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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 4 avril 2012

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui à 18 h 45 pour continuer l’étude sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis, étant donné la valeur du dollar canadien et les répercussions du magasinage transfrontalier sur l’économie canadienne

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir à tous et bienvenue à notre réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Ce soir, nous continuons notre étude sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis, étant donné la valeur du dollar canadien et les répercussions du magasinage transfrontalier sur l’économie canadienne.

Chers collègues, il sera encore une fois question du secteur du livre, et nous sommes ravis d’accueillir des représentants de l’industrie de l’édition au Canada.

Nous accueillons Kevin Hanson, président du Canadian Publishers’ Council ainsi que de Simon and Schuster Canada, ainsi que Jackie Hushion, directrice exécutive du Canadian Publishers’ Council; James Reeve, vice-président principal et directeur général de la Division de l’enseignement supérieur de Nelson Education Ltd; et Carolyn Wood, directrice exécutive de l’Association of Canadian Publishers.

Madame Hushion, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire, et ce sera ensuite au tour de Mme Wood. Je vous cède la parole.

Jackie Hushion, directrice exécutive, Canadian Publishers’ Council : Le Canadian Publishers’ Council représente les intérêts des sociétés qui publient non seulement des livres, mais également des produits numériques et électroniques pour les enfants et les adultes de tous âges. Le marché de nos membres inclue les librairies généralistes, donc des magasins de vente au détail traditionnels, pour les oeuvres de fiction et autres, les librairies universitaires, qui vendent aux étudiants et aux enseignants — mais les éditeurs vendent aussi aux étudiants et aux enseignants —, les commissions et les établissements scolaires, les gouvernements provinciaux, les membres des marchés professionnels comme le droit, la médecine, la comptabilité, et les bibliothèques.

Certains de nos membres sont de propriété canadienne et d’autres, de propriété étrangère. Au total, ils emploient plus de 4 000 Canadiens. Au cours de la dernière année, les membres ont payé des avances de 50 millions de dollars aux auteurs canadiens et ont perçu des redevances pour les ventes de leurs œuvres.

Le marché du livre est bien établi et dynamique, ce qui reflète les désirs des consommateurs, qui veulent avoir des livres produits partout dans le monde. Nous sommes en quelque sorte un marché-test. Nous constituons le marché le plus ouvert à travers le monde, car nous libellons le prix de nos produits en trois devises — livre sterling, dollar américain et notre propre devise.

Nous comprenons la logique qui sous-tend l'étude des écarts de prix, car nous savons trop bien ce que représentent les périodes de grande instabilité des taux de change et nous connaissons les répercussions qu’elles peuvent avoir sur une industrie.

Les dispositions sur les droits de distribution exclusive incluses dans la Loi sur le droit d'auteur du Canada ont eu des répercussions très positives sur l’industrie et les publications canadiennes originales. Depuis leur entrée en vigueur en 1999, les éditeurs ont également énormément contribué à la réduction des prix sur les titres importés, contrant ainsi la baisse du taux de change. Comme vous le savez, les livres sont parmi les rares biens qui ont deux prix pré-imprimés. Nous savons que cela attire l'attention et peut être déroutant.

Des témoins précédents, des libraires et des associations étudiantes, on fait référence à un tarif, à une taxe ou à des droits de 10 p. 100 sur les livres importés. De plus, selon une affirmation, ce tampon de 10 p. 100 pour contrer un taux de change variable irait tout droit dans les poches des éditeurs, ce qui est trompeur et carrément inexact. Avant d’en dire davantage à ce sujet, faisons un survol rapide de la façon dont le secteur fonctionne.

Les livres sont vendus à des détaillants avec un escompte par rapport au prix de détail suggéré. L’éditeur ne fait que suggérer; il n’établit pas les prix, ce qui est d’ailleurs interdit par la Loi sur la concurrence du Canada. Le détaillant peut vendre les livres au prix de son choix.

Il est très important de comprendre que le libraire peut retourner à l'éditeur-distributeur, comme M. Hanson et M. Reeve, tous les livres non vendus et obtenir un crédit pour le plein montant. Les détaillants s'attendent à ce que les éditeurs leur vendent la marchandise à un prix équitable. Toutefois, conformément au Règlement sur l'importation des livres adopté en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, les détaillants doivent obtenir au Canada les titres qui y sont contractuellement représentés. S’il n’y a pas d’entente contractuelle au Canada entre un éditeur étranger et un éditeur canadien, chacun est libre d’obtenir les livres d’une entreprise.

Le règlement est entré en vigueur en 1999. Je vous en ai apporté des exemplaires. Je m’excuse, car ils ne sont pas bilingues; le marché francophone fonctionne de façon complètement différente au Canada. Ceci a été préparé par le ministère du Patrimoine canadien en collaboration avec nous. Il n’y a qu’une version anglaise, mais elle pourrait vous être utile. Si vous voulez en avoir des exemplaires, je vais les fournir à votre greffière.

Le président : Merci.

Le sénateur Ringuette : Ils devraient être rédigés dans les deux langues officielles.

Le président : Par qui ont-ils été publiés?

Mme Hushion : Nous les avons préparés en 1999 avec l’aide du ministère du Patrimoine canadien, mais ils ne s’appliquent pas vraiment au Canada français. Nous nous sommes demandé à l’époque si nous devions les publier dans les deux langues. Ils s’adressent à l’éditeur et au détaillant, car ils conduisent les activités de distribution exclusive conformément à la loi.

Le sénateur Nolin : Les gens qui vendent des livres dans le Canada anglais suivent ces règles?

Mme Hushion : Ils le peuvent. Je ne suis pas en mesure de vous dire s’ils le font nécessairement tous.

Le président : Nous aimerions peut-être savoir ce que vous vouliez dire par « Canada français » et « Canada anglais ».

Mme Hushion : C’est seulement lorsque nous parlons de l’édition.

Le président : Nous continuerons plus tard. Je vous remercie d’avoir répondu rapidement aux questions.

Mme Hushion : Le règlement a été négocié entre la Canadian Booksellers Association, tant des représentants de magasins de détail que des librairies universitaires; l’Association of Canadian Publishers — et Mme Wood, qui est à ma droite, a participé aux négociations; la Canadian Library Association, dont le représentant a présidé les négociations; moi-même, représentante du Canadian Publishers' Council; et des représentants des ministères du Patrimoine canadien et de l'Industrie, qui étaient aussi présents à toutes les réunions durant lesquelles les négociations sur le règlement ont eu lieu.

Pour l’essentiel, les articles de la loi relatifs au distributeur exclusif ont aidé les éditeurs canadiens à rester compétitifs au sein de leur marché et ont aidé l’industrie à prospérer. Je ne parle pas nécessairement de l’aspect financier, mais ils ont favorisé sa croissance. Cela sert l'intérêt des consommateurs, des libraires et des éditeurs en entraînant la fixation dynamique des prix et procure un choix remarquable ainsi que des services plus efficaces en matière d'importation. Tout cela contribue à accroître la viabilité des publications canadiennes originales. Le fait d’avoir une plus grande masse critique de titres et de pouvoir répartir tous les coûts permet d’investir davantage dans les publications canadiennes originales.

Puisqu’à l’ère numérique, il y a de plus en plus de possibilités d’accéder au contenu, nous devons tous être plus agiles ou vifs pour ce qui est de la planification et plus créatifs si nous souhaitons maintenir l'intégrité d'un marché canadien distinct tout en répondant aux demandes des consommateurs.

Si un distributeur exclusif fixe un prix en dehors des normes établies, il perd son exclusivité et n’importe qui peut faire entrer les livres directement au Canada, jusqu’à ce que le distributeur exclusif ajuste les prix conformément au règlement.

J’espère que ces renseignements vous seront utiles lors de notre échange d’aujourd’hui. Nous ferons de notre mieux pour vous aider dans le cadre de votre étude, et à l’avenir. Nous sommes prêts à répondre à vos questions et à vous aider également plus tard si nécessaire.

Le président : Merci, madame Wood.

Carolyn Wood, directrice exécutive, Association of Canadian Publishers : Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous ce soir. C’est une question très importante pour l’Association of Canadian Publishers.

Comme vous l’avez déjà constaté au cours des dernières séances, de même que par le groupe de gens qui sont ici, le secteur du livre au Canada compte beaucoup de représentants et c’est une industrie complexe. Je représente les petites et moyennes entreprises, environ 125 éditeurs anglophones indépendants et de propriété canadienne seulement. Il s’agit d’un grand nombre d’éditeurs par rapport au Canadian Publisher’s Council. Comme je l’ai dit, pour être membre de l’association, il faut que l’entreprise soit canadienne. Nous sommes nombreux, mais nous ne représentons que des petites entreprises.

Souvent, les discussions sur les prix mettent en évidence une opposition entre les multinationales et les consommateurs, les étudiants ou les libraires. Je représente des petites entreprises indépendantes, et en leur nom, je vous dis que c’est aussi notre cause. Le règlement dont Mme Hushion parle est tout aussi important pour les entreprises canadiennes — c’est-à-dire, les éditeurs indépendants —, qui, j’ajouterais, publient la majorité des livres d’auteurs canadiens plus que n’importe où dans le monde, car c’est là que cela se passe.

Nos membres publient des livres de tous les genres : livres pour enfants, oeuvres savantes, manuels scolaires, œuvres littéraires, livres de fiction, œuvres dramatiques, poésie et toute la gramme de livres sur des sujets d’intérêt général : politique, cuisine, biographies et histoire canadienne. Nos membres publient des livres en format papier et numérique, et des livres audio de tous genres.

Les plus grandes entreprises que l’association de Mme Hushion représente dominent le marché canadien, tant pour les librairies généralistes que pour le marché de l’éducation. Nous rivalisons avec ces entreprises tous les jours pour nous tailler une place sur le marché, et c’est vraiment une dure bataille pour nos membres. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur des questions d’intérêt public; nous avons l’habitude de nous toiser. Nous sommes du même avis sur le sujet d’aujourd’hui, car comme Mme Hushion l’a dit, la stabilité que ces mesures ont donnée à l’industrie canadienne joue un rôle essentiel pour l’industrie, qui joue un rôle essentiel pour les écrits canadiens et, de ce fait, sert nos lecteurs canadiens.

Je n’insisterai jamais trop sur le grand rôle que jouent les mesures dans la protection d’une industrie aussi importante pour le Canada.

