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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 13 - Témoignages du 23 février 2012


OTTAWA, le jeudi 23 février 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, pour étudier le projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois

Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs et chers invités. Je suis John Wallace, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Comme mes collègues le savent, nous poursuivons aujourd'hui l'étude détaillée du projet de loi C-10, c'est-à-dire la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Nous menons cette étude depuis trois semaines. Au cours de la dernière semaine, nous avons tenu d'autres séances d'une journée. À chaque audience, nous examinons l'une des parties du projet de loi. Comme vous le savez peut-être, le projet de loi C-10 réunit neuf projets de loi qui avaient déjà été présentés au Parlement et qui sont morts au Feuilleton. Ils ont subi quelques modifications et ont été regroupés dans le projet de loi C-10.

Le projet de loi C-10 aborde évidemment de nombreux aspects. Nous avons décidé de les étudier chacun individuellement pour veiller à examiner de façon approfondie toutes les questions qui se rapportent à chacun de ces aspects.

Nous nous pencherons aujourd'hui sur les questions de la peine d'emprisonnement avec sursis, de la libération conditionnelle et du pardon, qui sont prises en compte dans le projet de loi C-10.

Les parties 2 et 3 du projet de loi C-10 proposent diverses modifications liées à la détermination de la peine et aux mesures suivant la détermination de la peine. La partie 2 modifierait le Code criminel de manière à restreindre la possibilité d'obtenir une peine d'emprisonnement avec sursis dans le cas de certaines infractions. Cette partie supprimerait — dans la disposition du Code portant sur la peine d'emprisonnement avec sursis — le renvoi aux infractions constituant des sévices graves à la personne. Elle interdirait également de surseoir aux peines d'emprisonnement prononcées pour toutes les infractions passibles d'une peine maximale d'emprisonnement de 14 ans ou à perpétuité ainsi que pour certaines infractions passibles d'une peine maximale d'emprisonnement de 10 ans et poursuivies par mise en accusation.

La partie 3 du projet de loi C-10 modifierait la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de façon à accroître la responsabilité des délinquants et à resserrer les règles concernant la mise en liberté sous condition tout en servant les intérêts des victimes et en insistant sur l'importance du rôle qu'elles ont à jouer dans le processus correctionnel. En outre, la partie 3 modifierait la Loi sur le casier judiciaire de manière à remplacer le terme « réhabilitation » par « suspension du casier ». Ces modifications allongent aussi la période d'inadmissibilité pour la présentation d'une demande de suspension de casier et la portent à cinq ans pour toutes les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et à 10 ans pour tous les actes criminels.

Par ailleurs, ces modifications prévoient que les délinquants reconnus coupables d'infractions d'ordre sexuel à l'égard de mineurs, à quelques exceptions près, et les délinquants reconnus coupables de plus de trois actes criminels pour lesquels ils ont reçu une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus ne peuvent demander la suspension de leur casier.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui de distingués témoins représentant le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Nous entendrons Don Head, commissaire du Service correctionnel du Canada, qui est accompagné de Jan Looman, psychologue et directeur du programme d'intensité élevée pour délinquants sexuels.

Ensuite, nous entendrons Harvey Cenaiko, président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui est en compagnie de Suzanne Brisebois, directrice générale, Politiques, Planification et Opérations ainsi que de Denis Ladouceur, directeur, Clémence et pardons.

Bienvenue à vous, mesdames et messieurs. Nous sommes ravis que vous soyez ici. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à ajouter sur le travail que nous avons entrepris. Nous commencerons par entendre vos déclarations préliminaires. Monsieur Head, vous ouvrirez le bal.

Don Head, commissaire, Service correctionnel Canada : Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Je suis heureux d'être ici pour vous parler du projet de loi C-10 et de la façon dont le Service correctionnel du Canada compte mettre en œuvre certaines dispositions du projet de loi qui le touchent directement.

Comme vous le savez, j'ai comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne le 18 octobre 2011 pour discuter de ce projet de loi et de ses divers éléments. Aujourd'hui, je m'adresserai principalement aux éléments qui auront, selon moi, le plus de répercussions sur les activités de mon organisation, c'est-à-dire aux éléments qui sont liés à l'ancien projet de loi C-39 et aux modifications proposées de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qu'il contient.

J'aimerais également vous glisser quelques mots au sujet des coûts prévus de la mise en œuvre du projet de loi.

En 2007, le Comité d'examen externe du SCC a rendu public son rapport final intitulé Feuille de route pour une sécurité publique accrue. Ce rapport contenait 109 recommandations visant à mieux préparer le Service à s'adapter à l'évolution du profil des délinquants et à améliorer nos résultats en matière de sécurité publique, tant en établissement que dans la collectivité.

Au cours des quatre dernières années, ce rapport a été à la base du Programme de transformation du SCC. Le projet de loi C-10 inclut les derniers éléments législatifs clés dont nous avons besoin pour mettre en place les changements qui nous permettront d'améliorer la communication des renseignements aux victimes, d'accroître la responsabilisation des délinquants et de consolider nos obligations en ce qui concerne les programmes et les interventions à l'égard des délinquants.

Si vous me le permettez, j'aimerais vous parler de la responsabilisation des délinquants. En raison des répercussions directes et importantes qu'il aura sur les activités quotidiennes de nos établissements, sur notre personnel et, finalement, sur notre mandat, je pense qu'il est nécessaire que nous nous intéressions à cet élément essentiel du projet de loi.

La réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants sont au cœur du mandat de notre organisation. À partir du moment où un délinquant entre dans l'un de nos centres de réception jusqu'à celui où il est mis en liberté, nous nous efforçons de l'aider à devenir un citoyen responsable et respectueux des lois. Cependant, pour que la réadaptation ait vraiment lieu et qu'elle soit maintenue, il faut mettre en place un processus de collaboration où le délinquant est responsable de ses décisions et de ses actions. Cela doit être non pas un processus à sens unique, mais plutôt un processus où les deux parties travaillent ensemble à la réalisation d'un objectif commun.

Monsieur le président, si le projet de loi C-10 est adopté, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition incitera davantage les délinquants à suivre et à respecter leur plan correctionnel, qui est à la base de tous les programmes, de la formation et de l'acquisition de compétences liées à l'emploi. C'est également sur ce plan que sont fondées les décisions relatives aux transfèrements et à la mise en liberté sous condition.

Par ailleurs, le projet de loi C-10 m'offre, à titre de commissaire du Service correctionnel du Canada, la possibilité d'établir une approche fondée sur des incitatifs pour traiter avec les délinquants qui peuvent suivre leur plan correctionnel, mais qui choisissent de ne pas le faire pendant leur incarcération. Le projet de loi permettra également d'améliorer le régime disciplinaire actuel en créant de nouvelles infractions pour mettre fin à certains comportements irrespectueux et dangereux, comme le fait de lancer des substances corporelles aux membres du personnel.

Monsieur le président, les dispositions sur la responsabilisation des délinquants du projet de loi C-10 et celles sur la surveillance électronique et la communication de renseignements aux victimes aideront à créer un environnement plus sécuritaire pour le personnel et les délinquants dans nos établissements, à offrir un meilleur continuum de soins aux délinquants qui sont mis en liberté dans la collectivité et, finalement, à améliorer les résultats en matière de sécurité publique pour tous les Canadiens.

Monsieur le président, comme vous le savez, les ministres de la Sécurité publique et de la Justice ont déposé l'automne dernier un document qui indiquait que le coût du projet de loi C-10 pour le gouvernement fédéral s'élèverait à 78,6 millions de dollars sur cinq ans. De ce montant, nous avons estimé que le SCC aura besoin d'environ 34,1 millions de dollars en fonds nouveaux sur cinq ans pour gérer les répercussions de ce projet de loi. Cette somme comprend les coûts opérationnels liés à la hausse prévue de notre population carcérale, qui augmentera par suite de l'imposition de peines minimales obligatoires aux délinquants qui auront commis des infractions sexuelles à l'égard des enfants ou des crimes graves liés à la drogue.

En plus de devoir faire face aux coûts associés au logement d'un plus grand nombre de délinquants, sur le plan opérationnel, nous devrons, entre-temps, faire davantage appel à la double occupation des cellules. Toutefois, divers projets de renouvellement des infrastructures ont été mis en œuvre partout au pays. Il est important de préciser que l'augmentation de la capacité ou du nombre d'employés sera proportionnelle à l'augmentation de la population de délinquants.

Je dois faire remarquer que les changements qu'on propose d'apporter à la politique sur la communication de renseignements aux victimes et à la mise en œuvre de la surveillance électronique auront également des répercussions financières sur le SCC. Nous absorberons ces coûts à l'interne.

Monsieur le président, le Service correctionnel du Canada continue de transformer ses activités pour s'adapter à une population carcérale plus complexe et plus diversifiée ainsi qu'à des changements législatifs importants à l'égard du système de justice pénale. Nous surveillons continuellement les effets de ces changements sur notre organisation et sur notre population carcérale et nous apportons des correctifs, au besoin. Je suis certain que le SCC continuera de bâtir des collectivités plus sûres pour tous les Canadiens en offrant aux délinquants les possibilités dont ils ont besoin pour pouvoir mener une vie productive dans la collectivité et devenir des citoyens respectueux des lois.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me les poser.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Head.

La parole est maintenant à M. Cenaiko, président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui fera sa déclaration préliminaire.

Harvey Cenaiko, président, Commission des libérations conditionnelles du Canada : Je vous remercie de m'avoir invité à vous adresser ces quelques mots aujourd'hui. Je vais vous parler des parties du projet de loi qui visent à modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur le casier judiciaire.

La Commission des libérations conditionnelles du Canada, en tant que partie intégrante du système de justice pénale, prend en toute indépendance des décisions judicieuses sur la mise en liberté sous condition et sur le pardon et formule des recommandations en matière de clémence. En outre, la Commission contribue à la protection de la société en favorisant la réintégration en temps opportun des délinquants comme citoyens respectueux des lois. Par conséquent, toute modification des dispositions législatives en matière de justice pénale qui touchent la détermination de la peine, qui entraînent la création de nouvelles catégories d'infractions ou qui concernent la libération conditionnelle ou les pardons a une incidence sur le travail que nous faisons dans la collectivité.

La mise en liberté sous condition vise à assurer le maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant la réadaptation et la réinsertion des délinquants, et, dans ce processus, la protection de la société est un critère prépondérant. Les modifications contenues dans le projet de loi C-10 se répercuteraient — pour ce qui est de certains délinquants — sur le nombre de cas que nous devons examiner, par voie d'étude du dossier ou d'audiences, aux fins de la prise de décisions sur la mise en liberté sous condition. Nous nous attendons à ce que les peines minimales obligatoires prévues pour des infractions d'ordre sexuel à l'égard d'enfants et des infractions liées aux drogues fassent légèrement augmenter le nombre de cas que nous examinons durant une année en vue de rendre des décisions.

Parmi les infractions pour lesquelles les délinquants seraient susceptibles d'être maintenus en incarcération jusqu'à la fin de leur peine figureraient également la pornographie juvénile, le leurre et les voies de fait graves contre un agent de la paix. Aux termes du projet de loi C-10, les délinquants pourraient faire l'objet d'un examen en vue d'un éventuel maintien en incarcération s'ils ont commis une infraction sexuelle contre un enfant et s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'ils commettront une telle infraction ou une infraction causant la mort ou un dommage grave. Cela ferait probablement augmenter le nombre de cas renvoyés à la commission.

En outre, le projet de loi ferait passer de six mois à un an la période que certains délinquants devraient laisser s'écouler avant de pouvoir présenter une nouvelle demande de semi-liberté ou de libération conditionnelle totale après avoir essuyé un refus. De plus, il y aurait suspension automatique de la libération conditionnelle ou d'office quand un délinquant se verrait infliger une peine supplémentaire. Enfin, le pouvoir d'assortir d'une assignation à résidence la libération d'office d'un délinquant s'il y a une probabilité qu'il commette une infraction d'organisation criminelle pourrait entraîner une légère hausse du nombre d'examens effectués par la commission.

Le projet de loi C-10 propose également d'autres modifications de la LCJ qui faisaient initialement partie d'un projet de loi portant sur les pardons, soit l'ancien projet de loi C-23. Par exemple, le terme « réhabilitation » serait remplacé par « suspension du casier », et le terme « accorder » serait remplacé par « ordonner ». La période d'attente pour une suspension du casier serait allongée; elle serait de cinq ans pour toutes les infractions punissables par procédure sommaire et de 10 ans pour tous les actes criminels. De plus, le projet de loi rendrait non admissibles à une suspension du casier les personnes reconnues coupables d'une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant et les personnes reconnues coupables de plus de trois actes criminels ayant chacun donné lieu à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus.

Comme vous le savez, les modifications récemment apportées à la LCJ font en sorte que le traitement d'une demande de pardon exige plus de temps et de travail de la part de la commission. Pour aider la commission à s'acquitter de sa charge de travail, le ministre de la Sécurité publique a récemment approuvé une hausse des frais de service exigés des demandeurs de pardon, et cette hausse entre en vigueur dès aujourd'hui.

Enfin, monsieur le président, la commission est déterminée à donner une plus grande place aux victimes, qui jouent depuis longtemps un rôle important dans le processus décisionnel relatif à la libération conditionnelle. Le projet de loi C-10 intégrerait dans la loi la politique existante de la commission concernant les victimes et leurs déclarations.

Les déclarations des victimes fournissent à la commission des renseignements utiles à l'évaluation du risque, entre autres, la nature de l'infraction et le tort causé, et elles l'aident à déterminer s'il y a lieu d'imposer des conditions spéciales pour assurer la protection de la victime et la sécurité du public. Actuellement, les victimes peuvent assister à l'audience en compagnie d'une personne qui leur offre du soutien, grâce à du financement offert par le ministre de la Justice, et celles qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, participer à l'audience en personne peuvent présenter une déclaration écrite et un enregistrement vidéo ou audio. Cette pratique serait conservée, mais serait consacrée officiellement dans la loi.

Le projet de loi autoriserait également la commission à rendre quand même une décision lorsqu'un délinquant retirerait sa demande dans les 14 jours précédant l'examen prévu de son dossier, à moins qu'il y ait des circonstances indépendantes de la volonté du délinquant. En outre, la commission serait autorisée à communiquer aux victimes la raison pour laquelle un délinquant a renoncé à une audience.

Monsieur le président, la commission a remis au gouvernement une estimation des ressources dont elle aurait besoin, car nous prévoyons des répercussions sur les coûts. Nous allons toutefois nous efforcer de relever les défis qui nous attendent et nous allons travailler de concert avec le SCC et d'autres partenaires de la justice pénale afin d'assurer une mise en œuvre harmonieuse des changements découlant du projet de loi.

Le président : Nous passons maintenant aux questions des membres du comité.

Le sénateur Fraser : Bonjour à tous. C'est un plaisir de vous revoir tous. Monsieur Looman, je ne crois pas que vous êtes déjà venu ici, mais tous les autres sont des visages familiers.

Le projet de loi contient tellement d'éléments qui attirent notre attention que j'espère que nous aurons le temps de poser toutes nos questions. J'aimerais commencer par un élément qu'on pourrait peut-être facilement aborder de façon distincte, et il s'agit du recours à la surveillance électronique.

Il y a quelques jours, la commissaire à la protection de la vie privée a déclaré que le projet pilote avait permis de constater que les appareils utilisés ne sont pas toujours fiables et qu'ils envoient des renseignements inexacts de temps à autre. Est-ce bien le cas?

M. Head : Vous posez une bonne question, madame le sénateur. Lorsque nous avons mené notre projet pilote sur la surveillance électronique, nous l'avons fait dans le seul but de comprendre les possibilités et les limites de l'équipement, de façon à ce que nous puissions avoir une idée du type de pratiques et de procédures que nous devrions mettre en place. Nous savons qu'il y a différents problèmes avec certaines pièces d'équipement, par exemple la dérive. Cela se produit lorsqu'on obtient un signal qui indique par erreur que le délinquant se trouve à un endroit où il n'est pas censé être. La marge d'erreur peut varier selon le type d'équipement. On continue d'améliorer cette forme de technologie. En la mettant à l'essai, nous avons pu en constater les limites. De notre point de vue, nous avons pu remarquer que cette technologie favorisait les échanges entre l'agent de libération conditionnelle et le délinquant; l'agent peut ainsi lui demander : « Pourquoi te trouvais-tu dans ce quartier même si tu n'étais pas exactement au coin de telle et telle rue? » Selon nous, cette technologie contribue également à améliorer les résultats en matière de sécurité publique. C'est une bonne chose pour tous les Canadiens que nos agents de libération conditionnelle puissent interagir davantage avec les délinquants soumis à des restrictions géographiques ou à des interdictions de s'approcher de certaines personnes.

Dans l'avenir, toute proposition qui retiendrait notre attention concernerait le type d'équipement le plus à jour sachant que certaines pièces d'équipement présentent plus de limites que d'autres.

Le sénateur Fraser : Y aurait-il des lignes directrices officielles sur les conditions d'utilisation de ce genre de choses, surtout que cette technologie donne parfois des résultats discutables? Il est déjà arrivé qu'un GPS me dise de continuer tout droit vers un canal, en plein milieu de la nuit. Je me méfie des systèmes de géopositionnement. Est-ce qu'on prévoira un mécanisme d'appel pour les personnes qui croient avoir été victimes d'une lecture erronée et qui ne sont pas prises au sérieux par vos représentants?

M. Head : Je serais heureux de vous servir de guide au cours de vos prochains déplacements.

Le sénateur Fraser : Et de me diriger vers le canal?

M. Head : Non, pour faire en sorte que cela ne se produise pas. Vous êtes un sénateur apprécié.

Pour ce qui est de vos questions, le projet pilote nous a certes permis de définir des pratiques et des procédures qui guideront notre personnel. Je crois — et vous l'avez sûrement constaté — que les dispositions du projet de loi nous autorisant à utiliser la surveillance électronique sont très claires. Nous pourrions y recourir dans certains cas seulement. Je le répète : il s'agit de dispositions habilitantes, pas de dispositions obligatoires, qui s'appliquent aux permissions de sortir, aux placements à l'extérieur, aux mises en liberté sous condition et aux ordonnances de surveillance de longue durée; dans de tels cas, les délinquants sont soumis à des restrictions de nature géographique, c'est-à-dire qu'il leur est interdit de s'approcher d'une certaine personne ou qu'ils sont obligés de demeurer à l'intérieur d'une certaine zone géographique. Nos lignes directrices tiendraient certainement compte de ces aspects.

Pour ce qui est du mécanisme d'appel, avant de prendre quelque mesure que ce soit à la suite d'un signal, l'agent s'entretient avec le délinquant pour avoir des explications et discuter. Nous devons prendre tout cela en considération avant de décider de suspendre la mise en liberté sous condition du délinquant et, ensuite, de renvoyer le dossier à la Commission des libérations conditionnelles, surtout lorsque le délinquant est dans la collectivité. Le projet de loi prévoit également un mécanisme de recours permettant aux délinquants de faire une déclaration à moi-même ou à mon remplaçant désigné concernant la durée de la période pendant laquelle ils porteraient le dispositif que nous aurons finalement choisi.

Il n'est pas absolument garanti qu'une personne qui doit porter un bracelet — comme ce dispositif est communément appelé — devra le faire pendant toute la durée de la surveillance. Peut-être que le délinquant réussira à démontrer qu'il est assez responsable pour que le dispositif lui soit retiré. Le responsable des agents de libération conditionnelle ou l'agent assurerait alors sa surveillance à l'aide d'autres moyens interactifs.

Le sénateur Fraser : J'ai lu à certains endroits dans les documents que vous espérez économiser de l'argent, mais j'ai aussi lu — pas seulement dans ces documents — que l'administration de ces programmes finira par coûter beaucoup plus cher, comme c'est bien souvent le cas. Quelle est votre première motivation ici, l'argent ou autre chose?

M. Head : C'est une bonne question, madame le sénateur. Notre motivation n'a rien à voir avec l'argent. Nous ne cherchons pas à réduire de façon directe la récidive. Nous voulons plutôt offrir aux agents de libération conditionnelle un outil leur permettant de surveiller les délinquants dans la collectivité qui se voient imposer certaines conditions. Si ces délinquants ne respectent pas ces conditions, ils retourneront immanquablement sur le chemin de la criminalité. Par exemple, si des personnes ont un problème de jeu, nous leur interdisons souvent de fréquenter des établissements de jeu. Le dispositif de surveillance aide l'agent de libération conditionnelle à vérifier si le délinquant observe cette condition.

Le sénateur Fraser : Cela ne contribue pas — c'est ce que j'en déduis à la lumière d'autres projets — à réduire le taux de récidive. Cela n'a aucune incidence sur la probabilité de récidive.

M. Head : Non. Les recherches ont montré — et c'est une chose que nous n'avons jamais perdue de vue — que l'utilisation de la surveillance électronique n'a aucune incidence sur la récidive. Si elle est employée de façon inappropriée avec certains types de délinquants, elle pourrait avoir des conséquences négatives. Nous savons que, si on utilise la surveillance électronique, qu'il y a suffisamment d'échanges et d'interactions entre le délinquant et l'agent de libération conditionnelle et qu'on met en place les bons programmes et les bonnes interventions dans la collectivité, on a la recette du succès, celle à laquelle s'attendent les Canadiens pour que nous puissions assurer leur sécurité.

Le sénateur Runciman : Nous aurons du mal à aborder aujourd'hui tous les éléments qui nous intéressent.

Monsieur Head, je me pencherai sur un élément du projet de loi, à savoir l'article 54, dont vous n'avez pas fait mention dans votre déclaration préliminaire. Il s'agit de l'une des nouvelles dispositions du projet de loi qui concernent les personnes ayant besoin de soins en santé mentale. Personnellement, je suis très perplexe quant à la façon dont vous y parviendrez.

Mary Campbell, qui est la directrice générale de la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale de Sécurité publique Canada, a témoigné devant le comité il y a environ une semaine. Je lui ai parlé de cette question, et elle a dit qu'il s'agissait d'un énoncé public sur les priorités du système et son fonctionnement et qu'il était important d'accorder une place de choix à la santé mentale.

Je suis curieux de savoir comment vous y arriverez. Nous avons entendu de belles paroles à ce sujet au fil des années, mais nous savons qu'il y a des difficultés considérables. Des témoins du milieu policier et d'autres domaines nous en parlent chaque jour, et ils soulignent également les problèmes auxquels ils doivent faire face lorsque des personnes atteintes de maladies mentales ont des démêlés avec la justice. J'ai déjà cité quelques exemples de centres de traitement pour les personnes qui présentent des troubles mentaux graves. Dans le système fédéral, on recommande de répartir le personnel comme suit : 80 p. 100 de personnel correctionnel et 20 p. 100 de personnel des soins de santé. À mon avis, un tel établissement n'a de centre de traitement que le nom. J'aimerais donner l'exemple de l'établissement provincial St. Lawrence Valley. Dans cet établissement, de 80 à 85 p. 100 du personnel est affecté aux soins de santé; le reste est composé d'employés correctionnels. Il s'agit d'un établissement à sécurité maximale.

Je trouve étonnant que l'organisation fasse preuve d'inertie dans ce domaine; l'idée d'obtenir de l'aide à l'extérieur des établissements rencontre une réelle résistance. Nous entendrons l'enquêteur correctionnel plus tard aujourd'hui. Il a déjà souligné cet aspect. Vous m'avez certainement entendu en parler. Des gens pourraient vous aider à traiter plus efficacement avec les détenus récalcitrants.

J'aimerais que vous m'expliquiez un peu ce que vous faites à cet égard et que vous me disiez pourquoi vous semblez si réticents à demander une aide extérieure.

M. Head : Je m'inscris en faux contre vos propos, sénateur, parce que nous demandons bel et bien l'aide de centres extérieurs. Par exemple, nous avons un arrangement avec l'Institut Philippe-Pinel, au Québec, qui nous aide à combler les besoins de certains des détenus. Actuellement, nous nous occupons d'un cas en partenariat avec l'établissement de Brockville, que vous connaissez. Nous ne sommes pas réticents à demander de l'aide lorsque nos ressources ne nous permettent pas de composer avec certains des cas les plus lourds. Nous faisons énormément appel à l'aide des experts en la matière de partout au Canada. Pouvons-nous le faire encore plus? C'est la question qu'on se pose actuellement.

Le sénateur Runciman : Vous vous la posez depuis un sacré bout de temps.

M. Head : Pour être honnête, sénateur, beaucoup de choses tiennent à des aspects financiers. Si je disposais d'un plus gros budget pour ce qui est de la santé mentale, je pourrais évidemment en faire beaucoup plus.

Comme vous pouvez le comprendre, on s'attend à ce que le système correctionnel règle tous les problèmes de santé mentale, alors que nous nous trouvons à la toute fin du processus, nous sommes la toute dernière destination de ces personnes, et cela rend les choses encore plus difficiles.

En ce qui a trait aux mesures que nous avons prises au cours des dernières années, le gouvernement a fait des investissements considérables à la fois dans notre stratégie de santé mentale dans la collectivité et dans notre stratégie de santé mentale en établissement. Dans le cas de la première stratégie, les investissements ont été de l'ordre d'un peu plus de 29 millions de dollars sur cinq ans, et ils ont été renouvelés en 2010; quant à la deuxième stratégie, on parle d'investissements qui s'élèvent à 16 millions de dollars par année. Ces sommes nous ont permis de mener plusieurs initiatives, y compris le...

Le sénateur Runciman : Écoutez, j'ai déjà entendu tout cela, et je crois qu'il existe des options qui coûteraient à peu près la même chose au système, mais beaucoup moins aux provinces, à la police, aux tribunaux, à la société et aux victimes, mais que vous n'êtes tout simplement pas prêts à envisager. Vous parlez de le faire, mais vous le faites au cas par cas plutôt que d'essayer d'appliquer la solution à grande échelle. Parlons de la situation qui permettra d'exposer publiquement toute cette problématique plus tard cette année ou au début de l'an prochain, à savoir l'enquête sur l'affaire Ashley Smith. Nous savons quelle est la proportion de femmes dans le système fédéral — de 30 à 50 p. 100, et il s'agit parfois des femmes qui présentent les problèmes les plus graves — qui ne peuvent même pas être incarcérées dans l'unité psychiatrique des prisons parce qu'elles sont jugées trop dangereuses. Elles sont maintenues en isolement ou maîtrisées par la contrainte. Ashley Smith a été transférée 17 fois pendant sa dernière année de détention, elle était placée la plupart du temps en isolement et elle s'est suicidée dans un établissement fédéral. Le problème est bien réel ici. Votre organisation fait preuve d'une intransigeance absolue, et nous entendons le même genre d'explications chaque fois que vous témoignez ou que vous abordez cette question en public ou en réunion, mais vous ne semblez pas vraiment intéressé à trouver une solution plus sensée et plus générale pour vous attaquer à cette problématique très grave.

Le président : Monsieur Head, souhaitez-vous ajouter quelque chose d'autre?

M. Head : Eh bien, je pourrais, mais j'ignore si le sénateur veut l'entendre.

Le sénateur Runciman : Cela ne m'intéresse pas, car il s'agit toujours de la même rengaine.

Merci, monsieur le président. Je vais attendre le deuxième tour.

Le président : Sur ce point, et si d'autres sénateurs ont des questions, il se peut qu'un sénateur ou un autre ne souhaite pas entendre certaines choses, mais nous sommes tous ici pour essayer de comprendre comment le système fonctionne, alors ne vous laissez pas intimider par l'opinion d'un seul sénateur. Si quelque chose doit être dit, nous voulons l'entendre. Nous voulons comprendre comment le système fonctionne et quelles sont ses lacunes.

Le sénateur Cowan : Encore une fois, je tiens à poursuivre dans le même ordre d'idées que le sénateur Runciman parce que je crois que nous sommes tous troublés de voir qu'il y a une si grande proportion de gens qui ont des démêlés avec notre système de justice pénale et qui ont besoin d'aide pour traiter un problème de santé mentale, une dépendance ou d'autres types de problèmes. Le rapport de 2010-2011 du Bureau de l'enquêteur correctionnel révèle que, sur un échantillon de 1 300 délinquants de sexe masculin admis entre février 2008 et avril 2009, 38,4 p. 100 ont dit avoir des symptômes qui nécessiteraient l'intervention d'un professionnel de la santé mentale ou ont reçu une évaluation initiale qui allait dans le même sens.

Je vais citer un article paru il y a environ un an — un article de Postmedia —, et je voudrais que vous me donniez votre point de vue. On peut y lire ce qui suit :

Le Service correctionnel du Canada devra embaucher plus de 3 000 employés pour composer avec l'arrivée prévue de 4 000 nouveaux détenus sous responsabilité fédérale en raison de la stratégie de répression de la criminalité mise de l'avant par les conservateurs.

Toutefois, tandis que le SCC devra, selon des estimations, dépenser des centaines de millions de dollars pour embaucher des agents correctionnels, des agents de libération conditionnelle et des administrateurs, le rapport interne du SCC qu'a obtenu Postmedia News révèle que seuls 35 de ces nouveaux employés seront des professionnels de la santé.

Est-ce exact?

M. Head : Non, ce n'est pas exact du tout.

Le sénateur Cowan : Quels sont les bons chiffres?

M. Head : Dans le cadre de la stratégie de santé mentale en établissement, nous avons embauché 107 professionnels de la santé.

Le sénateur Cowan : Sur combien d'employés?

M. Head : Sur le nombre total d'employés embauchés?

Le sénateur Cowan : L'article fait mention d'un rapport interne, qui était peut-être un rapport préliminaire, mais on parle de l'embauche de 3 000 employés, dont 35 seraient des professionnels de la santé. Combien prévoyez-vous en embaucher maintenant?

M. Head : Pour ce qui est de ce chiffre, sénateur, j'ignore comment on en est venu à 35. En fait, à l'occasion de témoignages précédents, j'ai déclaré que nous prévoyions au départ embaucher 4 119 employés, dont 1 599 agents correctionnels, 410 infirmiers et infirmières, 123 psychologues, 82 travailleurs sociaux et d'autres types d'employés.

Le sénateur Cowan : Ce sont les estimations actuelles?

M. Head : Il s'agissait des estimations qui s'appuyaient sur le nombre — que vous avez cité — de délinquants qui étaient censés arriver dans le système. Nos prévisions concernant le nombre de nouveaux délinquants sous responsabilité fédérale ne se sont pas réalisées. Le nombre réel est beaucoup moindre.

Le sénateur Cowan : Supposons que le projet de loi C-10 est adopté et que nous devons faire des prévisions. Admettons que cela se soit produit, quels sont vos besoins prévus en matière de recrutement, pas seulement en ce qui concerne les nombres nécessaires? Comme l'a mentionné le sénateur Runciman, vous dépenserez un certain montant en raison des nouvelles exigences qui seront imposées à votre système. Quelle proportion de ce montant sera consacrée aux dépenses relatives à la santé et, plus particulièrement, aux soins en santé mentale?

M. Head : Pour ce qui est de la ventilation réelle, en ce qui a trait à l'afflux découlant de l'entrée en vigueur du projet de loi C-10, je ne peux...

Le sénateur Cowan : Je parle plutôt de l'approche que vous utiliserez. Il y a le projet de loi C-10, la Loi sur la lutte contre les crimes violents est entrée en vigueur il y a quelques années, et il y a aussi d'autres lois. Je parle de vos prévisions à l'égard de la hausse de vos dépenses budgétaires au cours des prochaines années.

M. Head : Oui. Encore une fois, pour ce qui est des chiffres dont nous parlons relativement aux soins de santé, j'ai toujours besoin d'environ 400 infirmiers et infirmières, 123 psychologues et 82 travailleurs sociaux.

Le sénateur Cowan : Avez-vous assez d'argent pour les embaucher?

M. Head : Oui, j'en ai assez.

Le président : Sur ce point, à combien cela reviendrait-il? De combien d'argent auriez-vous besoin?

M. Head : Il faudrait que je sorte une calculatrice et que je compte tout ça.

Le sénateur Cowan : Pourriez-vous faire cela et envoyer les chiffres au comité?

M. Head : Oui, certainement.

Le sénateur Cowan : Monsieur Cenaiko, dans votre déclaration, vous avez dit que la Commission a fourni au gouvernement les estimations des ressources dont elle aura besoin. À combien cela s'élève-t-il? Quels sont les chiffres?

M. Cenaiko : En ce qui concerne les activités liées à l'imposition des nouvelles peines d'emprisonnement minimales obligatoires, nous demandons principalement au gouvernement de nous fournir environ 1,7 million de dollars.

Le sénateur Cowan : Chaque année?

M. Cenaiko : Oui.

Le sénateur Cowan : Cela augmenterait votre budget de base.

M. Cenaiko : C'est exact.

Le sénateur Angus : Monsieur Head — j'ai eu un déjeuner fort agréable ce matin... Vous avez dit que le projet de loi C-10 vous permettrait également, à titre de commissaire du Service correctionnel du Canada, d'établir une méthode incitative à l'égard des délinquants qui peuvent suivre leur plan correctionnel, mais qui choisissent de ne pas le faire pendant leur incarcération. Pouvez-vous nous dire ce que vous feriez? Avez-vous déjà élaboré un plan? J'aimerais avoir plus de détails à ce sujet.

M. Head : Nous travaillons encore à peaufiner les détails de cette initiative. Nous devons consulter nos services juridiques. Pour vous donner une idée de quoi il retourne, supposons que nous avons deux délinquants qui se sont chacun vu attribuer une certaine cote de sécurité, disons une cote de sécurité moyenne, qu'un des deux choisit de suivre son plan correctionnel, de participer aux programmes et d'observer toutes les règles et qu'il se prépare vraiment à sa mise en liberté et à son retour dans la collectivité comme citoyen respectueux des lois, et que l'autre délinquant ne suit pas nécessairement son plan correctionnel ni les programmes qui lui sont recommandés, mais ne cause aucun problème et remplit les critères liés à la cote de sécurité moyenne; aux termes de la loi actuelle, ces deux délinquants ont tous les deux les mêmes droits et privilèges.

Cette disposition nous permettrait de faire la distinction entre les deux et d'offrir une certaine forme d'incitatif aux délinquants qui participent pleinement à leur plan correctionnel et qui cherchent à combler leurs besoins. Voilà les détails que nous sommes encore en train de régler.

Le sénateur Angus : En quoi consistent ces mesures incitatives?

M. Head : Il peut s'agir de choses comme un plus grand accès à la cour de récréation après les heures consacrées aux programmes et à la formation. Il pourrait s'agir également de la possibilité de porter des vêtements décontractés après les heures réservées au travail et aux programmes. C'est le genre de choses que nous explorons actuellement.

Le projet de loi est de nature habilitante, alors cela ne veut pas dire que je suis contraint d'emprunter cette voie, mais il me donne la possibilité de le faire. Nous voulons prendre le temps de bien faire les choses parce que nous savons qu'il y aura des contestations si nous n'établissons pas une distinction claire entre les droits et les privilèges.

Le sénateur Angus : Vous vous exprimez — à mon sens, du moins — en des termes plutôt généraux. J'aimerais entendre des exemples précis. Le prisonnier A observe toutes les règles, manifeste le désir de se réadapter et de se réinsérer dans la collectivité; un autre prisonnier s'en sort assez bien. Toutefois, est-ce qu'ils essaient juste de mettre des bâtons dans les roues? S'agit-il de personnes qui ne veulent tout simplement pas coopérer? Pourriez-vous nous donner un ou deux exemples?

M. Head : Des types de délinquants?

Le sénateur Angus : Oui.

M. Head : Par exemple, dans le cas des délinquants qui peuvent appartenir à un gang, qui ne s'attirent pas nécessairement des ennuis, mais qui utilisent les autres pour chercher des ennuis, le comportement qu'ils adoptent est juste suffisant pour leur permettre de rester incarcérés dans les types d'établissements où ils se trouvent ou de conserver la cote de sécurité qui leur a été attribuée. Ils ne participent pas nécessairement aux programmes ni aux activités correctionnelles. C'est de ce genre de délinquants qu'il est question. Ils vont habituellement être impliqués dans des incidents à l'établissement, mais qui ne sont pas suffisamment graves pour qu'on augmente leur cote de sécurité et qu'on les transfère vers un établissement à sécurité plus élevée.

Les règles actuelles leur accordent les mêmes droits qu'aux délinquants qui suivent leur plan correctionnel et qui essaient de changer leur comportement.

Le sénateur Angus : Dans le paragraphe suivant, vous dites que le projet de loi contribue également à améliorer le régime disciplinaire existant. Autrement dit — actuellement, vous faites tout ce que vous pouvez faire à l'égard des prisonniers désobéissants ou je ne sais quoi — il crée de nouvelles catégories d'infractions. Vous affirmez que le projet de loi décrit en fait des formes de comportement à décourager, j'imagine. Pourriez-vous nous donner deux ou trois exemples de tels comportements et nous dire quelles mesures vous pourriez prendre dans de tels cas?

M. Head : Oui. En ce qui a trait aux deux exemples précis qui sont mentionnés dans le projet de loi, le premier se rapporte aux délinquants qui présentent de fausses réclamations pour obtenir un dédommagement de la Couronne; il s'agit de situations où les délinquants soutiennent que certains de leurs effets personnels ont disparu pendant qu'ils étaient sous notre surveillance. En raison de la répartition actuelle des responsabilités, nous avons plus de responsabilités à cet égard, et si nous n'arrivons pas à prouver que nous avons suivi les procédures que nous avons mises en place, ces délinquants finissent par obtenir une certaine forme d'indemnisation de la Couronne.

Il y a même des personnes qui, quelques années plus tard, vont répéter le même scénario et présenter une autre réclamation. À part le fait de nier les allégations de ces personnes, il n'y a pas grand-chose que nous pouvons faire du point de vue disciplinaire. Le projet de loi prévoit maintenant une nouvelle infraction disciplinaire qui nous permettra de sévir contre ces personnes.

L'autre exemple que j'ai mentionné, et qui est plus concret, se rapporte aux situations où des délinquants lancent des substances corporelles vers mon personnel. Comme vous pouvez l'imaginer, il s'agit d'incidents très dangereux et très dégoûtants. Sous le régime disciplinaire actuel en établissement, il n'existe aucune sanction assez sévère pour punir adéquatement les délinquants qui commettent ce genre d'actes. Par conséquent, les nouvelles infractions prévues dans le projet de loi nous permettront maintenant d'attaquer ces problèmes de front.

Le sénateur Angus : Je trouvais cela étrange, qu'ils puissent faire des choses semblables sous le régime actuel et que vous n'ayez aucun recours. C'est donc ce que vous affirmez, que le projet de loi vous permettra d'appliquer des sanctions plus sévères?

M. Head : C'est exact, oui. Il s'agira d'une infraction bien précise, ce qui nous permettra d'infliger des sanctions, qui vont de la plus légère — des réprimandes —, ce qui ne convient évidemment pas à cette catégorie d'infractions — à la plus lourde, soit un placement en isolement.

Le sénateur Chaput : J'ai une autre question : combien de cas semblables environ pourraient se produire au cours d'une année, ces cas qui pourraient désormais être sanctionnés grâce au projet de loi C-10?

M. Head : Actuellement, il semble qu'il y en ait presque chaque jour, et je n'exagère pas : au moins chaque jour, dans le pays, un détenu lance des substances corporelles à un employé correctionnel, cela représente donc de 300 à 500 cas par année. M. Looman pourrait vous en dire plus au sujet de certains cas qu'il a vécus dans son propre établissement.

Le sénateur Chaput : Il n'y a vraiment rien que vous puissiez faire à ce sujet?

M. Head : Non. Il y a eu quelques cas par le passé où nous avons pu recourir à une sanction pénale, mais la plupart des procureurs et des policiers sont occupés à autre chose. Nous devrions nous tourner vers des sanctions internes, et lorsque nous les avons établies, en 1992, nous n'aurions jamais pu prévoir que des délinquants adopteraient ce type de comportement. Il s'agirait maintenant d'une infraction bien précise que nous pourrions sanctionner en vertu de la loi.

Le sénateur Jaffer : J'ai deux questions.

D'abord, monsieur Head, ce que vous avez dit a piqué ma curiosité. Je me préoccupe entre autres du surpeuplement carcéral et je me demande ce que le projet de loi propose pour remédier à cette situation. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que, pour régler ce problème, divers « projets de renouvellement des infrastructures ont été mis en œuvre partout au pays ».

D'après les recherches que j'ai faites, je crois comprendre que nombre de nos prisons présentent un taux de surpeuplement de 137,5 p. 100, et je crains que cela donne lieu à une contestation fondée sur la Charte pour cause de traitement cruel et inusité. Ce n'est pas le point que je veux que vous commentiez; ce n'est pas de votre ressort.

Par exemple, les prisons de la Colombie-Britannique affichent un taux de surpeuplement de 170 p. 100, et, la Saskatchewan, de plus de 200 p. 100. Les prisons de l'Alberta sont vraiment pleines à craquer, celles du Manitoba accueillent 600 détenus de plus qu'elles le peuvent et celles du Québec sont si surpeuplées qu'on doit installer des matelas dans les gymnases. Les prisons du Nouveau-Brunswick logent 200 personnes de plus que la limite.

Le témoignage du ministre de la Justice du Nunavut a grandement marqué le comité. En effet, il a expliqué que les établissements carcéraux du Nunavut étaient énormément surpeuplés; par exemple, une prison conçue pour 48 détenus en accueille actuellement 102. Son gouvernement envisage la possibilité de transférer des prisonniers vers le sud, ce qui aura une incidence sur tous les bons programmes dont vous avez parlé.

Dans votre déclaration, vous avez dit qu'il y aura plus de détenus. Il ne fait aucun doute que le projet de loi entraînera une hausse du nombre de personnes qui iront en prison. Combien de temps vous faudra-t-il pour atteindre un certain équilibre? Vous avez précisé que vous mettrez en œuvre divers projets de renouvellement des infrastructures. Combien de temps cela prendra-t-il?

M. Head : Je voudrais faire deux ou trois commentaires, et le premier concerne les chiffres que vous avez cités. Ces chiffres se rapportent uniquement aux systèmes correctionnels provinciaux.

Le sénateur Jaffer : Je le sais.

M. Head : Oui. Pour ce qui est de notre taux de double occupation des cellules — c'est-à-dire lorsque deux délinquants occupent une même cellule qui contient deux lits —, je crois que 15,6 p. 100 de la population carcérale totale du pays logent deux par cellule.

Toutefois, il y a des régions qui sont plus touchées par ce phénomène, par exemple, en Ontario et dans les Prairies, qui englobent les pénitenciers de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. Au cours des deux dernières années, l'afflux de délinquants s'est accru davantage dans ces deux régions. Dans les régions du Pacifique et du Québec, la situation est demeurée relativement stable, certains établissements n'ayant enregistré qu'une légère hausse. Toutefois, dans la région de l'Atlantique, les chiffres ont chuté pour des raisons encore inconnues.

En ce qui a trait à nos activités de renouvellement des infrastructures, nous sommes en train de construire une série de nouvelles unités résidentielles dans les établissements du pays. D'ici 2014, nos infrastructures compteront 2 700 nouvelles unités résidentielles, tous types d'établissements confondus : à sécurité minimale, à sécurité moyenne, à sécurité maximale et les établissements pour femmes.

Comme je l'ai brièvement mentionné tout à l'heure, nos prévisions concernant la croissance de la population carcérale ne se sont pas matérialisées pour l'instant. Si la population ne bondit pas au cours des deux prochaines années, nous examinerons de quelle façon nous pourrions utiliser ces nouvelles unités, et nous pourrions décider de condamner les unités moins efficientes qui se trouvent dans les établissements plus âgés ou d'utiliser cet espace pour créer des unités de soins de santé mentale intermédiaires. Nous disposons déjà de quelques unités de soins intermédiaires, et nous verrons comment nous pourrions utiliser cet espace à cette fin. Nous aménagerons des unités pour répondre à nos besoins, mais les chiffres que vous avez cités concernent les services correctionnels provinciaux.

Le sénateur Jaffer : Le surpeuplement constitue un problème, mais vous avez beaucoup insisté sur l'importance de mettre en place des mesures incitatives pour les délinquants. Par exemple, si un délinquant se comporte correctement, il peut obtenir une récompense, comme le fait de pouvoir passer plus de temps à l'extérieur. Toutefois, vu le surpeuplement des prisons, comment arriverez-vous à mettre en place ces programmes dont vous avez parlé avec une telle éloquence?

M. Head : C'est une excellente question, madame le sénateur. Nous essayons de trouver des façons d'exploiter au mieux les heures de la journée pour avoir la possibilité de recourir davantage à ces mesures incitatives de manière à ce que plus de délinquants puissent en profiter.

Par exemple, nous travaillons à élargir les possibilités de perfectionnement des compétences professionnelles qui sont offertes en établissement. Dans nombre de nos établissements, nous avons commencé à offrir des programmes permettant à des délinquants de suivre une formation en charpenterie, et, dans certains cas, ces programmes sont offerts en collaboration avec des collectivités des Premières nations qui ont besoin de logements. Les délinquants suivent la formation et construisent la charpente d'une nouvelle maison qui sera utile aux collectivités des Premières nations. Cela permet d'établir une belle relation.

Grâce aux investissements en santé mentale que nous avons reçus au cours des dernières années, nous pouvons faire participer davantage de délinquants aux programmes de prévention de la violence et de la toxicomanie. En outre, de plus en plus de délinquants suivent des programmes en santé mentale, et nous offrons de plus en plus de services et d'interventions. Nous continuons d'utiliser l'argent que nous recevons pour donner ce genre de possibilités et tirer le maximum des heures de la journée, à un point tel qu'il y a maintenant deux ou trois établissements qui envisagent la possibilité d'utiliser les premières heures de la soirée et de se servir des salles de classe pour permettre aux délinquants de sortir de leur cellule pour participer à des programmes.

Le sénateur Jaffer : Quelle proportion de votre population présente des problèmes de santé mentale?

M. Head : Le plus souvent, on parle de 13 p. 100 des hommes et de 29 p. 100 des femmes.

Le sénateur Lang : J'aimerais de nouveau attirer l'attention du comité sur la question de la surveillance électronique, et j'ai bien aimé les réponses que vous avez fournies au sénateur Fraser pour ce qui est de la nécessité d'utiliser cette forme de technologie pour aider à la fois le délinquant et, évidemment, le personnel, car ils peuvent ainsi agir de façon à faciliter la réadaptation.

Je sais qu'il faut une loi habilitante pour vous permettre d'ordonner le recours à la surveillance électronique. La commissaire à la protection de la vie privée a déclaré qu'elle croyait que la surveillance électronique devrait être volontaire. J'aimerais que vous me disiez si, à votre avis, la surveillance électronique devrait être laissée à la discrétion du délinquant ou devrait lui être imposée et, le cas échéant, pourquoi.

M. Head : Je crois que la décision devrait appartenir à mon personnel, qui déterminerait si le délinquant doit être surveillé au moyen de cette technologie. Au bout du compte, c'est mon personnel qui est responsable de surveiller les délinquants qui sont dans la collectivité. Mon travail consiste à trouver les pratiques, les procédures et les outils qui aideront les délinquants à adopter la conduite que l'on attend d'eux. Si, par exemple, un délinquant sexuel doit se tenir loin des cours de récréation et des endroits fréquentés par les jeunes parce que ce genre d'habitudes fait partie de son cycle de criminalité, la dernière chose que je veux entendre, c'est un délinquant sexuel qui me dit qu'il n'a pas besoin de porter ce bracelet et qu'il lui appartient de décider s'il va le porter ou non. Je compte sur mon personnel qualifié pour décider si ce dispositif est nécessaire pour surveiller un délinquant visé par ce type de conditions. Je crois que cette décision doit revenir à l'organisation.

Le sénateur Lang : Je vous remercie de votre réponse. Il semble que ce soit là une approche sensée. Bien franchement, j'ai été très étonné d'entendre la recommandation de la commissaire à la protection de la vie privée.

Je vais passer à la question des infrastructures parce que vous n'avez pas abordé ce sujet dans votre déclaration. Cela me semblerait l'un des aspects importants qu'il faudra prendre en considération au moment de réfléchir à ce que nous offrirons dans nos établissements et à la façon dont nous nous y prendrons. La semaine dernière, un témoin nous a dit qu'il était très difficile de recruter des professionnels pour tout poste dans le système, et j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Est-ce que c'est exact, et, le cas échéant, dans quelle mesure est-ce un problème? J'aimerais savoir si l'argent dépensé pour mettre ces établissements à niveau facilitera le recrutement de personnel.

M. Head : Dans certaines régions du pays, nous avons du mal à recruter des professionnels. Les établissements situés dans des endroits éloignés, comme Grande Cache, en Alberta, et Port-Cartier, au Québec, et, dans une certaine mesure, des endroits comme Renous, au Nouveau-Brunswick, peinent à attirer des professionnels parce qu'ils se trouvent loin des grands centres, et certaines personnes ne sont pas nécessairement prêtes à délaisser leur mode de vie pour aller vivre dans de petites collectivités. Il y a bel et bien des problèmes de recrutement.

L'une des autres difficultés que nous vivons, c'est que, parfois, les provinces, qui font face à des difficultés semblables peuvent offrir des incitatifs ou des régimes de rémunération alléchants pour attirer des travailleurs dans le système provincial. Juste à titre d'exemple, en Alberta, j'ai perdu deux ou trois psychologues — des travailleurs dévoués — qui se sont laissés séduire par la possibilité de toucher un salaire plus élevé en travaillant pour la province, et je crois qu'il s'agissait d'une prime à la signature de quelque 20 000 $. Les règles du gouvernement fédéral ne me permettent pas de rivaliser avec une telle offre. Cela dit, nous faisons continuellement le tour des divers collèges de soins infirmiers et des départements de psychologie, entre autres, pour inciter les gens à venir travailler pour nous.

Pour ce qui est de votre question sur les infrastructures, j'ignore si en elles-mêmes les infrastructures encourageront certaines personnes à se joindre à notre organisation. Toutefois, le fait de pouvoir travailler dans un environnement où tout est neuf aura une incidence sur le maintien en poste des employés. Comme vous le savez, la plupart des pénitenciers sont, en moyenne, âgés de 40 ans. Le plus vieux, celui de Kingston, a 177 ans. On peut imaginer que cela suppose d'y mener ses activités 24 heures sur 24, 365 jours par année. Disons que cet établissement n'offre pas des conditions de travail idéales, mais le personnel qui y travaille — comme M. Looman, qui travaille au centre de traitement — est composé de professionnels dévoués qui veulent changer les choses, et je suis extrêmement fier des employés qui travaillent dans ces conditions.

Je ne crois toutefois pas que le renouvellement des infrastructures attirera davantage de travailleurs là-bas. C'est le genre d'activités que nous menons qui constituera un facteur d'attraction, mais il est indéniable que le fait d'avoir de nouvelles infrastructures améliorera le taux de maintien en poste, car, de cette façon, la vétusté des installations sera un facteur de moins à prendre en considération lorsque les gens décideront s'ils restent ou non.

Le sénateur Lang : Pour poursuivre sur la question des infrastructures, j'ignore à combien on estime le montant final qui sera nécessaire pour rénover ces prisons, mais on entend des allégations farfelues selon lesquelles le gouvernement est en train de construire des prisons partout au Canada pour se préparer à l'entrée en vigueur du projet de loi C-10.

Le sénateur Cowan : Qui a dit cela?

Le sénateur Lang : Peut-être que vous ne l'avez pas dit aujourd'hui, mais certaines personnes ont fait de telles allégations.

Puis-je finir de poser ma question?

Le sénateur Cowan : Je vous en prie.

Le sénateur Lang : Peut-être que vous pouvez expliquer ce qui est fait avec l'argent qu'on vous a alloué. Je crois qu'il est important que les Canadiens sachent à quel point ces établissements sont vieux, que très peu d'argent a été dépensé depuis leur construction et que nous avons la responsabilité d'incarcérer ces personnes dans des prisons qui respectent au moins des normes minimales.

M. Head : Nous aménageons en fait de nouvelles unités résidentielles au sein des établissements existants, alors nous ne sommes pas en train de construire de nouveaux pénitenciers. Je sais que cette rumeur court, et je ne vous dis pas combien de fois j'ai dû confirmer qu'elle n'était tout simplement pas fondée. Nous construisons de nouvelles unités résidentielles dans les établissements qui existent déjà. Je crois qu'il s'agit au total de quelque chose comme 37 nouvelles unités résidentielles dans tout le pays. Dans certains établissements, nous aménageons des unités à sécurité moyenne ou maximale qui contiennent 96 places. Nous construisons des unités de 10 places dans certains établissements à sécurité minimale et dans certains établissements pour femmes, et d'autres unités de 40 places dans des établissements à sécurité minimale, encore une fois à l'intérieur des établissements actuels. Toutefois, il n'est pas question d'approuver ni de prévoir la construction d'un nouveau pénitencier.

Dans les prochains mois, nous irons de l'avant avec notre stratégie globale de logement à long terme, que je proposerai au ministre dans quelques mois, puis elle sera examinée par le Cabinet, et nous verrons où cela nous mènera. Comme je l'ai dit, pour l'instant, nous ne construisons que des unités résidentielles dans les établissements existants.

Le président : J'aimerais aborder un point soulevé par le sénateur Lang. M. Head a fait mention de M. Looman et de toute la question du traitement, et le sénateur Runciman a certes insisté sur cet aspect qui touche la santé mentale.

Monsieur Looman, je sais que vous travaillez dans un domaine de spécialité et que vous traitez des délinquants sexuels à risque élevé. Vous pourriez peut-être nous donner une idée de ce que vous faites? Cela pourrait nous être utile.

Jan Looman, psychologue, directeur du programme d'intensité élevée de traitement des délinquants sexuels, Service correctionnel Canada : Je tiens à préciser que je ne traite pas actuellement des délinquants sexuels à risque élevé. C'est ce que je faisais jusqu'à il y a environ un an. J'étais le directeur clinique du programme d'intensité élevée pour délinquants sexuels en Ontario. Actuellement, je suis le directeur clinique du centre de traitement, alors je me concentre davantage sur les délinquants atteints de troubles mentaux. Quel est l'aspect qui vous intéresse le plus?

Le président : Les délinquants atteints de troubles mentaux. À l'évidence, c'est une question d'actualité.

M. Looman : Le centre de traitement en Ontario compte 148 places. Il fournit des soins de courte et de longue durées aux délinquants atteints de troubles mentaux de la région de l'Ontario. Dans le cadre de l'initiative sur la santé mentale en établissement, lancée il y a quelques années, les délinquants subissent une évaluation initiale lorsqu'ils arrivent à l'établissement de Millhaven. Les personnes qui ont des troubles mentaux font ensuite l'objet d'un suivi tout au long de leur séjour dans le système carcéral. Si ces personnes sont transférées de Millhaven à l'établissement de Warkworth, l'équipe de santé mentale de cet endroit se chargera d'assurer leur suivi.

Nous avons ce que nous appelons le personnel infirmier des soins ambulatoires du centre de traitement qui se rend dans les établissements; ce personnel collabore avec l'équipe de santé mentale en établissement pour l'aider à reconnaître les personnes qui ont besoin de plus de soins, et ces personnes seraient aiguillées vers un centre de traitement. Il arrive qu'elles soient admises d'urgence, mais, à d'autres occasions, il s'agit d'une admission planifiée. Une fois ces personnes admises, on se charge de les évaluer et de les stabiliser. Si nous décidons qu'elles doivent rester au centre de traitement, nous les transférons de l'unité des soins de courte durée à un autre type d'unité, ou, si nous croyons qu'elles peuvent retourner dans l'établissement d'origine et être traitées par l'équipe de santé mentale de cet établissement, nous les renverrons là-bas et nous ferons leur suivi dans cet établissement.

Le président : Je vous remercie de vos explications. Je soupçonne qu'il y aura d'autres questions à ce sujet.

Le sénateur Jaffer : Combien avez-vous de psychiatres et de psychologues?

M. Looman : Actuellement, nous employons un psychiatre. Les autres services de psychiatrie sont contractuels. En lui-même, le centre de traitement compte trois psychiatres qui travaillent à contrat, et chaque établissement recourt aux services contractuels d'un psychiatre.

Le sénateur Chaput : Y a-t-il encore des psychologues du SCC qui s'occupent d'offrir ces programmes, ou ont-ils tous été remplacés par des membres ordinaires ou d'autres membres du personnel? C'est ce que j'ai lu.

M. Looman : Il y a des psychologues qui traitent des délinquants. Dans le centre de traitement où je travaille, le personnel compte actuellement cinq psychologues, et chaque établissement, selon la taille de sa population, dispose de psychologues. Si vous parlez des services correctionnels, pas des services de santé mentale, alors, oui, je crois qu'il y a encore deux ou trois psychologues qui sont chargés d'offrir ces programmes, mais, dans la plupart des cas, cette tâche relève désormais des agents de programmes correctionnels.

Le sénateur Chaput : Quel genre de formation les agents suivent-ils? Savez-vous quelle est la durée de la formation?

M. Looman : Dans le cas du programme pour délinquants sexuels dont je m'occupais avant, la formation durait dix jours, plus trois jours consacrés à l'évaluation du risque.

Le sénateur Chaput : Pourriez-vous nous dire pourquoi on a pris une telle décision?

M. Looman : Celle de remplacer les psychologues?

Le sénateur Chaput : Oui.

M. Looman : Eh bien, cela tient en partie à la normalisation des pratiques. Le programme pour délinquants sexuels était l'un des rares programmes où les personnes assurant sa prestation faisaient l'objet d'une surveillance clinique, de sorte que la décision découlait en partie de la nécessité d'appliquer un modèle uniforme à tous les programmes. Je n'ai pas participé à la prise de cette décision, alors je ne peux pas vraiment vous fournir plus de détails à ce sujet.

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, il nous reste environ 55 minutes, et il y a encore six sénateurs qui veulent intervenir pendant le premier tour et un certain nombre prendront la parole pendant le deuxième tour. Soyez le plus bref possible lorsque vous posez vos questions. Je sais que, parfois, vous devez mettre vos questions en contexte, mais je tiens seulement à vous rappeler que nous sommes ici pour entendre les témoins, pas les membres du comité. Si nous pouvions employer au mieux le temps qui nous est imparti, ce serait bien apprécié.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour à vous tous. Je pense que nous faisons face à un défi très important actuellement.

Dès mon arrivée au Sénat, j'ai pris connaissance du fameux rapport de 2007 sur la réforme du système carcéral et des programmes de réinsertion sociale, que je considère comme deux échecs.

Au niveau de la réinsertion sociale, on réalise que, au bout du compte, de telles interventions n'ont eu que très peu d'effets sur le comportement des délinquants après leur remise en liberté. Nous devons nous questionner.

Dès le début de mes fonctions comme sénateur, j'ai visité cinq pénitenciers, et j'ai constaté qu'effectivement nous n'avions pas d'autres choix que de révolutionner notre système pénitencier au Canada et au Québec.

Monsieur Cenaiko, je crois que nous devons applaudir les mesures du projet de loi C-10 qui touchent les victimes d'acte criminel, mais il faut aller plus loin en matière de communication avec les victimes. Lorsqu'un criminel est remis en liberté et que les victimes l'apprennent par les médias ou parce qu'ils croisent le criminel dans la rue, c'est inacceptable. On a vu des cas, dernièrement, où des gens ont appris dans les médias qu'on venait de libérer un criminel. Malgré le projet de loi C-10, j'invite la commission à faire une réflexion profonde à ce sujet. Je crois qu'il vaut mieux être proactif par rapport aux victimes plutôt que de leur laisser le fardeau de communiquer avec vous pour obtenir des informations. C'est un pas dans la bonne direction, cependant, et je vous en félicite.

Monsieur Head, nous nous sommes rencontrés à quelques reprises, et j'aimerais que vous vous exprimiez sur l'abolition de la mesure la moins restrictive. Quel effet cela aura-t-il sur la discipline dans le milieu pénitencier? L'un des grands reproches émis par le syndicat des agents est le manque de respect des criminels envers le personnel; quelles seront les répercussions de l'abolition de cette mesure sur la discipline et la réhabilitation des criminels?

Le taux de réincarcération est de près de 70 p. 100 dans nos pénitenciers. C'est inacceptable. Nous devons être plus performants. Je suis d'accord avec le sénateur Runciman. Nous devons trouver de nouvelles réponses à nos questions. Notre système a besoin d'un sérieux coup de barre.

J'aimerais savoir, par rapport à cette mesure, qu'est-ce qui va changer dans la réalité de tous les jours des agents ainsi que dans la réhabilitation des criminels?

[Traduction]

M. Head : Pour ce qui est de l'utilisation des mesures les moins restrictives possible et de l'idée de remplacer le libellé par un autre qui prévoit des mesures nécessaires et appropriées, je dois vous dire qu'il y a toute une histoire derrière la question des mesures les moins restrictives. Je crois que les sénateurs en ont entendu parler par d'autres témoins.

L'une de nos préoccupations, c'est que le nouveau libellé ne nous permet pas nécessairement — du moins, selon la manière dont les choses ont tourné — de répondre le mieux possible aux besoins des délinquants ou de corriger de la meilleure façon qui soit leurs comportements.

Ce qui semble s'être produit au fil des ans, c'est que, si vous faites face à une situation et que certaines options s'offrent à vous, mais que l'une des options est considérée comme moins restrictive qu'une autre, vous devriez recourir par défaut à l'option la moins restrictive.

Au cours des discussions qui se sont tenues entre le comité d'examen et le personnel à l'échelle du pays — les agents correctionnels, les agents de libération conditionnelle, le personnel infirmier, et cetera —, tous ont souligné que cela ne leur permettait pas nécessairement de régler de façon plus individuelle certains des autres comportements adoptés par les délinquants.

On peut débattre de la question de savoir si ce libellé est préférable à l'expression actuelle — soit « le moins restrictives possible », mais, ce que nous proposons, c'est d'insister très clairement, au sein de toute l'organisation, sur le fait qu'il s'agit beaucoup plus d'une méthode permettant d'évaluer les délinquants au cas par cas pour déterminer les mesures jugées nécessaires, appropriées et proportionnelles qui doivent être prises à l'égard de chaque délinquant.

Si je reviens à l'exemple que j'ai utilisé tout à l'heure, lorsqu'il y a un délinquant qui suit son plan correctionnel, observe les règles et ne cause aucun problème, et un autre délinquant qui est un cas limite, selon l'approche actuelle, nous devrions, la plupart du temps, au moment de prendre une décision, utiliser par défaut la même mesure la moins restrictive dans un cas comme dans l'autre.

Dans le cadre de la nouvelle approche, c'est-à-dire celle que décrit le nouveau libellé, nous pourrons intervenir de façon individuelle. Nous pourrons — et le personnel pourra constater une différence — intervenir de façon plus efficace qu'avant à l'égard des comportements négatifs.

Le nouveau libellé dans le projet de loi responsabilise davantage les délinquants et offre plus d'options au personnel et aux décideurs, qui ne seront plus obligés de choisir par défaut la mesure la moins restrictive parmi un ensemble de possibilités ou d'options.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La question que je vous poserais, monsieur Head, je vous l'ai posée l'an dernier. Comment allez-vous faire adhérer vos gestionnaires, particulièrement ceux du Québec, à cette réforme où on axe l'incarcération sur la prise en charge du criminel de son processus de réhabilitation? Comment allez-vous faire en sorte que votre personnel d'encadrement adhère à cette réforme?

