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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 12 décembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-293, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (plaignants quérulents), s’est réuni aujourd’hui à 16 h 15 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour continuer l’étude du projet de loi C-293, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (plaignants quérulents). C’est notre quatrième réunion sur le projet de loi C-293. Les audiences du comité sont publiques et elles sont également diffusées sur le site web, parl.gc.ca. Vous trouverez d’autres renseignements sur le calendrier de l’audition des témoins sur ce site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Je suis heureux d’accueillir au comité nos deux premiers témoins: M. Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada; et M. Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général du Bureau de l’enquêteur correctionnel.

Vous avez la parole, monsieur Sapers.

Howard Sapers, enquêteur correctionnel, Bureau de l’enquêteur correctionnel: Je remercie monsieur le président et les sénateurs de m’avoir invité à comparaître de nouveau devant le comité. C’est toujours un privilège.

Nous sommes ici pour discuter du projet de loi C-293. Je ferai quelques brèves remarques. Je crois que la transcription a déjà été distribuée. J’ai avec moi aujourd’hui M. Ivan Zinger, directeur exécutif du Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui expliquera brièvement le rôle du bureau et ce que nous faisons dans le cas de délinquants qui présentent des plaintes multiples. Après l’intervention de M. Zinger, je parlerai de l'importance d'une procédure interne de règlement de griefs qui est accessible, juste et expéditive pour résoudre les plaintes des délinquants et éviter ce qui peut se produire lorsqu'on ignore les plaintes ou qu'on les rejette trop rapidement comme étant vexatoires ou non fondées.

[Français]

M. Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général (Bureau de l’enquêteur correctionnel): En 2011-2012, le Bureau de l'enquêteur correctionnel a reçu plus de 5 700 plaintes de délinquants. L'équipe composée de 18 enquêteurs a passé 370 jours dans les pénitenciers et interrogé plus de 1 600 délinquants. Le bureau a reçu plus de 18 000 appels sur sa ligne sans frais 1-800, a mené plus de 800 examens sur le recours à la force ainsi que 144 examens sur des voies de fait, des décès en établissement et d'autres incidents graves.

Lors du dernier exercice, les trois principaux sujets d'inquiétude pour les délinquants étaient dans cet ordre, les services de santé, les conditions d'incarcération et l'isolement préventif. Le bureau peut mener des enquêtes sur les plaintes des délinquants sous responsabilité fédérale à son gré, peu importe si les délinquants ont présenté des plaintes semblables dans le cadre du système de règlement des plaintes et des griefs du Service correctionnel du Canada.

S'il estime que c'est judicieux, le bureau peut demander au délinquant d'épuiser tous les recours qu’offre la Procédure interne de règlement des griefs du service avant d'examiner leur plainte. Lorsque la plainte porte sur une question importante ou prioritaire comme un transfèrement involontaire ou un placement en isolement, le bureau mène généralement enquête, même si le délinquant a déjà déposé un grief sur la même question auprès du Service correctionnel. Si la plainte est fondée, le bureau recommande des mesures pour régler le problème de manière juste et expéditive.

Le bureau gère sa charge de travail en conformité avec les dispositions législatives et les politiques du service. Les plaintes futiles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi sont faciles à repérer et, par conséquent, n'exigent pas de suivi intensif. Par contre, toutes les plaintes doivent faire l'objet d'un examen minutieux.

Le régime proposé dans le projet de loi C-293 ne supprimera pas l'obligation pour le service d'effectuer ses examens. En fait, il pourrait peut-être même alourdir le fardeau administratif en raison d'un processus de demandes de permission qui sera décidé par le commissaire. Il n'existe pas de profil typique des auteurs de plaintes multiples. Cependant, selon notre expérience, ils sont nombreux à exhiber des symptômes associés à des troubles de santé mentale comme la paranoïa, le narcissisme ou des comportements obsessifs et compulsifs. Les troubles de santé mentale sont peut-être en partie responsable de leur comportement délinquant. Le fait de les désigner en tant que plaignant quérulent et de les empêcher de se plaindre ne donnera probablement pas les résultats escomptés car le problème de santé mentale ou dysfonctionnement de la personnalité à l'origine du comportement n'aura pas été réglé.

Ces délinquants pourraient tout simplement changer de point de mire. Par exemple, ils pourraient contester leur désignation en tant que plaignant quérulent en exigeant un contrôle judiciaire. Ils pourraient également faire des demandes répétés de permission pour déposer de nouveaux griefs auprès du commissaire. Finalement, ils pourraient présenter leurs plaintes à des organismes indépendants comme notre bureau ou la Commission canadienne des droits de la personne.

[Traduction]

M. Sapers: Avant de poursuivre, je crois qu’il est important d’apporter certaines précisions et distinctions sur les termes que nous utilisons quand nous parlons de griefs, plus particulièrement en ce qui a trait à l’objectif et à l’intention du projet de loi.

Les termes de « plaintes vexatoires », de « plaintes non fondées », de « plaintes multiples » et de « plaintes multiples entachées de mauvaise foi » ne sont pas nécessairement interchangeables, et ils ne sont pas supposés l'être. Les politiques du Service correctionnel du Canada prévoyaient déjà des moyens de désigner et de gérer un délinquant défini comme étant un « auteur de griefs multiples ». La Directive du commissaire no 081, Plaintes et griefs des délinquants, définit l’auteur de griefs multiples de la façon suivante.

[…] un plaignant qui soumet un nombre si élevé de plaintes ou de griefs qu'il diminue la capacité du Service de répondre aux plaintes et aux griefs des autres plaignants ou qu'il entrave l'accès des autres plaignants au processus en place à cette unité opérationnelle.

Selon cette directive, qui fait partie des politiques du Service correctionnel du Canada, une plainte peut être considérée comme étant futile si elle est sans motif sérieux ou:

vexatoire ou entachée de mauvaise foi: si le décideur estime, selon la prépondérance des probabilités, que la plainte ou le grief a été présenté principalement:

a. dans le but de harceler;

b. à une autre fin que celle de réparer un tort présumé; ou

c. pour perturber ou discréditer le processus de règlement des plaintes et griefs.

Ces considérations sont importantes puisque le projet de loi C-293 vise à empêcher certains plaignants quérulents d'accéder au système de règlement des griefs, ou du moins de leur restreindre l'accès à ce système. En d’autres mots, ce sera l’auteur de la plainte, et non la plainte en soi, qui sera désigné comme « quérulent » en vertu de la loi et, dans le contexte pénitentiaire, une telle désignation entraîne des répercussions importantes.

Je rappelle aux membres que le bureau a été créé à la suite d'une émeute sanglante et mortelle au Pénitencier de Kingston, en 1971. La commission d'enquête formée pour examiner cet incident a déterminé que l'absence de système crédible de règlement des plaintes des détenus était l'un des principaux facteurs ayant mené à cet affrontement mortel. L'histoire, au Canada et ailleurs, montre que les troubles graves, comme l'émeute à Kingston, sont souvent précédés par un nombre élevé de plaintes de détenus non résolues ou mal résolues.

En avril, devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, j'ai soulevé le fait que les préoccupations touchant la gestion, par le SCC, de la procédure de règlement des griefs sont loin de se limiter aux auteurs de griefs multiples. En fait, j'ai laissé entendre que ce projet de loi détourne l'attention d'un certain nombre de problèmes auxquels fait face le SCC en ce qui concerne sa procédure de règlement des griefs.

Après avoir écouté les débats des parlementaires et avoir examiné les témoignages donnés jusqu'à maintenant, je demeure convaincu que le projet de loi C-293 banalise les plaintes des détenus et minimise la responsabilité du SCC de remplir ses obligations juridiques visant la tenue d'un système de règlement des griefs juste, rapide et expéditif, conformément à la loi.

Maintenant, pour le SCC, il est tout à fait normal qu’il se passe plus de 150 jours ouvrables — ou sept mois — entre le dépôt d’une plainte non prioritaire et le règlement au troisième palier, ce qui ne comprend pas les prolongements officiels. Le traitement des plaintes hautement prioritaires dépasse maintenant 100 jours, soit près de cinq mois. De plus, une plainte non prioritaire peut souvent prendre un an à faire son chemin d’un palier d’examen à l’autre compte tenu des prolongements.

Une telle situation n’est pas utile; elle ne peut donc pas être considérée comme une pratique correctionnelle efficace ou responsable.

Au cours des dernières semaines de sa vie, la jeune Ashley Smith s’est plainte que le SCC lui refusait l’accès à des articles d’hygiène personnelle, comme du papier et des serviettes hygiéniques, qu’elle devait dormir à même le sol, sans couverture et matelas, et que les seuls vêtements auxquels elle avait droit étaient une combinaison de sécurité. Inexplicablement, le Service correctionnel du Canada n’a pris connaissance de cette plainte jugée hautement prioritaire que deux mois après le décès d’Ashley.

Dans le cadre de mon enquête sur le décès d'Ashley Smith, j'ai déterminé que toutes les plaintes de cette détenue ont été rejetées à tort par le SCC. D'ailleurs, j'ai terminé mon rapport d'enquête en déclarant:

S'il y avait eu un processus interne juste, efficace et souple, permettant de répondre en temps opportun aux plaintes, il aurait été possible d'améliorer considérablement les conditions de détention excessivement restrictives et déshumanisantes imposées à Mme Smith.

J'ai recommandé que le Service correctionnel ordonne immédiatement un examen externe de ses opérations et de ses politiques touchant le règlement des griefs des délinquants. Le SCC a fini par accepter ma recommandation et a demandé au professeur David Mullan de l’Université Queen’s de mener un examen indépendant et spécialisé.

Comme vous avez déjà entendu le témoignage de M. Mullan, je ne répéterai pas ses constatations, à part le fait que seule une de ses 65 recommandations exigeait une intervention législative, soit l’élimination du deuxième palier, le palier régional, pour écourter le processus de règlement des plaintes des détenus. Mon bureau est favorable à cette mesure. Toutefois, jusqu'à la mise en œuvre de cette recommandation, le deuxième palier demeure en vigueur.

À la suite de l’examen de M. Mullan, un projet pilote de mode alternatif de règlement des conflits a été mis en œuvre dans 10 établissements correctionnels à sécurité moyenne et maximale. Les résultats préliminaires obtenus jusqu'à maintenant sont prometteurs, et on a remarqué un taux élevé de résolution de conflits, une réduction du nombre de plaintes et une résolution plus rapide des griefs prioritaires. Ce projet pilote a permis de déterminer qu'il est plus facile de résoudre les plaintes des délinquants à la source, aux paliers les plus inférieurs et de la façon la plus informelle possible. Ce sont des pratiques exemplaires.

Lors d’une précédente comparution devant le comité de la Chambre des communes, j’ai encouragé le Parlement à mettre de côté ce projet de loi et à élargir la portée de son examen afin de se pencher sur l’ensemble du système de règlement des griefs et des plaintes du SCC, et je continue d’être de cet avis. Puisqu’il existe déjà des mécanismes internes pour les auteurs de plaintes multiples, vexatoires ou mal fondées, il ne semble pas nécessaire d’utiliser la loi pour y remédier. Les réponses aux plaintes mal fondées doivent venir de la direction, non de dispositions prévues dans une loi.

Le projet de loi C-293 ne réglera pas les problèmes qu'il cherche à éliminer, et il pourrait en fait alourdir le fardeau administratif et les coûts pour le Service correctionnel du Canada. Les nouvelles mesures législatives n’empêcheront pas les délinquants de présenter des plaintes vexatoires.

Je crois qu'il faut surtout effectuer une réforme approfondie et porter une attention immédiate à ce qui suit: le respect des délais raisonnables; le recours à des médiateurs et à d’autres mécanismes de résolution de différends; la tenue obligatoire de rencontres mensuelles en personne entre les agents de libération conditionnelle et les délinquants; et l’élimination du deuxième palier d’examen des griefs, ou palier régional. Ces solutions sont bien plus efficaces que de tenter d'empêcher les auteurs de plaintes vexatoires ou multiples d'accéder au processus de traitement des plaintes.

Il peut être plus commode, du point de vue administratif, d'ignorer les préoccupations des détenus ou de considérer leurs plaintes comme étant vexatoires, mal fondées ou entachées de mauvaise foi, mais il n'est toutefois peut-être pas judicieux ou sécuritaire de le faire, si l'on se fie au passé.

Je vous remercie à nouveau de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup. Nous entamerons les questions avec le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: J'ai plusieurs questions à vous poser. Évidemment, on ne partage pas la même vision sur la gestion des plaintes dans les pénitenciers.

