Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 22 -Témoignages du 2 octobre 2012
OTTAWA, le mardi 2 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 heures pour étudier le projet de loi S-11, Loi concernant les produits alimentaires, et portant notamment sur leur inspection, leur salubrité, leur étiquetage, la publicité à leur égard, leur importation, leur exportation, leur commerce interprovincial, l'établissement de normes à leur égard, l'enregistrement de personnes exerçant certaines activités à leur égard, la délivrance de licences à ces personnes, l'établissement de normes relatives aux établissements où de telles activités sont exercées ainsi que l'agrément de tels établissements.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à tous à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
[Traduction]
Je suis le sénateur Percy Mockler du Nouveau-Brunswick, et je suis le président du comité. Avant de demander aux autres sénateurs de se présenter, j'aimerais remercier les témoins d'avoir accepté notre invitation.
Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Merchant : Je suis Pana Merchant, de Regina, en Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Bonjour, je suis le sénateur Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Peterson : Je suis Bob Peterson, de la Saskatchewan.
Le sénateur Plett : Je suis le sénateur Don Plett, du Manitoba.
Le sénateur Buth : Je suis JoAnne Buth, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Demers : Bonjour, je suis le sénateur Jacques Demers, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Je suis Nicky Eaton, de Toronto, en Ontario.
[Français]
Le sénateur Rivard : Bonjour, je suis le sénateur Michel Rivard, des Laurentides, au Québec.
Le président : Merci, sénateurs.
[Traduction]
Nous poursuivons l'étude du projet de loi S-11, Loi sur la salubrité des aliments au Canada. Comme nous le savons, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi sur la salubrité des aliments au Canada au Parlement en vue de renforcer notre système de contrôle de la salubrité des aliments et de réduire le chevauchement pour les producteurs d'aliments canadiens.
[Français]
Cette loi donne à l'industrie des règles simples, claires et directes en matière d'inspection et d'application de la loi pour qu'elle puisse mieux s'acquitter de sa responsabilité d'offrir aux consommateurs des aliments salubres.
[Traduction]
Honorables sénateurs, aujourd'hui nous accueillons deux témoins pour la première partie de la réunion. Tout d'abord, M. Bob Kingston, président national du Syndicat de l'agriculture, Alliance de la fonction publique du Canada.
Merci, monsieur Kingston, d'être ici aujourd'hui et de nous faire part de vos commentaires, de votre avis et de votre vision.
[Français]
Nous recevons aussi M. Paul Caron, un ancien inspecteur de l'Agence canadienne d'inspection des aliments qui est maintenant un conseiller de l'industrie.
[Traduction]
Honorables sénateurs, on m'a dit que le premier exposé sera livré par M. Caron, qui sera suivi de M. Kingston.
Monsieur Caron, monsieur Kingston, les sénateurs vous poseront ensuite des questions.
[Français]
La parole est à vous, monsieur Caron.
[Traduction]
Paul Caron, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénateurs, je m'appelle Paul Caron. En tant qu'inspecteur qui compte 35 ans d'expérience à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, j'ai travaillé dans les abattoirs et les usines de transformation de la viande dans le cadre du programme de la santé des animaux. Pendant la plus grande partie de ma carrière, j'ai été inspecteur à l'importation pour l'ACIA et l'inspecteur responsable de deux centres d'inspection de la viande importée homologués par l'ACIA.
Pendant les 20 dernières années de ma carrière, j'ai été inspecteur au poste frontalier de Windsor-Detroit, c'est-à- dire le poste frontalier commercial terrestre le plus achalandé au Canada. J'ai pris ma retraite en 2005, et la même année, l'ACIA a enlevé tous ses inspecteurs des points d'entrée et a confié la responsabilité de l'inspection de ses produits réglementés à des agents de l'Agence des services frontaliers du Canada. Elle a aussi créé les centres de service à l'importation de l'ACIA. Je pense que j'ai été le dernier inspecteur de l'ACIA à un point d'entrée.
Je vais surtout vous parler de l'importation des aliments et des répercussions qu'aura la Loi sur la salubrité des aliments au Canada. À mon avis, la nouvelle loi n'aborde pas les problèmes liés à l'inspection des aliments importés. Actuellement, seulement 2 p. 100 des produits alimentaires qui entrent au Canada sont inspectés par l'ACIA ou les agents de l'Agence des services frontaliers du Canada. Les seules inspections menées par l'ACIA aux points d'entrée sont les inspections vétérinaires d'animaux vivants et les opérations éclair sporadiques. Une opération éclair est menée par l'ACIA lorsqu'elle retient, pendant une certaine période, toutes les cargaisons de produits qu'elle réglemente pour les inspecter.
Les opérations éclair de l'ACIA ne sont pas efficaces aux frontières terrestres. Je le sais, car j'en ai organisé un grand nombre et j'y ai participé. Les tâche des agents de l'ASFC est d'empêcher l'entrée au Canada d'aliments insalubres. En effet, l'ASFC applique plus de 90 lois, règlements et ententes internationales au nom d'autres ministères et organismes du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires.
Les agents de l'ASFC ont peu de temps pour vérifier si tous les produits alimentaires et les autres produits réglementés par l'ACIA qui entrent au Canada sont salubres et non contaminés. Comme d'autres ministères, l'agence manque de personnel. Les employés, comme leurs collègues au gouvernement, ont établi des priorités pour pouvoir accomplir leur travail : empêcher l'entrée de drogues, d'armes et de pornographie juvénile, contrôler l'identité de tous les voyageurs qui entrent au pays et percevoir les droits et les taxes. Ils n'ont pas toujours le temps de vérifier si tous les produits alimentaires qui entrent au pays sont salubres. Ils reçoivent très peu de formation et d'appui de l'ACIA. Je connais un grand nombre de ces agents qui travaillent aux premières lignes, et je sais ce qu'ils vivent; ils m'en ont parlé.
Au cours de ma carrière, j'ai inspecté des milliers de cargaisons de produits alimentaires dans des remorques et des conteneurs provenant des États-Unis et d'autres pays. J'ai vu des produits alimentaires contaminés par des produits chimiques toxiques, du poison à rat, des produits alimentaires réfrigérés avariés, des camions sales qui dégageaient des odeurs de produits chimiques, et cetera. En ouvrant des conteneurs et en les inspectant en personne, j'ai découvert des cargaisons de produits alimentaires qui ne correspondaient pas à ce qui était décrit dans la déclaration en douane de l'ASFC.
En vertu de la Loi sur l'inspection des viandes et de ses règlements, j'ai refusé l'entrée de cargaisons de viande qui était avariée, qui présentait des défauts pathologiques, qui était contaminée par des matières fécales et qui était mal étiquetée. De nombreux spécialistes en salubrité alimentaire soutiennent que l'inspection organoleptique ne vaut pas grand-chose. Cette technique consiste à examiner différents morceaux de viande post-mortem, par exemple, des foies de bœuf, et cetera, en utilisant la vue, l'odorat et le toucher. Selon un grand nombre de spécialistes en salubrité alimentaire, cela ne donne pas de bons résultats, mais je peux vous dire que si vous apercevez des indices de contamination fécale, vous savez qu'il est possible que l'E. coli se trouve dans ce morceau de bœuf.
Selon le site web de l'ACIA, le système de contrôle des importations du Canada est solide et axé sur les risques, et se fonde sur des normes reconnues à l'échelle internationale. Voici un extrait :
Notre approche est comparable aux systèmes d'inspection des importations d'autres pays développés, dont les États-Unis.
Ce n'est pas le cas. Toutes les cargaisons de produits alimentaires qui entrent aux États-Unis sont examinées aux points d'entrée, alors qu'au Canada, par exemple, les cargaisons de viande sont dédouanées et on espère qu'elles seront inspectées une fois entrées au pays.
Les cargaisons qui entrent aux États-Unis doivent être examinées par l'USDA pour vérifier la santé des animaux et des plantes, ensuite par la U.S. Food and Drug Administration, par la Homeland Security, et enfin par les services frontaliers des douanes, qui dirigent la cargaison vers un centre d'inspection de la viande situé à proximité de la frontière.
Customs and Border Protection dédouane seulement la cargaison aux États-Unis lorsqu'elle a subi toutes ces inspections. Si un exportateur canadien ne présente pas sa cargaison à l'inspection, il peut être déclaré « inadmissible » et devoir payer une amende qui peut aller jusqu'à trois fois la valeur de la cargaison.
Dans une situation semblable à celle qu'a connue XL Foods, c'est-à-dire lorsque les autorités américaines ont découvert l'E. coli dans la viande exportée par le Canada aux États-Unis, je doute beaucoup que l'ACIA aurait pu faire la même chose si la viande avait été transportée en direction de notre pays, étant donné la façon dont son système fonctionne.
Comme pourraient l'affirmer de nombreux exportateurs canadiens de produits alimentaires aux États-Unis, il s'agit d'un obstacle commercial artificiel attribuable aux délais et aux coûts associés au dédouanement de la cargaison. Par exemple, les cargaisons de viande qui entrent au Canada sont seulement contrôlées. Les documents sont contrôlés aux points d'entrée par l'ASFC et la cargaison est dédouanée, et il revient à l'importateur d'avoir l'honnêteté de la faire inspecter.
Ces dernières années, des centaines de cargaisons de viande d'importation qui devaient être inspectées par l'ACIA ne sont jamais parvenues à son centre d'inspection, comme l'exige le paragraphe 9(2) de la Loi sur l'inspection des viandes du Canada. À ce jour, un seul des importateurs qui a violé ce paragraphe a été poursuivi en justice.
Si l'ACIA veut imiter d'autres pays, elle devrait concentrer toutes ses inspections de produits importés, ses vérifications et ses documents aux points d'entrée principaux avant le dédouanement par l'ASFC, comme c'est le cas aux États-Unis, au lieu d'essayer de retrouver les cargaisons une fois qu'elles sont entrées au pays.
L'ACIA a également affirmé, au sujet de la nouvelle loi sur la salubrité alimentaire, que tous les aliments vendus au Canada, qu'ils soient produits au pays ou importés, doivent se conformer à la Loi sur les aliments et drogues et à la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation, et à leurs règlements. J'ai découvert que de nombreuses cargaisons d'aliments provenant de divers pays ne respectaient pas les exigences en matière d'étiquetage de l'ACIA. Pourtant, des inspecteurs de l'ACIA ayant reçu la formation appropriée pourraient repérer ces cargaisons aux points d'entrée, ce qui diminuerait le nombre de rappels.
Les infractions à ces lois abondent sur les tablettes des magasins et dans les points de vente au détail, surtout dans les épiceries ethniques. Les étagères ou les points de vente au détail ne sont plus inspectés par l'ACIA comme ils l'étaient autrefois.
Les honorables sénateurs devraient aussi se pencher sur les lacunes de la formation donnée aux inspecteurs actuels de l'ACIA. En 1970, lorsque j'ai entamé ma carrière, on exigeait que je suive un programme de formation de deux ans avant d'être un inspecteur qualifié. De nos jours, on envoie les inspecteurs aux premières lignes sans leur donner une formation suffisante. Ils sont supervisés par des gens qui ont souvent une formation et des antécédents limités dans le domaine d'inspection dont ils sont responsables.
Un autre problème, c'est que la Loi sur la salubrité des aliments au Canada rassemble tous les produits alimentaires dans la même loi. Toutefois, un produit comme la viande exige une inspection beaucoup plus complexe. En effet, il s'agit d'un produit qui présente un risque très élevé et il ne devrait pas faire l'objet des mêmes exigences en matière d'inspection que les carottes, par exemple.
En tant qu'ancien inspecteur et maintenant en tant que consommateur, je suis très inquiet pour ma famille et les autres Canadiens en ce qui concerne la salubrité alimentaire. Pourquoi l'ACIA soumet-elle les aliments importés à des méthodes d'inspection qu'elle n'approuverait pas pour l'inspection de la viande destinée à la consommation nationale ou à l'exportation?
Le président : Merci, monsieur Caron.
Bob Kingston, président national, Syndicat de l'agriculture — Alliance de la Fonction publique du Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour parler du projet de loi S-11. Pour vous mettre un peu en contexte, le Syndicat de l'agriculture représente tous les employés du gouvernement fédéral ou la majorité d'entre eux dont le travail est en lien avec le portefeuille agricole fédéral. Je suis un agent à temps plein de l'ACIA en congé autorisé, et j'ai 25 ans d'expérience en tant qu'inspecteur, y compris 15 ans en tant que superviseur de l'inspection.