[Traduction]

M. Head : Très brièvement, deux ou trois exemples. D'abord, nous devons définir clairement leur mandat, ce qu'ils doivent faire chaque année et la manière dont nous évaluerons leur rendement annuel. Les attentes sont élevées, et les gestionnaires devront démontrer qu'ils y satisfont. Cela n'a pas toujours été le cas par le passé, mais je suis déterminé à faire preuve de plus de fermeté à cet égard; autrement dit, nous définirons clairement dans les ententes de rendement ce qui est attendu des gestionnaires.

Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les employés de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et du Service correctionnel pour l'excellent travail qu'ils accomplissent chaque jour.

Pour donner suite à l'une des questions posées par le sénateur Angus, j'aimerais revenir non pas sur l'agréable déjeuner qu'il dit avoir eu, mais sur la réponse que vous lui avez fournie lorsqu'il vous a demandé s'il y avait une autre disposition qui prévoyait des sanctions contre l'inconduite des prisonniers. Vous avez essentiellement répondu qu'aucune disposition de ce genre n'existait et que c'est la raison pour laquelle le projet de loi doit contenir une telle disposition.

L'établissement carcéral tient une audience, puis une sanction est infligée, par exemple le délinquant est envoyé au trou s'il est reconnu coupable d'une infraction semblable. Sa peine d'emprisonnement est prolongée parce qu'il ne peut plus faire valoir son bon comportement pour justifier sa libération conditionnelle anticipée, ou, comme cela arrive souvent, il finit par être accusé de voies de fait simples. Je voudrais apporter cette précision. Peut-être que nous avons mal compris lorsque vous avez répondu qu'il n'existait actuellement aucune disposition vous permettant de punir cette personne.

Ma question se rapporte au phénomène de dérive que vous avez décrit et qui se produit parfois lorsque vous utilisez le dispositif de surveillance électronique. Ce dispositif est utilisé dans le cas d'une détention à domicile; vous vous en servez régulièrement pour surveiller les personnes déclarées coupables de crimes graves. Vous dites que les données transmises par le dispositif peuvent comporter une marge d'erreur, mais que, dans une situation semblable, l'agent de libération conditionnelle peut communiquer avec le délinquant et obtenir des explications.

Ce phénomène de dérive est-il attribuable au fait que vous achetez des appareils bas de gamme, ou est-ce que tous les dispositifs de surveillance électronique sont les mêmes, c'est-à-dire qu'ils peuvent tous donner lieu à des erreurs de positionnement?

M. Head : Pour répondre à votre première question, sénateur, en ce qui concerne les châtiments, comme je l'ai mentionné, le projet de loi C-10 propose non pas des sanctions, mais de nouvelles infractions disciplinaires à l'interne qui permettront au personnel, le cas échéant, de porter une accusation contre le délinquant qui a commis l'une ou l'autre de ces infractions. Vous avez tout à fait raison : il existe un processus interne, c'est-à-dire un processus judiciaire pour des infractions mineures ou majeures où nous faisons appel à des présidents indépendants qui peuvent infliger diverses sanctions prévues dans la loi.

Pour ce qui est de la prolongation de la peine d'emprisonnement, j'ignore à quoi vous faites allusion. Nous n'appliquons pas un système de réduction méritée de la peine.

Le sénateur Baker : Les prisons provinciales le font.

M. Head : Oui.

Le sénateur Baker : Je ne voulais pas donner au public l'impression que ces personnes ne sont pas punies en prison.

M. Head : Voilà pourquoi j'ai dit qu'il y avait bel et bien des sanctions.

En ce qui a trait à votre question sur la surveillance électronique, non, nous n'achetons pas de l'équipement de qualité inférieure. Il existe toutes sortes de pièces d'équipement, qui sont munies d'un système soit à radiofréquences, soit à GPS. Il existe à la fois des systèmes actifs et des systèmes passifs. Ce sont tous des points techniques dont il faut discuter.

Nous avons mis à l'essai un dispositif qui était utilisé par la Nouvelle-Écosse à l'époque. Nous avons fait cela uniquement pour mieux comprendre quelles étaient les possibilités et les limites de ce dispositif, un parmi tant d'autres. Nous savons qu'une nouvelle technologie a été mise au point depuis ce projet pilote.

Nous savons aussi que presque tout type de dispositif peut occasionner des erreurs de positionnement. Plus la marge d'erreur est faible, mieux c'est. Nous voulons évidemment acheter l'équipement qui fournit les données les plus précises. Nous n'avons pas encore acheté d'équipement. Nous avons conclu un contrat pour mener le projet pilote, pour utiliser l'équipement qui existe déjà, mais nous voudrions acquérir cet équipement.

Même le dispositif que vous utilisez dans votre véhicule présente un risque de dérive. Ce sont les modèles de qualité militaire qui sont les plus précis. D'après ce qu'on nous a dit, dans ces modèles, le facteur de dérive est systématiquement pris en compte pour toutes sortes de raisons de sécurité nationale, mais il y a toujours un certain taux de dérive.

Ce qui nous inquiète, c'est que, s'il y a une dérive de 20, 30 ou 60 pieds, ce qui est la marge d'erreur associée à la plupart des types de dispositifs qu'on peut acheter à l'heure actuelle, nous recevons également un signal. Si un délinquant sexuel s'approche à moins de 60 pieds d'un terrain de jeu, même s'il ne s'est pas rendu à cet endroit, l'agent de libération conditionnelle doit communiquer avec ce délinquant et obtenir des explications.

Au début, nous étions inquiets parce que les premiers modèles pouvaient donner lieu à une dérive allant jusqu'à 60 kilomètres. Nous n'utilisions pas ce modèle, mais nous avons tiré des leçons de l'expérience des autres provinces qui se sont servies de ces modèles.

Lorsque je travaillais au sein des systèmes carcéraux du Yukon et de la Saskatchewan, nous utilisions des systèmes plus anciens de surveillance électronique par radiofréquence, c'est-à-dire des systèmes plus passifs où une pièce était branchée au téléphone et le signal était communiqué au dispositif pour indiquer que le délinquant se trouvait chez lui. Il y a eu d'énormes avancées depuis cette époque. À mesure que nous irons de l'avant avec la surveillance électronique, nous chercherons évidemment à acquérir l'équipement le plus perfectionné et nous continuerons de faire des mises à niveau si de nouveaux dispositifs sont mis au point.

Le président : Nous devons passer à un autre intervenant, sénateur.

Le sénateur Baker : Je n'ai droit qu'à une seule question, mais cela me convient. J'interviendrai de nouveau au deuxième tour.

Le président : Je ne compte pas les questions; je compte le temps.

Le sénateur Baker : Donc, lorsque le témoin a la sagesse de s'épancher longuement, c'est moi qui écope.

Le président : Et lorsque la personne qui pose la question parle un peu trop longtemps.

Le sénateur Baker : Don Head est un homme futé, je peux vous le dire. Il a l'habitude des procédures judiciaires.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Head. Si je me fie à vos documents, vous affirmez qu'il faudra tout près de cinq millions de dollars par année pour accueillir les délinquants supplémentaires suite à l'imposition des peines minimales obligatoires.

Évidemment, bon nombre des nouvelles peines minimales obligatoires du projet de loi C-10 sont de moins de deux ans. Et si je me fie à l'historique des sentences imposées par les juges et que malheureusement, la population ne trouve pas assez sévères, ce sont bien souvent des peines qui sont purgées dans des prisons provinciales. Comment en arrivez- vous à la somme de cinq millions de dollars que vous avancez?

[Traduction]

M. Head : C'est une excellente question, sénateur. Nous avons la responsabilité — et M. Cenaiko pourrait vous en parler aussi — de préparer les cas et de surveiller tous les délinquants sous responsabilité provinciale lorsqu'il n'existe aucune commission provinciale des libérations conditionnelles. Actuellement, les deux seules provinces qui se sont dotées de commissions provinciales des libérations conditionnelles sont l'Ontario et le Québec; toutes les autres provinces recourent aux services de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Tout délinquant sous responsabilité provinciale qui purge une peine de six mois ou plus peut présenter une demande de libération conditionnelle — de six mois à deux ans. S'il présente une demande de libération conditionnelle, c'est le personnel du SCC qui doit se charger de la préparation du cas, puis de la surveillance si la libération conditionnelle est accordée. Une partie de ce montant est alloué aux activités liées à la préparation du cas et à la surveillance des délinquants sous responsabilité provinciale qui pourraient demander et obtenir une libération conditionnelle.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Cenaiko, vous nous avez brillamment exposé les conséquences du projet de loi C- 10 sur votre travail en ce qui concerne les besoins que vous aurez. Nous sommes conscients que c'est probablement le prix à payer pour assurer la sécurité au sein des communautés.

À aucun endroit, j'ai eu l'impression que vous étiez d'accord avec les changements apportés aux sentences ou avec le projet de loi C-10. J'aimerais profiter de vos connaissances et de vos contacts privilégiés avec les délinquants pour vous demander si vous n'avez pas l'impression de remettre parfois en liberté des individus qui sont encore des dangers pour la population.

Croyez-vous que le projet de loi C-10 vous aidera à mieux protéger les citoyens?

[Traduction]

M. Cenaiko : C'est une très bonne question. Dans une question précédente, vous avez parlé de l'idée de remplacer l'expression « le moins restrictives possible » par « nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition ». Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, la mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant la réadaptation et la réinsertion sociales en toute sécurité des délinquants dans la collectivité.

En outre, le projet de loi C-10 ajoute des principes et en modifie d'autres en ce qui concerne le fait que nous devons prendre en considération la nature et la gravité de l'infraction de même que le degré de responsabilité du délinquant. Lorsque nous évaluons le risque que présentent des délinquants, nous tenons toujours compte de ces aspects. Maintenant, ces principes sont inscrits dans la loi. Nous devons veiller à les appliquer.

Lorsque nous examinons les comportements passés et les antécédents criminels d'un délinquant, nous nous penchons aussi sur la nature et la gravité des infractions commises. Lorsque nous évaluons la situation actuelle du délinquant, nous nous attardons à son comportement en établissement et au degré de responsabilité dont il fait preuve à l'égard de sa réinsertion dans la collectivité. Lorsque nous nous tournons vers l'avenir, nous passons en revue le plan de mise en liberté et le plan correctionnel que le SCC élabore, de l'admission du délinquant jusqu'à une éventuelle audience de libération conditionnelle, puis nous examinons les stratégies de surveillance du délinquant qui seraient également mises en œuvre dans la collectivité.

Le projet de loi officialise ces principes, mais, lorsque nous évaluons le risque associé à un délinquant, nous examinons un certain nombre de facteurs, y compris ceux que je viens tout juste de mentionner.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à M. Head. Dans votre présentation, vous dites que la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants sont au cœur du mandat de votre organisation.

C'est très louable et ça se doit de l'être. Mais je crois qu'il est évident que des changements devront être apportés parce que jusqu'à présent, comme on l'entend dire de plus en plus, il y a beaucoup de récidivistes. Il faut se poser la question à savoir ce qui devrait être changé dans les programmes de réadaptation et de réinsertion sociale.

Avez-vous refait une évaluation de l'impact de ces programmes sur le changement de comportement des gens qui quittent, qui ne sont plus incarcérés? Si c'est le cas, avez-vous relevé des points qui pourraient être corrigés par l'entremise des nouveaux programmes que vous allez mettre en place?

Certaines personnes seront incarcérées beaucoup plus longtemps, mais si les programmes ne fonctionnent pas, cela ne fera que retarder le récidivisme. Quels sont les changements à apporter et qui pourraient faire une différence?

[Traduction]

M. Head : Je vous remercie beaucoup, sénateur. Naturellement, les points que vous soulevez reviennent continuellement à l'ordre du jour de notre organisation.

Si je reviens en arrière, lorsque j'ai commencé ma carrière dans les services correctionnels, il y a 34 ans, il existait une pléthore de programmes. Essentiellement, tout ce qui occupait un délinquant était appelé un programme. Quant à savoir si cela était efficace ou avait la moindre incidence, à cette époque, on ne faisait pas vraiment beaucoup de recherches sur le sujet.

Au fil du temps, beaucoup de recherches ont donné lieu à la création de certains des principaux programmes que nous offrons maintenant. Certains de nos programmes centraux — les programmes de prévention de la toxicomanie, de l'alcoolisme et de la violence ainsi que les programmes d'acquisition d'aptitudes psychosociales — ont été examinés, entre autres par des comités internationaux, et soumis à des études. Ils ont d'ailleurs servi de modèle pour un certain nombre de services correctionnels dans le monde, qui continuent de s'adresser à nous pour obtenir de la formation et pour s'inspirer de nos programmes centraux, car la recherche continue de révéler qu'ils peuvent avoir des effets positifs, lorsqu'ils sont combinés à beaucoup d'autres choses. Aucun programme à lui seul n'entraîne de changements.

Cela dit, nous prévoyons effectuer d'autres travaux de recherche pour obtenir des résultats à jour parce que certaines de nos recherches remontent à de nombreuses années. Nous voulons nous assurer que ces programmes continuent de produire les effets avancés par les chercheurs.

Par ailleurs, nous savons que nous avons eu quelques problèmes avec la façon dont nos programmes étaient offerts, en ce sens que, si un délinquant commençait un programme à son arrivée et que, pour quelque raison que ce soit, il était placé en isolement ou transféré vers un autre établissement et qu'il ne terminait pas le programme, alors il devait mettre son nom sur une liste d'attente pour recommencer le programme. Il y a deux ou trois ans, nous avons conclu qu'il ne s'agissait pas d'une très bonne façon de procéder, car cela empêchait le délinquant de tirer parti des compétences qu'il commençait à apprendre.

Nous avons mis en œuvre un projet pilote appelé modèle de programme correctionnel intégré, qui est assorti de différents objectifs. D'abord, il vise à faire participer les délinquants à des programmes préparatoires dès qu'ils subissent leur évaluation initiale au lieu de ne commencer les programmes que de nombreux mois après leur placement dans un pénitencier. Nous faisons en sorte qu'ils commencent les programmes préparatoires au cours des 45 à 60 premiers jours de leur incarcération. Auparavant, les délinquants pouvaient attendre jusqu'à 200 jours avant de participer aux programmes. Nous croyons qu'ils doivent plutôt commencer dès le début. C'est la raison pour laquelle nous mettons à l'essai le Modèle de programme correctionnel intégré.

En outre, dans le cadre de ce modèle, nous veillons à assurer la participation continue des délinquants aux programmes. Un délinquant qui doit interrompre le programme, par exemple pendant une semaine, en raison d'un transfèrement, d'un placement en isolement ou d'une comparution devant les tribunaux, peut reprendre le programme dès son retour au lieu d'être mis sur une liste d'attente et d'attendre plusieurs mois avant de reprendre le programme.

[Français]

Le sénateur Chaput : Dans ces programmes de réhabilitation, est-ce qu'il est question des victimes? Est-ce qu'on discute avec eux du fait que ceux qui ont commis le crime ont de sérieuses responsabilités à l'égard des victimes?

[Traduction]

M. Head : En ce qui a trait au cadre global des programmes, l'une des choses que nous enseignons aux délinquants, c'est la façon dont ils prennent des décisions et l'incidence qu'elles ont sur les autres. C'est l'aspect clé de presque tous nos programmes cognitivo-comportementaux. Sans cela, nous ne pourrons pas changer les comportements des délinquants.

Le sénateur Frum : Les membres du comité ont entendu différentes choses au sujet du potentiel de réadaptation des délinquants sexuels et des pédophiles les plus dangereux; de toute évidence, cet élément est au centre de vos préoccupations. Pouvez-vous donner des commentaires à ce sujet? Je crois que nous fondons beaucoup d'espoir dans la possibilité d'une réadaptation, mais peut-être que, dans certains cas, aucune réadaptation n'est possible.

M. Looman : Le programme de traitement que je supervisais par le passé s'adressait aux délinquants sexuels à risque élevé de l'Ontario. Nous traitions des délinquants sadiques, des pédophiles, bref, l'éventail complet. Le suivi que nous avons effectué pendant environ sept ans auprès des anciens participants au programme a révélé qu'ils affichaient un taux de récidive de 17 p. 100. Étant donné que les délinquants que nous traitons présentent un risque élevé, on s'attendrait plutôt à un taux de récidive de 40 p. 100. Le traitement est donc efficace.

J'ai lu certains des témoignages des audiences précédentes. On se demandait, entre autres, ce qu'était exactement un pédophile. Pour certaines personnes, un pédophile manifeste une préférence sexuelle innée pour les enfants. Toutefois, ce n'est pas le cas pour la vaste majorité des agresseurs d'enfants : ce sont d'autres facteurs qui les amènent à commettre ce genre d'infractions. Les hommes qui semblent avoir une préférence innée pour les enfants sont ceux qui résistent le plus au traitement. Toutefois, même ces hommes peuvent apprendre à maîtriser leurs pulsions.

Nous traitons des hommes hétérosexuels qui n'ont jamais de relations sexuelles avec des femmes adultes seulement parce qu'ils en ont décidé ainsi ou pour toutes sortes de raisons. Un pédophile peut adopter le même mode de vie. Son choix de partenaires sexuels est différent, mais il peut lui aussi apprendre à maîtriser ses pulsions et à ne pas y céder. Dans le cas des auteurs d'infractions relatives à la pornographie juvénile, nombre d'entre eux n'ont jamais eu de rapports sexuels avec des enfants, mais on les considère comme des pédophiles.

Le sénateur Frum : Le sénateur Angus a posé une question à un autre témoin qui portait sur la thérapie chimique par rapport à la thérapie cognitive. Laquelle privilégiez-vous?

M. Looman : Nous accordons d'abord la priorité à la thérapie cognitive, c'est-à-dire que nous nous attaquons aux schèmes de pensées, aux attitudes, et toutes ces choses. Dans le cas des hommes pour lesquels il s'agit d'un penchant beaucoup plus naturel, certains d'entre eux choisissent de suivre un traitement aux anti-androgènes ou aux ISRS pour calmer leur libido, mais cette décision leur appartient. On ne peut imposer cette solution à qui que ce soit. Si ces délinquants ne veulent pas prendre un médicament, lorsque le mandat est expiré, nous n'avons aucun pouvoir sur eux. Le choix leur revient.

Nous traitons environ 30 hommes par année. Il y en a environ cinq par année qui au moins essaient cette solution.

Le sénateur Frum : L'article 55 oblige les prisonniers à suivre un programme — et je présume qu'ils ont toujours été obligés de participer à des programmes. Lorsque Sheldon Kennedy est venu témoigner, il a déclaré que l'auteur des actes qu'il avait subis avait refusé de suivre un programme. Dans quelle mesure la participation est-elle volontaire?

M. Looman : Nous avons enregistré au fil des années un taux de refus d'environ 30 p. 100.

Le sénateur Frum : L'article 55 — qui les obligera à participer à un programme — change-t-il quoi que ce soit? Cela aura-t-il une incidence sur la nature volontaire de la participation?

M. Looman : Ils se voient toujours infliger des sanctions. S'il est précisé dans son plan correctionnel qu'un délinquant est censé suivre un programme pour délinquants sexuels et qu'il refuse de le faire, selon la procédure actuelle, ce délinquant se verra infliger une sanction pécuniaire. Il y a encore des gens qui refusent de suivre le programme. Les nouvelles mesures incitatives qui sont proposées pourraient entraîner un durcissement des sanctions.

Lorsque vous êtes un délinquant sexuel en prison, vous vous trouvez tout au bas de l'échelle. Une fois incarcérés, de nombreux délinquants sexuels ne veulent pas être identifiés comme tels. S'ils participent à un programme pour délinquants sexuels, ils le seront. Il y a d'autres facteurs qui peuvent les dissuader.

Le sénateur Frum : Le taux de récidive de 17 p. 100 s'applique aux délinquants qui ont suivi un traitement. Qu'en est- il de ceux qui ne suivent aucun traitement?

M. Looman : Les résultats des études à cet égard varient beaucoup. Certains chercheurs soutiennent que les délinquants qui refusent de suivre le traitement présentent un risque de récidive plus élevé que ceux qui se font traiter. D'autres chercheurs prétendent qu'il n'y a aucune différence. Les recherches que j'ai personnellement consultées indiquent qu'il y a une certaine différence, mais qu'elle est faible.

Certaines personnes croient — à tort — que la participation à un traitement élimine le risque de récidive. Toutefois, la grande majorité des délinquants sexuels ne récidiveront pas. De 90 à 95 p. 100 environ des infractions sexuelles sont commises par des personnes qui n'avaient jamais commis d'infractions auparavant, et, même sans traitement, la plupart d'entre eux ne récidiveront pas. Si on parle du taux global de récidive des délinquants sexuels, pour la plupart d'entre eux, le seul fait de s'être fait prendre et la honte d'aller devant les tribunaux et de savoir que les gens sont au courant de leur crime les amènent souvent à changer leur comportement.

Le sénateur Frum : La dissuasion et la dénonciation sont efficaces?

M. Looman : Je ne dirais pas qu'il s'agit de dissuasion parce que cette dernière empêche les gens d'agir une première fois. Les recherches semblent indiquer qu'aucune mesure dissuasive n'est efficace. Ce qui est efficace, c'est de se faire prendre, d'être châtié, de subir le processus et d'être forcé à réfléchir à ce que l'on a fait.

J'ai déjà été un fumeur. J'ai fumé un paquet par jour pendant des années, puis j'ai commencé à tousser. Je n'avais que 27 ans. Je me suis dit : « Qu'est-ce que je suis en train de me faire? » Alors, j'ai arrêté. J'avais essayé d'arrêter auparavant, mais c'est la toux qui m'a motivé, et j'ai arrêté. Lorsque nous sommes forcés à réfléchir à ce que nous faisons et aux raisons pour lesquelles nous le faisons, souvent, cela suffit à nous dissuader de recommencer.

Le président : J'ai quelques questions pour conclure la première série. Nous avons hâte d'entamer la deuxième. Le sénateur Fraser est tout en haut de la liste pour ce tour-là.

Monsieur Cenaiko, pourriez-vous nous dire quelles répercussions le projet de loi C-10 aura sur la charge de travail de la Commission des libérations conditionnelles du Canada? D'un point de vue pratique, quelle sera son incidence?

M. Cenaiko : Il y aura un accroissement des peines minimales obligatoires en ce qui concerne les infractions liées aux drogues et les agressions sexuelles contre les enfants. Il y aura un accroissement à cet égard. Dans d'autres domaines, il y aura une diminution légère. Dans l'ensemble, je crois que nous verrons une augmentation de 1 000 à 1 200 audiences par année. Selon le lieu, les coûts peuvent être plus élevés. Je voulais revenir sur les commentaires du sénateur Bienvenu au sujet du projet de loi et des victimes. Ce projet de loi est extrêmement important pour les victimes, car il leur permettra d'obtenir de l'information sur le comportement des délinquants dans l'établissement correctionnel, dont leur participation aux programmes, mais aussi sur la renonciation à un droit, dans le cas où il y a renonciation à la dernière minute. Cela est très important. Nous devons continuer d'améliorer les services fournis aux victimes.

M. Head et moi avons commencé cela il y a deux ans. Chacun de nous gère un bureau des services aux victimes. Il y a deux ans, nous avons travaillé ensemble et nous avons maintenant un bureau de services aux victimes conjoint, ce qui est encore assez nouveau. Toutefois, cela fournit un point d'accès intégré pour les victimes de manière à ce qu'elles ne soient pas perdues dans le système, quelque part entre la commission de libération conditionnelle ou le SCC; nous travaillons donc à cela ensemble pour fournir des services additionnels. À l'avenir, nous continuerons de communiquer et de travailler en partenariat avec l'ombudsman des victimes d'actes criminels, Sue O'Sullivan, et à consulter le rapport qu'elle a présenté au ministre de la Justice. Ce rapport fait évidemment état de points intéressants.

Je voulais ajouter quelque chose en lien avec les commentaires du sénateur Boisvenu concernant les victimes et les répercussions des pardons sur ces dernières. Encore une fois, cela n'est pas dans la loi, mais, en ce qui concerne les pardons, si une victime veut fournir une déclaration sur une personne — parce qu'il s'agit, bien sûr, de renseignements confidentiels, elle peut, en fait, envoyer cette déclaration à notre division de la clémence et des pardons, et elle demeurera dans les dossiers jusqu'à ce que le candidat présente une demande, et nous relierons la demande à la déclaration de la victime.

Cette mesure en est une autre que nous avons mise en place. Cela n'est pas dans la loi. Les renseignements personnels concernant une demande de pardon ou de suspension de casier judiciaire ne peuvent pas être communiqués à une victime.

Le président : Monsieur Head, l'article 55 du projet de loi apporte des changements — et on l'a mentionné plus tôt — au plan correctionnel qui est élaboré pour tous les délinquants. Ces plans visent bien sûr à faciliter la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants. Le projet de loi prévoit des changements à l'égard de ces plans. Pourriez-vous commenter ces changements et les répercussions qu'ils auront sur le travail que vous faites?

M. Head : Pour être plus précis, je dirais que les changements prévus dans le projet de loi donnent un caractère plus définitif au plan correctionnel. Dans la loi actuelle, c'est-à-dire la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le plan correctionnel est mentionné, mais, avec ces dispositions, le plan et les exigences minimales liées à ce dernier sont enchâssés de manière plus officielle dans la loi. Ces exigences minimales portent sur l'observation et le respect des règles de l'établissement, les programmes, les interventions et l'information que doivent suivre les délinquants, et même sur des questions liées à la restitution, dans les cas où de telles ordonnances sont délivrées. Tous ces aspects seront intégrés au plan correctionnel.

Même si nous avons toujours eu des plans correctionnels pour les délinquants, le projet de loi leur donne un caractère beaucoup plus officiel. Ainsi, ils deviendront des documents d'orientation pour la prise de décisions, non seulement au sein du SCC, mais également au sein de la Commission des libérations conditionnelles du Canada Le président de la CLCC et moi avons discuté, l'autre jour, de l'incidence que ces changements auront sur les recommandations présentées aux membres de la commission et de tous les facteurs qui sont pris en considération par cette dernière lorsqu'elle rend une décision relative à une libération conditionnelle.

M. Cenaiko : Le comportement d'un délinquant dans l'établissement correctionnel est un élément essentiel. Lorsque nous examinons le passé, le présent et l'avenir d'un délinquant, nous accordons une grande importance au présent et, comme c'est mentionné dans le projet de loi, au degré de responsabilité qu'assume le délinquant à l'égard de sa réinsertion sociale. Lorsque nous examinons et étudions le dossier — et bien sûr, nous examinons tous les documents judiciaires, les rapports de police lorsque nous nous penchons sur le passé de la personne — le comportement en établissement est un facteur essentiel qui nous permet de déterminer si cette personne peut être surveillée de manière sécuritaire dans la collectivité et si la libération conditionnelle de ce délinquant présente un risque pour le public.

Le sénateur Fraser : Monsieur Head, j'aimerais revenir sur le Modèle de programme correctionnel intégré. J'ai lu le rapport annuel de l'enquêteur correctionnel et je sais que vous êtes très au fait de cette question, mais peut-être que mes collègues ne sont pas tous au courant. M. Sapers en a parlé en tant que programme pilote, mais son application a été étendue même s'il s'agissait toujours officiellement d'un programme pilote qui n'avait pas encore été évalué. Évidemment, il est particulièrement important d'améliorer l'accès opportun aux programmes, d'établir de meilleurs liens entre les interventions menées en établissement et celles menées dans la collectivité, et de rendre le contenu des programmes plus pertinent et accessible. Tout cela, c'est merveilleux, mais M. Sapers a dit autre chose aussi, comme vous le savez, et je vais citer son rapport. Il a dit :

[...] Certains s'inquiètent de l'accent mis dans le cadre du projet pilote sur la réduction du nombre de programmes distincts et modestes (p. ex., les programmes de prévention de la toxicomanie, de prévention de la violence ou de maîtrise de la colère qui sont fusionnés en une seule intervention omnivalente).

Dans le cadre des efforts déployés pour cerner et éliminer les chevauchements, le Programme de prévention de la violence et le programme pour Autochtones En quête du guerrier en vous ont été remplacés dans les régions où le MPCI est à l'essai. Ces mesures visant à accroître l'efficacité s'inscrivent dans la foulée de celles ayant mené à l'élimination à l'échelle du Service du programme de faible intensité pour délinquants sexuels. En outre, conformément au MPCI, la durée des programmes est considérablement réduite, par un facteur de trois dans certains cas.

Nous avons déjà entendu M. Looman nous expliquer que certains programmes pour délinquants sexuels étaient maintenant fournis par des agents correctionnels qui ont suivi une formation de deux semaines plutôt que par des psychologues professionnels. Cela me semble assez inquiétant. L'objectif des programmes est de garantir que, lorsque les délinquants sont mis en liberté, ils sont mieux préparés pour fonctionner de manière appropriée dans la société. Comme vous l'avez dit plus tôt, chacun de ces délinquants est unique. Chacun est différent de son voisin, alors je ne crois pas que la réduction du nombre de programmes et leur fusion en un modèle unique seront avantageuses pour la société dans son ensemble, et encore moins pour le délinquant. Pouvez-vous commencer cela?

M. Head : Je vais essayer d'être bref tout en disant l'essentiel.

Il n'est pas question de fusionner tout un tas de programmes. L'approche que nous avons adoptée au fil des ans relativement aux programmes est fondée sur un modèle cognitivo-comportemental, et les recherches ont révélé que cette approche est efficace. Les premières séances ou les premiers modules d'un grand nombre de programmes que nous avions en place étaient les mêmes. C'est ce que nous appelons les programmes préparatoires. Nous avons fusionné ces programmes préparatoires. Ainsi, au lieu d'avoir un programme préparatoire pour la toxicomanie et un autre, essentiellement identique, pour la prévention de la violence, tous les délinquants suivent le même programme préparatoire à l'évaluation initiale, et, lorsqu'ils passent aux programmes plus modernes d'intensité élevée, comme les programmes de prévention de la violence ou ceux pour toxicomanes, ils sont prêts à les suivre parce que les modules d'apprentissage préparatoires de base leur ont déjà été enseignés.

Encore une fois, le fait de les faire participer à un programme très tôt présente plusieurs avantages. Les recherches montrent qu'un délinquant est plus susceptible d'être motivé à participer à un programme au début de sa peine, à son arrivée dans le système, qu'après une plus longue période parce que, pour toutes sortes de raisons, ils s'embourbent après un certain temps. En leur faisant suivre les programmes préparatoires au moment de l'évaluation initiale, on est donc mieux en mesure de les motiver, dès le début.

Nous préparons alors la voie en prévision du moment où ils auront terminé l'évaluation initiale et seront placés dans les pénitenciers où ils demeureront pendant un certain temps et où ils peuvent entamer les programmes plus intensifs qui seront indiqués dans leur plan correctionnel. Il ne s'agit pas tout simplement de tout fusionner en un programme unique, et d'éliminer tous les autres éléments et les besoins que nous devons aborder avec le délinquant. Il s'agit de les motiver, dès le début au moyen de programmes préparatoires pour qu'ils puissent entamer les programmes d'intensité moyenne et élevée de prévention de la violence, pour toxicomanes, de lutte contre la violence conjugale et même de traitement des délinquants sexuels dès leur arrivée dans les établissements.

Les premiers résultats semblent montrer qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Il est encore trop tôt pour nous de crier victoire. Nous faisons cela dans les régions du Pacifique et de l'Atlantique. Dans les trois autres régions, l'éventail normal de programmes est toujours fourni et mis en œuvre, comme avant. Même si l'organisation voulait étendre la mise en œuvre du nouveau modèle à toutes les régions, nous avons commencé par l'Atlantique parce qu'il s'agit d'une plus petite région et nous voulions voir s'il y avait d'autres différences à constater dans le cadre du programme pilote.

Les résultats initiaux montrent que cette façon de procéder est la bonne. Il y a plusieurs pays qui s'intéressent à ce que nous faisons ici parce qu'ils ont des problèmes semblables, comme la nécessité de motiver les délinquants à entamer un programme et la situation des délinquants qui sont transférés, qui sont placés en isolement ou qui quittent un programme pour une raison quelconque, et qui doivent retourner sur une liste d'attente avant de pouvoir réintégrer le programme.

Ils constatent que l'approche que nous adoptons crée des possibilités, et c'est ce que nous essayons de déterminer, à savoir si c'est le bon modèle à adopter à long terme.

Notre autre approche ne leur permet pas de participer assez rapidement aux programmes. Nous ne tirons pas profit de leurs niveaux de motivation élevés à leur arrivée pour encourager leur participation à un programme.

Le sénateur Runciman : Je ne reparlerai pas du problème de la santé mentale, mais le sénateur Cowan a soulevé la question du personnel nécessaire pour gérer ce problème.

J'aimerais encore une fois citer Mary Campbell, de Sécurité publique Canada, qui, lorsqu'elle a comparu devant nous pour parler des programmes de traitement, a dit : « Nous avons beaucoup de difficulté à attirer des professionnels dans les pénitenciers [...] pour essayer d'attirer des professionnels et les garder en poste ».

En ce qui concerne les ratios très inadéquats que j'ai mentionnés tout à l'heure relativement au nombre de travailleurs de la santé et au personnel correctionnel, même ces chiffres peuvent être trompeurs compte tenu des postes à pourvoir et des défis dans le système. Le comité aurait peut-être avantage, à l'avenir, à visiter le centre de traitement, à Kingston, et le centre de traitement provincial, dans la vallée du St-Laurent, pour voir comment les systèmes fonctionnent. Ce serait très informatif.

Monsieur Head, hier, nous avons reçu un témoin de la Nouvelle-Écosse, à savoir le juge Nunn. Il s'est dit préoccupé par l'un des sujets de son étude, sur laquelle sont fondés un grand nombre de changements qui seront apportés à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en vertu du projet de loi. Il a affirmé avoir visité la personne en question dans un établissement pour jeunes. Je n'ai pas eu l'occasion de lui demander s'il avait visité cette personne une seule fois ou à plus d'une reprise. Il a affirmé être d'avis que cette personne était sur la voie de la réadaptation; il lisait des livres de Zane Grey et avait emprunté la bonne voie. Il a été transféré dans un établissement pour adultes en vue de mener sa peine à bonne fin. Le juge Nunn a laissé entendre — peut-être a-t-il été plus affirmatif que cela — que le transfèrement de cette personne l'a ramené sur le mauvais chemin et qu'il a récidivé à de nombreuses reprises depuis la fin de sa peine initiale.

Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe dans ces cas, c'est-à-dire lorsque quelqu'un quitte un établissement pour jeunes et est transféré dans un établissement pour adultes? Comment gérez-vous ces situations? Partagez-vous les préoccupations du juge Nunn?

M. Head : C'est une très bonne question, sénateur. J'ai déjà vécu cette expérience, aux premières lignes, lorsque des jeunes sont arrivés dans un établissement pour adultes en raison de la manière dont leur peine était administrée, et cela présente des défis importants. Ces cas me préoccupent toujours parce qu'il y a des différences importantes entre un séjour dans un établissement pour jeunes, la gestion d'un délinquant dans ces établissements et la réalisation d'une stabilité là-bas, d'une part, et un séjour dans un pénitencier fédéral. C'est toute une transition, comme vous le savez. Cela me préoccupe.

Nous examinons ces cas de manière très rigoureuse afin de déterminer le placement le plus approprié, surtout compte tenu de leur âge peu avancé. Nous essayons, dans un premier temps, d'éviter de les placer dans un milieu où on pourrait leur causer un dommage corporel, et, dans un deuxième temps, nous essayons de réduire le risque de dommages psychologiques ou le risque qu'ils deviennent impliqués dans d'autres incidents.

L'une des préoccupations que nous avons relativement à ces personnes qui arrivent d'un établissement pour jeunes, c'est que, plus elles sont jeunes et plus elles ont l'air jeune, plus les autres délinquants veulent les recruter rapidement. Vous imaginez bien que ce n'est pas une situation que l'on souhaite. Nous essayons de prévenir ce genre de choses, et ce n'est pas toujours possible.

Ce problème lié aux personnes qui sont transférées directement d'un établissement pour jeunes délinquants à un pénitencier en raison d'une peine applicable aux adultes nous préoccupe beaucoup. Je comprends la situation relativement à leur crime et à leur peine, et à l'interaction des diverses lois, mais ces cas sont très difficiles.

Le sénateur Runciman : Une sorte d'établissement de transition serait-elle possible?

M. Head : Oui. Je crois qu'il s'agit d'une idée excellente. Nous avons parlé de cette possibilité au fil des ans. Toutefois, il y a de nombreux problèmes précis liés à cela, dont la question de masse. Si, aujourd'hui, il y a un établissement au Québec, deux, en Ontario, et un, dans les Prairies, et qu'ils sont tous éparpillés, il est difficile de justifier une unité spéciale à cette fin. Cependant, nous devons trouver une solution afin de garantir que nous assurons leur sécurité et que nous leur permettons, essentiellement, de revenir sur le droit chemin ou de continuer sur cette voie, s'ils l'ont déjà adoptée dans l'établissement pour jeunes.

Le sénateur Lang : En moyenne, combien de personnes par année, dans tout le pays, quittent un établissement pour jeunes délinquants pour intégrer un pénitencier?

M. Head : Il y en a moins de 12 par année, mais les chiffres augmentent. Il s'agit de jeunes qui entrent dans le système à l'âge de 18 ans.

Le sénateur Lang : Ce n'est pas un phénomène nouveau. Pourriez-vous revenir l'an prochain et nous parler de ce que vous avez fait pour éviter que ces jeunes soient recrutés par des délinquants plus âgés?

M. Head : Oui. Bien sûr.

Le sénateur Cowan : Monsieur Head, dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que votre programme de transformation, que le SCC met en œuvre depuis quatre ans, est fondé sur le rapport du comité d'examen, la Feuille de route pour une sécurité publique accrue, qui a été publié en 2007.

L'Association du Barreau canadien a commenté ce rapport et cette feuille de route, et elle renvoie à ce qui est considéré comme la seule analyse indépendante de cette feuille de route, qui est un rapport préparé en 2009 et intitulé A Flawed Compass : A Human Rights Analysis of the Roadmap to Strengthening Public Safety. Selon la conclusion de cet examen, la feuille de route serait une boussole morale et juridique défectueuse; elle nous montre la mauvaise direction en ce qui concerne les valeurs et les principes fondamentaux des droits de la personne. L'Association du Barreau canadien met en doute la légitimité de ce rapport en tant que fondement de la transformation du service correctionnel.

Êtes-vous convaincu d'avoir emprunté la bonne voie et êtes-vous certain qu'il s'agit d'une bonne base pour la restructuration et la réorganisation de votre système?

M. Head : En somme, oui. En ce qui concerne les éléments de la feuille de route, ils concernent les questions de la responsabilité et de la responsabilisation des délinquants. La feuille de route parle de l'objectif d'empêcher la drogue d'entrer dans les établissements, car sa présence est dangereuse pour mon personnel, les délinquants et les visiteurs. Elle parle de l'accroissement des programmes et des initiatives de perfectionnement des compétences liés à l'emploi pour les délinquants, elle parle du renouvellement de l'infrastructure dans laquelle vivent les délinquants et travaille mon personnel. Elle parle également du renforcement de nos capacités dans les domaines qui touchent aux services correctionnels communautaires afin que les délinquants qui effectuent la transition entre les établissements et la collectivité bénéficient d'interventions, d'une surveillance et de programmes de qualité.

Dans nos discussions directes avec les auteurs de ce rapport, nous avons demandé : « Dans ce contexte, vous êtes en train de me dire qu'il s'agit d'un mauvais programme correctionnel? » Ils ont répondu : « Non. » Ce qu'ils ont dit — et je vais les laisser parler pour eux-mêmes — c'est que le problème qu'ils perçoivent est plus large et concerne le programme du gouvernement dans son ensemble. Je ne commenterai pas cela. Mon travail consiste à appliquer la loi telle qu'elle est.

Les éléments de la feuille de route sont des composantes essentielles d'une organisation correctionnelle efficace : un milieu sécuritaire pour les détenus et le personnel; un fournisseur de programmes, d'interventions, de formations et de possibilités en matière de perfectionnement des compétences liées à l'emploi; un endroit où les délinquants ont des responsabilités et sont tenus responsables, et où les responsables de l'organisation ont eux aussi des responsabilités et sont tenus responsables de l'application de la loi; une infrastructure viable, qui appuie le mandat; et une organisation qui fournit des services correctionnels communautaires efficaces et de qualité. Pour répondre plus clairement à votre question, sénateur, la réponse est oui. Je crois que le cadre de travail de la feuille de route est solide.

Le président : Nous avons écoulé tout le temps dont nous disposions avec ce groupe de témoins. Au nom des membres du comité, je remercie M. Head, M. Cenaiko et leurs collègues. Vous nous avez beaucoup aidés, et nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-10 et, en particulier, les parties 2 et 3, qui portent sur les condamnations avec sursis, la libération conditionnelle et la réhabilitation. Il s'agit de notre deuxième groupe de témoins de ce matin. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Howard Sapers, enquêteur correctionnel, et Marie-France Kingsley, directrice des enquêtes, du Bureau de l'enquêteur correctionnel Canada.

Monsieur Sapers, je crois que vous avez une déclaration préliminaire?

Howard Sapers, enquêteur correctionnel, Bureau de l'enquêteur correctionnel Canada : Oui. Merci. Je vais essayer d'être bref. Je suis reconnaissant de cette occasion de comparaître devant le comité aujourd'hui.

Je suis conscient que le temps presse et que les témoins sont nombreux. Comme vous le savez, le projet de loi est très vaste et complexe. J'essayerai donc de m'en tenir aux dispositions du projet de loi qui ont une incidence directe sur le travail de mon bureau, c'est-à-dire sur la manière dont les peines sont administrées et les répercussions de cet état des choses sur les services correctionnels fédéraux.

Dans ce contexte, je demanderais ce matin aux sénateurs de se poser des questions importantes concernant l'objet et les principes des services correctionnels au Canada : qu'attendons-nous du système correctionnel canadien? Comment entendons-nous gérer les délinquants dans les pénitenciers fédéraux? Et quelle est l'incidence du langage juridique sur l'application des peines?

Avant de poursuivre, j'aimerais vous présenter Marie-France Kingsley, directrice des enquêtes, qui vous rappellera brièvement le rôle et les fonctions du Bureau de l'enquêteur correctionnel.

[Français]

Marie-France Kingsley, directrice des enquêtes, Bureau de l'enquêteur correctionnel Canada : Le Bureau de l'enquêteur correctionnel a été établi en 1973, pour agir comme ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale. Le bureau a pour mandat, conformément à la partie III de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, de mener des enquêtes sur les problèmes des délinquants sous responsabilité fédérale liés aux décisions, aux recommandations, aux actes ou aux omissions provenant du Service correctionnel du Canada.

Le bureau est un organisme de surveillance et non de défense des droits. Les employés du bureau ne prennent pas partie lorsqu'ils règlent des plaintes à l'endroit du service correctionnel. Ils mènent de manière indépendante des enquêtes sur les plaintes et veillent à ce que les délinquants sous responsabilité fédérale soient traités de manière équitable et en conformité avec le cadre législatif et les politiques.

En 2010, 2011, le bureau a reçu près de 6 000 plaintes et demandes de renseignements des délinquants, et a répondu à plus de 20 000 appels reçus sur la ligne sans frais. Ses employés ont passé 376 jours dans les pénitenciers, interrogés plus de 2 100 délinquants et se sont penchés sur plus de 1 265 incidents de recours à la force et plus de 100 cas de décès ou de blessures graves en établissement. Il s'agit là d'importantes réalisations pour un organisme qui compte en moyenne une trentaine d'employés à temps plein.

[Traduction]

M. Sapers : Au cours d'un témoignage antérieur devant le Comité de la justice de la Chambre des communes, j'ai soulevé trois points préoccupants. J'aimerais reprendre ces points rapidement et ajouter quelques remarques au sujet du rôle et de la situation des victimes au sein du processus correctionnel, des propositions visant à améliorer la responsabilisation des délinquants et de l'importance de se montrer clair et précis lorsqu'il est question de modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

En novembre 2011, j'ai soulevé comme premier point, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qu'il n'y a aucune raison convaincante de modifier le principe des mesures « le moins restrictives possible » dans la Loi ou de l'éliminer. Le projet de loi C-10 éliminera l'obligation pour le Service correctionnel du Canada d'utiliser la mesure la moins restrictive pour gérer le risque, proposant en remplacement une terminologie moins bien définie, à savoir les mesures qui sont « nécessaires et proportionnelles ».

Je m'inquiète des répercussions de ce changement et du message qu'il véhicule. Dans le contexte des services correctionnels, l'expression « le moins restrictives possible », qui a un sens très précis, est interprétée de manière uniforme. Pour les scénarios de recours à la force, le classement des détenus selon le niveau de sécurité, les placements pénitentiaires, les transfèrements des délinquants et les décisions en matière d'isolement, le Service correctionnel est tenu par la loi d'appliquer la solution la moins intrusive, celle qui porte le moins atteinte à la vie privée et aux droits des délinquants. Cette approche cadre avec les dispositions du Code criminel qui guident les juges dans la détermination des peines.

Dans le domaine correctionnel, un langage clair se traduit par des directives au personnel qui sont claires. L'ambiguïté sème la confusion et entraîne des lacunes sur le plan des responsabilités. Remplacer la notion de mesures « le moins restrictives possible » par des mesures « nécessaires et proportionnelles » dilue dans les faits la loi principale. Ce changement semble aller à l'encontre du maintien d'un système correctionnel juste, sécuritaire et responsable. Comme je l'ai indiqué au Comité de la justice, il sera plus difficile pour mon personnel d'enquête de déterminer si une mesure donnée était « nécessaire et proportionnelle » dans des circonstances où le personnel du Service correctionnel du Canada n'aura même pas envisagé la mesure « la moins restrictive possible ».

Dans le même esprit, je ne comprends pas bien les raisons des changements proposés aux articles 4 et 101 de la Loi selon lesquels il faut tenir compte de « la nature et de la gravité de l'infraction » dans l'exécution de la peine. Il est essentiel d'utiliser un langage explicite lorsqu'il s'agit de donner des directives aux autorités correctionnelles sur la façon d'exécuter la peine.

Il revient à l'appareil judiciaire, et non au Service correctionnel du Canada, de décider de la durée et de la sévérité de la peine d'emprisonnement. Dans une société libre et démocratique, la primauté du droit dicte que les personnes sont envoyées en prison en guise de châtiment tout en sachant que l'équité en matière de procédure et leurs droits seront protégés même derrière les barreaux. Pour être bien clair, je redoute que la modification proposée puisse mener à un abus de pouvoir. Il faut garder à l'esprit que les conditions de détention ne sont pas supposées ajouter des conséquences à la peine prononcée par le tribunal.

Je sais que le comité s'intéresse à la capacité du Service correctionnel du Canada de discipliner les délinquants et de maintenir le bon ordre dans les pénitenciers. Les chiffres qui suivent vous intéresseront donc : dans le cadre de la loi et des politiques actuelles, il y a eu plus de 31 000 accusations d'infractions disciplinaires mineures et majeures qui ont été déposées contre des délinquants pour des infractions comme la désobéissance à un ordre, la désobéissance à un règlement, un acte irrespectueux envers un membre du personnel et la perturbation.

Deuxièmement, même si la population des délinquants sous responsabilité fédérale n'a pas augmenté autant qu'on l'avait prévu, le système fait face à de graves problèmes de capacité qui vont au-delà de la disponibilité des cellules. Le Service correctionnel est de moins en moins en mesure de transférer les délinquants dans des établissements de niveau inférieur, de leur offrir des programmes et de les préparer à réintégrer en temps opportun et sans heurts la collectivité, ce qui a une incidence sur les taux d'octroi de la semi-liberté et de la libération conditionnelle totale, qui n'ont jamais été aussi faibles. Les détenus passent de plus en plus de temps dans leur cellule parce que l'on impose plus souvent l'isolement cellulaire dans les établissements, parce que l'on multiplie les fouilles exceptionnelles et parce que l'on change la routine des détenus. De 2008-2009 à 2010-2011, le Service correctionnel a constaté une augmentation de 38 p. 100 des cas d'isolement cellulaire généralisé attribuable à des fouilles exceptionnelles. Les détenus incompatibles, l'influence des gangs, les drogues, la violence, la surpopulation, l'agitation et la victimisation sont des sources croissantes de préoccupation. Un nombre accru de délinquants sont placés à long terme dans des cellules d'isolement conçues pour détenir à court terme des détenus à risque élevé. Une pratique récente, soit la double occupation des cellules d'isolement, est particulièrement troublante, les détenus étant enfermés ensemble dans une cellule étroite 23 heures par jour.

De février 2009 à aujourd'hui, le nombre de détenus sous responsabilité fédérale a augmenté de 1 100, ou un peu plus de 8 p. 100, ce qui équivaut à au moins deux grands établissements à sécurité moyenne.

Nous avons atteint un point sans précédent dans l'histoire des services correctionnels du Canada. Étant donné que les réformes législatives entraînent une augmentation de la population carcérale, il faut construire de nouvelles installations et en rénover d'autres. Le SCC prévoit ajouter ou rénover 2 700 cellules dans plus de 30 établissements existants, ce qui représente un coût de 600 millions de dollars au cours des deux ou trois prochaines années. Une fois ces cellules construites, il coûtera en moyenne près de 110 000 $ par année pour y incarcérer un détenu de sexe masculin. Le budget total du Service dépassera, pour la première fois, le cap des 3 milliards de dollars et le budget des opérations de la GRC.

En date de janvier 2012, 15,64 p. 100 des détenus étaient logés dans des cellules conçues pour un seul détenu, ce qui représente une augmentation de plus de 50 p. 100 dans les cinq dernières années. Plus les prisons seront surpeuplées, plus il sera difficile et coûteux d'en arriver à une solution tout en aidant les délinquants à vivre comme des citoyens respectueux des lois à leur mise en liberté.

En plus des statistiques et des coûts, les parlementaires devraient s'inquiéter des catégories de personnes qui se retrouvent en prison. Le profil des détenus évolue. Les détenus sont plus vieux, ils ont plus de problèmes de toxicomanie et sont plus souvent atteints de troubles de santé mentale. De plus en plus de membres des minorités visibles, d'Autochtones et de femmes sont admis dans les pénitenciers fédéraux. Un détenu sous responsabilité fédérale sur cinq est âgé de 50 ans ou plus. À l'admission, 36 p. 100 des délinquants ont besoin de services psychologiques ou psychiatriques ou d'un suivi quelconque. Soixante-trois pour cent des délinquants signalent qu'ils ont consommé de l'alcool ou des drogues le jour où ils ont commis l'infraction à l'origine de leur peine. Vingt pour cent des détenus sont d'origine autochtone, et 9 p. 100, des Canadiens de race noire.

Étant donné ce profil changeant et complexe, les pressions en vue d'assurer un logement et une garde sécuritaires, de répondre aux besoins croissants en matière de soins de santé mentale et physique et de tenir compte des besoins spéciaux des délinquants âgés, autochtones ou membres de minorités visibles se multiplient et s'intensifient.

Permettez-moi de faire deux dernières observations. En ce qui concerne le rôle des victimes, j'estime qu'il est important de reconnaître les besoins des victimes et que celles-ci devraient participer, être représentées et être entendues tout au long du processus correctionnel.

Cependant, accroître les droits des victimes n'est pas un exercice consistant à mettre les droits d'un groupe en premier ou de les opposer aux droits d'un autre groupe. Les droits des victimes, ceux des délinquants et même ceux du personnel correctionnel n'ont pas à être « équilibrés » les uns par rapport aux autres. Les droits garantis par la Constitution et d'autres lois nous visent tous également.

Les délinquants n'ont pas des « droits spéciaux » — la Charte s'applique à tous les Canadiens, y compris les citoyens temporairement privés de leur liberté parce qu'ils sont incarcérés.

Adoptée en 1992, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s'inspire de plus de 175 ans d'expérience en matière de services correctionnels fédéraux. Les principes qui y sont énoncés, comme l'importance de la sécurité publique, la notion que les délinquants conservent leurs droits et qu'ils n'y renoncent pas derrière les barreaux et le concept des mesures « le moins restrictives possible », reposent sur des dispositions de la Charte et une jurisprudence de longue date en matière de droit carcéral. Cette loi traduit les plus précieuses traditions touchant les valeurs et les croyances canadiennes. Elle contribue et veille effectivement à ce que le Canada soit l'un des pays les plus sécuritaires dans le monde.

Comme toute autre loi, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition peut certes être améliorée. Il est normal que nous nous attendions à ce que les délinquants soient tenus responsables de leur crime et à ce que les victimes puissent sentir qu'elles ont le pouvoir d'agir et de participer. Ces objectifs ne sont pas distincts ou mutuellement exclusifs.

Le projet de loi C-10 prévoit un certain nombre de mesures visant de manière particulière à s'assurer que les délinquants respectent leur plan correctionnel. Il comporte également des dispositions pour accroître la participation des victimes au processus de libération conditionnelle et améliorer la communication d'information aux victimes.

Mon bureau appuie l'esprit de ces dispositions. Mises ensemble, ces mesures devraient contribuer à renforcer la confiance du public à l'égard du système correctionnel.

Je suis conscient que la responsabilisation et la transparence sont à la base de services correctionnels efficaces. La sécurité publique est accrue lorsque tous les individus visés par les services correctionnels sont tenus responsables de leurs actes. Cela dit, tenir les délinquants responsables des progrès effectués par rapport à leur plan correctionnel va dans les deux sens.

Le bureau a recommandé à maintes reprises d'améliorer les services et les programmes adaptés au profil changeant de la population, plus particulièrement en ce qui a trait à la santé mentale, et d'en accroître l'accès pour assurer la réinsertion sociale en temps opportun et en toute sécurité. Il serait injuste de reprocher à un délinquant de ne pas avoir atteint les objectifs énoncés dans son plan correctionnel si ce dernier n'a pas accès à des programmes ou à des interventions.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples de ce à quoi je fais allusion. Le 1er février, j'ai recueilli et analysé les données sur la participation des détenus aux programmes. J'ai constaté, par exemple, que, au pénitencier de Kingston, qui compte actuellement 356 détenus, il n'y avait que 47 détenus qui participaient à un programme correctionnel de base. Pourtant, la liste d'attente comportait 177 noms.

Le même jour, à l'établissement Bowden, en Alberta, il y avait 579 détenus incarcérés, dont 102 — moins de 20 p. 100 — participaient à un programme correctionnel de base. La liste d'attente de cet établissement comptait 163 noms. À l'établissement de Collins Bay, qui loge 466 délinquants, moins de 10 p. 100 de ces derniers — 42 personnes — participaient à un programme correctionnel de base, alors que près de 180 noms figuraient sur la liste d'attente.

Plus tôt, il y a eu une discussion sur les mesures incitatives pour la participation aux programmes. Je voudrais vous rassurer. Des mesures incitatives très efficaces existent actuellement, comme une évaluation positive en vue de la mise en liberté sous condition, une augmentation des allocations versées pour la participation et l'achèvement d'un programme, la réévaluation à la baisse de la cote de sécurité, et l'accès à des permissions de sortir avec et sans escorte.

En résumé, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition précise comment le Service correctionnel doit assurer la garde et le soin des délinquants, quel est le but de l'incarcération et comment les peines sont exécutées. Il n'est que juste et équitable que l'appareil judiciaire détermine la peine. La Commission des libérations conditionnelles du Canada et les autorités correctionnelles ont pour rôle d'administrer les peines imposées par les tribunaux tout en respectant les exigences prévues dans la loi et les politiques.

Je remercie les membres du comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Sapers. Nous allons passer aux questions, en commençant par le vice-président, le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Monsieur Sapers, les statistiques relatives aux listes d'attente sont stupéfiantes. Les dispositions proposées enchâssent dans la loi les exigences d'un plan correctionnel et font des progrès accomplis relativement à ce plan une composante officielle de l'examen de la Commission des libérations conditionnelles, mais les programmes ne sont pas disponibles. Souvent, les interventions en santé mentale requises ne le sont pas non plus. Qu'est-ce qui en adviendra? Il me semble qu'il y a deux possibilités : soit il y aura un nivellement par le bas en ce qui concerne les plans correctionnels; soit il y aura une diminution continue du nombre de libérations conditionnelles octroyées. Est-ce que j'ai oublié des possibilités? Avez-vous des prévisions?

M. Sapers : Il a toujours été difficile pour le Service correctionnel du Canada de créer, puis de maintenir la capacité nécessaire pour répondre à la demande en matière de programmes correctionnels. Selon mon expérience, la majorité des délinquants préfèrent ne pas rester dans leur cellule à rien faire. En fait, c'est tout le contraire.

Le plus dur, lorsqu'on est incarcéré, c'est de ne rien faire. Les délinquants choisissent souvent de participer à quelque chose. Comme je l'ai dit, il y a tout un éventail de mesures incitatives qui existent actuellement. Le problème, c'est l'infrastructure, les difficultés liées à la capacité de recruter du personnel et de le maintenir en poste, le surpeuplement et la complexité de la gestion de ce genre de population.

À l'établissement à sécurité maximale d'Edmonton, par exemple, il y a, tous les jours, un peu moins de 300 détenus. Compte tenu des défis particuliers liés à ces populations, si, un jour ou l'autre, nous constations que plus de 10 délinquants participaient à un programme correctionnel de base, nous serions surpris.

Comme je l'ai dit, les taux d'octroi de la semi-liberté et de la libération conditionnelle totale n'ont jamais été aussi bas. La majorité des délinquants sont mis en liberté au moment de leur libération d'office ou à l'expiration du mandat. Cela n'est pas avantageux pour la sécurité publique ni efficace du point de vue correctionnel.

Il y a actuellement une obligation positive de suivre le plan correctionnel. Chaque délinquant a déjà un plan correctionnel, sans le projet de loi C-10, et les programmes prescrits doivent être disponibles. Comme je l'ai dit, la demande relative aux programmes et la capacité du Service de fournir ces programmes ne concordent pas.

Le sénateur Fraser : D'un point de vue réaliste, devons-nous nous attendre à une réduction additionnelle des taux d'octroi de la semi-liberté?

M. Sapers : Je ne prévois pas d'augmentation importante des évaluations positives ou des décisions de mise en liberté rendues par la Commission.

Le sénateur Runciman : Je comprends les préoccupations que vous avez soulignées, mais je voulais profiter de l'occasion pour discuter d'une modification qui, selon moi, est très importante. L'article 54 du projet de loi C-10 modifie l'article 4 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Ce dernier porte sur les principes qui guident le Service correctionnel. Il indique que le service doit répondre aux besoins propres aux personnes exigeant des soins de santé mentale. J'aimerais bien entendre votre avis à ce sujet, et savoir dans quelle mesure il s'agit d'un défi important dans tout le système et comment le Service correctionnel du Canada peut arriver à respecter ce qui est clairement un objectif louable établi dans ses principes.

M. Sapers : Merci, sénateur. En fait, c'est à l'alinéa g) de la modification proposée relativement à l'article 4 de la Loi que l'on souligne, pour la première fois, que le Service devra répondre aux besoins des personnes qui requièrent des soins de santé mentale. Il s'agit d'une modification positive des principes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

D'aucuns diront que cette obligation positive est déjà imposée au service dans le cadre d'autres exigences prévues par la loi et qu'il répond à tous les besoins essentiels en matière de santé mentale des délinquants qui purgent une de ressort fédéral. La vérité, c'est que nous savons que les besoins en matière de soins de santé mentale ne sont pas tous comblés. Le service a déjà du mal à remplir cette obligation.

Le simple fait de changer la section sur les principes ne créera pas la capacité nécessaire pour que le service réponde à ces besoins. Le service n'a toujours pas financé, dans son intégralité, son programme de soins intermédiaires. Il a tardé à adopter des modèles de prestation de service de rechange, particulièrement par le truchement d'accords de réciprocité avec les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Le service a toujours de la difficulté à recruter une équipe de fournisseurs de soins de santé et à la maintenir en poste. Nous n'avons toujours pas d'unités de soins de santé régionales pour les délinquants qui ont un comportement d'automutilation chronique. Ces délinquants ne peuvent être traités que dans un seul établissement à l'échelle nationale. Les seules places pour les femmes qui purgent une peine de ressort fédéral et qui sont atteintes d'un trouble de santé mentale grave ou aigu se trouvent dans une unité à Saskatoon qui accueille, mis à part ces femmes, des délinquants de sexe masculin, alors des femmes de partout au pays sont obligées de se rendre là-bas pour bénéficier de ce service.

Même si le changement relatif aux principes est positif, il ne créera pas, en soi, la capacité nécessaire.

Le sénateur Runciman : Nous avons reçu M. Head ici, plus tôt, et j'ai parlé de ce que je considère, à tort ou à raison comme une inertie organisationnelle à cet égard parce que nous entendons toutes sortes de belles paroles depuis longtemps.

Quel genre d'expérience avez-vous eue? Je sais que vous avez manifesté votre préoccupation concernant ce problème dans rapport après rapport. Qu'avez-vous vu? Vous avez décrit certains des défis, et plus particulièrement la diversification des modes de prestation de services. Nous pouvons mentionner toutes sortes de défis ici, comme le ratio de fournisseurs de soins de santé par rapport au personnel correctionnel et tous ces autres problèmes, mais, plus tôt aujourd'hui, j'ai exprimé ma frustration au sujet du fait que, si l'on accomplit quelque chose dans ce domaine, c'est à pas de tortue. Quelle a été votre expérience à cet égard?

M. Sapers : Je suppose que je peux dire que la bonne nouvelle, c'est que les choses bougent. Nous avons, en fait, vu de nouveaux fonds être consentis. Il y a maintenant une stratégie bien définie de santé mentale en établissement et dans la collectivité. Nous avons une unité de soins complets pour les besoins complexes, qui accueille les délinquants ayant un comportement d'automutilation chronique. Ce sont des changements positifs.

Toutefois, la vraie question, je suppose, est celle de savoir comment nous devons composer avec le fait que les prisons ne sont pas des hôpitaux malgré le fait que certains délinquants sont des patients. Nous devons composer avec le fait qu'il y a des gens atteints de maladies chroniques et graves en prison. Certains accuseront les organisations d'application de la loi en disant qu'une autre décision aurait dû être prise au moment de l'intervention; d'autres accuseront les tribunaux en disant qu'ils auraient dû rendre une autre décision lorsque ces personnes malades ont comparu devant eux.

Le fait est qu'il existe deux situations : il y a des personnes atteintes de maladies chroniques qui finissent en prison et il y a des personnes qui tombent malades lorsqu'elles sont incarcérées. Le Service correctionnel du Canada aura toujours un rôle important à jouer dans la prestation de ces services.

