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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 10 - Témoignages du 8 mai 2014


OTTAWA, le jeudi 8 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour discuter de la teneur des éléments des parties 2, 3 et 4 et des sections 2, 3, 4, 8, 13, 14, 19, 22, 24 et 25 de la partie 6 du projet de loi C- 31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

C'est aujourd'hui la troisième des cinq réunions que le comité tiendra dans le cadre de son étude préalable du Plan d'action économique de 2014, plus précisément le projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Ce matin, le comité se concentrera sur la section 25 de la partie 6, qui vise à modifier la Loi sur les marques de commerce. Vous trouverez cette section sous l'onglet F-25 de votre dossier et à la page 207 du projet de loi. La section 25 de la partie 6 vise à modifier la Loi sur les marques de commerce afin notamment de l'harmoniser avec le Traité de Singapour sur le droit des marques de commerce.

La réunion d'aujourd'hui comptera deux volets. Pendant la première demi-heure, nous nous entretiendrons avec des fonctionnaires, et ensuite, nous entendrons le témoignage de représentants de diverses organisations qui sont directement touchées par la mesure législative proposée.

Je vous présente donc Mme Darlene Carreau, présidente de la Commission des oppositions des marques de commerce, de même que Mme Anne-Marie Monteith, directrice de la Direction de la politique du droit d'auteur et des marques de commerce, qui travaillent toutes les deux à Industrie Canada.

M. Halucha, je vous présente toutes mes excuses, car j'ai oublié de vous présenter. J'ai vu que vous étiez assis là, mais malheureusement, on a oublié de vous ajouter dans mes notes.

Qui prendra la parole au nom de votre groupe? Monsieur Halucha, allez-y.

Paul Halucha, directeur général, Direction générale des politiques-cadres du marché, Industrie Canada : Je suis le directeur général de la Direction générale des politiques-cadres du marché à Industrie Canada.

Le président : Vous avez la parole.

M. Halucha : Merci. Je remercie le comité de me donner l'occasion de faire un bref exposé afin de mettre en contexte cette question complexe.

En janvier, le gouvernement a déposé au Parlement cinq traités internationaux qui ont été élaborés par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Ces cinq traités sont les suivants : le Protocole de Madrid, le Traité de Singapour, l'Arrangement de Nice, l'Arrangement de La Haye et le Traité sur le droit des brevets.

Les changements à la Loi sur les marques de commerce proposés dans la section 25 de la partie 6 du projet de loi C- 31 permettront au Canada de mettre en œuvre le Protocole de Madrid, le Traité de Singapour et l'Arrangement de Nice. Lorsque le Canada adhérera à ces traités, les entreprises canadiennes auront accès à un régime des marques de commerce qui sera conforme aux pratiques exemplaires et qui permettra de réduire les coûts et les formalités administratives et d'attirer des investissements étrangers au Canada.

[Français]

Permettez-moi de décrire brièvement chacun des traités. Le Protocole de Madrid est un système international d'enregistrement des marques de commerce. Il offre aux entreprises la possibilité de remplir un seul formulaire dans une seule langue et de payer un seul tarif pour une protection pouvant s'étendre dans un maximum de 91 pays.

Le Traité de Singapour vise à harmoniser et à simplifier les systèmes nationaux d'enregistrement des marques de commerce de façon conviviale, tout en réduisant les coûts de conformité pour les entreprises et les propriétaires de marque de commerce. Trente-cinq pays ont signé le Traité de Singapour.

L'Arrangement de Nice régit un système de classification normalisé des marques de commerce utilisé par 150 bureaux de marques de commerce pour catégoriser les biens et les services afin de faciliter la recherche et la comparaison des marques de commerce.

[Traduction]

Le gouvernement a décidé de mettre en œuvre ces traités pour plusieurs raisons. Premièrement, il souhaite moderniser le régime de propriété intellectuelle du Canada afin de l'adapter à la réalité de la mondialisation et de maintenir un environnement concurrentiel pour les Canadiens. Ces traités seront avantageux tant pour les entreprises que pour les consommateurs. Ils aideront les entreprises canadiennes à soutenir la concurrence à l'échelle mondiale et à protéger la valeur de leur propriété intellectuelle, tant au Canada qu'à l'étranger, et ils contribueront à réduire les coûts et la complexité de l'administration de la propriété intellectuelle. Par exemple, l'International Trademark Association a calculé qu'une entreprise qui souhaite enregistrer une marque de commerce aux États-Unis et dans 10 autres pays dans le cadre du Protocole de Madrid fera des économies de 62 p. 100 comparativement à ce qu'elle devrait payer si elle enregistrait sa marque de commerce dans chaque pays. Il sera beaucoup plus simple et rentable pour les entreprises de gérer et de renouveler un portefeuille international de marques de commerce, car tout cela pourra être fait au même moment, grâce à une seule demande.

D'un point de vue plus global, la grande majorité des partenaires commerciaux du Canada ont déjà adhéré au Protocole de Madrid et au Traité de Singapour. De plus en plus, les pays du monde entier se tournent vers ces traités et, de façon générale, vers l'harmonisation des pratiques exemplaires. Pour notre régime de marques de commerce, cela suppose l'élimination d'activités administratives qui sont surtout propres au Canada, plus particulièrement celles qui alourdissent les formalités administratives pour les entreprises canadiennes, mais pas pour les entreprises étrangères qui présentent une demande au Canada.

Au cours des 10 dernières années, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada a tenu trois consultations au sujet du Protocole de Madrid et du Traité de Singapour. Deux consultations officielles ont eu lieu en 2005 et en 2010, et à l'automne 2013, des consultations ciblées ont été menées auprès des experts canadiens dans le domaine de la propriété intellectuelle. Les résultats de ces consultations étaient mitigés. Ainsi, même si la majorité des personnes consultées appuyait l'adhésion du Canada au Protocole de Madrid et au Traité de Singapour, les membres de la communauté juridique s'intéressant aux questions de propriété intellectuelle avaient des vues divergentes en ce qui concerne les diverses possibilités de mise en œuvre. Plus précisément, deux préoccupations ont été soulevées : d'une part, les motifs sous-tendant la présentation d'une demande, et d'autre part, l'emploi des marques de commerce.

En ce qui concerne le premier aspect que j'ai mentionné, les divisions 330 à 339 proposent de modifier les articles 16 à 30 de la Loi sur les marques de commerce pour qu'une demande d'enregistrement d'une marque de commerce ne puisse être faite qu'à la condition que le requérant emploie cette marque ou projette de l'employer au Canada. Ce changement était nécessaire pour respecter les exigences du Traité de Singapour et pour pouvoir adhérer au Protocole de Madrid.

Pour ce qui est du deuxième aspect, l'emploi des marques de commerce demeure au cœur du régime des marques de commerce du Canada. Le changement prévu à la division 345 vise à mettre à jour l'article 40 afin que les entreprises ne soient plus tenues de remplir un formulaire pour déclarer que la marque est bel et bien utilisée. Ce changement réduit le fardeau administratif imposé aux requérants et il correspond à l'approche de nos partenaires commerciaux; par exemple, le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et Singapour n'exigent pas ce formulaire. Les États-Unis ne l'exigent pas non plus pour les demandes faites dans le cadre du Protocole de Madrid.

Le régime des marques de commerce du Canada est demeuré pratiquement inchangé depuis les années 1950. Nous savons donc que les changements proposés dans le projet de loi C-31 exigeront une adaptation de la part des membres de la communauté juridique s'intéressant aux questions de propriété intellectuelle. Industrie Canada et l'Office de la propriété intellectuelle du Canada sont déterminés à collaborer avec toutes les parties intéressées pour garantir la mise en œuvre efficace de ces traités et les meilleurs résultats qui soient pour l'économie canadienne.

Voilà qui termine mon intervention. Mme Carreau, Mme Monteith et moi serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

Le président : Monsieur Halucha, j'aimerais obtenir quelques précisions. Vous avez dit que tout cela témoigne de la mondialisation des lois sur les marques de commerce. J'aimerais que vous me fournissiez des précisions au sujet de certains mots que vous avez utilisés. Si j'ai bien entendu, vous avez utilisé un verbe, « harmoniser », au sujet du Traité de Singapour et du Protocole de Madrid. Lorsque vous utilisez le terme « harmoniser », interprétez-vous les mesures qui ont été prises dans ce cas ou reflétez-vous exactement la teneur de ces accords? Qu'en est-il exactement?

M. Halucha : Mes propos reflètent exactement la teneur de ces accords.

Le président : Ils reflètent directement le contenu du Traité de Singapour et du Protocole de Madrid.

M. Halucha : Il y a deux éléments. Tout d'abord, nous devions apporter une série de changements au système d'administration de la propriété intellectuelle au Canada pour pouvoir harmoniser les pratiques, et ensuite, nous devions déterminer comment nous allions nous y prendre pour optimiser les avantages pour les entreprises canadiennes. Voilà les deux principaux objectifs qui sous-tendaient ces réformes. Il faut harmoniser les pratiques, mais de façon efficace.

La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais savoir si la décision d'apporter ces modifications est liée à l'accord de libre-échange que nous avons conclu avec l'Europe.

M. Halucha : C'est une très bonne question. Ce n'est pas une exigence de l'Accord économique et commercial global, ou AECG. Cela dit, ce qui est extrêmement important pour le Canada, c'est que l'AECG ouvrira de nouveaux marchés pour les entreprises canadiennes. Grâce à cet accord, il sera plus facile pour ces entreprises de percer ces marchés. De toute évidence, ce traité visait à encourager les entreprises canadiennes à percer ces marchés.

L'harmonisation de nos pratiques administratives en ce qui concerne la propriété intellectuelle constitue une mesure incitative pour les entreprises qui décident de percer ces marchés. Par exemple, si vous êtes le propriétaire d'une entreprise au Canada qui met au point un nouveau produit et que vous souhaitez le commercialiser à l'échelle internationale, vous pourrez demander une marque de commerce et voir à ce qu'elle soit protégée sur ces marchés en suivant un seul processus administratif. À notre avis, cette façon de faire incitera les entreprises à percer ces marchés étrangers. Ce n'est pas une exigence. Cependant, nous considérons que ces objectifs stratégiques convergent.

La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais savoir si cette façon de faire réduira les coûts pour ceux qui veulent offrir de nouveaux produits sur les différents marchés et doivent présenter une demande dans chacun de ces pays. Une personne qui veut faire des affaires et utiliser les mêmes noms dans d'autres pays doit suivre un processus très coûteux et assez long. Donc, est-ce que cette façon de faire réduira le temps requis et les coûts?

M. Halucha : Darlene Carreau pourra répondre plus précisément à cette question.

Cela dit, de façon générale, une entreprise canadienne qui souhaite percer le marché européen à l'heure actuelle doit avoir recours au service d'un agent dans chaque pays où elle entend protéger ses produits par une marque de commerce. Elle doit aussi faire des demandes distinctes pour chaque pays.

Pour les entreprises, le simple fait de pouvoir entreprendre ces démarches au Canada et choisir les pays où elles utiliseront et protégeront leur marque de commerce simplifiera en quelque sorte le processus. Donc, c'est un principe d'harmonisation.

La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce que cette façon de faire réduira le temps requis et les coûts? Je sais que c'est un cauchemar pour les entreprises d'enregistrer leur marque dans de nombreux pays, car elles doivent embaucher des agents et payer des frais élevés. Ma question est donc la suivante : est-ce que nous réduirons les coûts et accélérerons aussi le système d'approbation?

Je tiens à dire à mon collègue qu'à mon avis, le Canada a été négligent à cet égard. En effet, le Protocole de Madrid a été conclu en 1995, tandis que le Traité de Singapour, lui, a été conclu au cours des années 1970. Cela fait si longtemps que je ne m'en souviens même pas. Tout cela pour dire qu'aujourd'hui, en 2014, nous parlons de prendre des mesures qui ont été prévues en 1995 dans le cas du plus récent protocole. Donc, le Canada a-t-il été négligent? Pourquoi nous a- t-il fallu autant de temps pour nous rendre compte que cette façon de faire était avantageuse?

Le sénateur Massicotte : Dites simplement « oui ».

M. Halucha : Oui, cette façon de faire est avantageuse.

La raison pour laquelle le Canada n'adhère que maintenant à ces accords est complexe. Dans la plupart des pays, il n'est pas facile d'apporter des changements en ce qui concerne la propriété intellectuelle. Prenons par exemple les débats qui ont eu lieu au Canada au sujet de la Loi sur la modernisation du droit d'auteur, qui proposait une série de changements visant à moderniser le droit d'auteur afin de l'adapter au monde digital. Il a fallu presque huit ans pour que cette mesure législative franchisse les diverses étapes du processus parlementaire. Il y a eu d'importants débats à ce sujet à l'échelle nationale.

