rôle sur le plan international, lorsqu’il a défendu le droit des simples citoyens du monde entier de vivre dans la dignité et en sécurité.

Pour cette raison, permettez-moi de vous présenter cinq suggestions précises qui pourraient constituer les éléments essentiels d’une politique iranienne musclée, axée sur les droits de la personne. Premièrement, le Canada devrait utiliser l’Assemblée générale de l’ONU et le Conseil des droits de la personne de l’ONU comme des instances qui permettent d’exercer des pressions sur l’Iran au sujet de son dossier en matière de droits de la personne. Le gouvernement canadien a présenté neuf années de suite une résolution à l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant le dossier de l’Iran en matière de droits de la personne. L’année dernière, la résolution a obtenu l’appui record de près de 90 pays. Il est essentiel que le Canada continue à pousser cette résolution et à en élargir le langage pour condamner l’Iran pour les atrocités massives commises au cours des 30 dernières années, pour lesquelles ce pays n’a pas été obligé de rendre compte.

De la même façon, le Canada devrait travailler avec les pays ayant des valeurs semblables et des pays non occidentaux puissants comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et la Turquie, pour inciter l’Iran à autoriser le Rapporteur spécial sur l’Iran à visiter le pays et à parler aux prisonniers politiques.

Deuxièmement, à la différence des États-Unis et de l’Union européenne, le Canada n’a pas établi de lien entre ses sanctions et les violations des droits de la personne. Il est important d’imposer des interdictions de voyager et des gels d’actifs pour les auteurs iraniens de violations des droits de la personne, pour montrer que le Canada ne permet pas que les violations des droits de la personne restent impunies. Autre aspect étroitement relié à ces sanctions, le Canada devrait envisager de modifier sa Loi sur l’immunité des États pour autoriser les victimes de graves violations des droits de la personne commises en Iran à exercer des recours civils ici au Canada.

Troisièmement, le Canada devrait interdire l’entrée à tous les Iraniens qui ont des liens étroits avec le gouvernement iranien et accueillir largement les activistes iraniens qui fuient les persécutions. Comme M. Ehsassi y a fait allusion, il y a eu ces derniers mois des rapports crédibles d’après lesquels au moins un individu qui a déjà été un haut dirigeant du gouvernement iranien et un acteur important dans une escroquerie de grande envergure en Iran vivait dans un des quartiers les plus huppés de Toronto.

Parallèlement, de nombreux défenseurs de la démocratie qui se sont enfuis de l’Iran continuent d’attendre dans les pays voisins, parce qu’ils ne réussissent pas à obtenir le statut de réfugié. Le Canada devrait accueillir ces activistes à bras ouverts et expulser les agents du gouvernement iranien.

Quatrièmement, le Canada devrait s’efforcer de donner aux Iraniens moyens le pouvoir d’exiger le respect de leurs propres droits et de gagner leurs cœurs et leurs esprits chaque fois que cela est possible. Une façon très efficace d’appuyer les activistes iraniens est de leur fournir une technologie qui leur permette de contourner les obstacles qui visent à les empêcher d’avoir accès à Internet. Une telle stratégie serait compatible avec les déclarations internationales sur la liberté d’Internet, déclarations que le Canada a signées.

Il est par contre plus difficile de gagner les cœurs et les esprits des Iraniens, car il faudrait que nos décideurs connaissent bien la façon dont les politiques canadiennes sont perçues à l’étranger. Comme les deux autres intervenants viennent de le mentionner, le Canada a tout récemment décidé, pour des raisons financières, de fermer le bureau des visas de Téhéran. Je reconnais que les effets concrets de cette décision ne se feront pas sentir avant quelque temps. Quelles que soient les répercussions concrètes, la réaction des Iraniens à cette décision a été très négative, parce qu’elle donnait aux Iraniens l’impression que le Canada voulait les punir pour les agissements de leur gouvernement, un gouvernement qu’ils n’appuient pas.

Cinquièmement et dernière recommandation, il conviendrait de féliciter les sénateurs canadiens pour avoir vigoureusement défendu ces derniers mois les cas de certains nombres de prisonniers politiques iraniens. Il serait souhaitable que cette position s’étende aussi bien au sein du Sénat qu’en dehors.

Je serais heureux de vous fournir les noms d’autres prisonniers politiques en Iran qui méritent qu’on leur accorde une attention immédiate. Je crois savoir que M. Irwin Cotler, un personnage bien connu ici, a constitué un groupe de défense des prisonniers politiques et j’invite tous les membres du Sénat et de la Chambre des communes à y adhérer.

Il faut continuer à parler de ces questions régulièrement avec l’Iran parce que c’est une question de vie ou de mort pour un certain nombre de prisonniers en Iran.

Chers sénateurs, je serai heureux d’approfondir ces propositions pendant la période de questions. J’estime que ces stratégies et d’autres approches créatrices, si le Canada les adoptait en coordonnant son action avec d’autres nations respectueuses des droits de la personne, pourraient entraîner des changements extraordinairement positifs en Iran: le genre de changements qui nous permettront, nous l’espérons, dans un avenir pas trop éloigné, de connaître un « printemps iranien ».

La présidente: Merci.

J’ai une longue liste de sénateurs. Je vais commencer par notre vice-président, le sénateur Downe.

Le sénateur Downe: Étant donné la longueur de la liste, je serai bref.

Le personnage officiel que vous avez nommé et qui est arrivé au Canada il y a six mois m’intéresse. Avez-vous des renseignements sur la façon dont il a obtenu un passeport canadien et dont il a réussi à transférer au Canada les fonds qu’il est accusé d’avoir volés? Il est évident qu’il a transféré cet argent parce que sinon il n’aurait pas la maison dans le quartier que vous avez mentionné.

M. Ehsassi: Merci d’avoir posé cette question. J’ai participé étroitement aux efforts déployés par la communauté iranienne pour communiquer avec le gouvernement canadien et obtenir des réponses à cette question.

Nous avons eu connaissance de l’arrivée au Canada de cette personne lorsque les médias canadiens ont commencé à en parler. À ce moment-là, comme je l’ai dit dans ma déclaration d’ouverture, en deux ou trois jours 2 000 Iraniens ont accepté de signer une pétition demandant au ministre de l’Immigration d’examiner cette question. Je peux vous dire que le ministre de l’Immigration n’a même pas accusé réception de cette pétition ou de ce courriel, pendant au moins quatre ou cinq mois.

Après ces événements, nous avons parlé à divers partis représentés au Parlement. Nous avons parlé à M. Irwin Cotler et à M. Paul Dewar, et ils ont tous les deux préparé une pétition que nous avons fait lire au Parlement. La réponse que nous avons obtenue du gouvernement ne nous a rien appris de plus au sujet de cet individu.

La plupart des renseignements que nous possédons au sujet de ce banquier sont des renseignements publics. Par exemple, ses maisons — il en a plusieurs — figurent sur des registres publics, et c’est pourquoi nous avons pu obtenir cette information.

Cependant, comme je l’ai dit, ni les médias canadiens ni les membres de la communauté iranienne n’ont obtenu de renseignements confirmant l’arrivée de cette personne au Canada, l’année à laquelle il aurait obtenu la citoyenneté canadienne, le fait qu’il demeure au pays et indiquant que le gouvernement a finalement décidé de faire quelque chose à son sujet.

Le sénateur Downe: Vous avez appris tout cela uniquement grâce aux articles de journaux, de sorte qu’il pourrait fort bien y avoir d’autres dirigeants au Canada sans que nous le sachions non plus.

Vous et les autres témoins avez parlé du fait qu’il y avait toutes sortes de réfugiés qui n’avaient pas les ressources pour venir ici. Cela m’intéresse particulièrement: avez-vous des renseignements sur la façon dont cette personne a pu transférer des fonds? Ces fonds étaient déjà, du moins je le pense, à l’extérieur du pays dans des banques se trouvant en Suisse ou ailleurs et il a ensuite réussi à les transférer au Canada. Les témoins ont mentionné que le Canada n’imposait pas de restrictions sur les transactions financières effectuées par des auteurs de violations des droits de la personne, alors que d’autres pays imposaient ce genre de restriction. Pourriez-vous nous dire quelles sont ces restrictions?

