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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 3 - Témoignages du 27 octobre 2011


OTTAWA, le jeudi 27 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : Le financement de la croissance des PME).

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue chers collègues. J'ouvre la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue à notre séance portant sur la situation du régime financier canadien et international. Notre sujet est le financement et la croissance des PME.

[Traduction]

Le président : Je suis le sénateur Michael Meighen et je viens de l'Ontario. J'ai l'honneur de présider ce comité. Je présente les sénateurs qui sont ici. Le sénateur Harb vient de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Campbell vient de la Colombie-Britannique, le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Oliver, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse, et le sénateur Gerstein, de l'Ontario. D'autres sénateurs se joindront à nous lorsqu'ils se seront libérés d'autres obligations.

Malheureusement, il y a des élections au sein de quelques associations parlementaires aujourd'hui. Je vous prie d'excuser quelques honorables sénateurs qui devront s'absenter vers midi.

Nous poursuivons l'étude du financement de la croissance des petites et moyennes entreprises.

Nous entendrons deux témoins de Deloitte, l'un des chefs de file des services professionnels au Canada. Nous recevons Bill Currie, qui est vice-président de Deloitte Canada, qui siège au conseil d'administration et qui est directeur général de la consultation pour les Amériques. Il dirige aussi les activités de Deloitte liées au secteur bancaire et est l'un des trois auteurs d'une étude intitulée L'avenir de la productivité : Un plan de match en huit étapes pour le Canada. Je pense que les sénateurs en ont reçu un exemplaire et que M. Currie nous présentera cette étude.

M. Currie est accompagné de Andrew Dunn, associé directeur, Fiscalité, chez Deloitte également.

Bienvenue. Merci de prendre le temps de témoigner devant nous aujourd'hui, malgré le court préavis que nous avons pu vous donner. Je vous suis reconnaissant d'avoir accepté notre invitation.

Si vous avez une déclaration, faites-la maintenant, puis nous passerons aux questions.

Bill Currie, directeur général de la consultation pour les Amériques, vice-président, Deloitte : Je vous décrirai le contexte de nos constatations. Le document PowerPoint est un résumé du rapport en Word. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails, mais je présenterai peut-être une diapositive un peu plus tard.

Il y a environ 14 mois, nous avons invité Kevin Lynch à nous parler de la compétitivité au Canada. Une chose qui m'a frappé en réfléchissant à cet exposé, c'est l'écart de productivité. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi nous sommes de 25 p. 100 moins productifs que nos voisins américains. Deloitte a parrainé une étude afin de tenter de découvrir les causes de cet écart et ce que nous pouvons faire pour le combler. Nous avons consacré neuf ou 10 mois à la question. Nous avions trois grands volets. Premièrement, les hypothèses sur les raisons pour lesquelles la productivité est tellement inférieure à celle des États-Unis et d'autres pays. Nous avons examiné les dépenses militaires américaines. Stimulent-elles l'innovation davantage qu'au Canada? Nous avons comparé le pourcentage de travailleurs syndiqués au Canada et aux États-Unis — deux fois plus élevé chez nous — et cherché les corrélations avec l'écart de productivité.

Nous avons interrogé plus de 100 personnes au Canada et aux États-Unis. Nous avons parlé à des universitaires, des gens d'affaires et des fonctionnaires. Nous avons parlé à un vaste éventail de personnes pour comprendre les enjeux et leurs causes.

Dans ces conversations, nous avons entendu que les chefs d'entreprises canadiens sont plus frileux en affaires que leurs homologues américains. C'était une opinion qui revenait sans cesse, mais nous n'avons pas pu trouver de recherches à ce sujet.

Nous avons parrainé une étude quantitative dans laquelle nous avons interrogé 452 chefs d'entreprise américains et 450 chefs d'entreprise canadiens pour savoir si cette opinion était fondée. Nous avons trouvé que oui. L'aversion pour le risque est plus prononcée chez nous. Au Canada, il y a deux types d'entreprises. Celles qui évitent les risques et celles qui prennent des risques.

Les entreprises canadiennes qui prennent des risques sont en tous points semblables aux entreprises américaines, elles se comportent et investissent de la même façon.

Les entreprises qui proclament haut et fort leur aversion pour le risque au Canada sont nettement moins portées à prendre des risques que leurs homologues américains. Il y a une foule d'entreprises canadiennes qui n'investissent pas autant que les entreprises américaines et qui ne tolèrent pas autant le risque.

Nous avons trouvé six causes fondamentales pour lesquelles le Canada est moins productif. Une raison est que le capital de départ au Canada est nettement moins accessible qu'aux États-Unis. J'oserais dire que le capital de risque n'est pas totalement absent chez nous, mais presque. Il y avait cinq autres causes, qui nous ont poussé à faire huit recommandations.

Ce n'est pas une question qui relève du gouvernement. C'est une question qui exige la participation du gouvernement. Le gouvernement a été très actif dans ce dossier depuis de nombreuses années. C'est une question qui exige la participation des universitaires et du milieu des affaires. Nous estimons que de nombreux universitaires s'y intéressent. Si je comprends bien, vous en avez entendu certains aujourd'hui. Le milieu des affaires n'a probablement pas été aussi actif qu'il aurait dû l'être. Il est difficile de faire participer les entreprises. Nous avons 40 000 entreprises clientes dans toutes les régions du pays, de toutes les tailles et dans tous les secteurs. Nous avons l'intention de participer à cette discussion à l'avenir et d'encourager les clients — et les entreprises en général — à s'intéresser activement à cette question. Sans des entreprises qui participent directement, l'écart d'activité persistera.

Le président : Pour ceux qui nous regardent et qui nous écoutent sur CPAC, y a-t-il une définition de la productivité?

M. Currie : La définition que nous utilisons est le produit intérieur brut par personne employée au Canada.

Je n'ai pas trouvé de meilleure définition. Si vous regardez la page 2 de notre présentation PowerPoint, il est question de taux d'emploi multiplié par l'effort de travail. Il s'agit de la production à l'heure qui détermine notre niveau de vie exprimé en PIB divisé par la population. Au Canada, nous travaillons aussi fort que les Américains. Les heures de travail ne posent pas de problème. Le taux d'emploi n'est pas un problème. Le niveau d'emploi dans notre pays n'est pas le problème. Le problème, c'est notre production à l'heure. Chaque heure de travail d'un Canadien produit 25 p. 100 de moins qu'une heure de travail d'un Américain.

Le sénateur Harb : Le produit intérieur brut est-il déterminé en utilisant la population active ou l'ensemble de la population?

M. Currie : La population active. Je pense que les calculs se font avec les équivalents temps plein.

Nous avions huit recommandations.

Éducation — entrepreneuriat et innovation à tous les niveaux de l'éducation. Nous pensons qu'il est possible d'améliorer les programmes à tous les niveaux, pas seulement dans les écoles supérieures ou les universités, mais aussi dans les écoles secondaires. Au baccalauréat, il faudrait accentuer les cours en affaires et les cours de nature quantitative.

Population — immigrants qualifiés. Nous avons la possibilité d'accroître l'immigration au Canada. Comme les facteurs démographiques jouent au Canada et dans le monde, il y aura une vive concurrence pour les immigrants. De toute évidence, nous sommes attrayants pour les immigrants actuellement. Nous devons donc nous assurer de maintenir cet attrait à l'avenir et de pouvoir employer les immigrants vite et bien lorsqu'ils viennent au Canada. Cela veut dire que nous devons comprendre et reconnaître leurs compétences et leurs diplômes, ce qui est problématique actuellement.

Innovation — améliorer l'efficacité de la recherche et du développement.

Maturation — renforcer la réserve de capital de risque pour les jeunes entreprises. Nous estimons que le financement par la famille et les amis existe actuellement au Canada. Il existe des capitaux providentiels, mais la taille de notre cohorte d'investisseurs providentiels est environ la moitié de celle des États-Unis. Le capital de risque est beaucoup moins élevé au Canada et constitue un réel problème pour les entreprises canadiennes.

Regroupement local — il faut appuyer les regroupements.

Investissement — les entreprises canadiennes investissent extrêmement peu dans la machinerie et l'équipement. Nous investissons environ la moitié moins que les Américains. Dans les technologies et les communications, nous investissons le tiers du montant investi aux États-Unis, même si nous avons tout ce qu'il faut pour stimuler la productivité. Malgré les faibles taux d'intérêt, un dollar élevé et les encouragements gouvernementaux, les entreprises canadiennes n'investissent toujours pas dans leur propre avenir.

Flexibilité — faciliter les flux d'investissement direct étranger.

Réduire les obstacles au commerce et se lancer sur de nouveaux marchés.

