Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 18 avril 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a été saisi du projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel, et du projet de loi C-309, Loi modifiant le Code criminel (dissimulation d’identité), se réunit aujourd’hui à 10 h 30 pour examiner ces deux projets de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et à tous les Canadiens qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous allons terminer aujourd’hui notre examen du projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel au sujet de la suramende compensatoire, après quoi nous reprendrons notre examen du projet de loi C-309, Loi modifiant le Code criminel (dissimulation d’identité).

Pour la première partie de notre réunion, nous allons passer rapidement à l’étude article par article du projet de loi C-37. Nous avons convoqué des fonctionnaires du ministère de la Justice car je sais que certains d’entre vous ont des questions techniques à poser. Je vais demander aux fonctionnaires de venir s’asseoir à la table, car les questions ne vont pas tarder.

Nous avons avec nous ce soir Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice, et Pamela Arnott, directrice et avocate principale du Centre de la politique concernant les victimes.

La sénatrice Fraser : Monsieur le président, j’ai une question à poser aux fonctionnaires. Serait-il plus simple si je la posais avant que nous ne commencions l’étude article par article? Elle porte sur plusieurs articles.

Le président : Oui, allez-y.

La sénatrice Fraser : Merci, monsieur le président.

Bienvenue à vous, madame Morency et madame Arnott. Je suis ravie de vous revoir.

J’aimerais simplement vous poser une question, d’abord au sujet de l’article 3 qui dit que : « Dans le cas où il est condamné — ou absous aux termes de l’article 730 — à l’égard d’une infraction prévue à la présente loi ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances… ».

Supposons qu’un contrevenant soit reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation pour un événement donné, mais qu’on les regroupe, pour ainsi dire. À la fin du procès, le juge déclare : « Coupable de tous les chefs d’accusation ». À ce moment-là, y a-t-il une seule suramende compensatoire ou bien une pour chaque chef d’accusation?

Pamela Arnott, directrice et avocate principale, Centre de la politique concernant les victimes, ministère de la Justice : Je vous remercie de votre question. Je sais que votre témoin d’hier a mentionné qu’il n’y aurait qu’une seule suramende compensatoire. C’est ce que nous pensons aussi, mais les juristes ne s’entendent pas tous là-dessus.

La sénatrice Fraser : Je sais que, pour certains avocats, c’est une suramende par chef d’accusation. Voulez-vous dire que le libellé de la loi est ambigu?

Mme Arnott : Vous savez comment sont les avocats, ils aiment bien discuter de la façon dont on applique les choses.

La sénatrice Fraser : Pouvez-vous m’expliquer comment, avec le libellé actuel, on peut en déduire que c’est une suramende unique, même s’il y a plusieurs chefs d’accusation?

Mme Arnott : D’après ce que je constate, ce sont les tribunaux qui décident en fonction des chefs d’accusation.

La sénatrice Fraser : Pensez-vous qu’il existe une jurisprudence là-dessus?

Mme Arnott : Oui, je le pense.

La sénatrice Fraser : Je sais que vous n’avez pas le temps de le faire d’ici l’étude article par article, mais vous pourriez peut-être nous faire parvenir des décisions rendues à ce sujet?

Mme Arnott : Volontiers.

La sénatrice Jaffer : J’ai déjà posé la question hier. Supposons que l’amende soit de 1 000 $ et qu’elle soit payée 15 ans plus tard; elle risque alors d’être beaucoup plus élevée. Une suramende de 100 $ reste-t-elle à 100 $, même si elle est payée 10 ans plus tard?

Mme Arnott : La réponse se trouve dans les règlements pris par chaque province et chaque territoire pour administrer la perception des suramendes. Je peux vous trouver des exemples de règlements, si vous le voulez.

La sénatrice Jaffer : Si vous me dites que, dans certains cas, le montant restera le même et que, dans d’autres, cela dépendra des règlements, ça me suffit. C’est bien ça?

Mme Arnott : Oui, c’est la réponse.

Le président : Avez-vous d’autres questions avant que nous ne passions à l’étude article par article? Puisqu’il n’y en a pas, nous allons commencer notre étude article par article du projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel.

Des voix : D’accord.

Le président : Bien. Êtes-vous d’accord pour suspendre l’adoption du titre?

Des voix : D’accord.

Le président : Êtes-vous d’accord pour suspendre l’adoption de l’article 1, qui contient le titre subsidiaire?

Des voix : D’accord.

Le président : Adopté. L’article 2 est-il adopté?

La sénatrice Fraser : Avec dissidence.

Le président : Adopté, avec dissidence. L’article 3 est-il adopté?

Des voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté, avec dissidence. L’article 4 est-il adopté?

Des voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté, avec dissidence. L’article 5 est-il adopté?

Des voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté, avec dissidence.

L’article 1, qui contient le titre subsidiaire, est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Adopté. Le titre est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté, avec dissidence. Est-il convenu que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : Avec dissidence.

Le président : Convenu, avec dissidence.

Merci encore une fois, madame Morency et madame Arnott, d’être venues nous prêter main-forte.

Le président : Nous allons maintenant reprendre notre examen du projet de loi C-309, au sujet de la dissimulation d’identité. J’aimerais vous présenter M. Michael Spratt, de la Criminal Lawyers’ Association, et M. Ryan Clements, du Conseil canadien des avocats de la défense.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Monsieur Spratt, c’est vous, je crois, qui allez commencer.

Michael Spratt, représentant, Criminal Lawyers’ Association : Je m’appelle Michael Spratt et je suis avocat de la défense. Je travaille à l’étude Webber Schroeder Goldstein Abergel, à Ottawa, où je ne m’occupe que de défense au pénal. Je comparais aujourd’hui en qualité de représentant de la Criminal Lawyers’ Association qui, vous le savez sans doute, est l’une des organisations juridiques les plus importantes au Canada puisqu’elle compte plus de 1 200 membres. Nous sommes souvent consultés par des comités comme le vôtre, et c’est toujours un honneur pour nous de comparaître devant vous.

La Criminal Lawyers’ Association appuie les lois qui sont modérées, nécessaires, équitables et constitutionnelles. Malheureusement, nous ne pouvons pas appuyer le projet de loi C-309 dans sa forme actuelle, car nous estimons qu’il n’est pas nécessaire, qu’il n’est pas modéré ou restreint, qu’il soulève des problèmes constitutionnels et qu’il risque de se prêter à des abus. Je vais revenir sur chacun de ces points, en commençant par sa nécessité.

Le paragraphe 351(2) du Code criminel contient déjà la solution au problème qu’on essaie de régler avec le projet de loi C-309. En effet, il est déjà illégal et interdit de porter un masque lorsqu’on a l’intention ou qu’on est en train de commettre un acte criminel. Cela constitue déjà une infraction. L’article 65 définit précisément une « émeute » comme un acte criminel. Toute personne qui porte un masque et qui participe à une émeute tombe sous le coup du paragraphe 351(2), un point c’est tout. Il est inutile d’adopter une autre loi.

Certes, lorsqu’il s’agit d’un attroupement illégal, la situation est différente en ce sens qu’on craint qu’il ne tourne à l’émeute, mais il n’y en a pas encore de manifestation concrète. En revanche, s’il y en a une manifestation concrète, cela signifie que l’attroupement illégal a tourné à l’émeute. De plus, le paragraphe 351(2) donne déjà à la police le droit d’arrêter une personne qui porte un masque et qui participe à un attroupement illégal. Il faut bien comprendre que, pour tomber sous le coup du paragraphe 351(2), une personne doit simplement avoir l’intention de commettre ou être en train de commettre un acte criminel. Et les atteintes à la propriété qui sont perpétrées à l’occasion d’une émeute ou d’un attroupement illégal, celles-là mêmes que le projet de loi essaie de prévenir, sont assurément des actes criminels.

Contrairement à ce que le député Blake Richards vous a dit hier, le paragraphe 351(2) n’est pas difficile à appliquer. À partir du moment où une personne participe à une émeute, il peut être invoqué, c’est aussi simple que cela. À partir du moment où une personne participe à un attroupement illégal et qu’elle se met à lancer des pierres, à renverser des voitures, à vandaliser des propriétés et à encourager ce genre d’activité, les policiers peuvent invoquer le paragraphe 351(2).

Je vais maintenant passer aux problèmes constitutionnels que soulève ce projet de loi. Si l’objectif, qui semble être celui du projet de loi, est de pénaliser toute personne qui porte un masque à l’occasion d’un attroupement illégal ou d’une émeute, même si elle ne fait que regarder ou passer, peut-être en approuvant mais sans y participer directement, alors nous estimons que ce texte risque de soulever plusieurs problèmes constitutionnels. Le simple fait d’être présent ne signifie pas qu’on est coupable d’un acte criminel; c’est un principe élémentaire du droit pénal. Et le fait d’approuver tacitement n’est pas nécessairement un acte criminel non plus.

Je suppose que certaines des causes sur lesquelles s’appuie ce projet de loi partent du principe que le seul fait d’être présent à un attroupement illégal ou à une émeute, ou de l’approuver tacitement, peut suffire à poursuivre quelqu’un pour acte criminel. J’invite les membres du comité à examiner soigneusement le contexte, les circonstances et l’origine des décisions en question. Ces affaires ont été jugées par des tribunaux de première instance, et la Cour suprême ne s’est jamais prononcée là-dessus. De plus, ces décisions ont été rendues sans une analyse rigoureuse de la Charte, souvent bien avant l’entrée en vigueur de la Charte, bon nombre d’entre elles remontant à 1930.

Avec l’adoption de la Charte et de ses dispositions, la pénalisation du simple fait d’être présent pendant une émeute ou un attroupement illégal soulève des problèmes constitutionnels légitimes. Sans parler des risques d’atteinte à la liberté d’expression et des autres raisons légitimes qu’une personne peut avoir de vouloir être présente pendant l’attroupement tout en dissimulant son identité. Cela déborde un peu de mon champ d’expertise, en tant qu’avocat de la défense, mais c’est quelque chose que votre comité devrait examiner de près.

Mais le fait est que toute personne masquée qui participe, qui aide, qui encourage, qui jette des pierres, qui vandalise des propriétés ou qui encourage les autres à le faire est déjà passible de poursuites pénales. Il y a aussi, dans cet article, la question d’un renversement possible de la charge de la preuve, qui risque de soulever des problèmes constitutionnels. Ce sont donc là des problèmes constitutionnels concrets que le projet de loi risque de soulever, et cela nous préoccupe. Contrairement à ce qu’a dit le député Richards hier, lorsqu’il a comparu devant vous, les individus masqués qui sont présents dans ce type de situation ne sont pas tous des criminels. Le projet de loi ne facilitera pas leur identification puisque, de par leur nature et leur activité, ils sont masqués, et que cela constitue déjà une infraction. C’est donc un peu un faux-fuyant.