M. Ehsassi: Des restrictions sur...

Le sénateur Downe: Des restrictions financières.

M. Shahrooz: Je serai très heureux de parler de cet aspect, sénateur. La Loi sur les mesures économiques spéciales interdit à toute institution financière de faire affaire avec l’Iran. Je dois toutefois mentionner que cette loi a été renforcée en janvier 2012 et qu’il est donc tout à fait possible — même si je ne dispose d’aucun renseignement précis à ce sujet — que cet individu ait fait entrer de grosses sommes d’argent au Canada avant que la loi soit renforcée.

Pour en revenir à votre question initiale, oui, il est tout à fait possible que des figures politiques ayant des liens avec le régime islamique se trouvent au Canada. Il est exact qu’il y a au sein de la communauté irano-canadienne des membres qui parlent du fait que ce genre de personnes se trouvent ici. Le cas auquel M. Ehsassi et moi avons fait allusion est tout simplement le plus connu. C’est celui dont les médias canadiens ont parlé le plus clairement.

Le sénateur Downe: Exerce-t-on des pressions sur les institutions financières internationales? Si quelqu’un vient d’un de ces pays avec des millions de dollars, bien évidemment volés, et va ensuite les déposer, savez-vous s’il est arrivé que des banques ou des institutions financières en Suisse ou au Canada posent des questions au sujet de ces fonds et refusent de les accepter?

M. Shahrooz: Pour ce qui est des hauts dirigeants du gouvernement iranien, je pense que ce sont des acteurs sophistiqués qui ne vont pas tout simplement se rendre dans une banque avec des millions de dollars. Ils vont probablement utiliser plusieurs sociétés-écrans, par exemple, pour transférer cet argent ici. C’est une raison de nous inquiéter et qui devrait amener nos services de sécurité et du renseignement à tenter de repérer ce genre de transactions.

Votre question m’amène à aborder un autre aspect: même si ces personnages réussissent à faire entrer des fonds importants au Canada, il y a un grand nombre de personnes qui n’ont aucun lien avec le régime, mais qui sont touchées très négativement par ces sanctions, parce que leurs comptes sont fermés par un certain nombre de banques canadiennes en raison de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Elles n’ont aucun lien avec ce régime, mais elles sont néanmoins visées par ces règlements qui ont une portée très large.

La présidente: Vous savez qu’il existe des mécanismes internationaux qui concernent les biens et la circulation des biens et que le Canada est tenu, en vertu de diverses lois, de divulguer les montants suffisamment importants. Une bonne partie de ces mécanismes ont été mis sur pied au départ pour contrôler les activités liées aux drogues et aux produits de la criminalité. Ils continuent de s’appliquer.

Lorsque vous parlez des auteurs de violation des droits de la personne, que voulez-vous dire? Nous en avons certains qui s’appliquent aux terroristes, certains aux activités répréhensibles et d’autres qui prévoient désormais le gel des actifs après la chute d’un régime, ce qui permet d’obtenir des preuves. Nous avons mis en place cette loi l’année dernière. Nous avons dû concilier les droits des individus et les opinions au sujet de ce qui constitue une activité répréhensible. Il faut des faits, et c’est bien souvent le gouvernement qui exerce l’activité répréhensible qui détient ces faits.

Compte tenu de tout ceci, qu’est-ce que vous souhaiteriez avoir que nous n’avons pas encore, que ce soit sur le plan national ou international? Vous parlez d’auteurs de violation des droits de la personne. Je ne sais pas très bien comment cela pourrait fonctionner.

M. Ehsassi: Merci d’avoir posé cette question. Je pense qu’elle comporte plusieurs aspects.

Premièrement, dans la mesure où je l’ai bien comprise — et bien évidemment, je vous invite à me corriger — je pense que les Américains ont été beaucoup plus vigilants pour ce qui est d’inscrire sur la liste noire certaines personnes en appliquant les diverses lois en vigueur. Ce n’est pas simplement une question du nombre des personnes qui figurent sur cette liste. D’après ce que je sais, les États-Unis cherchent délibérément à montrer qu’ils s’intéressent aux droits de la personne et qu’ils inscrivent sur leur liste noire les auteurs des violations des droits de la personne.

Encore une fois, corrigez-moi si je me trompe, mais, d’après ce que j’ai compris, toutes les personnes et toutes les sociétés que nous avons inscrites sur cette liste ne sont pas les principaux auteurs des violations des droits de la personne en Iran; ce sont des personnes qui exercent des activités commerciales, et il est manifestement dans notre intérêt d’essayer de les empêcher de poursuivre ces activités. C’est la première partie de ma réponse.

La deuxième partie touche également la question du sénateur Robichaud. Comme je l’ai dit, cela fait plusieurs années que la communauté iranienne a l’impression qu’il existe des hauts fonctionnaires du gouvernement iranien qui détiennent des passeports canadiens. Bien entendu, comme vous pouvez l’imaginer, il est très difficile pour une communauté comme la nôtre d’entreprendre des enquêtes et de se réglementer.

Cependant, chaque fois que nous avons parlé à des politiciens, ils nous ont toujours répondu: « Eh bien, s’il y a quelqu’un qui vous préoccupe, vous n’avez qu’à nous le signaler. » Bien évidemment, c’est un processus très lourd et très complexe. Dans ce cas particulier, comme je l’ai mentionné et souligné, ce sont les médias qui ont attiré notre attention sur ce cas. En fait, ce sont les médias qui nous ont dit « attention », et nous avons pensé pouvoir utiliser ce cas et voir si l’administration prenait ce genre de plainte au sérieux.

Comme je l’ai dit, jusqu’ici, le gouvernement n’a rien fait qui nous montre que nous devrions déployer davantage d’efforts pour essayer de retracer les personnes qui vivent ici, qui possèdent des passeports canadiens et transfèrent des fonds à l’étranger. Tout cela est très décourageant, si je peux m’exprimer ainsi.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis: Ma question s'adresse au professeur Jahanbegloo. Tout comme vous, professeur, je suis très préoccupée par les manquements aux droits de la personne en Iran. Je m'inquiète en particulier de l'augmentation du nombre de prisonniers politiques, du nombre toujours élevé des exécutions, y compris les mineurs, de la pratique répandue de la torture, de la tenue de procès inéquitables, des sommes exorbitantes exigées à titre de caution, ainsi que de sévères restrictions de la liberté d'information, d'expression, d'association, de croyance, d'enseignement et de circulation.

Voici ma question: selon vous, quelle a été la réponse de l'Iran aux pressions internationales concernant la situation des droits de la personne dans ce pays? Est-ce que vous avez vu une amélioration?

[Traduction]

M. Jahanbegloo: Oui. Je n’ai vu aucune amélioration. La dernière réaction que nous avons obtenue a été celle du sous-comité sur les droits de l’homme des Nations Unies. La réponse nous a été fournie, ce qui est très intéressant, par un des membres de la famille Larijani, qui est bien connu en Iran et dont font partie certains dignitaires du régime. C’était une façon d’écarter les rapports présentés par le rapporteur des Nations Unies sur les droits de l’homme et aussi par le gouvernement canadien.

La réponse du gouvernement iranien depuis 30 ans a toujours consisté à rejeter ce genre de rapports.

J’ai défendu les droits de la personne pendant 15 ans et j’ai assisté à plusieurs reprises à des séances du sous-comité des droits de l’homme. Nous avons connu le même problème il y a 20 ans et rien n’a changé. Je pense qu’il faudrait pouvoir imposer des sanctions plus sévères pour appliquer les politiques en matière de droits de la personne, non seulement du Canada, mais celles d’autres pays.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis: Après les élections en Iran, je crois que les réformateurs ne pèsent pas tellement lourd. L'affrontement aura certainement lieu entre les députés favorables à Khameini et ceux qui sont en faveur de Ahmadinejad. On sait qu’entre le président et le guide suprême la guerre est déclarée et ce depuis longtemps car ils veulent détenir le contrôle des services de renseignement et du ministère du pétrole.

À mon avis, on pourra y voir un dénouement lorsqu’il y aura une autre élection présidentielle en 2013, et à laquelle ne pourra pas participer M. Ahmadinejad. Selon vous, quel est le rapport de force entre les partisans et les opposants de Ahmadinejad?