Ce sont les champs d'action que nous recommandons, et il y a des sous-champs d'action qui les recoupent.

C'était mon bref survol de notre rapport.

Le président : Merci, monsieur Currie.

Andrew Dunn, associé directeur, Fiscalité, Deloitte : J'ai eu la possibilité de témoigner devant votre comité à propos de l'épargne-retraite. J'ai pris plus que les cinq minutes qui m'étaient allouées à ce moment-là pour la déclaration que j'avais préparée, alors aujourd'hui, je vais tenter de réduire ma moyenne. M. Currie vous a décrit notre rapport sur la productivité. Je suis fiscaliste. D'énormes pans de la politique fiscale sont importants pour améliorer la productivité et procurer au Canada un avantage concurrentiel. Dans les huit étapes évoquées par M. Currie, il y a l'idée de la maturation et de l'aide au démarrage des entreprises qui permet de passer du financement des amis et de la famille à des formes plus systématiques et plus avancées de financement de l'innovation. Le groupe Jenkins a publié récemment son rapport sur la manière de stimuler l'innovation au Canada. Il y a d'importantes façons dont le régime fiscal peut jouer un grand rôle pour améliorer la position concurrentielle du Canada dans le domaine de l'innovation.

Parmi les huit moyens proposés, la population constitue la troisième priorité fiscale pour accroître la productivité au Canada. C'est un élément subtil, mais sur lequel j'aimerais revenir brièvement. Il est grandement lié à la politique sur l'immigration. Un élément clé de cette politique consiste à faire du Canada un pays attrayant. Les gens qui sont les plus enclins à stimuler l'investissement et l'innovation sont ceux qui sont très instruits, mobiles et professionnels et qui ont l'esprit d'entreprise. Ils ont tout simplement un plus grand choix d'endroits où vivre.

Le Canada peut devenir plus attrayant notamment par un régime de l'impôt sur le revenu des particuliers plus concurrentiel. Le Canada a fait de grands pas pour améliorer l'environnement fiscal des sociétés et abaisser ses taux d'imposition des sociétés au-dessous de ceux de son principal partenaire commercial, bien que, en moyenne par rapport à l'ensemble des membres de l'OCDE, ses taux d'imposition des sociétés se situent au milieu.

Sur le front de l'impôt des particuliers, les taux d'imposition sont élevés. Nous croyons qu'adopter la même démarche que pour les sociétés afin de réduire les taux d'imposition, ce qui donnerait un signal à long terme du point futur vers lequel nous nous dirigerions graduellement au fil des années, serait un important moyen de rehausser l'attrait du Canada pour les immigrants et, au bout du compte, de renforcer cet outil de la population afin d'accroître notre productivité.

Le président : Comment évitez-vous de mettre volontairement ou involontairement le gouvernement dans la position de choisir les gagnants?

M. Dunn : C'est une question intéressante. Dans le contexte de l'innovation, le régime des crédits d'impôt prévoit une série de règles permettant aux contribuables de demander un crédit pour des activités visant à promouvoir les connaissances scientifiques et les progrès technologiques sur un produit ou un procédé. À cet égard, le régime fiscal a l'avantage de l'universalité. Il définit les critères et les contribuables demandent le crédit. Dans un programme de subventions, par définition, le gouvernement choisit qui sera gagnant ou perdant, pas qui l'est déjà.

Nous avons examiné nos principaux partenaires commerciaux et nous avons constaté que les économies se dirigent vers un régime de crédits d'impôt et délaissent le financement plus direct par des subventions. Un éventail de mesures est la bonne approche, parce qu'il faut un mélange. Mais, la plupart des pays ont tendance à délaisser les subventions au profit des crédits, parce que cela permet de ne pas choisir des gagnants et des perdants.

Le président : Est-ce que le crédit d'impôt s'appliquerait dès le début? Je conjecture, mais vaudrait-il mieux attendre un certain temps pour voir si l'idée d'une meilleure brosse à dents a commencé à faire ses preuves? Lorsque l'idée commence à s'imposer, on demande le crédit. Le gouvernement devrait-il investir simplement parce qu'un entrepreneur dit qu'il fabriquera une meilleure brosse à dents, avant qu'il y ait une indication de réussite possible?

M. Dunn : Il y a quelques aspects à prendre en considération, notamment la possibilité de remboursement, sur laquelle je reviendrai.

Pour rester dans le thème de la discussion d'aujourd'hui, si un entrepreneur a une idée pour un produit et doit investir afin de fabriquer un prototype ou d'effectuer des recherches plus poussées, le problème le plus important, c'est la trésorerie. Dans cette situation, pour que cette entreprise réussisse, elle doit avoir suffisamment de fonds de roulement pour effectuer les recherches, fabriquer le prototype et perfectionner son procédé, quel qu'il soit et quelle que soit l'incertitude de ses travaux. C'est pour cette raison que les capitaux providentiels sont importants. De la même façon, le régime des crédits d'impôt devrait prévoir la possibilité de remboursement à ces premières étapes. Par définition, cela doit être possible avant que la technologie fasse ses preuves.

Le modèle dans lequel le gouvernement et l'entrepreneur financent l'incertitude est celui du partage des risques.

Le sénateur Oliver : J'ai deux questions. La première porte sur les investisseurs providentiels et la seconde, sur votre rapport. Je pourrais peut-être poser d'abord la seconde.

Premièrement, vous avez consacré neuf ou 10 mois à une étude globale sur cette question, et vous avez conclu qu'il y avait huit étapes, à commencer par l'éducation. Maintenant que l'étude est terminée et que vous commencez à présenter votre rapport, comment assurerez-vous le suivi de ces huit étapes?

Deuxièmement, vous avez parlé des investisseurs providentiels, qui sont importants pour la productivité et l'avenir du Canada. Dans votre rapport, vous déclarez que les investisseurs providentiels veulent normalement investir entre 500 000 dollars et 2 millions de dollars. On nous a dit hier que c'est à peu près le même montant que les investisseurs providentiels américains dans des entreprises en prédémarrage qui affichent de solides perspectives de croissance. Selon les estimations recueillies par la National Angel Capital Organization, le capital-risque privé est la plus importante source de financement pour les jeunes entreprises, après les amis et la famille. Les investisseurs providentiels fournissent presque deux fois plus de financement que les sociétés de capital de risque. Les investisseurs providentiels sont extrêmement importants au Canada. Que pouvons-nous faire, à titre de décideurs, pour accroître l'intérêt de ces investisseurs et les inciter à investir davantage? Faut-il passer par la politique fiscale, monsieur Dunn, ou autre chose? C'est aussi important d'après vos statistiques?

M. Currie : Je répondrai aux deux questions et demanderai ensuite à M. Dunn de parler plus précisément des capitaux providentiels. Nous avons des opinions très claires.

Notre report n'était pas une étude ponctuelle, mais plutôt un élément d'une réflexion de politique à laquelle Deloitte a choisi de participer activement sur une longue période. Une de nos équipes s'y consacre à plein temps. Nous la finançons. J'ai fait le tour du pays et je continue de le faire pour parler à différents groupes et participer à différentes tribunes.

Nous sommes maintenant en lien avec Industrie Canada afin de participer à certaines recherches, avec l'institut de Roger Martin, avec le Conference Board du Canada, avec le Forum des politiques publiques. De concert avec la Banque de développement du Canada et avec la Banque de Montréal, nous tenons actuellement quelques tables rondes nationales qui portent précisément sur cette question du financement.

Nous avons priorisé les activités en fonction des huit étapes par lesquelles nous pouvons, selon nous, influencer à court terme les discussions et la politique publique pour modifier rapidement et à long terme des aspects culturels liés au milieu universitaire, par exemple. Nous sommes l'un des plus grands recruteurs au pays dans les écoles de commerce, de génie et d'informatique. Nous avons l'intention d'utiliser nos relations dans ces universités pour influencer des modifications aux programmes d'études et appuyer ces changements à l'avenir.

Nous sommes la plus grande société de services professionnels au pays. Nous avons la chance d'avoir de solides partenaires et des liens étroits. C'est important.

Si nous ne changeons pas le cours de notre productivité, nos enfants ne seront pas aussi riches que nous. Ce n'est pas un résultat acceptable quand on peut prévoir que c'est ce qui arrivera si nous n'apportons pas des changements. Nous avons l'intention de continuer à être un porte-parole, voire le porte-parole de choix, des entreprises dans ce domaine et de faire avancer les choses avec le temps.