Vous dites, d'entrée de jeu, que vous avez reçu 18 700 appels sur la ligne sans frais. Quel pourcentage de ces appels venait de gens incarcérés et de gens non incarcérés? Selon les statistiques dont nous disposons, l'an dernier, 29 000 plaintes furent traitées par votre bureau. Ce pourcentage reflète-t-il exclusivement des plaintes de personnes incarcérées ou certaines plaintes sont-elles de l'extérieur, de personnes en probation ou en libération conditionnelle?

[Traduction]

M. Sapers: Je parlerai d’abord des 29 000 plaintes mentionnées par le sénateur. C’est le nombre de plaintes signalées par le Service correctionnel du Canada. Ce sont les plaintes qu’il a reçues des délinquants purgeant une peine.

Les plus de 18 000 appels sur la ligne sans frais viennent en grande partie de délinquants ou de membres de leur famille. La vaste majorité provient d’hommes et de femmes purgeant une peine. Nous n’avons pas fait analyser ces plaintes par ceux qui pourraient…

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Une partie de ces 29 000 plaintes est traitée par votre service, mais une bonne partie est traitée directement par Service correctionnel?

M. Zinger: Il y a deux systèmes parallèles, dont le système de grief interne de Service correctionnel.

Le sénateur Boisvenu: Qui ne va pas à vos bureaux?

M. Zinger: Il n’a rien à voir avec le Bureau de l’enquêteur correctionnel. Nous sommes indépendants. Service correctionnel reçoit environ 29 000 plaintes et griefs. Ces plaignants peuvent faire appel aux services de notre bureau. Nous recevons environ 5 700 plaintes par année.

Le sénateur Boisvenu: En principe, certaines personnes incarcérées pourraient être reconnues par le système carcéral comme abusant du système sans avoir fait affaire avec vous?

M. Zinger: C'est possible, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Ceux qui font appel, de façon répétée, au système de plaintes et de griefs du service typiquement font aussi appel à notre bureau.

Le sénateur Boisvenu: Vous dites que vous avez traité 5 000 des 29 000 plaintes?

M. Zinger: Non, pas du tout. C'est complètement à part.

Le sénateur Boisvenu: Expliquez-moi. Vous dites que des criminels incarcérés vont directement à votre bureau sans passer par le système carcéral?

[Traduction]

M. Sapers: Vous avez raison, monsieur le sénateur. C’est ce que la mesure législative prévoit.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Nous avons donc 4 000 plaintes dans ce cas?

[Traduction]

M. Sapers: Non. La mesure législative fournit à l’interne et à mon bureau un accès sans entrave à des recours. Elle prévoit que je dois déterminer l’objet de notre enquête et les moyens utilisés pour mener à bien cette dernière, tout comme elle détermine que le commissaire peut établir des politiques pour désigner des personnes comme des plaignants quérulents ou des auteurs de plaintes mal fondées. Ce sont des systèmes parallèles. Un délinquant sous responsabilité fédérale pourrait soumettre une plainte au Commissariat aux langues officielles ou à la Commission canadienne des droits de la personne si elle est appropriée. Ce ne sont pas nécessairement des derniers recours. Un plaignant peut soumettre une plainte à différents organismes. C’est pourquoi, dans mon rapport annuel, vous verrez que nous recommandons souvent aux gens de recourir au processus interne. Nous leur dirons que nous croyons qu’ils devraient régler leurs problèmes à l’interne.

Malheureusement, beaucoup de plaintes nous reviennent parce que le processus interne est si dysfonctionnel. Les délais n’ont pas été respectés, et il n’y a pas de résolution.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: J'essaie de comprendre, car le système m'apparaît très flou. Vingt-neuf mille plaintes sont répertoriées par les gestionnaires de Service correctionnel Canada et 5 000 sont répertoriées chez vous. Quelle est la complémentarité entre les deux? Additionne-t-on les 5 000, ou les 5 000 plaintes sont intégrées aux 29 000 plaintes?

[Traduction]

M. Sapers: Non, elles sont distinctes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Je répète ma question: les additionne-t-on ou on les intègre?

M. Zinger: Je vous donnerais un exemple qui va soit rendre la question plus compliquée ou plus claire.

Le sénateur Boisvenu: Si l’exemple est compliqué, cela favorisera les criminels.

M. Zinger: Un délinquant qui dépose une plainte au Service correctionnel et qui n'est pas satisfait pourra s’adresser au directeur de l'établissement. S’il n’est toujours pas satisfait, il ira ensuite au niveau régional, puis au niveau du commissaire, donc de l'administration centrale. S’il n’est toujours pas satisfait, il pourra se tourner vers notre bureau, et nous verrons si le service a rendu une décision juste et équitable, en conformité avec les politiques du service, puis nous rendrons une décision.

Cette plainte aura été comptée par Service correctionnel comme une plainte et par nous également comme une plainte. Toutefois, il s’agit de la même plainte.

Le sénateur Boisvenu: Et c’est ma question.

[Traduction]

Le sénateur Baker: Il y a deux choses qui me dérangent beaucoup dans le projet de loi et j'aimerais que vous me disiez si j'ai raison ou si j'ai tort.

Le suicide d'Ashley Smith fait actuellement l'objet d'une enquête judiciaire. Le juge doit notamment tenir compte de l'objet de notre étude, soit le système de règlement des plaintes, et du fait que les dernières plaintes d'Ashley ont seulement été entendues deux mois après sa mort. Vous avez parlé de cette affaire dans votre témoignage.

Je me demande si le présent comité sénatorial devrait être en train d'étudier un projet de loi qui propose d'importantes modifications au système de règlement des plaintes étant donné que l'enquête est toujours en cours et qu'elle porte en partie sur cette même question.

M. Sapers: Tout ce que je peux vous dire, sénateur, c'est que l'enquête, qui est suspendue jusqu'au début janvier, est une enquête de coroner. En Ontario, de telles enquêtes sont effectuées aux termes de la loi provinciale. Le coroner pourrait, ou non, recevoir des éléments de preuve et émettre des recommandations concernant le processus de règlement des griefs.

Le sénateur Baker: Ce processus a fait les nouvelles, et vous en avez parlé dans votre exposé. Vous avez dit que les plaintes n'ont même pas été entendues, ce qui est contraire à la loi, n'est-ce pas? N'est-ce pas en contravention de la loi? Prétendez-vous qu'il y a de bonnes chances que l'enquête du coroner n'aborde pas du tout la question?

M. Sapers: Je ne peux pas vraiment émettre d'hypothèse quant aux questions qu'abordera le coroner.

Le sénateur Baker: Reconnaissez-vous au moins que les questions mêmes que nous abordons dans le cadre de l'étude du projet de loi constituent un aspect important de l'affaire Ashley Smith, dont vous avez parlé dans votre présentation à propos du projet de loi?

M. Sapers: Sénateur, ce n'est pas par hasard que j'ai parlé de la mort d'Ashley Smith. C'est un exemple frappant du dysfonctionnement du processus de règlement des griefs à l'heure actuelle. Pour être franc, s'attaquer à la question des plaintes frivoles et vexatoires alors que le système est si profondément vicié, c'est un peu comme replacer les chaises longues sur le Titanic. Ce n'est pas comme cela qu'on comblera toutes les lacunes dans le processus de règlement des griefs.

Le sénateur Baker: Ne pensez-vous pas que nous devrions attendre de connaître les constatations de l'enquête du coroner avant d'adopter le projet de loi? C'est la Cour fédérale qui est saisie de l'affaire. Je suppose que vous avez entendu parler de la récente décision sur cette même question. Le juge a ordonné au Service correctionnel du Canada de remanier entièrement son processus de règlement des plaintes. Vous êtes au courant de l'affaire. La Cour fédérale a récemment tranché, mais nous voici sur le point d'adopter un projet de loi qui porte sur la question même sur laquelle se penche la Cour fédérale.

J'aimerais en venir à ma question avant que le président ne m'interrompe.

Messieurs Sapers et Zinger, vous avez tous deux parlé de la Directive du commissaire 81. C'est une des directives émises par le commissaire. Aux yeux de la loi, elle équivaut à un règlement. Lorsque le commissaire émet une directive, c'est comme s'il prenait un règlement. J'ai cité l'extrait de la décision de la Cour fédérale dans l'affaire. C'est bien établi en droit.

En vertu du règlement, toute plainte vexatoire ou frivole peut être rejetée au premier palier, renvoyée à l'auteur. Vous avez oublié de préciser une chose lorsque vous avez parlé des plaintes qui se rendent aux paliers supérieurs, mais vous avez mentionné la DC 81. Outre le fait qu'une plainte peut être rejetée sans être traitée, si elle contient un élément frivole ou vexatoire, elle peut être renvoyée à son auteur dans sa totalité. Ai-je bien compris? Dans l'affirmative, pourquoi étudions-nous ce projet de loi si les plaintes peuvent simplement être rejetées et renvoyées à leur auteur si elles sont moindrement vexatoires ou frivoles?

M. Sapers: Sénateur, je pense avoir clairement établi la position de mon bureau selon laquelle il existe déjà des politiques sur le traitement des plaintes frivoles ou vexatoires et qu'il n'est pas nécessaire d'adopter une loi à cet égard.

[Français]

Le sénateur Dagenais: Ma question s'adresse à M. Sapers. Dans votre document, vous dites qu'il n'y a pas un profil typique d'auteur de plaintes multiples. Vous semblez dire que, souvent, ce sont les troubles de santé mentale qui peuvent être responsables des comportements des délinquants et que le fait de les désigner plaignants quérulents ne les empêchera pas de se plaindre ou que ce ne sera pas une solution. J'aimerais vous entendre à ce sujet, parce que ce n'est pas tout à fait clair; quelqu'un qui se plaint doit être assez conscient qu'il se plaint; il ne se plaint pas pour rien.

[Traduction]

M. Sapers: Deux choses, sénateur. Premièrement, je sais ce que vous ont dit les représentants du Service correctionnel du Canada à propos de l'incidence de troubles mentaux chez les auteurs de plaintes multiples. Je peux vous dire que le service n'a effectué aucune analyse approfondie sur la question. Je peux vous dire que dans le dernier rapport ministériel sur le rendement qu'il a soumis au Parlement, le Service correctionnel du Canada signale avoir offert des services de santé mentale à 48 p. 100 des délinquants, aux trois quarts des délinquantes et à près de la moitié des délinquants autochtones. Nous savons que les besoins en santé mentale de la population carcérale sont énormes.

Ce n'est pas en adoptant une loi que le Parlement réglera le cas d'une personne troublée qui présente des plaintes multiples. Au contraire, si la loi est adoptée, je prédis qu'une telle personne finira par présenter de multiples demandes d’autorisation directement au commissaire; en effet, si elle est désignée comme auteur de plaintes multiples, elle ne pourra plus présenter de plaintes par les voies habituelles.

Je prédis également qu'une telle personne en viendra à faire appel à d'autres organisations, comme la mienne, la Commission canadienne des droits de la personne et d'autres. L'adoption d'une loi ne réglera pas le problème.

C'est en gérant le problème qu'on réduira le nombre d'auteurs de plaintes multiples. Il faut également que les agents de libération conditionnelle en établissement rencontrent tous leurs clients en personne au moins tous les mois. Il faut que les employés soient formés en modes substitutifs de règlement des différends. Il faut que l'on élargisse le projet pilote en la matière qui a connu tant de succès dans les 10 établissements où il a été mis en œuvre depuis la parution du rapport Mullan. Il y a toutes sortes de façons d'améliorer la situation, mais la solution législative, elle, est superficielle; elle ne règle rien.

Le sénateur Joyal: Messieurs Sapers et Zinger, j'ai été frappé par votre affirmation selon laquelle le projet de loi C-293 « judiciarisera » le système. Pouvez-vous nous expliquer en plus grand détail les éléments du projet de loi qui, selon vous, ajouteront un palier supplémentaire au processus et le rendront plus lourd à gérer?

[Français]

M. Zinger: Toutes les décisions prises par le service correctionnel sont assujetties à une révision judiciaire.

Si un délinquant est désigné quérulent, cette décision pourrait être portée devant la Cour fédérale et celle-ci devra trancher, à savoir si la désignation est appropriée et conséquente avec la nouvelle législation.

On prévoit aussi que tout le fardeau administratif, que le service essaie de cibler, risque de se poursuivre parce que le projet de loi parle de demander la permission et la permission doit être demandée au commissaire. Toute nouvelle plainte va de toute façon requérir une revue de cette plainte pour voir si on devrait octroyer la permission ou non pour cette nouvelle plainte.

