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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 27 février 2014


OTTAWA, le jeudi 27 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 11 h 2, pour étudier la teneur du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (troubles mentaux), qui lui a été renvoyé.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à tous, chers collègues, distingués invités et membres du public qui assistez aujourd'hui aux travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui, nous commencerons à étudier le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (troubles mentaux). Ce projet de loi modifie le cadre applicable aux troubles mentaux dans le Code criminel afin de préciser que la sécurité du public est le facteur prépondérant dans le processus décisionnel. Il crée également un mécanisme de déclaration d'accusés à haut risque dans le cas de certaines personnes qui reçoivent un verdict de non-responsabilité criminelle. Il accroît aussi la participation des victimes au processus d'examen.

Je rappelle à nos téléspectateurs que les audiences de comité sont ouvertes au public et qu'elles sont aussi diffusées sur le site web sen.parl.gc.ca. Vous trouverez de plus amples renseignements sur le calendrier de comparution des témoins sur le même site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Pour entreprendre nos délibérations ce matin, je suis heureux d'accueillir de nouveau devant le comité M. Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Le ministre est accompagné de Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, et de Julie Besner, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada.

Monsieur le ministre, nous allons commencer par votre déclaration liminaire.

L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président et honorables sénateurs. Comme vous venez de le dire, je suis accompagné aujourd'hui de représentantes très compétentes du ministère de la Justice. Nous espérons être en mesure de répondre à vos questions et souhaitons vous présenter un projet de loi très important, intitulé Loi sur la réforme de la non-responsabilité criminelle, qui vise à modifier et à mettre à jour notre régime de justice pénale.

[Français]

Il me fait grand plaisir, comme toujours, de comparaître devant le comité d'aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-14, Loi sur la réforme de la non-responsabilité criminelle.

[Traduction]

Honorables sénateurs, j'aimerais préciser tout d'abord que ce projet de loi reflète la priorité que le gouvernement accorde à la sécurité du public et, plus particulièrement, à celle des victimes. Il reflète aussi les efforts prioritaires consentis par le gouvernement en vue d'accroître la participation et l'inclusion des victimes au sein du système de justice pénale.

Il s'agit manifestement d'un domaine très spécialisé de notre système. Plus particulièrement, la Loi sur la réforme de la non-responsabilité criminelle propose des modifications au régime relatif aux troubles mentaux prévu dans le Code criminel et la Loi sur la défense nationale. Ce régime s'applique aux personnes qui ont été déclarées inaptes à subir leur procès ou non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

Comme les sénateurs le savent, il s'agit de deux verdicts distincts, qui tiennent compte de la capacité mentale de l'accusé à deux moments différents. Par exemple, le tribunal peut décider qu'une personne est inapte à subir un procès criminel parce qu'elle souffre d'un trouble mental qui l'empêche notamment de comprendre ce qui se passe au cours de la procédure judiciaire.

Pour prendre la décision qui s'impose, le tribunal tient compte de la capacité mentale de l'accusé au moment du procès. Cependant, s'il est établi qu'une personne a commis un acte qui constitue une infraction criminelle, alors qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier ce qu'elle avait fait ou de savoir qu'elle avait mal agi, le tribunal rend un verdict de non-responsabilité criminelle. Dans le cadre de ses délibérations, le tribunal tient compte, entre autres facteurs, de la capacité mentale de l'accusé au moment où il a commis l'infraction présumée.

Dans ces deux cas, l'accusé n'est pas condamné ni puni comme c'est généralement la règle au sein de notre système de justice pénale. Son cas est plutôt renvoyé à une commission d'examen provinciale, qui est chargée de rendre des ordonnances — ou décisions — quant à la surveillance et au traitement appropriés de l'accusé. Je crois qu'un membre distingué du comité a déjà agi en tant que président de la commission d'examen du Nouveau-Brunswick.

La commission d'examen peut rendre l'une des trois décisions suivantes : la détention sous garde dans un hôpital — il s'agit généralement d'une unité de médecine légale ou de santé mentale —; l'absolution conditionnelle; ou l'absolution inconditionnelle, si la commission d'examen détermine que l'accusé ne représente plus un risque important pour la sécurité du public.

Intégré au Code criminel en 1992, ce régime fait l'objet d'un appui important de la part des responsables chargés de gérer convenablement le petit nombre de personnes — je le répète, le petit nombre de personnes — qui sont déclarées inaptes à subir leur procès ou non criminellement responsables.

Cependant, ce régime fait depuis quelque temps l'objet d'un examen attentif de la part de Canadiens, qui se demandent si les dispositions législatives actuelles sont suffisamment claires ou solides pour protéger convenablement le grand public, les victimes d'accusés trouvés non criminellement responsables et, j'ajouterais, les personnes qui ont elles-mêmes été déclarées non criminellement responsables ou inaptes à subir leur procès.

Le projet de loi C-14 propose des modifications visant à éclaircir et à améliorer certains aspects du régime applicable aux troubles mentaux dans le but notamment de répondre à ces préoccupations. Certaines des réformes mettent l'accent sur les dispositions clés du régime relatif aux troubles mentaux prévu dans le Code criminel, soit l'article 672.54, qui porte sur la décision qui s'impose. Entre autres choses, cette disposition énumère les facteurs dont il faut tenir compte avant de prendre une décision. Elle précise également les décisions possibles et, chose plus importante encore, les critères qu'il faut prendre en considération au moment de prendre une décision.

Le but premier du projet de loi C-14 est de proposer trois modifications à ce processus décisionnel. Premièrement, il préciserait que la sécurité du public est le facteur prépondérant dans le processus décisionnel qui s'applique aux accusés qui ont été déclarés par un tribunal comme étant non criminellement responsables ou inaptes à subir leur procès. À l'heure actuelle, les dispositions précisent que les tribunaux et les commissions d'examen doivent tenir compte de quatre facteurs, dont la sécurité du public. Même si la Cour suprême du Canada a déjà affirmé dans des décisions que la sécurité du public est le facteur prépondérant, le principe n'est pas appliqué uniformément dans l'ensemble des administrations. Par conséquent, les procureurs généraux des provinces et des territoires ont exprimé des préoccupations à cet égard. Il était donc nécessaire de codifier ce principe.

Le deuxième changement porte sur l'expression « la moins sévère et la moins privative de liberté » qui figure dans la loi. À l'heure actuelle, lorsqu'elle s'interroge sur la mesure qui s'impose dans le cas d'un accusé non criminellement responsable, la commission d'examen doit rendre la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté ». Le projet de loi C-14 propose de remplacer ces termes par une expression plus précise, soit « nécessaire et indiquée dans les circonstances ».

Le libellé proposé dans le projet de loi est conforme à la manière dont cette exigence a été décrite dans la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), soit : « [faire] en sorte que la liberté de l'accusé ne soit pas entravée plus qu'il n'est nécessaire pour protéger la sécurité du public. » Cette modification ne vise pas à éliminer l'exigence voulant que la décision soit « la moins sévère et la moins privative de liberté » possible, mais plutôt à faire en sorte que le concept soit plus facile à comprendre. Je signale que, dans de nombreux cas, la confiance et la compréhension du public sont des facteurs dont il faut absolument tenir compte.

Le troisième et dernier changement proposé à la disposition sur le processus décisionnel vise à codifier le sens de l'expression « risque important pour la sécurité du public ». Comme je l'ai mentionné plus tôt, la commission d'examen doit ordonner l'absolution inconditionnelle — c'est-à-dire la libération sans condition — si la personne ne représente pas un « risque important pour la sécurité du public ». Le projet de loi C-14 propose de codifier cette expression pour qu'elle soit entièrement conforme à l'interprétation qu'en a faite la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Winko. Dans cette affaire, la cour a indiqué que « risque important » signifiait un risque qu'un préjudice physique ou psychologique important soit infligé aux membres de la collectivité à la suite d'un comportement criminel, mais pas nécessairement violent.

De nouveau, les procureurs généraux des provinces et des territoires ont fait savoir au gouvernement fédéral que ce critère n'était pas appliqué uniformément dans l'ensemble des administrations.

Je crois que la codification de ce principe constitue une modification très utile, car elle permettra de préciser que l'accusé ne peut pas être libéré s'il existe des preuves voulant qu'il représente un risque, et ce, même si la nature de celui-ci n'est pas violente.

Outre cette codification importante, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs, les autres modifications à la disposition relative au processus décisionnel proposées dans le projet de loi C-14 visent à créer un nouveau régime permettant de déclarer qu'une personne trouvée non criminellement responsable est un accusé à haut risque. Cette déclaration ne s'appliquerait qu'aux accusés les plus dangereux et ferait en sorte que ceux-ci soient hospitalisés tant que le tribunal n'aurait pas révoqué le verdict.

[Français]

J'aimerais prendre quelques minutes pour décrire les processus, les critères juridiques applicables et les conséquences d'une déclaration portant qu'un accusé non criminellement responsable est un accusé à haut risque.

[Traduction]

La demande visant à faire en sorte qu'une personne trouvée non criminellement responsable soit déclarée accusé à haut risque serait présentée par un procureur avant que l'absolution inconditionnelle soit ordonnée. En d'autres mots, tant et aussi longtemps que l'accusé relève de la commission d'examen, un procureur pourrait présenter une demande en ce sens.

Un procureur pourrait présenter une telle demande uniquement si l'infraction initiale était une infraction grave contre la personne qui a donné lieu à un verdict de non-responsabilité criminelle et si l'accusé était âgé de 18 ans ou plus au moment de la perpétration de l'infraction.

Après avoir entendu la preuve, le tribunal pourrait déterminer qu'un accusé reconnu non criminellement responsable est à haut risque dans deux circonstances. La première circonstance serait la suivante : le tribunal est convaincu qu'il y a une probabilité marquée que l'accusé usera de violence de façon qu'il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d'une autre personne. Le critère de « probabilité marquée » utilisé dans le processus de déclaration d'un accusé à haut risque est plus élevé que « risque important » — nous relevons donc le seuil —, qui est le critère utilisé dans la disposition actuelle liée au processus décisionnel. Cette mesure permet d'établir une distinction entre les deux processus et de veiller à ce que seuls les individus les plus dangereux qui ont été trouvés non criminellement responsables soient déclarés accusés à haut risque.

Comme on pouvait s'y attendre, monsieur le président, nous avons examiné tous les articles du Code criminel qui portent sur les délinquants déclarés à haut risque au sens traditionnel de l'expression.