Je ne peux pas vous fournir de réponse simple au sujet des raisons pour lesquelles nous allons de l'avant maintenant au lieu d'avoir pris ces mesures par le passé, outre le fait que c'est maintenant que nous agissons et que le gouvernement est déterminé à moderniser le régime de propriété intellectuelle pour qu'il corresponde aux normes internationales, plus particulièrement en ce qui concerne l'administration.

La sénatrice Hervieux-Payette : Et qu'en est-il des coûts?

Darlene Carreau, présidente, Commission des oppositions des marques de commerce, Industrie Canada : Vous avez soulevé deux enjeux, soit l'accélération du processus et la réduction des coûts. Ce sont les principaux facteurs qui nous ont incités à adhérer au Protocole de Madrid et au Traité de Singapour. Les requérants qui utiliseront le système international prévu dans le Protocole de Madrid pourront faire des économies. Comme Paul l'a mentionné, ces requérants présenteront une seule demande dans une seule langue et paieront les frais une seule fois pour chaque demande de marque de commerce; ils n'auront plus besoin de faire une demande dans chaque pays, d'embaucher des agents locaux, de préparer de nouvelles demandes et de respecter les exigences propres à chaque pays. Il sera donc plus facile pour eux de profiter des possibilités qui s'offrent à eux.

Le Protocole de Madrid prévoit également que les bureaux qui examinent les demandes d'enregistrement des marques de commerce doivent respecter des échéanciers serrés. Par conséquent, nous pouvons prévoir que les demandes présentées dans le cadre de ce protocole seront traitées rapidement.

Pour ce qui est du Traité de Singapour, nous sommes motivés par la nécessité de simplifier les démarches et de réduire les formalités administratives. Encore une fois, nous prévoyons que notre processus national sera plus rapide, ce qui donnera lieu à une réduction des coûts.

La sénatrice Hervieux-Payette : Nous verrons bien. Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je ne suis pas experte dans ce domaine. Toutefois, je sais que tout ce qui concerne l'enregistrement des marques de commerce peut avoir une incidence sur l'innovation et la recherche, entre autres.

Nous avons reçu une lettre qui a été signée par plusieurs personnes. J'aimerais vous lire un extrait de cette lettre et connaître votre réaction. Elle nous demande de modifier le projet de loi concernant les marques de commerce de la façon suivante — et je n'ai pas approfondi le détail de la proposition. On y dit ce qui suit :

En résumé, la suppression de l'emploi non seulement change un siècle et demi d'interprétation législative au Canada, mais désavantagera grandement les entreprises canadiennes lors de la sélection, la recherche de disponibilité et l'acquisition des droits de marque de commerce et de nom commercial au Canada, et augmentera les coûts, les risques et les inconvénients pour ces entreprises. Elle ouvrira la porte aux [...]

[Traduction]

Le président : Lisez-vous la lettre du 17 avril?

[Français]

La sénatrice Bellemare : C'est celle du 6 mai, adressée au ministre Moore, et c'est le paragraphe qui commence par « Les raisons qui nous motivent pour suggérer cette modification ». Je l'ai en français, mais pas en anglais; la lettre du 6 mai, le paragraphe qui commence à la page 2.

J'aimerais vous lire l'extrait suivant, car je trouve cela alarmant.

[...] Elle mettra la loi canadienne sur les marques de commerce en contradiction avec les attentes des entreprises, particulièrement les PME, lesquelles s'attendent à ce que le droit commun protège leurs intérêts, même sans enregistrement de marque. Pis encore, elle risque de déclencher une contestation constitutionnelle de la Loi sur les marques. Un projet de loi qui permet l'enregistrement de marques de commerce sans en exiger l'emploi, tout en offrant tous les droits et avantages de l'enregistrement, ne serait possiblement pas couvert par le nécessaire pouvoir fédéral sur la « réglementation du trafic et du commerce ».

J'aimerais entendre votre réaction. Cette lettre a été signée par des représentants légaux des différentes provinces.

[Traduction]

M. Halucha : Je vais répondre en premier.

Cette lettre est fondée sur l'argument voulant que l'emploi d'une marque de commerce n'est plus au cœur de la Loi sur les marques de commerce. C'est l'avis des agents qui ont écrit cette lettre, mais ce n'est pas celui du gouvernement du Canada. C'est pour cette raison que certains font valoir que le projet de loi est inconstitutionnel.

Je peux vous communiquer mon point de vue au sujet de l'emploi des marques de commerce, qui est et demeure un élément clé du régime des marques de commerce, même si ces changements sont apportés et même si le Canada adhère au traité. À l'heure actuelle, le nouvel article 31(1) prévoit qu'à l'étape de l'examen :

Une personne peut produire auprès du registraire une demande en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de produits ou de services si elle emploie ou projette d'employer — et a le droit d'employer [...].

Donc, l'emploi d'une marque de commerce demeure le fondement des demandes d'enregistrement présentées au Canada.

Pour ce qui est des motifs d'opposition, on continuera de se fonder sur l'emploi d'une marque de commerce dans le cadre du processus d'examen pour déterminer si celle-ci est valide ou non au Canada. Le nouvel alinéa 38(2)e) de la loi prévoit ceci : « à la date de production de la demande au Canada, le requérant n'employait pas ni ne projetait d'employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits [...] ». C'est un motif suffisant pour entreprendre une procédure d'opposition.

Une fois qu'une marque de commerce est accordée au Canada, il y a un processus d'enregistrement. Pendant toute la durée de cette période de trois ans, le propriétaire de la marque de commerce est tenu de commencer à l'employer ou de continuer de l'employer s'il l'utilisait déjà.

Enfin, à la fin de cette période, il y a un processus d'annulation de l'enregistrement — c'est l'article 45 proposé — qui prévoit que le propriétaire de la marque de commerce doit montrer qu'il l'a bel et bien employée si quelqu'un conteste cet emploi. Le nouvel article 45 prévoit que l'enregistrement de la marque de commerce peut être annulé au Canada; le fait que celle-ci n'ait pas été employée pendant cette période peut être l'un des motifs invoqués.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Pouvez-vous m'expliquer ce que vous venez de me dire en me donnant un exemple concret d'une marque de commerce quelconque? Pour moi, c'est très compliqué.

[Traduction]

Mme Carreau : Selon le régime actuel, si vous présentez une demande d'enregistrement d'une marque de commerce, vous êtes tenue, dans votre demande, de déclarer que vous avez employé la marque de commerce en question et de dire depuis quand vous le faites, ou indiquer que vous avez l'intention d'employer cette marque de commerce au Canada. Si votre marque de commerce fait l'objet d'une procédure d'opposition, vous pourriez contester cette mesure et faire enregistrer votre marque de commerce.

Nous avons entre autres mentionné que nous pourrions éliminer les déclarations relatives à l'emploi. Revenons sur cette question. En ce moment, dans votre demande, vous devez fournir des déclarations au sujet de l'emploi de votre marque de commerce et de votre intention de l'employer. Vous ne seriez maintenant plus tenue de faire ces déclarations dans votre demande. Cependant, comme Paul l'a mentionné, en tant qu'entreprise, vous devez encore avoir l'intention d'employer votre marque de commerce au Canada ou vous devez l'employer. L'entreprise n'aurait tout simplement plus besoin de faire de déclarations en ce sens dans sa demande.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je n'ai pas fait la conciliation avec le projet de loi, mais on dit quelque part dans cette lettre que les amendements requis sont, par exemple, d'enlever le trait d'union dans la version anglaise. En quoi le fait d'enlever le trait d'union dans le terme « trade-mark » changerait-il quelque chose?

[Traduction]

Mme Carreau : Aucun changement important n'est apporté à la signification du terme « trade-mark » en anglais; nous voulons simplement que les correcteurs d'orthographe cessent de relever les occurrences de « trademark » en anglais. En effet, les autres pays n'écrivent pas ce mot avec un trait d'union.

M. Halucha : Cet aspect pourrait faire l'objet d'une contestation constitutionnelle.

Mme Carreau : Je suppose qu'on peut contester la constitutionnalité de n'importe quel aspect et que cela a déjà été fait.

[Français]

Le sénateur Massicotte : J'aimerais soulever les mêmes questions.

Il y a des représentants de la Chambre de commerce qui sont ici. Les termes sont différents, mais je crois qu'ils expriment la même contestation. Auparavant, il fallait enregistrer et utiliser la marque de commerce, ce qui créait un concept d'achalandage de goodwill et constituait un point de repère. Maintenant, l'utilisation est moins importante. Vous connaissez certainement les arguments qu'ils nous proposent, car ils vous auront sans doute exprimé leur opinion avant même l'arrivée de ce projet de loi.

[Traduction]

Vous avez dit « emploie ou a le droit d'employer ». L'expression « a le droit d'employer » ne signifie pas nécessairement que la personne va bel et bien employer la marque de commerce; elle signifie plutôt que la personne estime qu'elle a le droit de l'utiliser ou qu'elle est en mesure de l'utiliser. Je n'ai pas lu tout le reste de la loi en m'arrêtant à chaque mot, mais ce libellé semble laisser entendre que, contrairement à l'argument que vous avez soulevé, soit que cela vous permet de conserver vos droits, l'emploi n'est pas le seul critère. Si vous avez le droit d'employer la marque de commerce, cela devrait suffire. Cela signifie donc que leur argument est valide et que vous modifiez les règles du jeu.

Mme Carreau : Nous ne modifions aucune des exigences essentielles liées aux marques de commerce. Je sais que c'est ce que nos agents vous ont dit. Comme Paul l'a mentionné, ce n'est pas la position adoptée par le gouvernement dans ce dossier. Essentiellement, les droits associés aux marques de commerce découlent de l'utilisation de celles-ci sur les marchés, et c'est de cette façon qu'une marque acquiert de la valeur. Plus une entreprise utilise sa marque de commerce sur le marché, plus celle-ci a de la valeur. À la base, rien de tout cela n'a changé.

Ce que nous avons modifié, c'est la façon dont le bureau responsable de l'enregistrement des marques de commerce examine les mesures qu'une entreprise doit prendre au Canada pour obtenir l'enregistrement d'une marque de commerce. À notre avis, les entreprises ne doivent plus être tenues de remplir des formulaires pour nous dire quand elles emploient une marque de commerce et à partir de quelle date elles ont commencé à l'employer pour que nous leur remettions un certificat d'enregistrement. C'est là l'essentiel des changements que nous avons apportés.

Le concept de l'emploi, qui fait partie intégrante du régime des marques de commerce, est très important pour nous, et aucun changement substantiel n'a été apporté à cet égard.

Le sénateur Massicotte : L'emploi de la marque de commerce est encore...

Mme Carreau : ... au cœur du régime canadien des marques de commerce.

Le sénateur Massicotte : Par conséquent, une entreprise américaine ne peut jouir du droit d'employer une marque de commerce si elle n'a jamais l'intention de l'employer ou ne l'emploiera jamais au Canada; cela dit, après cinq ou 10 ans, elle n'aura plus le droit à la protection de cette marque de commerce.

Mme Carreau : Comme Paul l'a mentionné, une contestation peut être faite pour non-emploi d'une marque de commerce et donner lieu à une procédure de radiation sommaire. Le registraire des marques de commerce sur les procédures d'opposition, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada, a aussi le pouvoir d'entreprendre des procédures de contestation du droit de propriété lié à ces marques de commerce et d'exiger des preuves de leur utilisation sur le marché.

Le sénateur Massicotte : Donc, si la marque de commerce n'est pas employée, l'enregistrement de celle-ci est révoqué. Si quelqu'un peut prouver que la marque n'a pas été utilisée après 10 ans, celle-ci n'est donc plus protégée.

Mme Carreau : Une contestation du droit de propriété de la marque de commerce peut être faite après trois ans.

Le sénateur Massicotte : Tout peut être contesté. Ce qu'il faut retenir, c'est que la loi prévoit que la marque de commerce ne sera plus protégée.

Mme Carreau : Il n'y a pas de limite de temps en ce qui concerne l'expiration du droit de propriété lié à la marque de commerce. Nous supposons que toutes les marques de commerce qui figurent en ce moment dans notre base de données sont employées. À titre de représentante de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada, je peux vous dire que cela est fort peu probable. Vous devriez savoir, par exemple, que nous acceptons en ce moment d'enregistrer des marques de commerce qui ne sont pas employées au Canada. Donc, nous acceptons que des étrangers présentent une demande d'enregistrement étranger et emploient cette marque à l'étranger. Ils n'ont pas besoin de faire une déclaration relative à l'emploi au Canada ou de fournir des renseignements relatifs à l'utilisation ici, au Canada, et nous enregistrons tout de même leur marque de commerce.