Nous essayons de démontrer que de bonnes pratiques et de bonnes politiques peuvent gérer le problème d'utilisateurs fréquents du système de plaintes et griefs. Nous, on le fait dans notre bureau parce qu'on a les mêmes clients, si vous voulez, et cela fait partie de n'importe quel système, pour les cours judiciaires aussi; des délinquants ont été désignés plaignants quérulents par la Cour fédérale. Cela fait partie de n'importe quel système de plaintes que d'avoir à gérer une petite partie qui génère beaucoup de travail. Mais pour nous, identifier ce genre de plaintes est facile et on essaie d'identifier celles qui sont plus pointues et qui sont plus importantes et prioritaires.

[Traduction]

Le sénateur Frum: Votre dernière réponse me donne l'impression que vous ne pensez pas que la mesure rendra le système de règlement des plaintes plus efficace. La réadaptation des délinquants est l'une des motivations du projet de loi. Je suis intéressé, monsieur Sapers, par les réserves que vous avez exprimées à propos du fait que le plaignant sera désigné plutôt que la plainte.

Il est sensé que la plainte soit désignée parce qu'on cherche à s'attaquer à un problème de comportement. La mesure cible les particuliers au comportement problématique. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous éprouvez des réserves à cet égard?

M. Sapers: J'ai trois choses à vous dire, sénateur. Je tâcherai d'être bref.

Premièrement, sans vouloir paraître facétieux, le contrôle n'est pas vraiment un problème dans le milieu correctionnel. C'est un environnement très contrôlé mais les détenus, eux, n'ont aucun contrôle. On pourrait tenir un tout autre débat sur la grande question des moyens de renforcer les comportements positifs et de décourager les comportements négatifs. Il y a des moyens de gérer les comportements inappropriés, comme le fait de présenter des plaintes multiples. Il y a de bonnes façons de gérer ce problème.

Deuxièmement, la primauté du droit s'applique également en prison. La loi exige que l'on ait accès à un processus de règlement des plaintes qui soit efficace, efficient, expéditif et juste. Toutefois, ce n'est pas ainsi que le processus est défini et ce n'est pas ainsi qu'il fonctionne. J'en conclus que la primauté du droit n'est pas respectée en l'occurrence. C'est la bonne chose à faire. C'est aussi l'approche la moins risquée.

J'en viens enfin à mon troisième point, les délais de traitement. Chaque fois qu'on a reproché au Service correctionnel du Canada la lenteur de son processus de règlement des griefs, celui-ci a modifié sa politique pour allonger ses délais. Au lieu de se pencher sur ce qui cloche dans le système, il se contente de modifier la norme pour se donner plus de temps. En droit, on dit que justice différée est justice refusée; en l'occurrence, les plaintes se multiplient. Un grand nombre de plaintes portent justement sur le non-respect des délais. Si les délinquants s'adressent à notre bureau en si grand nombre au lieu de suivre le processus interne de règlement des griefs, c'est parce qu'ils ont perdu toute confiance dans ce processus. Si l'on veut vraiment renforcer les comportements pro-sociaux et positifs, il faut mener par l'exemple. Voilà la gamme de problèmes auxquels nous cherchons à nous attaquer.

Le sénateur Jaffer: Je m'excuse d'être arrivée en retard, mais j'ai lu vos notes. Savez-vous combien de personnes seront touchées par la mesure? Mes collègues me corrigeront si j'ai tort, mais si je ne m'abuse, le parrain du projet de loi a dit qu'environ 25 personnes seront touchées.

M. Sapers: Ce chiffre varie d'une dizaine à une trentaine d'une année à l'autre. À l'heure actuelle, il y a environ une vingtaine de personnes qui présentent des griefs et font des plaintes à outrance. On parle d'une simple poignée de délinquants.

Le sénateur Jaffer: Le projet de loi touchera 25 personnes.

M. Sapers: On parle en effet d'environ 25 personnes sur une population carcérale de plus de 15 000.

Le sénateur Andreychuk: Ma question est dans le même ordre d'idées que celle du sénateur Jaffer. Je précise que je ne fais pas partie de l'étude — je remplace un collègue aujourd'hui — mais si j'ai bien compris, le projet de loi vise à permettre au commissaire de traiter rapidement les plaintes frivoles afin qu’il puisse se pencher de plus près sur le reste des plaintes, comme il devrait déjà le faire. C'est tout ce que le projet de loi cherche à faire. Le reste relève de la politique et des obligations en matière de reddition de comptes auxquelles sont déjà assujettis le ministre, le commissaire, etc. Je suis certaine que, entre autres, le règlement pris en vertu de la loi améliorera et accélérera l'administration des plaintes.

M. Sapers: Sénateur, je n'ai aucun doute que le parrain du projet de loi pense réellement que le projet de loi améliorera l'administration des activités du Service correctionnel du Canada. Mon expérience me dit que ce ne sera pas le cas et que le SCC sera moins tenu de rendre des comptes à l’égard de la responsabilité légale qu’il a de mettre un processus juste et expéditif à la disposition des délinquants. Le projet de loi érodera davantage la foi des délinquants dans le processus de règlement des plaintes. Il contribuera inutilement au fardeau du commissaire du SCC, qui devra directement traiter un grand nombre de demandes d’autorisation.

Le sénateur Andreychuk: Combien des délinquants visés sont des récidivistes? Peut-être que je comprends mal la situation actuelle, mais je travaillais jadis dans les tribunaux et avec les délinquants. Il ne s’agit pas seulement des gestes posés pas les délinquants, mais aussi de ce qu’ils disent aux autres délinquants. Ceux-ci ont commencé à faire appel parce que quelqu’un d’autre leur a dit de le faire, et le problème a pris de l’ampleur.

Je croyais que c’était une autre raison. Les deux parties doivent nécessairement entreprendre un processus, ils ne peuvent pas ne rien faire. Le signal qu’il faut que ça change devrait aller dans les deux sens. Il ne devrait pas être envoyé seulement à l’administration, mais aussi aux délinquants.

M. Sapers: Je suis d’accord pour dire que les délinquants devraient aussi assumer la responsabilité. C'est curieux que la politique permette la mise sur pied de comités des griefs des détenus et de conseils d’examen extérieurs. Ces deux mécanismes sont gravement sous-utilisés par le Service correctionnel du Canada. Or, ils amélioreraient tous deux la responsabilisation des délinquants et les obligeraient à rendre des comptes, et on n’a pas besoin d’une loi pour que cela se fasse.

Le président: Croyez-vous qu’il faudrait une forme de surveillance indépendante? Je parle de l’enquête Smith et des préparatifs qui en découlent. C'est clair que le Service correctionnel du Canada s’est battu bec et ongles pour éviter la publication. On avait largement l’impression qu’ils protégeaient des intérêts institutionnels. Ce projet de loi propose de donner le dernier mot au commissaire. Je me demande si vous considérez que c'est une bonne idée ou si une surveillance indépendante serait plus appropriée.

M. Sapers: J’ai examiné cette affaire, et j’ai trouvé cela fascinant. Je suis déconcerté à l’idée qu’on élargisse le mandat de mon bureau pour qu’il puisse vérifier ces décisions concernant qui se verrait interdire l’accès au système et qui y aurait droit.

Je dirais, cependant, que je préférerais que ce ne soit pas le cas, et pour deux raisons. Si le projet de loi C-293 devient loi, un délinquant pourra toujours se présenter à mon bureau. Quelqu'un qui s’est vu interdire l’accès au système peut venir directement à mon bureau, et je devrai alors, de toute façon, décider si ce jugement doit faire l’objet d’une enquête indépendante. Pour moi, c'est une façon plus claire d’arriver aux mêmes fins, parce que mes pouvoirs sont intacts, et aucun statut spécial n’est accordé à un type particulier de plainte ou de plaignant.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Ma question s’adresse à M. Sapers ou à M. Zinger, Vous avez fait mention d’une statistique qui m'a saisi. Vous avez parlé d’une clientèle aux prises avec des problèmes psychiatrique atteignant 50 p. 100. Est-ce que ce pourcentage représente les plaignants ou la population carcérale ?

M. Zinger: Au niveau de la population carcérale, les statistiques quant à la performance du service qui est rapporté dans leur document corporatif, on parle de 48 p. 100 des délinquants qui ont reçu des services de santé mentale, pour la population incarcérée complète. On parle de 15 000 individus, 75 p. 100 des délinquantes et environ 47 p. 100 des délinquants autochtones.

Le sénateur Boisvenu: Le dernier rapport de Santé Canada traitait de santé mentale au Canada et de santé mentale en milieu carcéral mentionnait 19 p. 100 chez les hommes et de 22 à 24 p. 100 environ chez les femmes.

M. Zinger: C'est au niveau de ceux qui ont reçu des services. C'est comptabilisé par Services correctionnels Canada. La meilleure statistique que le service a pour déterminer l'ampleur, c'est au niveau des admissions, 36 p. 100 des gens qui entrent dans les pénitenciers fédéraux ont été identifiés comme requérant des services psychologiques ou psychiatriques. C'est une situation très grave et très sérieuse. Les statistiques démontrent que dans la dernière décennie ce pourcentage a doublé.

[Traduction]

Le sénateur Baker: Un avocat ayant beaucoup d’expérience, le sénateur Jaffer, et un ancien juge ayant beaucoup d’expérience, le sénateur Andreychuk, vous ont posé la même question, et votre réponse me laisse perplexe. Ils vous ont tous deux demandé à combien de personnes s’appliquerait cette mesure. J’ai examiné le projet de loi, et je n’y vois aucun nombre. On n’y dit pas que cela vise 20 ou 30 personnes, pourtant c'est ce que vous dites. Y a-t-il quoi que ce soit que je ne vois pas qui justifie votre compte de 20? Le commissaire, quand il nous a lu son témoignage, a donné un exemple de ce qu’est un plaignant quérulent. Il a parlé d’un homme qui ne pouvait pas obtenir de visite chez un médecin. À la suite d’une plainte, on a déterminé plus tard qu’il devait voir un médecin. Que voulez-vous dire quand vous dites que ce projet de loi ne s’appliquerait qu’à 20 ou 30 personnes?

M. Sapers: Sénateur, je me reprends. Le plus récent témoignage présenté par le Service correctionnel du Canada devant votre comité et devant celui de la Chambre laissait entendre qu’il y avait environ 25 délinquants qui étaient considérés comme des gens présentant des plaintes mal fondées ou vexatoires, ou trop nombreuses.

Ce qui est encore plus préoccupant, ce n’est pas l’absence de ce chiffre, mais que la loi ne comporte ni définition ni seuil critique et qu’elle sera sujette, selon moi, aux mêmes tendances que les délais d’étude des griefs aux deuxième et troisième niveaux, qui vont sans cesse croissants dans l’état actuel des choses.

[Français]

Le sénateur Dagenais: On sait que les lois ne sont jamais parfaites, mais selon vous, monsieur Zinger, est-ce que ce serait possible de simplifier les choses et faire diligence pour régler les plaintes au lieu de les promener, comme on voit, d'un palier à l'autre?

M. Zinger: Je crois que oui. Le professeur Mullen a fait un rapport assez détaillé avec plus de 60 recommandations, un très bon rapport, et la majorité, sauf une recommandation, demandait un changement au règlement, même pas à la loi mais au règlement. Pour vous donner une idée des statistiques du projet pilote, suite à ce rapport, le service correctionnel a développé un projet pilote qui introduisait des médiateurs et coordonnateurs de griefs dans 10 pénitenciers. Le succès est extraordinaire. Ils pensaient avoir une diminution du nombre de résolution de plainte de 25 p. 100. Ils ont été capables d'aller chercher, en un an, une diminution de 35 p. 100 à l'échelle nationale.

Les médiateurs peuvent gérer les plaintes et essayer de les résoudre et ils l'ont démontré. Dans certaines régions, au Québec, dans certains pénitenciers, on parlait d'une réduction de 60 p. 100. Il y a d'autres façons, des meilleures pratiques et de bonnes politiques de réduire les plaintes.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup à tous les deux. Nous apprécions votre contribution aux délibérations d’aujourd'hui.

Honorables sénateurs, le panel suivant est composé de M. Rob Sampson, ancien président du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada, qui est à Red Deer et témoignera par vidéoconférence. Ce comité a présenté un rapport en octobre 2007 intitulé Feuille de route pour une sécurité publique accrue.