[Traduction]

M. Jahanbegloo: Ce n’est pas tant M. Ahmadinejad qui est à l’origine du problème. La question dont nous n’avons pas parlé et qu’il conviendrait de mentionner est qu’il existe un Corps des gardiens de la Révolution islamique, qui exerce un contrôle politique et économique sur le pays. Ce contrôle s’exerce non seulement sur les décideurs politiques, mais également sur les décideurs économiques. Ils contrôlent la plus grande partie du pays.

Comme nous l’avons vu en 2009, le danger vient principalement de deux institutions répressives en Iran: l’une est un groupe paramilitaire proche du chef suprême et l’autre est le CGRI qui contrôle tous les aspects militaires. Même si M. Ahmadinejad n’était plus président demain, ce n’est pas vraiment lui qui dirige l’Iran, en particulier pour ce qui est des institutions répressives qui commettent des violations des droits de la personne.

Le sénateur Frum: Messieurs, merci d’être ici et du travail que vous faites pour défendre les droits de la personne en Iran. Monsieur Shahrooz, merci pour vos aimables commentaires. J’apprécie ce que vous avez dit au sujet des initiatives que le comité a prises. Je conviens avec vous que nous pourrions et devrions faire beaucoup plus. Je sais que mes collègues et moi sommes convaincus qu’il faut agir.

Ma question se situe dans le prolongement des questions qu’a posées le président pour ce qui est d’expulser du Canada les collaborateurs et les dirigeants de ce régime tyrannique. Je vais demander à chacun d’entre vous ce qu’il pense de l’idée de qualifier le CGRI d’entité terroriste et de l’inscrire sur la liste canadienne.

Je crois comprendre que pratiquement tous les membres de l’élite iranienne sont membres du CGRI, de sorte qu’une telle inscription viserait un grand nombre de personnes. Le banquier en question était-il membre du CGRI et aurait-il été possible de l’empêcher de venir au Canada si cela avait été le cas?

M. Shahrooz: C’est une excellente question. Je ne suis pas tout à fait sûr que cette personne aurait été visée par une telle inscription. Il est toutefois important de noter que le CGRI n’est pas simplement une force militaire. C’est une force commerciale importante en Iran. En l’inscrivant sur la liste des organisations terroristes, cela permettrait de viser une grande partie de l’appareil de la République islamique. Je pense que ce serait une excellente décision.

Toutes les activités du gouvernement iranien qui menacent la communauté internationale et qui répriment la population iranienne sont bien souvent le fait de membres du CGRI. Il se trouve au cœur de la République islamique. On retrouve sa marque sur de nombreuses activités terroristes dans le monde entier, que ce soit en Argentine, dans les récentes attaques commises en Thaïlande ou ailleurs. Comme M. Jahanbegloo l’a fait remarquer, c’est le CGRI qui est en grande partie responsable du dossier nucléaire en Iran. C’est l’institution la plus importante de ce pays. Si elle était inscrite à titre d’organisation terroriste, cela renforcerait considérablement l’application de notre politique en matière de droits de la personne comme j’y ai fait allusion dans mes remarques.

Le sénateur Frum: Monsieur Ehsassi, voulez-vous faire un commentaire?

M. Ehsassi: Oui, bien sûr. Vous avez raison de dire que le CGRI a considérablement renforcé sa position au sein de la société iranienne au cours des sept dernières années. Depuis la première élection de M. Ahmadinejad, divers membres du CGRI ont fait partie du conseil des ministres. C’est une nouvelle dynamique qui est apparue sous la première administration de M. Ahmadinejad.

En outre, avec l’évolution de la situation et son aggravation en 2009, toutes les factions politiques iraniennes, qu’il s’agisse du chef suprême ou du président Ahmadinejad, essaient constamment d’obtenir les faveurs du CGRI pour la simple raison qu’elles veulent renforcer leur position au sein de la hiérarchie politique iranienne. Résultat, et vous pouvez examiner la plupart des études et des évaluations effectuées, comme M. Shahrooz y a fait allusion, on pense que le CGRI et les autres groupes militaires et paramilitaires contrôlent près de 50 p. 100 de l’économie iranienne. Ce sont en effet eux qui décident des industries à favoriser, quelles sont celles qui seront profitables et ils peuvent ensuite facilement s’attribuer des postes de direction.

Un autre fait qui vous fera peut-être mieux comprendre leur situation et leur influence dans l’administration iranienne est que le ministre actuel du pétrole est également un ancien membre du CGRI.

Je pense que ce serait une excellente chose que tous les membres du CGRI figurent sur cette liste. C’est une organisation sur laquelle repose toute l’économie iranienne et il me paraît bien entendu tout à fait impératif de tenir compte du fait qu’elle participe activement au financement du terrorisme international par le gouvernement iranien.

Pour ce qui est de la personne qui est arrivée au Canada, M. Khavari, il n’est pas lui-même membre du CGRI mais la banque qu’il dirigeait — et j’insiste sur le fait que c’était la principale banque étatique en Iran — a en grande partie servi à financer les activités terroristes de l’Iran dans la région.

Le sénateur Frum: Dans ce cas particulier, l’inscription de cette organisation sur la liste noire n’aurait donc pas été utile?

M. Ehsassi: La banque qu’il dirigeait figurait sur cette liste. Ce n’est pas la seule façon de traquer les hauts dirigeants du gouvernement iranien.

Le sénateur Frum: Monsieur Jahanbegloo, pouvez-vous nous dire, pour le compte rendu, si vous souscrivez à l’idée d’inscrire cette organisation sur la liste?

M. Jahanbegloo: Je suis tout à fait d’accord avec mes collègues. Je pense qu’inscrire le CGRI sur la liste des organisations terroristes serait un pas dans la bonne direction. Je tiens toutefois à ajouter, comme mes collègues l’ont fait, que le CGRI n’est pas seulement un groupe terroriste, ce n’est pas seulement un groupe militaire, ce n’est pas seulement non plus une institution financière et économique, mais c’est un groupe qui possède ses propres prisons et qui pratique la torture.

De façon très surprenante, il y a eu une affaire que mes amis et moi-même n’avons pas mentionnée et qui a fait surface il y a quelques années à Toronto; elle concernait également un des membres de la famille Larijani. Il se trouve qu’un de mes collègues de l’Université York a appris qu’un centre culturel du nom de Center for Iranian Studies avait été mis sur pied dans le quartier Sheppard de Toronto. C’était en fait une façade culturelle pour certains de ces groupes et lorsque les médias canadiens ont publié cette nouvelle, nous avons constaté que la maison dans laquelle était hébergé le centre avait été achetée par un des frères de la famille Larijani. Huit professeurs irano-canadiens ont signé une pétition, ce qui a entraîné la fermeture de leur site Web, la cessation de leurs activités et du fonctionnement du centre. C’est un bon exemple qui nous permet de comprendre comment ces fonds sont arrivés au Canada et l’usage qui en a été fait, pour savoir créer une façade ou un paravent culturel.

Si je peux ajouter quelque chose à ce que vient de dire mon collègue, je dirais que les fonds du CGRI pourraient venir indirectement dans notre pays et être utilisés — je n’ai aucune preuve de cela — pour exercer éventuellement différentes activités et que nous devions être très prudents et très vigilants dans ce domaine.

Le sénateur Robichaud: Est-ce que les membres de ce corps sont bien connus? Si nous avions recours à des restrictions, combien d’entre eux seraient touchés par celles-ci? Ou y a-t-il des membres que nous ne connaissons pas? Vous dites que c’est un corps militaire, mais qu’il effectue également des opérations commerciales et beaucoup d’autres choses encore.

M. Ehsassi: Eh bien, comme vous pouvez l’imaginer, le régime iranien est très opaque, mais à tout le moins, si nous décidions qu’il serait souhaitable d’inscrire sur une liste des individus ou le CGRI lui-même, je crois qu’avec l’aide de plusieurs spécialistes, nous pourrions savoir qui sont les hauts dirigeants de cette organisation. Je ne pense pas que cela serait très difficile.

La présidente: Ceux que le Canada a inscrits sur cette liste font-ils, dans l’ensemble, partie de cette garde?