Le président : Merci beaucoup. Nous sommes ravis des renseignements que vous nous avez fournis. Nous pourrions peut-être maintenant passer aux questions que vos renseignements ont pu faire surgir.

Madame Hushion, pourrions-nous seulement apporter des précisions sur la question du français et de l’anglais? Nous attachons beaucoup d’importance aux deux langues officielles au Canada, en particulier au Sénat. Vous avez fait référence à un règlement. Il semble que ce que vous avez apporté est un résumé du règlement canadien que vous avez préparé, et les règlements canadiens sont habituellement rédigés dans les deux langues officielles, n’est-ce pas?

Mme Hushion : C’est exact.

Le président : Nous avons ici votre résumé, qui n’a été rédigé que dans l’une des deux langues officielles.

Mme Hushion : Oui, et il a été préparé à l’automne de 1999.

Le président : Merci. Je pense que nous avons précisé les choses. Quelqu’un veut ajouter quelque chose à ce sujet? Il y a eu un peu de confusion pendant votre exposé. Chers collègues, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet, qui nous aiderait à préciser les choses?

Le sénateur Ringuette : Ma question portait sur ce que vous avez dit — et je vous ai peut-être mal comprise —, c’est-à-dire que Patrimoine canadien vous a donné de l’argent pour la publication de ce résumé.

Mme Hushion : Non, vous avez bien compris. Nous avons reçu des fonds pour sa publication, de sorte qu’en cas de besoin — quoique je ne sais pas pourquoi ce serait le cas —, tous les gens de l’industrie et tous les consommateurs puissent avoir accès à ce résumé du règlement, qui n’a pas été rédigé dans un jargon juridique. C’était dans le cadre d’un programme à l’époque, en 1999, le Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition, le PADIE, du ministère du Patrimoine canadien.

Le sénateur Ringuette : Je n’ai qu’une remarque à faire, et je suppose que le comité pourrait l’adresser à Patrimoine canadien. Lorsque des fonds sont versés pour la publication de règlements gouvernementaux, cela devrait être fait à la condition que les renseignements soient publiés dans les deux langues officielles.

Le président : Merci. Je pense que c’est ce qui vous inquiétait en partie pendant votre exposé, mais je crois que nous comprenons maintenant qu’il ne s’agit pas d’une publication officielle du gouvernement, mais plutôt d’un résumé.

Mme Hushion : Voilà. Merci.

Le président : Patrimoine canadien a sans doute donné des fonds — nous ignorons si c’est le cas — pour les importateurs du côté francophone également.

Mme Hushion : À vrai dire, je n’en ai aucune idée. Comme je l’ai dit, ce marché est complètement différent, et j’ignore ce qu’a fait à cet égard la Société nationale des éditeurs de livres, notre homologue québécois.

Le président : Nous pourrons examiner la question. Merci. Madame Wood, avant de laisser la parole aux sénateurs qui veulent intervenir, je remarque que vous avez souligné l’importance de la réglementation et de la structure qui permettent de fixer des prix de détail 10 p. 100 plus élevés qu'aux États-Unis, conformément aux négociations. Cette réglementation risque-t-elle d'être touchée par le projet de loi sur le droit d’auteur dont le Parlement est actuellement saisi?

Mme Wood : Le projet de loi en vigueur sur le droit d’auteur ne traite aucunement de la réglementation à l'étude aujourd’hui. Il ne dit rien à ce sujet.

Le président : Vous avez dit « le projet de loi en vigueur ». Parlez-vous des mesures législatives sur le droit d’auteur actuellement en place?

Mme Wood : La réglementation accompagne la loi actuellement en vigueur, mais le nouveau projet de loi en chantier, c'est-à-dire le projet de loi C-11, n’y fait aucunement référence.

Le président : Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet, madame Hushion?

Mme Hushion : J’aimerais simplement préciser que c'est la réglementation qui régit les articles de la Loi sur le droit d’auteur portant sur les « distributeurs exclusifs ». Or, le projet de loi C-11 ne traite pas de distribution exclusive.

Le président : Il est donc peu probablement que la réglementation soit touchée, n'est-ce pas?

Mme Hushion : C’est exact.

Le président : Merci.

Le sénateur Hervieux-Payette : Lorsque je vais aux États-Unis, j’aime bien visiter les librairies. Le marché américain est-il aussi ouvert aux auteurs canadiens que nous le sommes aux auteurs américains? Les auteurs francophones du Québec ont du mal à publier leurs livres en France, tandis que les portes de nos librairies sont grandes ouvertes aux auteurs de l’hexagone. Lorsque vous publiez un nouveau livre, le marché américain est-il aussi ouvert que celui du Canada?

Kevin Hanson, président (président de Simon and Schuster Canada), Canadian Publishers' Council : Je pense que la réponse est oui, la plupart du temps. De façon générale, le marché du livre au Canada est le plus ouvert au monde, comme l’a dit Mme Hushion. Les maisons d’édition et les distributeurs du Canada — mon expérience se limite au marché anglophone — publient pratiquement tous les livres du monde qui sont rédigés en anglais. Il arrive que les droits d'un livre soient achetés et que celui-ci soit uniquement publié ici, auquel cas les redevances ne sont versées qu'à l’auteur. D’autres livres sont simplement distribués. Il existe une différence entre l’édition et la distribution, mais on peut dire qu’une plus grande quantité de livres circule sur le marché canadien.

Aux États-Unis, ce sont habituellement les grandes maisons d’édition qui publient les livres. Elles achètent les droits pour le territoire. Mais contrairement au Canada, les Américains s’adonnent moins à la distribution de livres.

Le sénateur Hervieux-Payette : Pourriez-vous nous parler des barrières?

M. Hanson : Il y a d’autres moyens d’introduire les livres sur le marché, mais la situation est différente. Le consommateur canadien veut des livres d'ici, mais aussi d'ailleurs — de l’Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis. Il existe d'autres marchés, comme le Royaume-Uni, où les maisons d’édition distribuent également des livres, mais de façon générale, l’industrie est plutôt axée sur l’édition et l’acquisition de droits.

Le sénateur Hervieux-Payette : Publiez-vous des livres électroniques? Dans l’affirmative, leurs prix sont-ils les mêmes de part et d’autre de la frontière?

M. Hanson : Non. Si vous alliez au Royaume-Uni et en Australie, vous constateriez que les prix des livres diffèrent d'un marché à l'autre. D’habitude, chaque maison d’édition choisit sa méthode de fixation des prix en fonction de son marché et de sa stratégie de vente.

D'habitude, le prix des livres électroniques est fixé en fonction du prix du format imprimé, que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Canada. Les prix varient.

Le sénateur Hervieux-Payette : Qu’entendez-vous par « en fonction de »? Voulez-vous dire que le prix d'un livre électronique est le même que celui de la version papier, ou bien qu’il est inférieur?

M. Hanson : La situation est différente; les prix fluctuent constamment. Le prix sera modique s'il s'agit d’un livre électronique à succès, mais il sera plus élevé dans le cas contraire. Certains livres sont vendus moins cher en raison d’une promotion. À vrai dire, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte.

C’est habituellement la maison d’édition qui fixe le prix de vente des livres électroniques, et le détaillant ne joue que les intermédiaires entre celle-ci et le consommateur. Dans le cas des livres imprimés, la maison d’édition les vend aux détaillants selon des conditions de vente en gros, mais ces derniers peuvent les lui retourner sans problème. Les conditions de vente varient donc en fonction du support du livre.

Le sénateur Hervieux-Payette : Tout ceci me complique la vie.

M. Hanson : Et la nôtre aussi, à bien des égards.

Le sénateur Hervieux-Payette : Le système n’a rien de simple.

Mme Hushion : Il n’est pas exagéré de dire que les noms Ondaatje, Atwood et Munro sont aussi respectés et symboliques auprès des lecteurs américains que de ceux du Canada, et c’est merveilleux. Je vous rappelle que je parle uniquement de notre secteur.

Les ventes de livres imprimés d'auteurs canadiens dans les librairies et les bibliothèques américaines sont probablement bien inférieures à celles des livres américains dans les librairies et les bibliothèques d'ici. En tant qu’éditeur de la version originale de livres d’Alice Munro, il m’arrive souvent de vendre les droits de publier une édition américaine à une maison d’édition de Boston ou de New York, compte tenu de la divisibilité territoriale du droit d’auteur. Pour ma part, c’est plus courant que de vendre des livres déjà imprimés à des détaillants.

Le sénateur Hervieux-Payette : J’aimerais comprendre ce que vous entendez par « publier ». Les livres sont-ils également imprimés aux États-Unis?

Mme Hushion : Publier signifie mettre le livre à la disposition des consommateurs.

Le sénateur Hervieux-Payette : S’agit-il d’un livre physique, ou bien envoyez-vous simplement le livre sous format électronique à la maison d’édition pour qu’elle l’imprime et en change la couverture, par exemple?

Mme Hushion : Les deux.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les deux?

Mme Hushion : Le livre peut être mis à la disposition des consommateurs de ces deux façons.

Mme Wood : Il arrive que nos membres vendent des droits à une maison d’édition des États-Unis afin qu’elle publie une édition américaine d’un livre canadien, mais le plus souvent, ils vendent les livres directement. Ainsi, les éditeurs canadiens vendent leurs livres sur le marché américain. Certains de nos membres réalisent jusqu’à 50 p. 100 de leurs ventes chez nos voisins du sud, surtout grâce aux livres pour enfants et à certains livres grand public. Ce marché est énorme.

Somme toute, les Américains s’intéressent moins aux livres canadiens qu’inversement. En effet, les efforts colossaux de promotion des livres américains déployés par l’industrie américaine des médias télévisuels et imprimés, entre autres, attirent l’attention des Canadiens, mais c'est une situation à sens unique.

Toutefois, j’aimerais souligner que seules deux industries culturelles canadiennes ont véritablement eu un grand retentissement sur le marché international — et je vous rappelle que je parle uniquement au nom des maisons d’édition anglophones, comme toujours. Il s’agit de la littérature et de la musique enregistrée.

La télévision canadienne n’a pas cette portée dans le vaste monde, et surtout pas les films canadiens-anglais. Les films québécois s’en sortent un peu mieux. Du côté anglophone, la musique — et seulement depuis que les exigences relatives au contenu canadien ont fait l’objet d’une politique gouvernementale — et l’écriture sont les deux médias qui ont véritablement fait entendre la voix culturelle du Canada au reste du monde.