Également au sein de ce panel, nous recevons Sharon Rosenfeldt, que nombre d’entre nous connaissent. Elle est présidente de Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children. Mme Rosenfeldt était membre du même comité d’examen que M. Sampson.

Je crois que M. Sampson a un exposé à présenter.

M. Rob Sampson, ancien président, Comité d’examen du Service correctionnel du Canada, à titre personnel: Merci beaucoup, monsieur le président. Je veux d’abord présenter mes excuses pour mon absence, il y a environ une semaine. Vous avez signalé au comité, avec raison, que j’étais bloqué par le brouillard à Sudbury. Je soupçonne que certains pensent que je suis bloqué par le brouillard depuis un certain temps, et pas seulement à Sudbury. Je suis désolé de ne pas avoir été présent la dernière fois.

Je veux aussi remercier la députée de Scarborough-Centre d’avoir présenté ce projet de loi, qui semble vouloir donner suite à notre rapport, en particulier à la recommandation no 106 de notre rapport. Le ministre qui nous a commandé ce rapport nous avait demandé d’examiner, entre autres, la question des griefs mal fondés et vexatoires présentés par les délinquants. Nous avons pris le temps d’étudier cela en comité et avons présenté la recommandation 106, qui est la raison d’être de ce projet de loi, je pense. Par conséquent, je suis content que la députée s’en soit occupé. C'est quelque chose de présenter une initiative parlementaire qui parvient à ce stade. Comme vous le savez, monsieur le président, très peu de projets de loi d’initiative parlementaire franchissent autant d’étapes, alors la députée mérite des félicitations pour cela.

Dans la mesure où j’ai pu le faire, j’ai lu les observations formulées par d’autres témoins au comité. Je dois dire que j’ai été renversé d’apprendre deux choses. La première, c’est le nombre de plaintes formulées par année et le nombre de personnes qui déposent des plaintes chaque année. Je pense qu’il y a environ 6 000 personnes qui formulent plus de 100 plaintes par année. Je ne me rappelle pas quels étaient les chiffres au moment où le comité d’examen a étudié cette question, mais j’ai été choqué d’entendre ceux-là.

En écoutant la discussion tandis que j’attendais mon tour aujourd'hui, j’ai entendu l’enquêteur correctionnel rapporter des chiffres un peu différents, des chiffres plutôt bas. Je ne me souviens pas d’avoir entendu de tels chiffres quand notre comité a été saisi de la question.

Ce que je veux dire, en général, c'est que, compte tenu du temps et des efforts investis — tant par Service correctionnel Canada que par la population des détenus — dans ces griefs mal fondés et vexatoires, les deux parties feraient mieux de s’occuper de la difficulté particulière que connaît le détenu, de ses besoins sur le plan correctionnel, au lieu de traiter de questions administratives et bureaucratiques relatives à des griefs mal fondés et vexatoires. Et c'est valable pour les deux parties.

Si vous lisez le rapport du comité d’examen, vous verrez que l’idée principale est simple: les deux parties doivent se consacrer entièrement au travail de réadaptation. Dans la mesure où des choses comme les griefs mal fondés et vexatoires distraient les deux parties de cet objectif, ce n’est pas la bonne manière d’utiliser leur énergie et cela ne donnera probablement pas les résultats que nous attendons en tant que société, soit que les détenus s’emploient pleinement, avec l’aide du système correctionnel, à essayer de changer leur vie.

C'est tout ce que je voulais dire. Je n’ai pas préparé de véritable exposé. J’attends les questions du comité.

Le président: Madame Rosenfeldt, vouliez-vous aussi présenter un exposé?

Mme Sharon Rosenfeldt, présidente, Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children: J’ai trouvé que les choses avaient passablement changé, parce que j’étais membre du comité d’examen il y a cinq ans. Je suis donc une ancienne membre du comité d’examen. Toutefois, notre organisme, Victims of Violence, a aussi des opinions à cet égard.

J’ai un véritable exposé à présenter, et je remercie le comité de m’avoir invitée.

En 2007, j’étais membre d’un comité indépendant chargé d’examiner le fonctionnement du Service correctionnel du Canada dans le cadre de l’engagement du gouvernement à protéger les familles et les collectivités canadiennes. L’un des 13 éléments du mandat du comité était de conseiller le ministre de la Sécurité publique concernant la capacité du Service correctionnel du Canada de gérer les violations des conditions de libération conditionnelle et les griefs non fondés et vexatoires des délinquants.

L’ancien président du comité d’examen témoigne aussi aujourd'hui. Je témoigne quant à moi en ma qualité de présidente de Victims of Violence, à l’appui de ce projet de loi. Pour éviter de répéter les propos de M. Sampson concernant les recommandations faites par le comité il y a cinq ans, et en raison des contraintes de temps, ma déclaration préliminaire se limite aux points de vue et opinions de notre organisme relativement au projet de loi dont le Sénat est saisi. Cependant, je suis disposée à répondre en tant qu’ancienne membre du comité d’examen aux questions que le comité pourrait vouloir me poser.

Nous devons d’abord nous rappeler qu’un service correctionnel est, après tout, une entreprise humaine. Les intérêts des délinquants, du personnel et de la direction du service, ainsi que de la population, doivent être pris en compte. Le projet de loi C-293 propose de donner au commissaire du Service correctionnel du Canada le pouvoir de désigner un délinquant comme étant un plaignant quérulent, les règles d’une telle désignation étant fixées par règlement. Comme je le disais, Victims of Violence appuie ce projet de loi.

Nous avons l’impression que, au Service correctionnel du Canada, la procédure de présentation de griefs est devenue une arme supplémentaire dans l’arsenal des plaignants quérulents qui, une fois qu’ils ont épuisé les recours, utilisent la procédure de présentation de griefs comme un autre moyen de communiquer avec les autorités.

Dans l’état actuel des choses, le système n’est pas juste. Il n’est pas efficace, parce que le processus de règlement des griefs est extrêmement complexe. À notre avis, le système est conçu pour donner à tout délinquant ayant un motif de plainte un système en or, offrant toutes les protections qui ne se trouvent pas dans les systèmes offerts à la population générale. Il y a des cas où de telles protections sont nécessaires, mais telles qu’elles existent actuellement, elles nuisent à l’ensemble de la population carcérale, alors qu’elles sont conçues pour assurer l’équité.

En tant qu’organisme public non gouvernemental, nous sommes d’avis que ce problème de longue date comporte un élément d’intérêt public qui pourrait être jugé inacceptable, sur le plan des dépenses de l’État. Le commissaire a dit dans son témoignage que le Service correctionnel du Canada avait consacré environ 5 millions de dollars aux salaires et au fonctionnement du processus de règlement des griefs au cours de l’exercice passé. Au coût des griefs des détenus pour le SCC s’ajoute le budget annuel d’environ 1,5 million de dollars du Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui se consacre aussi à l’étude des griefs des détenus.

Nous aimerions attirer l’attention sur un fait que nous jugeons insensé relativement à la perception qu’a le public de la façon dont le fisc dépense son argent pour traiter les griefs des détenus. M. Zinger, directeur exécutif et avocat général, a dit dans son témoignage à la Chambre des communes que l’enquêteur correctionnel peut faire enquête sur les plaintes des détenus fédéraux, qu’ils aient ou non déjà présenté une plainte semblable au moyen du processus interne du Service correctionnel du Canada.

Il a dit que le bureau traitait avec la même clientèle que le Service correctionnel du Canada et qu’il recevait aussi un grand nombre de plaintes venant des mêmes plaignants quérulents, que ce projet de loi qualifie de vexatoires. Ce qui est insensé, c'est que, selon nous, ces services du SCC et du Bureau de l’enquêteur correctionnel font double emploi, et que ce sont les contribuables qui paient.

En outre, les détenus peuvent présenter des griefs au Commissariat aux langues officielles, à la Commission canadienne des droits de la personne, à l’Ordre des médecins et chirurgiens et ailleurs. Chaque endroit a un processus de règlement des griefs. Cela coûte-t-il quelque chose au SCC? Si le grief aboutit en cour, le SCC doit payer. Par ailleurs, le public souhaite que l’argent qu’il verse à l’État soit bien dépensé, de manière à atteindre les résultats voulus. La population s’attend aussi à ce que les recettes fiscales soient utilisées aussi efficacement que possible, dans une mesure raisonnable.

Nous croyons que certains éléments du processus de règlement des griefs doivent être modernisés, et l’essentiel pour ce faire est de simplifier les règles. La première chose serait de donner au commissaire du Service correctionnel du Canada le même pouvoir qu’a l’enquêteur correctionnel quand il traite avec des plaignants quérulents. L’enquêteur correctionnel a le pouvoir de ne pas répondre à une plainte s’il juge qu’elle est mal fondée et vexatoire, mais le commissaire de SCC n’a pas ce pouvoir. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a plus de latitude que le Service correctionnel du Canada quand il est aux prises avec une multitude de plaignants quérulents, et le SCC devrait avoir la même capacité.

M. Howard Sapers a dit au comité de la Chambre des communes que la loi établissant le Bureau de l’enquêteur correctionnel, la LSCMLC, est la même qui établit le Service correctionnel du Canada et qui donne à l’enquêteur correctionnel les pleins pouvoirs quant à la façon dont il traitera les plaintes, afin qu’il ait plus de flexibilité.

M. Zinger, avocat général au Bureau de l’enquêteur correctionnel, a affirmé ceci au comité:

Nous avons plus de latitude et de pouvoir discrétionnaire. Nous pouvons simplement refuser de recevoir la plainte et la rejeter immédiatement, mais nous ne le faisons pas. Nous répondons à toutes les plaintes.

Nous recevons effectivement un grand nombre de plaintes de ce genre provenant d'un petit nombre de détenus quérulents, mais il nous est assez facile de les traiter. S'il s'agit de plaintes futiles, vexatoires ou faites de mauvaise foi, nous y répondons immédiatement. Tout ce qui est différent dans le cas du service, c'est qu'en vertu de la réglementation en vigueur, si le délinquant est mécontent de la réponse qu'on lui donne, il peut porter l'affaire au niveau suivant, et continuer à le faire jusqu'au niveau du commissaire.

Pour terminer, je dois dire que nous sommes mal à l’aise à l’idée qu’un problème puisse faire l’objet d’une plainte et être étudié officiellement, puis être examiné séparément dans le cadre d’un deuxième, d’un troisième et d’un quatrième processus de règlement des griefs. Nous savons que ce n’est pas la fin du monde, mais il faut faire quelque chose. Nous croyons que l’adoption de cette mesure aidera le Service correctionnel du Canada à respecter son obligation légale de régler les griefs des détenus. Nous demandons au comité d’envisager sérieusement l’adoption de ce projet de loi.

Merci de m’avoir permis d’exprimer notre opinion et nos idées à l’appui du projet de loi C-293.

Le président: Nous passons maintenant aux questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Merci beaucoup, madame Rosenfeldt et monsieur Sampson. Ma première question sera pour M. Sampson.

J'écoutais le témoignage tantôt des deux représentants du Bureau de l'enquêteur correctionnel, et j'ai été surpris des statistiques qu'ils nous donnent: 50 p. 100 de la clientèle souffriraient de problèmes psychiatriques. Ils l’ont ensuite nuancé en parlant de problèmes psychologiques et psychiatriques. Pour moi, cela enlève beaucoup à la crédibilité du témoignage que de confondre les deux. Ce sont des problèmes de nature totalement différente. Lorsque vous avez fait votre analyse en 2007, par rapport à la clientèle de ceux qui ont des problèmes psychiatriques, est-ce que vous avez fait des recommandations particulières? Il est évident que quelqu’un qui a des problèmes psychiatriques aura des comportements plus irréguliers, plus erratiques, et qu’on ne peut pas traiter ses plaintes de la même manière que celles de quelqu’un qui a toute sa tête. Est-ce que, dans votre rapport, vous avez distingué ces deux types de plaintes à traiter?

[Traduction]

M. Sampson: Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Le rapport traite de la question des détenus ayant un problème de santé mentale signalé au moment de l’admission. Je pense que, lorsque vous avez questionné l’enquêteur correctionnel, il vous a donné des statistiques concernant les détenus au moment de l’admission. Certains problèmes de santé mentale sont alors indiqués. Je pense qu’il vous a aussi parlé de ceux qui suivent des programmes du domaine de la santé mentale.

