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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 6 - Témoignages du 3 novembre 2011


OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 28, pour examiner les progrès réalisés dans la mise en œuvre du Plan décennal pour consolider les soins de santé de 2004.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et le président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Seidman : Je suis le sénateur Seidman, de Montréal, Québec.

[Français]

Le sénateur Verner : Je suis le sénateur Josée Verner, de Québec.

Le sénateur Demers : Sénateur Jacques Demers, de Hudson, Québec.

[Traduction]

Le sénateur Braley : Sénateur Braley, de l'Ontario.

Le sénateur Hubley : Sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Merchant : Sénateur Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Dyck : Sénateur Dyck, de la Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Sénateur Eggleton, vice-président du comité, de Toronto.

Le président : Merci beaucoup. Je rappelle à tous que nous poursuivons notre étude, selon les directives du Sénat du Canada, sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre du Plan décennal de 2004 pour consolider les soins de santé au Canada. Nous en sommes à notre neuvième séance. Elle portera principalement sur la prévention, la promotion et la santé publique.

Nous avons cinq témoins à entendre ce matin. Je vais les présenter au fur et à mesure. Nous avons établi un ordre, et je vais présenter les témoins dans cet ordre. En raison du nombre de témoins, je demande à mes collègues d'être le plus concis possible dans leurs questions, afin que tout le monde puisse prendre la parole.

Sur ce, nous allons commencer par l'Agence de la santé publique du Canada, et je vais demander au Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique, de présenter son exposé.

Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique, Agence de la santé publique du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je me réjouis d'être ici ce matin pour discuter des progrès accomplis en ce qui concerne les aspects de l'accord de 2004 portant sur la santé publique.

[Français]

J'aimerais d'abord donner une description de la santé publique.

[Traduction]

Il s'agit des efforts structurés déployés par la société pour améliorer la santé et le bien-être et réduire les inégalités en matière de santé. La santé publique, c'est tout simplement la promotion d'une bonne santé, la prévention des maladies, la protection de la population et la prolongation de la vie.

Les soins de santé concernent l'individu et sont liés au traitement des maladies et des blessures, alors que la santé publique est axée sur l'ensemble de la population et permet d'éviter que ce traitement soit nécessaire. Les soins de santé relèvent avant tout des provinces et des territoires, alors que la santé publique est la responsabilité de tous les ordres de gouvernement et comprend tous les secteurs de la société — la santé, le transport, la justice, l'éducation, l'environnement et les autres domaines, qui sont tous liés. Notre santé et notre prospérité dépendent de leur influence réciproque; le niveau de succès dépend de la collaboration entre tous les secteurs. La santé publique est un sport d'équipe axé sur un objectif commun : une population en santé. Et l'avantage qui en découle est un système de santé plus durable. Ensemble, la santé publique et les soins de santé constituent un système de santé complet.

[Français]

Depuis l'accord sur la santé de 2004, la situation dans le domaine de la santé publique s'est améliorée au Canada.

[Traduction]

L'accord a contribué à placer la santé publique à l'ordre du jour et à l'inclure dans les discussions. Auparavant, la santé publique se trouvait rarement, voire jamais, à l'ordre du jour des réunions des ministres ou sous-ministres fédéraux et provinciaux, et elle était encore moins un enjeu prioritaire pour les Canadiens. Mais l'éclosion du SRAS, en 2003, a donné l'élan nécessaire pour passer à l'action en établissant une approche plus collective permettant de relever les défis liés à la santé publique au Canada, dont la stratégie nationale d'immunisation et le Réseau pancanadien de santé publique. Même si ces initiatives ont été entreprises quelques mois avant l'accord, elles ont été validées par cet intérêt renouvelé en matière de santé publique.

[Français]

Ces points prioritaires font partie de ceux que je veux aborder aujourd'hui.

[Traduction]

Le contexte entourant le moment de la signature de l'accord est important, car le SRAS, qui était apparu une année plus tôt, a véritablement provoqué une prise de conscience à l'échelle nationale, et même mondiale. Les maladies, décès et coûts inattendus causés par le SRAS ont agi comme le sel dans la plaie d'un système sérieusement fragmenté.

Il était évident que la situation d'urgence qui existait ne se prêtait pas à l'échange de cartes professionnelles. Nous devions nouer des relations fiables et mettre en place des réseaux éprouvés allant au-delà des frontières et des administrations avant que ne survienne une urgence. Depuis, le réseau est l'une de nos plus grandes réussites. Il permet aux intervenants provinciaux, territoriaux et fédéraux de coordonner efficacement leurs efforts.

Ce nouveau niveau de collaboration est devenu essentiel pendant le déploiement d'efforts coordonnés pour lutter contre la pandémie de grippe H1N1, en 2009. La collaboration entre les administrations, les collectivités et les individus dans la lutte contre la grippe H1N1 a été sans précédent. Par conséquent, le Canada avait l'une des meilleures capacités d'intervention au monde, sinon la meilleure.

[Français]

La gestion de la pandémie de grippe H1N1 n'a pas été la seule réussite du Canada.

[Traduction]

Nous avons utilisé le Réseau pancanadien de santé publique pour négocier et signer deux protocoles d'entente sur l'échange d'information et l'entraide en cas d'urgence sanitaire avec les provinces et les territoires, ainsi que pour négocier la Déclaration sur la prévention et la promotion, qui a été approuvée par les ministres de la Santé et des Modes de vie sains l'année dernière, puis par les ministres des Sports et des Loisirs, et qui suscite l'intérêt des ministres de l'Éducation.

Nous collaborons pour lutter notamment contre le problème de l'obésité infantile, sans quoi il se pourrait bien que ce soit la première génération d'enfants qui vivront moins vieux et moins en santé que leurs parents. En combinant politique et pratique et en regroupant divers ordres de gouvernement et divers experts, nous pourrons demeurer unis et travailler à l'atteinte des mêmes objectifs. Nous sommes beaucoup plus efficaces quand nous allons tous dans la même direction.

Le Réseau de santé publique nous a donné les moyens d'aider les Canadiens à se protéger contre les maladies infectieuses et chroniques évitables. Dans un premier temps, il y a la Stratégie nationale d'immunisation et, dans un deuxième temps, la Stratégie pancanadienne en matière de modes de vie sains. Je parlerai d'abord de la première.

Grâce à la Stratégie nationale d'immunisation, le gouvernement du Canada collabore avec toutes les administrations à la prévention des maladies en maximisant l'accès équitable et rapide aux vaccins pour tous les Canadiens. Le gouvernement a aussi favorisé l'immunisation grâce à des fonds en fiducie, notamment une fiducie de 300 millions de dollars sur trois ans visant à inaugurer quatre nouveaux programmes de vaccination des enfants et des adolescents afin de prévenir la méningite, la pneumonie, la varicelle et la coqueluche. Toutes les provinces et tous les territoires ont maintenant des programmes de vaccination financés par les fonds publics pour ces maladies. Aujourd'hui, deux fois plus d'enfants et d'adolescents canadiens dans toutes les provinces et tous les territoires sont protégés des dangers posés par ces maladies.

En 2007, le gouvernement fédéral a créé un deuxième fonds en fiducie de 300 millions de dollars sur trois ans visant à inaugurer des programmes de vaccination contre le virus du papillome humain. Lorsque le fonds est venu à échéance, en 2010, toutes les administrations avaient ajouté ce vaccin à leur programme.

La vaccination donne de bons résultats, car elle permet aux Canadiens d'éviter entièrement certaines maladies. Les investissements du gouvernement fédéral ont contribué à l'amélioration du domaine de l'immunisation au Canada. Grâce à eux, un nombre sans précédent de programmes de vaccination a vu le jour et les taux de vaccination au pays sont à la hausse.

Même si les taux de vaccination au Canada sont élevés et que plusieurs maladies se font de plus en plus rares, le risque d'exposition persiste et l'amélioration des taux de vaccination reste une priorité. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues des provinces et des territoires, ainsi qu'avec les intervenants pour renouveler la Stratégie nationale d'immunisation et assurer la pertinence et l'efficacité à long terme de cet important programme. Les maladies dont ne souffre pas la population n'entraînent pas de coûts pour le système de soins de santé.

[Français]

Il s'agit là d'un élément crucial.

[Traduction]

Comme nous l'avons souvent dit, il est de beaucoup préférable d'avoir une bonne clôture au sommet d'une falaise qu'une ambulance au bas de la falaise. Les Canadiens qui souffrent de maladies chroniques comme le diabète, le cancer, les maladies cardiovasculaires et pulmonaires, et les maladies du rein, pour n'en nommer que quelques-unes, sont hospitalisés, ce qui constitue un énorme fardeau individuel, social et économique, un fardeau en grande partie évitable.

Les programmes de prévention et de sensibilisation ont profité d'un intérêt accru depuis la signature de l'accord. La Stratégie pancanadienne en matière de modes de vie sains découle d'un engagement de toutes les administrations en faveur de mesures plus coordonnées pour la prévention et la promotion. Les gouvernements ont été en mesure de financer des activités essentielles dans ces domaines.

La contribution fédérale à cette approche pancanadienne est la Stratégie intégrée en matière de modes de vie sains et de maladies chroniques. Chaque année, la stratégie intégrée investit 69,9 millions de dollars dans la promotion d'une saine alimentation et d'un poids santé, l'accroissement de l'activité physique et la mise en place de stratégies de prévention propres à certaines maladies.

Monsieur le président, qu'il s'agisse du Réseau de santé publique, de la Stratégie nationale d'immunisation ou du Plan de lutte contre la pandémie, ou encore de nouveaux programmes de surveillance ou de recherche ou encore de partenariats, nos efforts collectifs en matière de santé publique sont issus de la vision de l'accord conclu il y a moins d'une décennie. Résultat : nous avons depuis contribué à améliorer la santé des Canadiens dans un monde plus sain et à assurer la viabilité de notre système de soins de santé financé par les fonds publics.

[Français]

Il reste toutefois beaucoup de travail à faire.

[Traduction]

Conformément à ce qui a été convenu dans la Déclaration sur la prévention et la promotion, il faut atteindre un meilleur équilibre entre la prévention et le traitement. La surveillance, la recherche et le partage de connaissances peuvent toujours être améliorés. De plus, une plus grande attention peut être accordée à la collaboration. Il suffit de travailler ensemble à l'atteinte d'objectifs communs.

Comme je l'ai indiqué dans mes rapports annuels au Parlement sur l'état de la santé publique au Canada, le rôle de la santé publique est d'aider à trouver des solutions collectives pour assurer la bonne santé de l'ensemble de la population, améliorer la santé en général et réduire les écarts en matière de santé. Je suis heureux d'affirmer que l'ajout de la santé publique dans l'accord de 2004 a été grandement profitable aux Canadiens, et nous avons confiance en l'avenir.

[Français]

Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Je vais maintenant demander au Dr Birtwhistle, vice-président du Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs, de nous présenter son exposé.

Dr Richard Birtwhistle, vice-président, Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs : Je suis heureux de pouvoir vous parler du Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs. Je crois que vous avez devant vous un document PowerPoint que je vais parcourir avec vous.

Le groupe d'étude a été reconstitué par l'Agence de la santé publique du Canada, l'ASPC, en 2009. Nous travaillons assidûment à produire notre premier guide, qui sera publié incessamment.

Le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs a pour mandat d'élaborer et de diffuser des guides de pratique clinique en matière de soins primaires et de soins préventifs, en s'appuyant sur des analyses systématiques des données scientifiques.

Le groupe d'étude est composé de 14 membres, dont sept sont des médecins de famille. Nous possédons tous des compétences dans la préparation de guides et en épidémiologie. Comme je l'ai déjà dit, le groupe a été créé et est financé par l'ASPC.

La structure du groupe d'étude est composée du groupe d'étude lui-même, mais aussi d'un certain nombre de personnes qui nous aident beaucoup dans notre travail. Nous avons un bureau à l'ASPC, où des agents et directeurs scientifiques contribuent à l'élaboration des guides et réfléchissent à des stratégies de transfert des connaissances afin de rendre les guides utiles et de faciliter leur adoption.

Nous avons également un centre d'analyse et de synthèse des données probantes, où sont effectuées un grand nombre d'analyses systématiques de marché pour le sujet en question. Actuellement, le centre est situé à l'Université McMaster et il est financé grâce à un partenariat entre les Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, et l'ASPC.

En outre, de nombreux intervenants contribuent de façon appréciable à notre travail en nous donnant des conseils sur les sujets importants, selon eux, en ce qui concerne la prévention.

Je vais prendre quelques instants pour vous parler de la façon dont sont élaborés les guides fondés sur des données probantes. D'abord, un groupe de travail composé de membres du groupe d'étude choisit les sujets, mais divers groupes du public ayant des suggestions de sujets à nous présenter pour les guides que nous voulons élaborer peuvent le faire sur notre site web.

Nous choisissons les sujets en nous appuyant sur divers critères. L'un d'entre eux est, bien sûr, de savoir s'il s'agit d'une question importante pour protéger la santé publique au pays et si nous avons de nouvelles données au sujet du fardeau de la maladie.

Le groupe d'étude met ensuite sur pied un groupe de travail, composé de quelques membres du groupe d'étude, qui est chargé d'élaborer les questions clés auxquelles on s'emploiera à répondre dans chacun des guides. Les questions visent le plus souvent à établir, naturellement, quels sont les avantages d'une mesure de dépistage ou de prévention par rapport aux problèmes de santé comme tels. Nous sommes de plus en plus conscients que ces deux éléments sont importants.

Une fois que les questions clés ont été élaborées, l'étape suivante consiste à demander au Centre d'analyse et de synthèse des données de rassembler les données en procédant à un examen exhaustif de la documentation. Cette étape peut prendre quelques mois. Le guide et les données probantes sont évalués à l'aide d'un système appelé GRADE, qui permet de noter l'évaluation et l'élaboration des recommandations, de même que la qualité des données et le bien- fondé des recommandations.

Ensuite, après avoir consulté les examens systématiques et la recherche documentaire, le groupe de travail prépare un projet de recommandations basées sur les données probantes qui fera l'objet d'un examen par les pairs et de discussions avant d'être soumis au groupe d'étude.

Le groupe d'étude en discute alors à son tour, et c'est la dernière étape avant leur publication.

Nous avons ensuite une stratégie d'application et de diffusion des connaissances qui vise à mettre à la disposition des praticiens et de la population des outils pour utiliser et interpréter les guides.

Le groupe d'étude prévoit de plus effectuer une recherche sur l'efficacité de ses stratégies d'évaluation, de diffusion et de mise en œuvre dans le cadre de l'examen des répercussions de ses activités sur les soins préventifs au pays.