La discussion de ce soir reflète exactement l’infrastructure des plus complexe qui entoure l’édition au Canada. C’est l’une des raisons pour lesquelles des auteurs canadiens sont couramment sélectionnés pour des récompenses internationales et réalisent des ventes importantes à l'étranger.

Le sénateur Hervieux-Payette : Tout d’abord, comment Yann Martel, l’auteur d’Histoire de Pi, a-t-il réussi à remporter un prix américain? L’une de ses maisons d’édition est-elle membre de votre association? Comment a-t-il réussi à distribuer son livre au reste du monde? Quel est le mécanisme? Les autres membres du comité le savent peut-être, mais j’ignore comment, exactement, ce livre a pu être distribué aux quatre coins du monde.

Mme Hushion : Comme l’a dit Mme Wood, il est désormais courant de voir des œuvres canadiennes retenues en sélection finale pour le Orange Prize for Fiction, le Commonwealth Book Prize, et les autres récompenses territoriales, le Mann Booker Prize, et ainsi de suite.

Chaque année, le monde de l’édition se réunit à Frankfurt en octobre pour discuter de vente de droits et de livres. Il est merveilleux de voir les énormes banderoles déployées au-dessus de la rue principale menant au champ de foire qui annoncent l’endroit où Margaret Atwood, entre autres, tiendra une conférence. Le rayonnement des réalisations littéraires canadiennes est reconnu au même titre que celui d’autres pays. Les maisons d’édition paieraient cher pour acheter les droits internationaux d’un livre comme Histoire de Pi.

Le sénateur Marshall : Pourriez-vous revenir sur les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur ayant trait à la distribution exclusive? Les 10 p. 100 dont nous avons parlé tout à l’heure ne sont pas toujours appliqués, n’est-ce pas?

Mme Hushion : Les 10 p. 100 ne sont pas dans la loi. Les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur qui portent sur le distributeur exclusif servent à définir ce concept, à déterminer comment le reconnaître, et ainsi de suite. Les 10 p. 100 se trouvent plutôt dans la réglementation.

Le sénateur Marshall : Oui, nous l'avons en main.

Mme Hushion : Cette réglementation est le fruit de négociations au sein de l’industrie.

Le sénateur Marshall : C’est exact.

Mme Hushion : Toutefois, elle ne fait pas partie de la loi.

Le sénateur Marshall : Bien. J’examine la réglementation à l’instant. Nous essayons aujourd'hui de trouver les raisons pouvant expliquer l’inégalité entre les prix du Canada et des États-Unis. Le taux de change est une de ces raisons, et les 10 p. 100 en question aussi, mais à la lecture de la réglementation, il semble que son application n’est pas obligatoire.

Mme Hushion : C’est exact.

Le sénateur Marshall : Dans quelle mesure êtes-vous au courant de la situation? De façon générale, les 10 p. 100 sont-ils appliqués?

Mme Hushion : Je peux répondre, mais je crois que vous feriez mieux de demander à de véritables maisons d’édition importatrices.

Le sénateur Marshall : Oui, ma question s’adresse à tous les témoins.

James Reeve, vice-président principal et directeur général, Division de l’enseignement supérieur, Nelson Education Ltd. : Je vais répondre.

Nelson Education Ltd. est la première maison d’édition canadienne de manuels scolaires anglophones en importance. Nous existons depuis près de 100 ans et avons formé plusieurs générations de Canadiens. Nous créons des ressources dans toutes les matières à partir de la maternelle et jusqu’au collège et à l’université. Pour établir une analogie avec l’alphabet, nous couvrons toutes de l’algèbre à la zoologie, et de la maternelle à la 12e année. Nous appartenons à OMERS, le régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario, et nous représentons 1 800 auteurs canadiens.

En réponse à votre question, les 10 p. 100 ne sont qu’une ligne directrice. Il s'agit d'un plafond, et non d'un seuil définitif.

Le sénateur Marshall : Ce n’est pas obligatoire.

M. Reeve : Ce n’est pas obligatoire, mais nous devons garder cette limite à l’esprit et ne pas oublier que nous perdrons notre exclusivité si nous la dépassons. Je suis le spécialiste des matières pour les librairies de campus, alors l’enseignement supérieur est mon domaine. Je compte environ 25 ans d’expérience; je suis expert en la matière, et je peux même vous montrer mes cicatrices pour vous le prouver.

Nous devons faire particulièrement attention à ce plafond. Les librairies de campus comptent sur nous pour le faire, surtout depuis l’avènement du livre électronique aux dépens du format papier. Dans notre marché, la technologie change complètement la donne, tout comme la vente en ligne. Je suis un éditeur canadien, et je ne veux pas que les étudiants canadiens achètent aux États-Unis un livre que je peux leur vendre ici. Nous surveillons la limite de 10 p. 100 de près. Pour l’instant, nous sommes bien en deçà du seuil; je parle uniquement au nom de Nelson Canada.

De temps à autre, l’écart dépasse 10 p. 100, d’autres fois, il est moindre, mais, dans tous les cas, c’est attribuable aux fluctuations des taux de change; dans notre secteur, la situation peut évoluer très rapidement, en raison du moment de l’achat des livres. Rien n’a vraiment changé depuis votre école. Aujourd’hui, à la rentrée universitaire, en septembre, on se procure les livres pour le premier semestre, en janvier, pour le second, comme dans le passé, en fonction des cours suivis.

Nos produits restent peu de temps dans la librairie universitaire. Peut-être trois ou quatre mois, selon le moment de l’achat et de l’arrivée en magasin. Entre-temps, les prix fluctuent. Les fluctuations peuvent être extrêmes, et Nelson n’y peut pratiquement rien. L’écart de 10 p. 100 aide à protéger notre industrie et à assurer la stabilité des prix. Dans la librairie universitaire, Nelson veille à ne pas le dépasser. Sinon, le libraire pourrait aller voir ailleurs. Il le fait, d’ailleurs. L’écart nous protège également des conséquences des oscillations et des fluctuations importantes du taux de change.

Le sénateur Marshall : Récemment, la quasi-parité s’est maintenue assez longtemps. D’après le règlement, la différence de prix devrait s’expliquer par le taux de change plus 10 p. 100. Il me semble qu’elle devrait être très faible. Est-ce exact?

M. Reeve : C’est exact. Les prix moyens de Nelson Education, uniquement, se situent à l’intérieur de l’écart de 10 p. 100.

Le sénateur Marshall : Les prix américains et canadiens devraient être assez rapprochés.-

M. Reeve : Ils sont extrêmement rapprochés, pour les manuels universitaires. Sinon, les étudiants iront s’approvisionner ailleurs; ils peuvent le faire en beaucoup d’endroits. Par exemple, on peut trouver une vingtaine d’adresses en ligne pour un manuel. Il n’est pas seulement disponible dans la librairie universitaire, mais en toutes sortes d’endroits, en différents formats. Chez Nelson, nous vendons même des chapitres. Pour 2,95 $, on peut se procurer un chapitre de n’importe quel manuel. Les éditeurs de manuels universitaires offrent toutes sortes de produits.

Le sénateur Marshall : Qui surveille le respect de cet article du règlement? Un groupe indépendant ou bien l’industrie, qui fait sa propre autodiscipline?

M. Reeve : Je ne pourrais pas dire. À ma connaissance, aucun organisme ne s’en charge.

Mme Hushion : L’industrie s’autodiscipline. Si nos clients croient que les prix sont exagérés, ils iront voir ailleurs, et nous le savons.

Par exemple, en 2008, les taux de change ont fluctué de 24 p. 100 en quelques mois. Pendant les négociations sur le règlement, son rédacteur au ministère de la Justice nous parlait de ce coussin, qui profite à tous, pas seulement aux éditeurs. Je lui ai demandé : « Qu’arrivera-t-il si, un jour, parce que cet écart de 10 p. 100 avait plusieurs utilités, les devises sont en parité? » L’assistance s’est esclaffée. « Pas de notre vivant, ça c’est sûr! ». Le rédacteur a ajouté qu’il faudrait alors réviser le règlement. Eh bien, nous voici, et je n’ai pas eu le temps de mourir! Cependant, notre clientèle a estimé que cet écart de 10 p. 100 était juste et sensé, en raison de la valeur ajoutée que les éditeurs procurent au livre importé sur le marché et en raison de tous les coûts accessoires qu’ils doivent acquitter.

M. Reeve : C’est de l’autodiscipline de tous les instants. Les analystes de Nelson examinent hebdomadairement les prix pour s’assurer qu’ils sont réguliers. Nous maintenons nos prix autant que nous le pouvons. En cas de fluctuations, particulièrement quand la période d’achats bat son plein, nous devons agir en conséquence.

Le sénateur Marshall : Il faut vous regrouper.

M. Reeve : En effet.

Le président : Si vous permettez, j’aimerais que vous m’expliquiez un passage de votre réponse à la question du sénateur Marshall, quand vous avez dit : « en cas de fluctuations ». Parliez-vous des taux de change?

M. Reeve : Oui, quand les taux de change commencent à fluctuer.

Le président : À une de ses questions antérieures, vous avez répondu que, parfois, l’écart de prix était inférieur à 10 p. 100 et que, parfois, il était supérieur. L’exclusivité qu’on vous a accordée au Canada fait débourser jusqu’à 10 p. 100 de plus à l’acheteur.

M. Reeve : Oui.

Le président : Qu’est-ce qui vous incite à maintenir l’écart à moins de 10 p. 100?

M. Reeve : Dans ce cas, le client restera au Canada.

Le président : Si vous excédez l’écart, il ira se procurer les livres à l’étranger.

M. Reeve : Oui, il peut le faire et il ne s’en prive pas.

Le président : Il achète la version électronique et se la fait expédier, je suppose.

M. Reeve : Eh bien, il pourrait également le faire. Je parle des gros détaillants. Ils peuvent absolument s’adresser ailleurs si nous excédons l’écart de 10 p. 100 entre les prix américain et canadien.

Le président : Donc vous pensez que ce taux de 10 p. 100 est le point de rupture.