Le sénateur Massicotte : Ma collègue a lu des extraits d'une lettre signée par des représentants de toutes les provinces. Si on regarde la liste des gens qui ont signé cette lettre, on constate que ce sont toutes des personnes qui ont beaucoup d'expérience et sont bien renseignées. Je ne sais pas si vous en avez un exemplaire. La Chambre de commerce nous a présenté un mémoire, dont nous discuterons ultérieurement. Manufacturiers et Exportateurs du Canada a aussi présenté un mémoire. Toutes ces organisations ont soulevé les mêmes préoccupations. Je comprends votre point de vue, mais il me semble que beaucoup de personnes intelligentes affirment que vous avez tort; elles ne perçoivent pas votre proposition de la même façon. Au bout du compte, les mots auront une signification importante. Quel est votre avis à ce sujet? Qu'avez-vous dit à ces gens au cours des derniers mois, avant de proposer ces amendements au projet de loi d'exécution du budget? Pourquoi ne sont-ils pas convaincus si vous, vous l'êtes autant? Peut-être que vous avez tort?

M. Halucha : De toute évidence, nous ne pensons pas que nous avons tort. Il ne fait aucun doute que cela modifiera les pratiques administratives qui, dans bien des cas, existent depuis les années 1950. Il faudra sûrement apporter des changements. De façon générale, lorsque des changements législatifs sont apportés et qu'on demande à une communauté professionnelle de s'adapter à de nouvelles réalités, il arrive fréquemment que cela suscite des réticences. Bon nombre de pays qui ont adhéré au Protocole de Madrid et au Traité de Singapour ont dû composer avec des arguments similaires soulevés par les agents. Il y a une résistance au changement. Il faut tout simplement que les gens s'adaptent aux nouvelles réalités.

Le sénateur Massicotte : Donc, les mêmes arguments ont été soulevés dans d'autres pays, mais vous semblez dire que les gens qui soulèvent de tels arguments ont tous tort. Donc, ce ne sont pas seulement les Canadiens qui ont tort, mais aussi l'ensemble de la communauté internationale?

M. Halucha : Non, en fait, c'est le contraire. Nous avons étudié l'évaluation portant les mesures qui ont été prises par ces pays. Par exemple, l'un des arguments invoqués ici est le fait qu'un plus grand nombre de demandes fallacieuses seront présentées au Canada. Des arguments semblables ont été soulevés dans d'autres pays. Nous avons parlé à des spécialistes en élaboration de politiques qui ont vécu cette expérience. Le Canada est presque le dernier pays développé à adhérer à ce système. Tous nos partenaires commerciaux y adhèrent, ce qui signifie que de toute évidence, il présente des avantages. Bon nombre d'entre eux ont dû passer par une étape de transition après avoir adhéré aux traités. Ils ont réussi à mettre en œuvre les changements et ils profitent maintenant des avantages du système. Pendant une période donnée, certains de ces pays ont dû composer avec de telles affirmations.

Le sénateur Tannas : Je ne suis que de passage au comité, mais je ne peux m'empêcher de poser quelques questions.

La lettre dans laquelle ces gens exprimaient leurs préoccupations parlait de « trolls ». Nous parlons ici du fait de réserver le nom d'une personne ou d'un concept pour un nom de domaine Internet pour empêcher quelqu'un d'autre de l'utiliser ou pour faire des profits. Quelle a été l'expérience des autres pays en la matière? Si nous sommes les derniers à adhérer au système, les autres pays doivent bien avoir une vaste expérience dans ce domaine. Est-ce que les autres signataires du Protocole de Madrid ont eu à composer avec des « trolls »?

M. Halucha : Il se pourrait qu'il y ait des « trolls » à l'heure actuelle dans notre système. En fait, à force de discuter avec des gens, nous avons appris que certaines personnes ont tenté de présenter des demandes fallacieuses. Un système de freins et de contrepoids, que Darlene pourrait vous expliquer, a été mis en place pour traiter ces demandes fallacieuses et veiller à la protection des marques de commerce.

Nous n'avons pas de raison de croire qu'il y aura une quelconque augmentation à cet égard. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que nous ferons maintenant partie d'un système beaucoup plus vaste qui compte beaucoup plus de marques de commerce que notre système en compte à l'heure actuelle au Canada. Il est certain qu'il y aura une augmentation du nombre de marques de commerce étrangères. Cela dit, nous sommes convaincus que notre système est solide, tant à l'étape de l'examen qu'à l'étape de l'opposition, et qu'il nous permettra d'intervenir en ce qui concerne les marques de commerce de ce type.

Le problème posé par les « trolls » s'apparente en quelque sorte aux problèmes qui se sont posés en ce qui concerne la politique sur les brevets et, dans une certaine mesure, le droit d'auteur. Cependant, il n'y a pas de phénomène similaire en ce qui concerne les marques de commerce.

Nous venons tout juste de conclure une série de tables rondes dans environ neuf villes. En janvier et en février, nous avons rencontré les représentants de 100 entreprises. Lors de ces rencontres, nous avons précisément discuté de la question des « trolls ». Les participants ne se sont pas montrés préoccupés par le fait que ce problème pourrait toucher les marques de commerce. Nous avons mentionné que pendant une partie de la période pendant laquelle nous avons organisé ces tables rondes, les traités étaient étudiés par la Chambre des communes.

Le sénateur Tannas : Encore une fois, dans la lettre dont j'ai parlé plus tôt, ou peut-être dans une autre lettre, on pouvait lire que les États-Unis ont établi que l'emploi de la marque de commerce était un critère essentiel et devait être maintenu. Ce critère est en ce moment appliqué ici, au Canada. Est-ce que ce pays a signé l'accord de Madrid? Vous ne l'avez pas mentionné.

M. Halucha : Oui, les États-Unis ont signé cet accord.

Le sénateur Tannas : Pourquoi peuvent-ils procéder ainsi alors que nous, nous devons apporter des changements? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Halucha : Bien sûr.

En fait, les États-Unis ont été aux prises avec un problème constitutionnel, dont le gouvernement a pris acte. Lorsque ce pays a mis en œuvre les traités, il a aussi mis en œuvre un double système, dans le cadre duquel les requérants des États-Unis doivent encore présenter certains documents. Cette exigence ne s'applique pas aux requérants internationaux, ce qui signifie que ceux qui font une demande de marque de commerce en tant que requérant étranger ne sont pas tenus de fournir des documents dans le cadre du Protocole de Madrid. Par contre, les requérants des États-Unis, eux, doivent le faire.

Le problème, c'est que dans les faits, les entreprises américaines doivent assumer un fardeau plus lourd que les entreprises étrangères. Lorsque nous nous sommes demandé si une telle façon de faire serait appropriée pour le Canada, nous n'avons pas oublié que si nous procédions ainsi, nous imposerions un fardeau plus lourd aux entreprises canadiennes qu'aux entreprises étrangères. Puisque notre objectif était de réduire le fardeau des entreprises canadiennes, cette façon de faire semblait aller à l'encontre de celui-ci.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'ai une très courte question. Vous avez dit au début que, grâce au traité de libre-échange, les compagnies canadiennes feront affaire avec une entité et non avec 28 ou 30 entités membres de la communauté européenne. L'inverse s'applique-t-il pour le Canada?

Mme Carreau : La réponse est oui.

Le sénateur Maltais : Il en va de même pour le domaine pharmaceutique?

Mme Carreau : Absolument. C'est le cas pour n'importe quel domaine.

[Traduction]

La sénatrice Hervieux-Payette : Peut-être que je pourrai aider mes collègues à comprendre. La réalité, c'est que certains n'emploient pas les marques de commerce dont ils sont propriétaires. J'aimerais donc savoir si ces gens perdront leur marque de commerce si celle-ci n'est pas employée et qu'aucun produit n'est offert. Qui les empêchera d'utiliser la marque de commerce? Est-ce que ce sera notre propre organisme gouvernemental ou encore les autres entreprises qui aimeraient utiliser ce nom? En fait, c'est l'une des principales préoccupations exprimées.

Je suis intervenue dans un dossier. Une multinationale des États-Unis voulait s'opposer à l'emploi, mais il était trop tard et la date limite était dépassée. Même si l'entreprise a voulu entreprendre une procédure d'opposition, il y a eu un retard et, bien entendu, elle a perdu sa cause. Par la suite, lorsque nous avons voulu présenter une demande pour enregistrer le nom qui était approuvé au Canada et aux États-Unis, bien sûr, on nous a dit que nous devrions débourser au moins un million de dollars pour nous opposer à l'organisme responsable aux États-Unis. J'aimerais que les gens comprennent que lorsqu'il est question d'une marque de commerce, beaucoup d'argent est en jeu, et que les règles ne sont pas équitables pour tous.

J'aimerais savoir si nous pouvons avoir la certitude qu'une personne qui enregistre un nom et en devient propriétaire peut perdre ce droit de propriété s'il ne l'emploie pas. J'aimerais aussi savoir comment on procédera dans un tel cas.

Mme Carreau : On présume que cette personne a obtenu un enregistrement et qu'elle n'utilise pas la marque de commerce au Canada en ce moment. En vertu de nos exigences relatives à la scène internationale, la marque de commerce ne peut pas être contestée pendant trois ans, ce qui signifie qu'elle ne peut pas être contestée, ni maintenant, ni plus tard au cours de cette période.

La sénatrice Hervieux-Payette : Par qui?

Mme Carreau : Par personne. Elle ne peut pas être radiée pour des raisons de non-emploi. Cette mesure vise à offrir aux entreprises une période suivant l'enregistrement au cours de laquelle elles pourront entamer leurs activités et commencer à utiliser leur marque de commerce en toute légitimité dans le cadre de leur pratique commerciale. Nous n'allons pas les priver de leur marque si elles ne l'utilisent pas pour tous leurs biens et services dès le moment de son enregistrement. Les entreprises pourront continuer à bénéficier d'un délai de trois ans pour entamer leurs activités et commencer à utiliser leur marque de commerce.

Ce que vous voulez savoir, c'est ce qu'on peut faire pour se débarrasser de telles entreprises si elles sont toujours là après cette période de trois ans? Il existe une option. Toute tierce partie à qui on en a confié la responsabilité peut s'adresser à l'Office de la propriété intellectuelle du Canada. Nous avons un processus administratif simple et rapide qui permet de radier une marque de commerce qui n'est pas employée. Le tarif pour amorcer le processus s'élève à 450 $, alors on ne parle pas d'un montant exorbitant. En vue de la ratification des traités, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada envisage actuellement d'émettre lui-même ces avis et de ne plus obliger toutes les entreprises à lui soumettre une preuve d'emploi. Nous pourrions cependant réaliser des vérifications et envoyer des avis aux entreprises pour leur demander de nous prouver qu'elles emploient la marque de commerce sur le marché.

La sénatrice Hervieux-Payette : Si elles ne l'emploient pas, allez-vous la radier vous-mêmes?

Mme Carreau : Elle est retirée du registre. Il s'agit du seul et unique objectif de cette procédure de radiation prévue par l'office. Le processus actuel est reconnu pour son efficacité sur la scène internationale. L'INTA le présente même comme un processus modèle aux autres pays parce qu'il permet d'éliminer ce que nous appelons les marques inactives, qui ne sont pas employées sur le marché, de façon efficiente et économique.

La sénatrice Hervieux-Payette : Quelle est la différence entre l'enregistrement grâce au nouveau système en Europe et celui aux États-Unis? Comment serait traitée la demande d'une entreprise canadienne qui voudrait enregistrer sa marque de commerce tant pour le marché européen qu'américain?

Mme Carreau : Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre question. Les entreprises peuvent décider d'utiliser ou non la nouvelle façon de faire, le système d'enregistrement de Madrid. Si c'est économique pour elles, elles peuvent choisir cette option et sélectionner les pays pertinents, l'Union européenne et les États-Unis, dans ce cas-ci. La demande qu'elles ont présentée au Canada leur permet de produire une demande d'enregistrement de leur marque de commerce dans ces pays et d'y obtenir une protection.

Elles sont tenues de respecter les règles de l'Union européenne et des États-Unis, tout comme les entreprises de l'étranger qui viennent au Canada doivent respecter les lois canadiennes.

Le sénateur Massicotte : Par souci de clarification concernant l'Europe, on nous dit — et je crois que c'est un témoin que nous entendrons sous peu qui le dit — qu'au Canada, 2 p. 100 des marques de commerce sont contestées, mais qu'en Europe, ce pourcentage peut atteindre 50 p. 100 à cause du nouveau système. En fait, je crois qu'on fait allusion au juge Jacob, qui n'a pas caché son exaspération face au nouveau régime des marques de commerce et a vigoureusement condamné celui-ci. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.

Mme Carreau : Au Canada, le taux d'opposition varie entre 2 et 5 p. 100. Nous recevons quelque 50 000 demandes d'enregistrement de marques de commerce par année. La charge de travail actuelle de la commission — que je préside — est de 1 600 cas d'opposition à l'enregistrement d'une marque. Très peu de demandes sont contestées.