Il faut toutefois qu'ils reconnaissent que, dans le cas des délinquants qui purgent une peine de ressort fédéral, il est parfois nécessaire de répondre aux besoins en matière de santé mentale avant de s'attaquer aux objectifs correctionnels. Cela suppose de faire sortir ces gens des cellules d'isolement et des établissements à sécurité maximale pour les faire entrer dans des milieux plus thérapeutiques et axés sur la santé.

Le sénateur Cowan : J'ai une autre question concernant ce problème. Les statistiques que vous avez citées aujourd'hui concernant le pourcentage de personnes qui suivent un traitement sont stupéfiantes. Avez-vous remarqué une amélioration dans ces statistiques au cours des trois ou quatre dernières années?

M. Sapers : Les chiffres que j'ai mentionnés concernaient les délinquants qui participaient à des programmes correctionnels de base et non ceux qui suivaient un traitement avec des spécialistes de la santé mentale. Je voulais seulement faire cette distinction.

Le sénateur Cowan : Les chiffres à cet égard seraient encore moins élevés.

M. Sapers : Oui, et cela a beaucoup à voir, comme je l'ai dit, avec la capacité. Il y a 148 places au Centre psychiatrique régional situé dans le pénitencier de Kingston, en Ontario. Ce centre accueille certains des délinquants qui souffrent des troubles mentaux les plus aigus dans le système canadien. Non seulement son psychiatre et ses cinq psychologues à temps plein doivent fournir les traitements, mais le psychiatre doit renouveler les ordonnances, et les psychologues, réaliser les évaluations du risque. Je pense qu'il est facile de comprendre le défi que représentent cette situation et l'énormité de la charge de travail de ces professionnels de la santé.

J'espère de tout mon cœur que vous n'allez pas croire que mes commentaires reflètent un manque de respect à l'égard du dur travail qui est fait.

Le sénateur Cowan : Non. Ce n'est pas du tout ce que je pensais. Ce qui me préoccupe, et je crois que nous partageons tous cette crainte, c'est que les mesures qui entreront en vigueur avec ce projet de loi mèneront clairement à un accroissement de la population carcérale. Qu'il s'agisse d'une bonne ou d'une mauvaise chose, cela n'a pas d'importance pour le moment. Le fait est qu'il y aura plus de citoyens canadiens dans nos prisons pour de plus longues périodes.

M. Sapers : Oui.

Le sénateur Cowan : Les statistiques que vous avez citées montrent que le profil démographique de cette population carcérale a évolué au cours des dernières années et continue de le faire. Plus tôt, M. Head a parlé de la feuille de route, et il a affirmé qu'il s'agissait d'une bonne base pour les politiques en matière de services correctionnels et que les plans de transformation du SCC se fondent sur elle. Toutefois, si vous acceptez ce postulat — et ce n'est peut-être pas le cas — et selon lequel la feuille de route est la bonne base, et le plan de transformation, le bon plan pour l'avenir, il demeure que, irréfutablement, le Service ne semble pas en mesure de recruter et de maintenir en poste un nombre suffisant de professionnels de la santé pour gérer la situation actuelle, qui ne fera que s'aggraver.

S'agit-il seulement d'une question d'argent? Y a-t-il un changement essentiel qu'il faudrait apporter à l'approche adoptée? Comment changer les choses?

M. Sapers : Cela est lié, d'une certaine manière, au point que j'ai souligné sur les mesures les moins restrictives possible. Je vais vous donner un exemple.

Actuellement, lorsque l'on a affaire à un délinquant suicidaire, ce dernier peut révéler ses idées de suicide à un psychologue, qui peut en prendre note. Cette information peut être communiquée, de manière limitée, au personnel de la sécurité, et on peut décider de placer ce délinquant dans une cellule d'observation, d'augmenter la fréquence des visites et des patrouilles. On peut même procéder à une observation directe au moyen d'une caméra ou assurer une surveillance, 24 heures sur 24, à l'extérieur de la porte de la cellule. De plus, ce délinquant peut voir son accès à des effets personnels dans la cellule réduit et se faire attribuer des vêtements spéciaux, selon le niveau de risque qu'il présente relativement à l'automutilation ou au suicide. Toutefois, toutes ces mesures sont fondées non seulement sur des principes médicaux ou éthiques concernant la manière d'intervenir auprès d'une personne qui exprime des idées suicidaires, mais également sur la notion de mesures les moins restrictives possible. Autrement dit, on ne peut pas jeter le délinquant dans une cellule, le ligoter au moyen du système de contraintes PINEL, puis s'en aller. Ces mesures ne seraient pas les moins restrictives possible.

Le problème, c'est la manière dont ces principes sont opérationnalisés en vue de répondre aux besoins de plus en plus nombreux. Plus l'on rend un milieu dur parce qu'il s'agit d'un centre correctionnel, plus l'on nuit à la capacité de ce milieu d'être thérapeutique dans les cas où il doit l'être. Cet écart grandit, et il devient très difficile pour le personnel correctionnel de le combler. Les agents correctionnels doivent-ils jouer le rôle de gardiens ou de travailleurs sociaux psychiatriques? De quelle formation, de quel soutien et de quel appui bénéficient-ils?

Tout cela est lié à la capacité supplémentaire. Cette dernière ne se limite pas à la construction de cellules additionnelles ou à la rénovation des vieilles cellules; il est également question de l'appui fourni au personnel. Comment l'infrastructure physique est-elle conçue? Consent-on autant de fonds au renforcement de la capacité en matière de programmes et à l'accroissement des espaces thérapeutiques?

Le sénateur Cowan : C'est ce que le sénateur Runciman a souligné à de nombreuses reprises. Il est question non seulement du délinquant, même si cela est évidemment important, mais également de la sécurité du personnel. En ce qui concerne la sécurité publique, qui est la question dont nous traitons ici, à un moment donné, ces personnes seront mises en liberté dans les collectivités. Si elles n'ont pas reçu un traitement et des soins appropriés durant leur incarcération, notre situation, en tant que citoyens et en tant que collectivités, sera pire à leur mise en liberté.

Le président : Est-ce que c'est une question ou un commentaire?

Le sénateur Cowan : C'était une question visant à susciter un commentaire.

M. Sapers : L'objectif des services correctionnels est, bien sûr, de préparer les gens à leur mise en liberté. L'objectif des services correctionnels n'est pas de faire de ces personnes de bons détenus. On devrait toujours viser la libération et la réinsertion sociale la plus rapide, la plus sécuritaire et la plus opportune possible. Cela s'applique aussi aux personnes qui ont des problèmes de santé mentale.

Le sénateur Cowan : Le projet de loi que nous étudions vise à améliorer la sécurité. Il met l'accent sur la sécurité publique. À mon avis, il y a incompatibilité.

M. Sapers : C'est ça. Les pratiques correctionnelles efficaces favorisent la sécurité publique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens d'abord à vous féliciter pour la façon dont vous défendez la qualité de vie des gens incarcérés au Canada. Vous faites un très bon travail.

Il faut admettre qu'il y a un certain nombre de criminels incarcérés pour qui entamer un processus de réhabilitation ne fait pas partie du tout de leur processus de réflexion. De penser que 100 p. 100 des criminels vont tenter de se réhabiliter, je crois que c'est tout à fait utopique.

On sait que, selon les données que nous avons — et qui sont peut-être contestables —, il y a un taux de consommation de drogue en prison de 80 p. 100. On sait aussi qu'il y a deux grandes barrières pour ce qui est d'entamer un processus de réhabilitation : l'indiscipline et la consommation de drogue. Je pense que même lorsqu'on élève nos enfants, s'ils sont indisciplinés et qu'ils consomment de la drogue, on n'en fera pas des adultes très forts.

Monsieur Sapers, vous semblez vous opposer à un contrôle plus grand de la consommation de drogue dans les prisons, alors que c'est un fléau admis par tout le monde. J'ai ici un jugement de la cour où on peut lire qu'un criminel est allé jusqu'à la Cour fédérale pour contester la prise de sang sur lui-même.

On peut donc voir que c'est un fléau très important. J'aimerais savoir où vous vous situez par rapport à ce type de contrôle sur des criminels qui consomment et sur le fait que la consommation est un frein direct à leur réhabilitation? Parce qu'avoir cette position, c'est d'admettre que l'on ne rehaussera pas le taux de réhabilitation dans les pénitenciers.

[Traduction]

M. Sapers : Merci de reconnaître le travail accompli par les hommes et les femmes de mon bureau. Leur tâche est très difficile.

J'ai du mal à trouver une réponse à votre question parce que je ne me souviens pas de m'être opposé à la lutte contre les drogues interdites dans les prisons. En fait, c'est tout le contraire. Ce dont j'ai parlé, c'est de la nécessité d'adopter une approche équilibrée. L'équilibre, c'est un tabouret à trois pattes. Il faut qu'il y ait des interceptions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je parlais d'un contrôle sur le criminel, et non pas nécessairement du contrôle de l'entrée des drogues via les guérites. Je parle d'un contrôle sur la personne même du criminel, à savoir s'il a consommé ou non.

[Traduction]

M. Sapers : Les trois pattes du tabouret sont l'interception, l'application de la loi et le traitement. Dans le cadre de l'application de la loi, il y a les tests d'urine, le dépistage et ce genre de choses. Le nombre de saisies de drogues interdites a augmenté. Toutefois, il n'y a pas eu augmentation de la capacité de traitement du service. En fait, l'exercice dernier, il y a eu réduction des fonds consacrés aux programmes de traitement des dépendances pour les délinquants sous responsabilité fédérale. Malgré un accroissement des dépenses liées aux tests d'urine et une plus grande importance accordée à l'utilisation d'outils, comme les chiens détecteurs de drogues et les tests d'urine, les résultats réels relatifs à la présence de drogues n'ont pas changé. On a déployé plus d'efforts dans les domaines de l'interception et pour procéder à des saisies de drogues interdites; plus d'efforts pour le dépistage, mais moins de ressources ont été mobilisées pour le traitement.

Lorsque nous avons demandé au Service correctionnel de nous fournir des renseignements de base — c'est-à-dire sur la consommation de drogues interdites dans les établissements, sur le nombre d'hommes et de femmes qui commencent à consommer des drogues injectables, par exemple, durant leur incarcération — nous avons constaté qu'il n'a pas vraiment les réponses à ces questions. Il est difficile d'évaluer l'efficacité des programmes compte tenu de la mauvaise qualité des données de base.

Le sénateur Baker : J'ai une seule question. Heureusement, le président ne m'accorde pas deux questions parce que nous serions probablement ici toute la journée.

Tout d'abord, j'aimerais vous féliciter, madame Kingsley et vous, pour le bon travail que vous faites. Monsieur Sapers, la partie la plus frustrante de notre travail, en tant que sénateurs, lorsque nous examinons un projet de loi et écoutons des témoins, consiste peut-être à entendre des témoins affirmer une chose qu'ils croient être vraie, mais qui ne l'est pas. Toutefois, on ne peut pas les interrompre pour souligner que ce qu'ils croient n'est pas vrai.

En ce qui concerne toutes les peines qui seront imposées aux termes de ce projet de loi, à savoir les peines minimales obligatoires de un an ou de 18 mois, ou toute autre peine, une personne qui est incarcérée ne purge pas toute sa peine dans l'établissement. J'aimerais que vous vérifiiez ce qui suit. Si ce n'est pas possible, alors tant pis, mais j'imagine que vous vous y connaissez à ce sujet même s'il s'agit de lois provinciales. Aux termes des lois fédérales, les provinces ont le droit d'adopter leurs propres lois. Prenons Terre-Neuve comme exemple. Un délinquant qui est incarcéré dans un établissement provincial bénéficie d'une réduction méritée de sa peine. Autrement dit, s'il écope d'une peine de 18 mois, après 12 mois, sa peine est automatiquement réduite à 12 mois, s'il a été sage. Est-ce que ma description générale de la situation est bonne?

M. Sapers : À Terre-Neuve, par exemple, la loi provinciale permet une réduction méritée de un jour pour chaque période de trois jours passée en prison. S'il s'agit d'une peine de 90 jours et que le délinquant suit les règles et la routine de l'établissement, après 60 jours, le directeur peut ordonner que le reste de la peine soit purgé dans la collectivité.

Le sénateur Baker : Je croyais que c'était une réduction de un jour pour chaque période de deux jours. Il demeure que, quelles que soient les lois que nous adoptions ici, lorsqu'une personne arrive dans un établissement à St. John's, à Terre- Neuve, qu'il s'agisse de Her Majesty's Penitentiary ou de tout autre pénitencier provincial, la durée de la peine à purger dépend en de la loi applicable dans ce pénitencier. C'est cette loi que l'on applique. La loi que nous allons adopter ici ne supplante pas les lois provinciales en ce qui concerne la durée de la peine à purger. Lorsque le juge rend sa décision et dit : « Je vous condamne à 18 mois de prison » et que la personne intègre un établissement provincial, elle est visée par les règles établies là-bas, qui, dans le cas que j'ai mentionné, prévoient une réduction méritée de la peine.

M. Sapers : C'est exact. Il y a des dispositions sur la mise en liberté sous condition, bien sûr.

Le sénateur Baker : Cela aussi, oui.

M. Sapers : Elles visent les délinquants purgeant une peine fédérale de plus de deux ans. Il y a des périodes d'admissibilité pour les demandes de semi-liberté et de libération conditionnelle totale. Les calculs liés à cette admissibilité sont de plus en plus complexes. En fait, aux termes des décisions de la Commission des libérations conditionnelles, la plupart des délinquants sont mis en liberté en vertu d'une réduction légale de peine plutôt que dans le cadre d'une mise en liberté sous condition.

Le sénateur Baker : Je voulais surtout souligner que nous ne devons pas donner l'impression que les peines imposées sont celles qui seront purgées. Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en jeu lorsqu'une personne est incarcérée.

Merci beaucoup.

Le président : Je suis heureux que vous ayez clarifié cela.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos témoins d'être ici. Monsieur Sapers, vous avez dit que les détenus passaient beaucoup de temps dans leur cellule. Évidemment, il faut croire en leur réhabilitation et penser à leur bien-être. Vous dites qu'ils ont posé des gestes graves, mais que souvent ces actes avaient été posés sous l'effet de l'alcool, de la drogue ou d'une maladie mentale et qu'ils ont besoin de soins.

Vous avez dis en ce qui concerne les victimes qu'il ne fallait pas nécessairement les mettre en position de confrontation avec les détenus. On a beaucoup parlé des droits des détenus.

Que pensez-vous du projet de loi C-10 en regard des peines minimales et autres?

[Traduction]

M. Sapers : Je suis désolé, sénateur. Je ne comprends pas votre question. Voulez-vous mon avis général sur les peines minimales obligatoires?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous dites que les détenus sont laissés pour compte mais je ne vous ai pas beaucoup entendu parler des victimes. La seule chose que vous avez dite à leur sujet est que l'on ne doit pas confronter les deux groupes.

Trouvez-vous que le projet de loi C-10 serait trop sévère pour les détenus? Est-ce ce que vous voulez dire?

[Traduction]

M. Sapers : Ma déclaration préliminaire fait état de mes préoccupations concernant le projet de loi C-10. Chaque fois que nous modifions les principes d'un texte législatif, cela me préoccupe. À mon avis, le fait de retirer les mots « les moins restrictives », par exemple, revient à détruire l'un des murs porteurs d'une structure. Il s'agit d'un principe très important relatif à la manière dont nous nous comportons dans le système de justice pénale.

Ce qui me préoccupe, ce n'est pas le fait que les délinquants seront davantage tenus responsables, que les agents correctionnels auront plus d'options en ce qui concerne l'imposition de mesures disciplinaires ou que les besoins particuliers des délinquants atteints de troubles mentaux seront maintenant reconnus. Ces choses ne sont pas celles qui me préoccupent.

En toute franchise, mon mandat ne me permet pas de commenter directement les peines minimales obligatoires. L'adoption de cette politique est une décision prise par le gouvernement. Ce qui me préoccupe, c'est la capacité du système correctionnel de s'adapter à cette nouvelle loi et à cette nouvelle politique. Je me suis dit très préoccupé par la capacité actuelle du Service correctionnel, et les pressions additionnelles que subira le Service à l'adoption de cette nouvelle loi ne font que redoubler mes inquiétudes. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Jaffer : J'ai trouvé votre exposé très intéressant, mais également très troublant. Je pense que je me souviendrai toujours de ce que vous avez dit, à savoir que les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais que certains délinquants sont des patients. Je me préoccupe beaucoup du sort des gens qui sont atteints de troubles mentaux, et je parle non pas de ceux qui sont acquittés pour cause d'aliénation mentale, mais bien de ceux qui sont incarcérés et qui souffrent de divers troubles mentaux. Savez-vous quel pourcentage de prisonniers souffrent de troubles mentaux?

M. Sapers : Les estimations sont variées. Plus tôt, le commissaire a parlé d'une proportion de 13 p. 100 chez les hommes et de 29 p. 100 chez les femmes. Nous savons que le processus informatisé de dépistage a permis de placer de 35 à 40 p. 100 des délinquants, environ, dans la catégorie des détenus devant faire l'objet d'une évaluation de suivi. Nous savons également que le processus donne parfois des résultats faussement positifs. Autrement dit, si nous soupçonnons qu'un délinquant a peut-être un problème, nous effectuons un suivi, et notre soupçon est soit confirmé, soit réfuté.

Nous avons vu les chiffres augmenter. Nous savons qu'il y a environ de 600 à 650 places des soins aigus dans les cinq centres psychiatriques régionaux administrés par le Service correctionnel du Canada. Nous savons que ces places sont toutes occupées. Aucune n'est libre. Nous savons que la demande pour ce genre de places est forte.

Je pense que l'on peut affirmer sans trop s'avancer que les chiffres que le commissaire a indiqués au comité, à savoir les proportions de 13 et 29 p. 100, sont raisonnables. Selon mon expérience, il s'agirait peut-être d'une sous-estimation légère, particulièrement en ce qui concerne les délinquants de sexe masculin. Parmi la population de 15 000 hommes et femmes qui sont aujourd'hui sous détention, environ 5 000, au moins, devront faire l'objet d'une évaluation de suivi.

Le sénateur Jaffer : Vous avez parlé des femmes. J'avais l'habitude de me rendre à Prince Albert et à Kingston pour visiter les prisons pour femmes là-bas, puis celles pour hommes. Je constatais toujours une différence considérable entre les prisons et les services offerts aux deux sexes. Les femmes ne recevaient pas les mêmes services éducatifs. Le plus grave dans cette situation, c'est lorsque l'on doit transférer une délinquante dans le seul établissement où il y a des services de santé mentale et qu'elle est éloignée de ses enfants et de sa famille. Qu'advient-il de ces enfants? Je sais que vous n'y êtes pour rien, mais les femmes ont des besoins spéciaux à cet égard, et on ne répond pas à ces besoins quand on éloigne une prisonnière de sa collectivité, surtout lorsqu'elle a des enfants.

M. Sapers : Les femmes ont des besoins spéciaux. C'est indéniable. Le Service correctionnel du Canada le reconnaît. Il faut lui donner du crédit, car il a créé cette capacité. Il y a l'unité Churchill du Centre psychiatrique régional, à Saskatoon. Il a renforcé cette capacité, pourvu cette unité en personnel et fourni des formations spéciales. C'est une bonne chose. La difficulté, bien sûr, réside dans les chiffres et les économies d'échelle. S'il y a une délinquante qui a des besoins importants à l'extérieur de Halifax, quelques-unes à l'établissement Grand Valley, à l'extérieur de Kitchener, et une autre à l'établissement d'Edmonton pour femmes, comment peut-on leur fournir des programmes?

Je pensais justement à cette population lorsque j'ai répondu à la question du sénateur Runciman en parlant des différents modes de prestation de services. Le Service correctionnel du Canada est tenu par la loi de garantir que l'on répond aux besoins en matière de santé mentale de tous les délinquants, mais il n'est pas tenu par la loi de fournir ces services. Il est donc possible d'explorer, comme je l'ai dit, d'autres modèles de prestation de services, d'examiner ce que font les gouvernements provinciaux et territoriaux, et de déterminer les capacités qui existent dans ce domaine et les possibilités de collaboration afin que le Service ne soit pas forcé de rassembler toutes ces femmes en un seul endroit. Il est possible de trouver un éventail d'options mieux adaptées aux besoins particuliers de ces femmes.

Le sénateur Jaffer : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez indiqué que 9 p. 100 des détenus environ sont des Canadiens de race noire. Nous nous préoccupons avec raison de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons, et tristement, le nombre de Canadiens de race noire augmente lui aussi. La plupart des services dont ils ont besoin sont les mêmes que pour tous les Canadiens, mais il y a également des services particuliers liés au racisme et à d'autres besoins qu'ils pourraient avoir. De tels services sont-ils offerts?

M. Sapers : Nous sommes en train de réaliser un examen systémique de la capacité du Service correctionnel de répondre aux besoins des minorités ethnoculturelles, qui sont représentées dans la population carcérale actuelle, et plus particulièrement des délinquants noirs. Je peux vous dire que nous venons tout juste de commencer ce travail. Je peux également vous dire que j'ai été très impressionné par la réaction du Service correctionnel du Canada, qui nous a fourni du matériel et qui s'est montré prêt à participer à cette étude avec nous.

Le sénateur Jaffer : Cette étude sera-t-elle publiée?

M. Sapers : Oui.

Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous nous la fournir en temps et lieu?

M. Sapers : Bien sûr.

Le sénateur Frum : Dans votre exposé, vous avez dit que les parlementaires doivent se préoccuper de l'identité des personnes qui se retrouvent derrière les barreaux. Le sénateur Jaffer vient de parler de certains des groupes que vous avez mentionnés. Vous avez également mentionné qu'un détenu sous responsabilité fédérale sur cinq est âgé de 50 ans et plus. Je serais curieuse d'en connaître les raisons. Est-ce que cela reflète tout simplement le profil démographique du Canada, en général, ou y a-t-il d'autres raisons pour lesquelles il y a un nombre aussi élevé de détenus âgés?

Par ailleurs, devrions-nous nous préoccuper davantage de ces détenus? Je croyais que les gens s'adonnaient moins à des actes criminels et devenaient moins violents avec l'âge. Peut-être est-ce une bonne chose qu'ils vieillissent.

M. Sapers : Permettez-moi de commencer en vous disant que l'âge de 50 ans marque un tournant pour les délinquants et que cela est bien établi dans les recherches sur les services correctionnels menées à l'échelle internationale. Un délinquant âgé de 50 ans est considéré comme un délinquant âgé pour de nombreuses raisons, dont certaines sont liées à leur mode de vie avant leur incarcération. Les délinquants ne sont généralement pas les personnes les plus en santé et au mode de vie le plus sain.

De plus, l'incarcération déclenche un processus et fait vieillir les délinquants. En ce qui concerne le fonctionnement physique et mental, les délinquants sont dans un milieu où tout est pris en charge, où les décisions sont prises pour eux, où leurs déplacements sont limités, et cetera. L'âge de 50 ans est donc un jalon important.

Les délinquants âgés ont des besoins spéciaux, notamment en ce qui concerne leur mobilité. À cet âge, l'habileté cognitive se détériore, tout comme la vue, l'ouïe, la force physique et la capacité de survivre tout simplement dans un milieu qui n'a pas été conçu pour les marchettes, les fauteuils roulants, les cannes et les appareils auditifs. La prison typique est conçue pour une population plus jeune et plus robuste.

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles la population est vieillissante. L'une d'entre elles est sans aucun doute le profil démographique changeant du Canada. Il y a également un effet d'accumulation, auquel contribuent les condamnations à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant une période de 25 ans, le nombre de peines minimales obligatoires et la réduction du nombre de délinquants admissibles à une mise en liberté sous condition. Chaque fois qu'une modification des politiques donne lieu à une augmentation du nombre de personnes incarcérées et à une prolongation de la période d'incarcération, il y a clairement des répercussions sur la répartition par âge des délinquants. De plus en plus de gens sont incarcérés et restent en prison plus longtemps. Cela fait maintenant trois décennies que nous composons avec les peines d'emprisonnement à perpétuité obligatoires sans possibilité de libération conditionnelle pendant une période de 25 ans. Tout cela a contribué à modifier le profil démographique de la population carcérale.

Le sénateur Frum : Je suppose que cela a également des répercussions sur l'importance accordée à la réadaptation. Je ne connais pas l'âge moyen du groupe de prisonniers de plus de 50 ans, mais je suppose que l'on accorde beaucoup moins d'importance à la réadaptation de ce groupe.

M. Sapers : Les attentes sont très différentes. Par exemple, le Service correctionnel accorde actuellement beaucoup d'importance à la formation professionnelle, ce qui est très bien. Je ne m'y oppose pas. L'objectif, bien sûr, est de permettre à ces personnes d'acquérir des compétences liées à l'emploi qu'elles pourront utiliser à leur mise en liberté.

Toutefois, dans le cas d'un délinquant de 75 ans qui sort de prison, apprendre comment construire la charpente d'une maison ne servira pas à grand-chose parce qu'il n'aura pas à se tailler une place dans le marché du travail à sa mise en liberté. Que l'objectif soit lié à la réadaptation ou non, il faut mettre l'accent ailleurs lorsqu'il s'agit de délinquants âgés. Un délinquant âgé ou qui est à l'âge de la retraite a des besoins très différents de ceux d'un délinquant plus jeune en ce qui concerne sa survie dans la collectivité en tant que citoyen respectueux de la loi.

Le sénateur Frum : Les personnes qui sont mises en liberté à l'âge de 75 ans ont dû être incarcérées pour des crimes très graves.

M. Sapers : Pas nécessairement. Il y a beaucoup de délinquants, comme je l'ai dit, qui vieillissent dans les établissements parce qu'ils ont été déclarés coupables de crimes comme un meurtre au premier degré. Je peux vous trouver les chiffres exacts, mais je pense qu'il y a environ 3 000 délinquants dans le système actuellement qui purgent des peines d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant une période de 25 ans. Il y en a d'autres qui sont condamnés à leur première peine de ressort fédéral à l'âge de 50 ans ou plus, et qui sont incarcérés pendant deux, trois ou quatre ans.

Le sénateur Runciman : Pour régler cette situation relative à la population carcérale vieillissante que vous avez décrite, pourrait-on envisager d'ouvrir un établissement qui fournirait des soins aux malades chroniques? J'essaie d'imaginer un mode de prestation de services pour cette population qui aiderait à réduire les pressions, les coûts, et cetera. Cette solution est-elle praticable?

M. Sapers : Absolument. Vous avez entendu ce que le commissaire a dit. Il explore la possibilité de construire des unités ou des centres spéciaux pour les jeunes délinquants et il est ouvert à cette idée. Je crois que nous devons faire la même chose pour les délinquants âgés. Nous n'avons peut-être pas encore besoin de prisons gériatriques, mais on procède à la construction de tels établissements dans d'autres régions du monde.

Le sénateur Runciman : Aux États-Unis.

M. Sapers : Oui.

Le président : Monsieur Sapers, dans votre exposé, vous avez dit que le projet de loi C-10 remplacerait le principe des mesures « le moins restrictives possible » par celui des mesures « nécessaires et proportionnelles » en ce qui concerne la gestion du risque au sein des établissements. Comme vous l'avez souligné, la notion des mesures « le moins restrictives possible » est reconnue dans le Code criminel. Il y a donc uniformité à cet égard, et j'en conviens.

J'ai réfléchi à ce que vous avez dit au sujet du remplacement de cette notion par celle des mesures nécessaires et proportionnelles, et il me semble que ces principes sont eux aussi enchâssés dans le Code criminel, en particulier en ce qui concerne la détermination de la peine. La question de la nécessité est soulevée à l'alinéa 718c) du code, qui porte sur le principe fondamental du prononcé des peines. Cet alinéa traite effectivement de la nécessité d'isoler les délinquants du reste de la société, au besoin. Cette question de la nécessité est donc tout à fait présente.

Aux termes de l'article 718.1, qui porte toujours sur le principe fondamental du prononcé des peines et qui est évidemment extrêmement important, la peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. La notion de proportionnalité et de gravité est donc ancrée dans le principe de détermination de la peine établi dans le Code criminel.

En parlant de gravité, cela me rappelle un autre point que vous avez souligné, à savoir que le projet de loi C-10 apporterait un autre changement à la loi qui exigerait la prise en considération de « la nature et la gravité de l'infraction ».

Reconnaissez-vous que ces principes de la nécessité, de la proportionnalité et de la gravité font eux aussi partie intégrante du Code criminel, tout comme celui des mesures le moins restrictives possible? Tous ces principes y sont. Ces notions ne sortent pas de nulle part et ne sont pas dénuées de fondement.

M. Sapers : En fait, j'aimerais faire deux commentaires à ce sujet. Tout d'abord, bien sûr, les dispositions du Code criminel auxquelles vous avez fait allusion traitent du prononcé des peines et guident les tribunaux. Il incombe donc à un juge de se charger du sort d'un accusé, qui, une fois déclaré coupable, devient un condamné, et de déterminer, compte tenu du crime qui a été étudié sous tous ses angles, dans quelle mesure cette transgression ou cette infraction particulière est grave, et dans quelle mesure le délinquant pose un risque.

Une fois l'évaluation réalisée et la peine imposée par le tribunal, il incombe, bien sûr, aux autorités correctionnelles d'administrer la peine. Il n'est plus question de la gravité du crime, ni de la proportionnalité ou de la nécessité des mesures. Ce qui importe, c'est le cadre juridique qui donne à l'État le pouvoir d'influer sur la vie de cette personne. Cette personne a commis un crime et a été mise en prison. Par la suite, il doit y avoir des règles régissant la manière dont la peine est administrée.

La notion des mesures « nécessaires et proportionnelles » ne compose que les deux tiers du critère juridique des mesures le moins restrictives possible. Pour ce qui est du dernier tiers, vous avez éliminé toutes les autres options. Je ne comprends absolument pas pourquoi le Parlement voudrait libérer le Service correctionnel du Canada de cette obligation et éliminer toutes les autres options. Nous attendons de nos agents de police qu'ils utilisent la force le moins possible lorsqu'ils appliquent la loi. Dans le Code criminel, nous disons que nous attendons des juges qu'ils rendent la décision la moins sévère, compte tenu de la nécessité de garantir que la peine a les résultats voulus. Pourquoi ne pas s'attendre à exactement la même chose des autorités correctionnelles?

Le président : Vous défendez très bien votre point de vue, mais en ce qui concerne les notions qui sous-tendent les principes du prononcé des peines, je ne crois pas que l'on doit arrêter de les appliquer une fois la peine prononcée. Il me semble logique que ces notions sous-jacentes continuent d'être appliquées et d'être pertinentes durant l'incarcération. Je ne vais pas débattre de cette question avec vous, mais il s'agit d'un enjeu complexe qui exige une approche équilibrée.

Vous avez également indiqué que le projet de loi prévoit un accroissement des mesures incitatives visant à encourager les délinquants à participer à leur plan correctionnel. Vous avez fait valoir que la loi prévoit déjà des mesures incitatives, ce qui est vrai.

Dois-je conclure que, à votre avis, il n'est pas nécessaire de créer de nouvelles mesures incitatives? Est-ce que vous vous opposez à cela et est-ce que vous croyez que cela ne devrait pas faire partie du projet de loi C-10?

M. Sapers : Je ne sais pas en quoi consisteraient ces nouvelles mesures incitatives. J'ai écouté attentivement le commissaire et je crois qu'il a mentionné le droit de porter des vêtements décontractés. Sénateur, je ne sais pas trop ce que ces mesures incitatives accompliraient et comment les récompenses seraient distribuées. Actuellement, les délinquants qui participent à leur plan correctionnel tirent profit de cette intervention; de plus, ils reçoivent généralement des recommandations positives pour leur mise en liberté sous condition; ils bénéficient également d'une augmentation de leur allocation. Personne ne m'a encore expliqué ce en quoi consisteraient les mesures incitatives additionnelles, et, en fait, je ne sais toujours pas s'il s'agirait d'incitatifs réels ou d'avantages qui n'existent que sur papier.

Je ne suis pas contre les mesures incitatives. Je ne suis tout simplement pas certain de ce que prévoit réellement ce projet de loi.

Le président : Mesdames et messieurs, cela conclut nos échanges avec M. Sapers et Mme Kingsley. Merci beaucoup. Nous sommes toujours heureux de vous avoir parmi nous, monsieur Sapers. Vous faites valoir vos points clairement et avec force.

Nous sommes très heureux de recevoir notre prochain témoin, Derek Mombourquette, vice-président de la Canadian Association of Police Boards

Derek Mombourquette, vice-président, Canadian Association of Police Boards : Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de venir dire quelques mots au nom de mon organisme aujourd'hui. Je comparais devant vous au nom de la Canadian Association of Police Boards, dont je suis le vice- président. Je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion de vous présenter nos observations concernant le projet de loi, qui est très important pour notre organisme, de même que pour vous et le gouvernement.

La CAPB est la voix nationale des organismes de surveillance civile des services de police municipaux. Nous représentons plus de 75 commissions et conseils municipaux de police de différentes parties du Canada. Ensemble, ces services emploient plus de 35 000 personnes, ce qui représente environ les trois quarts du personnel de police au Canada.

En tant qu'ancien solliciteur général de l'Ontario, le sénateur Runciman sait que ces conseils et commissions ont la charge de gérer les services de police de leur municipalité, de fixer des priorités, d'établir des politiques et de représenter l'intérêt du public dans le cadre d'une surveillance civile.

Voilà quelques années déjà que nos membres s'efforcent de trouver le meilleur moyen de fournir de services de police adéquats et efficaces à un coût que les collectivités peuvent se permettre à court et à long termes. Ils sont tous du même avis, à savoir qu'une focalisation exclusive — ou même dominante — sur l'application du droit pénal au moyen d'enquêtes et de poursuites n'aidera pas à atteindre cet objectif. La prévention et la réadaptation sont non moins importantes. Nos membres sont d'avis, et je présente cette idée respectueusement à votre comité, qu'ils ont besoin de l'appui et du partenariat de tous les ordres de gouvernement pour prêter aussi une attention importante à des programmes et stratégies qui préviennent le crime et qui donnent à ceux qui sont en prison des occasions de réussir leur réadaptation, pour ainsi réduire la récidive.

Notre réaction au projet de loi C-10 est fondée sur ces prémisses. Nous croyons, et je suis sûr que vous le savez déjà, que la recherche a appuyé de façon cohérente la validité de cette méthode à plusieurs volets.

La CAPB appuie les principes qui sous-tendent le projet de loi C-10 et est d'accord avec l'honorable Rob Nicholson, qui a comparu devant le Comité permanent du Parlement sur la justice et les droits de la personne le 6 octobre 2011. Comme l'a dit le ministre de la Justice, le projet de loi proposé entend « protéger les familles, prendre la défense des victimes, et tenir les individus responsables ». En particulier, notre organisme appuie l'intention qui sous-tend les parties du projet de loi qui traitent du trafic, de l'importation et de l'exportation de drogues, de la possession de drogues à des fins d'exportation, de la violence sexuelle faite aux enfants sous toutes ses formes, et de la capacité des victimes de terrorisme à demander réparation pour les pertes et dommages subis en raison d'un acte terroriste, quel que soit l'endroit dans le monde où il a été commis.

En ce qui concerne le reste du projet de loi C-10, nous avons des inquiétudes en lien avec les prémisses que j'ai mentionnées précédemment.

Monsieur le président, comme vous le savez sans doute, il y a surreprésentation, dans le système carcéral, de jeunes qui sont Autochtones, originaires des Premières Nations ou noirs. Le ministre de la Justice a dit que le projet de loi ne touchera que les 5 p. 100 de jeunes qui commettent des infractions graves et violentes. Cela est certes rassurant, bien que nous soulignions que ce pourcentage est demeuré relativement constant, ce qui donne à penser qu'il y a une affluence continue de jeunes dans le système de justice pénale.

La CAPB est particulièrement préoccupée par l'effet démesuré que pourra avoir le projet de loi et de ce qu'un nombre encore plus grand de jeunes provenant des communautés que j'ai mentionnées seront incarcérés. En outre, la CAPB a de sérieuses inquiétudes quant à l'effet disproportionné que pourrait avoir cette loi sur les gens souffrant de maladie mentale et sur les enfants qui pourraient se retrouver dans des foyers adoptifs quand leur mère — en particulier si elle est pauvre et monoparentale — fera l'objet d'une peine obligatoire. Nous reconnaissons et respectons l'engagement du gouvernement à voir ce projet de loi adopté presque tel que proposé. C'est avec le plus grand respect que nous vous prions instamment d'assortir ce projet de loi de mesures importantes qui prévoiront des investissements dans des mesures de prévention, une prise en compte complète de la santé mentale dans la détermination de la peine et un meilleur traitement des gens souffrant de maladie mentale en prison, et des mesures de réadaptation qui visent à améliorer la capacité des organismes locaux de sécurité publique à prévenir la récidive chez les gens qui quittent la prison après de longues périodes d'incarcération.

Nous savons que le gouvernement fédéral, à lui seul, ne peut pas mettre ces mesures en œuvre. D'autres ordres de gouvernement, en particulier les gouvernements provinciaux et territoriaux, ont un rôle important à jouer. Nous faisons valoir que la capacité de nos membres de fournir des services de police adéquats et efficaces qui soient abordables et durables a été sérieusement compromise par la compartimentation qui existe actuellement dans le système de justice pénale de par la séparation des pouvoirs.

Nous recommandons donc que, parallèlement à l'adoption du projet de loi C-10, le gouvernement du Canada prenne l'initiative de travailler en collaboration avec ses partenaires provinciaux et territoriaux de même qu'avec d'autres acteurs clés pour élaborer un système de prestation homogène et complet qui combine une application de la loi et des poursuites costaudes à des programmes importants de prévention et de réadaptation. Je souligne, sauf votre respect, que nos rues et collectivités ne seront vraiment sûres que si de telles mesures sont mises en œuvre.

Voilà qui conclut mes observations d'ordre général, monsieur le président. Notre mémoire comprend des observations détaillées sur quatre sujets précis : la justice et la détermination de la peine à l'égard des jeunes; l'effet du projet de loi C-10 sur les collectivités autochtones; une stratégie en matière de santé mentale; le rapatriement de contrevenants canadiens au Canada, les casiers judiciaires, les services correctionnels et les libérations conditionnelles. Monsieur le président, je serai heureux de répondre à toutes les questions des membres.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Mombourquette. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.

Le sénateur Fraser : Pourriez-vous nous donner plus de détails sur vos opinions, et j'imagine qu'il y aura plusieurs questions sur les divers aspects que vous avez mentionnés, mais commençons par les modifications proposées relativement à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents?

M. Mombourquette : Pour ce qui est des commentaires que je vais faire aujourd'hui, je vais me fonder sur le rôle que je joue en tant que commissaire de police et sur la relation qui existe entre le rôle que joue la police dans notre collectivité et le rôle que joue la commission dans le domaine de la surveillance civile.

Le sénateur Fraser : De quelle collectivité êtes-vous?

M. Mombourquette : Je suis de la municipalité régionale du Cap-Breton. Je vais aussi mentionner des exemples de chez moi. En ce qui concerne les crimes graves commis par de jeunes délinquants, nous reconnaissons que des mesures appropriées doivent être prises sous forme des peines qu'ils purgent, mais, ce qui nous préoccupe et ce sur quoi nous voulons mettre l'accent — et je crois que la police a adopté ce nouveau rôle dans le cadre de ses tâches quotidiennes —, c'est la nécessité d'apprendre aux enfants en quoi consiste réellement la responsabilisation.

À la CAPB, nous croyons que cela est très important pour l'avenir. Nous ne pouvons pas imposer des peines sans leur apprendre ce rôle et cette responsabilité, et en quoi consiste la responsabilisation. À long terme, nous croyons que les jeunes qui ont des démêlés avec la justice continueront à avoir des ennuis. C'est pourquoi, comme nous l'avons dit dans notre mémoire, nous sommes d'avis que l'adoption de ce projet de loi doit être accompagnée de ressources pour enseigner à ces enfants le rôle et la nature de la responsabilisation. Depuis un certain nombre d'années, la police se charge de cela, et les municipalités ont été d'un grand soutien, mais, encore une fois, cela coûte cher. Nous sommes constamment en train d'améliorer les services fournis à la collectivité.

Le sénateur Fraser : Je suis certaine que vous avez pris connaissance du rapport Nunn. Comme vous êtes du Cap- Breton, vous en savez probablement davantage que les gens qui ne sont pas de la Nouvelle-Écosse. L'une des modifications importantes proposées dans le cadre de ce projet de loi concerne la capacité de mettre sous détention un adolescent avant son procès et avant la détermination de la peine. Tout d'abord, croyez-vous que ce mécanisme particulier pour la détention des adolescents est bien conçu? Je sais que vous ne pouvez pas nous fournir de statistiques parce qu'il n'y en a pas, mais j'aimerais aussi savoir, selon votre expérience, combien de jeunes délinquants seront visés par cette disposition, dont l'objectif est essentiellement de protéger le public?

M. Mombourquette : J'ai lu le rapport, mais je n'ai pas d'exemplaire à portée de la main.

La détention des jeunes avant le procès est très importante et s'inscrit dans la nécessité d'enseigner la responsabilisation aux enfants. Nous voulons garantir que, grâce à des mesures appropriées, la peine reflète la gravité de leur crime. Toutefois, la préoccupation qui est soulevée de manière générale et qu'ont exprimée les membres de ma propre collectivité concerne le fait que les jeunes doivent être tenus responsables de leurs actes, mais ils doivent également apprendre ce qu'est la responsabilité. C'est ce que j'ai vu et entendu, et c'est ce que je crois, à la lumière de mon expérience.

Le sénateur Fraser : C'est le principe de base?

M. Mombourquette : Oui.

Le sénateur Runciman : En ce qui a trait aux jeunes contrevenants, vous savez, bien sûr, que l'association des chefs et tous les représentants de services de police qui ont comparu devant nous aujourd'hui appuient les initiatives prévues dans le cadre du projet de loi C-10 et croient que ces dernières amélioreront la sécurité publique dans tout le pays. Je crois que vous avez vous aussi indiqué clairement que votre association appuie le projet de loi C-10.

M. Mombourquette : Comme je l'ai mentionné dans mon mémoire, nous appuyons certains des principes sous- jacents du projet de loi C-10. Le rôle que nous jouons vise à souligner le travail effectué par les agents de police dans nos collectivités. Le rôle que jouent aujourd'hui les policiers a beaucoup changé, selon mon expérience. Au lieu de s'en tenir à l'application de la loi, ils fournissent des services de police communautaires et participent à divers groupes communautaires; il s'agit d'une véritable évolution de leur rôle et de leurs responsabilités. En tant que commissaires, notre rôle est non pas d'intervenir dans les opérations quotidiennes, mais de les appuyer au mieux de nos moyens. Nous appuyons des éléments du projet de loi, mais nous tenons également compte des coûts associés à la mise en œuvre de certaines de ces composantes.

En analysant le projet de loi et les transcriptions, j'ai constaté que le président de l'Association canadienne des policiers a, de manière très détaillée, pris parti pour le texte de loi proposé. Nous appuyons un grand nombre des initiatives de cette association et sommes en faveur de certains aspects du projet de loi. Ce qui nous préoccupe, en tant que commission de police et en tant qu'organisme de surveillance civile, ce sont les coûts associés au projet de loi, et la relation qui existe actuellement entre les municipalités locales et les programmes mis en œuvre aux échelons provincial et fédéral.

Le sénateur Runciman : Votre association prend-elle position à l'égard d'éléments particuliers de ce projet de loi, par exemple les peines minimales obligatoires pour les personnes qui commettent des crimes d'ordre sexuel contre des enfants? Prenez-vous position à l'égard des peines minimales obligatoires dans des situations comme celles-là?

M. Mombourquette : Comme je l'ai indiqué dans mon mémoire, l'association appuie certaines des initiatives que vous avez mentionnées, particulièrement en ce qui concerne toutes les formes d'agressions sexuelles commises contre des enfants.

Le sénateur Runciman : Vous avez exprimé certaines préoccupations à l'égard des jeunes contrevenants, mais le projet de loi cible les récidivistes chroniques. Selon les statistiques, ils sont responsables d'une grande majorité des crimes. C'est le problème que nous souhaitons régler au moyen de ce projet de loi, à savoir ces jeunes contrevenants récidivistes. Selon les statistiques, ce sont eux qui causent des problèmes importants.

M. Mombourquette : Vous avez tout à fait raison lorsque vous parlez des statistiques. Encore une fois, même si le projet de loi cible spécifiquement les récidivistes, nous voulons garantir qu'il comporte un élément de réadaptation dans la collectivité. Il y aura toujours des récidivistes, mais ces derniers doivent eux aussi apprendre quel est le rôle joué par la responsabilisation et quelles sont leurs responsabilités. Même si l'objectif est de cibler les récidivistes, les mécanismes de réadaptation et les services de soutien doivent tout de même être en place pour ces personnes parce que, au bout du compte, elles réintégreront la collectivité.

Le sénateur Runciman : Qu'en est-il des éléments relatifs à l'accroissement du pouvoir discrétionnaire des juges à l'égard de la détention de jeunes contrevenants avant le procès et de la plus grande latitude permise à la magistrature, surtout en ce qui concerne les personnes que les juges considèrent comme une menace pour la sécurité publique? Que pensez-vous de ces éléments et quelle est la position de votre association à leur sujet?

M. Mombourquette : Je vais revenir sur certains des commentaires faits par l'Association du Barreau canadien et l'un des ministres qui sont venus du Nunavut pour parler des problèmes auxquels ils font face, ainsi que sur les discussions qui ont eu lieu au sujet des collectivités dans le Nord canadien.

Nous sommes d'avis qu'il n'existe pas de solution unique applicable à l'ensemble de la société. Les commentaires que le ministre a faits concernant sa collectivité dans le Nord canadien étaient très intéressants en ce sens que ces collectivités des Premières nations ont leur propre manière sociétale de s'attaquer à la criminalité dans la collectivité, et tout comme l'Association du Barreau canadien, nous croyons que les juges doivent bénéficier d'une certaine souplesse.

Le sénateur Runciman : Nous leur donnons cette souplesse. J'imagine que les mécanismes dont nous avons parlé ne seront utilisés que très rarement; et lorsqu'un juge croit qu'une personne présente une menace grave pour la sécurité publique, en vertu de cette loi, il pourra garder cette personne en détention.

Le président : Sénateur Cowan?

Le sénateur Cowan : Est-ce que je pourrais poser mes questions un peu plus tard?

Le président : Oui. Pas de problème.

Le sénateur Cowan : Merci.

Le président : Nous allons maintenant passer au sénateur Angus.

Le sénateur Angus : Je suppose que ce conseil de surveillance, à savoir la Canadian Association of Police Boards, joue un rôle analogue à celui que joue, en matière de sécurité, le SCRS. Nous disposons d'une organisation appelée le CSARS — le Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité. Est-ce le cas? Votre rôle consiste à veiller à ce que les policiers n'abusent pas de leur pouvoir et exercent leurs fonctions de façon appropriée, non?

M. Mombourquette : La responsabilité fondamentale de notre organisation nationale consiste à représenter les services et les commissions de police locaux et municipaux qui dirigent les corps policiers et exercent une surveillance civile à leur égard. Nous défendons les intérêts des services policiers municipaux à l'échelon local, provincial ou fédéral en ce qui concerne des questions touchant les rôles et les responsabilités de ces services de police.

Le sénateur Angus : Vous êtes du Cap-Breton. Avez-vous déjà été policier? Pouvez-vous nous parler de votre parcours?

M. Mombourquette : Sur le plan personnel, j'ai été élu à titre de représentant de la communauté au sein de la municipalité régionale du Cap-Breton. J'ai occupé le poste de président de la commission de police pendant deux ans là-bas. Je fais partie de l'association policière provinciale, et je suis membre de la Canadian Association of Police Boards depuis deux ans.

Le sénateur Angus : S'agit-il d'un emploi à temps plein, ou d'une activité bénévole?

M. Mombourquette : Il s'agit de travail bénévole.

Le sénateur Angus : Quel est votre véritable emploi?

M. Mombourquette : Hormis les activités de représentant élu, j'ai dirigé une petite entreprise, et j'ai été gestionnaire de projets et des commandites privées pour des entreprises de marketing.

Le sénateur Angus : Revenons à ma première question. À présent, je crois comprendre que les membres de ces commissions locales sont élus, et que les membres de la commission de police de Sydney, ou de quelque autre localité du Cap-Breton, assurent une surveillance civile des activités des services policiers locaux pour veiller à ce qu'ils se conduisent de manière appropriée. Est-ce exact? Il semble que vous défendiez également leurs intérêts, non?

M. Mombourquette : Tout à fait. Il s'agit d'une relation intéressante, surtout pour moi qui suis par ailleurs un représentant élu, car à ce titre, il m'incombe d'établir les budgets et les politiques de l'ensemble de la collectivité. En Nouvelle-Écosse, le rôle du commissaire est clairement énoncé dans la loi sur les services policiers de la province. Notre rôle consiste non pas à surveiller les activités quotidiennes des policiers, mais à mettre en place des politiques afin de les soutenir à tous les égards possibles. Toutefois, nous devons établir un juste équilibre entre cette fonction et celle consistant à fixer les budgets de la collectivité.

Cela est devenu plus difficile pour les commissions de police du pays en raison des coûts importants dont se sont assorties les activités de maintien de l'ordre, surtout au cours de la dernière décennie. Songez, par exemple, aux questions mentionnées dans le mémoire que j'ai déposé, et à quelques-unes des questions abordées aujourd'hui par les membres du comité, à savoir les crimes commis à l'égard des enfants, la cyberintimidation, la cybercriminalité et toutes les autres questions du genre — il s'agit là, à ma connaissance, de questions avec lesquelles les services de police n'étaient pas aux prises il y a 10 ans, alors que, aujourd'hui, elles occupent le devant de la scène. Les commissions locales auront un rôle très intéressant à jouer à l'égard des services de police locaux et, pour l'essentiel, cela vaut également pour les services de police municipaux de l'ensemble du pays.

Le sénateur Angus : Est-ce que le gouvernement a consulté l'association que vous représentez ici aujourd'hui durant l'élaboration du projet de loi?

M. Mombourquette : La présidente de l'association, que je représente aujourd'hui, pourrait probablement vous fournir des renseignements plus précis à cet égard, car elle a peut-être davantage discuté avec des représentants du gouvernement que j'ai pu le faire. Des discussions continues ont eu lieu à propos du projet de loi. Il y a eu un dialogue entre les provinces et entre les associations de police. En ce qui nous concerne, nous avons soulevé quelques préoccupations légitimes, à mes yeux, à propos du projet de loi, mais personnellement, dans le cadre de mes fonctions, je n'ai participé directement à aucune discussion, mais je sais que l'organisation l'a fait.

Le sénateur Angus : Le sénateur Runciman vous a aussi posé des questions concernant la mesure dans laquelle vous êtes en faveur du projet de loi. D'après ce que vous avez dit et selon votre mémoire, l'organisation que vous représentez a des préoccupations, et je dois savoir si elles sont représentatives de l'opinion des membres des diverses commissions de police du Canada. Ces positions découlent-elles d'un processus, ou s'agit-il simplement de la position personnelle de la présidente de l'association?

M. Mombourquette : Pas du tout. Le mémoire a été rédigé par le comité sur le maintien de l'ordre et la justice, lequel est représentatif de la commission nationale, elle-même constituée de représentants de toutes les régions du pays — de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique —, y compris de représentants des Premières nations. Ainsi, le mémoire a été rédigé par les membres de la commission nationale représentant les commissions de police de l'ensemble du pays.

Le sénateur Cowan : Je voulais parcourir la liste, car je viens tout juste de recevoir les commentaires détaillés joints à la déclaration que vous avez lue, et voulais les survoler avant de poser une question.

Tout d'abord, je vous félicite de votre excellent exposé. Vous avez adopté une démarche très équilibrée et très raisonnable. Vous dissipez des préoccupations concernant les répercussions sur les jeunes, les communautés autochtones et les autres communautés désavantagées. J'aimerais revenir sur la question de la santé mentale, dont nous avons discuté, particulièrement aujourd'hui, avec d'autres témoins. J'aimerais lire, aux fins du compte rendu, un extrait des observations détaillées que vous avez formulées concernant la stratégie en matière de santé mentale. Je cite :

En 2012, le dilemme maintien de la paix/soins de santé mentale est tel que les policiers, qui sont formés au maintien de la paix, sont par défaut les intervenants de première ligne en santé mentale 24 heures par jour, 7 jours par semaine. À un moment où les collectivités se débattent pour maintenir un niveau soutenable de services de police visant la sécurité, les ressources policières sont détournées vers des problèmes que le système de santé saurait beaucoup mieux régler.

Vous fournissez un bon nombre d'intéressantes données de nature historique touchant l'évolution des soins et des programmes de santé mentale au pays, mais, au bout du compte, vous formulez le commentaire suivant :

Il est regrettable de constater que les établissements correctionnels sont devenus en fait les dispensateurs de soins institutionnalisés du XXIe siècle à ceux qui ont une maladie mentale.

Ce qui a mené à cela, bien sûr, c'est le fait que de nombreux établissements qui existaient il y a 40 ou 50 ans ont fermé leurs portes, et que, aujourd'hui, les traitements sont — ou sont supposés être — fournis dans et par la collectivité. Pouvez-vous nous fournir quelques détails ou quelques observations supplémentaires là-dessus, vu qu'il s'agit d'une chose qui touche les activités quotidiennes des agents que vous supervisez?

M. Mombourquette : Tout à fait. Penchez-vous sur le rôle des policiers et la manière dont il a évolué. Le passé et les membres de la collectivité nous apprendraient que le rôle des policiers a toujours consisté à faire respecter la loi. Ils sont les premiers intervenants, et ceux qui font respecter la loi dans la collectivité. Au cours de la dernière décennie environ, ce rôle a changé de façon radicale, et les policiers sont véritablement devenus les premiers intervenants en matière de santé mentale. La première chose que font les gens qui sont atteints d'une maladie mentale ou dont un parent est atteint d'une telle maladie, mais n'ayant fait l'objet d'aucun diagnostic, consiste à téléphoner aux policiers — ainsi, les policiers sont ceux qui donnent suite à ces appels, ceux qui interviennent auprès des membres de la collectivité, et ceux qui doivent prendre une décision quant à la manière de procéder avec la personne ayant un problème.

Comme il est mentionné dans le mémoire, il est absolument reconnu que les problèmes de santé mentale constituent une maladie. Ce qui nous préoccupe en ce qui a trait à l'adoption du projet de loi, c'est que l'on doit en faire davantage à l'échelon local. Il doit y avoir davantage de dialogue entre les provinces et les territoires en ce qui concerne le soutien à offrir aux municipalités afin qu'elles puissent dispenser quelques-uns de ces services faisant cruellement défaut.

Les municipalités continuent de fonctionner avec le même budget que celui dont elles ont toujours disposé, et elles continuent de fonctionner en se fondant sur l'idée selon laquelle il n'existe qu'un seul contribuable. Tout à fait : il n'y a qu'un seul contribuable. Le problème auquel les services de police font face, et le plus grand défi que doivent relever les commissions locales — et l'CAPB le répète inlassablement depuis un certain nombre d'années —, tient à ce que les coûts liés aux nombreux problèmes en matière de santé mentale sont considérables, et que, si nous ne disposons pas des ressources requises, les collectivités devront assumer des coûts très importants.

Le sénateur Cowan : Comme vous l'avez mentionné à juste titre, on ne peut pas catégoriser les questions liées à la santé, aux services correctionnels et à la sécurité et dire qu'ils relèvent de l'administration municipale, provinciale ou fédérale. Tous les échelons doivent coopérer. Dans votre mémoire, vous soulignez utilement que, au moment où le projet de loi s'apprête à être adopté, le gouvernement fédéral a la responsabilité d'engager un dialogue avec les administrations provinciales et municipales en vue d'élaborer une stratégie, de manière à ce qu'on aborde et règle de manière harmonieuse ces problèmes, non seulement ceux liés au crime, mais également ceux liés à la santé mentale.

M. Mombourquette : Tout à fait. La triste réalité, c'est que les collectivités n'aiment jamais mettre un prix sur les choses qu'elles tentent d'accomplir. À l'heure actuelle, les municipalités sont aux prises avec une triste réalité, et je fais abstraction de ce qui se passe au chapitre de la sécurité publique — je veux parler de la réalité sur le plan des infrastructures et des autres dispositions législatives mises en place par le gouvernement fédéral. Je vous donnerai l'exemple de ce qui se passe dans ma propre collectivité. En matière de traitement des eaux usées, il y a des dispositions réglementaires qu'elle doit respecter, et il lui en coûtera 400 millions de dollars pour le faire. Il s'agit là de quelques- unes des difficultés auxquelles les municipalités doivent faire face dans des secteurs autres que celui de la sécurité publique.

L'organisation que je représente et les commissions de police de toutes les régions du pays établissent des budgets et les présentent à leur administration locale. Elles assument un plus grand nombre de responsabilités en ce qui concerne l'évolution de la criminalité, Internet et la sécurité portuaire. Certains des exemples que je cite concernent les provinces de l'Atlantique. En matière de santé mentale, ces mesures sont nécessaires, mais le financement connexe l'est aussi.

Le sénateur Cowan : Il y a un dernier point que j'aimerais aborder. Il me semble que, s'il en est ainsi, nous devons reconnaître, à titre de législateurs fédéraux, que ce que nous faisons ici a des répercussions économiques et sociales à d'autres échelons.

M. Mombourquette : Tout à fait. De grands efforts ont été déployés, et je félicite les services de police de ce qu'ils ont fait. Les policiers se présentent chaque jour sur le terrain. Ils représentent les collectivités. Ils ont pris une multitude de mesures proactives en ce qui a trait au maintien de l'ordre dans les collectivités, et cela a porté ses fruits. Par exemple, les policiers ont commencé à s'investir, dans toutes les régions du pays, auprès d'associations de jeunes garçons et de jeunes filles pour apprendre à connaître les jeunes de leur collectivité et tenter de régler divers problèmes avant qu'ils ne deviennent trop graves. Les policiers ont fait cela.

Au moment d'adopter le projet de loi, nous vous demandons de garder présent à l'esprit le fait que les municipalités font face à de très graves problèmes de financement. Les services de sécurité publique représentent un important poste budgétaire pour la plupart des municipalités, et les commissions ont de sérieuses décisions à prendre.

Les provinces et les territoires ont créé quelques fragiles partenariats. Je songe, par exemple, au programme Boots on the Street, en Nouvelle-Écosse, grâce auquel des policiers ont été mis à la disposition des collectivités. Nous avons été en mesure de déployer ces policiers de manière à ce qu'ils s'occupent de questions liées au trafic de drogues, à la cyberintimidation et à la santé mentale. Il s'agit là de problèmes que nous tentons de régler. Cependant, certains éléments clés du projet de loi sur le point d'être adoptés entraîneront d'autres coûts importants pour les provinces et les territoires qui, à leur tour, devront commencer à prendre des décisions quant à leur façon d'affecter les ressources dans leurs collectivités.

Il ne s'agit là que de quelques éléments auxquels pourront réfléchir les membres du comité. Les difficultés auxquelles les municipalités font face ne sont pas en train de se dissiper.

Le sénateur Lang : Je suis reconnaissant au témoin d'être venu ici et de nous avoir présenté son mémoire.

Je veux poursuivre dans le même ordre d'idées. Vous avez mentionné que vous aviez pris connaissance, dans une certaine mesure, du rapport du juge Nunn. J'aimerais aborder la question des jeunes délinquants qui, bien sûr, était à l'origine du rapport.

Le juge Nunn s'est présenté hier devant le comité. Nous avons évoqué la possibilité d'accélérer le processus judiciaire de manière à ce que les jeunes récidivistes — et ce sont eux, les jeunes récidivistes, qui sont visés par le projet de loi — puissent être rapidement pris en charge, et que l'on puisse éviter qu'ils ne continuent indéfiniment à sévir, comme ce fut le cas pour A.B., auquel le juge a fait allusion, qui fait l'objet de 38 chefs d'accusation relatifs à des actes posés fort probablement à cinq ou six différentes occasions.

Est-ce que le système judiciaire a été en mesure d'accélérer ces processus? L'une des recommandations tient à ce que les jeunes de ce genre doivent se présenter devant le tribunal dans la semaine suivant la perpétration de l'infraction. A- t-on pris les mesures requises à cette fin?

M. Mombourquette : Il est quelque peu difficile pour moi de répondre à cette question, car je suis ici à titre de représentant des commissions de police municipale. Nous sommes en faveur de certains éléments du projet de loi C-10. En toute honnêteté, je n'ai pas lu le rapport du juge Nunn, mais je sais de quoi il retourne. Pourriez-vous préciser un peu votre question?

Le sénateur Lang : Il y a de jeunes délinquants, de jeunes récidivistes qui créent beaucoup d'ennuis au sein d'une collectivité, qui se créent eux-mêmes de nombreux problèmes, et ainsi de suite. Il y a un élément qui ressort de l'ensemble des témoignages que le comité a entendus à ce jour, à savoir le fait que ces récidivistes savent comment fonctionne le système, et peuvent poursuivre leurs activités pendant un long moment sans jamais avoir à faire face aux conséquences de leurs actes, c'est-à-dire à se présenter devant un tribunal et à se voir imposer une peine.

On a posé au juge Nunn la question suivante : Qu'est-ce que nous pouvons faire pour accélérer les processus judiciaires de manière à ce que l'on puisse s'occuper plus rapidement de ces jeunes? Il semble que nous n'en ayons que pour le processus, et que nous oublions la personne qui a créé les problèmes, et qui s'est présentée devant le tribunal ou était censée le faire. Une des recommandations du juge Nunn tenait à ce que l'on règle le cas de ces jeunes dans la semaine suivant la perpétration de l'infraction. La question que je vous pose est la suivante : avez-vous été en mesure de faire cela et, le cas échéant, cela a-t-il porté ses fruits? Le jeune dont j'ai parlé pourrait ne faire l'objet que de six chefs d'accusations, et non pas de 38, si on l'avait pris en charge après la première infraction.

M. Mombourquette : Là encore, je suis ici pour parler essentiellement du rôle que joue l'organisation que je représente en matière de surveillance civile de la police, et du rôle joué par la police. En réponse à votre question, je dirai que nous sommes favorables à certains éléments du projet de loi. Nous comprenons et reconnaissons le fait que le jeune homme faisant l'objet de 38 chefs d'accusation devrait être pris en charge de façon appropriée.

Le président : Par souci d'équité, je dois mentionner que, comme vous l'avez souligné, vous ne travaillez pas comme policier sur le terrain, et ce n'est pas à ce titre que vous vous êtes présenté devant le comité. La question qui vous a été posée est probablement épineuse, et je sais qu'elle concerne quelque chose qui ne relève pas de votre mandat. Nous pourrions peut-être passer à une autre question.

Le sénateur Jaffer : Merci d'être ici. Je vous ai écouté très attentivement. D'après ce que j'ai compris, même si vous soutenez le projet de loi C-10, vous faites valoir que cette initiative doit être mise en œuvre en partenariat avec les partenaires des provinces et des territoires, de même qu'avec les autres intervenants, de façon à élaborer un système d'exécution harmonieux et exhaustif.