J'aimerais préciser que si le gouvernement ne s'engage pas à veiller à ce que les ressources appropriées soient offertes, les Canadiens ne peuvent pas s'attendre à ce que le projet de loi soit précurseur, à lui seul, d'améliorations dans le domaine de la salubrité alimentaire. Trop souvent, le budget a représenté le facteur déterminant dans l'élaboration et l'exécution du programme d'inspection et de salubrité alimentaire de l'ACIA, ce qui expose inutilement les Canadiens à des risques plus élevés.
Si nous ne faisons pas attention, l'adoption du projet de loi S-11, ainsi que l'initiative de la modernisation de l'inspection de l'ACIA, pourraient être victimes de ces pressions, comme l'a été le système de vérification de la conformité, c'est-à-dire le SVC, avant eux.
Si vous revenez à l'été 2008, quelques mois avant l'incident lié à la contamination qui a frappé Maple Leaf Foods, vous vous souviendrez que l'ACIA venait tout juste de lancer le SVC. Étant donné qu'on n'était pas passé par une phase pilote appropriée et que les leçons tirées du domaine du développement n'avaient pas encore été mises à contribution, l'agence n'avait aucune idée du nombre d'inspecteurs nécessaires pour accomplir le travail exigé par le SVC et on ignorait les compétences et la formation qu'ils devaient posséder. En même temps, on a cessé d'exercer une surveillance plus directe de l'inspection, soit délibérément, soit parce que les inspecteurs, écrasés par la paperasse exigée par le nouveau système, ne pouvaient plus s'acquitter de leurs tâches traditionnelles.
Ensuite, cette terrible histoire de contamination chez Maple Leaf Foods est arrivée, et nous savons tous comment cela s'est terminé. Il convient de relire certaines des observations formulées par Sheila Weatherill dans son rapport. En effet, elle a conclu que le système de vérification de la conformité présentait des lacunes et que « des améliorations essentielles doivent y être apportées sur le plan de la conception, de la planification et de la mise en œuvre. » Elle a aussi conclu que le SVC avait « été mis en œuvre sans que l'on ait préalablement procédé à une évaluation détaillée des ressources disponibles pour s'acquitter de ces nouvelles tâches. »
Après les évènements, on a découvert que Maple Leaf n'avait aucune obligation de communiquer à l'ACIA les résultats de tests qui révélaient que l'usine était contaminée. Dans un système qui s'en remet de plus en plus aux entreprises pour exercer une autosurveillance, on a remédié à ce problème. Maintenant, toutes les entreprises ont l'obligation d'effectuer des tests et de communiquer les résultats positifs à l'ACIA.
Revenons à aujourd'hui. XL Foods, l'un des plus grands transformateurs de viande au pays, vient tout juste de faire un pied de nez à cette exigence, et l'ACIA n'avait pas les ressources nécessaires pour bien comprendre ce qui se passait dans l'usine à ce moment-là.
On est en droit de se demander comment c'est possible. Après tout, le ministre a affirmé à qui voulait l'entendre qu'il y avait plus d'inspecteurs dans cette usine que jamais. Vous serez peut-être intéressés d'apprendre que seule une faible proportion des inspecteurs travaillant à l'usine de XL Foods ont reçu une formation sur le SVC. C'est exact; plus de quatre ans après la mise en œuvre du SVC, la plupart des inspecteurs de l'usine n'ont pas été formés à son utilisation. Pourquoi? La réponse est simple : l'ACIA n'a pas les moyens d'offrir de la formation plus rapidement et il n'y a pas assez d'inspecteurs pour remplacer ceux qui s'absentent pendant leur formation. De plus, les ressources sont souvent redirigées pour résoudre les crises, ce qui compromet encore plus les efforts en formation.
En raison du rythme de production et d'autres facteurs, ceux qui connaissaient le SVC à l'usine XL n'ont pas toujours communiqué les résultats des tâches et des tests menés par l'ACIA dans le cadre du SVC, et les autres inspecteurs n'étaient donc pas au courant lorsqu'un problème exigeant une surveillance accrue avait été repéré.
La situation ne se limite pas à XL. En effet, nous avons appris, au cours d'une conférence à laquelle nous avons assisté la fin de semaine dernière, que la situation était exactement la même au Québec. Il s'agit d'un autre exemple de l'industrie qui exerce une autosurveillance déficiente, car l'ACIA n'a pas les ressources nécessaires pour vérifier qu'elle respecte les critères exigés.
Pour revenir au sujet à l'étude, un grand nombre de personnes affirment que le projet de loi S-11 rendra les importations d'aliments plus sécuritaires, car les importateurs devront obtenir un permis de l'ACIA. Cela pourrait n'être qu'une illusion, car l'agence subira des réductions budgétaires cette année. Qui supervisera les 10 000 nouveaux permis qui, selon les estimations de l'ACIA, viendront avec cette nouvelle exigence, pour vérifier s'ils sont conformes aux exigences en matière de salubrité? En raison de la réduction des effectifs qui a touché la fonction publique fédérale, environ 170 postes administratifs ont été éliminés à l'ACIA. Ce sont ces employés qui devraient normalement lancer, évaluer et approuver ces nouveaux permis, en plus d'en juger l'efficacité. Avec moins de 100 inspecteurs en service — toujours en raison de la réduction des services publics —, vous pouvez en déduire que le nouveau régime de permis pourrait bien rester un exercice bureaucratique.
Pour revenir à Sheila Weatherill, elle a recommandé une vérification indépendante des ressources « pour déterminer précisément les ressources d'inspection nécessaires et le nombre d'inspecteurs requis... »
Même si l'ACIA n'a pas effectué cette vérification, elle a tout de même examiné le programme d'inspection des viandes transformées. Du coup, elle a presque doublé son effectif d'inspecteurs de viandes transformées. Je m'aventurerai à supposer que si l'ACIA examinait de la même façon ses autres programmes d'inspection, par exemple, ses programmes sur la salubrité des viandes et des poissons et ceux sur l'abattage, elle se rendrait compte qu'un tel rajustement à la hausse est nécessaire pour exécuter ces programmes de façon appropriée.
Je presse le comité de modifier ce projet de loi pour rendre cet examen obligatoire. Je suis conscient que le gouvernement a proposé un amendement, mais il ne requiert un examen des ressources de l'ACIA que cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. On se croise les doigts, en quelque sorte, en espérant que rien de grave ne se produira pendant ces cinq ans. Nous savons déjà qu'il y a un problème à régler à l'ACIA; n'attendons pas une autre éclosion avant d'agir.
L'amendement du gouvernement ne requiert pas, non plus, que les résultats de l'examen soient rendus publics. Les lacunes doivent être comblées également.
Comme dernier point, j'ai mentionné que l'ACIA s'emploie actuellement à revoir son programme d'inspection, ce qui donnera lieu sans doute à une réaffectation des ressources. Je suis inquiet à l'idée que les dirigeants de l'ACIA considèrent le programme pour l'abattage et l'hygiène des viandes comme riche en ressources. Dans un geste qui ne ferait que déplacer le problème, l'ACIA pourrait s'imaginer qu'elle peut dévaliser le programme qui nous a laissés tomber à XL pour renflouer d'autres secteurs.
En terminant, si on veut faire de notre système d'assurance de la salubrité des aliments un vrai partenariat entre le gouvernement et l'industrie, il faut que les sociétés alimentaires aient des politiques d'autosurveillance mieux encadrées. Pour reprendre une expression de Ronald Reagan, ce qu'il m'arrive rarement de faire, je dirais que la confiance ne suffit pas, il faut vérifier. C'est comme voir une auto de police dans son rétroviseur, cela nous pousse à respecter le code de la route. Le même principe vaut pour l'industrie.
Le président : Merci, monsieur Kingston.
Le sénateur Plett : Merci, messieurs, d'être venus. Je suis très heureux que vous soyez ici pour répondre à mes questions. Elles ne seront pas trop pointues.
Dans vos exposés, vous avez mentionné que nous avons réduit le nombre d'inspecteurs à l'ACIA. J'aimerais que vous commentiez les chiffres que j'ai en main et qui disent que depuis mars 2006, soit depuis l'entrée en fonction de notre gouvernement, 711 nouveaux inspecteurs ont été embauchés sur le terrain, faisant ainsi passer leur nombre de 2 823 à 3 534 en mars 2012, soit une augmentation d'environ 25 p. 100. Comment conciliez-vous ces chiffres avec une diminution du nombre d'inspecteurs?
Monsieur Kingston, vous avez dit, je crois, que nous avons réduit de 100 le nombre d'inspecteurs, alors que nos chiffres indiquent très clairement que nous en avons ajouté, en fait, 711.
M. Kingston : La suppression des postes dont je viens de parler a eu lieu en avril lorsque le gouvernement a annoncé ses compressions budgétaires.
En ce qui a trait aux chiffres, très honnêtement, depuis que le gouvernement a annoncé cette belle augmentation du nombre d'inspecteurs, j'attends toujours qu'on me donne des précisions à ce sujet. Nous répétons depuis le début que nous ne voyons pas ces gens. Je sais que le gouvernement a embauché 200 personnes dans le dossier des espèces exotiques envahissantes, mais cela n'a rien à voir avec l'alimentation. Je sais aussi qu'après la vérification commandée dans le rapport Weatherill, le gouvernement a embauché 170 personnes pour le programme de viande transformée. Il y a une nette augmentation de ce côté, et nous ne le nions pas.
La suppression de 100 postes dont j'ai parlé s'est produite au printemps dernier.
En ce qui a trait aux quelque 700 employés de plus, nous ne savons pas où ils se trouvent, et ce n'est assurément pas dans les usines d'abattage. Je vous le garantis. Nous avons demandé des précisions à maintes reprises. On me promet une réunion depuis des années pour me fournir des précisions au sujet de ces chiffres, mais j'attends encore une invitation des dirigeants de l'ACIA pour qu'ils nous expliquent le tout, car on ne voit pas ces employés sur le terrain.
Ce que vous devez savoir en outre, c'est que ce chiffre dont on parle n'est pas le nombre d'inspecteurs. Les 700 postes renvoient à une catégorie d'employés à l'ACIA qui sont des techniciens. Ils peuvent travailler n'importe où. Ils peuvent aussi bien travailler dans les bureaux que les laboratoires, ou n'importe où au sein de l'agence; il s'agit simplement d'une catégorie d'emplois. Ce n'est pas une désignation d'inspecteurs. Je peux vous garantir qu'il ne s'agit pas là du nombre d'employés qui sont venus grossir les rangs des inspecteurs alimentaires.
Le sénateur Plett : En fait, selon nos chiffres, les réductions de personnel ont touché les employés des laboratoires, des opérations à l'administration centrale et des programmes.
Conviendriez-vous, toutefois, que les 100 employés qui ont été mis à pied selon vous par le gouvernement sont, en fait, des inspecteurs qui travaillaient dans les provinces et que le gouvernement a simplement cessé de les subventionner, mais que ces inspecteurs sont encore à l'emploi des provinces? Ces emplois n'ont pas disparu. Ces inspecteurs travaillent toujours, mais ces emplois ne sont plus financés ou subventionnés par le gouvernement fédéral.
M. Kingston : Parmi ces 100 employés, 40 s'occupaient, du moins en partie, de la prestation des programmes provinciaux d'inspection des aliments. Il y en avait 60 qui devaient quitter à l'origine. Il y en a 20 qui avaient déjà quitté avant la suppression des 100 postes annoncée en avril. Donc, 40 d'entre eux s'occupaient, du moins en partie, de la prestation des programmes provinciaux. Je n'en connais aucun qui a été embauché par les provinces qui sont censées prendre la relève. En fait, nous avions prévu que ce ne serait pas le cas, puisque pour ce faire, les provinces devraient dans la plupart des cas quadrupler, à tout le moins, leur budget pour y arriver. En Colombie-Britannique, par exemple, où le gouvernement veut mettre en place son propre programme, une des options annoncées sur le site web du ministère de la Santé est celle sans inspection, puisque les fonds ne sont pas au rendez-vous. On propose d'installer des caméras dans les usines, et si des problèmes surgissent, eh bien, on pourra toujours visionner la bande vidéo.
Le sénateur Plett : Ces postes d'inspecteurs provinciaux étaient toutefois subventionnés par le gouvernement fédéral. Ces inspecteurs n'étaient pas à l'emploi du gouvernement fédéral. Ils étaient à l'emploi des gouvernements provinciaux.