M. Ehsassi: Oui, je crois que les noms des membres de la haute direction de l’organisation ont été inscrits sur cette liste, cela concerne les cinq ou six officiers de rangs les plus élevés; mais bien évidemment, c’est une organisation qui a des racines dans l’ensemble des pays et nous pourrions peut-être faire davantage de ce côté.

La présidente: Merci.

[Français]

Le sénateur Nolin: Merci à vous trois de vous être présentés cet après-midi. J'aimerais un peu changer le focus de la discussion qu'on a tenue jusqu’à maintenant. Nos discussions ont souvent porté sur ce qui se passait en Iran. J'aimerais examiner avec vous la composition de la diaspora iranienne au Canada. De toute évidence, à moins que je ne me trompe, vous faites tous les trois partie de cette diaspora.

Les plus récentes statistiques nous démontrent qu’environ plus de 120 000 personnes d'origine iranienne vivent au Canada. J'aimerais dans un premier temps, essayer de comprendre où vivent ces gens? Je comprends des notes qui nous sont fournies que la plupart de ces Canadiens de descendance iranienne sont de la première génération, de toute évidence peut-être que vous ne faites pas partie de ce groupe, mais j'aimerais comprendre de façon assez basique qui sont les Iraniens qui vivent au Canada? Et j'aurais certainement d'autres questions plus précises à vous poser après avoir entendu vos réponses. Ma question s'adresse aux trois témoins.

[Traduction]

M. Shahrooz: C’est une excellente question, sénateur. Si nous voulons adopter une bonne politique canadienne dans ce domaine, il est extrêmement important de mieux comprendre ce qu’est la diaspora irano-canadienne. Cette diaspora offre la possibilité d’obtenir de l’information au sujet de ce pays.

Pour ce qui est de la communauté irano-canadienne, je crois que vous avez mentionné le chiffre de 120 000. C’est à peu près le chiffre que j’ai vu. Je crois que dans l’ensemble, la communauté iranienne vit à Toronto. Il y a des petits groupes d’Iraniens qui vivent dans les autres régions du pays — Vancouver et Montréal étant les autres centres importants — mais je crois que Toronto est le centre de la vie irano-canadienne, principalement dans le secteur nord de Toronto.

La première vague des Iraniens qui ont immigré au Canada est arrivée vers 1979, immédiatement après la révolution, et plusieurs vagues se sont ensuite succédées. En deux mots, chaque fois que la répression visait directement un groupe particulier, les membres de ce groupe religieux politique émigraient au Canada. Dans le cas de la communauté irano-canadienne de Toronto, vous constaterez une grande diversité d’opinions politiques, de groupes religieux et de points de vue au sujet de la République islamique. Mais dans l’ensemble, ses membres s’intéressent beaucoup à ce qui se passe dans leur pays d’origine. Il est possible que mon échantillon de personnes soit quelque peu influencé par les cercles que je fréquente, mais je crois que, dans l’ensemble, ils s’opposent au gouvernement iranien. C’est ce que nous avons constaté en 2009 grâce au nombre d’Irano-canadiens qui ont décidé de manifester et aussi avec le nombre des personnes qui étaient disposées à signer une pétition contre cet individu dont nous avons parlé.

Les questions qui touchent l’Iran les intéressent beaucoup et ils craignent que la politique canadienne ait des répercussions négatives sur eux, même s’ils n’ont aucun lien avec la République islamique, s’opposent en réalité carrément à ce régime et sont prêts à agir pour concrétiser cette opposition à ce gouvernement. Ils craignent que les erreurs commises par les législateurs canadiens aient des répercussions négatives sur eux et aussi sur leurs familles et sur leurs amis restés en Iran.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je vais revenir à la question des relations entre la communauté iranienne au Canada et leur famille en Iran. J'aimerais explorer avec vous, professeur, est-ce qu'il existe des liens professionnels entre des professeurs iraniens au Canada et ceux en Iran, des relations inter-universitaires entre l’Iran et le Canada?

[Traduction]

M. Jahanbegloo: Oui. J’aimerais ajouter quelque chose à ce que vient de dire mon collègue. Je pense que la communauté irano-canadienne est une des communautés les plus instruites du Canada. À la différence de l’Europe et des États-Unis, il y a eu plusieurs vagues d’immigration vers le Canada. C’est une communauté très jeune et très instruite. Elle a prospéré et bien réussi dans les milieux commerciaux, universitaires et artistiques. De nombreux Irano-canadiens sont bien connus dans la société canadienne.

De plus, pour répondre à votre question, je pense qu’étant donné que le milieu universitaire iranien est persécuté et forme une communauté dissidente, il y a eu beaucoup de contacts entre les universitaires iraniens et leurs homologues canadiens. Ces contacts ont été fort utiles. J’ai insisté pour obtenir des subventions et créer des cyber forums destinés à développer les contacts qui existent déjà pour encourager la démocratisation de l’Iran.

[Français]

Le sénateur Nolin: Y a-t-il beaucoup d'Iraniens qui étudient au Canada?

[Traduction]

M. Jahanbegloo: Oui, il y a beaucoup d’étudiants iraniens qui étudient au Canada.

Il est bon d’ajouter, pour répondre à une question précédente, qu’il y a beaucoup d’Iraniens de deuxième génération, d’Irano-canadiens, parmi les étudiants de l’Université de Toronto. Ils ont grandi au Canada et la plupart d’entre eux parlent couramment le farsi et l’anglais, ce qui est un avantage important.

[Français]

Le sénateur Nolin: J'aimerais revenir, monsieur Shahrooz, à la question de la relation entre la communauté iranienne vivant au Canada et leur famille demeurant encore en Iran.

Compte tenu des possibles problèmes financiers auxquels fait face la population iranienne en Iran, y a-t-il des transferts monétaires ou de l'aide provenant de la communauté iranienne vivant au Canada en direction de leur famille ou de la population iranienne vivant en Iran? Et si oui, quelle est l'ampleur de cette aide?

[Traduction]

M. Shahrooz: Je crois savoir que les Irano-canadiens envoient de l’argent en Iran, mais que cela est de plus en plus difficile. La Loi sur les mesures économiques spéciales, dont j’ai parlé à quelques reprises, a resserré les contrôles sur toutes les activités financières. Elle prévoit une exception qui autorise les versements de nature non commerciale jusqu’à un montant de 40 000 $, ce qui est utile et permet d’envoyer des fonds en Iran, mais elle complique néanmoins les opérations.

Par exemple, si vous essayez de faire des affaires ou si vous avez des biens en Iran et que vous voulez envoyer des fonds dans ce pays, ou si vous voulez envoyer un montant supérieur à ce maximum, vous vous heurtez à de graves difficultés. Comme je l’ai dit, il arrive souvent que les institutions financières canadiennes décident de leur propre chef de fermer des comptes bancaires, même si le solde est inférieur à ce seuil, ce qui complique la vie des gens qui veulent obtenir une hypothèque ou faire d’autres opérations courantes.

Le sénateur Nolin: Avez-vous une recommandation précise que vous aimeriez voir figurer dans notre rapport?

M. Shahrooz: Je pense que l’on pourrait relever le seuil de 40 000 $. Il faudrait faire une étude des activités commerciales qui sont exercées. Pour le reste, je regrette de ne pas pouvoir vous formuler de recommandation plus précise. Il faut étudier les genres de fonds qui passent d’un pays à l’autre pour être sûr de bien viser les opérations qui doivent l’être et d’autoriser les gens à envoyer de l’argent à leurs familles pour les aider.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je vous remercie. Je donnerai mon nom pour la deuxième ronde de questions.

[Traduction]

Le sénateur Johnson: Je suis heureuse que vous soyez ici. Merci d’être venus.

Je vais poursuivre sur la question du commerce, parce que le ministère canadien des Affaires étrangères a déclaré que nous avions exporté des biens d’environ 126 millions de dollars en Iran en 2011 et importé des biens d’un montant de 34 millions de dollars. Nos principales exportations sont des produits alimentaires, agroalimentaires, pharmaceutiques et métalliques et nos importations visent principalement les légumes, les produits alimentaires et les textiles. D’après le ministère, les investissements bilatéraux sont négligeables dans la mesure où il n’y a pratiquement aucun investissement iranien qui se fait au Canada. En raison de la situation actuelle, les données relatives à nos échanges commerciaux avec l’Iran donnent une image très variable. Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de nos relations commerciales avec l’Iran aujourd’hui? Comment ont-elles évolué au cours des 10 dernières années?