Cependant, nous n’avons pas préparé un rapport distinct sur les problèmes de santé mentale. Nous n’avons pas fait une distinction concernant le facteur santé mentale dans les griefs vexatoires. Nous n’avons pas déterminé si un certain pourcentage des griefs vexatoires venait de détenus qui, au moment de leur admission, avaient un problème de santé mentale.

Le dossier de la santé mentale dans l’univers correctionnel comporte de grandes difficultés. J’essaie de me remémorer un rapport que nous avons écrit il y a deux ou trois ans, voire davantage, mais, essentiellement, nous avons voulu indiquer que le Service correctionnel du Canada devait se doter d’un programme visant les personnes ayant un problème de santé mentale, et plus particulièrement un problème lié à la toxicomanie, c’est-à-dire une proportion énorme de la population des délinquants.

Je ne suis pas certain d’avoir bien répondu à votre question. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas cherché à déterminer si les griefs vexatoires provenaient principalement d’un groupe en particulier.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Le cas qui me vient à l’esprit en particulier est celui de ce professeur qui a assassiné ses collègues de travail, qui est incarcéré et qui, pendant des années, a occupé à plein temps un employé du service correctionnel juste pour traiter ses plaintes.

Dans de tels cas, est-ce qu'on laisse aller ces gens dans le système ou y a-t-il une procédure un peu plus limitée pour faire en sorte qu’ils n’abusent pas des ressources et du système?

[Traduction]

M. Sampson: Oui, il devrait y avoir une procédure amenant le Service correctionnel du Canada à aider la personne ayant un problème de santé mentale, plutôt que de mettre l’accent sur les règles à suivre et la paperasse à remplir pour traiter la plainte. C’est ce que j’ai voulu dire essentiellement dans ma déclaration liminaire.

Nous pouvons certainement trouver un moyen de traiter administrativement ces griefs vexatoires de manière à concentrer nos efforts immédiatement sur le problème fondamental qu’ont ces personnes. Les services correctionnels destinés au détenu doivent être axés sur sa réadaptation. Sinon, le temps s’écoule et ces personnes finissent par sortir de prison en étant de nouveau un problème pour la société. C’est en quelque sorte le cœur de nos recommandations.

Je pense qu’il serait de loin préférable pour la société en général si le temps, les efforts et l’argent consacrés au problème des griefs vexatoires servaient plutôt à s’occuper du problème fondamental de la santé mentale ou des autres besoins correctionnels des délinquants.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Madame Rosenfeldt, vous avez dit que le processus de plainte, actuellement, est une arme additionnelle aux mains des gens qui sont incarcérés. Est-ce que vous voulez préciser votre pensée sur ce point?

[Traduction]

Mme Rosenfeldt: Comme M. Sampson et d’autres personnes l’ont indiqué, il semble que certains délinquants ne suivent aucun programme de réadaptation offert dans le système correctionnel, et ils ont le droit de refuser. Nous avons entre autres cerné, dans notre rapport, le problème du changement dans les caractéristiques des délinquants. Il y a davantage de récidivistes; ils reviennent constamment dans le système. Je m’éloigne du sujet et je serai brève, mais je veux simplement vous dire que beaucoup de délinquants décident de ne suivre aucun programme de réadaptation en raison de la courte durée de leur incarcération. Ils se disent: « à quoi bon, puisque je sortirai de toute façon dans deux ou trois ans. » Ces délinquants reviennent constamment en milieu carcéral.

Je suis d’accord avec M. Sampson. Dans notre rapport, nous avons inclus des recommandations voulant que le délinquant ait une responsabilité plus grande. Je ne sais pas comment on s’y prendra exactement, mais il faut certainement examiner cette question.

Le sénateur Fraser: J’ai toujours l’impression que, lorsqu’on veut légiférer dans les moindres détails, on finit par compliquer les choses, plutôt que de les simplifier et de les rationaliser. Qui dit loi dit procès et jugements. Je ne nie pas l’existence des plaignants quérulents, mais pensez-vous vraiment qu’on arrivera à régler plus efficacement le problème que posent ces personnes en mettant cette disposition dans la loi? Ne serait-il préférable d’employer des mesures administratives? Il me semble que c’est ce que M. Sampson a voulu dire.

Monsieur Sampson, je mentionne vos propos, alors vous pourriez me dire si j’ai tort ou j’ai raison.

M. Sampson: Monsieur le sénateur, aucune loi ne saurait rendre tout le monde raisonnable. Je ne suis pas le premier à le dire. La solution à ces problèmes réside en fait dans le bon sens. Arrive un point où le bon sens exige que l’on dise: « Ça suffit; pourrions-nous simplement concentrer nos énergies sur vos difficultés, de telle sorte que vous ne reveniez pas en prison après avoir été remis en liberté. »

Cela dit, le Service correctionnel du Canada a besoin d'outils pour y arriver. Je ne pense pas, monsieur le sénateur, que ce projet de loi oblige le SCC à appliquer automatiquement certaines dispositions législatives. Autrement dit, il aurait la latitude nécessaire pour appliquer les mesures administratives qu’exige le bon sens à une personne qui se sert de la loi essentiellement pour causer des problèmes, plutôt que de concentrer ses énergies sur les difficultés qu’elle doit surmonter. Je ne pense pas que ce projet de loi constitue un carcan.

Toutefois, je dirais comme vous qu’aucune loi ne saurait rendre tout le monde raisonnable, et il nous faut manifester une bonne dose de bon sens si nous voulons faire du progrès.

Mme Rosenfeldt: Je suis d’accord avec M. Sampson.

Le sénateur Fraser: Ce projet de loi ne définit pas le terme « de façon persistante ». Il parle d’un délinquant qui a de façon persistante présenté des plaintes ou des griefs mal fondés, vexatoires ou entachés de mauvaise foi. Or, il semble y avoir une vaste gamme d’interprétation de ce que pourrait vouloir dire « de façon persistante ». Auriez-vous un conseil à donner au commissaire quant au sens à donner au terme « de façon persistante »?

Mme Rosenfeldt: Dans son témoignage, le commissaire a indiqué ce que signifiait selon lui le terme « de façon persistante ». Je souscris à sa définition. Une personne qui se plaint « de façon persistante » est une personne qui porte plainte à de nombreuses reprises. C’est une question de bon sens, selon moi. Le commissaire a indiqué très clairement, lors de son témoignage, que le terme « de façon persistante » devait être employé dans la loi. Si je comprends bien, il sera employé dans les règlements aussi.

Le sénateur Fraser: Merci pour cette réponse très précise.

[Français]

Le sénateur Dagenais: Ma question s'adresse à M. Sampson, mais c'est peut-être plus un commentaire.

J'imagine que vous êtes conscient qu'on donne un droit de grief aux condamnés alors que, dans un hôpital, pour les malades ou les aînés, on n'a pas un système de plaintes aussi sophistiqué. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

M. Sampson: Je ne suis pas un expert du traitement des plaintes dans le système hospitalier, alors je pense que je vais esquiver un peu votre question. Cependant, je vous répondrai tout de même ceci: il est souhaitable que les détenus puissent porter plainte concernant un problème qui leur nuit, et j’espère que les détenus portent plainte lorsqu’un problème les empêche d’avoir accès aux programmes et aux services leur permettant de transformer leur vie. Je ne saurais trop insister sur l’importance de ce droit.

Je pense toutefois qu’il n’est pas souhaitable que des détenus puissent se servir de ce droit simplement pour causer des problèmes. Dans la mesure où un système existe et sert à traiter les plaintes des détenus qui souffrent des carences du Service correctionnel dans la prestation des programmes censés les aider à régler leurs problèmes, nous devrions voir à ce que ce système continue d’être au service des détenus, le plus efficacement et le plus humainement possible.

Cependant, comme je l’ai dit auparavant, nous ne pouvons plus nous permettre de perdre temps, énergie et argent à nous occuper de problèmes qui ne méritent pas notre attention. Notre pays ne peut pas se le permettre financièrement. Notre société ne peut pas se le permettre parce que, si des délinquants sont remis en liberté sans que le système correctionnel ait pu les replacer dans le droit chemin, il y aura davantage de victimes.

Le sénateur Jaffer: Le parrain de ce projet de loi nous a fourni, comme statistique, le nombre de 25 personnes. L’un d’entre nous a posé la question au parrain, qui a répondu que 25 personnes avaient une plainte en cours de traitement, monsieur Sampson.

Je le dis avec le plus grand respect. Madame Rosenfeldt, vous n'avez pas affirmé directement que le système de traitement des plaintes était au-dessus de nos moyens, mais M. Sampson l’a fait. J’espère que je vous cite correctement. C’est à peu près ce que j’ai entendu. Pouvons-nous vraiment considérer qu’un tel système est superflu? Pouvons-nous nous en passer dans notre démocratie?

M. Sampson: Madame la sénatrice, je préférerais qu’avec l’argent, nous aidions ces personnes à surmonter leurs difficultés. Si nous pouvons décider de l’affectation de nos maigres ressources, je préférerais qu’elles servent à prévenir la récidive parmi les délinquants. C’est ainsi que nous ferions la meilleure utilisation de notre argent, madame la sénatrice.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous devrions nous assurer que les détenus disposent d’une procédure pour porter plainte efficacement si jamais on ne leur donne pas accès aux programmes de ce type. Mais notre argent devrait servir à la réadaptation. Un système correctionnel doit fournir des services correctionnels, et les délinquants devraient se concentrer sur leur réadaptation.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Sampson, que voudriez-vous qu’un détenu fasse s’il a un grief?

M. Sampson: Il devrait porter plainte en suivant une procédure établie par le Service correctionnel du Canada. Ce projet de loi ne l’interdit pas.

Le sénateur Joyal: Madame Rosenfeldt, à la lecture de vos notes, je vois que vous avez été membre d’un groupe de travail ayant produit un rapport en 2007.

Mme Rosenfeldt: Non, j’étais membre du comité d’examen du Service correctionnel présidé par M. Sampson.

Le sénateur Joyal: Avez-vous été questionnée par le professeur Mullan lorsqu’il avait la responsabilité de produire un rapport sur le Service correctionnel et sur le traitement des plaintes des délinquants?

Mme Rosenfeldt: Non, pas personnellement. Je tiens pour acquis qu’il se serait probablement adressé au président du comité, mais je ne sais pas s’il l’a fait. Il ne m'a pas posé de questions.

Le sénateur Joyal: Monsieur Sampson, avez-vous rencontré le professeur Mullan lorsqu’il a fait son enquête et produit son rapport? Vous a-t-il questionné en raison de votre expérience passée?

M. Sampson: Il a peut-être témoigné devant le comité. Je n’ai pas mes dossiers avec moi, alors je ne peux pas vous répondre avec certitude. Il a peut-être présenté un mémoire au comité. Cependant, depuis que le comité a produit son rapport, je n’ai pas été questionné par lui.

Le sénateur Joyal: Avez-vous lu son rapport? Ma question s’adresse à chacun individuellement.

Mme Rosenfeldt: Oui.

Le sénateur Joyal: Et vous, monsieur Sampson?

M. Sampson: J’ai lu des résumés de son rapport, mais je n’ai pas lu le rapport en entier.

Le sénateur Joyal: Le rapport Mullan a été produit en 2010. Madame Rosenfeldt, vous étiez membre du comité en 2007. Le professeur Mullan n’a inclus dans son rapport aucune recommandation qui réclame directement des changements législatifs, du moins pas des changements comme ceux qui sont prévus dans le projet de loi. J’essaie de comprendre quel genre de lien il peut y avoir ou quel genre de lecture le professeur Mullan peut avoir fait de votre recommandation. Je pense que, dans votre exposé liminaire, monsieur Sampson, vous avez parlé de la recommandation 106.

M. Sampson: C’est exact.

Le sénateur Joyal: J’essaie de comprendre comment le professeur Mullan a pu formuler sa recommandation sans tenir compte de la recommandation que vous avez faite et qui, si je comprends bien, vise à changer la loi comme le prévoit le projet de loi C-293.

M. Sampson: Notre recommandation 106 indique au Service correctionnel du Canada de s’efforcer de régler ces problèmes dès la première étape. Selon moi, le projet de loi lui donnerait les outils pour ce faire. Quant à savoir pourquoi le professeur n’a pas communiqué avec nous lors de son étude, je n’en ai pas la moindre idée. Vous devriez lui poser la question.