M. Kingston : Cela n'est pas vrai, en fait. Ils étaient à l'emploi du gouvernement fédéral. Ils étaient à l'emploi de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, ils étaient nommés par le ministre, et ils s'occupaient de la prestation des programmes, au nom des gouvernements provinciaux, dans les usines provinciales, mais ce n'était là qu'une partie de leurs tâches habituellement. Ils travaillaient également dans les établissements fédéraux.
Le sénateur Plett : Monsieur Caron, vous avez mentionné — vous l'avez peut-être fait tous les deux — qu'il y a eu toutes ces compressions. Nous devons tous essayer de vivre selon nos moyens. Toutefois, le fait est que dans son budget de 2011, le gouvernement a bonifié le budget de l'ACIA de 100 millions de dollars sur cinq ans pour moderniser le système d'inspection des aliments au Canada. C'est donc un montant additionnel de 100 millions de dollars sur cinq ans. De plus, dans son budget de 2012, le gouvernement a accordé à l'ACIA un montant additionnel de 51,2 millions de dollars sur deux ans, que l'agence doit partager avec l'Agence de la santé publique du Canada et Santé Canada. Conviendrez-vous qu'il s'agit là d'augmentations importantes du budget, et non pas de diminutions?
M. Caron : Je dirais que ce sont des augmentations importantes, mais ce que je constate dans le cadre de mon travail et maintenant dans l'industrie, c'est qu'il n'y a plus d'employés de l'ACIA à la frontière, quels qu'ils soient.
Le sénateur Plett : Toutefois, le budget a été augmenté de façon considérable.
M. Caron : Oui, je dirais qu'elle a été considérable.
Le sénateur Plett : Merci.
J'ai un dernier commentaire, si je peux me permettre, monsieur le président, avant d'attendre le prochain tour.
Monsieur Kingston, je présume que vous allez fournir au comité, par l'entremise du greffier, la liste des lacunes du gouvernement dans la mise en œuvre du rapport Weatherill. Les renseignements que j'ai obtenus indiquent clairement que le gouvernement a, en fait, mis en œuvre les 57 recommandations que contenait le rapport, et vous semblez dire le contraire. Si ce n'est pas le cas, j'aimerais que vous nous fassiez parvenir, par l'entremise du greffier, la liste des recommandations qui n'ont pas été mises en œuvre, et si c'est bien le cas, je m'attends à ce que la situation soit corrigée.
M. Kingston : Avec plaisir.
Le sénateur Plett : Merci.
C'est tout pour l'instant, monsieur le président.
Le président : Nous avons le sénateur Peterson, suivi du sénateur Rivard.
Le sénateur Peterson : Merci, monsieur le président, et merci à vous, messieurs, de vos exposés ce soir.
Une des grandes préoccupations que nous avons, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de fonds ou d'inspecteurs sur le terrain pour assurer la salubrité des aliments comme il est mentionné dans ce projet de loi, et vous semblez avoir confirmé que c'est bien le cas. Toutefois, vous avez des chiffres, nous avons des chiffres et ils ont des chiffres. Nous brandissons tous des chiffres. On parle ici de la sécurité des Canadiens et de leur vie. N'avons-nous pas le devoir de demander à une tierce partie après l'adoption du projet de loi de dresser un bilan de la situation pour que les Canadiens sachent où nous en sommes et quelles sont les lacunes à combler?
M. Kingston : Je recommanderais cela sans hésiter. En fait, je tiens à apporter une précision.
Depuis le début de la bataille de chiffres, nous n'avons jamais mis l'accent sur les réductions ou les coupures. Tout ce que nous demandons, c'est une évaluation des besoins, en fonction de l'architecture des programmes, et que l'on veille à ce que ces besoins soient satisfaits. C'est tout ce que nous avons toujours demandé, et c'est ce que nous demandons encore aujourd'hui. Nous ne savons pas s'il faut faire des changements ou simplement procéder à des réaffectations.
En ce qui a trait aux augmentations budgétaires, je n'ai pas mon mot à dire sur l'affectation de ces sommes; je ne peux donc pas dire si les sommes sont affectées au bon endroit. Ce qui importe à mon point de vue, c'est ce que vous venez exactement de dire : procéder à une évaluation objective et en profondeur des programmes et des ressources qui sont requises pour les mener à bien, puis analyser ce que nous avons en main. C'est ce que nous avons toujours demandé.
Le sénateur Peterson : Vous dites cela, assurément, à la lumière de ce qui vient de se passer en Alberta; nous devons être en mode proactif plutôt qu'en mode réactif. On parle ici de sécurité. Il semble donc plus important encore maintenant de demander à une tierce partie, tout de suite après l'adoption du projet de loi, de procéder à une évaluation de la situation, puis de répéter l'exercice tous les cinq ans.
M. Kingston : Tout à fait. Dans le cas XL, par exemple, le gouvernement a dit, à juste titre, qu'il y avait de nombreux inspecteurs sur les lieux. Il y a une fausse perception à cet égard, je crois, car il n'y a pas eu d'évaluation.
En fait, l'usine est immense et s'étend sur plusieurs pâtés de maisons. Même si 20 inspecteurs sont sur place, compte tenu du volume et de la vitesse de production, ces inspecteurs, même s'ils sont nombreux, ne sont pas en mesure de s'acquitter de leurs tâches dans un tel environnement, à tel point que l'agence est forcée de laisser certains secteurs de l'usine avoir recours à l'autosurveillance. Dans le présent cas, une chose très importante s'est produite. C'est l'usine, et non l'ACIA, qui est responsable du contrôle des mesures d'hygiène. L'ACIA n'a qu'un rôle de surveillance à jouer en vérifiant si l'usine fait bien ce qu'elle dit qu'elle fera, mais concrètement, cette responsabilité incombe à l'usine.
Nous savons tous d'où provient la bactérie E. coli. C'est en fait cette partie du programme. C'est le programme de surveillance de l'usine même qui est en cause ici. Et l'ACIA, pour une raison ou pour une autre, n'avait pas la capacité voulue pour repérer le problème à temps.
C'est ici qu'une évaluation jouerait un rôle inestimable, car ce qui semble un nombre important pourrait se révéler être insuffisant ou mal réparti, qui sait? Sans évaluation, nous ne pouvons pas le savoir.
Le sénateur Peterson : Est-ce que l'autoréglementation par l'industrie sans supervision de l'ACIA pourrait être en partie responsable de ce qui s'est passé?
M. Kingston : Ce pourrait bien être le cas, oui. Comme je l'ai mentionné, l'usine avait la responsabilité de s'en charger, et elle ne s'est pas acquittée de cette responsabilité de manière adéquate; l'autoréglementation est donc un problème dans ce cas. Dans quelle mesure une modification des procédures de l'ACIA aurait-elle permis de repérer le problème plus vite, je n'en suis pas certain, mais ce sont les activités autoréglementées par l'industrie qui sont en cause ici.
Le sénateur Peterson : Monsieur Caron, en ce qui a trait à l'importation de produits étrangers et au nombre de nouvelles licences dont on parle, un nombre hallucinant, le système a-t-il la capacité d'absorber tout cela?
M. Caron : En aucun cas; ce serait difficile. Comme l'a mentionné M. Kingston, il y aura sans doute 10 000 demandes. Pour que les employés puissent traiter toutes ces demandes, il faudrait mettre en place une base de données, puis mettre à jour divers systèmes sur les importations en collaboration avec les douanes et d'autres organismes gouvernementaux. Il est tout à fait impossible que les employés actuels puissent absorber un tel volume de travail.
Le sénateur Peterson : Pour y arriver, il faudrait affecter les inspecteurs aux licences plutôt qu'aux inspections. Est-ce que cela pourrait se produire?
M. Caron : Cela dépend de leurs fonctions. Ce serait un très gros chantier administratif. Les inspecteurs devront probablement jouer un rôle si les employés administratifs ne suffisent pas à la tâche, car les entreprises se bousculeront aux portes pour être sur la liste et pour pouvoir importer au Canada. L'ACIA devra sans doute réaffecter un grand nombre d'employés pour y arriver.
Le sénateur Peterson : Nous savons que son budget sera réduit d'année en année, au cours des trois prochaines années, et que les compressions atteindront 56 millions en 2014-2015. Il semble que ce soit une tâche impossible à accomplir quand le budget va dans le sens contraire.
M. Caron : Actuellement, je suis d'accord avec vous.
[Français]
Le sénateur Rivard : Monsieur Caron, vu que je n'avais pas votre texte, je suis obligé de vous demander si j'ai bien compris. Vous avez affirmé que tous les aliments canadiens exportés aux États-Unis étaient inspectés à 100 p. 100 par les Américains, alors que, pour les produits américains que nous importons, c'est à peine 2 p. 100. Est-ce que c'est bien ce que vous avez dit?
[Traduction]
M. Caron : À l'heure actuelle, lorsqu'une entreprise veut exporter des produits alimentaires aux États-Unis, elle doit en aviser les douanes deux heures à l'avance. Le service des douanes prend alors en note le type de chargement, le nom de l'exportateur, le type de denrée, le type de produit alimentaire — viande, légumes, aliments transformés. Il note même le nom du camionneur, de l'entreprise de camionnage, de l'entreprise de transport ou de logistique. Il prend en note de nombreux éléments — le nom de l'exportateur, de l'importateur aux États-Unis — et le tout est entré dans une base de données pour qu'on procède à une évaluation des risques. À partir de cette information, on décide si le chargement sera soumis à une inspection.
Selon ce que j'ai entendu, environ 70 p. 100 des chargements subissent une inspection. Pour les produits de viande, la procédure est un peu différente. Toutes les cargaisons sont inspectées, toutes sans exception. Le chargement doit d'abord être examiné par les gens du Service des douanes, puis par ceux du Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques, puis par ceux du ministère de l'Agriculture, qui s'occupent des maladies touchant les animaux, puis le tout est envoyé à un centre d'inspection qui est situé près de la frontière. Le chargement n'est pas encore libéré par les douanes. Il est envoyé au centre d'inspection où on inspecte toutes les cargaisons, tous les camions et tous les conteneurs. Les inspecteurs du Service d'inspection et de la sécurité alimentaire utilisent pour ce faire un programme d'inspection informatisé. Ils déchargent souvent le camion pour examiner des échantillons, et c'est ainsi qu'ils ont attrapé le chargement venant de XL. Ils ont inspecté la cargaison et pris des échantillons. Ils ont un programme en réseau qui indique aux inspecteurs quoi faire.
Tous les camions de viande qui arrivent aux États-Unis sont inspectés. Je dirais que 70 p. 100 des produits alimentaires sont inspectés. Ils sont soumis à un dépistage rigoureux au point même d'entrée. Ça se passe là.
Pour les chargements qui arrivent au Canada, on se contente d'en lire les codes à barres au point d'entrée, puis, si l'ACIA décide qu'ils ont besoin d'être inspectés, elle essaie de les localiser à l'intérieur du pays.
[Français]
Le sénateur Rivard : J'accepte ce que vous me dites, mais je suis très surpris qu'on ne prenne pas plus de précautions du côté canadien pour ce qui est des produits américains. Je ne mets pas en doute du tout ce que vous dites, mais c'est à vérifier, car je serais stupéfait s'il s'avérait que vous avez raison concernant l'aliment américain importé au Canada et le fait qu'il y aurait si peu d'inspection. Vous affirmez toujours qu'à peine 2 p. 100 sont vérifiés?
[Traduction]
M. Caron : C'est le chiffre que j'ai entendu, que j'ai lu.
Comme j'ai dit, on autorise à la frontière le passage de chaque chargement de viande qui arrive au Canada, puis il incombe à l'importateur de le faire inspecter dans une installation à l'intérieur du pays, qui pourrait se trouver à des centaines de milles de la frontière. Il doit consulter un site web de l'ACIA pour savoir si le chargement doit être inspecté. Une partie des lots, un sur 10, doit subir une inspection complète. Si une inspection complète est exigée, l'importateur est tenu de le faire inspecter.
Ces dix dernières années, des milliers de chargements n'ont jamais été inspectés alors qu'ils étaient censés l'être. Une seule poursuite a été intentée. Quand j'étais à l'ACIA, je n'en revenais pas et je n'en reviens toujours pas. J'ignore les motifs de ce laxisme. Le système est déficient.
Le président : Monsieur Caron, vous dites bien qu'un lot sur dix est inspecté?
M. Caron : Oui.
Le président : Cela fait 10 p. 100. D'où viennent les 2 p. 100?