J’aimerais dire trois choses à propos de certains problèmes d’ordre pratique. D’aucuns prétendent, pour justifier le projet de loi, qu’il va dissuader les gens de se masquer le visage. Je me demande vraiment comment. En ont-ils des preuves? Le droit pénal est un dispositif soigneusement agencé pour contrôler les membres de la société. La Criminal Lawyers’ Association estime que, avant de le modifier pour pénaliser certaines activités, il faut avoir des données probantes qui justifient de tels changements. Or, aucune preuve n’a été avancée, ici ou devant le comité de la Chambre des communes, que cet article aura cet effet dissuasif. Cela nous préoccupe, car les articles 63, 64, 65 et 351(2), ainsi que les dispositions sur les méfaits, à l’article 430, ont déjà un effet dissuasif. On peut donc se demander en quoi ce nouvel article, vu les problèmes que j’ai mentionnés, va renforcer cet effet dissuasif. En a-t-on la preuve?

Les problèmes d’ordre pratique que j’aimerais aborder sont les suivants : les policiers doivent faire face à des situations comme celles qui se sont produites à Vancouver, Toronto et Montréal. Les émeutes du G20, par exemple, ont été particulièrement éprouvantes pour la police, c’est un fait reconnu. Les rapports comme celui qui a été fait sur le G20 peuvent révéler des problèmes sur la façon dont la police se comporte avec ceux qui participent à de tels attroupements. Mais concrètement, comment un policier peut-il décider ce qu’est une excuse légitime, comme le stipule ce projet de loi? Comment un policier peut-il évaluer la mens rea de la personne qu’il arrête en vertu de ce projet de loi? Si une personne masquée participe à une protestation légitime à l’arrière du cortège, et qu’à l’avant, quelque chose se passe qui change la nature de la manifestation, je crains que la police ne soit pas en mesure, dans le feu de l’action, de s’attarder sur des questions de mens rea. Elle procède plutôt, comme nous l’avons déjà vu, à des arrestations préventives, à des mises en détention, à des privations de liberté et à des inculpations. Les questions de fond sont jugées plus tard par les tribunaux. Cela accentue la judiciarisation, la stigmatisation et les coûts de tous ceux qui ont affaire au système de justice.

L’application de ce projet de loi pose de réels problèmes pratiques. Nous craignons particulièrement qu’il serve à faire des arrestations préventives. Certains commentaires entendus au comité de la Chambre des communes semblent le confirmer. Dans ces cas-là, des arrestations risquent d’être prématurées, et on ne le saura pas tant que l’affaire ne sera pas jugée, mais en attendant, la personne aura été arrêtée, inculpée et privée de sa liberté.

C’est pour toutes ces raisons, à savoir les difficultés d’application et les problèmes constitutionnels que soulève le projet de loi, et surtout parce qu’il n’est absolument pas nécessaire, vu les dispositions actuelles de la Constitution et du Code criminel, que la Criminal Lawyers’ Association ne peut pas appuyer le libellé actuel de ce projet de loi, même si elle reconnaît que ses prémisses et ses objectifs sont louables.

Le président : Merci, monsieur Spratt. Monsieur Clements, avez-vous une déclaration liminaire à faire?

Ryan Clements, représentant, Conseil canadien des avocats de la défense : Je m’appelle Ryan Clements et je suis heureux de comparaître aujourd’hui au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. Cette organisation, qui a été fondée en 1992, a pour mandat d’offrir une perspective nationale sur des questions de droit pénal, dans le but d’assurer la préservation des principes constitutionnels et de veiller à ce que le droit pénal évolue de façon pratique et dans le respect des principes.

Je vous suis reconnaissant de me donner l’occasion de m’adresser à votre comité aujourd’hui et de vous offrir mon aide dans l’étude de ce projet de loi.

Je suis moi aussi avocat de la défense. Je suis ravi d’être ici aujourd’hui parce que, lorsque j’ai décidé de quitter le bureau du procureur de la Couronne — j’ai en effet travaillé au Service des poursuites pénales du Canada, au début de ma carrière —, je suis devenu avocat de la défense à Toronto en juin 2010, et j’ai donc directement été touché par les événements du G20 de par mes responsabilités professionnelles. Ce projet de loi fait suite, manifestement, aux circonstances exceptionnelles que le G20 a représentées pour les autorités policières, ainsi qu’aux émeutes de la Coupe Stanley, à Vancouver.

Cela dit, le CCAD partage les mêmes réserves que M. Spratt vis-à-vis du libellé du projet de loi, et je vais vous expliquer pourquoi. Bon nombre de personnes ont dit que le projet de loi faisait double emploi et qu’il était inutile, surtout parce qu’il pénalise la participation à une émeute. Le CCAD partage cet avis.

D’aucuns disent aussi que la common law prévoit déjà la prise en compte de ce genre d’infraction au moment de la détermination de la peine. Même si une personne n’est pas inculpée, en vertu du paragraphe 351(2) du Code criminel, de port de déguisement au moment de la perpétration d’un acte criminel, il est évident que ce sera considéré comme une circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine. C’est ce qu’on a vu à maintes reprises à propos des émeutes du G20. Même lorsque la Couronne n’a pas intenté de poursuites ou n’a pas procédé à des inculpations de port de déguisement, ça a été considéré comme une circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine.

Au sujet de l’inutilité de ce projet de loi, je dois ajouter qu’il ne donne pas à la police des pouvoirs d’enquête qu’elle n’a pas déjà en vertu de la common law et du Code criminel. En effet, l’article 495 du Code criminel autorise déjà la police à arrêter, sans mandat, toute personne qui est en train ou sur le point de commettre un acte criminel ou qui est en train de commettre une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. De plus, la common law donne aux policiers le pouvoir de procéder à la détention à des fins d’enquête, s’ils ont de bonnes raisons de soupçonner qu’une infraction est en train d’être commise. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’une personne qui participe à une émeute ou à un attroupement illégal n’est pas davantage passible d’arrestation ou de détention parce qu’elle porte un masque ou un déguisement. Les policiers ont déjà les outils nécessaires, de par la loi et la common law, pour procéder à leur enquête.

M. Stribopoulos, qui a témoigné devant le comité de la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi, a dit que c’était avant tout un problème d’exécution de la loi. Autrement dit, qu’il n’y avait pas de lacunes dans les lois en vigueur au Canada.

On peut également se demander si, du fait que ce projet de loi n’est pas nécessaire, on ne va pas créer d’autres problèmes en le mettant en vigueur. Autrement dit, les coûts ne sont-ils pas supérieurs aux avantages? Il semblerait que oui, pour les raisons suivantes.

Dans son libellé actuel, le projet de loi ne définit pas clairement ce que doit être l’intention ou la mens rea de l’infraction. L’honorable Michelle Rempel a certes indiqué, quand elle a comparu devant le comité de la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi, qu’il s’agissait d’une infraction d’intention spécifique, mais le libellé actuel ne l’indique pas vraiment, et cela nous préoccupe. J’observe que le projet de loi vise expressément les manifestants qui se livrent à des activités criminelles tout en dissimulant leur identité, afin d’éviter des poursuites, et c’est ce qu’ont dit M. Spratt et bien d’autres témoins. Mais il y a toutes sortes d’autres raisons pour lesquelles une personne voudrait masquer ou dissimuler son visage — par exemple, en guise d’activité expressive, par souci d’anonymat sans pour autant se livrer à un acte criminel, pour ne pas avoir froid parce que c’est l’hiver, pour des raisons culturelles ou encore pour des raisons de sécurité.

Un autre point qu’a abordé M. Spratt est le fait que, dans sa forme actuelle, le projet de loi risque de poser des problèmes au niveau de son application à la fois sur le terrain et devant les tribunaux, car la disposition concernant l’attroupement illégal reste vague. Il est difficile de savoir quand un attroupement légal devient illégal pour ensuite tourner à l’émeute. Ça se situe entre l’attroupement légal et l’émeute, mais ce n’est pas plus précis. Ce qui est particulièrement important, et ça nous ramène à ce que la Cour suprême a dit au sujet des lois qui sont difficiles à appréhender, c’est que ça ne donne pas une idée assez claire aux citoyens du moment à partir duquel leur sécurité est menacée, surtout ceux qui participent à une grande manifestation pacifique dont une partie prend une tout autre tournure. Les citoyens qui participent à la manifestation pacifique peuvent fort bien ignorer que leur sécurité est soudain menacée. Et pourtant, ils risquent d’être arrêtés et même poursuivis, ce qui est très préjudiciable.

C’est la même chose pour la disposition relative à l’avertissement raisonnable, car il faut que les policiers sachent comment l’appliquer. Autrement dit, y a-t-il une limite suffisante quant à la façon dont la loi sera appliquée?

Sous réserve des questions qui pourront être posées, la solution est peut-être de faire de l’infraction sur les attroupements illégaux une infraction hybride. Si c’est le châtiment qui pose problème, l’article 351 prévoit une peine maximale de dix ans, mais on pourrait bien sûr changer cette disposition, et en faisant de l’infraction sur les attroupements illégaux une infraction hybride, plutôt qu’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, on dissiperait beaucoup de craintes.

Enfin, nous sommes d’accord avec ceux qui craignent que cela ne dissuade les gens de participer à des manifestations, vu les difficultés dont j’ai parlé au sujet de l’avertissement raisonnable. Nous ne voudrions pas que les gens s’autocensurent à ce niveau-là. Une personne qui voudrait participer à une manifestation en arborant le masque d’un personnage politique risque d’avoir peur de le faire. Déjà que ce projet de loi est pratiquement inutile aux yeux de l’organisation que je représente, je pense qu’il serait excessif d’y ajouter la crainte pour tout un chacun de ne pas pouvoir jouir de la liberté d’expression et de la liberté de réunion.

Voilà ce que j’avais à dire.

Le président : Merci, monsieur Clements. Nous allons commencer la période des questions avec la sénatrice Fraser, la vice-présidente.

La sénatrice Fraser : Bonjour messieurs. Je vous remercie de comparaître devant notre comité. C’est souvent les projets de loi les plus courts qui suscitent les questions les plus surprenantes. Je trouve que vous avez fait, tous les deux, des remarques fort intéressantes.

J’aimerais que vous me disiez, l’un ou l’autre ou les deux, comment, à votre avis, les tribunaux vont interpréter l’expression « sans excuse légitime ».

M. Spratt : Je pense que la première question qui sera soumise aux tribunaux sera de déterminer s’il s’agit bien d’un renversement de la charge de la preuve. Cela existe dans le Code criminel. Dans certains contextes, cela a été jugé constitutionnel. Dans d’autres contextes, cela a donné lieu à des contestations d’ordre constitutionnel. En ce qui concerne ce projet de loi, il faudra voir en fonction de la responsabilité, du châtiment, et des antécédents en cause. J’espère que les tribunaux donneront une définition aussi large et aussi libérale que possible à cette expression. Ce qui sera peut-être plus difficile, et on en revient aux difficultés que pose l’exécution de la loi, c’est de définir précisément ce qu’est une excuse légitime. Une personne doit-elle partager la même intention que le groupe? Vouloir tout simplement rester anonyme est-il une excuse légitime? La liberté d’expression et les autres garanties constitutionnelles ne sont pas toujours prises en compte dans l’analyse. Quand on parle de perquisition et de saisie, par exemple, on ne pense pas nécessairement à la liberté d’expression et aux autres principes constitutionnels. J’espère cependant qu’étant donné les autres valeurs constitutionnelles qui entrent en jeu ici, la définition ou l’interprétation juridique qui sera donnée de cette expression sera plus large et plus libérale que celle qu’on retrouve à d’autres articles du code.