En ce qui concerne les capitaux providentiels au Canada, ils sont plus élevés que le capital de risque. Mais ce qui est triste, c'est qu'ils sont encore environ la moitié moins élevés qu'aux États-Unis. Même si les investisseurs providentiels existent et deviennent de plus en plus reliés entre eux et actifs, ils n'ont pas la même ampleur qu'aux États-Unis. Le capital de risque au Canada correspond proportionnellement à environ le dixième du capital de risque américain.

Nous pensons que les entrepreneurs perpétuels — ce que sont généralement les investisseurs providentiels — sont importants non seulement pour leur argent, mais aussi pour leurs connaissances et pour leur capacité de guider des entreprises en démarrage.

À l'étape de la maturation, où il y a des cadres et des résidents, ainsi que des gens qui peuvent aider les entreprises en démarrage à avoir un taux de réussite plus élevé, ils sont importants non seulement pour leur argent, mais aussi pour leur clairvoyance, leurs connaissances et leur capacité d'aider à gérer les risques des entreprises en démarrage.

Dans notre rapport, nous recommandons des crédits d'impôt. Je laisserai M. Dunn en parler. Les investisseurs providentiels sont très importants pour nous.

Le sénateur Oliver : Comment avoir plus de crédits d'impôt ou autre chose?

M. Currie : Il y a des crédits d'impôt. On peut changer son comportement, ce qui nous ramène à la question des regroupements. Une chose que nous avons apprise à ce sujet est que tout est lié. Quand il est question de financement ou de capital providentiel, il est aussi question de regroupements.

À Waterloo, j'étais, il y a quelques semaines, dans une organisation appelée Communitech, un endroit vraiment formidable. C'est une organisation de maturation sans but lucratif créée par des gens comme Tom Jenkins, Mike Lazaridis et Jim Balsillie il y a 15 ans. Ils ont voulu que les futurs entrepreneurs n'aient pas à surmonter les mêmes difficultés qu'eux. Ils ont créé une entité pour appuyer les entreprises en démarrage dans le secteur de la technologie dans la région de Waterloo, en mettant à contribution les industries établies, les entreprises aussi bien que le milieu universitaire et la communauté en général.

Communitech compte 400 entreprises en démarrage dans son réseau. Il s'en ajoute une nouvelle par jour. Le taux de réussite est de 75 p. 100.

Le sénateur Oliver : Mais d'où vient le capital au début?

M. Currie : Exactement comme nous l'avons décrit : les amis et les parents, les capitaux providentiels et le capital de risque.

Ils ont pu aller dans la communauté et dialoguer constamment avec les sources de capital. Grâce aux lois de la nature, à la transparence et à la vente, ils ont nettement agrandi à plusieurs reprises le bassin de capitaux providentiels dans la région en disant : « Voici ce que nous essayons de faire. Voici le genre d'entreprises que nous essayons de parrainer. Voici des exemples de réussites. »

C'est un exemple intéressant d'un groupe bien dirigé dans cette région, qui change la direction des protocoles de financement.

M. Dunn : Voici quelques observations sur ce qui pourrait être fait en particulier. Comme l'a indiqué M. Currie, nous avons voyagé et discuté avec différentes organisations et entreprises. Un exemple qui me vient à l'esprit, puisque vous posez cette question, est une entreprise de Québec à qui j'ai parlé. Elle effectue des essais de deuxième étape pour un produit pharmaceutique et, dans ce cas particulier, presque exclusivement des activités de R-D. Pour revenir à la question du sénateur Meighen, pour obtenir une possibilité de remboursement des crédits pour la R-D, il faut être une société privée sous contrôle canadien. Dans l'espace où cette entreprise effectue ses recherches, il n'y a pas de capital de risque permettant d'obtenir ce financement au Canada, alors elle se tourne vers les États-Unis.

Elle trouve une tension extrême entre son admissibilité au soutien de la R-D et son admissibilité au financement; les deux sont tout à fait contradictoires. Plus elle obtient du financement aux États-Unis, moins elle a droit à du financement par l'entremise du régime de crédits d'impôt.

Les crédits d'impôt qui nous paraissent les plus efficaces auprès des investisseurs providentiels ne sont pas les crédits d'impôt pour le capital de risque fourni par les particuliers et les fonds de solidarité qui ont été annoncés il y a 20 ans et qui ont été populaires, mais qui ont fait leur temps. Seuls de petits montants ont été obtenus sur le marché de détail. Il y a beaucoup d'infrastructure pour n'importe quel montant de capital.

Nous aimons le modèle de la Colombie-Britannique, où un montant de 200 000 $ par investisseur donne droit à un crédit. Il s'agit d'un programme de crédit plafonné qui se situe à mi-chemin entre un régime de crédits universel et un programme de subventions. C'est un crédit universel, mais le premier arrivé est le premier servi.

Ce type d'approche est utile. L'une des raisons pour lesquelles l'approche du marché de détail a été problématique est qu'il s'agissait de fonds généraux, malgré certains efforts pour les spécialiser. Quand on effectue de petits investissements — contrairement au financement à des étapes ultérieures, comme le financement par capitaux propres — il faut d'importants contrôles préalables, qui coûtent cher et qui doivent s'effectuer à l'interne par une grande équipe ou à l'externe en embauchant des entreprises qui examinent la situation et déterminent si les projections, la technologie ou d'autres aspects ont du sens.

En revanche, les investisseurs providentiels ont tendance à s'intéresser déjà au secteur d'activité de l'entreprise. Cela réduit donc l'ampleur des contrôles préalables et rend ces contrôles plus rentables par dollar investi. Nous aimons cette approche. Elle s'aligne davantage sur les besoins. De même, cette possibilité de regroupement crée un domaine de spécialisation, de sorte que différentes organisations partagent du personnel, pas nécessairement en même temps mais plutôt les unes après les autres, et que les gens peuvent aller d'une organisation à une autre. De même, il est plus facile pour un groupe d'investisseurs providentiels d'investir dans un groupe d'entreprises parce que chaque membre a une bonne idée de ce que font les autres au lieu d'avoir une vision générale et beaucoup plus variée.

Le président : Est-ce que la plupart des regroupements comportent du mentorat?

M. Dunn : Pour être le plus efficaces, oui.

Le sénateur Harb : Je suis troublé par un graphique, votre figure 4, qui montre que le Canada arrive derrière la Hongrie, la République tchèque, l'Espagne, le Portugal, et ainsi de suite. Je suis troublé, d'abord parce que nous savons tous les deux que, normalement, pour définir une productivité quelconque, on utilise une formule, que j'ai ici à la page 7 — taux d'emploi, effort de travail, productivité — et on conclut par le niveau de vie. Quand on a une formule, la plupart du temps il y a des variables, les XYZ, qui donnent un résultat à la fin du calcul.

Le problème, c'est que si l'on ne donne pas une bonne valeur à ces variables, le résultat est faussé.

Prenons par exemple la production à l'heure. Quel poids avez-vous accordé à l'opérateur d'une machine dans une mine, par rapport à un ouvrier sur une chaîne d'assemblage d'automobiles, un travailleur dans le secteur des technologies, un enseignant ou un employé du secteur de la restauration? Ils travaillent tous, et chacun d'eux entre dans l'équation pour obtenir la production. Cela m'a troublé un peu parce que vous utilisez cette prémisse pour aller plus loin et faire valoir votre thèse afin d'arriver à vos huit recommandations.

Qu'en pensez-vous?

M. Currie : Vous avez raison. La réalité est que la productivité varie selon le secteur. L'analyse sectorielle qui peut se faire au Canada actuellement est limitée parce que ceux qui possèdent les données, Statistique Canada, n'ont pas vraiment voulu, par le passé, communiquer des données chronologiques. Industrie Canada a conclu une entente avec Statistique Canada en vue de communiquer cette information et de travailler avec des universitaires pour commencer à faire le type d'analyse que vous décrivez.

Nous en connaissons deux. La première est appelée l'EISE. C'est une étude parrainée par Industrie Canada. Elle a réuni 4 200 entreprises participantes et elle permet une analyse statistiquement importante de 67 secteurs de l'industrie. Ce sont les premières données que nous avons vues et elles sont disponibles moyennant paiement. L'étude a été présentée il y a deux semaines à un événement auquel j'ai assisté au Rotman Institute for International Business.

Nous commençons maintenant à jouer avec ces données pour déterminer si nous pouvons trouver une réponse à la question que vous posez parce qu'elle est importante. Mais il faut les données de Statistique Canada. Le problème, c'est qu'il y a tellement de données que le plan de recherche actuel compte 300 pages. Il faut trouver quoi faire avec tout ce matériel et s'assurer qu'il est aseptisé afin qu'on ne puisse pas reconnaître une entreprise en particulier.