M. Reeve : Eh bien, c’est le point à partir duquel ils sont autorisés à chercher ailleurs. C’est le nombre-guide, le seuil maximal, le chiffre que je surveille de très près. Quand j’augmente l’écart, je mets la vente en péril. J’ai fait mon travail pour positionner le produit auprès du corps professoral et de la librairie universitaire, mais la librairie pourrait s’adresser à un fournisseur différent du produit de l’agence que nous importons des États-Unis.

Le président : Vous dites que votre motivation est de maintenir le prix le plus près possible du différentiel de 10 p. 100, mais sans le dépasser, pour que ces 10 p. 100 vous appartiennent. Rien ne vous pousse à abaisser l’écart à 5 p. 100.

M. Reeve : C’est absolument en raison de l’organisation du marché, particulièrement de l’existence des commerçants en ligne. Nous faisons connaître à tous nos détaillants et à tous les libraires universitaires nos prix conseillés. Nous accordons un rabais d’environ 20 p. 100 par rapport à notre prix conseillé. Un livre de 100 $ leur coûte donc 80 $. La librairie, selon son modèle de gestion, majore le prix jusqu’au prix conseillé ou à un prix supérieur. Amazon ou un autre commerçant en ligne peut, à la place, se contenter de 1 ou de 2 $. Les étudiants canadiens peuvent se faire offrir le livre à n’importe quel prix entre 80 et 100 $. C’est le modèle de gestion d’Amazon. Il achète le livre au prix que je le vends à tous les autres. Il peut se servir du manuel comme produit d’appel. Dans certains cas, cela dépend du trimestre. Je dois surveiller les commerçants en ligne — les Amazon et autres.

Le sénateur Marshall : De la comparaison des prix canadiens et américains, peut-on conclure que la seule explication de l’écart entre les deux serait le taux de change et l’écart de 10 p. 100? Que pourrait-il y avoir d’autre?

M. Reeve : Je n’excéderais jamais cet écart de manière délibérée. Je parle uniquement pour Nelson Education, mais nous surveillons de très près les prix. C’est dans notre intérêt.

M. Hanson : Il existe une différence marquée entre les éditeurs de manuels, dont le marché est constitué des librairies universitaires, et les éditeurs d’ouvrages romanesques et non romanesques que l’on trouve dans les librairies locales typiques, traditionnelles, chez Indigo ou amazon.ca. Ils sont poussés à fixer le prix seulement en fonction du taux de change, ils se livrent entre eux à une âpre concurrence et, en plus, il existe des produits de remplacement. Si, pour un livre de recettes, on demande un prix trop élevé et que l’acheteur peut s'en procurer un autre à moindre prix, le livre ne se vendra pas ou l’acheteur le retournera.

Beaucoup de livres sont remplaçables. Si j’offre un livre sur les pâtes alimentaires à un prix excessif, c’est plutôt le livre moins cher, sur le même sujet, qui se vendra. Si on dépasse l’écart de 10 p. 100, le détaillant peut se procurer le livre directement sur le marché américain. C’est une sorte de mécanisme régulateur des prix.

Il importe également de se rendre compte que le cycle de vie d’un livre, depuis sa fabrication jusqu’à son arrivée en librairie, sous différentes formes, varie considérablement selon qu’il s’agit de littérature pour enfants ou pour adultes. Par exemple, les livres pour enfants qui comportent le plus d’illustrations en couleur sont produits en Asie, et leur prix est établi six mois avant leur arrivée en librairie. Nous connaissons tous la volatilité des taux de change pendant cette période. En outre, les livres peuvent dormir deux ou trois ans en entrepôt ou en librairie.

En 2008, les consommateurs ont éprouvé un choc. J’étais président de la Canadian Publishers’ Council et j’ai dû expliquer ce qui se passait. Il y avait beaucoup d’activité dans les librairies, en raison du prix canadien et du prix américain des livres. De trois à quatre ans peuvent s’écouler entre l’impression et la vente du livre, pendant lesquels les taux de change peuvent aller en montagnes russes. Les détaillants et les éditeurs ont alors ajusté très rapidement les prix.

Chez Simon & Schuster, nous avons ajusté tous nos prix et nous avons envoyé aux détaillants des chèques pour couvrir la différence dans la valeur de leurs stocks. Comme les libraires peuvent retourner tous leurs stocks, c’est une possibilité si les prix ne sont pas convenablement établis.

Je peux vous communiquer de la documentation en anglais. J’ai utilisé l’exemple d’une auteure qui a publié chaque année entre 2003 et 2011. Elle s'appelle Kathy Reichs et elle est établie à Montréal.

En 2003, l’édition cartonnée de son livre se vendait 39,50 $ au Canada, 25 $ aux États-Unis. Depuis, le prix de ses livres a diminué chaque année. Aujourd’hui, le prix canadien est de 29,95 $, de 27 $ aux États-Unis. Aux États-Unis, le prix a monté légèrement chaque année, pendant que le prix canadien diminuait. Cela décompose dans le temps l’effet du règlement. Il abaisse les prix.

En chiffres réels, depuis 10 ans, la déflation du prix des romans reliés est d’environ 25 p. 100 au Canada. L’industrie s’est adaptée à sa baisse spectaculaire. Certains auteurs ne vendent maintenant pas plus de livres que quand les prix étaient élevés. Les prix d’autres livres sont élastiques : les ventes sont supérieures parce que les prix sont bas.

En valeur réelle, les prix ont considérablement diminué. Cependant, comme nous affichons les deux prix, on nous demande pourquoi ils ne sont pas conformes au taux actuel de change. Nous ne pouvons pas les modifier chaque jour. Les éditeurs et les détaillants affichent les deux prix au Canada depuis un bon nombre d’années, pour ne pas devoir en remplacer chaque jour les étiquettes.

Il y a aussi le fait qu’un livre se vend sous de nombreux formats. Kathy Reichs est publiée dans trois formats pendant l’année. En édition cartonnée, d’abord; en version brochée à un autre moment; puis, plus tard, en format poche. Les prix baissent pour les différents formats, et nous pouvons saisir l’évolution du taux de change dans les différents formats que nous publions. Cependant, au jour le jour, c’est très difficile.

Comme nous sommes l’une des rares industries à afficher les deux prix, les gens ne comprennent pas pourquoi le prix ne correspond pas au taux de change courant. C’est très difficile.

L’automne dernier, Random House a publié un des succès de librairie et l’a vendu au même prix qu’aux États-Unis. Toutefois, le dollar canadien vaut moins aujourd’hui que le dollar américain, alors les Canadiens sont avantagés. Ça dépend. Je crois que les consommateurs ont reconnu cette réalité, puisqu’ils ne font pas d’achats à l’extérieur du Canada comme ils pourraient le faire en ligne, et les détaillants canadiens ne font pas d’achats massifs à l’extérieur du pays comme ils pourraient le faire si les éditeurs ne respectaient pas les lignes directrices. Les prix ont vraiment chuté, et les éditeurs sont très sensibles au taux de change parce que, autrement, les consommateurs iraient voir ailleurs. La réglementation nous force à être sensibles au taux de change, et on voit partout que cela fonctionne.

Mme Hushion : De façon générale, ce n’est pas le prix comme tel qui importe pour les librairies, les éditeurs et les bibliothèques, mais bien ce genre de problèmes, qu’ils traitent en assez bonne collaboration. Évidemment, il y a des tensions et des frictions naturelles, mais on ne travaille pas en vase clos dans ce secteur. Ce n’est pas possible. Cette réalité est très importante.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Hanson, vous avez parlé des difficultés liées à l’établissement des prix. Pourquoi l’industrie voudrait-elle que le prix soit imprimé sur un livre?

M. Hanson : C’est une bonne question. L’idée ne vient pas de moi. C’est à cause de l’ouverture du marché. Les détaillants veulent avoir ici des livres des quatre coins du monde, lorsqu’ils sont disponibles, et la grande majorité de ces livres sont importés des États-Unis. La plupart de ces livres sont produits et physiquement importés. L’acte qui consiste à apposer une étiquette sur un livre est coûteux, et les détaillants ne veulent pas faire cela. Ils veulent qu’il y ait un prix de détail suggéré pour le livre. Ils ne le vendent pas nécessairement à ce prix. Comme vous le verrez, il y a des rabais sur les livres partout. Les prix sont établis fort différemment d’un détaillant à l’autre.

Les détaillants comme Indigo ont des prix différents de ceux des détaillants indépendants, de Wal-Mart et de Costco. Ils utilisent le prix imprimé, dans certains cas, pour indiquer la valeur du livre et, dans d’autres cas, simplement pour éviter d’avoir à étiqueter le produit.

Le sénateur Ringuette : Vous avez dit que c’est ce que demande le détaillant, mais c’est l’éditeur qui imprime le prix : X aux États-Unis et Y au Canada. C’est donc, en réalité, l’éditeur qui indique le prix au détaillant. On ne s’en sort pas.

M. Hanson : C’est vrai. Le prix de détail suggéré est le point de départ à partir duquel on applique le rabais.

Depuis que nous faisons cela, aussi absurde que cela puisse paraître parce que cette situation cause bien des problèmes sur le marché, le consommateur est avantagé puisque, en raison de cet écart explicite que nous imprimons sur le livre, nous devons abaisser nos prix lorsque le taux de change s’améliore. Nous ne voulons pas annoncer une différence. Si l’éditeur voulait cacher un écart réel, nous n’afficherions pas le prix canadien et le prix américain l’un à côté de l’autre. Nous ne ferions pas cela. Ça n’aurait aucun sens. Nous cacherions plutôt le prix américain. Nous ne le faisons pas du tout. Nous montrons les deux. La réglementation nous oblige à faire en sorte que l’écart est très étroit, ce qui a entraîné la chute libre des prix dans le secteur. Je ne ferai pas de comparaison avec les autres secteurs d’importation, mais la plupart n’ont probablement pas connu la même déflation que le secteur de l’édition.

Le sénateur Ringuette : Le 14 février dernier, quelques-uns de vos collègues de l’industrie ont comparu devant notre comité. Je suis certaine que vous avez lu la transcription de leurs témoignages. On compte cinq organisations différentes dans la chaîne d’approvisionnement des livres : les éditeurs, les importateurs, les grossistes, les distributeurs et, enfin, les détaillants. Certains d’entre eux, des éditeurs et parfois des importateurs, des grossistes et des distributeurs, ont des droits exclusifs. Jamais je n’ai vu une autre chaîne d’approvisionnement avec autant d’organisations. Je vous ai écouté attentivement aujourd’hui et je ne comprends toujours pas pourquoi tous ces groupes entrent en jeu avant que le livre ne parvienne au consommateur, chez le détaillant. Ce réseau a une incidence sur l’écart de prix, et je crois que c’est problématique. Je vous invite à présenter des arguments contraires à ce que je dis.