Ce qu'il faut savoir au sujet de l'Union européenne, c'est que son bureau d'enregistrement des marques de commerce ne procède pas à des examens reposant sur des critères de fond, ce qui signifie que ses examinateurs ne cherchent pas à déterminer si une entreprise est habilitée à employer une marque de commerce. Celle-ci engendre-t-elle de la confusion avec la marque d'une autre entreprise? Est-elle réellement distinctive, de manière à être un indicateur de la source ou de la qualité des produits ou des services de l'entreprise? Les pays européens ne font pas ce genre d'examen, qu'ils ont relégué à leur commission des oppositions. C'est la politique qu'ils ont adoptée.

Au Canada, nous avons décidé de continuer à examiner les demandes en nous fondant sur ces critères. Les examinateurs des marques de commerce de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada empêcheront que certaines de ces marques ne soient contestées par une tierce partie devant la commission des oppositions en évitant qu'elles fassent l'objet d'une demande d'enregistrement en premier lieu. On ne s'attend donc pas à ce que notre taux d'opposition ressemble à ceux qu'on observe dans l'Union européenne. Il est possible qu'il augmente légèrement, mais il ne sera en rien comparable à ce qui s'est vu dans l'Union européenne.

Le sénateur Massicotte : Quel pourcentage pourrait-il atteindre, selon vous?

Mme Carreau : Je ne crois pas qu'il dépasserait 7 ou 8 p. 100.

Le sénateur Massicotte : Et à combien se chiffre-t-il actuellement?

Mme Carreau : En ce moment, il se situe en moyenne aux environs de 2 à 5 p. 100. Cela représenterait le pire scénario.

Il se peut que le taux augmente uniquement en raison du volume. Il est à espérer que le Canada profitera d'une hausse du nombre d'enregistrements qui se feront pour son territoire; le cas échéant, les cas d'opposition pourraient être plus nombreux, uniquement parce que le volume de demandes est plus élevé.

Le président : Voilà qui met fin à nos questions. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir témoigné aujourd'hui.

Chers collègues, nous poursuivons notre étude préalable de la division 25 de la partie 6, qui modifie la Loi sur les marques de commerce. Après avoir entendu les fonctionnaires, nous passons maintenant aux témoins représentant diverses associations qui doivent composer avec cette loi dans le cadre de leur travail.

Je suis heureux d'accueillir Philip Turi, avocat général et directeur des Services d'affaires mondiaux de Manufacturiers et exportateurs du Canada; Scott Smith, directeur principal de la Propriété intellectuelle et politique d'innovation de la Chambre de commerce du Canada; Dan Bereskin, associé — je suppose associé principal — de Bereskin & Parr, Droit de la propriété intellectuelle; Coleen Morrison, vice-présidente de la Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle, et Robert Storey, président de la Commission d'adhésion, aussi de la Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle.

Je cède maintenant la parole à M. Turi.

Philip Turi, avocat général et directeur, Services d'affaires mondiaux, Manufacturiers et exportateurs du Canada : Merci à vous tous, honorables sénateurs, de m'offrir cette occasion de m'adresser à vous ce matin. Je suis heureux d'être ici au nom des 10 000 membres de Manufacturiers et exportateurs du Canada, MEC, pour discuter du projet de loi C-31 et des modifications qu'il prévoit à la Loi sur les marques de commerce du Canada.

Avant de vous faire part du point de vue de MEC, j'aimerais mentionner que le secteur manufacturier est le plus important secteur commercial au Canada. Les manufacturiers emploient plus de 1,8 million de travailleurs qui occupent des emplois à valeur ajoutée qui sont très productifs et très bien payés. Ils jouent un rôle indispensable dans la création de richesse pour soutenir le niveau de vie de tous les Canadiens.

Plus de 85 p. 100 des membres de Manufacturiers et exportateurs du Canada sont de petites et moyennes entreprises, et bon nombre d'entre elles sont aussi des exportateurs qui comprennent donc très bien les défis associés à la pénétration de nouveaux marchés mondiaux. MEC appuie les efforts du gouvernement visant à ouvrir de nouveaux marchés pour les exportateurs canadiens et se réjouit des progrès réalisés récemment relativement à la conclusion d'accords commerciaux avec l'Europe et l'Asie.

Même si nous comprenons la nécessité, d'un point de vue pratique et juridique, d'harmoniser la Loi sur les marques de commerce du Canada avec les normes internationales, nous craignons que les modifications prévues par le projet de loi C-31 entraînent des conséquences imprévues qui nuiraient aux entreprises qui font des affaires au Canada.

J'aimerais me concentrer sur deux aspects du projet de loi qui ont trait à la Loi sur les marques de commerce.

D'abord, les modifications proposées semblent avoir pour objectif de simplifier et d'accélérer le processus d'enregistrement. Or, le fait d'abolir l'exigence relative à l'emploi risque d'ouvrir la porte à des demandeurs ayant peu ou pas d'intérêt légitime dans une marque de commerce, qui pourront alors obtenir des droits exécutoires au détriment des entreprises qui ont employé la marque de commerce en question ou qui ont réellement l'intention de le faire dans le cadre de leurs activités commerciales. Bien qu'on ait accordé aux titulaires de marques de commerce de nouveaux outils pour les aider à faire respecter leurs droits, les modifications proposées leur feront porter la responsabilité de vérifier auprès du registraire des marques de commerce si les marques de commerce ont été employées avant la date de leur enregistrement.

Nous soutenons que ces modifications risquent d'entraîner une hausse des coûts pour les titulaires de marques de commerce, qui devront surveiller le marché et assumer les coûts associés aux procédures d'opposition et de radiation, lesquels peuvent être passablement élevés. Les enquêtes et les recherches qu'il leur faudrait mener feraient aussi augmenter les coûts. Ces coûts supplémentaires devront être assumés par les entreprises qui veulent protéger leurs marques de commerce et ils risquent de représenter un fardeau additionnel que les petites entreprises d'aujourd'hui n'ont honnêtement pas les moyens de supporter.

De plus, l'abolition de l'exigence relative à l'emploi risque d'exposer les entreprises canadiennes aux squatteurs de marques qui pourraient enregistrer des marques sans motif commercial légitime et obliger les entreprises à payer pour les récupérer. Les modifications proposées à la Loi sur les marques de commerce par le projet de loi C-31 doivent tenir compte de cette possibilité très concrète et prévoir des mécanismes de rechange pour faire en sorte que la surveillance des enregistrements est assumée à parts égales par le gouvernement et l'industrie. Il faudrait également inclure des dispositions permettant de sévir contre la pratique du squattage de marques de commerce que l'on observe dans d'autres régions du monde où des systèmes fondés sur l'enregistrement ont été adoptés.

Ensuite, les modifications à la Loi sur les marques de commerce prévues par le projet de loi C-31 semblent également harmoniser le processus de production d'une demande et d'enregistrement de marques de commerce du Canada avec les procédures normalisées qu'on retrouve dans d'autres traités internationaux sur les marques de commerce. La mise en œuvre du Protocole de Madrid revêt une importance particulière pour les manufacturiers et les exportateurs canadiens parce que cet accord permettra aux demandeurs de présenter une demande d'enregistrement de marques de commerce dans plusieurs pays par l'entremise de l'office de la propriété intellectuelle de leur pays d'origine.

Or, en plus de maintenir la pratique actuelle qui oblige les demandeurs à décrire les biens et les services dans les termes ordinaires du commerce, les modifications feraient en sorte que les déposants d'une marque de commerce seraient désormais tenus de classifier leurs produits et services en fonction de la classification de Nice. Nous craignons, entre autres, que cette exigence entraîne une hausse des frais de production d'une demande. Nous craignons également que la courbe d'apprentissage des examinateurs après la mise en œuvre de la classification de Nice augmente la charge de travail de l'office et ralentisse le traitement des demandes.

Par ailleurs, le registraire aura maintenant la capacité d'exiger que le titulaire d'une marque de commerce regroupe ses biens ou ses services selon les classes de la classification de Nice, sous peine de voir l'enregistrement de sa marque de commerce radié. En cas de différend concernant la classification, la décision du registraire est définitive et, à l'heure actuelle, elle est sans appel, du moins en vertu des modifications proposées.

C'est pourquoi les modifications proposées devraient prévoir un délai de grâce afin de laisser aux entreprises et à leurs conseillers juridiques le temps de se familiariser avec le système de la classification de Nice. En outre, les règlements d'exécution devraient prévoir un processus d'appel clairement défini en cas de différend.

En conclusion, bien que MEC soit favorable aux modifications qui visent à moderniser et à harmoniser la Loi sur les marques de commerce du Canada, nous estimons qu'il importe de trouver un juste équilibre entre ces objectifs et les réalités pratiques associées à l'exploitation d'une entreprise au Canada. Au bout du compte, toute modification doit permettre de créer un climat des affaires stable en sol canadien en favorisant une plus grande certitude commerciale, en réduisant les coûts et en amoindrissant le fardeau de la réglementation, et non le contraire.

Scott Smith, directeur principal, Propriété intellectuelle et politique d'innovation, Chambre de commerce du Canada : Monsieur le président et honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici au nom de la Chambre de commerce du Canada. Notre association assure un lien vital entre le milieu des affaires et le gouvernement fédéral. Notre réseau compte plus de 450 chambres de commerce qui représentent plus de 200 000 entreprises de toute taille, de tous les secteurs économiques et de toutes les régions du Canada.

Je suis également ici au nom du Conseil canadien de la propriété intellectuelle, le CCPI, qui est une unité de la Chambre de commerce du Canada vouée à l'amélioration des droits de propriété intellectuelle au Canada.

Dans le cadre du projet de loi C-31, le gouvernement du Canada propose des modifications à la Loi sur les marques de commerce. Comme vous l'avez entendu ce matin, certaines de ces modifications ont trait à la mise en œuvre de traités internationaux sur la propriété intellectuelle tels que le Protocole de Madrid, le Traité de Singapour et l'Arrangement de Nice.

Le Protocole de Madrid porte création d'un système international d'enregistrement des marques de commerce; le Traité de Singapour, pour sa part, porte création d'une norme internationale commune aux fins de l'enregistrement des marques de commerce; l'Arrangement de Nice, quant à lui, porte création d'une norme internationale de classification des marchandises et des services aux fins de l'enregistrement des marques de commerce et des marques de service. Bien qu'aucun de ces traités ne vise l'harmonisation des marques de commerce, en ce sens que les pays signataires n'ont pas à modifier en profondeur leurs lois nationales, je tiens à préciser que nous ne contestons pas la nécessité d'aller de l'avant avec ces traités. Par ailleurs, nous n'avons rien contre l'objectif louable de simplifier et d'accélérer le processus d'enregistrement. Ici encore — en surface —, il s'agit d'une bonne chose.

Toutefois, le retrait de l'obligation d'utilisation permettrait aux demandeurs d'obtenir des droits exécutoires pour des marques qu'ils n'ont aucune intention d'employer. Cette possibilité pourrait pénaliser ceux qui veulent véritablement utiliser la marque en question. C'est sur ce point que je compte axer mon intervention, à savoir les dispositions relatives à l'« utilisation ».

Les lois canadiennes ne reconnaissent pas les droits à une marque de commerce « sans entrave ». En d'autres mots, ce n'est pas la marque de commerce en soi qui est protégée, mais plutôt l'achalandage qu'elle symbolise. Sans utilisation, il n'y a pas d'achalandage. C'est pourquoi ce qui est proposé constitue un tel changement radical par rapport à nos lois actuelles : on veut remplacer un système fondé sur l'achalandage par un système fondé sur l'enregistrement. L'élimination de l'obligation d'utilisation en tant que préalable à la création de droits exécutoires relatifs à une marque de commerce fausse la donne par rapport aux intérêts du public et des commerçants loyaux.

Plus précisément, la simplification des exigences relatives aux demandes d'obtention d'une marque de commerce canadienne, notamment en n'obligeant plus les demandeurs à préciser la « date à laquelle la marque a été employée pour la première fois », à propos d'une marque qui a été utilisée au Canada, constitue un désavantage concurrentiel pour les entreprises canadiennes.

En outre, ce changement favorisera l'« exagération ». J'entends par là que des marques seront enregistrées pour un grand nombre de marchandises et de services qui ne seront jamais utilisés. Une telle modification signifierait que quiconque peut enregistrer une marque de commerce pour n'importe quelle marchandise ou n'importe quel service simplement en payant des droits au gouvernement. Une telle mesure ouvrirait la porte aux chasseurs de marques de commerce qui enregistreraient ainsi des appellations et des marques de commerce déjà existantes et qui, de ce fait, s'en approprieraient la valeur aux dépens des actuels propriétaires non enregistrés. Le problème des chasseurs de marques de commerce a pris beaucoup d'ampleur là où on a adopté un système reposant simplement sur l'enregistrement et non sur l'emploi de bonne foi.