C'est particulièrement difficile pour les grandes entreprises. Pour certaines grandes sociétés privées canadiennes comme Irving, McCain et d'autres, il est difficile de déguiser les données à cause de la nature bien particulière de ces entreprises. Des travaux sont en cours actuellement pour procéder à cette opération.

Nous n'avons pas trouvé d'indicateurs substitutifs. Nous avons trouvé des gens qui ont des opinions. Vous n'avez pas tort. Vous aimeriez examiner l'ensemble du Canada du point de vue sectoriel et pouvoir dire que nous sommes formidables dans le secteur minier, par exemple, qu'il y a une énorme productivité dans ce secteur parce qu'un travailleur produit 10 tonnes de charbon par jour, et que nous sommes des cancres dans autre chose. À l'heure actuelle, il n'y a que des données globales.

Tous ceux à qui j'ai parlé, dans le milieu universitaire et ailleurs, croient que la direction que montrent les données globales est exacte. Il serait formidable d'avoir plus de données sectorielles parce qu'il serait alors possible de mieux cibler les investissements et les activités, mais ces données n'existent pas actuellement. Nous avons fait ce que nous pouvions avec ce que nous avions. Nous participons avec le gouvernement et avec d'autres pour arriver à ce prochain niveau de réflexion parce que nous aimerions vraiment avoir des données sectorielles.

Le sénateur Harb : Cela m'amène à ma deuxième question. Dans votre figure 13, à la page 16, vous présentez l'investissement en R-D réalisé par le secteur privé par dollar de financement public. Sur 30 pays, nous arrivons bons derniers, derrière la Hongrie et l'Espagne, voire la Turquie, l'Italie et la Grèce, la Grèce qui est sur le point de ne plus pouvoir rembourser ses dettes. Nous sommes loin derrière.

Le sénateur Tkachuk : C'est révélateur.

Le sénateur Harb : C'est effectivement très révélateur. Comment décider de la manière de mesurer ces facteurs? Quels contrôles devons-nous effectuer quand nous examinons les données qui nous sont fournies pour effectuer nos calculs et décider où nous devrions nous situer dans cette chaîne?

J'estime que votre idée des regroupements est ce que nous avons entendu de plus important ce matin — ce qui arrive à Waterloo et ailleurs. Nous l'avons vu ici à Ottawa il n'y a pas si longtemps quand nous avions un fleuron appelé Nortel. Grâce à Nortel et à l'autre exemple que vous avez donné, Research In Motion, nous avons fini par avoir des regroupements et un grand essaimage. Il y avait une foule de talents dans ces entreprises; dans le cas de Nortel, je pense que plus de 2 000 entreprises ont été créées et certaines d'entre elles sont devenues parmi les plus dynamiques de la planète.

Ce que j'essaie de dire, c'est que j'aurais aimé voir comment les huit étapes que vous avez proposées s'orientent un peu vers les domaines où nous pouvons exceller et ceux où nous tirons de l'arrière. Comme vous l'avez dit, personne ne peut battre le Canada dans le secteur minier; c'est impossible. Nous avons certaines des entreprises minières les plus formidables au monde. Dans le secteur de la technologie, nous étions les meilleurs, mais nous perdons peut-être du terrain.

Pourquoi? Parce qu'une entreprise chinoise a pu battre Nortel et obtenir un contrat en Afrique par un écart de prix de 30 p. 100. Nortel, la meilleure au monde, n'a pas pu obtenir le contrat, parce que quelqu'un a produit la même chose à un prix nettement moins cher.

Au lieu de nous lancer dans tous les secteurs, nous devrions peut-être nous concentrer sur ceux qui peuvent fournir la plus grande production afin d'accroître notre productivité — le secteur de la technologie, par exemple, ou le secteur de la biotechnologie. Mettons l'accent sur ces secteurs et déterminons ce que le gouvernement peut faire pour transformer en gagnants les entreprises en démarrage.

Ce que vous me dites des petites et moyennes entreprises — les épiceries et les petits magasins et les autres — est formidable. Elles ont besoin d'aide, certaines en obtiennent et c'est très bien; mais le gouvernement devrait s'intéresser aux domaines pour lesquels nous pouvons changer les règles, les règlements et les lois afin que ces organisations puissent avancer.

Je m'arrêterai là.

Le président : Nous entendrons la réaction des témoins.

M. Currie : En ce qui concerne les données dans le rapport, je pense que la diapositive que vous regardez et que je n'ai pas sous les yeux est probablement tirée des données de l'OCDE, qui sont bien connues et généralement considérées crédibles. Je crois que c'est la source, mais ce pourrait en être une autre. En général, nous n'utilisons que les données qui nous paraissent avoir des fondements crédibles et qui révèlent des approches communes d'un pays à l'autre afin de tenter d'effacer le bruit.

Malheureusement, nous investissons beaucoup dans la recherche-développement et nous obtenons un rendement relativement faible sur cet investissement par rapport à d'autres. C'est une frustration. C'est sans doute pour cette raison que le groupe Jenkins a été formé et a produit son rapport. Je laisserai M. Dunn parler de RS&DE.

En ce qui concerne les regroupements et la direction à prendre, nous croyons fermement aux regroupements. Le réseau Communitech est fantastique — je pense que Waterloo est unique en son genre. Les résultats sont phénoménaux. Du fait que Nortel et d'autres n'existent plus, Ottawa a besoin de plus d'énergie. Je pense qu'il y avait ici l'un des plus solides regroupements du pays.

Je passe beaucoup de temps à discuter avec les pdg de la ville et ils sont inquiets parce qu'ils ont perdu une partie de l'énergie et des entreprises établies. Il faut probablement une revitalisation à Ottawa pour changer la trajectoire. Waterloo est encore en essor grâce au regroupement. Ils sont axés sur la technologie. Ils savent exactement ce qu'ils font.

Vous allez dans Communitech et vous voyez 40 entreprises en démarrage dans cet incubateur. RIM, OpenText, l'Université de Waterloo, l'Université Laurier, le collège Conestoga, Christie Digital et Google se retrouvent tous sur le même étage. Ils ont un programme, par exemple, où les étudiants en génie et en informatique qui font des stages-études à Waterloo sont payés pour faire un stage pendant lequel ils réfléchissent à leur prochaine grande idée afin de devenir un entrepreneur au Canada. Ils se retrouvent dans cet incubateur. La réflexion et l'innovation sont fantastiques à cet endroit.

Je suis tout à fait d'accord avec vous sur les regroupements. Nous faisons des suppositions, mais nous ne savons pas vraiment où la productivité est élevée ni où nous pouvons nous améliorer. Nous savons que les entreprises en démarrage du secteur de la haute technologie au Canada sont désavantagées par rapport à leurs homologues aux États- Unis.

Des sociétés américaines de financement par capitaux propres et de capital de risque viennent au Canada pour financer les meilleures entreprises de technologie canadiennes. C'est bien; je crois dans la libre circulation du capital. Le problème, c'est qu'ils attirent les gens vers le sud.

L'entreprise quitte le Canada et emporte les cerveaux, parce qu'aux États-Unis, la première offre publique est de 50 p. 100 plus élevée qu'au Canada à de nombreux points de vue. Ils ont plus de financement et ils obtiennent une tonne de soutien intellectuel de la part des sociétés de capital de risque et du milieu de la haute technologie dans la Silicon Valley et ailleurs.

Le financement est vraiment problématique parce que ce n'est pas seulement une question d'argent. Ces entrepreneurs feront grandir leur entreprise et les meilleurs d'entre eux seront achetés par Sequoia et finiront dans la Silicon Valley si nous n'intervenons pas pour modifier ce financement afin qu'ils aient les fonds et les capacités nécessaires pour avancer, d'où les regroupements. Nous avons vu le même genre de regroupement à Edmonton dans une technologie différente, surtout axée sur les services aux champs de pétrole, et cetera, mais aussi en haute technologie.

C'est la même chose à Québec. J'étais à Québec au début de la semaine, mardi dernier. J'ai parlé au président- directeur général de l'Industrielle Alliance. Ils essaient de créer un regroupement axé sur la technologie et l'appui de l'industrie de l'assurance parce que l'Université Laval a un formidable programme d'actuariat et qu'il y a de bonnes compagnies d'assurance. C'est quelque chose qu'ils peuvent faire. On le voit partout au pays, mais il n'y a pas de coordination. Il n'y a pas d'échanges d'idées, sauf de manière fortuite. Personne ne va à Waterloo, où ils sont les plus avancés à mon avis, ni à MaRS ou ailleurs pour voir ce qui s'y fait. Il se passe des choses, mais il serait bien d'obtenir un appui systémique pour échanger des idées et faire avancer certaines de ces innovations, parce qu'elles fonctionnent.

