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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 39 - Témoignages du 6 juin 2013


OTTAWA, le jeudi 6 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C- 350, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (responsabilisation des délinquants), se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui assistent aujourd'hui aux délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons aujourd'hui l'examen du projet de loi C-350, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (responsabilisation des délinquants). Ceci est notre troisième réunion sur la question. Je rappelle à ceux qui nous regardent que les audiences de comité sont ouvertes au public et diffusées par webdiffusion sur le site parlementaire, parl.gc.ca. De plus amples informations sur le calendrier des témoins sont disponibles dans le site web, sous « Comités du Sénat ».

Nous poursuivons nos délibérations en accueillant aujourd'hui comme premier panel, Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada et Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général du Bureau de l'enquêteur correctionnel.

Monsieur Sapers, vous avez une déclaration préliminaire, sauf erreur de ma part. À vous la parole.

Howard Sapers, enquêteur correctionnel, Bureau de l'enquêteur correctionnel : Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour, sénateurs. C'est toujours un plaisir que de comparaître devant votre comité. Nous sommes ici aujourd'hui dans le cadre de votre examen du projet de loi C-350, comme vous le savez. Ainsi que précisé, je suis accompagné aujourd'hui d'Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général de mon bureau. Je m'efforcerai d'être bref mais, comme il arrive parfois, plus cela va, plus ce petit projet de loi me semble complexe. Je tâcherai de m'en tenir à mes notes.

L'enjeu sur lequel repose le projet de loi C-350 est important. Une partie du processus de réinsertion des délinquants devrait comprendre le remboursement des dettes, au mieux de leur capacité. Comme je l'ai clairement mentionné au comité de la Chambre en mai dernier, dans le contexte de l'examen du projet de loi, je me préoccupe toujours de l'application du mécanisme de recouvrement des créances proposé dans le projet de loi, de sa portée, ainsi que de ses coûts et de son administration possibles, sans compter la possibilité de créer d'autres obstacles à la réinsertion sociale.

On m'a informé que la version initiale du projet de loi a été grandement amendée et qu'il comprend maintenant des précisions importantes. Premièrement, le projet de loi s'applique aux créances pour lesquelles le Service correctionnel du Canada a reçu un avis juridique officiel. Deuxièmement, il incombera aux personnes de fournir un avis juridique officiel, et non au Service correctionnel du Canada de chercher les dettes d'un délinquant. Troisièmement, un amendement veille à ce que le plan de remboursement des dettes n'interfère pas avec les paiements effectués dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens.

Il s'agit d'amendements importants. Toutefois, on ne sait toujours pas comment le registre de recouvrement des créances fonctionnera en pratique, combien coûtera sa mise en œuvre, comment il sera tenu à jour et quelle sera son incidence sur la réinsertion.

Les membres devraient savoir que des mécanismes sont actuellement en place, lesquels permettent au Service correctionnel du Canada d'inscrire les dédommagements et les amendes que les tribunaux ont imposés aux délinquants sous responsabilité fédérale. Des milliers d'inscriptions ont déjà été saisies aux dossiers. Selon le projet de loi C-350, le Service correctionnel du Canada serait tenu de mettre en place un système de suivi visant l'administration des ordonnances alimentaires au profit d'un enfant ou d'un époux, ainsi que toute autre dette que doit payer le délinquant à la suite d'une décision rendue par un tribunal compétent.

Il règne, d'autre part, une certaine confusion dans mon esprit, à la suite de témoignages récemment entendus par le comité, dont des commentaires du Service correctionnel du Canada, hier. On créerait, dans la pratique, deux fronts de recouvrement des dettes. L'approche proposée par le projet de loi serait facile à gérer, puisque seulement une poignée d'ordonnances de dédommagement de ce type étant promulguées chaque année. Sauf erreur de ma part, le chiffre fourni hier était de cinq cas ces cinq dernières années.

Cette approche à deux volets correspond à la loi proposée en ce sens qu'elle exige que les créanciers s'inscrivent. Cela semble assez clair.

J'ai quelques questions concernant la deuxième approche. Elle propose la création d'un système où les Services correctionnels du Canada informeraient certains créanciers après une décision rendue par un tribunal compétent. On a donné l'exemple des ordonnances alimentaires. Les préoccupations sont les suivantes. Tous les créanciers pourraient s'inscrire lorsqu'ils prennent connaissance qu'un débiteur purge une peine fédérale. Il pourrait s'agir de dizaines de milliers de créanciers sur une période de cinq ans. Plus de 20 000 délinquants cheminent dans le système correctionnel fédéral chaque année, mais ce ne sont pas forcément tous les créanciers qui s'inscriraient. Il pourrait y avoir des dettes dont le Service correctionnel du Canada n'est pas au courant. Cela signifie que si l'on rembourse un créancier inscrit, le créancier non inscrit, lui, ne gagne rien grâce à ce système. Si le SCC va à la recherche de créanciers non-inscrits, il le ferait en contravention avec le paragraphe 78.1(5) proposé qui indique clairement qu'il revient au créancier de signaler une dette. Je ne sais pas comment cela pourra fonctionner.

Le SCC pourrait aller au-devant des dettes découlant de pensions alimentaires, d'ordonnances de dédommagement, et cetera, lorsque ces dernières sont notées au plan correctionnel d'un détenu conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés modifie la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition à l'article 15.1 pour inclure ce genre de dette dans le plan correctionnel d'un délinquant. Cependant, il pourrait et devrait le faire de toute façon. Les mesures prévues par le projet de loi C-350 ne sont pas nécessaires pour accomplir ce genre de perception, inscription et avis.

Je suis conscient que ce projet de loi a été proposé en réaction à un certain nombre d'affaires hautement médiatisées. Je comprends aussi que certains problèmes se produisent relativement au recouvrement des indemnités qu'une cour, un tribunal ou un organisme fédéral pourraient avoir accordées au délinquant sous responsabilité fédérale dans la foulée d'une poursuite. Mais la création d'un registre complexe et possiblement coûteux est-elle la façon la plus efficace et efficiente de gérer quelques cas d'indemnité hautement médiatisés? Comme je l'ai déjà dit, certaines parties de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ainsi que d'autres lois fédérales, notamment la Loi sur le divorce, et cetera, prévoient déjà des mesures de recouvrement.

Cela dit, je doute de la capacité des détenus sous responsabilité fédérale de rembourser les dettes monétaires en souffrance, les ordonnances de dédommagement et les suramendes compensatoires tout en respectant leurs obligations envers la société pendant qu'ils purgent une peine dans un établissement fédéral.

Le fait est que la grande majorité des délinquants sous responsabilité fédérale n'ont que très peu d'argent et que leur capacité d'en amasser pendant l'incarcération est limitée. Un régime élaboré de recouvrement ne permettra probablement pas de satisfaire les victimes puisque la plupart des dettes ne seront pas remboursées. Même les tribunaux tiennent compte de cette réalité lorsqu'ils imposent des amendes, des ordonnances de dédommagement et des suramendes compensatoires.

J'aimerais vous illustrer, à l'aide de quelques exemples, la capacité des détenus à rembourser des dettes ou à respecter des obligations familiales continues pendant qu'ils purgent leur peine.

En 1981, le salaire maximum qu'un détenu peut toucher pendant qu'il purge une peine dans un établissement fédéral et qu'il exerce un emploi rémunéré a été fixé à 6,90 $ par jour. Plus de 30 ans plus tard, ce montant n'a toujours pas changé. Il n'a pas non plus été ajusté pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie ou de l'inflation.

Les détenus qui purgent une peine dans un établissement fédéral reçoivent des produits d'hygiène personnelle et des vêtements de l'établissement. Les détenus doivent payer de leur poche tout autre bien qu'ils souhaitent obtenir. Les détenus peuvent acheter certains biens qui figurent sur une liste. La marge bénéficiaire que fait l'établissement est de 10 p. 100 du prix de détail régulier. En 1981, les détenus pouvaient acheter un panier type d'articles vendus à la cantine pour 8,49 $. En 2005, le coût estimé de ce même panier était à 61,59 $, ce qui représente une augmentation de 725 p. 100, sans augmentation corollaire du revenu.

Au cours des trois dernières années, le fait que le Service correctionnel du Canada ait cessé d'offrir certains services de santé non essentiels a forcé les détenus à acheter à la cantine des articles en vente libre qui leur étaient fournis avant, comme des Tylenol, du shampoing et des crèmes médicamentées, ou encore des lotions pour des affections cutanées. Au titre d'exemple, une bouteille de 100 millilitres de sirop Buckley's contre la toux coûte plus que le salaire d'une journée.

D'autres déductions peuvent être retenues de la paie des détenus, notamment des amendes imposées par l'établissement, des déductions du fonds du comité du bien-être des détenus, des appels téléphoniques et les frais de logement et de repas.

Selon les changements annoncés par le ministre de la Sécurité publique en mai 2012, à compter du présent exercice financier, les frais administratifs liés à l'hébergement, aux repas et aux téléphones augmenteront pour les détenus sous responsabilité fédérale. Les détenus les mieux rémunérés — si je peux les appeler ainsi — consacrent 25 p. 100 de leur salaire à l'hébergement et aux repas.

Les primes de rendement ont également été éliminées.

À leur libération, les détenus font face à toutes sortes de dépenses, par exemple, pour obtenir une carte d'identité, renouveler un permis de conduire ou présenter une demande de pardon. Les frais liés à une demande de pardon, maintenant appelée suspension du casier, sont récemment passés de 150 $ à 631 $.

La plupart des détenus n'ont pas d'économies, et leur capacité de gains à l'intérieur d'un établissement fédéral est extrêmement limitée. Il ne semble donc pas très utile de réorienter des gains qui, dans le meilleur des cas, pourront au moins les aider au moment de leur mise en liberté. Il n'est pas rare que les délinquants venant tout juste d'être mis en liberté aient accumulé des dettes de l'ordre de milliers de dollars alors que leurs perspectives d'emploi sont très limitées. Aussi, je trouverais dommage de voir les précieuses ressources du Service correctionnel du Canada consacrées à une entreprise qui pourrait en fait coûter plus cher à administrer que ce qu'elle permettra de récupérer.

Encore une fois, je suis d'accord avec le message important transmis dans le projet de loi C-350. Ce n'est pas l'idée qui m'inquiète, mais plutôt l'administration pratique du projet de loi proposé.

Par exemple, l'article 78.1 tel que modifié par ce projet de loi porte sur les indemnités accordées. La majorité des poursuites qui pourraient mener à l'attribution d'une telle indemnité sont habituellement réglées à l'amiable. En Ontario, je crois qu'il s'agit de 95 p. 100. Ces règlements hors des tribunaux comportent habituellement des ententes de confidentialité. Les ententes ne seraient donc pas comprises dans le projet de loi C-350 car elles ne font pas l'objet d'une décision d'un tribunal. Cela pourrait avoir un impact sur les décisions prises tant par la partie demanderesse que la partie défenderesse puisqu'elles souhaiteront minimiser les coûts et les fardeaux administratifs pour maximiser l'indemnité éventuelle.

Je m'inquiète également de l'absence de définition du mot créancier dans le projet de loi. Cela reflète la préoccupation que j'ai exprimée un peu plus tôt concernant le système d'inscription double abordé par le commissaire dans son témoignage hier.

Même si les définitions étaient claires et le processus est bien articulé, nous dépendons de l'excellence administrative pour nous assurer que tous les documents soient complétés avec justesse. S'il devait y avoir une erreur administrative, le SCC a-t-il créé un nouveau risque juridique pour la Couronne? Qui est responsable si les dossiers sont incomplets ou désuets? Il ne s'agit pas simplement d'une question hypothétique. Nous recevons beaucoup de plaintes chaque année concernant les dossiers inexacts concernant des délinquants qui purgent actuellement leur peine.

Un autre problème éventuel est possible si le SCC décide de choisir des gagnants et des perdants dans des questions familiales. Nous savons tous que des questions de droit de la famille peuvent être complexes et compliquées. Par exemple, un détenu pourrait être actuellement marié, avoir des enfants, et divorcé. Il devra donc payer une pension alimentaire pour la conjointe ainsi que les enfants. Quels besoins familiaux seront jugés primordiaux et pourquoi le SCC s'immiscerait-il dans ces intérêts divergents alors que ce rôle revient à un tribunal compétent?

J'ai terminé, monsieur le président. Je vous remercie et je suis disponible pour répondre à vos questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'essaie de décoder le message que vous nous laissez ce matin. Vous me direz si je suis en dehors de la compréhension de votre texte.

Je décode de vos propos que ce projet de loi touche l'ensemble des revenus des criminels ou des personnes incarcérées alors qu'il ne touche ou ne vise que des revenus ou des gains à partir de recours civil. On parle de cas exceptionnels, quatre ou cinq cas au cours des dernières années. Je comprends que c'est l'ensemble de la population carcérale qui va être touché alors que l'on parle d'une petite minorité.

Hier, l'avocat de l'Association des détenus, M. Fineberg, disait que les droits des criminels doivent être égaux aux droits des honnêtes citoyens. On peut partager cette opinion ou pas, mais si les droits sont égaux, est-ce que les obligations ne devraient pas être égales?