La deuxième circonstance dans laquelle le tribunal pourrait déterminer qu'un accusé est à haut risque serait la suivante : le tribunal devrait être d'avis que les actes à l'origine de l'infraction étaient d'une nature si brutale qu'il y a un risque de préjudice grave pour une autre personne. Certaines personnes ont laissé entendre que l'expression « d'une nature si brutale » devrait être définie parce qu'elle est trop vague. Je souligne cependant que cette expression a été interprétée dans le droit pénal canadien. Permettez-moi de vous renvoyer à l'arrêt R. c. Langevin, 11 C.C.C. Il s'agit d'une décision prise en 1984 par la Cour d'appel de l'Ontario. Cette dernière a examiné les dispositions relatives aux délinquants dangereux, auxquelles je viens de faire allusion, et je suis persuadé que les tribunaux seront en mesure d'interpréter cette expression de manière utile et efficace et de l'appliquer dans le contexte de la non-responsabilité criminelle.

Ensuite, si le tribunal déclare que l'accusé est à haut risque, il faut ordonner sa détention dans un hôpital. Aucune permission de sortir avec escorte ne lui sera accordée, sauf pour des raisons médicales ou pour les besoins de son traitement.

Enfin, la déclaration portant qu'une personne trouvée non criminellement responsable est un accusé à haut risque aura une incidence sur l'intervalle entre les audiences de révision judiciaire. À l'heure actuelle, les commissions d'examen se penchent sur les cas une fois par année. Même si, dans certains cas, cet examen peut avoir lieu aux deux ans, le projet de loi C-14 propose que, en ce qui concerne les accusés à haut risque, les commissions d'examen puissent, dans certaines circonstances, prolonger l'intervalle entre les examens jusqu'à un maximum de trois ans.

Soyons clairs : la déclaration portant qu'une personne trouvée non criminellement responsable est un accusé à haut risque ne serait pas permanente. La désignation pourrait être révoquée si le niveau de risque élevé a été atténué. Le processus à suivre comprendrait deux étapes. Premièrement, après avoir tenu une audience, la commission d'examen devrait être convaincue qu'il n'y a plus de possibilité ou de risque marqué que l'accusé à haut risque usera de violence de façon qu'il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d'une autre personne. Si la commission d'examen en est convaincue, elle renverra le cas à une cour supérieure de juridiction criminelle pour qu'elle tienne une audience. En vertu de ce nouveau processus supplémentaire, il faudrait tenir une autre audience devant la cour de juridiction initiale. La cour tiendrait aussi une audience pour déterminer s'il n'y a plus de probabilité marquée que l'accusé use de violence. Si c'est le cas, elle révoquerait la décision le déclarant à haut risque.

Je tiens à dire très clairement que le projet de loi n'imposerait pas de fardeau à l'accusé au cours du processus. Le tribunal devrait être convaincu, compte tenu de l'ensemble des preuves présentées par les parties, qu'il n'y a plus de probabilité marquée que l'accusé usera de violence de façon qu'il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d'une autre personne. En outre, la nature de l'audience ressemblerait davantage aux démarches inquisitoires entreprises par les commissions d'examen qu'au processus accusatoire traditionnel.

[Français]

Enfin, le projet de loi C-14 vise à accroître la participation des victimes au cadre applicable aux troubles mentaux et à veiller à ce que leur sécurité soit spécifiquement prise en considération.

[Traduction]

Le projet de loi C-14 prévoit que, sur demande, la victime soit avisée lorsque l'accusé est mis en liberté inconditionnelle ou conditionnelle. Conformément à l'amendement adopté par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, le lieu de résidence projeté de l'accusé doit aussi être communiqué à la victime, si elle en fait la demande.

Le but de cet amendement est clair : il s'agit d'éviter les situations où une victime rencontre inopinément un accusé qui a été remis en liberté. Nous avons entendu parler de ces situations, et celles-ci sont bien étayées. Honorables sénateurs, on peut imaginer le sentiment d'horreur et le traumatisme que peut ressentir une victime qui rencontre par hasard, dans un centre communautaire, une épicerie ou un autre lieu public, l'individu qui a commis un acte de violence contre elle ou un membre de sa famille. C'est comme si elle était victimisée de nouveau. Nous devons remédier à cette situation, et c'est exactement ce que cet amendement cherche à faire.

Le projet de loi C-14 prévoit également que le tribunal ou la commission d'examen tienne compte de la sécurité de la victime pendant le processus décisionnel et que, en conséquence, il impose des conditions de non-communication ou de non-comparution.

Avant de terminer, j'aimerais parler brièvement des consultations qui ont eu lieu. Les ministres de la Justice et de la Sécurité publique du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires, ainsi que leurs fonctionnaires, discutent régulièrement de la nécessité de protéger la population contre les personnes à haut risque déclarées non criminellement responsables. Depuis un certain temps déjà, des représentants de ces ordres de gouvernement communiquent ensemble régulièrement pour discuter de ces enjeux. Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que nous rencontrons régulièrement des victimes. Celles-ci nous disent être préoccupées par l'absence de communication dans le système actuel, un sujet dont je viens de parler.

Enfin, depuis que j'assume les fonctions de ministre de la Justice, mon personnel m'a permis de rencontrer personnellement des membres de la Société canadienne de la schizophrénie et d'autres défenseurs des personnes atteintes de troubles mentaux, en vue de l'élaboration de ce projet de loi. Nous avons tenu des tables rondes dans plusieurs localités et entendu le point de vue de divers intervenants et participants au sein de notre système de justice. Je dois dire que cette mesure législative est très bien accueillie par les intervenants, qui comprennent parfaitement ce grave problème et ses vastes répercussions.

Je sais que vous allez entendre un certain nombre de témoins. Je tiens à souligner qu'aucun élément de ce projet de loi ne nuirait à l'accès des personnes atteintes de troubles mentaux aux services de traitement mis à leur disposition. Le cadre est très conforme aux dispositions actuelles qui prévoient le traitement de ces personnes dans des unités de médecine légale dûment certifiées. Le projet de loi propose une réponse raisonnable et équilibrée à des préoccupations légitimes qui ont été exprimées par des citoyens et des intervenants au sujet de la sécurité publique.

Honorables sénateurs, je vous remercie d'avance du travail que vous réaliserez à l'égard de ce projet de loi. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Le sénateur Baker, vice-président du comité, sera le premier à vous poser des questions.

Le sénateur Baker : Je tiens à souhaiter la bienvenue au ministre. Comme il l'a fait remarquer, des témoins soulèveront des questions au sujet de la constitutionnalité des dispositions du projet de loi. En ce qui concerne la première question que j'aimerais poser au ministre, je sais que, il y a plusieurs années, il s'est souvent occupé de questions liées à la Charte en tant que plaideur et procureur de la Couronne.

Dans une petite recherche que j'ai faite avant la réunion d'aujourd'hui, j'ai remarqué que, dans une affaire dont la Cour suprême du Canada avait été saisie il y a une vingtaine d'années, l'intimé était représenté par Peter G. MacKay et Kenneth W.F. Fiske. L'affaire R. c. Fitt mettait en cause un argument fondé sur la Charte. Je dois admettre que, dans sa décision, la Cour suprême du Canada a convenu de la pertinence de l'argument avancé par le ministre au sujet de la Charte. Il s'agissait d'un appel interjeté par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse. Le ministre connaît donc très bien les enjeux liés à la Charte et les litiges qui en découlent. Dans le cadre de ma question, permettez-moi de citer l'Association du Barreau canadien :

[...] l'alinéa 672.64(1)b) est sans doute inconstitutionnel, violant l'article 7 de la Charte [...]

Je demande au ministre si, selon lui — et compte tenu de l'expérience qu'il a acquise en tant que plaideur et dans d'autres fonctions —, chacune des dispositions du projet de loi est conforme à la Charte.

M. MacKay : Je vous remercie de votre question, sénateur. Vous avez mené une recherche impressionnante et impeccable. Je m'intéresse depuis longtemps à ce domaine particulier du droit. Comme vous l'avez mentionné, j'ai déjà travaillé dans des affaires qui mettaient en cause des accusés déclarés non criminellement responsables.

Pour répondre à votre question directement, je dirais que, effectivement, le projet de loi est conforme à la Charte. Comme c'est le cas pour tous les projets de loi, l'équipe chargée des litiges au ministère de la Justice a examiné tous les articles de cette mesure législative pour s'assurer qu'ils sont conformes à la Charte. Je crois que c'est aussi ce que pensent les représentantes du ministère présentes ici aujourd'hui.

Bien entendu, les risques liés à la Charte font toujours l'objet d'une évaluation. Personne ne peut dire avec certitude quelle sera l'interprétation de chacun des juges au pays. De plus, les juges n'interprètent pas tous de la même façon les affaires dont ils sont saisis.

Cela dit, je crois que nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts à cette question et mené de vastes consultations là-dessus. Je dois dire avec le plus grand respect que je ne suis pas d'accord avec l'évaluation qui a été réalisée par l'Association du Barreau canadien.

Nous devons constamment chercher à atteindre un équilibre très important entre, d'une part, la protection du public, et, d'autre part, les droits de l'accusé et de la personne, ainsi que veiller à ce que les mesures que nous proposons soient conformes à la Charte. Je crois que, tout compte fait, nous sommes parvenus à atteindre cet équilibre. Si nécessaire, nous allons défendre ce projet de loi devant les tribunaux. Nous sommes aussi pleinement conscients que certaines dispositions auraient pour effet de créer de nouvelles obligations qui, selon certains, seraient astreignantes. Permettez-moi de souligner que notre but premier, c'est de protéger le public.

J'exhorte les sénateurs à se rappeler que les dispositions relatives à la désignation d'accusé à haut risque s'appliqueraient à un très petit nombre de personnes. Nous parlons en fait de moins d'un point de pourcentage.

Le sénateur Baker : Oui.

Monsieur le ministre, vous avez aussi fait allusion à la disposition qui, selon l'Association du Barreau canadien, est vague et a une portée trop vaste. Vous avez dit que la Cour d'appel de l'Ontario avait statué sur cette question dans l'arrêt Langevin en 1984. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Il s'agissait d'une décision concernant l'utilisation des termes « nature brutale ». Je crois que cette expression figure à l'article 753 du Code criminel, qui porte sur les délinquants dangereux. Si vous le permettez, je vais citer la disposition du Code criminel où se trouve l'expression « nature brutale ». L'alinéa 753.(1)a) se lit comme suit :

(iii) un comportement, chez ce délinquant, associé à la perpétration de l'infraction dont il a été déclaré coupable, d'une nature si brutale que l'on ne peut s'empêcher de conclure qu'il y a peu de chance pour qu'à l'avenir ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement;

Or, la formulation utilisée dans le projet de loi n'est pas tout à fait la même. Voici ce que prévoit le projet de loi :

[...] les actes à l'origine de l'infraction étaient d'une nature si brutale qu'il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne.

Vous prétendez que cette question a déjà été tranchée et que, au cours des 10 dernières années, les tribunaux ont conclu dans plusieurs affaires qu'il s'agissait d'une bonne disposition législative. Vous croyez aussi que l'expression utilisée par la Cour d'appel et sur laquelle plusieurs jugements ont été rendus depuis s'appliquerait au libellé du projet de loi. Vous pensez que cette expression résisterait aux contestations judiciaires puisque les tribunaux ont déjà statué qu'elle était conforme à la Constitution.