Quel est l'apport du groupe d'étude à la prévention? Son apport réside, je crois, dans la production de guides facilement accessibles qui contiennent de l'information crédible et pertinente qui permettra d'améliorer les soins préventifs au Canada. Ces guides reposent sur des données probantes et contribueront à assurer l'efficacité du système de santé. Grâce aux liens que nous avons avec l'ASPC, nous contribuons à renforcer les capacités du système de santé. Nos guides peuvent, par ailleurs, servir de point de référence pour la surveillance et l'établissement de rapports concernant les critères et les programmes de prévention au pays.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, docteur Birtwhistle. Nous allons maintenant passer à l'Association canadienne de santé publique et demander à sa directrice générale, Mme Debra Lynkowski, de nous faire son exposé.

Debra Lynkowski, directrice générale, Association canadienne de santé publique : Je tiens tout d'abord à vous remercier de votre invitation à comparaître aujourd'hui. Je représente l'Association canadienne de santé publique. Nous sommes la seule organisation non gouvernementale au Canada à nous consacrer uniquement à la santé publique. Nous avons des membres partout au pays et nous représentons plus de 25 disciplines qui s'occupent d'une très grande variété de questions sanitaires et sociales.

J'avais l'intention de vous parler des progrès réalisés, de ce qu'il reste à faire et de nos recommandations, mais comme je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le Dr Butler-Jones au sujet des progrès réalisés, je ne vous répéterai pas tout cela. J'aimerais toutefois souligner qu'il a omis de dire au sujet des progrès réalisés que la création du poste d'administrateur en chef de la santé publique a été un très gros atout pour le pays. Il a fait un travail exemplaire. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les moyens mis en œuvre pour lutter contre la grippe H1N1, le parcours de l'ACSP et de l'Agence de la santé publique du Canada, ainsi que les efforts déployés par les responsables en santé publique dans les collectivités pour se rendre compte que rien ne nous a échappé dans ce cas.

Toutefois, nous tirons de l'arrière dans quelques domaines. Le Dr Butler-Jones a parlé de la Stratégie nationale d'immunisation, la SNI. Nous avons fait des progrès considérables, j'en conviens, mais comme il l'a mentionné, il faut en faire une priorité si nous voulons continuer sur cette voie. La SNI n'a pas encore de registre et de programmes d'éducation du public — nous savons qu'il y a encore un mouvement contre la vaccination —, ainsi que de plan de recherche et de calendriers d'immunisation harmonisés à l'échelle du pays.

Dans le plan de 2004, il était également question de mettre en place une stratégie pancanadienne en matière de santé publique reposant sur des indicateurs et des résultats pour améliorer l'état de santé des Canadiens. Cela n'a pas encore été fait. Dans son rapport préparé sous l'égide des sénateurs Keon et Pépin, le Sénat a lui-même réitéré que nous devons mettre en place une stratégie sur la santé. C'est un outil indispensable pour que nos efforts portent des fruits.

Notre mémoire est très détaillé et je ne veux pas répéter tout ce qui s'y trouve. J'aimerais simplement souligner quelques recommandations à l'égard d'un nouveau plan en matière de santé. Le Dr Butler-Jones en a mentionné quelques-unes brièvement. Nous demandons notamment au gouvernement d'avoir comme principe directeur pour tout nouvel accord non pas les soins de santé, mais l'équité en santé. Nous pressons le gouvernement de placer la santé publique au cœur de tout nouvel accord afin que nous puissions mettre l'accent sur la prévention des maladies et des blessures, ainsi que sur la promotion et la surveillance de la santé. Nous recommandons de mieux coordonner le Transfert canadien en matière de santé et le Transfert canadien en matière de transferts sociaux afin de tenir compte du fait que bien des facteurs extérieurs au secteur de la santé influent sur la santé. Nous devons donc examiner ces facteurs.

Nous exhortons le gouvernement à faire en sorte que tout nouvel accord comprenne des engagements significatifs à l'égard des ressources humaines, de l'infrastructure et de la capacité d'appoint. Bien que notre capacité d'intervention dans le dossier de la grippe H1N1 ait été exemplaire, nous avons pris conscience des limites de chacun sur le terrain. Bon nombre de programmes de santé publique ont été mis de côté pour y parvenir, et dans certains cas, on ne réussira pas à rattraper le retard.

En terminant, je veux vous faire part de quelques remarques générales et vous lancer un défi. Vous ne trouverez pas cela dans le mémoire. En guise de préparation pour la présente comparution, nous avons ressorti tous les mémoires que nous avons présentés à des comités parlementaires au cours des 10 dernières années. Nous avons fait essentiellement du copier-coller. J'en déduis donc que si nous avons fait des progrès, nous n'en avons pas fait assez et que nous devons faire plus et plus vite.

Ce qui me frappe, c'est que la santé publique représente encore aujourd'hui seulement 5 p. 100 du budget total en santé. Dans son rapport, le Dr Naylor parlait de 2 ou 3 p. 100. Un journaliste à qui j'ai mentionné cela m'a répondu qu'il y avait donc eu des progrès importants. Nous consacrons 5 p. 100 du budget en santé à la prévention de la maladie et au maintien de la population en santé, et nous nous étonnons d'avoir à consacrer 95 p. 100 du budget aux soins actifs et au traitement des malades. Ces données défient toute logique et c'est pourquoi il faut modifier ce rapport.

Il semble que nous soyons en mode réactif en santé publique et qu'une crise suscite un élan d'énergie. Nous réussissons à bien nous en occuper, que la crise ait pour nom SRAS, H1N1, Walkerton ou listériose. Tous les intervenants en santé publique se jettent dans la mêlée, mais quand l'élan s'évanouit, il ne se passe plus rien, et le budget de santé publique est fondu avec le reste du budget en santé. Lorsqu'on parle d'initiatives pour réduire les coûts ou de l'absence d'argent frais, je trouve qu'il est insensé de priver un secteur qui est sous-financé depuis des décennies de nouveaux investissements.

Bâtir une société productive et en santé prend des décennies. Il faut pour ce faire un engagement politique, l'engagement d'organisations comme la nôtre, qui s'étire sur des décennies. Voilà le défi que le Parlement, le Sénat et nous tous qui travaillons avec diligence dans le secteur de la santé devons relever. C'est ce qu'il faut pour provoquer un changement véritable.

Nous avons déjà toutes les réponses. Comme vous le savez, le rapport produit par le Sénat en 2009 était génial. Si toutes les recommandations qu'il contient étaient mises en œuvre, nous ferions des progrès phénoménaux. Si les recommandations contenues dans le rapport de l'ACSP étaient mises en œuvre, nous ferions des progrès phénoménaux. Le défi qui se présente à notre nation est de réussir enfin à mettre en œuvre ces solides recommandations.

Je termine enfin en vous demandant de réfléchir à ce qui suit. Les données indiquent que l'espérance de vie moyenne des Canadiens s'est accrue de plus de 30 ans depuis les années 1900 et que les avancées dans le domaine de la santé publique comme l'immunisation, la salubrité de l'eau, et cetera, ont permis à elles seules de l'accroître de 25 ans. Si nous voulons conserver nos acquis et poursuivre sur notre lancée, nous devons nous assurer que la prévention de la maladie et la santé publique seront au cœur de tout nouvel accord sur la santé.

J'aimerais ajouter enfin que ce que nous pouvons tous faire pour nous protéger, pour protéger les membres de notre famille et tous ceux qui nous entourent, c'est de nous faire vacciner contre la grippe le plus tôt possible.

Karen Cohen, chef de la direction, Société canadienne de psychologie : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, d'avoir invité la SCP à comparaître aujourd'hui. Comme vous le savez sans doute, la SCP est une association professionnelle de psychologues. Nous sommes environ 18 000 praticiens réglementés au Canada, ce qui fait de nous le plus important groupe de fournisseurs de soins spécialisés et réglementés en santé mentale au pays. Je vais tout d'abord vous parler de notre point de vue sur la mise en œuvre de l'accord de 2004 et vous parler ensuite du rôle des facteurs psychologiques dans la santé.

Le président : Je vous demanderais de ralentir votre exposé, car nos interprètes ont de la difficulté à vous suivre.

Mme Cohen : En ce qui a trait aux ressources humaines dans le secteur de la santé, les discussions qui ont eu lieu depuis 2004 ont évolué pour porter principalement aujourd'hui sur l'offre par rapport au besoin. Il est très important que nous examinions les besoins des collectivités en matière de santé mentale et de promotion de la santé et que nous y répondions de façon économique et cliniquement efficace. Nous aimerions souligner, par ailleurs, qu'améliorer l'accès ne veut pas dire seulement réduire les temps d'attente pour les services financés par l'État, mais aussi élargir l'accès aux services qui ne sont pas financés par l'État, car il s'agit là d'un problème grave en santé mentale. L'accord de 2004 traite des problèmes de santé mentale dans le contexte des soins à domicile, alors que la plupart des problèmes de santé mentale dont souffrent les Canadiens, notamment l'anxiété et la dépression, nécessitent un autre type d'intervention. Les traitements et les services d'aide psychologiques ou autres offerts au sein de la collectivité sont en effet mieux indiqués dans ce cas.

Finalement, en santé mentale, il est très important d'investir dans la recherche, mais il faut couvrir l'ensemble du spectre, soit les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Ces divers facteurs exercent toujours une influence, qu'une personne souffre d'un problème de santé mentale ou autre.

Pour promouvoir la santé et prévenir la maladie, nous avons besoin naturellement de mettre en place des services et d'offrir du soutien à cette fin. Vous savez tous, toutefois, qu'il est plus facile de construire un centre de loisirs que d'amener les gens à l'utiliser. Bien des facteurs influent sur les habitudes de vie d'une personne, et ces facteurs sont souvent de nature psychologique. Une bonne santé rime avec estime de soi, réseau social, éducation et soins parentaux, de même qu'avec saines habitudes de vie. Piètre santé rime avec piètre santé mentale. De nombreuses maladies chroniques, comme les maladies du cœur, le diabète et les accidents vasculaires cérébraux, sont des facteurs de risque de la dépression. La dépression est elle-même un facteur de risque d'une première crise cardiaque et de crises récurrentes. Un Canadien sur 20 souffrira d'un trouble mental au cours d'une année donnée. Dans 70 p. 100 des cas, et le Dr Manion vous donnera assurément plus de détails à ce sujet, ces troubles apparaissent avant l'âge adulte. La dépression est la maladie dont les coûts croissent le plus rapidement. En 2003, son fardeau économique était évalué à 51 milliards de dollars.

Les données indiquent que la meilleure façon de rentabiliser les investissements en santé mentale et dans la promotion de la santé mentale est d'investir dans les services et le soutien offerts aux enfants et aux jeunes pour réduire les troubles des conduites et la dépression, améliorer les compétences parentales, lutter contre l'intimidation et la stigmatisation, promouvoir la santé dans les écoles et offrir du dépistage dans le cadre des soins primaires. Il est à noter toutefois que les efforts en matière de promotion de la santé et de prévention de la maladie profitent également aux personnes souffrant d'une maladie, et entre les deux. En effet, une santé mentale positive et de saines habitudes de vie permettent non seulement de demeurer en santé, mais elles aident également une personne à gérer une maladie chronique. Certains d'entre nous souffriront de ce genre de maladie un jour.

Certaines personnes souffrant de troubles mentaux auront besoin de traitements, et il leur sera difficile de les obtenir. Les services offerts par les psychologues ne sont pas couverts par les régimes provinciaux d'assurance-maladie et ne sont pas suffisamment accessibles pour les gens qui n'ont pas d'assurance ou ont un revenu modeste. Certains pays ont pris conscience de ce problème. C'est le cas notamment du Royaume-Uni qui a investi environ 400 millions de livres pour faciliter l'accès aux thérapies psychologiques, ainsi que de l'Australie, qui a facilité l'accès à des psychologues dans le cadre de ses régimes publics d'assurance-maladie.

Voici les quelques recommandations que nous avons à vous faire. Premièrement, instaurer des transferts ciblés pour les soins en santé mentale qui sont proportionnels au fardeau de la maladie au Canada. Deuxièmement, promouvoir la santé et prévenir la maladie en amont, en ciblant les enfants et les jeunes. Troisièmement, faire en sorte que les interventions en santé et en maladie mentales soient axées sur la collaboration et intégrées entre les secteurs public et privé afin d'inclure les bailleurs de fonds, les organisations chargées de la prestation des services, les professionnels de la santé qui dispensent les soins et ceux qui les reçoivent. Quatrièmement, insister sur l'importance de mener des recherches qui couvrent l'ensemble des déterminants biologiques, psychologiques et sociaux et des traitements en santé mentale. Enfin, nous demandons au gouvernement et autres bailleurs de fonds d'améliorer l'accès à des services psychologiques opportuns pour les gens qui en ont besoin.

Ian Manion, directeur exécutif, Centre d'excellence de l'Ontario pour la santé mentale des enfants et des adolescents : Je tiens à vous remercier de reconnaître l'importance de la santé mentale des enfants et des adolescents dans tout dialogue sur la santé. À mon avis, nous avons fait des progrès remarquables depuis l'accord de 2004. Nous avons entendu parler d'un grand nombre de réalisations formidables. Je crois, cependant, que la situation a évolué. Nous croyons aussi que le dialogue entourant la santé mentale en général, et la santé mentale des enfants et des adolescents en particulier, a pris de l'importance et qu'il devrait faire partie de l'accord de 2014.

Nous avons plusieurs recommandations à vous faire. Elles sont toutes incluses dans le mémoire, mais je vais les mentionner rapidement. La première recommandation consiste à aborder les inégalités présentes dans le système de santé canadien en désignant la santé mentale des enfants et des adolescents comme une priorité explicite dans l'accord sur la santé de 2014, en plus d'y consacrer des fonds pour la réforme et l'innovation en fonction de résultats mesurables. En effet, 50 p. 100 des adultes souffrant de problèmes de santé mentale affirment que leurs problèmes sont apparus avant l'âge de 14 ans, et 70 p. 100, avant l'âge de 18 ans. Au Canada, nous savons que le fardeau économique des problèmes de santé mentale est évalué à 51 milliards de dollars par année, et que ces problèmes débutent à l'enfance et à l'adolescence. À bien des égards, la santé mentale des enfants et des adolescents est probablement le meilleur baromètre pour mesurer la santé et le bien-être d'une nation. En ce qui a trait à la santé mentale des enfants, nous pouvons de moins en moins dire que nous effectuons un bon travail en matière de soins et de prévention.