M. Jahanbegloo: Je pense que M. Shahrooz est mieux placé que moi pour répondre à cette question, mais je dirais que je sais que les relations commerciales entre le Canada et l’Iran ont été directement influencées par la politique étrangère canadienne au sujet de la situation des droits de la personne en Iran.

Il y a environ une dizaine d’années, le volume des échanges commerciaux était beaucoup plus élevé et à cause de l’affaire Kazemi, de mon propre cas où j’ai été envoyé en prison en 2006 et de celui d’autres Irano-canadiens, le commerce entre le Canada et l’Iran a diminué parce que le gouvernement canadien n’était pas bien représenté en Iran. La situation s’est détériorée en 2009. Il faut en tenir compte.

M. Shahrooz: Je n’ai pas grand-chose à ajouter. La politique privilégiant le contrôle des échanges qui est actuellement en vigueur nuit beaucoup au commerce entre les deux pays. Le problème est celui dont nous avons déjà parlé en détail, à savoir que les sommes envoyées en Iran par des membres de leur famille font l’objet de sanctions alors que les personnes qui ont des liens avec le gouvernement réussissent d’une façon ou d’une autre à se soustraire aux mesures en place.

Le sénateur Johnson: J’ai posé cette question pour deux raisons.

Il y a deux mois, le Canada a imposé des sanctions supplémentaires aux termes de la Loi sur les mesures économiques spéciales, d’après ce qu’a annoncé notre ministère des Affaires étrangères. Ces mesures ont imposé un gel des actifs et interdit les transactions avec trois individus et cinq autres entités qui suscitent de graves préoccupations.

Nous parlions de sanctions. Compte tenu de tout cela, comment se comparent les sanctions qu’impose le Canada avec celles des États-Unis, de l’Union européenne et des autres alliés et serait-il possible de renforcer nos sanctions dans ce domaine?

M. Shahrooz: Monsieur Ehsassi a fait allusion à cela tout à l’heure. Les sanctions des États-Unis et de l’Union européenne sont d’une certaine façon plus sévères que les sanctions canadiennes; cela vient du fait qu’elles ont une composante axée sur les droits de la personne. Les États-Unis ont nommé un certain nombre de personnes qui ont commis des violations des droits de la personne, tout comme l’a fait récemment l’Union européenne, et les actifs de ces personnes font l’objet d’un gel d’actifs, combiné à une interdiction de voyager.

L’autre aspect qui diffère des sanctions des États-Unis est qu’à ma connaissance, les sanctions canadiennes visent uniquement des personnes qui se trouvent au Canada ou les Canadiens à l’étranger. Les sanctions des États-Unis ont une portée plus large. Même si vous ne résidez pas aux États-Unis, que vous n’êtes pas Américain, mais que vous commercez avec l’Iran, il arrive souvent qu’on vous empêche ensuite de faire des affaires avec les États-Unis. On ne retrouve pas cet aspect dans les sanctions qu’impose le Canada.

Par exemple, je sais que ces derniers mois, l’État de New York a adopté un règlement selon lequel, dans le cas où une société d’électricité, par exemple, fait des affaires avec l’Iran, elle ne peut alors faire des offres sur des contrats avec l’État de New York. Nous n’avons rien de ce genre au Canada, à ce que je sache.

M. Ehsassi: J’ai examiné les chiffres relatifs au commerce bilatéral il y a sept ou huit ans, au moment de l’affaire Kazemi. À ce moment-là, en 2005, le commerce bilatéral s’élevait à près de 370 millions de dollars. Ce chiffre était toutefois une anomalie, pour la raison que nous avions expédié beaucoup de blé en Iran cette année-là. Comme vous l’avez mentionné, les chiffres actuels sont d’environ 150 millions et n’ont pas varié depuis pas mal de temps.

Cela a un rapport avec la question qu’a posée le sénateur Nolin. Une des choses que nous pourrions faire pour aider les Irano-canadiens et les intérêts commerciaux serait d’établir des lignes directrices sur la façon d’harmoniser ces divers régimes. Je suis convaincu que toutes ces sanctions — qui sont manifestement des mesures fort complexes — ont eu un effet paralysant sur les choses que l’on peut et que l’on ne peut pas faire. Lorsque j’ai préparé ma comparution d’aujourd’hui, j’ai examiné le compte rendu des témoignages des autres experts auxquels vous avez parlé. J’ignorais tout à fait que la seule banque qui a un agent d’observation de la loi est la Banque de Montréal. Toutes les autres banques estiment qu’il est trop difficile d’examiner la masse des règlements susceptibles de s’appliquer à elles.

Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils n’avaient pas réussi à convaincre une banque canadienne de les aider à effectuer des opérations financières. Même si ce régime fonctionne bien sous sa forme actuelle, et disons qu’une personne bénéficie d’une exemption pour de l’équipement médical, elle a souvent beaucoup de mal à trouver une institution canadienne financière disposée à accepter une lettre de crédit ou un document de ce genre. C’est pourquoi j’estime que ce serait une excellente chose d’élaborer des lignes directrices et de les fournir aux diverses banques.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Monsieur Shahrooz, dans une de vos recommandations, vous dites qu'on devrait accueillir à bras ouverts les activistes iraniens. Suggérez-vous que nous hésitons à les accepter au Canada?

Dans un deuxième temps, comment ces activistes peuvent-ils aider la cause de leurs concitoyens lorsqu’ils seront à l'extérieur du pays, entre autres, au Canada?

[Traduction]

M. Shahrooz: Je crois savoir qu’il y a un certain nombre d’activistes iraniens qui attendent une solution depuis longtemps dans divers pays; en Turquie pour la plupart. Parmi les divers pays qui acceptent des réfugiés, c’est probablement le Canada qui a adopté l’attitude la plus favorable aux réfugiés iraniens. Cependant, il y en a encore un grand nombre qui, pour des raisons administratives ou autres — peut-être y a-t-il des limites au nombre de réfugiés que nous sommes disposés à accepter — continuent de rester dans ce pays, en étant privés de ressources et en général, en situation irrégulière. Ils sont souvent maltraités, parce qu’ils sont vulnérables et n’ont pas accès à des mécanismes de protection.

Si nous étions prêts à les accueillir ici, cela aurait un effet extrêmement positif. De cette façon, les activistes iraniens pourraient créer des réseaux plus solides et présenter davantage de renseignements à des instances comme celle-ci, pour que nous sachions ce qui se passe exactement dans ce pays. Un bon nombre de ces jeunes activistes réussissent très bien à créer et à structurer des organismes et pourraient nous donner des idées sur les façons de déstabiliser le gouvernement iranien pour éviter que celui-ci continue à mettre en œuvre sa politique de répression.

La présidente: Une précision, vous dites que ces personnes se trouvent pour la plupart en Turquie.

M. Shahrooz: C’est ce que je pense, oui.

La présidente: Nous avons transféré nos services d’immigration et autres à Ankara. Cette décision va-t-elle leur faciliter les choses? Vous disiez que nous n’aurions pas dû transférer ces services à l’extérieur de l’Iran. Cependant, ceux qui ont la mobilité, la capacité nécessaire pour obtenir le statut de réfugié semblent se trouver en Turquie. N’est-ce pas une bonne décision que d’offrir ces services dans ce pays?

M. Shahrooz: Je crois savoir qu’il s’agit de processus différents et je ne suis pas spécialiste de ces questions. Le service qui a été transféré en Turquie et le traitement des visas temporaires destinés aux touristes et aux étudiants. La politique en matière d’asile est différente et je crois qu’elle n’est pratiquement pas touchée par cette décision. Il est toutefois possible que je me trompe.

La présidente: Un demandeur d’asile, s’il relève du régime des Nations Unies, mais toute personne qui souhaite venir au Canada obtiendrait ces services de la même source, je pense. J’espère que nos agents de recherche vont pouvoir nous dire s’il s’agit d’un transfert limité. Je pensais que nous avions fermé notre service de traitement des demandes en Iran pour le transférer à Ankara et pour y regrouper tous les services reliés aux demandes visant le Canada, à l’exception du traitement des demandes d’asile qui est contrôlé par les Nations Unies.