M. MacKay : C'est ce que je pense, sénateur Baker. J'en suis arrivé à cette conclusion après avoir lu la jurisprudence récente et examiné cette définition.

Permettez-moi de citer un exemple auquel vous ferez probablement souvent allusion dans vos discussions au sujet de ce projet de loi : le meurtre brutal de Tim McLean commis par Vincent Li. Dans cette affaire, Li a été trouvé non criminellement responsable. On se souviendra que ce meurtre très médiatisé s'était produit dans un autocar de la compagnie Greyhound. Cet événement correspond certainement à la définition de l'expression « nature brutale » qui caractérise le genre d'infraction auquel s'appliquerait le projet de loi. Il s'agit d'un cas scandaleux et choquant auquel s'appliquerait l'expression examinée dans l'affaire qui remonte à 1984.

Évidemment, on utilisera un outil, une échelle, si vous voulez, pour examiner les détails et les faits de chaque cas. Toutefois, je pense que l'exemple assez récent que je viens de citer est conforme à cette description.

Je suis persuadé que l'appareil judiciaire, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense prendront les décisions qui s'imposent en tenant compte des faits qui leur sont présentés, dont les preuves médico-légales et les évaluations psychologiques réalisées par des légistes compétents. Je pense que la preuve, dont le fardeau incombe à tous les intervenants du système, permettra d'établir très facilement ce que les membres du public estiment clairement être des actes de « nature brutale ».

Le sénateur McIntyre : Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant nous aujourd'hui. Comme vous l'avez signalé à juste titre, le projet de loi C-14 a trois objectifs : préciser que la sécurité du public est le facteur prépondérant dans le processus décisionnel; créer une désignation d'accusé à haut risque; et mieux défendre les droits des victimes.

Le Parlement et la Cour suprême du Canada s'occupent depuis des années des questions liées à la sécurité publique et aux droits des victimes. Ainsi, le Parlement a adopté les projets de loi C-30 et C-10, tandis que la Cour suprême du Canada a statué dans des affaires comme Winko, Pinet et Conway. Il me semble donc que, dans une certaine mesure, les questions liées à la sécurité publique et aux droits des victimes ne datent pas d'hier.

Ce qui est vraiment nouveau, c'est la désignation d'accusé à haut risque, qui ne toucherait que les délinquants à haut risque qui ont été trouvés non criminellement responsables. Voici ma question : cette désignation s'appliquerait-elle rétroactivement?

M. MacKay : C'est une très bonne question. L'effet rétroactif de ce projet de loi pourrait s'appliquer aux personnes qui se trouvent actuellement dans le système. On n'a pas encore déterminé la rétroactivité exacte de cette mesure législative. À l'heure actuelle, certains cas sont en train de franchir les différentes étapes du système. Un cas qui nous vient immédiatement à l'esprit est celui de Guy Turcotte. Je dois choisir mes mots très soigneusement, car ce projet de loi pourrait avoir une incidence sur certaines affaires qui se trouvent actuellement devant les tribunaux. Certains éléments, si je puis dire, du projet de loi pourraient avoir des répercussions sur des personnes qui se trouvent actuellement dans le système, c'est-à-dire que certaines d'entre elles pourraient être touchées par la désignation d'accusé à haut risque. Comme je l'ai dit, il s'agit d'un très petit nombre de personnes. En effet, nous parlons ici d'un nombre très limité de cas auxquels s'appliquerait cette désignation.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre.

Le projet de loi C-14 est en fait l'ancien projet de loi C-54, qui est mort au Feuilleton. La Chambre des communes a débattu du projet de loi C-54. Puis, celui-ci a fait l'objet d'une étude exhaustive de la part du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. On m'a dit que ce comité avait entendu plus de 30 témoins ayant des antécédents et de l'expérience professionnelle fort variés. Ces témoins ont présenté des points de vue très utiles sur ce qui constitue maintenant le projet de loi C-14.

Je remarque que le comité permanent a adopté deux amendements au projet de loi. L'un porte sur les droits des victimes, tandis que l'autre prévoit que le Parlement examine les dispositions relatives aux troubles mentaux cinq ans après la sanction royale. Manifestement, le projet de loi met l'accent sur la sécurité du public et une plus grande reconnaissance des droits des victimes.

Croyez-vous que d'autres amendements devraient être apportés à ce projet de loi?

M. MacKay : C'est à vous d'en décider avec toute la sagesse requise. Je pense que tous les ministres pourraient être tentés de vous faire croire que, dans la forme où il est présenté dans les deux Chambres, ce projet de loi est parfait. Toutefois, étant donné que j'ai déjà exercé le droit et que j'ai constaté de près qu'il est en constante évolution, je suis du genre à penser que les mesures législatives peuvent toujours faire l'objet de critiques constructives. Nous sommes donc très ouverts à l'idée d'apporter d'autres amendements si vous le croyez nécessaire après avoir débattu du projet de loi et entendu les témoins, dont plusieurs possèdent de grandes compétences en la matière. Il est très important que le projet de loi fasse l'objet d'un second examen objectif au Sénat. À mon sens, c'est sur cette base que reposent les bonnes mesures législatives.

Je sais que le Sénat examinera ce projet de loi avec beaucoup de rigueur. Sénateur, je sais que vous êtes l'un des plus éminents experts en la matière au pays. J'examinerai très sérieusement les amendements qui, le cas échéant, seront proposés par le Sénat.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. À mon avis, les dispositions du projet de loi qui auraient pour effet d'exclure des personnes de leur collectivité d'origine sont très sérieuses. La Cour suprême a déjà rendu des décisions relativement à la capacité d'une collectivité d'exclure une personne ou de la forcer à s'exiler. On peut comprendre le traumatisme qui affligerait une victime si elle revoyait l'individu qui a commis un crime grave à son endroit. Évidemment, elle serait bouleversée de se trouver en sa présence. Néanmoins, les dispositions de la Charte sont très claires, et les tribunaux ont déjà établi les paramètres liés au respect de la loi dans ce contexte.

Êtes-vous convaincu que les dispositions du projet de loi satisferaient aux critères qu'a déjà définis la Cour suprême à ce sujet?

M. MacKay : Je crois que cela nous ramène en partie à la question du sénateur Baker et à son observation sur la nécessité de protéger la population. C'est le fondement même du projet de loi : reconnaître que les accusés à haut risque non responsables criminellement appartiennent à une catégorie allant nettement au-delà de la définition habituelle, de la décision habituelle, étant donné que le comportement violent manifesté envers le public en général ou des personnes en particulier, dans le cas de Tim McLean, exige un seuil plus élevé permettant au système et à la société dans son ensemble de resserrer les balises imposées, voire d'exclure l'accusé de la société, de la collectivité. Dans l'absolu, c'est essentiel si l'on entend préserver la société des individus ayant manifesté la capacité d'adopter ce genre de comportement.

Oui, c'est une décision très grave. C'est pourquoi j'estime que les paramètres, les garde-fous et le processus qui sont implicites dans le projet de loi non seulement sont conformes à la constitution, mais atteignent également un juste équilibre. Ils ajoutent une couche de protection qui, soit dit en passant, laisse davantage de latitude aux juges dans une telle situation. En effet, à la sage analyse des circonstances en cause par la commission d'examen devra s'ajouter une étape supplémentaire : l'individu devra comparaître de nouveau devant le tribunal afin que celui-ci approfondisse la décision de la commission, ce qui laisse par ailleurs au procureur et à l'avocat de la défense, au nom de l'accusé, une occasion de plus de faire valoir leur preuve.

Le sénateur Joyal : Jusqu'à quel point peut-on exclure quelqu'un de la société? À quelle distance faudrait-il éloigner une personne qui provient d'une petite ville reculée pour satisfaire à votre critère de protection de la sécurité du public?

M. MacKay : Le Canada est un vaste pays, mais je dirais qu'il faudrait envoyer cette personne au service médico-légal le plus proche et le plus sûr. Dans le contexte du projet de loi, c'est ce dont il est question. Je crois que la population doit comprendre que les individus qu'un tribunal compétent a déclarés non responsables criminellement ou inaptes à subir un procès ne seront pas emprisonnés : ils seront confiés à une installation médicale sécurisée afin d'y être soignés.

Réagissent-ils bien au traitement? Sont-ils prêts à réintégrer leur collectivité, la société, et convient-il qu'ils le fassent? Ces questions relèvent exclusivement et conjointement des experts médicaux, des services médico-légaux, des psychiatres ainsi que du système juridique.

Le sénateur Joyal : Comme vous l'avez signalé dans vos observations initiales, la Cour suprême, dans son arrêt antérieur, a clairement défini les principes à concilier. Le projet de loi propose toutefois d'appliquer un seuil plus élevé à l'un de ces éléments.

Cette décision, cette proposition, repose-t-elle sur l'analyse d'un certain nombre de cas, qui vous aurait permis de conclure que les tribunaux ont erré dans l'équilibrage de ces principes?

M. MacKay : Vous faites une observation très judicieuse. Je dirais que, lorsque les tribunaux considèrent tous ces critères à la fois, ils ont avant tout le devoir et la responsabilité d'analyser les autres facteurs à travers le prisme de la protection du public. Les facteurs doivent être considérés de concert, mais celui de la protection du public, qui est au cœur même du projet de loi, est, à mon avis, mis de l'avant à juste titre. On le rend prépondérant. Alors, oui, il faut accorder davantage de poids à la protection du public lorsqu'on analyse les dossiers. Au plus profond de moi-même, j'en ai la conviction.

Le sénateur Plett : Merci. D'entrée de jeu, je me réjouis que vous soyez d'avis que Vince Li relèverait de cette catégorie. Ma première question porte d'ailleurs là-dessus.

Le juge Schneider a écrit un article où il affirme que Vince Li ne relèverait pas de cette catégorie. Je ne vous demanderai pas de lire dans les pensées du juge afin d'expliquer pourquoi il est de cet avis, mais comment pouvez-vous me donner l'assurance ou assurer au comité que ce que vous dites est juste? Je ne manquerai pas d'interroger le juge Schneider à ce sujet lorsqu'il viendra témoigner, un peu plus tard si je ne m'abuse, mais je vous saurais gré d'approfondir un peu cette question.

M. MacKay : Merci beaucoup, sénateur. Je vous répondrais ainsi : je crois que le comportement passé est un des indicateurs du comportement futur, peut-être même le plus prévalent. Je pense qu'il existera toujours des exceptions à cette règle, mais que, lorsqu'il est question de violence extrême, comme ce fut le cas dans l'affaire Vincent Li, nous avons tous la responsabilité de tenir compte d'une variété de facteurs et d'analyser de très près les circonstances en cause de manière à éviter autant que possible qu'une telle situation se répète.