Notre deuxième recommandation est d'accroître les investissements dans la recherche en santé mentale, en mettant immédiatement l'accent sur la recherche appliquée en santé mentale des enfants et des adolescents. Nos conversations avec les familles et les prestataires de soins nous ont appris qu'ils veulent avoir à leur disposition des outils efficaces, qui s'appuient sur la recherche, pour les aider à répondre aux besoins des familles pour toute la gamme des soins, de la prévention au dépistage précoce à l'intervention et, eh oui, jusqu'au traitement des maladies chroniques. On constate de plus en plus que les enfants qui souffrent de maladie mentale deviennent des adolescents et des adultes avec les mêmes problèmes. Nous pouvons donc alléger le fardeau qui en découle par un dépistage précoce.

Notre troisième recommandation consiste à mettre en place un système pancanadien de surveillance de la santé mentale des enfants et des adolescents afin d'obtenir continuellement des données fiables sur l'incidence et la prévalence à l'échelle nationale afin d'appuyer la prise de décisions éclairées à tous les niveaux. À l'heure actuelle, la prise de décision repose sur des données qui datent des années 1980, et qui proviennent dans la plupart des cas d'études régionales et non pas nationales. Nous ne disposons pas de données fiables qui nous permettraient de bien mesurer l'étendue du problème. Nous ne pouvons pas planifier les besoins en ressources humaines en santé mentale sans avoir des données à jour, et nous ne pouvons pas savoir si nos interventions portent des fruits sans avoir des données intégrées, en particulier sur la santé mentale des enfants et des adolescents.

La quatrième recommandation consiste à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie nationale de prévention du suicide appuyée par une gamme complète de services de santé mentale basés sur des données probantes. Nous savons qu'à peu près 25 p. 100 des enfants et des jeunes nous signalent qu'ils ont des pensées suicidaires ou que la question du suicide les préoccupe énormément. Dans 90 p. 100 des cas de suicide chez les jeunes, nous pouvons reconnaître qu'une maladie mentale faisait partie de l'enchevêtrement complexe des facteurs qui ont contribué à leur suicide. Dans notre communauté, on en discute quotidiennement. On ouvre le journal, et on ne peut s'empêcher de remarquer que, faute d'outils efficaces pour affronter sa maladie mentale ou les autres stress de sa vie, une autre personne s'est suicidée. Il est temps que nous fassions quelque chose d'important dans le domaine de la prévention du suicide.

Finalement, nous recommandons d'élaborer et de mettre en œuvre un programme d'éducation parentale universel. À bien des égards, c'est en dotant les parents des outils dont ils ont besoin pour s'occuper de leurs enfants et de leurs adolescents à tous les niveaux et pour gérer les périodes de transition que ces jeunes doivent traverser lorsqu'ils entrent à l'école primaire, lorsqu'ils passent de celle-ci à l'école secondaire et lorsqu'ils quittent l'école secondaire et deviennent des adultes que l'on obtient les meilleurs résultats, et ce, tant en santé qu'en santé mentale. Les parents réclament de l'aide à cor et à cri, pas seulement lorsque les choses se gâtent à un point tel qu'ils sont dépassés, mais aussi au début, lorsqu'ils doivent assumer leur rôle premier d'enseignant et de fournisseur de soins auprès de leurs enfants. Je vous remercie infiniment d'avoir pris le temps de m'écouter, et je vous souhaite beaucoup de chance dans votre important travail.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de vos exposés. J'aimerais examiner davantage la Stratégie pancanadienne intégrée en matière de modes de vie sains, d'abord avec l'aide du Dr David Butler-Jones, mais aussi avec l'aide de qui que ce soit d'autre qui souhaiterait aborder la question. Je crois comprendre qu'elle comporte trois objectifs à atteindre d'ici 2015, soit augmenter de 20 p. 100 la proportion de Canadiens qui font des choix alimentaires sains, augmenter de 20 p. 100 la proportion de Canadiens qui pratiquent régulièrement une activité physique et augmenter, aussi de 20 p. 100, la proportion des Canadiens ayant un poids normal, selon l'indice de masse corporelle ou l'IMC. Pouvez-vous me dire comment nous nous y prenons à cet égard? Sommes-nous en bonne voie d'atteindre ces objectifs d'ici 2015? Quels progrès avons-nous accomplis jusqu'à maintenant?

Dr Butler-Jones : La réponse est tout simplement non, et cela fait partie du problème.

Ces objectifs ne sont pas les nôtres. Les différentes administrations s'entendent pour reconnaître que ce sont les défis à relever. Comme je l'ai dit auparavant, c'est particulièrement problématique pour la génération actuelle d'enfants. Ces derniers auront des difficultés si rien ne vient modifier fondamentalement la situation qui sera la leur quand ils auront atteint l'âge adulte. Nous faisons des progrès mais, à mon avis, cela est également illustré par la déclaration sur la prévention, le cadre pour freiner l'obésité juvénile, l'accent que de nombreux groupes ministériels mettent sur cette question, l'attention qu'on dirige sur la période après la classe en collaboration avec les ministres de l'Éducation et les autres et le fait d'admettre que nous devons faire des progrès beaucoup plus importants.

Cela ne dépend pas uniquement des gouvernements; cela dépend aussi des collectivités et de l'industrie. Nous commençons à observer des changements dans l'industrie. Par exemple, McCain a reformulé tous ses produits, et d'autres entreprises ont réduit la teneur en sel et en sucre de leurs aliments. Elles ne s'en vantent pas pour ne pas effrayer les consommateurs, mais elles réduisent bel et bien la teneur en sel, en sucre, et cetera, de leurs aliments. Nous réalisons des progrès, mais nous en avons bien d'autres à accomplir. Je serais très étonné que nous atteignions ces objectifs, mais nous devons accroître nos efforts.

Le sénateur Eggleton : Comment pouvons-nous vous aider à accomplir cela? Quel genre d'impulsion pourrions-nous donner? Y a-t-il quelque chose de pertinent pour le prochain accord de 2014 que nous devrions prôner dans le cadre de notre étude?

Dr Butler-Jones : L'un des commentaires que j'entends et dont, à mon avis, se font l'écho les gens assis à cette table et ailleurs, qu'il s'agisse d'associations professionnelles, d'ONG, de ministres, de sous-ministres ou d'autres personnes, c'est que quoi que nous fassions — et pas nécessairement en ce qui concerne l'accord, mais dans les années à venir — nous serons dans le pétrin si nous ne réglons pas les problèmes liés aux soins primaires et à la santé publique. Ce n'est pas uniquement une question d'argent. Cela dépend également de la façon dont nous travaillons ensemble et en concertation.

Deux éléments ont transformé le défi que représentait le tabagisme en quelque chose de beaucoup plus positif. Premièrement, on a reconnu les effets de la fumée secondaire et déployé des efforts pour lutter contre l'exposition à la fumée. Deuxièmement, les organisations, les gouvernements, les ONG et les collectivités ont tous commencé à ramer dans la même direction. En d'autres termes, on n'a pas adopté à la fois une stratégie de lutte contre le tabagisme axée sur la santé pulmonaire et une stratégie de lutte contre le tabagisme axée sur la santé cardiaque. Les ONG ont travaillé en concertation, et les gouvernements ont collaboré avec elles, ainsi qu'avec d'autres groupes et les collectivités afin de transformer le visage du tabac.

De même, qu'il soit question d'obésité ou d'autres enjeux, certains défis sont liés au financement, tandis que d'autres ont trait à la façon dont nous affectons ou utilisons le financement dont nous disposons. Parfois, les résultats dépendent de la façon dont nous affectons nos ressources, tant financières qu'humaines, et de la façon dont nous agissons. Par exemple, lorsque l'on considère les interventions cliniques, que l'on décide d'adopter des pratiques préventives ou des lignes directrices, il n'est pas nécessaire que nous consacrions la totalité des cinq ou dix minutes de leur durée à la façon dont nous diagnostiquons et traitons la maladie en question. Nous pourrions utiliser deux de ces minutes à décrire au patient ou à la famille la façon dont cette maladie peut être évitée à l'avenir et à leur prodiguer des conseils en ce sens.

Le sénateur Eggleton : C'est ce dont il est question. Ce plan est censé être un programme préventif.

Dr Butler-Jones : Oui, mais il faut que ces préceptes soient inculqués à tous les niveaux, pas seulement par les médecins, les infirmiers ou les collectivités. Il faut que ces derniers se renforcent les uns les autres.

Par exemple, je me rappelle que, dans les premiers temps, je disais à mes patients dont les enfants souffraient de crises d'asthme ou d'otites : « Si vous voulez cesser de fumer, je peux vous aider, mais si vous vous abstenez de fumer dans la maison, vos enfants risquent deux fois moins de développer ces problèmes. » Ces moments sont propices à l'enseignement. J'ai été frappé par le degré d'efficacité de ces quelques minutes d'intervention qui était imputable au fait que les patients étaient accompagnés d'un enfant, que l'enfant était souffrant, et cetera, ainsi que par le nombre de personnes qui cessaient ensuite de fumer à l'intérieur et qui, tôt ou tard, cessaient de fumer complètement parce que leur comportement leur semblait stupide. C'est un mélange de toutes ces choses; plus particulièrement, les gouvernements, les ONG et les personnes ont un rôle à jouer. Il s'agit de donner à tous des occasions de faire des choix plus sains.

Le sénateur Eggleton : Toutefois, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.

Dr Butler-Jones : Oui, beaucoup.

Le sénateur Eggleton : La santé mentale ne faisait pas partie de cette stratégie. Je parle de cette stratégie en particulier. M. Manion nous a fourni d'excellentes recommandations concernant les jeunes. Comment pourrions-nous faire pour intégrer la santé mentale soit dans cette stratégie, soit dans l'accord sur la santé?

Dr Butler-Jones : Votre question est de nature plus politique et il m'est difficile d'y répondre. Je peux dire, toutefois, qu'il faut vraiment envisager la santé dans son ensemble. Les administrations ont tout intérêt à ce qu'ensemble, nous puissions en faire davantage, que ce soit sur le plan de la santé mentale, de la prévention ou de la promotion. Il n'y a pas et ne devrait pas y avoir de concurrence entre la prévention et les soins de santé. Si nous souhaitons obtenir les meilleurs résultats qui soient, nous devons nous demander quelles stratégies ou approches en matière d'investissement dans la prévention, la promotion, les traitements ou les soins de santé donneront les meilleurs résultats.

Le système de santé vise à améliorer la santé. On ne mesure pas sa réussite en fonction du nombre de lits et d'hôpitaux qu'il offre, mais en fonction de l'amélioration de la santé. Nous avons eu tendance à grouper ses services et à les traiter comme des entités distinctes. Si nous les envisageons comme un système, nous investirons dans les domaines qui ont été abordés aujourd'hui.

Le sénateur Eggleton : Je ne le fais pas. J'aimerais parler, entre autres, des déterminants sociaux de la santé, parce que les témoins ne cessent de soulever cette question. Ce sujet est très vaste. Il a des répercussions sur la santé et comprend tout, du logement à l'éducation, en passant par la pauvreté. Comment pouvons-nous nous assurer que le prochain accord tiendra compte des déterminants sociaux de la santé? N'importe qui d'autre peut également répondre à cette question.

Dr Butler-Jones : Les services de santé, dont ceux liés à la santé publique, font partie des éléments des divers déterminants de la santé, mais il y en a d'autres. Pour ce qui est du programme de prévention, il ne dépend pas uniquement des ministres de la Santé. Les ministres des Sports, de l'Éducation et d'autres domaines doivent également y participer, c'est-à-dire à l'échelon politique, gouvernemental et bureaucratique.

Nous venons juste de participer au sommet de Rio sur les déterminants sociaux de la santé, et la déclaration qui en a découlé vaut la peine d'être lue, parce qu'elle parle des diverses façons de mieux coordonner nos activités à chaque niveau. Ainsi, nous ne travaillerons pas à contre-courant, et nous créerons des synergies, car une population en santé est salutaire pour l'économie, et une économie prospère est salutaire pour la santé. Il s'agit là d'un cercle vertueux. En procédant à ces interventions, le secteur de la santé peut pourvoir à la santé, mais il peut aussi inviter d'autres secteurs à participer, non pas en leur ordonnant de manière impérieuse de faire quelque chose en raison de son importance pour la santé, mais plutôt en leur demandant ce qu'ils ont à offrir collectivement qui permettrait de rendre la société opérationnelle, florissante et saine. C'est à ce niveau-là que l'enjeu touche tous les secteurs, et il est absolument essentiel d'abolir à cet effet certaines des barrières sectorielles.

M. Manion : En ce qui a trait à la façon d'intégrer la santé mentale, mon point de vue concorde avec celui du Dr Butler- Jones. Chaque fois que les médecins de famille posent des questions précises dans le cadre d'un effort préventif, l'une d'elles devrait toujours porter sur la santé mentale. Il est aussi important de vérifier la santé mentale de quelqu'un que sa santé physique. Cet aspect peut être intégré à la formation de base que nous donnons. Il pourrait faire partie de chaque conversation que nous avons, de chaque vérification que nous effectuons dans les milieux de travail. Nous pourrions systématiquement nous renseigner à ce sujet. Faire de la prévention sans tenir compte de la santé mentale des personnes n'a aucun sens, tout comme exclure la santé mentale d'un bilan de santé. La santé et la santé mentale ne sont pas des éléments distincts; ce sont les deux côtés d'une même médaille.

Le sénateur Hubley : Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie des exposés que vous nous avez donnés. Ma question est dans la même veine que celle de mon collègue. Dans le Rapport sur l'état de la santé publique au Canada 2011, nous avons appris que l'Australie, la Finlande, la Suède et les États-Unis avaient élaboré des stratégies nationales de prévention du suicide. Cependant, le rapport indique qu'au Canada, on peut prévenir le suicide dans le cadre d'une stratégie pour le mieux-être plus vaste qui favorise la santé mentale, prévient la maladie mentale et tient également compte des déterminants plus généraux de la santé. Compte tenu des recommandations que nous avons entendu M. Manion émettre, croyez-vous que cette approche soit suffisamment solide? Que recommanderiez-vous que nous fassions pour cerner un peu mieux les questions de suicide dans nos systèmes de santé publique?

M. Manion : Le comble de l'ironie, c'est que les Canadiens ont aidé la plupart de ces pays à élaborer leur politique en la matière. Le Canada dispose d'une grande capacité dans ce domaine — des connaissances, des études, des experts en la matière — et aide les autres à élaborer leurs politiques depuis des années. Je pense qu'il est nécessaire d'avoir une politique de lutte contre le suicide solide qui est adaptée à tous les Canadiens, quel que soit leur âge, mais qui met l'accent sur les jeunes. Toutefois, c'est insuffisant.