M. Dunn : J'aimerais ajouter quelques brèves observations sur une manière systématique de mieux intervenir. Je pense que les statistiques que vous évoquez sont la raison pour laquelle nous avons cette conversation.

Selon les données de l'OCDE, le Canada offrait le troisième meilleur régime fiscal du point de vue des encouragements à la recherche et au développement en 2008 pour les petites entreprises, mais le neuvième pour les grandes entreprises. Réfléchissons à cette statistique pour un moment. J'ajouterai que, depuis 2008, depuis les dernières données de l'OCDE, 11 des 24 pays qui offraient les meilleurs encouragements fiscaux à la recherche et au développement ont bonifié ces encouragements; tandis que la situation est restée stable au Canada.

Les entreprises décident où elles investiront dans une perspective internationale. Cette observation vaut davantage pour les grandes entreprises, mais elle s'applique aussi aux entrepreneurs très mobiles. Elles prennent ces décisions en fonction de renseignements prospectifs — autrement dit, sur leurs attentes concernant un régime d'encouragements et le contexte au moment où leurs efforts seront récompensés plutôt que sur la période entre aujourd'hui et ce moment-là. C'est pour cette raison qu'il importe d'avoir des signaux à long terme et de parler de l'objectif de politique sur l'orientation à prendre. À mesure que d'autres pays deviennent plus concurrentiels en annonçant qu'ils vont dans cette direction, ils deviennent plus attrayants pour les entrepreneurs et pour les grandes entreprises qui cherchent à être plus innovantes.

Rapidement à propos de l'efficience, je signale qu'une multinationale américaine n'est nullement incitée, de manière générale, à faire de la R-D au Canada ces temps-ci. Les États-Unis effectuent environ le tiers de la R-D mondiale. Dans le cas d'une multinationale américaine qui exerce des activités au Canada, elle n'est pas encouragée à faire de la R-D à cause d'un problème technique lié à la manière dont sont déterminés les crédits d'impôt pour la R-D. Ces crédits ne sont pas remboursables pour les grandes entreprises ou pour les sociétés qui ne sont pas sous contrôle canadien. Lorsqu'une multinationale américaine qui ne peut pas se faire rembourser rapatrie les bénéfices tirés de la R-D effectuée au Canada dans sa société mère américaine, elle paie simplement le delta de l'économie d'impôt réalisée au Canada et doit le rembourser. Si le crédit était remboursable, ne serait-ce que trois ans plus tard, voire comme vous le suggérez, sénateur Meighen, en tout temps après la commercialisation de la recherche, alors cela changerait le traitement fiscal lors du rapatriement aux États-Unis. Autrement dit, une multinationale américaine n'aurait pas simplement un avantage ponctuel, mais aussi un avantage permanent en faisant de la recherche au Canada.

Je vous laisse y réfléchir.

Le président : Il y a certainement matière à réflexion.

Le sénateur Massicotte : J'apprécie votre rapport; j'apprécie vos points de vue. Il y a eu de nombreuses études sur la productivité, comme vous le savez. La Banque du Canada s'intéresse à cette question depuis 20 ans. Elle a publié de nombreux rapports. L'impression que me laissent tous les rapports que j'ai lus jusqu'ici est que personne ne sait exactement ce qu'est la productivité. J'espère que votre dernière tentative de l'expliquer sera utile, mais jusqu'ici c'était un peu comme une cible mouvante.

En ce qui concerne les rapports de la Banque du Canada, la principale explication, peut-être — parce qu'ils ne sont pas certains — est l'investissement insuffisant des entreprises dans de l'équipement moderne. Dans ses rapports des six derniers mois, la banque se réjouit du fait que les entreprises canadiennes semblent effectuer maintenant des investissements en immobilisations pour moderniser leurs usines et, par conséquent, devenir plus efficientes. Cela n'a rien à voir avec la productivité des êtres humains ou de la main-d'œuvre; c'est plutôt lié aux outils qui permettent d'accroître la productivité. Vous examinez cette question et vous proposez huit ou neuf solutions pour améliorer la situation, y compris le capital de risque.

Je suis plutôt d'accord. C'est une bonne liste d'épicerie de solutions. On pourrait soutenir que cela ne peut pas nuire, parce que tout semble positif. Permettez-moi de me faire un peu l'avocat du diable pour contredire certaines de vos idées.

Hier, le sénateur Tkachuk a présenté un bon résumé du capitalisme et des forces du marché. Vous examinez l'histoire de notre pays, mais vous pourriez examiner l'histoire de nombreux pays. Chaque fois, on tente de rechercher la réussite des gouvernements, en soi, mais c'est un échec ou un immense gaspillage d'argent. Prenons les regroupements. De nombreux pays ont essayé et nous avons essayé nous aussi. Prenons les subventions. Dans l'histoire de notre pays, il y a toute une page sur de l'argent dépensé sans grand succès. Ce n'est pas l'argent ou le capital qui manque. C'est un problème d'affectation. Le problème peut-être le plus important dans le cas du capital de risque, qui fait l'objet de notre étude, est qu'il n'est pas rentable. Il n'y en a pas parce qu'il ne rapporte pas. Cela s'explique de plusieurs façons. Une raison est qu'il y a des distorsions qu'accentuent l'intervention gouvernementale, les fonds de solidarité, et cetera, et toutes sortes de crédits. Dans son rapport, M. Jenkins affirme que le crédit à la R-D n'a pas fonctionné et qu'il coûte des milliards de dollars aux contribuables. Nous devrions l'abolir. Étrangement, il recommande aussi des subventions — qui supposent vraiment qu'on s'efforce de choisir des gagnants et des perdants. On devrait tout simplement se retirer du marché.

Ce matin, je lisais le rapport Mackenzie sur le capital de risque et le financement par capitaux propres en 2010 pour le Canada et les États-Unis. Ce rapport affirme essentiellement, comme nous l'avons entendu hier, que ce n'est peut- être pas rentable parce que c'est cyclique. Le cycle du capital de risque montre qu'il y a eu un excès de capital. En 2008, l'industrie a énormément souffert; les marchés ont énormément souffert. Il faudrait peut-être les laisser en paix. Il semble y avoir eu beaucoup plus d'activité jusqu'ici cette année — pas davantage de créations de fonds, mais plus d'activité. Le problème sera peut-être réglé dans deux ou trois ans. Plus on fausse le marché, plus on le retarde, plus on provoque des conséquences tout à fait inattendues. Pourquoi ne pas laisser simplement faire le marché? Pourquoi tant d'intervention gouvernementale?

Le président : Je vous laisserai poser une autre question, sénateur Massicotte, mais entendons d'abord la réaction des témoins.

M. Currie : Nous mettons beaucoup l'accent sur le milieu des affaires. Nous nous intéressons peu à l'intervention gouvernementale.

Mais en ce qui concerne ce problème, l'histoire montre que le capital de risque au Canada a atteint un sommet en 2000 et 2001, puis il y a eu l'effondrement des technos. Le secteur s'est désagrégé. Ceux qui investissaient du capital de risque à l'époque — et on peut se demander s'il y a jamais eu beaucoup d'investisseurs en capital de risque chevronnés au Canada — ont perdu leur mise et se sont ensuite intéressés à autre chose. Il y a eu les fonds de solidarité, ces instruments de politique confus qui ont créé du bruit sur le marché et n'ont pas été constructifs. Il y avait presque toujours des restrictions. Par exemple, il faillait investir dans telle industrie, dans telle province, ne pas investir à l'étranger, et cetera. À notre avis, ces instruments de politique ont été un échec. Ils visaient trop d'objectifs de politique en même temps et cela n'a pas fonctionné. Cela a créé du bruit sur le marché et a émoussé les capacités.

Je pense qu'avec le temps — et nous en avons parlé à beaucoup de gens — on obtient une réaction unanime sur le besoin et l'absence de capital de risque efficace. L'annonce récente d'OMERS au sujet de son fonds de 230 millions de dollars ne règle pas le problème, mais c'est au moins un début de solution. C'est un groupe géré par des professionnels, qui réussit et qui est bien capitalisé. John Ruffolo, qui le dirige, espère que ce fonds atteindra 1 milliard de dollars lorsqu'il aura démontré qu'il peut faire de l'argent au Canada. Je pense que vous avez raison. Les gens se demandent s'il y a suffisamment de compétences pour que les fonds réussissent, s'il y a assez de capital humain pour pouvoir gérer efficacement des fonds de capital de risque et s'il est possible d'entrer sur le marché d'une manière qui peut être rentable.