J'essaie d'éviter de trop entrer dans le détail parce que les délibérations ne sont pas terminées. Restons donc dans l'abstrait : pensons, par exemple, aux cas de violence gratuite, de violence apparemment hors de l'ordinaire ou particulièrement brutale — pour en revenir à mon échange avec le sénateur Baker —, de violence envers une victime innocente qui s'est simplement trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. À mon avis, c'est par rapport à de telles situations que nous cherchons à la fois à mieux protéger le public et à imposer des garde-fous, pour ainsi dire, des étapes qu'un individu doit franchir avant de pouvoir retourner dans la collectivité, avant de pouvoir, de l'avis des experts, se réinsérer dans la société sans être un danger pour elle. On est ainsi mieux assuré qu'il n'y aura pas de nouveaux actes de violence, pas de récidive. Je crois qu'il nous incombe à tous, mais au système judiciaire en particulier, de chercher à apporter des changements pour améliorer cette norme et, une fois de plus, mieux protéger le public.

Le sénateur Plett : Je comprends ce que vous dites. Je pense que bon nombre d'entre nous, dont moi, avons reçu des représentants d'organismes venus nous proposer des amendements. Le groupe a proposé trois amendements, mais je m'arrête à un seul d'entre eux, qui concerne le renversement du fardeau de la preuve.

Je sais que le projet de loi nous a déjà été soumis sous une autre forme : c'était le projet de loi C-54. Je ne siégeais pas au comité à ce moment-là et, si je ne m'abuse, vous n'étiez pas non plus ministre de la Justice. J'ai appris hier que, pour le ministère de la Justice, le renversement du fardeau de la preuve, c'est quelque chose de très important. Or, on nous affirme maintenant qu'il n'y a pas de renversement du fardeau de la preuve. Loin de moi l'idée de soutenir que j'ai un quelconque problème avec le renversement du fardeau de la preuve. Je pense en effet qu'il faudrait le renverser dans une certaine mesure. Cela dit, propose-t-on dans le projet de loi un renversement du fardeau de la preuve? Quelle est la responsabilité de l'accusé qui fait l'objet d'un verdict de non-responsabilité criminelle?

M. MacKay : Voilà une excellente question technique. Contrairement à l'audience initiale, qui vise à établir si l'accusé NRC satisfait ou non aux critères visant à le déclarer à haut risque, l'audience de révocation, qui a pour but d'invalider cette désignation, est initiée sur une recommandation de la commission d'examen elle-même. Par conséquent, cette disposition n'attribue le fardeau de la preuve à aucune partie en particulier.

Lorsqu'il est question du renversement du fardeau de la preuve, je présenterais les choses sous un autre éclairage : toutes les parties se le partagent. Comme je l'ai expliqué, il s'agit d'un processus plutôt inquisitorial. Il a pour but d'approfondir les circonstances en cause, celles qui entourent l'accusé, l'affaire et le traitement suivi, de manière à ce qu'on rende une décision qui convaincra le tribunal, en fonction de la preuve qui lui sera présentée en audience, que, selon toute vraisemblance, l'accusé recourrait de nouveau à la violence, mettrait de nouveau des vies en danger, commettrait un autre délit, et que, par conséquent, le critère de la probabilité marquée est ou non satisfait. Ce processus n'implique d'emblée aucun biais ni aucun fardeau particulier, simplement l'espoir que les deux parties présenteront des preuves à charge ou à décharge de manière à permettre au tribunal de se prononcer.

La sénatrice Frum : L'Association du Barreau canadien a adressé une lettre au comité pour exprimer son opposition à la modification de l'article 7, qui ferait en sorte qu'une victime puisse, sur demande, connaître le lieu de résidence prévu d'un accusé NRC à sa libération. Entre autres motifs, l'association est d'avis que cela violerait le droit constitutionnel de l'accusé à la protection de sa vie privée et poserait la victime en justicier. Qu'en pensez-vous?

M. MacKay : Bien sûr. On m'a posé la même question relativement à un projet de loi que nous venons de présenter à la Chambre relativement aux prédateurs sexuels d'enfants. La divulgation publique d'information, qui permet à la population et aux autorités, notamment policières, de connaître l'endroit où se trouve un accusé même après sa libération fait redouter à certains le phénomène du justicier, qui représenterait un danger pour l'accusé. C'est un élément à prendre en considération.

Je répondrais cependant ainsi à votre question : je me range du côté de la protection individuelle, surtout celle des personnes vulnérables. Je me range du côté de l'obligation, pour notre système judiciaire et les intervenants chargés de protéger la société, d'assumer un degré élevé de responsabilité. L'idée n'est pas d'exposer davantage les délinquants aux réactions hostiles de la population, au phénomène du justicier — appelez cela comme vous le voulez —, mais simplement de faire le choix de privilégier les personnes honnêtes et innocentes.

En ce qui concerne les enfants victimes d'agression sexuelle, je vous assure, en tant que nouveau père, qu'aucune obligation morale ne prime celle de protéger les enfants.

Vous comprenez parfaitement les choix qu'il faut faire. Le système judiciaire est souvent symbolisé par une balance, et cette balance nous permet de peser très attentivement diverses considérations. Je me range du côté de la protection des enfants et, dans le cas présent, de la population contre un individu qui, bien qu'ayant des facultés affaiblies, a une propension manifeste à la violence. J'estime que les gens ont le droit de savoir si cet individu se trouve dans leur quartier ou leur ville. Armés de ce renseignement, ils peuvent ensuite prendre des décisions éclairées en vue de se protéger, de faire des préparatifs et de se prévaloir de divers moyens de protection.

[Français]

Le sénateur Rivest : J'ai deux préoccupations. J'ai écouté l'intervention du sénateur Plett et la réponse que vous lui avez fournie au sujet du fardeau de la preuve. Cette disposition est-elle vraiment essentielle au projet de loi? C'est quand même assez dérogatoire aux pratiques habituelles, et on est dans une matière où il est question de santé mentale. Sans en faire un cas extrêmement important, j'ai l'impression que cette procédure est inquiétante.

Mon deuxième point est lié à ce que disait le sénateur McIntyre sur l'aspect rétroactif du projet de loi. Dans votre réponse, vous avez mentionné le cas très médiatisé du Dr Turcotte, que le processus judiciaire a repris dans ce dossier. Néanmoins, si j'ai bien lu le projet de loi, ce sont toutes les personnes qui sont déjà en voie de réhabilitation ou en voie d'obtenir des soins qui sont visées par le caractère rétroactif du projet de loi. Il n'y a aucune espèce de balise.

Vous êtes-vous informé auprès des personnes familières avec les questions de santé mentale à savoir quel effet cela peut avoir pour les malades dont le processus de guérison est vraiment très avancé? En raison de cette disposition, ces personnes risquent d'être reconnues et de retomber dans le cycle. Elles n'ont aucune espèce de garantie qu'elles ne seront pas considérées comme étant à haut risque étant donné le caractère rétroactif. Avez-vous pensé à cet aspect de votre proposition dans le projet de loi?

M. MacKay : Vous posez une bonne question. Premièrement, je crois que les circonstances liées aux personnes visées par ce projet de loi sont exceptionnelles.

[Traduction]

Il est question de personnes qui, à cause de problèmes mentaux très graves, de leurs capacités affaiblies ou de leur difficulté à déterminer ce qui est ou non conforme à la loi ou aux normes et valeurs sociales parce que...

Le sénateur Rivest : Un droit, c'est un droit, peu importe le chiffre.

M. MacKay : Tout à fait. Cela dit, c'est justement parce qu'une personne est incapable de bien prendre la mesure de son propre comportement.

[Français]

C'est la raison d'être de ce projet de loi et de la loi qui est maintenant dans le Code criminel.

[Traduction]

Pour répondre à votre première question, je dirais que, effectivement, étant donné l'évolution de notre système, on perçoit apparemment certaines nuances dans les articles actuels du Code criminel, les décisions récentes et la rétroaction de la population, des intervenants, des participants et des victimes, mais nous estimons que ces changements sont nécessaires et qu'ils fixent un nouveau seuil, une norme plus sévère, pour ainsi dire, le tout assorti de mécanismes qui permettent de mieux protéger le public et d'approfondir le droit de regard des tribunaux dans une telle situation.

En ce qui concerne votre question sur la rétroactivité et son application, il importe de savoir que le système continuerait à exister même si le projet de loi était adopté. Lorsqu'on apporte un changement en droit criminel, il n'est pas possible de faire pause et de suspendre les affaires en instance jusqu'à l'adoption de la loi. On ne peut pas arrêter le temps et dire que nous allons mettre un terme à la criminalité. Si seulement c'était possible.

Les articles s'appliqueraient aux individus qui sont déjà dans le système, à moins qu'ils aient fait l'objet d'une libération inconditionnelle, ce qui constitue l'unique exception. Ils auraient certainement des répercussions sur la décision ultérieure d'un procureur de requérir qu'un accusé soit désigné à haut risque, si l'on s'arrête à cette partie du projet de loi en particulier. Alors s'enclencherait la procédure applicable, conformément à ce qui figurera dans la version définitive du projet de loi.

Encore une fois, je dirais que l'aspect rétroactif du projet de loi ne s'appliquerait qu'en des circonstances exceptionnelles. Je souligne une fois de plus que nous avons pour objectif de protéger la population contre les individus qui ont manifestement déjà eu un comportement à risque élevé et brutal qui justifie la mise en place de tels mécanismes de protection, pour ainsi dire, des mécanismes qui feront l'objet d'une surveillance approfondie et qui, au besoin, impliqueront une intervention judiciaire et la collaboration d'autorités chargées expressément, à l'instar du sénateur McIntyre dans une ancienne vie, d'examiner toutes les circonstances en cause et de prendre les décisions qui s'imposent pour le bien de l'individu et de la société.

Le président : Trois sénateurs veulent poser des questions, et le temps est limité. Je prie donc les sénateurs de bien vouloir concentrer leurs questions afin que tout le monde puisse s'exprimer au cours du temps qu'il nous reste avec le ministre.

M. MacKay : Je prends aussi acte de votre requête, monsieur le président. Mes réponses seront plus succinctes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre, de votre visite. Il est toujours intéressant de vous recevoir à notre comité.

D'entrée de jeu, vous avez mentionné l'affaire Turcotte au Québec qui, je pense, a choqué l'opinion publique de par la cruauté du crime commis. Ceci étant dit, j'aimerais revenir à la désignation de personne à haut risque. Nous savons qu'elle touchera un nombre restreint de personnes. La Couronne devra faire une demande pour obtenir l'autorisation de cette désignation. Elle devra supporter le fardeau de prouver que l'individu appartient à un groupe de personnes à risque élevé. Pouvez-vous nous en dire plus sur la désignation des personnes à haut risque?