Je suis certain que vous avez réfléchi à la question de savoir ce qui caractérise un système d'exécution exhaustif. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Mombourquette : Je suis désolé de me répéter, mais je dois dire que le rôle joué par les commissions de police municipales est de nature délicate. Nous défendons les intérêts des collectivités. Nous sommes responsables de la surveillance de nos commissions municipales, mais nous défendons également les intérêts des collectivités. Nous avons observé le rôle qu'ont joué les services de police au cours d'un certain nombre des dernières années, et la manière dont a évolué la fonction qu'ils assument, à savoir celle de responsables du maintien de la paix publique. Les policiers ne sont plus uniquement des agents d'application de la loi; à présent, ils jouent également le rôle d'ambassadeur de la collectivité au moment d'exercer des activités en matière de prévention du crime et de maintien de l'ordre dans la collectivité. Les commissions de police appuient et appuieront toujours cela, et nous félicitons les policiers de jouer ce rôle.

Dans notre mémoire, nous avons mentionné les éléments du projet de loi que nous appuyons, mais nous estimons qu'il doit comporter une démarche à multiples volets, car nous devons enseigner aux jeunes à se responsabiliser. Il arrive que nous le fassions et que cela se solde par un échec, mais à titre d'ambassadeurs de la collectivité — et à titre de commissaires de police — qui comprennent le dilemme auquel se heurtent les municipalités de l'ensemble du pays en ce qui a trait aux ressources, nous devons adopter une démarche à multiples volets en collaboration avec les trois échelons de gouvernement.

Les provinces tentent de le faire. Elles ont lancé de nombreuses initiatives dans toutes les régions du pays. Là encore, je citerai un exemple tiré de ma collectivité : grâce à quelques-unes des mesures de soutien qui ont été mises en œuvre à l'intention des collectivités, nous avons pu régler des problèmes liés à la cybercriminalité, aux agressions sexuelles et au trafic de drogues. Elles font cela. Pour l'essentiel, l'argument en faveur d'une démarche à multiples volets tient à ce que l'adoption du projet de loi se traduira par une hausse des coûts pour les provinces et les territoires. Nous ne voulons pas que les provinces et les territoires se retrouvent dans une situation où certaines décisions difficiles devront être prises concernant quelques-uns des programmes très positifs qui sont en place et qui commencent à porter fruit.

J'espère que cela répond à votre question. Voilà en quoi consiste, à mes yeux, une démarche à multiples volets. Des mesures de soutien ont été mises en œuvre, et elles fonctionnent. Les coûts liés au maintien de l'ordre ne vont pas en diminuant; à l'heure actuelle, ils ont atteint un point presque insoutenable. L'organisation que je représente et d'autres organisations ont évoqué cela. Le projet de loi qui sera adopté doit comporter une démarche à multiples volets.

Le sénateur Jaffer : Je ne veux pas vous faire dire des choses que vous n'avez pas dites, mais je dois souligner que, en ce qui a trait à la démarche à multiples volets — et vous l'avez mentionné dans votre mémoire en abordant les problèmes liés à la prise en charge des personnes atteintes de troubles de santé mentale —, les services de police municipale doivent véritablement, plus que quiconque, composer directement avec les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Ai-je raison d'affirmer que vous tentez de faire valoir que le projet de loi ne devrait avoir aucune incidence sur les programmes qui sont en place et qui sont destinés aux personnes atteintes de troubles mentaux?

M. Mombourquette : D'une part, je crois que le projet de loi ne devrait avoir aucune incidence sur les programmes, mais, d'autre part, j'estime qu'il devrait entraîner la création de nouveaux programmes. À l'heure actuelle, les municipalités dispensent aux policiers une formation en matière de santé mentale. Nous voulons nous assurer que ce programme de formation continue d'être dispensé, mais, là encore, comme toujours, le problème tient aux ressources. Si nous invoquons, dans notre mémoire, la question d'une démarche à multiples volets, c'est que les policiers sont devenus les premiers intervenants. On les qualifie de psychiatres, et nous le mentionnons dans notre mémoire.

Le sénateur Jaffer : La plupart des personnes atteintes de troubles de santé mentale n'ont rien à faire en prison.

M. Mombourquette : C'est tout à fait exact. Comme nous le mentionnons dans le mémoire, et comme il est mentionné dans d'autres rapports, les troubles de santé mentale découlent d'un certain nombre de causes, par exemple la toxicomanie, le stress, l'âge, et cetera. Il est important d'être conscient du fait que des gens ont besoin d'aide, et de veiller à ce qu'ils l'obtiennent. Ce matin, un intervenant a affirmé qu'il fallait en faire davantage. Les municipalités veulent veiller à la sécurité de tous les membres de la collectivité, mais elles sont également très conscientes du fait que, en raison des coûts, elles doivent faire en sorte que les autres échelons de gouvernement fournissent du soutien.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai pris connaissance de votre mémoire, et je puis vous dire que c'est trompeur parce que vous feriez un très bon policier. Vous avez une carrure de policier.

Cela dit, vous et les membres de votre association avez un contact privilégié dans les municipalités à plus faible densité. Vous avez beaucoup parlé du rôle des policiers. Pourriez-vous nous donner des exemples d'autres organismes dans les municipalités qui pourraient aider les délinquants? Vous avez parlé, entre autres, de santé mentale. Y a-t-il des organismes qui le font, outre les policiers?

[Traduction]

M. Mombourquette : Merci de la question. Dans les collectivités de toutes les régions du pays, un certain nombre d'organisations aident les services de police à cet égard. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement provincial a fourni du financement pour créer des partenariats avec les autorités sanitaires locales et conclure des protocoles d'entente avec elles afin de régler des problèmes. En règle générale, c'est à ce chapitre, chez nous, que les relations sont établies. Ces organisations existent. À ma connaissance, et d'après ce que j'ai observé, les services de police ont eux-mêmes établi leurs propres partenariats au sein des organisations. Dans notre collectivité, le service de police a pris l'initiative d'établir une telle relation et un tel dialogue avec l'autorité sanitaire du district du Cap-Breton en ce qui a trait aux problèmes de santé mentale. En outre, le service de police a envisagé la création d'autres partenariats en vue de régler des problèmes de criminalité et de discuter des clubs garçons et filles. Par exemple, il y a quelques années, nous avons commencé à assurer le maintien de l'ordre dans la communauté de la Première nation de Membertou. En collaboration avec elle et avec divers groupes d'intervenants, par exemple Parents Against Drugs, nous avons mis sur pied notre club garçons et filles. Nous avons affecté des ressources à cet égard, et notre collectivité en a grandement profité. De telles initiatives existent.

Il ne s'agit là que de quelques exemples d'initiatives auxquelles participent les services de police de la province.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma première question concerne les personnes souffrant de maladies mentales. Vous venez de répondre à plusieurs questions. Il ne fait aucun doute que ces personnes ont besoin d'être traitées plutôt que punies. Un témoin ce matin nous a parlé, en anglais, de alternate facilities.

Puisqu'il semblerait qu'on aura à construire de nouveaux édifices ou du moins rénover ceux que nous avons, serait-il souhaitable d'avoir dans ces édifices une section ou une partie consacrée uniquement aux personnes incarcérées souffrant de maladie mentale, tout comme les personnes plus âgées qui ont des besoins spéciaux?

[Traduction]

M. Mombourquette : Merci de la question. Il est difficile pour moi de dire si, d'un point de vue strictement logistique, il faudrait agrandir des installations existantes. À mes yeux, la question tient non seulement aux installations, mais aussi à l'intégration dans la collectivité.

Je m'éloigne quelque peu des sujets abordés dans le mémoire que nous avons déposé, mais d'après ce que j'ai observé, il existe quelques graves problèmes au chapitre des infrastructures et de certaines installations. On n'a de cesse de remettre à plus tard les travaux d'entretien. À mes yeux, il s'agit d'une question sur laquelle le comité devrait se pencher. Ce que nous faisons valoir, c'est que les mécanismes de soutien destinés aux détenus atteints de problèmes de santé mentale doivent être mis en place dans la collectivité, car ces personnes retourneront tôt ou tard dans la collectivité.

[Français]

Le sénateur Chaput : Parlons des jeunes contrevenants et des Autochtones en termes de programmes de réhabilitation. Selon vous, serait-il important que ces programmes de réhabilitation aient une approche communautaire pour les jeunes contrevenants et les Autochtones?

[Traduction]

M. Mombourquette : Tout à fait. C'est ce qui se passe actuellement dans de nombreuses collectivités du pays. J'ai cité des exemples tirés de ma collectivité illustrant le rôle qu'a joué le service de police au moment de mettre sur pied de multiples organisations communautaires venant en aide aux jeunes à risque, par exemple les clubs garçons et filles. Cela nous ramène également à certaines choses qu'ont dites les associations de police, et au travail qu'elles accomplissent dans la collectivité, travail que les commissions soutiennent sans réserve.

Ces liens ont été créés au cours des dernières années, et elles ont eu d'importants résultats dans notre collectivité, non seulement sur le plan de la prise en charge des jeunes à risque, mais également au chapitre de la perception qu'ont des policiers les membres de la collectivité — à mon avis, les gens ont la perception que les policiers font à présent partie des principaux ambassadeurs de la collectivité.

Si le public perçoit les policiers non plus seulement comme des agents d'application de la loi, mais également comme des ambassadeurs de la collectivité, c'est parce que tous les membres du conseil ou de la commission de police ont assumé leur rôle et leur responsabilité, mais aussi parce que ces programmes communautaires sont animés par des policiers et par des personnes qui sacrifient un peu de leur temps libre pour le faire. Ces gens jouent un rôle d'une importance cruciale, et doivent continuer à le faire. Nous devrons continuer d'investir à ce chapitre, car c'est cela qui nous permettra d'obtenir les meilleurs résultats possible.

Le président : Chers collègues, il nous reste 10 minutes pour le deuxième tour. Nous allons commencer par le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Je vais passer mon tour. Je dois souligner que, si je le fais, c'est non pas parce que vous n'avez pas été un bon témoin, mais parce que votre mémoire et ses annexes détaillées traitent d'un bon nombre de questions, et ce, de façon très claire et très utile. Je tiens à vous en remercier.

M. Mombourquette : Si vous le permettez, j'aimerais formuler moi aussi quelques commentaires à cet égard. Ce que j'ai observé, c'est que les commissions de police doivent établir un difficile équilibre entre les rôles et les responsabilités qu'ils doivent assumer d'après les dispositions législatives qui les régissent et ce qu'elles font pour aider et soutenir les policiers partout au pays.

L'une des choses que l'on doit garder présentes à l'esprit, et je le répéterai si on n'a pas d'autres questions à me poser, est la suivante : les coûts liés au maintien de l'ordre n'iront pas en diminuant. Vous vous penchez actuellement sur les problèmes de santé mentale. Nous avons mentionné quelques-uns de ces problèmes dans notre mémoire. Durant vos discussions et au moment de prendre des décisions, il sera important que vous vous rappeliez que les municipalités du pays sont aux prises avec de très graves problèmes financiers en ce qui concerne les infrastructures. Les diverses politiques, plus particulièrement le projet de loi C-10, contiennent quelques bons éléments, mais les coûts dont ils s'assortissent représentent un énorme problème pour nous. À l'heure actuelle, nous établissons des relations avec les administrations provinciales et territoriales en ce qui concerne les ressources qu'elles nous fournissent. Il n'existe aucune solution miracle convenant à l'ensemble des collectivités et des commissions de police que nous représentons. Les coûts représenteront un facteur non négligeable.

Je tiens à vous remercier, monsieur le président. J'ai été honoré de représenter mon organisation devant le comité.

Le président : Le sénateur Cowan a une question à vous poser.

Le sénateur Cowan : Tout le monde a entendu parler de l'enquête Marshall et des difficultés liées aux relations entre les Autochtones et les policiers, particulièrement au Cap-Breton. Je sais que beaucoup de travail a été accompli afin de rétablir le lien de confiance entre le service de police de la municipalité régionale du Cap-Breton et les Autochtones de l'endroit. À mon avis, cela a des répercussions évidentes sur les observations que vous avez formulées à propos des préoccupations particulières que soulèvent les Autochtones au sein du système de justice pénale. Je sais que vous avez travaillé fort dans la municipalité régionale du Cap-Breton, plus particulièrement pour rétablir les ponts et le lien de confiance. Ces efforts ont donné lieu à quelques réussites et à quelques échecs. Vous pourriez peut-être nous dire quelques mots à ce sujet.

M. Mombourquette : Depuis deux ans, je suis président de la commission locale. Les services de police — non seulement la police régionale du Cap-Breton, mais également la GRC — ont fait un travail remarquable afin de rétablir cette relation. Dans la communauté de la Première nation d'Eskasoni, un partenariat solide a également été créé. Nous avons constaté une hausse marquée du nombre de partenariats conclus entre la Première nation de Membertou et la police régionale. Il s'agit d'une excellente relation.

Dans le cadre de tous ces programmes, nous avons également constaté que les enfants sont à l'aise à l'idée de s'adresser aux policiers pour parler de tout problème qui surgit. Les policiers sont en mesure d'aider les enfants. Ils les connaissent. Les enfants, tout comme les policiers, jouent un rôle très actif au sein de la collectivité, et un tel partenariat n'a pas de prix.

D'après ce que j'ai constaté, je crois que les collectivités tirent le meilleur parti de cette relation. Je suis désolé de revenir sur la question des coûts, mais il est important d'en parler. La municipalité régionale du Cap-Breton versait du financement pour 169 policiers; nous disposons de 205 policiers grâce aux programmes financés par le gouvernement provincial, et les services policiers liés à la Première nation de Membertou sont financés par le truchement de marchés. Nous devons parler des coûts. Lorsque le comité discutera de cela, il devra toujours garder présente à l'esprit la situation des municipalités.

J'aimerais dire un dernier mot sur la relation entre la Première nation de Membertou et la police régionale — cette relation a été excellente, et elle est en passe de devenir un modèle à suivre pour toutes les collectivités du pays. Les relations que nous avons créées dans la collectivité en matière de sécurité ont donné d'importants résultats, et je suis certain que cela poursuivra pendant longtemps.

Le sénateur Cowan : Si j'ai mentionné cela, c'est que, bien souvent, des incidents se produisent et font les manchettes. Le bon travail qui a été accompli au quotidien, particulièrement dans cette communauté en proie à des difficultés, mérite d'être souligné, et je voulais vous donner l'occasion de le faire.

Le président : Je suis ravi que vous l'ayez fait, sénateur.

Monsieur Mombourquette, cela met fin aux questions que nous avions à vous poser. Merci beaucoup. Vous avez livré de façon efficace les messages clés de l'association que vous représentez. Nous vous avons bien entendu, et nous estimons que votre contribution est très importante.

Nous accueillons maintenant Mme Diane Tremblay, Mme Sandra Dion et Mme Nicole Latour. Bienvenue. Je laisserai à chacune d'entre vous le soin de présenter, en vos propres mots, vos antécédents professionnels et la raison de votre présence ici.

Avez-vous une déclaration préliminaire à faire, madame Tremblay?

[Français]

Diane (Shamane) Tremblay, à titre personnel : Bonjour à tous. Mon nom est Diane Shamane Tremblay. C'est avec conviction et dignité, en tant que victime du multirécidiviste Michel Hamelin, que je comparais devant le comité aujourd'hui.

De 2003 à 2007, mon agresseur m'a fait subir la violence psychologique, verbale, physique, sexuelle et économique. Jusqu'à ce jour, j'en suis encore à me remettre des déboires financiers dans lesquels ce criminel multirécidiviste m'a placée. J'appuie le projet de loi C-10 sans hésitation. Je remercie le gouvernement d'avoir maintenu le cap malgré l'opposition de certains lobbies.

Je suis venue pour parler du débat sur la réhabilitation ainsi que de l'abolition du sursis que je supporte dans le cas des criminels violents. J'espère que nos témoignages sauront faire la différence et que vos décisions, en tant que législateurs, nous feront vivre dans un pays libre et sécuritaire en imposant des lois efficaces et un respect pour le droit à la vie.

Je veux vous parler de mon point de vue quant à la réhabilitation des détenus. Plusieurs lobbies disent que cette loi est contre la réhabilitation. Si on examine les faits concrètement, on peut voir que des thérapies sur le comportement et la toxicomanie existent déjà derrière les murs. On aura beau utiliser toutes les thérapies, il n'en reste pas moins que certains criminels ne changeront jamais et n'accepteront jamais qu'ils ont des problèmes. J'en ai payé le prix.

Michel Hamelin est un multirécidiviste qui a été reconnu coupable de voies de fait et d'autres crimes en 2007 sur ma personne. Il a reçu une sentence avec sursis. Lors de son procès, à l'automne 2011, suite à l'agression qu'il a commise sur sa nouvelle conjointe, il fut condamné à un an de prison et deux ans de probation. À sa première condamnation en 2007, Michel Hamelin a suivi une thérapie. Cependant, cela ne l'a pas empêché d'agresser une autre conjointe quatre ans plus tard.

Lors de son procès en 2011, l'agresseur a déclaré à la cour qu'il avait débuté une thérapie et qu'il n'avait pas de problèmes de comportement. Les peines d'emprisonnement avec sursis sont devenues une option en matière de peine il y a plus de 16 ans. À l'époque, les législateurs estimaient que les peines d'emprisonnement avec sursis réduiraient notre dépendance aux établissements carcéraux et augmenteraient notre recours à des mesures de justice réparatrice.

La référence est la suivante le Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Chambre des communes, présenté par l'Association canadienne de justice pénale, Ottawa.

Ce n'est pas ce qui s'est passé. Les données sur les peines pour l'exercice 2003-2004 indiquent que les peines d'emprisonnement avec sursis ont représenté 5,2 p. 100 de toutes les peines, soit 257 des 127 cas. Une proportion de 27 p. 100 des peines avec sursis étaient des crimes contre la personne et je fais partie de ce 27 p. 100.

L'un des buts législatifs de la peine d'emprisonnement avec sursis était de réduire la croissance des taux d'incarcération au Canada et d'économiser. De toute évidence, les quelques peines avec sursis, qui ont été imposées depuis leur création, ont contribué à réduire cette charge en prison. Cependant, c'est moi qui ai payé le coût de cette économie. Il n'y a pas eu d'économies car le criminel récidiviste a récidivé et cela a occasionné des coûts que je dois supporter.

Il existe des programmes dans les pénitenciers fédéraux où les prisonniers travaillent et gagnent un revenu et de l'expérience. Je vous cite l'un d'entre eux : le programme CORCAN. Il serait faux de dire que ce gouvernement conservateur met de côté la réhabilitation. À titre d'exemple, les détenus sont payés pour suivre leur programme de réhabilitation. Dans le cas de ceux qui suivent le programme CORCAN, 6,90 $ leur sont alloués par jour et même plus.

Entre votre et moi, c'est peut-être peu, mais ils n'ont rien à payer, même pas leur loyer. Tout ce qu'ils ont à faire, c'est de suivre le programme de réhabilitation et de se prendre en main. Cependant, certains criminels ne veulent pas se prendre en main. Pour reprendre les propos de Sheldon Kennedy, qui est venu témoigner ce mardi, et je cite :

[Traduction]

Il faut établir une distinction entre le fait de subir un traitement de réadaptation et le fait de vouloir le subir.

[Français]

Je suis en faveur avec le projet de loi C-10 pour que des infractions ne donnent plus droit au sursis. Ces infractions comprennent le bris de prison, le leurre, l'harcèlement criminel, l'agression sexuelle, l'enlèvement d'enfants, la traite des personnes, l'enlèvement, le vol de plus de 5 000 $, l'introduction par effraction dans un endroit autre qu'une maison d'habitation, la présence illégale dans une maison d'habitation et l'incendie criminel avec intention.

Le projet de loi C-10, projet de loi sur la sécurité des rues et des communautés, porte bien son nom. Il vise à éviter que des gens dangereux reviennent dans nos rues et nos voisinages pour nous blesser et nous menacer à nouveau.

Nous, les victimes, réclamons une justice saine et équilibrée pour tout le monde. Je remercie le gouvernement d'avoir gardé le cap et d'avoir respecté sa promesse électorale. Je vous adresse cette demande : j'espère que le ministère de la Justice nous traitera comme des victimes et non plus comme des témoins lors des comparutions à la cour.

Merci de m'avoir permis de témoigner en tant que victime et ainsi d'avoir pu participer à vouloir faire de notre société un monde meilleur avec le projet de loi C-10.

Sandra Dion, à titre personnel : Je tiens à remercier ceux qui m'ont invitée à participer à ce comité. Mon témoignage touchera plus particulièrement les modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

En tant que victime, le projet de loi C-10 est un petit pas de plus pour redonner aux victimes un sentiment de confiance dans le système judiciaire puisque ce projet a pour objectif d'augmenter la sécurité de la population. Cela représente pour moi le début d'une nouvelle ère afin de trouver l'équilibre entre le droit des détenus et celui des victimes.

Je suis d'accord qu'une réinsertion sociale doive débuter par la responsabilisation des délinquants dans leurs actions. Le changement de comportement et de conscientisation doit d'abord débuter de l'intérieur avant d'espérer que ces derniers appliquent ces changements dans la communauté même. Ce qui m'amène à être en accord avec l'article 55 du projet de loi.

Depuis quelques années, les gens respectent de moins en moins l'autorité et les policiers. Je l'ai moi-même constaté dans le cadre de mon travail en tant que policière, et les statistiques aussi prouvent qu'il y a une augmentation de voies de fait sur les policiers.

Statistique Canada 2011 mentionne qu'il y a eu une augmentation de 45 p. 100 de voies de fait sur les policiers pour 2009 à 2010. Si les gens ne respectent plus les policiers, qui veillera au maintien de la paix, de l'ordre et de la sécurité de la population? Ce qui m'amène à être en accord avec l'article 103.

Le projet de loi C-10 vise également l'intérêt des victimes et, pour moi, cela est très important. J'ai pertinemment eu à arrêter quelques délinquants qui ont eu des bris d'engagement ou de leurs conditions. Puisque c'était dans le cadre de ma carrière, j'en ai arrêté plusieurs.

Entre avril 1975 et avril 2008, c'est 557 homicides qui ont été perpétrés par 508 délinquants en liberté sous condition. De 2005 à 2010, 60 p. 100 des meurtres ont été perpétrés par des individus en libération d'office. Plusieurs ont commis d'autres crimes pendant leur libération conditionnelle.

Un exemple récent, en avril 2011, celui de Richard Lavoie, 49 ans, qui habitait une maison de transition de Québec à sécurité plus élevée puisqu'il était sous le coup d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Il a frappé, séquestré et menacé de mort une femme de 30 ans sur la même rue où était située cette maison de transition.

Les policiers ne peuvent être derrière ces délinquants 24 heures sur 24 à surveiller leurs allées et venues. Malheureusement, il arrive souvent que les policiers interviennent après le fait, et il est trop tard. Ce qui m'amène à être en accord avec les articles 92 et 64.

En tant que victime, c'est important pour moi d'avoir certaines informations concernant mon agresseur pour mieux survivre à l'événement tragique qui a marqué ma vie à tout jamais. Pour ravoir la foi dans le système de justice, mon opinion en tant que victime doit être considérée et avoir un poids lors d'audiences sur une éventuelle libération conditionnelle ou encore le transfert d'un délinquant dans une autre maison de transition.

Il faut éviter des situations où l'agresseur pourrait se retrouver à moins d'un kilomètre de la résidence de sa victime, comme c'est mon cas présentement. C'est ce pour quoi je me bats afin d'éviter cette situation, sinon, c'est moi qui serai obligée de me déraciner de mon quartier et de déménager, avec ma famille bien sûr. C'est pour cela que je suis en accord avec les articles 57 et 96.

En résumé, le projet de loi C-10 se veut un projet qui améliorera la sécurité du public, soit la protection de notre société, en apportant des modifications dans le système correctionnel et en donnant aussi une plus grande considération aux victimes d'actes criminels.

Nicole Latour, à titre personnel : Bonjour, je tiens à remercier le Sous-comité du programme et de la procédure pour avoir autorisé ma participation et pour votre écoute, honorables sénateurs.

Mon nom est Nicole Latour. Je suis la proche de trois victimes d'actes criminels contre la personne. Comme Sandra vient de lire, ces événements nous marquent pour la vie.

Mon frère, Louis-Marie Poisson, a été victime à 33 ans d'un meurtre gratuit commis par Pasha Partridge, 27 ans, le 11 septembre 1992. Elle a écopé d'une peine réduite de sept ans pour homicide involontaire coupable. Cette délinquante n'a pas respecté ses conditions lors de permissions de sorties sans escorte qui ont dû être annulées par la CNLC (Commission nationale des libérations conditionnelles), ou CLCC maintenant pour le nouveau projet de loi, en juillet 1996.

Sa libération d'office fut ordonnée le 12 septembre 1997, sans imposition de conditions particulières malgré l'évidence de facteurs criminogènes et d'une demande en bonne et due forme que j'avais faite pour interdire ses contacts avec les membres de ma famille. Cette demande était inscrite au registre des victimes officielles du Service correctionnel et de la Commission des libérations conditionnelles. Comme Sandra l'a mentionné, je fais référence à l'article 96 pour ceux qui voudraient vérifier cette condition.

Ma fille, Céline Latour, qui était enceinte de sept mois à l'époque, et ma bru, Marguerite Cardinal, ont été victimes d'un vol qualifié en 1994, commis par Daniel Poirier, un récidiviste en liberté illégale qui en était à son troisième terme fédéral. Ce crime lui a valu une peine globale de cinq ans parce que j'ai dû faire les représentations moi-même au palais de justice. Les victimes sont laissées de côté complètement.

En 2008, Daniel Poirier fut identifié comme étant l'auteur de quatre meurtres au deuxième degré commis entre 1990 et 1999. Je suis contente de voir ma fille vivante aujourd'hui. Il purge actuellement sa condamnation d'emprisonnement à perpétuité pour ces quatre meurtres. Voici un exemple de 30 années d'efforts perdues par ces équipes de gestion de cas et de la nécessité de renforcer l'encadrement proposé par le projet de loi C-10 en vue de mieux protéger la société.

Je suis à la retraite depuis le 31 janvier 2007, après une longue carrière de 30 ans au Service correctionnel du Canada. J'ai débuté comme secrétaire de direction dans un pénitencier à sécurité maximale. Cet établissement comprend l'unité spéciale de détention où séjournent les détenus les plus dangereux au Canada, qu'on appelle à sécurité élevée.

J'ai occupé entre 1994 et 1997 un rôle de greffière d'audience à la CNLC durant trois ans et trois mois. Entre 1999 et 2007, j'occupais un poste d'analyste aux affaires des détenus à l'administration régionale. Par ailleurs, de 1997 à 2007, on m'a confié des fonctions spéciales liées à la gestion de délinquants notoire tels que Valery Fabrikant, Robert Clifford Olson, Karla Homolka et autres, compte tenu de ma grande sensibilité à l'égard des victimes d'actes criminels et de mes acquis professionnels.

Il va sans dire que les 11 enfants victimes assassinés par feu Clifford Olson, les meurtres d'Olivier et d'Anne-Sophie, ceux d'Emmanuelle et de Laurie Phaneuf, de Valérie Leblanc et de tant d'autres victimes de notre société ne doivent jamais être oubliés par les intervenants ou décideurs de la justice des milieux correctionnels ou des CLCC.

La protection de la société est une préoccupation importante et je m'explique bien mal la réticence des individus ou des organismes à souscrire au projet de loi C-10. Les statistiques annonçant la réduction de la criminalité doivent être nuancées et on doit tenir compte de nombreux cas déjudiciarisés ou de l'accalmie délictuelle chez les criminels qui avancent en âge. Je soupçonne que ces adversaires croient à tort que la situation des délinquants incarcérés, ou pouvant l'être éventuellement, soient inacceptables avec les mesures législatives proposées.

Je vais vous parler de l'évaluation des délinquants au Service correctionnel du Canada. Ils sont toujours admis au Centre régional de réception dès leur sentence de plus de deux ans. C'est un pénitencier qui les accueille et qui les évalue pour répondre à leurs besoins de santé physique, psychologique, éducationnel et occupationnel, de même que toutes mesures requises pour assurer leur protection. Les secteurs d'isolement préventif et les unités pavillonnaires appropriées y sont propices et sont assujettis à la Loi sur le système correctionnel et à la mise en liberté sous condition. Il y a des règlements, des politiques, des instructions permanentes. On peut alors s'assurer qu'il n'y a pas de torture dans des pénitenciers.

J'aimerais vous dire que pour répondre à tous ces besoins et particulièrement pour leurs facteurs criminogènes qui les ont conduits à commettre leurs délits, l'administration de programmes correctionnels soigneusement conçus contribue significativement à la réinsertion des délinquants dans la collectivité lors de leur mise en liberté. Une fois évalués, ces délinquants pourront participer à leur plan correctionnel activement en conformité avec les nouvelles dispositions du projet de loi C-10. La panoplie de programmes du service correctionnel répond à tous les besoins des délinquants afin de corriger leur attitude délinquante et comprend également ceux des industries CORCAN — je n'avais pas consulté Mme Tremblay avant — pouvant potentiellement développer des acquis pour l'employabilité. Le SCC possède plusieurs installations pénitentiaires dans chaque province du Canada et les délinquants y sont dirigés en fonction de leurs besoins. Des programmes pour le maintien des acquis existent également pour favoriser leur réussite. La responsabilité de la réinsertion en toute sécurité des délinquants dans la collectivité exige d'abord et avant tout qu'ils participent activement à leur plan correctionnel durant leur incarcération et redresse leurs comportements et facteurs liés à leur criminalité. De plus, ils peuvent bénéficier de programmes de réhabilitation mis à leur disposition par le SCC.

Les délinquants ont plusieurs ressources spécialisées pour leurs besoins tout en s'assurant de protéger leur sécurité et celle du personnel et des membres de la société. L'élaboration de programmes correctionnels tient aussi compte des besoins spécifiques des membres de groupes différents tels que les Autochtones face à leur spiritualité, les femmes ayant des besoins particuliers, les hommes ou les femmes aux prises avec un problème de santé mentale ou de handicap physique. Cependant, il ne faut pas entretenir une pensée magique pour croire que tous les délinquants et délinquantes seront motivés pour atteindre les objectifs de leur plan correctionnel.

En effet, certains démontrent depuis des années qu'ils ne deviendront jamais des citoyens respectueux des lois. Pour atteindre ce but, ils doivent démontrer une volonté à s'en sortir. À ce propos, j'aime citer M. Sheldon Kennedy, qui affirmait devant votre comité le 21 février dernier :

[Traduction]

Il faut établir une distinction entre le fait de subir un traitement de réadaptation et le fait de vouloir le subir.

[Français]

Les dispositions aux paragraphes 55.15.1(1), 55.15.1(2), 55.15.1(3) et 55.15.2 du projet de loi C-10 permettront de renforcer le plan correctionnel et inciteront les intervenants dans la gestion de cas des délinquants à le modifier sans délai lorsqu'une situation l'exigera. Ces dispositions sont mentionnées dans mon texte, mais je crois qu'il ne sera pas nécessaire de les répéter. Elles font partie du projet de loi C-10.

Saviez-vous qu'il existe des programmes de réhabilitation dans les pénitenciers, mais que le taux de succès est parfois très décevant. Selon un rapport publié en 2007, intitulé Feuille de route pour une sécurité accrue, rapport du comité d'examen du SCC, aux annexes B et C; le taux d'achèvement des programmes pour les délinquants était respectivement les suivants : programme pour les délinquantes, 28 p. 100; d'initiative pour les Autochtones, 29 p. 100; prévention de la violence, 65 p. 100; programme pour les délinquants sexuels, 63 p. 100; toxicomanie, 66 p. 100; prévention de la violence familiale, 74 p. 100; acquisition des compétences psychosociales, 79 p. 100; programme correctionnel communautaire, 55 p. 100; programme pour les délinquants ayant des besoins spéciaux, 53 p. 100.

Il y a aussi les programmes d'éducation au service correctionnel et cela fait partie de la formation de base pour les analphabètes. Sur ce plan, c'est encore plus décevant. Je ne vous nommerai pas tous les cours, mais cela part de FBA 1 à FBA 4; formation générale. On voit des résultats, de 14 p. 100, 16 p.100, 22 p.100, 20 p. 100, 39 p. 100 à 70 p. 100. Il y a un problème. Il y a des détenus qui ne veulent pas apprendre.

En matière d'interventions sécuritaires, le SCC possède les outils et les ressources nécessaires pour contrer les activités clandestines desquelles émerge le fléau de drogue en milieu carcéral. En effet, il a à sa disposition dans ses installations des maîtres chiens pour le dépistage de drogue, d'autres mesures telles que la cueillette d'échantillon d'urine aux fins d'analyses, les fouilles de véhicule de visiteurs, les saisis en cellule ou dans d'autres secteurs afin de rétablir l'ordre et maintenir un milieu sain. Ces interventions favorisent davantage l'incitation à l'abstinence et, en conséquence, la potentielle réussite des objectifs du plan correctionnel d'un délinquant aux prises avec des problèmes de toxicomanie.

Par ailleurs, je salue l'abolition de la suspension du casier judiciaire, ce qu'on appelait le pardon, en cas de crime grave pour certains délinquants reconnus coupables d'infraction d'ordre sexuel ou de violence prévue dans les dispositions du projet de loi C-10. Il en est de même pour celles des paragraphes 116.(1), 116.(1) 4.1(1)a), 116.(1) 4.1(1) b) et 116.(1) 4.1(2), qui établissent les restrictions d'une telle demande pour laquelle le fardeau revient au demandeur.

Il est intéressant de constater que la référence à la mesure la moins restrictive ait été remplacée par le terme « nécessaire et proportionnel » à l'alinéa 54.4c) du projet de loi C-10, de même que la notion de privilège à l'alinéa 54.4d) de celle-ci. Ces dispositions pourraient être très utiles selon ce que j'ai vécu dans ma carrière.

L'expression « la mesure la moins restrictive » était très importante. Le projet de loi C-10, comme la précédente Loi sur les services correctionnels et la mise en liberté sous condition, prévoit qu'un délinquant peut se prévaloir d'un système de plaintes et de griefs. Compte tenu des exigences trop farfelues de Valery Fabrikant, auteur de griefs multiples qui abusent nettement du système correctionnel, il serait souhaitable que les autorités appropriées songent à une mesure législative qui permettrait de freiner ces mesquineries à l'endroit du service correctionnel. Ce serait une judicieuse décision de permettre d'atténuer les effets de quérulence de ce détenu. Comme c'est dans la loi, ce n'est presque pas possible de changer pour un détenu comme cela.

Par ailleurs, certains citoyens croient à tort que les détenus du SCC peuvent être libérés au sixième de leur sentence de nos pénitenciers fédéraux. C'est plutôt le deux tiers pour la libération d'office pour un détenu qui est sentencié à deux ans et plus.

Je salue ici les dispositions législatives qui éliminent l'examen expéditif; dans ce cas, c'était un sixième, mais il ne fallait pas que le crime ait été violent. La libération d'office pour les délinquants sous juridiction fédérale n'est possible qu'aux deux tiers de leur sentence, et d'autres possibilités de mise en liberté existent à diverses étapes de leur incarcération, mais avec certaines limites.

Les dispositions du projet de loi C-10 prévoient clairement ce qui précède. Je salue aussi le paragraphe 78.(2) (6) portant sur l'impossibilité d'annuler une étude de la CLCC à l'intérieur d'une période de 14 jours, ce qui fera épargner beaucoup de coûts.

J'ai deux principales recommandations, mais elles sont lourdes; toutefois, je tiens à les dire.

Ma recommandation pour la gestion des programmes correctionnels est la suivante : je trouve inacceptable que les délinquants soient rémunérés pour participer à leurs programmes correctionnels, car ceux-ci ont été songés pour éliminer les facteurs qui les ont conduits à leur criminalité. C'est comme si on leur donnait une tape sur l'épaule et une poignée de main en leur disant qu'il nous fait plaisir de débourser ce cadeau pour les crimes qu'ils ont commis. À mon avis, c'est un non-sens, et il n'y a pas que le projet de loi C-10 qui motive cette pensée, car je l'entretiens depuis fort longtemps. Il faudrait plutôt songer à une mesure incitative pouvant maintenir l'encouragement d'un délinquant. Par exemple, le versement d'une rémunération graduelle en fonction du sérieux démontré par ce dernier et de ses perspectives de succès. Je me demande si les délinquants participeraient autant à leur plan correctionnel s'ils n'étaient pas rémunérés. Je crois que l'abolition de la rémunération susciterait davantage les délinquants sincères qui désirent réellement être réhabilités en démontrant une capacité d'introspection et d'empathie pour leurs victimes. S'il réussit son plan correctionnel, il pourra bénéficier par la suite d'un programme de maintien des acquis après sa mise en liberté. Voici ma recmmandation finale pour la gestion des victimes.

Comme nos témoignages seront écoutés par des représentants de la magistrature, je me permets, ici, de leur confier mon message en tant que porte-parole de plusieurs victimes d'actes de violence. Il serait plus que temps qu'elles soient mieux considérées par les acteurs de nos cours de justice. Nous avons la nette impression que ces victimes sont absentes de leur esprit.

J'ai un exemple récent pour illustrer ce fait. Dernièrement, la mère d'une victime assassinée il y a à peine un an, sans avoir été convoquée au palais de justice de Montréal, vient d'apprendre qu'un plaidoyer de culpabilité a été suggéré par la Couronne et la défense au tueur de sa fille.

La confiance en notre système de justice est écorchée. Il est urgent de la rétablir par les mesures qui s'imposent. J'aimerais souligner que des directives nous obligent à partager avec les délinquants tout renseignement pouvant conduire à la prise d'une décision qui les concerne. Pourquoi cette idéologie ne serait-elle pas appliquée pour les victimes de leurs crimes?

Bien qu'il existe à Service correctionnel Canada et à la Commission des libérations conditionnelles du Canada d'excellentes ressources pour la coordination des services aux victimes, il faudrait songer à la conception d'un programme à l'intention des victimes particulièrement au début de l'incarcération d'un délinquant. De préférence, ce programme devrait être du ressort fédéral, même si les centres d'aide pour les victimes sont de compétence provinciale.

Plusieurs victimes sont aux prises avec des tourments incommensurables à la suite de leur tragédie. Ces tourments peuvent être d'ordre juridique, judiciaire, social, familial, économique, psychologique ou médical. Plusieurs victimes ne possèdent pas de connaissances du domaine judiciaire ou carcéral qui leur permettraient de se prévaloir de leurs droits, même s'ils sont très limités.

Pour compléter, les indemnisations versées par la province pour l'aide aux victimes, il faudrait peut-être songer à des compensations financières, même minimes, que les délinquants pourraient verser aux victimes. Après tout, ils sont déjà assujettis à rembourser l'État lorsqu'ils détruisent des biens de la Couronne dans leur lieu carcéral.

Ne serait-il pas important de commencer à les responsabiliser dès le début de leur incarcération afin de compenser leurs victimes blessées physiquement ou psychologiquement, et dans le cas de victimes assassinées, de compenser leurs proches, selon la définition de « victime » que l'on retrouve dans le projet de loi C-10, aux alinéas 52(1)a), b), c) et d).

Il serait bien que les juges soient sensibilisés à cette pratique d'imputabilité pour les criminels dont certains demeurent souvent inconscients des séquelles de leurs gestes.

Dans son jugement du 14 mai 2010 contre le meurtrier Daniel Poirier, dont il fut question au début de ma présentation, l'honorable James L. Brunton, juge de la Cour supérieure — je laisse les références des deux causes — a songé à une telle mesure puisqu'il termine son jugement par la remarque « [ ...] dispense M. Daniel Poirier de payer une suramende, compte tenu de la longueur de la peine d'emprisonnement. »

Il serait intéressant que l'ombudsman pour les victimes soit sensibilisé à la diffusion de la photographie mise à jour de l'agresseur d'une victime lorsque son apparence a changé. Cette possibilité s'inscrit tout de même dans le cadre préventif de la sécurité des victimes.

Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup de ces déclarations. Nous allons passer à la période des questions, en commençant par celles de la vice-présidente du comité, le sénateur Fraser.

[Français]

Le sénateur Fraser : Veuillez m'excuser pour mon retard. Je n'aime pas faire attendre les gens et surtout pas des gens qui sont venus nous rendre un témoignage qui, à plusieurs égards, doit être aussi déchirant pour vous que pour nous.

Madame Dion, pouvez-vous me dire à quel endroit vous êtes policière?

Mme Dion : Au service de police de la Ville de Québec.

Le sénateur Fraser : Vous avez dit être en faveur de l'article 92 du projet de loi qui donne aux policiers le pouvoir d' « arrêter sans mandat le délinquant qui a violé ou qu'il trouve en train de violer une condition de sa libération conditionnelle ». Pouvez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire?

Je pense que les policiers peuvent déjà arrêter quelqu'un qui est en train de commettre un crime ou de troubler la paix. Si, par exemple, vous observez une personne qui n'est pas en train de commettre un crime, n'êtes-vous pas en mesure de lui dire que même s'il n'est pas en train de voler ou de commettre un crime physique, vous savez qu'il viole ses conditions de libérations conditionnelles et que, par conséquent, vous pouvez le mettre en état d'arrestation? Vous n'avez pas ce pouvoir?

Mme Dion : Il y a plusieurs types de bris. Il y a des bris d'engagement, des bris de conditions, des bris de sursis et des bris de libération conditionnelle. Les bris de libération conditionnelle sont des restrictions qui ont été données par le service correctionnel et non par un juge.

C'est pour cette raison qu'on doit demander à l'agent en question de se procurer un mandat auprès de la cour afin de pouvoir arrêter cet individu. Ce sont des conditions qui ne sont pas émises par les juges.

Le sénateur Fraser : Voilà une distinction que je n'avais pas saisie.

Mme Dion : Cela nous permet de sauver une étape. On pourrait y aller directement au lieu de passer par l'agent.

Le sénateur Fraser : Évidemment, cela amène immédiatement la question de savoir jusqu'où on doit aller en donnant aux autorités la possibilité de faire une arrestation sans mandat. C'est la question que le commun des mortels peut se poser.

Mme Dion : Il est certain qu'à partir du moment où il y a une possibilité de récidive, dépendamment des conditions, si on parle de garder la paix, la personne peut être libérée immédiatement si elle ne représente pas un danger,

Mais c'est du cas par cas, dépendamment si c'est un bris de probation ou un bris de sursis, il y a arrestation automatique parce que la personne est comme incarcérée, mais dans la société. Donc les conditions émises sont plus restrictives : dès qu'il y a un bris, il y a arrestation immédiate.

Un bris de probation est un engagement suite à un verdict de culpabilité d'un individu, à ce moment-là, ce sont peut- être des restrictions qui sont un peu moindres si vous voulez.

C'est pour cela qu'à l'occasion, c'est traité au cas par cas. Et bien sûr à partir du moment où il y a un danger pour la population, il y a une arrestation immédiate.

Mais il y a des cas où on peut libérer un individu immédiatement, mais on va quand même remplir un dossier qui suivra son cours. À ce moment-là, le dossier paraîtra à la cour comme bris de probation. C'est sûr que s'il y a plusieurs bris, tout cela s'accumule. Prenons comme exemple quelqu'un qui doit garder la paix. Le cas d'un individu qui se met à crier est différent de celui qui ne doit pas entrer en contact avec son ex-conjoin,t par exemple.

Le sénateur Fraser : Merci. Madame Latour, je vous félicite. Vous devez être une personne très forte.

Mme Latour : Je travaille à défendre les victimes aussi. J'ai un sens de la justice aigu. Je suis le genre de personne qui peut défendre un détenu en milieu carcéral s'il a été victime d'une injustice.

Le sénateur Fraser : Si vous avez travaillé avec Olson.

Mme Latour : Je n'ai pas travaillé vraiment à ses côtés. Mais il était tellement complexe. Et j'ai tellement souffert avec ce détenu, en pensant aux familles de ses victimes. Je sais que la mère d'une des victimes a témoigné ici.

La première fois que je l'ai rencontrée, je lui ai sauté au cou. Parce que pendant que j'étais à gérer des situations délicates pour ces détenus, je m'empêchais d'agir, mais maintenant, je suis dégagée puisque je suis à la retraite et personne ne va m'empêcher d'agir.

Le sénateur Fraser : Je voulais vous poser une question sur les chiffres que vous avez cités, le taux d'achèvement des programmes pour délinquants. Ces chiffres sont impressionnants mais pas nécessairement dans le bon sens.

Vous savez sans doute qu'on a entendu ce matin le témoignage de M. Head, de Service correctionnel Canada.

Mme Latour : Je ne l'ai pas entendu.

Le sénateur Fraser : M. Head, M. Cenaiko et d'autres témoins ont témoigné pendant une heure et demie. C'était assez intense et très intéressant.

Mme Latour : J'aurais aimé le rencontrer pour avoir des statistiques plus récentes.

Le sénateur Fraser : Il ne donnait pas tellement de statistique dans ces cas-là, mais il nous parlait d'un problème chronique, paraît-il, qui peut avoir contribué au chiffres que vous nous citez. Si on prend comme exemple un détenu qui arrive dans un pénitencier et qui est envoyé un peu plus tard dans un autre pénitencier où il est mis en ségrégation parce qu'il a fait quelque chose. Chaque fois, cela provoque une interruption dans sa programmation.

Mme Latour : Pas tout à fait. En isolement, ils continuent à bénéficier de certains programmes. Cela dépend du risque pour la sécurité.

Le sénateur Fraser : Ah oui? Pas systématiquement, mais généralement, ces interruptions auraient-elles contribué à ces taux de réussite très bas?

Mme Latour : Non, je ne crois pas. Vous savez que les résultats chez les femmes sont différents. Les femmes criminelles sont très différentes des hommes criminels, car elles ont d'immenses besoins. Les premières fois que j'ai côtoyé des femmes criminelles en audience, j'ai été dépassée, je ne m'imaginais pas que les femmes avaient autant de besoins. Cependant, dans les cas de rupture, la femme se retrouve souvent avec la charge des enfants, le mari étant parti, et on comprend mieux ces énormes besoins, c'est très réaliste.

Je n'ai donc pas été surprise de constater l'isolation dont les Autochtones souffrent quand ils arrivent en milieu carcéral. Cela paraît dans les programmes aussi, possiblement. Je ne suis pas une spécialiste des programmes.

Le sénateur Fraser : Par contre, vous avez vécu une perspective, pour nous, unique. C'est la première fois que nous entendons un témoin qui a occupé votre position, qui a votre expérience.

Mme Latour : Avant de venir témoigner, je me suis justement demandé si je n'étais pas en conflit d'intérêts en me présentant ici.

Le sénateur Fraser : Les chiffres que vous citez sont publics.

Mme Latour : Quand j'étais au service correctionnel, j'ai même protégé mon employeur quand mon frère est mort. J'ai tellement souffert de cela. Au lieu d'aller défendre mon frère au palais de justice, je me suis retirée. Je l'ai regretté. Je me reprends un peu aujourd'hui.

Vous avez raison, tout ce que j'ai mentionné, c'est public. Valery Fabrikant, c'est public depuis des années.

Le sénateur Fraser : Je suis de Montréal, je connais le cas

Mme Latour : Je peux vous dire quelque chose que j'ai encore sur le cœur. Quand j'ai rencontré le substitut du procureur de la Couronne, un an après le meurtre de mon frère — je ne connaissais pas Valery Fabrikant à l'époque —, le procureur, croyez-le ou non, m'a dit d'oublier la meurtrière de mon frère. Je lui ai dit : vous me demandez d'oublier cela? Il avait une pile de dossiers dans son bureau, les dossiers de Valery Fabrikant qui poursuivait tout le monde sur son passage à la Cour fédérale. Imaginez, dire cela à un proche d'une victime! C'est inacceptable. C'est pour cela qu'on m'a confié Olson, Fabrikant, Homolka, c'est parce que j'avais une sensibilité pour les victimes, parce qu'elles ont placé le service dans l'embarras souvent : la Chambre des communes, l'Assemblée nationale, écoutez, on avait des pressions politiques avec ces cas. Je peux en parler aujourd'hui. Et j'assume toute poursuite juridique.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Merci à vous trois d'être ici. Vous êtes toutes des victimes d'actes criminels. Il est très important que tous les Canadiens, et non seulement les membres du comité, entendent ce que vous avez à dire à propos du projet de loi et de tout projet de loi qui pourrait être envisagé dans l'avenir pour faire en sorte qu'ils tiennent compte des défis que doivent surmonter quotidiennement les victimes d'actes criminels.

L'une des initiatives contenues dans le projet de loi consiste en la suppression de l'assignation à résidence, que l'on désigne aussi sous l'appellation d'emprisonnement avec sursis. Il ne sera plus possible d'imposer une telle peine dans les cas de harcèlement criminel, d'agression sexuelle, d'enlèvement, de traite de personnes, d'enlèvement d'une personne mineure, de vol d'un véhicule à moteur, de vol de plus de 5 000 $, de présence illégale dans une maison d'habitation et d'incendie criminel. Êtes-vous en faveur de cette initiative? À votre avis, est-ce que cette solution adoptée par le gouvernement, qui vise à prendre en charge ces actes criminels très graves et à retirer aux tribunaux la possibilité d'imposer à ceux qui les commettent une assignation à résidence plutôt qu'une peine d'emprisonnement, est une solution judicieuse? Êtes-vous toutes favorables à l'initiative prise par le gouvernement dans le cadre du projet de loi C- 10?

[Français]

Mme Tremblay : Je suis d'accord avec ces dispositions pour l'avoir vécu moi-même. Mon ex-conjoint a été mon agresseur, il avait été incarcéré et il m'a presque tuée le 26 mars 2007. Si cela n'avait pas été de mes voisins, je ne serais pas ici, en train de vous parler aujourd'hui. Il était en sursis, il purgeait sa peine à la maison. S'il avait été incarcéré, je n'aurais pas eu à subir sa violence. Et je parle aussi au nom de l'autre victime, qui a été elle aussi presque laissée pour morte en juin dernier. On a eu toutes les deux le même agresseur puisqu'on a eu toutes les deux le même conjoint.

Je trouve déplorable que les peines de sursis soient encore acceptées au Canada. Il faut absolument que ce soit révisé. Si vous voulez vraiment garder vos citoyens en vie, vivre dans une société équilibrée et saine, je pense qu'il faut absolument que les agresseurs et les criminels restent où ils devraient être : en prison.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : La vaste majorité des agressions sexuelles ne sont pas signalées. En fait, selon Statistique Canada, le nombre d'actes criminels non signalés est à la hausse. Nous savons que le fait de porter une accusation comporte une certaine part de risque, risque encore plus élevé si le délinquant est remis en liberté ou se voit imposer une probation ou une autre peine du genre.

Avez-vous des observations à formuler en ce qui concerne le fait que les victimes et les témoins refusent de se manifester ou sont réticents à l'idée de le faire parce qu'ils craignent que, le lendemain, la personne dénoncée soit de retour dans les parages? Là encore, il s'agit d'un problème que le projet de loi tente de régler.

[Français]

Mme Dion : En ce qui concerne les agressions sexuelles, je crois personnellement que le projet de loi C-10 vient démontrer que c'est une question de tolérance de la société; en renforçant la pénalité, on envoie le message qu'il faut que cela cesse. Autrement dit, la petite tape dans le dos ne fonctionne pas. Les criminels tiennent pour acquis le droit à la libération aux deux tiers de la peine si leur comportement est exemplaire en prison. Pour moi, c'est important que la société décide quels sont les crimes intolérables dans leur pays, par exemple les infractions en ce qui a trait aux enfants, la pornographie juvénile, le leurre d'enfant. Il faut que les délinquants comprennent qu'il y a des conséquences aux gestes qu'ils posent.

Pour l'instant, lorsqu'on considère la réinsertion sociale, le pendule est à l'extrême. Oui, on peut considérer la réinsertion sociale, mais il y a des cas extrêmes où on ne le peut pas, plus particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes atteintes de maladie mentale, de paraphilie ou d'un problème au niveau sexuel. Il y a certains cas où, psychologiquement, on ne peut pas envisager la réinsertion sociale, si ce n'est que de la médication et de s'assurer qu'ils prennent leur médication. Le projet de loi C-10 parle de lui-même.

[Traduction]

Le président : Madame Latour, êtes-vous d'accord avec cela? Avez-vous quelque chose à ajouter?

[Français]

Mme Latour : Effectivement, j'appuie ce qu'elles ont dit, mais j'aimerais mentionner la responsabilité des hôpitaux depuis la déjudiciarisation, ainsi que la Loi sur les renseignements personnels et de la vie privée, qui empêche la sécurité du public. Un toxicomane en état de psychose peut devenir très dangereux pour la société, mais lorsque les policiers le conduisent à l'hôpital, l'hôpital le retourne chez la personne vulnérable.

Il y a quelque chose à faire dans la société aussi. J'ai vu des juges, à la cour, engueuler des policiers parce qu'une mère dénonçait une voie de fait à une personne qui l'avait agressée en état de toxicologie.

Des mesures devraient être prises, non seulement dans les pénitenciers mais dans la société. Ce n'est pas moi qui changerai la situation car je ne suis pas législateur.

Le sénateur Chaput : J'aimerais relever votre dernier commentaire, madame Latour, avant de poser ma question. Vous allez permettre des changements?

Mme Latour : C'est pourquoi nous sommes ici.

Le sénateur Chaput : Il ne faut donc pas dire que vous ne changerai pas la situation. Le simple fait de venir partager votre expérience, comme plusieurs autres, pourra changer la situation.

Mme Latour : Si vous saviez comment les choses parfois sont difficiles. On devient justicier car tout le monde nous empêche de faire des choses. Je sais de quoi je parle. Ma mère était inapte. Si vous saviez ce qu'on a dû faire pour la protéger.

Le sénateur Chaput : Ma question est à l'égard du tableau figurant à l'annexe B de votre document, madame Latour. Vous avez parlé des résultats des programmes pour délinquants. On voit les programmes pour délinquantes et les programmes d'initiative pour les Autochtones au dernier tableau. Ces deux programmes n'ont pas eu de très bons résultats?

Mme Latour : Je ne suis pas surprise. J'ai été agent de liaison, au pénitencier, pour l'accueil des Autochtones. Ce sont des gens très fermés. Ils n'étaient pas à l'aise dans ce pénitencier, étant donné leur culture. Je ne suis jamais allée à Frobisher Bay. C'est pourquoi nous avons des ressources visant à respecter leur culture.

Le sénateur Chaput : Je vous pose la question étant donné votre grande expérience. Les établissements ne devraient- ils pas avoir des programmes différents ou présentés de façon différente pour ces deux clientèles?

Mme Latour : Ils ont déjà des programmes.

Le sénateur Chaput : Différents des autres?

Mme Latour : Absolument

Le sénateur Chaput : Et les choses ne fonctionnent pas mieux?

Mme Latour : On a des programmes pour tous les groupes de personnes. Vous savez, la loi prévoit aussi qu'on doit respecter les cultures.

Le sénateur Chaput : Je comprends.

Mme Latour : Les Autochtones avaient certains rituels. Le service correctionnel prenait la responsabilité de combler ces besoins, comme pour toutes les autres catégories de délinquants et délinquantes.

Le sénateur Chaput : Encore une fois, selon votre expérience, vous n'avez pas vu de changements qui auraient dû être apportés à ces programmes? Le but est toujours d'empêcher la récidive.

Mme Latour : Certains détenus réussissent leur réinsertion sociale. Toutefois, je ne crois pas que c'est la majorité.

Le sénateur Chaput : Ce n'est pas possible?

Mme Latour : Je n'ai pas dit que ce n'était pas possible car je crois à la réinsertion sociale. Je n'y crois pas dans certains cas comme celui de Fabrikant, ou de l'agresseur du vol qualifié de ma fille, qui est devenu un meurtrier presqu'en série. Si on cessait la rémunération, dans certains programmes, on pourrait peut-être mieux identifier qui est vraiment motivé à être réhabilité. Malheureusement, je ne peux pas vous donner une réponse très intelligente.

Le sénateur Chaput : Vous partagez votre expérience et c'est très apprécié.

Mme Latour : Merci.

Le sénateur Chaput : Avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Tremblay : J'aurais quelque chose à ajouter à mon témoignage, si vous ne voyez pas d'inconvénient. C'était très important pour moi de venir témoigner aujourd'hui. J'étais à la maison des femmes et je me disais, il y a quatre ans, que je vais me rendre jusqu'au gouvernement pour aller témoigner, et c'est ce que je fais aujourd'hui. J'en suis très fière.

Je suis ici pour dénoncer la violence faite, en majeure partie, aux femmes, et pour faire avancer les lois. On ne peut plus continuer en faisant semblant que tout va bien. Il n'en est rien. Il faut que nous vivions dans notre pays de façon sécuritaire, respectable et avec dignité. J'insiste beaucoup sur cette phrase que j'ai écrite. Vous ne l'avez pas car elle figurait dans mes questions.

Par dignité et respect pour celles qui ont été assassinées, et ceux qui ont été assassinés aussi, pour ton frère, et qui n'ont pas la chance que j'ai aujourd'hui, que nous avons aujourd'hui, en tant que survivantes, de se faire entendre, j'aimerais rendre hommage à ces familles et à ces gens.

Le sénateur Boisvenu : Mesdames, merci beaucoup d'être ici. Bravo!

Je tiens à souligner que, dans l'assistance, il y a des gens qui supportent beaucoup les victimes. Je pense à la présidente de l'association, Mme Pousoulidis, M. Bruno Serre, dont la fille a été assassinée, M. Carretta, dont la fille a été assassinée et Michel Surprenant, que tout le monde connaît, dont la fille est disparue. Vous voyez ces trois hommes qui sont aussi pères fondateurs de l'association que j'ai créée. C'est pourquoi nous voulions donner une voix masculine à la violence faite aux femmes. Je tiens à saluer leur présence aujourd'hui. Mesdames, dites-vous que vous avez des partenaires dans la lutte que vous menez.

J'aurais deux questions. Ma première s'adresse à Mme Dion. Pour laisser du temps aux autres sénateurs, je vous demanderais d'être brève dans vos réponses.

Dernièrement, vous avez fait un point de presse, suite à votre rencontre avec le ministère de la Sécurité publique concernant votre cas. Vous avez indiqué que lorsqu'on remet en liberté un criminel toujours considéré comme dangereux par la commission, on tient plus compte du droit du criminel que du droit à la protection des victimes. Vous avez alors énoncé un changement important que l'on devrait apporter lorsqu'il s'agit de libérer ces personnes, notamment la notion de distance entre la victime et le criminel. Pourriez-vous nous en parler rapidement?

Mme Dion : Lorsqu'on est victime d'une personne qui a tenté de vous tuer, le fait de savoir que l'agresseur pourrait résider à moins d'un kilomètre de votre résidence est impensable. Cette décision est complètement absurde. Malheureusement, présentement, on ne prend pas du tout en considération ce que pense la victime.

J'ai rencontré cette semaine la directrice du service correctionnel. Notre entretien a duré plus d'une heure et quart. La discussion a tourné autour de l'agresseur Laurent Minier. Elle m'a parlé de son programme et du fait qu'il était préférable, pour une raison quelconque, qu'il soit au Centre Caron. Elle disait que la décision n'a pas encore été prise concernant son transfert. Par contre, que lorsque Laurent Minier sera au Centre Marcel Caron, « on pourra faire un quadrilatère pour vous, madame Dion ». Toutefois, en aucun temps elle m'a demandé si pour moi cette situation était vivable.

Vous comprendrez que je réside à cet endroit depuis des années, c'est mon quartier, ce sont mes racines. Or, lui sera transféré parce qu'il a demandé d'être transféré à Québec, et c'est moi qui devra déménager.

Il y a vraiment un manque d'équilibre et de considération. Je me suis même posé la question à savoir si, à force de travailler avec ces gens, on ne voit qu'un côté de la pièce. Voit-on face en oubliant de voir pile? Cela m'a complètement déroutée.

Le sénateur Boisvenu : Madame Latour?

Mme Latour : Puis-je ajouter quelque chose?

Le sénateur Boisvenu : Je tiens à poser mes questions rapidement pour laisser la place aux autres.

Mme Latour : Je suggérais qu'on ait un programme au fédéral. Sa question est directement pour la Commission des libérations conditionnelles. Il faudrait qu'elle soit inscrite au registre des victimes.

Le sénateur Boisvenu : Nous allons y travailler. Vous connaissez ce document, madame Latour, intitulé Feuille de route pour une sécurité publique accrue?

Mme Latour : J'en ai des extraits, mais je ne l'ai pas au complet.

Le sénateur Boisvenu : Ce document a été contesté par certaines personnes qui disaient qu'il ne répond pas à la réalité et que ses orientations n'apporteront pas un meilleur système de pénitencier au Canada. Vous avez sans doute une bonne idée du document. Ce qu'on y décrit comme problématique représente-t-il la réalité?

Mme Latour : Je n'ai pas parcouru ce texte.

Le sénateur Boisvenu : Vous ne l'avez pas parcouru?

Mme Latour : Je suis à la retraite depuis 2007. J'ai donc moins de littérature.

Le sénateur Boisvenu : Très bien, je poserai la question à quelqu'un d'autre.

[Traduction]

Le sénateur Lang : Je tiens à remercier tous les témoins d'être venus ici. Un certain nombre de victimes d'actes criminels se sont présentées devant le comité, et tout ce que je peux dire au nom de la population canadienne, c'est que nous sommes très désolés de ce qui vous est arrivé.

J'aimerais poser la question suivante : vous avez toutes étudié le projet de loi; d'une façon ou d'une autre, vous avez personnellement composé avec les bons et les mauvais côtés des dispositions législatives en vigueur; si le projet de loi n'est pas adopté, quelles seront les répercussions, à votre avis, sur le système de justice et la confiance qu'ont les Canadiens à son égard et, dans votre cas, sur le système de justice pénale du Québec?

[Français]

Mme Tremblay : Je vais être très déçue pour tout le pays en entier, et pour le Québec aussi. Je pense, sincèrement, qu'il faut absolument que le projet de loi passe. On ne peut plus continuer à être victime de criminels violents. Comme vous l'avez vu dans les statistiques, le taux de criminalité a fortement augmenté et en tant que citoyens nous vous prions, vous les législateurs, de vouloir prendre le temps de nous écouter et de prendre en considération tout ce qu'on vous a dit aujourd'hui — je parle aussi de ceux qui sont passés ici avant nous. C'est impératif. Il faut absolument que ce projet de loi passe, sans cela, on s'en va complètement vers un pays qui va sombrer dans la criminalité, beaucoup plus que ce qu'on a aujourd'hui. Et vos enfants, vos filles, vos mères et vos petits-enfants vont y passer aussi. On ne peut pas non plus éduquer une société avec la loi comme on l'a présentement.

Je pense que le projet de loi C-10 est un projet de loi qui veut faire vivre notre société, nos enfants et nos familles dans un pays sécuritaire et digne.

Mme Dion : Je vais résumer ça de cette façon : pour moi, le projet de loi C-10 est une nouvelle ère. C'est le retour du balancier. On est allé à l'autre extrême, on n'a pensé qu'aux délinquants et on a complètement oublié les victimes. Pour moi, la représentation que je me fais du projet de loi C-10 est que c'est le début du retour de balancier et de l'équilibre entre le droit des victimes et le droit des délinquants.