La sénatrice Fraser : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Clements?

M. Clements : Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit M. Spratt, en tout cas rien d’important.

La sénatrice Fraser : Ce qui me surprend un peu, mais c’est peut-être un signe d’ignorance, c’est qu’en ce qui concerne les attroupements illégaux, le projet de loi en fait une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, mais que le fait de porter un masque devient un acte criminel pour lequel vous êtes passible de cinq ans d’emprisonnement, rien que pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. N’est-ce pas inhabituel? Cela vous préoccupe-t-il, ou bien est-ce dû à mon ignorance?

M. Clements : Je peux vous dire qu’avant ma comparution aujourd’hui, le Conseil s’est renseigné et, parmi les nombreuses personnes qu’il a consultées, notamment des avocats de tout le pays, beaucoup se sont dites inquiètes que l’on passe d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, qui est assortie d’une peine d’emprisonnement maximale de six mois, à un acte criminel; et on ne parle ici que des peines maximales. Les tribunaux en décideront peut-être autrement.

La sénatrice Fraser : Ce n’est pas une peine plancher.

M. Clements : C’est exact. En fait, le port d’un masque multiplie la peine par douze. En termes simples, je dirai qu’il est difficile d’imaginer des situations où ce type de comportement justifie une peine douze fois plus grande. Ça me paraît extrêmement sévère rien que pour le port d’un masque.

Comme je l’ai dit, c’est considéré comme une circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine; si la personne est reconnue coupable d’avoir participé à un attroupement illégal, elle est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois, que le procureur de la Couronne cherchera inévitablement à alourdir en fournissant les preuves de cette circonstance aggravante, pendant le procès ou au moment de la détermination de la peine.

M. Spratt : Le fait qu’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire puisse se transformer en acte criminel conforte ma conviction qu’une telle interprétation soulèverait des problèmes constitutionnels, car cela pourrait viser des gens qui ne participent pas à l’attroupement illégal ou à l’émeute et qui se contentent de regarder.

Il se pourrait qu’en bons citoyens, ils veuillent simplement observer ce qui se passe dans leur collectivité, noter les noms de qui fait quoi, être témoins de ce que font leurs compatriotes, tout en tenant à garder l’anonymat, pour toutes sortes de raisons, et ils peuvent en avoir de très bonnes. Ils sont là, présents, ils ne se livrent à aucun vandalisme, ils n’encouragent personne, ils n’aident personne, ce qu’ils font en fait est à mon avis positif puisqu’ils veulent être témoins de ce qui se passe dans leur collectivité, et ils se retrouvent coupables, non pas d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, mais d’un acte criminel. Et tout cela dépend du bon vouloir des policiers et des procureurs de la Couronne. Ce sont certes de bonnes personnes, tout à fait honorables, mais leurs décisions ne sont contrôlées par personne, elles ne sont enregistrées nulle part, elles ne font l’objet d’aucune justification. Nous devons donc nous en remettre au jugement de ces gens-là pour décider que telle ou telle personne doit être inculpée et risquer cette peine d’emprisonnement maximum.

Voilà le genre de problème constitutionnel qui risque de se poser, et cela conforte ma conviction que ce projet de loi va donner lieu à des problèmes constitutionnels.

Le sénateur Plett : Merci, messieurs. Je crois savoir que d’autres pays ont adopté des lois semblables pour faire face à des situations semblables. La France, les États-Unis et le Royaume-Uni ont pris des mesures semblables, qui ont été validées par leurs tribunaux. Si les tribunaux les ont validées, c’est parce qu’ils estiment qu’elles sont appropriées. Êtes-vous au courant de ce qui se passe dans ces pays et comment ça fonctionne?

M. Spratt : Je n’ai bien sûr jamais exercé dans ces pays, mais je voudrais dire pour commencer qu’il est très dangereux de se laisser guider par d’autres pays sur des questions pénales aussi importantes. Si on avait appliqué les mêmes lois pendant les dix dernières années, regardez les résultats désastreux qu’ont enregistrés les États-Unis.

Bien sûr, le Canada a des lois différentes et un mécanisme différent pour en évaluer la constitutionnalité. Aux États-Unis, n’oubliez pas que chaque État a son propre dispositif pénal, pour ainsi dire, et que la situation est donc très différente; je ne voudrais pas que ces États inspirent nos politiques. Ce qui est constitutionnel en France et aux États-Unis ne l’est pas forcément chez nous.

Le sénateur Plett : Personnellement, je pense que lorsque quelqu’un fait bien les choses, il n’y a pas de mal à ne serait-ce que s’informer.

M. Spratt : Vous partez du principe que ce qu’ils font est bien.

Le sénateur Plett : C’est justement pour ça que je vous ai demandé votre avis. Merci.

Aux manifestations du G20 à Toronto, nous savons que les protestataires ont fait pour au moins 2,5 millions de dollars de dégâts, qu’ils ont détruit quatre voitures de police, qu’ils ont blessé une centaine de policiers et des dizaines de citoyens innocents. Et pourtant, moins de 50 de ces casseurs ont été condamnés jusqu’à ce jour. Il semblerait que l’une des raisons est l’impossibilité de les identifier. Vous qui êtes un spécialiste en la matière, pourriez-vous nous expliquer pourquoi, à votre avis, il y a eu aussi peu de condamnations?

M. Spratt : C’est la même chose pour les émeutes de Vancouver. Bien sûr, il s’agit de situations extrêmes, et il importe de réagir de façon appropriée, avec les sanctions pertinentes. Si l’on n’a pu identifier qu’un si petit nombre d’individus, c’est bien sûr parce que certains étaient masqués, ce qui complique les choses. Mais le problème, c’est que le projet de loi ne remédie pas à cela. En fait, il rend doublement illégal ce qui était déjà illégal au départ, et qui ne les a pas empêchés de faire ce qu’ils ont fait. Le projet de loi ne donne pas aux caméras le pouvoir de voir les visages derrière les masques, et ne résout donc pas le problème de l’identification.

Le sénateur Plett : Si on n’a pas pu les identifier, c’est parce qu’ils étaient masqués. Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Merci de comparaître devant nous. Vous avez dit tous les deux que ce projet de loi n’était pas nécessaire, et c’est ça qui me préoccupe. Vous dites que c’est déjà prévu dans le Code criminel. Je me demande donc où ça va nous conduire. Si le projet de loi est adopté, est-ce que, pour un autre acte criminel, par exemple le fait d’observer la scène avec le visage masqué, un avocat va pouvoir dire que ça ne tombe pas sous le coup de la loi parce que le Parlement a précisé la participation à une émeute et rien d’autre?

Si nous nous retrouvons avec deux lois identiques, j’ai l’impression qu’on risque d’avoir plus de problèmes que nous n’en avons aujourd’hui. Qu’en pensez-vous?

M. Clements : Je vais me lancer. Vous avez raison de vous inquiéter. La rationalisation du droit pénal s’oriente vers des infractions plus génériques, qui regroupent différents scénarios. Prenons l’exemple des dispositions relatives au vol. Je sais qu’il y a des choses archaïques dans le Code criminel, comme le vol de bétail ou le vol d’huîtrières, mais je crois que le droit pénal évolue vers la simple mention du mot vol. Non seulement c’est plus logique, mais ça aide davantage les policiers. Je crois que M. Stribopoulos l’a dit devant le comité de la Chambre des communes. Ça aide les policiers à définir le type d’inculpation, et ça évite les inculpations excessives. Si ce texte est adopté, il est possible, en théorie, qu’une personne qui tombe sous le coup de ses dispositions soit inculpée à la fois en vertu de la nouvelle loi et pour un acte criminel commis sous le couvert d’un déguisement.

Les inculpations excessives peuvent être coûteuses, en tout cas elles ralentissent l’appareil judiciaire qui est déjà surchargé. La simplification de la loi a beaucoup d’avantages, non seulement pour les policiers et les procureurs de la Couronne, dont ça facilite la tâche, mais aussi pour les simples citoyens, notamment en ce qui concerne l’avertissement raisonnable dont je parlais tout à l’heure. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que le droit pénal décrive expressément toutes les variantes d’un même type d’infraction.

M. Spratt : Je suis d’accord, le Code criminel est déjà un énorme pavé qui ne cesse de grossir, et ça devient tout simplement impossible de légiférer tous les scénarios possibles. Les citoyens et les policiers sont censés connaître la loi, et à mon avis, plus vous ajoutez des complications inutiles au droit pénal et au Code criminel, plus vous créez des problèmes, avec des conséquences imprévues comme les scénarios que vous avez évoqués.

La sénatrice Jaffer : Ce qui est préoccupant, entre autres, c’est le petit nombre d’inculpations qui ont suivi les émeutes de Toronto et de Vancouver, par rapport à ce que ça aurait dû être. Quand il s’agit des droits des citoyens, il faut se demander s’il y a des lacunes dans la loi. A-t-on des problèmes à faire respecter la loi actuelle? Quel est le problème, à votre avis?

M. Clements : Cela nous ramène en partie à la question de l’intervenant précédent, à savoir que lorsque se produisent des circonstances exceptionnelles comme les émeutes du G20 ou de la Coupe Stanley, il est risqué pour les policiers de foncer dans la foule et de procéder à des arrestations. C’est un principe en matière de maintien de l’ordre public.

Je vais essayer de répondre à votre question du mieux que je peux. Il me semble que le fait de doubler la gravité de l’infraction lorsqu’elle est commise sous le couvert d’un déguisement ne va pas dissuader ceux qui ont décidé de participer à une émeute. Il n’y a pas un casseur qui va se dire : « Ah, c’est vrai qu’il y a une deuxième loi, alors je vais continuer à casser, mais sans masque ».

S’il est difficile de faire respecter la loi, c’est en partie parce que, dans des circonstances aussi exceptionnelles que les émeutes du G20 et de la Coupe Stanley, ça devient une tâche dangereuse pour les policiers. Mais, d’un autre côté, il est fort peu probable que ce projet de loi dissuade les participants à ce genre d’émeutes de dissimuler leur identité.

Le président : Sénatrice Jaffer, j’aimerais poser une question supplémentaire. Ce qui a motivé ce projet de loi, c’est bien la frustration des détaillants qui ont subi de lourdes pertes à la suite des deux émeutes dont nous parlons, car ils voient qu’en Grande-Bretagne, les émeutiers ont été inculpés et jugés en un temps record — je crois que c’était des centaines, et ils ont été jugés en l’espace de trois semaines — alors que chez nous, un an après les émeutes de Toronto et de Vancouver, ils n’ont pas encore procédé aux inculpations. C’est donc à cette immense frustration que le projet de loi essaie de répondre. Ce n’est peut-être pas la bonne solution, mais c’est pour ça que nous vous demandons à tous les deux de nous expliquer pourquoi, face à ce genre d’incidents, les capacités de réaction des deux pays sont aussi différentes.