Le meilleur moyen de prévenir le suicide est de posséder des systèmes de soins solides qui cherchent à offrir une gamme complète de services d'appui. En prévenant la maladie mentale, on réduit le taux de suicide. Lorsqu'on renseigne les jeunes sur la santé et le bien-être et qu'on leur donne les outils dont ils auront besoin pour faire face aux périodes difficiles, on a en fait une énorme incidence sur le suicide. Pour ce qui est des déterminants de la santé, en réduisant les mauvais traitements et les traumatismes à l'aide de programmes d'éducation parentale efficaces, on a également un effet sur le suicide.

En plus de développer une stratégie particulière pour lutter contre le suicide, nous devons saisir la façon dont toutes les autres facettes de la santé contribuent à une situation qui pourrait pousser quelqu'un à se suicider. Nous ne pouvons pas orienter tous nos efforts dans une seule direction. Nous devons adopter une approche globale et signaler clairement que nous ne tolérerons pas les taux de suicide que nous observons partout au pays, en particulier au sein de certains groupes ou de certaines communautés. Nous devons être en mesure de faire beaucoup mieux que cela.

Dr Butler-Jones : Je crois que j'aurais pu dire la même chose; tout se produit dans un certain contexte. L'étude indique que, par exemple, le suicide chez les adolescents représente un énorme défi dans beaucoup de réserves.

Toutefois, à l'époque de l'étude de cette question, il n'y avait pratiquement plus de suicides dans les collectivités qui exerçaient un plus grand contrôle — celles qui participaient activement aux négociations sur les revendications territoriales et qui avaient un droit de regard sur les services de santé, la police, l'éducation, et ainsi de suite. Ce qui m'a étonné, en ce qui a trait aux déterminants sociaux — les besoins essentiels tels que les logements, et cetera —, c'est le fait que des collectivités pauvres ont un très bon bilan, alors que d'autres collectivités plus riches en ont un moins bon.

Dès que les gens disposent de ce dont ils ont essentiellement besoin, deux questions qui se posent à leur sujet peuvent faire une différence fondamentale. Premièrement, ont-ils le sentiment d'être maîtres de leur propre destinée, de pouvoir améliorer leurs perspectives d'avenir, et dans ce cas, vont-ils s'employer à se bâtir un meilleur avenir? Et deuxièmement, y a-t-il des gens qui les aiment et qu'eux-mêmes aiment? Une réponse négative à ces deux questions réduit chez les adolescents, les enfants, et même chez les adultes, les chances d'être en bonne santé.

Le sénateur Champagne : Ce matin, j'ai lu un article qui mentionne que les jeunes visitent beaucoup de sites web où ils trouvent des explications sur la façon de réussir un suicide. Le gouvernement devrait-il interdire ces sites ou prendre des mesures à leur encontre? J'en étais préoccupée ce matin et puisque vous soulevez de nouveau la question du suicide, je me suis dit que c'était une initiative que nous pourrions recommander au gouvernement.

Dr Butler-Jones : C'est probablement une question qui relève du ministère de la Justice. En ce qui me concerne, ces sites font de l'incitation au suicide. Je croyais que c'était illégal au Canada.

Le problème des sites web — qu'ils décrivent le procédé de fabrication d'une bombe ou expliquent comment se suicider —, c'est qu'il y en a partout dans le monde. Je sais que les autorités policières étudient ce problème. Monsieur Manion, avez-vous d'autres informations précises à ce sujet?

M. Manion : Je pense que vous avez tout à fait raison. Ces sites sont surveillés de près. Ils se multiplient à une vitesse fulgurante et il est impossible de les contrôler de façon systématique.

Le meilleur investissement et la meilleure stratégie seraient de fournir aux jeunes toutes sortes de renseignements au moment crucial, c'est-à-dire avant qu'ils n'adoptent un comportement mésadapté. On obtiendrait de bien meilleurs résultats si l'on offrait des cours sur la santé mentale dans les écoles et en milieu de travail et si l'on donnait aux gens les moyens nécessaires pour composer avec la détresse ou même l'accepter.

Nous constatons que les jeunes utilisent Internet de plus en plus, mais ce qu'ils préfèrent à Internet, c'est les camarades de leur âge. Comment pouvons-nous pousser les camarades, les jeunes eux-mêmes, à trouver des solutions au problème? Je ne crois pas que quiconque ici présent puisse régler le problème des médias sociaux et de ce qu'ils offrent de négatif. Mais, si nous encourageons les jeunes à se mobiliser de façon créative, ils pourront nous dire comment utiliser Internet plus efficacement pour promouvoir la santé et le mieux-être et prévenir maladies et tragédies.

Le sénateur Hubley : Je voudrais faire une petite observation à ce sujet. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, qui est un endroit idyllique pour passer son enfance et son adolescence, le suicide chez les jeunes est la deuxième cause de décès après les morts par accident. J'ai du mal à le croire.

M. Manion : Nous savons que dans l'ensemble du Canada, le suicide est la deuxième cause de décès après les accidents, mais également que le risque de décès par suicide est, pour diverses raisons, plus élevé dans les collectivités rurales. Nous savons que le suicide est souvent la cause de décès des hommes jeunes, mais les jeunes femmes pensent plus à se suicider et commettent plus fréquemment des tentatives de suicide.

C'est une question fort complexe. Non seulement nous devons comprendre les variables — qui font l'objet de beaucoup de recherches —, mais nous devons aussi faire des recherches pour trouver des solutions, des programmes efficaces de prévention du suicide, pour intervenir a posteriori dans les collectivités quand le risque augmente et pour comprendre les raisons sous-jacentes qui font que ce problème touche certaines collectivités.

Je connais les études mentionnées par le Dr Butler-Jones. Ce n'est pas un certain type de collectivité qui sera à risque; il y a des éléments propres à une collectivité qui peuvent la protéger mais qui la mettent aussi en danger. Nous savons qu'un certain nombre de facteurs ruraux augmentent le risque, même dans des endroits idylliques.

Le sénateur Merchant : Si les objectifs du système des soins de santé sont d'assurer une meilleure santé, de maintenir les gens dans le meilleur état de santé possible et de leur fournir rapidement et à moindre coût les soins de qualité dont ils ont besoin quand ils en ont besoin, il nous faudra alors chercher des innovations.

D'autres personnes nous ont parlé de modèles multidisciplinaires. À votre connaissance, y a-t-il actuellement des projets pilotes qui nous aideraient à incorporer des systèmes plus efficaces dans le prochain accord?

Dr Butler-Jones : Ma première spécialité au Canada était paradoxalement la médecine familiale. Dans les années 1970, j'ai appris à travailler dans un environnement multidisciplinaire, dans lequel les travailleurs sociaux, les psychologues, les médecins, le personnel infirmier praticien, et cetera, travaillaient ensemble et mettaient à profit leurs compétences en misant sur la prévention pour prévenir les problèmes. Nous collaborions étroitement avec les organismes locaux chargés de la santé publique pour établir un lien entre nos activités de prévention en clinique et dans la collectivité.

Cependant, les gens ont commencé à exercer la médecine en fixant leurs honoraires à l'acte sans pouvoir facturer les services du personnel infirmier praticien. Les écoles des sciences infirmières se sont soudainement trouvées à court d'étudiants.

Un certain nombre de centres de soins communautaires, des bons et des moins bons, offrent des soins multidisciplinaires, mais beaucoup de modèles sont mis en œuvre au Canada pour obtenir de bons résultats dans ce domaine.

Je crois que l'ancien sénateur Keon, et peut-être le sénateur Eggleton, faisaient un peu référence à Cuba. Sans vouloir défendre le système cubain, s'il y a une chose qu'il fait bien, c'est d'établir un lien entre tous les niveaux de prestations de soins de santé. Le système n'est pas organisé en services cloisonnés. Les soins primaires sont assurés par un médecin et un infirmier ou une infirmière. Pour des soins plus complexes, il faut aller dans une polyclinique ou un hôpital, si cela est nécessaire.

Au niveau des soins primaires, le patient est classifié selon qu'il a une maladie chronique ou des facteurs de risque, et des protocoles sont en place pour assurer l'accès à ces soins. Des critères d'admissibilité aux soins sont prévus en cas de pénurie de pénicilline; il y a des programmes de prévention. C'est un système qui est plus intégré. Sur ce plan, nous pourrions apprendre quelque chose.

Nous voyons des éléments et des exemples de ce système partout au pays. Le Collège des médecins de famille du Canada, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada et d'autres associations professionnelles ont énormément écrit à ce sujet. Il y a beaucoup de preuves probantes et de bons travaux que nous pourrions utiliser.

Encore une fois, le système ne fonctionne pas en vase clos. Au Canada, nous sommes passés à la prestation de soins spécialisés; chaque maladie a son spécialiste. Je pense que les bons médecins généralistes peuvent traiter la plupart des symptômes, établir les bons liens et voir le patient comme un tout, comme faisant partie d'une famille et d'une collectivité, et ne pas le voir seulement comme un corps humain. C'est l'un des plus grands défis à relever au Canada.

Les écoles de médecine et d'autres établissements commencent à former de plus en plus de médecins de famille et les différentes disciplines sont mieux intégrées dans des équipes, et ainsi de suite. Toutefois, nous ne sommes pas formés pour travailler en équipe, nous sommes formés pour travailler en vase clos et individuellement.

Il existe une véritable volonté d'une plus grande intégration des différentes disciplines. Nous constatons qu'il y a beaucoup de progrès dans ce domaine. En particulier, les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à faire de la médecine et de la médecine familiale et elles sont plus enclines à exercer leur métier dans des zones rurales.

Cependant, le personnel infirmier praticien ne peut pas prendre la place du médecin. Le personnel infirmier praticien a ses propres compétences qui sont utiles en zone urbaine, en zone rurale et partout ailleurs. Il s'agit de rassembler les compétences, d'offrir des soins appropriés aux patients et d'avoir un système de soins de santé qui puisse offrir des soins plus complexes au besoin.

Je vous donne un dernier exemple. J'enseignais la médecine de famille. Si j'étais préoccupé par l'état de santé d'un de mes patients, je téléphonais au chirurgien, à l'interniste ou à tout autre responsable, pour lui faire part de mon diagnostic et du traitement que j'avais prescrit. Ce spécialiste voyait mon patient le jour même ou le jour suivant. Les patients qui devaient vraiment voir un médecin ne passaient pas par la liste d'attente.

Les autres patients pouvaient attendre de trois à six semaines ou plus. On leur demandait de revenir si leur état de santé empirait. Encore une fois, il faut considérer qu'il s'agit d'un système de soins de santé et pas d'une consultation de quelques minutes avec un patient. Il s'agit de trouver le moyen d'intégrer cette façon de procéder au système et savoir ce qui se passe dans la collectivité en matière de santé publique et de prévention.

Le sénateur Merchant : On nous a dit que ce qui importe est la façon dont nous gérons nos services et pas forcément le fait que le système nécessite plus d'argent. Je pense qu'il ne faut pas oublier cela parce que nous pouvons injecter beaucoup d'argent dans le système sans nécessairement obtenir les résultats escomptés.

Dr Birtwhistle : Je voudrais donner un avis personnel à titre de médecin de famille faisant partie d'une équipe soignante composée d'infirmiers praticiens, d'infirmiers, d'un pharmacien, d'un travailleur social et d'un diététiste. Cette équipe a rendu mon travail beaucoup plus facile. Je suis convaincu que nous prodiguons des soins de meilleure qualité. Prenons par exemple le tabagisme. Je peux en parler à mes patients et je le fais souvent, mais notre équipe a mis sur pied un programme qui offre du soutien, un service d'assistance téléphonique et des médicaments à ceux qui en ont besoin. L'équipe est très efficace sur le plan des relations avec les services de santé publique et d'autres services. Les modèles de soins de première ligne ont une importance cruciale pour organiser le tout. Les résultats de cette équipe très coûteuse ne sont pas encore évidents du fait qu'on commence tout juste à en mettre en place au pays. Cependant, je pense que nous devrions encourager la réflexion sur un modèle de soins de ce genre pour l'avenir.

M. Manion : Je suis d'accord. La solution n'est pas de simplement injecter plus d'argent dans le système, il faut savoir comment utiliser cet argent. Les équipes de santé familiale sont un exemple remarquable. De bonnes études leur sont consacrées. Savons-nous quelles compétences cette équipe doit avoir dans les différentes provinces? Disposons- nous de suffisamment de ressources humaines qui ont ces compétences? Formons-nous suffisamment de travailleurs sociaux, de psychiatres et de psychologues pour pouvoir répondre aux besoins dans les provinces? Nous n'avons pas de plan national sur les ressources humaines dans le secteur de la santé sur lequel nous appuyer pour déterminer si les compétences que nous créons donneront aux équipes les moyens de répondre globalement aux besoins en matière de santé des habitants des diverses collectivités.

Mme Lynkowski : Je voudrais dire rapidement qu'au-delà du cadre de l'équipe de soins de santé, c'est au niveau de la collectivité que sont résolus les problèmes liés aux déterminants sociaux et aux inégalités en matière de santé. Un certain nombre de collectivités ont des programmes exemplaires à cet égard. Je pense que cette réussite est due aux rapports qui sont établis et qui vont au-delà de l'approche systémique. Ils tiennent vraiment compte du niveau d'études et du revenu des personnes, et les collectivités travaillent ensemble pour s'attaquer bien à l'avance aux causes d'un problème au lieu d'attendre que le problème se manifeste et de réagir après coup.

Le sénateur Siedman : Je voudrais m'arrêter davantage sur les problèmes de santé mentale chez les jeunes et les enfants. Vous savez peut-être qu'il y a seulement deux semaines, le Dr Robert Boulay, président du Collège des médecins de famille du Canada, a témoigné devant le comité. Au cours de la séance, je lui ai posé une question sur l'exposé de principes publié en 2010 par le Collège des médecins de famille du Canada et l'Association des psychiatres du Canada. Cet exposé présentait une stratégie de partenariat entre les prestataires de soins primaires et ceux de santé mentale, qui comprenait l'intégration des services de santé mentale dans le contexte des soins primaires. Je cherchais à savoir dans quelle mesure les services de santé mentale peuvent être intégrés aux soins primaires et savoir aussi quels obstacles nous allions rencontrer. Je m'intéressais particulièrement à la santé mentale chez les jeunes et les enfants. J'ai demandé aux témoins d'axer leurs réponses sur ce sujet. Vous pouvez comprendre alors ma surprise d'entendre le Dr Boulay répondre candidement :

Au Canada, les Services de santé mentale des enfants et des jeunes ne sont pas loin d'une gêne nationale. Nous devons pousser dans ce domaine.