Mme Tremblay : Absolument.

Mme Latour : Madame Dion m'a enlevé les mots de la bouche. Je n'ai rien à ajouter.

[Traduction]

Le président : Madame Dion, vous avez fait allusion à l'équilibre entre les droits des délinquants et ceux des victimes. Au bout du compte, l'objectif est de réduire le nombre de victimes en tirant le meilleur parti possible des dispositions réglementaires et législatives dont nous disposons pour restreindre les possibilités offertes aux délinquants. Je suis certain que vous serez d'accord avec moi pour dire que nous devons faire davantage que d'établir un équilibre — nous mettons l'accent sur ce que nous pouvons faire pour améliorer le système et faire diminuer le nombre d'occasions de créer de nouvelles victimes.

[Français]

Mme Latour : C'est très apprécié, merci.

Mme Tremblay : Cela met du baume sur nos plaies.

Mme Latour : Absolument. Et je crois vraiment que le projet de loi C-10 va faire changer les choses.

Le sénateur Dagenais : Merci, mesdames, d'être ici aujourd'hui. Je salue votre courage car, évidemment, quand on parle des événements que vous avez vécus, ce n'est pas sans ouvrir des plaies.

Ma première question s'adresse à Mme Tremblay. Vous avez souligné qu'il y avait des programmes de réhabilitation en milieu carcéral qui vont demeurer après l'adoption du projet de loi C-10. Pour mieux comprendre votre intervention, que je qualifierai de courageuse, j'aimerais, en partant de votre propre cas, que vous nous expliquiez, concernant le cas de Michel Hamelin, quelle était la lacune qu'il y avait dans le système?

Mme Tremblay : Je n'ai pas été entendue par la cour. Je n'ai pas été crue jusqu'à ce qu'il ait fait une autre victime. La lacune a été tout simplement que la justice n'a pas mis son pied à terre. On ne donne pas juste une tape sur les doigts à quelqu'un qui a commis un tel crime. J'ai été violée aussi par cet individu. J'ai connu l'enfer. Le fait qu'il ait eu juste deux ans de sursis à faire à la maison, c'est inconcevable. Je n'ai pas été entendue, je n'ai pas été respectée et je pense que la loi était faite de telle façon que les policiers, à ce qu'ils m'ont dit, avaient les mains liées. On m'a dit : « On fait ce qu'on peut pour vous, mais on ne peut pas aller au-delà des lois. »

La lacune était au niveau des lois, et le sursis ne devrait plus exister. Si cette disposition avait été enlevée complètement, Mme Coutu n'aurait pas été agressée par M. Hamelin. Nous avons eu toutes les deux le même agresseur. Je pense vraiment que le sursis devrait être revu et même aboli.

Le sénateur Dagenais : J'ai une courte question pour Mme Dion. Est-ce que vous croyez que votre agresseur, M. Minier, soit un tant soit peu réhabilité ou qu'il est encore carrément dangereux?

Mme Dion : Je vous dirais que je suis son dossier depuis qu'il est incarcéré. Rapport après rapport, la Commission des libérations conditionnelles a mentionné que l'individu était à haut risque de récidive. Et lorsque j'ai reçu la décision, le 10 janvier dernier, encore une fois la psychiatre mentionnait que sa dangerosité était contrôlée par la médication qu'on lui injecte et qu'on s'assure qu'il prenne. On parlait d'une amélioration superficielle pour cet individu, notamment grâce à toute l'équipe qui l'entoure; autrement dit il est contrôlé. Mais avant qu'il prenne sa médication, lorsqu'était incarcéré, il a écrit et dit qu'il tuerait une autre policière, et que la prochaine fois ce serait par arme à feu. Cet individu, en 2017, va être libre comme l'air, comme vous et moi, alors qu'on va l'avoir contrôlé pendant pratiquement 14 ans.

Là, il y a aussi un problème : son état de santé mentale est tellement lourd qu'il faut absolument qu'il soit encadré. En réalité, ce n'est pas un criminel, c'est un individu qui a des problèmes de santé mentale très lourds, alors qu'il se trouve présentement incarcéré. Et en 2017, plus personne ne va s'occuper de lui et il va être libre comme l'air. Son état connaît un « plateau », mais c'est à cause de la médication qu'il est obligé de prendre parce qu'il est contrôlé. Qu'est-ce qu'il va faire lorsqu'il va être laissé libre, avec tout ce qu'on sait dans le rapport psychologique? Je ne vais pas énumérer, au plan scientifique, tous ses problèmes, mais il a une paraphilie pour les femmes policiers en uniforme, il a des obsessions sexuelles et des fixations sur les femmes policiers.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Je tiens à vous remercier toutes les trois. Ce que vous avez fait exige beaucoup de courage. Madame Tremblay, le comité est honoré que vous ayez témoigné devant lui, et il vous en est vraiment reconnaissant.

Vous nous avez parlé de beaucoup de choses qui n'ont pas fonctionné pour vous. Au bénéfice des autres femmes, pourriez-vous mentionner un élément qui, s'il avait été en place, vous aurait aidé?

[Français]

Mme Tremblay : Changez les lois, continuez de faire ce que vous êtes en train de faire aujourd'hui et surtout, continuez d'écouter les victimes. Elles ont beaucoup à vous apporter. Nous ne parlons pas de quelque chose que nous ne connaissons pas. Nous parlons de quelque chose que nous avons vécu, et nous devrons vivre avec des séquelles psychologiques, physiques et financières pour le reste de nos jours. Pour ce qui est de l'initiative qui a été prise aujourd'hui, je vous en remercie. C'est moi qui suis honorée d'être ici aujourd'hui. Merci au nom des victimes.

Mme Latour : Je vous remercie également, tous, pour votre attention.

[Traduction]

Le président : C'est nous qui sommes honorés. Merci de nous avoir raconté, au bénéfice de la société, les épreuves très douloureuses que vous avez vécues. Cela nous aide à faire notre travail. Il y a des messages que nous devons entendre. Vous avez dû prendre votre courage à deux mains pour venir raconter au comité ce que vous avez vécu, et il vous en est profondément reconnaissant.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10. Nous examinons plus particulièrement aujourd'hui les parties 2 et 3 du projet de loi, qui concernent les peines d'emprisonnement avec sursis, les libérations conditionnelles et les pardons.

Nous accueillons aujourd'hui — et sommes très heureux de le faire — Mme Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique, Aboriginal Legal Services of Toronto, et M. John Martin, criminologue, University of the Fraser Valley.

Madame Big Canoe, je crois comprendre que vous avez une déclaration à nous présenter.

Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique, Aboriginal Legal Services of Toronto : Merci. Je m'appelle Christa Big Canoe, et je suis directrice du plaidoyer juridique, Aboriginal Legal Services of Toronto, organisation que l'on désigne couramment par l'acronyme ALST. J'aimerais remercier les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles d'avoir invité l'organisation que je représente à présenter des observations concernant la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, plus particulièrement les parties 1 et 3.

ALST est intéressée à exprimer le fait qu'elle s'oppose à l'adoption de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés en raison de la grave surreprésentation des Autochtones au sein des systèmes de justice criminelle et de justice pénale et de l'incidence globale qu'aura le projet de loi — plus particulièrement les deux parties examinées aujourd'hui — sur l'ensemble des peuples autochtones.

Je ne lirai pas mon mémoire de façon suivie. J'indiquerai tout d'abord que ALST est un organisme offrant de multiples services juridiques aux membres de la communauté des Autochtones de Toronto. En outre, l'organisation que je représente a fait un certain nombre d'interventions à tous les échelons du système judiciaire, et a également participé à un certain nombre d'enquêtes du coroner à l'échelle nationale. De plus, elle dispose de programmes internes axés sur la justice réparatrice, et exécute des programmes de déjudiciarisation, dont l'objectif principal consiste à réduire le taux de récidive chez les Autochtones, tant les jeunes que les adultes. À un certain nombre d'occasions, elle s'est présentée devant les tribunaux, notamment la Cour suprême et la Cour d'appel, plus particulièrement pour témoigner sur des questions liées à l'affaire Gladue ou pour parler de problèmes systémiques auxquels se heurtent les Autochtones au sein du système de justice. Cela est mentionné dans le mémoire, et je ne passerai pas nécessairement en revue tout ce qui y est mentionné.

Comme le temps dont je dispose est limité, j'aimerais me concentrer sur la partie 2. Cela dit, je suis également disposée à répondre à des questions touchant la partie 3, vu qu'elle concerne des dispositions s'appliquant aux termes de la LSJPA. J'aimerais attirer l'attention sur les principales préoccupations de l'organisation que je représente — une organisation autochtone qui fournit des services juridiques aux Autochtones — en ce qui concerne les peines minimales obligatoires et les peines d'emprisonnement avec sursis.

À notre avis, la principale préoccupation que soulève l'adoption du projet de loi tient à ce qu'il portera atteinte aux principes de détermination de la peine énoncés à l'article 718.2 du Code criminel du Canada, et j'entends non seulement les principes énoncés à l'alinéa 718.2e), mais toutes les dispositions de l'article.

En outre, nous sommes d'avis que des progrès ont été réalisés au chapitre de l'application aux peuples autochtones des principes énoncés dans la décision Gladue en matière de détermination de la peine et à d'autres égards, car les tribunaux de l'ensemble du pays, et plus particulièrement ceux de l'Ontario, ont commencé à appliquer ces principes à des questions autres que celles de la simple détermination de la peine. Tout récemment, en octobre, la Cour suprême s'est penchée sur l'application de ces principes dans le cadre d'affaires touchant les délinquants purgeant une longue peine. Il est crucial que ces principes eux-mêmes soient maintenus.

Nous estimons que la Loi sur la sécurité des rues et des communautés ne fera qu'aggraver la surreprésentation des Autochtones au sein du système carcéral, et ce, sans dissiper les préoccupations légitimes soulevées par les Autochtones et les non-Autochtones du pays en matière de sécurité.

Je serai brève, car un certain nombre de témoins experts et d'excellents témoins ont mentionné et analysé des statistiques spécifiques, mais j'ai une importante communication à vous faire, vu que la question de la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice pénale, de même que celle des Autochtones victimes d'actes criminels, sont des questions dont nous devons nous occuper chaque jour dans le cadre de nos activités touchant chaque secteur du droit. Nous exerçons nos activités à cet égard par le truchement de la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels et du PEI, le Processus d'évaluation indépendant. Je ne crois pas que ces deux aspects — la victimisation et la criminalité — s'excluent mutuellement.

Les Autochtones ne représentent que 4 p. 100 de la population canadienne, mais représentent 25 p. 100 de la population carcérale du pays — cela dénote le fait qu'il y a actuellement et depuis longtemps des lacunes et des problèmes évidents au sein du système de justice. Les tribunaux ont reconnu que le système de justice du Canada avait manqué à ses obligations à l'égard des peuples autochtones. Nous fournissons aux peuples autochtones des services afin d'atténuer ou de réduire au minimum les répercussions de ces lacunes. À nos yeux, le projet de loi, particulièrement les dispositions touchant les peines minimales obligatoires et la suppression des peines d'emprisonnement avec sursis, risque de causer d'autres préjudices aux Autochtones.

Plus précisément, le recours accru aux peines minimales aura pour effet de diminuer le recours aux peines d'emprisonnement avec sursis. Cela pose des problèmes, car cela empêche le juge d'envisager cette option au moment de la détermination de la peine. À notre avis, dans certains cas, il convient d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. On ne peut pas sérieusement justifier le recours à des peines minimales de 90 jours — si vous examinez le projet de loi proposé, vous constaterez que certaines des peines minimales sont passées de 14 jours d'emprisonnement à 45 à 90 jours ou à un an — en invoquant le fait qu'elles ont un effet dissuasif sur les délinquants ou qu'elles mènent ces derniers à se réadapter ou à corriger leur comportement pendant qu'ils sont incarcérés. En ce qui concerne plus particulièrement les peuples autochtones, le principe de dissuasion n'a pas le même effet, comme le montre la surreprésentation continue, tant dans le passé qu'à l'heure actuelle, des peuples autochtones au sein du système pénal. Je crois savoir que le chef national a témoigné plus tôt cette semaine, et l'une des observations qu'il a formulées tenait à ce qu'un effet dissuasif fondé sur une simple peine minimale n'était pas considérable sur les hommes autochtones du pays, qui risquent davantage d'être incarcérés que de terminer leurs études secondaires.

Dans les faits, lorsqu'elles sortent d'un pénitencier, les personnes ont des problèmes plus graves que ceux qu'elles avaient au moment d'être incarcérées — il arrive parfois qu'elles aient des problèmes de toxicomanie qu'elles n'avaient pas avant d'entrer en prison. Nous constatons cela dans le cadre de nos activités quotidiennes, particulièrement lorsque nous travaillons auprès des groupes de jeunes ou que nous représentons des victimes. Il y a des gens qui n'avaient jamais consommé autre chose que de l'alcool ou de la marijuana, qui se sont retrouvés dans un établissement correctionnel et qui, tout d'un coup, ont été mis en présence d'une gamme de drogues plus illicites et plus nuisibles. Ces gens sont devenus toxicomanes pendant leur incarcération.

Les délinquants autochtones font davantage l'objet de discrimination raciale — M. Sapers a mentionné cela, et les rapports que j'ai cités le mentionnent également —, et risquent davantage de devenir membres d'un gang. Les adolescents ou les jeunes adultes provenant de régions éloignées qui se voient imposer une peine de pénitencier se retrouvent dans de grands centres urbains, et sont exposés à des membres de gang ou se voient contraints de rejoindre les rangs de gangs. Ils n'auraient peut-être pas été exposés à cela dans d'autres circonstances.

Dans le cadre du projet de loi, on propose de remplacer l'article 742.1. L'article énonce le recours à une peine maximale d'emprisonnement, de même que la liste des infractions qui ne pourront pas faire l'objet d'une peine d'emprisonnement avec sursis.

Nous sommes d'avis que, à l'heure actuelle, on n'a recours aux peines d'emprisonnement avec sursis que si les dispositions législatives le permettent, si un juge est convaincu qu'une telle peine ne fera courir aucun risque à la collectivité et si cette peine cadre avec les objectifs fondamentaux des principes de détermination de la peine. Certains délinquants seront visés par le projet de loi proposé; dans le cadre d'une question qu'il a posée au dernier groupe de témoins, l'un des sénateurs a mentionné quelques-unes des infractions concernées, par exemple le vol de plus de 5 000 $ et le vol de voiture. En fait, les délinquants qui seront visés par les dispositions législatives et qui se verront imposer une peine minimale obligatoire seront peut-être des personnes qui en sont à leur première infraction, et à qui il serait véritablement préférable — non seulement pour eux, mais également pour la société — d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Ce type de peine peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire ou d'un examen de la probation pendant une période pouvant aller jusqu'à cinq ans. Une peine de 90 jours peut s'assortir d'une période de probation, mais seulement durant deux ans, de sorte que l'on ne peut pas nécessairement toujours assurer la même supervision.

Lorsque des conditions appropriées sont intégrées à une peine d'emprisonnement avec sursis, il est possible de superviser le délinquant, et de se concentrer sur sa réadaptation et son rétablissement — on voit des personnes faire de grands progrès. On le voit chaque jour dans le cadre de nos programmes, qu'il s'agisse de programmes de maîtrise de la colère ou de types particuliers de programmes adaptés à la culture.

Le dernier sujet que j'aimerais aborder concerne la soupape de sûreté que représentent les poursuites par opposition à celle que constituent les mécanismes législatifs et judiciaires. Vous savez que nous ne sommes pas favorables au projet de loi, mais nous recommandons que, dans l'éventualité où il est adopté, on le modifie de manière à donner aux juges la possibilité de ne pas imposer une peine minimale dans des circonstances exceptionnelles. On qualifie souvent une telle disposition de soupape de sûreté. L'Association du Barreau canadien et d'autres témoins ont parlé de cette soupape de sûreté dans le cadre de témoignages qu'ils ont présentés. Nous estimons que cela contribuerait grandement à balayer les objections selon lesquelles les dispositions législatives ne sont pas constitutionnelles, et à permettre aux juges d'envisager l'application d'autres dispositions relatives à la détermination de la peine, plus particulièrement celles énoncées à l'alinéa 718.e), dans les cas où, de toute évidence, il serait injuste, vu les circonstances, d'imposer une peine minimale.

À cet égard, ce qui nous pose le plus de difficulté, c'est que nous convenons et croyons réellement que l'absence de pouvoir judiciaire discrétionnaire, le fait de retirer au juge son pouvoir discrétionnaire, particulièrement dans le contexte de l'article 718.2, dans les cas où les peines imposées devraient être semblables à celles imposées à des délinquants de profil semblable ayant commis une infraction semblable dans des circonstances semblables... Lorsque l'on commence à envisager l'imposition de peines minimales obligatoires et de supprimer l'imposition de peines d'emprisonnement avec sursis, on se concentre exclusivement sur l'infraction, et l'on fait abstraction du délinquant et de sa situation. Il s'agit d'une inobservation de l'article 718.2, plus particulièrement de l'alinéa 718.2e), qui exige que la peine la moins lourde soit imposée à tous les délinquants, non seulement aux délinquants autochtones, et qu'une attention particulière soit accordée à la situation de ces derniers, laquelle comprend les préjudices et la victimisation qu'ils ont subis dans le passé et qui, dans les faits, représentent la cause première de leur comportement délinquant.

Dans le mémoire que nous avons déposé, nous mentionnons l'affaire R. c. Smickle pour faire valoir que le projet de loi, s'il est adopté, se traduira par une série de litiges, lesquels seront tous fondés, sans exception, sur des motifs constitutionnels. Il s'agit d'un excellent exemple de cas où la Couronne a décidé, en toute bonne foi et en fonction de tous les renseignements dont elle disposait, de procéder par mise en accusation, et où les faits ne concordaient pas. Dans ce cas précis, nous estimons que l'imposition d'une peine minimale de trois ans représente une sanction cruelle et inusitée qui invalide les dispositions législatives. À mon avis, nous assisterons à un accroissement du nombre de litiges, surtout des litiges touchant les Autochtones et d'autres personnes dont le droit de ne pas subir un traitement cruel et inusité ou celui de se voir imposer des peines plus appropriées et adéquates est garanti par la Constitution et la Charte.

Les principes énoncés à l'article 718.2 ont été adoptés à titre de mesures législatives afin de reconnaître et de corriger les graves désavantages qu'ont occasionné pour de nombreux Autochtones du Canada les mauvais traitements et la pauvreté qu'ils ont subis dans le passé. La jurisprudence croissante découlant de ces dispositions et des principes de détermination de la peine énoncée dans Gladue représente une réaction mesurée et appropriée à la grave surreprésentation des Autochtones du Canada au sein du système de justice pénale du pays.

Si je vous parle de cela, c'est que, à titre de femme d'une Première nation travaillant dans le secteur canadien du droit et représentant les peuples autochtones, je rêve du jour où nous n'aurons plus besoin que le Code criminel contienne une disposition exigeant expressément qu'une attention spéciale soit accordée aux Autochtones, car cette mesure corrective prise par les législateurs aura porté ses fruits, et que les Autochtones n'auront plus à faire face aux mêmes problèmes permanents et systémiques avec lesquels ils sont actuellement aux prises. La réalité, c'est que nous n'en sommes pas encore là. En fait, les rapports et les statistiques montrent que le taux d'incarcération des Autochtones est non pas à la baisse, mais à la hausse. L'imposition de peines minimales obligatoires et la suppression de quelques types de peines d'emprisonnement avec sursis liées à certaines infractions ne fera que consolider cette tendance et l'aggraver.

Le seul effet du projet de loi sera de contribuer au maintien de la surreprésentation des Autochtones, voire — c'est une prédiction — à son accroissement. Le temps n'est pas venu d'abroger cette disposition du Code criminel — le travail requis n'a pas encore été fait.

Du point de vue des fournisseurs de services juridiques autochtones, il semble que la Loi sur la sécurité des rues et des communautés ait pour but d'abroger l'article 718.2 d'une manière furtive — c'est-à-dire d'enlever tout fondement aux principes qui sous-tendent cet article, sans l'abroger à proprement parler. Nous demandons instamment au Sénat de faire en sorte que cela ne se produise pas, ou du moins d'apporter des modifications aux dispositions pour s'assurer que des peines adéquates et appropriées soient imposées de façon à accroître la sécurité de toutes les rues et de toutes les collectivités, autochtones et non autochtones. Meegwetch. Merci de votre attention et de nous avoir accordé de votre temps.

John Martin, criminologue, Université de Fraser Valley, à titre personnel : Je ne saurais vous dire à quel point je suis honoré et touché d'avoir été invité à me présenter ici aujourd'hui. Le système de justice pénale du pays se trouve à un point tournant de son histoire. Je travaille dans le secteur de la criminologie depuis plus de 30 ans, et je peux affirmer qu'aucun texte législatif ayant une incidence aussi positive que celle qu'aura le projet de loi C-10 n'a jamais été présenté.

Je soutiens ce projet de loi, même s'il n'est pas parfait. À de nombreuses occasions, j'ai exprimé ce soutien dans les médias. À mon avis, de telles dispositions législatives étaient depuis longtemps nécessaires.

Je parlerai tout d'abord du projet de loi proprement dit de façon générale, puis je me pencherai de façon plus particulière sur deux ou trois éléments touchant les dispositions relatives à la détermination de la peine.

De toute ma carrière, et même de mon vivant, je n'ai jamais vu de texte législatif touchant le processus de justice pénale permettant de prendre en charge les besoins et la protection du public de façon plus directe que le fera le projet de loi C-10. Depuis beaucoup trop longtemps, toutes les réformes du système de justice pénale favorisaient les délinquants, et la sécurité publique, particulièrement les besoins des victimes se sont retrouvés non seulement relégués au second plan, mais bien souvent absents du débat. Je suis tout à fait enthousiasmé du point où en est rendu le projet de loi, et j'ai hâte qu'il soit adopté.

Comme nous le savons tous, les discours ayant entouré le débat ont été rien de moins que toxiques. Nous nous attendions à ce que le débat s'assortisse d'une certaine dose de partialité et d'activisme, et que le projet de loi de fasse l'objet de quelques critiques, mais nous ne nous attendions pas à ce que mes collègues universitaires et criminologues se montrent aussi irresponsables qu'ils l'ont fait en choisissant soigneusement les faits et les statistiques qui leur convenaient.

Par exemple, nous savons que l'instauration de peines minimales obligatoires dans diverses administrations des États- Unis a eu des effets positifs profonds. Ces effets ne sont pas mentionnés dans la littérature ou les manuels d'introduction à la criminologie.

À deux ou trois occasions, j'ai effectué une mission d'information à New York. Là-bas, j'ai discuté avec des fonctionnaires et des policiers de première ligne participant au processus de nettoyage de New York dirigé par le maire Giuliani et le chef du service de police. Les universitaires n'ont pas aimé cela, et les avocats et les défenseurs des libertés civiles non plus.

Toutefois, j'ai discuté avec des résidents des quartiers avoisinants, et ils m'ont dit que, pour la première fois depuis des décennies, ils pouvaient, une fois la nuit tombée, se rendre à la charcuterie juive au coin de la rue, aller s'acheter un sandwich ou aller boire un verre de vin et rentrer chez eux sans craindre de se faire déranger, dévaliser, agresser, menacer ou harceler. Ils étaient aux anges. Je crois que, trop souvent, ceux qui critiquent le projet de loi ne tiennent aucunement compte du public.

Le projet de loi C-10 comble d'innombrables lacunes du système de justice pénale. Il pourrait aller plus loin. Il pourrait être axé plus précisément sur les victimes d'actes criminels, et je souhaite que l'on rectifiera le tir en ce sens dans un avenir très rapproché.

L'une des principales critiques ayant été formulées — et, là encore, je n'hésite pas à qualifier ces critiques d'irresponsables — consistait à affirmer que le projet de loi a pour effet d'américaniser notre système de justice. J'ai peine à imaginer une affirmation plus irresponsable que celle-là — cela revient à accuser quelqu'un qui ajoute un peu de poivre à son plat de vouloir remporter le concours du chili le plus relevé. Le projet de loi ne représente qu'un minuscule pas dans la bonne direction.

Par exemple, plusieurs de mes collègues ont critiqué le projet de loi en faisant valoir que le gouvernement souhaitait construire des méga-prisons à l'américaine. Si vous voulez voir une méga-prison, rendez-vous en Californie, à la prison de Folsom, où sont incarcérés quelque 4 500 délinquants. Au Canada, la plupart des établissements pénitenciers comptent plus ou moins 300 détenus. Corrigez-moi si je me trompe, mais à ma connaissance, les seuls établissements de détention ayant été construits sont les unités résidentielles pouvant accueillir possiblement 40, 50, 60 ou 80 personnes.

Si vous prenez le temps de vous rendre dans certains de ces établissements ayant été construits il y a 50, 80 ou 100 ans, vous constaterez qu'ils évoquent le décor gothique d'un vieux film de Vincent Price. Il ne s'agit pas d'établissements où l'on peut vivre décemment, encore moins travailler convenablement.

Si le gouvernement fédéral a l'intention d'affecter des fonds à la remise en état et à la modernisation de ces installations, eh bien tant mieux. Les employés de ces établissements sont les seuls employés de la fonction publique qui ont à travailler dans de telles conditions.

À l'intérieur de certaines installations que j'ai visitées, de la mousse pousse sur le ciment humide, et on demande à des fonctionnaires et à des délinquants d'évoluer dans de telles conditions. La rénovation, la mise à niveau et la modernisation de ces installations seraient une bonne chose. À ce que je sache, la construction d'une méga-prison ou de quoi que ce soit qui ne ferait que s'en approcher ne fait pas partie des plans du gouvernement du Canada. Je suis certain que l'on m'en aurait parlé si cela était le cas.

À présent, je vais me pencher sur quelques-uns des éléments entourant la disposition relative à la détermination de la peine. En ce qui concerne les peines d'emprisonnement avec sursis, j'aurais préféré qu'elles soient tout à fait supprimées. En fait, leur création même était inutile — nous disposions déjà des ordonnances de probation. Dans les faits, la peine d'emprisonnement avec sursis n'est qu'un autre type de probation, et a été instaurée par suite de quelques requêtes présentées par des tribunaux d'instance supérieure et la Commission de réforme du droit, qui souhaitaient que l'on ajoute d'autres solutions de rechange à l'incarcération. Ce type de peine est inutile. Il a été mis en place de façon très trompeuse.

Je me souviens que, au moment où les peines d'emprisonnement avec sursis ont été instaurées, je donnais des cours d'introduction à la criminologie. On m'avait transmis les notes d'information du ministre responsable, et une copie du texte législatif. On nous assurait que ces mesures visaient les délinquants non violents et à faible risque qui en étaient à une première infraction. Pour l'essentiel, c'est de cette façon que j'ai présenté le texte législatif à mes étudiants — j'avais cru les propos du ministre, et je me rends compte, avec le recul, que j'ai été naïf. Peu de temps après, nous avons constaté que ce que l'on nous avait dit était faux — des peines d'emprisonnement avec sursis étaient accordées à des délinquants sexuels, et même à des gens ayant été déclarés coupables d'homicide involontaire et de crimes graves liés aux drogues. On ne nous avait jamais dit que les choses se passeraient comme cela. On avait dit aux Canadiens que ce type de peine allait être infligé aux délinquants à faible risque, non violents et ayant commis des crimes peu médiatisés.

Il y a deux ou trois jours, le sénateur Runciman a fait allusion à une affaire très perturbante survenue à Nanaimo, en Colombie-Britannique. Un homme de 43 ans a été déclaré coupable de cinq chefs d'accusation d'agressions sexuelles commises à l'égard de quatre enfants, y compris une jeune fille de 11 ans aux prises avec une déficience intellectuelle. Cet homme s'est vu imposer une peine d'emprisonnement avec sursis.

S'il s'agissait d'un homme de 20 ans ayant commis une agression à l'égard d'une personne, on pourrait parler d'un cas isolé. On pourrait faire quelque chose pour régler le problème. Cependant, il est ici question d'un homme de 43 ans ayant fait de multiples victimes, et quiconque travaille auprès des délinquants sexuels vous dira qu'il s'agit d'un profil terrifiant. Cet homme s'est vu imposer une peine d'emprisonnement avec sursis, plus précisément une assignation à résidence — la résidence même où il a commis toutes ses agressions sexuelles à l'égard d'enfants.

Je vois d'un bon œil le fait que ce type de délinquant ne puisse plus se voir imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Je préférerais que ce type de peine soit tout bonnement supprimé, mais ce n'est pas le cas.

J'aurais une dernière chose à ajouter concernant les peines minimales obligatoires. Comme nous le savons tous, la récidive est l'un des grands problèmes avec lesquels le système est aux prises. De gens font l'objet de 10, 20, 30, 40 ou 50 déclarations de culpabilité, créent de la congestion dans le système et épuisent les ressources. Ce qui me plaît à propos des peines minimales obligatoires, c'est qu'elles nous permettent de tenir des personnes en laisse. Imaginons qu'une personne se voie imposer une peine d'emprisonnement de trois ans — si elle respecte les règles et fait tout ce qu'on lui dit de faire, elle peut se voir accorder une semi-liberté dans les six ou huit mois; si elle s'attire des ennuis durant sa libération, on peut la jeter de nouveau en prison. Il n'est pas nécessaire de porter de nouvelles accusations, il n'est pas nécessaire de recourir à un avocat de service et il n'est pas nécessaire de tenter de fixer une date pour une audience ou quoi que ce soit d'autre — on peut renvoyer cette personne en prison.

Cependant, presque tous les délinquants ont l'occasion d'obtenir une semi-liberté au sixième de leur peine environ. L'imposition d'une peine minimale obligatoire permet de tenir une telle personne en laisse — si elle s'attire des ennuis ou fait quelque chose de mal, on peut la renvoyer en prison sans qu'il soit nécessaire de mobiliser les importantes ressources déjà fortement sollicitées du système de justice.

Je pourrais continuer pendant très longtemps.

Le président : Vous aurez peut-être l'occasion de le faire en répondant à nos questions.

M. Martin : Oui, je préférerais passer à la période de questions.

Le président : Monsieur, vous avez fait allusion à des études menées aux États-Unis et selon lesquelles l'imposition de peines minimales obligatoires peut peut-être avoir des résultats différents de ceux que l'on mentionne. Si vous pouviez nous transmettre — pas maintenant mais peut-être avant que vous ne quittiez les lieux — l'un ou l'autre de ces rapports, cela nous serait utile.

M. Martin : Oui, je vous transmettrai ces rapports.

Le sénateur Fraser : Merci d'être ici. Bienvenue au Sénat. Je veux poser à chacun d'entre vous une question concernant les peines d'emprisonnement avec sursis.

Madame Big Canoe, on a très souvent affirmé, si je ne m'abuse, que les peines d'emprisonnement avec sursis constituaient l'élément vital de la décision Gladue. En règle générale, la suppression d'un élément vital a des conséquences tragiques.

La question que je vais vous poser est non pas une question de pure forme ou une question insidieuse, mais une question sérieuse : dans quelle mesure est-il possible de préserver l'esprit, l'essence et l'intention de la décision Gladue dans un contexte où les peines d'emprisonnement minimales obligatoires sont imposées?

Mme Big Canoe : À certains égards, je suis d'accord pour dire que les peines d'emprisonnement avec sursis semblent constituer l'élément vital de la décision Gladue, et qu'il s'agit d'une peine appropriée et convenable dans un certain nombre de circonstances. J'aimerais rappeler aux sénateurs ici présents que l'application des principes énoncés dans Gladue ne signifie pas qu'aucune peine d'emprisonnement ne sera infligée; en fait, bien souvent, des peines d'emprisonnement sont imposées, et suivies d'une période de probation assortie de conditions sévères ou d'une réincarcération.

Cependant, nous constatons qu'un système comprenant des peines d'emprisonnement avec sursis donne aux délinquants l'occasion de se réadapter, et de véritablement tenir compte des principes en examinant les facteurs et les circonstances, et en s'attaquant aux causes profondes du comportement du délinquant. Si l'on impose à une personne une peine minimale obligatoire, elle purgera sa peine d'emprisonnement, laquelle sera suivie ou non d'une période de probation, puis elle réintégrera sa collectivité. Au moment où elle réintégrera sa collectivité ou l'endroit que l'on considère le plus bénéfique pour elle, elle ne profitera pas du suivi requis, lequel fait également partie de l'élément vital que constituent les principes énoncés dans Gladue.

Le sénateur Fraser : Nous savons que les services correctionnels ont tenté — au sein du système fédéral, bien entendu — de mettre en œuvre au moins quelques programmes destinés aux Autochtones et visant à compenser quelques-unes des difficultés évidentes auxquelles ils se heurtent. À votre avis, dans quelle mesure ces programmes ont-ils donné les résultats souhaités?

Mme Big Canoe : Je ne peux qu'affirmer que cela s'est révélé être une bonne tentative, et je m'en remets, à cet égard, au rapport de Michelle Mann intitulé De bonnes intentions, des résultats décevants. On peut observer l'existence de bonnes intentions et de bons projets. Plus tôt cette semaine, dans le cadre du Forum national sur la justice de l'Assemblée des Premières Nations, j'ai assisté à un exposé de représentants du SCC. Ils ont indiqué que le dixième environ des délinquants autochtones actuellement détenus avait accès à un programme destiné aux Autochtones durant leur détention.

Je crois qu'ils prennent un temps normal et déploient des efforts justes pour corriger cela, mais je ne crois pas que le fait d'imposer à une personne une peine sévère et de la faire participer à des programmes adaptés à la culture ou à des programmes de réadaptation l'aidera à réintégrer la collectivité. Des dispositions législatives touchant la réinsertion et aidant la collectivité à cet égard sont en place. Cependant, là encore, le problème tient à la grave surreprésentation des Autochtones — le seul nombre d'Autochtones incarcérés au sein des établissements provinciaux et fédéraux a pour effet que les programmes ne sont tout simplement pas accessibles.

Le sénateur Fraser : Ils sont tout simplement submergés.

Monsieur Martin, je ne sais pas trop comment formuler cela, mais il me semble que quelqu'un qui a écouté votre exposé pourrait conclure qu'il est possible de renvoyer en prison une personne ayant été incarcérée et qui, après s'être vu accorder une semi-liberté, a commis un acte répréhensible — je veux que vous me disiez si cela est vrai ou faux. Cependant, d'après ce que je crois comprendre, une peine d'emprisonnement avec sursis s'assortit de conditions, et la personne qui les viole est renvoyée en prison. N'est-ce pas le cas?

M. Martin : C'est le cas, oui.

Le sénateur Fraser : Dans ce cas, je ne suis pas certaine de bien comprendre la logique de votre argument. Il me semble que vous avez affirmé qu'il était possible de mieux superviser les gens qui se trouvent non pas derrière les barreaux — tout le monde peut comprendre cela —, mais en semi-liberté ou en libération d'office s'ils ont déjà été incarcérés que s'ils se sont vu imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Vous ai-je bien compris?

M. Martin : Pas tout à fait. Nous parlions de deux questions différentes. Tout d'abord, il y a la peine d'emprisonnement avec sursis. Lorsque j'ai évoqué le fait de tenir solidement une personne en laisse, je parlais des peines minimales obligatoires; si une personne a été incarcérée et qu'elle obtient une libération conditionnelle anticipée ou une semi-liberté, il est possible de la renvoyer en détention. Il s'agissait d'une observation n'ayant pas de lien avec ce que j'avais à dire à propos des peines d'emprisonnement avec sursis.

Le sénateur Fraser : À cet égard, mettriez-vous en opposition les peines minimales obligatoires et des peines beaucoup plus courtes, des peines pendant lesquelles le délinquant serait tenu en laisse moins longtemps?

M. Martin : Non. Cela me frustre de voir le système de justice se dépenser en pure perte, et épuiser ses ressources en intentant sans cesse des poursuites contre une même personne et en la déclarant coupable je ne sais combien de fois, pour que, au bout du compte, cette personne se retrouve en liberté et commette de nouvelles infractions.

Personne ne réclame l'instauration du principe des trois fautes. Nous avons créé une version canadienne de ce principe — le principe des 30 fautes. À un moment ou à un autre, une personne est incarcérée. Si elle fait ce qu'on lui dit de faire, si elle participe aux programmes et modifie son comportement, elle est admissible à une semi-liberté; elle a le droit de demander une libération conditionnelle anticipée. Comme elle est toujours sous le coup de la peine qui lui a été infligée, nous pouvons la surveiller, et la renvoyer en prison si elle fait quelque chose de mal, contrairement à ce qui se passe actuellement, à savoir le fait d'imposer des peines de trois, de 30, de huit, de 11 ou de six jours.

D'aucuns affirment que nous abuserions de l'incarcération — la majeure partie des personnes incarcérées le sont pour une période de 30 jours au moins. Nous devons garder cela présent à l'esprit. Dans la province, la peine type est d'une durée de huit jours — cela n'a rien à voir avec une peine de deux ans moins un jour.

À mon avis, cela n'est pas viable. Le système de chaque province subit d'énormes pressions, et le fait d'intenter sans cesse des poursuites contre les mêmes personnes, les délinquants chroniques et incorrigibles ne profitent à personne, pas même à ces délinquants.

Le sénateur Runciman : Je dois vous dire, monsieur, qu'il est rafraîchissant de recevoir un universitaire faisant preuve de bon sens.

M. Martin : Je n'ai pas beaucoup d'amis au travail.

Le sénateur Runciman : Vous avez mentionné le caractère toxique des critiques formulées à l'égard du projet de loi, et j'ajouterai, pour ma part, que la plupart de ces critiques étaient irresponsables, et certaines d'entre elles, malhonnêtes.

Vous avez fait allusion aux comparaisons avec les États-Unis, et une fois de plus, on a agité cet épouvantail hier dans le cadre de bulletins d'information. À mon avis, cette campagne a été alimentée, dans une certaine mesure, peut- être même dans une large mesure, par la SRC, qui a dépêché — aux frais des contribuables — des reporteurs au Texas pour tenter d'insinuer que la comparaison était valable.

J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit à ce sujet et à propos du projet de loi C-10. Les peines prévues par le projet de loi ne peuvent d'aucune façon être comparées à celles en vigueur aux États-Unis.

Au Canada, une personne se faisant prendre avec 100 plants de marijuana et déclarée coupable de production de drogues dans le but d'en faire le trafic sera passible, aux termes du projet de loi C-10, d'une peine minimale de six mois. Aux États-Unis, aux termes des lois fédérales en vigueur, cette personne serait passible d'une peine d'emprisonnement de 5 à 40 ans.

Le projet de loi fait passer de 14 à 90 jours la peine minimale obligatoire imposée aux personnes déclarées coupables de possession de pornographie juvénile ou d'accès à la pornographie juvénile. La peine maximale pouvant être imposée par mise en accusation est de cinq ans. L'an dernier, en Floride, un homme n'ayant aucun antécédent criminel s'est vu imposer, pour une telle infraction, une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.

D'après l'International Centre for Prison Studies, aux États-Unis, le taux d'incarcération est de 743 délinquants par 100 000 habitants, alors qu'au Canada, il est de 117 délinquants par 100 000 habitants.

L'idée selon laquelle l'instauration de quelques peines minimales obligatoires est assimilable à l'américanisation du système de justice canadien est ridicule, et toute comparaison honnête le démontre.

M. Martin : Tout à fait.

Le sénateur Runciman : Je ne sais pas si vous vous êtes penché sur cette question, mais d'après une étude menée par le ministère de la Justice en 2008, le coût de la criminalité s'élève à 99,6 milliards de dollars. En outre, nous avons l'obligation fondamentale de protéger les citoyens; ainsi, nous avons là des arguments de nature économique à l'appui de mesures permettant de mettre ces délinquants chroniques et incorrigibles en prison. Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Martin : J'ai abordé cette question dans le passé. Les personnes qui formulent des critiques à l'égard de la réforme du système de justice pénale évoquent souvent le coût annuel lié à l'incarcération d'une personne. Cependant, elles ne tiennent pas compte de l'ensemble des coûts liés à la victimisation, j'entends par là les frais d'assurance. Le coût du moindre objet vendu par un quelconque détaillant a été haussé afin de compenser les pertes découlant du vol par les employés et du vol à l'étalage.

Les frais médicaux et les coûts liés au counseling et aux services sociaux que doivent assumer les victimes d'actes criminels ne sont jamais pris en considération au moment d'établir le coût de la criminalité. On nous dit simplement ce qu'il en coûte pour incarcérer une personne, point à ligne, comme s'il s'agissait du seul coût en cause.

Prenez, par exemple, ces personnes qui sont constamment mises et remises en état d'arrestation par les policiers. Ces personnes encombrent un tribunal pendant quelques heures, puis sont relâchées. Il s'agit là d'un coût dont nous ne tenons pas compte.

Vous avez fait allusion à la comparaison établie entre les États-Unis et le Canada. En Colombie-Britannique, les installations de culture de la marijuana posent d'énormes problèmes. Allez voir ce qui se passe dans l'État de Washington — les personnes qui possèdent une installation considérable et qui se font prendre perdent leur maison. Si elles ont des enfants de moins de 16 ans, ceux-ci sont probablement pris en charge. Ces personnes sont passibles d'une peine de cinq ans. En Colombie-Britannique, vous perdrez vos ampoules électriques, puis reprendrez les affaires le lendemain. Même en faisant un gros effort d'imagination, on ne peut pas affirmer que l'on se dirige vers un système de justice à l'américaine.

Le sénateur Runciman : En dépit de la prolifération, en Colombie-Britannique, des installations de culture visant à répondre à la demande de marijuana au sud de la frontière.

Madame Big Canoe, vous avez formulé des préoccupations à propos de la violation des principes énoncés dans Gladue. Je présume que vous connaissez la décision Wells. Comme vous l'avez mentionné, la durée des peines d'emprisonnement sera automatiquement réduite dans le cas de délinquants autochtones. La peine imposée doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. En règle générale, les Autochtones et les non-Autochtones qui commettent des infractions violentes et graves sont susceptibles de se voir imposer des peines semblables. J'estime qu'il est important de souligner que les Autochtones sont surreprésentés au sein du système de justice pénale non seulement en tant que délinquants, mais également en tant que victimes. Le projet de loi C-10 aidera toutes les victimes.

Durant votre déclaration préliminaire, vous avez affirmé que le fait que les Autochtones ne représentent que 4 p. 100 de la population canadienne, mais qu'ils représentent 25 p. 100 de la population carcérale du pays dénote l'existence de lacunes et de problèmes évidents au sein du système de justice. Je ne crois pas que quiconque d'entre nous ne niera l'existence de problèmes et de lacunes. Cependant, il me semble que vous imputez toute la responsabilité à cet égard au système de justice, et je me demande si cela est juste de votre part.

Mme Big Canoe : Je vais d'abord répondre à votre première question.

Vous avez fait allusion au paragraphe de la décision Wells le plus souvent cité par les procureurs de la Couronne lorsqu'ils doivent s'exprimer, devant les tribunaux, à propos d'infractions graves, ou même d'infractions sans caractère de gravité. Ce que vous avez dit est vrai sur le plan pratique, et fait partie des principes de détermination de la peine énoncée dans le Code criminel. Cependant, malgré cette réalité pratique, ce principe ne constitue pas une loi ou une règle d'application générale. Le juge et les avocats sont tenus d'examiner les facteurs. Dans certains cas, par exemple l'affaire R.C. Kakekagumick, ce principe n'a aucune incidence sur la peine imposée au bout du compte, mais il faut mentionner que d'autres principes ont été énoncés dans le cadre de cette affaire. Il s'agit non pas d'une règle d'application générale, mais d'un principe mis en pratique dans certaines circonstances.

En ce qui a trait à votre deuxième question, je ne pense pas avoir eu l'intention de rejeter la responsabilité de la situation sur le seul système de justice canadien. J'estime que cela est quelque peu injuste. L'affirmation que j'ai faite rend compte de ce qui a été reconnu depuis 30 ans dans la littérature universitaire, par les commissions royales des gouvernements fédéral et provinciaux et par la jurisprudence de l'ensemble du pays en ce qui concerne les peuples autochtones. Plus précisément, dans la décision Gladue, il est déclaré que le système de justice pénale du Canada a manqué à ses obligations à l'égard des peuples autochtones.

Mon affirmation reflète ce qui a été établi par le droit canadien. Je ne visais pas nécessairement à rejeter la responsabilité de la situation sur le système de justice pénale, mais en fait, il s'agit d'une bonne observation de votre part, et je suis ravie que vous l'ayez formulée. Ce n'est pas le système de justice qui réglera un certain nombre des problèmes qui mènent les Autochtones à adopter un comportement délinquant ou à commettre des actes criminels. Ces problèmes, ce sont la pauvreté abjecte, l'absence d'eau potable et l'impossibilité de se voir reconnaître des droits autochtones et des droits issus de traités. Le système de justice n'est pas en mesure de régler les problèmes systémiques ou fondamentaux.

Le droit canadien, les lois canadiennes, des rapports et toute une gamme d'études universitaires ont reconnu, dans une perspective plus historique, que le système de justice pénale avait causé un préjudice aux Autochtones, et qu'il avait servi d'outils d'oppression en ce qui a trait à l'institutionnalisation.

Le président : Nous allons devoir passer à un autre intervenant, sénateur. Je sais qu'il s'agit là de commentaires intéressants, et qu'il y a beaucoup d'autres choses à dire à ce propos.

Collègues, on dirait que nous sommes toujours pressés par le temps. Veuillez faire en sorte que vos questions soient le plus brèves possible — et je demande aux témoins d'en faire de même pour leurs réponses — car il y a tant de choses que nous voudrions entendre de votre part.

Le sénateur Cowan : Bienvenue. Je vous sais gré d'être venus ici aujourd'hui. Mes questions s'adressent à M. Martin. J'aime avoir une idée des antécédents des témoins qui se présentent devant le comité — cela permet d'éclairer leur témoignage.

Le témoignage que vous avez livré à propos du projet de loi C-10, que le sénateur Runciman a qualifié de rafraîchissant, se distingue des témoignages qui nous ont été présentés par d'autres criminologues et par vos collègues. Je suis intrigué de savoir pourquoi il en est ainsi. Je crois comprendre que vous avez été candidat aux récentes élections en Colombie- Britannique, non?

M. Martin : Je n'ai pas été candidat.

Le sénateur Cowan : Vous êtes candidat à une nomination?

M. Martin : Oui.

Le sénateur Cowan : Vous avez fait quelques déclarations que j'aimerais rappeler à votre mémoire, car elles permettent de mettre les choses en contexte.

En ce qui concerne le système de soins de santé — et cela présente un intérêt dans le cadre de la présente discussion —, vous avez déclaré ce qui suit — je traduis librement :

En ce qui concerne notre système de soins de santé, c'est la même histoire [...] Aucune réforme complète de ce système n'est prévue. S'il s'agissait d'une voiture, vous l'enverriez à la ferraille sur-le-champ. S'il s'agissait d'un chien, vous l'amèneriez chez le vétérinaire pour le faire euthanasier.

Est-ce là votre opinion actuelle à propos du système de soins de santé?

M. Martin : Non. Mes commentaires portaient sur le projet de loi et le système de justice. Nous subissons les effets négatifs de l'approche passive que nous avons adoptée et dans le cadre de laquelle nous sommes extrêmement réticents à l'idée de toucher à quoi que ce soit, même si nous avons d'innombrables preuves qui montrent que le système ne fonctionne pas. C'est la raison pour laquelle j'estime que le projet de loi est si rafraîchissant — il nous permet de faire des progrès dans le domaine de la justice.

Si j'ai formulé des critiques à l'égard du système de soins de santé, c'est qu'on refuse de le moderniser. Si nous devions, aujourd'hui, mettre en place un système de soins de santé, il ne ressemblerait probablement pas au système dont nous disposons à l'heure actuelle.

Le sénateur Cowan : Vous avez également fait valoir...

Le président : Je sais qu'il y a de nombreux sujets que nous pouvons aborder, mais le système de soins de santé n'en fait pas partie.

Le sénateur Cowan : Non, mais nous avons beaucoup parlé des soins de santé.

Le président : Je comprends cela, mais ce que je dis, c'est que je vous saurais gré de vous en tenir au projet de loi C- 10.

Le sénateur Cowan : En outre, d'après ce que je crois comprendre, vous plaidez en faveur de dispositions législatives plus sévères.

M. Martin : Non, en faveur de dispositions législatives plus réfléchies.

Le sénateur Cowan : Vous vous êtes également prononcé contre des dispositions législatives plus sévères en ce qui concerne la conduite en état d'ébriété, n'est-ce pas?

M. Martin : En Colombie-Britannique, les dispositions législatives touchant le taux d'alcoolémie maximal permis — à savoir 0,05 — posent des problèmes, et ont été partiellement invalidées par les tribunaux. En Colombie-Britannique, il est plus facile de contester une contravention pour stationnement interdit que de contester une déclaration de culpabilité sous le régime des nouvelles dispositions législatives.

Le sénateur Cowan : En règle générale, vous n'êtes pas favorable au durcissement des lois — il s'agit d'un cas précis...

M. Martin : Non, en ce qui a trait au crime, il s'agit d'adopter non pas des lois plus sévères, mais des lois plus réfléchies.

Le sénateur Cowan : Comment expliquez-vous le fait que le témoignage que vous nous présentez aujourd'hui contredise totalement celui que nous ont présenté, je crois, tous les autres experts du secteur de la justice pénale?

M. Martin : La criminologie est...

Le sénateur Cowan : Je ne vise pas des personnes en particulier. Je ne sais pas si l'on peut considérer le ministre comme un expert. Pouvez-vous répondre à ma question?

Le président : Si j'ai bien compris, vous avancez que le témoignage de M. Martin est « différent » — je crois que c'est le mot que vous avez employé — de celui de tous les autres criminologues qui se sont présentés devant le comité.

Le sénateur Cowan : C'est exact.

Le président : Je ne suis pas certain du nombre de témoins qui se sont présentés devant le comité. Je me demande à quels témoignages vous comparez celui de M. Martin.

Le sénateur Cowan : À celui des criminologues qui se sont présentés devant le comité.

Le président : À celui des autres témoins?

Le sénateur Cowan : J'aimerais entendre M. Martin à ce sujet. J'ai le droit de lui demander de me dire comment il explique le fait que ses opinions sont différentes de celles des autres. C'est tout ce que je demande.

Le président : Je veux savoir s'il est question d'autres expériences menées dans le secteur de la criminologie. Je veux simplement comprendre la comparaison. Je ne tente pas de me lancer dans un débat avec vous. Comparez-vous les propos de M. Martin à ceux tenus par d'autres criminologues ou à ceux de tout autre témoin qui s'est présenté devant le comité?

Le sénateur Cowan : À ceux des autres personnes qui se déclarent experts dans le secteur de la criminologie et de la justice pénale.

Plus tôt, vous avez mentionné que vous aviez été offusqué, surpris ou choqué par les témoignages que vous avez lus. Je vous demande de me fournir des explications à ce sujet.

M. Martin : Comme dans toute autre discipline, il existe en criminologie une gamme de paradigmes, d'opinions et de points de vue qui rivalisent les uns avec les autres. Il s'agit d'un secteur d'études extrêmement multidisciplinaire. Certains criminologues ont étudié l'économie ou les statistiques. La plupart d'entre eux ont étudié la sociologie. Quelques-uns ont étudié la psychologie. Le type de recherche qu'entreprend chaque criminologue découle en partie de la formation qu'il possède.

Le sénateur Cowan : Permettez-moi de vous poser une question précise : pouvez-vous citer une étude universitaire où il est affirmé que les peines minimales obligatoires constituent un moyen efficace de dissuader les gens de poser des actes criminels?

M. Martin : Je vais répondre à cette question. On entend dire que les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas, que les peines d'emprisonnement ne fonctionnent pas. Qu'entend-on par « ne fonctionnent pas »? Je pose sans cesse cette question à ces gens et à mes collègues. Il leur faut un peu de temps avant d'y répondre. Ils affirment que ce type de peines n'a aucun effet dissuasif; admettons qu'elles n'ont aucun effet dissuasif, mais il faut rappeler qu'il ne s'agit là que de l'un des nombreux objectifs de l'imposition d'une peine.

Parmi les autres objectifs, mentionnons le fait de permettre aux victimes de tourner la page, et celui de donner l'impression à la collectivité que justice a été faite. Il s'agit d'un objectif très valide et très légitime.

Peut-être que les peines minimales obligatoires ne dissuadent pas les autres délinquants de commettre une infraction. Peut-être qu'elles ne dissuadent même pas un délinquant de récidiver, mais à tout le moins, pendant les trois années où il se trouve en prison, il ne commettra pas d'actes criminels. Toute la société profite de cela. Pendant trois ans, ce délinquant ne pénétrera pas par effraction dans ma maison ou ma voiture. Je ne pense pas que cela soit futile, et que nous devrions en faire abstraction.

Le sénateur Runciman : En ce qui concerne l'affirmation du sénateur Cowan, je dirai que, à ma connaissance, le seul autre criminologue qui s'est présenté devant le comité est Darryl Plecas, de la Colombie-Britannique. Son point de vue était semblable à celui de M. Martin.

Le président : Sénateur Cowan, les avocats ont tendance à avoir des opinions divergentes. Nous sommes habitués à entendre des opinions divergentes. Le rôle du comité consiste à entendre une diversité d'opinions et à évaluer les mérites de chacune d'entre elles par la suite.

Le sénateur Cowan : Il est important d'entendre le point de vue de M. Martin.

Le président : Tout à fait. Je sais que vous êtes d'accord avec cela.

Le sénateur Cowan : Je le suis.

Le sénateur Angus : Madame Big Canoe, à mon avis — et je crois que mon ami et collègue le sénateur Runciman serait d'accord avec moi là-dessus —, le témoignage que vous nous avez présenté ne comportait pas d'éléments toxiques ou faux. Bien au contraire, vous avez formulé des observations claires et réfléchies au nom des personnes que vous représentez.

J'aimerais aborder la question de la soupape de sûreté, question qui m'intéresse énormément.

Dans le mémoire que vous avez soumis, et dont vous nous avez présenté un résumé sous forme d'exposé, vous discutez des deux types de soupapes de sûreté — vous indiquez que la première est de nature judiciaire et que la seconde a trait aux poursuites.

Pouvez-vous expliquer la différence entre ces deux soupapes, et dire laquelle vous privilégiez. Enfin, une fois que vous aurez expliqué en quoi consistent ces deux soupapes, j'aimerais vous demander, pendant que j'en ai encore l'occasion, de répondre à la question suivante : à votre avis, est-ce que le gouvernement ou le Parlement agirait de façon juste à l'égard des autres personnes ayant des démêlés avec le système s'il décidait de modifier le projet de loi de manière à y inscrire une mesure destinée aux seuls Autochtones et qui procurerait essentiellement à ces derniers une soupape de sûreté?

Mme Big Canoe : Merci de vos questions. Je répondrai d'abord à la première.

La mention touchant la soupape de sûreté en matière de poursuites découle d'une décision rendue récemment en Ontario. La notion de soupape de sûreté n'est pas propre à cette affaire; toutefois, elle a fait l'objet d'un très bon examen dans le cadre de cette décision. Pour l'essentiel, la valve de sûreté en matière de poursuites concerne le fait de laisser au procureur le pouvoir discrétionnaire de décider s'il souhaite procéder par procédure sommaire ou par mise en accusation. Il prend cette décision par suite d'un examen des faits.

Le problème soulevé dans l'affaire Smickle tient à ce que la Couronne a décidé, en toute bonne foi et à la lumière de l'ensemble des faits dont elle disposait, de procéder par mise en accusation. Pour l'essentiel, dans ce cas particulier, le tribunal n'avait d'autre choix que d'imposer une peine d'emprisonnement de trois ans — il s'agissait d'une infraction commise avec une arme à feu, et donc sujette à une peine minimale obligatoire. Cependant, les faits ne concordaient pas, mais la personne a tout de même commis l'infraction. L'arme à feu ne lui appartenait pas. Les faits ne concordaient pas, et il n'existe véritablement aucune sortie de secours.

Il est intéressant de souligner que, au sein de l'administration fédérale américaine, il existe une disposition de sauvegarde. En octobre 2011, l'ABC a présenté au comité un exposé qui comprenait des renseignements détaillés à ce sujet. Dans la décision Smickle, le juge Molloy examine les soupapes de sûreté utilisées au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, mais le juge a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si, compte tenu des circonstances, le recours à une soupape de sûreté est approprié. Là encore, l'article 718.2 du Code criminel, plus précisément l'alinéa 718.2a), qui exige que l'on tienne compte du délinquant, de l'infraction et des circonstances liées à l'infraction ou à la situation du délinquant, comporte des dispositions de cette nature. D'après cet article, on doit non pas uniquement examiner l'un de ces éléments, mais examiner l'infraction elle-même, et prendre une décision en se fondant là-dessus. Cet article énonce que l'on doit tenir compte du délinquant et de sa situation. Cela ressemble beaucoup à la disposition utilisée aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, sauf que dans ces administrations, il existe une disposition qui énonce expressément — et il s'agit d'un exemple tiré de ce qui se passe au Royaume-Uni — que le tribunal doit imposer une peine d'emprisonnement ou délivrer une ordonnance de détention d'une durée au moins équivalente à la peine minimale requise, avec ou sans sanction pécuniaire, à moins que le tribunal ne soit d'avis que des circonstances exceptionnelles liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant justifient une dérogation à ce principe.

Dans le mémoire que j'ai déposé, j'avance également que l'on pourrait exiger d'un juge qui utilise l'une des soupapes de sûreté qu'il présente des motifs de décision écrits à l'appui de sa dérogation aux principes de détermination de la peine figurant déjà dans le Code criminel du Canada; ainsi, cette décision pourrait faire l'objet d'un examen. Lorsqu'un procureur prend une décision, celle-ci ne peut pas faire l'objet de ce type d'examen. À mon avis, cela pourrait se traduire par le pire type de négociation de plaidoyer, à savoir une situation où un Autochtone, que sa culpabilité criminelle puisse être établie ou non, pourrait d'emblée plaider coupable si on lui promet de procéder non pas par mise en accusation, mais par procédure sommaire. Cela a pour effet de reléguer la décision dans les coulisses, où elle ne peut pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Lorsqu'un juge rend une décision, on peut demander qu'elle soit examinée par un tribunal d'une instance supérieure.

Cela donnera lieu à toute une gamme de nouveaux litiges.

Le sénateur Angus : Vous privilégiez la soupape de sûreté de nature judiciaire?

Mme Big Canoe : Tout à fait.

Le sénateur Angus : Serait-il approprié, selon vous — et je sais qui vous représentez et je trouve que vous avez livré un bon témoignage pour expliquer votre façon de penser —, de faire en sorte que la disposition ne s'applique, comme l'arrêt Gladue, qu'aux Autochtones, et non à l'ensemble de la population? Est-ce que ce serait adéquat?

Mme Big Canoe : Il difficile de répondre à cette question, parce que, même si je représente les Autochtones, je vous dirais que le contexte actuel du droit s'applique à tous les délinquants avec une attention particulière, de sorte que les dispositions se trouvent déjà dans le Code criminel. Il s'agirait de rendre applicable l'intégralité de l'article 718.2, et non seulement l'alinéa 718.2e).

Je ne pense pas pouvoir dire que ce serait une excellente idée, mais, lorsqu'il s'agit des principes fondamentaux de justice, ceux qui sont en place concernant la détermination de la peine sont déjà adéquats, et, si ce concept d'une attention particulière accordée à la situation des délinquants autochtones est inclus, mais n'exclut pas les autres, on s'en remet au pouvoir discrétionnaire des juges. J'aimerais vraiment pouvoir vous dire « oui », mais je veux garder la chose dans le contexte de l'alinéa 718.2e), lequel s'applique à l'ensemble des délinquants. Les principes de l'arrêt Gladue ont déjà été très bien définis et continuent d'être définis par les tribunaux canadiens. Ce sont des choses dont il faudrait tenir compte.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de vos témoignages très instructifs. Ma question s'adresse au professeur Martin. Depuis quand enseignez-vous la criminologie?

[Traduction]

M. Martin : J'enseigne depuis 25 ans.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous connaissez donc bien la matière. Cela fait six mois que je défends le projet de loi au Québec, et il y a trois arguments qui reviennent souvent : premièrement, on va mettre des enfants en prison, deuxièmement, on est en train de bâtir un système à l'américaine et, troisièmement, la réhabilitation ne sera plus une priorité dans le système carcéral canadien.

J'ai dû assister, à un moment donné, à une émission à Radio-Canada où on avait envoyé une équipe au Texas pour comparer les prisons avec celles du Canada. On disait que le Québec se comparait pratiquement au Texas ou au Canada.

Le Texas, avec une population de 24 millions de personnes, compte 150 000 personnes incarcérées. Le Canada, avec une population de 34 millions de personnes, compte environ 40 000 personnes incarcérées dans des prisons fédérales et provinciales. Au Canada, c'est une personne sur 1 000 qui est incarcérée alors qu'au Texas, c'est une personne sur 200. C'est donc dire qu'on compare des pommes avec des tomates et ça n'a aucun sens.

Professeur Martin, en termes d'équilibre, comment peut-on comparer le Canada sur les plans de la réhabilitation et de l'incarcération? Où se situe le Canada lorsqu'on le compare aux États-Unis ou à certains pays européens?

[Traduction]

M. Martin : Les gens qui ont rédigé le projet de loi sont loin de l'avoir défendu aussi énergiquement que les critiques l'ont attaqué. Une fois que l'information fausse a été diffusée, il est devenu très difficile de calmer le jeu.

Par exemple, j'ai lu le projet de loi d'un bout à l'autre à plusieurs reprises. Il n'enlève rien au processus de réadaptation. Il ne supprime rien de ce qui aurait été décrit comme un effort ou une initiative de réadaptation existants. J'ai parlé tout à l'heure des méga-prisons. C'est déjà en place.

Il serait possible de trouver au Texas deux ou trois législateurs qui diront : « Ne le faites pas; ce n'est pas une bonne idée. » On peut aller n'importe où et trouver des gens comme cela. Les détracteurs du projet de loi ont été très énergiques, très bien organisés et très proactifs dans leur tentative de le diaboliser, et ils y sont parvenus dans une certaine mesure. Ils ont fait intervenir des militants, des universitaires et beaucoup de journalistes. Défendre le projet de loi est beaucoup plus difficile maintenant que de l'information fausse circule. Tout ce que je peux vous suggérer, c'est de vous exprimer haut et fort et d'énoncer les faits. Il s'agit d'un projet de loi responsable et modéré. Il n'y a absolument rien dans ce projet de loi qui soit démesuré ou qui puisse être la cause d'une réaction alarmiste. Il faut faire entendre la voix de la modération à l'appui du projet de loi.

Le sénateur Chaput : Comme vous le savez, nous avons entendu le témoignage de beaucoup de gens depuis une semaine, et il y en a beaucoup qui ont relevé des aspects positifs du projet de loi C-10. Ils ont hâte qu'il soit adopté. Ils le voient comme un outil de plus pour la police, pour les victimes, pour la sécurité publique et ainsi de suite. Chaque facteur doit également être évalué avec soin.