De toute façon, je pense qu’il faudrait préciser cet aspect et vous pourrez lire le compte rendu par la suite.

Le sénateur D. Smith: Merci, madame la présidente. J’ai déjà soulevé ce point, mais pour ce qui est de cette liste, l’aspect qui me semble plus frustrant est que, pour ce qui est des Iraniens expatriés au Canada, le groupe qui semble parler au nom de tous les groupes est l’Iran Democratic Association. Cette association envoie chaque année quelques personnes au grand rassemblement qui se fait à Paris où se réunissent les groupes qui s’opposent au régime actuel et qui veulent faire connaître leurs points de vue. J’ai assisté à ces conférences à deux reprises et on entend parler que de deux choses: les principes démocratiques et les droits de la personne. Et pourtant, le groupe le plus important sur cette liste de personnes qui luttent pour les principes démocratiques et les droits de la personne figure ici au Canada sur la liste des groupes terroristes.

Je pense que cela s’est fait en réalité il y a plus de 20 ans, au tout début du régime Clinton, lorsque le Président essayait d’entamer un dialogue avec l’administration de ce pays et il avait pris cette initiative à cause d’événements qui étaient survenus des années auparavant. La même chose est arrivée au Royaume-Uni et dans la CEE, mais les responsables ont examiné la question et cet organisme a été supprimé de ces listes par la Chambre des lords au Royaume-Uni et également dans la CEE. Il semble que nous ayons conservé le statu quo et pourtant, à ces réunions, je n’ai jamais entendu parler d’autre chose que des droits de la personne et des principes démocratiques. Je ne comprends vraiment pas pourquoi cette situation perdure. Connaissez-vous cette situation et avez-vous des commentaires à faire au sujet de mes remarques?

M. Shahrooz: Je connais effectivement le groupe que vous mentionnez; c’est le groupe Moudjahidin. Je crois savoir qu’ils ont adopté des pratiques qui ont peut-être changé. Je crois qu’ils ont exercé des activités qui constituaient des violations des droits de la personne et il y a eu des rapports de Human Rights Watch au sujet de ces activités. Dans l’ensemble, on entend souvent dire dans les médias que ces membres se comportent comme s’il s’agissait d’une secte. Je ne suis pas un spécialiste des activités de ce groupe, mais c’est simplement un groupe qu’il faut considérer avec une certaine prudence. Ces membres disent souvent qu’ils veulent défendre les droits de la personne, mais leur dossier montre que nous devons examiner soigneusement ce qu’ils font. Je ne peux pas dire s’ils devraient ou ne devraient pas figurer sur la liste des entités terroristes.

Le sénateur D. Smith: Le groupe de coordination ne figure pas sur la liste des groupes terroristes, mais lorsqu’on examine les choses de plus près, je n’ai jamais constaté qu’il y avait des preuves formelles. Je n’en ai pas trouvé dans les dossiers des tribunaux du Royaume-Uni et de la CEE; la décision a été de les retirer de ces listes.

M. Ehsassi: Vous avez fait allusion au fait que nous semblons avoir du retard sur cette question. Il me paraît toutefois intéressant de noter que l’administration des États-Unis a également du retard. Plusieurs éléments indiquent que les responsables devaient prendre une décision il y a environ un an sur la question de savoir si ce serait une bonne idée ou une mauvaise idée d’inscrire les Mujahedeen sur cette liste. Les autorités ont toutefois stoppé le processus de décision. La raison en est qu’il y a beaucoup de gens qui critiquent cet organisme. Au-delà de ce qu’a mentionné M. Shahrooz, la façon d’opérer de cette organisation n’inspire aucunement confiance et on peut se demander s’il s’agit d’un processus démocratique.

Comme vous pouvez l’imaginer, il y a bien sûr des allégations et des contre-allégations. C’est la raison pour laquelle l’administration américaine a eu beaucoup de mal à prendre une décision à ce sujet. Cela dit, oui, effectivement, l’Union européenne a retiré ce groupe de leur liste d’entités terroristes.

Le sénateur D. Smith: Tout comme le Royaume-Uni.

M. Ehsassi: C’est exact.

Le sénateur Mahovlich: Quelles sont les sanctions supplémentaires que devrait prendre la communauté internationale et dans quel délai leur effet se ferait sentir?

M. Shahrooz: Je crois que les sanctions supplémentaires sont celles dont je parle régulièrement, à savoir établir un lien entre les régimes de sanction et les violations des droits de la personne. Il ne suffit pas de parler du dossier nucléaire. Le régime des sanctions adopté par le Canada est entièrement axé sur la question nucléaire. Il me paraît important d’adopter un point de vue plus large. Il est important d’établir des sanctions pour les violations des droits de la personne pour pouvoir viser les personnes qui ne le seraient peut-être pas autrement, mais également pour la valeur symbolique de la mesure. Il faut en effet que le gouvernement iranien sache que nous savons ce qu’il fait et que nous trouvons que la situation est inacceptable.

Le sénateur Mahovlich: C’est le principal effet que nos mesures pourraient avoir?

M. Shahrooz: Je pense que les sanctions économiques en vigueur actuellement ont un effet très important. Je ne suis pas un spécialiste des sanctions, mais je dirais que nous sommes allés probablement aussi loin que nous pouvions le faire sans nuire à la population iranienne davantage que ce qu’elle subit actuellement.

La présidente: Lorsqu’on parle du dossier nucléaire, le débat est le suivant: à quel moment cette capacité est passée d’un usage non militaire à un usage militaire? Ou, pour formuler cette question autrement, dans quel cas s’agit-il d’une utilisation pacifique et dans quel cas s’agit-il d’une utilisation militaire? Cela peut faire l’objet d’un débat; il peut y avoir des divergences d’opinions à ce sujet.

Lorsque vous parlez de « sanctions pour les violations des droits de la personne » comme avocate — et j’ai deux avocats devant moi et je vais donc m’adresser à eux — je pense que c’est bien là que se trouve le dilemme. À quel moment pensez-vous qu’il faut aller au-delà du régime? Nous avons parlé de la question de l’inscription du corps des gardiens de la révolution sur cette liste et du fait que peuvent également y figurer les personnes qui occupent des postes de direction dans le gouvernement au pouvoir. Comment aller au-delà de cela? Vous parlez constamment de « droits de la personne ». Quel mécanisme permettrait de viser les auteurs de violation des droits de la personne qui ne font pas partie du gouvernement tout en sachant que nous devons soigneusement éviter de nuire à des personnes qui pourraient être visées par de telles sanctions — à savoir les conséquences imprévues sur le citoyen moyen.

D’un point de vue juridique, que souhaitez-vous que le gouvernement canadien fasse en plus d’inscrire certaines personnes sur la liste et de surveiller davantage le régime pour pouvoir lui dire: « Les mesures que vous prenez sont inappropriées et pourraient être signalées au Conseil des droits de l’homme et à l’ONU? » Quelles sont les autres mesures auxquelles vous pensez lorsque vous utilisez l’expression « droits de la personne »?

M. Shahrooz: Dans l’ensemble, cela représente ce que je veux dire par « droits de la personne ». Les « personnes désignées », par exemple, aux termes de la Loi sur les mesures économiques spéciales, devraient inclure des personnes qui ne sont pas visées à l’heure actuelle parce que nous avons axé notre action sur le dossier nucléaire. Leurs actifs devraient être gelés et elles ne devraient pas pouvoir venir au Canada. Nous devrions collaborer avec les pays qui partagent notre point de vue pour veiller à ce qu’elles ne soient pas accueillies non plus par ces pays.

M. Ehsassi: Mon point de vue est différent — cela ne veut pas dire que je ne suis pas d’accord avec M. Shahrooz, mais il a mentionné un certain nombre de moyens précis qui permettent de renforcer les droits de la personne.

Je me pose des questions au sujet de la façon dont nous avons fait connaître notre politique à l’égard de l’Iran. Il est absolument impératif de résoudre la question du nucléaire. Cela est certain. C’est une question d’une grande importance pour la paix et la sécurité internationales. Mais dans nos discussions au sujet de ce problème particulier, nous n’avons jamais mentionné la situation très pénible dans laquelle se trouvent les Iraniens.