M. Caron : C'est ce que j'ai lu dans divers sites web. M. Kingston pourrait probablement le confirmer, mais c'est un chiffre que j'ai lu en divers endroits.
Le président : Vous l'avez lu?
M. Caron : Oui.
M. Kingston : Les 2 p. 100 en question s'appliquent à l'ensemble des produits agricoles et, en fait, aux produits forestiers, si vous incluez les camions de bois. Certains produits comme les viandes sont assujettis à un taux d'inspection plus élevé, tandis que d'autres ne sont simplement jamais inspectés. Ces 2 p. 100 sont une moyenne générale et assez juste. À l'ACIA, j'ai participé à la conception de beaucoup de programmes d'inspection, y compris à la décision du nombre d'inspections des arrivages et de leur fréquence. Je sais donc d'où vient ce chiffre. Je suis au courant des marchandages auxquels il a donné lieu.
Le président : D'où ces sources proviennent-elles?
M. Kingston : De la conception des programmes et de l'ACIA elle-même.
Le président : Pouvez-vous, s'il vous plaît, les communiquer au greffier?
M. Kingston : Bien sûr.
Le sénateur Merchant : Dans une étude faite en 2010 par l'Université de Regina sur la sécurité alimentaire, on a constaté que le Canada se classait au 14e rang, en ce qui concerne la traçabilité. Je ne sais pas trop quels sont les 13 pays qui nous devancent. Vous pourriez peut-être nous le dire. Avez-vous des idées sur les dispositions à ajouter au projet de loi pour améliorer la traçabilité au Canada?
M. Kingston : Pour trouver l'origine d'un produit? Sur un certain nombre de points, y compris la traçabilité, je pense que le projet de loi est pas mal du tout. En fait, j'ai déclaré publiquement que, dans son ensemble, je le trouvais bien. Mais j'ai bien peur qu'il ne sert à rien d'adopter de bonnes lois si on n'a pas l'intention de les appliquer. C'est ce qui motive la plupart de mes critiques.
En ce moment même, on publie dans la Gazette du Canada un certain nombre de règlements sur la traçabilité, qui augmenteront beaucoup la capacité de l'ACIA de trouver aussi l'origine des produits alimentaires. Je ne sais pas trop ce qu'il faudrait ajouter au projet de loi pour améliorer cet aspect, vu que, notamment, on ne connaît pas ce qui adviendra de ces règlements, mais je sais qu'ils sont publiés pour un certain nombre de produits que l'ACIA réglemente. Il me faudrait examiner cela de plus près. Je ne vois pas très bien quelles améliorations je pourrais proposer.
M. Caron : Les importations ont donné lieu à un problème récurrent pendant les années que j'ai travaillé à la frontière, à la localisation des aliments à l'intérieur du pays. Quand je faisais consigner des produits, ils disparaissaient. L'importateur était introuvable et l'adresse qu'on m'avait fournie pour acheminer le chargement avait disparu, ce genre de choses. À l'époque, le problème touchait même des chargements consignés. Actuellement, le système perd la trace d'expéditions de viande destinées à l'inspection. Il arrive souvent à l'ACIA de ne pas pouvoir savoir où elles aboutissent.
Je pense que l'industrie fait très bien son travail pour la traçabilité des produits alimentaires. Elle a mis sur pied des systèmes de codage, d'après ce que j'ai pu voir. Le concepteur d'un plan d'HACCP doit préciser à l'ACIA qu'il a un système en place pour faire le suivi des expéditions. Aujourd'hui, on peut connaître l'heure de production — le jour et l'heure —, et l'attribution des numéros de lots, et cetera, se base sur ces données. Il existe toujours d'autres solutions, et les spécialistes pourraient découvrir des solutions encore meilleures.
Le sénateur Merchant : Nous sommes au 14e rang. J'imagine donc que des éléments clochent.
M. Caron : Dans le cas d'un produit de la viande, il y a notamment le fait que dès qu'on le sort de sa boîte, la piste s'arrête là. La boîte porte tous les renseignements qui permettent le suivi de l'expédition. Dès qu'on sort le produit de la boîte, on brise le lien entre lui et l'expédition.
Le sénateur Merchant : Au sujet du problème survenu récemment dans une usine de transformation des viandes en Alberta, que pensez-vous du temps de réaction? On se pose des questions à ce sujet. Il s'est écoulé 12 jours entre les premiers tests positifs et le rappel. Pensez-vous que c'est convenable?
M. Caron : Je ne pense pas être compétent pour répondre. J'ignore tout des détails de l'usine et des mesures que l'ACIA a prises. Je n'ai aucune connaissance directe des faits.
M. Kingston : Cela dépendra de quelques éléments d'information. Au début, les tests positifs de l'ACIA et de l'USDA ont semblé indiquer que c'était une bonne marche à suivre, parce que ces organisations pensaient que le problème était circonscrit. Après examen des documents de l'usine et enquête, elles ont constaté qu'on avait omis de signaler des flambées de la bactérie. Les rappels ont donc, bien sûr, fait boule de neige.
D'où la question : aurait-il fallu pécher par excès de prudence, au début, et consigner toute la production de XL jusqu'à la fin de l'enquête, ou aurait-il fallu se fier aux éléments d'information que l'on possédait à l'époque et limiter l'application de la loi à ce produit? On a choisi la deuxième voie. Tant que l'enquête ne sera pas terminée, il sera difficile de dire quelle était la meilleure.
Il y a un problème dans la documentation des problèmes antérieurs, qui n'ont pas été signalés à l'ACIA, ou dans l'incapacité de l'ACIA à savoir que XL trichait. Je suis convaincu que l'enquête nous éclairera. La question est certainement intéressante. D'après moi, il est très discutable et, du moins, prématuré, pour l'ACIA, d'affirmer que, jusqu'ici, elle a agi de façon impeccable.
Le sénateur Plett : Je me proposais de vous le demander pendant la deuxième série de questions, mais comme les sujets sont connexes, je vous la pose en tant que question supplémentaire.
Ce qui arrive à XL nous désole tous, et je suis entièrement d'accord avec le sénateur Peterson. La sécurité nous préoccupe tous. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire, monsieur Kingston, que, grâce à ce projet de loi, le processus de rappel serait accéléré?
M. Kingston : J'ai lu le projet de loi, mais je ne suis pas tout à fait sûr de ce qui arriverait, parce que le rappel s'est fondé, cette fois-ci, sur une évaluation très rapide du risque d'après les tests. Ici, on a supposé que tous les produits contaminés se trouvaient soit à l'usine, soit expédiés aux États-Unis et, en conséquence, consignés par l'USDA. Cette supposition s'est révélée fausse. On ne sait pas trop quels pouvoirs supplémentaires auraient permis d'infléchir la décision. Cette décision n'est pas imputable à un manque de pouvoirs.
En fait, l'usine a acquiescé à un audit volontaire. Il est très rare que l'ACIA ait recours à un audit obligatoire. Elle tient à ce que les usines et les entreprises le fassent d'elles-mêmes. Elle s'appuie, pour cela, sur un certain nombre de principes, dont certains font problème. À la haute direction de l'ACIA, on pense que lorsqu'une entreprise effectue un rappel volontaire, c'est vraiment volontaire, que c'est ce qu'elle veut. Faux! La plupart des entreprises le font pour éviter de se soumettre à un rappel obligatoire; ensuite, elles ne profitent pas seulement des avantages qui en découlent sur le plan des relations publiques, elles échappent à toute conséquence réglementaire. Même raté, le rappel volontaire ne leur attirera qu'une lettre qui mettra le doigt sur la cause du cafouillis et rappellera la nécessité d'y remédier. Un rappel obligatoire raté entraîne des conséquences légales. Les employés qui travaillent sur le terrain sont complètement en désaccord avec la croyance selon laquelle, en quelque sorte, les rappels volontaires sont toujours la solution préférable.
Cependant, ces pouvoirs existent déjà. Je ne vois pas très bien comment le projet de loi y changerait quelque chose. La différence vient des réactions de certains, de leur sensibilisation et de la vigueur avec laquelle ils sont prêts ou non à appliquer la loi.
Je suis heureux que vous me l'ayez demandé, parce que ce qui est en cause ici, ce n'est pas seulement la capacité que procure le nombre, mais celle aussi qui découlerait d'un changement de culture à l'ACIA. En général, la direction de l'ACIA tend à ménager l'industrie. Bien sûr, nous voulons tous que l'industrie aille bien, personne ne conteste cela, mais vient un moment où il y a manifestement des pommes pourries, et l'ACIA continue d'hésiter beaucoup trop à agir contre elles. Pour que le projet de loi obtienne vraiment les résultats escomptés, j'espère qu'il y aura aussi un changement de culture dans l'organisation.
Le sénateur Eaton : Vous parlez de changement de culture à l'ACIA. Dans le Globe and Mail de ce matin, on trouve un long article sur XL et les problèmes immédiatement visibles. Quelles que soient les nobles intentions du législateur, le bon fonctionnement de la loi ne se résume-t-il pas à la culture de la direction, à celle des employés de première ligne et à celle de toute l'organisation? Les amendes encore plus salées ne forceront-elles pas les gens à changer de culture, si on les applique? N'est-ce pas là un incitatif?
Je pense, par exemple, à Maple Leaf Foods, que nous connaissons tous. J'ignore si c'est l'effet qui était voulu, mais, l'année dernière, quand l'incident est survenu, toutes les publicités dans lesquelles M. McCain figurait semblaient vouloir nous amener à croire que le problème était circonscrit et que les produits de la compagnie étaient salubres.
À quel point devrions-nous insister sur la culture réelle de nos entreprises de transformation des viandes, sur leur inspection et sur nos amendes? Pensez-vous qu'une amende plus salée serait efficace?
M. Kingston : Je dirai tout d'abord que je suis tout à fait d'accord avec votre premier point. Même chose pour le deuxième, et je pense qu'un changement de culture est essentiel pour que le projet de loi change quelque chose.
En ce qui concerne l'augmentation des amendes, j'ai grand espoir qu'il suffira de l'adoption d'un projet de loi comme celui-là pour faire passer un message. J'espère que ce message sera également entendu par ceux qui sont chargés d'appliquer les règlements, parce que, jusqu'à maintenant, personne ne s'est fait imposer l'amende maximale. Le projet de loi multiplie l'amende par 20, pourtant, dans l'ancienne loi, l'amende maximale n'a jamais été imposée.
Comme j'ai dit, on hésite beaucoup à faire appliquer la loi. Le personnel de terrain, les inspecteurs, les médecins- vétérinaires et les agents agricoles en ressentent une frustration énorme. Sur le terrain, où on a rassemblé les preuves, l'affaire semble mûre pour qu'on entame des poursuites. Pourtant, quelqu'un, quelque part, laisse tomber.
On se trouve à dire au personnel de ne pas perdre son temps, aux industriels consciencieux qu'il est inutile de respecter la loi. Quand, après qu'on a consacré beaucoup de temps et de ressources à monter un dossier et que quelqu'un de la haute direction préconise d'y aller plus doucement, quand le personnel de terrain constate qu'on inquiète très peu souvent les délinquants, c'est très déprimant. Comme j'ai dit, personne ne sait mieux que les acteurs de l'industrie qui sont les pommes pourries parmi eux. Croyez-moi, ils se réjouissent d'avance lorsqu'ils nous voient prêts à poursuivre quelqu'un, et, au fond, quand nous faisons faux bond, c'est pire que l'anarchie.
Le sénateur Buth : Vous avez principalement insisté sur les ressources, et je ne suis pas surprise. Manifestement, il y aura toujours des tensions entre les syndicats et la direction. Votre exposé et vos observations n'étaient pas inattendus. Vous avez cependant piqué mon intérêt quand vous avez dit que le projet de loi S-11 était bon. Revenons-y. Je veux connaître votre avis à son sujet. On a surtout parlé de ressources, mais j'aimerais que nous nous arrêtions à la traçabilité et à l'augmentation des amendes, sujets que vous avez déjà traités.
Sur les interdictions visant la fraude et l'altération, sur l'inscription des importateurs, vous avez parlé des ressources qui y sont affectées et de la concentration des pouvoirs d'inspection. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les qualités que vous attribuez au projet de loi et sur les éléments que vous appuieriez?
M. Kingston : Pour ce qui est de la traçabilité, comme M. Caron l'a dit, l'octroi de permis aux importateurs est une bonne chose pourvu qu'elle se concrétise. Puisqu'il est impossible que 10 000 permis apparaissent tout seuls dans un système de classement, nous devons tous convenir qu'il ne faut pas seulement que cela existe, mais que ce soit une bonne chose.