Une telle modification aura également pour effet d'encombrer le répertoire des marques de commerce de marques inutilisées, ce qui en fera un outil de recherche beaucoup moins utile et gonflera les coûts et engendrera de l'incertitude pour les entreprises canadiennes qui voudront choisir et utiliser un nouveau nom d'entreprise ou une nouvelle marque de commerce.

Dans une large mesure, les marques de commerce contribuent grandement à créer un climat de confiance avec les consommateurs. Les entreprises investissent beaucoup d'argent et de ressources pour stimuler la confiance des consommateurs envers une marque. Donner aux entreprises l'avantage de l'application de la loi que procure l'enregistrement sans exiger en retour qu'une marque de commerce soit utilisée mine la confiance des consommateurs, car la marque de commerce n'est plus un symbole d'achalandage si elle n'est pas utilisée.

Une telle situation pourrait engendrer de la confusion sur le marché. Autre risque : une entreprise locale utilisant la même appellation depuis de nombreuses années, sans toutefois l'avoir enregistrée, pourrait faire l'objet d'une contestation de la part d'un titulaire d'enregistrement affirmant n'avoir jamais eu connaissance de l'existence de l'appellation utilisée par l'entreprise locale, ce qui donnerait lieu à une confrontation entre les droits locaux et les droits d'enregistrement. Et ce sera pire si l'appelant n'a aucune utilisation, où que ce soit. On pourrait assister ici à une contestation constitutionnelle. La loi fédérale sur les marques de commerce est justifiée au titre de la « réglementation des échanges et du commerce » sous l'égide du partage constitutionnel des pouvoirs. Sans utilisation, il n'y a ni échange, ni commerce. On pourrait donc assister ici à un conflit avec les pouvoirs des provinces associés à la propriété et aux droits civils.

Enfin, il importe de noter que les modifications proposées à l'obligation d'utilisation ne sont pas nécessaires aux fins du respect des traités. Les États-Unis sont l'un des pays signataires des traités, et ils ont conservé la notion d'utilisation comme critère d'enregistrement. Le système américain prévoit également des exigences suivant l'enregistrement qui contribuent à restreindre l'exagération et à limiter le champ d'action des chasseurs de marques de commerce.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-31 vont à l'encontre d'une harmonisation réglementaire avec notre plus important partenaire commercial. Nous sommes d'avis que le système canadien d'enregistrement devrait continuer à reposer sur l'utilisation, sur l'intention de bonne foi d'utiliser une marque de commerce au Canada ou, encore, sur un enregistrement dans le pays d'origine conjugué à l'utilisation dans au moins un autre pays avant le dépôt d'une demande au Canada, ou encore sur l'utilisation de la marque de commerce dans un pays autre que le Canada et le fait que la marque de commerce est bien connue au Canada.

Voilà qui conclut mes observations. Merci.

Dan Bereskin, associé, Bereskin & Parr, Droit de la propriété intellectuelle : Je vous remercie, sénateur Gerstein.

Le problème que pose l'autorisation d'enregistrer des marques de commerce sans aucune obligation d'utilisation est qu'un grand nombre d'enregistrements inutiles engorgeront le Registre des marques de commerce, ce qui rendra le processus d'approbation beaucoup plus cher et beaucoup moins certain qu'il l'est aujourd'hui.

Au sujet de ce que Mme Carreau a dit, imaginez un pauvre examinateur au Bureau des marques de commerce étudiant une demande de marque de commerce présentée par un étranger, une marque qui n'est utilisée nulle part, qui recouvre 39 catégories de produits, comme les pesticides contre les rats et la vermine, en passant par des services vétérinaires et des services liés à la construction, à l'agriculture, à l'horticulture et à la foresterie. C'est un enregistrement qui a été accordé à l'entreprise espagnole Primeriti, une chaîne de grands magasins. Je l'ai trouvé en faisant une recherche pour savoir quels sont les enregistrements de l'entreprise Clearwater Seafoods en Europe; il se trouve qu'elle a un enregistrement pour le homard de première qualité. En effectuant une recherche, vous tomberiez sur cette information. Pouvez-vous vous imaginer des examinateurs qui tentent d'autoriser l'utilisation d'une marque de commerce en s'appuyant sur des critères relatifs, comme ceux mentionnés par Mme Carreau, et qui sont confrontés à des demandes ou à des enregistrements de marques de commerce comportant une aussi longue liste de produits? Voilà précisément ce que promet cette mesure législative.

Je crois qu'il est fort à propos de parler d'un ancien juge de la Cour d'appel du Royaume-Uni, sir Robin Jacob, l'un des plus éminents juges spécialisés dans le droit de la propriété intellectuelle au Royaume-Uni. Ce dernier ne s'inquiétait pas d'un changement à la loi ou de la perte de recettes pour non-dépôt d'une déclaration d'utilisation. Ce qui l'inquiétait et l'exaspérait, c'était le système européen, qui permet à tout un chacun d'enregistrer n'importe quelle marque de commerce pour n'importe quoi — n'importe quels produits ou services — sans la moindre obligation de l'avoir préalablement utilisée. Voici ce qu'il a dit :

[...] ces enregistrements superflus sont susceptibles de nuire au commerce. Bien entendu, on peut exiger des frais de ceux qui demandent l'enregistrement d'une marque de commerce ou qui envisagent de l'utiliser. Le problème doit être résolu. Des règles devront être mises au point le plus tôt possible pour que cessent ces absurdités. Dire qu'il pourrait y avoir plus tard une annulation partielle de ces caractéristiques en raison de leur non-emploi ne suffit pas. Qui voudrait y consacrer temps et argent au lieu de poursuivre ses activités?

Partout au pays, les avocats spécialisés en PI s'opposent à la conversion de notre droit, fondé sur l'utilisation, en un droit fondé sur l'enregistrement. Lundi dernier, Paul Halucha, lors de son témoignage devant le Comité de l'industrie, des sciences et de la technologie, a indiqué que la position des avocats est motivée par leur crainte de perdre l'argent qu'ils obtiennent pour remplir les déclarations d'emploi. Il a tort. Dans sa forme actuelle, le projet constituerait une manne pour les avocats.

Il y a plusieurs années, on a commencé à utiliser la marque communautaire comme solution de rechange à l'enregistrement national des marques de commerce — aujourd'hui, avec une marque communautaire, comme on les appelle, vous obtenez une protection dans les 29 pays de l'Union européenne.

J'avais alors demandé à un ami en Angleterre, un avocat spécialisé en marques de commerce qui a beaucoup d'expérience, si cette situation aurait un effet négatif sur le domaine de l'enregistrement des marques de commerce au Royaume-Uni. « Pas du tout, m'a-t-il répondu; ce que nous perdrons en honoraires d'enregistrement des marques de commerce en Angleterre, nous le récupérerons largement en contestations et litiges. » Sa prédiction était juste.

Comme Mme Carreau l'a indiqué, en ce moment le taux de contestation n'est que d'environ 2 p. 100, mais il y a 50 000 demandes qui sont présentées au Canada chaque année. Pour l'instant, il n'y a que 1 600 contestations, et celles-ci ont été présentées sur plusieurs années. Le taux annuel est probablement bien moindre que 2 p. 100. Je ne sais pas quand il a été de 5 p. 100. Cela doit donc faire assez longtemps.

En Europe, dans le document, j'ai dit que le taux était de 15 p. 100. En fait, selon les derniers chiffres de l'Office de l'harmonisation dans les marchés intérieurs, il se situe plutôt à 18 p. 100. Il ne diminue pas, il augmente. Si la situation est excellente pour les avocats, elle est très mauvaise pour les entreprises canadiennes.

M. Halucha n'était pas bien informé lorsqu'il a dit au Comité de l'industrie, des sciences et de la technologie que les coûts d'enregistrement pour les propriétaires de marques de commerce canadiens diminueraient; il est certain qu'ils augmenteront substantiellement en raison de l'augmentation des contestations et des litiges.

En tant qu'avocat pratiquant le droit de la PI, je dois dire que je suis très fier des 160 avocats spécialisés dans ce domaine au Canada, qui, dans chaque province, ont placé le bien-être des entreprises canadiennes au-dessus de leur propre intérêt financier.

En outre, le Canada peut facilement adhérer à divers traités sans avoir à renoncer à l'utilisation en tant que condition d'enregistrement. Selon M. Halucha, les États-Unis ne l'ont pas fait pour des raisons constitutionnelles. Eh bien, le pouvoir constitutionnel aux États-Unis est nourri par les échanges et le commerce prévu dans la Constitution américaine. Il en va de même pour nous, car il nous faut réglementer les échanges et le commerce pour avoir des lois fédérales valides. Les États-Unis l'ont fait tout en satisfaisant pleinement aux exigences du Protocole de Madrid, du Traité de Singapour et de l'Arrangement de Nice.

Je signale également quelques statistiques qu'il est bon de connaître pour comprendre l'incidence que cela aura sur les entreprises canadiennes. Les demandeurs américains — les entreprises américaines — présentent cinq fois plus de demandes aux États-Unis que les demandeurs étrangers. Contraste frappant, au Canada, les entreprises étrangères présentent plus de demandes d'enregistrement de marque de commerce que les entreprises canadiennes. Je pose donc la question suivante : à qui profitent ces traités?

Je souligne aussi qu'aucun des traités auxquels le Canada participera ne concerne l'harmonisation du droit des marques de commerce. Il est absolument faux d'affirmer qu'il s'agit d'un exercice d'harmonisation. Ce n'est aucunement le cas. À preuve, les États-Unis n'ont apporté aucun changement important à leur droit, et cela ne les a pas empêchés d'y adhérer.

Pour vous montrer la popularité du Protocole de Madrid aux États-Unis, qui sont un important exportateur net de marques de commerce, en 2012, les propriétaires de marque de commerce basés aux États-Unis ont présenté 261 893 demandes de marques de commerce aux États-Unis. Par contre, seulement 16 436 demandes ont été présentées en vertu du Protocole de Madrid par des propriétaires de marque de commerce américains la même année. Ceux-ci calculent s'il est plus économique pour eux de faire une demande de marque de commerce communautaire ou de présenter une demande dans le cadre du Protocole de Madrid. Ils ont conclu que, pour cette raison et pour d'autres, il leur est plus avantageux d'obtenir des enregistrements de marques communautaires que d'utiliser le Protocole de Madrid. Voilà qui montre que 10 ans après la ratification du Protocole de Madrid par les États-Unis, celui-ci continue de ne pas être particulièrement populaire, même aux États-Unis.

C'est particulièrement important lorsqu'on tente de présenter des arguments en faveur du Protocole de Madrid en ce qui concerne le Canada, car en 2012 — la dernière année où j'ai été en mesure de voir des chiffres à ce sujet — les entreprises canadiennes ont présenté 21 741 demandes au Canada et 9 823 demandes aux États-Unis. On s'attendrait à ce que les entreprises canadiennes soient fortement intéressées par les États-Unis; c'est bien le cas. Elles n'ont présenté que 989 demandes de marque de commerce communautaires, bien que celles-ci offrent une protection dans 29 pays.

Je ne suis pas contre la ratification du Protocole de Madrid, mais je crois que ses avantages ont été grandement exagérés, comme le prouvent ces statistiques. Le Protocole de Madrid n'entraînera pas une diminution des coûts pour les entreprises canadiennes qui s'intéressent seulement au marché américain; et même les entreprises canadiennes qui veulent étendre leur marché devront faire le calcul afin de déterminer si elles y trouvent leur compte ou non.

Enfin, mentionnons qu'il suffirait de modifier quelques articles du projet de loi pour régler le problème. Il s'agit des articles permettant à tout un chacun d'enregistrer une marque de commerce, pourvu qu'elle ne ressemble pas à une marque de commerce déjà enregistrée, pour tout produit ou service, quel qu'il soit, sans que la marque soit utilisée au Canada ou dans le pays d'origine du demandeur.

En 1947, le gouvernement a créé une commission regroupant des personnes fort intelligentes, compétentes et expérimentées, notamment des représentants de la Chambre de commerce, de l'Association des manufacturiers canadiens, de différentes associations juridiques ainsi que trois des plus éminents avocats spécialisés en marque de commerce au Canada à l'époque. Ils ont étudié la question pendant cinq ans, puis ils ont créé ce qui, à mon sens, est le meilleur système au monde, un système que le projet de loi menace de détruire.

Le président : Je vous remercie, monsieur Bereskin.

Madame Morrison, c'est à vous.

Coleen Morrison, vice-présidente, Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle : Bonjour, et merci de me donner l'occasion de comparaître devant le comité au sujet d'une question aussi importante.