Cette déclaration était franche et très émouvante. J'espère que vous pouvez, grâce à votre expertise, nous aider à comprendre les obstacles auxquels nous nous heurtons et nous expliquer comment un accord à venir sur la santé pourrait s'attaquer aux défis qui se présentent dans ce domaine.

M. Manion : Merci pour votre question. Je pense que votre citation montre très bien qu'il y a une gêne. Il y a plusieurs obstacles. Le fait que la population canadienne ne croit pas que les enfants et les jeunes puissent souffrir de maladies mentales constitue l'un des obstacles que nous rencontrons le plus souvent. Les Canadiens ne croient pas que les enfants souffrent de maladies mentales. Ils ne comprennent pas que la majorité des personnes qui seront atteintes d'une maladie mentale qui durera toute leur vie commencent à en ressentir les effets dès l'enfance et l'adolescence.

L'autre chose au sujet des enfants et des jeunes, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul secteur. Nous ne pouvons pas parler seulement de la santé et des soins primaires. Nous ne pouvons pas examiner ces besoins sans faire référence à l'éducation, au bien-être des enfants, à la justice et aux loisirs pour les jeunes. Malheureusement, chacun de ces secteurs a une terminologie, une culture, des entraves et des politiques qui lui sont propres. Tous ces facteurs différents sont des entraves pour l'intégration, les soins holistiques et les mesures préventives. Nous devons développer une terminologie commune et une compréhension à l'échelle nationale de la pertinence de la santé mentale pour les enfants et les jeunes. Nous devons comprendre aussi que nous avons l'occasion de prendre d'importantes mesures préventives au niveau de l'école primaire, de l'école secondaire et des périodes de transition critiques. C'est quelque chose que nous devons commencer à comprendre et à enseigner dans toutes les professions, à tous ceux qui travaillent avec des enfants, comme les policiers, les dentistes et les enseignants. Ils ont tous un rôle à jouer. C'est ainsi que nous aurons l'effet escompté et une meilleure appréciation d'un système qui offre des soins holistiques.

Dr Butler-Jones : Un comité sénatorial et un examen précédents sont à l'origine de l'étude de ces questions par la Commission de la santé mentale. Je pense que c'est quelque chose de vraiment important.

Pour revenir à l'intégration, notre esprit n'est séparé ni de notre corps ni de notre culture. Nous devons adopter une approche globale pour pouvoir établir un lien entre les problèmes de santé mentale et les problèmes de santé physique qui touchent d'autres groupes.

Les enfants constituent l'un de ces groupes, mais nous supposons tout simplement qu'ils n'auront aucun problème. Un autre groupe est composé de personnes atteintes de maladies chroniques ou qui souffrent de douleur chronique et de leurs effets sur la santé mentale. Nous avons tendance à centrer nos efforts sur les maladies physiques sans même parfois tenir compte des préjudices mentaux qui les accompagnent. Les professionnels et les collectivités ont une excellente occasion de travailler ensemble d'une manière différente qui profitera en fin de compte à tout le monde.

Mme Cohen : Comme l'a dit M. Manion, le dépistage précoce de troubles chez les enfants et les jeunes ne se fait pas seulement au stade des soins primaires. Il faut attribuer des ressources dans les écoles et dans les collectivités où vivent les enfants et les jeunes et où il y a de plus fortes chances de dépister le plus tôt possible ce genre de troubles. Le problème se pose au chapitre du mode de prestation des soins de santé. Les travailleurs sociaux et les psychologues forment la majeure partie des fournisseurs de services spécialisés de santé mentale; or, ces services ne sont pas subventionnés. Lorsque le paiement à l'acte s'applique, il est plus difficile d'avoir accès aux soins en temps opportun, et un sentiment de stigmatisation vient s'ajouter.

Le sénateur Seidman : Vous soulevez des points intéressants. Auriez-vous quelque chose de précis à proposer dans le cas où nous envisagerions, par exemple, d'élargir l'accès aux services, de réduire les délais d'attente, de perfectionner les connaissances et d'améliorer la formation des travailleurs de la santé — vous en avez déjà parlé me semble-t-il — et d'améliorer aussi les autres modèles de soins et la formation des autres professionnels qui peuvent offrir le genre de programmes auxquels vous avez fait référence?

M. Manion : On a travaillé fort pour améliorer l'accès et les temps d'attente relativement aux interventions en médecine générale. On cherche de plus en plus à appliquer ces connaissances aux questions de santé mentale. Malheureusement, les gens comprennent mal la santé mentale ou les soins afférents et exigent souvent de rencontrer un fournisseur de soins hautement spécialisé dès que possible, ce qui engorge le système. Le Canada ne compte pas beaucoup de psychiatres pédiatriques spécialisés dans la santé mentale de l'enfant et de l'adolescent, mais il ne faut pas nécessairement consulter un tel spécialiste pour toute question de santé mentale. Ils sont là pour traiter certains problèmes. Les intervenants communautaires en matière de santé, des psychologues et des travailleurs sociaux extrêmement compétents, peuvent répondre à toute une gamme de besoins et contribuer ainsi à désengorger le système. Or, je pense qu'il faut que les différents fournisseurs de soins se comprennent et se respectent mutuellement, mais ce n'est pas le cas pour toutes les raisons que j'ai mentionnées, y compris le manque de formation réciproque. Nos professionnels n'apprennent pas à comprendre les autres professions. On leur enseigne à travailler de façon isolée, mais après leurs études, on s'attend à ce qu'ils se mettent à travailler en équipe comme par magie. Cela doit changer.

Le sénateur Martin : J'ai tellement de questions. Je vais essayer de m'en tenir à l'accord de 2004 sur les soins de santé. En ce qui concerne la santé mentale ainsi que les besoins et les soucis grandissants des Canadiens à ce sujet, croyez-vous que l'accord a influencé le cours des choses? Malgré notre piètre rendement, l'accord nous a-t-il permis de nous améliorer en matière de santé mentale? Sinon, que devrait contenir le prochain accord? J'aimerais savoir sur quoi le libellé devrait mettre l'accent. Je pense que nous devons examiner cette question particulière; nous sommes tous d'accord. Ma première question porte donc sur les effets de l'accord de 2004 sur les soins de santé, et sur le libellé du prochain accord.

M. Manion : L'accord de 2004 parlait très peu de santé mentale explicitement. Il fractionnait la notion dans divers sujets, ce qui empêchait d'avoir une vue d'ensemble des mesures cohésives et bien ciblées à adopter.

On a dit tout à l'heure que d'autres comités sénatoriaux se sont intéressés à la question de la santé mentale. Par exemple, le rapport De l'ombre à la lumière a mené à la création de la Commission de la santé mentale du Canada, qui a énormément fait progresser le dialogue national, à mon avis. On attend toujours les recommandations et le plan de la commission, mais l'accord de 2014 ne peut pas attendre. Il faut absolument en discuter dès maintenant.

Bien honnêtement, je suis un peu déçu de constater que dans les différents témoignages et études, on essaie d'aborder la santé mentale de façon détournée plutôt que d'y accorder la priorité. C'est ainsi depuis longtemps. La santé mentale doit être au centre de nos préoccupations, sans quoi elle demeurera toujours le parent pauvre de la santé.

Mme Cohen : Une des initiatives créées depuis 2004 est le Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, financé par Santé Canada; j'ignore s'il découlait directement de l'accord ou non. Ce fonds comportait deux volets. D'une part, il favorisait les soins interdisciplinaires parmi les différents fournisseurs. L'autre volet était l'Initiative canadienne de collaboration en santé mentale, qui se penchait plus particulièrement sur la collaboration dans les soins de santé mentale.

Depuis, on parle beaucoup plus de l'importance de la collaboration en santé mentale, dans l'offre d'un service responsable et efficace. Comme l'a dit le Dr David Butler-Jones, il est maintenant plus communément admis que travailler en collaboration facilite la tâche des fournisseurs de soins puisque chacun peut compter sur la compétence de l'équipe. Ce qui nous ralentit, ce sont les barrières. Nous savons comment nous améliorer, mais l'infrastructure nous empêche de le faire.

Dr Butler-Jones : Même si ce n'est pas attribuable à l'accord, je pense que la santé mentale a gagné en visibilité grâce à la Commission de la santé mentale du Canada, aux investissements en recherche et à la teneur des discussions actuelles. On parlait beaucoup moins de santé mentale lors de la rédaction du libellé de l'accord. C'est peut-être cette faible visibilité qui a donné lieu aux nouvelles discussions orientées vers l'avenir.

Le sénateur Martin : C'est sur ce genre d'obstacles que porte ma question. Par où commencer pour les supprimer ou les surmonter? L'accord peut-il résoudre une bonne partie du problème?

Docteurs Butler-Jones et Birtwhistle, vous avez parlé de centres multidisciplinaires polyvalents qui offrent les services de soins de santé dont nous avons besoin. Nous savons qu'il y en a et que nous devons aller dans cette direction. Pour ma part, j'ai dû aider mon père à s'y retrouver entre les nombreux spécialistes du système médical. Puisque j'ai moi-même du mal à le comprendre, je reconnais l'importance d'emprunter cette voie pour aider les patients. Comment pouvons-nous effectuer la transition? L'accord peut-il nous simplifier la tâche d'une certaine façon? Nous savons ce qu'il faut faire.

Dr Butler-Jones : Je pense que c'est une question qui mérite d'être posée. Vous pourrez donner votre avis sur la façon de réaliser la transition dans l'accord lui-même. Je pense que c'est essentiel.

Or, nous sommes aux prises avec des problèmes structurels. Par exemple, il y a plusieurs années, j'étais responsable de la réforme des soins primaires en Saskatchewan. L'un des principaux obstacles, c'est qu'aucun médecin ou professionnel de la santé n'était prêt à travailler en équipe, à utiliser un autre modèle de paiement, et ainsi de suite. La réglementation de la Saskatchewan obligeait les jeunes diplômés ou les nouveaux arrivants de la province à commencer par la rémunération à l'acte avant d'adopter le nouveau modèle de paiement. C'est un obstacle structurel fondamental.

Dans certains systèmes, le médecin demande au patient de lui parler d'un seul problème de santé par manque de temps. Comment un patient ayant quatre ou cinq problèmes de santé peut-il en choisir un seul? Il faut plutôt procéder comme le Dr Birtwhistle et ses collègues, c'est-à-dire examiner tous les problèmes du patient avant de prendre une décision. Il se peut que le médecin n'ait pas le temps de tout régler en un seul rendez-vous. Mais comment peut-on demander au patient de déterminer son problème prioritaire? Lorsqu'un patient doit uniquement renouveler sa prescription habituelle, pourquoi doit-il prendre rendez-vous, s'absenter du travail et trouver un stationnement s'il gère bien sa pression artérielle à la maison, par exemple?

Il s'agit donc de quelques exemples de problèmes structuraux découlant des systèmes que nous avons conçus.

Nous avons maintenant l'occasion de prendre du recul. On constate un véritable désir d'améliorer l'efficacité du système dans les discussions entourant l'accord, indépendamment de la suite des choses.

Le sénateur Martin : Il serait merveilleux de savoir quelles sont les barrières structurelles. Nous pourrions par exemple essayer de supprimer 40 p. 100 d'entre elles. Je sais que c'est impossible, mais j'aimerais que vous nous les montriez du doigt. Docteur Butler-Jones, nous vous serions très reconnaissants de nous dresser une liste de barrières structurelles pour notre rapport. Je suis certaine que la liste est longue, mais pourriez-vous en nommer quelques-unes?

Dr Butler-Jones : Vous voulez une liste de plus. Par exemple, le Collège des médecins de famille du Canada et l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, entre autres, se sont préoccupés avant tout des enjeux entourant les soins primaires et de l'avenir. Ce qui compte, c'est ce que nous devons faire, et pas les problèmes du passé. Quel type de système répondra à nos besoins à venir?

Dans les années 1960, les responsables de la Commission royale d'enquête sur les services de santé ont parcouru le monde afin de trouver le système de santé qui nous conviendrait le mieux. Ils ont ensuite cherché à le mettre en œuvre, et c'est seulement à ce moment qu'ils ont identifié les obstacles à surmonter, le cas échéant. J'ignore s'il en a été question, mais cette idée plaît énormément aujourd'hui.

Dr Birtwhistle : L'une des barrières politiques, ce sont les médecins qui défendent leur profession comme une chasse gardée; j'espère que la situation s'améliore. Les médecins se montrent réfractaires depuis des années. C'est mieux qu'auparavant, mais le problème n'est toujours pas réglé.

Le sénateur Dyck : J'aimerais revenir sur le suicide chez les jeunes. Vous nous avez présenté des statistiques bouleversantes. Je sais que le taux de suicide est élevé chez les Autochtones, surtout au Nunavut, dans le Nord, et que d'autres groupes sont aussi exposés au risque de suicide. La population autochtone est particulièrement vulnérable, car elle est relativement jeune — la moitié des Autochtones sont âgés de moins de 25 ans — et elle augmente rapidement.

Docteur Birtwhistle, en ce qui concerne le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs et le modèle que vous nous avez présenté, comment les différents groupes peuvent-ils collaborer afin de renforcer la prévention? Existe- t-il un mécanisme qui met à contribution le personnel de l'école, les parents ou les organismes que les jeunes fréquentent après l'école? Somme toute, un jeune ne doit pas consulter son médecin de famille plus d'une ou deux fois par année, à moins d'avoir d'autres problèmes de santé. Ceux qui pensent au suicide n'en discuteront probablement pas avec leur médecin de famille puisqu'ils n'en parlent habituellement à personne.

Comment peut-on atteindre ces jeunes au moyen du système de santé? Les structures actuelles ont-elles suffisamment de portée pour déceler les premiers signes des pensées suicidaires? Peut-être pas.

Dr Birtwhistle : Je pense que vous avez très bien cerné le problème. Je ne crois pas que la solution réside nécessairement dans les soins de santé primaires ou le système de santé. Ceux-ci font peut-être partie de la solution une fois que les jeunes vulnérables ont été identifiés. Mais vous avez raison de dire que les jeunes en santé ne consultent pas souvent leur médecin ou le personnel médical. Je pense que nous devons déployer nos antennes ailleurs afin de détecter les jeunes à risque.

M. Manion : Je crois qu'il faut être prudent. Souvent, l'apparition d'un trouble de santé mentale se traduit par des symptômes physiques. Dans le cadre d'une étude, nous avons déjà interrogé des jeunes sur le risque et le suicide. Environ le tiers de ceux qui avaient déjà envisagé le suicide nous ont confié ne l'avoir jamais dit à personne auparavant, une proportion qui atteint 50 p. 100 chez les jeunes hommes. Mais ces jeunes nous en ont parlé quand même. Par conséquent, il faudrait parfois poser la question de façon explicite lors de l'examen médical.