M. Spratt : Nous souscrivons bien sûr aux objectifs de ce projet de loi, et nous reconnaissons que le vandalisme et le chaos provoqués inutilement par les actions de certaines personnes sont absolument épouvantables.

Le président : Mais ça ne répond pas à ma question. Nous sommes tous d’accord là-dessus.

M. Spratt : Oui, mais comme l’a dit M. Clements, le fait de porter un masque et de provoquer le chaos est déjà un acte criminel.

Le président : Nous le savons, mais je vous ai posé une question précise. Si vous ne pouvez pas y répondre, ce n’est pas un problème.

M. Spratt : La réponse est la suivante : cette prohibition supplémentaire du port d’un masque, nous estimons qu’elle fait double emploi et qu’elle ne vous aidera pas à identifier les émeutiers.

Le président : Vous ne répondez pas à ma question.

M. Spratt : Je réponds à votre question. Voyez ce qu’ont imposé les tribunaux aux jeunes sans casier judiciaire qui ont participé à ces événements : des peines d’emprisonnement. Ils les ont punis.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu plus d’arrestations? Je n’en sais rien. Pourquoi la police de Vancouver n’a-t-elle pas porté un plus grand nombre d’accusations? Je n’en sais rien. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les accusations qui ont été portées l’auraient été même sans ce projet de loi. Les sanctions qui ont été imposées étaient très graves et très lourdes, et, vu les dispositions de la loi actuelle, les juges redonneraient les mêmes sanctions, avec ou sans nouveau projet de loi. À notre avis, ce texte n’aura pas d’effet dissuasif — rien ne le prouve — et il ne facilitera absolument pas l’identification des émeutiers.

M. Clements : Si vous le permettez, sénateur Runciman…

Le président : Pourriez-vous répondre à la question que je vous ai posée?

M. Clements : Je vais essayer en me plaçant dans le contexte des incidents de Toronto. Le week-end du sommet du G20 a donné lieu à des arrestations massives record de toute l’histoire du Canada. Il n’y a pas eu de problème pour arrêter ces gens-là pendant le week-end, pas plus qu’avec la Loi sur les mesures de guerre, d’après ce que j’en sais. Si la population craint…

Le président : Je crois que les craintes de la population étaient surtout liées à Vancouver, mais je ne suis pas bien au courant de la situation à Toronto.

M. Clements : Ce qui a inquiété les gens, au sujet des incidents de Toronto, c’est qu’on a commencé par arrêter les protestataires afin de les interroger plus tard. Beaucoup de gens que je connais ont dû comparaître devant les tribunaux pénaux à de nombreuses reprises avant que les autorités décident d’abandonner les poursuites et de retirer la plainte. Je crois que c’est le problème inverse qui s’est posé à Toronto.

Certes, il est possible que certains individus aient échappé à des poursuites pénales ce week-end-là, mais je peux vous dire que les procureurs de la Couronne — notamment l’unité des armes à feu et des gangs de la police de Toronto — ont fait un travail remarquable pour inculper un grand nombre de gens. La plupart ont d’ailleurs été condamnés, et comme l’a dit M. Spratt, les peines infligées étaient nettement différentes de celles qui sont généralement imposées à de jeunes contrevenants sans casier judiciaire.

Le président : Nous pourrons peut-être en reparler avec la police de Vancouver quand elle comparaîtra devant notre comité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci aux témoins. J'ai été policier à la Sûreté du Québec pendant 39 ans. J'étais sur l’escouade antiémeute lors de la crise de 1990 ainsi que lors du Sommet des Amériques, en 2001. Je peux vous dire que cela ne prenait pas une analyse très longue pour faire la différence entre une démonstration pacifique et une émeute. J'ai évidemment fait moi aussi des arrestations.

Ceci étant dit, les cas de Vancouver, de Toronto et de Montréal sont des exemples frappants que les dispositions actuelles sont nettement insuffisantes. Les lois doivent être dissuasives et le projet de loi qu'on veut mettre en place est une disposition qui a l'avantage d'être assez claire et qui dit quand un rassemblement est légal ou illégal. Les gens doivent enlever leur masque lors de manifestations, et peuvent être arrêtés lorsqu’ils n’obtempèrent pas.

La Ville de Montréal a même adopté une loi selon laquelle les policiers avisent les participants lorsqu’une manifestation devient illégale. Et l’avis est clair même pour ceux qui ne veulent pas comprendre.

Dans les cas exceptionnels, pourquoi dites-vous que c'est un désavantage de mieux protéger les biens, de mieux protéger les citoyens de ces criminels qui manifestent illégalement?

[Traduction]

M. Spratt : Le problème que nous pose le projet de loi est le suivant : les manifestations dont vous parlez — Vancouver, Toronto et Montréal — ont tourné à l’émeute, ce qui constitue un acte criminel. Le fait de participer, avec le visage masqué, à ce genre de manifestation constitue un acte criminel qui relève du paragraphe 351(2). Le projet de loi n’ajoute rien à ça. Rien, absolument rien. L’article du Code criminel est suffisant. Le fait de dire deux fois la même chose ne facilite aucunement la solution du problème.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Votre réponse ne me satisfait pas, elle ne répond pas nécessairement à ma question.

[Traduction]

M. Spratt : Je n’ai toujours pas compris, même après avoir lu les témoignages antérieurs et les questions qui ont été posées, ce que ce nouveau projet de loi offre de plus que ce qu’on a déjà. S’il avait été en vigueur au moment des incidents de Vancouver ou de Toronto, cela aurait-il changé les choses? C’est la question qu’il faut se poser, et la réponse est non. Il n’aurait rien changé du tout, et prétendre le contraire est tout à fait insensé.

Mais ce qui est sûr, c’est que ce projet de loi va susciter des contestations constitutionnelles. C’est à mon avis son point faible. J’estime, en tant que spécialiste, que ce texte risque d’avoir des effets secondaires délétères et potentiellement dangereux sur les gens qui n’ont pas de mens rea et qui ont une excuse légitime. Ils risquent en effet, avec ce projet de loi, d’être arrêtés, poursuivis et privés des libertés garanties par la Charte, alors que ce n’était pas le cas avant. Je me trompe peut-être, mais je ne vois pas en quoi ce projet de loi aurait changé quoi que ce soit pour les événements de Toronto et de Vancouver.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il y a un dicton qui dit que pour tenir un pantalon il faut une ceinture; mais à l'occasion,s il faut y ajouter des bretelles. C'est peut-être ce qu'on fait aujourd'hui avec ce projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Le sénateur Dagenais devrait savoir, vu que c’est un ancien policier, que l’article du Code criminel qui porte sur les émeutes prévoit que « l’agent de la paix qui est averti de l’existence d’une émeute dans son ressort et qui, sans excuse valable, ne prend pas toutes les mesures raisonnables pour réprimer l’émeute, est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans ».

Je dois dire que, dans le Code criminel, nous avons déjà des dispositions très musclées pour prévenir des émeutes. Je vous reporte à l’article qui précède celui que je viens de citer et qui prévoit une peine d’emprisonnement pour l’agent de la paix qui ne prend pas toutes les mesures raisonnables pour prévenir l’émeute. Il est dit à un article que le maire ou son adjoint — en l’occurrence le maire de Montréal ou de Vancouver — auraient pu ordonner aux manifestants de se disperser, sous peine d’emprisonnement à perpétuité. Il est difficile d’imaginer une disposition plus dissuasive que celle que nous avons déjà dans le code.

Quand on décide qu’une infraction est soit un acte criminel soit une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, c’est-à-dire une infraction hybride, on suppose que c’est un acte criminel au moment de l’arrestation. Cela signifie-t-il également que quelqu’un qui est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sera, aux termes de ce projet de loi, présumé coupable d’une infraction hybride, c’est-à-dire qu’il devra faire prendre ses empreintes digitales et se faire photographier, conformément à la Loi sur l’identification des criminels? Dans un cas comme dans l’autre, il me semble qu’on passe au braquet supérieur?

M. Clements : Oui, c’est ce que j’ai essayé d’expliquer en disant que la façon la plus simple de faire ce que veut faire le législateur — en l’occurrence un député —, ce serait de créer une procédure hybride pour les attroupements illégaux, à l’article 66. Nous savons déjà — ou nous le saurons tôt ou tard, j’espère — qu’en ce qui concerne l’infraction relative aux émeutes, ce projet de loi ne sert à rien. C’est déjà un acte criminel, par conséquent la disposition du paragraphe 351 sur le port d’un déguisement peut être engagée. À l’heure actuelle, on ne peut pas invoquer le port d’un déguisement pour l’infraction d’attroupement illégal sauf, comme l’a dit M. Spratt, lorsque les incidents sont accompagnés d’actes criminels, de méfaits ou d’autres activités qui sont eux aussi à caractère hybride. J’ai déjà dit clairement que la common law en fait déjà une circonstance aggravante.

Je propose, plutôt que de rajouter de nouveaux actes criminels dans un pavé qui les définit déjà et qu’on appelle le Code criminel, de procéder de façon plus élégante et plus mesurée pour combler ce qui semble être une lacune; ma proposition consiste à dire que les gens qui participent à un attroupement illégal ne peuvent pas être aussi inculpés de port de déguisement.

Le sénateur Baker : J’aimerais vous poser une question à la suite de celle du président, au sujet de Vancouver. Ces émeutes se sont soldées par plus de 100 arrestations et inculpations, et les peines infligées ont été assez lourdes. Une fois les inculpations lancées, la police a dû rassembler des preuves, a posteriori. Elle a eu recours aux médias sociaux, aux enregistrements de textos, à des ordonnances de production pour obtenir ces textos, ces mêmes ordonnances sur la base de soupçons que nous avons légiféré il y a quelque temps. La Cour suprême a rendu récemment une décision en ce qui concerne l’accès de la police aux textos. Avez-vous eu l’occasion de prendre connaissance de cette décision rendue il y a deux semaines, et pensez-vous qu’elle aura des effets?

M. Spratt : C’est une décision intéressante, mais je ne pense pas qu’elle aura beaucoup d’impact sur cette question. Elle montre en tout cas que la police possède des moyens d’enquête très puissants. Il y a les caméras, qui conservent une trace de tout ce que nous faisons, où que ce soit et avec qui. Ces outils existent. Y avoir recours pour traquer les auteurs d’activités perturbatrices et criminelles est une décision tout à fait appropriée. Ce que je déplore, c’est que ce projet de loi risque d’être une occasion manquée. Il aurait mieux valu que l’effort et les ressources qu’on y consacre servent à quelque chose, qu’il offre des outils supplémentaires, mais à notre avis, ce n’est pas le cas. Il n’ajoute rien.

Le président : Merci.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, messieurs, de vos déclarations liminaires.