Un criminel qui est incarcéré, qui a laissé derrière lui des responsabilités, parlons d'une conjointe avec des enfants et qui reçoit un montant d'argent important parce qu'il y a un recours civil lorsqu'il est incarcéré, s'il a ce droit de poursuivre au civil une fois incarcéré, n'a-t-il pas également l'obligation de se servir de ces montants d'argent pour rencontrer ses obligations matrimoniales?

[Traduction]

M. Sapers : Oui, sénateur. Merci. Vous avez tout à fait raison. J'ai soulevé la question des allocations versées aux détenus pour la participation à un programme, ainsi que le taux de rémunération et le coût de certains produits afin de donner un peu de contexte au comité concernant la vie à l'intérieur et la façon dont cela se traduit en occasions à l'extérieur. Il s'agit des sommes d'argent auxquelles ont accès les détenus ou non, le cas échéant. Je crois que ce contexte est important.

Dans le cas d'une indemnité financière accompagnée de dettes connues, surtout lorsqu'il s'agit d'une question familiale, d'une ordonnance de dédommagement ou d'une suramende compensatoire, cela sera inclus dans le plan correctionnel. Nous n'avons pas besoin du projet de loi C-350 pour le faire. Vous le savez déjà. Le SCC serait bien sûr au courant de l'existence de cet argent en raison du moment du dépôt au compte du détenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous dites être en accord, en principe, avec le projet de loi, mais vous n'êtes pas d'accord avec la façon de faire.

Êtes-vous d'accord avec le principe de la responsabilisation? Le projet de loi rend le criminel responsable lorsqu'il y a un montant d'argent important en dehors de ses allocations de travail ou de formation puisque dans un pénitencier il n'y a que ces deux façons qui permettent d'obtenir des allocations, les études ou le travail. En dehors de cela, il peut y avoir un gain d'argent à partir d'un recours civil.

Êtes-vous en accord ou en désaccord avec le fait qu'avec cet argent le criminel doit rencontrer ses responsabilités familiales? La priorité du projet de loi n'est pas de prendre cet argent pour le donner aux victimes; ce que j'aurais souhaité. La priorité du projet de loi est d'utiliser cet argent pour rencontrer les obligations familiales de la personne incarcérée plutôt que ce soit l'État qui le fasse parce que la personne est incarcérée.

[Traduction]

M. Sapers : Je ne m'oppose aucunement au principe selon lequel les délinquants doivent être responsables de s'acquitter de leurs dettes, et je suis tout à fait disposé à le redire. La difficulté est au niveau du mécanisme. Auparavant, j'avais des questions quant à la mise en fonctionnement du projet de loi C-350. Depuis lors, ces questions sont devenues de la confusion étant donné certains témoignages entendus par le comité.

Il y a un fardeau administratif et un risque potentiel qui, d'après moi, dépasse les avantages du projet de loi. Des mécanismes existent déjà, qu'il s'agisse de directives du commissaire ou d'autres lois fédérales ainsi que certaines mesures de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Ces mécanismes permettraient au SCC de s'assurer que les paiements soient versés.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mais le mécanisme actuel ne permet pas de prendre plus que 25 p. 100 des revenus de la personne incarcérée alors que le projet de loi prendrait beaucoup plus que le 25 p. 100 autorisé dans la loi, il pourrait prendre 50 ou 75 p. 100 du gain au niveau de la poursuite. Les mécanismes sont en bas du seuil espéré. Êtes-vous d'accord avec cela?

[Traduction]

M. Sapers : La limite de 25 p. 100 s'applique au calcul de contributions par le détenu à ses frais de logement et d'alimentation. Le remboursement d'autres dettes, qu'il s'agisse d'une ordonnance alimentaire, d'une suramende compensatoire ou d'une ordonnance de dédommagement, n'est pas assujetti à cette restriction. Cependant, il y a d'autres restrictions qui s'imposent dans les dépenses d'un détenu.

Les détenus ont le droit d'avoir des objets personnels dans leurs cellules jusqu'à concurrence d'une valeur de 1 500 $. Cela comporte notamment leurs vêtements, des livres, une radio, une télévision, et cetera. Ils ont aussi une limite quant à la somme qu'ils peuvent transférer à partir de leurs comptes de détenu quatre fois par année. Il s'agit d'une limite de 500 $. Ces transferts peuvent servir à envoyer de l'argent à la maison pour des cadeaux de fête ou de Noël, et cetera, pour leurs familles. Ils n'ont le droit de dépenser que 69 $ par période de paie, c'est-à-dire toutes les deux semaines, pour acheter de menus objets à la cantine comme je le disais.

Le SCC est toujours au courant des sommes versées au compte d'un détenu. Si on a noté dans le plan correctionnel que le détenu a des dettes de pension alimentaire, d'ordonnance de dédommagement ou autre, alors le service a déjà accès à ces fonds de par le plan correctionnel. Le SCC reçoit également des milliers d'avis par écrit concernant ce genre de dettes sans l'existence du projet de loi C-350.

D'après moi, le projet de loi C-350 établit un processus assez lourd et coûteux qui risque de ne pas accomplir grand- chose. Selon le témoignage du commissaire, il pourrait s'agir de cinq indemnités pour une période de cinq ans. Ma question est la suivante : s'il s'agit effectivement de seulement cinq montants sur une période de cinq ans, pourquoi créer un tel système? Il serait complexe, difficile à administrer, coûteux et forcerait des milliers de créanciers potentiels à s'inscrire alors qu'ils ne retireront probablement aucun avantage grâce à ce nouveau processus.

La sénatrice Jaffer : Encore une fois, merci, monsieur Sapers, de venir nous rencontrer. Votre contribution à nos travaux est toujours appréciée.

J'ai deux questions pour vous. Quand j'étais jeune avocate, mon patron, qui était un juge de la Cour suprême, disait toujours que quand il condamnait un accusé à une peine, il était toujours conscient que cette personne sortirait un jour de prison. La majorité des détenus retournent dans la société, et le juge gardait toujours à l'esprit cette question de la réinsertion sociale.

Hier, nous avons entendu M. Fineberg, qui nous a dit que les détenus devraient aussi avoir des droits. Les détenus ne sont pas privés de droits, plus particulièrement de leurs droits civils. Ils ont commis des erreurs, mais ils ont néanmoins des droits.

On nous a présenté toute une série de projets de loi qui retirent des droits aux détenus. En votre qualité d'enquêteur correctionnel, pourriez-vous d'abord nous dire quel effet cela a sur le moral des détenus? Je suis bien consciente que, dans le cadre actuel, mon commentaire n'est pas très populaire, mais j'aimerais néanmoins connaître votre opinion à ce sujet.

M. Sapers : Merci, madame la sénatrice. Je ne peux pas vous parler directement du moral des détenus, mais je crois que vous posez néanmoins une question importante. Ce que je puis vous dire, c'est que nous avons constaté un certain nombre de tendances au cours des trois à cinq dernières années. Nous avons constaté une augmentation du recours à la violence, du nombre de blessures et d'agressions, l'usage de gaz poivré et le nombre des incidents en établissement. Nous avons également constaté une augmentation des congés de maladie, par exemple. Dans des enquêtes réalisées sur le personnel du SCC, certains membres du personnel ont déclaré que leur milieu de travail était empoisonné. Une enquête menée auprès des employés de la fonction publique révélait des problèmes de confiance dans la gestion et la direction. Nous avons tous pris connaissance de ces problèmes et les tendances vont toutes dans la même direction.

De toute évidence, il y a actuellement dans les services correctionnels fédéraux des facteurs qui nuisent au bon fonctionnement des pénitenciers, et ces problèmes se manifestent dans tous ces éléments. Il est difficile d'en isoler les causes, mais il est clair que le climat dans les établissements carcéraux fédéraux s'est durci.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Sapers, le commissaire a déclaré hier qu'il y avait eu cinq cas en six ans. Je ne comprends pas pourquoi on veut mettre sur pied un système tout entier pour cela. J'ai l'impression que ce projet de loi transforme les services correctionnels en agence de recouvrement. Vous avez dit qu'il existe déjà une certaine forme de recouvrement, mais voilà que pour cinq cas on veut créer une agence correctionnelle complète qui sera chargée de faire le recouvrement et de décider comment l'argent sera distribué.

Après avoir écouté le commissaire hier, je n'avais pas une idée claire de la façon dont l'argent serait réparti et de la proportion qui serait réservée au conjoint ou à la conjointe. Je ne lui en veux pas, il a tant à faire. Je ne comprends simplement pas comment il divisera l'argent. J'imagine qu'un grand nombre de créanciers devront aller devant les tribunaux pour se faire payer.

M. Sapers : Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, je m'inquiète également de l'idée que les Services correctionnels du Canada deviendront non seulement une agence de recouvrement, mais seront aussi en mesure de choisir qui sera payé et les montants des paiements. Je ne crois pas que cela relève des fonctions du SCC. Je suis également préoccupé par le fardeau administratif.

Je trouve également intéressant, sénatrice, que l'une des principales recommandations que je fais depuis plusieurs années a été la création d'un poste de commissaire adjoint au service correctionnel pour Autochtones. Le Service correctionnel du Canada a rejeté cette idée, disant essentiellement que cela créerait une nouvelle bureaucratie coûteuse, même s'il existe déjà, en fait, une direction générale des programmes aux Autochtones et que tout ce que je demandais, c'était un nouveau leadership. Néanmoins, le SCC a refusé cette proposition parce qu'elle la jugeait trop bureaucratique et trop coûteuse.

Je ne peux pas m'empêcher de mettre en doute l'à-propos de créer une bureaucratie coûteuse pour le recouvrement et l'enregistrement des créances, un domaine qui ne fait pas partie des fonctions principales du Service correctionnel du Canada, tout en prétendant qu'il est trop coûteux d'avoir un commissaire adjoint au service correctionnel pour Autochtones.

[Français]

Le sénateur Joyal : Bienvenue, messieurs Sapers et Zinger. Je voudrais revenir sur la portée du projet de loi d'abord.

L'article 2, qui amende l'article 78.1 définit bien qu'il s'agit d'une somme d'argent qui aurait été obtenue suite à un jugement contre Sa Majesté du chef du Canada. Cela signifie que s'il y a un jugement rendu en faveur d'un détenu d'une cour quelconque contre Sa Majesté du chef d'une province, cela ne s'applique pas. De même, cela ne s'applique pas, vous faites des signes de tête, mais cela ne s'enregistre pas dans le procès-verbal.

Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général, Bureau de l'enquêteur correctionnel : Vous avez tout à fait raison. Ce que vous avez dit est juste.

Le sénateur Joyal : Donc le projet de loi ne s'adresse pas aux décisions qui impliqueraient un jugement rendu contre, par exemple, une cour du chef de Sa Majesté d'une province et cela ne s'applique pas non plus pour une décision d'une cour civile dans un litige privé. Par exemple, un détenu qui aurait un conflit avec une succession et qu'il obtiendrait un jugement favorable à lui dans cette succession ou dans le partage quelconque d'un actif, cela ne pourrait pas s'appliquer dans le cas présent.

M. Zinger : C'est tout à fait juste encore une fois.

Le sénateur Joyal : On se rend compte que le projet de loi a une fenêtre extrêmement étroite, par conséquent, comment gérez-vous dans le quotidien les responsabilités du détenu de façon générale à l'égard de ses responsabilités familiales? En d'autres mots, s'il gagne 6,90 $ par jour, quelle part revient dans ce montant à un paiement qui serait dirigé vers la satisfaction d'une pension alimentaire qui aurait déjà été décidée par un tribunal en faveur d'une épouse ou d'une ex-épouse et des enfants du détenu?

M. Zinger : Au fond, c'est le projet de loi C-10, qui a vu le jour dans la dernière année, qui donne plus de poids à ce genre d'obligation en établissant un processus à travers le plan correctionnel qui doit inclure des efforts faits pour payer ces créances. Si le détenu ne suit pas son plan correctionnel, il peut être pénalisé de plusieurs façons sur le plan de ses libertés à l'intérieur du pénitencier.

Ce serait plus difficile, par exemple, d'aller d'un pénitencier à sécurité maximum à un autre à sécurité moyenne. Un autre exemple est qu'il serait plus difficile d'avoir une recommandation positive du service pour avoir une libération conditionnelle.

Le sénateur Joyal : Sur le montant de 6,90 $ par jour, en quoi consistent les travaux pour lesquels, normalement, un détenu pourrait se rendre volontaire ou disponible dans une prison? Je ne connais pas ce détail de la vie à l'intérieur des prisons, mais vous devez le savoir vous-mêmes puisque vous avez la responsabilité de surveiller la façon dont la vie se déroule à l'intérieur des prisons.

M. Zinger : Ce montant est la somme maximale. Très peu de détenus obtiennent le maximum. Typiquement, ceux qui obtiennent le maximum travailleront avec l'industrie CORCAN, qui est établi sous les services correctionnels. Par exemple, ils restaureront des véhicules militaires défectueux, fabriqueront des meubles. Ils peuvent aller jusqu'à 6,90 $ par jour. Quand les détenus gagnent une somme excédentaire à 6,90 $ par deux semaines, le surplus est mis dans un compte d'épargne. Ils peuvent seulement retirer tout au plus 500 $ de ce compte d'épargne par année. On parle de petites sommes. Ces sommes servent généralement à acheter les choses que M. Sapers a indiquées.