Si l’on compare cette position avec celle des États-Unis, on constate que ces derniers ont régulièrement associé les questions qui se posent au sujet des armes nucléaires avec la situation catastrophique des droits de la personne en Iran. Au-delà de tout cela, je pense que ce pays a fait beaucoup plus pour s’occuper des Iraniens en Iran et des Irano-américains. Je puis affirmer ce qui précède, non seulement parce que ce pays a formulé cette question en jumelant ces deux préoccupations, mais tant le Président Obama que la Secrétaire d’État, Hillary Clinton ont, à de nombreuses reprises, apparu sur des émissions en farsi pour expliquer qu’ils s’inquiétaient non seulement des armes nucléaires, mais également des droits de la personne et que ce dernier problème était très important pour eux.

Je me dis que si nous voulons encourager la société civile en Iran, il ne faut pas uniquement parler d’armes nucléaires. Nous devons montrer que nous nous préoccupons de cet aspect et que nous appuierons la population autant que nous le pouvons.

La présidente: C’est essentiellement le message à transmettre, d’après vous. Que pensez-vous que nous pouvons faire pour la société civile étant donné qu’il y a un régime répressif qui contrôle presque tout? Comment nous, les Canadiens, pouvons-nous aider la société civile en utilisant des moyens que l’Europe, qui est très proche de l’Iran et que les Américains, qui disposent de ressources considérables, n’ont pas réussi à utiliser avec succès? Autrement dit, tous ces pays sont frustrés parce que nous voulons renforcer les éléments positifs que l’on trouve en Iran pour appuyer la population. Je ne pense pas que le Canada ait agi de façon différente. C’est une question de savoir comment agir.

Nous avons trois experts qui font partie de la diaspora. Quelles sont les autres mesures que nous pouvons prendre qui ne mettraient pas en danger la vie et les moyens de subsistance des Iraniens? J’ai travaillé avec la communauté dans ce pays. Chaque fois que l’ONU essaie d’envoyer un rapporteur, ceux qui tentent de communiquer avec lui sont emprisonnés et torturés. Il ne suffit pas de dire que nous essayons de rejoindre les civils parce que ces derniers se trouvent dans une situation extrêmement vulnérable lorsque nous le faisons. Notre méthode consiste à nous servir des ONG, par exemple. Il est de plus en plus difficile d’influencer de l’extérieur ce qui se passe à l’intérieur du pays.

Nous avons entendu des témoins affirmer qu’il y avait des personnes très dynamiques dans cette société. La population est très instruite et ce n’est pas la voie que nous devrions choisir. Nous devrions continuer à essayer de condamner le régime et certains de ses aspects sans rendre la société civile plus vulnérable qu’elle ne l’est actuellement. Que pensez-vous de tout cela?

M. Shahrooz: Je pense que vous avez tout à fait raison. Nous devrions principalement nous efforcer de faire connaître notre point de vue. Une des choses que j’ai mentionnée dans mes remarques d’ouverture était qu’il fallait fournir, autant que cela est possible, la technologie Internet aux activistes qui vivent dans ce pays. Cela permettrait à ces derniers de contourner les obstacles que le gouvernement iranien met en place. Je crois que les activistes iraniens apprécieraient beaucoup ce genre d’intervention et sauraient quels sont les pays qui les aident. D’autres pays ont déjà pris des mesures en ce sens. C’est quelque chose que nous devrions faire. Le message serait ainsi diffusé rapidement, tout en répondant aux préoccupations relatives à la sécurité de la population que vous avez mentionnées, sénateur.

M. Ehsassi: Si je peux ajouter quelque chose, en plus d’Internet, il y a un autre instrument qu’utilisent à la fois le gouvernement britannique et le gouvernement américain; il consiste à diffuser des émissions de télévision et de radio en Iran. Il me paraît absolument essentiel de ne pas couper les liens que nous avons avec les Iraniens, parce que, comme vous pouvez l’imaginer, ils vivent dans un état policier qui les alimente constamment en propagande.

Loin de moi de vouloir suggérer de financer des stations canadiennes. D’un point de vue plus créatif, vous serez peut-être intéressé de savoir qu’il existe en fait une station de radio appartenant à des Canadiens et qui est basée en Californie et qui a de la difficulté à diffuser ses signaux en Iran. Les programmes sont en persan.

Une des choses que le gouvernement pourrait fort bien envisager pour empêcher le gouvernement iranien de bloquer la diffusion par radio de nouvelles en Iran serait d’agir de la même façon à l’endroit du gouvernement iranien. Si je comprends bien, le gouvernement iranien bloque régulièrement nos stations de radio et de télévision; cependant, il diffuse lui-même des émissions ici au Canada. Il y a plusieurs stations de radio qui appartiennent à l’État iranien. Je pense que, si nous leur imposions certaines restrictions, alors elles comprendraient très vite qu’elles ne peuvent agir de cette façon et n’essaieraient plus de bloquer cette station de radio de propriété canadienne.

La présidente: Merci. La suggestion que vous avez faite sera très utile pour notre étude.

Le sénateur Downe: Vous avez mentionné dans le témoignage que vous avez livré plus tôt de l’effet très circonscrit qu’ont les sanctions mises en place par le Canada. Il y a seulement 49, je crois que c’est le chiffre que vous avez mentionné, entités sur la liste. Savez-vous comment cela se compare à ce qu’ont fait d’autres pays? Par exemple, combien y a-t-il d’entités sur la liste des États-Unis ou en Europe?

M. Shahrooz: Je pense que c’est vous qui avez fourni ces chiffres.

M. Ehsassi: En fait, je ne le sais pas. Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Je vous prie de m’en excuser.

M. Shahrooz: Je ne peux pas non plus vous le dire avec exactitude. J’ai l’impression que la liste des États-Unis est plus longue pour la simple raison que ce pays utilise un critère axé sur les droits de la personne, ce que nous ne faisons pas. Je crois que cette liste contient certaines personnes qui ne figurent pas sur la liste canadienne.

Le sénateur Downe: Je vais poser une question plus précise. Le banquier que nous avons mentionné il y a un instant et qui est arrivé ici il y a six mois aurait-il pu entrer aux États-Unis compte tenu des règles en vigueur dans ce pays?

M. Ehsassi: Cela me semble une décision difficile. Je pense que oui, il aurait pu entrer dans ce pays au départ, oui.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je serai bref, je remercie le recherchiste de m'avoir fourni quelques données sur la présence d'étudiants iraniens au Canada. Mais avant d'explorer ce chiffre, je voudrais comprendre. Est-ce que c'est facile pour un jeune étudiant ou un jeune iranien de quitter l'Iran et de s'en venir au Canada pour étudier?

[Traduction]

M. Shahrooz: Sénateur, il n’est pas facile pour un étudiant de venir au Canada. Nous avons constaté ce genre de problèmes. Nous avons parlé de l’obtention des visas, par exemple. Même lorsque le bureau des visas se trouvait en Iran, il était incroyablement difficile d’en obtenir un. C’était un processus très long. Les étudiants avaient beaucoup de mal à obtenir leur visa à temps pour pouvoir venir étudier ici.

De la même façon, les étudiants éprouvent de la difficulté à venir ici. Bien souvent, ils ont besoin que leurs parents leur envoient de l’argent ici. Comme nous en avons beaucoup parlé, il est de plus en plus difficile d’effectuer ce genre de transfert. Il y a beaucoup d’institutions financières qui ne sont pas disposées à effectuer ce genre de transferts, même s’ils sont inférieurs au seuil de 40 000 $. Compte tenu de ces problèmes structurels, il est de plus en plus difficile pour les étudiants iraniens de venir étudier au Canada.

Le sénateur Nolin: Vous pourrez peut-être m’aider à comprendre la situation. Le 1er décembre 2001, il y avait 670 étudiants iraniens, des résidents temporaires qui se trouvaient au Canada pour étudier. Le 1er décembre 2010, 10 ans plus tard, il y en avait 3 247. Ce chiffre a donc triplé par rapport au nombre total des étudiants qui sont des résidents temporaires. Si leur situation est aussi difficile, comment expliquer une telle augmentation? J’essaie de comprendre. Que font ces jeunes étudiants iraniens qui étudient au Canada? Est-ce qu’ils étudient vraiment? Quelles sont leurs intentions? Sont-ils actifs politiquement au Canada? Quels sont leurs objectifs? Sont-ils venus ici uniquement pour étudier ou veulent-ils faire autre chose? C’est ce que j’essaie de comprendre.