Le projet de loi C-309 scinde l’actuel paragraphe 351(2) en deux articles, l’article 65 et l’article 66. J’ai l’impression que, pour beaucoup de témoins, ce qui distingue l’actuel paragraphe 351(2) et le projet de loi C-309, c’est la charge de la preuve. Nous savons que, dans un procès au pénal, c’est à la Couronne qu’incombe le fardeau de la preuve et l’obligation de faire la preuve de ce qu’elle avance, hors de tout doute raisonnable. Aux termes du paragraphe 351(2), la Couronne doit faire la preuve que l’accusé avait l’intention de commettre un acte criminel particulier, notamment dans le cas d’une émeute, ce qui alourdit le fardeau de la preuve.

En revanche, il me semble que, dans le projet de loi C-309, le fardeau de la preuve est un peu différent puisque la Couronne doit prouver que l’accusé avait l’intention, non pas de commettre un acte criminel particulier, mais plutôt de dissimuler son identité. Qu’en pensez-vous?

M. Clements : Je vais essayer de vous répondre en quelques mots. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, dans l’exemple que vous avez donné de l’infraction de port de déguisement, la Couronne doit prouver, selon l’article 351(2), que l’accusé a commis un acte criminel particulier ou qu’il en avait l’intention. Dans le contexte de ce projet de loi, l’acte criminel en question serait, je suppose, la participation à une émeute, n’est-ce pas? Je pense que c’est ainsi que le paragraphe 351(2) s’appliquerait dans le cas d’une émeute.

Le sénateur McIntyre : Exactement.

M. Clements : Il me paraît clair, d’après le libellé du projet de loi, que les nouvelles dispositions ne s’appliquent qu’à partir du moment où on a prouvé que la personne a participé à une émeute. C’est la même chose.

La Couronne a toujours l’obligation de prouver que l’accusé a participé à une émeute, et, conformément à la jurisprudence qui s’est constituée au sujet de cet article, la Couronne doit prouver que l’accusé savait que la manifestation avait tourné à l’émeute et qu’il a participé à cette émeute en connaissance de cause. Pour reprendre votre exemple, l’article proposé ne s’applique qu’une fois que la Couronne a présenté sa preuve, comme avant. Il n’y a pas de différence.

À ceux qui disent qu’il est trop difficile d’intenter des poursuites pour port de déguisement, je dirai que c’est un faux problème car cet article vous oblige d’abord à prouver que l’accusé a participé à une émeute. Mais je vais revenir sur le problème mentionné tout à l’heure. Tout bien considéré, je pense qu’à la différence de l’article 351, l’article proposé risque d’inverser la charge de la preuve, ce qui peut être très problématique.

Le sénateur McIntyre : Vous voulez dire que l’accusé aurait à prouver qu’il s’agissait d’un attroupement illégal?

La sénatrice Fraser : Non, il aurait à fournir une excuse légitime pour justifier le port d’un masque.

M. Clements : C’est ça, une excuse légitime. Comme j’essayais de vous l’expliquer tout à l’heure, l’autre aspect de ce projet de loi qui risque vraiment de poser un problème, du point de vue de la Charte, est l’obligation pour l’accusé de faire la preuve de son innocence.

Le sénateur Joyal : Certes, mais d’un autre côté, on ne peut pas appliquer le même raisonnement dans le cas d’un attroupement illégal étant donné qu’on dit dans l’article que quiconque participe à un attroupement illégal est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Je vais vous présenter un scénario. Prenons le cas de Montréal. Je participe à une manifestation dont les organisateurs ont donné l’itinéraire à la police; elle est donc légale. Soudain, la manifestation emprunte un itinéraire légèrement différent de celui qui avait initialement été accepté par la police. Elle devient donc illégale. Pendant la manifestation légale, je portais un masque de castor, mais tout d’un coup, parce que la manifestation est devenue illégale du simple fait qu’elle a légèrement dévié de son itinéraire, je deviens coupable d’une infraction. Certes, je ne tombe pas sous le coup du paragraphe 351(2), qui s’applique à ceux qui ont l’intention de commettre un acte criminel, et moi, je n’avais aucunement l’intention de commettre un acte criminel. Je portais un masque pour participer à une manifestation légale, qui est devenue illégale du simple fait qu’elle a légèrement dévié de l’itinéraire prévu.

Le nouvel article affirme que je suis coupable d’une infraction tout simplement parce que la manifestation légale à laquelle je participais est devenue illégale, et qu’en conséquence, je peux être poursuivi au pénal parce que je portais un masque.

Outre le principe de proportionnalité qu’a soulevé la sénatrice Fraser, et qui me semble problématique, dans ce scénario précis, je ne pense pas que la police pourrait m’inculper en vertu du paragraphe 351(2).

M. Spratt : C’est exact. Dans ce cas-là, vous avez raison, mais à condition que vous ne vous mettiez pas à jeter des pierres ou ce genre de choses.

Le sénateur Joyal : Non, je participe tout simplement à la manifestation, et j’ai mis un masque de castor.

C’est la raison pour laquelle je pense que ce projet de loi va plus loin que le paragraphe 351(2), sauf si je n’arrive pas à convaincre les autorités que je porte un masque de castor parce que je suis un patriote canadien, que je tiens à manifester sous ce déguisement, et que c’est une excuse légitime.

M. Spratt : Vous avez raison, sénateur, c’est un scénario qui ne tombe pas sous le coup de la loi actuelle mais qui tomberait sous le coup de la nouvelle. Le problème vient de la disproportionnalité de la sanction, et aussi de la nécessité de prouver la mens rea. Saviez-vous que la manifestation était devenue illégale? Si vous le saviez et que vous avez continué d’y participer, même sans la diriger ou la conduire, cela pose un problème constitutionnel car vous ne commettez pas ce qui pourrait autrement être considéré comme une infraction. Vous n’avez pas de viles intentions. Même s’ils réussissent à prouver que vous saviez que la manifestation avait dévié de son itinéraire initial mais que vous êtes simplement resté à regarder, vous seriez quand même coupable du simple fait que vous étiez présent, même si vous ne faisiez rien d’autre. C’est un scénario possible, et c’est pour cela que ce projet de loi risque d’être contesté au niveau constitutionnel, parce qu’il manque de mesure et d’équité.

M. Clements : Je suis d’accord avec ça. J’aimerais ajouter que, dans un éditorial du 1er novembre 2012, le Globe and Mail se demandait comment les policiers vont pouvoir distinguer les agitateurs professionnels des citoyens innocents qui se retrouvent pris dans une manifestation? Dans le feu de l’action, vont-ils même essayer de le faire?

C’est exactement ça qui nous préoccupe. Avec des dispositions comme celles des attroupements illégaux, dont l’administration est vague et difficile pour tout le monde — que ce soit les citoyens auxquels elles s’appliquent, la police qui doit les faire respecter, et les juges qui doivent les appliquer —, il est difficile d’imaginer, dans l’exemple que vous avez donné, que la personne soit coupable de quoi que ce soit. Et pourtant, avec ce projet de loi d’initiative parlementaire, cette personne risque d’être embarquée en vertu des pouvoirs qu’il confère.

M. Spratt : Après avoir lu les autres témoignages, je ne pense pas que le scénario que vous avez décrit soit le genre de scénario envisagé dans le projet de loi. Ce n’est pas comme le G20 de Toronto, ou comme Vancouver. Le projet de loi ne vise donc pas ce genre de situation, mais c’est néanmoins un problème qu’il soulève.

Le président : Le temps passe, nous devons avancer.

La sénatrice Batters : Monsieur Clements, il me semble que vous avez dit tout à l’heure qu’il serait préférable que la nouvelle infraction relative à l’attroupement illégal soit une infraction hybride, mais ne l’est-elle pas?

M. Clements : Dans la loi actuelle, l’infraction est sujette à une procédure sommaire. La nouvelle infraction est ce qu’on appelle « une infraction mixte ».

La sénatrice Batters : C’est tout ce que je voulais, que vous confirmiez que c’était bien le cas. Je comprends ce que vous voulez dire : pour ce genre d’infraction, on suppose au départ qu’il y aura une mise en accusation, mais vous reconnaissez que le projet de loi prévoit une procédure mixte.

M. Clements : Oui, mais ce que je veux dire, c’est que si on met de côté le projet de loi et qu’on transforme simplement la procédure actuelle en procédure mixte, on autorise à ce moment-là l’application du paragraphe 351(2) aux attroupements illégaux, puisqu’on veut apparemment combler une lacune à ce sujet en créant une infraction pour port de déguisement. Une solution beaucoup plus élégante et, franchement, plus respectueuse de la Charte serait de prévoir une procédure mixte pour l’infraction relative aux attroupements illégaux.

La sénatrice Batters : Voulez-vous dire que vous appuieriez le projet de loi si nous suivions votre conseil?

M. Clements : Je pars du principe qu’il vaut toujours mieux que la loi soit claire. Je pars du principe qu’il vaut mieux éviter d’avoir des lois qui risquent d’ouvrir la porte à des contestations constitutionnelles. J’estime que ce texte suscite déjà assez d’inquiétudes quant aux effets qu’il aura sur le droit d’expression et la liberté de réunion, et quant à la façon dont il sera appliqué sur le terrain. Je peux simplement vous dire que je préférerais cette méthode, si l’on s’entend qu’il faut faire des changements.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai une courte question pour nos deux témoins. Je vois que vous représentez le Conseil canadien des avocats de la défense. Je comprends que votre association ne comprend aucun procureur de la Couronne?

[Traduction]

M. Spratt : Ici présents, non. Je ne suis pas procureur de la Couronne.

Le président : Merci beaucoup, messieurs, de l’aide que vous nous avez apportée. Cela va nous être utile. Bonne journée.

Nous allons maintenant passer à la deuxième partie de la réunion et accueillir, par vidéoconférence à partir de Vancouver, Tony Hunt, directeur général, Prévention des sinistres, chez London Drugs Limited, ainsi que Lincoln Merraro, directeur chez Cadillac Fairview Corporation Limited. Vous comparaissez ensemble, et nous vous remercions d’être là. Je vous prie de nous excuser de notre retard. Avez-vous des déclarations liminaires?

Tony Hunt, directeur général, Prévention des sinistres, London Drugs Limited : Oui, j’en ai une, sénateur.

Le président : Alors allez-y.

M. Hunt : Merci. Je m’appelle Tony Hunt et je vous remercie de m’avoir invité à vous dire ce que je pense du projet de loi C-309. En tant que spécialiste de la sécurité et représentant de l’une des nombreuses entreprises qui ont été la cible des émeutes de la Coupe Stanley à Vancouver, j’espère réussir à vous convaincre du rôle perturbateur important que peuvent avoir des individus masqués au sein de grands rassemblements, et de l’impact que cela peut avoir sur la sécurité du personnel et du public.

Dans la soirée du 15 juin 2011, le magasin phare de London Drugs, situé au coin des rues Granville et Georgia, à Vancouver, a été vandalisé et pillé par plus de 300 criminels. Trente employés horrifiés ont assisté à la scène et ont vu des voyous casser la vitrine en verre anti-effraction, renverser les grilles de sécurité en acier, et s’engouffrer dans le magasin. Nos employés se sont réfugiés dans une salle barricadée au sous-sol tandis que les voleurs emportaient pour 450 000 $ d’articles coûteux et faisaient des dégâts évalués à 224 000 $.