Le sénateur Joyal : Ces montants sont-ils épargnés après que les sommes ont été déboursées pour payer les pensions alimentaires, par exemple, puisque l'objectif du projet de loi semble viser essentiellement la satisfaction des pensions alimentaires?

M. Zinger : Le plan correctionnel, qui est revu tous les ans, peut être réajusté et on peut s'assurer qu'il y a une contribution qui est appropriée quant à ce genre d'obligations.

Le sénateur Joyal : Comment êtes-vous informé s'il y a eu un jugement d'un tribunal de la famille à l'égard de l'épouse et des enfants de l'ex-détenu?

Dans le même contexte du projet de loi, le conjoint ou la conjointe doit-il faire la démarche de s'enregistrer auprès des services correctionnels pour recevoir une partie de la compensation que le tribunal lui a reconnue?

M. Zinger : Je vous dirais oui, mais je crois qu'en pratique, comme les sommes gagnées par un détenu sont tellement minimes et que la situation du détenu a changé bien souvent après qu'il a été emprisonné, la capacité de payer diminue grandement.

Tout le monde doit réaliser que quand quelqu'un est incarcéré, sa capacité d'acquitter ses obligations est grandement réduite. À ce moment-là, c'est avec le service correctionnel qu'il essaie d'établir un plan correctionnel qui au moins démontre un effort de repayer ce genre de dette.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci de votre témoignage. L'article 78.1 traite des indemnités accordées aux délinquants par un tribunal administratif ou judiciaire. Comment définit-on le terme « tribunal »? Est-ce qu'on entend par là tous les tribunaux relevant de la compétence du gouvernement fédéral?

M. Zinger : Oui, je crois que c'est le cas. On dit que la décision doit venir d'un tribunal administratif ou judiciaire, et je soupçonne qu'il pourrait s'agir de décision de la Cour fédérale ou du Tribunal canadien des droits de la personne, par exemple, qui ont le pouvoir d'accorder des indemnités. Cependant, cela ne s'applique pas à la vaste majorité des affaires qui peuvent être réglées hors cour. Par exemple, en Ontario, plus de 90 p. 100 — c'est-à-dire environ 95 p. 100 des poursuites entamées — sont réglées hors cour.

Le sénateur McIntyre : Il y a un tribunal judiciaire et il y a un tribunal administratif. Je me demande si le tribunal judiciaire énoncé à l'article 78.1 satisfera aux exigences de cet article par opposition à un tribunal administratif.

M. Zinger : Le libellé est suffisamment vague pour s'appliquer, par exemple, au Tribunal canadien des droits de la personne, qui a le pouvoir d'accorder des indemnités.

La sénatrice Fraser : Je vous prie d'excuser mon arrivée tardive. J'étais à une réunion d'un autre comité, dans un autre édifice, et vous savez comment ça se passe.

En ce qui a trait aux quatre catégories proposées à l'article 78.1, le projet de loi C—350 dit ce qui suit :

a) toute somme à payer par le délinquant en vertu d'une ordonnance alimentaire...

et cetera, et plus bas :

d) toute autre somme à payer par le délinquant en vertu d'un jugement rendu par un tribunal compétent.

Vous avez expliqué de façon très convaincante que le plan correctionnel et les systèmes qui existent déjà tiennent compte de la responsabilité du délinquant de payer ces créances, mais le SCC est-il au courant de toutes les sommes que le délinquant est tenu de payer aux termes des ordonnances des tribunaux, s'il a l'argent pour cela?

M. Sapers : Non, absolument pas. Toutefois, le projet de loi C-350 ne corrigerait pas ce problème parce qu'il faudrait d'abord que les créanciers sachent que leurs débiteurs purgent une peine dans un établissement fédéral et, ensuite, qu'ils fassent les démarches pour enregistrer la créance. Généralement, le SCC est informé des ordonnances alimentaires, des ordonnances de dédommagement, des amendes et des suramendes compensatoires.

La sénatrice Fraser : C'est la dernière catégorie qui serait la plus vague, c'est-à-dire celle des autres sommes à payer en vertu d'un jugement rendu par un « tribunal compétent ».

M. Sapers : L'alinéa b) proposé s'applique à une catégorie dont ne saurait pas si l'information est complète, car il est impossible d'en évaluer toutes les possibilités.

La sénatrice Fraser : Alors encore une fois, il faudra compter sur les créanciers et le registre. D'accord, merci.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je veux revenir au chiffre de 6,90 $ par jour, soit 86 cents de l'heure, pour une journée de huit heures. Pour quelles raisons acceptables le montant a-t-il été fixé si bas et pourquoi l'a-t-on maintenu si bas puisqu'il perd de sa valeur tous les ans depuis 32 ans? Cela doit valoir environ trois dollars par jour, donc à peine 40 cents de l'heure.

Il me semblerait que ce serait l'intérêt de compenser raisonnablement le détenu, compte tenu de toutes les circonstances, si l'objectif est de le responsabiliser et de l'amener à assumer ses responsabilités sociales à l'égard de sa famille, des victimes et des autres dommages matériels qu'il peut avoir causé par son geste. Pourquoi la compensation est-elle, j'allais dire, insignifiante eu égard aux objectifs qu'on poursuit?

[Traduction]

M. Sapers : Sénateur, le fait est que les allocations des détenus n'ont pas été revues depuis 30 ans, et nous croyons qu'elles devraient l'être. Nous sommes d'accord pour que les détenus contribuent aux frais de leur logement et de leur repas, qu'ils paient ce qu'ils achètent en cantine et les frais des comités chargés du bien-être des détenus, ainsi qu'ils puissent acheter collectivement des services de câblodistribution télévisuelle pour leurs loisirs. C'est tout à fait normal.

Mais tous ces coûts ont augmenté, mais pas les allocations des détenus. Nous avons fait des recommandations pour que les allocations des détenus soient revues et qu'on mette en place des mécanismes pour que ces allocations soient raisonnables et suivent le coût des produits et des services que les détenus sont en droit d'acquérir pour eux-mêmes.

La participation des détenus à des programmes, à des emplois et au travail en milieu carcéral est un élément très important de toute stratégie ou tout plan correctionnel. L'incitatif que reçoit le détenu doit correspondre à ce qui existe pour toute la population à l'extérieur des prisons : une bonne journée de travail est rémunérée équitablement. C'est le but, n'est-ce pas? Il s'agit de préparer les détenus à retourner dans leur communauté et à vivre en société, ce qui inclut travailler vaillamment et être rémunéré en conséquence.

Le président : Nous devons passer maintenant au sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Zinger, on voit que vous connaissez très bien le système carcéral. On sait qu'il y a une bonne clientèle incarcérée de détenus qui appartient au crime organisé. Je sais qu'il y a une obligation au système carcéral canadien de vérification, à savoir de vérifier les avoirs, les biens des criminels incarcérés. Est-ce que dans le cas du crime organisé, des gens qui sont incarcérés, est-ce qu'on vérifie si ces gens continuent à avoir des revenus à l'extérieur du pénitencier, soit par des prête-nom ou par des revenus qui proviennent de l'extérieur du pays? Est-ce que ce type de vérification-là est fait?

M. Zinger : Le Service correctionnel a une bonne capacité de ramasser de l'information. Il peut mettre à l'écoute les communications d'un détenu qui communique à l'extérieur de l'établissement.

Le sénateur Boisvenu : Particulièrement pour le crime organisé, on sait qu'il y a beaucoup de blanchiments d'argent avant l'incarcération, il n'y a pas un mécanisme particulier pour voir si ces gens ont des revenus en dehors du pénitencier, parce qu'on sait que ces gens-là souvent vont continuer, même à l'extérieur du pénitencier, à avoir des activités illégales. C'est connu.

[Traduction]

M. Sapers : Sénateur, vous avez raison de supposer que des délinquants du monde du crime organisé continuent de participer à des activités criminelles.

Toutefois, permettez-moi d'élargir votre question. Il y a aussi d'autres délinquants incarcérés qui continuent de recevoir un revenu à partir d'activités légitimes. Quand un délinquant du crime organisé ou de toute autre catégorie a des dettes à payer et que ces dettes sont reconnues et inscrites dans son plan correctionnel, des mécanismes sont en place pour les rembourser.

Quant aux activités criminelles auxquelles un détenu peut prendre part, il y a des agents de sécurité chargés de recueillir les renseignements à des fins préventives; il existe entre le Service correctionnel du Canada et les services de police une relation d'échanges de renseignements et d'application des lois. Il existe donc d'autres façons de traiter ce problème.

Si on soupçonne qu'il existe au sein d'un établissement des problèmes de blanchiment d'argent, de fraude ou de contrebande de marchandises illégales ou illicites, il y a aussi d'autres recours. Cela donnerait lieu bien sûr à de nouvelles accusations criminelles en fonction des résultats des enquêtes, des activités de la police, et cetera.

Il n'y a pas vraiment de relation directe. En outre, les détenus n'ont pas accès aux revenus externes qu'ils peuvent avoir. Comme nous l'avons décrit, les détenus n'ont accès qu'à ce qui se trouve dans le compte de détenu, et cet accès est limité et contrôlé.

Le président : Merci de vos témoignages utiles. Nous avons beaucoup apprécié votre présence parmi nous aujourd'hui.

Notre prochain témoin est aussi un visage connu du comité. Il s'agit de Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.

Bienvenue, madame Pate. Je crois savoir que vous avez une brève déclaration liminaire avant que nous passions aux questions. Je vous laisse la parole.

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Nous remercions le comité de nous avoir invités à comparaître devant lui.

Comme vous le savez, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry est une association d'organismes de charité à but non lucratif de tout le pays qui œuvre principalement auprès des femmes et des filles victimisées, marginalisées, criminalisées et placées en établissement. Nous travaillons également auprès de certains hommes, mais nous œuvrons principalement auprès des femmes et des jeunes filles.

Je suis très heureuse de pouvoir prendre la parole au sujet de ce projet de loi et je suis également contente de voir que certains amendements y ont été apportés depuis que nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes dans le cadre de l'étude du projet de loi, surtout en ce qui a trait à la limite imposée à l'indemnité relative aux pensionnats autochtones.

Notre organisation tient à déclarer clairement qu'elle estime important que tous les citoyens s'acquittent de leurs obligations juridiques et financières, qu'il soit détenu, simple citoyen, membre du Service correctionnel du Canada ou sénateur.

Il existe déjà à l'heure actuelle des mécanismes pour que les détenus s'acquittent de telles responsabilités. Les témoins précédents vous en ont amplement fourni la preuve. En outre, le témoignage du commissaire hier laissait entendre que Service correctionnel Canada dispose déjà de mécanismes pour le paiement des créances qui ont déjà été enregistrées.

De plus, comme vous en avez parlé avec les témoins précédents, le projet de loi prévoit l'établissement d'un ensemble de mécanismes qui seront probablement très coûteux, complexes, lourds et superflus. En outre, ces mécanismes auront probablement une incidence — et là, je me fie au témoignage du commissaire lui-même — sur cinq délinquants en six ans. On doit se demander quel est l'objectif du projet de loi.

Nous préférerions certainement voir des mécanismes qui assureraient une plus grande responsabilisation en général. Si l'on tient compte des nombreuses ententes conclues — et si j'ai bien compris, elles sont exclues de l'application de ce projet de loi —, ainsi que les ententes dont il a été question par le Service correctionnel, soit les cinq ententes précisées, on constate qu'elles ont été établies à la suite de violations des droits de la personne par le Service correctionnel du Canada. On ne peut s'empêcher de remettre en question la valeur du projet de loi et de s'interroger sur le message qu'il essaie d'envoyer non seulement aux détenus, mais à toute la population canadienne.

Je vous encouragerais de faire en sorte que le projet de loi ne soit pas adopté à cette étape-ci ni à la prochaine étape et qu'un message clair soit envoyé à la Chambre basse selon lequel nous devons jouir d'une responsabilisation et d'une transparence en général et respecter les obligations en matière de droits de la personne ainsi que les droits et responsabilités de tous les citoyens canadiens.

En guise de conclusion, je tiens à faire remarquer qu'il aurait été difficile, en effet, de gérer l'affaire Ashley Smith si elle avait survécu et intenté des poursuites devant les tribunaux. En fait, si l'on avait une perception selon laquelle elle avait une dette à payer envers quelqu'un après avoir vu ses droits de la personne et ses droits protégés par la Charte être violés de façon claire, étendue et atroce, et qu'on laissait entendre qu'il est possible de puiser dans les ressources qui lui seraient versées en compensation pour avoir subi ces abus, il y en a beaucoup parmi nous qui s'interrogeraient sur la validité morale, financière et légale de ce type de mesures.

Je suis prête à répondre à vos questions et à contribuer davantage aux travaux du comité.