Ce qui est sûr, c'est que le financement de troisième niveau n'existe pas. Supposons qu'il y a les amis et la famille; supposons qu'il y a des investisseurs providentiels, que nous aimerions voir plus nombreux. C'est ensuite que le bât blesse. Pour le financement du troisième niveau.

Sans lui, on finit par pousser les gens hors du pays. Ils trouvent l'argent, s'il existe et s'ils en sont capables, mais pas au Canada. Bon nombre d'entre eux achoppent. Une entreprise qui pourrait avoir un chiffre d'affaires de 1 milliard de dollars bloque à 5 millions de dollars parce qu'elle ne peut pas obtenir le financement nécessaire pour atteindre le prochain niveau; et il faut des années avant qu'elle devienne intéressante pour les banques, dans les structures traditionnelles. Il y a alors plus de prêts conservateurs qu'à l'étape du capital de risque. Ou alors, elle se lance prématurément dans une première offre publique, ce qui est très facile à faire sur la Bourse de croissance TSX au Canada. Le problème c'est qu'elle reste embourbée dans l'ornière des petites entreprises sans le financement et les ressources nécessaires.

Je ne suis pas en désaccord avec vous en théorie. Ce serait bien de pouvoir se retirer et de laisser les gens investir sur ce marché. Mais ce n'est pas ce qui est arrivé jusqu'ici, à quelques rares exceptions près. Que faut-il? Il faut une certaine intervention de la part du gouvernement afin d'encourager les gens à prendre plus de risques et à aller au-delà du financement intermédiaire, des fonds communs de capital de risque, et cetera. Nous peaufinons encore les détails de ce que nous pensons être la bonne réponse.

Nous avons travaillé avec le Forum des politiques publiques et quelques autres personnes. Il y a des points de vue différents. Roger Martin vous dirait que le capital de risque n'est pas la réponse parce qu'il n'est pas rentable et n'est pas viable aux États-Unis; il ne rapporte pas. La réponse est peut-être les services bancaires d'investissement. Il y a peut-être des nuances quant à ce qui fonctionnera au Canada, mais à l'heure actuelle, nous ne sommes pas viables, et les marchés n'ont pas assez guéri pour pouvoir résoudre ce problème. Il y a une demande d'argent, mais pas d'argent pour répondre à la demande.

M. Dunn : Puis-je intervenir au sujet de ce que vous avez dit sur le rapport Jenkins? Ce rapport ne recommandait pas d'abolir les crédits à la R-D, mais de simplifier le programme.

Le mandat du groupe Jenkins consistait à ne pas accroître les coûts. Autrement dit, quelles mesures peuvent être prises afin de favoriser l'innovation, sans dépenser davantage? L'une des recommandations consiste à simplifier le régime de R-D et de modifier ainsi l'équilibre. Je reviendrai sur quelques aspects que j'ai évoqués plus tôt.

Onze des 24 principaux pays qui offrent des encouragements fiscaux les ont accrus depuis 10 ans. La plupart des pays délaissent les subventions au profit des crédits d'impôt. Il n'y a certainement pas de remède miracle, mais quelle que soit la solution, il faut un sain régime de crédits d'impôt. Je serais heureux de fournir des précisions à ce sujet.

Le sénateur Massicotte : C'est une question de financement insuffisant, qui fait qu'il y a moins d'entreprises en démarrage et moins d'innovation, avec les conséquences que cela implique pour la croissance économique et la prospérité de notre pays. Un peu partout dans le monde, il y a une différence entre la culture entrepreneuriale d'un pays et le degré de concurrence. En France, l'entrepreneuriat est médiocre et la tendance des entreprises est négative. On pourrait soutenir que le gouvernement devrait se concentrer sur cela et sur la stimulation de la concurrence. Comme vous le savez, la concurrence est la lacune ou la composante fondamentale de notre système capitaliste. Sans une saine concurrence, le système ne fonctionne pas. Nous devrions peut-être nous concentrer sur ces deux aspects et oublier la comparaison avec la Silicon Valley. Le monde entier a dépensé des milliards de dollars pour tenter de l'imiter. Nous devrions peut-être nous concentrer plutôt sur ce que nous pouvons faire; nous aurions peut-être alors des solutions plus productives.

M. Currie : Le groupe Jenkins n'a pas été chargé d'examiner la compétitivité. L'intensité concurrentielle du Canada est inférieure à ce qu'elle pourrait être. Des contraintes artificielles empêchent de vendre des entreprises à des non-Canadiens ou à n'importe qui, selon le cas. Telco Management Inc. est un exemple, mais il y en a d'autres.

Les Canadiens sont riches et heureux. Nous avons profité pendant longtemps d'un dollar à 65 cents et d'un accord de libre-échange avec la plus grande nation commerçante du monde. Nous avons donc eu un bon niveau de vie, mais cela ne peut pas durer. Parce que nous sommes riches et heureux aujourd'hui, nous nous sentons mieux que nous ne le sommes en réalité.

L'une des solutions consiste à accroître l'intensité concurrentielle, ce qui veut dire éliminer les obstacles afin qu'il y ait plus d'activité sur le marché et une libre circulation du capital. Nous ne croyons certainement pas que le Canada devrait être identique aux États-Unis. Il y a un prix à payer pour être Canadien, et nous croyons que les Canadiens sont heureux de payer ce prix pour avoir une société collective qui possède entre autres un régime de soins de santé, ainsi qu'une nature plus bienveillante et douce. Je ne pense pas que ce prix soit un rapport de 25 p. 100 entre le Canada et les États-Unis.

Nous examinons la Silicon Valley et Boston. Nous nous efforçons aussi de répandre les pratiques exemplaires canadiennes parce que l'environnement est différent au Canada. Nous pouvons tirer des leçons de la Silicon Valley, mais nous sommes surtout intéressés à promouvoir des réalisations comme Communitech à Waterloo et à savoir ce qu'on peut faire d'autre au Canada. Il y a chez nous une solution canadienne par des regroupements qui ne sont pas identiques à ceux qui existent aux États-Unis. On ne peut pas faire des regroupements artificiels; ils doivent être soutenus par la collectivité et être bien ancrés. Il faut Research in Motion, RIM, OpenText et l'Université de Waterloo. À Edmonton, l'Université de l'Alberta doit s'aligner avec l'incubateur, qui existe depuis deux ou trois ans. Il y a 40 pays dans leur incubateur, mais ils ne se connaissent pas. Ils devraient se connaître très bien, parce que les mêmes choses se passent partout. Si vous allez à Communitech et demandez ce qui se passe dans le domaine du capital de risque, ils vous diront peut-être que le troisième mercredi du mois, ils demandent aux 10 meilleures entreprises du réseau de présenter leurs arguments à ceux qui offrent du capital de risque pour en obtenir. C'est probablement le meilleur incubateur du pays. Ils attirent du capital de risque, mais pas assez pour financer 50 entreprises; et ils attirent des gens de la Silicon Valley; cela se fait.

Votre remarque au sujet de la compétitivité est juste. L'intensité concurrentielle est trop faible au Canada.

Nous avons le capital humain pour les petites entreprises en démarrage et les petits entrepreneurs. Nos diplômés universitaires sont prêts à le faire, mais ils se heurtent à des obstacles. Nous pourrions les encourager et leur fournir ce dont ils ont besoin, mais pas nécessairement gratuitement. Il y a actuellement tellement de friction à cause du financement et d'autres obstacles à la réussite des entreprises en démarrage que c'en est désespérant. Je ne vois aucune statistique montrant que les petites entreprises sont le moteur de toutes les innovations. Nortel avait 4 000 brevets. Je crois que les données existent actuellement, mais jusqu'ici, aucune base factuelle ne dit où elles sont. On en revient à l'analyse sectorielle et à l'analyse de la taille. On commence à se renseigner et à se demander si les petites entreprises sont la solution et s'il faut viser seulement les petites entreprises ou seulement les entreprises de technologie? Quelle est la réponse? C'est une réflexion qui doit se faire. Les données existent dans l'Enquête sur l'innovation et les stratégies d'entreprise (EISE), et à Statistique Canada. La réflexion s'est faite, mais pas en se fondant sur les faits.

Le président : En ce qui concerne le capital de risque et les capitaux providentiels, voyez-vous des avantages pour les particuliers ou certains éléments des caisses de retraite qui y investissent?

M. Currie : Oui. Nous pensons que, par définition, un investisseur providentiel est un particulier. En règle générale, un entrepreneur perpétuel a gagné beaucoup d'argent et participe non seulement au financement mais aussi à l'encadrement de l'entrepreneur pour lui apprendre comment réussir.