Madame Big Canoe, d'autres témoins nous ont aussi dit la même chose que vous aujourd'hui : le projet de loi C-10 va avoir une incidence négative sur les Autochtones.

Je m'adresse à M. Martin. Avez-vous constaté l'existence de preuves nombreuses, voire accablantes, selon lesquelles le projet de loi C-10 va avoir un effet négatif sur les Autochtones, ou seriez-vous d'accord pour dire que ces preuves existent?

M. Martin : Il n'y a pas de preuve de quelque chose qui ne s'est pas encore produit. Nous formulons des hypothèses, et, dans certains cas, ce sont des hypothèses très éclairées.

Je rappellerais aux membres du comité que la justice pénale est un processus de dernier recours. C'est quelque chose qui intervient lorsqu'à peu près tout le reste n'a pas fonctionné, y compris l'intervention de la famille, de l'école, de la collectivité, des services sociaux et des services à la famille. Les gens sont pris en charge par le système de justice pénale après qu'un certain nombre d'autres organisations n'ont pas été en mesure de régler le problème. Lorsque le moment est venu pour la justice pénale d'intervenir, la personne concernée se trouve souvent dans une situation peu enviable. Vous êtes aux prises avec un problème qui dure depuis des années, même des décennies. Le public et d'autres observateurs sont un peu naïfs lorsqu'ils s'attendent à ce que le système de justice pénale règle ce problème qui dure, dans certains cas, depuis des centaines d'années. La responsabilité n'incombe pas au système de justice pénale lorsque les gens qui ont vécu beaucoup de traumatismes, des tragédies et des situations personnelles tragiques dans le passé se font arrêter.

Le sénateur Chaput : Cela ne devrait-il pas être pris en considération par le système de justice?

M. Martin : C'est le cas, et depuis toujours. Rien dans le projet de loi ne va empêcher que cela ne se fasse.

Le sénateur Lang : J'aimerais préciser pour le compte rendu et à l'intention du sénateur Cowan que le nouveau député du Yukon a un baccalauréat spécialisé en criminologie, a fait partie de la GRC, a été surintendant de l'établissement correctionnel du territoire et a voté pour le projet de loi. Il y a donc des criminologues qui appuient ce projet de loi.

Le sénateur Cowan : Je n'ai pas dit qu'il n'y en avait pas. Il n'a pas fourni de preuve. C'est tout ce que je dis.

Le sénateur Lang : Je vais adresser une question à Mme Big Canoe.

J'aimerais que vous nous expliquiez plus en détail pourquoi vous êtes contre les peines minimales obligatoires qui seraient imposées dans les collectivités des Premières nations en milieu rural au Canada. Pour l'exploitation sexuelle, par exemple, la peine minimale est de un an, et elle est imposée aux personnes qui ont profité d'une situation, la plupart du temps en présence d'une jeune fille, qui ont évidemment causé un préjudice très difficile à réparer. J'ai l'impression que si j'étais un membre de l'une de ces petites collectivités, ce qui a déjà été le cas, et qu'il y avait un prédateur sexuel en face de chez moi qui allait être libéré sous condition, je me sentirais très déstabilisé et victimisé par le fait que le geste posé n'entraîne aucune conséquence.

Si vous jetez un coup d'œil sur les peines minimales obligatoires pour le nombre d'infractions, elles ne sont pas très nombreuses comparativement à ce qui est déjà en vigueur. Il y a déjà quelque 40 peines minimales obligatoires en place.

Le sénateur Angus : Qui ont été mises en place par le gouvernement libéral.

Le sénateur Lang : Ce qui se passe en ce moment — et nous avons entendu des témoignages à cet égard jour après jour —, surtout dans le domaine des infractions sexuelles, c'est qu'il y a de plus en plus de gens, ceux qui sont susceptibles de récidiver, qui font face à une peine avec sursis, et il n'y a pas de peine minimale obligatoire dans leur cas.

Pourquoi seriez-vous contre cela lorsque vous savez que la personne en question circule dans la collectivité et que la jeune fille se sentirait menacée?

Mme Big Canoe : J'ai aussi passé du temps dans le Grand Nord, à Inuvik, comme greffière du tribunal et au sein du système de justice administrative comme juge de paix, en plus d'avoir été membre d'une Première nation pendant toute ma vie. Ce qui est présumé, c'est que je suis contre toute forme de peine minimale obligatoire ou que je serais la personne qui soutiendrait le délinquant sexuel. Ce n'est pas nécessairement vrai. Ce sont les principes de détermination de la peine qui comptent. Lorsqu'il s'agit de la peine minimale obligatoire ou de la peine avec sursis, là encore, l'idée est de permettre au juge de prendre le temps d'exercer son pouvoir discrétionnaire.

Comme vous venez du Yukon, vous comprendrez que les juges qui connaissent le milieu et la situation des délinquants dans ce milieu sont souvent les mieux placés pour prendre des décisions et utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour définir la peine à imposer.

Je répète que ce n'est pas tout le monde qui devrait recevoir une peine avec sursis. Il y a des cas où il est évident qu'il faut que la personne soit incarcérée. Toutefois, la principale préoccupation, c'est que, lorsqu'on impose une peine minimale obligatoire et que c'est la seule mesure et qu'il n'y a pas de peine avec sursis, il n'y a pas d'autres fonctions de réadaptation, parce qu'une détention de 90 jours à un an n'équivaut pas à une réadaptation ni à une responsabilisation face à la collectivité. Tout ce que cela suppose, c'est que le délinquant va purger la peine et va probablement devenir un délinquant encore plus expérimenté, qui n'a pas abordé la question de sa culpabilité et qui a maintenant été exposé entre autres aux gangs et à la drogue pendant sa détention. Il va revenir dans sa collectivité et va probablement y faire du mal encore. La peine avec sursis est une approche plus holistique.

L'objection ne concerne pas précisément les peines obligatoires minimales en lien avec les infractions de nature sexuelle commises contre les enfants. Comme plusieurs sénateurs et des experts et moi l'avons dit, les Autochtones sont également surreprésentés dans la catégorie des victimes. En ce qui concerne surtout les peines minimales obligatoires relatives aux problèmes de drogue, de toxicomanie et de dépendance, il y a un problème qui se pose pour beaucoup de collectivités autochtones. Il semble y en avoir qui ne sont pas adéquates ni justes dans ce contexte. C'est pour cette raison que, s'il y a une soupape de sûreté, il appartiendrait au juge, dans les circonstances indiquées, de déterminer la peine à imposer, compte tenu du bagage de la personne, parce que cette personne peut avoir été exposée à l'agression sexuelle et à la violence depuis des générations.

Le président : Simplement pour préciser, madame Big Canoe, vous laissez entendre que nous devrions envisager de prévoir une exception dans le projet de loi C-10 afin que les peines minimales obligatoires ne s'appliquent pas automatiquement aux Autochtones. Est-ce que vous dites que cette exception ne concernerait que les Autochtones, et non l'ensemble des Canadiens? Ai-je raison de dire que vous souhaitez que l'exemption prévue à l'article 718.2 soit maintenue et ne fasse pas l'objet des peines minimales obligatoires?

Mme Big Canoe : Oui.

Le président : Est-ce que vous dites que la soupape de sûreté consistant en l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire s'appliquerait à tous les Canadiens ou seulement aux Autochtones?

Mme Big Canoe : Elle s'appliquerait à tous les Canadiens, mais selon l'idée qui est énoncée à l'article 718.2, c'est-à- dire compte tenu de la situation particulière des Autochtones.

Le sénateur Frum : Ma question est en lien avec celle du sénateur Lang concernant les peines minimales obligatoires pour les infractions liées à la drogue. Sa question contenait l'idée que, même dans le contexte de l'arrêt Gladue, toutes les nouvelles peines minimales obligatoires pour des crimes de nature sexuelle commis contre des enfants concernent des crimes graves. L'arrêt Gladue ne s'applique pas aux crimes graves ou violents. Les infractions sexuelles pour lesquelles il faut qu'il y ait des peines minimales obligatoires sont des crimes graves.

Pour que les infractions liées à la drogue fassent l'objet de peines minimales obligatoires, il faut qu'il y ait un important trafic de drogue et il faut que cela soit lié au crime organisé ou à l'utilisation d'une arme. Encore une fois, il ne s'agit pas ici d'accusations frivoles.

Nous avons entendu le témoignage d'un agent de police qui a dit que six plants peuvent produire trois kilogrammes de marijuana, ce qui vaut 25 000 $. Il s'agit d'infractions graves. Les peines minimales obligatoires qu'instaure le projet de loi ne s'appliquent qu'aux crimes graves et/ou violents.

Mme Big Canoe : Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord pour dire que l'arrêt Gladue ne s'applique pas aux crimes graves. Cela concorderait avec les décisions des tribunaux canadiens. En fait, les principes de l'arrêt Gladue ne s'appliquent que lorsqu'il y a un risque d'incarcération, ce qui suppose automatiquement qu'il s'agit d'un crime grave. Les principes de l'arrêt Gladue sont d'une importance capitale lorsqu'il s'agit de l'article 718.2 et de la nécessité de limiter l'incarcération aux crimes les plus graves. Ce n'est que lorsque l'on ne peut trouver d'autres solutions.

Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à votre question mieux que cela, mais je vous remercie de l'avoir posée, et il est évident que j'ai une opinion différente là-dessus.

Le président : Merci, madame Big Canoe et M. Martin. C'était une discussion intéressante. Vous comprenez manifestement bien qu'il y a beaucoup de points de vue différents sur la question, et cela ressort clairement du témoignage que vous avez livré aujourd'hui. Celui-ci a été très utile, et nous vous en remercions.

C'est avec grand plaisir, pour notre sixième groupe de témoins de la journée, que nous accueillons, en tant que représentant des Services de santé Royal Ottawa, le Dr. John Bradford, professeur de psychiatrie à l'Université d'Ottawa, et, par l'intermédiaire de deux connexions de vidéoconférences différentes, nous allons nous entretenir avec le Dr. Joël Watts, psychiatre à l'Institut Philippe-Pinel de Montréal et avec Scott Woodside, qui est psychiatre judiciaire au Centre de toxicomanie et de santé mentale.

Nous avons pris du retard par rapport à ce qui est était prévu. Nous vous remercions de votre patience et avons hâte d'écouter ce que vous avez à dire. Docteur Bradford, si vous voulez bien nous faire le plaisir de nous présenter votre déclaration préliminaire.

Dr. John M. W. Bradford, professeur de psychiatrie, Université d'Ottawa, Services de santé Royal Ottawa : Permettez- moi de vous remercier de m'avoir invité pour vous parler. Je suis professeur de psychiatrie légale au département de criminologie de l'Université d'Ottawa. La question des délinquants ayant des troubles mentaux et de la façon dont ils sont traités au sein du système correctionnel revêt une très grande importance pour mes collègues et moi. J'ai passé la majeure partie de ma carrière à m'occuper de délinquants ayant des troubles mentaux, et la criminalisation des malades mentaux a pris l'ampleur d'une épidémie.

Pendant que nous discutons, à quelques kilomètres d'ici, au Centre de détention d'Ottawa-Carleton, il y a de nombreux détenus atteints d'une maladie mentale grave, dont bon nombre devraient être à l'hôpital et dont la plupart n'ont aucune chance de même s'approcher d'un hôpital, et c'est le triste résultat de notre situation actuelle. Ces gens sont atteints d'une grave maladie mentale, et il s'agit bel et bien d'une maladie. S'ils avaient un trouble cardiaque ou une quelconque autre affection, ils seraient probablement transférés à l'Hôpital d'Ottawa, où ils recevraient un traitement adéquat. Ce n'est tout simplement jamais le cas dans la province de l'Ontario, du moins, principalement parce que, par le passé, il y avait des places en psychiatrie légale où c'était possible. Le système de psychiatrie légale est soumis à des pressions. La demande a probablement augmenté d'environ 10 à 15 ou 20 p. 100 par année, et il n'est tout simplement plus possible d'y répondre. C'est un problème qui n'est pas nouveau. La criminalisation est un problème mondial. Penrose a été le premier à décrire le phénomène en 1939.

Dans les documents que je vous ai remis, je parle un peu de certaines de ces questions. Par exemple, 38 p. 100 des hommes présentent des symptômes de troubles de santé mentale au moment de leur admission dans un établissement fédéral, et, d'après certaines études, 78 p. 100 d'entre eux ont une dépendance grave à l'alcool. Si l'on jette un coup d'œil sur les difficultés que vivent les femmes au sein du système correctionnel, la situation est assurément encore plus difficile. Dans le document que je vous ai remis, c'est-à-dire celui-ci, si vous prenez la page qui est tirée d'un rapport volumineux, je vous renverrais au tableau 46 dans le bas. Le rapport date de 2004 et est le résultat d'une étude réalisée au Canada dans le domaine de la santé publique sur les besoins en matière de soins de santé des détenus sous responsabilité fédérale. Le tableau est tiré de la section sur la santé mentale. Si vous regardez en bas, vous allez voir qu'il y a des descriptions de problèmes de toxicomanie et de différents troubles de santé mentale. Vous pouvez constater qu'il y a des chiffres concernant les hommes, les femmes et les niveaux de sécurité minimale, moyenne et maximale. Si vous regardez certains des pourcentages, par exemple pour les femmes au niveau de sécurité maximale, 78 p. 100 d'entre elles ont des problèmes de toxicomanie et 70 p. 100 ou à peu près ont des problèmes liés à l'alcool. Si vous jetez un coup d'œil plus bas, la proportion de personnes ayant des troubles mentaux ou ayant déjà fait une tentative de suicide est extrêmement élevée : 41 p. 100.

Le problème vient entre autres de ce qui s'est passé à l'égard de la criminalisation des malades mentaux, phénomène qui a été décrit pour la première fois en 1939 par Penrose, qui a expliqué que, si des changements étaient apportés au sein du système de santé mentale, en lien avec l'insuffisance des établissements ou des modifications apportées aux lois, la population de malades mentaux dans les prisons augmenterait. Cela a été démontré maintes et maintes fois. Si l'on examine ce phénomène aujourd'hui, lequel est devenu un problème mondial, le taux de troubles mentaux est plus élevé dans les prisons qu'au sein de la population en général, selon l'aspect envisagé, mais dans l'ensemble, il est plus élevé.

Une autre préoccupation importante, c'est que le taux de suicide est beaucoup plus élevé dans les prisons qu'à l'extérieur de celles-ci. Le taux de suicide des prisonniers de sexe masculin est cinq fois plus élevé que celui de la population en général dans une tranche d'âge donnée. Du côté des femmes, il est probablement 20 fois plus élevé. Cela ne devrait pas nécessairement vous étonner. Je pense que le problème est lié au fait que les prisons sont conçues pour être un milieu de coercition et de contrôle exercé par la société. Ce n'est pas un milieu thérapeutique. Il va de soi qu'une personne atteinte d'une maladie mentale grave placée dans un milieu où le stress qu'elle vit est considérable va devenir encore plus malade.

Le graphique montre la tendance à la désinstitutionnalisation. Ce qui s'est passé, essentiellement, c'est que le système général de soins de santé mentale a essuyé un échec dans le processus de désinstitutionnalisation, c'est-à-dire que les gens sont sortis des établissements et retournés au sein de la population en général, et il n'y a pas eu suffisamment de suivi, et ces gens sont devenus itinérants, ont commis des actes criminels et ont fini par se retrouver au sein du système correctionnel.

Ce qui s'est passé — c'est le cas en Ontario, au Canada, au Royaume-Uni, en Australie, partout où l'on regarde —, c'est que le système correctionnel s'est retrouvé aux prises avec toutes sortes de problèmes de santé mentale qu'il n'était pas conçu pour traiter. Le problème ne va pas disparaître. En fait, il empire. Si l'on n'arrive pas à traiter les personnes qui ont des troubles de santé mentale, nous savons que cela cause des difficultés dans les établissements correctionnels. Cela pose un risque pour le personnel et crée toutes sortes de problèmes pour les personnes incarcérées. Celles qui ont des troubles de santé mentale graves au sein du système correctionnel sont elles-mêmes ciblées. Encore là, c'est une source de stress.

Pour passer du général au particulier, il y a un certain nombre d'années, à Brockville, en Ontario, nous avons créé sur une période d'un certain nombre d'années une Unité de traitement en milieu fermé en partenariat avec le ministère de la Sécurité communautaire et les Services correctionnels pour offrir des services de soins de santé mentale à des personnes purgeant une peine de ressort provincial, services qui étaient de même niveau et correspondaient à la même norme de soins que quiconque pouvait recevoir dans la province de l'Ontario. L'un des grands avantages, c'est que le traitement a connu beaucoup de succès, en ce sens que le taux de récidive, par exemple, a connu une diminution marquée de 40 p. 100, et cette diminution a beaucoup à voir avec le fait que les gens reçoivent un traitement médical et psychiatrique, dans certains cas pour la première fois et le traitement pour la toxicomanie ou un autre problème dont ils ont besoin. L'un des problèmes qui se posent dans toute cette équation, c'est que les besoins en matière de soins de santé mentale des femmes en établissement sont beaucoup plus grands que ceux des hommes.

En Ontario, il n'y a pas d'établissement pour femmes équivalent à l'Unité de traitement en milieu fermé. Compte tenu du fait que les femmes sont plus à risque et ont des besoins plus grands, c'est vraiment très malheureux. Les Services de santé Royal Ottawa ont examiné une étude économique. Avec des partenaires communautaires de l'Est de l'Ontario, nous avons examiné certaines des retombées économiques positives de la création de l'établissement pour femmes. Si vous regardez les diapos PowerPoint, vous allez constater que, ce qui se produit, c'est que les retombées économiques sont très importantes. Pour chaque dollar dépensé, par exemple, il y a des retombées positives d'environ 3 $ pour l'économie. Cela permettrait de générer pour les contribuables des économies totalisant 297 millions de dollars, ou 12 millions de dollars par année. Compte tenu de ce que nous savons déjà grâce à l'initiative du St. Lawrence Valley, il y aurait une réduction claire des récidives de 30 p. 100 pour les incidents en lien avec la réincarcération et de 22 p. 100 pour le récidivisme de contact.

L'étude a montré que le traitement intensif des femmes est rentable et contribue beaucoup non seulement à l'amélioration de leur vie, mais aussi à la sécurité de la population en général.

La réduction des coûts liés à l'administration des prisons et de la justice constitue l'avantage principal, 520 millions de dollars — montant brut, non escompté — pouvant être économisés à ce titre, ce qui est lié en grande partie à l'amélioration de la santé et de la sécurité dans les prisons et à la réduction du nombre de suicides dans les prisons, dont j'ai déjà dit qu'ils sont fréquents. La présence de personnes atteintes de maladie mentale dans les établissements correctionnels est également une grande source de stress pour le personnel, et elle est la cause du stress, des problèmes et de l'épuisement professionnel chez celui-ci.

Si l'on profite de l'occasion pour mettre les gens dans une situation où ils reçoivent un traitement, beaucoup de leurs besoins futurs en matière de soins de santé sont également comblés. Il s'agit à la fois de besoins en matière de soins de santé physique et mentale, et, grâce à une planification adéquate des congés, la réduction des coûts futurs des soins de santé en général serait d'environ 119 millions de dollars.

Beaucoup de femmes ont des enfants et des responsabilités familiales, et, bien entendu, si elles ne vont pas bien, si elles sont incarcérées ou si elles ne peuvent pas se réadapter comme il faut, les effets se font sentir sur les enfants et la famille. Des choses comme le fait que les enfants doivent se faire garder font aussi partie de toute cette équation. Je ne pense pas que ce soit un secret qu'il y a un degré élevé de maladie mentale grave chez les femmes au sein du système correctionnel fédéral et, dans une moindre mesure, mais dans les mêmes proportions, au sein du système provincial. Je sais pour avoir consulté une étude ponctuelle, par exemple, qu'il y a au cours d'une journée donnée cinq femmes qui vivent des difficultés importantes semblables à la situation malheureuse d'Ashley Smith il y a un certain nombre d'années.

On nous a demandé à plusieurs reprises de venir en aide aux femmes qui souffrent de maladie mentale grave et de contribuer à la mise sur pied d'un programme pour ces femmes. Il y a un modèle qui, je crois, peut fonctionner. Il y a un modèle qui, à mon avis, est important pour fournir des soins de santé aux femmes aux prises avec le système correctionnel. Je pense qu'il y a un grand avantage à le faire sur le plan des coûts, et je crois aussi, très franchement, que, dans un pays industrialisé comme le Canada, s'il y a des gens atteints de maladie mentale grave dans nos établissements, nous devrions être en mesure de leur offrir des soins correspondant à la norme attendue. Je reviens à la comparaison que j'ai faite tout à l'heure : si une personne a un trouble cardiaque, elle reçoit des soins appropriés comme n'importe qui ici présent. Malheureusement, en réalité, ce n'est pas ça qui se produit pour les gens atteints de troubles mentaux. C'est trop facile de ne pas le voir, peut-être, parce que c'est trop difficile à régler.

Il est important de ne pas nécessairement blâmer les services correctionnels de ce qui se passe. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une solution facile à trouver pour régler le problème du système général de soins de santé mentale. C'est un problème d'une envergure beaucoup plus importante.

Les places en psychiatrie légale en Ontario font l'objet d'un suivi minutieux. Nous empêchons beaucoup de gens d'occuper ces places, et celles-ci sont bien contrôlées et surveillées. Le problème, c'est que les gens que nous refusons retournent en théorie vers le système général de soins de santé mentale. C'est souvent autre chose qui se produit. Beaucoup d'entre eux aboutissent dans des centres de détention de la province, et je dirais que c'est aussi le cas ailleurs au pays. Le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux dans les centres de détention est probablement plus élevé que le nombre de personnes qui purgent une peine.

Bref, nous sommes aux prises avec un problème grave. C'est une chose qui me préoccupe en général. Je suis assurément très préoccupé par la situation des femmes et par ce qu'il advient d'elles au sein du système correctionnel tant fédéral que provincial.

Je ne crois pas qu'il y ait de solution facile à trouver pour régler le problème du système général de soins de santé mentale. L'une des difficultés qui se posent, c'est que la responsabilité à l'égard de ce problème est difficile à attribuer. Par exemple, je pense qu'il y a une compartimentation à l'échelon fédéral de même qu'à l'échelon provincial et que personne n'assume la responsabilité. Il y a 10 ans ou à peu près que je fais du lobbying et que je défends l'idée qu'il faut essayer d'améliorer le système, et on me répond toujours : « Nous allons en parler à nos collègues de la province », et ces collègues disent qu'ils vont en parler à leurs collègues du Service correctionnel du Canada ou à l'échelon national, et je pense que le problème, c'est qu'il ne se passe rien.

Le problème empire, et nous sommes devant un problème grave. Le projet de loi souligne le fait qu'il y a des délinquants qui ont des besoins particuliers. Il s'agit entre autres de femmes et de gens qui ont des besoins en matière de soins de santé mentale, alors j'espère que nous pouvons prêter attention à cela. Merci de votre attention.

Le président : Merci, docteur Bradford. Vos réflexions sont très stimulantes.

Nous allons maintenant céder la parole à un représentant de l'Institut Philippe-Pinel de Montréal, le Dr. Joël Watts, qui est psychiatre. Si vous avez une déclaration préliminaire, docteur Watts, nous aimerions l'entendre.

Dr. Joël Watts, psychiatre, Institut Philippe-Pinel de Montréal : J'aimerais répéter ce qu'a dit le Dr. Bradford et remercier les membres du Sénat de m'avoir invité à prendre la parole. Je vais le faire au nom de l'Institut Philippe-Pinel de Montréal. En guise de contexte, l'institut est un hôpital psychiatrique à sécurité maximale qui sert l'ensemble de la province de Québec. C'est un établissement de psychiatrie légale qui offre ses services à une tranche très importante de la population canadienne.

J'aimerais parler précisément de l'incidence du projet de loi sur les gens atteints de maladie mentale, et je pense que ce que je vais dire va reprendre en grande partie ce que le Dr. Bradford avait à dire.

Il serait important pour le gouvernement et pour les personnes chargées d'examiner le projet de loi de tenir compte des effets que les modifications apportées aux peines minimales obligatoires et la réduction de l'accès aux peines ne comportant pas de placement sous garde auront sur la population de personnes atteintes de maladie mentale dans nos prisons.

Il est assez évident, vu les reportages diffusés dans les médias, que l'objectif est d'essayer de protéger le public contre les récidivistes, mais je pense que ce qui n'a pas encore été abordé, ce sont les effets qu'auront par la suite les mesures prises sur certaines personnes très vulnérables au sein du système correctionnel.

Lorsque j'ai examiné le projet de loi, il m'a semblé que, dans un sens, du point de vue de la santé mentale, nous lançons un grand filet, et, un peu comme à la pêche aux filets traînants, il se peut que nous attrapions les personnes que nous voulons attraper, mais que nous attrapions en même temps les personnes dont nous ne souhaitons peut-être pas qu'elles viennent engorger notre système de justice pénale.

Le Dr. Bradford a mentionné le fait qu'il y a une proportion très élevée de personnes atteintes de maladie mentale dans nos prisons et que le problème subsiste depuis des décennies. En outre, nous savons que le taux de comorbidité des problèmes de consommation de drogues et d'alcool chez les personnes atteintes de maladie mentale est extrêmement élevé, et, en particulier, qu'il est élevé chez les personnes que l'on voit dans nos établissements correctionnels, alors il n'est pas surprenant que les gens qui ont des problèmes de santé mentale graves se retrouvent dans nos filets si nous augmentons les peines minimales obligatoires pour les infractions liées à la drogue.

Je sais que le problème préoccupe particulièrement beaucoup de mes collègues de partout au pays. Mes deux collègues ici présents vous le diront aussi, j'en suis sûr. Je sais que, au Québec, c'est un problème aux yeux de mes collègues qui travaillent en psychiatrie légale. C'est quelque chose de particulièrement préoccupant parce que ceux d'entre nous qui travaillent dans les prisons savent qu'il est extrêmement difficile d'offrir des soins adéquats et sûrs à ces personnes qui sont en prison. Comme le Dr. Bradford l'a mentionné, c'est probablement encore pire dans les centres de détention et de détention provisoire.

Les effets ont déjà été mentionnés. Il y a des problèmes de sécurité graves qui se posent pour ce qui est d'offrir des soins adéquats en raison du fait que les prisons ne sont pas des hôpitaux psychiatriques. Le personnel n'est pas formé pour s'occuper des personnes atteintes de troubles de santé mentale. Nous sommes préoccupés par l'aspect coercitif du milieu, et il est donc difficile de convaincre les personnes qui doivent prendre des médicaments de le faire. Il n'y a pas de dispositions adéquates concernant le milieu pour que l'on puisse rencontrer ces personnes en toute sécurité. Le taux de suicide est extrêmement élevé, ce qui veut dire qu'il est extrêmement difficile pour les médecins qui pratiquent dans les prisons de fournir des soins de santé d'une façon qui soit sécuritaire pour eux.

Je pense que, si le gouvernement souhaite envisager un accroissement des peines minimales obligatoires pour les infractions liées à la drogue et réduire l'accès aux peines ne comportant pas de placements sous garde, je l'encouragerais fortement à mettre en place des mécanismes qui permettront de surveiller les effets que cela aura à long terme, surtout sur la population de personnes atteintes de maladie mentale en prison et dans les établissements fédéraux. Il s'agira non seulement de tenir des statistiques, mais également de surveiller le taux de récidive réel qui pourrait découler de l'instauration des mesures en question, chez les personnes atteintes de maladie mentale comme chez celles qui ne le sont pas.

Je vais m'arrêter là-dessus.

Le président : Merci, docteur Watts. Pour la dernière déclaration préliminaire, nous allons céder la parole au Dr. Woodside.

Dr. Scott Woodside, psychiatre judiciaire, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Merci au comité de me permettre de témoigner cet après-midi et de vous fournir de l'information concernant les modifications proposées à l'égard de la loi.

Je fais miens les commentaires de mes collègues. Je suis d'accord avec tout ce qu'ils ont dit, alors je peux m'en tenir à une déclaration brève par égard pour le comité.

Je veux aborder quatre points, et je vais ensuite m'arrêter.

Le premier, c'est que la question de savoir dans quelle mesure la société souhaite punir doit en fait être tranchée par les citoyens. C'est une question d'ordre moral que doivent trancher les citoyens et les représentants élus. Je ne crois pas que les experts en santé mentale aient une quelconque contribution à apporter dans ce débat. Ce que nous pouvons apporter, c'est une compréhension des effets du châtiment ou de l'accroissement de la peine imposée aux gens qui ont une maladie mentale grave.

L'une des premières choses que nous savons, c'est que, dans le cas des infractions mineures ou sans gravité, les peines minimales obligatoires et plus sévères ont en fait pour effet d'augmenter le taux global de récidive. Si l'idée est de réduire le taux de récidive, nous allons un peu reculer plutôt que d'avancer vers le but recherché.

Nous savons également grâce à de nombreuses études que lorsque l'on fait passer le nombre de personnes détenues au-delà de 320 à 450 par tranches de 100 000 personnes, le taux de récidive augmente lui aussi. En incarcérant davantage de gens, on finit par faire augmenter le taux de récidive dans l'ensemble.

Le taux d'incarcération n'est que de 116 ou 117 personnes par tranche de 100 000 pour l'ensemble du Canada, mais il dépasse ce taux de 320 à 450 personnes par tranches de 100 000 si l'on examine la situation des collectivités autochtones. Nous avons déjà atteint un taux dans certaines collectivités, nos collectivités autochtones par exemple, qui fait que nous nous attendons à ce que le taux de récidive augmente si nous augmentons la durée de la peine des personnes concernées.

En ce qui concerne les personnes atteintes d'une maladie mentale grave et d'une incapacité permanente, nous savons que les effets de l'incarcération sont plus importants sur elles que sur les autres. Il s'agit de gens à qui s'offrent des mesures de soutien social déjà limitées ou ténues, et elles ont énormément de difficultés à reconstituer leurs réseaux de soutien après une période d'incarcération.

À mon avis, et je m'exprime au nom du CTSM à cet égard, la détermination de la peine devrait tenir compte des besoins de la personne, surtout dans le cas des personnes atteintes d'une maladie mentale grave. L'imposition de peines minimales obligatoires va avoir pour effet de réduire la possibilité d'exercer un pouvoir discrétionnaire pour tenir compte des choses mêmes qui peuvent permettre d'améliorer les résultats et de réduire le taux de récidive à long terme.

Si le projet de loi est adopté, je pense que vous pouvez vous attendre à ce que le nombre de personnes atteintes d'une maladie mentale grave augmente dans la prison, et ces personnes vont avoir besoin d'un traitement complet et coûteux, pendant leur incarcération et au moment de leur libération. Cela va faire augmenter les coûts déjà élevés qui sont liés à l'incarcération en général. Ce sont des personnes qui peuvent être traitées de façon plus efficace et à moindre coût dans la collectivité.

J'ajouterai que mes deux collègues se sont concentrés un peu plus sur les infractions liées à la drogue et les peines minimales relatives à celles-ci. Je ferai remarquer que l'augmentation des peines minimales obligatoires pour les infractions de nature sexuelle touche aussi une petite proportion au moins de personnes atteintes de maladie mentale grave dont le comportement découle de leur maladie mentale plutôt que d'une tendance sexuelle perverse. Dans ces cas, le traitement de la psychose sous-jacente serait le moyen le plus efficace de réduire la probabilité d'une récidive. Si nous prévoyons une peine minimale obligatoire, encore là, nous ne pouvons pas tenir compte de cela ni traiter la personne de la façon la plus efficace, dans la collectivité.

Je vais m'arrêter ici pour qu'il y ait beaucoup de temps pour les questions.

Le président : Merci beaucoup. Tout ce que vous avez dit a été extrêmement utile.

Le sénateur Fraser : Merci beaucoup à tous, effectivement. Vous avez livré un témoignage très important au sujet d'un problème qui, comme vous l'avez expliqué clairement, a pris de l'ampleur et va continuer d'en prendre. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Docteur Bradford, permettez-moi d'être bassement matérialiste pendant un instant. Vous avez donné des estimations intéressantes au sujet des coûts et des économies de coût.

Est-ce que les chiffres que vous avez donnés ne concernaient que l'Ontario ou est-ce qu'il s'agissait du système fédéral lorsque vous avez parlé des économies totales pour les contribuables?

Dr. Bradford : Nous avons demandé à un consultant qui travaille dans le domaine économique de comparer un modèle d'unité équivalente pour les femmes à l'unité de traitement en milieu fermé pour les hommes. Les chiffres étaient différents. Je pense qu'il s'agirait d'une unité de 40 places, et non de 100.

Nous sommes allés plus loin, parce que la question revenait constamment, lorsque nous abordions le sujet, car il semble que cela coûte cher et que les contribuables n'ont pas d'argent. Il semblait important d'examiner les retombées économiques à plus grande échelle. C'est sur cette question que portait l'étude.

Le sénateur Fraser : Pour l'Ontario ou pour l'ensemble du pays?

Dr. Bradford : Ce serait pour l'Ontario, et cela se limiterait au modèle similaire qui existe déjà pour les hommes.

Le sénateur Fraser : Ce sont des chiffres impressionnants. Je sais que l'Ontario est le centre de l'univers et la plus grande province du pays, mais les chiffres n'en sont pas moins impressionnants.

Qu'est-ce qui coûte le plus cher : détenir quelqu'un dans une prison à sécurité maximale ou dans un établissement psychiatrique à sécurité maximale?

Dr. Bradford : Cela dépend; il faut être prudent. L'énoncé économique ne porte pas seulement sur le coût journalier, c'est-à-dire le coût engendré par la présence d'une personne dans un établissement, quel que soit le coût par jour. Si on prend les coûts journaliers dans un établissement à sécurité maximale et qu'on les compare aux coûts correspondants dans un hôpital psychiatrique à sécurité maximale, ils sont probablement plus élevés à l'hôpital, mais ils seraient plus faciles à mesurer parce qu'ils sont mieux circonscrits.

Dans le domaine de l'économie des prisons à sécurité maximale, ce sont les coûts journaliers qu'on examine, mais on fait fi de certains coûts secondaires. L'étude portait entre autres sur toutes ces choses. C'est la raison pour laquelle les projections économiques constituent une meilleure façon d'envisager le problème.

Le sénateur Runciman : Je veux aborder les préoccupations concernant les peines minimales obligatoires, parce que je les trouve un peu curieuses. Il s'agit de protéger les enfants et les jeunes contre les prédateurs sexuels. Vous avez mentionné que l'un des témoins a laissé entendre que, même là, les peines minimales obligatoires n'étaient pas adéquates. Personnellement, je préférerais voir des traitements efficaces offerts au sein du système carcéral plutôt que de renvoyer la personne dans la collectivité, éventuellement près de la victime ou des victimes. Je pense que c'est personnellement le point de vue que je voudrais voir adopter.

Au sujet des infractions liées à la drogue, encore une fois, le projet de loi est axé sur les infractions graves. Je ne sais pas s'il y a beaucoup de gens qui souffrent de maladies mentales et qui sont impliquées dans le trafic de drogues. Peut- être que les deux messieurs qui ont exprimé des préoccupations au sujet des peines minimales obligatoires pourraient répondre à ces deux questions. J'aimerais aussi avoir la possibilité d'entendre le Dr. Bradford là-dessus.

Le président : Voulez-vous répondre, docteur Woodside ou docteur Watts?

Dr. Woodside : Je serai heureux de commencer. Il y a une comorbidité extraordinairement élevée chez les personnes atteintes d'une maladie mentale grave et qui sont toxicomanes. Beaucoup de ces gens finissent par prendre part au trafic de drogues ou commettent des infractions contre les biens pour pouvoir prendre de la drogue. Il y a un lien clair entre les deux, et je m'attendrais à ce qu'une proportion importante des patients atteints d'une maladie mentale grave soit touchée par une peine minimale obligatoire relative aux infractions liées à la drogue.

Le sénateur Runciman : ... traitement pendant qu'ils sont en détention et ne menacent pas la collectivité de subir un coût supplémentaire et les victimes de subir les résultats de ces activités.

Docteur Bradford, nous avons entendu tout à l'heure le témoignage de M. Head, du Service correctionnel du Canada. J'ai soulevé une question concernant les femmes, que vous avez abordée ici, et les problèmes très graves avec lesquels elles sont aux prises. On ne permet pas leur admission dans une unité psychiatrique en établissement dans certains cas parce qu'elles sont considérées comme étant dangereuses, et elles sont maintenues en isolement ou immobilisées à l'aide de matériel de contrainte. Vous avez parlé de Ashley Smith. Celle-ci a été transférée 17 fois pendant la dernière année de sa vie et maintenue en isolement pendant la majeure partie de cette période.

Pouvez-vous parler un peu de l'effet que cela a sur les femmes lorsqu'elles sont traitées de cette façon?

Dr. Bradford : L'un des problèmes peut sembler évident, mais je vais l'expliquer de toute façon. Le principe d'un établissement correctionnel, c'est surtout de dicter le comportement, alors si une personne enfreint les règles, elle est punie, et cette punition, c'est souvent l'isolement. Pour une personne atteinte d'une maladie mentale grave, l'isolement a souvent pour effet d'aggraver les choses; il fait augmenter le stress et les difficultés.

Il y a une très grande différence — peu importe s'il s'agit d'un homme ou d'une femme — entre la façon dont une personne suicidaire est traitée, disons dans un hôpital psychiatrique, comme ceux où mes collègues travaillent — et il peut s'agir d'un établissement à sécurité maximale — et la façon dont elle est traitée dans un milieu correctionnel. Dans un hôpital psychiatrique à sécurité maximale, on essaierait d'avoir quelqu'un près de cette personne et de lui parler, et ce serait un milieu de soins, contrairement à ce qui se passerait dans un établissement correctionnel, où la personne passerait la nuit isolée dans une même pièce avec une lampe allumée. L'un des milieux est axé sur le comportement, et l'autre est plutôt un milieu thérapeutique. Il y a vraiment une différence nette entre les deux.

À St. Lawrence Valley, par exemple, lorsque nous avons travaillé en étroite collaboration avec nos collègues du système correctionnel pour mettre sur pied un système nous permettant d'examiner le comportement et de déterminer s'il était motivé par la maladie mentale ou s'il s'agissait d'une infraction aux règles de l'établissement correctionnel, nous en sommes très facilement arrivés à un compromis qui nous permettait de punir, si vous voulez, les personnes qui enfreignaient les règles, mais d'aborder sous l'angle de la maladie mentale le comportement des personnes atteintes de troubles mentaux.

Je pense que les femmes sont beaucoup plus vulnérables que les hommes aux problèmes liés à l'isolement et au fait de les isoler dans une cellule avec une lampe allumée. Malheureusement, ce qui se passe, c'est qu'on leur fait porter des vêtements spéciaux qu'elles ne peuvent pas utiliser pour se pendre. Pour être franc, je peux vous dire que c'est assez dégradant pour la personne. Cette personne est dépressive, désespérée et suicidaire, et elle n'a aucune estime d'elle- même, alors imaginez comment vous vous sentiriez dans sa situation. D'un côté, on dicte le comportement à adopter. De l'autre, on offre un milieu thérapeutique et on fait preuve de sympathie. Il y a un écart important entre ces deux extrêmes.

Le sénateur Runciman : Je ne sais pas si vous pouvez parler de ceci. Je connais un peu, mais pas très bien, l'exemple d'une détenue qui coûtait au système fédéral des centaines de milliers de dollars par année et qui ne pouvait être traitée de façon adéquate. Je crois que c'est St. Lawrence Valley qui s'en est occupé, si vous voulez. Est-ce que j'ai raison? J'ai entendu parler de cela il y a un certain temps. Pouvez-vous nous faire part des résultats, sans entrer dans les détails?

Dr. Bradford : Il y a des considérations relatives à la vie privée et à la confidentialité, alors je vais en parler d'une manière assez générale. Oui, vous avez raison. Ce n'était pas à St. Lawrence Valley en particulier; c'était à l'unité de traitement en psychiatrie légale, donc une place en psychiatrie légale. L'une des choses qui s'étaient produites auparavant, c'était que tant les hommes que les femmes atteints d'une grave maladie mentale impossible à gérer au sein du système correctionnel provincial ou fédéral étaient transférés en psychiatrie légale. Il y a beaucoup d'éléments qui sont communs, et nous étions en mesure de nous occuper de gens provenant de toutes sortes de systèmes correctionnels. Nous manquons de places, et le système de psychiatrie légale est soumis à des pressions.

Dans le cas que vous évoquez, nous avons admis une jeune femme qui, essentiellement, était aux prises avec des difficultés très importantes liées à son comportement suicidaire. Je ne connais pas les chiffres exacts pour ce qui est du système fédéral, mais il est certain que la gestion de son cas coûtait très cher au système fédéral. Pour être tout à fait franc, dans notre milieu, même s'il y avait eu quelques difficultés sur le plan de la gestion, ce n'était rien d'extraordinaire comparativement à ce à quoi nous avons affaire habituellement. À l'occasion, il peut y avoir des soins infirmiers individuels. Dans la collectivité, nous avons commencé à travailler avec un foyer de groupe, et les choses vont assez bien. Bien entendu, l'autre avantage, c'est que, comme il s'agit d'un milieu hospitalier, nous disposons de médicaments et d'autres ressources, tandis que, en milieu carcéral, ce qu'on peut faire est très limité.

Le sénateur Jaffer : Docteur Bradford, le sénateur Runciman a parlé du fait de sortir la personne de la collectivité et de l'empêcher de côtoyer la victime lorsqu'elle est en prison. Lorsque les délinquants sont dans vos établissements, ils ne sont pas dans la collectivité non plus, n'est-ce pas? Ils sont dans votre établissement?

Dr. Bradford : Cela dépend. La différence entre le système de psychiatrie légale — et nous faisons tous partie de ce système —, c'est que nous nous occupons de gens qui ne sont pas tenus criminellement responsables, ce qui, bien entendu, est un filtre juridique — beaucoup d'entre eux ont commis un homicide et des actes de violence graves —, et nous les traitons et les aidons à se réadapter en vue de les renvoyer dans la collectivité. En fait, si vous jetez un coup d'œil sur le taux de récidive de ce groupe, celui-ci est extrêmement faible, et le processus est très structuré et très axé sur le traitement et la réadaptation. Il n'y a rien de magique là-dedans.

Le sénateur Jaffer : Pendant le traitement, ils sont dans un établissement, n'est-ce pas?

Dr. Bradford : Oui, ils sont dans un établissement, et l'objectif est de les faire passer graduellement à un niveau de sécurité plus faible.

Le sénateur Baker : Permettez-moi de poursuivre dans cette veine. Je dois d'abord remercier les trois médecins de comparaître devant le comité et de nous livrer un témoignage très précieux.

Il n'y a pas si longtemps, nous pensions avoir réglé le problème au Parlement. Je crois que c'était vers le milieu de 2005, lorsque nous avons adopté les dispositions relatives aux troubles mentaux du Code criminel. Cela ne fait pas longtemps, sénateur Angus; vous vous en souvenez très bien.

Dans le cadre de ces dispositions, je pensais — et je crois que c'est ce que pensaient toutes les autres personnes qui ont contribué à l'adoption de ces dispositions — que, lorsque des accusations sont portées contre quelqu'un, si le juge a des motifs raisonnables de croire que la personne a un trouble mental affectant sa capacité de subir un procès, ou si elle avait un trouble au moment où elle a commis l'infraction, le procureur ou la défense pouvait demander un examen. Cet examen serait fondé sur le paragraphe 16(1) du Code criminel — vous souvenez-vous de cela, sénateur Angus? — l'article portant sur l'intention criminelle. Alors, à ce moment-là, la personne est dans un établissement psychiatrique, essentiellement pour y subir un examen. Ensuite, un comité est chargé d'établir la responsabilité criminelle. Habituellement, un juge en chef siège au comité, avec des gens de la collectivité.

Tout ce processus est prévu par la loi. Une suspension d'instance est possible si le comité en vient à la conclusion, pendant que la personne est suivie par un psychiatre, que cette suspension est nécessaire puisque la personne n'est pas apte à subir un procès ou n'avait pas d'intention criminelle au moment où elle a commis l'infraction. L'évaluation est faite selon la prépondérance des probabilités. Il s'agit non pas de la norme criminelle, mais plutôt de la norme civile.

La question que je me pose, logiquement, c'est : qu'est-ce qui s'est passé? Nous pensions avoir réglé le problème. Qu'est-ce qui s'est passé?

Dr. Bradford : Je pense que mes collègues auront peut-être quelque chose à dire à cet égard. Vous avez tout à fait raison. Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. La chose qui, selon moi, fait une différence, c'est qu'il s'agit d'un filtre juridique. Il s'agit non pas de savoir si la personne a une maladie mentale chronique grave, si elle souffre de schizophrénie grave, mais plutôt de savoir si le critère juridique concernant l'aptitude à subir la procédure est respecté.

En Ontario, comme je l'ai dit tout à l'heure, le système est très bien structuré. Il s'agit d'un programme central qui relève directement du ministre de la Santé. À 10 heures chaque matin, nous savons qui occupe chacun des lits. Il y a beaucoup de collaboration entre Toronto et Ottawa, et ainsi de suite. Ce n'est qu'une partie du problème. Ce sont les gens qui ne correspondent pas à ce filtre qui aboutissent dans un centre de détention. Ils sont probablement tout aussi malades que les personnes que le filtre permet de trier, mais ils se retrouvent dans un centre de détention où, dans certains cas, il n'y a même pas de soins infirmiers en permanence. Il est difficile de les traiter. Il n'y a aucune chance qu'ils puissent se rendre dans un hôpital, du moins en Ontario. La situation se maintient indéfiniment.

Il s'agit d'un filtre imparfait. Nous nous débrouillons dans ce domaine; nous refusons aussi des gens. En chiffres absolus, le nombre de places et de personnes ayant des besoins augmente de 35 par année au sein de ce système en Ontario. C'est le rythme auquel il augmente, mais ce n'est qu'une petite partie du problème. Il y a une grande partie du problème qui se situe de ce côté-ci. Mes collègues souhaitent peut-être intervenir.

Dr. Woodside : Je serais tout à fait d'accord avec le Dr. Bradford. Les modifications qui ont été apportées ont raisonnablement bien fonctionné, peut-être trop bien. L'augmentation annuelle de l'utilisation des places en psychiatrie au Centre de toxicomanie et de santé mentale est d'environ 10 p. 100. Nous avons été témoins de la multiplication du recours aux dispositions du Code criminel dont vous parliez pour des personnes jugées inaptes à subir un procès ou pas tenues criminellement responsables. Je pense que nous faisons un bon travail de gestion de ces personnes et relativement à leur réinsertion dans la collectivité en toute sécurité, parce que la sécurité du public est l'élément clé de ce qui détermine l'accès d'une personne à la collectivité ou le fait qu'elle continue de relever de la Commission ontarienne d'examen.

Comme le Dr. Bradford l'a mentionné, ce n'est qu'une petite partie du problème. Beaucoup de gens continuent d'être incarcérés et criminalisés en raison de leur maladie mentale. Entre 1999 et 2008, le nombre de personnes atteintes d'une maladie mentale grave qui ont été incarcérées a augmenté d'environ 35 p. 100. Il y a une croissance des deux côtés. Nous constatons un recours accru aux mesures juridiques, par l'entremise de la Commission ontarienne d'examen, et à l'incarcération, pour composer avec la maladie mentale grave. Il s'agit en partie, bien entendu, d'un manque de ressources et de l'incapacité du système psychiatrique en général de s'occuper des personnes concernées de façon efficace et de leur fournir le traitement dont elles ont besoin.

Le président : Docteur Watts, voulez-vous réagir?

Dr. Watts : Oui. Encore une fois, je vais être concis, parce que je suis d'accord avec le Dr. Bradford et le Dr. Woodside.

Simplement pour préciser, comme le Dr. Bradford l'a mentionné, seuls les gens qui respectent le critère juridique pour l'application de l'article 16 ou pourraient être considérés comme inaptes à subir un procès vont bénéficier du système de psychiatrie légale et des comités d'examen qui sont alors créés. Il y a des gens qui ne respectent pas les critères, mais qui n'en ont pas moins des problèmes de santé mentale graves et qui aboutissent dans nos prisons.

Même si certains changements positifs ont été apportés, nous allons demeurer aux prises avec ce problème, parce que, comme mes collègues l'ont mentionné, la demande va toujours croissant parce que nous n'avons pas de ressources ailleurs. En apportant le genre de changements qui sont proposés au Code criminel, nous allons ramasser ces personnes atteintes de maladie mentale et en jeter peut-être encore plus qu'avant dans nos prisons. Je pense que c'est cet aspect que nous devons considérer.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce sujet est passionnant et les enjeux seront énormes pour notre société, tant au Québec qu'au Canada, pour les prochaines années. Ce sujet m'interpelle depuis sept ans. L'association dont je suis le président a accompagné beaucoup de familles dont un proche a été assassiné. Au Québec, depuis 2001, près de 100 meurtres intrafamiliaux se sont produits, et ce, en grande partie par des gens qui avaient des comportements déficients.

Des indices nous disent que la situation est plus terrible qu'on le croit. De 1992 à 2012, le nombre de personnes déclarées criminellement non responsables à cause de leur état mental s'est multiplié par 60 au Canada. Des 20 cas qu'on avait en 1992, on est passé cette année dans une hypothèse de 1 200 cas. Selon les policiers de Montréal, deux personnes interceptées sur trois ont des problèmes de comportement, de déficience intellectuelle ou de santé mentale.

Docteur Bradford, cette courbe descendante que l'on voit ici pour les États-Unis indique que la désinstitutionnalisation et la réinstitutionnalisation, soit les gens qui étaient dans des hôpitaux, est proportionnelle ou inversement proportionnelle à la courbe montante dans les prisons. Si on faisait la même courbe pour le Canada, aurait-on la même situation?

[Traduction]

Dr. Bradford : Assurément. En fait, il s'agit d'une tendance mondiale. Si l'on examine ce qui se passe en Australie, aux États-Unis, en Suède ou ailleurs, c'est partout pareil. Les solutions ou solutions potentielles sont un peu différentes. J'ai travaillé comme consultant pour le gouvernement de la Hollande. Il y avait là-bas des établissements intéressants où l'on envoyait des personnes atteintes d'une grave maladie mentale purger une peine de ressort fédéral dans un établissement à sécurité maximale avec des gens qui n'étaient pas tenus criminellement responsables, l'élément commun étant qu'ils avaient une maladie mentale grave exigeant un traitement correspondant à une certaine norme. Il n'y a rien du genre ici, mais la tendance est claire. Elle ressort partout dans le monde.

En fait, l'une des choses qui m'ont intéressé, c'est ce qu'a dit un Australien qui était de passage ici. C'était un psychiatre communautaire, et non un psychiatre judiciaire comme mes collègues et moi. Il a donné une série de conférences au Canada, et il disait que, selon lui, d'ici environ 10 ans, il n'y aurait plus de places en psychiatrie en Australie. Je suis tombé de ma chaise. Je lui ai demandé : « Connaissez-vous le taux de criminalisation des malades mentaux en Australie? » Il ne savait pas de quoi je parlais. C'est ce qui pose problème. Il y a des gens en psychiatrie générale qui ne comprennent pas le graphique que je viens de vous montrer et qui font un peu partout des déclarations comme celle-ci, et mes collègues et moi, ainsi que les gens du domaine de la psychiatrie correctionnelle, faisons face à un problème grave au quotidien qui découle de l'augmentation du nombre de cas dont nous nous occupons.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma dernière question, je la poserai aux trois témoins. On voit que cette courbe est liée à la désinstitutionalisation, et il était juste de dire qu'on devait donner aux personnes institutionnalisées une certaine autonomie. Les garde-fous qu'on aurait dû avoir à l'époque pour désinstitutionnaliser ces personnes n'étaient pas tous présents. Il faudrait tenir une réflexion à ce niveau, à savoir comment traiter les personnes qui ont des problèmes mentaux sérieux et à qui on veut donner un niveau autonomie. Comment doit-on les encadrer? Comment encadrer les familles? Car cette responsabilité, on l'a souvent donnée aux familles.

[Traduction]

Dr. Bradford : Je suis d'accord avec vous. L'un des problèmes que pose la désinstitutionnalisation a commencé au moment où ont été mis au point des traitements efficaces de la psychose et de la schizophrénie. Les gens sont sortis des hôpitaux, ce qui était très bien, et sont retournés dans la collectivité.

Le problème est venu du fait qu'il n'y avait pas de surveillance dans la collectivité; la structure nécessaire pour surveiller les gens n'existait pas. Ils pouvaient refuser prendre leurs médicaments. Si vous jetez un œil sur les études qui ont été réalisées, vous constaterez qu'environ 90 p. 100 de gens qui sont atteints d'une maladie comme la schizophrénie ont une rechute dans un délai de deux ans, si tant est que le diagnostic est bon au départ. Une fois qu'ils rechutent, ils perdent contact avec leur famille, deviennent itinérants, commettent des crimes et sont pris en charge par le système correctionnel.

On a essayé de régler ce problème. En Ontario, il y a les ordonnances de traitement en milieu communautaire, qui offrent une certaine structure. C'est comme une autorisation pour les patients externes. La plupart de ces choses n'ont pas suffisamment de mordant pour offrir la structure que même la probation ou la condition de traitement offrent, ou encore le système pour les personnes qui ne sont pas tenues criminellement responsables.

Pour en revenir à Penrose, si l'on examine la situation du système civil de soins de santé mentale, au moment où il fait face à des difficultés et à des problèmes touchant les ressources ou d'ordre législatif, on voit une tendance vers la justice pénale et les services correctionnels, et c'est exactement ce qui s'est passé.

L'une des blagues qui j'entends toujours lorsque je parle de psychiatrie légale, aux membres de la Société canadienne de schizophrénie, par exemple, c'est que la psychiatrie légale est comme la meilleure police d'assurance-maladie pour les personnes atteintes d'une maladie grave. Dans un sens, c'est vrai à bien des égards, parce que nous assumons la responsabilité. Nous avons la structure nécessaire pour nous assurer que les gens reçoivent un traitement. Nous aidons la famille à composer avec de graves problèmes. N'oubliez pas que les actes de violence posés par les personnes atteintes de maladie mentale sont la plupart du temps des actes posés contre les membres de la famille.

Un problème grave se pose, qui vient de la loi et de toutes sortes d'autres choses. Je simplifie, et je m'en excuse, mais je pense que vous avez mis le doigt là-dessus en soulevant la question.

Le sénateur Cowan : J'avais deux questions, dont l'une a été abordée en grande partie par le sénateur Boisvenu. J'ai pris part activement à la planification des soins de santé mentale en Nouvelle-Écosse dans les années 1970 et 1980, alors, quand je regarde le graphique que vous avez présenté, je comprends la situation. Nous pensions faire ce qui s'imposait en fermant les établissements psychiatriques; et les services communautaires étaient en place. Assurément, d'après mon expérience de non-spécialiste, j'aurais tendance à penser que ce que vous dites est exact, c'est-à-dire qu'il y avait et qu'il y a encore des services communautaires pour certains types de personnes dans les établissements en question, mais qu'il n'y en a pas pour beaucoup d'autres. Je pense qu'il s'agit d'un problème majeur, qui sort probablement du contexte du projet de loi C-10, mais qu'il faut assurément régler.

J'étais en train de jeter un coup d'œil sur les exposés. Dans le vôtre, docteur Bradford, vous avez dit que des problèmes de santé mentale sont détectés chez 38 p. 100 des hommes et 31 p. 100 des femmes. Ces chiffres sont grosso modo équivalents. Si je prends l'autre document, qui s'intitule « A health care needs assessment of federal inmates in Canada », dans le tableau 46, dont vous avez parlé, j'interprète mal ce que je vois, mais il me semble que le pourcentage de femmes est beaucoup plus élevé. Est-ce que j'interprète correctement le tableau? Le cas échéant, est-ce qu'il y a une explication qui pourrait nous éclairer quant aux raisons pour lesquelles il y aurait davantage de femmes que d'hommes qui ont des besoins en psychiatrie ou chez qui des problèmes psychiatriques sont détectés à l'admission?

Dr. Bradford : Vous avez cité les bons chiffres, et je vais vous les expliquer.

Ce que vous voyez, dans ce graphique, ce sont les chiffres à l'admission, et il s'agit de l'admission des hommes et des femmes. Ensuite, il y a une répartition selon le niveau de sécurité, et évidemment, cela se passe d'explications. Ce sont les femmes qui présentent le taux le plus élevé de troubles mentaux, le risque de suicide le plus élevé, et ainsi de suite.

Le problème qui se pose dans le cas de toute étude du genre, c'est celui du moment où l'étude est réalisée et la façon dont elle est menée. Si vous vous attachiez à l'incidence de la schizophrénie dans les établissements correctionnels de la Suède et que vous compariez les chiffres à ceux du Royaume-Uni, des États-Unis et du Canada, la proportion serait beaucoup plus élevée qu'au sein de la population en général; trois, quatre ou cinq fois plus élevée. Cela varie. Nous savons qu'elle est plus élevée. Cela tient à la façon dont les chiffres sont établis.

Certains des chiffres que vous voyez ici, dans les diapos PowerPoint, viennent d'enquêtes, par exemple, que le SCC a menées auprès de l'ensemble de sa population. C'est tiré d'une étude également réalisée par le SCC, mais par l'intermédiaire de la santé publique. Cela varie en fonction des chiffres utilisés.

La tendance, cependant, si l'on examine ce qui se passe à l'échelle mondiale, c'est que les femmes incarcérées présentent un taux plus élevé de troubles mentaux et un risque beaucoup plus élevé de suicide, c'est-à-dire 20 fois plus élevée que celui de la tranche d'âge correspondante au sein de la population en général, et ainsi de suite. Il y a un problème, et il est bien pire chez les femmes.

Le sénateur Angus : Vous avez tous exprimé le fait qu'il y a un problème, de toute évidence un problème important, c'est-à-dire que notre société emprisonne des gens qui ont une maladie mentale. C'est un programme de nature générale dont nous parlons depuis une demi-heure.

Pour ce qui est du projet de loi C-10, je pense que vous dites qu'il ne crée pas un nouveau problème; dans la mesure où il va faire en sorte qu'il va y avoir davantage de gens atteints de maladie mentale en prison, il va aggraver le problème. Est-ce juste?

Dr. Bradford : Personnellement, je crois que c'est juste, et je pense que mes collègues ont soulevé ce point précis. Je pense que c'est l'un des problèmes.

L'autre problème, c'est que, lorsque les chiffres vont augmenter, vous avez raison, le filet va disparaître. Il y a selon moi un autre problème, et c'est seulement mon avis, mais, si l'on consacre les ressources aux problèmes graves et que l'on répartit les ressources là où il y a certains problèmes mineurs, je pense qu'on ne fait un bon travail nulle part. C'est ce qui m'inquiète.

Le point de vue du projet de loi C-10, d'après ce que je peux voir, d'après ce que je comprends, tient compte précisément des femmes et des personnes qui ont des besoins en santé mentale en tant que populations ayant des besoins particuliers. Je ne le cite peut-être pas textuellement, mais j'ai lu le projet de loi, et c'est ce qui en ressort. Ce qui me préoccupe, c'est que, si c'est ce que le projet de loi fait, il est temps de souligner ces difficultés, ce que nous essayons de faire auprès de vous, je crois. Je ne sais pas quelle marge de manœuvre il y a dans le projet de loi, mais, à tout le moins, vous devez en être conscient. Je crois que les députés doivent en être conscients. Que cela vous plaise ou non, c'est un problème grave. Il y a des gens qui souffrent tous les jours.

Le sénateur Angus : Est-ce que le Dr. Watts ou le Dr. Woodside veulent dire quelque chose? Comprenons-nous bien les choses jusqu'à maintenant?

Dr. Watts : Je suis d'accord avec le Dr. Bradford. Encore une fois, je pense que le public doit être informé au sujet des conséquences réelles et véritables du projet de loi. Je vous encouragerais à au moins mettre des mesures en place pour en surveiller les effets. La décision, comme le Dr. Woodside l'a dit, revient en toute justice aux décideurs, et il n'appartient pas aux psychiatres de tenir un débat moral sur les peines minimales appropriées ou non. De notre point de vue, il est important que vous compreniez que, si vous faites cela, vous devez connaître les conséquences possibles et les mesures à mettre en place pour effectuer le suivi de façon à ce que des décisions puissent être prises plus tard quant à savoir si vous avez choisi la bonne voie ou non et quelles sont les conséquences.

Le sénateur Angus : Docteur Watts, vous avez dit que l'Institut Pinel est un établissement de détention psychiatrique à sécurité maximale, n'est-ce pas?

Dr. Watts : Oui.

Le sénateur Angus : Si un juge à Montréal déclare coupable une personne qui est clairement atteinte d'une maladie mentale, est-il possible qu'elle purge sa peine à l'Institut Pinel?

Dr. Watts : En général, les gens ne sont pas envoyés à l'Institut Pinel pour purger leur peine. Cela dit, il y a à Pinel plusieurs programmes qui sont en fait financés par l'intermédiaire du Service correctionnel du Canada. L'un de ces programmes est une unité que j'ai dirigée pour les délinquants sexuels, en fait, il s'agit du seul programme du genre au Canada. Il y a aussi une unité où l'on traite les femmes qui ont un comportement très difficile à maîtriser, très impulsif et très dangereux au sein du système correctionnel, et c'est là aussi un programme unique au Canada. Nous nous occupons de gens qui purgent leur peine parce qu'ils présentent de graves problèmes de santé mentale, mais nous n'admettons pas de patients qui nous seraient envoyés directement simplement pour purger leur peine.

Le sénateur Angus : L'établissement de Toronto, docteur Woodside, c'est le Centre de toxicomanie et de santé mentale?

Dr. Woodside : Oui.

Le sénateur Angus : L'honorable Michael Wilson a pris part à la création de ce centre. Y a-t-il chez vous des places à sécurité maximale du même genre que celles décrites par le Dr. Watts à Pinel?

Dr. Woodside : Non. Le degré le plus élevé de sécurité offert à notre centre, c'est celui des places en psychiatrie légale, lesquelles sont réservées aux personnes jugées inaptes, pas tenues criminellement responsables, ou ce qu'on appellerait des places à sécurité moyenne, ou encore simplement des places en milieu fermé maintenant. Pour l'instant, nous n'admettons pas de clients ayant été emprisonnés pour qu'ils purgent une partie de leur peine ou qu'ils puissent suivre un programme spécialisé.

Le sénateur Angus : Au Royal Ottawa, quelle est la situation à cet égard? Combien de places avez-vous?

Dr. Bradford : Au total, si vous l'on compte l'Unité de traitement en milieu fermé, il y a 204 places aux Services de santé Royal Ottawa.