M. Shahrooz: C’est une excellente question. C’est un chiffre significatif, de sorte qu’il est difficile de dire exactement…

Le sénateur Nolin: Ce chiffre m’a surpris. Je remercie notre personnel de recherche. J’ai été surpris de voir ces chiffres.

M. Shahrooz: Avec un tel nombre, il est difficile de savoir exactement ce qu’ils font. Bien évidemment, il y en a un certain nombre qui sont ici pour étudier. Ils représentent probablement toute la gamme des opinions politiques.

Quant à savoir pourquoi ce nombre a augmenté, je ne pourrais que proposer une explication. J’ai le sentiment que les étudiants iraniens et les Iraniens en général ont de plus en plus de mal à être admis dans un pays étranger et le Canada est peut-être un des rares pays qui les autorise encore à immigrer ici. La seule impression que je retire après avoir parlé à des membres de la communauté et des amis et membres de ma famille en Iran est qu’il existe des problèmes structuraux qui empêchent les étudiants de venir ici. Leur nombre a augmenté, mais il y a peut-être d’autres explications pour ce phénomène.

Le sénateur Nolin: Je vais demander au professeur. En écoutant le témoignage de M. Shahrooz, nous l’avons entendu dire que la plupart de ces étudiants iraniens s’installaient à Toronto. Monsieur le professeur, vous les connaissez probablement tous par leur nom.

La présidente: La question que pose le sénateur Nolin ne porte pas sur la question de savoir s’il est facile de venir au Canada, mais s’il est difficile de quitter l’Iran.

Le sénateur Nolin: Ma question porte sur les obstacles qui les empêchent de venir ici et les raisons qui expliquent une telle augmentation et un tel pourcentage.

La présidente: Le gouvernement iranien empêche-t-il les citoyens de quitter le pays, et cette question fait, je crois, également partie de celle qui a été posée. Monsieur le professeur vous avez peut-être quelque chose à ajouter?

Le sénateur Nolin: Vous en connaissez probablement un certain nombre.

M. Jahanbegloo: Je pense que cette augmentation vient du fait qu’entre 2001 et 2010, il y a eu, premièrement, le mouvement vert et les élections présidentielles de 2009 et entre ces années, de nouvelles mesures ont été introduites. Les universités iraniennes sont très dures avec les étudiants. Un grand nombre d’entre eux ont été expulsés des universités.

La raison pour laquelle un grand nombre de ces étudiants viennent au Canada ou essaient de venir au Canada tient principalement au fait qu’ils ont été expulsés des universités en Iran ou qu’ils se trouvent dans une situation très délicate et vulnérable en raison des activités politiques qu’ils ont exercées au cours de l’élection présidentielle de 2009. Je pense que le chiffre est en fait plus élevé que celui-là. Je connais un grand nombre d’étudiants qui attendent de pouvoir venir au Canada pour poursuivre leurs études.

Le sénateur Nolin: Nous devrions peut-être explorer cette question un de ces jours. Je vous remercie.

La présidente: Merci. Je crois que le temps prévu est écoulé. Je voudrais remercier M. Jahanbegloo, M. Ehsassi et M. Shahrooz d’avoir lancé notre débat dans de nouvelles directions et de nous avoir fourni de nouveaux renseignements. Bien évidemment, nous allons devoir examiner d’autres questions. Nous allons poursuivre notre étude. Si vous possédez des éléments d’information ou des idées que vous aimeriez ajouter, veuillez le faire par écrit et communiquez avec notre greffière. Nous aimerions poursuivre ce dialogue si cela est possible.

Je vais laisser les témoins quitter la salle et nous allons ainsi aborder le point suivant, qui est l’examen du document intitulé Présentation au Parlement de la proposition de services et de droits connexes de Passeport Canada, daté mars 2012 conformément à la Loi sur les frais d’utilisation, L.C. 2004, ch. 6, par. 4(2). Nous avions demandé d’autres renseignements avant d’examiner la question des frais d’utilisation et nous les avons reçus. Ils ont été distribués dans les deux langues officielles. Sommes-nous maintenant prêts à examiner cette proposition? Êtes-vous d’accord?

Des voix: D’accord.

La présidente: J’aimerais que soit présentée une motion voulant que le comité recommande au Sénat…

Le sénateur Nolin: Avant d’accueillir une motion, j’aimerais remercier la greffière de nous avoir envoyé les réponses qu’a fournies le MAECI aux nombreuses questions que nous avions posées au sujet des frais consulaires.

Je ne pense pas que ce document soit un bon exemple de clarté et de précision. Il se contredit presque. Je ne suis même pas certain que le Conseil du Trésor comprendrait ce que contient tout ce document, mais je vous remercie néanmoins de nous avoir fourni cette réponse.

La présidente: D’après moi, ce document prouve qu’ils utilisent d’autres modalités que celles qu’ils utilisaient auparavant.

Deuxièmement, la question — et j’ai obtenu la réponse — est que la partie correspondant aux frais consulaires est visée par la Loi sur le MAECI et que, si cette loi devait être changée, ces frais seraient également visés par la Loi sur les frais d’utilisation, mais cela s’effectuerait à un autre moment et selon un autre processus. Nous avons uniquement reçu la proposition de services et de droits connexes de Passeport Canada.

Tous les renseignements que nous avons obtenus m’ont été utiles et j’espère qu’ils l’ont été pour les autres sénateurs.

Le sénateur Nolin: J’ai dû relire ce document trois fois avant de le comprendre. Je ne suis même pas certain que l’auteur de ce document comprenait à la fin ce qu’il avait écrit. Je pense qu’il a été utile.

La présidente: Oui.

Le sénateur Robichaud: Je ne poserai pas d’autres questions parce que je ne veux pas obtenir de réponses comme les dernières qui ont été fournies.

La présidente: Je vous en remercie. La greffière a fait savoir que, s’il y avait une proposition, ce serait que le comité recommande que le Sénat approuve le document intitulé Présentation au Parlement de la proposition de services et de droits connexes de Passeport Canada datée mars 2012, conformément à la Loi sur les frais d’utilisation.

Quelqu’un est-il prêt à présenter une telle motion?

Le sénateur Fortin-Duplessis: Je la présente.

La présidente: Y a-t-il d’autre intervention? Je regarde le sénateur Robichaud et je vois qu’il est très nerveux. Sommes-nous prêts à mettre la motion au vote?

Des voix: D’accord.

La présidente: Y a-t-il des voix contre? La motion est adoptée. Chers sénateurs, je ferai rapport au Sénat de la proposition de services et de droits connexes de Passeport Canada.

J’estime qu’il est inhabituel, si je pense à toutes les années pendant lesquelles j’ai siégé ici, que ce document ait été renvoyé à notre comité. Il a été renvoyé à d’autres comités et je pense que c’est sans doute une bonne chose qu’une proposition qui touche un des aspects qui relève de notre comité lui soit référée. Les documents à connotation financière ne devraient pas toujours être envoyés au comité des finances. Cela nous donne la possibilité d’apprendre, mais je pense également que nous avons des connaissances très variées sur les affaires étrangères et les questions touchant les passeports. C’est la première fois que nous examinons une question financière. Je pense que cela a été une opération utile, que nous avons appris des choses et je remercie tous les sénateurs d’avoir participé à cette étude.

Comme je l’ai mentionné, le rapport sur le Brésil devrait être prêt la semaine prochaine. Nous allons poursuivre notre étude sur l’Iran. Je pense que le projet de loi sur les munitions et les mines terrestres, le projet de loi S-10, devrait nous être renvoyé. Nous avons réservé provisoirement une plage horaire pour le ministre et j’ai essayé de la protéger pour la semaine prochaine, parce qu’il est très occupé. J’espère que nous allons étudier ce projet de loi. Nous allons devoir attendre de le recevoir. Il y a également quelques autres projets de loi à la Chambre des communes qui vont venir ici plus tard.

Nous allons donc poursuivre notre étude de l’Iran, attendre le projet de loi, ce qui devrait occuper nos prochaines semaines.

Pour le reste, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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