C'est une bonne idée de consolider les mesures comprises dans les différentes dispositions par souci d'uniformité. Auparavant, chaque groupe de producteurs faisait les choses à sa manière, de la retenue à la levée de la retenue; chacun décidait s'il permettait l'entrée de produits au pays. L'autre chose, c'est qu'ils ont tous maintenant le pouvoir d'interdire l'entrée de produits au pays s'ils sont insalubres. Ce sont tous de bons éléments.
Lorsqu'on harmonise les programmes dans la mesure du possible, on rend également la formation plus facile et plus efficiente. Plutôt que d'avoir cinq tablettes de manuels, il y en aura peut-être trois ou quatre, mais c'est certainement une amélioration. Il y a plusieurs bonnes choses.
Encore une fois, nous signalons nos préoccupations, mais nous avons dit dès le départ que le projet de loi contient de bons éléments.
M. Caron : Je suis d'accord avec vous. Quand j'étais inspecteur, j'ai été témoin de violations flagrantes à la salubrité d'aliments transformés. Cependant, sous l'autorité de la Food and Drug Administration, je n'ai jamais eu le pouvoir de refuser l'entrée de produits. Tout ce que je pouvais faire, c'était retenir la charge, et agir au pays. Comme je l'ai dit, la charge y était inspectée et il pouvait y avoir un importateur fictif ou une personne qui utilisait le nom de quelqu'un d'autre. Le produit pouvait être destiné à un lot vide, et donc je perdais la trace de l'envoi et je ne pouvais pas poursuivre la retenue. Il y avait des risques relatifs à la salubrité des aliments. C'est également un bon élément. S'il y a un importateur inscrit, je connais la personne-ressource, son adresse et je sais comment la rejoindre, de sorte que l'ACIA peut trouver ces gens et leur demander où se trouve le produit alimentaire et de le lui fournir pour en faire l'inspection. C'est le bon côté du projet de loi.
En ce qui concerne l'application, l'ACIA doit y affecter des ressources. Un peu comme le disait M. Kingston, j'ai écrit un grand nombre de rapports de non-conformité sur les produits qui entrent au pays. J'en ai eu assez de le faire parce que cela ne donnait aucun résultat. Les produits disparaissaient et personne ne faisait de suivi; j'ai donc cru qu'il était inutile de faire autant d'efforts et de prendre le temps de faire tout cela. La situation était décourageante et démoralisante pour un inspecteur de première ligne.
Le sénateur Buth : Je voulais seulement préciser les choses parce que nous ne nous entendons pas sur les chiffres et sur la question de savoir s'il y a des inspecteurs ou non, ou sur ce qui se passe. Je voulais que nous nous concentrions sur le projet de loi, et je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Mercer : Je veux dire d'emblée que je suis sûr à 100 p. 100 que nos agriculteurs produisent des aliments de bonne qualité. Je pense que les Canadiens doivent en avoir la certitude, bien qu'il y ait quelque chose qui ne fonctionne pas dans le système, quelque part entre l'exploitation agricole et la tablette de l'épicerie. Il y a un problème et il nous faut déterminer comment le régler et en quoi le projet de loi est utile à cet égard.
Monsieur Kingston, vous êtes un président de syndicat. J'ai beaucoup de respect pour ce que vous faites, mais parlons des chiffres. Nous avons entendu les chiffres et on dit que le système compte 700 nouvelles personnes. Si je comprends bien, lorsqu'on travaille pour le gouvernement du Canada et qu'on devient un employé permanent à l'ACIA, qui est un atelier syndical, on devient probablement un membre de l'AFPC. Le nombre de membres a-t-il augmenté? Il semble que ce soit facile à calculer. Théoriquement, si le système comprend 700 nouvelles personnes, moins les personnes qui pourraient être exclues, le nombre de membres a augmenté considérablement, n'est-ce pas?
M. Kingston : C'est drôle que vous en parliez, car lorsque ces chiffres ont été présentés dans le cadre des négociations sur l'entente sur les services essentiels, nous nous demandions où étaient les cotisations que nous étions censés recevoir.
Certains chiffres ne sont pas tout à fait exacts et, comme je l'ai dit, j'attends la tenue d'une rencontre au cours de laquelle nous pourrons régler la question. Je sais que lorsque cette rencontre aura finalement lieu, nous serons capables de le faire. Lorsque nous avons discuté des chiffres durant les événements concernant McCain et que nous nous sommes enfin réunis et avons comparé nos données, il nous a fallu 10 minutes pour faire la conciliation des chiffres. Il s'est avéré que seulement 225 exécutaient le programme. À 2 heures, ils avaient fini.
Il y a un problème concernant la façon dont les chiffres sont rapportés. Je ne sais pas où se situe le problème. Comme je l'ai dit, cela fait un certain temps que je demande à ce qu'on tire cela au clair. Vous avez tout à fait raison de dire que nous n'obtenons pas les cotisations que reflètent ces chiffres. Ce que je sais, c'est que lorsque nous avons analysé certains de leurs chiffres à l'aide de leurs programmes, nous avons découvert que des noms apparaissaient deux fois, que les noms de certaines personnes décédées ou à la retraite étaient encore dans le système. Je ne sais pas jusqu'à quel point cela entre en jeu.
Je sais qu'il y a eu une augmentation, mais en toute honnêteté, nous le voyons davantage dans l'administration que sur le terrain. Ils ont créé des nouveaux secteurs, des nouveaux postes de vice-président et tous les régimes de gestion qui y sont liés. C'est seulement que je n'ai pas vu d'autres chiffres pour les établissements de traitement des viandes.
Le sénateur Mercer : Je doute que nous ayons besoin de plus de gestion. Nous avons entendu M. Caron exprimer toute la frustration qu'il ressent dans le cadre de son travail. Je présume que tous les inspecteurs des aliments font le travail qu'ils sont censés faire. Il y a la question de savoir s'ils sont bien formés. C'est une question de capacité. Leur demandons-nous d'en faire plus qu'ils le peuvent?
M. Caron s'est dit frustré d'avoir rédigé un grand nombre de rapports qui n'ont servi à rien. Il a suspendu des envois. J'ai oublié le terme que vous avez utilisé.
M. Caron : Retenue.
Le sénateur Mercer : Ils ont été retenus, et tout à coup, on ne les trouve plus. On peut supposer que si on ne les trouve plus, ils n'ont pas été renvoyés.
M. Caron : Non.
Le sénateur Mercer : On est allé de l'avant. Nous avons entendu vos préoccupations sur la salubrité de ces aliments. Ils se sont retrouvés quelque part, et je doute que ce soit au dépotoir de la ville.
Sommes-nous trop exigeants? Les Canadiens ont-ils trop d'attentes en ce qui concerne le système en place? Si c'est le cas, comment pouvons-nous améliorer le système?
M. Caron : Pour ce qui est des importations, je pense que l'ACIA a vraiment créé un problème en retirant tous les inspecteurs des frontières.
Dans les documents relatifs au projet de loi qu'elle a mis sur son site web, l'ACIA explique qu'elle suit le modèle des États-Unis quant à l'inspection et à sa façon de procéder. On est loin de se rapprocher de ce que les États-Unis font dans le cas des importations. Comme je l'ai dit, les importations doivent passer par le département de la Sécurité intérieure, les douanes, la FDA et l'USDA. S'il s'agit de produits de viande, il faut qu'ils passent par une inspection complète, et chaque charge est examinée. Ce n'est pas le cas chez nous. Les charges ne passent que par l'inspection primaire.
Le sénateur Mercer : Si j'étais un homme méfiant, ce que je ne suis pas, je dirais qu'il y a sûrement quelque chose qui cloche dans le système, en ce sens qu'il se peut que des produits contaminés traversent la frontière. Je suis consterné du fait que, comme vous l'avez dit, dans les dispositions actuelles, les amendes maximales n'ont jamais été imposées. Je ne comprends pas comment nous pouvons nous attendre à ce que ces nouvelles amendes plus sévères soient utiles si nous n'infligeons pas celles qui existent déjà.
Vous avez tous les deux parlé du fait que des recommandations ont été faites pour aller de l'avant et que par la suite, quelqu'un a soudainement dit qu'il fallait faire marche arrière. J'aimerais savoir de qui il s'agit.
M. Caron : Je ne suis pas certain d'avoir compris la question, sénateur.
M. Kingston : Moi, oui.
M. Caron : Oui? D'accord, alors, allez-y.
Le sénateur Mercer : Je savais bien que M. Kingston comprendrait.
M. Kingston : Je ne crois pas que vous vouliez que je vous nomme des gens, mais je pense à un cas important où il y avait des éléments dans un entrepôt durant presque toute l'année. La section de l'application d'Ottawa a commencé à exercer des pressions sur la direction locale pour qu'elle prenne une décision et à demander si des poursuites seraient intentées ou non. En toute honnêteté, la direction locale était un peu troublée. Ce n'était pas le programme pour lequel les gens avaient été formés. Ils ne connaissaient pas le programme autant que les gens qui font l'application. Ils ont senti la pression. Ils ont dit de laisser faire, et le produit n'était plus retenu.
Cela en a frustré plus d'un. Ces choses se produisent plus souvent qu'elles ne le devraient, et de loin.
Le sénateur Mercer : Je peux comprendre pourquoi c'est frustrant. Une personne fait du bon travail, recommande que la loi actuelle soit appliquée, et quelqu'un met fin à cela ou la met dans une position où elle doit faire quelque chose sans avoir reçu la formation qu'il faut.
M. Kingston : Oui.
M. Caron : Je vous ai parlé de tous ces envois de viande qui devaient être inspectés, mais qui ne l'ont jamais été. J'ai écrit des rapports de non-conformité. Je me suis adressé à la direction. Je me suis plaint énergiquement à cet égard. On m'a dit du bout des lèvres : « Oui, nous devons faire quelque chose. » Cependant, je sais que jusqu'à maintenant, seulement un envoi parmi des milliers a fait l'objet de poursuites pour défaut de présenter. C'était il y a environ deux ans et c'est arrivé dans un établissement du Québec. C'est seulement un cas, et il y avait deux chefs d'accusation. Il n'y a pas eu d'autres cas. Les gens de l'industrie se disent : « Pourquoi s'inquiéter? » Ils s'en moquent. Ils se disent que s'ils se font prendre, l'amende sera minime et que ce n'est qu'un mal nécessaire.
Le sénateur Mercer : Si nous adoptons le projet de loi et que nous tentons de le mettre en œuvre, comme le dit le gouvernement, nous aurons du mal à attirer l'attention des gens.
Mr. Caron : Oui.
Le sénateur Mercer : Si je comprends bien, le système — et non les individus — a perdu beaucoup de respect de la part des acteurs.
M. Caron : Nous avons parlé de la culture au sein de l'ACIA. D'après mon expérience, les gens qui élaborent les politiques et qui prennent les décisions finales ne consultent pas assez les travailleurs de première ligne. Ils ne tiennent pas compte d'eux. Ils ne les écoutent pas. Je pense qu'il faut faire intervenir les gens et les consulter. Les membres de la direction devraient aller leur parler et visiter les sites pour voir ce qui se passe exactement. À ma connaissance, ils ne le font pas.
Le sénateur Demers : Je remplace le sénateur Duffy.
Il ne semble pas y avoir de structure. Il semble que tout le monde fait ce qu'il veut. Il y a peut-être de la supercherie.
Votre exposé était excellent. Je sais que vous tentez de protéger certaines choses et que, d'une certaine façon, vous ne pouvez pas tout nous dire, mais il ne semble pas y avoir de structure. Tout le monde fait ce qu'il veut. Il y a des liens et des cliques, et cetera. Ai-je raison? Je sens votre frustration, ce que je respecte, car je pense que vous vous êtes tous les deux montrés très honnêtes au cours de votre exposé. Toutefois, j'ai l'impression que si on découvrait ce qui se passe, il pourrait y avoir un scandale majeur concernant la façon dont les choses fonctionnent. Je ne sais pas si je vois les choses de la même façon que tous ceux qui sont intervenus jusqu'à maintenant.
Le président : Nous entendrons M. Kingston et M. Caron, et ce sera ensuite au tour du sénateur Robichaud.