M. Hanson : Je dirais que le marché des États-Unis n’est pas différent du nôtre. La seule différence, c’est que les Américains fixent le prix, puisqu’ils n’établissent pas leurs prix en fonction du dollar canadien, comme nous le faisons lorsque nous importons des livres. L’infrastructure qui sert ce marché est la même infrastructure qui sert notre marché.

Les définitions données dans les exposés précédents portent à confusion, je le concède. Dans de nombreux cas, l’éditeur est aussi un distributeur. Dans certains cas, le grossiste joue un très petit rôle dans le marché du livre. Son rôle peut se résumer à mettre le livre sur la tablette.

L’éditeur, comme nous le connaissons, est celui qui prend le risque d’imprimer le livre, de le mettre sur le marché, de payer l’auteur, d’expédier le livre, à ses frais, au détaillant, de payer le détaillant pour qu’il vende le livre et, lorsque le livre revient, c’est à l’éditeur qu’il revient. C’est le détaillant qui assume les risques. C’est pourquoi l’éditeur est habituellement la personne qui fixe le prix. C’est la même chose aux États-Unis.

En voyant tous ces intervenants, vous vous dites que c’est une industrie très inefficace. Ce n’est pas le cas. La plupart des différentes activités sont particulières et précises. Évidemment, la situation est en train de changer alors que nous passons au numérique, puisque l’acte de vente est différent. Par contre, si je pouvais vous montrer un graphique illustrant la structure réelle de l’industrie, vous verriez que c’est la même chose au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. La seule grande différence, c’est que nous prenons un prix qui est fixé dans un autre pays et nous le convertissons en dollars canadiens, et nous avons ce taux de change qui fluctue malicieusement. Ce livre dont le prix est fixé reste sur les tablettes pendant un certain temps et, je le répète, cette période peut être longue.

Mme Hushion : Vous avez décrit ce qu’on appelle la chaîne d’approvisionnement. La seule entité dans cette chaîne qui a des droits exclusifs, c’est l’éditeur. Le grossiste n’a pas de droits exclusifs.

Le sénateur Ringuette : Les distributeurs?

Mme Hushion : Comme M. Hanson l’a dit, l’éditeur et le distributeur peut être la même entité. Par exemple, au Canada, Random House est un importateur net des ouvrages de Random House U.S., et Random House a publié quelques-uns des meilleurs auteurs canadiens qui ont gagné le prix Geller. Voilà un exemple d’éditeur-distributeur. Cet éditeur joue les deux rôles. Certains éditeurs n’assurent pas la distribution d’autres éditeurs. Bon nombre des membres de l’association de Mme Wood ne le font pas, mais beaucoup sont représentés au Canada, dans la distribution physique, par nos membres.

Ce n’est pas seulement la distribution des livres importés. Certaines entreprises au Canada distribuent les livres des éditeurs canadiens pour éviter que tout le monde ait un entrepôt, un service d’expédition et tous ces coûts indirects. C’est un service qu’offrent de grandes entreprises et que paient les plus petites entreprises pour s’assurer que leurs livres sont bien distribués au Canada.

Une seule entité a des droits, et c’est l’éditeur. Il s’agit d’une relation contractuelle entre un éditeur au Canada et un éditeur dans un autre pays, qui a donné à l’éditeur canadien le droit exclusif de distribution sur un territoire divisible qu’on appelle le Canada et, dans ce cas-ci, il s’agirait du marché anglophone.

L’éditeur vend ses produits à une librairie, que ce soit une librairie universitaire, Indigo ou un petit libraire indépendant. L’éditeur vend aussi ses produits aux bibliothèques, mais il le fait plus souvent par l’intermédiaire d’un grossiste. Il existe des grossistes auprès des bibliothèques, qui servent d’intermédiaires entre l’éditeur et la bibliothèque. Il y a d’autres types de grossistes dont M. Hanson a parlé, qui acheminent les livres de grande diffusion aux marchands de journaux — les vendeurs de périodiques, de journaux et de livres de poche — et ils ne s’occupent que du stockage. Ils ne se mêlent pas de la commercialisation, de la promotion, et cetera.

Toutes ces entités font partie d’une infrastructure sectorielle complexe, mais il s’agit d’une chaîne, d’une chaîne séquentielle. Ce n’est que l’éditeur à la tête de cette chaîne d’approvisionnement qui a un droit exclusif.

Il y a un organisme qu’on appelle BookNet Canada, dont le conseil d’administration comprend des grossistes, des libraires et des éditeurs, auxquels s’ajouteront probablement bientôt des bibliothèques. Mme Wood et moi sommes toutes deux membres d’office du conseil d’administration de BookNet.

M. Hanson : Il y a aussi des détaillants.

Mme Hushion : Oui. Nos deux associations sont représentées au sein du conseil d’administration de BookNet, tout comme la Canadian Booksellers Association et l’Association of Canadian Book Wholesalers, puisque cette infrastructure sectorielle doit inclure toutes ces parties actives pour bien fonctionner.

BookNet travaille en collaboration pour assurer l’efficacité de l’industrie, raccourcir les délais de livraison, accélérer l’échange d’information — les données bibliographiques — et accélérer la transmission des statistiques aux intervenants du secteur. Nous devons travailler ensemble.

Cette même chaîne d’approvisionnement existe aux États-Unis. Les mêmes relations existent. À New York, on trouve une entité semblable à BookNet, le Book Industry Study Group, ou BISG, qui est exactement la même chose. J’espère que cette information est un peu plus claire que la transcription des témoignages.

Le sénateur Ringuette : C’était clair le 14 février et c’est encore plus clair aujourd’hui que vous avez une vaste infrastructure, une chaîne d’approvisionnement vaste et progressive qui, selon moi — j’ai peut-être tort ou peut-être raison —, a une influence sur le prix des livres canadiens, surtout si c’est votre éditeur qui décide du prix et qui l’imprime sur le livre. J’imagine que la plupart des livres vendus au Canada sont publiés par un éditeur américain, qu’il soit aux États-Unis ou qu’il porte l’extension .ca à la fin de son nom.

Même avec tous ces joueurs, je ne comprends toujours pas pourquoi il y a une différence de prix.

Permettez-moi de vous poser une autre question. Concernant les achats par Internet, vous n’avez pas toutes ces chaînes d’approvisionnement ou plutôt ces intervenants qui se succèdent et qui entrent en jeu. Vous n’avez que les éditeurs puisqu’ils s’occupent tous des achats en temps réel. Je peux aller sur Internet et acheter un livre qui me sera expédié pour 10 ou 15 $ de moins que si je l’achetais chez Indigo. Dans un sens, la différence de prix s’explique du fait qu’il y a moins d’intervenants dans la chaîne d’approvisionnement mais, d’un autre côté, vous avez encore l’éditeur au début du processus qui décide du prix. Comment justifier cela?

M. Reeve : Je ne peux parler que du marché de l’enseignement supérieur. Dans ce marché, Nelson Education Canada est un éditeur. Nous publions beaucoup de contenu canadien. Si j’inclus le secteur des écoles, environ 65 p. 100 de notre marché est canadien. Je parle d’édition. Nous publions du contenu physique ou numérique.

Le sénateur Ringuette : Vous décidez du prix?

M. Reeve : Nous décidons du prix. Oui. C’est notre contenu. C’est notre produit. Nous l’avons physiquement créé.

Nous faisons également de la distribution, et nous avons une entente de distribution exclusive avec un certain nombre de maisons d’édition américaines qui publient, créent et fixent le prix.

Le sénateur Ringuette : Votre prix est-il plus élevé ou moins élevé pour le marché américain?

M. Reeve : Les prix que nous recevons sont plus élevés que sur le marché américain. C’est une fourchette. Ça dépend. C’est moins de 10 p. 100, je peux vous l’assurer.

Le sénateur Ringuette : Soyons clairs. Si vous publiez le livre d’un auteur canadien et qu’il existe une demande pour ce livre sur le marché américain, comme vous êtes responsable de mettre un prix sur ce livre, sera-t-il plus élevé au Canada ou aux États-Unis? Je parle ici du même livre que votre éditeur canadien a publié.

M. Reeve : Nous publions pour le marché canadien exclusivement, alors je ne vends pas de livre aux États-Unis.

Le sénateur Ringuette : J’ai cru comprendre que 65 p. 100 des…

M. Reeve : Ce sont des livres canadiens. Soixante-cinq pour cent des livres produits par Nelson Education, soit un six ou sept livres sur dix, ont été écrits par un auteur canadien. La conception et la mise au point se font dans nos bureaux, ici, au Canada. Ces livres sont distribués à des élèves canadiens, qu’ils soient à la maternelle, au secondaire ou à l’université.

Le sénateur Ringuette : Vous ne vendez pas vos livres aux États-Unis?

M. Reeve : Non.

Le sénateur Ringuette : J’ai dû mal comprendre.

M. Reeve : Nos livres sont vendus exclusivement au Canada. Nous publions, entre autres, des livres sur l’histoire et la politique canadiennes.

Le président : Je crois que Mme Wood voudrait intervenir.

Mme Wood : Pour répondre à votre question, certains de nos membres expédient 50 p. 100 de leurs produits aux États-Unis. Dans bien des cas, le prix de vente aux États-Unis est identique à celui au Canada, mais parfois il y est inférieur, sinon le livre ne se vend pas. C’est aussi simple que ça. Ils ont le choix entre vendre 2 000 exemplaires au Canada ou 12 000 aux États-Unis.

On le remarque notamment avec les livres pour enfants; le prix de vente aux États-Unis est inférieur à celui au Canada, sinon, le livre ne se vend pas. Donc, il y a un écart. C’est le moyen qu’utilisent les éditeurs pour atteindre un plus grand auditoire.

Le sénateur Ringuette : Le prix de vente d’un livre, qu’il soit publié par un éditeur canadien ou américain, est-il toujours plus élevé au Canada qu’aux États-Unis?

Mme Wood : Cela diffère beaucoup selon les cas.

Le sénateur Ringuette : Donnez-nous un bon exemple.

Mme Wood : Où le prix de vente n’est pas supérieur aux États-Unis?