Les biens physiques, ça se remplace, mais le choc psychologique infligé à nos employés, c’est tout simplement inacceptable dans notre société.

Dans l’étude indépendante qu’ils ont faite des émeutes de la finale de la Coupe Stanley à Vancouver, en 2011, MM. Furlong et Keefe ont découvert que, le soir du 7e match, juste avant que soit marqué le premier but, la police avait été avertie de la présence de « groupuscules d’hommes masqués dans la foule ». Ils ont également indiqué dans leur rapport que, le soir des émeutes, un certain nombre d’individus sont descendus en ville, prêts à en découdre.

En examinant nos images vidéo, nous avons constaté qu’environ 30 p. 100 des suspects avaient essayé de se masquer le visage avec leur chemise, un chandail, un parapluie, une écharpe, un bandana, et même un masque de lutteur.

On est en droit de penser que, si on avait pu empêcher ces individus de dissimuler leur visage, on aurait pu éviter au moins une partie des dégâts et des risques pour la population. Du point de vue de la victime, l’important est d’empêcher que le crime ne soit perpétré.

La société London Drugs s’efforce d’offrir à ses employés et à ses clients des conditions de sécurité physique et matérielle en toutes circonstances. Il nous arrive régulièrement de nous préparer pour que tout se passe bien lorsque des manifestations importantes se déroulent dans les rues, les parcs et les espaces publics à proximité de nos magasins. La très grande majorité de ces manifestations sont pacifiques, causent très peu de perturbations et attirent des gens bien intentionnés, qui ne cherchent qu’à affirmer leurs droits. Toutefois, quand nous nous préparons à faire face à de grandes manifestations, nous savons que la présence d’individus masqués augmente considérablement les risques qu’elles dégénèrent, et qu’elles nécessitent par conséquent des précautions supplémentaires, sans parler de l’anxiété et des dépenses qu’elles occasionnent.

Il convient de noter que le port du masque encourage un comportement criminel, qui va au-delà de la simple protestation. C’est une menace très réelle pour les magasins de détail, qui peut donner lieu à ce que les professionnels de la sécurité appellent des infractions collectives. On les confond parfois avec les rassemblements éclair, qui sont généralement des plaisanteries spontanées et bon enfant.

Les infractions collectives se déroulent de la façon suivante : des individus masqués se retrouvent à un endroit donné où, sous l’apparence d’une rencontre spontanée ou d’une plaisanterie, et à l’aide des réseaux sociaux, ils se livrent à des vols à la tire et à du vandalisme tout en menaçant la sécurité des employés et des clients. Ce genre d’événement est de plus en plus fréquent aux États-Unis, et le fait que ces individus puissent dissimuler leur identité tout en donnant l’impression de participer à une rencontre bon enfant ne fait qu’accroître les risques de comportements criminels.

Avec la prolifération des caméras mobiles, ceux qui ont l’intention de commettre des infractions préfèrent rester anonymes et se masquer le visage. Il faudrait peut-être donner aux policiers les outils nécessaires pour intervenir le plus tôt possible quand un événement de ce genre se prépare, afin qu’ils puissent empêcher ces gens-là de se cacher derrière l’anonymat pour se livrer à des actes de violence.

Le projet de loi contient une disposition qui reconnaît et protège ceux qui ont une excuse légitime de se couvrir la tête ou de dissimuler leur visage. Nous respectons la diversité culturelle et nous estimons que cette disposition est cruciale pour que nous puissions protéger nos clients et nos employés, tout en respectant leurs droits et leurs convictions religieuses.

Au nom de la sécurité de nos employés, du public et de ceux qui veulent pouvoir revendiquer leurs droits de façon légale et pacifique, nous vous encourageons à adopter ce projet de loi.

Le président : Merci, monsieur Hunt.

Monsieur Merraro, avez-vous une déclaration liminaire à faire, avant que nous ne passions aux questions?

Lincoln Merraro, directeur de la sécurité, The Cadillac Fairview Corporation Limited : Je serai bref, sénateur. Nous sommes heureux d’avoir la possibilité d’exprimer notre appui au projet de loi C-309. Tout comme M. Hunt, nous avons à faire face à pas mal de manifestations importantes, et, bien sûr, comme nous sommes dans un espace public, nous les acceptons lorsque les gens ont des motifs légitimes de se rassembler.

Le droit de manifester ou de protester est très important dans notre société. Toutefois, nous avons constaté, au Pacific Centre, que chaque fois qu’une personne dissimule son identité, cela change radicalement l’ambiance parmi les gens qui sont là pour manifester pacifiquement. Je pense que cela a un effet sur l’humeur des gens et sur le climat de la protestation, et ça n’empêche pas les individus de se masquer pour commettre des actes illégaux.

Le soir des émeutes, nous avons envoyé 16 rapports d’infractions à la police de Vancouver. Dans tous les cas, l’auteur de l’infraction avait dissimulé son identité avant de commettre l’infraction.

Le président : Merci à tous les deux. Nous allons commencer la période des questions avec la sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : Je crois que c’est encore le matin pour vous, messieurs, alors bonjour, et merci de venir nous rencontrer. C’est extrêmement utile pour nous.

Il est évident que ce qui s’est passé à Vancouver pendant les émeutes de la Coupe Stanley est absolument effroyable. Les chiffres que vous nous avez donnés, monsieur Hunt, à propos des dommages causés à une société parmi d’autres sont très révélateurs.

Pour autant, nous sommes plusieurs à nous demander dans quelle mesure ce projet de loi aurait permis d’empêcher ces comportements criminels que vous avez fort bien décrits. Le port d’un masque dans le but de commettre un acte criminel, notamment la participation à une émeute, est déjà une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans. Avec ce projet de loi, le port d’un masque pendant la commission de l’acte criminel qu’est la participation à une émeute est une infraction. Je ne vois pas ce qui est différent. Même la peine d’emprisonnement maximale de 10 ans pour dissimulation d’identité est la même.

À vous entendre, monsieur Hunt, j’ai l’impression que ce que vous souhaitiez, c’est un moyen de dissuasion plus fort, quelque chose qui donne à la police le pouvoir d’intervenir plus tôt. C’est sûr que c’est souhaitable. Mais je me demande néanmoins pourquoi vous pensez que ce projet de loi atteint cet objectif.

M. Hunt : S’agissant de la réaction de la police et des pouvoirs publics face à une manifestation qui tourne à l’émeute, un commerçant veut avant tout s’assurer que la police a la capacité d’intervenir auprès des organisateurs ou des instigateurs qui sont susceptibles de radicaliser une manifestation selon la technique des blocs noirs.

Lorsqu’un groupe de personnes se rassemblent pour manifester pacifiquement, et que la manifestation commence à dégénérer, l’impact sur le public et sur les commerçants est d’autant plus grand que les participants au rassemblement sont masqués. Dans le feu de l’action — et je suppose que votre comité entendra des policiers à ce sujet —, il semblerait que, pendant qu’on avertit les participants qu’il s’agit d’un attroupement illégal, les individus masqués ont tout le temps d’encourager les gens à commettre avec eux des actes qui ne sont pas forcément les actes criminels dont la police a besoin pour pouvoir invoquer ces dispositions. Un acte de vandalisme en est un bon exemple.

Je vous prie de m’excuser de donner une réponse aussi longue, mais je voudrais vous donner un exemple de ce qui s’est passé au début des émeutes de Vancouver, avant qu’on ne se rende compte vraiment qu’il s’agissait d’une émeute. La police était en train de demander aux gens d’évacuer les voies publiques. Un manifestant masqué s’est pointé devant notre magasin et, alors que nos employés regardaient de l’intérieur ce qui se passait dans la rue au travers de la vitrine, il a vandalisé et peint au pistolet toute la devanture du magasin, au vu de tous. En tant que représentant de mon entreprise, de mes employés et de mes clients, j’espère que les policiers ont raison de dire, devant votre comité et ailleurs, que ce projet de loi leur donnera les outils nécessaires pour neutraliser les manifestants masqués qui sont les plus susceptibles de causer des perturbations.

La sénatrice Fraser : Tout le monde n’est pas d’accord avec votre interprétation des effets du projet de loi sur le genre de situation que vous avez décrit. Quoi qu’il en soit, vous avez présenté vos arguments.

M. Merraro : Pour l’essentiel, je suis d’accord avec M. Hunt. Ce que nous avons vu ce soir-là, nous l’avons vu, pour une bonne partie, à d’autres manifestations aussi importantes. Un groupe de gens qui se rassemblent pour protester pacifiquement peut être phagocyté par un petit groupe d’individus prêts à en découdre. C’est vraiment l’étape préliminaire de l’émeute, et c’est à ce moment-là que la police devrait pouvoir intervenir et utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés. Les individus masqués disposent de 10 à 20 minutes pour mobiliser les gens et fomenter une émeute, car pendant ce laps de temps, ils se sentent invincibles du fait qu’ils sont masqués.

La sénatrice Fraser : L’incitation à l’émeute est une infraction, mais avec ce projet de loi, la police ne peut rien faire tant que l’émeute n’a pas éclaté ou en tout cas que la manifestation n’a pas tourné à l’émeute. J’aimerais bien que ce texte soit la solution à ce qui est le vrai problème, bien souvent. Merci, messieurs.

Le sénateur Plett : Je vous remercie, messieurs, de venir discuter avec nous par vidéoconférence ce matin.

J’aimerais parler un peu de ce que ressent la population de Vancouver. Ayant vécu ce triste épisode de l’histoire de la ville, je voudrais vous demander ceci : d’après les chiffres publiés par la police de Vancouver le 13 mars 2013, 25 p. 100 des gens condamnés ou inculpés à la suite des émeutes de la Coupe Stanley — il faut savoir que le nombre de condamnations a été très faible — font de l’outrage au tribunal parce qu’ils font fi des ordonnances des juges.

Parlez-moi un peu ce que ressent la population de Vancouver lorsqu’elle entend ces statistiques sur le faible nombre de personnes condamnées, dont le quart refuse d’obéir aux ordonnances des tribunaux. Que pense la population de tout cela? Croyez-vous que s’il avait été en vigueur, ce projet de loi aurait été utile pendant les émeutes de Vancouver?

M. Merraro : Ce que pense la population, notamment les grandes entreprises, c’est que la police de Vancouver a fait tout ce qu’elle pouvait pour traîner les gens devant les tribunaux. Les peines infligées et le mépris dont les accusés font preuve à l’égard de l’appareil judiciaire sont davantage révélateurs des individus eux-mêmes que de l’opinion publique. Je crois que les tribunaux font tout ce qu’ils peuvent, tout comme la police d’ailleurs. Quand les gens sont capables d’afficher autant de mépris à l’égard de la justice, ça signifie qu’ils ne se sentent toujours pas responsables des actes qu’ils ont commis ce soir-là. Qu’ils ne sont toujours pas convaincus que, parce qu’ils ont participé à ces émeutes, ils sont personnellement responsables, et pas le groupe. Tout cela est intimement lié au fait qu’on se sent anonyme au sein d’un groupe.