M. Kingston : Je veux préciser une chose : en passant du temps avec les gens de l'agence, l'ACIA, on se rend compte qu'en tant que groupe, ils sont très idéalistes et très dévoués, au point où ils en feront plus qu'ils en sont capables, et avec le sourire. C'est ce type de milieu; ce qui peut parfois leur attirer des ennuis. C'est un groupe de gens très idéalistes qui croient en ce qu'ils font.
Au cours des dernières années, bon nombre d'organismes gouvernementaux ont adopté la philosophie selon laquelle on n'a pas vraiment besoin de connaître quelque chose pour en faire la gestion. Elle s'est beaucoup imposée à l'ACIA. Au niveau de la haute direction, on l'expliquait ainsi : il n'est pas vraiment nécessaire de connaître quelque chose pour en faire la gestion. C'est très bien. Nous l'acceptons tous à la haute direction.
Le deuxième président était un avocat. Tout à coup, l'ACIA embauchait des avocats à droite et à gauche. Notre ancien président était un économiste. Tout à coup, chaque section de l'ACIA était dirigée par des économistes. Un économiste était chargé des programmes, qui avaient toujours été gérés par une personne du domaine de la science auparavant, et un économiste était chargé des opérations.
Aux niveaux de la haute direction, c'est correct. La même chose a commencé à se produire aux niveaux inférieurs. À ces niveaux, il y a des superviseurs qui sont les premières personnes-ressources pour l'industrie lorsqu'elle a une plainte. Il y a quelqu'un qui a été formé pour faire l'inspection de viande et qui est maintenant en charge de la protection des établissements, ou vice versa; une personne qui a une formation en science végétale supervise l'inspection des poissons. Personnellement, je pense qu'on se base un peu trop sur cette philosophie.
Nous en avons parlé à l'agence, mais on se retrouve avec des gens qui doivent composer avec des décisions liées à l'application alors qu'ils n'ont pas l'expérience qu'il faut pour gérer la division qui leur a été confiée. Je pense que c'est l'un des facteurs les plus importants. Je ne crois pas que ce soit lié à de la corruption. C'est un bon groupe de gens.
Le sénateur Demers : Merci.
Le président : Merci, monsieur Kingston.
M. Caron : En plus de ces gestionnaires qui ne connaissent pas le programme qu'ils administrent dont M. Kingston parle, dans les programmes, il y a maintenant des gens qui n'ont pas la formation qui convient et qui doivent demander des conseils à ces superviseurs et les consulter pour savoir comment faire les choses, ce qui crée également des problèmes.
Le sénateur Robichaud : Ce projet de loi entraînera-t-il l'instauration d'un système exigeant beaucoup plus de travail administratif? Nous avons entendu dire que certains inspecteurs ont tellement de paperasse à remplir qu'ils ne peuvent faire les tâches qu'ils devraient accomplir. Le projet de loi aura-t-il cet effet?
M. Kingston : Je peux dire qu'en ce qui concerne la délivrance de licences, par exemple, les tâches administratives augmenteront considérablement. Je ne crois pas qu'on prévoit implanter un système de soutien pour ce programme. Si la tâche incombe aux inspecteurs, un problème pourrait survenir. Si, comme l'a indiqué M. Caron précédemment, on affecte du personnel administratif pour se charger de la délivrance de licences, alors je crois que tout irait bien. Je ne crois pas que la mesure ferait nécessairement augmenter la charge de travail administratif des inspecteurs. Tout dépend de la manière dont on décidera de mettre le programme en œuvre.
M. Caron : Le travail administratif est lourd pour les inspecteurs, qui doivent se charger des inspections d'installation et des tâches afférentes aux programmes d'ARMPC. Il y a énormément de documents à remplir, et les inspecteurs y passent un temps fou. Cette tâche leur prend plus de temps que les inspections d'installations. Les entreprises ont une quantité phénoménale de formulaires que les inspecteurs doivent vérifier et éplucher. Tout se fait sur papier maintenant et non sur place. Il n'y a plus d'inspection à l'usine pour voir ce qu'il s'y passe vraiment. Parce qu'ils n'y mettent pas les pieds, bien des inspecteurs ne comprennent pas complètement comment les installations fonctionnent, ce qui s'y passe et ce qu'ils pourraient devoir chercher. L'étude des documents ne fournit pas toutes les réponses.
Le sénateur Robichaud : Au sujet de la paperasserie, je crois que M. Kingston a évoqué le problème auquel nous sommes actuellement confrontés avec le rappel massif. Les entreprises s'autoréglementent. À l'intérieur des installations, on a omis de prendre une mesure qui aurait dû être mise en œuvre, même si ce n'est pas par mauvaise volonté, j'en suis convaincu. Le projet de loi permettra-t-il d'éviter que pareille situation ne se reproduise? Il est question d'imposer des amendes à l'industrie. Cette dernière paiera chèrement le prix de la crise actuelle, n'est-ce pas?
M. Kingston : C'est probablement l'aspect le plus désolant de cette affaire. Vous avez raison : la crise coûte une fortune non seulement à l'ACIA et au gouvernement, mais aussi à l'ensemble de l'industrie.
Pour ce qui est de l'effet du projet de loi au chapitre des amendes accrues, si l'instauration d'une fourchette plus large et plus élevée encourage un plus grand nombre de juges à imposer des amendes moyennes, sachez que ces amendes « moyennes » aux termes de la nouvelle loi seraient de loin supérieures aux amendes maximales prévues dans l'ancienne loi. Le projet de loi sera peut-être bénéfique si on intente des poursuites et met bel et bien les mesures en œuvre. Sinon, je ne vois pas comment le projet de loi pourrait empêcher des incidents comme celui survenu à XL.
Le sénateur Plett : En fait, monsieur Kingston, vous avez en quelque sorte répondu à la question que j'avais concernant la dernière réponse faite au sénateur Robichaud. J'aimerais toutefois poursuivre très brièvement dans cette voie.
Tout d'abord, je vous sais gré, moi aussi, d'appuyer la majorité des mesures que comprend ce projet de loi. Nous nous réjouissons de cet appui et prenons acte de certaines de vos préoccupations.
Cependant, vous avez fait remarquer que le gouvernement tend à avoir l'ordre public à cœur. Ainsi, vous avez laissé entendre, il me semble, que si les juges imposent des amendes moyennes, alors nous aurons accompli quelque chose, car les amendes sont plus élevées.
Mais ne considéreriez-vous pas que c'est généralement ce que les juges tendent à faire? Ils craignent d'imposer les sanctions maximales, et c'est une des raisons pour lesquelles nous devons parfois légiférer pour fixer des sanctions minimales. Ne conviendriez-vous pas qu'il est fort probable que les juges infligent des amendes plus élevées parce que les maximums sont fixés très haut?
M. Kingston : Au fil des ans, nous avons pu constater que c'était, dans une certaine mesure, le cas. J'ajouterais toutefois qu'il est encore plus important de noter que l'ACIA entame davantage de poursuites. En toute honnêteté, quand j'ai commencé en 1978-1979, il n'y avait presque jamais de poursuites. À l'époque, c'est la Direction générale de la production et de l'inspection des aliments d'Agriculture Canada qui s'occupait de la question. Quand nous avons entrepris de faire comprendre aux tribunaux que les producteurs, les transformateurs et les transporteurs devaient parfois être poursuivis, les amendes étaient pour ainsi dire inexistantes. C'est risible. À mesure que les tribunaux ont acquis de l'expérience dans le domaine et ont mieux appréhendé les problèmes, ils ont commencé à imposer des sanctions plus costaudes.
Ici encore, il est très important de souligner qu'ils devront composer avec des mesures plus énergiques d'application de la loi. Je crois que ce changement, associé à un éventail élargi d'amendes, pourrait nous permettre d'atteindre notre objectif.
Le sénateur Plett : Je sais que le gouvernement en convient et que c'est pour cette raison qu'il propose le projet de loi et de nouveaux moyens. Voilà qui indique, selon moi, que nous sommes assurément d'accord avec vous. Merci beaucoup.
Le président : Merci, mesdames et messieurs.
Je remercie les témoins de nous avoir fait part de leurs observations.
Nous entendrons maintenant M. Mel Fruitman, vice-président, Association des consommateurs du Canada, ainsi que Mme Elizabeth Nielsen, membre du conseil d'administration, Conseil des consommateurs du Canada.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Notre greffier m'a indiqué que Mme Nielsen prendra la parole en premier, suivie de M. Fruitman.
Elizabeth Nielsen, membre du conseil d'administration, Conseil des consommateurs du Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs, bonsoir. J'aimerais vous remercier d'avoir invité le Conseil des consommateurs du Canada à participer à ces audiences sur le projet de loi portant sur l'un des aspects les plus nécessaires de la vie, l'approvisionnement et la salubrité alimentaires. Le conseil est une organisation sans but lucratif qui travaille en collaboration avec les consommateurs, les entreprises et le gouvernement afin d'établir un marché juste, équitable et sécuritaire. Nous avons à cœur de veiller à ce que les aliments que les Canadiens consomment soient salubres, abordables et accessibles, et que les produits s'accompagnent de renseignements justes, accessibles et intelligibles.
Le Canada a, pour l'essentiel, créé un bon système pour assurer la salubrité alimentaire. Il s'est toutefois produit un certain nombre d'incidents graves à cet égard, comme la présence de la bactérie E. coli dans des produits importés des États-Unis et, actuellement, dans de la viande à hamburger de l'Alberta, sans parler de la crise de la listériose qui a provoqué le décès de 22 personnes.
À la suite de ces incidents et de l'enquête menée par Sheila Weatherill, le gouvernement a préparé le présent projet de loi afin d'améliorer le régime canadien de salubrité alimentaire et de le rendre plus proactif.
Nous savons parfaitement que les dispositions des lois que l'ACIA applique ne sont pas cohérentes et que cela occasionne des problèmes pour les inspecteurs qui doivent appliquer ces lois et l'industrie qui doit les respecter. Bon nombre des critères d'application sont obsolètes.
Le conseil appuie donc un grand nombre des changements proposés, comme l'amélioration des pouvoirs d'application et d'inspection des inspecteurs, pouvoirs qui seraient les mêmes pour tous les produits alimentaires et qui ne différeraient pas de ceux que prévoient actuellement les autres lois avec lesquelles j'ai été appelée à travailler.
Il y a notamment les pouvoirs de fouilles et de perquisitions semblables à ceux actuellement prévus dans la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation; le resserrement des amendes et des sanctions; l'interdiction d'altérer un produit ou de menacer de rendre un produit dangereux pour la santé, ce qui est excellent; l'enregistrement des importateurs et la délivrance de licences à ces personnes; ainsi que l'interdiction d'importer des aliments insalubres, un outil qui sera fort utile pour les inspecteurs.
Il sera également possible d'édicter des règlements concernant le rappel de produits, la traçabilité de tous les produits alimentaires, les programmes de gestion et de contrôle de la qualité, et les plans de contrôle préventif.
Même s'il appuie bon nombre des dispositions du projet de loi, le conseil éprouve certaines préoccupations, en ce qui concerne notamment de la capacité de l'ACIA de mettre en œuvre les dispositions de la loi. La réduction de son budget arrivera au moment où de nouvelles procédures concernant les permis viseront des milliers de nouveaux importateurs ayant des plans de gestion de la qualité et de contrôle préventif. Le personnel de l'ACIA devra procéder à des évaluations, à des vérifications et à des inspections d'installations. En outre, un grand nombre des nouveaux inspecteurs ont été engagés à titre contractuel, ce qui fait craindre pour la durabilité à long terme du régime d'inspection.
La modernisation de l'inspection envisagée dans ce projet de loi comporte neuf fonctions, dont cinq sont nouvelles. On ne sait pas clairement qui gérera et dotera ces nouvelles fonctions, et quelles en seront les répercussions sur la structure et les coûts d'exploitation de l'ACIA. Ayant déjà travaillé au gouvernement, j'entrevois cinq nouveaux empires s'ériger dans ce domaine. Il convient de se demander si l'ACIA peut accomplir le travail et si les Canadiens peuvent se fier à la salubrité des aliments que leurs familles consomment.
La crise de la bactérie E. coli illustre ce qui se passe quand un incident se produit. Les États-Unis interdisent l'importation des produits suspects et les consommateurs cessent d'en acheter, ce qui a des répercussions dramatiques sur les agriculteurs, qui encaissent le plus gros du coup, et pour les échanges transfrontaliers.