M. MacKay : Vous soulevez un très bon point. La Couronne devra démontrer au tribunal que l'individu mérite cette désignation à haut risque. Il existe un certain nombre d'éléments pour cela. Tout d'abord, il faudra que ce soit une infraction avec des sévices graves sur la personne. Je crois que c'est une proposition très raisonnable pour créer un équilibre entre la protection du public et l'importance pour les individus désignés à haut risque d'obtenir l'aide dont ils ont besoin. Le but est toujours cet équilibre. Nous voulons protéger le public et les victimes.

Et en même temps, nous tentons d'éviter que les accusés à haut risque commettent un autre acte criminel.

[Traduction]

Il est impossible de systématiquement suivre et de prédire le comportement humain. Cependant, lorsqu'une infraction criminelle est commise, surtout avec violence, notre système est conçu pour intervenir et appelé à le faire. Ce n'est qu'en des circonstances exceptionnelles clairement définies que la santé mentale d'un individu entre en cause. Par conséquent, et quoiqu'une intervention médico-légale et scientifique très circonscrite constitue l'un des éléments de l'équation, le système juridique doit continuer à fonctionner de manière à distinguer l'individu de l'éventualité d'un préjudice futur.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d'être ici, monsieur le ministre.

En raison d'événements tragiques que j'ai vécus, je fais des pieds et des mains depuis cinq ans pour éliminer les préjugés à l'égard de la maladie mentale au Canada et j'approuve le projet de loi. À mon avis, il ne stigmatise pas les personnes atteintes de santé mentale, comme le seront cinq millions de Canadiens à un moment ou à un autre de leur vie.

J'ai une question pour vos fonctionnaires : j'aimerais savoir combien le Canada compte de délinquants de toutes sortes. Je cherche à montrer que, même si tel nombre de personnes sont atteintes de maladie mentale, ce genre de projet de loi ne viserait de près ou de loin qu'un petit pourcentage de celles-ci.

Les critiques du projet de loi relatif aux accusés non responsables criminellement soutiennent qu'il pourrait nourrir les préjugés à l'égard des personnes atteintes de maladie mentale. Je me demande donc ce que vous répondriez à ces critiques. Aussi, en quoi le projet de loi permettrait-il de protéger la réputation des personnes atteintes de maladie mentale?

Peut-être que vos fonctionnaires pourraient me faire savoir combien on recense de délinquants en général au Canada chaque année. Je me demande quel pourcentage de délinquants, d'accusés NRC, viserait le projet de loi. J'ai l'impression que le chiffre serait minime en comparaison avec la multitude de Canadiens qui, hélas, souffrent de maladie mentale.

M. MacKay : Merci de cette question, madame la sénatrice. Merci également de votre travail de sensibilisation aux problèmes de santé mentale au Canada, qui vous vaut toute notre admiration.

Je n'ai pas les chiffres que vous désirez, mais je tenterai de les obtenir pour le comité. Cependant, certains ne peuvent être fournis que par le ministère de la Sécurité publique ou nos installations pénitentiaires, mais je chercherai à obtenir les chiffres exacts.

Ce que je peux vous dire, en ce qui a trait au nombre d'individus concernés par le projet de loi, c'est qu'on m'a dit que moins de deux accusés adultes sur mille se déclareraient ou seraient déclarés non responsables criminellement. Les chiffres sont donc de l'ordre de fractions. Pour aller encore plus loin et en revenir à la question du projet de loi, les délinquants réputés non responsables criminellement ne représenteraient à leur tour qu'une fraction de ce chiffre.

Vous avez parlé des préjugés. Comme je l'ai dit à la sénatrice Frum, lorsqu'elle a évoqué le phénomène du justicier, c'est quelque chose dont j'ai entendu parler et à quoi j'ai assurément réfléchi. J'estime tout au contraire que le projet de loi ne suscite ni ne nourrit les préjugés. En effet, je suis convaincu que le fait de déclarer non responsables criminellement les individus qui posent un risque élevé de violence ou d'actes de brutalité ferait prendre conscience à la population que ce ne sont pas toutes les personnes non responsables criminellement qui sont susceptibles de commettre d'autres actes violents ou brutaux.

Je suis d'avis que la population canadienne est avertie et bien informée. Les affaires de ce genre font beaucoup de bruit dans les médias et ailleurs. Or, lorsque les faits sont présentés comme il se doit, que les gens sont bien informés, que l'on tient compte de la volonté de protéger la société et que l'on analyse le processus très rigoureux qu'il faut appliquer pour qu'un accusé NRC soit désigné à haut risque, rien n'alimente les préjugés.

C'est une catégorie qui, pour protéger le public et par nécessité, permet aux délinquants de se faire traiter. N'oublions surtout pas, comme je l'ai dit plus tôt, qu'il s'agit d'individus qui sont confiés à des hôpitaux médico-légaux et à des installations médicales homologuées, où ils sont en grande partie traités au moyen de médicaments d'ordonnance.

Loin de moi l'idée de faire digression, mais il s'agit là de l'un des éléments les plus troublants du système de santé mentale, que vous connaissez bien. Un individu peut aller tout à fait bien lorsqu'il est sous médication supervisée, mais les problèmes surgissent souvent lorsqu'il refuse pour une raison ou pour une autre de prendre ses médicaments, ce qui entraîne très souvent des effets secondaires graves.

Entretenir un dialogue franc et réfléchi sur la question contribue grandement à faire tomber les préjugés. Je suis fermement convaincu que le projet de loi, avec ses définitions très précises et son libellé choisi avec soin, désamorce les préjugés à l'égard des problèmes de santé mentale et du verdict de non-responsabilité criminelle.

Le président : Le sénateur Plett a fait allusion aux groupes qui sont venus nous rencontrer. L'un des problèmes les plus souvent relevés par ceux qui ont des réticences par rapport au projet de loi concerne l'article 10, qui définit certains des critères dont doit tenir compte la commission d'examen à l'égard de tous les accusés réputés NRC et non seulement ceux qui sont à haut risque. Je cite :

[...] un risque important pour la sécurité du public s'entend du risque que courent les membres du public, notamment les victimes et les témoins de l'infraction et les personnes âgées de moins de dix-huit ans, de subir un préjudice sérieux — physique ou psychologique — par suite d'un comportement de nature criminelle, mais non nécessairement violent.

Pouvez-vous expliquer comment la commission d'examen définirait le risque de « préjudice psychologique »? Ce semble être plutôt subjectif. Aussi, à quel genre de comportement cela correspondrait-il?

La crainte, c'est que cela serve à laisser des patients sous garde sous le prétexte que certains membres du public pourraient avoir peur d'eux, peu importe s'ils posent réellement un risque, ce qui se traduirait par une augmentation des affaires renvoyées à la filière pénale plutôt qu'au processus de détermination du statut d'accusé NRC.

M. MacKay : Oui, c'est très délicat. Le libellé du projet de loi — et je sais, sénateur Runciman, que vous connaissez très bien notre système de justice pénale — s'inspire de l'arrêt Winko. On a codifié une bonne partie du libellé et des vastes délibérations associés à cette décision de la Cour suprême.

En ce qui concerne l'application de ces articles, comme pour toute loi relevant du droit criminel, les policiers et les procureurs doivent jouir d'une grande latitude. Enfin, les commissions d'examen et la supervision judiciaire serviraient de garde-fous.

Si nous avons mentionné expressément les préjudices physiques et psychologiques dans le libellé, c'est, encore une fois, dans le contexte de ce projet de loi particulier, pour prendre clairement acte du fait que la violence physique cause également un préjudice psychologique. Un acte violent commis en présence de nombreuses personnes peut bien franchement être tout aussi dommageable et débilitant qu'une blessure physique. C'est ce qui explique le libellé, qui s'inspire de l'arrêt Winko et d'autres affaires dans le cadre desquelles les tribunaux se sont penchés sur les préjudices considérables que peuvent entraîner les actes violents, quel que soit leur auteur. Si l'acte est attribuable aux problèmes de santé mentale de son auteur, alors on passe au processus de déclaration comme accusé NRC.

Le président : Merci. C'est tout le temps que nous avions. Nous vous remercions d'avoir comparu devant nous aujourd'hui avec vos fonctionnaires. Nul doute que nous vous reverrons bientôt.

M. MacKay : Il me tarde de revenir.

Le président : Notre prochain témoin provient de la Commission ontarienne d'examen et des Commissions d'examen canadiennes, j'ai nommé le juge Richard D. Schneider, président. J'ai eu l'honneur de rencontrer monsieur le juge il y a quelques années, en 1993, lorsque je présidais un comité à l'Assemblée législative de l'Ontario.

Je suis ravi de vous revoir. Nous sommes impatients d'écouter votre présentation.

L'honorable juge Richard D. Schneider, président, Commission ontarienne d'examen et Commissions d'examen canadiennes : Monsieur le président, je suis, moi aussi, ravi de vous revoir. Merci également aux membres du comité de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui.

Comme l'a signalé un peu plus tôt le ministre, monsieur le président, le comité a, en effet, beaucoup de chance de pouvoir compter sur un expert parmi ses rangs, j'ai nommé le sénateur Paul McIntyre, que je connais depuis, oh, une vingtaine d'années. Je vous assure qu'il connaît toute cette question sur le bout des doigts.

Je n'ai rien préparé de particulier, mais je tiens à formuler certaines observations. Par souci de continuité, peut-être serait-il utile de reprendre le format adopté par l'intervenant précédent, c'est-à-dire le ministre.

À l'instar du ministre, je conviens que, grosso modo, le projet de loi C-14 englobe quatre grands sujets : primo, l'article 672.54, qui impose la sécurité du public en tant que facteur prépondérant; secundo, la question des avis aux victimes; tertio, le remplacement, à l'article 672.54, de la notion de « moins sévère et moins privative » par celle de « nécessaire et indiquée »; quarto, les dispositions relatives à ce qu'on appelle la désignation d'accusé à haut risque.

Je devrais peut-être commencer par le plus facile : la sécurité du public. Comme l'a dit le ministre, tout le monde est d'accord sur ce point. Avant même que les tribunaux ne se prononcent sur la question, je peux déjà vous assurer que les commissions d'examen, partout au Canada, ont toujours fait de la sécurité du public le facteur prépondérant. Les cours d'appel et la Cour suprême du Canada ont inséré cette notion dans le droit commun. Ce dont il est vraiment question, c'est la codification de cette notion de droit commun, qui, concrètement, ne changera rien du tout.

Les commissions d'examen ne prennent pas position relativement aux dispositions concernant les avis aux victimes. Les commentaires formulés à ce sujet semblent s'inscrire à l'antithèse de la position parfois véhiculée, à savoir que les victimes ne veulent pas se mouiller davantage et que ce processus constitue une certaine forme de revictimisation. Pourtant, d'aucuns soutiendront que cela conférerait plus d'importance aux victimes. Quoi qu'il en soit, les commissions d'examen ne prennent pas position à propos de cette partie du projet de loi.