Si un jeune présente des symptômes physiques causés par l'anxiété ou qu'il abuse de médicaments, d'alcool ou de drogue, c'est l'occasion de lui demander comment il fait face aux événements de la vie, y compris s'il envisage de mettre fin à ses jours. Dans l'affirmative, on peut alors lui demander quelle démarche il a déjà entreprise.

Nous savons également qu'au sein de nombreuses collectivités, on ne parle jamais de suicide et on met plutôt l'accent sur le bien-être, ce qui a une grande incidence sur le taux de suicide. De plus, nous sommes intervenus auprès de collectivités isolées où des jeunes se suicidaient tous les mois, et parfois dès l'âge de 10 ans. Il s'agit d'une proportion considérable de la population. Nous sommes intervenus en collaborant avec les aidants naturels et en aidant la collectivité à adopter ses propres mesures de prévention et de promotion du bien-être; ces trois dernières années, il n'y a eu aucun suicide.

Il y a différentes façons de s'attaquer au problème. On peut faire un bout de chemin grâce aux soins primaires, en posant parfois des questions difficiles et en mettant à contribution la famille, où l'éducation entre alors en ligne de compte. Mais l'approche globale dont il est question aujourd'hui fait également partie de la solution.

Dr Butler-Jones : J'ai une anecdote qui confirme l'importance de poser des questions, d'écouter attentivement et d'établir un contact. Lorsque je travaillais dans une clinique spécialisée en maladies tropicales, une nouvelle immigrante des Philippines s'est présentée pour des problèmes de santé. Puisque tout le monde présumait qu'elle était atteinte d'une maladie tropicale, on l'avait soumise à toutes sortes d'examens. Or, j'ai pris le temps de l'écouter et de discuter avec elle. J'ai découvert qu'elle était victime de violence familiale et que son problème en était plutôt la manifestation physique. Il est essentiel que les médecins, les infirmières, les travailleurs sociaux et les psychologues aient le temps d'écouter les patients, et qu'ils prennent le temps de le faire.

D'autre part, j'aimerais soulever la question du rôle au sein des collectivités et des choix à offrir aux enfants. L'une des pires décisions prises dans les années 1990 pour réduire les dépenses du système d' éducation a été de restreindre l'offre d'activités parascolaires, comme les groupes de musique, les harmonies scolaires, les arts et toutes les activités qui ont donné à certains d'entre nous une raison d'aller à l'école. Le comble de l'ironie, c'est que ces activités ont été les premières coupées même si les jeunes obtiennent de meilleurs résultats dans les matières classiques lorsqu'ils participent quotidiennement à une activité physique, à une pratique musicale, et ainsi de suite. Les activités parascolaires sont simples et pratiques et permettent l'encadrement d'un adulte, à l'image d'un professeur ou d'un animateur scout. Elles arrivent incroyablement bien à changer les idées des jeunes.

M. Manion : Selon nos données, les jeunes qui s'engagent sérieusement dans une activité parascolaire ou communautaire sont en meilleure santé physique, adoptent moins de comportements à risque et sont moins sujets à la déprime ou aux pensées suicidaires.

Dr Butler-Jones : Le programme des Rangers dans le Nord en est un bon exemple. J'ignore si vous le connaissez, mais c'est une option.

Le sénateur Dyck : Vous nous parlez des bienfaits des activités parascolaires sur la santé mentale et le bien-être. Sur le plan économique, a-t-on déjà démontré les avantages de préserver la santé de la collectivité grâce à ce genre d'activités? Malheureusement, la question se résume souvent à l'argent qu'il est possible d'économiser si on améliore la santé des gens à l'aide de tels programmes. Les gens préfèrent économiser en supprimant ces programmes plutôt que d'investir pour favoriser le bien-être. Y a-t-il déjà eu une étude semblable?

M. Manion : Oui, il y en a eu. Le Dr Dan Offord, un spécialiste émérite de la santé mentale chez les enfants et les adolescents, a mené des travaux sur l'intervention communautaire, les déterminants de la santé et les effets bénéfiques des activités récréatives sur la santé et la santé mentale. Lorsque nous tentons de reproduire ces travaux, les programmes sont malheureusement parfois sabrés pour des raisons financières à un tel point qu'ils ne sont plus efficaces. Ils ne correspondent pas fidèlement au modèle. Je crois qu'il nous manque d'information sur l'économie de la santé mentale. Or, nous devrions mener des recherches dans ce domaine. Je pense que très peu de chercheurs chevronnés s'intéressent à l'économie de la santé mentale, et encore moins chez l'enfant et l'adolescent. Nous devrions étudier davantage la question.

Dr Butler-Jones : Bien des raisons expliquent pourquoi les ministres responsables des sports et des loisirs, de la santé et de l'éducation se serrent les coudes pour cibler les activités parascolaires. L'encadrement d'un adulte en est une. Aussi, c'est surtout après l'école que les jeunes posent des gestes criminels. La liste des raisons est longue. À l'évidence, de petits investissements dans ce domaine — il ne faut pas nécessairement beaucoup d'argent — peuvent avoir un impact incroyable non seulement sur les problèmes quotidiens, mais aussi sur l'avenir des jeunes, leur but dans la vie, leur encadrement et leur désir de devenir quelqu'un.

Mme Cohen : Il est vrai que nous pouvons davantage vous parler d'efficacité sur le plan clinique que de rentabilité. Les répercussions des programmes et des enjeux liés à la santé mentale se font sentir pendant des années et dans bien des secteurs. Par conséquent, il se peut que l'argent investi dans les écoles ne donne pas de résultats concrets avant des années, lorsque ces jeunes seront sur le marché du travail. C'est difficile, car la valeur d'un tel programme ne saute pas aux yeux sur le coup, contrairement à une chirurgie cardiaque chez un patient atteint d'une maladie du cœur.

Le sénateur Braley : Le sénateur Dyck a déjà posé bon nombre de mes questions. Elle a fait un excellent travail.

Nous devons protéger la santé des gens de la naissance jusqu'au troisième âge, en passant par l'adolescence et l'âge adulte. J'ai des enfants dans la quarantaine et des petits-enfants âgés de 6 mois à 22 ans.

Je constate que le programme d'enseignement du système d'éducation n'intègre pas certains éléments comme la saine alimentation et l'exercice physique. On peut enseigner les mathématiques ou l'histoire, mais la vie en général aussi. J'ignore ce qu'il manque, et mes enfants ne le savent probablement pas non plus en ce qui concerne mes petits- enfants. Il doit y avoir une corrélation entre l'éducation et la santé au niveau provincial, mais à quel point? Devrions- nous commencer la formation des enfants en la matière dès leur entrée dans le système scolaire? Il se peut que les parents n'aient pas eu l'occasion de le faire convenablement. Il faut aussi intégrer le système social pour que les problèmes physiques puissent être identifiés immédiatement et pris en charge partiellement ou en totalité. J'ignore si c'est le bon angle d'attaque, mais nous devons trouver des moyens de garder les gens en santé, puis de diminuer considérablement les coûts en santé.

M. Manion : On ne s'est jamais autant intéressé à la santé en milieu scolaire. Par exemple, l'Association canadienne pour la santé en milieu scolaire fait appel aux spécialistes les mieux renseignés en vue de répondre aux questions que vous avez soulevées.

Dans le cadre d'un projet national sur la santé mentale, on parcourt le monde à la recherche des meilleurs programmes scolaires qui permettraient d'apporter une réponse à certaines questions et de mieux renseigner les élèves sur la santé mentale, mais aussi le personnel.

L'un des problèmes, c'est qu'on ne peut en faire la responsabilité des enseignants, car ils ont déjà assez de pain sur la planche. À leurs compétences, on pourrait ajouter la capacité de déceler les problèmes. Toutefois, pour avoir une compréhension globale des besoins des élèves, il faudra des partenariats entre les différents secteurs; par exemple, les écoles devront collaborer avec les fournisseurs de soins de santé et de santé mentale, l'aide sociale à l'enfance et le système de justice pour les jeunes. Ce peut être fait en grande partie à l'école, mais je pense qu'il faut se demander qui doit assumer chaque rôle. Le programme éducatif fait partie de la solution, mais les compétences nécessaires doivent aussi se trouver au sein du système scolaire. Toutefois, il faudra faire tomber les murs qui séparent l'éducation et les autres secteurs. Il s'agira ainsi d'une véritable intervention communautaire implantée à l'école, mais qui regroupe les meilleurs outils de la collectivité.

Dr Butler-Jones : Je suis tout à fait d'accord. L'Association canadienne pour la santé en milieu scolaire est une tribune nationale, et il y en a d'autres. Comme je l'ai dit, les ministres et les sous-ministres de tous les secteurs commencent à comprendre l'importance de trouver ensemble une façon cohérente d'aborder la question. Souvent, on dit que c'est dans les écoles qu'il faut intervenir, puis on se rend compte de la concurrence et de la pression extraordinaire que cela représente. Or, il est possible de faire appel à une infirmière de la santé publique ou à un autre professionnel. Il y a plusieurs façons de rendre cette solution possible.

Tout ceci n'enlève rien à la responsabilité des parents. Il n'est pas question de s'y substituer, mais plutôt de la compléter. Il faut aussi aider les parents et la collectivité à seconder les enfants.

En ce qui concerne les outils et les ressources, prenons l'exemple des options qui s'offrent à une cafétéria. Il a déjà été démontré que les gens prennent de la salade lorsque le buffet à salades est devant la caisse. Si les aliments sains sont bien éclairés et que les croustilles et la sauce sont placées dans un coin, les gens choisiront les aliments qui ressortent davantage. Ironiquement, on peut donc favoriser une alimentation saine à l'aide de mesures bien simples.

Au Mexique, il est désormais interdit de vendre des boissons gazeuses dans les écoles. L'hydratation est un problème dans ce pays, mais de nombreuses écoles n'offraient même pas d'eau potable. On a donc commencé par remédier à la situation dans toutes les écoles, puis les boissons gazeuses ont été retirées. Devrions-nous procéder ainsi? Tout dépend de la collectivité, car les commissions scolaires sont très différentes les unes des autres. Toutefois, nous avons plus de chances de réussir si nous aidons les différents intervenants à connaître les pratiques exemplaires et à trouver des façons simples de les mettre en application. Il s'agit bien sûr d'une solution complémentaire, et nous devons naturellement aider les parents et les enfants à l'école.

Mme Lynkowski : On encourage l'acquisition de compétences depuis des dizaines d'années, mais on commence tout juste à parler de compétences en santé chez les jeunes et les adultes. Vous devez mettre en place des stratégies et des outils si vous voulez que chaque citoyen gère davantage sa santé et ses soins. Il existe plusieurs excellents rapports qui décrivent comment y arriver à l'échelle communautaire et nationale.

Le sénateur Braley : Le fait-on actuellement? Comment sensibilisons-nous les parents? Est-ce seulement au premier cours prénatal, lorsqu'ils attendent un bébé? Il faut que l'ensemble du système mette la main à la pâte, comme dans le cas de la lutte contre le tabagisme. On ne peut procéder autrement.

Dr Butler-Jones : Je suis tout à fait d'accord. La sensibilisation ou la publicité ne suffisent pas. À l'épicerie, par exemple, l'étiquetage des produits devrait être plus clair pour que le consommateur comprenne ce qu'ils contiennent, mais ce sont ses connaissances en matière de santé qui lui permettront ensuite de déterminer ce qui compte vraiment. Par ailleurs, les politiques scolaires ont bel et bien une influence. Par exemple, quel produit est vendu dans le cadre des activités de financement de l'école?

Plusieurs éléments entrent en jeu. Il ne suffit pas de savoir quand les parents en prennent conscience. Ils auront accès à des ressources tout au long de leur vie, surtout avec le web. Même s'il s'agit souvent d'une véritable poubelle, on y trouve beaucoup d'information pertinente. Les gens doivent savoir où trouver les renseignements fiables.

Le sénateur Braley : Et sur le Web, vous avez toute l'attention des parents, car ils veulent que leurs enfants adoptent un mode de vie sain. C'est un bon point de départ puisqu'on peut y combiner différentes mesures.

M. Manion : Je suis heureux que vous parliez du rôle des parents, car c'est pour cette raison que nous recommandons la création d'un programme universel sur le sujet, entre autres. Malheureusement, l'unique cours sur le rôle parental que bien des parents suivent est le cours prénatal. On peut même se demander si les parents qui suivent ce cours sont ceux qui en ont véritablement besoin. Que faisons-nous pour inciter les parents à suivre ces cours?

Nous savons aussi que le rôle parental évolue au fil du temps. Vous aurez de gros ennuis si vous traitez votre jeune de 16 ans comme un enfant de quatre ans. Les parents réclament à cor et à cri des réponses simples et des guides sur différents sujets afin d'éduquer leurs jeunes adultes en devenir.

Il faut aussi une base de connaissances. Nous en savons plus sur le rôle parental que n'importe où ailleurs. Nous savons ce qui fonctionne, mais nous ne nous en servons tout simplement pas. Rien n'incite les parents à utiliser l'information. Le système ne permet pas de renseigner le grand public pendant toutes les étapes de la vie d'un enfant.

Il faut aussi trouver des façons efficaces de mettre à contribution les familles. J'imagine qu'il faudrait leur demander ce qu'elles préfèrent plutôt que d'essayer de le deviner. La participation des familles variera puisqu'elles sont toutes différentes. La solution doit donc comporter diverses facettes.

De plus, nous devons donner aux familles des renseignements intéressants et à leur portée pour qu'elles en comprennent les répercussions sur leur situation. Les parents se sentiront ainsi plus à la hauteur par rapport à l'enfant, peu importe son âge, et pourront poursuivre son éducation sans devenir accaparants.

[Français]

Le sénateur Verner : Je suis toujours un peu étonnée de voir que, en 2011, on doive éduquer les parents à être parents. C'est pour moi un non-sens.

Les questions de mes collègues sont très intéressantes et les réponses le sont également. J'aimerais aborder un aspect différent en ce qui concerne le partage d'information entre les provinces, les territoires et le gouvernement en situations de crises comme celle du H1N1 et du SRAS, qui a eu lieu en 2003.

Les recherchistes m'indiquent que des protocoles d'entente furent conclus entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral pour faciliter le partage de renseignements et clarifier le rôle et les responsabilités de chaque ordre de gouvernement dans les situations d'urgences en santé publique. On m'indique que le comité, en décembre 2010, a formulé des recommandations selon lesquelles on devrait rendre exécutoire les échanges de renseignements et le protocole d'entente.