Ces personnes ont généralement gagné beaucoup de sous, ils sont intellectuellement curieux et ont souvent plusieurs fers au feu. Nous dirions qu'investisseur providentiel et fonds ne vont pas ensemble. Les investisseurs providentiels sont des investisseurs et on peut les amener à collaborer les uns avec les autres parce qu'ils sont toujours à la recherche de marchés à conclure et d'activités.

Les fonds de capital de risque sont des fonds. Leur défi consiste à trouver des gens capables d'effectuer des investissements de troisième niveau qui leur permettent d'avoir, dans l'ensemble, un rendement positif dans un délai qui semble raisonnable. Ce sont des capitaux patients. Ce sont des capitaux investis pour au moins sept ans par des organisations comme le Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario, OMERS, qui ont cet horizon temporel et peuvent attirer des gestionnaires qualifiés pour faire fructifier ces fonds.

J'ai parlé à John Ruffolo, président-directeur général d'OMERS Ventures, qui a affirmé qu'il avait discuté avec quelqu'un de la Banque de développement du Canada. Ils cherchaient tous les deux des gestionnaires de fonds. OMERS l'a emporté parce que la BDC appartient au gouvernement du Canada et ne peut pas payer autant qu'OMERS pour obtenir ces compétences. C'est un problème de capital humain. Avec de l'argent, on attire le capital. Il ne manque pas d'argent au Canada ou ailleurs. Mais il faut pouvoir obtenir un rendement sur l'argent en trouvant des gestionnaires qui savent effectuer les placements, ce qui constitue un travail très spécialisé. On ne peut pas inventer ces gestionnaires. Ils ne possèdent pas ces compétences au sortir de l'université. Il faut des années pour développer ces compétences, qui font défaut actuellement, selon moi.

Le président : Où acquièrent-ils ces compétences?

M. Currie : En possédant des entreprises, en étant entrepreneurs perpétuels, en prêtant aux entreprises jusqu'à un certain point, par l'entremise des sociétés de financement par capitaux propres, et en participant sur les marchés où ils peuvent se spécialiser.

M. Ruffolo a acquis ses compétences en travaillant avec M. Dunn et nos fiscalistes dans le secteur de la haute technologie. Après avoir servi et conseillé 200 entreprises de haute technologie sur une période de 20 ans, il a fini par comprendre comment elles font de l'argent et lesquelles réussissent et pourquoi. M. Ruffolo est donc devenu quelqu'un qui s'y connaît.

Le sénateur Ringuette : Nous devrions inviter OMERS à témoigner devant le comité.

Je me suis intéressée à votre indice d'appétit du risque, qui se fonde sur 900 entreprises. Quelle était la taille de ces entreprises? S'agissait-il de PME ou de grandes entreprises?

M. Currie : Les deux. Il y a un mélange qui correspond à la nature de l'économie au Canada ou aux États-Unis. Nous n'avons pas fait de sélection particulière parce que nous n'avons pas pu obtenir un échantillon statistiquement significatif. Par sa nature, notre sondage finit par ressembler aux économies dans lesquelles nous l'avons mené. Les entreprises américaines sont plus grandes que les entreprises canadiennes, mais elles sont dispersées dans toute l'économie.

Le sénateur Ringuette : Je crois que les Canadiens et les entreprises canadiennes ont la même tolérance au risque. Elles manquent de compétences en marketing comparativement aux entreprises américaines. Nous sommes moins énergiques et savons moins comment obtenir notre part de marché. Si nous nous efforcions d'accroître ces connaissances, nos compétences en marketing et l'accès au marché, l'aversion pour le risque serait peut-être moins grande.

Monsieur Dunn, vous avez affirmé que les regroupements fonctionnent en vase clos et c'est un fait. Cela dénote un problème de communication. Je me souviens du témoignage des chaires de recherche du Canada devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je leur avais demandé d'afficher sur leur site Internet quelles recherches ils effectuaient afin de tenter d'établir des contacts avec d'éventuelles entreprises en démarrage et services de marketing. Nous avons aussi un faible appétit pour la communication et le partage. Nous sommes peut-être en train d'examiner tout cela du point de vue du financement. Nous devrions peut-être rechercher un ensemble tout à fait nouveau de compétences.

M. Dunn : Je ferai quelques observations.

L'Université de Waterloo, à laquelle j'ai fait allusion à quelques reprises, offre une maîtrise en affaires, entrepreneuriat et technologie. Je crois que ces comportements acquis permettent de devenir des entrepreneurs qui réussissent mieux. Ce n'est pas seulement une question de tolérance au risque. Nous avons examiné seulement la tolérance au risque, mais certains des autres éléments que vous décrivez à partir de votre observation sont sans doute raisonnables et nous ferions les mêmes observations.

En ce qui concerne l'élément communication dans l'éducation, la communication contribue à l'éducation dans la mesure où elle aide à partager l'observation et l'expérience. Quand on commercialise une technologie, selon l'élément de la recherche ou du développement en cause, la communication peut être un désavantage commercial.

Le sénateur Ringuette : La concurrence.

M. Dunn : On veut avoir une longueur d'avance sur ses concurrents quand on améliore un procédé ou un produit. En général, c'est une observation très raisonnable.

Le sénateur Ringuette : En ce qui concerne la politique ou les programmes gouvernementaux, comment peut-on accroître les compétences en marketing, les connaissances et l'accès aux marchés afin de rendre les entreprises canadiennes plus tolérantes au risque?

M. Currie : Nous pensons que les universités ont un rôle à jouer. Le problème, c'est que cela ne se fera pas du jour au lendemain. C'est une question de génération. Nous devons intervenir pour définir les programmes de cours, améliorer les possibilités de transfert de technologie à tous les niveaux, pas seulement au niveau universitaire.

Il n'y a pas de façon mesurable de déterminer si nous enseignons l'appétit pour le risque aussi bien que les Américains. Mais nous avons examiné les programmes des écoles de commerce canadiennes et ceux des écoles américaines — les 10 principales universités aux États-Unis et au Canada. Nous avons constaté que les écoles américaines offrent beaucoup plus de cours sur l'entrepreneuriat, l'innovation et d'autres aspects qui élargissent le spectre, tandis que les écoles canadiennes ont une approche et des cours très traditionnels. Nous pensons qu'il est possible de travailler avec les universités pour changer leur façon de penser.

Les universités canadiennes sont très compartimentées, et les politiques vont dans le même sens. Un étudiant en génie à l'Université Queen's ne suit pas de cours en arts ou en commerce, et l'école de commerce ne prévoit pas qu'un étudiant suive des cours en arts. Cela découle en partie des politiques universitaires et du fait que les facultés veulent garder leurs étudiants chez elles. Cela ne nous rend pas service.

La qualité de notre enseignement est très bonne, mais nous n'en profitons pas nécessairement globalement. Un étudiant en affaires qui doit suivre un cours en arts plastiques devient plus créatif; et une personne plus créative sera plus efficace en marketing. Ce sont des mesures que nous pouvons prendre pour modifier notre façon de voir ces cours, en plus d'ajouter des cours.

Dans les écoles primaires et secondaires, il devrait y avoir des cours en affaires en plus des cours de mathématiques. Les cours en affaires qui existent sont très rudimentaires. Ils peuvent porter sur la littératie financière, notamment sur la façon de gérer un compte de banque. Ils ne parlent pas beaucoup de macroéconomie ni même de questions fondamentales en affaires. C'est important de le faire.

Il incombe aussi aux gens d'affaires, qui sont sortis des universités et des écoles secondaires, de participer à cette formation. Ils pourraient expliquer aux étudiants en affaires à quoi ressemble le monde en réalité. C'est particulièrement important pour les entrepreneurs ou les travailleurs autonomes.

Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord avec vous. Dans notre fédération, l'enseignement postsecondaire relève des provinces et des territoires. Il faut trouver un stratagème de marketing afin d'inciter les gouvernements provinciaux et territoriaux à fournir cette information.

M. Currie : Nous avons parlé au gouvernement de l'Ontario. Nous avons aussi parlé au premier ministre du Canada et au Bureau du Conseil privé, collectivement, et à d'autres. Évidemment, il n'y a pas d'intervention fédérale directe. Mais le gouvernement fédéral donne beaucoup d'argent aux universités; presque sans condition. Il serait peut-être possible d'utiliser cette voie. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous devons modifier les priorités ou tout au moins demander que l'enseignement s'élargisse et mette l'accent sur les personnes qui feront carrière en affaires.

Le sénateur Ringuette : Communiquerez-vous les résultats de votre étude ailleurs qu'au gouvernement de l'Ontario?

M. Currie : Oh oui, nous allons partout.

Le sénateur Ringuette : J'espère que vous ferez un arrêt au Nouveau-Brunswick.