Le sénateur Joyal: Je sais que cette recommandation se trouve dans le corps de la recommandation du professeur Mullan, car il voulait recommander l’élimination du deuxième niveau de traitement des plaintes, de manière à simplifier la procédure, ce qui me semble être l’un des changements que vous préconisez vous-même. Ce n’est pas la substance principale du projet de loi C-293, tel que je le conçois. Ce projet de loi laisserait intacts les deuxième et troisième niveaux de traitement des plaintes, alors que l’élimination de ces niveaux semble faire consensus parmi tous ceux qui ont étudié le système. À moins qu’il y ait quelque chose qui m’échappe dans le projet de loi.

Mme Rosenfeldt: Si je comprends bien ce que le commissaire a dit dans son témoignage, la recommandation du professeur Mullan sera appliquée l’an prochain, en 2013-2014, et les niveaux seront éliminés.

Vous avez raison de dire que notre rapport traite seulement du premier niveau. Comme vous avez pu vous en apercevoir en écoutant les témoignages de tout le monde, il y a des opinions divergentes dans ce dossier. Je constate que la réglementation est très lourde. En outre, le professeur Mullan a indiqué, dans son témoignage devant le comité, que le principal objectif de son enquête était l’une des recommandations du Bureau de l’enquêteur correctionnel. C’était l’une des recommandations.

Je crois que le commissaire a décidé par la suite de faire un autre examen complet. Si je comprends bien le témoignage de M. Mullan, il a essayé de déterminer précisément comment on pouvait modifier la directive du commissaire no 081. C’est ce que je comprends. J’ai peut-être tort. Je ne veux pas lui prêter des intentions qu’il n’a pas, mais je viens de lire son témoignage.

Le sénateur Joyal: Vous êtes la représentante du Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children. Franchement, je m’attendais à ce que, dans votre exposé, vous nous parliez de l’effet du projet de loi sur les victimes. Mais vous avez adopté plus ou moins le point de vue d’un contribuable. Vous avez dit que nous devions nous doter des politiques les plus efficaces qui soient, pour en avoir le plus possible pour notre argent.

Votre point de vue sur ce projet de loi est-il déterminé principalement par votre rôle de présidente du Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children ou par une volonté de vous pencher indépendamment sur le système pour l’évaluer dans son ensemble?

Mme Rosenfeldt: C’est la deuxième approche qui détermine mon point de vue. J’ai certainement essayé de faire une appréciation du projet de loi pour remplir mes fonctions de membre du comité. Si je n’avais pas fait partie du comité, je n’aurais probablement même pas été invitée à témoigner devant vous aujourd’hui.

J’ai parlé de ce projet de loi parce que nous nous intéressons à beaucoup de questions relatives au système judiciaire. Notre bureau examine tous les projets de loi qui sont présentés. Nous avons discuté du projet de loi au cours de nos réunions, et nous savions que le comité d’examen avait déjà étudié la question. Notre organisme appuie ce projet de loi. Nous pensons que le commissaire devrait se voir accorder les pouvoirs discrétionnaires qu’il cherche à obtenir, en plus de vouloir appliquer certaines recommandations formulées par le professeur Mullan, ce qu’il a déjà commencé à faire en fournissant des services de médiation dans 10 établissements, je crois. Je crois que ces services ont d'abord été offerts à titre de projet pilote et que, si je m’en tiens à ce que dit M. Sapers, ils donnent d’excellents résultats. Cependant, nous ne disons pas que la seule mesure à adopter est de donner ce pouvoir discrétionnaire au commissaire.

Le président: Vous avez répondu à la question dès les 10 premières secondes, mais nous vous savons gré de l’avoir étoffée.

J’ai une petite question, que j’ai aussi posée à M. Sapers. Je l’adresse à Mme Rosenfeldt, car je sais qu’elle s’intéresse à la transparence et à la reddition de comptes. J’ai abordé le fait de confier la supervision à un organisme indépendant plutôt qu’au commissaire.

Je sais qu’il y a quelques années, vous avez présidé l’Office des affaires des victimes d’actes criminels de l’Ontario. C'est, je crois, l’organisme qui a fait éclater le scandale du quota de 50/50: le Service correctionnel libérait des détenus de façon à respecter un quota secret dont on a initialement nié l’existence avant d’essayer de le camoufler. J’ai déjà parlé, dans une intervention avec la témoin précédente, l’attitude du Service correctionnel du Canada dans l’enquête sur l’affaire Smith et son manque de coopération sur le plan de la divulgation.

Le projet de loi donne, en quelque sorte, carte blanche au commissaire. Cela vous inspire-t-il confiance ou préféreriez-vous qu’il y ait une supervision indépendante?

Mme Rosenfeldt: Lorsque je siégeais au Comité d’examen, nous avons passé six mois en étroite collaboration avec le commissaire, qui était alors sous-commissaire. Je n’ai aucun problème avec lui. Ce n'était pas le même commissaire à l’époque du scandale que vous évoquez.

Le commissaire actuel est en poste depuis trois ans et a été sous-commissaire durant cinq ans. Je crois que les gens apprennent de leurs erreurs. L’affaire Ashley Smith est une véritable tragédie.

Le président: Au bout du compte, vous n’avez aucun problème avec le projet de loi.

Mme Rosenfeldt: Non, aucun problème.

Le président: Je vous remercie tous les deux. Mieux vaut tard que jamais. Nous vous savons gré d’avoir témoigné ce soir afin d’alimenter nos délibérations. Monsieur Sampson, madame Rosenfeldt, ce fut un plaisir de vous voir. Joyeux Noël.

Nos prochains témoins sont John Martin, criminologue à l’Université Fraser Valley, et John Conroy, qui se joint à nous depuis Vancouver par téléconférence. Bienvenue à tous les deux.

John Martin, criminologue, Université Fraser Valley, à titre personnel: Je tiens à remercier le comité de l’invitation. C’est toujours un plaisir pour moi de profiter de telles occasions. J’ai souvent fait ce genre de chose, mais venir témoigner ici reste un exercice d’humilité. Merci beaucoup.

J’appuie le projet de loi de tout coeur, même si, de toute évidence, il faudra retoucher les définitions et tout ça.

Après avoir lu la transcription des témoignages, j’ignore ce que je pourrais apporter de plus au débat en ce qui concerne les précédents ou les répercussions concrètes de la situation actuelle sur les ressources. Cependant, j’aimerais revenir sur quelque chose qu’a dit le sénateur Frum. Le commissaire a abordé la question, mais je n’ai pas vraiment vu de discussion sur les répercussions du projet de loi et tout ce qui entoure la réhabilitation.

Le système correctionnel vise la normalité autant que possible. Au fur et à mesure que quelqu’un purge sa peine et que son niveau de sécurité diminue, son milieu devient de plus en plus normal. On en vient à ne même plus parler d’« incarcération », mais de « logement ». À l’échéance d’une peine, lorsque le niveau de sécurité est minimal, le logement est plus proche d’une résidence universitaire que de l’image courante d’une prison.

Il est primordial de réhabiliter les contrevenants et de chercher à les réinsérer dans la collectivité aussi vite et de façon aussi sécuritaire que possible. Voilà, essentiellement, le mandat du système. Je ne crois pas qu’il soit le moindrement utile de renforcer et de valider un type de comportement qui est aux antipodes avec le fonctionnement réel de la société. Comme ce fut souvent le cas dans les témoignages, on peut s’attarder aux griefs qui portent sur la grosseur des pommes de terre ou les oeufs baveux. C’est la vie. Je suis venu de Vancouver avec Air Canada: vous prêchez un converti.

Concrètement, pour que les contrevenants soient d’honnêtes citoyens lorsqu’ils sont relâchés, il faut améliorer leurs habiletés fondamentales. Selon moi, il est tout à fait destructeur et contre-productif par rapport à tout ce qu’accomplit le milieu correctionnel de cautionner et de tolérer un comportement qui est complètement aux antipodes de ce qu’on considère comme normal en société.

Honnêtement, le problème n’est pas propre au Service correctionnel du Canada. Nous connaissons certainement tous un de ces avocats qui scrutent Internet à la recherche de tout ce dont quelqu’un, quelque part, un jour ou l’autre, pourrait se formaliser, afin de déposer une plainte pour violation des droits de la personne. Lorsque les gens prennent un bon bain chaud, certains font des mots croisés, alors que d’autres remplissent des demandes d’accès à l’information. Ça arrive, mais ce ne devrait manifestement pas être toléré dans le milieu correctionnel — laisser quelqu’un se plaindre constamment, se poser systématiquement en victime et, finalement, utiliser les griefs comme une espèce d’accessoire de mode. C’est tout à fait contre-productif par rapport à tout ce qui est accompli sur les plans de la socialisation, de la réforme et de la réhabilitation.

L’idée de limiter le droit de quelqu’un à présenter des griefs est tout à fait logique. C’est une question de gros bon sens. Dans la vraie vie, personne ne peut se plaindre constamment et indéfiniment. Le milieu carcéral doit, autant que possible, refléter cette réalité. Le projet de loi est un petit pas dans la bonne direction et j’y suis tout à fait favorable.

Le président: Merci, monsieur.

John Conroy, avocat, à titre personnel: Je viens de la même région que M. Martin, mais j’ignore s’il s’est rendu dans les mêmes prisons que moi, car je ne les décrirais absolument pas comme des résidences universitaires.

En tant qu’avocat en exercice, je ne scrute pas Internet à la recherche de dossiers, mais il y a plus de 40 ans que je vais voir des détenus. Au début de ma carrière, il n’y avait pas de procédure de grief. Il y avait des révoltes, des prises d’otage et de la violence. L’objectif de la procédure de grief consiste essentiellement à inciter des gens au passé violent à exercer des recours pacifiques. C’est mon expérience personnelle.

Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse récente de David Mullan à propos de la procédure de grief dans son ensemble. J’invite les sénateurs à se concentrer sur le rapport, les résolutions et les recommandations connexes, qui ne se cristallisaient pas sur le caractère vexatoire ou mal fondé des plaintes, même si M. Mullen a traité de la question des griefs multiples.

Je précise qu’il semble régner une certaine confusion parmi les témoignages qui vous ont été soumis. Ainsi, le commissaire a notamment parlé de chiffres, et son témoignage semble correspondre à l’expérience M. Mullan et à la mienne: des griefs multiples plutôt que vexatoires ou mal fondés. Il faut clarifier les choses sur le plan statistique et chiffrer le nombre de griefs qui sont réellement mal fondés, vexatoires ou entachés de mauvaise foi. Je conviens qu’il y a un problème, mais je trouve que M. Mullan a relevé des problèmes autrement plus graves et proposé des solutions d'envergure.

Je n’adhère pas à l’approche préconisée dans le projet de loi pour régler le problème, qui, je crois, n'en serait qu'exacerbé. C’est une interdiction. Lorsque quelque chose qui est en demande est frappé d'un interdit, les gens — et pas seulement dans les prisons — se plaignent et trouvent le moyen de le contourner ou de le violer autrement. J’ai lu les observations de certains autres témoins et je suis d’accord: la mesure proposée alourdira probablement la tâche du commissaire au lieu de l’alléger.

Je prônerais une approche réglementaire semblable à celle que propose M. Mullan: éliminer le deuxième palier de la procédure de grief et se concentrer sur le contrôle des plaignants qui posent problème au lieu d’imposer une interdiction. J’appuie fermement les recommandations de M. Mullan.

J’espère qu’avant de décider de quoi que ce soit relativement au projet de loi, vous prendrez tous connaissance du jugement rendu le 12 juillet dernier, il y a six mois à peine, par la juge Mactavish dans l’affaire Spidel. On y lit que le problème avec la procédure de grief découle d’une hausse soudaine du nombre de plaintes depuis quelque temps et non de la nature vexatoire ou mal fondée de celles-ci. La preuve en cause dans cette affaire montre que, depuis des années, le Service correctionnel du Canada ne s’acquitte pas du mandat que lui confère la loi à cet égard et que la situation n’est pas strictement attribuable aux auteurs de plaintes mal fondées ou vexatoires. Il faut revenir aux anciennes méthodes en recourant davantage aux commis aux griefs et aux coordonnateurs des griefs, et engager les prisonniers eux-mêmes dans la démarche, car ces derniers pourront certainement persuader les détenus compromettant leur capacité à déposer des griefs plus efficacement que ne pourrait le faire le commissaire en vertu de la procédure proposée dans le projet de loi.

Le président: Merci, maître Conroy.

Commençons la ronde de questions par la vice-présidente, madame la sénatrice Fraser.

Le sénateur Fraser: Je vous remercie tous les deux de votre présence. Vos témoignages sont fort intéressants.

Maître Conroy, pourriez-vous en dire davantage sur ce qui distingue les griefs multiples des griefs mal fondés ou vexatoires?