Nous nous inquiétons également des modifications à l'application des dispositions sur l'étiquetage. L'article 81 de la nouvelle Loi sur la salubrité des aliments au Canada apporte le changement suivant à la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation : « (3) Les produits alimentaires au sens de l'article 2 de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada sont soustraits à l'application de la présente loi. »
En outre, le récent budget indique que le gouvernement modifiera la façon dont l'ACIA applique la réglementation sur l'étiquetage qui ne concerne pas la santé ou la salubrité des aliments. Personne ne sait ce que cela signifie exactement. Doit-on comprendre que l'ACIA cessera de surveiller l'information et les allégations figurant sur les étiquettes d'aliments? D'après les sondages menés par l'ACIA seulement, entre 75 et 85 p. 100 des produits évalués ne respectent pas les exigences. Pour un consommateur souffrant de troubles comme la maladie de Crohn, le diabète, les problèmes cardiaques ou les allergies graves, l'exactitude de l'information nutritionnelle et de la liste d'ingrédients est essentielle. Espérons qu'il n'y aura pas de conséquence à cet égard. D'autres types de renseignements, comme les coordonnées de l'entreprise, le nom du fabricant et la date de production, sont nécessaires en cas de rappel de produit. Avec les milliers de produits qui font actuellement l'objet d'un rappel, vous comprendrez à quel point il importe d'avoir cette information.
Pour ces raisons, nous nous opposons fortement aux modifications visant les exigences relatives à tous les types d'étiquetage des produits alimentaires et leur application.
Nous nous préoccupons en outre de l'augmentation potentielle des coûts des produits alimentaires. À l'heure actuelle, l'industrie verse des sommes considérables à l'ACIA pour participer aux coûts des inspections de leurs installations. Lors des consultations récentes sur la modernisation des inspections, le personnel de l'ACIA a indiqué que l'industrie verse 45 millions de dollars à l'agence pour payer les inspections. Au cours des consultations sur la modernisation des inspections relativement au projet de loi à l'étude, le personnel de l'ACIA a indiqué qu'aucune analyse n'a été menée concernant les répercussions des modifications sur le coût des produits alimentaires. Il est question des nouveaux systèmes et des plans de contrôle préventif qui devront être mis en place. Si le nouveau système de délivrance de licence ou les nouvelles exigences font augmenter les coûts pour l'industrie, cette augmentation se répercutera directement sur les prix à la consommation des aliments.
Nous nous demandons également si on peut se fier à l'industrie pour s'autoréglementer. L'incident récent de la bactérie E. coli a clairement démontré que les résultats des tests menés sur la contamination par cette bactérie n'étaient pas communiqués et n'étaient pas évalués par un organisme central pour détecter les tendances qui se font jour et prendre les mesures qui s'imposent, comme c'est le cas aux États-Unis.
Nous recommandons donc de modifier le projet de loi pour y ajouter une exigence à cet effet. Nous voudrions également que l'ACIA soit soumise à une vérification quelconque pour veiller à ce qu'elle accomplisse le travail qu'elle est censée faire.
Nous nous préoccupons aussi de la participation des consommateurs à l'élaboration des politiques et des règlements en vertu du nouveau projet de loi. C'est notamment en raison de la mission conférée à l'ACIA lors de son instauration initiale. Les concepts d'aide à l'industrie et de salubrité alimentaire entraient en conflit, dichotomie qui a perduré pendant longtemps.
En ce qui concerne la participation des consommateurs, le projet de loi, comme toutes les lois habilitantes, crée un cadre, et les détails entourant la mise en œuvre figureront dans le règlement. C'est là que les détails se préciseront.
Selon la Directive du Cabinet sur la rationalisation de la réglementation, il est obligatoire d'évaluer les répercussions des règlements sur tous les acteurs touchés, y compris les consommateurs. Les consommateurs ne disposent habituellement pas des ressources pour prendre une part active au processus. L'industrie peut rencontrer le président de l'ACIA au cours de l'élaboration du projet de loi, mais aucun consommateur ne s'est présenté pour faire de même.
Il importe non seulement de faire participer les consommateurs, mais aussi de tenir compte de leurs points de vue quand vient le temps de décider de la manière dont on élaborera et gérera la mesure législative pour en tirer le maximum d'avantages et courir le moins de risques possible. Voilà ce qui figure dans la Directive du Cabinet sur la rationalisation de la réglementation. Trop souvent, la participation du public se résume à la communication de la décision finale ou à des efforts d'éducation des consommateurs dans le but de faire connaître une position quelconque.
La participation devrait en fait commencer dès le début du processus de prise de décisions afin de cerner les enjeux et d'établir les priorités. Le conseil demanderait au comité d'encourager l'ACIA et le gouvernement à accorder un rôle aux consommateurs dans le processus de prise de décisions, particulièrement en ce qui concerne le règlement, et à prévoir des fonds à cette fin. Les organisations de consommateurs ne disposent pas des fonds pour le faire.
J'aimerais vous remercier pour le temps que vous nous avez accordé ce soir. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le président : Je vous remercie beaucoup, madame Nielsen, de ces propos éclairés et sûrement bien documentés.
Mesdames et messieurs, nous commencerons par le sénateur Plett, qui sera suivi par le sénateur Peterson. Mais nous entendrons d'abord M. Fruitman.
Mel Fruitman, vice-président, Association des consommateurs du Canada : Merci. L'Association des consommateurs du Canada se réjouit d'avoir l'occasion d'exposer son point de vue dans le cadre de votre étude, laquelle est, de toute évidence, fort opportune compte tenu des événements qui se sont produits ces dernières semaines et dont il a été beaucoup question au cours de la dernière heure et demie.
Depuis 65 ans, l'Association des consommateurs du Canada défend, à titre bénévole, les intérêts des citoyens canadiens qui consomment les biens et services que leur offrent les secteurs public et privé. Notre mandat consiste à informer et à éduquer les consommateurs sur les questions relatives au marché, à défendre leurs intérêts devant le gouvernement et l'industrie, et à nous trouver des solutions heureuses aux problèmes qui se présentent sur le marché.
Nous félicitons le gouvernement pour les récentes mesures qu'il a prises afin d'aider les consommateurs canadiens à se retrouver dans un marché de plus en plus complexe. La Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation a permis de faire un grand pas en mettant en place des mécanismes garantissant que les produits non alimentaires que les consommateurs achètent ne leur causent pas de tort et que les produits jugés non sécuritaires fassent l'objet d'un rappel obligatoire. Il est à espérer que le projet de loi S-11 apportera aussi des améliorations notables en matière de salubrité des aliments.
Nous avons été ravis des propos tenus par le ministre Ritz lors de sa récente comparution devant votre comité, au sujet « des mesures en vue de nous assurer de la salubrité de tous les produits alimentaires vendus au Canada... peu importe la source ». Il a dit aussi que la loi « renforcera les pouvoirs d'application de la loi pour les importations... De plus, de lourdes amendes seront imposées à ceux qui mettent intentionnellement en danger la salubrité de nos aliments ». On s'étonne depuis longtemps que les produits alimentaires importés puissent échapper à l'examen minutieux auquel sont soumis les produits canadiens. Il semble maintenant que ce ne sera plus un problème.
Bien que l'altération délibérée des aliments soit rare, les nouvelles interdictions et les lourdes peines devraient dissuader la plupart des auteurs de méfaits et faciliter les poursuites contre les mécréants. On espère aussi qu'elles dissuaderont ces individus malades qui insèrent des lames de rasoir dans les pommes que l'on distribue aux enfants à l'Halloween, qui aura d'ailleurs lieu dans quelques semaines.
Les exigences accrues en matière de traçabilité devraient permettre de retracer plus rapidement l'origine des produits alimentaires et l'endroit où ils se trouvent à tout moment dans la chaîne de distribution. On sera ainsi plus en mesure d'appliquer la disposition qui interdit la vente d'aliments faisant l'objet d'un rappel en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'ACIA. Malheureusement, on ne semble pas avoir clarifié ce que l'on entend par « rappel », outre le fait que le ministre peut ordonner le rappel du produit ou son envoi à l'endroit qu'il désigne.
Pour les consommateurs, le mot « rappel » signifie que, s'ils ont le produit visé en leur possession, ils sont censés le retourner à l'endroit où ils l'ont acheté. Les consommateurs estiment également qu'ils ne doivent pas être financièrement pénalisés du fait qu'ils ont acheté un produit alimentaire qui fait ensuite l'objet d'un rappel. Il est inacceptable que l'on s'attende à ce que les consommateurs le jettent, comme l'a suggéré un porte-parole de l'ACIA. Nous nous sommes demandé également pourquoi, comme le témoin précédent l'a mentionné, il n'y a eu que des rappels volontaires alors qu'il a toujours été possible d'imposer un rappel obligatoire.
L'ACC appuie certes le projet de loi S-11, mais nous avons quelques préoccupations qui ne sont pas sans importance. La première concerne l'efficacité de la loi. Le ministre Ritz a affirmé que « tout ce que l'ACIA fait est axé sur le risque ». Nous présumons qu'il fait référence ici à ce qu'on appelle communément un système de gestion des risques, dans lequel la probabilité d'un résultat indésirable se mesure par rapport au coût d'un résultat souhaitable, ce qui est cohérent avec la vision d'excellence de l'ACIA en tant qu'organisme de réglementation axé sur la science.
Un tel système peut être efficace par rapport à ses coûts et comporter des risques infimes pour les consommateurs. Toutefois, il dépend des organisations qui manipulent des denrées alimentaires vulnérables et qui doivent mettre en place un système de contrôle et de vérification qui garantira qu'aucune contamination ne se produit à une étape quelconque de leurs processus, ainsi que des documents qui montrent les procédures suivies et en confirment l'efficacité. Il revient alors à l'organisme de réglementation de s'assurer que toutes ces exigences sont respectées et donnent les résultats souhaités. C'est cette dernière condition qui, nous le craignons, peut être négligée. En clair, nous nous demandons si le produit fait vraiment l'objet d'une analyse ou non.
Dans le cas présent de XL Foods, il semble que l'ACIA n'ait pas assuré une surveillance adéquate du système, qu'elle n'ait pas nécessairement vérifié si les procédures étaient adéquates ou donnaient les résultats souhaités. Apparemment, on a détecté la contamination par E. coli à la suite des tests supplémentaires effectués le lendemain où le service d'inspection et de salubrité des aliments de l'USDA a dépisté un échantillon positif.
L'ACIA a ensuite présenté une « demande de mesures correctives » et « les inspecteurs de l'ACIA ont aussi continué à superviser les opérations permanentes à l'établissement, notamment : vérifier que les carcasses sont propres avant la transformation; continuer à vérifier que le programme d'entretien de l'établissement est exécuté et que l'environnement de transformation est propre; vérifier quotidiennement que tous les lots positifs sont dirigés vers l'équarrissage et/ou la cuisson; vérifier que l'entreprise élabore et met en œuvre des mesures pour donner suite aux mesures correctives demandées par l'ACIA ». L'agence a aussi affirmé qu'elle menait un examen approfondi des mesures de contrôle préventif, des politiques et des procédures en matière de salubrité des aliments.
Il nous semble que toutes ces mesures de surveillance visaient à confirmer ou à améliorer le système, et non à garantir que la viande n'était pas contaminée; elles visaient à montrer qu'il y a en place une procédure ou un système élégant au lieu de dépister les cas de contamination afin de réduire les risques pour les consommateurs. C'est comme si on voulait fermer la boîte de Petri après que la bête s'en est échappée.
Le projet de loi à l'étude renforce clairement la capacité de l'ACIA de dépister, de retracer et de rappeler les aliments. Toutefois, nous croyons qu'il conviendrait de mettre en place un mécanisme de surveillance de l'ACIA pour déterminer si ses procédures donnent les résultats souhaités : des aliments plus salubres. Nous ne savons pas si les ressources de l'ACIA sont suffisantes, mais nous appuyons la proposition du sénateur Peterson voulant que le projet de loi soit modifié de sorte à exiger qu'un tiers effectue une vérification annuelle afin de garantir que les ressources sont suffisantes pour l'application de la loi. Nous proposons d'inclure aussi une vérification de l'efficacité : réalise-t-on les objectifs qu'on s'est fixés? Il y a un important élément qui manque ici, selon nous.
Ce qui nous préoccupe aussi, c'est que le projet de loi à l'étude ne vise que les organisations qui relèvent de la compétence fédérale. Alors que l'ensemble des produits alimentaires n'est pas visé, tous les Canadiens, peu importe où ils vivent et qui réglemente la salubrité de leurs aliments, devraient avoir le même niveau élevé d'assurance et de confiance à l'égard des aliments qu'ils consomment et demander au gouvernement fédéral d'encourager, à son tour, les provinces et les territoires, voire les municipalités, à adopter des lois semblables.