M. Hunt : C’est vrai que les actes commis par ces individus et le mépris qu’ils affichent apparemment à l’égard de la peine qui leur a été infligée n’améliorent pas la perception du public pour ce qui est de la capacité des pouvoirs publics à faire face à ce genre de situation. Cependant, je reconnais moi aussi que la police de Vancouver et les tribunaux ont vraiment fait le maximum pour nous venir en aide, nous les victimes.

Je pense qu’on est en droit d’espérer qu’il n’y aura pas d’autre émeute de ce genre à Vancouver. La ville est une remarquable mosaïque culturelle, et, comme je l’ai dit tout à l’heure, notre organisation se prépare toujours à l’éventualité de protestations lorsque des événements publics sont prévus, car nous respectons le droit des gens de se rassembler et de célébrer ensemble. Il est évident pour tout le monde que, dans ce genre d’événements, il y a souvent un petit groupe de personnes qui, une fois sur les lieux, perdent tout bon sens et cherchent à provoquer le chaos, ce qui mine la confiance de la population dans l’organisation de la société.

Au centre-ville de Vancouver, les gens sont satisfaits de la façon dont la collectivité a réagi après les émeutes. Mais il y a toujours cette crainte que cela peut se reproduire à tout moment. Les commerces et les employés se préparent au pire quand un rassemblement est prévu au centre-ville, de peur que des individus masqués ou mal intentionnés ne s’y invitent pour provoquer une émeute.

Le sénateur Plett : Je suis de Winnipeg, et j’espère que vous n’aurez pas la finale de la Coupe Stanley de sitôt, mais si l’occasion s’en présente, je suis sûr que vous saurez montrer votre ville sous son meilleur jour.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leurs exposés qui étaient excellents. Monsieur Hunt, vous avez pris connaissance des dossiers et des jugements qui ont été rendus en ce qui concerne les 116 personnes qui ont été arrêtées ce soir-là. La plupart de ceux qui ont lu ces jugements ont été sidérés par l’ampleur des dégâts. L’unité anti-émeutes de la police de Vancouver a dénombré 297 échauffourées, dont l’assaut contre votre magasin de la rue Granville.

Nous avons entendu comment vos employés qui étaient à l’intérieur ont décrit l’attaque. Le magasin a fermé ses portes vers 19 h 40, et les employés ont pu voir sur le circuit de télévision interne une foule d’assaillants se précipiter à l’entrée, casser la vitrine et piller le magasin; vos caméras de télévision ont filmé 300 pillards ce soir-là. Vos caméras montrent bien 300 pillards rien que dans votre magasin, alors qu’il y a eu 297 échauffourées ce soir-là, c’est dire l’ampleur et la gravité de la situation.

D’aucuns ont dénoncé le fait qu’il n’y a eu que 116 arrestations ce soir-là, alors que, rien que dans votre magasin, vos caméras de télévision ont filmé 300 pillards en action. Avez-vous des suggestions à nous faire pour que la police puisse procéder à un plus grand nombre d’arrestations? Ces gens-là n’étaient pas tous masqués, en fait, très peu d’entre eux l’étaient, alors y aurait-il autre chose que nous pourrions ajouter dans la loi, au cas où ce genre de situation se reproduirait? Rien que dans votre magasin, les dégâts ont été estimés à 1 million de dollars.

M. Hunt : Merci, sénateur. Encore aujourd’hui, ça m’est difficile de parler de tout ça. Je n’étais pas sur les lieux, à ce moment-là, et je regardais ça en direct, sur l’écran de télévision. S’agissant des employés, il y en a un de mon service des sinistres qui a dit que les habitants de Vancouver qui avaient attaqué le magasin ressemblaient à des zombies hagards.

Il est clair pour tout le monde que le port d’un masque et la dissimulation du visage des attaquants ont eu un impact. Nous avons observé quelque chose d’intéressant lorsque nous avons lu les différents rapports et repassé les films que nous avions faits des événements. Lorsque la police a commencé à demander aux gens de dégager les lieux, on voit que le groupe de casseurs se scinde en plusieurs groupuscules. Ce qui est intéressant, à mon avis, c’est qu’il y avait un certain nombre de citoyens qui étaient là avec leurs caméras et leurs cellulaires pour assister au spectacle, essentiellement. Ce n’était pas tellement les 300 à 700 casseurs prêts à attaquer le magasin London Drugs, mais tous ces curieux, ils étaient peut-être 3 000 ou 4 000, qui étaient rassemblés un peu plus loin et qui filmaient la scène.

Cela déborde peut-être du cadre de la discussion d’aujourd’hui, mais lorsque la police a demandé aux citoyens de dégager les lieux ou les rues, on voit que des citoyens bien intentionnés se sont pris pour des photographes professionnels et sont restés pour filmer les événements pour la postérité, faisant fi des consignes des policiers et gênant ainsi les services d’intervention d’urgence.

Nous avons donc vu sur les films les 300 et quelques casseurs dont on a parlé tout à l’heure, dont certains étaient masqués, et qui étaient résolus à en découdre dès le départ. Et autour, des milliers de personnes qui regardaient, généralement sans leur dire quoi que ce soit pour les calmer. C’était le scénario classique. Je pense qu’il faudrait vraiment trouver le moyen de faire en sorte que les citoyens obéissent aux consignes de la police.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos témoins pour leur comparution.

Monsieur Hunt, vous avez un commerce mais vous représentez également des organismes qui doivent assurer la sécurité des commerces.

Si on tient compte que les dispositions actuelles de la loi sont plus ou moins suffisantes pour protéger vos commerces, seriez-vous d'accord pour dire que le projet de loi C-309 aidera les policiers à mieux protéger vos commerces?

[Traduction]

M. Hunt : Je pense que les dispositions du projet de loi vont en effet aider les policiers à protéger nos commerces.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup pour votre réponse.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, monsieur Merraro et monsieur Hunt, de comparaître devant notre comité aujourd’hui. Je viens de Vancouver, ma famille habite à proximité de votre magasin, monsieur Hunt, et j’y vais souvent faire des courses, alors bien sûr, j’ai vu tous les dégâts que vous avez subis. Je pense que tous les habitants de Vancouver ont été choqués par ça. La réputation de notre ville en a souffert, et nous avons tous été abasourdis par ce qui s’est passé.

Le problème que nous pose le projet de loi est que le paragraphe 351(2) du Code criminel dispose que :

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, dans l’intention de commettre un acte criminel, a la figure couverte d’un masque ou enduite de couleur ou est autrement déguisé.

Ce que prévoit le nouveau projet de loi est déjà prévu dans le Code criminel. Vous étiez sur les lieux, et vous vous occupez d’assurer la sécurité de vos employés, de vos marchandises et de vos clients. Nous aimerions bien savoir quelles leçons vous avez tirées de ces événements et quelles mesures il faudrait adopter pour prévenir ce genre de débordement.

M. Hunt : Merci, sénatrice. Je pense qu’il faudrait d’abord prendre des mesures pour empêcher certains individus de perturber des manifestations pacifiques ou d’encourager d’autres personnes à masquer leur visage et à se servir d’instruments pour porter atteinte à la propriété. Ce serait un bon point de départ. Il faudrait aussi s’assurer que les citoyens en général comprennent qu’ils doivent coopérer afin de faciliter le travail des unités d’intervention d’urgence, et qu’il est important de protéger les droits de ceux qui veulent manifester. Mon entreprise y croit beaucoup. Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait faire, et le rapport Keefe et Furlong en recommande un grand nombre, qui sont d’ailleurs en cours d’exécution.

Pour moi, c’est simplement un outil de plus pour que la police puisse intervenir auprès des individus masqués dans ce genre de circonstances, de préférence le plus vite possible, si j’en crois les différents chefs de police qui se sont exprimés sur la question.

M. Merraro : Situé juste en face du magasin London Drugs, le Pacific Centre a été la cible d’autant d’individus masqués, et cela arrive pour toutes sortes d’événements. Vancouver accueille un grand nombre d’événements à grande échelle, comme la Celebration of Lights, qui attire beaucoup de monde dans le centre-ville. Et dans ces cas-là, même s’il ne s’agit pas d’une émeute, il arrive qu’un groupuscule d’individus se masquent le visage avant même de s’y rendre afin de rester anonymes au cas où ça tourne à l’émeute. Ce projet de loi donne à la police un outil supplémentaire pour intervenir plus rapidement que ne le prévoit le Code criminel. Pour Cadillac Fairview, plus on intervient tôt, plus on a de chances de dissuader les casseurs.

Le président : J’aimerais continuer dans la même veine que le sénateur Baker. Je suis allé sur le site de l’Integrated Riot Investigation Team — c’est à Vancouver, bien sûr — et j’ai vu qu’elle avait recommandé 1 052 mises en accusation mais que la Couronne n’en a retenu que 614. Ensuite, on apprend qu’il y a eu 194 condamnations. Je ne comprends pas très bien pourquoi il y a une telle différence entre les chiffres qui figurent sur leur site web et ce qui s’est passé en réalité, d’après les journaux. Deux années se sont écoulées, et certaines affaires sont encore devant les tribunaux.

J’ai essayé de comparer ça avec les émeutes qui ont eu lieu en Grande-Bretagne, du 6 au 10 août 2011. Dès le 15 août, 3 100 personnes avaient été arrêtées et 1 000, inculpées. Et elles ont comparu devant les tribunaux dans les trois ou quatre semaines qui ont suivi.

Je me demande s’il y a d’autres facteurs en jeu, dont on ne parle pas dans ce projet de loi. Vous avez salué le travail de la police, des tribunaux et du système judiciaire, mais il doit y avoir quelque chose qui ne va pas si nous ne sommes pas capables de régler ça de façon plus efficace et plus rapide. Qu’en pensez-vous?

M. Hunt : C’est très difficile d’avoir à traiter un aussi grand nombre de cas en même temps, c’est évident. Je pense que tout le monde voudrait que ça se fasse plus rapidement, et toute amélioration en ce sens sera certainement appréciée. Il y a encore beaucoup de personnes qui, après avoir été inculpées pour infractions dans notre magasin, continuent de retarder le processus en multipliant les comparutions en tribunal, que ce soit avant ou après le plaidoyer, en attendant la condamnation.

Je ne sais pas quoi vous répondre. Ce n’est pas mon champ d’expertise, mais je suis d’accord avec vous pour dire que tout le monde a intérêt à ce que justice soit rendue de façon efficace et rapide.

M. Merraro : Je vous remercie de votre question. Je suis d’accord avec vous, ça prend beaucoup de temps. Je dois quand même vous dire — je l’ai déjà mentionné — que nous avons donné aux policiers de Vancouver plus de 100 heures de vidéos rien que sur cette échauffourée, que les films ont été tournés avec toutes sortes d’appareils, des caméras analogiques aussi bien que des caméras IP, et qu’ils ont dû tout visionner attentivement pour en extraire des informations utiles. C’était une tâche considérable, mais c’était indispensable pour qu’ils soient en mesure d’identifier et d’inculper certains de ces individus.