En ce qui a trait au remplacement de la notion de « moins sévère et moins privative », à l'article 672.54, par celle de « nécessaire et indiquée », c'est une décision franchement étrange. Pour autant que je sache, personne n'a su expliquer ce que cela implique. S'agit-il d'un changement qualitatif ou — hausser ou baisser la barre — quantitatif? Sénateurs, vous constaterez qu'il s'agit d'un critère conjonctif. Quand une disposition peut-elle être nécessaire sans être indiquée ou indiquée sans être nécessaire?

J'avoue avoir été quelque peu dérouté lorsque le ministre a dit que cela s'inscrivait dans la foulée de l'arrêt Winko, mais que les tribunaux et les commissions d'examen continueraient néanmoins à imposer la décision « la moins sévère et la moins privative ».

Je pense être de ceux qui ne comprennent pas trop ce que cela veut dire. La principale préoccupation — je crois que tout le monde s'entend là-dessus — concerne les dispositions relatives à la désignation d'accusé à haut risque. Certains ont dit — et j'ai l'impression que j'en suis — que le projet de loi C-14, ou feu le projet de loi C-54, est étrange. Après tout, lorsqu'on modifie une loi, c'est souvent parce qu'on y perçoit des lacunes. On veut colmater une brèche qui laissait filtrer des événements indésirables ou des circonstances malheureuses.

Je pense que, implicitement, il est juste de dire que le projet de loi C-14 découle, du moins dans les médias, d'une poignée de cas d'exception qui ne sont aucunement représentatifs des quelque 5 000 accusés au Canada qui relèvent des compétences des commissions d'examen provinciales ou territoriales.

Pour en revenir à la désignation d'accusé à haut risque, il faut se rappeler que les accusés en cause — Vincent Li, Guy Turcotte, Allan Schoenborn — ne relevaient pas de cette loi au moment où ils ont commis leurs gestes odieux. Les dispositions ne s'appliquent en effet que lorsqu'un accusé est réputé être NRC. Ces dispositions ne s'appliquaient donc à eux qu'après qu'ils aient commis leur geste. Par conséquent, ni une correction ni un ajustement au projet de loi C-30 ou à la partie XX.1 du Code criminel n'auraient atténué la probabilité que surviennent ces événements horribles. C'est une nuance qui échappe souvent aux gens.

Par ailleurs, toutes des données disponibles, en fait, celles qui sont financées ou soutenues par le gouvernement fédéral, semblent, à mon avis, indiquer que le système actuel des commissions d'examen prévu à la partie XX.1 est peut-être une exception notable, qui a fonctionné extrêmement bien. Le taux de récidive chez les personnes dont le cas a été évalué par une commission d'examen est exceptionnellement faible — inférieur à celui des délinquants qui ont, par exemple, obtenu une libération conditionnelle ou été soumis à une ordonnance de probation ou à une ordonnance judiciaire de mise en liberté provisoire.

Certains ont dit — et je pense être de ceux-là — qu'il ne faut pas changer ce qui fonctionne bien. Ils affirment qu'il n'est pas nécessaire de modifier quoi que ce soit.

D'aucuns allèguent également que le projet de loi C-14 peut, en fait, empirer les choses. Il est clair que l'objectif visé, c'est la sécurité du public. Comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas d'opposition entre ceux qui sont pour la sécurité du public et ceux qui le sont par les droits des accusés. C'est un faux débat. Tous ceux qui s'intéressent à la question se soucient de la sécurité du public. Les intervenants du milieu reconnaissent tous que la sécurité du public est le facteur prépondérant.

Le débat véritable porte sur la meilleure façon d'assurer la sécurité du public. Je vous dirai que le projet de loi C-14 propose des changements qui risquent d'empirer les choses au lieu de les améliorer. Je vais vous expliquer pourquoi. Monsieur le président, signalez-le-moi, si je dépasse mon temps de parole — on m'a dit que je disposais de cinq minutes, mais je suis persuadé que j'ai déjà pris plus de temps.

Avec des dispositions comme celles de la partie XX.1 du Code criminel qui concernent l'accusé à haut risque, si, en tant qu'avocat, je devais m'occuper d'un client aux prises avec des troubles mentaux et chercher comment répondre à de telles allégations, je devrais discuter avec mon client de la possibilité qu'il soit déclaré accusé à haut risque. Comme le ministre l'a indiqué, avec une telle désignation, mon client pourrait se retrouver enfermé dans un établissement psychiatrique à haute sécurité sans privilège pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans, sans possibilité de révision, que l'hospitalisation soit indiquée ou non. Une telle possibilité pourrait faire en sorte que mon client me demande de ne pas invoquer la partie XX.1 du Code criminel et de suivre la filière judiciaire régulière.

Une personne qui, dans le système actuel, aurait invoqué les dispositions de la partie XX.1, y renoncera. La non-responsabilité criminelle peut être invoquée comme défense par l'accusé. Pour les personnes qui auront décidé, à cause de ces dispositions, de ne pas se prévaloir de la partie XX.1, le mandat finira bien par expirer, comme vous le savez, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis de Toronto, et le risque que ces personnes se retrouvent en pleine rue Yonge en uniforme orange, sans avoir reçu de traitement, avec un pronostic pire du fait qu'il s'agit de personnes souffrant de troubles mentaux ayant été détenues dans une prison — et l'enquête sur le cas d'Ashley Smith nous a appris que c'était contre-indiqué — sans soutien, sans traitement et probablement sans aide ni endroit où aller constitue une situation très dangereuse qui accroît la probabilité de récidive.

Je reconnais avec le ministre que les dispositions concernant les accusés à haut risque ne touchent probablement qu'un très petit nombre de personnes dont le cas relève des commissions d'examen, mais, à mon avis, les personnes dont il faut se préoccuper sont celles qui pourraient éviter d'invoquer la partie XX.1 à cause de ces dispositions.

Je pourrais ajouter, entre parenthèses, que ce n'est pas parce des dispositions ne sont pas appliquées souvent qu'elles sont pour autant valides. Si elles sont mauvaises, elles sont mauvaises, qu'on les applique souvent ou non.

Je me réjouis, certes, que le gouvernement veuille accroître la sécurité du public, mais je m'inquiète du fait que, même si toutes les données indiquent d'aller dans une voie, le projet de loi propose la voie contraire.

J'ai grandement dépassé le temps qui m'était alloué. Je vais maintenant répondre avec plaisir à vos questions.

Le président : Nous allons commencer par donner la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie le témoin de son exposé. Je ne sens pas le besoin de poser des questions, parce que j'ai trouvé l'exposé fascinant et très instructif. Je laisse donc la parole à d'autres membres du comité qui ne sont peut-être pas d'accord avec les propos du témoin. Pour ma part, je ne trouve rien à contester, ce qui est tout à fait inhabituel.

M. Schneider : Je suis un juge, monsieur. Personne ne peut contester ce que je dis.

Le sénateur Baker : Vous êtes devant un comité; il s'agit d'une procédure judiciaire aux termes de l'article 118 du Code criminel.

Ce que je trouve fort intéressant, dans votre exposé, c'est que vous dites que ces dispositions pourraient entraîner une augmentation de la population carcérale aux prises avec des troubles mentaux.

M. Schneider : C'est inévitable, parce que toutes les personnes que je représenterai comme avocat qui me diront de ne pas invoquer la partie XX.1 et de suivre la filière judiciaire régulière se retrouveront dans un de nos établissements correctionnels, si elles sont déclarées coupables, même si elles souffrent de troubles mentaux.

Le sénateur Baker : Quand la police porte des accusations, l'inculpé a le droit de recourir à l'assistance d'un avocat, de sorte que vous rencontrez votre client. Vous lui présentez les différentes options, en passez en revue les conséquences et expliquez ce qui en découle. Vous dites que la personne peut opter pour la procédure judiciaire normale au lieu de la thèse de la non-responsabilité criminelle.

M. Schneider : C'est exact. Ma responsabilité, comme avocat, est de faire connaître à mon client tout ce à quoi il s'expose, selon la voie qu'il choisit, ainsi que les probabilités relatives.

Je puis vous affirmer, monsieur, que je remonte très loin, avant l'adoption du projet de loi C-30, à l'époque de la commission d'examen du lieutenant-gouverneur. Le projet de loi C-30 a insufflé une bouffée d'air frais dans le système et apporté un changement crucial à la loi. Avant cela, un avocat de la défense aurait été considéré comme négligent par ses pairs s'il avait allégué l'inaptitude à subir son procès ou la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux — à l'époque, on parlait de non-culpabilité pour cause d'aliénation mentale — pour une affaire autre qu'un homicide, une tentative d'homicide ou quelque chose de cette nature, parce que les conséquences du verdict prononcé auraient pu être nettement démesurées par rapport au principal chef d'accusation auquel l'accusé faisait face. Quand on réintroduit de telles dispositions dans la partie XX.1, on risque que les avocats de la défense recourent au même genre de tactique.

Le sénateur Baker : Vous laissez entendre que les raisons pour lesquelles le projet de loi a été présenté reposent peut-être sur des cas très médiatisés.

M. Schneider : Je ne peux pas savoir ce que le gouvernement a pensé. Je consulte régulièrement les médias, et il me semble pouvoir constater que les modifications proposées à la partie XX.1 ont été présentées après qu'un certain nombre de cas dramatiques aient fait les manchettes. On nous demande sans doute de penser que, si la loi est modifiée, le public sera davantage en sécurité et, implicitement, que de tels méfaits cesseront.

Comme je l'ai signalé au début, les personnes qui ont commis ces infractions aberrantes et horribles n'étaient, de toute façon, pas assujetties à cette mesure législative au moment où elles les ont commises. La modification de notre loi ne réduira nullement la probabilité qu'un futur Vince Li ou qu'un M. Turcotte récidive. Ce sont des personnes déconnectées.

Le sénateur Baker : Selon vous, il s'agit d'un changement majeur.

M. Schneider : Oui, et j'insiste sur l'adjectif « majeur ».

Le président : Je vais poser une brève question supplémentaire. Vous parlez de ne pas invoquer la non-responsabilité criminelle, mais n'y a-t-il pas une espèce d'obligation professionnelle dans de tels cas? Le refus volontaire et en connaissance de cause par un avocat d'alléguer cette défense pour quelqu'un qui n'est clairement pas criminellement responsable de ses actes ne serait-il pas interprété comme une faute professionnelle? N'y a-t-il pas lieu de s'en inquiéter?