Le président : Merci. Nous allons commencer les tours de questions par le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi actuel, même s'il demeure perfectible, accorde la priorité à ce que le criminel respecte ses obligations familiales. Vous serez d'accord avec moi pour dire que le projet de loi s'adresse particulièrement aux hommes puisque beaucoup d'hommes sont incarcérés. En termes de pourcentages, je crois que c'est 90 p. 100 d'hommes versus 10 p. 100 de femmes.

Le projet de loi fera en sorte que les femmes et les enfants d'un criminel incarcéré puissent bénéficier d'une somme d'argent dans le cas où le criminel obtient des sommes en prison. Quant à la question de la dette, elle figure en quatrième place sur la liste des priorités du projet de loi. La première priorité, c'est le soutien familial.

Étant donné que vous êtes dans le milieu carcéral depuis longtemps, vous êtes certainement en faveur de l'amélioration des conditions des femmes et des enfants des criminels. Je sais qu'il y a une association canadienne qui vient en aide aux familles dont un proche est incarcéré. J'essaie de comprendre sur quels principes vous pourriez vous opposer, dans le cadre de ce projet de loi qui vise essentiellement une clientèle dont vous vous occupez.

[Traduction]

Mme Pate : Je vous remercie beaucoup de votre question.

[Français]

Je vais vous répondre en anglais, si vous le permettez.

[Traduction]

Le sénateur Boisvenu : Pas de problème, allez-y.

Mme Pate : Malheureusement, nous nous approchons de 10 p. 100, mais pour l'instant, les femmes ne représentent pas encore 10 p. 100 de la population carcérale dans le régime fédéral. Il s'agit du segment de la population carcérale qui s'accroît le plus rapidement, mais il n'a pas atteint la barre des 10 p. 100. En ce moment, les femmes représentent environ 5 à 6 p. 100 des détenus.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour affirmer qu'il est important de respecter ses obligations familiales. Or, il y a déjà des mécanismes à cet égard, comme l'a réaffirmé le commissaire, si je ne m'abuse, lorsqu'il est venu témoigner devant vous et comme l'a également affirmé le Bureau de l'enquêteur correctionnel. Nous n'avons aucune objection à ce que ces obligations soient appliquées.

Le problème, c'est qu'en créant un processus bureaucratique lourd et superflu, pour reprendre les mots du commissaire, on n'aura une incidence que sur très peu de personnes, voire une personne par année. Pourquoi établir un tel mécanisme si, en fait, ce n'est pas nécessaire? Je suis certainement d'accord pour dire que chacun doit s'acquitter de ses obligations.

Comme l'ont également indiqué les témoins précédents, la capacité des détenus de s'acquitter de ces obligations est très importante. En général, ils n'ont pas d'argent ni avant, ni pendant leur incarcération. Il y a en outre la question des salaires des détenus qui entre en jeu. Nous convenons certes que les détenus doivent respecter leurs obligations familiales et les ordonnances à cet égard, en particulier les pensions alimentaires pour les enfants et le conjoint. Toutefois, le projet de loi n'a rien à voir avec cela.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Prenons le cas de Shafia, qui a assassiné quatre femmes, ses trois filles ainsi que leur tante, et qui, durant sa période d'incarcération, a vendu son commerce pour la somme de 2,5 millions de dollars.

Quelle responsabilité ce criminel devrait-il avoir avec le gain provenant de la vente d'une propriété comme celle-là alors qu'il a tué quatre femmes? C'est simplement pour faire le lien avec la responsabilisation parce que je sais que cette loi s'appliquera au détenu qui est en période de libération conditionnelle.

Est-ce qu'il y a un mécanisme pour aviser la Direction des pensions alimentaires qu'un criminel est maintenant en liberté et qu'il a la capacité de remplir ses obligations?

[Traduction]

Mme Pate : Je ne suis pas certaine de comprendre en quoi le projet de loi pourrait aider dans les circonstances que vous venez de décrire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce que je veux dire, c'est que le projet de loi va faire en sorte que les sommes gagnées en prison, avec une poursuite et qui sont connues du système carcéral, iront en priorité à la famille. S'il y a poursuite au civil et que le criminel a un gain d'argent, cet argent servira d'abord à payer la pension alimentaire.

Le sénateur Rivest : C'est la Cour fédérale.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends. Mais normalement...

[Traduction]

Le président : Comme la situation est en train de déraper, nous allons passer à la vice-présidente du comité.

La sénatrice Fraser : Selon mon interprétation du projet de loi, les seules sommes visées à partir de la liste des créanciers sont celles qui seraient obtenues par le délinquant à la suite d'une ordonnance de dédommagement en exécution d'une décision définitive — et ce ne sont pas toutes les décisions d'un tribunal qui mènent à une compensation financière —, soit après un appel, dans le cadre d'une procédure judiciaire intentée essentiellement contre le gouvernement du Canada, ce qui exclut les règlements au civil.

Le sénateur Joyal : Ou le gouvernement du Québec ou de toute autre province.

La sénatrice Fraser : Oui, un gouvernement; donc, le gouvernement du Canada ou d'une province.

Revenons au témoin. Madame Pate, vous avez laissé entendre que la plupart de ces ordonnances de dédommagement seraient le résultat d'une violation des droits de la personne. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage? Avez-vous entendu parler de causes similaires et, le cas échéant, pouvez-vous nous les expliquer un petit peu? Jusqu'à présent, nous n'avons entendu aucune preuve tangible sur les personnes qui seraient effectivement touchées.

Mme Pate : Bien qu'on n'en discute pas publiquement, c'est un fait bien connu que le projet de loi a été motivé par une affaire précise dans laquelle le détenu a été dédommagé modestement — je crois qu'il s'agissait de 8 000 $ — à la suite d'une infraction relative aux droits de la personne. Les gens en ont été choqués, et je crois que cela semble être la raison pour laquelle on a proposé le projet de loi. C'est ce que bon nombre de personnes me disent au sein du milieu correctionnel, et il s'agit de membres du personnel plutôt haut placés. Si c'est vraiment le cas, il me semble que le projet de loi constitue une intervention qui va un peu loin.

Pour répondre à l'autre question, la seule affaire où une détenue a eu gain de cause durant un procès et a eu droit à un règlement du tribunal portait, à ma connaissance, sur la cause d'une femme ayant été victime de violation flagrante des droits de la personne et de ses droits garantis par la Charte. On lui avait fait subir des fouilles des cavités corporelles; elle n'avait pas eu droit à un avocat; on l'avait forcée à subir un contrôle radiographique par rayons X; et elle avait été confinée en cellule d'isolement pendant de très longues périodes de temps, même après avoir subi ces fouilles invasives. Elle a obtenu un modeste dédommagement. Je ne me rappelle pas de la somme exacte, car il y avait probablement aussi des frais juridiques à rembourser.

C'est là le seul exemple d'une délinquante que je connaisse. Je ne connais pas les détails des trois autres affaires. Je présume qu'il s'agissait d'hommes. D'après le témoignage précédent, je crois comprendre que le total des sommes versées en dédommagement était de 100 000 $ pour les cinq causes. Ce qui me frappe, c'est qu'annuellement, voire mensuellement, les coûts d'administration de ce mécanisme seraient plus élevés.

Parmi les règlements que je connais le mieux, je sais que l'un d'entre eux comprend une clause de non-divulgation. Je suis bien au fait d'un certain nombre d'affaires portées devant les tribunaux contre le Service correctionnel du Canada; dans certains cas, sachant qu'il risquait de perdre, le Service correctionnel avait décidé de faire une offre de règlement parce qu'il y avait eu violation des droits de la personne et des droits garantis par la Charte.

La sénatrice Fraser : Le projet de loi ne s'appliquerait pas à ces ententes?

Mme Pate : Non. Il s'agit de causes qui ont été portées devant le tribunal, mais qui font également l'objet d'une plainte auprès de la Commission des droits de la personne.

Le sénateur McIntyre : Madame Pate, je vous remercie de votre déclaration.

Le projet de loi C-350 a déjà été amendé à deux reprises. D'abord, par le comité de la Chambre des communes et ensuite, par la Chambre des communes. Récemment, l'ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels a déclaré, dans un rapport remis à votre comité, que non seulement elle était d'accord avec le projet de loi C-350, mais qu'elle recommandait un amendement qui comprendrait la saisie de certains revenus des délinquants, à savoir le remboursement de la TPS, les chèques, l'assurance-emploi, les prestations fiscales, et cetera. J'ai écouté votre exposé et j'en conclus manifestement que vous n'appuyez pas sa recommandation, mais j'aimerais toutefois savoir ce que vous en pensez.

Mme Pate : Je crois que grâce à des projets de loi adoptés auparavant, certaines des sommes perçues par les délinquants ont été réduites. Je crois qu'il est déjà peu probable que ces sommes puissent être acheminées aux détenus. Par conséquent, le coût administratif associé à un tel mécanisme, même s'il y avait des sommes à récupérer, aussi minimes soient-elles, dépasserait de beaucoup ce qui serait perçu.

Il existe déjà des mécanismes et des ordonnances d'application rattachés aux décisions des tribunaux de la famille en ce qui a trait aux pensions alimentaires destinées aux conjoints ou aux enfants. Nous souhaitons certainement que ces ordonnances soient respectées et administrées. Il y a un problème plus grave : la capacité de payer. N'importe lequel de ces nouveaux mécanismes présuppose une hausse de la capacité probable de paiement. J'aimerais bien savoir sur quoi s'est fondé le bureau de l'ombudsman pour formuler cette recommandation. Quelqu'un au sein de ce bureau détient-il des renseignements selon lesquels de fortes sommes d'argent seront bientôt versées aux détenus? Je ne crois pas que cela soit le cas et, si ces renseignements existent, alors je n'étais pas au courant.

La sénatrice Jaffer : Merci, madame Pate de l'excellent travail que vous réalisez. Nous discutons d'ordonnances ou de pensions alimentaires et, étant donné que les sociétés Elizabeth Fry s'occupent surtout des femmes, j'aimerais vous poser une question et je vous invite à vous fonder sur votre expérience pour y répondre.

La plupart des mères ont la garde de leurs enfants. Malheureusement, si elles vont en prison, elles pourraient en perdre la garde. J'ai de la difficulté à imaginer qu'un juge puisse émettre une ordonnance de paiement de pension alimentaire pendant l'incarcération. Avez-vous déjà rencontré des femmes qui font l'objet d'une ordonnance de paiement de pension alimentaire? Peut-être qu'il y en a, mais je ne tiens pas à exagérer. Toutefois, je serais fort étonnée qu'une ordonnance alimentaire soit émise à l'endroit d'une détenue pendant son incarcération.

Mme Pate : Je ne connais aucun cas de la sorte. Il pourrait y en avoir. Environ deux tiers des délinquantes en établissement ont des enfants; environ 90 p. 100 d'entre elles sont chefs de famille monoparentale avant d'aboutir en prison. Environ 90 p. 100 de ces enfants finissent sous la tutelle de l'État. Souvent, même si elles arrivent à obtenir une ordonnance alimentaire à l'endroit du père putatif ou du conjoint, il est très rare que les sommes soient perçues, voire consignées.

Je crois que le principal problème, c'est la question générale de la capacité de ces femmes de faire vivre leurs enfants, d'abord et avant tout.

La sénatrice Jaffer : Il y a un autre point qui me préoccupe au sujet du projet de loi. Je suis ravie de voir que les règlements relatifs aux pensionnats indiens sont exclus du projet de loi, mais il y a une deuxième vague de jugements qui seront rendus contre le gouvernement, c'est-à-dire en ce qui a trait aux externats. Or, on n'en fait pas mention. Il y aura bientôt toutes sortes de règlements qui seront conclus au sujet des externats, et les sommes versées en compensation seront visées par le projet de loi. Nous n'en avons même pas parlé.

De plus, bon nombre des femmes qui aboutissent en prison ont été victimes d'agression sexuelle. Il pourrait y avoir des règlements qui seront conclus avec le gouvernement et qui seront exclus du projet de loi. Qu'en pensez-vous?

Mme Pate : Merci de me donner l'occasion de clarifier ce que j'ai dit précédemment et d'en dire plus à ce sujet. Je crois qu'il serait répugnant d'inclure un règlement pour une violation des droits de la personne ou un règlement concernant les pensionnats ou les externats. Il y a un certain nombre de survivantes qui ont reçu des règlements parce qu'elles ont été victimes de mauvais traitements dans un centre de détention pour jeunes, entre les mains de la direction de la protection de la jeunesse ou d'autres institutions. Je crois qu'il serait ignoble de penser que ces infractions à leurs droits les exposent à d'autres empiétements de leurs droits civils dans ce contexte.

Il est difficile d'imaginer comment cela pourrait se produire. Cependant — et je n'aime pas avoir l'air paranoïaque au nom des femmes que je défends —, s'il y avait de nouveaux mécanismes pour permettre d'utiliser ces fonds qui n'existent pas actuellement, au-delà de la suramende compensatoire pour la victime et les autres mécanismes semblables, il faudrait examiner l'ampleur des violations qui ont eu lieu. Nous savons que 91 p. 100 des femmes autochtones, environ 80 p. 100 des femmes en général, ont été victimes d'agressions physiques ou sexuelles. Si plus de demandes étaient approuvées — il n'y en a pas autant qu'on le croit —, la notion que les règlements puissent être récupérés selon un tel mécanisme serait, d'après moi, immoral et remettrait en question la loi qui imposerait ce genre de valeur.