Je m'appelle Coleen Morrison. Je représente la FICPI Canada, qui est l'Association nationale canadienne de la Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle (FICPI).

La FICPI représente environ 5 000 avocats spécialistes de la propriété intellectuelle en pratique privée de plus de 80 pays au monde. La FICPI Canada compte environ 100 membres représentant la quasi-totalité des grandes entreprises de propriété intellectuelle qui sont à l'origine de la majorité des demandes présentées à l'Office de la propriété intellectuelle (OPIC) chaque année. Les clients de nos membres représentent toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, y compris de grandes sociétés, des petites et moyennes entreprises et des particuliers.

Je suis accompagnée de mon collègue Robert Storey.

Pour certains, la loi sur les marques de commerce peut sembler revêtir un caractère assez technique. Cependant, les marques de commerce présentent de précieux avantages pour une entreprise. Par conséquent, un système d'enregistrement des marques de commerce qui fonctionne bien est un élément nécessaire d'une économie moderne concurrentielle. Les marques de commerce et leur application comptent pour les Canadiens, et ce, pour toutes sortes de raisons.

Je voudrais donc vous expliquer ce que nous voyons comme des conséquences négatives importantes d'un aspect précis du projet de loi C-31. Les marques de commerce comme Ski-Doo, BlackBerry ou Banque Scotia distinguent les produits ou les services d'une entreprise de ceux de ses concurrents. L'enregistrement, entre autres, permet d'établir les droits et les revendications de propriété, et aide à éviter les conflits en servant à définir des paramètres clairs pour les droits qui sont revendiqués.

Les droits conférés par des marques de commerce visent à empêcher toute confusion sur le marché et à protéger la bonne foi de leur détenteur. Au Canada, ils ont toujours été liés à l'emploi de la marque. Le fait de simplement enregistrer un produit ou un service, s'il n'est pas lié à l'emploi, signifie simplement qu'on porte un certain intérêt à une marque. Cet intérêt est complètement détaché de tout emploi commercial.

Certaines modifications proposées dans le projet de loi C-31 équivalent ni plus ni moins à une restructuration fondamentale du système canadien d'enregistrement des marques de commerce, et ce, au détriment de ses utilisateurs.

Nous nous inquiétons tout particulièrement de la suppression de l'exigence fondamentale voulant que l'on doive démontrer l'emploi d'une marque de commerce pour justifier l'octroi des droits associés à l'enregistrement. Aujourd'hui, je voudrais aborder quatre aspects.

Premièrement, la modification proposée mènera à un plus grand nombre de contestations judiciaires qui exigeront des preuves plus compliquées, ainsi qu'à une augmentation des risques pour l'entreprise. Elle fera augmenter les autres frais, par exemple en raison de la nécessité de procéder à des enquêtes de marché pour déterminer les droits « réels » liés à un enregistrement. Nous entrevoyons aussi une pléthore de demandes « défensives » de plus grande envergure pour lesquelles les demandeurs n'ont pas d'intérêts commerciaux légitimes. Cela entraînerait de nouveaux coûts non seulement pour les entreprises, mais également pour l'OPIC, ces coûts prenant la forme de procédures d'examen plus complexes et d'une augmentation du nombre de procédures d'opposition, ainsi que pour la Cour fédérale, qui entend généralement les causes concernant l'enregistrement des marques de commerce.

Deuxièmement, nous prévoyons également qu'à la suite de ce changement, le registre canadien des marques de commerce deviendra surchargé par des marques de commerce étrangères que personne n'a jamais utilisées au Canada. Cela fera en sorte qu'il sera plus difficile et plus coûteux pour les entreprises canadiennes de choisir de nouvelles marques de commerce.

Troisièmement, le projet de loi C-31 fera en sorte que la portée des droits pour les marques déposées deviendra de plus en plus imprécise parce que les biens et les services seront moins bien définis qu'avant. Cela conduira certainement à une plus grande insécurité sur le plan juridique et, encore une fois, à l'augmentation des coûts pour toutes les parties.

Quatrièmement et finalement, nous voulons souligner au comité les éventuels problèmes constitutionnels qui ont été soulevés par mes collègues. Les dispositions visant à établir le système d'enregistrement des marques de commerce du Canada sont maintenues sur la base du pouvoir du Parlement en matière de commerce et d'échanges commerciaux. Si on abolit l'exigence relative à l'emploi — c'est-à-dire si on permet l'enregistrement de marques de commerce qui n'ont jamais vraiment été employées à des fins commerciales —, la validité du régime canadien pourrait être mise en doute. Cela aurait un effet déstabilisant et antiéconomique, c'est le moins qu'on puisse dire.

La FICPI Canada ne connaît aucun titulaire d'une marque de commerce ou groupe d'utilisateurs qui soit d'accord avec ces modifications proposées à la loi actuelle. À notre connaissance, dans les échanges préalables avec les organismes gouvernementaux, aucun groupe d'utilisateurs, y compris des organismes comme la FICPI et l'Association du Barreau canadien, n'a souscrit à l'abolition des exigences relatives à l'emploi.

On n'a pas justifié ce changement. De plus, les modifications proposées dans le projet de loi C-31 dépassent largement ce que nous, à titre de praticiens, considérons comme nécessaire pour permettre au gouvernement du Canada de mettre en œuvre le Protocole de Madrid et le Traité de Singapour, comme celui-ci le souhaite. Nous recommandons au comité de se tourner vers l'approche adoptée par les États-Unis à l'égard de ces questions, car elle est plus pertinente, et le Canada devrait en tirer des leçons.

Ces changements ajouteraient sans doute à la confusion et à l'incertitude dans les marchés et conduiraient peut-être à une plus forte demande de nos services en tant qu'agents de marques de commerce et avocats spécialisés dans ce domaine. Toutefois, nous ne pouvons discerner pour les entreprises canadiennes aucun avantage perceptible découlant de l'élimination de l'exigence relative à l'emploi.

Notre principale recommandation : le Parlement doit laisser tomber pour l'instant les propositions de modification des articles 16, 30 et 40 de la Loi sur les marques de commerce. Le projet de loi C-31 n'est tout simplement pas l'instrument approprié pour un changement qui a des répercussions aussi importantes. D'après nous, à l'heure actuelle, l'adoption de ces dispositions de la section 25 ne présente aucun avantage, mais elle ne fera qu'augmenter les coûts, accroître l'inefficacité et imposer un fardeau inutile aux entreprises canadiennes.

Nous serions très heureux de participer à de vastes consultations appropriées sur une politique relative aux marques de commerce, afin que l'opinion des détenteurs canadiens d'une marque de commerce et des utilisateurs du système soit prise en compte comme il se doit.

Merci. Nous attendons vos questions.

Le président : Merci, madame Morrison.

Monsieur Storey, voulez-vous ajouter quelque chose?

Robert Storey, président, Commission d'adhésion, Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle : Je vais attendre les questions des sénateurs. Merci beaucoup.

La sénatrice Hervieux-Payette : Ma première question s'adresse à M. Bereskin.

Un fonctionnaire nous a dit que le but de ces modifications était l'harmonisation. Je pense que vous avez fait remarquer qu'il n'est pas justifié de parler de cela. Quelle serait la raison d'être des modifications? Selon moi, nous sommes ici pour améliorer la situation des entreprises canadiennes, certainement pas pour ajouter de nouvelles règles qui nuiraient à leur efficacité. J'essaie de voir ce qu'il y a derrière cela.

Je pose la question, mais j'imagine que vous en savez plus que moi. J'ai cherché à me procurer le texte de l'accord de l'Union européenne, mais nous n'y avons pas encore accès. Il était censé être publié hier, mais il ne l'est pas. Où diable avons-nous trouvé cela — comme les États-Unis sont notre principal partenaire d'affaires, pourquoi un gouvernement ferait-il cela?

M. Bereskin : À mon avis, le fait que le gouvernement a pris tant de temps pour se pencher sur la question en dit long, car il est loin d'être certain que la ratification de ces traités profitera aux entreprises canadiennes. Par ailleurs, je vois un avantage considérable à adopter le Traité de Singapour, car il permet de déposer une demande de marque de commerce en fournissant un minimum de renseignements.

C'est possible aux États-Unis, qui ont, bien entendu, adopté le Traité de Singapour. Aux États-Unis, on peut obtenir une date de dépôt, ce qui permet d'établir un ordre de priorités. Avant que la demande soit traitée, cependant, il faut se demander si on la dépose en fonction de l'utilisation dans le commerce. Dans l'affirmative, il faut fournir une date. Contrairement à ce que Mme Carreau a dit, la loi actuelle n'exige pas que la date de la première utilisation soit précisée. On pourrait aussi affirmer qu'on a véritablement l'intention d'utiliser la marque de commerce. Je signale que la question de l'intention véritable ne se trouve pas dans le texte législatif. On peut aussi déposer une demande d'enregistrement dans le pays ou d'enregistrement selon le Protocole de Madrid.

Contrairement au Canada, les États-Unis n'exigent pas des propriétaires d'une marque de commerce étrangère qu'ils aient employé la marque ailleurs avant de présenter une demande d'enregistrement chez eux, mais ils ont des mesures de contrôle. Premièrement, ils exigent l'intention véritable d'employer la marque aux États-Unis. Deuxièmement, ils obligent les titulaires d'un enregistrement à prouver qu'ils emploient la marque de commerce entre la cinquième et la sixième année suivant l'obtention de l'enregistrement, contrairement à ce qui est proposé ici, à savoir que c'est à un tiers — ou peut-être au gouvernement, s'il y parvient — de prendre des mesures pour dénoncer un titulaire qui n'a pas employé sa marque de commerce.

Le Canada n'a jamais fait cela. Depuis que le comité a commencé à travailler, en1947, il a constaté que la chose sensée à faire, pour le Canada, est d'exiger des entreprises étrangères qu'elles aient à tout le moins employé la marque de commerce dans leur pays ou ailleurs avant de présenter une demande d'enregistrement au Canada. Une telle mesure met un frein aux demandes excessives, et c'est ce que nous avons fait pendant des années. Nous avons signé la Convention de Paris, tout comme les États-Unis. Personne n'a jamais contesté le droit du Canada d'imposer cette exigence. À mon avis, ce serait une erreur monumentale que d'y renoncer.

La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce que je me trompe en disant que vous ne vous opposeriez pas à ce que nous signions les protocoles de Madrid et de Singapour ou de Nice tout en conservant l'enregistrement? Y verriez-vous un inconvénient?

M. Bereskin : Pour ma part, je préférerais qu'on oublie le Protocole de Madrid, mais je pense que la profession en général ne s'oppose pas à ce que le Canada y adhère, pourvu qu'on ne chamboule pas complètement la Loi sur les marques de commerce.

La sénatrice Hervieux-Payette : Le nouveau régime permet d'enregistrer un nom, mais n'oblige pas à préciser à quelle fin il sera employé — qu'il s'applique à une pièce d'équipement, à un aliment, à un service ou à autre chose — ni même à indiquer qu'on a l'intention de l'employer. D'ordinaire, on veut protéger un produit ou un service. Il n'est pas fait mention de l'emploi dans le pays étranger ni au Canada. Cela équivaut à donner un chèque en blanc. Mon interprétation est-elle juste?

M. Bereskin : Ce n'est pas exactement un chèque en blanc, parce qu'il faut préciser les biens et les services auxquels l'enregistrement s'appliquera, mais on peut dresser une liste longue comme le bras, comme l'a fait un grand magasin à succursales espagnol. Pourquoi diable doit-il avoir un enregistrement dans 39 catégories différentes, aussi bien pour des produits comme les préparations pour exterminer la vermine que pour des services dans le domaine de la construction? C'est pour moi un mystère. Cela se fait constamment en Europe.

La sénatrice Hervieux-Payette : C'est un magasin à succursales?

M. Bereskin : Oui, un grand magasin à succursales.

La sénatrice Hervieux-Payette : En fin de compte, la raison pour laquelle nous allons dans cette direction est un mystère, parce qu'il semble que l'industrie tout entière, la chambre de commerce et tous les autres experts l'ont justement remarqué quand le projet de loi C-31 a été publié et ils en ont été abasourdis.

M. Bereskin : Honnêtement, je ne pense pas qu'on résiste beaucoup à la signature du Protocole de Madrid, bien que j'aie quelques réserves à son égard. Je ne crois pas que ce soit là que réside le problème. « Il ne cause pas de tort », comme disent les médecins. On peut y adhérer sans nuire aux entreprises canadiennes si on le fait de façon intelligente.

La sénatrice Hervieux-Payette : En tant que législateurs, ne pas légiférer?