Est-ce que l'agence prévoit toujours faire de cette question une priorité? Est-ce que, dans un avenir rapproché, des étapes seront franchies pour rendre le partage d'information exécutoire?

Dr Butler-Jones : L'accès à l'information est très important. Notre accord avec les provinces et les territoires est en place pour recevoir l'information en situations de crises et d'urgences en santé publique. La collaboration est très importante et le respect de l'entité qui a juridiction dans les provinces et les territoires l'est également. Tel est notre arrangement. Nous avons une bonne collaboration avec toutes les juridictions pour ce qui est de l'accès à l'information en matière de santé publique. Il fut démontré, lors de la pandémie, que la collaboration était essentielle, et tous ont fait preuve de collaboration.

Le sénateur Verner : Je tenais simplement à relever une recommandation qui fut faite par ce comité en décembre dernier.

Dr Butler-Jones : Nous avons maintenant une approche formelle avec une juridiction en Ontario et travaillons avec les autres pour un accord formel en plus du protocole d'entente.

[Traduction]

Le sénateur Champagne : Docteur Butler-Jones, vous avez grandement contribué à notre rapport de l'automne dernier.

Après vous avoir tous écoutés aujourd'hui, mesdames et messieurs, je suis inquiète. Docteur Birtwhistle, vous avez parlé de la collaboration entre différents types de médecins; quant à vous, docteur Butler-Jones, vous avez dit qu'il arrive que des ministres de la Santé et de l'Éducation travaillent ensemble. La plupart des écoles ont une infirmière qui s'occupe des égratignures ou des entorses à la cheville ou au poignet. Ce qui me préoccupe au plus haut point, c'est que ceux qui sont censés assurer un service de counseling ne sont pas nécessairement des psychologues.

Ont-ils la formation nécessaire pour reconnaître certains problèmes graves découlant de mauvais traitements, d'intimidation, ou de la découverte d'une orientation sexuelle différente? Ne serait-il pas essentiel que les écoles disposent d'un professionnel en mesure de déceler les symptômes de ces problèmes avant qu'il ne soit trop tard? Nous devrions peut- être recommander aux ministres de collaborer pour trouver une solution.

M. Manion : En Ontario, les ministres de l'Éducation, de la Santé et des Services à l'enfance et à la jeunesse unissent actuellement leurs efforts à ceux des collèges et des universités afin d'offrir aux enseignants des outils qui leur permettent de repérer les jeunes vulnérables dans les écoles. Les enseignants sont formés à ce sujet en même temps que les partenaires communautaires, soit les fournisseurs de services et de soins de santé. Ainsi, tout le monde utilise le même langage et comprend le fonctionnement des outils.

Lorsque l'enseignant détecte un jeune vulnérable et qu'il prend conscience de sa limite, il transfère le dossier à un intervenant communautaire, qui prend le relais. Le médecin, le psychologue ou le travailleur social en question peut ensuite travailler efficacement avec la famille et l'école. L'objectif est de réinsérer le jeune dans son système communautaire pour qu'il puisse y évoluer.

Il existe de bons exemples de ce genre de système, mais nous avons découvert dans le cadre de notre travail qu'ils sont très éparpillés. Certaines commissions scolaires y arrivent très bien. Elles savent exactement comment procéder. Elles ont noué des partenariats incroyables, et parfois en réponse à des besoins.

Certaines collectivités démunies ont réussi à implanter un tel système parce qu'elles n'ont eu d'autre choix que de nouer des partenariats efficaces pour s'en sortir. Le hasard y est pour beaucoup. Il n'y a aucune approche cohésive au pays. Il se peut que l'école d'une collectivité ait réussi, mais qu'une autre soit complètement dans l'erreur, et que la personne responsable de déceler les problèmes et d'intervenir tôt soit la moins qualifiée pour le faire. Il faut donc trouver un moyen de rassembler les apprentissages de tous ceux qui ont réussi d'un bout à l'autre du pays. Il faudra ensuite trouver comment simplifier la mise en œuvre de ces stratégies à l'échelle nationale et prévoir des indicateurs mesurables afin d'en évaluer la réussite dans tous les systèmes — et non pas dans un seul d'entre eux.

Le sénateur Champagne : Partout au Canada, nous avons pu lire et entendre l'histoire de ce jeune homme de la région d'Ottawa. Il n'est pas ici question d'un endroit isolé, perdu dans le Grand Nord, où personne n'aurait été à même de se rendre compte à temps de ce que vivait ce jeune homme. Ça arrive dans nos grandes villes et nos petites localités. Ça peut arriver partout. Il doit y avoir une façon pour que tous les intervenants puissent conjuguer leurs efforts afin d'éviter que des situations semblables se reproduisent.

M. Manion : Je connais très bien la situation pour y avoir été moi-même mêlé, et je peux vous dire qu'elle montre très bien à quel point ces problèmes peuvent être complexes. Je pense que les médias ont fait état du rôle joué par l'intimidation. C'est l'un des éléments de la problématique. Il a également été question de l'orientation sexuelle; c'est un autre élément. On a toutefois moins parlé du fait que ce jeune homme souffrait de dépression et obtenait du soutien pour lutter contre ce problème. De nombreux intervenants pourraient jouer un rôle à ce chapitre.

Nous parlons d'activité de loisirs. Il arrive que l'intimidation se manifeste encore plus fortement dans les lieux consacrés aux loisirs. Le jeune homme en question était patineur artistique. Nous avons des gens qui ont de l'expérience auprès des joueurs de hockey et qui sont bien conscients des mentalités et des cultures qui peuvent se développer, ainsi que de nos niveaux de tolérance et d'acceptation à l'égard des différences. Il y a un grand nombre de questions qui entrent en jeu, ce qui fait qu'il n'y a pas vraiment de réponse simple. Une partie des efforts requis pour sensibiliser les gens et les amener à mieux accepter les différences, notamment au niveau des mécanismes d'adaptation, peuvent être déployés dans les écoles et au sein même des familles.

Notre communauté a dû déplorer une autre perte tragique à la suite du suicide d'une jeune femme. Son père a été entraîneur adjoint pour l'une de nos équipes nationales de hockey. Il a déclaré très franchement que sa famille discutait de tous les sujets à la maison. Ils parlaient de sexe, de drogue et d'école. Ils ne discutaient jamais de santé mentale. Ils n'ont jamais parlé de suicide. Il y a des endroits où ces dialogues peuvent intervenir en dehors des cadres scolaires. De plus en plus de gens prennent la parole pour dire que nous devrions en faire davantage, mais il s'agit d'un problème complexe et nous devons nous rendre compte que les solutions seront tout aussi complexes.

Le sénateur Champagne : Espérons que nos décideurs trouveront un moyen de se concerter pour que nous n'ayons pas à revivre d'histoires aussi tristes.

M. Manion : C'est à cet égard que vous pourriez intervenir en vous assurant que cela s'inscrive dans l'accord comme un objectif déclaré, et non pas comme quelque chose de corollaire.

Le président : Un dernier commentaire, docteur Butler-Jones?

Dr Butler-Jones : Je veux seulement souligner à quel point cette question est importante. C'est une problématique fort complexe et les pistes de solution sont nombreuses. Le fait demeure que dans certains cas, il n'y a rien que nous puissions faire. On peut par exemple penser à un adolescent qui peut se demander quel effet cela pourrait lui faire de se lancer devant une rame de métro. Il peut passer à l'acte ou non. Il est moins susceptible de le faire s'il songe aux répercussions de son geste sur sa famille et ses amis et sur la manière dont ceux-ci vont l'interpréter. Il peut aussi se dire qu'il a une raison de vivre, qu'il veut par exemple devenir médecin. Mais si personne ne se préoccupe de son sort, il peut tout aussi bien penser : « Pourquoi m'en faire? La vie n'en vaut pas la peine. »

Le sénateur Champagne : Ou bien : « J'ai un cancer incurable. »

Dr Butler-Jones : Notre rôle demeure de faire les meilleurs choix possibles en matière de santé, de créer des environnements propices à des choix semblables, et de respecter le fait que certains vont faire des choix différents des nôtres, mais qu'il nous est possible de mettre en place des conditions qui maximiseront les possibilités que ces choix soient également positifs et qu'en fin de compte, tous en bénéficient.

Mais il y a également des occasions où nous agirons de façon totalement stupide. Nous allons alors nous blâmer, mais il est possible qu'il n'y avait rien à faire de toute manière. C'est toutefois un domaine où nous pouvons réduire considérablement les statistiques, les répercussions et les conséquences sous différents aspects. C'est la raison pour laquelle les personnes ici présentes se concentrent sur les interventions en amont. Plutôt que de s'intéresser aux seuls choix individuels, on analyse le contexte dans lequel ces choix sont faits, c'est-à-dire les déterminants de la santé. Nous pourrons ainsi compter sur une société en meilleure santé, ce qui aboutira inévitablement à une économie plus prospère, une meilleure gestion et une capacité d'offrir les traitements appropriés lorsque la maladie se manifeste malgré tout ce qui est fait pour la prévenir.

Le sénateur Demers : Merci de votre présence ce matin. J'en sais beaucoup plus maintenant qu'à mon arrivée dans cette salle aujourd'hui.

M. Manion a parlé de cette famille du milieu du hockey qui a malheureusement perdu un enfant, et je peux vous assurer qu'il s'agissait de très bons parents.

Vous pouvez être certains que je ne blâmerai jamais les enseignants, car je ne veux pas perdre l'amitié de ma collègue, le sénateur Martin, une ancienne enseignante. Au cours des derniers mois, j'ai visité cinq écoles de différentes régions du Canada pour parler d'alphabétisation, un problème que je suis parvenu à surmonter après bien des années. Où faut-il commencer? Il faut débuter à la base. Toutes les questions posées aujourd'hui des deux côtés ont été excellentes. Où faut-il commencer lorsque les enfants se présentent à l'école sans avoir déjeuné? Où faut-il commencer quand 57 p. 100 — les statistiques diffèrent d'un endroit à un autre — des parents sont divorcés, quand certains enfants ne savent même pas qui est leur père et quand d'autres vivent avec leur mère qui ne rentre à la maison qu'à 2 heures du matin? Il ne s'agit pas seulement d'un cas sur 20; la proportion peut atteindre près de 50 p. 100 dans certains contextes.

Lorsque je visite une école, je parle habituellement au directeur et aux enseignants. Il y a des enseignants qui se font tabasser après l'école quand ce n'est pas durant les cours.

Nous discutons de santé mentale. Le problème c'est que nous ne pouvons pas compter sur suffisamment de gens très compétents comme vous. Par quoi devons-nous commencer?

Quand je vais dans les écoles, j'essaie toujours de parler à deux jeunes de 14 à 16 ans : une fille et un garçon. Je me souviens d'une belle jeune fille qui m'a dit qu'elle n'avait aucun espoir. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire exactement. Elle m'a répondu qu'elle m'avait bien écouté, mais qu'elle n'avait aucun espoir. Elle habitait avec sa grand-mère qui était à peine consciente de ce qui se passait dans la maison. Quand on voit ces jeunes de 14 ans qui ont perdu totalement l'espoir, il y a lieu de se demander par où nous devons commencer du point de vue de la santé mentale. Nous avons parlé du tabagisme à la maison; un problème que je n'ai jamais eu. Mais notre société est aux prises avec bien des problèmes plus graves et je ne sais pas par où nous devrions commencer. Je me demande donc si vous pouvez m'aider à y voir encore un peu plus clair aujourd'hui.

M. Manion : Sénateur Demers, vous parlez en fait des déterminants de la santé. Vous en parlez avec beaucoup de passion, mais cela nous ramène aux déterminants de la santé.

Il est triste de constater que la présente génération de jeunes gens sera sans doute la première dont la capacité de gain sera inférieure à celle de ses parents. Il y a donc perte d'espoir et manque d'engagement envers son propre avenir et celui de sa nation.

Vous avez parlé de l'importance du rôle joué par les parents. Il nous faut toutefois rester prudents dans nos déclarations, car certains parents seuls réussissent admirablement bien à élever leurs enfants en se montrant forts, compétents et résilients. Il y a aussi bien des cas où ce sont des familles intactes qui arrivent difficilement à assumer leurs rôles parentaux. Il faut donc bien s'assurer de présenter les choses comme elles sont.

Il y a bien évidemment des possibilités de soutien pour les enfants en bas âge, question de les préparer avant même qu'ils ne commencent l'école. Comment permettons-nous à nos enfants d'être confrontés à certains défis de manière à les rendre plus résilients en pareille situation?

Nous parlons des déterminants de la santé et le Dr Butler-Jones a indiqué que les pays dont l'économie est prospère peuvent compter sur des citoyens en santé, car ceux-ci se sentent mieux physiquement et mentalement en sachant qu'il leur est possible de travailler et d'apporter une contribution valorisante à la société. Ce sentiment filtre jusqu'à leurs enfants et leur famille. Il y a bien des choses qu'il est possible de faire dès les premières années d'un enfant, mais c'est toujours une question de déterminants de la santé.

Lorsque nous parlons d'éducation, ce n'est pas nécessairement à l'intérieur du cadre scolaire à proprement parler. Il s'agit parfois de la façon dont nous interagissons entre êtres humains, de la manière dont les parents interagissent avec leurs enfants et dont cette interaction se transpose dans d'autres relations, y compris celles entre les élèves et les enseignants, et dans le respect qui devrait caractériser ces relations.

Un des meilleurs indicateurs prévisionnels d'une bonne santé mentale est la présence dans sa vie d'une personne qui compte avec laquelle on a établi des liens solides. Ce n'est pas nécessairement un parent. Il peut s'agir d'un mentor ou d'un entraîneur, entre autres possibilités. À quel moment créons-nous pour cette personne importante la possibilité d'intervenir auprès d'un jeune, quand il a deux ans ou 22 ans?

Dr Butler-Jones : J'aurais deux exemples à vous citer brièvement avant de répondre directement à question posée. Mon premier exemple fait partie des nombreuses raisons qui m'ont amené à m'impliquer en matière de santé publique.