Tout comme M. Hunt, je ne sais pas quoi vous répondre. Je suis d’accord avec vous, mais si ça a pris autant de temps, ce n’est pas parce que c’était une émeute liée à la Coupe Stanley. Je pense que ça prend toujours du temps, qu’il s’agisse d’une émeute, d’un méfait, d’un vol, le traitement d’une affaire judiciaire prend toujours du temps.

Le président : Je suis d’accord, ce n’est pas un problème propre à Vancouver.

Le sénateur Joyal : Je vous remercie, messieurs. À la suite de ces émeutes, avez-vous renforcé vos mesures de sécurité dans vos magasins? Par exemple, avez-vous installé des rideaux métalliques, que vous pouvez fermer dès qu’une manifestation risque de tourner à l’émeute? Avez-vous modifié vos consignes de sécurité dans vos magasins et locaux?

M. Hunt : Merci, sénateur. Nous avons révisé nos procédures et avons fait une analyse approfondie des faiblesses structurelles du magasin. Et en effet, nous avons renforcé nos systèmes de sécurité à l’avant du magasin, dans la mesure où l’architecture de la bâtisse nous le permettait.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire à M. Furlong et à M. Keefe, il y a, pour tout système de sécurité, ce qu’on appelle le temps d’attente, c’est-à-dire que les commerces doivent prévoir suffisamment de temps pour que le contrevenant entre dans le magasin, qu’on essaie de le dissuader de commettre une infraction, ou que les policiers aient le temps d’arriver.

La question que je me pose, et je ne suis pas sûr qu’on puisse y répondre, et elle est d’ailleurs peut-être tout à fait rhétorique, c’est quel délai un commerce devrait prévoir pour que les policiers aient le temps de traverser une foule de 4 000 personnes afin de venir à sa rescousse? C’est très difficile de le savoir, car on a affaire à un nouveau phénomène, tous ces badauds curieux dont je parlais tout à l’heure.

Mais pour répondre à votre question, je dirai que oui, nous avons renforcé notre sécurité; nous pensons qu’elle est adéquate, car nous avons fait d’importants investissements pour nous protéger, nous et nos employés.

M. Merraro : L’une des choses les plus difficiles, pour le Civic Centre, c’est de trouver le juste milieu entre la perception qu’a le public d’un centre d’achats ouvert et accueillant, qui veut attirer le plus grand nombre possible de clients, et la nécessité de mettre en place une sécurité maximum sans pour autant avoir l’air d’une forteresse.

Même si nos locaux ne présentaient pas de faiblesses structurelles le soir des émeutes, nous avons quand même modifié notre façon de déployer les employés chargés de la sécurité, les endroits où ils sont postés, afin qu’ils puissent intervenir ou observer, et fournir des informations que nous pouvons ensuite relayer à la police de Vancouver, par exemple sur les mouvements de foule, l’ambiance, les routes les plus faciles pour accéder au Civic Centre et pour en sortir, étant donné que nous occupons plus de trois pâtés de maisons. Nous n’avons pas eu de dégâts matériels, mais nous avons changé certaines choses au niveau du personnel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour votre témoignage. J'aurais des questions de nature différente. J'ai été voir sur le site Internet de M. Hunt; vous avez un commerce d'appareils électroniques et je comprends que ça peut être très attirant pour des voleurs, car ce sont des appareils qui s'écoulent facilement sur le marché. Vos assurances ont-elles couvert l'ensemble des pertes que vous avez subies durant cette émeute?

[Traduction]

M. Hunt : Ce n’est pas encore réglé. Mais il semblerait que nous sommes l’une des rares organisations à avoir des chances d’obtenir un remboursement. Mais je n’en sais pas plus pour le moment.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc aujourd'hui, vous ne savez pas combien ces évènements vous en coûteront, de votre poche?

[Traduction]

M. Hunt : Non, pas exactement, monsieur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Concernant vos employés, est-ce que certains d’entre eux ont eu besoin de soutien psychologique ou thérapeutique après le choc qu'ils ont subi?

[Traduction]

M. Hunt : Ça a été un problème très important pour nous, et ça l’est encore. Nous avons mis à la disposition de nos employés un programme d’aide, avec des conseillers et des psychologues. Fort heureusement, grâce à l’excellent travail de nos professionnels des ressources humaines, dont je suis très fier, et à la force de caractère de nos employés, nous n’avons, que je sache, perdu aucune journée de travail à cause de ces émeutes. Il n’en demeure pas moins que ça a été un véritable choc pour nos employés du magasin.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous recevez une aide financière pour couvrir les coûts des services psychothérapeutiques?

[Traduction]

M. Hunt : Oui, ça fait partie de notre programme d’aide aux employés. C’est quelque chose que l’employeur met à la disposition de ses employés.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je veux parler du programme d'aide aux victimes d'actes criminels de la Colombie-Britannique; avez-vous un soutien financier de leur part?

[Traduction]

M. Hunt : Le programme dont je vous parle est interne à notre entreprise, et fait partie des avantages que nous offrons à nos employés.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Permettez-moi de revenir à la question des coûts. Corrigez-moi si je me trompe, mais ce que je comprends c’est que, pour ce qui est de l'ensemble des dommages qui ont été causés à votre propriété, autant que des améliorations apportées aux équipements sécuritaires que vous avez installés après, dans le fond, vous avez été amené, comme entreprise, à défrayer l'ensemble des coûts. Vous n'avez pas reçu de soutien financier de la part d'un programme d'aide ou de la part de la Ville de Vancouver, c'est votre entreprise qui a assumé entièrement les coûts, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Hunt : Pour l’instant, oui. Il semblerait, comme je l’ai dit, que notre réclamation ne soit pas encore approuvée par la compagnie d’assurance. Cela dit, c’est nous qui avons payé toutes les améliorations que nous avons apportées, et tous les suivis et l’enquête que nous avons faits jusqu’à présent.

Quand je parle d’enquête, je parle de la vidéo que nos employés ont dû préparer, de notre analyse des causes profondes, des entrevues que nous avons faites auprès de nos employés, la consignation de leurs déclarations.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C'est sans doute pour cela que vous trouvez très important que le Code criminel soit renforcé, afin de faire sorte que ces événements soient prévenus ou que, du moins, les criminels qui commettent ces actes criminels puissent être poursuivis plus facilement.

[Traduction]

M. Hunt : Tout ça nous a coûté bien sûr beaucoup d’argent, mais le plus important, c’est l’effet dévastateur que ces événements ont eu sur nos employés, qui étaient terrorisés de voir ces individus casser la vitrine du magasin, sans parler des parents de nos jeunes employés qui, de chez eux, s’inquiétaient pour leurs enfants. Ils ignoraient où se trouvait exactement leur enfant qui travaillait ce jour-là dans l’établissement, alors que les émeutes étaient retransmises sur Twitter en temps réel. C’est justement l’impact terrible que ça a eu sur les gens qui a amené mon organisation, et moi personnellement, à recommander des changements afin d’éviter que cela ne se reproduise.

Le président : A-t-il été question, publiquement, d’une indemnisation par la municipalité? Nous allons entendre des représentants de la police de Vancouver la semaine prochaine, mais en ce qui concerne le manque de préparation face à ce genre de situation — je sais que c’est une accusation qui a circulé dans les médias —, je me demande si l’une ou l’autre des parties a excipé de cet argument pour réclamer des dommages-intérêts. Êtes-vous au courant?

M. Hunt : Si je suis au courant? Mon collègue est peut-être mieux informé. J’ai entendu dire qu’un petit nombre de détaillants ont intenté des procédures, mais je n’en sais pas plus, sénateur.

M. Merraro : C’est vrai, j’ai appris, par les médias, qu’un petit nombre de détaillants avaient pris des mesures. À propos d’indemnisation pour la nuit des émeutes, je sais qu’il y a deux ou trois magasins ou entreprises qui poursuivent la municipalité. C’est une chose, mais ici, il n’y a que deux représentants du Pacific Centre. Le sénateur qui vous a précédé a demandé combien cela avait coûté à London Drugs, mais ce chiffre va être multiplié par je ne sais pas combien au fur et à mesure qu’on descend la rue Granville, car il y a aussi le magasin Sears, la Banque TD, Artitzia, H&M, Blenz Coffee, Holt Renfrew — et la liste continue — chacune de ces organisations va devoir examiner cette possibilité avec sa compagnie d’assurance. Chacune d’entre elles va devoir offrir, par le biais de son programme d’aide aux employés, les services dont ont besoin ses employés, car je peux vous dire que ces individus n’y sont vraiment pas allés de main morte dans le centre-ville de Vancouver ce soir-là.

La sénatrice Fraser : Je m’adresse à M. Hunt. Pourriez-vous expliquer davantage, pour que je saisisse bien, ce que vous entendez par temps d’attente avant que les policiers puissent intervenir, et comment on pourrait préciser cela un peu plus clairement? Vous vous souvenez de ce que vous avez dit à ce sujet? Je ne comprends pas comment ça fonctionne, alors j’ai besoin que vous m’expliquiez. Par exemple, nous avons récemment examiné plusieurs projets de loi visant à faciliter l’arrestation d’individus. Je n’ai pas très bien compris de qui vous parliez. Pouvez-vous éclairer ma lanterne?

M. Hunt : Je vais faire de mon mieux pour vous expliquer tout cela, en tant que partie prenante à ces événements.

Lorsque la police arrive sur les lieux d’une manifestation jugée au départ illégale, elle a pour consigne d’offrir aux participants la possibilité de se disperser. C’est en lisant le récit de ces événements, et de par mes contacts avec la police, que j’ai appris cela, et je crois qu’il serait utile que vous rencontriez des représentants de la police et que vous discutiez avec eux. D’après ce que j’ai compris, la police donne aux individus rassemblés un certain délai pour se disperser. Mais elle pourrait aussi profiter de ce délai pour avertir les gens qu’ils commettent une grave infraction s’ils portent un masque ou s’ils dissimulent leur visage. Peut-être que ça encouragerait ceux qui sont masqués à modifier leur comportement et que ça changerait le cours des événements.

Ce n’est pas de mon ressort de vous expliquer les tactiques utilisées par les policiers dans le cas d’une manifestation. Mais je peux vous dire, en tant que partie prenante qui a observé la scène de près et qui a discuté avec des chefs de police et des policiers à la suite de ces émeutes, qu’il me semble évident qu’ils ont besoin d’outils supplémentaires pour pouvoir intervenir dès le début, surtout lorsqu’il y a des types masqués.

La sénatrice Fraser : Je n’avais pas compris. Je croyais que vous parliez d’un temps d’attente entre le moment où un individu mal intentionné entre dans votre magasin et le moment où on peut intervenir, mais vous ne parliez pas de ça?

M. Hunt : C’est exact.

Le président : Je vous remercie de vos témoignages. C’était très instructif, merci de vous être déplacés.

Merci. Nous allons lever la séance dans un instant. J’aimerais rappeler à mes collègues que, la semaine prochaine, nous poursuivrons l’examen du projet de loi C-309. Mercredi, nous accueillerons des représentants de la police, y compris celle de Vancouver, ainsi que des représentants des associations de défense des libertés civiles.

(La séance est levée.)


Haut de page