M. Bereskin : Ne pas adopter de mauvaise mesure législative.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'aimerais avoir une réelle compréhension du dossier pour faire suite à ce que la sénatrice Hervieux-Payette vous a demandé. Vous êtes des avocats, vous avez étudié des lois et vous connaissez les traités. En résumé, ce que vous proposez n'empêche pas la ratification des traités en question. Ce que vous demandez s'apparente à ce que les Américains ont fait pour ratifier ces traités. Est-ce un énoncé clair de votre compréhension des enjeux du débat?

[Traduction]

Mme Morrison : Voilà une observation fort judicieuse, et c'est précisément la position que nous adoptons. Nous ne disons pas que notre formule doit être identique à celle des États-Unis, mais ces derniers ont adopté le Protocole de Madrid sans entraîner de modifications majeures à leur système, qui était très efficace. Nous pensons que vous pourriez peut-être vous inspirer de ce que font les États-Unis et adapter leur système aux besoins du Canada en le modifiant légèrement.

Oui, exactement; nous ne nous opposons pas au Protocole de Madrid. C'est un outil utile pour un petit nombre d'entreprises, et il devrait être possible d'y avoir accès. Nous estimons cependant que cela peut et doit être fait de manière à réduire au minimum les conséquences négatives pour l'ensemble des entreprises canadiennes, ce qui sera fait avec l'adoption de la nouvelle mesure législative.

Le sénateur Massicotte : Pour aller plus loin dans le débat, je pense que vous étiez dans l'auditoire quand le gouvernement a adopté leur point de vue. Il connaît parfaitement vos idées, mais il pense que vous avez tort. Il allègue qu'il n'est pas fait allusion à l'emploi dans le document d'enregistrement, mais en réalité, la preuve déterminante sera l'emploi. Il a fait quelques allusions — que vous avez entendues, j'en suis certain — aux modifications proposées, qui donnent clairement de l'importance à l'emploi et au critère pertinent. Que répondez-vous à cela?

M. Smith : Je pense qu'il importe de garder à l'esprit ce qu'on entend réellement par « efficacité ». En modifiant l'exigence relative à la documentation, on peut accélérer le traitement des demandes, mais on oblige l'entreprise à être en mesure de faire valoir ses droits à l'étape de l'opposition. En fait, on donne un enregistrement et tous les pouvoirs d'application qui l'accompagnent à des entreprises qui peuvent avoir ou non l'intention d'employer une marque donnée. C'est aux entreprises du Canada qu'il appartient de s'opposer en affirmant qu'il y a déjà un emploi ici. Elles doivent tâcher de lutter contre l'entreprise qui détient l'enregistrement.

Le sénateur Massicotte : Vous ne niez donc pas que l'emploi soit le point de référence permettant de conserver ses droits d'auteur ou ses droits relatifs à une marque de commerce, mais vous estimez que cela augmentera le coût des poursuites, étant donné qu'il y aura davantage de contestations?

M. Smith : Il se peut que l'inscrit n'utilise pas sa marque pendant trois ans. Entre temps, la société établie au Canada qui tente de s'opposer à cela doit attendre la fin de cette période de trois ans. Comme la plupart des entreprises ne sont pas disposées à attendre aussi longtemps, elles devront réinvestir dans une autre marque de commerce.

Le sénateur Massicotte : Parmi les autres arguments invoqués, vous avez dit que le système américain fonctionne bien. Je pense que cela figure dans leur proposition ou dans l'une des vôtres. Vous avez fait remarquer que, en vertu du système en vigueur aux États-Unis, les sociétés américaines doivent s'enregistrer pour des raisons constitutionnelles. J'imagine que les autorités maintiennent l'ancien système et le nouveau; toutefois, les obligations et le fardeau imposés aux sociétés américaines qui font enregistrer leur marque de commerce sont beaucoup plus importants que ceux imposés à des sociétés étrangères qui souhaitent faire affaire aux États-Unis. Est-ce le cas?

Mme Morrison : Oui.

Si vous le permettez, j'ajouterais que, lorsque l'Office de la propriété intellectuelle du Canada a mené des consultations sur cette question, il a semblé proposer et appuyer plusieurs cadres, dont le système américain, qui exigeait une preuve de l'utilisation de la marque de commerce après enregistrement. Je ne comprends pas pourquoi il a changé sa politique et décidé qu'il valait mieux adopter ce système.

Le sénateur Massicotte : J'espère que vous m'avez bien compris. Vous dites que vous avez adopté une partie du même système au Canada. Par conséquent, si c'est le cas, les exigences en matière de rapport imposées aux sociétés canadiennes qui souhaitent protéger leur marque de commerce seraient beaucoup plus rigoureuses que celles imposées aux sociétés étrangères qui cherchent à faire affaire au Canada. Pourquoi souhaiterait-on désavantager les sociétés canadiennes, comme cela semble être le cas aux États-Unis?

Mme Morrison : Je ne pense pas que les sociétés étrangères soient désavantagées. Ce que nous disons, c'est que tous les requérants devront établir leurs droits avec précision.

À titre de comparaison, pensez au régime d'enregistrement foncier. Beaucoup de gens peuvent vivre tout près les uns des autres parce qu'ils ont défini leurs droits avec précision. C'est ainsi que fonctionne notre système actuellement. Il y a parfois un peu d'empiétement, mais, dans la plupart des cas, nous savons très bien ce que sont les droits. Nous allons adopter un système en vertu duquel les gens pourront affirmer leur intérêt, sans pour autant définir leurs droits avec précision. Par conséquent, il régnera une certaine confusion au moment de déterminer la marque de commerce à utiliser, comme c'est le cas dans le cadre d'un régime d'enregistrement foncier, lorsque quelqu'un décide de construire une maison, mais qu'il ignore à quel endroit il le fera.

Le sénateur Massicotte : Toutefois, les preuves semblent démontrer que, dans le cas du système américain — c'est-à- dire un amalgame des deux —, l'ancienne façon d'enregistrer les marques de commerce est plus compliquée que la nouvelle, laquelle est fort simple. Il suffit de cocher les pays dans lesquels on souhaite faire une demande. Cette méthode semble plus efficiente. Permettez-moi de me répéter : si l'on adopte un système hybride, ne désavantage-t-on pas les sociétés canadiennes? Le système américain impose un fardeau plus lourd.

Mme Morrison : Comme mon collègue, M. Bereskin, l'a dit, le système américain est pourvu de mécanismes de contrôle. Dans le cadre du système américain, toutes les entreprises, étrangères ou nationales, sont tenues de prouver l'utilisation de la marque de commerce au bout de cinq et six ans.

Le sénateur Massicotte : Pas au moment de l'enregistrement. On nous dit que la bonne volonté sera fondée sur l'utilisation, mais, dans le système américain, si on utilise le régime prévu dans le Protocole de Madrid, ce ne sera pas le cas au moment d'enregistrer les demandes de protection.

Mme Morrison : Il existe deux différences. Aux États-Unis, ils doivent avoir l'intention de bonne foi d'utiliser une marque de commerce, ce qui n'est pas le cas pour nous. Dans le cas d'une société souhaitant englober toutes les catégories, comme la marque de commerce Primeriti, je ne vois pas comment on pourrait l'empêcher de présenter sa demande en vertu du système canadien. Par conséquent, le fait que l'expression « de bonne foi » soit utilisée aux États- Unis, mais pas au Canada, constitue une différence importante.

L'autre mécanisme de contrôle réside dans l'exigence de prouver l'utilisation de la marque de commerce après enregistrement.

Le sénateur Massicotte : En conclusion, vous dites qu'ils ont tort et qu'ils vous accusent d'être réticents au changement, de manquer de maturité, et ainsi de suite. Il est difficile de vous contredire. Vous dites qu'ils ont tort, que ces jeunes comprennent mal la situation.

Mme Morrison : J'ai bien peur que ce soit effectivement le cas.

Le président : Souhaitez-vous faire un commentaire après avoir reçu ces compliments?

M. Bereskin : Pour compléter la réponse de Mme Morrison, j'ajouterais que le système canadien, qui a été créé avant l'adoption de la Loi sur les marques de commerce actuelle, est remarquable, car ses rédacteurs savaient qu'il fallait encourager les entreprises à croître en utilisant de nouvelles marques de commerce. En même temps, il faut être conscient du fait que les marques de commerce sont synonymes de bonne volonté, laquelle est absolument primordiale.

Il a fallu aux Américains près de 40 ans avant de décider de s'inspirer du modèle canadien, en 1954. Ils ont établi que l'enregistrement devait dépendre de l'utilisation réelle ou prévue au Canada. Toutefois, si une société — étrangère ou canadienne — enregistre une marque de commerce en fonction de son utilisation prévue au Canada, elle doit prouver qu'elle s'en est servie à l'intérieur d'un échéancier précis, à la suite de l'approbation de la demande. Comme il est possible de prolonger cet échéancier, une société peut conserver sa marque de commerce pendant cinq ou six ans après la date de la demande, avant qu'elle soit finalement tenue de présenter une déclaration d'utilisation.

Par ailleurs, le Canada, ou le comité de révision de la loi sur les marques de commerce, s'est rendu compte, en 1947, qu'il fallait mettre un frein à la propension des propriétaires de marques de commerce étrangères à faire enregistrer absolument tout. Les autorités canadiennes y sont parvenues en déclarant que les sociétés ayant fait enregistrer des biens ou des services précis devaient à tout le moins avoir utilisé la marque de commerce dans leur pays d'origine ou à l'étranger. Il est interdit de faire enregistrer une marque de commerce au Canada en fonction d'un très large éventail de biens et de services si elle n'est pas utilisée ailleurs. Ce compromis, qui est en vigueur depuis 70 ans, a donné d'excellents résultats — en fait, des résultats bien meilleurs que ceux obtenus aux États-Unis.

Le sénateur Massicotte : Si notre système est tellement supérieur aux autres, comment se fait-il alors que, lorsqu'ils se sont réunis pour prendre une décision quant au nouveau système — puisque vous avez dit que les Américains se sont inspirés de notre système pour améliorer le leur —, les représentants de la communauté internationale n'aient pas adopté le système canadien?

M. Bereskin : Sénateur, le Canada est un pays jeune. Les Européens ont une longue expérience dans ce domaine. Ils sont persuadés qu'il faut enregistrer une marque de commerce comme on le fait dans le cas d'un brevet. Le droit de propriété est inscrit dans l'enregistrement. Il ne dépend pas de la bonne volonté sous-jacente. C'est là que réside la principale divergence d'opinions entre nous cinq et le gouvernement. Selon nous, les droits relatifs aux marques de commerce doivent être fondés sur leur utilisation. Le gouvernement, quant à lui, dit ceci : « Non, il n'y a pas de problème. Nous allons tout simplement laisser les gens enregistrer leur marque de commerce, puis, tôt ou tard, ils devront l'utiliser, sinon ils risquent de voir l'enregistrement être annulé pour cause de non-utilisation. » Toutefois, comme le juge Robin Jacob l'a dit, qui se chargera des annulations? Qui attendra pendant trois ou cinq ans avant d'annuler l'enregistrement alors qu'on souhaite faire des affaires? Voilà les conséquences possibles de ce projet de loi.

Mme Morrison : À l'origine, le Protocole de Madrid était un outil européen. C'est là que tout a commencé. Je pense qu'on oublie souvent que le système européen est beaucoup mieux adapté au contexte du droit civil. Il ne convient pas très bien au régime de common law, lequel prévoit beaucoup d'exigences en matière de preuve, des contre- interrogatoires, des audiences et des décisions. Il en résulte une procédure très compliquée et très coûteuse. Le régime de droit civil est moins coûteux et plus efficient, car c'est à la fin de la procédure que l'on doit déterminer les droits. Le système fonctionne moins bien lorsqu'il s'inscrit dans le contexte du régime de common law.

Le sénateur Massicotte : Vous dites donc que, de nouveau, cette situation favorisera le Québec?

Mme Morrison : Non, pas du tout.

M. Storey : J'aimerais ajouter quelques précisions à ce que vient de dire Mme Morrison. Cela n'a pas été dit aujourd'hui — et, parfois, on oublie de dire ce qui saute aux yeux —, mais, au Canada, les marques de commerce sont uniques en tant que droits de propriété intellectuelle, car on peut obtenir des droits exécutoires sans la Loi sur les marques de commerce, en vertu de la common law et, au Québec, en vertu du Code civil. Notre régime d'enregistrement des marques de commerce doit être complémentaire aux droits octroyés en vertu de la common law, comme c'est le cas à l'heure actuelle. Toutefois, si les changements proposés sont adoptés, la situation va changer. Il y aura une différence entre les droits qui peuvent être obtenus en vertu de la common law et ceux qui peuvent l'être simplement en présentant une demande d'enregistrement d'une marque de commerce.