Me Conroy: En vertu de la procédure de grief actuelle, la première personne à traiter une plainte a le pouvoir de la rejeter si elle est mal fondée, vexatoire ou entachée de mauvaise foi — une plainte offensante ou dont l’auteur abuse du système ou s’adonne à un manège au lieu de simplement exprimer de nombreuses doléances. Certains de mes clients présentent beaucoup de plaintes. Or, auparavant, ils se montraient violents et attaquaient le personnel. C'est dans le cadre de leur réforme et de leur réhabilitation qu'on les a incités à se prévaloir de la procédure de grief. L’étape suivante consiste maintenant à leur faire viser la qualité plutôt que la quantité.

Si on interdit purement et simplement aux auteurs de griefs multiples — un groupe qui, selon les données actuelles, semble englober les détenus que je viens d’évoquer — de présenter de nouvelles plaintes, je redoute qu’ils se rabattent de nouveau sur la violence. Notre objectif consiste à inciter ces personnes à valoriser et à respecter la loi ainsi qu’à régler leurs différends de façon pacifique.

Le sénateur Fraser: Parmi vos clients qui sont auteurs de griefs multiples, combien déposent des plaintes que les profanes qualifieraient de fondées, de légitimes, et combien ne voient en cette démarche qu’un autre moyen de se défouler?

Me Conroy: Je crois qu’il y a souvent un peu des deux. Lorsqu’on croule sous les griefs, il faut trouver les plus pertinents. Parcourir les plaintes permet de constater que certaines sont légitimes.

Par exemple, le commissaire à la vie privée a confirmé récemment 15 plaintes qu’un homme a déposées en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels afin d’avoir accès à l’enregistrement vidéo d’événements survenus dans son établissement. Pourtant, cet homme se fait souvent dire que ses plaintes sont mal fondées, vexatoires ou empreintes de mauvaise foi. Le problème, c’est que les plaintes mal fondées ou multiples en cachent d’autres, légitimes. On ne peut donc pas se contenter d’une interdiction: quelqu’un doit séparer le bon grain de l’ivraie.

Le sénateur Fraser: Maître Conroy, tout d’abord, puis monsieur Martin, pourriez-vous nous dire s’il est souhaitable d’adopter un système où il revient au commissionnaire d’autoriser ou non quelqu’un à présenter un grief à l’égard du service qu’il fournit, comme le propose le projet de loi? Ce système tiendrait-il la route et serait-il équitable?

M. Conroy: Non, je ne crois pas que ce soit réaliste. Je pense que cela lui donnera un surcroît de travail et j’estime que ce n’est juste.

Le professeur Mullan recommande l’élimination de certains paliers de grief afin d’en réduire le nombre. À mon avis, il ne devrait y en avoir qu’un seul. On porte plainte à l’établissement et celui-ci décide s’il y a lieu de consulter le palier régional ou le palier national, c’est tout. L’étape suivante consiste à porter la cause devant la Cour fédérale. Si l’affaire est importante pour le prisonnier, qu’il a l’argent voulu et qu’il peut intenter une poursuite — et il y aura des gens qui seront prêts à le financer si la cause présente un certain intérêt — un tribunal indépendant, la Section de première instance de la Cour fédérale, serait le mieux placé pour déterminer si la plainte satisfait au critère établi.

Si l’établissement a décidé que la plainte était mal fondée ou frivole et vexatoire, la personne concernée devrait pouvoir porter sa cause devant la Cour fédérale, et c’est cette dernière, et non le commissaire, qui se prononcerait là-dessus.

M. Martin: Je signalerai pour commencer que la majorité des plaintes sont réglées à l’amiable, par un simple échange entre le personnel et les détenus. Quand il faut aller plus loin, je fais pleinement confiance au commissaire. Je pense qu’il faut lui confier ce pouvoir discrétionnaire. Je n’y vois aucun inconvénient.

[Français]

Le sénateur Dagenais: Si je vous ai bien compris Monsieur Conroy, on est mieux de laisser aller les abuseurs de griefs peu nombreux de peur de provoquer de la violence et des émeutes. Est-ce que j'ai bien compris?

[Traduction]

M. Conroy: Si la personne qui reçoit le grief selon la procédure normale est d’avis que celui-ci est mal fondé, vexatoire ou entaché de mauvaise foi, c’est en ce sens qu’il devrait rendre sa décision. Il devrait appartenir au prisonnier de décider s’il portera l’affaire devant les tribunaux ou prendra des mesures quelconques au sujet de cette classification, car si c’est le commissaire qui se prononce là-dessus, il en résultera d’autres griefs, d’autres plaintes et d’autres révisions judiciaires de la décision qu’il aura rendue.

Le sénateur Baker: Messieurs Conroy et Martin, je vous félicite pour vos excellents exposés.

Monsieur Conroy, vous nous avez suggéré de lire l’arrêt Spidel c. Canada, rendu par la juge Anne Mactavish, je crois. Si je me souviens bien, il s’agissait d’une demande de révision judiciaire d’une décision rendue par le commissaire — et dans cette affaire, le sous-commissaire a témoigné devant la Cour fédérale — au sujet d’une plainte formulée par M. Spidel quant à la façon dont le processus de règlement des plaintes se déroule dans nos prisons. Est-ce bien cela?

M. Conroy: Oui.

Le sénateur Baker: Voici ce qui me préoccupe à ce sujet, après la lecture du jugement: le commissaire a affirmé que c’est la complexité des plaintes — il n’a pas du tout parlé de plaintes vexatoires — qui explique le retard dans l’étude de celles-ci et le problème relatif au système de plaintes dans nos prisons. Dans sa conclusion, la juge Mactavish fait remarquer que le sous-commissaire déclare, au nom du commissaire, que le problème tient à la complexité des plaintes et n’a rien à voir avec l’objet du projet de loi dont nous sommes saisis. Était-ce là votre conclusion?

M. Conroy: C’est juste.

Le sénateur Baker: Il s’agissait d’une procédure devant la Cour fédérale. Une procédure devant un comité sénatorial est une procédure judiciaire aux termes de l’article 118 du Code criminel. L’article 136 du Code criminel stipule que si on déclare quelque chose au cours d’une procédure judiciaire et qu’on rend un témoignage contraire au cours d’une autre procédure judiciaire, on commet une infraction pour laquelle on est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans.

D’après le projet de loi, ce qui cause problème, dans le système, ce sont les plaignants quérulents. Le commissaire a, à toutes fins pratiques, souscrit à cette thèse dans son témoignage devant le comité, mais c’est autre chose qu’il a déclaré devant la Cour fédérale, et celle-ci lui a demandé de dire exactement en quoi consistent les problèmes relatifs aux plaintes. Nous diriez-vous ce que vous en pensez?

M. Conroy: Je suis essentiellement d’accord avec cela. D’après le témoignage que les fonctionnaires du Service correctionnel du Canada ont présenté, le tribunal a jugé que ceux-ci ne comprenaient pas vraiment la nature du problème. De mon côté, je pense que ce qu’ils ont dit, c’est que le problème tient à la récente augmentation et à la complexité des plaintes, mais qu’ils n’ont pas parlé des plaintes mal fondées ou futiles et vexatoires. Rien n’a été dit non plus des plaignants multiples, les personnes qui portent plainte fréquemment.

Cela ne veut pas dire qu’il ne s’agit pas là de problèmes. Je reconnais que ces situations sont problématiques, mais dans son rapport, le professeur Mullan mentionne un certain nombre de solutions constructives pour amener le Service correctionnel du Canada à remplir le mandat que lui confère la loi et qu’il n’a pas rempli en plus de 10 ans. C’est très bien expliqué dans la décision. Il y aura évidemment des gens qui présenteront des plaintes à répétition, parce que si une personne porte plainte et que les autorités concernées ne se conforment pas à la loi, aux règlements ou aux directives, elle se plaindra qu’elles n’ont pas fait ce qu’elles sont censées faire. Et si les autorités ne donnent pas suite à sa plainte, la personne se plaindra de nouveau. C’est le comportement humain. On appelle cela avoir la possibilité de se plaindre de la façon dont on est traité. D’après mon expérience, étiqueter et interdire ce genre de comportement conduira à des réactions plus vives et à des problèmes plus sérieux et non le contraire.

Le sénateur Baker: Merci. Je félicite le témoin des victoires importantes qu’il a remportées récemment contre le ministre fédéral, l’honorable Vic Toews, dans de nombreux jugements. Je m’en réjouis pour lui.

Le sénateur White: Monsieur Convoy, vous avez fait allusion à un prisonnier qui s’est adressé au commissaire à la protection de la vie privée au sujet de plaintes qui avaient été mises de côté parce qu’elles étaient jugées vexatoires. Si ce projet de loi est adopté, il n’y aura rien de changé. Un prisonnier pourra encore faire appel à une ressource externe, comme le commissaire à la protection de la vie privée ou la Commission des droits de la personne. Est-ce exact?

M. Conroy: Tout à fait. Je ne sais pas si le prisonnier a été jugé comme un plaignant quérulent. Il entre certainement dans la catégorie des plaignants multiples. Tout ce que je peux dire, c’est que nous trouvons tous difficile de devoir traiter des plaintes multiples, surtout si cela se poursuit.

Je reconnais que c’est un problème. Tout ce que je veux dire, c’est que, parmi ces plaintes multiples, certaines seront tout à fait légitimes. Les empêcher toutes conduira à un problème.

Le sénateur White: Cela n’empêchera pas les plaignants de faire appel à une ressource externe s’ils le jugent nécessaire.

M. Conroy: Si la plainte se rapporte à la protection de la vie privée ou aux droits de la personne, ils le pourront certainement.

Le sénateur Joyal: Ma question s’adresse à vous deux et découle de ce que je comprends du fond du projet de loi. D’après ce que je comprends, le projet de loi privera le délinquant, pour reprendre les mots du projet de loi, du droit de présenter des plaintes pendant un an. Quand on prive quelqu’un d’un droit, les principes de la justice naturelle s’appliquent.

Il faut, d’abord et avant tout, connaître la loi, et la loi doit préciser ce qu’on entend par frivole ou mal fondé. Il faut ensuite que la loi établisse clairement ce qui est vexatoire et ce qui constitue une preuve que la plainte est entachée de mauvaise foi.

En outre, comme ma collègue, madame la sénatrice Fraser, l’a signalé, l’instance qui prend la décision doit paraître indépendante et ne pas être chargée de mettre le système en œuvre et de le juger en même temps, parce qu’on prive quelqu’un d’un droit. C’est très sérieux. La décision est rendue pour un an, pas pour une courte période. Quand on est en prison et privé de liberté, un an, c’est beaucoup.

Cette mesure compliquera le système parce qu’elle y ajoutera un autre palier dont la décision pourra faire l’objet d’un examen judiciaire. Quand une personne est privée du droit de présenter des plaintes ou des griefs parce qu’elle en a déjà présentés qui étaient mal fondés, vexatoires ou entachés de mauvaise foi, le tribunal peut être appelé à déterminer si les plaintes et les griefs en question sont effectivement mal fondés, vexatoires ou entachés de mauvaise foi. Combien de plaintes faut-il présenter pour qu’on arrive à cette conclusion? Tout cela devra être examiné par un tribunal. La formule envisagée pour régler le problème me semble donc très lourde sur le plan judiciaire.

Le professeur Mullan a recommandé une façon de régler les conflits beaucoup plus souple que la « judiciarisation » du système. Est-ce que j’interprète le projet de loi comme il faut ou pensez-vous, comme l’a avancé un témoin, qu’il s’agit simplement d’une « possibilité » et que le commissaire n’aura recours à cette mesure que dans certaines circonstances et à l’égard d’un nombre bien précis de personnes? Le commissaire devra y recourir, quand le projet de loi sera adopté. Il aura le droit de le faire et, comme je l’ai dit, tous ceux qui se sentiront lésés par la décision pourront la contester.

M. Conroy: Je pense que vous avez bien décrit la situation, et c’est pourquoi je dis que le problème se situe sur le plan de l’interdiction et non de la réglementation. On parle de réexamen annuel, mais la personne de première ligne qui reçoit la première plainte décidera si celle-ci est mal fondée ou vexatoire. Cela peut se produire à de nombreuses reprises. D’après la façon dont il est prévu que les choses se passeront, cette personne conclura que le délinquant concerné porte plainte à répétition et renverra la plainte au bureau du commissaire. Quelqu’un d’autre aura déjà pris la décision et le commissaire ne fera que l’entériner. Il l’examinera, dira qu’elle correspond au nombre de plaintes sur lequel on s’est entendu et l’approuvera automatiquement.