M. Currie : Nous y allons à la fin de novembre, je crois.

Le président : Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur L. Smith : Les petites et moyennes entreprises peuvent déduire directement 1 p. 100 de leurs revenus pour la formation interne. Plus jeune, j'ai travaillé quelques années dans le secteur de la formation. J'étais toujours ébahi d'apprendre qu'environ 90 p. 100 des dépenses des entreprises en formation étaient consacrées à la formation technique, et moins de 10 p. 100 à la formation personnelle, autrement dit, les compétences intellectuelles requises pour commercialiser, vendre, et cetera.

Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent-ils faire quelque chose pour inciter les entreprises et plus particulièrement les entrepreneurs, à examiner les compétences en direction des entreprises?

M. Dunn : Nous avons quelques hypothèses. J'ai déclaré qu'il n'y a pas de remède miracle. Un mélange d'approches différentes crée le bon environnement qui incite à être plus productif et à innover davantage. Nous avons priorisé les éléments.

Dans notre recherche, nous avons mis l'accent sur l'éducation, mais nous l'envisageons comme une éducation plus large afin d'aider les entrepreneurs à mieux réussir. Il n'est pas apparent dans ce que nous avons examiné jusqu'ici qu'il y a un problème de formation dans les organisations; mais je ne pense pas que nous ayons une opinion à ce sujet.

Le sénateur L. Smith : Il y a toutes sortes d'entrepreneurs — les frontières sont floues. Du point de vue de l'éducation, certaines universités prévoient des cours donnés par des gens de l'extérieur en quatrième année des programmes de commerce. À l'Université McGill, un professeur a brûlé son manuel de cours de quatrième année en marketing et fait venir des entrepreneurs qui présentent leurs expériences aux étudiants.

Qu'est-ce que nous pouvons faire d'autre dans ce domaine pour faciliter cette mentalité? Vous parlez d'innovation et pour moi, c'est en partie une question de mentalité.

M. Currie : Je pense que nous devons être beaucoup plus actifs dans ce domaine. L'expérience pratique dont on entend parler en discutant avec des entrepreneurs et des gens d'affaires en général ajoute une grande valeur à l'enseignement et va au-delà de ce qu'on peut apprendre dans une salle de classe. Nous recommandons de profiter davantage des réseaux d'anciens étudiants dans les universités et de faire participer le milieu des affaires pour faire comprendre l'entrepreneuriat, la prise de risques, et la réalité des affaires. Il est important de continuer à pousser dans ce sens et d'inciter les universités et le milieu des affaires à s'unir pour aider nos étudiants à être plus dynamiques dans leurs carrières.

M. Dunn : Dans la mesure où il y a un comportement peu tolérant au risque, la formation dans une entreprise, l'échange d'expériences et la description des méthodologies atténue ce comportement, parce que cela apporte une certaine certitude et réduit l'ambiguïté d'un résultat. À cet égard, c'est positif.

Le sénateur L. Smith : Les Chaires de recherche du Canada ont donné 203 millions de dollars. La réaction que j'ai obtenue, parce que c'est moi qui ai fait l'annonce, était que, bien souvent, les résultats des chaires de recherche ne sont pas clairs. Devrions-nous imposer des règles plus strictes pour exiger des résultats et faire en sorte peut-être que le gouvernement interagisse avec les entrepreneurs? Que font les chaires de recherche des études qu'elles ont menées pendant cinq ou sept ans lorsque ces études sont achevées? Quels sont les résultats? Quand une partie se rend sur le marché, quel est le lien avec les entrepreneurs?

M. Currie : Quand nous avons examiné les 28 aspects, nous avons été déçus parce que le Canada ne fait pas très bonne figure. Cependant, nous excellons dans la rédaction de rapports. Nous sommes les champions de l'OCDE en ce qui concerne la rédaction de rapports, mais pas les champions de la commercialisation. De fait, nous venons loin derrière. J'ai deux opinions à ce sujet.

Le sénateur Massicotte : Les comités sénatoriaux sont les as de la rédaction de rapports.

M. Currie : La plupart des chaires de recherche devraient avoir des résultats; il faudrait exiger quelques précisions, mais pas trop. Je suis allé au Perimeter Institute for Theoretical Physics à Waterloo. La Banque de Montréal venait de financer une chaire et un professeur de physique du MIT de renommée mondiale venait d'être nommé président. Le Perimeter Institute compte 30 ou 40 professeurs-chercheurs à l'interne. Il n'a pas de buts, pas de cibles et pas d'étudiants. Ils sont là pour réfléchir. Ils font de la recherche pure. Mike Lazaridis, fondateur et co-pdg de Research In Motion, fournit du financement, avec le gouvernement et d'autres, parce qu'ils croient que la physique quantique sera la prochaine grande vague. Je ne sais pas trop ce qu'est la physique quantique, mais je sais que pour stimuler l'innovation, il faut absolument des lieux de calibre mondial.

Nous avons fait un exposé. Le ministre Flaherty était présent, tout comme d'autres types en complet cravate comme moi. Des membres d'un conseil consultatif de physiciens quantiques du monde entier et nous-mêmes avons mangé à la même table. Mon préféré portait des sandales et des chaussettes orange, mais il avait un QI beaucoup plus élevé que le mien. Ils viennent à l'institut du monde entier, parce que c'est un aimant pour les génies. C'est un lieu de recherche pure et aussi un lieu de résultats.

Le sénateur Greene : Il serait intéressant pour moi et pour ceux qui nous écoutent de savoir pourquoi notre productivité était comparable à celle des États-Unis il y a 25 ans et pourquoi nous sommes actuellement à environ 85 p. 100. Qu'est-ce qu'ils ont fait différemment ou que nous n'avons pas fait et que nous faisions avant?

M. Currie : Il faut examiner ce qui s'est produit pendant cette période. Nous avons eu une monnaie faible et un accord de libre-échange qui nous a donné accès au marché américain, où l'intensité concurrentielle est la plus élevée au monde. Les États-Unis ont continué à investir parce que, pour réussir, ils doivent continuer à s'améliorer sans cesse. Pendant ce temps, leur économie est passé de la fabrication et l'agriculture aux services de haute technologie parce que la fabrication s'est déplacée en Chine et que certains services de base sont allés en Inde. Les États-Unis ont donc relevé la barre. Ils ont continué à devenir plus productifs et à changer de secteurs. Ils sont motivés et extrêmement concurrentiels.

Nous les avons suivis, dans une certaine mesure, mais nous n'avions pas la même intensité. Nos entreprises sont riches et heureuses, alors elles n'investissent pas dans la machinerie et l'équipement et elles ne sentent aucun mal. Je ne pense pas qu'elles aient pris conscience qu'elles se laissaient devancer quand c'est ce qui se passait en réalité. Aujourd'hui, elles se réveillent et s'aperçoivent qu'elles accusent du retard et suivent les tendances. Voilà quelques facteurs qui ont créé cette situation.

Le sénateur Massicotte : C'est une bonne explication de ce qui est arrivé depuis 25 ans. La compétitivité américaine existe depuis environ 150 ans. Qu'est-il arrivé il y a 25 ans lorsque les deux pays étaient également concurrentiels? Vous avez parlé de la dynamique du marché. Pourquoi le Canada était-il tout aussi productif il y a 25 ans?

M. Currie : Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada avait la quatrième force navale du monde. Nous sommes un petit pays et notre taux de participation pendant la guerre était beaucoup plus élevé que la taille de notre économie relative. Par habitant, nous avons largement dépassé l'effort de guerre des États-Unis, du point de vue du nombre de vies et de tout le reste.

La génération suivante avait confiance de bâtir un pays jeune et était au moins aussi concurrentielle qu'aux États- Unis — très intensément. Nous avons atteint le point où nous avions des avantages structurels qui nous ont fait perdre les devants.

Le sénateur Massicotte : En 1985, 40 ans après la guerre, nous profitions encore de la grande marine.

M. Currie : Nous avions une population de dirigeants qui avaient grandi et vécu pendant la Grande Crise et dont l'éthique professionnelle, la détermination et la discipline en ont fait des bâtisseurs de pays.

Le sénateur Massicotte : Ils étaient meilleurs que les Américains.

M. Currie : Non, ils étaient égaux aux Américains.

Le sénateur Massicotte : Restons-en là.

Le président : Monsieur Currie et Monsieur Dunn, nous venons de passer une matinée très stimulante. Vous nous avez donné des réponses claires et assez courtes, et nous vous en remercions. Tout le monde a pu poser des questions. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Nous avons aimé la clarté de vos explications et vos exemples concrets. Nous remercions votre cabinet d'avoir réalisé cette étude. Elle sera très utile au pays.

S'il n'y a rien d'autre, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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