La situation actuelle en Ontario, c'est qu'il y a, pour ce qui est de la classification de sécurité, des places en milieu fermé, des places en psychiatrie légale et des places en psychiatrie légale générale. Toutefois, vu le fonctionnement du système, c'est-à-dire le fait qu'il s'agit d'un programme central dans la province, les places ne peuvent pas, en fait, être prises par des personnes purgeant une peine. Ce n'est pas une question de volonté. En règle générale, nous ne sommes pas autorisés à le faire. Le mandat est différent.

Ce n'était pas le cas avant. Comme je l'ai mentionné, il y a 15 ans, la situation aurait pu être très différente, mais cela a beaucoup à voir avec les ressources.

J'aimerais faire un commentaire. Le sénateur Baker a parlé de l'article concernant les troubles mentaux, et cela m'a rappelé quelque chose. J'ai siégé au comité qui a travaillé là-dessus en 1986, et l'article a fini par être adopté en 1991, je crois. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais, lorsque l'article a été adopté, il y avait une disposition d'ordonnance de séjour à l'hôpital qui permettait à un juge, dans le cas où la personne ne respectait pas les critères selon lesquelles elle ne pouvait être tenue criminellement responsable, de rendre une ordonnance de séjour à l'hôpital, laquelle permettait à la personne d'être hospitalisée pendant une période maximale de six mois et d'y recevoir un traitement adéquat avant de continuer de purger sa peine. Cette disposition avait fait l'objet d'une réflexion soigneuse. Elle avait été modelée sur des dispositions semblables en Europe, notamment au Royaume-Uni et ailleurs, pour régler le problème en partie, du moins au début de la peine, pour stabiliser les personnes ayant un trouble mental grave et aigu avant qu'elles ne soient confiées au système correctionnel provincial ou fédéral pour purger leur peine.

J'en parle parce que, même si c'était prévu par la loi, c'est quelque chose qui a fini par être abandonné parce que les provinces étaient préoccupées par le manque de ressources. C'était une solution, mais l'application a échoué.

Le sénateur Angus : Merci. C'est un gros problème.

Le sénateur Jaffer : Ce matin, nous avons reçu M. Howard Sapers, du Bureau de l'enquêteur correctionnel, et il a dit quelque chose de profond. Il a dit que les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais que nous mettons des délinquants qui sont des patients en prison. Ce que vous avez dit m'a ramené cette réflexion à l'esprit.

Il a aussi dit, et mes collègues me corrigeront si je me trompe, mais j'ai compris de ce qu'il a dit que, si les femmes souffrent de problèmes ou de troubles mentaux, elles ne sont envoyées qu'à un seul endroit au Canada, c'est-à-dire à Churchill. Je ne sais pas si je me rappelle bien ce qu'il a dit.

Ce qui me préoccupe encore davantage, c'est le témoignage que vous avez livré au sujet de l'évaluation et du traitement intensifs et spécialisés pour les femmes atteintes de maladie mentale. Vous vous concentrez là-dessus, et pourtant nous échouons. Nous envoyons des gens en général, des hommes et des femmes, en prison alors qu'ils devraient en fait être envoyés dans d'autres établissements.

À l'heure actuelle, la tendance, c'est de dire que, si l'on commet un crime, on va en prison. D'après les chiffres que vous avez fournis, je crois que la société paie un prix plus élevé plus tard parce que, tôt ou tard, les gens emprisonnés doivent sortir et ils n'ont pas reçu de traitement. J'aimerais que vous parliez davantage du fait que les gens sortent de prison sans avoir reçu de traitement.

Vous avez parlé plus tôt des choses en général et du fait que le traitement peut coûter cher, mais que les gens qui le suivent sont guéris dans une certaine mesure lorsqu'ils sortent. Quand ils sortent du système carcéral, ils ne sont pas guéris.

Dr. Bradford : Exactement. D'abord, M. Sapers a raison. Je ne vais pas aborder toute la question du SCC et des ressources, mais l'unité de Churchill n'a que quelques places pour les femmes atteintes d'une maladie mentale grave.

Le sénateur Jaffer : Est-ce pour l'ensemble du Canada?

Dr. Bradford : Oui. Je vais m'en tenir à cela.

M. Sapers a raison de dire que nous envoyons des patients à l'hôpital, et, bien sûr, nous savons quelles sont les conséquences.

J'ai gardé de certaines expériences une impression indélébile. D'abord, avant que nous arrivions à mettre sur pied l'unité de traitement en milieu fermé, j'avais fait le tour des centres de détention de la province simplement pour essayer de me faire une idée de la situation. La plupart du temps, lorsque je visitais l'unité d'isolement des centres de détention, j'y trouvais surtout, mais pas toujours, plein de gens atteints d'une maladie mentale grave qui criaient et qui ne recevaient aucun traitement. En fait, on aurait dit un retour en arrière d'un siècle ou plus. C'est l'un des problèmes.

La grande différence, c'est que, si l'on dispose des bonnes installations et que les gens sont traités — et j'utilise le modèle de la psychiatrie légale —, je pense que nous faisons un bon travail. Toutefois, dans le modèle correctionnel à cet égard où les délinquants sont traités, on rétablit les liens avec leur famille, on élabore un plan de libération significatif, et nous avons été en mesure de montrer que l'on peut réduire le taux de récidive, entre autres, d'environ 40 p. 100. Le chiffre varie entre 40 et 60 p. 100, mais ce n'est pas seulement cela. Cela permet d'alléger les souffrances, et je dirais que c'est une question de santé publique et ainsi de suite. Il y a beaucoup de choses, et, oui, nous échouons.

Le sénateur Jaffer : L'autre chose que M. Sapers a dite, c'est que, selon le profil des gens qui sont emprisonnés, il y a plus de membres de minorités visibles, plus d'Autochtones et des femmes en plus grand nombre, et ces gens vieillissent, leur dépendance est plus forte, et leurs troubles mentaux sont plus graves. Je veux vous parler de la question des femmes issues de minorités visibles. Il y a des problèmes de nature culturelle et des obstacles supplémentaires lorsqu'elles sont emprisonnées. Pouvez-vous parler de cela?

Dr. Bradford : Je ne suis pas un expert de la question. Mon raisonnement est simplement fondé sur le principe selon lequel les besoins les plus importants en matière de soins se constatent chez les femmes. Je dirais que, s'il s'agit de femmes issues de minorités visibles, qui risquent de faire l'objet de préjugés, entre autres, cela ne peut qu'être une cause de stress accru, de problèmes supplémentaires et de passages encore plus difficiles au sein du système. Tout accroissement du stress exacerbe une maladie mentale grave et la rend encore plus difficile à traiter. C'est important.

L'une des choses qui se passent dans le contexte du vieillissement de la population, dans les établissements correctionnels en tout cas, c'est que la population y vieillit aussi. Il y a des gens qui seraient dans une résidence pour personnes âgées ou un foyer de longue durée et qui sont maintenant en prison. Cela cause un tout autre problème dont nous n'avons même pas encore parlé.

Le sénateur Jaffer : Est-ce que le Dr. Woodside ou le Dr. Watts souhaite dire quelque chose concernant l'une ou l'autre des questions que j'ai posées?

Dr. Woodside : Je serais d'accord avec le Dr. Bradford. Nous savons que les Autochtones, par exemple, sont surreprésentés de manière flagrante au sein de la population carcérale. C'est encore plus vrai des femmes. L'incarcération est une expérience stressante dans le meilleur des cas. Ce n'est pas quelque chose qui aide les gens à composer avec leur maladie mentale. Les médicaments peuvent stabiliser les gens dans une certaine mesure, mais c'est l'établissement de ces autres aspects du traitement comme le fait de renouer des liens avec la collectivité et d'établir un plan de soins à long terme pour la libération qui sont cruciaux et qui, souvent, ne se produisent pas. En fait, les personnes incarcérées perdent encore plus contact avec leur famille. Elles ne peuvent plus jouer leur rôle de soutien dans leur famille, de mères, et c'est dur à rétablir lorsque c'était déjà ténu lorsqu'elles ont été emprisonnées. Les choses ne vont certainement pas s'améliorer lorsqu'elles vont sortir.

Dr. Watts : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que mes collègues ont déjà dit. Je suis tout à fait d'accord avec eux.

Je pensais à l'instant à un commentaire qui a été fait tout à l'heure à l'égard des aspects économiques. Comme psychiatres, il est assez évident que nous allons défendre une démarche axée non pas seulement sur l'économie, mais aussi sur le droit des gens aux types de soins dont ils ont besoin et sur leur droit d'obtenir ces soins de la façon la plus humaine possible. Nous devons tenir compte de ces choses.

Le sénateur Jaffer : N'est-il jamais indiqué d'envoyer une personne qui a un trouble mental en prison?

Dr. Bradford : C'est une question difficile. J'en reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure. La décision concernant l'emprisonnement ou le fait que la personne ne soit pas tenue criminellement responsable est un filtre juridique. Si je voulais le faire, je dirais... les personnes ayant reçu un diagnostic de schizophrénie et une certaine note sur l'échelle de psychopathologie, mais ce n'est pas ainsi que notre société fonctionne. Tout est axé sur l'intention criminelle et autre chose du genre. Pour nous, c'est un client ordinaire qui peut être aiguillé de différentes façons selon le filtre juridique.

Dr. Woodside : Qu'une personne aboutisse en prison ou non, nous avons tous déjà dit qu'elle doit recevoir un traitement. Nous devons offrir un traitement adéquat à ces personnes, et cela ne se passe tout simplement pas à l'heure actuelle.

Dr. Watts : Je serais d'accord avec cela, et, encore une fois, je répéterais que ce ne sont évidemment pas les psychiatres judiciaires qui devraient vous dire quels filtres juridiques devraient être en place ou non. Je peux convenir avec mes collègues que ces personnes doivent recevoir des soins adéquats, peu importe où elles se trouvent.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Messieurs, j'ai trouvé vos témoignages tout à fait louables. Ma question s'adresse au Dr. Watts.

Je suis particulièrement troublé par le nombre de victimes tuées dans les circonstances attribuables à des personnes affectées par des troubles de santé mentale, et surtout au cours des six derniers mois au Québec.

J'aimerais qu'on mette de côté pour un moment l'augmentation possible de votre clientèle et des coûts, et qu'on pense peut-être un peu plus à la sécurité des Canadiens, entre autres, pour les Québécois, au regard de ce qui s'est passé au Québec dernièrement.

Vous allez convenir que le cas de chaque délinquant est un cas différent, et vous devez expérimenter un peu, j'imagine, avant de trouver le traitement approprié. Également, le traitement choisi n'est pas permanent, non plus, et on comprendra que cela prend des ajustements de traitement en cours de route.

Cela étant dit, est-ce qu'on peut convenir que, chaque fois que vous allez permettre à un déficient mental de retourner vivre dans la société, vous prenez quand même un risque, pour ne pas dire que cela va mettre la sécurité de la communauté en danger? Et j'aimerais vous entendre là-dessus, docteur Watts.

[Traduction]

Dr. Watts : Merci de votre question. C'est un sujet qui est tout à fait d'actualité, surtout au Québec dernièrement.

Avant de répondre directement à la question, je veux dire que, selon moi, nous devons éviter de nous représenter de façon exagérée ce qui se passe dans la vie de tous les jours. Le fait est que les crimes très graves avec violence commis par des gens atteints de maladie mentale sont très rares. Malheureusement, à cause de nos actualités en continu, ce genre d'incidents a tendance à se retrouver à la une et à être le sujet de l'heure. Je veux qu'il soit très clair que le risque qu'une personne atteinte de maladie mentale commette une infraction extrêmement grave avec violence est très faible.

Cela dit, si je puis vous rassurer, il s'agit d'une question qui intéresse particulièrement les psychiatres judiciaires. Évidemment, si les personnes concernées passent par le filtre du système de psychiatrie légale, notre capacité d'évaluer et de gérer le risque de façon adéquate est beaucoup plus grande. C'est un peu moins vrai des gens qui n'ont pas encore commis ce genre d'actes. Ils évoluent dans le système général, et il est donc très difficile de prédire qu'ils vont commettre ce genre d'actes.

Encore une fois, c'est quelque chose d'extrêmement rare. Malheureusement, les médias semblent dire que c'est beaucoup plus fréquent que ce ne l'est en réalité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : La réalité, à ce que je constate, c'est que la supervision de certaines personnes renvoyées dans la société, selon ce que vous dites, est impossible de votre part. Vous vous fiez alors peut-être à quelqu'un d'autre qui va le faire à votre place, mais sans en avoir l'assurance. Là aussi, pour utiliser votre langage, on appelle cela quand même des conséquences qui peuvent mal tourner. Pour ce qui est d'être des cas rares, on parle tout de même de cinq meurtres en l'espace de six mois. C'était un dernier commentaire, monsieur le président.

[Traduction]

Le président : J'ai écouté tout ce que vous avez dit, et ce qui en ressort clairement — et je doute que quiconque ici ne soit pas d'accord —, c'est que les personnes souffrant d'une maladie mentale ou ayant des troubles mentaux devraient pouvoir recevoir des soins adéquats. Si elles ont un problème de santé physique, l'établissement leur offre des soins. Il serait donc logique que des soins leur soient fournis pour leur problème de santé mentale, dans les établissements ou ailleurs. Toutefois, comme vous l'avez dit, il y a des problèmes de ressources importants, et c'est quelque chose qui pose problème.

Le projet de loi C-10 crée bel et bien de nouvelles peines minimales obligatoires, et vous avez tous exprimé une opinion sur des répercussions potentielles de celles-ci sur les personnes qui souffrent d'une forme quelconque de maladie mentale ou qui ont des problèmes de comportement. Certains ont laissé entendre que nous devrions envisager une exemption aux peines minimales obligatoires dans le cas des délinquants qui souffrent d'une maladie mentale, qui ont un problème de comportement. Il s'agit là d'une conséquence très importante du fait de déterminer s'il y a présence d'une maladie ou d'un problème de comportement.

Comme vous l'avez souligné, docteur Bradford, toute la question de savoir si la personne avait l'intention criminelle de commettre un crime est abordée, et il y a un critère bien établi concernant le seuil à atteindre pour le prouver. J'ai de la difficulté à dégager ce qu'il y a de commun dans l'opinion des experts quant à l'ampleur de la maladie mentale ou du problème de comportement qui est nécessaire pour que le délinquant soit exempté d'une peine minimale obligatoire. Serait-il possible de trouver un terrain d'entente? Pourra-t-on jamais déterminer l'ampleur de la maladie mentale ou du problème de comportement nécessaire pour rendre la personne concernée admissible à l'exemption?

Dr. Bradford : D'abord, il y a un processus de déjudiciarisation, l'idée étant que les gens atteints d'une maladie mentale grave soient réaiguillés du système de justice pénale vers le système général de soins de santé mentale. Cela se produit à différentes étapes. Il y a des mesures qui sont prises avant l'arrestation. Si une personne se promène nue dans la rue et crie, les agents de police vont l'amener à l'urgence psychiatrique et ils ne vont pas porter d'accusations contre elle.

Les tribunaux de la santé mentale, comme il y en a à Ottawa, à Toronto, à Montréal et ailleurs, mais malheureusement pas partout, suivent un processus d'évaluation et de déjudiciarisation. Ils travaillent en étroite collaboration avec l'Association canadienne pour la santé mentale et réaiguillent les gens atteints d'une maladie mentale grave, surtout ceux qui ont commis un crime sans violence. Bien sûr, il y a aussi les tribunaux qui examinent les infractions liées à la drogue. Il y a parfois un conflit entre les peines minimales et ce processus, mais, si l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est possible, cela ne pose pas de problème à mes yeux.

Je pensais à quelque chose que le sénateur Dagenais a dit. Techniquement, il avait raison de dire que, lorsque l'on prend les maladies mentales très graves, comme la schizophrénie et la psychose, il y a un risque accru de violence, y compris d'homicide, mais ce risque est encore plus grand si la personne prend de la drogue. Si la personne consomme des substances illicites et en fait le trafic, c'est bon, mais, dans le cas des personnes atteintes d'une maladie mentale grave, au sein de la bonne structure, comme celle que nous avons dans le système de psychiatrie légale, nous analysons des échantillons d'urine et suivons les patients de près, et ces mesures réduisent bien entendu le risque de violence.

Il y a des stratégies qui peuvent fonctionner. La déjudiciarisation est une chose importante. Je ne suis pas sûr qu'elle ira à l'encontre des peines minimales obligatoires. C'est un processus qui est déjà en place dans la plupart des provinces, et je pense qu'il est probablement compatible avec les peines minimales obligatoires.

Le président : Merci de votre réponse.

Docteur Woodside, docteur Watts, je soupçonne que vous souhaitez probablement dire quelque chose aussi, mais nous devons nous arrêter ici avec le présent groupe de témoins. Je vous dis cela avec regret, parce que la discussion a été extrêmement intéressante. Les questions que nous vous avons posées témoignent de notre intérêt.

Merci beaucoup.

Chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir comme septième groupe de témoins de la journée, qui vont nous faire part de leurs réflexions sur les questions auxquelles nous nous intéressons, Mme Yvonne Harvey, présidente de Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims Inc. et Mme Elizabeth Pousoulidis, présidente de l'Association des familles des personnes assassinées ou disparues. Nous accueillons également la Dre Isabelle Gaston, qui comparaît à titre personnel.

Si vous êtes prêtes, nous serions heureux d'écouter vos déclarations préliminaires.

Yvonne Harvey, présidente, Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims Inc. : Bonjour monsieur le président et honorables sénateurs. Merci de m'avoir invitée à m'adresser au comité aujourd'hui.

Je m'appelle Yvonne Harvey, et je suis présidente et cofondatrice de Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims Inc., organisme caritatif national créé en 2009 pour offrir aux survivants de victimes d'homicide du soutien affectif, de l'aide et de l'information de façon constante.

En 2007, ma fille, Chrissy Nadine Predham, a été violemment assassinée à l'âge de 28 ans, à St. John's, Terre-Neuve. En tant que parent et personne ayant survécu à une victime d'homicide, j'ai constaté, à mon grand désarroi, à quel point les lois du Canada doivent être renforcées pour protéger les citoyens et raviver la confiance à l'égard de la sécurité publique. Je m'adresse à vous au nom des victimes qui ne peuvent pas le faire et au nom de leurs parents et membres de la famille qui ont survécu à ces victimes. Je suis ici aujourd'hui pour les représenter et appuyer le projet de loi C-10.

Le projet de loi C-10 représente un changement important dans la façon dont le système de justice pénale du Canada va envisager la criminalité au Canada dans l'avenir. Ce sera une mesure progressiste favorisant l'amélioration du système de justice pénale et du système correctionnel du Canada. Il s'agit d'une mesure de réforme visant à corriger le déséquilibre au sein d'un système judiciaire où les droits et le traitement des criminels ont préséance sur la sécurité publique au pays, tendance qui s'affirme constamment depuis 1971, à l'époque où le solliciteur général chargé de la réforme pénale, l'honorable Jean-Pierre Goyer, a fait la déclaration suivante à la Chambre des communes :

[...] nous avons donc décidé d'insister sur la réhabilitation de l'individu plutôt que sur la protection de la société.

C'est une déclaration qui a été faite au Parlement et qui favorisait la réadaptation et les droits des délinquants au détriment des victimes de crime et de la sécurité publique. Cette déclaration est-elle vraie? Est-elle exacte? Oui. Est-elle douteuse? Oui. Est-elle incroyable? Assurément.

Toutefois, nous ne croyons pas ni n'affirmons qu'il faut nier l'importance de la réadaptation, mais il est également important de s'assurer de considérer les choses de façon responsable au moment de rédiger des lois qui ont des répercussions sur la protection de la société. Le projet de loi C-10 est une mesure responsable qui relève le seuil de responsabilité que doivent atteindre les personnes qui décident de commettre un crime.

Les citoyens canadiens ont une attente fondamentale qui est aussi un droit fondamental, celui de vivre dans une collectivité sûre. Le projet de loi exauce le souhait de la majorité des Canadiens. Ils ont confié un mandat au gouvernement, et nous attendons de nos législateurs qu'ils tiennent leurs promesses.

Les gens qui s'opposent au projet de C-10 le critiquent en disant qu'il s'agit d'un texte législatif faible qui va nuire à la sécurité publique et coûter extrêmement cher aux Canadiens. Certains ont affirmé que la punition ne dissuade pas nécessairement les gens d'adopter un comportement criminel. Pour ma part, je dirais que, pendant que les délinquants violents sont en prison où ils purgent leur peine minimale, ils ne sont pas dans nos collectivités où ils pourraient commettre d'autres crimes et faire de nouvelles victimes.

Clifford Olson a été arrêté 94 fois avant de commettre la série de meurtres qu'il a commis. Si le système judiciaire avait fonctionné et qu'il n'avait pas été libéré trop tôt, 11 enfants seraient encore en vie aujourd'hui. Cette semaine encore, j'ai parlé avec deux mères dont les enfants avaient été assassinés récemment. Les deux victimes en question ont été tuées par de jeunes délinquants qui avaient des antécédents de violence et qui bénéficiaient d'une libération conditionnelle anticipée.

L'application de la nouvelle loi va coûter quelque chose, mais le crime aussi engendre des coûts. Ce coût, c'est non seulement ce que les crimes coûtent aux contribuables, mais aussi les pertes de vie humaine. C'est incommensurable. La perte d'un membre de la famille est incommensurable. La perte d'un agent de police est incommensurable. La perte de foi en la capacité du système de justice pénale et de nos gouvernements de protéger la société est incommensurable. Nous voulons tous des rues et des collectivités sûres où élever nos enfants, et les avantages de cela sont incommensurables.

Pour chaque crime, il y a un délinquant, et pour chaque délinquant, il y a une victime, et, dans le cas d'une victime de meurtre, il y a plusieurs victimes qui survivent. À mon avis, dans le passé, nous, les victimes de crime, avons été perçues comme n'étant rien d'autre que des dommages collatéraux par le système de justice pénale et le système correctionnel du Canada. Le projet de loi C-10 est un pas en avant pour ramener cette tendance vers quelque chose de plus équilibré et plus inclusif.

Honorables sénateurs, merci de votre attention.

Elizabeth Pousoulidis, présidente, Association des familles des personnes assassinées ou disparues : Merci beaucoup de nous avoir invités. Je suis présidente de l'AFPAD, qui est l'association des familles des personnes assassinées ou disparues à la suite d'un crime. Je représente un peu plus de 500 membres qui ont subi la perte tragique d'un enfant, d'un être cher, d'un frère ou d'une sœur ou d'une personne disparue à la suite d'un crime.

C'est la troisième fois que nous témoignons au sujet du projet de loi C-10, et nous appuyons fortement l'adoption de ce projet de loi. Nous aimerions par ailleurs profiter de l'occasion pour remercier le gouvernement de tenir la promesse qu'il nous a faite, à nous, citoyens canadiens, de prendre les mesures nécessaires pour que nous vivions en sécurité et pour rendre nos rues et nos collectivités plus sûres.

Pourquoi appuyons-nous le projet de loi C-10 et pourquoi l'association et moi pensons-nous que le projet de loi C- 10 va nous protéger et nous permettre de vivre une vie saine dans nos rues et dans nos collectivités? Je vais vous donner des exemples concrets et vous parler de certains des projets de loi que nous appuyons. J'aimerais aborder toute la question des dispositions qui vont être modifiées et qui touchent la diffusion de l'information relative à la libération conditionnelle. Je vais vous donner l'exemple de M. Charlish, et je vais vous lire la déclaration faite par la commission de libération conditionnelle avant qu'il ne se soit retrouvé libre comme l'air dans la collectivité. Cette déclaration était en français parce que je ne voulais pas la traduire. Je vous la lis telle qu'elle figure dans le rapport.

[Français]

La commission demeure convaincue que Charlish commettra, s'il est remis en liberté, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne.

[Traduction]

Il a été libéré après que son psychiatre a soumis ce rapport pour lequel nous, les contribuables, avons payé. Il a de la chance de les avoir. Nous l'avons libéré dans la collectivité. Sa libération est assortie de conditions, je vous l'accorde. Je crois qu'il est assigné à résidence pendant six mois, ainsi de suite.

Voici ma question : Qu'avons-nous fait pour la victime, sa victime qui est toujours en vie? Le simple fait qu'une personne vive encore ne signifie pas qu'elle n'est pas une victime. Nous ne devrions pas attendre que les gens meurent avant de les considérer comme étant des victimes. J'ai demandé à cette femme et aux membres de sa famille ce que le gouvernement leur avait offert comparativement à ce qu'il avait offert à Charlish. Ma question est la suivante : Quelle est notre responsabilité, comme pays? Lorsque nous recevons un rapport du genre, comment pouvons-nous laisser sortir le criminel, sachant qu'il va commettre un autre crime?

Au chapitre des libérations conditionnelles, des appels et de la diffusion de l'information, je crois fermement que les victimes sont négligées. Vous comprenez tous que je ne pense pas que quiconque ici ou quiconque était ici avant ou quiconque adopte ce genre de dispositions législatives a l'intention de négliger les victimes. Je ne pense pas que ce soit le cas. L'objet de notre combat, c'est de nous assurer que les gens comprennent que le crime a une autre dimension, et c'est celle de la victime. C'est la raison pour laquelle nous prenons la parole, peu importe à quel point c'est difficile pour nous.

Lorsqu'on prend part au processus de libération conditionnelle, au processus d'appel ou à quoi que ce soit en lien avec son cas ou le cas d'un être cher, le procès d'un être cher, tout ne se termine pas lorsque la personne est assassinée. Tout n'est pas terminé lorsqu'un procès est tenu ou lorsque la peine est prononcée, parce que nous savons tous que tous les accusés interjetteront appel, et ils le font. Je vous accorde que nous avons vu des améliorations dans ce domaine, et c'est le cas parce que les victimes se font davantage entendre, mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour nous.

Je veux aussi vous dire que le meurtrier de mon frère a interjeté appel un an après avoir été déclaré coupable et que, il y a quelques mois, c'est-à-dire cinq ans après le fait, j'ai ouvert le journal et ainsi découvert, après avoir vu le visage de mon frère cadet et celui de son meurtrier, que l'appel avait été rejeté. Dieu merci, il a été rejeté, mais personne n'a préparé la famille. J'ai aussi une mère, et il s'agit de son fils, et je suis moi-même la sœur. Personne n'a préparé la famille ni n'a eu de considération pour les victimes, pour l'autre partie, même si j'ai appris plus tard que les parents du criminel étaient au tribunal. Le frère du criminel était au tribunal pour le soutenir, et je peux imaginer la salle de la cour d'appel, où je me suis souvent tenue, et je l'imagine avec le côté gauche plein de gens venus offrir leur soutien et le côté droit vide comme si cet enfant n'était celui de personne, comme s'il n'y avait personne pour lui.

Nous devons tous comprendre que le cas d'une personne assassinée n'est pas nécessairement l'affaire du seul gouvernement. Une personne assassinée a aussi de la famille et des gens qui l'aimaient, et des gens qui ont été touchés.

Pour ce qui est des crimes commis par les jeunes, j'en ai beaucoup entendu parler. Je pense que c'est le sujet le plus chaud en lien avec le projet de loi C-10, corrigez-moi si je me trompe, pour ce qui est des peines imposées aux gens. J'en ai beaucoup entendu parler dans les actualités et j'ai lu beaucoup de choses dans les journaux. Je viens du Québec, et je crois que la façon dont le projet de loi est présenté dans les médias de ma province est clairement erronée. Je ne peux pas parler des autres provinces; je ne parle que de ce que j'ai lu et entendu.

Je vais vous donner un autre exemple concret. La victime s'appelait Dany Ouellette, et ses meurtriers ont été accusés de meurtre au premier degré et ont reçu la peine applicable aux adultes. Je ne me rappelle pas que personne au Québec — je parle des citoyens du Québec — se soit révolté contre cette peine. C'était un jeune qui avait déjà eu des démêlés avec la justice, qui est sorti dans un bar, est retourné chez lui, a pris un couteau de cuisine, a réuni quatre de ses amis et a attendu avec eux que sa victime sorte du bar. Il l'a poignardée plusieurs fois pendant que les autres la retenaient.

La question que je vous pose à tous est la suivante : est-ce là un crime qui ne devrait pas être puni, et la peine ne devrait-elle pas être celle qui s'applique aux adultes?

Pour ce qui est des peines spécifiques, il n'est pas question d'adolescents qui ont commis un menu larcin ou qui ont consommé de la marijuana. Il n'est pas question de cela dans le projet de loi C-10. Il s'agit plutôt de crimes graves assortis d'un grand risque de récidive.

Le meurtrier de mon petit frère avait un casier judiciaire qui était scellé parce qu'il était encore mineur à l'époque. C'était la cinquième fois qu'il comparaissait devant les tribunaux. J'éprouve encore de la compassion pour sa famille, qui se retrouve maintenant avec un enfant non seulement à problèmes, mais aussi meurtrier. Je pense à sa famille et à ce qu'elle a dû vivre — parce que j'ai posé des questions et que je me suis informée à son sujet —, et je sais que ses parents ont fait de leur mieux et ont imploré le juge, comme tout parent le ferait, de veiller à ce que leur fils quitte le pays afin d'échapper à l'influence des gangs et de ses amis. Malheureusement, ils ont perdu leur combat, et leur fils a fini par devenir un meurtrier.

J'ai été choquée et troublée lorsque j'ai découvert cela — car, bien sûr, on ne nous l'avait pas indiqué avant la comparution, et c'est à ce moment seulement que la plupart des faits nous sont révélés... Il y a des raisons à cela, et je les respecte. Je me suis alors rendu compte que la vie de mon frère aurait pu être sauvée si ce jeune délinquant, après sa première ou peut-être sa deuxième, troisième ou quatrième arrestations, ne s'était pas vu imposer une peine qui lui aurait permis de sortir de prison deux ou trois semaines plus tard. Les crimes étaient liés à la drogue, aux gangs et à la possession d'armes illégales. La mort de mon frère aurait pu être évitée.

Je me pose cette question, et je la pose à toutes les personnes dans la salle : qui est responsable? Qui est responsable de la mort de mon frère? Est-ce la personne qui l'a tué? Certes, mais comment aurait-on pu éviter ce meurtre? Sous le régime du projet de loi C-10, lorsqu'on déclare qu'un criminel présente un risque élevé et qu'il est incarcéré, le fait de le mettre en prison ne le transformera pas en criminel, comme le disent certaines personnes. On le met en prison parce qu'il est déjà un criminel. Il faut s'assurer de dire les choses comme elles le sont.

J'ai entendu des gens dire que les prisons sont des « écoles du crime ». Je ne suis jamais allée en prison, car je n'ai jamais commis de crime. Ou peut-être que je ne me suis jamais fait prendre — vous ne le savez pas. Cependant, si je vais en prison, c'est parce que j'aurai commis un crime. La prison ne fera pas de moi une criminelle.

Je vous recommande fortement de... Quand nous, les victimes, prenons la parole — je l'ai encore constaté au Québec, où le projet de loi C-10 fait l'objet d'une couverture médiatique importante —, on considère que nous sommes animés par un désir de vengeance. On nous dit que nous avons de la haine. On nous dit : « Je suis désolé pour vous, mais nous ne voulons pas que vous vous en mêliez. Vous n'avez pas les idées claires, car vous êtes des victimes. »

Je tiens à rappeler aux gens que nous sommes des victimes; nous ne pouvons pas devenir des victimes, car nous le sommes déjà; ainsi, toutes les modifications apportées par le projet de loi C-10 ne s'appliqueront pas à nous. Je le répète, nous sommes déjà des victimes.

L'objectif de l'Association des familles des personnes assassinées ou disparues n'est pas de prendre de l'expansion. J'aime lorsque les gens me demandent combien de membres compte l'association et que quand je le leur dis, ils trouvent que c'est toute une augmentation. Là n'est pas notre objectif. Lorsque des membres s'ajoutent à l'association, cela signifie que d'autres crimes ont été commis. Notre objectif est de prendre soin des victimes.

Il y a une autre chose qui préoccupe grandement les victimes. Le projet de loi C-10 l'aborde un peu, mais je pense qu'il s'agit seulement de la première étape. J'affirme ceci publiquement, et je suis certaine qu'on va le consigner par écrit. Nous comparaissons ici aujourd'hui, et vous nous considérez toutes comme des victimes. Les trois femmes ici présentes sont considérées comme des victimes. Malheureusement, aux yeux de la loi, sur le plan juridique, nous ne sommes pas des victimes. Nous sommes des proches. Des « proches de la victime », comme on le dit en français. Nous ne sommes pas des victimes aux yeux de la loi.

Dès qu'un criminel met le pied en prison, on le fait suivre par un psychiatre, on lui fait subir un examen médical, on le nourrit et on s'occupe de tout. Nous sommes bien d'accord avec cela. Pas de problème. Nous ne souhaitons pas retirer des droits aux criminels. Encore une fois, je vous demande de penser aux victimes.

Le président : Madame Pousoulidis, nous devons prévoir du temps pour les questions. Je vous demanderais donc de conclure votre témoignage.

Mme Pousoulidis : Bien sûr. Merci de m'avoir écoutée, car je pourrais en dire long encore à ce sujet.

Je vous demande ce que nous faisons pour les victimes. Il y a quelques jours, j'ai reçu un appel d'un jeune homme en détresse qui a été victime d'un crime : sa petite amie avait été tuée par la famille de cette dernière. Il ne reçoit aucun soutien parce qu'il n'est pas considéré comme une victime. J'étais très inquiète à son sujet parce qu'il ne s'est jamais présenté. J'ai appelé moi-même la police parce que je craignais qu'il se soit suicidé. Que fait-on pour les victimes? Pourquoi ne les traitons-nous pas aussi bien que les criminels?

Il est très facile, en tant que victime, de baisser les bras. On peut se tourner vers l'alcool ou la drogue, se suicider ou renoncer à la vie. C'est très facile. Pour les victimes qui réussissent à s'en sortir, c'est tant mieux. Il faut beaucoup de courage.

En conclusion, sachez que nous sommes ici, que nous sommes vivantes, que nous sommes importantes et que nous demandons à vous tous de bien vouloir prendre soin de nous. On nous a imposé une peine que nous purgerons jusqu'à la fin de nos jours, sans possibilité de libération conditionnelle ni privilège de nous défendre devant un juge ou un jury. Merci de nous avoir invitées et écoutées.

Le président : Merci, madame Pousoulidis.

Chers collègues, je vais donner la parole à la Dre Gaston dans une seconde. Nous avons pris beaucoup de retard, et je constate que Mme Pate, ici présente, comparaîtra dans le prochain groupe de témoins. La présente séance doit se terminer — et se terminera — à 18 h 15, au terme de l'heure que nous avions prévue à cette fin.

[Français]

Dre Isabelle Gaston, à titre personnel : Bonjour à tous les membres du comité, et merci de m'avoir invitée. Je suis ici pour appuyer les modifications proposées par le projet de loi C-10 en regard des infractions d'ordre sexuel commises envers les enfants.

Au fil de mon témoignage, je tenterai de vous convaincre que ces mesures législatives en apparence répressives peuvent être le point de départ pour améliorer ou conserver la santé de certains membres de notre société.

Tout d'abord, l'ampleur des crimes sexuels à l'égard des enfants et de ses conséquences méritent qu'on s'y attarde. Selon Statistique Canada, c'est plus de 3 600 infractions d'ordre sexuel contre les enfants et plus de 2 000 infractions de pornographie juvénile qui ont eu lieu en 2010. Ces données, quoique impressionnantes ne représentent que la pointe de l'iceberg. Cela ne représente pas l'étendue réelle des agressions sexuelles au Canada. Selon les études de victimisation tirées de l'Enquête sociale générale, c'est plus de neuf agressions sur 10 qui ne sont jamais signalées à la police.

Même s'il est vrai que, selon ces mêmes statistiques la criminalité est à la baisse dans son ensemble au Canada, c'est avec désolation qu'on s'aperçoit que les crimes commis à l'égard des enfants, eux, sont en hausse.

En effet, on a enregistré en 2010 une hausse de 5 p. 100 des agressions sexuelles et une hausse de 36 p. 100 des infractions de pornographie juvénile. Confirmant que ce type de criminalité est à la hausse, le rapport de l'ombudsman fédéral des victimes d'acte criminel, Sue O'Sullivan, notait qu'il y a quotidiennement 750 000 pédophiles en ligne en tout temps et que des milliers de photos et de vidéos sur le net encouragent l'exploitation sexuelle des enfants. Parce que les enfants sont les plus vulnérables de notre société, on se doit de les protéger. Ainsi, nos politiques et nos lois doivent tendre à assurer la dignité, l'intégrité et la sécurité de tous les enfants.

Les mesures proposées par le projet de loi C-10 aideront à contrer les criminels qui s'attaquent aux enfants. Outre les nouvelles peines minimales pour des infractions déjà en place, l'allongement de plusieurs peines minimales obligatoires pour d'autres types d'infraction, la création de deux nouvelles infractions permettra au système de justice de s'ajuster à cette nouvelle tendance criminelle qu'est la pornographie juvénile.

Si je suis ici aujourd'hui, outre mon besoin de soutenir la cause des enfants, c'est que je m'inquiète de la santé des gens qui sont abusés. Dans le cadre de mes fonctions d'urgentologue, je soigne des victimes d'agression sexuelle. Je vois les conséquences ravageuses de ce type de crime, des dépressions, des automutilations, des stress post-traumatiques, des suicides, des tentatives de suicide et des problèmes de consommation. Cela m'attriste lorsque j'entends des gens dénoncer les coûts possibles de l'instauration de telles mesures parce je sais qu'on oublie de comptabiliser les conséquences sociales désastreuses des crimes sexuels commis à l'égard des enfants.

On dénonce souvent — je l'ai entendu souvent — que la mise en place des peines minimales obligatoires nuit au principe de droit selon lequel une sanction doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant, le paragraphe 718.(1).

Pour un enfant, aucune sanction ne sera proportionnelle à son enfance volée et à sa santé bafouée. La victime n'aura pas le droit à une seconde chance. Elle portera pour toujours les traces des gestes immoraux commis à son égard. La justice n'est-elle pas un principe moral de vie sociale fondé sur la reconnaissance et le respect des droits de chacun? Un durcissement des peines et l'obligation de les appliquer dans leur entièreté empêchent la banalisation des gestes et représentent enfin une forme de reconnaissance sociale des conséquences graves infligées aux victimes.

J'aimerais souligner ce passage de la Cour suprême du Canada, le juge Lawton dans R. c. Sargeant (1974) :

L'objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite du contrevenant. Une peine assortie d'un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant une valeur de symbole. La conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société.

Mon expérience me permet de croire avec conviction que les modifications proposant des peines minimales obligatoires favoriseront la réadaptation et le déroulement du processus judiciaire pour certaines victimes. Pour bien des victimes, de savoir qu'il y aura une peine minimale pourrait être suffisant pour leur donner la force de déposer une plainte et de subir les examens permettant de recueillir les preuves qui vont servir à condamner les agresseurs.

J'ai marqué le mot « subir » parce qu'il faut vraiment travailler auprès de victimes pour comprendre que lorsqu'on a été violée et agressée et qu'on attend plusieurs heures pour voir l'urgentologue, que la seule chose qu'on voudrait c'est de se mettre en boule, mais qu'on doit subir un examen gynécologique, avoir des prélèvements dans toutes les parties de notre corps qu'on ne peut pas nommer ici. Il faut vraiment vouloir que notre agresseur reçoive une condamnation pour subir toutes ces choses. Certaines le font par altruisme pour éviter qu'une autre personne se retrouve dans la même situation, mais il y a un but d'accepter encore de subir des agressions pour amener quelqu'un à procès.

Malheureusement, en ce moment, quand les victimes réalisent qu'on donne des peines bonbons aux agresseurs, plusieurs perdent espoir dans notre système de justice. Comme bien des Canadiens, un cynisme généralisé à l'égard de nos institutions de droit se développe. C'est alors que les victimes abandonnent leurs plaintes. La travailleuse sociale de notre établissement, qui est un centre désigné, donc spécialisé dans la prise de charge de victimes abusées sexuellement, m'a confirmé cette tendance.

En effet, les trousses de viol, les trousses qui servent à prélever des preuves ADN sont davantage détruites que transmises aux policiers parce que les victimes se découragent. Dans le système judiciaire actuel, les victimes ont besoin d'une grande dose de courage pour poursuivre leur démarche jusqu'au bout. Les conséquences à long terme d'une sanction trop clémente sont très frustrantes pour la victime et ajouteront à sa détresse.

Je pourrais avoir besoin de toute la soirée pour vous expliquer les conséquences au bout de deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, 20 ans. Je manquerais de temps, mais elles sont là.

En terminant, pour que la société soit réellement gagnante au décompte final, je crois qu'il faut miser autant sur la victime que sur l'agresseur parce qu'on ne comptabilise pas les coûts engendrés lorsqu'on reçoit, 20 ans plus tard, les victimes pour tentative de suicide. La sanction doit devenir le point de départ de la réhabilitation tant pour l'un que pour l'autre. Malheureusement, en ce moment, il y a un réel déséquilibre entre le criminel et la victime. La victime a besoin d'être protégée, d'être entendue, d'être crue. Elle a besoin qu'on lui fasse une place dans notre système de justice. Il faut cesser d'opposer la réhabilitation du criminel avec sa répression. Je crois sincèrement que la solution optimale puisera sa réponse dans les deux options. Merci de m'avoir entendue et je suis disponible pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup à tous les témoins pour leurs observations.

Chers collègues, nous avons une demi-heure pour les questions. De nombreuses personnes souhaitent poser des questions. Je demanderais à celles qui ont le privilège d'en poser d'être concises, et je demanderais la même chose aux témoins afin que le plus de gens possible aient la possibilité d'en poser. La parole va d'abord à la vice-présidente, le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Je remercie beaucoup tous les témoins de leur présence. J'essaierai d'être concise.

Mesdames, ne pensez pas que quiconque autour de cette table oublie ou écarte les victimes. Ne pensez pas qu'il en est ainsi. Il y aura de vifs débats concernant les moyens d'aider les victimes, mais nous ne les oublions pas.

Mme Pousoulidis : Je vous remercie de ces paroles.

[Français]

Le sénateur Fraser : Docteure Gaston, vous êtes urgentologue, vous recevez et les victimes d'abus sexuel, — surtout des enfants — cela doit être atroce et les patients qui ont des problèmes psychiatriques importants.

Dre Gaston : Oui.

Le sénateur Fraser : Pour ce qui est des enfants, tout le monde est d'accord. Il n'y aura jamais assez d'aide et ce sont des crimes qu'il faut vraiment éliminer, si jamais on peut.

Pour les abuseurs, croyez-vous que ce qui existe comme traitement dans notre système pénitencier est efficace?

Dre Gaston : Pour répondre à votre question, il faudrait que je sois au courant de ce qui se passe dans le système carcéral. Actuellement, lorsqu'on fait des recherches sur Internet, c'est très difficile de savoir, en tout cas de mon point de vue, je n'ai peut-être pas cherché au bon endroit ou demandé aux bonnes personnes. Donc, il m'est difficile de répondre à votre question parce que je ne connais pas les programmes qui existent pour les gens qui ont abusé.

Le sénateur Fraser : Cela valait la peine d'essayer. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Merci à vous toutes de votre présence. Même si vous n'êtes pas officiellement considérées comme des victimes, nous reconnaissons certainement que vous êtes des victimes d'un crime; il n'y a aucun doute là- dessus.

Je crois que vous vous êtes toutes montrées de cet avis. Le projet de loi C-10 commence à ramener un certain équilibre dans le système de justice canadien. Il n'atténuera peut-être pas toutes les préoccupations, mais il s'agit d'un grand pas en avant. Je ne saurais vous dire à quel point il est important, pour nous tous et pour les téléspectateurs, d'entendre le témoignage de personnes comme vous, qui ont dû subir, tout comme leur famille, une telle épreuve.

Madame Pousoulidis, j'ai été touchée par ce que vous avez dit, à savoir que vous purgiez une peine pour le restant de vos jours, sans possibilité de libération conditionnelle ni occasion de vous défendre devant un juge ou un jury. Par le passé, cette situation n'a pas reçu l'attention qu'elle aurait dû recevoir. Merci à vous toutes.

J'ajouterais qu'il est difficile pour les victimes de se faire entendre. Il n'y a pas assez de services aux victimes à l'échelle du pays; espérons que la situation continuera à s'améliorer. Vous êtes venue ici à titre personnel, à titre de docteure, mais les deux autres témoins représentent des organismes. Nous savons que bien des organismes qui prennent la défense des délinquants reçoivent du financement. Nombre d'entre eux sont, par exemple, des églises traditionnelles. Certains d'entre eux sont financés par les contribuables comme, je dirai, la CBC. Vous avez parlé de « l'école du crime ». J'ai vu à la CBC une émission où, à la suite d'une visite au Texas, on faisait allusion à une américanisation du système de justice canadien. Ce sont des difficultés réelles auxquelles les victimes doivent régulièrement faire face. Encore une fois, vous avez toute mon admiration pour cela.

Je sais que vous appuyez les composantes de ce projet de loi qui améliorent le système, surtout à l'égard des victimes. Selon vous, y a-t-il des mesures additionnelles que le gouvernement devrait songer à prendre au cours des mois et des années à venir?

Mme Harvey : Je vais répondre à cette question. Une chose qui fait défaut au pays, c'est la réadaptation des victimes. J'entends constamment les mots « délinquant » et « réadaptation ». Cependant, j'entends très rarement, voire jamais les mots « victime » et « réadaptation » dans une même phrase. Je peux vous assurer que les victimes de crimes graves ont besoin d'une réadaptation. Les services aux victimes aborderont certaines disparités qui existent au pays. Il y a beaucoup de disparités d'une province à une autre, car les services aux victimes sont mandatés et dirigés conformément aux lois provinciales. Dans mon cas, par exemple, je n'ai reçu absolument aucun service ni soutien à la suite de l'homicide de ma fille. En effet, comme elle est morte dans une province et que j'habitais dans une autre, je n'étais admissible à aucun soutien dans l'une ou l'autre de ces provinces.

Il faut se doter d'un certain type de programme et de financement durable afin de subvenir aux besoins des victimes et de les aider à composer avec les problèmes psychologiques et économiques qui découlent du meurtre. Lorsque le procès est fini et que le délinquant est puni et incarcéré, la victime n'est pas au bout de ses peines. Dans bien des cas, c'est alors seulement qu'elle commence à faire son deuil. C'est à ce moment-là qu'elle a besoin d'aide. Au Canada, aucun financement durable n'est octroyé aux victimes ni aux organisations comme la nôtre afin de leur venir en aide. Nous nous rendons sur le terrain et allons littéralement d'une personne à une autre afin de recueillir des fonds pour fournir les services nécessaires aux victimes.

Mme Pousoulidis : Si je puis me permettre, je suis encore très préoccupée par le fait que certains criminels sortent de prison. Je ne dis pas que les criminels ne devraient pas être libérés; s'ils ont été réadaptés et qu'ils ne représentent pas un risque, ils devraient l'être. Toutefois, le principal devoir d'un parent est de protéger ses enfants. Si un criminel ou un prédateur sexuel vivait tout près de chez moi, j'aimerais et je devrais en être informée, et je pense que tous les Canadiens seraient d'accord avec moi. Il appartiendrait alors à moi de choisir de déménager et de protéger mes enfants. Or, on nous prive de ce choix afin de protéger les droits des criminels et de faciliter leur réinsertion dans la société, et ce, aux dépens de nos enfants.

Le sénateur Jaffer : Je veux également vous remercier, toutes les trois, d'être ici aujourd'hui. Cela prend beaucoup de courage. Le Sénat est toujours attentif à vos propos.

J'ai posé cette question à un certain nombre de témoins qui ont comparu. À mon avis, il faut déployer de bien plus grands efforts pour donner aux victimes la force de surmonter l'épreuve qu'elles vivent et pour les aider. À la lumière de ce que vous avez vécu, pourriez-vous nous dire une ou deux choses qui auraient pu vous aider? Je vais commencer par vous, madame Harvey.

Mme Harvey : Il y a tellement de choses que je ne sais pas vraiment par où commencer. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour me donner la force de surmonter cette épreuve, pour m'aider? Je viens d'aborder les disparités relatives aux divers services offerts d'une province à une autre. Je pense qu'il aurait été utile de les éliminer. Ainsi, j'aurais bénéficié de renseignements, de connaissances et de conseils en ce qui concerne le processus qui s'ensuivrait. Je ne connaissais absolument rien au système de justice pénale. J'ai tout appris sur Internet. J'ai eu peu d'interactions avec la police, si je peux dire, parce que nous vivions dans une autre province.

Il n'y a toujours pas eu de procès, et je ne comprends pas du tout pourquoi il en est ainsi. Toutefois, je découvre peu à peu qu'on m'a fourni beaucoup de renseignements erronés. Je n'ai jamais été informée de la situation et, en tant que mère d'un enfant assassiné, j'estime que j'ai un droit fondamental de savoir ce qu'il en est — sans pour autant qu'on risque de compromettre l'enquête, bien entendu, mais je crois qu'il devrait y avoir une relation plus solide entre l'enquête, le bureau de la Couronne et les familles.

À mon avis, les victimes comme nous peuvent fournir une valeur ajoutée au système. Nous ne sommes pas des personnes irrationnelles en tout temps. Il est vrai que nous pouvons être émotifs, mais, pour bon nombre d'entre nous, seulement dans notre vie privée. Je pense qu'on doit nous inclure dans le processus global.

Dre Gaston : Je vais essayer de parler en anglais.

Le sénateur Jaffer : Ce n'est pas nécessaire.

[Français]

Dre Gaston : J'aimerais faire suite aux propos de madame. J'ai vécu une situation difficile. Toutefois, les procureurs et policiers m'ont tenue au courant à chaque étape du processus. Je crois sincèrement qu'aujourd'hui, si je suis saine d'esprit, malgré le verdict rendu, c'est parce que j'ai été préparée à chacune des étapes et on a fait preuve d'égard à mon endroit. Vous savez, parfois les procureurs négocient. La Couronne fait une proposition, la défense suit avec une autre. Ces négociations se déroulent à l'insu des principaux concernés. Il faut donc considérer les victimes.

Dans un continuum, j'estime avoir eu beaucoup d'informations et j'ai été très supportée. Je suis toujours surprise de voir que ce n'est pas toujours le cas. Dans un monde idéal, nos intérêts sont bien représentés. Je n'aime pas toujours parler de ma situation, toutefois c'est plus facile pour amener de bons éléments. Étant donné qu'on ne me considère pas comme une victime, on a moins de voix pour rétablir ce qui se dit en cour. Je crois qu'être représenté personnellement par quelqu'un peut être aussi bien dans un procès.

[Traduction]

Mme Pousoulidis : Je pense qu'il faut se demander de quoi ont surtout besoin les personnes une fois qu'elles sont devenues des victimes.

[Français]

Dre Gaston : Durant le processus, vous voulez dire?

Mme Pousoulidis : Oui. Durant le processus?

[Traduction]

Durant le procès ou en général?

Le sénateur Jaffer : En général.

Dre Gaston : Durant le processus. Pardon.

[Français]

Je n'avais pas compris la question.

[Traduction]

Mme Pousoulidis : Je me souviens du moment où l'on reçoit l'appel. On dort. Le téléphone sonne. On vit dans une autre ville et on découvre qu'une personne en excellente santé a été tuée. Il n'y a pas de raison à cela; il n'y a pas eu d'accident de la route. Il n'y a rien que l'on puisse faire. On vit tout seul. Je ne saurais trop insister là-dessus. Voici ce qu'il faut dans 80 p. 100 des cas : du soutien. Ne laissez pas des personnes seules apprendre une telle nouvelle. Si vous n'êtes pas une victime, vous ne comprendrez pas. Imaginez la pire situation possible et multipliez-la par mille. Voilà l'effet que ça fait. Votre vie s'écroule. Vous ne pouvez pas bouger. Vous ne pouvez pas respirer. Vous ne pouvez pas rentrer chez vous. Vous ne pouvez appeler votre mère.

J'aimerais qu'un soutien soit offert aux personnes qui deviennent des victimes. Que quelqu'un aille voir ces personnes. Je vous prie d'envoyer quelqu'un les voir, car elles ont besoin d'aide.

Le sénateur Jaffer : Vous nous avez déjà beaucoup aidés. Tous les membres du comité reconnaissent qu'il reste du travail à accomplir. S'il vous vient d'autres idées, envoyez-les au président, et peut-être que nous pourrons nous pencher sur la question.

Dr. Gaston : Lorsqu'un procès dure trois mois, il n'est pas facile d'assurer sa subsistance. Vous avez besoin du témoin au procès. Pourriez-vous imaginer un médecin s'occupant de vous pendant que son enfant subit un procès pour meurtre? C'est absurde.

Nous devrions soutenir les témoins lorsqu'ils sont en cour, pas seulement leur fournir 45 $ par jour. Voilà une chose qu'il faudrait améliorer.

Mme Pousoulidis : Le stationnement coûte 20 $ par jour. Je ne plaisante pas.

Mme Harvey : Une chose importante qui m'a initialement perturbée, c'est le processus de notification. Il n'y en avait pas. Il faut que le Canada se dote d'un certain protocole de notification universel pour les affaires du genre. J'ai été avisée par un parent d'un parent d'un parent. Je n'ai pas été avisée par la police. Lorsqu'on est avisé de la mort d'un enfant ou d'un être cher, il s'agit de son premier contact avec le système de justice, avec le système pénal, et cela peut influer pour le meilleur ou pour le pire sur le processus qui nous attend. Il serait donc important de trouver un moyen positif et constructif — si tant est qu'il y en ait un — d'aviser les victimes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Harvey, je suis très heureux de vous revoir. Madame Gaston, vous avez encore toutes mes sympathies. On sait que votre drame d'avoir perdu vos deux enfants est très récent. Le fait de travailler chaque jour auprès d'enfants qui avaient l'âge des vôtres, ça doit demander...

Les victimes d'actes criminels sont habitées par deux types de colère. La première, c'est de voir que quelqu'un a volé notre enfant. La deuxième, c'est envers le système qui a été si clément envers ce criminel qu'on aurait pu arrêter et à qui on aurait pu donner des sentences plus sévères dès ses premiers crimes.

Ensuite, on se dit que c'est n'est pas juste le criminel qui a une part de responsabilité, c'est aussi le système. Mais on n'a jamais de réponse. Me Marc Bellemare disait hier que le projet de loi C-10 devrait aller plus loin.

Quand j'entends la Commission des libérations conditionnelles qui, au terme d'une évaluation, dit que tel individu a des chances de commettre un crime qui va enlever la vie à quelqu'un dans les 12 prochains mois et qu'elle dit ne pas avoir de responsabilité envers cet individu parce qu'il a purgé sa sentence, selon vous, comment le projet de loi C-10 aurait dû aborder ces problèmes, qui, à mon avis, sont inacceptables pour les victimes?

Mme Pousoulidis : Sous aucun prétexte nous ne devons risquer une vie humaine. Lorsqu'un rapport psychologique fait état que cette personne va — non pas peut-être — « va » commettre un crime et si ça aurait été votre enfant, je dis à la personne qui choisit de le réintégrer dans la société : « Seras-tu responsable de ce futur crime? »

[Traduction]

Je suis désolée, mais je ne pourrais même pas faire preuve de rectitude politique à cet égard. Il n'existe absolument aucune raison assez rationnelle ou logique, et j'espère que je ne comprendrai jamais pourquoi on risquerait une vie humaine, car le fait de comprendre une raison revient à l'accepter. Non seulement on tue une personne, mais on détruit aussi son environnement et ses proches. À cause d'eux, nous entrons dans un monde où nous n'avons jamais voulu être. Nous développons un sentiment de haine. Nous entrons dans un monde criminel. Je n'ai jamais voulu entrer dans ce monde, jamais. Les cinq juges précédents ont fait libérer le futur meurtrier de mon frère, qui a ensuite commis son meurtre.

Je me fais l'écho des propos du sénateur Boisvenu, et je vous pose la question suivante : qui est responsable de ce crime?

[Français]

Dre Gaston : Pour répondre à votre question, je dirais qu'il y a des choses qui ne s'achètent pas dans la vie. Il y a la santé, il y a la liberté et la sécurité. Selon moi, une libération conditionnelle, c'est conditionnel aux devoirs que le criminel devrait respecter.

Si j'ai des conditions à respecter pour être admise à l'université ou au cégep et que je ne les respecte pas, on va me refuser l'admission. Je pense que des fois l'analyse de la liberté conditionnelle, pour une raison que je m'explique mal, elle a été faite uniquement au profit de l'agresseur. Il n'a presque pas besoin de faire de devoirs, il n'a presque pas besoin de faire d'efforts et au moment où il aura purgé sa peine, à ce moment-là il va être libéré.

Je ne connais pas grand-chose au système juridique, mais j'applique une logique qu'on applique tous pour obtenir un travail ou quoi que ce soit d'autre. Pour obtenir quelque chose, il y a un effort qu'on doit faire et je crois que si on inversait le fardeau de l'effort, alors que ce n'est pas au système de faire en sorte que la personne ne devienne plus dangereuse, mais bien à l'individu de prendre les moyens pour ne plus être dangereux, à ce moment-là l'ensemble de la société y gagnerait.

[Traduction]

Mme Harvey : J'ajouterais que, selon moi, ce projet de loi contre la criminalité représente un pas dans la bonne direction. Je pense que c'est un bon début. Les juges et les avocats affirment qu'eux seuls comprennent le système de justice. D'après ce que je comprends de celui-ci, il doit fonctionner pour la majorité des Canadiens. Or, la plupart du temps, il semble se retourner contre nous.

Lorsqu'un délinquant doit être libéré d'un établissement correctionnel, les personnes responsables devraient faire preuve de prudence s'ils ont le moindre doute que ce dernier risque de commettre un autre crime. Je sais qu'un crime est un acte perpétré contre l'État, mais l'État ne meurt pas. C'est un être humain qui meurt. Je pense que c'est ce que nous oublions. Il faut penser d'abord et avant tout à l'être humain touché par un crime plutôt qu'au fait qu'il s'agit d'un crime contre l'État. C'est ainsi que nous devons penser.

Le sénateur Frum : Hier, nous avons entendu un témoin, le juge Nunn, qui a rédigé un rapport d'où proviennent bon nombre des recommandations formulées, particulièrement au chapitre des peines spécifiques. Il a déclaré que c'était l'une des questions les plus controversées. Il a voulu prendre ses distances à l'égard des aspects du projet de loi C-10 qui lui paraissaient les plus punitifs. Il a dit qu'on ne veillait pas d'abord et avant tout aux intérêts de l'enfant. Il faisait ainsi allusion aux jeunes criminels.

Je voudrais connaître votre réaction à cette idée, à savoir qu'il s'agit là du plus important objectif en matière de justice pour les adolescents. Je regarde dans votre direction parce que votre frère a été assassiné par un jeune délinquant.

Mme Pousoulidis : Il a commencé comme jeune délinquant et a fini par être placé sous garde fédérale.

Le sénateur Frum : La priorité doit être accordée aux intérêts de l'enfant. Pouvez-vous commenter cette affirmation?

Mme Pousoulidis : La réadaptation et la prévention sont des approches auxquelles je crois. Nous nous entretenons avec des criminologues; nous allons dans des universités; nous discutons avec des policiers, nous parlons avec le plus de gens possible afin de favoriser la prévention et la réadaptation. Nous croyons en ces approches.

Toutefois, certaines personnes ne peuvent être réadaptées, et leur âge n'a rien à voir là-dedans. Ce n'est pas une question d'âge. Certaines personnes ne peuvent être réadaptées.

À ces enfants — car ce sont des enfants; ils sont d'âge mineur, alors on peut les appeler ainsi — qui ont commis un acte criminel, je dis qu'il faut les garder en prison avant qu'ils commettent le pire crime, cet acte irréversible. Cela nous permettra non seulement de nous éviter de la douleur — à nos proches et à nous-mêmes, mais aussi de sauver la vie de ces jeunes.

À la télévision, j'ai vu une entrevue avec un meurtrier. Il a dit qu'il lui avait fallu sept ans pour reconnaître ses torts. Il ne s'agissait pas d'un enfant de 13, 14 ou 17 ans; c'était un adulte. Il lui a fallu sept ans pour le faire.

[Français]

Madame Harvey, ma question s'adresse à vous. Vous avez cité l'honorable Jean-Pierre Goyer qui, au début des années 1970, faisait partie du Cabinet de Pierre Elliott Trudeau.

Vous nous dites que c'est à ce moment-là que le Canada a décidé d'accorder plus d'importance aux droits des criminels qu'à ceux des victimes. Cela fait déjà 40 ans — à l'époque, j'étais un très jeune policier —, et je peux vous dire que les policiers ont aussi constaté et vécu les conséquences de cette transformation.

Depuis quelques jours, plusieurs intervenants venant d'organisations différentes sont venus plaider devant nous en faveur des délinquants et du maintien de tous les programmes développés pour eux.

Si vous aviez à identifier ce qui vous apparaît inacceptable actuellement pour la famille d'une victime, vous commenceriez par quoi?

[Traduction]

Mme Harvey : Est-il question de la réadaptation des criminels?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Si vous voulez.

[Traduction]

Mme Harvey : Je pense que la prévention du crime est très importante. Le châtiment et la réadaptation sont des questions très complexes. Je sais que certains groupes de défense des délinquants préféreraient que l'argent utilisé pour la mise en œuvre du projet de loi C-10 soit utilisé à d'autres fins, par exemple pour créer des logements sociaux et dispenser des services sociaux et de santé mentale ainsi que des programmes de réadaptation.

Nous avons besoin de ces choses. Nous avons besoin d'une approche proactive visant à réduire l'incidence du crime au pays, mais le fait est que des crimes avec violence sont commis et que leur nombre ne diminue pas. Leur nombre ne baisse pas. Par conséquent, il faut adopter les dispositions législatives qui s'imposent. La prévention et l'éducation fonctionnent, certes, mais pas pour tout le monde. Certaines personnes continueront d'avoir des comportements criminels. Toutefois, je pense qu'il faut examiner non seulement cette facette, mais aussi ce qui se produit après qu'un acte criminel a été commis ainsi que les besoins des victimes.

Les victimes ont besoin de services sociaux. Les victimes ont besoin de réadaptation. Les victimes ont besoin de services de santé mentale et d'autres choses, mais les services qu'on nous offre ne font pas l'objet de dispositions législatives comme c'est le cas pour les personnes qui portent atteinte à notre vie. Je pense que ce serait un début.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Gaston, vous nous avez parlé des prédateurs sexuels. Seriez-vous d'accord avec moi si je vous disais que ceux qui dénoncent ne sont que la pointe de l'iceberg? Parce que le prédateur peut être un proche de la famille, un ami, un entraîneur de hockey, entre autres, et souvent, la victime n'osera pas porter plainte de peur de se retrouver isolée ou même d'être jugée par ses proches.

J'aimerais vous entendre à ce sujet. Est-ce que le projet de loi C-10 aiderait les victimes à dénoncer et à se sentir ainsi moins isolées?

Dre Gaston : Sûrement. En fait, il n'y a pas nécessairement de rapport de police pour toutes les agressions. C'est un phénomène assez important, on dit que deux tiers des victimes ont moins de 18 ans, sept victimes sur 10 ont été agressées dans une résidence privée, et que huit victimes sur 10 connaissent leur agresseur. C'est difficile de dénoncer.