Le sénateur Joyal : Il y a un aspect du projet de loi qu'on n'a pas très bien couvert, et c'est le fait qu'on nous a dit hier qu'il y avait eu environ cinq cas au cours des huit dernières années. On ne nous a pas dit quel était le montant en jeu. Je ne dirais pas qu'il s'agit de millions de dollars, mais parle-t-on d'un montant important? De plus, quelle était la nature du montant accordé? En d'autres mots, quel tribunal, ministère ou organisme du gouvernement fédéral a tranché en faveur des détenus? Avez-vous des renseignements à ce sujet?

Mme Pate : Comme je l'ai dit plus tôt, je ne connais qu'un seul cas, concernant une femme. Je ne sais pas combien elle a reçu; il s'agissait d'environ 20 000 $, je crois, avant le paiement des frais juridiques. Conséquemment, je ne sais pas quelle part de ce montant elle a vraiment reçue.

Je crois que l'un des hommes — dans le cas que je connais...

Le sénateur Joyal : Quel était ce cas?

Mme Pate : C'est celui de la femme dont j'ai parlé et qui était sortie lors d'une permission. Une tierce partie a dit qu'elle rapportait peut-être de la drogue. Elle a demandé à connaître ses droits, mais en gros, on lui a dit que si elle n'était pas coupable, elle n'avait pas besoin d'avocat. Puis, on lui a dit qu'elle devait se soumettre à toutes les fouilles demandées.

C'est ce qu'elle a fait. Elle a été soumise à une fouille à nu, à une fouille des cavités corporelles et à une radiographie. On alléguait — ça semble incroyable, et ce l'était — qu'elle avait peut-être caché de la drogue derrière un organe. C'est ce qui a été allégué après qu'elle a passé une radiographie. Les allégations venaient d'un ou plusieurs agents correctionnels. Puis on l'a placée dans une cellule sèche, c'est-à-dire une cellule d'isolement sans eau courante, ce qui veut dire qu'elle ne pouvait pas faire ses besoins ou se laver. On l'a laissée là pendant une longue période.

Ensuite, même après l'avoir libérée de la cellule sèche, une fois qu'il était clair que tout ce qui se trouvait à l'intérieur aurait été évacué, on l'a placée en isolement pendant une longue période. On l'a accusée et punie comme si elle avait vraiment commis l'acte. En raison de cette situation, elle a présenté une série de plaintes et, après un certain temps, lancé une poursuite.

Le sénateur Joyal : Qu'en est-il du cas de l'homme?

Mme Pate : Je n'en connais pas les détails. Je suis au courant uniquement parce que des blagues ont été contées à ce sujet dans les couloirs du service correctionnel, ce qui est déplorable. Il était question d'un détenu qui n'était pas populaire auprès du personnel et qui a lancé une poursuite concernant une paire d'espadrilles. On lui avait donné la mauvaise pointure, le résultat étant qu'il s'était blessé. On m'a dit qu'il avait reçu 8 000 $. L'essentiel, ce n'est pas si je le crois ou non; j'accepte que c'était bien le montant. Tout cela pourrait s'additionner pour faire 25 000 $ ou 28 000 $ en demandes d'indemnisation.

On m'a dit que le montant total des cinq cas avoisine les 100 000 $.

Le sénateur Joyal : Essentiellement, dans ces deux situations, il s'agit d'une indemnisation pour les actes répréhensibles des responsables des prisons?

Mme Pate : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Il s'agit essentiellement de ce que nous discutons.

Mme Pate : C'est exact.

Le sénateur Joyal : L'autre point que je veux soulever auprès de vous est la question des salaires que les témoins précédents ont évoquée dans leur mémoire. Est-ce que le même maximum s'applique aux femmes détenues, c'est-à-dire 6,90 $ par jour depuis 1981?

Mme Pate : C'est exact. On encourage les détenus à poursuivre leurs études, même si aucun financement n'est versé au-delà de la 10e année.

Il est intéressant que la famille d'Ashley Smith et qu'un autre groupe d'anciens détenus viennent de faire un don à la bourse commémorative des sociétés Elizabeth Fry, qu'on verse aux détenus. Nous avons établi cette bourse en 1992, lorsque le Service correctionnel du Canada a décidé d'éliminer l'instruction postsecondaire offerte aux détenus.

Même dans le cas d'un diplôme de formation générale, on ne fournit pas nécessairement du financement. Dans certains cas, on en offre si cela fait partie du plan de traitement correctionnel, mais rien n'est prévu pour la formation.

Il existe aussi une initiative d'alphabétisation. On s'attend à ce que les gens terminent leur 10e année, préférablement leur 12e. Si une détenue n'a pas terminé sa 12e année, on s'attend à ce qu'elle fréquente l'école à temps partiel, ce qui réduit son salaire de moitié. Ainsi, très peu de femmes réussissent à gagner le montant maximal de 6,90 $ par jour.

Le minimum est ce que l'on verse aux femmes récemment arrivées à l'établissement, c'est-à-dire 2,50 $ par jour. De plus, il y a une pénurie d'emplois. Si une détenue ne peut pas travailler parce qu'elle est trop vieille, qu'elle n'a pas la capacité physique pour travailler, ce qui est vrai pour certaines détenues, ou parce qu'il n'y a pas d'emploi, on lui verse le minimum.

Dans les pénitenciers pour femmes, en particulier, le nombre de possibilités d'emploi est insuffisant. Je ne connais pas le nombre exact en ce moment. Le Service correctionnel du Canada serait une source plus fiable, mais nous pouvons certainement nous renseigner. Nos porte-parole visitent ces établissements. Un des problèmes que nous avons soulevés est l'insuffisance des possibilités d'emploi, dans tous les cas, non pas à cause de l'indemnisation financière, mais parce que les détenues souhaitent travailler et obtenir des compétences améliorant leur employabilité en vue d'avoir des possibilités d'emploi après leur libération.

Le sénateur Joyal : Ce qui me préoccupe, c'est que même si un détenu veut réparer le tort causé à sa victime, ou compenser pour des dommages faits à une propriété ou à un bien, dans le but de montrer qu'il est psychologiquement disposé à reconnaître le tort, le système ne lui permet pas de poser ce geste, car les montants sont si minimes qu'une personne ne pourrait jamais vraiment s'acquitter de sa responsabilité envers sa victime.

Mme Pate : Sénateur, j'ajouterai quelques mots à ce que vous venez de dire, et je répondrai à la question qui a été soulevée par vos collègues. Une des choses les plus difficiles pour les femmes est le fait que beaucoup d'entre elles, si elles sont en communication avec leurs enfants ou si elles ont trouvé un moyen de communiquer avec ceux-ci, vont souvent envoyer de l'argent aux personnes qui s'occupent de leurs enfants. L'argent ne sert pas seulement à acheter des cadeaux, quoi qu'on en dépense pour des cadeaux d'anniversaire ou pour les vacances, mais c'est aussi pour venir en aide aux enfants.

Je sais que plusieurs femmes, à un moment donné, pouvaient obtenir des primes de rendement, et une grande partie de cet argent, sinon la totalité, était envoyée à la collectivité pour aider ceux qui s'occupaient de leurs enfants. Parfois, il s'agissait des membres de leurs familles; d'autres fois, c'était la parenté ou des amis. Parfois, les enfants étaient placés auprès des services sociaux, mais il demeure que les mères envoyaient leur argent à ceux qui s'occupaient de leurs enfants.

Le sénateur Joyal : Quel genre de travail les détenues effectuaient-elles pour gagner de l'argent?

Mme Pate : Dans son rapport de 2003, la Commission canadienne des droits de la personne a fait le commentaire suivant, en réponse à la dernière série de plaintes qu'elle avait reçues, en citant une femme qui avait dit : « J'essaie d'acquérir des compétences et de travailler, mais tout ce qu'on m'offre, c'est une vadrouille, une spatule et un séchoir à cheveux », ou quelque chose comme ça. En fait, la coiffure n'est plus enseignée; on apprend plutôt à nettoyer et à entretenir la cour.

Une autre femme avait l'occasion de faire des travaux de construction. Dans le passé, d'autres femmes, logées dans une institution à sécurité minimale, depuis fermée par le Service correctionnel à Kingston, avaient pu faire des travaux pour VIA Rail de temps à autre, et elles gagnaient jusqu'à 10 $ par jour. Mais il n'y avait pas plus que cela.

Le Québec est le seul endroit où il existe une véritable industrie, ce qui est horrible, ironique et tragique, étant donné le passé d'agressions sexuelles subies par ces femmes, comme ceux d'entre vous qui ont regardé l'émission Unité 9 le savent. Cette émission est basée en partie sur ce qui s'est passé à Joliette. En fait, la seule occupation que je connais au sein des Services correctionnels aujourd'hui, à part une poignée de projets dans d'autres prisons, est un projet de couture à Joliette où les femmes cousent des caleçons pour tous les détenus au Canada. Il ne faut pas oublier que la plupart des détenues ont été victimes d'agressions sexuelles — et voilà leur occupation principale.

Il y a quelques autres occupations ici et là. Il y avait jadis un projet pour les gens ayant une déficience intellectuelle, ainsi qu'un atelier protégé à Grand Valley. Il y a aujourd'hui quelques bons projets, tels que la préparation des repas à Fraser Valley et le dressage de chiens pour venir en aide aux gens et, plus particulièrement, aux enfants.

Ce sont tous des projets ou des initiatives louables, mais qui n'emploient pas un grand nombre de femmes. Au plus, quelques femmes seulement peuvent y participer à la fois, à part la couture de caleçons à Joliette, et ces compétences ne s'appliquent pas vraiment à d'autres domaines.

Pendant un certain temps, il existait à l'établissement d'Edmonton pour les femmes une industrie du graphisme, mais on ne pouvait pas acquérir la technologie informatique, qui est l'outil principal en graphisme. C'était de la sérigraphie et d'autres activités, qui sont intéressantes pour une industrie dite artisanale, mais cela ne fournissait aucun débouché sur le marché de l'emploi une fois que les détenues étaient libérées. C'est très limité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Depuis ce matin, on parle des faibles revenus gagnés par les détenus. J'aimerais vous rappeler qu'il y a des gens très riches qui vont aussi en prison, comme les bandits à cravate, qui ont eu le temps de mettre leurs biens à l'abri à cause de la longueur des procédures judiciaires. On a qu'à penser aux motards criminalisés, aux trafiquants de drogue, sans parler de M. Vito Rizzuto, qui a été un pauvre détenu pendant plusieurs années. On a beaucoup parlé de la capacité de payer des montants minimes que les gens reçoivent en prison.

Dans mes fonctions antérieures, j'ai connu un cas où un individu avait été reconnu criminellement responsable d'un accident où il y avait eu des morts. Par contre, ayant été lui-même blessé, il recevait de généreuses prestations de la Société de l'assurance automobile. Au Québec, les gens qui vont en prison à la suite d'accidents pour conduite avec facultés affaiblies et après de multiples répétitions reçoivent de très généreuses indemnités de la Société de l'assurance automobile.

Le projet de loi vise à mettre en place des mécanismes plus rigoureux pour responsabiliser les détenus quant à leurs obligations. Je comprends qu'il y a des mécanismes en place, comme vous l'avez mentionné, comme dans toute autre organisation, mais de ce fait, doit-on cesser de penser à les améliorer ou les optimiser? J'aimerais vous entendre là- dessus s'il vous plaît.

[Traduction]

Mme Pate : Je ne suis pas certaine que la situation de la Société de l'assurance-automobile du Québec serait visée par le projet de loi. Vous me corrigerez si je me trompe. J'avais compris en lisant le projet de loi que ce n'était pas le cas.

Je ne suis certainement pas en désaccord avec vous. Beaucoup de gens qui ont de grands moyens réussissent à échapper à la responsabilité criminelle et à la responsabilisation, tout court, sans compter leurs responsabilités financières. On ne les voit pas souvent en prison, et il ne s'agit pas nécessairement des gens qui font l'objet de poursuites. Si nous parlons de cet aspect de la reddition de comptes, nous devons discuter des différents moyens permettant d'empêcher les gens à se cacher derrière d'autres mécanismes grâce à différents types de privilèges qui leur sont accordés, que ce soit en raison de leur poste, de leur pouvoir ou de leur situation financière.

Je ne m'opposerais pas à une telle discussion. Je ne pense pas cependant qu'il en soit question ici. S'il existe de telles situations, je pense qu'elles seraient très rares. Je serais la première à vous le dire : si quelqu'un dispose de grands moyens et d'opportunités, qu'il les dissimule et qu'il évite de rendre des comptes, je n'aurai aucune objection à ce qu'on essaie de trouver des moyens pour résoudre ce problème. Par contre, je ne vois pas de solution dans le projet de loi.

Le président : Il nous reste quelques minutes. Quelqu'un souhaite-t-il poser une question?

Puisque personne ne souhaite intervenir, madame Pate, merci encore une fois d'avoir été des nôtres pour contribuer à notre étude et communiquer le point de vue de votre organisation.