Le sénateur Ringuette : Où un livre américain publié au Canada serait plus dispendieux?

Mme Wood : Je peux imaginer un tel scénario, mais je n’ai pas d’exemple concret à vous donner.

Je suppose que ce serait possible pour certains ouvrages de référence utilisés principalement dans des établissements d’enseignement, comme des universités. À titre d’exemple, l’Atlas historique du Canada, un ouvrage de plusieurs tomes produit à grands frais dans les années 1980 par University of Toronto Press, peut se vendre à un prix relativement élevé aux États-Unis. De nombreux exemplaires ont été vendus au Canada, puisque l’intérêt pour cet ouvrage y était plus grand. J’ignore si c’était le cas pour cet atlas, mais le prix de vente pour un tel ouvrage pourrait être plus élevé aux États-Unis, surtout dans les marchés où il y a une forte demande, comme dans les bibliothèques des universités où l’on offre un important programme d’études en géographie canadienne.

Le sénateur Ringuette : D’accord.

Le président : Merci beaucoup. Passons maintenant au sénateur Callbeck, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Callbeck : J’aimerais revenir sur la pratique du double prix.

Quel est l’écart moyen — ou l’éventail de prix, si vous préférez — entre le prix de vente au Canada et aux États-Unis pour les nouvelles publications?

M. Hanson : Je m’attendais à ce que quelqu’un me pose cette question, alors j’ai fait une vérification ponctuelle. La série Hunger Games, de Suzanne Colins, publiée chez Scholastic, représente le succès de l’heure en librairie au Canada, en raison de la sortie du film du même nom. Le premier tome a été publié il y a trois ou quatre ans, et trois autres tomes ont suivi. Le prix de vente aux États-Unis est de 17,99 $, comparativement à 19,99 $ au Canada. On parle donc d’un facteur d’écart de 1,11.

Le sénateur Callbeck : Vous avez bien dit 17,99 $ et 19,99 $, c’est cela?

M. Hanson : C’est exact. Le prix de vente au Canada est 1,11 fois plus élevé que celui aux États-Unis. J’ignore sur quels critères Scholastic s’appuie pour fixer ses prix, car, n’oubliez pas, chaque éditeur a ses propres critères. Scholastic, un éditeur américain, a choisi de fixer son prix de vente à 17,99 $, alors que Random House pourrait demander 22,99 $.

L’automne dernier, le livre pour enfants Inheritance, de Christopher Paolini, était un best-seller. Le prix de vente aux États-Unis était identique à celui au Canada, soit 27,99 $.

L’an dernier, le meilleur vendeur dans la catégorie non romanesque était la biographie de Steve Jobs, publiée chez Simon & Schuster. Le prix de vente pour ce livre aux États-Unis était de 35 $, comparativement à 36,99 $ au Canada, soit un facteur d’écart de 1,06. Il y a des différences dans les prix, mais ces derniers sont équitables. Nous adaptons nos stratégies de commercialisation au marché canadien pour informer les citoyens de l’existence des livres publiés, entre autres, chez Scholastic.

Par curiosité, je suis allé vérifier les prix de vente sur Amazon.

Le livre Thinking Fast and Slow, publié chez Random House, est le livre de l’heure dans la catégorie non romanesque. Pour ce livre, on parle d’un facteur d’écart de 1,11.

Ces vérifications ponctuelles montrent que le facteur d’écart se situe entre 0,05 et 0,09, selon la maison d’édition. Certains livres se vendent au même prix. Vous remarquerez sur la liste des livres que nous publions celui de David McCullough, un grand historien américain. Nous le vendons le même prix aux États-Unis et au Canada, car ce livre s’adresse à un auditoire restreint. Mais, effectivement, les prix varient.

Il est parfois illogique d’offrir le produit au même prix ou d’établir le prix selon un facteur d’écart de 0,1. Par exemple, on ne pourrait pas vendre un livre 33,93 $. Il faut fixer le prix en fonction de chaque marché et parfois l’arrondir au chiffre supérieur ou inférieur. Chaque maison d’édition fonctionne différemment.

Actuellement, les prix sont à la baisse et cela a une incidence sur notre marge de profit. Celle-ci est moins élevée.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que le facteur d’écart se situe entre 0,05 et 0,09, c’est bien cela?

M. Hanson : C’est exact. J’ai demandé à BookNet, une société de service pour l’industrie, de nous sortir des chiffres à cet égard, mais elle n’a pas de données pour les prix aux États-Unis. Toutefois, elle a pu analyser le prix à la transaction pour les livres vendus et, comme je l’ai dit, on remarque qu’il est à la baisse.

Le sénateur Callbeck : Quel était le facteur d’écart il y a cinq ans?

M. Hanson : C’est une bonne question. En 2006, selon le taux de change de l’époque, le facteur d’écart était probablement de 1,3. Encore une fois, les prix varient en fonction du taux de change, alors ça dépend.

Je me souviens que, en 1995, le dollar canadien perdait de la valeur. À l’époque, je travaillais pour un éditeur qui achetait, selon le taux de change en vigueur, des livres d’informatique auprès d’une société américaine pour ensuite les publier au Canada. Lorsque le dollar canadien s’est mis à perdre de la valeur, l’éditeur s’est retrouvé du mauvais côté de l’équation. Il devait vendre ses produits à un prix plus bas que celui de ses concurrents. Il n’arrivait pas à écouler ses stocks.

Dans les années 1990, le dollar a perdu de la valeur, alors que dans les années 2000, il s’est redressé. J’ignore d’une semaine à l’autre quel sera le taux de change. Il est totalement imprévisible. Si je pouvais le prédire, je vendrais des contrats à terme, pas des livres. Nous avons beaucoup appris en matière de prix, probablement plus que tout autre marché dans le monde.

Beaucoup de choses affectent notre secteur. Vous savez si le livre que vous publiez restera sur les étagères pendant 24 mois ou trois mois, et cela a une incidence sur le prix de vente.

Aussi, en 2008, à l’époque où le taux de change a considérablement fluctué, le prix des livres avait été fixé trois ans plus tôt alors que le taux était de 1,55. Notre maison d’édition a donc ajusté ses prix et remboursé la différence aux détaillants. Je leur ai dit : « Vous pouvez vendre les livres au prix que vous voulez. C’est votre décision. Toutefois, les livres que vous nous retournerez vous seront remboursés selon le nouveau prix de vente que nous venons d’établir. »

D’autres éditeurs ont offert des rabais aux détaillants à titre compensatoire, car ceux-ci devaient baisser leurs prix pour éviter que les consommateurs n’aillent acheter leurs livres chez nos voisins du Sud. C’était une pratique nouvelle et dynamique, mais elle semble avoir fonctionné. Le phénomène des achats parallèles dans le secteur n’a pas eu de grandes conséquences. Les données nous indiquent que les ventes au Canada n’ont pas été affectées, malgré toutes les avancées technologiques que nous avons connues. Les ventes de livres imprimés et électroniques sont en hausse, car c’est une autre façon pour les consommateurs d’avoir accès à des livres. C’est positif. Cela témoigne de la santé des différents intervenants du milieu.

Je le répète, le système fonctionne, car si un éditeur vend son produit à un prix trop élevé, le libre-choix des consommateurs de s’approvisionner à l’extérieur du Canada l’obligera à s’ajuster. C’est la raison pour laquelle les prix de vente varient tellement en fonction du taux de change. La seule différence, c’est le moment choisi pour fixer le prix. Habituellement, celui-ci est établi deux ou trois mois avant la publication. Il s’écoule effectivement de deux à trois mois entre la fabrication du livre et sa publication.

Le président : Sénateur Callbeck, désirez-vous poursuivre sur un autre sujet? Vous avez toujours la parole, mais le sénateur Hervieux-Payette aurait besoin de précisions.

Le sénateur Hervieux-Payette : Qui perd de l’argent lorsque Costco vend à un prix beaucoup plus bas?

Mme Hushion : C’est une bonne question.

Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce la maison d’édition?

M. Hanson : Nous vendons nos produits aux détaillants à prix réduit. Pour les publications spécialisées, le prix est très bas. Au Canada, on peut fixer ce prix en fonction du volume. Les grands détaillants obtiennent de meilleurs prix, car ils achètent un plus gros volume de livres. Costco vend ses produits au prix qu’il veut. Si sa marge de profit est faible, cela avantage le consommateur. Si la société vend son produit à un prix plus élevé, c’est plus avantageux pour elle. Comme l’a souligné M. Reeve, pour certains détaillants, les livres sont des produits d’appel. Certains détaillants en ligne vendent leurs livres au même prix qu’ils les ont payés, car ils veulent attirer le consommateur vers un autre produit sur lequel ils font des profits. C’est la raison pour laquelle les prix varient autant. Toutefois, je crois qu’il s’agit d’une bonne stratégie commerciale, puisque de nombreux détaillants l’utilisent.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les librairies n’aiment pas ça.

M. Hanson : Celles qui n’offrent pas de rabais, non.

Le sénateur Callbeck : Des témoins nous ont dit que le prix au consommateur pour certains livres vendus aux États-Unis était inférieur au prix du gros au Canada.

Mme Hushion : C’est ce que l’on appelle le dumping.

Le sénateur Callbeck : Est-ce une pratique courante?

M. Hanson : Au Canada, ça se fait rarement. Pour être franc avec vous, si un détaillant achète un livre à 50 p. 100 du prix conseillé et qu’il le revend le même prix qu’il l’a payé, que notre dollar est a parité avec la devise américaine et que le prix au Canada est majoré par un facteur d’écart de 1,1, en raison du taux de change, le prix de vente sera effectivement moins élevé aux États-Unis.

Toutefois, cette pratique est peu répandue, car les éditeurs n’ont pas l’habitude de vouloir perdre de l’argent.

Le sénateur Callbeck : Ils feraient faillite.

Dans le document que nous a fourni la Bibliothèque du Parlement, on trouve la ventilation du prix d’un livre au Canada.

Le président : Sénateur Callbeck, nous allons leur remettre une copie du document pour qu’ils puissent suivre. C'est le tableau 1 préparé par nos attachés de recherche. Nous aimerions que vous puissiez y jeter un coup d’œil.

Nous avons d’autres exemplaires pour vous.