Comme il est impossible de respecter les délais prescrits à l’heure actuelle, je m’attends à ce que l’examen se fasse annuellement, mais il faudra plus d’un an avant que l’intéressé puisse présenter une nouvelle plainte dans le cadre de ce système. S’il est impossible de respecter les délais actuels, pourquoi croiriez-vous qu’il sera possible de respecter ceux-là?

M. Martin: Je ferai respectueusement remarquer que je ne suis pas d’avis que le but du projet de loi est de priver quelqu’un de son droit. Selon moi, il vise plutôt à établir que l’abus du droit a des conséquences. L’adoption du projet de loi n’éliminera pas le droit de présenter un grief.

Le sénateur Joyal: Elle le supprimera pendant un an.

M. Martin: Je ne trouve pas cela excessif, irréaliste ou trop sévère.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Conroy, vous avez commencé par dire que c’était pour atténuer le problème de la violence dans les prisons que le processus de griefs avait été instauré. Vous ai-je bien compris?

M. Conroy: Le processus a été instauré dans les années 1970. Il n’existait pas auparavant, et il a été mis en place afin de réduire la violence et d’inciter les gens à recourir à des moyens pacifiques pour régler les problèmes.

Le sénateur Jaffer: Dans l’édition d’août 2012 du Law Times, vous avez dit ce qui suit: « Cela fait bien des années que la procédure de règlement des griefs est extrêmement mauvaise et inefficace. D’après mes 40 ans d’expérience comme avocat, je recommande aux prisonniers d’éviter d’y avoir recours, si ce n’est pour constituer un dossier de preuve et montrer à quel point la position du SCC peut être ridicule. » Êtes-vous toujours du même avis?

M. Conroy: Oui, et cette position est renforcée par les conclusions de la juge Mactavish dans l’affaire Spidel et celles des enquêteurs correctionnels depuis plus de 10 ans, notamment celles de M. Sapers, l’enquêteur correctionnel actuel. Le SCC met toutes sortes de choses dans les directives et les lignes directrices, mais ne les suit pas. Malheureusement, les prisonniers sont obligés de les suivre avant de pouvoir aller en cour. Ils doivent franchir ces étapes et voir ce qu’on leur répond pour que cela puisse faire partie des éléments de preuve dont la Cour est saisie.

Le sénateur Jaffer: Au paragraphe 91.1(2) du projet de loi, on lit ceci: « Le commissaire réexamine l’interdiction annuellement et communique, par écrit, au délinquant ses motifs pour confirmer ou lever l’interdiction. » Il ne s’agit pas d’une interdiction d’un an. Celle-ci pourrait durer bien des années. Depuis que nous sommes saisis de ce projet de loi, on nous dit que le processus prend une éternité. Compte tenu du nombre élevé de plaintes, comment est-ce que le commissaire pourra réexaminer celles-ci chaque année? Je ne vois pas comment cela pourra se faire. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Conroy: Je suis du même avis. Cela va lui donner plus de travail. Certains témoins se sont demandé si le commissaire pourrait déléguer cette tâche. S’il ne peut pas la déléguer, il est ahurissant de penser que le commissaire serait obligé de trancher tous ces dossiers et serait ensuite assujetti à une révision judiciaire à leur sujet. C’est pour cette raison que, d’après mon expérience, je suis convaincu que quelqu’un d’autre sera chargé de prendre ces décisions. Peut-être que le commissaire réexaminera celles-ci et prendra une décision finale, mais le processus ne s’arrêtera pas là. La question ne sera pas tranchée au bout d’un an.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Martin, comment pensez-vous que le commissaire va s’en sortir?

M. Martin: De toute évidence, cette mesure ne réglera pas le problème. Tout est plus compliqué. Demandez à un policier combien de temps il passait autrefois à rédiger un rapport d’arrestation pour conduite en état d’ébriété, comparativement au temps qu’il y passe aujourd’hui. Cela fait partie des nouvelles réalités.

Nous sommes devenus beaucoup plus habiles à formuler des griefs. Bon nombre de personnes sont passées maîtres dans l’art de déposer des plaintes. C’est devenu un loisir pour beaucoup de gens, et personne n’a plus de temps à sa disposition que ceux qui purgent leur peine en prison. Beaucoup de gens font cela au lieu de jouer au Sudoku, de faire des mots croisés ou de jouer aux cartes. C’est un véritable passe-temps. Aucune mesure législative ne saurait régler ce problème.

Toutefois, si l’on imposait une limite raisonnable au nombre de griefs qui peuvent être formulés, que ce soit 25, 50 ou 100, cela forcerait les gens à faire preuve de prévoyance et, quand ils seraient près d’atteindre le nombre limite de griefs auxquels ils ont droit, ils penseraient à choisir un peu plus soigneusement les griefs qui méritent d’être déposés.

Je ne crois pas que cela soit irréaliste. Cela concorde bien avec nos compétences de vie. Personne ne perd son permis de conduire du jour au lendemain pour avoir fait un excès de vitesse. En général, il faut que cela se produise quatre ou cinq fois avant de recevoir une lettre du ministre responsable.

Je pense que l’approche progressive, en vertu de laquelle nous fixerions une limite au nombre de griefs permis et nous n’accepterions plus de griefs vexatoires et mal fondés — surtout au sujet de choses comme la nourriture des cafétérias et les matelas pleins de bosses — serait réaliste et réaffirmerait le genre de comportement que nous souhaiterions que les gens adoptent quand ils seront libérés, et la plupart d’entre eux seront libérés.

Le sénateur Baker: J’ai une question à laquelle M. Conroy ne voudra peut-être pas répondre, mais je lui demanderais néanmoins d’envisager la possibilité d’y répondre. C’est quelque chose qui me laisse perplexe.

Quand vous représentez un prisonnier, que vous demandez une révision judiciaire aux termes des Règles des Cours fédérales, et que la Cour fédérale se prononce en votre faveur — et je remarque que les Cours se prononcent plus souvent en votre faveur que contre vous —, vous avez droit aux dépens de cette procédure judiciaire. Je remarque que, sauf erreur, le montant des dépens est généralement déterminé en application de la partie 3 des Règles des Cours fédérales. Toutefois, quand vous perdez au nom d’un prisonnier — quand le prisonnier a retenu vos services, que vous avez plaidé sa cause auprès de la Cour fédérale et que vous avez perdu —, à la fin de la décision, si j’ai bien lu les décisions des affaires que vous avez plaidées en 2011, de temps en temps on vous attribue — autrement dit, on attribue à votre client, le prisonnier — la prise en charge des dépens. Dans l’Annexe 3, sous la rubrique des coûts, je peux voir combien d’argent vous recevez de la Couronne quand vous obtenez gain de cause, mais je ne vois pas combien vous ou votre prisonnier doit payer quand vous perdez. Pourriez-vous nous le dire?

M. Conroy: Oui. Cela revient au même montant. En général, celui-ci se situe entre 3 000 $ et 5 000 $. Il est amusant que vous souleviez cette question puisque, dans tous les cas de transfèrement de délinquants — je pense qu’il y en a eu 11 ou 12 —, je n’ai jamais réclamé de dépens. Le gouvernement a ensuite décidé de réclamer les dépens des deux cas où nous avons perdu. J’ai donc décidé de réclamer les dépens de tous les cas pour lesquels nous avons obtenu gain de cause.

Une audience présentement en cours tente de réclamer un total d’environ 10 000 $ de la part de personnes qui sont encore en prison et qui n’ont pas les moyens de payer. J’ai donc l’intention de réclamer entre 15 000 $ et 20 000 $ de la part du gouvernement du Canada qui, lui, a les moyens de payer, même s’il prétend toujours ne pas en avoir les moyens.

[Français]

Le sénateur Boisvenu: Ma question s’adresse à M. Martin. Je comprends qu'en 1971, il n’y avait aucun système et on voyait de la violence dans les pénitenciers. En 2012, nous en sommes à 33 000 ou 34 000 plaintes. Le balancier n’est pas tout à fait à l’autre extrémité, mais presque. Le taux de réincarcération au Canada se chiffre à 70 p. 100.

Si notre système était si fabuleux, il aurait certes un impact sur la qualité de la réhabilitation. Toutefois, les données nous indiquent que nos programmes ou mesures de réhabilitation sont relativement peu productives et peu efficaces. Nous avons un système de plaintes davantage géré par les criminels que par l'administration.

Pour remettre de la rigueur dans le système, ne faudrait-il pas simplement ramener le balancier un peu plus au centre plutôt que de le laisser continuer dans l'exagération?

[Traduction]

M. Martin: Il y a certainement eu un mouvement du balancier, mais un grand nombre de facteurs sont en cause.

Si nous remontons aux années 1950 et 1960, il y avait essentiellement un tout autre genre de détenus dans les prisons. Aujourd’hui, nous incarcérons des personnes d’origines très variées, des personnes très différentes les unes des autres et aux prises avec divers problèmes, notamment des problèmes de santé mentale.

Parlons de la capacité du système correctionnel de remplir son mandat — notamment, protéger la population et assurer la réadaptation des détenus —, qui est devenu incroyablement complexe et difficile du fait que la vie dans les prisons a changé. Par exemple, l’ancien système de libération conditionnelle était beaucoup plus efficace parce qu’il avait recours au principe de la carotte et du bâton. Si quelqu’un voulait sortir de prison avant d’avoir purgé toute sa peine, il devait répondre à des exigences de toutes sortes. Les détenus qui voulaient se livrer à un tel jeu en vue d’obtenir une libération anticipée étaient tenus de se conduire d’une certaine manière.

Aujourd’hui, il y a si peu de différence entre la date à laquelle il est possible d’obtenir une libération conditionnelle et la date de la libération d’office que beaucoup de détenus ont tendance à se dire: « Pourquoi devrais-je jouer ce jeu? Pourquoi devrais-je répondre à toutes ces exigences quand, de toute façon, je serai libéré au même moment? » Par conséquent, de nos jours il est beaucoup plus difficile de contraindre les détenus à adopter un comportement donné, et je pense que cela aggrave le problème des griefs.

Le président: Je regrette de devoir vous interrompre. D’autres sénateurs souhaiteraient prendre la parole et il ne reste pas beaucoup de temps.

Le sénateur Jaffer: À votre avis, combien de détenus ont présenté beaucoup de plaintes vexatoires?

M. Martin: Il est question d’environ 25.

Le sénateur Joyal: Monsieur Conroy et monsieur Martin, avez-vous le projet de loi devant vous?

M. Martin: Non, je ne l’ai pas sur moi, mais je le connais bien.

Le sénateur Joyal: J’aimerais savoir comment vous interprétez l’article 91.2 du projet de loi, où il est stipulé que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant les délinquants assujettis à l’interdiction proposée au paragraphe 91.1(1).

Mon interprétation — et c’est la raison pour laquelle je vous demande la vôtre — c’est que ces règlements s’appliqueront une fois que le délinquant aura fait l’objet d’une décision. Encore une fois, voici le libellé:

Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant le régime des griefs et des plaintes qui s’applique aux délinquants assujettis à l’interdiction […]

Cela veut dire que l’interdiction aurait déjà été signifiée. En d’autres mots, les règlements s’appliqueraient seulement aux détenus visés au paragraphe 91.1 (2), mais pas à ceux visés au paragraphe précédent.

Ai-je raison d’interpréter le texte de la sorte? À mon avis, cela veut dire qu’à l’avenir, il y a beaucoup plus de chances que la loi soit contestée.

M. Conroy: Je pense que votre interprétation de cette partie du projet de loi est correcte. Je m’oppose à ce qu’on mette toutes sortes de choses dans les règlements, mais qu’on les supprime du texte de loi. Selon moi, les éléments importants devraient se trouver dans le texte de loi, et seules les procédures devraient se trouver dans les règlements.

Pour répondre à votre question, je pense que vous avez raison, l’interdiction existerait déjà. Ce paragraphe prévoit que les règlements s’appliqueraient aux personnes qui ont déjà été assujetties à l’interdiction.

M. Martin: Les règlements porteraient probablement sur des choses comme la rapidité d’exécution du réexamen et les modalités de celui-ci. Je ne considère pas que cela aille nécessairement à l’encontre des autres lois touchant la médiation et la résolution de conflits.

Le président: Merci, messieurs. Nous vous sommes très reconnaissants d’être ici aujourd’hui et d’avoir contribué aux délibérations du comité.

(La séance est levée.)


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