Enfin, nous sommes très préoccupés par le fait que la loi continue de donner le pouvoir au ministre, par règlement, d'établir les normes de composition des aliments. Comme on a maintenant tendance à préciser les résultats souhaités au lieu de définir la façon de les atteindre, il semble y avoir ici un anachronisme ici. Bien que ce pouvoir protège manifestement les consommateurs, nous craignons, à la lumière des événements passés, que ce pouvoir puisse être détourné pour assurer une protection économique à certains secteurs de production au détriment des consommateurs canadiens.
Pour résumer, je dirais que le projet de loi S-11 donne des outils nouveaux et améliorés pour protéger les consommateurs canadiens, mais — surtout après avoir entendu les deux témoins précédents —, il semble que l'organisme chargé de mettre en œuvre cette loi n'ait pas la capacité de le faire.
Je vous remercie de m'avoir écouté, et je serais ravi d'approfondir l'un ou l'autre des points que j'ai abordés. J'ai essayé de faire preuve de diplomatie dans mes propos, mais il me reste encore beaucoup à dire.
Le président : Si vous avez d'autres renseignements dont vous voulez faire part au comité, n'hésitez pas à les envoyer au greffier.
Je vous remercie tous les deux d'avoir présenté ces documents. Ils feront partie de l'analyse du projet de loi S-11.
Le sénateur Plett : Merci à vous deux de votre présence. J'ai deux questions de nature très générale.
Vous avez dit, et je vous cite :
Il revient alors à l'organisme de réglementation de s'assurer que toutes ces exigences sont respectées et donnent les résultats souhaités.
Vous ajoutez :
C'est cette dernière condition qui, nous le craignons, peut être négligée.
Avez-vous des preuves que cet aspect est négligé, ou est-ce simplement une chose qui pourrait se produire, selon vous?
M. Fruitman : À peu près tout ce que l'ACIA a dit au sujet du fiasco de XL laisse entendre qu'elle s'en remet entièrement au système que XL a prétendument en place pour s'assurer que l'entreprise obtient les résultats souhaités. On omet d'analyser certains produits pour s'assurer de ces résultats. On vérifie si la documentation est adéquate, si le système est adéquat et si l'entreprise fait les choses correctement.
D'après ce que nous avons entendu, un seul test supplémentaire a été effectué, et on n'analyse pas le produit. C'est peut-être pour cette raison qu'il y a eu un si long délai après le premier dépistage et que le problème continue de se répandre avec le temps. Cela fait maintenant trois semaines qu'on a fait le premier constat, et il semble qu'un nouvel élément s'ajoute tous les jours à la liste des produits interdits ou contaminés.
Il n'y a pas d'excuses. Les consommateurs canadiens n'auraient pas dû être exposés à des risques pendant qu'on menait une enquête pour savoir essentiellement si la paperasse était conforme.
Le sénateur Plett : Toute cette situation est certes malheureuse, mais c'était avant le projet de loi S-11.
M. Fruitman : Mais elle soulève des questions quant à ce qui a précédé et ce qui suivra le projet de loi S-11.
Le sénateur Plett : Je vais faire un commentaire plutôt que de poser une question. Vous dites que vous êtes préoccupé aussi du fait que le projet de loi ne vise que les organisations qui relèvent de la compétence fédérale. Bien que nous puissions faire des recommandations aux provinces, le gouvernement fédéral ne peut s'occuper de ce qui relève de sa compétence.
M. Fruitman : Nous comprenons cela.
Le sénateur Peterson : Merci à tous deux de vos exposés. Je serai bref également.
Il est juste de dire que la confiance des Canadiens à l'égard de la salubrité des aliments a été mise à rude épreuve ces derniers jours. L'une des critiques qui ont été faites par suite de la crise de XL, c'est que l'industrie est trop près de l'organisme de surveillance, l'ACIA. Comme la tendance est d'avoir une plus grande autoréglementation de la part de l'industrie, il semblerait que ce système ne fonctionnera pas sans une surveillance suffisante de la part de l'ACIA. À votre avis, le projet de loi S-11 va-t-il exacerber ou améliorer cette étroite relation?
M. Fruitman : Il ne l'améliore pas.
Vous avez touché à une chose qui nous préoccupe grandement depuis de nombreuses années, depuis la mise sur pied de l'ACIA, en 1997, à savoir que l'agence fait rapport au ministre ou par l'intermédiaire du ministre de l'Agriculture, qui est responsable de promouvoir la vente, l'exportation et le développement économique des produits alimentaires au Canada. L'agence chargée de réglementer et de veiller à ce que l'aliment soit sain et salubre relève de la même personne qui est responsable de promouvoir le produit, ce qui devrait inclure la salubrité. Malheureusement, nous constatons qu'il y a une tension entre les deux objectifs.
Mme Nielsen : Je comprends ce que vous dites. Nous avons quelques inquiétudes à ce sujet. La mise en place de systèmes de gestion de la qualité, de systèmes de contrôle de la qualité et de plans de contrôle et de prévention devrait permettre d'assurer la salubrité des aliments, dépendamment de la façon dont ils sont mis en œuvre et pourvu qu'ils fassent l'objet d'une vérification attentive et d'une surveillance étroite de la part de l'organisme de réglementation.
À bien des égards, c'est beaucoup plus efficace que le fait d'avoir un inspecteur au bout de la chaîne qui peut prélever seulement quelques produits ici et là. Le problème ici était en grande partie attribuable à la communication entre l'industrie et l'ACIA. Selon moi, c'est, dans une certaine mesure, un problème culturel qui remonte à 1997, lorsqu'on a créé l'ACIA. Le mandat de l'organisme portait à confusion; il devait assurer la salubrité des aliments et s'acquitter aussi d'un mandat commercial. Je crois qu'une bonne partie des problèmes sont attribuables à cela.
La chose peut se faire efficacement, mais il faut une surveillance. Aux États-Unis, tous les résultats des analyses microbiologiques, par exemple, qui sont effectuées par l'entreprise — elle peut le faire aussi bien que n'importe qui, pourvu que l'ACIA assure une vérification — sont envoyés à un organisme central et ils sont évalués. À l'heure actuelle, ces tests ne sont pas évalués ici au Canada. Je crois qu'il est possible pour l'ACIA de mettre en place ce type de mécanisme à l'intérieur de ses structures, pour mener des évaluations et pour déceler des tendances de contamination dans les divers établissements et à divers endroits partout au pays.
M. Fruitman : À mon avis, on soulève aussi la question de savoir qui supervise le superviseur.
Le sénateur Robichaud : Madame Nielsen, vous citez l'article 81 du projet de loi, et j'aimerais savoir en quoi il vous préoccupe. Voici ce qu'il dit :
(3) Les produits alimentaires au sens de l'article 2 de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada sont soustraits à l'application de la présente loi.
Mme Nielsen : La Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation établit des exigences pour l'étiquetage de tous les produits préemballés, y compris les produits alimentaires, ou l'a fait jusqu'à aujourd'hui. Il y a beaucoup d'informations de base, par exemple, sur la quantité et l'origine du produit, et c'est aussi l'information que veulent maintenant avoir les consommateurs. Cette disposition modifie la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation en soustrayant les aliments. Cette loi n'exigerait plus que cette information figure sur le produit. L'information relèverait désormais de ce nouveau projet de loi, et nous ne savons pas ce que l'ACIA en fera maintenant. On dit que certains renseignements n'ont rien à voir avec la santé ou la salubrité, et qu'ils peuvent donc tous être affichés sur un site web. Tout cela est bien beau si vous avez un ordinateur et si vous pouvez lire. Allez-vous consulter un site web avant d'aller au magasin, et où iriez-vous? Quarante pour cent des gens au Canada ne savent pas lire en anglais ou en français. De qui et à quel endroit obtiendront-ils cette information? Ils ont besoin de ces renseignements si un rappel est lancé. Suis-je censée vérifier chaque fois qu'il y a un rappel et consulter le site web pour vérifier l'étiquette? À l'heure actuelle, nous savons, d'après le travail de l'ACIA, que l'étiquetage est très déficient.
Le sénateur Robichaud : Le projet de loi à l'étude contribuera-t-il à régler le problème?
Mme Nielsen : Cela dépend. Nous ne le savons pas avec certitude. C'est là le problème. Si j'avais la réponse, je pourrais vous la donner, mais nous ne le savons tout simplement pas et c'est pourquoi nous sommes préoccupés. Bien des choses seront définies dans le règlement. Nous sommes en quelque sorte les derniers à qui on demande de fournir des renseignements ou même de participer aux consultations. J'ai participé aux consultations sur la modernisation des inspections au nom du conseil, et je le fais bien souvent parce que je suis ici, à Ottawa. J'ai travaillé pour Santé Canada, à la Direction générale des produits de santé et des aliments, alors je connais la loi, mais c'est très difficile.
Le sénateur Robichaud : Vous espérez pouvoir contribuer à la mise en place du règlement.
Mme Nielsen : Oui, parce que je connais les lois et les règlements. Je donne des cours à ce sujet à l'École de la fonction publique du Canada. Toute ma vie, j'ai travaillé avec la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation et j'ai fait tout le travail d'élaboration des politiques liées à cette loi, de même que pour la Loi sur les aliments et drogues et la protection en matière de radiation. Je crois que je pourrais apporter cette contribution, c'est-à- dire participer à ce travail puisque j'ai déjà contribué à l'élaboration de règlements et de lois. J'aimerais pouvoir le faire. J'aimerais en avoir l'occasion. Je suis retraitée. J'ai une pension décente, mais chaque fois que je fais cela, c'est par mes propres moyens.
Le sénateur Robichaud : Merci de faire ce que vous faites.
Le sénateur Mercer : J'aimerais approfondir la discussion au sujet des règlements. Nous adoptons les lois, dans lesquelles il y a une disposition qui permet au gouvernement de prendre des règlements, et ce sont les détails qui posent problème. J'ai les mêmes préoccupations que vous au sujet de l'étiquetage. Je suis une diète à faible teneur en sel depuis plusieurs années. C'est moi surtout qui fais l'épicerie dans ma famille, alors je lis beaucoup d'étiquettes, et je sais ce que vous voulez dire. Sur le devant de la boîte ou sur l'étiquette, on annonce que la teneur en sel est réduite, puis, de l'autre côté de l'emballage, vous constatez que la teneur en sel est passée de 42 à 39 p. 100.
Le consommateur doit être extrêmement attentif. Je dois contrôler ma consommation de sel, mais ma situation n'est pas aussi grave que celle d'autres Canadiens qui doivent contrôler leur consommation d'autres ingrédients.
Je ne veux pas laisser le gouvernement s'en sortir à bon compte, mais je comprends aussi le problème. Vous ne pouvez pas tout mettre dans une loi. Il faut une certaine souplesse.
Croyez-vous qu'il serait avisé d'examiner plus tard la réglementation pour voir comment, après que cette loi aura été mise en place pendant un certain nombre d'années, le règlement correspond aux intentions que le Parlement avait lorsqu'il a adopté le projet de loi?
Mme Nielsen : Bon nombre de règlements comportent aujourd'hui une disposition de temporarisation. J'étais très surprise de constater que, pour certaines mesures législatives, on exige maintenant que le règlement soit rédigé avant que la loi ne soit adoptée. Je crois que c'est ce qu'on a fait avec la nouvelle loi sur la citoyenneté. À mon avis, il n'y a rien de mal à cela et c'est une excellente idée. Dans le projet de loi à l'étude, on prévoit un examen après cinq ans, ce qui donne l'occasion d'examiner et d'évaluer la loi. Le projet de loi comprend des dispositions qui sont excellentes, si elles sont mises en œuvre correctement et si le règlement est élaboré correctement.
Le sénateur Mercer : Nous comptons sur vous pour revenir dans cinq ans et nous dire si le règlement a fonctionné et ce qui doit être changé.
Mme Nielsen : J'en serai ravie, si je suis toujours là.
Le sénateur Nolin : Un témoin peut demander le remboursement des dépenses qu'il a engagées pour se présenter devant le comité, n'est-ce pas? Vous pouvez demander un remboursement de vos 2 dollars.
Mme Nielsen : Je ne crois pas que je le ferai. Je peux me permettre cette dépense.
Le président : Chers témoins, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de nous avoir remis vos documents et de nous avoir fait part de vos commentaires.
(La séance est levée.)