Mme Pate : Merci beaucoup, sénateur Runciman.

Le président : Nous vous en sommes très reconnaissants.

Nous passons au prochain groupe de témoins, et je remercie nos témoins pour leur présence aujourd'hui. Madame Jong et madame Latour, le fonctionnement du comité ne vous est pas inconnu, et vous avez déjà comparu devant les membres. Madame Jong, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire, après quoi nous passerons à Mme Latour. Souhaitez-vous procéder de cette manière? Vous avez la parole.

[Français]

Joanne Jong, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner sur ce projet de loi. Le projet de loi C-350 a été déposé en Chambre le 17 novembre 2011 et s'inscrivait dans la foulée du projet de loi C-10 visant et réprimer la criminalité. C'était un projet de loi audacieux et avant-gardiste.

Le projet de loi C-350 a pour but de responsabiliser les criminels en les obligeant à dédommager leurs victimes. Le dédommagement des victimes est une notion très importante pour nous, victimes d'acte criminel.

Lors des colloques tenus ce printemps 2013, organisés par l'ombudsman fédéral des victimes d'acte criminel et par l'AFPAD, ce principe même est au centre des revendications des victimes, celui de responsabiliser les criminels en les obligeant à dédommager leurs victimes pour les torts qu'ils ont causés.

Vous êtes au courant que le gouvernement a annoncé, en février 2013, la création d'une charte des droits des victimes d'acte criminel. Cette charte pourrait contenir notamment un renforcement de l'obligation des criminels de dédommager leurs victimes pour les préjudices subis. Une consultation publique sur ces initiatives est présentement en cours. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition définissent le concept tel celui de victime d'acte criminel.

L'article 2 définit la victime comme la personne ayant subi des dommages corporels ou moraux suite à la perpétration d'une infraction. Il s'agit là de dommages inhérents à la personne et qui justifient le principe de réparation des dommages subis par la victime.

À mon avis, il est primordial que le projet de loi C-350 s'harmonise avec la Loi sur le système correctionnel et avec la charte des droits des victimes, qui sera déposée à l'automne prochain, afin que l'ensemble des lois forment un tout cohérent. Il est également impératif que l'étude du projet de loi se fasse dans cette perspective et que l'on évite d'inscrire dans la Loi sur le système correctionnel un mécanisme de réparation des dommages qui se trouverait subordonné au projet de loi C-350.

Ce risque est bien réel. En effet, lors de son témoignage devant ce comité, le 30 mai dernier, le parrain de ce projet de loi, le député Guy Lauzon, a introduit une notion que je trouve très dangereuse pour les victimes d'acte criminel. M. Lauzon tente d'imposer, via ce projet de loi, la notion que le conjoint et les enfants des criminels sont non seulement des victimes, mais les principales victimes. Cela me cause un énorme problème.

Selon lui, non seulement les conjoints et enfants seraient des victimes, mais ils devraient être dédommagés en priorité, avant même que le soient les victimes d'acte criminel. À plusieurs reprises, il a insisté sur cette priorisation et l'idée me révolte au plus haut point.

Dans son témoignage du 26 avril 2013, il a déclaré ce qui suit :

Souvent négligés, l'époux et les enfants du délinquant sont également des victimes de ces crimes. Je ne saurais trop insister là-dessus. Je crois que son conjoint, peu importe son sexe, vit dans la honte et dans la souffrance. Toutes ces personnes sont des victimes au même titre que les victimes des crimes perpétrés. Imaginez-vous un instant qu'une personne est sauvagement battue et se retrouve en fauteuil roulant pour le reste de ses jours. Elle a été ciblée par un criminel. C'est une victime. Personne n'en doute. Elle a subi des torts, elle souffre, elle a des besoins.

Donc, selon le principe du projet de loi C-350, cette victime serait moins victime que la conjointe et les enfants de l'agresseur puisque dans l'ordre de colocation des dettes, l'argent irait d'abord aux proches du criminel puis à l'État, et des miettes iraient au dédommagement de la victime imposé par une ordonnance de dédommagement imposée par un juge. Impensable. Cette victime serait dédommagée après la conjointe et les enfants. C'est absolument révoltant.

De plus, cette notion va à l'encontre de la Loi sur les services correctionnels qui ne reconnaît pas les proches des criminels comme étant des victimes. Je trouve extrêmement dangereux d'y changer quoi que ce soit. Qui plus est, le principe que les conjoints et enfants soient dédommagés en priorité, avant les vraies victimes, laisse la porte grande ouverte à la fraude : mariage frauduleux, séparation et divorce frauduleux, dans le but de mettre à l'abri tous les montants à recevoir et tous les biens des criminels et les mettre entre les mains des proches.

Il est déjà courant que les gens se soustraient de leurs obligations avec des opérations de ce genre, et maintenant ce serait permis par une loi fédérale? Pour ce qui est des droits aux pensions alimentaires pour conjointe et pour enfants reconnus de longue date, je trouve que ce point dans ce projet de loi est absolument inutile. En effet, ce sont les provinces qui veillent à ce que les débiteurs payent les montants qu'ils doivent.

Par exemple, la province de Québec a mis en place un mécanisme de perception automatique. À l'opposé, les droits des victimes d'acte criminel ne sont qu'à leurs balbutiements et ne sont reconnus dans aucune loi. En bref, ce point spécifique de ce projet de loi sabotera les droits des vraies victimes d'acte criminel. Selon une étude de Justice Canada, ce sont les victimes qui supportent les coûts de la criminalité au Canada dans une proportion de 83 p. 100.

Nous, les victimes d'acte criminel, sommes constamment revictimisées. Il est grandement temps que nous ayons des droits fondamentaux afin de faire payer les criminels pour les dommages qu'ils nous ont causés. Est-ce que les conjoints et les enfants des criminels subissent des conséquences? Absolument. Subir des conséquences et être victime sont deux principes totalement différents.

Beaucoup de personnes subissent les conséquences d'un crime. On n'a qu'à penser aux amis, aux voisins, aux collègues, aux témoins et aux policiers. À ce compte, est-ce qu'il faudrait aussi tous les inclure dans la notion de victime?

Toutefois, la Loi sur le système correctionnel définit une victime comme une personne ciblée par les criminels et ayant subi des blessures physiques ou morales la suite à la commission d'un crime. Ce genre de dommages ne devraient-ils pas être considérés comme étant prioritaire à une créance alimentaire?

L'autre problème avec la priorisation proposée, c'est qu'elle va à l'encontre de la législation existante. En effet, les montants dus à Sa Majesté ont priorité sur les autres dettes. La suramende devrait donc être acquittée en premier, suivie par les ordonnances imposées en vertu du Code criminel.

À mon avis, deux possibilités sont envisageables : soit poursuivre l'étude du projet de loi C-350, après l'adoption de la charte des droits des victimes, afin de s'assurer de l'harmonisation de toutes les initiatives, soit apporter les amendements au projet de loi C-350 afin qu'il respecte la législation en vigueur et celle qui est proposée.

Cela dit, le nouveau libellé préciserait le but du système correctionnel fédéral par l'ajout suivant : [...] en encourageant la responsabilisation des délinquants afin qu'ils s'acquittent de leurs obligations envers leurs victimes.

Je propose les amendements suivants au projet de loi C-350.

[Traduction]

Le président : Nous vous avons accordé plus de temps. Vous avez dépassé de loin les cinq minutes. J'aimerais céder la parole à Mme Latour afin qu'elle puisse faire sa déclaration.

[Français]

Mme Jong : Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer sur le projet de loi.

Nicole Latour, à titre personnel : Monsieur le président et honorable sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à comparaître.

Suite à ma comparution à l'appui du projet de loi C-10, je suis heureuse de constater que certains points que j'avais soulevés vont de l'avant en ce qui concerne le projet de loi C-350.

Mon discours sera très nuancé par rapport à celui de Mme Jong.

Je suis retraitée depuis 2007 au terme de 42 ans de travail, dont 37 ans au sein de la Fonction publique fédérale, principalement au Service correctionnel du Canada. J'ai occupé divers postes, notamment de secrétaire de direction, directrice-adjointe à l'administration, de greffière d'audience à la Commission canadienne des libérations conditionnelles et finalement d'analyste aux affaires des détenus de l'Administration du Québec.

J'ai donc acquis une connaissance de la loi et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de diverses politiques et directives relativement aux droits et recours des délinquants aux plaintes et griefs, incluant le traitement des réclamations contre la Couronne et la gestion des programmes correctionnels. À mes yeux, ceux-ci sont étroitement liés à la responsabilisation des délinquants préconisée par le projet de loi C-350 et aux bienfaits potentiels qui en résulteront, pour les délinquants comme pour les victimes d'actes criminels.

Par ailleurs, je suis sensible à la justice naturelle et à l'équilibre des droits entre les délinquants et les victimes. En effet, mon expérience au SCC se greffe à mon expérience personnelle face aux conséquences de la perpétration de crimes. J'ai toujours affirmé qu'une victime était unique dans sa façon de réagir à des infractions criminelles et dans ses capacités de se reconstruire. Malgré mes connaissances du domaine correctionnel, je ne fus pas épargnée par des séquelles importantes résultant de crimes majeurs contre certains de mes proches, notamment le meurtre gratuit de mon frère, en 1992, le vol qualifié dont furent victimes ma fille enceinte de sept mois et ma bru, en 1994, commis par un récidiviste qui était en liberté illégale depuis 11 mois. Il a été condamné à une peine de cinq ans pour ces délits. Après l'expiration de ce mandat, il fut reconnu comme étant l'auteur de quatre meurtres au deuxième degré commis entre 1990 et 1999. Je peux dire que mes deux filles l'ont échappé belle.

Ces expériences m'ont orientée vers une sensibilité et une compassion significatives à l'égard des victimes. Celles-ci m'ont motivée à mieux cerner les effets post-traumatiques d'une victime de crime, dans le cadre de mes fonctions au SCC, sans négliger mon devoir de respect à l'égard des délinquants en conformité avec la mission du SCC.

Depuis ma retraite, je me consacre désormais à la défense des droits des victimes, un peu pour rééquilibrer mes énergies, réservées pendant tant d'années au service des délinquants à l'égard desquels je crois à la réinsertion sociale sans entretenir de pensées magiques pour certains d'entre eux qui n'y parviendront pas.

J'estime que le projet de loi C-350 est très logique et qu'il s'inscrit parfaitement dans les objectifs du SCC visant la réinsertion sociale des délinquants. Il m'est toujours apparu comme insensé de ne pas imposer aux délinquants l'obligation de rembourser un dédommagement à l'égard de leur(s) victime(s) alors qu'ils sont assujettis à l'obligation de rembourser la Couronne s'ils endommagent les biens de l'État au cours de leur incarcération.

Il m'apparaît tout à fait essentiel d'encourager la responsabilisation des délinquants et qu'ils s'acquittent de leurs obligations envers la société. En conséquence, j'appuie les dispositions de l'article 78.1(1) du projet de loi C-350 visant qu'une indemnité versée à un délinquant en exécution d'une décision définitive d'un tribunal administratif ou judiciaire dans le cas d'une action ou procédure engagée contre Sa Majesté du chef du Canada, contre l'un de ses mandataires ou contre des employés soit payée en priorité pour toute somme en vertu d'une ordonnance alimentaire rendue par un tribunal compétent. Comme certains délinquants n'ont jamais respecté une telle ordonnance avant leur incarcération, il est possible que cette alternative permette de stimuler leur estime de soi et de leur offrir de meilleures chances de réintégrer adéquatement la société.

Vous pouvez constater que mes propos sont très nuancés comparés à ceux de Mme Jong, mais j'ai été intégrée par la gestion des programmes correctionnels, ce qui a dû avoir une influence sur moi.

Quant à l'établissement de la priorité accordée au versement d'une pension alimentaire ordonnée en faveur d'un enfant et/ou du conjoint d'un délinquant, j'ai tendance à la soutenir puisque dans certains cas, ces personnes peuvent être victimes de violence conjugale ou familiale sans avoir connu de rupture officielle avec le délinquant. Parfois, la famille du délinquant vit des difficultés et devient victime, compte tenu de l'abandon auquel elle doit faire face après l'incarcération du conjoint. Je n'ai aucun doute que certains membres de la famille des délinquants doivent être aux prises avec des difficultés semblables à celles de certaines victimes de leurs crimes. Il n'est pas question ici de mesurer l'ampleur du degré de souffrance ni de la gravité des séquelles entre ces deux catégories de victimes, c'est-à-dire les victimes d'actes criminels et les victimes, par ricochet, de la famille du délinquant. Le fardeau qui incombe aux victimes d'actes criminels n'en sera qu'atténué avec de telles mesures.

Mon statut de membre de l'Association québécoise de Plaidoyer-Victimes et de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues fait en sorte que j'apprécie à un degré élevé les mesures prises dans le cadre de la responsabilisation des délinquants. Comme le Code criminel prévoit que le tribunal doit tenir compte de la déclaration de la victime, cette dernière devrait, en principe, exposer les dommages et les pertes causées par la perpétration d'un crime, à court comme à moyen terme. J'espère que les juges seront plus ouverts aux ordonnances de dédommagement, bien qu'elles soient discrétionnaires et réservées dans des cas appropriés, selon des critères établis à l'article 738.1 du Code criminel.