M. Schneider : Je ne crois pas, monsieur. Dans l'arrêt Swain, le juge Lamer formule des observations de ce genre. Avec l'adoption du projet de loi C-30, qui a eu lieu après l'affaire Swain — en fait, c'est cette affaire qui a entraîné le renvoi de la question au Parlement, comme vous le savez —, nous utilisons encore le terme « défense », mais en réalité, le verdict de non-responsabilité criminelle est un verdict distinct. Ce n'est ni un acquittement, ni une déclaration de culpabilité, ni quelque chose entre les deux. C'est une réalité distincte.

Pour l'avocat de la défense, il y a bien des choses qui peuvent fonctionner ou ne pas fonctionner, mais l'inculpé aux prises avec des troubles mentaux veut la même chose que tout autre inculpé : trouver « le chemin qui le conduira le plus vite à la liberté », je puis vous l'assurer. Mon client a parfaitement le droit de se prévaloir ou non d'une défense, pour autant qu'il ne me demande pas de faire quelque chose d'illégal ou de tromper la cour. Je pense, au contraire, qu'il serait irresponsable d'obliger un accusé à emprunter une voie ou de lui imposer une solution juridique qui ne correspond pas à ce qu'il veut.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le juge, je vous remercie de votre comparution et de votre exposé. Vous me semblez préoccupé par la possibilité pour les tribunaux de déclarer qu'un accusé présente un risque élevé.

M. Schneider : Oui.

Le sénateur McIntyre : J'aimerais examiner avec vous...

M. Schneider : En fait, c'est la désignation qui me préoccupe de façon générale, pas seulement le fait qu'elle soit utilisée par les tribunaux.

Le sénateur McIntyre : De façon générale, oui. J'aimerais examiner cet aspect avec vous et, en particulier, en ce qui concerne la désignation d'accusé à risque élevé.

En vertu de la loi actuelle, le tribunal estime que l'inculpé est apte à subir son procès. En vertu de la loi actuelle, le tribunal juge que l'inculpé n'est pas criminellement responsable en raison de troubles mentaux. En vertu de la loi actuelle, le tribunal considère également qu'un délinquant souffrant de troubles mentaux n'est pas apte à subir son procès.

Comme vous le savez, le tribunal confirme en outre la conclusion à l'égard de l'aptitude à subir son procès après que la commission d'examen a jugé une personne souffrant de troubles mentaux inapte à subir son procès et ordonne que l'affaire soit renvoyée au tribunal pour qu'il prononce son verdict. Il accorde également une suspension des procédures dans le cas d'un délinquant aux prises avec des troubles mentaux suivant une recommandation de la commission d'examen, si l'inaptitude de l'inculpé à subir son procès est permanente et si l'inculpé ne représente pas une menace sérieuse pour la sécurité du public.

C'est le tribunal, et non la commission d'examen, qui a le premier choix en matière de décision. Je sais que les tribunaux ont le premier choix, mais ils ne rendent pas toujours une décision. Bien souvent, ils renvoient simplement l'affaire à la commission d'examen pour rendre une décision après que l'inculpé a été jugé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, et ainsi de suite.

Or, avec le projet de loi C-14, comme dans le cas de la non-responsabilité criminelle, de l'aptitude à subir son procès et de la suspension des procédures, le tribunal déclarerait qu'un délinquant souffrant de troubles mentaux est un accusé à haut risque.

Ma question est la suivante : comment le projet de loi C-14 diminue-t-il le pouvoir de la commission d'examen en le remettant au tribunal? Après tout, c'est le tribunal qui entend l'exposé des faits après la perpétration d'une infraction criminelle très grave et la comparution du délinquant devant lui pour la première fois.

Bien entendu, après avoir désigné un inculpé comme accusé à haut risque, le tribunal n'accorde pas à ce dernier une libération conditionnelle ou inconditionnelle, mais il l'envoie en détention provisoire dans un centre hospitalier, et l'affaire est ensuite renvoyée à la commission d'examen. Celle-ci tient une première audience, qui requiert le consentement de l'inculpé et du procureur général, et continue d'en tenir d'autres jusqu'à ce que, comme dans le cas de la non-responsabilité criminelle, de l'aptitude à subir son procès et de la suspension des procédures, elle recommande au tribunal la révocation de la désignation d'accusé à haut risque. J'aimerais que vous m'éclairiez un peu sur le rôle de la commission d'examen par rapport à celui des tribunaux.

M. Schneider : Vous avez parfaitement exposé les dispositions. C'est exactement ainsi que les choses fonctionnent. Est-ce le tribunal ou la commission d'examen qui s'occupe de la désignation d'accusé à haut risque? Je peux dire un mot là-dessus. Comme vous le savez, les tribunaux ne s'occupent généralement pas de rendre des décisions sur un verdict de non-responsabilité criminelle ou d'inaptitude à subir son procès, et ce, pour une diversité de raisons complexes. En général, les tribunaux de première instance ne disposent pas de ce que nous appelons des renseignements suffisants pour rendre une décision et ne pourraient pas aller de l'avant de toute façon.

Ce ne sont pas les tribunaux de première instance — et je sais, sénateur, que vous comprenez le système —qui décident au départ s'il faut rendre une décision en cette matière. C'est seulement si l'une des parties le leur demande qu'ils tiennent une audience pour rendre une décision initiale.

Il y a des exceptions, notamment le tribunal de santé mentale du centre-ville de Toronto, mais les tribunaux sont généralement — je ne dirais pas « timides », ce n'est pas le mot qui convient — peu au fait de ce genre de questions, voire mal à l'aise à leur égard. Quand un tribunal est mal à l'aise à l'égard d'une question ou ne la connaît pas aussi bien qu'il le pourrait, il rend généralement une décision plutôt modérée. C'est pourquoi, dans les tribunaux de première instance, lorsqu'un verdict d'inaptitude à subir son procès ou de non-responsabilité criminelle est rendu, il est très improbable que les avocats demandent au tribunal de rendre cette décision initiale.

Avec les dispositions concernant l'accusé à haut risque, comme vous le savez et l'avez souligné, il n'y a pas de décision à rendre. La désignation d'accusé à haut risque rend la commission d'examen impuissante. Rien ne peut être fait. L'accusé est enfermé dans un établissement hospitalier à sécurité maximale sans privilèges, que l'hospitalisation soit indiquée ou non ou même si elle est contre-indiquée. Comme vous le savez tous, les places pour patients en psychiatrie légale sont rares et coûtent cher au Canada. On ne peut pas les gaspiller en les donnant à des personnes qui n'en ont pas besoin et pour lesquelles c'est cliniquement contre-indiqué, alors que ceux qui en ont réellement besoin se bousculent à la porte.

Le sénateur McIntyre : Vous avez tout à fait raison : quand le tribunal désigne un accusé comme étant à risque élevé, celui-ci est envoyé dans un centre hospitalier. Il peut cependant en sortir pour des raisons médicales ou pour les besoins de son traitement. Un plan structuré doit avoir été mis en place.

M. Schneider : Comme vous le savez, sénateur, ces dispositions ont toujours existé même pour les personnes détenues dans des établissements psychiatriques à sécurité maximale. Elles sont généralement interprétées comme des exceptions pour des urgences médicales ou dentaires. Elles ne sont pas conçues en vue d'une réadaptation dans un contexte plus général, car on pourrait inclure des conditions dans une décision régulière en vertu de l'article 672.54. Je m'attends à ce que le Parlement soit cohérent en cette matière. Ces exceptions s'appliquent aux urgences médicales et dentaires.

Le sénateur McIntyre : Puis-je poser une dernière question?

Le président : Non, je regrette. Nous avons déjà passé une dizaine de minutes là-dessus.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur le juge Schneider. J'aimerais revenir sur l'élément de votre exposé qui se trouve au bas de la première page, où vous indiquez que le projet de loi C-14 crée un régime où les personnes aux prises avec des troubles mentaux déclarées non criminellement responsables sont enfermées dans un établissement hospitalier pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans sans révision. Selon vous, pourquoi a-t-on fixé cette période à trois ans et non deux? Sur quels faits s'appuie-t-on pour cela?

M. Schneider : Je ne le sais pas. Je ne crois pas avoir vu quelque chose à ce sujet dans ce que j'ai lu. On aurait pu établir cette période à trois, quatre ou cinq ans. Pourquoi le chiffre magique de trois? Je l'ignore.

Le sénateur Joyal : J'ai essayé de trouver une explication logique. Je me suis dit qu'on s'était peut-être appuyé sur des raisons médicales et que, dans le cas des troubles mentaux, il faut suivre l'évolution de la maladie pendant trois ans plutôt qu'un seul pour arriver à une conclusion valable. C'est pourquoi j'essaie de comprendre les fondements scientifiques du choix de trois ans au lieu de deux ou quatre.

M. Schneider : Vous pourrez entendre mon collègue, le Dr Simpson, un expert en médecine, mais à ma connaissance, la période de trois ans ne correspond à aucun jalon dans l'évolution vers la guérison. Si la durée fixée a une signification particulière, je ne la connais pas.

Le sénateur Joyal : À votre avis, la possibilité d'une révision, en fonction de certains critères, au cours de cette période de trois ans rendrait-elle le projet de loi plus acceptable?

M. Schneider : Sûrement, mais je tiens à souligner, encore une fois, que, selon moi, les dispositions concernant l'accusé à haut risque ne nous conduiront, de toute façon, pas au but poursuivi. Si c'est la voie que nous empruntons, il est évidemment préférable que les révisions soient plus nombreuses.

J'ai déjà expliqué cela ainsi : si on a une casserole sur le feu et qu'on croit qu'elle est à la veille de déborder, est-ce qu'on va la surveiller aux 10 minutes ou aux 2 minutes? De toute évidence, si on juge la situation dangereuse, on a intérêt à faire plus de révisions.

Le sénateur Joyal : D'après vous, quelle amélioration serait la plus nécessaire pour que le projet de loi ne nuise pas à la réalisation de l'objectif que vous avez exposé?

M. Schneider : Comme je l'ai indiqué au début, monsieur — et je parle seulement à titre de président d'une commission d'examen —, la prépondérance de la sécurité du public, c'est parfait; l'amélioration de l'information transmise aux victimes, c'est parfait; la décision « nécessaire et indiquée », c'est ambigu, on ne sait pas trop ce que cela veut dire. À mon avis, le vrai danger du projet de loi se trouve dans les dispositions concernant l'accusé à haut risque.

Le sénateur Joyal : Vous ne voyez pas comment nous pourrions...

M. Schneider : Le sauver?

Le sénateur Joyal : ... atténuer ce problème?

M. Schneider : Non, monsieur.

Le sénateur Plett : Merci pour vos observations, monsieur le juge. Je vais poursuivre dans le même sens que le sénateur Joyal.