Dans l'unité de santé mentale de l'hôpital où je travaillais, j'ai eu comme patiente pendant six semaines une jeune mère qui avait fait une tentative de suicide. Je l'ai traitée jusqu'au moment où elle a pu rentrer à la maison. On pouvait facilement comprendre les motivations de son geste. Elle était sans emploi et n'avait ni famille ni amis qui se préoccupaient vraiment de son sort. Elle essayait tant bien que mal d'élever ses enfants dans une situation vraiment précaire. Elle avait tous les droits d'être déprimée. Je pouvais bien l'aider à se débarrasser de ses pensées suicidaires, mais restait quand même qu'elle vivait une situation impossible. La seule solution consiste à créer des environnements favorables et à lui donner accès à une personne sur laquelle elle pourra compter. Nous avons tous pu compter dans le courant de notre vie sur des mentors qui ont su faire la différence pour nous.

J'ai travaillé avec un pédopsychiatre qui disait très sagement que les techniques et les styles parentaux importaient peu; la plupart des enfants qui sont aimés véritablement vont bien s'en tirer. Ce sont les autres enfants dont il faut s'inquiéter.

Je l'ai peut-être déjà mentionné, mais l'une des meilleures mesures que nous avons prises en matière de santé en Saskatchewan dans les années 1990 a été d'offrir des prestations aux familles à faible revenu pour les soins dentaires et les médicaments. Les familles pouvaient s'affranchir de l'aide sociale sans perdre ces prestations pour leurs enfants. Tout à coup, des milliers de ces parents se sont retrouvés au travail. En réalisant une étude, nous avons constaté que ces gens étaient plus heureux, en meilleure santé et qu'ils avaient l'impression bien fondée de contribuer à la société. Il faut aussi noter que ces familles faisaient un meilleur usage du système. C'était il y a plus de 10 ans. Est-ce qu'un autre gouvernement au Canada nous a emboîté le pas? Non, malgré les données favorables. Ce n'est pas une politique de santé, mais une politique sociale qui contribue directement à la santé.

Pour répondre plus directement à votre question, sénateur Demers, je dirais qu'il faut simplement commencer quelque part. Dans votre rôle de comité sénatorial, vous examinez le tableau dans son ensemble. Vous vous intéressez aux grands problèmes systémiques. Toutefois, en dernière analyse, il faut se montrer pratique. Il faut faire quelque chose. Par exemple, des parents conscients du fait que certains enfants se présentent à l'école le ventre vide ont décidé au sein de leur petite unité de santé qu'ils allaient cuisiner des muffins dans le cadre d'un programme de bénévolat. Les responsables de l'unité ont indiqué qu'il faudrait trois éviers et différents autres trucs. Le chef des pompiers leur a dit qu'ils ne pouvaient pas faire telle et telle chose. Nous avons réuni tous ces intervenants pour voir comment on pouvait faciliter les choses de telle sorte que lorsque des parents et des enseignants souhaitent se livrer à des activités semblables, ils ne gaspillent pas toute leur énergie à naviguer dans les méandres de la bureaucratie. Ces obstacles ont été créés pour des motifs tout à fait justifiés, mais ils entravent et découragent tous les efforts communautaires pour s'organiser en vue de trouver des solutions.

Je pense qu'il est primordial de faire quelque chose. Tant pour les différents ordres de gouvernement que pour nous, professionnels, il importe de faciliter la tâche à ces gens qui veulent améliorer les choses.

Le sénateur Eggleton : Nous recevons aujourd'hui un excellent groupe de témoins, ce qui nous a permis d'avoir une réunion très fructueuse.

Docteur Birtwhistle, vous nous avez parlé du mandat de votre groupe d'étude sur les soins de santé préventifs, de votre mode de fonctionnement et de vos partenaires. Est-ce que votre groupe de travail aurait des recommandations à formuler, à la lumière des études que vous avez menées, concernant les mesures qui devraient se retrouver dans le prochain accord sur la santé?

Ma seule autre question d'ordre général, et vous pourrez y répondre ultérieurement, concerne les pratiques exemplaires dont il a été fait mention à quelques reprises aujourd'hui. Je me souviens notamment que le Dr Manion a indiqué que certaines écoles étaient efficaces, alors que d'autres connaissaient des problèmes. Pourriez-vous nous dire où nous pourrions recenser les pratiques exemplaires, tant au Canada qu'à l'étranger? C'est toujours bon à savoir pour nous en vue d'une analyse plus approfondie.

Dr Birtwhistle : Notre groupe d'étude préconise une utilisation optimale des ressources. Si certaines activités de prévention ne sont pas efficaces, comme nous savons que c'est le cas, nous devrions y mettre fin et utiliser les fonds ainsi dégagés pour financer bien d'autres mesures, notamment en santé mentale, une problématique importante que nous n'avons pas manqué de mettre en lumière aujourd'hui.

Le sénateur Eggleton : Comme vous nous avez dit que vous aviez certaines recommandations à formuler, peut-être pourriez-vous nous soumettre un document écrit. Cela pourrait éclairer notre travail.

Dr Birtwhistle : Je pourrai vous en faire un résumé.

Le sénateur Merchant : Je ne sais pas s'il est possible de répondre brièvement à cette question, mais je me disais que la Loi canadienne sur la santé s'applique aux services dispensés par les médecins dans un cadre hospitalier. Nous sommes en voie d'adopter un modèle complètement différent. Les services seront désormais offerts par le truchement de ces unités intégrées. Est-ce que le mode d'application de la loi complique les choses pour la création de ces unités? Devient-il difficile pour vous de traiter avec les provinces ou avec le gouvernement fédéral concernant vos modèles de financement? Comment assurez-vous le paiement pour certains de ces intervenants ne faisant pas partie des catégories en question?

Dr Butler-Jones : C'est une combinaison de tout cela. D'abord et avant tout, les efforts en santé publique doivent être déployés localement. Il est essentiel qu'une capacité soit présente au sein de la collectivité, avec un soutien provincial et national qui apporte une valeur ajoutée en venant compléter le tout.

Pour revenir à la question posée par le sénateur Eggleton, nous soutenons notamment une partie des efforts déployés pour combler une lacune en matière d'orientation clinique en recensant par le truchement de nos portails sur les pratiques exemplaires et les maladies chroniques ce qui se fait de mieux ailleurs sur la planète, notamment à la lumière de mes rapports.

La responsabilité première revient aux provinces. La santé publique est en quelque sorte une compétence partagée. La Loi canadienne sur la santé et le Transfert canadien en matière de santé ont été créés au départ aux fins du système d'assurance avant de subir quelques modifications depuis les années 1960. Il y a également des transferts aux provinces et à des groupes communautaires. Environ le tiers de notre budget sert ainsi au versement de subventions et de contributions. Nous pouvons agir de différentes manières. Pour la suite des choses, je crois que l'on souhaiterait un débat d'une autre nature. J'entends notamment — sans vouloir présumer de l'opinion de qui que ce soit — des gens exprimer le désir que l'on ne discute pas uniquement des transferts fiscaux, mais aussi des moyens que nous pouvons collectivement prendre pour faire en sorte que le système fonctionne mieux. On peut ensuite décider qui fera les choses de quelle manière et tout ce qui s'ensuit.

Le sénateur Merchant : Quand les gens entendent cela, ils commencent à s'inquiéter de l'imposition de frais d'utilisation. On ouvre ainsi des perspectives totalement différentes.

Le président : Si vous pouviez vous en tenir là, je vais donner la parole au sénateur Martin pour que sa question puisse être portée au compte rendu.

Le sénateur Martin : J'ai enseigné pendant 21 ans au sein du système scolaire de la Colombie-Britannique. Pour l'ensemble d'un district, il y avait un seul psychologue scolaire, parfois deux, et il fallait compter une année avant que l'on puisse évaluer un enfant. C'est la triste réalité.

Lorsqu'il y a recoupement entre éducation et santé, comme c'est le cas dans le système scolaire, et que des sommes sont consacrées à des mesures en santé mentale ou à d'autres services de santé au sein du réseau scolaire, comment peut-on s'assurer que ces montants sont dépensés de la manière prévue? Comment se fait la reddition de comptes à cet égard? Je conviens qu'il nous faut prévoir des fonds particuliers pour la santé mentale et pour que les écoles puissent compter sur des spécialistes capables de répondre aux besoins en la matière.

Comment suivons-nous cet argent? Comment nous assurons-nous que les fonds alloués sont effectivement dépensés aux fins prévues par les différents districts? Je ne sais pas comment les choses fonctionnent exactement à l'échelon provincial lorsqu'il y a chevauchement entre santé et éducation. Que pourrait-on retrouver dans cet accord? Y avait-il déjà dans les accords antérieurs des mesures de responsabilisation qui n'ont pas été mises en œuvre entièrement? J'ai l'impression que ce problème de reddition de comptes revient sans cesse à la surface. Comment faire le suivi pour nous assurer que ces sommes sont dépensées là où on en a besoin?

Le président : Je vais donner la parole à Mme Cohen. Si d'autres témoins ont des observations à cet égard, vous pourrez nous les transmettre après la séance.

Le sénateur Martin : Ces gens-là font de leur mieux, je vous prie de me croire. J'ai un grand respect pour eux, mais le fait demeure qu'il fallait bel et bien attendre un an au minimum.

Mme Cohen : Je crois que vous mettez le doigt sur un problème vraiment grave. Il nous a été signalé de bien des manières. Chose prometteuse, les équipes de santé familiale s'emploient notamment à répondre aux besoins locaux en planifiant leur dotation en conséquence. S'il y a une école où l'on a cerné des besoins particuliers en raison d'une prévalence de problèmes d'apprentissage, de difficultés comportementales ou de troubles auditifs, par exemple, on établit les plans de dotation en tenant compte de ces besoins.

Je crois que l'érosion des autres services de soutien dispensés s'apparente à celle des programmes offerts après l'école et des mesures de soutien social. Nous ne sommes pas à l'écoute des besoins des communautés pour pouvoir leur fournir des services en conséquence.

Le président : Comme tous mes collègues l'ont indiqué, notre séance d'aujourd'hui a été une autre étape remarquable de notre étude. Nous vous sommes extrêmement reconnaissants de nous avoir fait profiter de votre expertise, de votre base de connaissances et de votre capacité à présenter de façon articulée les aspects importants des enjeux sur lesquels nous nous penchons.

Il est évident pour nous tous que tout n'est pas parfait en ce bas monde, comme certains n'ont pas manqué de nous le rappeler en répondant aux questions. Quoi qu'il en soit, il nous faut assurément cerner les secteurs d'intervention où nous pouvons vraiment faire avancer les choses. Je me demandais si vous pouviez en rétrospective réfléchir à ces questions dans une optique un peu différente. Si vous pouviez orienter vos réflexions à partir d'exemples précis, cela nous aiderait grandement à faire progresser bon nombre de ces enjeux. Comme vous l'avez clairement exprimé aujourd'hui, et comme d'autres témoins l'on fait avant vous, c'est l'existence de silos qui nous pose problème.

C'est le cas dans bien des aspects de la prestation des services. Cela se manifeste également au sein de différentes instances bureaucratiques de la société qui doivent travailler ensemble à la recherche d'une solution. Ce n'est pas uniquement le système scolaire, ni tel ou tel autre élément. Dans bien des dossiers, de larges pans de la société doivent se concerter pour apporter des solutions, mais la présence de silos est également problématique au sein des différents secteurs comme celui de la santé. On nous a pourtant fourni aujourd'hui, comme précédemment, des exemples probants d'une collaboration efficace.

Le Dr Birtwhistle nous a parlé d'une unité de médecine familiale qui procure des avantages véritables et bon nombre d'exemples semblables ont été rapportés dans les médias. Il semble moins fréquent de voir des exemples de réussite dans un secteur particulier être étendus à l'ensemble du système. Pour illustrer simplement la chose, disons qu'une découverte n'a de valeur pour une société que lorsqu'elle prend une forme concrète en devenant une innovation qui est utilisée dans différents secteurs.

Pourrait-on dire que le nouvel accord devrait notamment permettre de cerner ces pratiques novatrices pour trouver la façon de les déployer de façon plus globale? Si l'on s'intéresse davantage aux différents secteurs — en l'espèce, je m'en tiendrai à celui de la santé — je dois revenir aux propos du Dr Birtwhistle.

Dans l'une de vos diapositives, vous soulignez la nécessité de compter sur des lignes directrices crédibles, pertinentes et facilement accessibles qui amélioreront les soins préventifs au Canada. Nous en avons déjà certaines. Si on pense à la campagne de lutte contre le tabagisme, par exemple, on peut dire qu'elle a eu un effet considérable. Comme vous l'avez souligné, différentes questions entrent en jeu. Dans le cadre de notre étude, on nous a dit que plusieurs facteurs pouvaient avoir un impact profond en matière de santé, ne serait-ce que l'habitude de se brosser les dents pour la santé dentaire des enfants.

Dans des cas comme celui du diabète, qui touche une portion importante de la population, le simple taillage des ongles d'orteil pouvait éviter une éventuelle imputation. Vous nous avez parlé aujourd'hui du problème pour la santé que peut représenter le déjeuner des écoliers, une question dont bon nombre d'entre nous avons été saisis sur d'autres tribunes. Je ne faisais que mentionner ces éléments pour revenir maintenant à une question qui touche différents aspects de la responsabilité sociale.

Je vous demanderais donc de réfléchir à tout cela pour voir si vous pourriez nous proposer quelques exemples bien précis susceptibles de guider notre réflexion en vue des recommandations que nous devrons formuler.

La méthode de paiement a été un sujet abordé avec prudence lors de plusieurs de nos séances. Il me semble que cette question pourrait servir de puissant catalyseur pour démonter les silos actuels si nous pouvions en arriver à des solutions. L'exemple de ces patients limités à une ou deux questions par visite à leur médecin de famille, une situation plutôt fréquente, illustre la problématique du paiement qui nous a été signalé. Il y a aussi la difficulté à mobiliser les groupes d'experts pour des mandats comme le vôtre, docteur Birtwhistle. Encore là, c'est parfois la méthode de paiement qui fait obstacle.

Bien que notre mandat actuel ne porte pas sur les différents aspects de la santé, nous nous sommes délibérément attardés aujourd'hui à la question de la santé mentale. Cela s'inscrit dans l'enjeu plus global de la prévention sanitaire et de la promotion de la santé auprès des Canadiens.

En conclusion, si vous pouviez donc réfléchir aux questions que mes collègues vous ont posées aujourd'hui sur ces différents aspects en essayant de penser à des exemples précis de pratiques exemplaires, ou à des mesures que vous savez efficaces dans différents secteurs, afin d'appuyer vos recommandations à notre intention pour intégration dans le prochain accord, vous nous seriez d'une très grande utilité.

Enfin, je vous rappelle de ne pas hésiter à porter à notre connaissance à l'issue de la présente séance toute question que vous estimez pertinente à notre réflexion.

Je remercie donc grandement mes collègues et vous tous pour cette excellente réunion.

(La séance est levée.)


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