Depuis déjà plusieurs années, je déplore qu'un délinquant ne soit pas assujetti à une ordonnance de dédommagement, compte tenu de l'ampleur des séquelles qui émergent de certains crimes contre la personne ou contre la propriété, sans écarter les effets désastreux de crimes économiques ou ceux liés à la loi contre les stupéfiants. Lorsqu'on doit composer avec des lois, des règlements, des principes et des objectifs permettant de croire qu'un délinquant puisse redevenir un citoyen respectueux des lois, il est fondamental qu'il doive faire face à ses obligations de dettes comme tout citoyen honnête et respectueux des lois doit faire des efforts quotidiens pour assumer ses obligations.

Quant aux victimes d'actes criminels, elles sont indéniablement confrontées à des charges financières accrues à la suite de la perpétration de crimes qui les entraîne involontairement vers des besoins, de longue durée parfois, créant indubitablement des soucis majeurs pour leur survie et la poursuite de leur cheminement. Dans plusieurs cas, leurs ressources financières insuffisantes ne permettent pas de répondre à leurs besoins en matière d'assistance psychologique dont le nombre offert par les organismes provinciaux est limité. Dans d'autres cas, leur accès aux services juridiques, pourtant nécessaire à la suite de conséquences fâcheuses entraînées par les actes criminels, demeure parfois impossible car ils ne se qualifient pas pour la gratuité de ressources d'aide juridique à cause de leurs revenus de travail alors que les délinquants y ont plus facilement accès.

Certaines victimes de crimes économiques et de fraude plongent dans un tel désarroi que certaines se sont suicidées à la suite de pertes considérables. Certaines d'entre elles ont parfois dû retourner sur le marché du travail après avoir été à la retraite depuis de nombreuses années. Je ne doute aucunement que le projet de loi C-350 permettra aux victimes de se sentir mieux respectées. Trop souvent, des victimes affirment avoir le sentiment que les criminels ont tous les droits. Elles sont maintenant mieux écoutées et il m'est permis de croire que le gouvernement actuel est orienté sur la bonne voie pour rétablir l'équilibre au sein de notre système de justice pénale.

En ce qui concerne la suramende compensatoire, je suis ravie de cette mesure puisqu'elle servira à financer les programmes et les services d'aide aux victimes d'actes criminels dans leur province respective où l'acte criminel a été commis. Il va sans dire que les limites budgétaires gouvernementales pourraient faire diminuer les diverses subventions accordées à divers organismes œuvrant pour les services aux victimes. La suramende pourra définitivement contribuer à les maintenir, du moins dans une certaine mesure.

Je remercie tous ceux qui ont à cœur le sort si injuste des victimes d'actes criminels et l'établissement des mesures permettant de responsabiliser les délinquants aux conséquences de leurs gestes criminels.

Comme vous l'avez vu, c'est très nuancé.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, mesdames Latour et Jong. Vous avez un discours très nuancé.

En principe, madame Jong, la question que je vous poserais est la suivante : est-ce que vous êtes catégoriquement opposée à ce projet de loi ou si comme d'autres intervenants, dans le fond, vous êtes pour les victimes d'actes criminels? Celles avec qui j'ai traité du projet trouvent que la priorisation dans l'attribution des fonds, si fonds il y a, devrait en principe prioriser les victimes plutôt que les proches des criminels? Est-ce que c'est à ce niveau-là?

Mme Jong : Oui, tout à fait. J'appuie ce projet de loi, mais je trouve que la priorisation est erronée et que les aliments pour les conjoints et les enfants ne devraient même pas être dans ce projet de loi.

Le sénateur Boisvenu : Madame Latour, vous avez travaillé plusieurs années dans le domaine carcéral.

Mme Latour : Moi, je l'ai vu de façon différente.

Le sénateur Boisvenu : Votre nuance vient peut-être de là.

Mme Latour : Pas rien que de là.

Le sénateur Boisvenu : La question que je vous poserais, à partir de votre expérience dans le domaine carcéral, la prise de position des gens qui sont venus et qui défendent l'autre côté, qui sont un peu contre ce projet de loi et qui ont plus une vision du domaine carcéral, je dirais du soutien au criminel, votre perception que vous avez de cette clientèle dans les pénitenciers fédéraux, est-ce qu'il y en a un certain nombre qui peuvent effectivement supporter leur famille, mais qui ne le font pas par négligence ou irresponsabilité?

Mme Latour : Je pense que la plupart des délinquants ne font pas face à leurs responsabilités. J'ai vu des exceptions qui sont très proches de leurs liens familiaux et affectifs.

Ce qui m'a motivé à nuancer tout cela, ce n'est pas juste mon expérience au service correctionnel. En passant, en ce qui a trait à la réclamation contre la Couronne, il y a beaucoup de détenus qui abusent de notre système, comme dans le système de plaintes et griefs. J'ai vu des cas où la Couronne est obligée de verser des montants assez substantiels et on retrouvait finalement de la magouille à travers les détenus. Ils s'arrangeaient pour perdre leurs effets personnels.

Mais on est aux prises avec nos lois, nos directives, nos instructions permanentes, la directive du commissaire qui traite des recours à la Couronne. Si un employé néglige de reporter dans des registres certains effets, on est fait, il faut payer.

Mes nuances viennent aussi des lois et des règlements par rapport aux enfants et la pension alimentaire. Je l'ai vu autrement que Mme Jong, mais je la comprends parfaitement dans son argumentation. Au départ, on est régi par des lois sur le divorce, la Loi du patrimoine. J'ai été d'accord avec la priorité parce que la pension alimentaire relève d'un droit absolu. En tout cas, cela prend des avocats pour défendre ceux qui ne la perçoivent pas. C'est pour ça qu'en établissant les lois actuelles provinciales ou canadiennes, je me suis dit que je vais accepter la priorité.

Je sépare les deux volets des conjoints et des enfants. C'est sûr que le conjoint qui fermerait les yeux sur des agressions sexuelles, j'aurais une grande nuance négative là-dessus. Dans la plupart des cas, je pense que c'est assez rare que des conjoints ferment les yeux sur des crimes de la sorte.

Je voulais vous expliquer à quoi je suis arrivé comme opinion pour appuyer la priorité. J'aimerais voir la priorité aux victimes parce que ce sont elles qui ont subi la pire atrocité.

Dans les cas de meurtres odieux, ce sont des séquelles qui vont durer des années alors que la conjointe d'un délinquant peut aller travailler, se changer les idées autrement, mais un crime contre la personne, c'est majeur, surtout contre la personne.

La sénatrice Fraser : Madame Latour, si j'ai bien compris, vous avez dit qu'il y a beaucoup de cas où les prisonniers s'amusent presque avec le système.

Mme Latour : Oui.

La sénatrice Fraser : Hier, on nous a dit que c'était le cas dans le temps, mais depuis que la Cour fédérale a changé son règlement pour que les coûts, si le prisonnier paie, pour que le prisonnier doit payer les coûts, que le nombre de ces poursuites a drôlement diminué.

Nicole Latour : C'est une bonne nouvelle.

La sénatrice Fraser : Une bonne chose. Je ne sais pas si vous êtes au courant du fait que le commissaire du Service correctionnel du Canada nous a dit qu'ils ont fait une recherche, dans le contexte de ce projet de loi, pour trouver le nombre de personnes qui auraient été affectées et ils n'ont trouvé que cinq cas au cours des six dernières années.

Mme Latour : Vous voulez dire des cas de mauvaise foi?

La sénatrice Fraser : Non, des cas de personnes qui, si ce projet de loi avait déjà été adopté, le nombre de personne qui aurait reçu d'abord une récompense monétaire suite à une décision finale d'une cour ou d'un tribunal dans le cadre d'une poursuite contre Sa Majesté, ce qui limite déjà beaucoup.

Mme Latour : En effet, à moins que cela soit plus motivant pour qu'ils en réclament plus.

La sénatrice Fraser : Cinq personnes.

Mme Latour : J'ai de la difficulté à le croire.

La sénatrice Fraser : Ce n'est pas moi qui le dit. C'est le commissaire du service qui devra administrer le système.

Mme Latour : Tant mieux, j'ai quitté en 2007. Je suis très surprise d'entendre une chose semblable.

La sénatrice Fraser : Alors je vous pose la question : pour mettre en vigueur ce projet de loi, il faudra que le système correctionnel établisse un registre, un système d'administration, reçoive tous les enregistrements des gens qui espèrent recevoir un paiement de leur dette.

Mme Latour : Vous voulez dire les gens identifiés dans les ordonnances.

La sénatrice Fraser : Oui, mais il faudrait les avoir dans les ordonnances.

Mme Latour : Oui.

La sénatrice Fraser : Il faut établir un système avec les provinces pour que les jugements provinciaux pour les pensions alimentaires, tout cela, donc une administration qui va coûter je ne sais pas combien, mais cela va coûter quelque chose, et on sait très bien que les systèmes administratifs coûtent toujours plus chers que ce qu'on a prévu au début.

Est-ce que c'est vraiment là que l'on devrait mettre cet argent et cet effort humain ou est-ce qu'il y aurait d'autres façons de mieux servir les intérêts des victimes?

Mme Latour : Au départ les pénitenciers reçoivent les décisions de la cour. Si les ordonnances de dette de pensions alimentaires ou de dédommagement aux victimes font partie de la décision de la cour, c'est assez facile à répertorier. Il y a déjà des ressources qui examinent ces documents.

Par contre, où vous avez raison, c'est qu'il faut établir aussi un système, mais s'il y a que cinq personnes, je vous dis ...

La sénatrice Fraser : C'est cela.

Mme Latour : J'ai fouillé pour avoir des statistiques depuis 24 heures, je n'ai pas trouvé.

La sénatrice Fraser : C'est ce que le commissaire nous a dit. Il n'a pas d'intérêt à nous dire des mensonges. Ils ont fait leur recherche et c'est ce qu'ils ont trouvé, cinq cas. Le montant total d'argent impliqué dans ces cinq cas serait autour de 100 000 $, disons une moyenne de 20 000 $ par cas.

Mme Latour : Il n'y a pas seulement les cas de réclamations de la Couronne que je vise. Je vais vous donner un exemple. Un délinquant avait tué un policier. Il recevait des grosses allocations de la Société de l'assurance automobile du Québec.

La sénatrice Fraser : Ce ne serait pas couvert. C'est suite à une décision de la cour ou d'un tribunal.

Mme Latour : Il faut que ce soit fédéral.

La sénatrice Fraser : Dans un cas de poursuite contre Sa Majesté. C'est très limité.

Mme Latour : Je pensais que si on voulait élargir les possibilités d'aider les victimes.

La sénatrice Fraser : C'est une autre chose. Les conditions sont très étroites.

Mme Latour : Je le voyais comme un élargissement de conditions. Donc elles ne peuvent pas être modifiées.

La sénatrice Fraser : Je me pose la question, étant donné que les ressources sont toujours limitées dans le cas des victimes précisément.

Mme Latour : Il y avait la pension de la sécurité de la vieillesse, heureusement le gouvernement a décidé de modifier cela.

Le sénateur Fraser : Ce n'est pas dans ce projet de loi.

Mme Latour : Ce sont quand même des revenus qui proviennent du fédéral.

Le sénateur Fraser : Oui, mais ce n'est pas le cas de ce projet de loi. Est-ce que c'est la meilleure façon de servir les intérêts des victimes. Je me pose la question vraiment, franchement.

Mme Jong : C'est pour cette raison que je propose une pause à ce sujet en attendant l'adoption de la charte des droits des victimes et qu'on voit ensuite si le projet de loi C-350 a toujours sa raison d'être.

La sénatrice Fraser : C'est intéressant comme proposition. Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre : Merci, mesdames, pour votre présentation. Madame Jong, vous proposez des amendements au projet de loi C-350. Avant d'être présenté devant ce comité pour étude, ce projet de loi a été minutieusement étudié par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, et ce dernier y a apporté plusieurs amendements.

Je comprends votre préoccupation par rapport aux amendements que vous proposez. Cela dit, avez-vous eu l'occasion de vous présenter devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale dans le but de proposer vos amendements au projet de loi alors qu'il était à l'étude devant ce comité?

Mme Jong : Non, je n'ai pas eu l'occasion de me présenter. Je ne savais pas que le projet de loi C-350 était étudié. Je ne savais pas qu'il avait été déposé. Je l'ai su dans les derniers jours. Je n'étais pas au courant de tout le processus qui a eu lieu. Si je l'avais été, j'aurais témoigné.

Le sénateur McIntire : Vous vous seriez présentée?

Mme Jong : Oui, exactement.

Le sénateur Joyal : Madame Latour, merci pour votre contribution. Je crois que vous apportez un point de vue intéressant dans le débat, et même essentiel.

Comment réagissez-vous à la proposition de Mme Jong d'exclure de la collocation des argents à être remis, les ordonnances de pension alimentaire?