M. Hanson : Comme j’enseigne ces choses, je m’y connais plutôt bien.

Le sénateur Callbeck : D'accord. On indique ici que les droits d’auteur sont fixés à 10 p. 100. Je voudrais que vous nous parliez un peu de ce que touchent les auteurs.

Mme Hushion : Il faut que vous regardiez ce qui est indiqué ici.

Le sénateur Callbeck : Y a-t-il toujours des droits d'auteur ou est-ce qu’il arrive que l’on verse simplement un montant forfaitaire pour un ouvrage? Qu’en est-il exactement?

M. Hanson : Il y a généralement des droits d’auteur. Certains éditeurs peuvent fonctionner autrement, mais ce n’est pas la norme. Les droits d’auteur sont variables. Ils sont parfois aussi bas que 6 p. 100 et peuvent aller jusqu’à 22 p. 100. Honnêtement, c’est difficile d’être plus précis. Tout comme au baseball, les plus grandes vedettes touchent plus d’argent et obtiennent des avances plus généreuses.

La plupart des éditeurs versent à leurs auteurs importants plus d’argent en droits d’auteur qu’ils n’en touchent eux-mêmes sur la vente des livres. L’éditeur est tout simplement prêt à payer davantage pour que cet auteur figure sur sa liste. La plupart des auteurs touchent des droits au titre de livres qui ne sont même pas vendus par l’éditeur. C’est l’un des éléments à prendre en compte.

Le président : Êtes-vous parvenu à dégager une moyenne que nous pourrions utiliser dans nos calculs?

M. Hanson : Le fait est que chaque livre est différent. Pour obtenir une moyenne, il faudrait tous les considérer dans l’équation. Pour certains ouvrages rédigés il y a plus de 100 ans, on paie encore des droits aux successions des auteurs. Il y a également certains auteurs avec lesquels nous concluons des ententes de partage des profits. Dans certains cas, nous versons des sommes faramineuses à des auteurs, alors que nous vendons très peu d'exemplaires de leurs livres.

Le président : Vous nous dites donc qu’il n’y a pas de moyenne.

M. Hanson : Chaque cas est unique. C’est ce qui fait tout l’intérêt de notre industrie. La notion de risque y joue un rôle prépondérant, car les réactions du marché peuvent être totalement différentes de ce qu’on avait pu anticiper. Parfois vous découvrez un Stephen King, mais plus souvent qu’autrement, ce n’est pas ce qui arrive.

Le président : Mais vous allez découvrir ce soir le sénateur Callbeck qui a maintenant la parole.

Le sénateur Callbeck : Vous précisez que les droits d’auteur peuvent varier de 6 à 22 p. 100. Qu’avez-vous à nous dire sur les autres chiffes indiqués dans ce tableau?

M. Hanson : Tout cela peut varier en fonction du prix demandé par le détaillant, alors tout dépend.

Le président : On vous demande de présumer que le livre se vend 10 $. Nous voulons obtenir une ventilation de ces sommes pour savoir où irait ce 10 $.

M. Hanson : C'est à peu près dans la bonne fourchette, tout dépendant de la structure de chaque entreprise. Il faut noter que chaque distributeur peut négocier des ententes distinctes pour avoir l’exclusivité des ventes au Canada. Sa marge de rentabilité varie donc en conséquence.

Tous les éditeurs ne fonctionnent pas suivant le même modèle. Les accords de distribution ne sont pas tous identiques. Par conséquent, la part des fonds absorbée par le distributeur varie en fonction de l’entente intervenue pour obtenir la distribution exclusive.

Je n’essaie pas de compliquer les choses, mais elles sont tout de même complexes en raison des variations possibles.

Le président : Y a-t-il quelqu’un d’autre ne figurant pas sur cette liste qui touche une partie des 10 $?

Mme Hushion : Ce n’est pas…

Le président : Laissons d’abord répondre M. Hanson après quoi je vous donnerai la parole, madame Hushion.

M. Hanson : Je suppose qu’il vous faut seulement comprendre que ces chiffres sont valables pour un livre vendu. Il faut savoir que 35 p. 100 des livres ne sont jamais vendus et sont donc retournés. Pour ce qui est des livres effectivement vendus, ces chiffres m’apparaissent corrects. Je répète toutefois que 35 p. 100 des livres ne sont pas vendus, même si bon nombre d’entre eux sont presque entièrement écoulés. Par exemple, mon ouvrage sur Steve Jobs a été vendu à 95 p. 100, un excellent taux. Cependant, ce taux de vente est très faible pour un autre de mes auteurs. C’est donc variable.

Certains auteurs ont un taux de retour de 80 p. 100; pour d’autres, c’est 50 p. 100. En moyenne, il faut arriver à tirer un bénéfice de tout cela. Parfois, vous êtes perdant et, d’autres fois, vous sortez gagnant. Les marges bénéficiaires sont très minces en raison des risques encourus. En outre, les changements technologiques accroissent les risques pour notre industrie.

Pour ce qui est de la politique de distribution exclusive, nous voulons notamment faire respecter le principe de la territorialité lorsque nous investissons pour mettre en marché des auteurs. Ainsi, il ne faut pas que quelqu’un de l’extérieur puisse mettre sur notre marché des produits pour la commercialisation desquels nous avons pris des risques. Si cette protection territoriale n’est pas garantie, l’opération devient encore plus périlleuse.

Le président : Madame Hushion, vous souhaitiez intervenir?

Mme Hushion : J’allais justement faire valoir l’un des points que M. Hanson vient de soulever.

J’aurais deux choses à ajouter. Dans les années 1980, il y avait de nombreux accords de distribution exclusive de la sorte entre des éditeurs canadiens et américains. Les éditeurs canadiens importaient alors des stocks d’ouvrage très considérables. Bon nombre des acheteurs canadiens, que ce soit les libraires, les bibliothèques ou les gouvernements eux-mêmes — c’était le cas du ministère de la Défense nationale — s’approvisionnaient à l’étranger pour obtenir exactement les mêmes ouvrages. Ce n’était même pas pour obtenir un meilleur prix; c’était simplement une habitude.

Les Canadiens qui investissaient dans l’industrie ne savaient jamais lorsqu’ils se couchaient le soir quel genre de marché ils allaient retrouver le lendemain. Ils échafaudaient des plans et dépensaient de l’argent, mais tous les exemplaires d’un livre pouvaient tout aussi bien être retournés ou, pire encore, ne jamais sortir de l’entrepôt parce que le libraire, la bibliothèque ou le consommateur choisissait de s’approvisionner directement au point d’origine.

Comme je le disais, ce n’est pas entièrement une question d’argent. Le gouvernement a mené une vaste étude sur les données d’import-export. On a conclu que c’était beaucoup une affaire d’habitude. J’estime important de le savoir, car les investisseurs canadiens doivent tout au moins avoir une certaine indication qu’ils seront en mesure d’obtenir un rendement acceptable — marginal, dans notre cas — sur leurs investissements. C’est notre pays. Il n’y a personne dans notre industrie qui fait fortune rapidement ou qui essaie de berner les Canadiens.

Ce que je voulais surtout savoir… Mais est-ce possible pour nous de poser des questions? Puis-je en poser une?

Le président : C’est plutôt inhabituel.

Mme Hushion : Me permettez-vous d’être inhabituelle?

Le président : Nous pouvons le permettre. Le sénateur Callbeck a maintenant la parole et c’est elle qui pose des questions. Lorsqu’elle aura terminé, ce sera au tour du sénateur Ringuette qui veut obtenir un éclaircissement. Après tout cela, je serai heureux de vous permettre de poser la vôtre.

Mme Hushion : Merci.

Le président : Sénateur Callbeck?

Le sénateur Callbeck : J’ai terminé.

Le président : Merci. Sénateur Ringuette.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Hanson, est-ce que cette politique de retour est unique au Canada? Est-elle unique à l’Amérique du Nord? Voit-on des dispositions semblables dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Australie, par exemple? Est-il pratique courante que le détaillant retourne les ouvrages invendus et que vous le remboursiez en conséquence?

M. Hanson : Oui.

Le sénateur Ringuette : Et c’est la même chose partout dans le monde?

M. Hanson : Oui.

Le sénateur Hervieux-Payette : Que faites-vous avec ces livres?

M. Hanson : Il arrive parfois qu’on les regarde en se demandant pourquoi on les a publiés au départ. Certains sont vendus en solde. C’est ainsi que vous pouvez trouver des ouvrages qui sont remis sur le marché à très bas prix, mais généralement les invendus sont mis au pilon.

Le sénateur Hervieux-Payette : À la poubelle.

M. Hanson : Oui, ils sont déchiquetés. Il y a plusieurs façons de procéder. J’amène toujours mes jeunes étudiants à l’entrepôt pour leur montrer la benne de recyclage. C’est une preuve tangible des risques du métier. Si vous publiez un livre à un prix inapproprié, au mauvais moment, avec une jaquette qui ne convient pas ou suivant un plan de commercialisation inadéquat, il y a de bonnes chances qu’il vous reviendra.

Le président : Merci pour cette précision.

Le sénateur Chaput : J’ai remarqué récemment, surtout dans les librairies d’aéroport, de gros autocollants qui indiquent qu’en ramenant le livre une fois lu, on obtient un rabais de 50 p. 100 sur son prochain achat. Est-ce une tendance? C’est ce que j’ai observé au cours des derniers mois. Qui perd de l’argent sur la vente de ces livres?

M. Hanson : Lorsque nous vendons un livre à un détaillant, une librairie d’aéroport en l’espèce, il peut en faire ce que bon lui semble. Je ne dirais pas qu’il s’agit nécessairement d’une tendance. Je pense que les libraires installés dans les aéroports essaient simplement de réagir aux nouveaux défis que représentent pour eux les livres numériques qui ont la cote chez les voyageurs. Ces détaillants essaient donc de se montrer créatifs pour conserver leur clientèle. Quoi qu’il en soit, ils peuvent faire ce qu’ils veulent de ces livres une fois qu’ils les ont achetés.

Le sénateur Chaput : Est-ce que certains de vos membres sont des distributeurs exclusifs au Canada de livres importés des États-Unis? Est-ce que certains vendent uniquement des livres semblables?

Mme Hushion : Nous n’avons personne qui ne vend que des livres américains. Il est possible que certains distribuent seulement des livres importés, mais pas uniquement des États-Unis.

Le sénateur Chaput : Il peut donc s’agir de livres importés, mais pas nécessairement de livres américains.