À mon avis, tout le monde devrait comprendre ce principe fondamental. C'est pourquoi le milieu juridique s'oppose aussi vivement aux changements proposés. Qui plus est, il n'y a pas eu suffisamment de consultations à ce sujet, et celles qui ont eu lieu n'étaient pas ouvertes. Si les consultations avaient été vastes et ouvertes, la situation aurait soulevé un tollé beaucoup plus rapidement, et ce, non seulement de la part de la communauté juridique, mais aussi du milieu des affaires, une fois que celui-ci aurait bien compris toutes les conséquences.

Le président : Je suis très heureux d'inviter le président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, le sénateur Joe Day, à prendre la parole.

Le sénateur Day : Je vous remercie. Je tiens à vous féliciter d'avoir réuni un groupe aussi impressionnant de représentants de l'industrie et de spécialistes du domaine des marques de commerce.

Le sénateur Massicotte : Les membres du comité sont aussi remarquables.

Le sénateur Day : Je n'en ai pas encore parlé, mais cela ne saurait tarder. Certains membres du comité savent que le Comité des finances nationales étudie une autre partie du projet de loi C-31 qui porte sur les marques de commerce et qui propose d'éliminer le poste de registraire des marques de commerce.

En raison des dispositions dont nous avons été saisis — si je puis m'exprimer en termes simples —, je me demande si l'enregistrement d'une marque de commerce ne constitue pas simplement une mesure administrative et si l'opposition de la part de l'industrie ou du milieu juridique ne se produira qu'à la toute fin du processus. Est-ce une indication que le rôle du registraire des marques de commerce sera de moindre importance? Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'élimination de ce poste?

Mme Morrison : Je suis au courant de la situation. À mon avis, il s'agit d'une question purement administrative, qui relève de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada. J'espère et je crois réellement que nos collègues de cet office reconnaîtront l'importance d'un système solide d'enregistrement des marques de commerce et que, par l'entremise d'un modèle administratif quelconque, ils veilleront à la gestion efficace des marques de commerce canadiennes.

M. Bereskin : Sénateur Day, je pense que personne ne s'oppose à ce que quelqu'un soit nommé responsable des brevets, des marques de commerce, des droits d'auteur et ainsi de suite. Il faut que toutes les divisions chargées de la propriété intellectuelle soient dirigées par des personnes très compétentes. Il faudra que le responsable des marques de commerce soit en mesure d'assumer la charge de travail actuelle et future du bureau des marques de commerce.

Le bureau n'est pas efficace à l'heure actuelle. Depuis mes débuts dans le domaine, il y a 50 ans, je n'ai jamais vu le bureau être aussi inefficace qu'en ce moment. Il faut attendre presque 10 mois avant d'obtenir une réponse d'un examinateur lorsqu'on s'oppose à une demande. Quand on présente une demande, il faut attendre pendant 10 mois avant d'avoir une réponse. Puis, il s'agit souvent d'un simple copié-collé. Très souvent, on dirait qu'il n'y a aucun contrôle de la qualité.

Pourtant, la conformité avec le Protocole de Madrid et la possibilité de désigner le Canada comme étant le pays international imposeront un fardeau encore plus lourd sur les examinateurs. Je pense que, pour assumer leur charge de travail, ils devront pouvoir compter sur d'importantes ressources supplémentaires, tant humaines que financières.

Si j'étais responsable du bureau — ce qui, heureusement, n'est pas le cas —, je m'efforcerais de le rendre le plus efficient possible pour que les réponses soient communiquées dans un délai de deux ou trois mois, plutôt que 10 mois. On pourrait alors penser qu'il est possible de se conformer au Protocole de Madrid, lequel fixe des délais serrés pour ce qui est du processus d'examen et d'approbation des demandes. L'échéancier est fixé à 18 mois. À l'heure actuelle, on ne peut pas le respecter sans désavantager les demandeurs canadiens qui ne s'intéressent qu'au Canada ou aux États-Unis, comparativement à ceux qui souhaitent se conformer au Protocole de Madrid.

Le sénateur Day : Ma prochaine question est un peu différente, mais j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

Vous savez que le Canada et l'Europe ont signé un accord de principe en matière de libre-échange. Existe-t-il un lien entre les changements proposés à la Loi sur les marques de commerce et l'accord de principe en matière de libre- échange entre l'Europe et le Canada?

Mme Morrison : À titre de vice-présidente de la Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle, j'ai suivi autant que possible les négociations concernant l'AECG, car une grande partie du processus n'a pas été rendue publique. J'ai rencontré plusieurs directeurs généraux en Europe et obtenu de l'information auprès d'eux ainsi qu'au Canada.

Quand le document a été publié, il va sans dire que j'ai examiné de très près les dispositions relatives à la propriété intellectuelle. J'ai remarqué que, dans l'AECG, on demande aux autorités de faire de leur mieux pour signer ces traités. On leur demande simplement de faire de leur mieux. On ne précise pas que nous devons créer de grands bouleversements et carrément remplacer un système qui existe depuis de nombreuses années.

Le sénateur Tannas : En gros, nous pourrions remplir notre engagement en nous inspirant du système américain, qui dispose de ses propres ressources, et en l'adaptant aux ressources que nous avons au Canada. Est-ce cela que vous dites?

Mme Morrison : Exactement.

La sénatrice Hervieux-Payette : M. Bereskin, vous nous avez ouvert les yeux sur le fonctionnement de l'office. Vous avez dit qu'il faut 10 mois avant de recevoir une réponse, quelle que soit la demande. Je m'interroge sur les coûts que cela représente pour les demandeurs au fil des ans. S'il faut davantage de personnel pour appliquer la loi, cela fera nécessairement augmenter les coûts.

Comparons nos délais de traitement et nos coûts avec ceux des États-Unis. Obtient-on plus rapidement une réponse aux États-Unis? Les coûts sont-ils inférieurs, semblables ou supérieurs? J'aimerais savoir où nous nous situons par rapport à eux. Les Canadiens qui cherchent à protéger leur marque de commerce veulent pouvoir exporter. Le marché étatsunien est 10 fois plus vaste que le marché canadien. Bien sûr, les Canadiens doivent enregistrer leur marque de commerce des deux côtés de la frontière. Comment les deux systèmes se comparent-ils actuellement? Comment se compareraient-ils à l'issue de ces changements?

M. Bereskin : Enregistrer une marque de commerce aux États-Unis coûte cher, mais la ratification du Protocole de Madrid ne réduira pas les coûts. La soumission d'une demande au titre du Protocole de Madrid implique le versement de certains frais à l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, au pays et au cabinet d'avocats chargé du dossier. Il faut mettre en balance ces coûts et ceux associés à une soumission directe. Dans l'ensemble, lorsque l'on s'intéresse seulement à un pays, par exemple les États-Unis, il est plus économique de soumettre une demande à ce pays. Comme nous l'avons vu, presque 10 000 demandes de protection de marque de commerce aux États-Unis sont d'origine canadienne.

Pourquoi l'entreprise qui n'a que très peu d'activités en Europe ou ailleurs dans le monde paierait-elle pour faire appel au Protocole de Madrid? C'est ce qui explique que le protocole ne soit pas très populaire.

Cela dit, il est difficile de comparer le système étatsunien au nôtre, car les Américains traitent probablement dans les 300 000 demandes par année, contre 50 000 ici. Il y a beaucoup plus d'employés affectés à l'examen des demandes, et ils ont vraisemblablement accès à davantage de ressources financières que l'équipe de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada. Le fait qu'ils puissent traiter les demandes beaucoup plus rapidement que nous n'a rien à voir avec nos méthodes administratives. Je crois que c'est peut-être attribuable à toutes sortes de facteurs dont je n'ai pas pleinement conscience. Quelles sont les contraintes de l'office en matière d'embauche et de formation de personnel? Les États-Unis ne semblent pas être soumis aux mêmes contraintes que nous. Difficile alors de procéder à une comparaison équitable.

La sénatrice Hervieux-Payette : Au moins, j'ai indirectement obtenu une réponse à ma question précédente : pourquoi ne pas ratifier le Protocole de Madrid et d'autres traités? Parce que cela entraîne des coûts et que ce n'est pas vraiment nécessaire. Pourquoi payer pour enregistrer une marque si ce n'est pas nécessaire? On peut toujours le faire ultérieurement, au moment d'accéder aux autres marchés. Est-ce bien cela?

M. Bereskin : Tout à fait. N'importe quelle entreprise comparerait les coûts et les avantages.

Mme Morrison : Puis-je me permettre de citer une description tirée du rapport de consultation de 2010 de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada? On peut lire :

Cependant, le Barème des émoluments et taxes du Protocole de Madrid fait que les avantages liés à la réduction des taxes de dépôt et de renouvellement sont directement proportionnels au nombre de pays où la protection est demandée. En d'autres mots, une entreprise qui cherche à faire enregistrer une marque de commerce dans seulement deux ou trois pays étrangers peut trouver qu'il lui coûte plus cher d'utiliser le Protocole de Madrid que de déposer directement une demande auprès de l'office des marques de commerce national de chaque pays concerné.

De toute évidence, même l'office admet qu'utiliser le Protocole de Madrid est plus coûteux pour les entreprises qui soumettent une demande d'enregistrement dans quelques pays seulement, comme c'est le cas la plupart du temps. C'est un outil qui sera utile seulement aux grandes entreprises et à certains de nos clients.

Je reviens aussi à l'enregistrement d'une marque aux États-Unis. Le Bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis reconnaît la plupart des praticiens canadiens. Une multitude de personnes offrent des services afin de protéger les intérêts des entreprises canadiennes aux États-Unis. Il n'est pas nécessaire de faire appel à un avocat étatsunien.

La sénatrice Hervieux-Payette : Ma dernière question s'adresse au représentant de la Chambre de commerce du Canada. Étant donné les coûts que cette démarche implique, à quel moment une entreprise peut-elle soumettre une demande? Je doute qu'une petite entreprise puisse se le permettre, mais peut-être qu'une moyenne entreprise, à un certain degré de maturité, pourrait payer ces sommes. Prenons vos membres. Je n'ai aucun problème avec l'idée que Bombardier soumette une demande, mais j'ai tout un problème lorsqu'on s'arrête aux petites entreprises canadiennes — il y en a plus de un million — qui tentent de faire la même chose. Ce sont probablement elles qui profiteront le moins du Protocole de Madrid. Après tout, si elles envisagent de percer un marché étranger, ce sera celui des États-Unis.

Croyez-vous, comme moi, que le Protocole de Madrid n'apporterait rien du tout à vos membres?

M. Turi : Si je puis me permettre, je dirais que cela nous ramène à ce qu'a dit mon érudit collègue. Beaucoup de nos membres, de petites entreprises, envisagent des stratégies afin de faire une percée en Europe, et maintenant plus que jamais en raison de l'Accord économique et commercial global. Je conviens tout à fait que le Protocole de Madrid procurerait d'énormes avantages aux grandes entreprises comme Bombardier. Après tout, il leur suffirait de soumettre une seule demande d'enregistrement pour jouir d'une protection juridique dans de multiples pays d'Europe. Dans le cas des petites entreprises, par contre, il arrive rarement qu'un entrepreneur s'adresse à nous en affirmant viser tout le marché européen. En réalité, la plupart des entreprises cherchent seulement à percer un marché précis, comme la France, l'Italie ou l'Allemagne.

Dans ce contexte, d'autant plus que l'Europe est un énorme territoire composé de nombreux marchés, les retombées du Protocole de Madrid, quoique intéressantes pour certaines grandes entreprises, ne sont pas les mêmes pour les petites entreprises, qui ont plutôt avantage à soumettre leurs demandes de façon ponctuelle, un pays à la fois. D'ailleurs, ce serait probablement plus économique.

La sénatrice Hervieux-Payette : Les coûts, c'est très important. Merci beaucoup.

Mme Storey : Je tiens à préciser que la façon la plus économique d'enregistrer une marque de commerce en Europe consiste, comme l'a dit M. Bereskin un peu plus tôt, à soumettre une demande d'enregistrement de marque communautaire qui couvre la trentaine de pays membres de l'Union européenne. C'est seulement lorsqu'une entreprise canadienne voudrait soumettre des demandes non seulement en Europe et aux États-Unis, mais aussi dans au moins cinq ou six autres pays qu'on peut envisager que le Protocole de Madrid n'engendre aucun coût supplémentaire.

Le Protocole de Madrid est assorti de divers autres désavantages procéduraux qui, eux aussi, ont retardé son adoption, entre autres par les demandeurs étatsuniens, même si les États-Unis ont ratifié ce protocole il y a plus de 10 ans.

La sénatrice Hervieux-Payette : Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Voilà qui met un terme à la période de questions. Je sais m'exprimer au nom de tous les membres du comité lorsque j'affirme que nous venons d'entendre un panel absolument exceptionnel. Au nom de chacun d'entre nous, je vous remercie donc de vos témoignages.

(La séance est levée.)


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