C'est peut-être difficile d'obtenir le témoignage d'un enfant, mais quand on les reçoit à l'urgence, quelques heures après le drame, les gens ont la notion générale de la sanction. C'est par la suite, après que les organismes leur aient expliqué comment le système judiciaire fonctionne, que ces personnes se demandent si elles vont entreprendre ce processus qui sera ardu, long et coûteux, pour lequel elles ne seront pas compensées et où elles devront revivre du stress pour finalement n'obtenir qu'une sentence ridicule. Souvent, le geste n'est pas banal et il suivra malheureusement la personne toute sa vie. Et qu'elle fasse des efforts ou pas, elle devra vivre avec ce traumatisme.

C'est sûr qu'aucun projet n'est parfait. Je pense que des peines minimales obligatoires doivent refléter l'évolution de nos valeurs comme société. Je pense que le législateur, en allant dans ce sens, vient dire tout haut ce qu'on pense tout bas, que c'est inexcusable et que pour les enfants, c'est tolérance zéro.

J'ai étudié attentivement les peines minimales obligatoires. J'ai fait mes devoirs, j'ai parlé à des procureurs de la Couronne, je leur ai demandé ce qu'ils en pensaient. Et contrairement à ce qui a été dit par les représentants du barreau — même si je n'en ai pas interrogé beaucoup —, les peines minimales obligatoires ont grandement facilité leur travail et cela avait fait en sorte qu'on banalisait moins le crime commis à l'égard de la personne.

Je crois à ces peines, mais il n'y a jamais de système parfait. C'est pour cette raison que je suis ici, parce que j'y crois. Sinon, je ne serais pas ici.

[Traduction]

Le sénateur Lang : D'abord, merci de comparaître devant nous et d'avoir le courage de raconter vos drames et de donner votre point de vue concernant le projet de loi. Vous êtes une ou deux à avoir mentionné le fait que le projet de loi a été mal interprété dans les médias et que la population, faute d'une couverture franche et objective, a du mal à en comprendre la nature et l'effet. C'est vraiment malheureux. J'ai été surpris de la médiocrité de la couverture médiatique à l'égard du projet de loi.

Par exemple, ce matin, nous avons entendu le point de vue du commissaire du Service correctionnel du Canada. De nombreux organes médiatiques ont affirmé que le gouvernement actuel procède à la construction d'un certain nombre de pénitenciers et à l'accroissement de la taille des services correctionnels. Mais, en réalité, on ne construit aucun pénitencier. Il y a donc un problème bien réel sur le plan des communications.

J'ai une question importante à vous poser. À votre avis, si le projet de loi n'est pas adopté au Sénat et qu'il n'acquiert pas force de loi, quelles en seront les répercussions?

Mme Harvey : Je pense que cela fournirait un autre exemple de gouvernement qui fait des promesses aux Canadiens, qui se fait élire, puis qui se défile. Je pense que ce serait désastreux. Les Canadiens veulent que le projet de loi soit adopté. J'ai parlé avec des centaines et des centaines de parents et de proches à l'échelle du Canada. Ils veulent que le gouvernement s'attaque au crime, et je n'ai entendu personne se plaindre du contenu du projet de loi. Certes, il n'est pas parfait. Mais y en a-t-il un qui le soit? Il y a de bonnes choses dans le projet de loi. C'est un bon pas en avant qu'on attend depuis longtemps.

[Français]

Dre Gaston : Lorsque je prends le tableau des coûts de chacun des crimes et que je prends les tableaux des peines minimales qui sont dans le résumé législatif du projet de loi C-10, ce sont deux poids, deux mesures. Honnêtement, je ne milite pour aucun parti politique, je ne dirai pas mon allégeance. Mais je ne peux pas croire que quelqu'un qui lit les mesures concernant les enfants va trouver que les peines minimales obligatoires sont un non-sens.

J'ai regardé ce qu'était une accusation sommaire et une mise en accusation ordinaire, et quel genre de crime appelle telle accusation. De toute façon, pour les procureurs de la Couronne, le minimum est souvent atteint. Il y a des rares cas où cela ne va pas arriver, mais quand on regarde attentivement le crime et qu'on se pose la question sur la définition du crime, je serais beaucoup plus sévère et pourtant, je me décris comme quelqu'un d'assez posée.

Si le projet de loi n'était pas adopté, j'aurais l'impression qu'on considère les enfants comme des gens de seconde classe, qu'on les considère comme s'ils n'étaient pas présents aujourd'hui, à part entière. Ils sont vulnérables, ils n'ont pas la possibilité de s'exprimer, de parler, de voter, de donner leur accord, on leur fait subir toute sorte de choses, puis on ne va pas avoir de peines minimales.

C'est pour cela qu'on les appelle des peines minimales, d'ailleurs. Je serais très triste si ce projet de loi ne voyait pas le jour.

Honnêtement, je crois qu'il en coûtera beaucoup plus cher à la société, en fin de compte, si l'on ne considère pas sérieusement les conséquences des agressions sexuelles chez les enfants.

[Traduction]

Mme Pousoulidis : Je crois sincèrement que, si le projet de loi n'est pas adopté, il y aura une augmentation du taux de criminalité au pays et que nos rues et collectivités ne seront pas sécuritaires.

Le sénateur a demandé à la Dre Gaston si le projet de loi C-10 encouragerait les victimes à s'exprimer. Si le projet de loi n'est pas adopté, cela représentera un énorme pas en arrière à ce chapitre.

J'ai la ferme conviction que le Canada ne sera pas un pays plus sécuritaire pour nous tous si le projet de loi C-10 n'est pas adopté.

Le président : Je vous remercie tous du fond du cœur. Il n'y a pas de mot pour décrire ce que nous ressentons face aux tournants du destin qui ont amené chacune de vous à comparaître ici ce soir.

Nous avons du travail à accomplir. Vous avez livré votre message en employant des mots forts, et je sais qu'aucun de nous ne l'oubliera. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.

Nous sommes ravis d'avoir avec nous les membres du dernier groupe, et nous les remercions d'avoir attendu; nous avons pris du retard, et que je sais qu'il se fait un peu tard. Voici donc Mme Kim Pate, directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry; et Mme Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada.

Madame Pate, si vous avez des observations préliminaires à faire, nous aimerions les entendre.

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup de l'invitation. Nous remercions les sénateurs et sommes heureux que le Sénat consacre du temps additionnel à l'étude du projet de loi. Comme j'ai eu l'occasion d'écouter la majorité des observations du groupe précédent, je sais que vous examinez plusieurs facettes du projet de loi, et nous nous en réjouissons.

Comme mon organisme et moi avons déjà comparu ici, bon nombre d'entre vous savez que nous travaillons surtout auprès des femmes et des filles marginalisées, victimisées, criminalisées et incarcérées. Dans certaines régions du pays, notre organisme est le seul à dispenser des services aux victimes. À certains endroits, nos membres travaillent presque exclusivement auprès de femmes détenues, de femmes récemment libérées de prison et d'enfants, par exemple. Nous offrons toute une gamme de services, qui varient en fonction de la région du pays et du fait qu'il s'agisse d'un milieu rural ou urbain.

Je voudrais d'abord parler du nom du projet de loi. La sécurité des rues représente certainement un objectif que nous appuierions fermement. L'association s'efforce depuis presque 100 ans d'accroître la sécurité tant des personnes prises en charge par le système à titre de victimes que des personnes criminalisées et de la collectivité. Comme vous le savez, les membres de notre conseil d'administration sont issus de la collectivité. Ce sont des bénévoles communautaires. La majorité du travail de notre organisme est également accompli par des bénévoles communautaires. La sécurité des collectivités est un de nos objectifs fondamentaux. Toutefois, nous avons de sérieuses réserves à l'égard du projet de loi C- 10 et de sa capacité d'améliorer la sécurité, et nous sommes d'avis qu'il ne s'agit pas de la voie à suivre pour mieux protéger la majorité de la population.

Nous pouvons certainement examiner le travail accompli par le passé. Je pense que vous avez entendu de nombreux témoins parler de la prévention du crime, des principes relatifs à la détermination de la peine et d'études comme le Rapport mondial sur la violence et la santé de l'Organisation mondiale de la santé qui mettent en lumière le fait qu'une collectivité est plus susceptible d'être sécuritaire et d'offrir un soutien lorsqu'elle est dotée de programmes et de services communautaires fondamentaux. Il peut s'agir de services aux enfants, de services aux victimes — bref, de services de nature essentiellement universelle qui encouragent et soutiennent toutes les personnes, pas seulement celles qui ont été étiquetées d'une façon ou d'une autre au sein du système judiciaire.

L'une de nos préoccupations concernant les répercussions probables du projet de loi est que le fait d'imposer des peines minimales obligatoires et de compliquer l'accès aux peines d'emprisonnement avec sursis dans certaines circonstances touchera surtout les personnes déjà marginalisées dans nos collectivités — les pauvres, les personnes appartenant à une minorité raciale, les personnes atteintes d'une déficience — comme un problème de santé mentale — et, tout particulièrement, les femmes. De plus en plus de femmes sont prises en charge par le système correctionnel. J'ai été intéressée par les commentaires qu'a livrés plus tôt le commissaire, selon lesquels aucune nouvelle prison comme telle ne sera construite. De fait, des travaux considérables sont entrepris afin d'agrandir les prisons, et d'importants problèmes de surpeuplement se produisent, à tout le moins dans les établissements pour femmes. Si vous voulez avoir plus d'information à ce sujet, je pourrai certainement vous en fournir lorsque nous passerons aux questions. Nous savons également que les mesures auront un impact disproportionné sur les groupes marginalisés, tout particulièrement les Autochtones. Nous avons constaté ce problème surtout chez les femmes et les adolescents, et il sera probablement aggravé par ces conditions.

À notre avis, il est crucial d'accroître la protection offerte aux victimes. Cependant, nous ne croyons pas que les dispositions du projet de loi permettront de réaliser ces objectifs, en grande partie parce qu'elles sont axées sur le châtiment une fois le crime commis et non sur le genre de mesures qui doivent être mises en place afin de protéger les gens et d'éviter ce type d'approches.

Au Canada, de nombreux rapports sur la question ont été publiés, surtout en ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones qui ont d'abord été victimisés. J'ai déjà mentionné au comité que, selon le Service correctionnel, environ 91 p. 100 des femmes qui purgent une peine de ressort fédéral ont été victimes de mauvais traitements par le passé, et nombre d'entre elles sont peut-être incarcérées pour s'être défendues ou avoir réagi à ces actes de violence. Pourtant, cela ne fait aucune différence lorsqu'elles sont prises en charge par le système, et le fait d'élaborer une méthode qui encouragera la prise de mesures plus punitives relativement à leur criminalisation ne les aidera certainement pas, ni les autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable.

Cette semaine, le Canada a essuyé les critiques des Nations Unies lorsque le comité responsable de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale s'est penché sur la surreprésentation des femmes autochtones dans nos prisons. Le projet de loi ne fera probablement qu'aggraver le problème.

Pour ce qui est de la situation de la plupart des femmes actuellement incarcérées à la suite d'une peine minimale obligatoire, nous savons que nombre d'entre elles ont été impliquées dans un homicide. J'aimerais mentionner les résultats des recherches menées par l'équipe chargée de l'examen de la légitime défense, mise sur pied par le gouvernement, qui a examiné le nombre de femmes incarcérées qui ont peut-être décidé de plaider coupable au lieu de subir un procès qui leur aurait permis d'être défendues, et ce, à cause du risque de se voir imposer une peine minimale obligatoire. De telles situations surviendront probablement de plus en plus souvent dans l'avenir.

Nous savons que les jeunes personnes qui ont été victimes de viol ou d'inceste, contrairement à ce qu'ont affirmé les témoins du groupe précédent — et je le sais parce que j'ai moi-même déjà travaillé avec des jeunes femmes et des adolescentes victimes d'inceste —, sont habituellement très réticentes à dénoncer leur agresseur. Et lorsqu'elles le font, on leur fait subir énormément de pressions afin qu'elles se rétractent. Si elles savent que leur frère, leur père, leur oncle ou leur grand-père est passible d'une peine d'emprisonnement minimale, je peux seulement imaginer la pression accrue que subiraient ces jeunes personnes. Non seulement elles ont été victimisées ou violées ou ont vécu une expérience horrible du genre, mais elles risquent ensuite de se faire traiter de menteuses si elles se rétractent. Elles subissent énormément de pressions à cause de l'arrestation possible du soutien de famille ou d'une autre personne de leur famille. Bien qu'il soit louable de vouloir mieux protéger les jeunes, nous sommes extrêmement préoccupés par la possibilité que le projet de loi nuise en fait à cet objectif.

Nous sommes également préoccupés par le fait qu'on nous présente ces mesures comme une solution rapide à des problèmes de très longue date. Depuis plusieurs dizaines d'années, le gouvernement a mené beaucoup de recherches et élaboré de nombreuses politiques. Les données scientifiques démontrent qu'on peut probablement protéger bien plus de gens en investissant plutôt dans les interventions précoces et les services préventifs et universels. À notre avis, cela constitue certainement une meilleure approche.

En bref, nous sommes préoccupés par la possibilité que de telles approches n'aident pas les personnes qui ont été ou pourraient être victimisées ou celles actuellement prises en charge par le système à la suite d'une condamnation au criminel.

J'ajouterais que le sujet a certainement été abordé par certains membres du comité lors de la comparution du groupe précédent ainsi que par des témoins antérieurs, et nous sommes au nombre des groupes extrêmement préoccupés par les coûts sociaux, humains et financiers du projet de loi et par le fait qu'il mobilisera des ressources qui pourraient être utilisées autrement afin de soutenir bien plus de Canadiens. Nous appuyons les recommandations formulées par des groupes tels que l'Association du Barreau canadien et nous demandons aux sénateurs, plus précisément aux membres du comité, vous qui jouez un rôle modérateur au sein du Parlement, de recommander aux membres du Sénat — lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive — d'examiner la possibilité d'apporter un amendement principal au projet de loi. Il est évident que le projet de loi peut être adopté et que la composition du Sénat le favorise, mais, avant qu'il soit adopté et qu'il entre en vigueur, nous aimerions que le projet de loi soit modifié afin que chaque ministère du gouvernement fédéral touché ainsi que chaque gouvernement provincial et territorial fasse un exposé complet des coûts entraînés par l'adoption du projet de loi, de leurs besoins en matière de ressources humaines et financières et de la nature des compressions à venir. Nous avons entendu parler de compressions. Où fera-t-on des compressions afin de mettre en œuvre le projet de loi?

Y aura-t-il d'autres compressions au chapitre des pensions ou des paiements de transfert qui auront un impact sur les services sociaux, les soins de santé et les services d'éducation provinciaux et, en conséquence, sur les services de soutien offerts afin d'éviter que les gens deviennent des victimes et d'aider les personnes qui le sont? Selon les observations des témoins qui ont comparu, selon ce qu'on nous a dit et selon nos propres expériences — qu'il s'agisse de meurtres ou de viols dans nos propres familles —, il faut miser sur des services de prévention.

Lorsqu'un tel drame survient, il faut aussi du soutien. Or, d'après ce que nous constatons, la mise en œuvre du projet de loi drainera ces ressources des provinces, des municipalités et des collectivités et aura pour effet d'accroître la probabilité que des personnes soient marginalisées, victimisées, criminalisées et incarcérées.

Nous exhortons les sénateurs à proposer un tel amendement. Le projet de loi serait tout de même adopté, mais vous pourriez ainsi vous assurer de la tenue d'une analyse exhaustive de la façon dont le projet de loi sera mis en œuvre et des coûts afférents.

Je vous remercie du temps et de l'attention que vous m'avez consacrés ainsi que de votre étude du projet de loi et je vous demande instamment d'envisager l'adoption d'un tel amendement.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci beaucoup; c'est un grand plaisir de comparaître de nouveau. Je suis ravie de pouvoir vous présenter certaines préoccupations de la Société John Howard du Canada à l'égard du projet de loi C-10. Tout comme l'a dit Mme Pate au nom de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous appuyons également l'objectif global de renforcer la sécurité des rues et des communautés, mais nous ne croyons pas que les dispositions du projet de loi C-10 permettront de le réaliser. Nous craignons qu'elles donnent lieu à long terme à une diminution de la sécurité des collectivités et à une érosion des principes de justice et qu'elles aient un impact disproportionné sur certains des groupes les plus marginalisés, qu'il s'agisse des personnes défavorisées, des personnes atteintes d'un problème de santé mentale, des Autochtones ou des aînés.

Le conseil d'administration de la Société John Howard a envoyé aux sénateurs une lettre datée du 15 février décrivant en détail certaines de ses principales préoccupations relatives au projet de loi. Je me propose de les passer en revue rapidement et de concentrer mes observations sur les préoccupations liées aux impacts cumulatifs du projet de loi sur le système judiciaire à l'échelle du pays.

La première préoccupation de nos membres recoupe en grande partie les propos de Mme Pate, à savoir que le projet de loi entraînera des coûts très élevés qui n'ont pas encore été divulgués et qui seront surtout assumés par les provinces. Récemment, certaines provinces, par exemple l'Ontario avec son rapport Drummond, ont affirmé qu'une réaffectation de fonds sera nécessaire pour qu'elles puissent atteindre leurs objectifs budgétaires actuels; elles ont aussi affirmé assez clairement qu'elles ne disposent pas du milliard de dollars qui, à leur avis, sera nécessaire à la mise en œuvre du projet de loi.

En tant qu'organisme qui privilégie une approche fondée sur des données probantes pour les questions de justice et de droit, nous craignons que le bien-fondé des réformes proposées n'ait pas été établi. Le taux de criminalité est en baisse depuis 20 ans, et, lorsqu'on envisage la chose globalement, il est difficile de comprendre pourquoi nous devons maintenant apporter de tels changements qui entraîneront des coûts énormes. En outre, sur le terrain, nous n'avons vu aucune donnée probante démontrant que le programme existe et qu'il est probable que les mesures législatives proposées atténueront bel et bien ces préoccupations.

Le projet de loi accorde également beaucoup d'importance aux peines minimales obligatoires, et de nombreux organismes vous ont fait part de leurs préoccupations en ce qui concerne les effets de ces peines. Elles seront certainement injustes, inefficaces et souvent cruelles, et elles seront toujours injustes envers les personnes qui méritaient moins que la peine minimale obligatoire. Dans une affaire récente, la Cour supérieure de l'Ontario a déclaré qu'une des peines minimales obligatoires portait atteinte aux droits garantis par la Charte, et nous nous attendons à ce que d'autres décisions du genre soient rendues.

Les dispositions modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents soulèvent d'autres préoccupations. Elles introduisent dans le système de justice pénale pour les adolescents des notions juridiques propres à celui des adultes, ce qui, en soi, est troublant. Elles accordent une plus grande importance à la protection du public plutôt qu'à la réadaptation, à la responsabilisation et à la prévention comme moyens d'assurer la protection du public à long terme. De plus en plus d'adolescents font l'objet d'une détention préventive, et les mesures proposées visent en fait en accroître le nombre.

Cette approche, soit dit en passant, est quelque peu différente de celle adoptée par la Chambre des lords du Royaume- Uni, qui a donné son aval à un projet de loi comportant une disposition selon laquelle il faut qu'il y ait une probabilité très marquée que l'adolescent se voie imposer une peine d'emprisonnement pour le placer en détention préventive, ce qui est précisément la disposition que le projet de loi C-10 espère éliminer de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. C'est la troisième fois que le gouvernement essaie d'apporter ces modifications concernant la détention préventive, et nous ne sommes pas convaincus qu'elles soient tout à fait au point. J'aborderai plus en détail la question des détentions préventives lorsque j'exposerai les préoccupations relatives aux impacts cumulatifs.

Nous sommes également préoccupés par les restrictions relatives aux peines à purger dans la collectivité imposées tant aux adolescents et qu'aux adultes. L'accès à un soutien et la réinsertion surveillée des délinquants dans la collectivité pendant qu'ils purgent leur peine sont également restreints. Les points soulevés par M. Conroy au sujet des modifications relatives au transfèrement international des délinquants sont très révélateurs. Si les délinquants ne sont pas rapatriés pendant qu'ils purgent leur peine, il est très probable qu'ils seront expulsés du pays où ils la purgent, et il n'y aura ainsi aucun moyen pour le Canada de leur imposer des conditions, d'exercer un contrôle à leur endroit ou de leur fournir un soutien en ce qui a trait à leur réinsertion au pays. Au bout du compte, ces mesures font du Canada un endroit moins sécuritaire.

Il est également préoccupant de constater qu'on ajoute des obstacles à la réinsertion sociale des anciens délinquants en prolongeant la période qui doit s'écouler avant qu'ils puissent être admissibles à l'effacement de leur casier judiciaire. Les modifications prolongent la période qui doit s'écouler avant de pouvoir présenter une demande de pardon ou de suspension du casier, peu importe le terme employé. Cela risque d'accroître la discrimination à l'endroit des personnes qui ont purgé leur peine au chapitre de l'accès à l'emploi et au logement. J'ajouterai par ailleurs que la Chambre des lords a adopté la position inverse en ce qui concerne l'effacement des casiers judiciaires et souhaite que cela s'effectue plus rapidement afin qu'on puisse réinsérer les personnes visées dans la population active de façon constructive.

Il existe également des préoccupations relatives à l'érosion des droits, y compris à la modification liée aux mesures le moins restrictives possible qu'on propose d'apporter à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L'Association canadienne des libertés civiles s'est également dite préoccupée par de nombreuses modifications proposées et par la question de la conformité avec la Charte.

Cela nous amène à aborder d'autres questions relatives à la conformité avec la Charte en lien avec les impacts cumulatifs du projet de loi C-10. Nous sommes préoccupés par le fait qu'il pourrait occasionner des retards au chapitre du traitement. Je pense que des procureurs qui ont comparu devant le comité ont indiqué que le système fonctionne si seulement 6 ou 7 p. 100 des accusations débouchent sur un procès. Selon ce que nous avons entendu dire, en Colombie- Britannique, on a dû retirer 500 accusations en raison de retards dans le processus de traitement, et il existe aussi 1 500 accusations marginales qui pourraient être retirées pour la même raison. Nous savons que les personnes qui risquent de se faire imposer une peine minimale obligatoire sont plus susceptibles de les contester au lieu de chercher à obtenir une peine moindre. Ces mesures accroîtront la congestion du processus judiciaire, et nous pouvons nous attendre à ce que l'entrée en vigueur du projet de loi C-10 donne lieu à une augmentation du nombre de contestations fondées sur la Charte à la lumière de la décision Askov.

Nous sommes aussi extrêmement préoccupés par le fait que de nombreux établissements correctionnels provinciaux sont déjà surpeuplés. À l'occasion d'un témoignage antérieur, on a pris le soin de préciser que le système canadien ne ressemble pas à celui des États-Unis qu'il n'était pas comparable. Je suis heureuse que nous soutenions que le Canada est un pays plus compassionnel, plus juste et plus équitable et dont le système de justice n'est pas touché par les mêmes problèmes que le système américain. Toutefois, dans une décision récente, la Cour suprême des États-Unis a établi que le système de la Californie portait atteinte à la protection contre les peines cruelles et inusitées garantie par le huitième amendement parce que sa population carcérale correspondait à 137,5 p. 100 de la capacité des prisons.

À la lumière des déclarations des syndicats du milieu correctionnel et des enquêteurs correctionnels, nous savons que ce taux est déjà en deçà de la réalité dans de nombreux établissements correctionnels provinciaux. La population carcérale des cinq établissements correctionnels pour adultes de l'Alberta représente 200 p. 100 de leur capacité. En Colombie-Britannique, nous avons entendu dire que ce taux est de 150 à 200 p. 100. Cela provoque des problèmes dans le système.

Si un nombre accru de délinquants doivent maintenant être pris en charge par le système, on peut s'attendre à un surpeuplement encore plus important. Nous sommes aussi dotés de mesures de protection contre les peines cruelles et inusitées, et il n'y a aucune raison de croire que nos normes seraient inférieures à celles des États-Unis. Cela crée en soi de réels problèmes concernant le système de justice et la capacité de composer avec les effets cumulatifs du projet de loi.

Je suis d'accord avec Mme Pate : nous savons compter, nous savons de quoi ont l'air les chiffres et nous savons également qu'on exerce beaucoup de pressions pour faire adopter le projet de loi, mais nous exhortons les sénateurs à envisager l'adoption d'un amendement modifiant les dispositions relatives à son entrée en vigueur afin qu'il ne prenne pas effet avant que les provinces vous aient indiqué qu'elles peuvent gérer un nombre accru de cas ou de délinquants incarcérés et que la capacité de leurs établissements carcéraux n'excède pas 100 p. 100. Je pense que si le projet de loi entrait en vigueur avant que ces mesures de protection soient mises en place, cela entraînerait des risques très importants.

Merci.

Le président : Merci, madame Latimer.

Le sénateur Fraser : Merci à vous deux d'être restées même si nous avons pris du retard. Vos observations sont toujours très utiles et instructives.

Je vais commencer par poser une question à Mme Latimer, qui, avant de se joindre à la Société John Howard, occupait un poste de très haut rang au sein du ministère de la Justice. Vous avez décrit un certain nombre d'éléments susceptibles — selon vous — de donner lieu à des contestations fondées sur la Charte. Y en a-t-il d'autres que vous n'avez pas mentionnés? Par exemple, je ne pense pas que vous ayez parlé de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Voyez-vous à cet égard des problèmes liés à la Charte?

Mme Latimer : Oui, les modifications proposées de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents me semblent soulever des problèmes liés à la Charte.

Le sénateur Fraser : À quels égards?

Mme Latimer : Par exemple, à mon avis, la nouvelle définition du terme « infraction avec violence », qui inclurait des infractions où il n'y a pas eu de violence, où il n'y avait aucune intention de violence, mais qui auraient mené à la violence, portent atteinte aux principes fondamentaux de justice — énoncés dans R c. D.B. — selon lesquels les adolescents ont une culpabilité et une compétence morales moins élevées. Le fait de les juger selon une norme plus élevée, selon laquelle ils auraient dû prévoir qu'un incident qui ne se voulait pas violent et qui ne s'est pas avéré l'être aurait néanmoins pu l'être, est probablement contraire à ces principes.

Par ailleurs, le projet de loi C-10 comporte certains changements par rapport au projet de loi précédent, le C-4, en ce qui concerne la norme relative à l'imposition d'une peine applicable aux adultes. Je pense que la suppression de la norme selon laquelle le tribunal doit être convaincu « au-delà de tout doute raisonnable » avant d'imposer une peine applicable aux adultes porte aussi atteinte aux principes énoncés dans R c. D.B. J'avance également que l'ajout de motifs tertiaires justifiant la détention avant le procès, qui s'est fait entre les projets de loi C-4 et C-10, est probablement aussi une modification allant un peu au-delà de...

Le sénateur Fraser : Quels étaient les motifs tertiaires?

Mme Latimer : Les motifs tertiaires justifiant la détention avant le procès.

Le sénateur Fraser : Je ne me rappelle pas quel est le troisième motif. Je ne me rappelle pas l'ordre dans lequel ils sont énoncés dans le projet de loi.

Mme Latimer : Les deux premiers motifs justifiant la détention avant le procès sont...

Le sénateur Fraser : Le fait d'avoir fait l'objet de plusieurs déclarations de culpabilité ou d'avoir commis une infraction avec violence?

Mme Latimer : Oui. Le fait de représenter un risque ou d'être susceptible de récidiver. Il y a un troisième motif selon lequel une personne qui ne remplit pas ces deux critères légitimes justifiant la détention avant le procès peut tout de même être placée en détention si celle-ci est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice.

À mon avis, il y a tellement de renseignements erronés concernant le système de justice pour les adolescents que le fait de les priver d'une mise en liberté sous caution à laquelle ils ont raisonnablement droit en se fondant sur des renseignements possiblement erronés au sujet du système de justice...

Le sénateur Fraser : Selon mon expérience dans mon ancien métier, les journalistes étaient...

Mme Latimer : Oui, mais il y a beaucoup de renseignements erronés. À mon avis, le fait que plus de la moitié des jeunes derrière les barreaux au pays sont en détention en attente de leur procès montre que l'actuel critère à remplir pour justifier cette forme de détention ne représente pas un obstacle important à leur incarcération. Je ne pense pas qu'il y ait d'obstacle légitime et sérieux à la détention avant le procès. Je dirais même que c'est l'inverse, à savoir que trop de gens sont incarcérés avant leur procès.

Le sénateur Fraser : Ai-je le temps de poser une question à Mme Pate?

Le président : Oui.

Le sénateur Fraser : J'aimerais consacrer au moins une heure à cette question, mais mes collègues se révolteraient.

Madame Pate, nous avons entendu aujourd'hui un témoignage poignant concernant la proportion de femmes atteintes d'un problème de santé mentale dans le système correctionnel : elle serait considérablement plus élevée que chez les hommes. Vous avez également lancé un avertissement en ce qui a trait à la double occupation des cellules.

Nous avons entendu parler de l'impact de l'isolement sur la santé mentale des femmes, qui semble encore plus terrible que l'impact sur les hommes. Qu'en est-il de la double ou, même — Dieu nous en garde — de la triple occupation des cellules? Quel impact cela aura-t-il sur la santé mentale des gens s'ils sont déjà vulnérables?

Mme Pate : Les deux dernières prisons que j'ai visitées au cours du présent calendrier civil, soit l'établissement d'Edmonton pour femmes et l'établissement pour femmes Grand Valley, étaient toutes deux surpeuplées. Dans l'unité à sécurité maximale — pas l'unité d'isolement —, la double occupation touchait toutes les cellules. Et il est question de femmes placées en isolement parce que ce sont des détenues à sécurité maximale.

À la différence des hommes, qui seraient détenus dans un établissement tout à fait distinct, elles sont placées dans une unité. Elles peuvent parfois être emprisonnées dans de telles conditions pendant plus de 15 heures par jour, tout dépendant de la situation dans l'établissement. Elles n'ont habituellement aucun choix en ce qui concerne la personne avec qui elles partagent leur cellule.

Il s'agit déjà de détenues à sécurité maximale. Il s'agit déjà de détenues souvent atteintes d'un problème de santé mentale. Une majorité écrasante de femmes incarcérées dans une unité à sécurité maximale sont classées comme telles à cause de leur incapacité de s'adapter au milieu carcéral.

Il y a trois raisons d'être considéré comme un détenu à sécurité maximale dans notre système carcéral. La première a trait à l'infraction commise. Si on commet une infraction grave, on sera considéré comme tel durant au moins deux ans. La deuxième a trait au risque que l'on représente pour la population si jamais on s'évadait ou si on était libéré le jour de l'évaluation. La troisième a trait à l'adaptation au milieu carcéral. La plupart des détenues à sécurité maximale le sont devenues parce qu'elles se sont mal adaptées au milieu carcéral — ce problème touche généralement de nombreux prisonniers, mais surtout les femmes. Nombre d'entre elles ont des problèmes de santé mentale importants et sont donc sujettes à devenir des détenues à sécurité maximale pour cette raison.

De surcroît, dans ces deux établissements, les unités de visite familiale privée sont toutes utilisées pour héberger des détenues. Ces unités ont été aménagées surtout afin de permettre aux femmes de voir leurs enfants. Elles sont souvent décrites comme un lieu destiné aux visites conjugales, mais ce sont surtout leurs enfants que voient les détenues dans le cadre de ces visites. Dans certaines circonstances, il est arrivé que des femmes se voient privées de telles visites.

Le jour de ma visite à l'établissement d'Edmonton pour femmes, il n'y avait aucune détenue incarcérée dans l'unité de visite familiale privée, bien qu'une telle unité à deux chambres en ait déjà accueilli huit ou neuf.

Dans l'établissement Grand Valley, six femmes étaient incarcérées dans cette unité le jour de ma visite. J'avais demandé à voir les lits qu'on y avait placés. Quand le commissaire parle de la capacité de cet établissement, il dit qu'elle est maintenant de près de 200 femmes. Or, l'établissement a été construit dans le but d'en accueillir moins de 100. On ne parle pas de « double occupation des cellules », de « surcapacité » ou de « surpeuplement » s'il y a de la place pour ajouter un lit et loger une femme de plus.

Je n'avais jamais vu les lits et je voulais les voir. Nous sommes donc allés les voir. Il y avait des femmes qui dormaient par terre parce qu'elles ne pouvaient pas grimper jusqu'à leur lit; et il n'y avait pas d'échelle, car cela aurait représenté un risque pour la sécurité, étant donné qu'il s'agissait de personnes aux prises avec un problème de santé mentale.

Quand je suis allée visiter les maisons, il y avait six femmes entassées là-dedans. Certaines dormaient sur les divans, et d'autres, sur le plancher. J'ai demandé à une femme si elle pouvait me montrer comment elle s'y prenait pour monter jusqu'à son lit. Je suis plutôt en forme, et je ne sais pas comment j'aurais fait pour y grimper sans peine. Elle a dû se hisser sur le bureau, puis grimper jusqu'à son lit, et tout était instable. La femme qui dort sur le lit du bas a dit : « J'attends qu'elle soit là-haut. » Je ne devrais pas rire, mais elles ont essayé de prendre cela à la légère. La femme a dit : « Avant de m'allonger sur mon lit, j'attends qu'elle soit là-haut afin de m'assurer que rien ne va s'effondrer sur moi. »

Il y avait une autre femme qui marchait avec une canne et qui, selon l'étiquette carcérale, si je puis dire, aurait normalement dû se voir assigner le lit du haut à son arrivée, et tout le monde a convenu qu'elle devrait avoir le lit du bas. D'autres femmes qui occupaient le lit du haut ne se sentaient pas en sécurité, car il n'y a aucune barrière de protection, ce qui peut être dangereux pour les personnes qui bougent dans leur sommeil. Certaines femmes dormaient par terre, crainte de tomber. Bref, la situation causait énormément d'anxiété et certainement une tension accrue qui entraînent des conséquences sur le plan de la santé mentale.

À l'Établissement d'Edmonton, on n'était pas en mesure d'exaucer toutes les demandes en matière de counseling et de soutien. Par ailleurs, l'Établissement Nova ne compte aucun psychologue à l'interne, pas même pour mener les évaluations, ce qui constitue d'ailleurs la principale tâche de la plupart d'entre eux. On prodigue très peu de traitements.

Une question a été posée au sujet des types de traitements dispensés en prison. Assurément, dans les établissements pour femmes — et aussi dans ceux pour hommes, d'après ce qu'on m'a dit —, très peu de traitements sont disponibles, et le personnel mène surtout des évaluations.

Je suis sûre que le Dr. Bradford aurait également des choses à dire à ce sujet. C'est un des spécialistes chargés de dispenser certains traitements, mais, la plupart du temps, on confie les évaluations à des contractuels en raison de l'arriéré qui existe à ce chapitre.

Le sénateur Fraser : Même au chapitre des évaluations?

Mme Pate : Même à ce chapitre. À l'établissement Grand Valley, il n'y a maintenant pratiquement plus d'espace public. On fait venir une grosse roulotte et une cuisine roulante pour essayer de composer avec le nombre accru de détenues. Cela n'est pas considéré comme une nouvelle construction, bien qu'on construise une nouvelle unité dans les limites de la prison. Il est vrai qu'aucune nouvelle prison n'est en construction, mais de nouvelles unités sont construites tout autour des prisons actuelles.

Le président : Nous allons passer à quelqu'un d'autre. La séance doit se terminer à 19 h 30, et nous respecterons cet horaire. Veuillez donc en tenir compte au moment de poser vos questions, et, encore une fois, je vous invite à répondre avec le plus de concision possible.

Le sénateur Runciman : Merci, chers témoins, d'être ici.

Madame Latimer, j'aimerais réagir à deux points que vous avez soulevés. Je vous paraphrase : vous avez dit ne pas comprendre, comme le taux de criminalité est en baisse, pourquoi le gouvernement va de l'avant avec cette initiative.

Je voudrais simplement vous faire part des données suivantes, qui proviennent du Centre canadien de la statistique juridique et qui datent de 2010. Les taux de criminalité relatifs aux infractions visées par le projet de loi sont en hausse. Les infractions liées à la pornographie juvénile ont connu une hausse de 36 p. 100, pour une augmentation totale de 123 p. 100 depuis 2002; les infractions liées aux armes à feu et à la drogue, de 10 p. 100; le harcèlement criminel, de 5 p. 100; et les agressions sexuelles, de 5 p. 100.

Je sais que, étant donné que la criminalité en général est en baisse et que cette vision des choses a joui d'une grande visibilité dans les médias, bien des gens ne comprennent pas pourquoi le gouvernement irait de l'avant. Toutefois, les infractions visées par le projet de loi sont en hausse.

L'autre point que je crois vous avoir entendues toutes deux soulever est une préoccupation liée aux coûts. Or, les coûts relatifs au projet de loi sont tous affichés sur le site web du Conseil du Trésor. Vous pouvez ne pas être d'accord avec les chiffres mentionnés, mais ils sont accessibles au public.

Madame Pate, je crois que vous avez dit que le projet de loi touchera surtout les personnes marginalisées et les femmes. Or, selon de nombreux témoins, le trafic de la drogue est en très grande majorité l'affaire du crime organisé, et le seul autre type d'infractions pour lequel on prévoit des peines minimales obligatoires a trait aux crimes sexuels à l'endroit des enfants, lesquels sont surtout commis par des hommes.

Je m'interroge sur l'affirmation que vous avez faite au début de votre exposé. À première vue, elle ne semble pas correspondre aux faits.

Mme Pate : Certes, le crime organisé est bien souvent mêlé au trafic de drogues. Mais, habituellement, la question n'est pas de savoir qui s'est fait prendre et qui se fait inculper. De même, en ce qui concerne les infractions sexuelles, il est de plus en plus courant de voir des femmes, d'abord victimes de leur conjoint, agir de concert avec lui et se faire inculper par la suite.

Ce sont également les questions globales liées à cette insistance sur la réhabilitation et l'élimination des peines d'emprisonnement avec sursis qui auront un impact disproportionné sur les femmes. Nous savons déjà — des gens des services correctionnels me l'ont dit — que 150 femmes ont été touchées par les seuls changements apportés au cours de la dernière session, à savoir l'élimination de la procédure d'examen expéditif des demandes de libération conditionnelle et les modifications du pouvoir discrétionnaire entourant la détention avant le procès.

Lorsqu'on dit qu'environ 600 femmes sont touchées — c'était auparavant 500 femmes, et il est maintenant question de plus de 600 —, cela représente une augmentation exponentielle. Ce ne sont certainement les personnes auxquelles la majorité des gens pensent lorsqu'il est question de ces crimes, j'en conviens, mais ce sont effectivement elles qui tendent à être les plus susceptibles de rester coincées dans le système et à y rester sans bénéficier d'un grand soutien communautaire.

Le sénateur Runciman : Je ne pense pas que nous arriverons à un consensus concernant la majorité des aspects du projet de loi, mais je pense qu'il contient peut-être un élément que vous pourriez appuyer, à savoir la modification relative aux principes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui vise à accorder une attention particulière aux difficultés liées à la santé mentale au sein du système. Le projet de loi contient effectivement cette disposition, et je suppose que la question est de savoir si elle se traduira par des actions concrètes.

Vous avez indiqué — et je sais que c'est le cas — que vous avez voyagé et visité de nombreux établissements. Plus tôt aujourd'hui, le Dr. Bradford a parlé des difficultés et, je crois, encouragé le gouvernement à envisager la possibilité de mettre en œuvre un projet pilote de traitement à l'intention des détenues qui permettrait aux contribuables canadiens de réaliser des économies importantes, sans compter les économies de coûts pour les victimes et le système de justice, entre autres choses.

Je suis d'avis que vous êtes consciente de cette difficulté éprouvée au sein du système ainsi que de la façon dont elle est gérée. J'ai l'impression que les institutions font preuve d'inertie en ce qui concerne les solutions de rechange disponibles en matière de prestation de services. Toutefois, il semble toujours y avoir une réticence à examiner ces types de solutions valides et utiles. Quelle est votre expérience à cet égard?

Mme Pate : Vous voulez dire à l'intérieur du système?

Le sénateur Runciman : Oui.

Mme Pate : Certes, je pense à l'initiative à laquelle vous avez participé, tout comme nous : une femme qui se trouvait dans une situation semblable à celle d'Ashley Smith a grandement bénéficié des soins qu'elle a pu recevoir dans un centre de traitement provincial. Toutefois, une des difficultés tient au fait qu'il semble que la mise en œuvre élargie de cette initiative doive passer par les services correctionnels. Nous vous exhortons à faire en sorte qu'il n'en soit pas ainsi.

Chez les femmes — de même que chez les hommes et les adolescents, d'après mon expérience de travail —, les services de santé mentale donnent de meilleurs résultats. À l'établissement de Brockville, par exemple, même si les services de sécurité peuvent être dispensés ou complétés par les services correctionnels ou confiés à ceux-ci, il s'agit d'abord et avant tout d'un établissement psychiatrique. C'est pourquoi — selon moi — cette femme se porte bien mieux là-bas qu'en milieu carcéral.

Nous sommes préoccupés par le fait que le projet de loi n'énonce pas explicitement que des dispositions soient élaborées afin d'assurer la prestation de services de santé au sein des systèmes de santé provinciaux, ce pour quoi nous recommandons la tenue d'une évaluation complète des coûts sur le plan humain, social et financier. De fait, si vous mettez en place de telles ressources dans la collectivité — et je ne veux pas dire qu'ils doivent tous être dans la collectivité, pas dans un service de médecine légale, mais dans un tel service au sein de toute une gamme d'autres services —, il y aura probablement plus de personnes qui se retrouveront dans la situation de Justine, laquelle est beaucoup trop courante chez les femmes et, je pense bien, chez de nombreux hommes, bien que je sois moins au courant de la situation de ces derniers à l'heure actuelle.

Nous sommes certainement en faveur d'une initiative visant à dispenser des services de santé mentale plus adéquats à toutes les personnes concernées. Nous pensons que si vous mettez l'accent sur la collectivité et que vous mobilisez les provinces de manière à ce qu'elles participent directement à l'élaboration de ces ressources à titre de services de santé — y compris, au besoin, au sein de services de médecine légale —, moins de gens seront susceptibles d'être victimisés.

Le sénateur Runciman : L'établissement de Brockville est un établissement correctionnel. Il est désigné comme un hôpital de l'annexe 1, mais il confie les soins de santé en sous-traitance aux Services de santé Royal Ottawa. C'est la seule façon dont il peut fonctionner. Je ne pense pas que cela puisse fonctionner de la façon que vous proposez. Vous rêvez en couleur si vous croyez que les provinces s'en chargeront.

Mme Pate : En fait, sénateur, avec tout le respect que je vous dois, cela peut fonctionner de cette façon.

Le sénateur Runciman : Je vous explique comment fonctionne l'établissement de Brockville.

Mme Pate : Oui, je sais comment il fonctionne à l'heure actuelle, et c'est en partie pourquoi nous n'avons pas...

Le sénateur Runciman : C'est un établissement correctionnel.

Mme Pate : C'est un établissement correctionnel à l'heure actuelle, mais il est tenu, dans le cadre du marché passé avec le Service correctionnel fédéral, de devenir plus semblable aux centres psychiatriques régionaux, où — comme nous l'avons vu — les services de sécurité l'emportent constamment sur les membres du personnel chargés de dispenser des soins thérapeutiques et de santé mentale.

Le sénateur Runciman : Je ne suis pas d'accord.

Le sénateur Cowan : Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de votre patience ainsi que du bon travail accompli par vos organismes respectifs.

Le projet de loi a pour titre Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Je ne pense pas qu'il existe une seule personne dans cette pièce ou au pays qui ne voudrait pas déployer tous les efforts raisonnables afin d'accroître la sécurité de nos rues et de nos communautés.

La question à laquelle nous nous efforçons de répondre à titre de législateurs est la suivante : comment s'assurer — bien que cela ne doive pas être l'objectif prépondérant du projet de loi — que nous avançons au moins dans la bonne direction pour ce qui est de renforcer la sécurité de nos rues et de nos communautés? Nous devons faire attention de ne pas faire de promesses que nous ne saurions tenir. Nous ne voulons pas que nos gestes ne soient pas à la hauteur des attentes des gens. Nous ne serons peut-être pas en mesure de tout régler, mais nous ne voulons pas aggraver les choses.

Il a beaucoup été question de rééquilibrer la situation et du fait que nous accordons trop d'attention aux soins et à l'alimentation des délinquants et pas assez aux victimes. En toute franchise, je pense que ce n'est pas la bonne façon d'examiner la question. Je vais faire une déclaration et vous demander de la commenter.

Assurément, il me semble que les victimes ont des droits et des besoins dont il faut tenir compte et que c'est la même chose dans le cas des délinquants. Nous devons nous assurer que les délinquants, à leur retour dans la collectivité, s'ils ne meurent pas pendant qu'ils sont sous garde, ne récidiveront pas. Je ne pense pas qu'il s'agit d'une façon d'assurer un équilibre au chapitre des droits. Par une combinaison du système de justice pénale et des services de santé et d'éducation, ainsi que des systèmes de soutien de toutes sortes, nous essayons, de façon collective et coopérative, de renforcer la sécurité des rues et des communautés.

Quelqu'un peut-il répondre à cette déclaration plutôt alambiquée?

Mme Latimer : Nous sommes tout à fait d'accord pour dire que les victimes de la criminalité devraient obtenir les services et l'information dont elles ont besoin.

L'idée selon laquelle un équilibre des droits doit être assuré est un peu bizarre. Nous devons réfléchir davantage au rôle adéquat des victimes dans le processus pénal et le processus d'imposition de sanctions sous leur forme actuelle.

Il ne fait aucun doute que, avant l'émergence du droit criminel, la victime et le délinquant étaient opposés l'un à l'autre. Le droit criminel a probablement pris forme en 1495, grâce à l'idée selon laquelle il fallait se doter d'un moyen objectif et impartial de tenir une personne responsable d'un délit grave en vue d'assurer et de préserver la paix. Le fait de déclarer que l'infraction était commise contre l'État est considéré comme une percée importante; il revenait alors à ce dernier d'utiliser ses pouvoirs de coercition pour tenir la personne responsable de ses actes et la punir. On considérait à l'époque que la victime jouissait d'une protection accrue, du fait de ne pas avoir à intenter de poursuites au civil; mais initialement, elle devait le faire, puis c'est devenu une question de droit criminel. Ce changement a été considéré comme un progrès. Selon Hegel, probablement l'un des plus grands philosophes de l'histoire en matière de droit, la seule personne qui ne saurait vraiment formuler des commentaires objectifs concernant la nature de la peine à imposer est la victime, étant donné qu'elle serait engagée émotionnellement dans cette décision, ce que l'on peut comprendre. C'est pourquoi il faut un système de justice impartial, juste et objectif qui impose des peines aux délinquants selon leur degré de responsabilité.

Je ne dis pas que les victimes ne devraient pas être informées de la situation ni qu'il ne devrait pas y avoir une diversité de mesures à leur intention, mais le pouvoir coercitif et punitif de l'État n'est pas exercé au détriment des victimes dans le système de justice pénale. C'est là qu'entrent en jeu les droits des délinquants, à savoir le fait qu'il faut les protéger contre les mesures prises par l'État et de les protéger contre rien d'autre. La question est complexe.

Mme Pate : Je suis d'accord. Je pense que la notion selon laquelle il faut retirer quelque chose à l'un pour le donner à l'autre crée une fausse dichotomie. Cela donne l'impression que c'est ainsi que l'on peut assurer l'équité, l'égalité ou la justice. Nous savons que c'est faux.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Mes deux courtes questions s'adressent à Mme Pate. Vous m'avez interpellé lorsque vous avez dit que le projet de loi va marginaliser les plus pauvres, les minorités, et cetera. À mon avis, plusieurs criminels proviennent de milieux très aisés, d'autant plus qu'ils peuvent profiter de leur statut d'autorité et de pouvoir, souvent, pour abuser des victimes.

Dites-vous que ces gens ne mériteraient pas aussi une peine minimale? J'ai toujours pensé que, riches ou pauvres, tous sont égaux devant la loi. Je ne vois pas en quoi le projet de loi pourrait marginaliser une classe de la société en particulier.

[Traduction]

Mme Pate : J'ai passé près de 30 ans à visiter des prisons, y compris lors de la brève période où j'étais à l'emploi de la GRC, et je n'en ai pas encore vu une qui était pleine de gens riches.

En réalité, une majorité écrasante de personnes qui aboutissent dans le système carcéral font partie des groupes les plus marginalisés de nos collectivités. Certes, il existe des délinquants qui ont commis des crimes contre les personnes. Mais, quoi qu'il en soit, grâce à des études s'appuyant sur des déclarations volontaires, nous savons que pratiquement personne n'atteint l'âge adulte sans avoir commis de geste passible de poursuites au criminel.

Nous savons également que la plupart des infractions sexuelles surviennent entre des personnes qui se connaissaient déjà, à quelques exceptions près. Avec l'avènement d'Internet, il existe des exceptions. Il y a une prolifération d'autres types d'infractions sexuelles, mais le fait est que les délinquants concernés ne sont pas nécessairement ceux qui sont arrêtés, accusés, poursuivis et pris en charge par le système carcéral, du moins, certainement pas d'après mon expérience. J'ai aussi travaillé pendant un certain nombre d'années du côté des délinquants. Nous nous occupions surtout des hommes autochtones et de ceux qui appartenaient à une minorité raciale ou qui étaient défavorisés. Cela ne signifie pas que nous ne prenions pas leurs crimes au sérieux — je dirais que c'est tout à fait le contraire, au cas où ce ne serait pas clair.

Dans certaines collectivités, nous sommes le seul organisme à offrir des soins aux victimes. Nous dirigeons des maisons d'hébergement. Le tout dernier organisme à s'être joint à l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry est la Vernon Transition House, qui s'occupe de femmes victimes de violence et d'abus. Bien entendu, nous ne prenons pas la question à la légère, mais la violence à l'endroit des femmes et des enfants n'a pas été prise au sérieux durant longtemps pour d'autres raisons. La plupart des personnes qui travaillent dans ce domaine seraient d'accord pour dire qu'il vaut mieux améliorer les services sociaux et éducatifs et les mesures de soutien qui permettent d'accroître la qualité des services plutôt que les mesures strictement punitives.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En passant, beaucoup de motards criminalisés se retrouvent en prison, entre autres au Québec, et ce ne sont pas des gens pauvres.

Cela étant dit — et corrigez-moi si je fais fausse route —, vous avez dit que parce que le projet de loi C-10 risque d'engendrer des coûts d'incarcération et de services sociaux et de santé, on devrait laisser tomber les mesures élaborées pour protéger les enfants contre les agresseurs sexuels et qu'on devrait abandonner le durcissement des peines de libération conditionnelle pour les délinquants dangereux pour les citoyens. Devons-nous penser que tout est beau et que la population ne souhaite pas les amendements au Code criminel qui pourraient être mis de l'avant?

[Traduction]

Mme Pate : Je ne suis pas certaine d'avoir dit cela. Si c'est le cas, alors j'aimerais rectifier mes propos.

Si nous n'appuyons pas l'accroissement des peines minimales obligatoires et les restrictions proposées, c'est en grande partie parce que nous disposons déjà d'un système assez restrictif. Si la population canadienne était grandement préoccupée par les femmes prédatrices, je pense que nous le saurions tous. Le fait que ce soient les femmes qui constituent le groupe de la population carcérale affichant la croissance la plus rapide depuis un bon moment démontre que ce ne sont pas les personnes qui posent le plus grand risque qui sont touchées. Voilà ce que j'essayais de dire.

Nous savons que la majorité des femmes, des hommes et des adolescents incarcérés ont d'abord été des victimes. Cela n'excuse en rien leur comportement, mais cela signifie que nous pourrions intervenir beaucoup plus tôt en nous dotant de meilleurs services sociaux et d'approches plus universelles. Il peut s'agir de programmes scolaires et récréatifs améliorés ou de toutes les choses qui — nous le savons — diminuent le risque pour les enfants de se retrouver dans une situation vulnérable où ils pourraient être victimes d'un prédateur ou de participer eux-mêmes à des activités criminelles.

Voilà ce dont j'ai parlé. Merci de m'avoir permis de préciser mes propos.

Le sénateur Jaffer : Madame Latimer, à quelques occasions au cours de votre exposé, vous avez parlé de motifs de contestations fondés sur la Charte et déclaré que de telles contestations auraient lieu. Pourquoi serait-ce le cas, et comment pouvons-nous corriger la situation afin qu'aucune contestation du genre n'ait lieu?

Au cours de la dernière semaine, nous avons entendu les témoignages de nombreuses victimes. Une de mes principales craintes est d'avoir créé énormément d'attentes selon lesquelles toutes les choses qui mettaient les gens en colère seront réglées par l'adoption du projet de loi C-10. Nous savons que cela n'arrivera pas.

En ce qui concerne les contestations fondées sur la Charte, l'arriéré et les engorgements dans le système, nous avons reçu des provinces un certain nombre de lettres nous indiquant combien coûtera le projet de loi et combien il sera impossible à mettre en œuvre.

Mme Latimer : Le projet de loi est susceptible de faire l'objet de contestations fondées sur les articles 11 et 12 de la Charte. L'article 11 s'appliquerait aux retards, alors s'il y a un problème à cet égard, des accusations pourraient être retirées parce que le délai de traitement serait trop long.

L'autre grande catégorie de contestations serait liée à l'article 12. Peut-être parce que nous célébrons cette année le 50e anniversaire de notre organisme, j'ai fait beaucoup de lectures au sujet de John Howard, qui a été l'un des premiers, en 1795, à recommander qu'il y ait seulement une personne par cellule, contrairement à la pratique en vigueur dans le système carcéral d'alors. La double occupation de cellules conçues pour loger une seule personne — et je peux faire circuler ceci et vous donner une idée de l'allure que cela prend — constitue une peine cruelle et inusitée ou soulève des préoccupations à cet égard.

La décision pourrait aller dans un sens comme dans l'autre. Je pense que la probabilité qu'il soit fait droit à la contestation est incertaine, car les États-Unis nous ont fourni le taux de 137,5 p. 100. Il est maintenant question de chiffres précis, et nous les dépassons dans certains établissements.

Les contestations fondées sur la Charte pourraient avoir deux causes. Tout d'abord, certains établissements — qu'il s'agisse d'établissements de détention préventive, d'établissements de détention provinciaux ou même de prisons fédérales, dont font partie les établissements pour femmes et les unités d'admission — pourraient afficher une population carcérale supérieure à ce taux, ce qui pourrait constituer une peine cruelle et inusitée. Les tribunaux pourraient probablement ordonner à titre de réparation que des délinquants soient libérés ou que certaines mesures soient prises; ou, au moment de la détermination de la peine, l'avocat de la défense pourrait affirmer — et c'est arrivé au Massachusetts — que le délinquant ne devrait pas être incarcéré parce que l'établissement de détention où serait placé le délinquant est surpeuplé et qu'il s'agirait donc d'une peine cruelle et inusitée.

Rien ne garantit qu'il s'agirait des délinquants qui présentent un faible risque et que nous souhaiterions voir dans la collectivité. C'est une des raisons pour lesquelles nous vous demandons de prendre un peu plus de temps.

Nous aimerions qu'on prenne des mesures qui permettraient de garder en détention les délinquants à risque élevé qui ont commis des infractions graves et qu'on trouve des solutions mises en œuvre dans la collectivité pour certains délinquants à faible risque.

On peut déployer des efforts en vue de surmonter le problème, mais il me semble très improbable qu'on y arrivera, vu la situation financière actuelle du Canada. Certains programmes, comme des solutions de rechange liées au cautionnement ou mises en œuvre dans la collectivité, représentent une solution très efficace et moins coûteuse.

Hier soir, au cours d'une discussion, quelqu'un a émis une suggestion au sujet du fait que la peine minimale n'est maintenant plus obligatoire si la personne accepte de se soumettre à un traitement de la toxicomanie ou à une cure de désintoxication. Pourquoi ne pas élargir cette mesure afin qu'elle soit applicable à toute forme de thérapie ou une solution mise en œuvre dans la collectivité? Les provinces chercheraient des moyens de contrôler leur population carcérale afin de garder en détention seulement les délinquants qui ont commis des infractions graves et qui doivent être placés sous garde.

Le président : Je sais que vous avez une question pour Mme Pate, mais il ne resterait plus de temps pour le sénateur Lang. Désolé.

Le sénateur Lang : Encore une fois, veuillez nous excuser d'avoir commencé la séance en retard. Nous avons tous eu une longue journée.

Madame Pate, je pense que je commence à vous connaître assez bien. Parfois, j'ai l'impression que vous êtes un membre du comité.

J'avais hâte à votre comparution, car je croyais que votre organisme serait le plus susceptible d'appuyer le projet de loi. Si je dis cela, c'est parce que, à maintes occasions au cours des derniers jours, nous avons entendu parler du fait que les délinquants qui ont commis ce type d'infraction se voient très souvent imposer par les tribunaux une condamnation avec sursis plutôt qu'une peine d'incarcération. De fait, c'est la norme. Selon les données qu'on nous a fournies, qui portent surtout sur la région de Toronto et sur d'autres régions du pays, il est vraiment inhabituel qu'une personne déclarée coupable d'une infraction sexuelle soit incarcérée. J'aurais cru que cela vous aurait grandement préoccupée, surtout en raison du fait que cette femme avait pris le temps et la peine de traverser chacune des étapes du processus pénal avant de découvrir que le délinquant retrouverait sa liberté quelques jours plus tard.

J'ai une question fondamentale à poser au sujet des organismes que vous représentez. J'ai parcouru la liste des peines minimales, et je vais vous donner quelques exemples : pour l'exploitation sexuelle d'un enfant, la peine minimale en cas de verdict de culpabilité est de un an; et pour l'inceste, la peine minimale est de cinq ans si la victime est âgée de moins de 16 ans.

Voici un exemple dans une autre catégorie : pour les parents et les tuteurs, le fait d'avoir des rapports sexuels avec un enfant âgé de moins de 16 ans est passible d'une peine minimale de un an.

Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi vous ne nous dites pas de retirer ces personnes de la collectivité et de les placer dans un endroit sécuritaire, en prison, et de prendre les mesures nécessaires afin de leur dispenser un traitement.

J'ai une question à vous poser. Je trouve incroyable que vous puissiez comparaître devant nous au nom d'un organisme et dire que les opinions que vous avez formulées sont partagées par tous vos membres.

Ces renseignements leur ont-ils été directement transmis afin qu'ils puissent les consulter eux-mêmes et voir en quoi consistent vraiment les peines minimales?

Mme Pate : Tout à fait, nous faisons parvenir toute l'information à nos membres.

Je crois comprendre votre préoccupation. En fait, si le fait d'envoyer quelqu'un en prison réglait le problème, si tous les dossiers étaient pris au sérieux et si tous les délinquants recevaient un traitement au cours de leur incarcération, notre point de vue serait peut-être différent.

Toutefois, la réalité est différente. Nous savons que l'imposition de peines minimales obligatoires peut dissuader certaines personnes de se manifester. Aux États-Unis, on a créé un organisme entièrement composé de femmes noires, car un très grand nombre d'hommes qui se voyaient imposer une peine d'incarcération plutôt qu'une peine à purger dans la collectivité étaient des Noirs ou des Chicanos ou appartenaient à une autre minorité raciale. Cet organisme a été jusqu'à dire aux gens de ne pas appeler la police. Nous ne voulons pas que la situation devienne ainsi au Canada.

Si une personne demande de l'aide et qu'il s'agit d'une femme, il arrive qu'on ne la croie pas. Je reviens tout juste de l'école de droit, où je donne un cours sur la défense des femmes battues dans le cadre d'un procès, car, la plupart du temps, l'État ne fournit aucune aide ni soutien aux personnes victimisées ou à risque de le devenir, mais les encourage à être représentées afin de se protéger elles-mêmes ou de protéger leurs enfants.

Certes, lorsque les condamnations avec sursis ont été adoptées, notre organisme — de même que de nombreuses organisations féminines — soutenait qu'il ne fallait pas qu'elles soient imposées en priorité aux délinquants sexuels de sexe masculin. Nous aimerions qu'un plus grand nombre de délinquantes se voient imposer de telles peines. Cela ne signifie pas pour autant que nous voulons éliminer les condamnations avec sursis. Cela signifie que les préjugés d'impartialité qui existent au sein de nos collectivités à l'égard des femmes et des actes de violence dont les enfants et elles sont victimes sont très préoccupants. C'est une mesure grossière que d'imposer plus de peines minimales obligatoires en espérant ainsi régler la situation. Si c'était le cas, il est évident que je les appuierais. Tous nos membres savent cela. Les femmes qui travaillent dans les maisons de transition le savent aussi. Ce qu'il faut vraiment, c'est un moyen qui permettra aux femmes d'échapper à la violence, d'être soutenues et de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, et ce mécanisme doit être pris au sérieux.

Récemment, près de Barrie, une collectivité autochtone a adopté une approche intéressante qui n'était pas appuyée par l'État : lorsqu'un homme se montre violent, la collectivité dira qu'il doit quitter le domicile familial et qu'il n'a plus le droit de s'y rendre, et la femme et les enfants y resteront parce qu'il n'y a pas de maison de transition là-bas. Les mesures de ce genre n'étaient pas appuyées parce que le nom de l'homme figurait sur le bail ou sur le titre de propriété.

D'autres mesures peuvent être envisagées. Il est irréaliste de penser que le droit criminel et les peines minimales obligatoires régleront le problème, ne serait-ce que pour les hommes visés. S'ils recevaient en prison un traitement qui corrige leur comportement, la situation serait différente. Mais en fait, nos systèmes carcéraux tendent précisément à renforcer les attitudes à cause desquelles les hommes se retrouvent dans une telle situation.

Le sénateur Lang : De toute évidence, nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde.

Le président : Je ne pense pas que vous arriverez à vous entendre d'ici cinq ou dix minutes.

Mme Pate : Monsieur le président, le 13 mars, la YWCA et notre association animeront conjointement une discussion axée sur les besoins au 131, rue Queen. Le titre de la discussion est « Des logements pour les femmes, pas des prisons pour les femmes ». Si cela vous intéresse, vous êtes tous les bienvenus. On devrait avoir fait circuler une liste d'inscription. Dans une de nos études de cas, nous parlerons de la situation de la très jeune femme à qui le sénateur Runciman a fait allusion. Un certain nombre de femmes qui ont été incarcérées participeront aussi à la discussion, de même que des gens qui dispensent des services dans la collectivité. Si cela vous intéresse, sachez que nous songeons à la tenir dans de plus grands locaux et à discuter des moyens à prendre pour que les gens soient en sécurité dans leur collectivité. L'événement aura lieu le 13 mars, de 10 heures à 15 heures.

Le président : Madame Pate, madame Latimer, merci mille fois. Comme toujours, vous vous êtes bien préparées pour vos exposés et avez livré des observations intéressantes qui nous sont très utiles. Nous vous en remercions.

Chers collègues, la séance est levée, et nous reprendrons à 8 heures demain matin.

(La séance est levée.)


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