Mme Latour : Je le vois comme une obligation, une dette à l'égard d'une personne comme pour toute personne dans la société. Comme le plan correctionnel cible vraiment la réinsertion sociale, j'y ai vu une mesure qui responsabilisera vraiment le délinquant. Je me suis arrêtée sur le titre, soit la responsabilisation du délinquant. Il est certain qu'il n'y a rien de parfait et rien, jamais, ne va compenser les souffrances ou le vécu d'une victime — et je suis personnellement une victime.

Je ne vous ai pas parlé d'un cas, mais j'aimerais le faire si vous m'en donnez la permission. Il s'agit d'une grande amie et c'est sa fille qui a été victime d'une tentative de meurtre par l'incendie de sa demeure. Si vous saviez comment c'est ingrat pour certaines victimes; comme la maison de la victime avait été achetée par son père, elle avait pris des mesures pour contracter une hypothèque afin de l'améliorer. Son conjoint était l'auteur de violence conjugale extrême, la suivait partout et l'appelait 50 fois à son travail. C'est son frère qui m'a appelée parce qu'il savait que je travaillais au Service correctionnel du Canada et que je connaissais les programmes de violence conjugale. Je lui ai dit de faire sortir sa sœur de la maison et je ne me suis pas trompée; il a mis le feu à la propriété en pensant que ses deux enfants et sa femme étaient là. Croyez-le ou non, le juge a ordonné des visites aux deux enfants. J'étais scandalisée.

Plus tard, la banque qui était créancier hypothécaire a réclamé 23 000 $ à la grand-mère des deux enfants parce que la victime a dû déclarer faillite. En plus, elle a subi des pertes fiscales parce que, pour ses frais de service de garde, il fallait considérer le revenu net inférieur. C'est abominable.

Alors quand Mme Jong soulève des choses comme ça, je la comprends parfaitement. Toutefois, j'ai tendance à réfléchir à certains aspects, et que je le veuille ou non, je suis influencée. Jamais je ne vais dénigrer le Service correctionnel du Canada; j'ai vu tellement de détenus abuser des employés au Service correctionnel du Canada que je suis obligée aussi de partager ma compassion pour les organisations qui s'occupent des délinquants.

C'est pour cela que je ne peux pas être tranchante comme une autre personne peut-être, mais j'ai une ferme conviction puis un amour profond des victimes d'actes criminels. Je l'ai développé, je les ai défendues durant ma carrière, à ma façon, en analysant des situations pour lesquelles il y avait un degré de dangerosité pour un délinquant, mais je n'ai jamais abandonné mon esprit pour la victime.

J'ai servi aussi à défendre des cas notoires en collaborant avec vous au Sénat, à la Chambre des communes ou à l'Assemblée nationale. J'ai développé quand même quelque chose d'unique par rapport aux victimes. Chaque victime qui est assassinée devient comme un proche pour moi. C'est comme ça que les crimes dont j'ai été victime par ricochet m'ont transformée. Mon intégrité fait toutefois en sorte que je suis obligée aussi d'être équitable envers la population carcérale également.

Le sénateur Joyal : D'une part, on ne doute certainement pas de la nature de vos convictions et de l'authenticité de vos sentiments. Tous ceux et celles qui vous écoutent l'auront reconnu. Ce qui me semblait important dans ce que vous avez mentionné et ce que Mme Jong a mentionné, c'est qu'il me semble que si l'objectif est de responsabiliser un détenu, comme vous l'avez pertinemment mentionné, il s'agit d'abord de faire appel à sa responsabilité à l'égard de ses propres enfants. C'est peut-être ça qui va toucher d'abord la personne. Il y a un sentiment humain là-dedans. Comme on dit, c'est la chair de sa chair et le sang de son sang. Faire appel à ce sentiment profondément humain chez un individu m'apparaît devoir être une avenue à ouvrir devant le détenu, comme dire qu'il faut d'abord commencer par s'occuper de ses enfants; c'est incontournable. Parce que pour une pension alimentaire, on ne parle pas d'enfants d'âge adulte, mais d'enfants en bas âge ou dépendant de toute façon des parents.

C'est la raison pour laquelle j'ai beaucoup d'empathie pour le point de vue de Mme Jong, mais il y a aussi cet aspect- là, comme vous le mentionnez, de la responsabilisation du détenu. Je crois que l'idée de compenser la victime s'impose certainement d'emblée et personne ne va la remettre en cause.

Dans le processus de responsabilisation du détenu, comment peut-on mieux le ou la convaincre que c'est l'approche à adopter et qu'il doit non seulement le reconnaître, mais assumer cette responsabilité dans toute son ampleur. C'est cet aspect, étant donné que vous avez eu à fréquenter sur le plan professionnel le milieu carcéral, qui m'apparaissait positif dans le projet de loi. À moins que je sois complètement dans l'erreur et que vous me disiez quelle est la meilleure façon de responsabiliser un détenu; est-ce en faisant appel à ses sentiments humains ou en le matraquant de force?

Comme vous dites, des personnes ne comprendront jamais. On est d'accord avec ça. Heureusement, ce n'est pas la très grande majorité. Mais on croit qu'en étant humain avec un être humain, on peut l'amener à des sentiments que nous partageons tous. Que pensez-vous de cet aspect de la responsabilisation du détenu?

Mme Latour : Dans ma réflexion, je pense que j'ai suivi votre avenue. Je me suis dit qu'il y avait une famille avant son crime. Concernant la responsabilisation, j'ai axé ma réflexion là-dessus. Comme vous le dites si bien, il faut qu'il commence par ses proches puis une pension alimentaire est une responsabilité; et à l'égard de sa femme aussi si elle n'a pas un revenu suffisant. Je pense que c'est cela qui fait notre authenticité. Ce sont des nuances intéressantes pour une base de discussion et pour réétudier peut-être ensuite.

Mme Jong : J'aimerais dire en complément que les lois doivent être dissuasives. Pour les individus qui ont des familles, s'il y a un effet dissuasif, si leurs revenus servent à dédommager les victimes, ils vont y penser à deux fois avant de nuire à leur propre famille. Tandis que, s'ils savent que leur fonds et leur revenu vont aller à leur propre famille, il n'y a plus d'effet dissuasif. Je pense qu'il faut tenir compte de ça aussi.

L'autre aspect que je trouve primordial, c'est que toutes les lois ne s'équivalent pas. Pour être condamné pour un crime, l'accusé est d'abord présumé innocent et le fardeau de la preuve repose sur la Couronne. Le fait pour une victime de voir le criminel reconnu coupable, c'est tout un processus. Pour être reconnu victime d'un crime, c'est une revictimisation en soi, tandis que les liens familiaux, c'est le droit civil et il n'y a pas de prépondérance de fardeau de la preuve sur la personne qui veut se faire reconnaître comme conjoint ou comme enfant. Pour la victime, c'est un processus qui est long, difficile, et la victime est amenée à toujours revivre les évènements. Et c'est très pénible. Les conséquences sur la famille et les dommages à la victime, ce sont deux choses complètement différentes.

Mme Latour : Je suis tout à fait d'accord avec cela, mais je le voyais vraiment comme étant fait pour responsabiliser un détenu. Que la mesure soit la plus minime, c'est important de lui créer des obligations à respecter. Je pense qu'on a quand même analysé cela d'une façon différente. Il n'était pas question, dans ma réflexion, que je définisse le degré d'importance des souffrances d'une victime. Je pense que c'est un autre débat à faire.

J'ai été la première à faire une recommandation, en 2003, lors d'une étude nationale sur les homicides; il y avait le ministère de la Justice du Canada, la Commission des libérations conditionnelles et le service correctionnel. Je leur avais dit, un peu avec humour mais je le pensais vraiment, que j'aimerais qu'on offre la possibilité à toutes les victimes d'aller séjourner, même un an, à l'intérieur des murs; ils en sortiraient avec quelque chose de positif. Les programmes correctionnels, il y en a qui sont fantastiques, quand tu veux vraiment changer ton comportement et t'attaquer aux facteurs criminogènes. Cela se fera jamais, mais j'avais demandé à Mme Gaudreau; j'ai dit qu'il faudrait un système parallèle, offrir à toutes les victimes ce qu'on offre aux détenus. Mais de façon réaliste, cela va être très difficile à établir.

Le sénateur Joyal : J'essaye de concilier ce que vous dites sur la base de votre expérience et les sentiments profondément humains aussi de Mme Jong. Dans le cadre du processus de responsabilisation, le projet de loi ne devrait-il pas partager également la compensation à la famille pour la pension alimentaire, et la surcharge aux victimes?

Mme Latour : Idéalement, oui; absolument.

Le sénateur Joyal : Les deux seraient conjoints plutôt que consécutifs. Car ce que je comprends de vous, Mme Jong, c'est que ce qui vous choque est que la famille passe avant les victimes.

Mme Latour : Très bonne suggestion.

Le sénateur Joyal : S'ils étaient l'objet d'une même collocation, vous auriez à la fois la satisfaction, comme victime, d'avoir la reconnaissance qui vous est due puisque vous êtes dans l'immédiat les premiers à avoir subi le geste d'un délinquant; d'un autre côté, comme vous le soulignez, il y a la responsabilisation de l'humain chez le détenu qui serait également reconnu.

Mme Jong : Selon moi, il y a trois créanciers : il y a la suramende compensatoire, le dédommagement aux victimes et il y a la responsabilisation envers la famille. La suramende, ça sert à payer pour les services aux victimes à travers le Canada. Et puis le dédommagement c'est pour la victime, une victime précise qui était la cible d'un crime précis. Pour les victimes, c'est très important que le criminel, pas l'ensemble des criminels, mais le criminel qui a commis ce crime et pour lequel il est en prison, pose un geste de dédommagement des souffrances et des dommages. Comme au civil, si je brise quelque chose chez le voisin, il faut que je paye. Tel que c'est là, les prisonniers n'ont aucune obligation de payer.

Pour ce qui est de la famille, je trouve qu'ils sont déjà pris en charge, parce qu'il y a déjà un filet social en place qui leur procure les soins et les nécessités de bases. Je trouve qu'on ne devrait pas inclure les aliments pour la conjointe et les enfants dans ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : Même sur la base de ce que l'on mentionnait, à savoir que les deux, la restitution et la responsabilisation familiale, seraient conjoints?

Mme Latour : J'appuie plus cette option-là — je m'excuse, madame Jong, mais je ne suis pas d'accord avec vous. Pour moi la responsabilisation c'est toute obligation à laquelle le détenu doit faire face. Écoutez, si on veut croire à la réinsertion sociale, il faut commencer quelque part. Ce n'est pas aussi important qu'on l'aurait souhaité, ce qui peut servir de réserve de fonds pour verser aux créanciers.

Mme Jong : Je trouve qu'inclure la notion familiale dans ce projet de loi ouvre la porte à la fraude. Il y a des mariages qui sont faux, qui sont juste mis en place pour pouvoir transférer des biens à la conjointe. Il y a des faux divorces, des fausses séparations, qui ont pour but de frauder. Pour la pension alimentaire pour les enfants, il y a un tableau fédéral qui existe, tandis que pour la pension alimentaire pour conjoint et les biens du patrimoine, il n'y a aucune limite; le prisonnier peut tout transférer à sa conjointe, il peut lui verser une pension alimentaire qui engloberait tout. Donc je trouve que cela ouvre la porte à de l'abus.

Mme Latour : Je pense que l'abus, on ne peut pas l'éviter, dans quelque domaine que ce soit — vous n'avez qu'à voir la commission Charbonneau. Je pense qu'il faut faire face à ce genre d'abus quand on les voit et prendre alors des mesures. Mais il n'y a pas de solution parfaite.

Mme Jong : Non.

Mme Latour : Je le voyais vraiment comme une mesure pour responsabiliser le détenu, je maintiens mon idée là- dessus.

Mme Jong : Moi, je trouve que responsabiliser les criminels, cela commence par traiter les conséquences des gestes qu'ils ont posés.

Mme Latour : Il faut que ce soit parallèle. Même les programmes correctionnels voient à cet aspect-là aussi. On ne peut pas l'exclure. Il faut que le détenu fasse un cheminement si on veut croire à sa réinsertion sociale. Comme je l'ai dit, il y en a pour lesquels je n'y crois absolument pas.

Le sénateur Joyal : Il y a des délinquants d'habitude, d'ailleurs le code le prévoit.

Mme Latour : Nous en connaissons tous, vous et moi.

Le sénateur Joyal : Le Code pénal reconnaît cette réalité. Une personne qui s'est déjà rendue coupable d'actes criminels peut être déclarée « délinquant d'habitude » par la cour, ce qui est, en pratique, la reconnaissance que les possibilités de réhabiliter cette personne sont presque nulles.

[Traduction]

Le président : Merci aux témoins. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous avez pris pour aider le comité dans ses délibérations.

Nous allons ajourner. Nous ferons l'étude article par article du projet de loi à un moment donné la semaine prochaine. Nous ne le savons pas avec exactitude, parce que le projet de loi C-51 nous sera peut-être renvoyé. Espérons que ce sera mercredi. Il faudra peut-être jongler avec les horaires, mais nous effectuerons l'étude article par article à un moment donné la semaine prochaine.

(La séance est levée.)


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