Mme Hushion : Pas nécessairement des livres américains.

Le sénateur Chaput : Quelle proportion de vos membres cela représenterait-il?

Mme Wood : Nous n’en avons pas.

Le sénateur Chaput : Vous n’en avez pas?

Mme Wood : Nos membres doivent publier du contenu original canadien. C’est une exigence de l’ACP. Je ne peux pas parler pour les autres associations.

Le sénateur Chaput : Merci.

Le président : Madame Hushion, avez-vous la même exigence?

Mme Hushion : Nous avons une exigence de publication, mais la propriété canadienne n’est pas obligatoire. Il nous est arrivé à deux reprises de modifier les critères d’adhésion prévus dans notre réglementation pour ajouter une catégorie, comme celle d’affilié ou d’associé, ou en retirer une. Nous avons alors tenu compte des droits acquis par les membres déjà en place qui ne satisfaisaient pas aux nouveaux critères. Autrement dit, nous n’avons mis personne à la porte.

Le président : J’aurais un autre point avant de vous laisser poser votre question.

Monsieur Hanson, vous avez indiqué qu’il arrivait que le prix soit le même au Canada et aux États-Unis. En pareil cas, est-ce que vous indiquez le prix sur le livre, ou est-ce vraiment nécessaire?

M. Hanson : Comme distributeur exclusif des livres de Simon & Schuster au Canada, nous devons faire en sorte que ces livres importés des États-Unis intéressent les Canadiens.

Il s’agit notamment de fixer un prix qui correspond à ce que les Canadiens sont prêts à payer. Nos efforts de marketing et de publicité sont aussi orientés en ce sens. Il arrive aussi que nous devions changer la jaquette d’un livre pour l’adapter au contexte canadien. Cela fait partie de notre travail.

Dans certains cas, nous établissons le prix d’un ouvrage de telle sorte que les Canadiens n’hésiteront pas à en faire l’achat. À cet égard, nous savons que les Canadiens ne sont pas disposés à franchir certains seuils, Nous fixons alors un prix inférieur à celui des États-Unis parce que c’est ce que les Canadiens veulent payer. Les prix varient donc en fonction des consommateurs, et non seulement au gré des fluctuations du taux de change.

Le président : Est-ce que vous indiquez le prix de détail suggéré sur l’étiquette?

M. Hanson : Oui, car ainsi, je montre exactement au consommateur le prix que j’ai établi. Cela montre simplement que mon prix est juste. Cependant, c’est le chaos sur le marché, et ce que nous ne vous avons pas dit, c’est que si vous achetez les droits d’un auteur étranger pour le publier au Canada, vous pouvez exiger le prix que vous voulez pour l’ouvrage. Avec le droit de publier un auteur étranger au Canada — la possibilité d’obtenir les droits de publication au Canada, et non pas seulement les droits de distribution —, vous pouvez publier le livre et le vendre au prix que vous voulez. Vous indiquez un prix de détail suggéré, mais en général, ce n’est pas le prix en argent américain, dans ce cas.

Le président : Nous essayons toujours de comprendre pourquoi les consommateurs paient plus cher, et pourquoi ils vont aux États-Unis ou à l’étranger pour acheter des produits. Nous essayons d’aller au fond des choses, et c’est pourquoi nous posons toutes ces questions.

Madame Hushion, vous avez une question qui pourrait nous aider sur ce plan.

Mme Husion : Je ne sais pas.

J’ai une histoire vraie à vous raconter : j’étais à la quincaillerie de ma localité, dernièrement, et c’est un quincailler indépendant qui ne fait pas partie d’une chaîne. Un homme est entré et a dit au propriétaire qu’il voulait acheter un outil — un outil spécial qu’il a nommé. Il lui a dit : « Vous en demandez 79,99 $, mais je l’ai vu en ligne ce matin, à 49,99 $. Vous êtes depuis longtemps mon quincailler local, et je veux vous appuyer, mais je ne peux pas me permettre d’assumer cette différence de prix. » Voici ce que le quincailler lui a dit : « Écoutez, vous savez que, pour offrir cet outil — l’outil en question qu’il a nommé —, je dois payer des frais assez élevés et je ne peux pas vous le vendre au prix donné en ligne. Cependant, vous êtes un client précieux que je ne veux pas perdre, et vous faites partie de mon milieu de détaillants; j’aime croire que je fais d’autres choses qui vous sont profitables et que vous appréciez, et je suis prêt à assumer la moitié de l’écart de prix avec vous. Je vais réduire le prix de l’outil de la moitié de l’écart entre mon prix et le prix en ligne. » Je ne connaissais pas ce monsieur. Je ne faisais qu’écouter la conversation. Il a dit : « Je trouve ça correct. Je veux vous appuyer, et ça me va. Je vais l’acheter ici. » C’est le marché qu’ils ont conclu.

D’après ce que je comprends, même si nous ne voyons pas les deux prix sur les biens, nous savons que la grande majorité des biens qui viennent des États-Unis et qui sont offerts au Canada sont plus chers ici qu’aux États-Unis, simplement parce qu’il faut leur faire franchir la frontière, les dédouaner et les amener ici, chez un détaillant ou un grossiste.

Mon entrée en matière était longue et je m’en excuse, mais la question est de savoir si la différence est bien plus visible, avec les deux prix indiqués sur les livres, comme c’était le cas pour les magazines et les revues. Est-ce que c’est cela, ou quelque chose d’autre? Je ne connais pas d’autres biens américains offerts sur notre marché au même prix dans les deux pays.

Le président : Eh bien, il y a deux choses.

Mme Hushion : Je présume que je vais devoir payer plus cher.

Le président : La présence des deux prix fait ressortir davantage la différence, et bien des gens nous ont demandé pourquoi il y a deux prix. Puis il y a les 10 p. 100 dont nous avons beaucoup parlé aujourd’hui. Nous essayons de comprendre cela un peu mieux. Ce pourcentage a été établi à un moment où le taux de change variait beaucoup; maintenant, il est plutôt stable, et ce, depuis un bon bout de temps. Avez-vous toujours besoin de ces 10 p. 100? Je ne crois pas que nous ayons un consensus sur ce plan, mais qu’est-ce qu’on en pense en général?

Mme Hushion : J’imagine que le taux de change pourrait aller dans l’autre sens quand nous nous y attendons le moins.

Le président : C’est certain.

Mme Hushion : Comment savoir? Comme Mme Wood l’a dit, ce secteur d’activité complexe est un écosystème en soi — c’est le terme qu’elle a utilisé, et c’est une excellente façon de le décrire.

Si nous retirons ou réduisons ce pourcentage dans la réglementation, puis que le taux de change évolue dans une tout autre direction, nous aurions de graves problèmes.

Le président : Je pense bien que c’est la question à laquelle nous devons répondre, et vous pourriez nous conseiller sur ce plan en nous disant ce qui se produirait si le taux passait de 10 à 5 p. 100? Quels en seraient les effets sur votre secteur?

M. Hanson : Nous avons constaté que la volatilité du taux de change peut être encore plus grande. Personne n’aurait pu prédire le degré de volatilité que nous avons connu en 2008. Je pense qu’il y a eu un écart de 25 points de pourcentage entre le taux le plus élevé et le taux le plus bas de cette année. Je pense que nous en sommes venus à 0,08, à un moment donné. Il y a eu beaucoup de mouvement.

Nous connaissons tous les divers facteurs qui peuvent influer sur le taux de change. Ils n’ont absolument rien à voir avec l’édition. Nous ne faisons qu’y réagir. En réalité, je pense pouvoir dire que les prix des livres baissent constamment, et qu’aux États-Unis, ils grimpent. Dans ce contexte, j’espère que vous et les consommateurs aurez l’assurance que ce mécanisme, qui dessert notre secteur et qui répond au besoin d’exclusivité lié au territoire, contribue à la santé du secteur en assurant sa cohérence, son intégrité et sa présence au Canada — plutôt que le chaos et l’entrée de livres provenant de n’importe où —, tout en protégeant le consommateur, en ce sens que les prix des livres diminuent nettement. Cela se produit jour après jour, car nous surveillons constamment la situation. Si nous ne le faisons pas, les gens le remarquent et vont s’approvisionner ailleurs.

Encore là, cela n’arrive pas souvent, car les gens qui travaillent dans notre secteur, au sein de toutes les entreprises concurrentielles, le font dans ce contexte dynamique qui est à l’avantage de tous.

Le sénateur Marshall : J’ai posé une question à d’autres témoins, et personne n’a pu me donner une explication.

En ce qui concerne les magazines, l’un de vous est-il au courant? L’écart de prix est assez grand. Bien des magazines sont hebdomadaires, ou mensuels, et les prix américains sont toujours nettement inférieurs aux prix canadiens.

Mme Hushion : Nous travaillons de diverses façons avec le secteur des magazines, mais je ne peux parler en leur nom. Ils ont une association : Magazines Canada.

Le sénateur Marshall : J’ai simplement pensé poser la question.

Mme Wood : Je dirais qu’ils ont peut-être des problèmes semblables, en ce qui concerne les coûts élevés et le marché restreint, ce qui correspond à ce que nous vivons. Ils misent en plus sur la publicité, alors que ce n’est pas notre cas. Quand des changements surviennent dans le secteur, ils en subissent aussi directement les effets.

Je pense qu’au cours des cinq dernières années, les circonstances ont eu pour effet de creuser le fossé, mais je ne le sais pas vraiment. Ce n’est qu’une hypothèse.

Le sénateur Marshall : Merci.

Le président : Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie beaucoup d’avoir passé les deux dernières heures à discuter avec nous du prix des livres au Canada. J’espère que nous pourrons vous joindre si nous souhaitons des éclaircissements sur certains points. Si vous avez d’autres idées à nous transmettre, n’hésitez pas à le faire par l’intermédiaire de notre greffière, qui s’occupera de nous les relayer.

Monsieur Hanson, vous aviez des documents. Si vous les transmettez à notre greffière, nous pourrons les faire traduire et les distribuer à tout le monde. Cela nous serait utile en ce qui concerne les deux prix donnés et les comparaisons.

Nous avons entendu les témoignages de M. Hanson et Mme Hushion, du Canadian Publishers’ Council, de M. James Reeve, de Nelson Education Ltd., et de Mme Carolyn Wood, de l’Association of Canadian Publishers. Je vous remercie tous d’être venus. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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