D'après ce que je comprends du projet de loi — vous me corrigerez si je me trompe, mais voici ce que je lis dans le document de la Bibliothèque du Parlement : « De plus, la commission d'examen pourrait décider de prolonger jusqu'à trois ans la période d'examen [...] » —, il n'est pas interdit à la commission de procéder à un examen chaque année, si elle le désire, et c'est elle, et non les tribunaux, qui décide de conserver ou non la période d'examen d'un an.

Le sénateur Baker : C'est exact.

Le sénateur Plett : Alors, où est le danger à dire simplement qu'on peut décider de prolonger la période d'examen? Si la commission d'examen veut continuer de procéder à un examen tous les ans, elle le peut.

M. Schneider : Ce ne serait pas la commission d'examen qui voudrait faire quelque chose de son propre chef. C'est à la demande de l'une des parties que la période d'examen serait prolongée jusqu'à trois ans. Vous avez parfaitement raison; c'est bien ce qui est dit.

La désignation d'accusé à haut risque n'entraîne pas automatiquement l'internement dans un hôpital pendant trois ans sans révision. Il est plutôt question de la suppression des privilèges et de l'accès à la collectivité pour l'inculpé.

Vous avez parfaitement raison, monsieur : c'est le procureur de la Couronne qui devrait faire la demande d'un internement de trois ans. La commission d'examen accepterait ou non, en s'appuyant sur la preuve et les arguments présentés.

Le sénateur Plett : Et elle n'accepterait probablement que dans les cas les plus graves?

M. Schneider : C'est ce qu'on espère. À l'inverse, la commission pourrait être d'avis que les cas les plus graves requièrent un examen plus fréquent, comme votre collègue l'a laissé entendre.

Le sénateur Plett : Vous avez mentionné plus tôt que je vous avais donné avis de ma prochaine question.

M. Schneider : Vous l'avez fait, monsieur.

Le sénateur Plett : Je vais poser ma question. J'aimerais d'abord lire une citation, parue dans un article du Globe and Mail, d'un psychiatre qui fait une analogie semblable à celle de la casserole qui bout. Ce psychiatre, qui travaillait dans le réseau ontarien pour les personnes non tenues criminellement responsables, a déclaré dans une entrevue avec le Globe and Mail :

Les psychoses chez un sujet suivent généralement une tendance. Si la paranoïa se manifeste une fois chez une personne psychotique, elle se manifestera de nouveau de la même façon. Si le délire paranoïaque est assez fort pour amener la personne à tuer une fois, il le sera encore une autre fois [...]. » Selon ce psychiatre, permettre la supervision dans la communauté de personnes comme M. Li, c'est comme permettre à des bébés de s'asseoir sur le bord d'une piscine en jetant un coup d'œil sur eux aux cinq minutes. Il y en aura qui se noieront.

Si quelqu'un ne prend pas ses médicaments et qu'on ne le surveille pas, ne reconnaissez-vous pas que c'est très dangereux et que des incidents peuvent survenir? Nous diriez-vous ce que vous pensez de ces deux situations et nous expliqueriez-vous pourquoi, selon vous, M. Li n'entre pas dans cette catégorie des personnes non criminellement responsables?

M. Schneider : Je connais la citation que vous avez lue, et, en résumé, je ne suis pas d'accord avec cette affirmation.

Permettez-moi de revenir sur la question que vous avez posée au ministre concernant le fait que je pense avoir dit que la désignation d'accusé à haut risque pourrait ne pas s'appliquer à Vincent Li. Les dispositions relatives à l'accusé à haut risque contiennent implicitement l'hypothèse que le principal chef d'accusation pour l'infraction à l'origine de la peine est d'une certaine manière lié au danger que présente l'accusé. Si on lit la disposition, on verra que M. Li se fera probablement prendre parce qu'il aura commis une infraction — je paraphrase — d'une nature si brutale qu'il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne.

Ce qu'il faut retenir, ici, c'est la « nature si brutale qu'il y a un risque ». Le problème, l'erreur, dans le projet de loi, consiste à établir, en quelque sorte, un pronostic de brutalité, à présumer que, si on a commis une infraction de nature brutale, on sera plus dangereux à l'avenir. Il n'y a pas de corrélation entre la nature de l'infraction à l'origine de la peine et la dangerosité ultérieure du délinquant.

Je vais vous présenter la chose autrement. Il arrive souvent qu'une commission d'examen soit appelée à évaluer le cas d'une personne ayant reçu un verdict de non-responsabilité criminelle pour une affaire relativement banale et pas particulièrement grave. Néanmoins, le verdict a été prononcé et la commission d'examen doit le revoir. Les rapports psychiatriques reçus révèlent que la personne en question est très dangereuse et très instable, qu'elle résiste au traitement et qu'elle réagit à des hallucinations de commandement.

À l'inverse, une personne qui obtient un verdict de non-responsabilité criminelle peut avoir commis une infraction atroce, mais elle était très instable au moment où elle l'a commise, peut-être sans que ce soit sa faute, peut-être à cause de la manipulation de médicaments alors qu'elle était suivie par un médecin. Une telle personne est parfois hospitalisée et remise rapidement sur les rails, obtient une rémission en l'espace de quelques mois et suit bien son traitement. Malgré la nature brutale de l'infraction à l'origine de la peine, elle peut arriver au point magique de la partie XX.1 où personne ne peut établir qu'elle représente une menace sérieuse pour la sécurité du public.

Sénateur, tout ce que je veux dire, par l'observation que je n'ai pas sous les yeux, mais qui m'est attribuée à juste titre et — je le répète — qui a été formulée à la lumière des premiers renseignements que nous avons reçus au sujet de l'excellente progression de M. Li vers la réadaptation, c'est que la nature brutale de l'infraction à l'origine de la peine peut ne pas indiquer ou — du moins d'après ce que nous avons appris par la presse — n'indique pas un risque de préjudice physique ou psychologique grave.

Ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a pas de rapport entre la gravité de l'infraction et le danger que l'accusé présente réellement et qu'il faut procéder à un examen rigoureux et approfondi du sujet quand on évalue sa dangerosité. Sur le plan clinique, il ne faut pas fonder l'évaluation uniquement sur ce qui s'est produit.

Le président : Je reconnais qu'il est difficile d'être bref sur cette question, mais je vous encourage à l'être. Nous voulons que tous les sénateurs aient la possibilité d'intervenir; je pense que ce serait possible si on resserrait les questions et les réponses.

La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de votre présence ici aujourd'hui, monsieur le juge. Avant d'avoir l'honneur de siéger au Sénat, j'ai été pendant cinq ans le chef de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan, et nous avons toujours considéré la commission d'examen de la Saskatchewan comme l'une des plus importantes commissions relevant du ministre de la Justice de la province. Je vous remercie donc des services que vous rendez à l'Ontario.

Dans l'une des réponses que vous venez de nous donner, vous avez indiqué que, selon vous, améliorer la procédure d'avis aux victimes était une mesure judicieuse. Vous approuvez sans doute ce que je propose ici?

Ce projet de loi vise à modifier le Code criminel afin d'accroître la sécurité des victimes et leur participation au processus d'audience. Pour ce faire, il permettrait aux victimes qui le demandent d'être informées de la libération de l'accusé et il prévoit la délivrance d'ordonnances de non-communication entre un accusé non criminellement responsable et sa victime. De plus, il imposerait aux tribunaux et aux commissions d'examen de prendre expressément en considération la sécurité des victimes lorsqu'ils doivent déterminer si l'accusé pose une menace importante à la sécurité de la population.

Par conséquent, croyez-vous que ces mesures qu'ont réclamées les victimes, et qu'a entendues le gouvernement, soient légitimes et équitables?

M. Schneider : Oui. Je ne pourrais répondre plus brièvement.

Madame la sénatrice, je vous assure que, comme la sécurité publique est le facteur prépondérant, les commissions d'examen prévoient fréquemment des ordonnances de non-communication dans leurs décisions. Ces ordonnances portant décision dictent ce qu'il adviendra de l'accusé après l'audience.

Cette mesure est donc tout à fait raisonnable.

La sénatrice Batters : Excellent.

Maintenant, je souligne que je ne suis pas d'accord avec quelque chose que vous avez affirmé plus tôt. Vous avez dit que les lits dans ces hôpitaux sont très importants — ce que j'approuve sans aucun doute —, mais vous avez dit qu'on ne pouvait les laisser à des gens qui n'en ont pas besoin. En tout respect, monsieur le juge Schneider, je ne crois pas du tout qu'on priverait quelqu'un d'un lit en maintenant un délinquant à haut risque, quelqu'un comme Vincent Li, dans ce genre d'établissement afin de protéger la population.

M. Schneider : Je le répète : il faut y aller au cas par cas. Ce que j'ai voulu dire, c'est que nous devons réduire le risque que pose un accusé à un niveau raisonnable en le plaçant dans un environnement où, après évaluation, on décidera qu'il n'a pas besoin d'être hospitalisé ou, s'il a besoin d'être hospitalisé, qu'il n'a pas besoin d'être placé dans un établissement à sécurité maximale et qu'il est donc inapproprié de le priver de ses droits. J'ai voulu dire qu'on ne doit pas traiter quelqu'un ainsi. L'hospitalisation et le recours aux ressources hospitalières doivent être jugées nécessaires dans le cadre d'un examen clinique, et non devenir une mesure systématique prévue dans la loi.

La sénatrice Batters : D'accord. Merci beaucoup, monsieur.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On dit que seul un petit nombre de personnes non criminellement responsables seraient désignées à haut risque. D'ailleurs, vous avez entendu le ministre de la Justice tantôt.

Évidemment, la Couronne devra faire une demande pour obtenir cette désignation. C'est elle qui aura le fardeau de prouver que la personne appartient à la catégorie « à risque élevé ».

Croyez-vous que cela constitue un juste équilibre entre la sécurité publique et les droits des personnes qui ont commis un acte grave?

[Traduction]

M. Schneider : Eh bien, sénateur, je ne sais trop quoi vous répondre. Le processus n'est pas très différent des autres. Lorsque la Couronne estime qu'il en va de l'intérêt public d'appliquer une désignation particulière à un individu, elle doit en faire la demande, respecter les règles et présenter des éléments de preuve conformément à l'usage établi. Selon moi, nous reconnaissons tous que ce processus assure un juste équilibre.

Ce n'est pas tant le processus — autrement dit, la façon dont la Couronne s'y prendrait pour obtenir la désignation — qui m'inquiète que le risque qu'elle manque de sagesse lorsqu'elle demande de telles désignations.

J'ai l'impression de ne peut-être pas avoir répondu à votre question, monsieur. Si je n'y ai pas répondu, veuillez...

[Français]

Le sénateur Dagenais : Le projet de loi conserve un certain équilibre. La Couronne aura le fardeau de demander la désignation de non criminellement responsable. Le projet de loi respecte quand même les droits de la personne. Vous semblez dire que cela se fait déjà et que le projet de loi n'améliorera pas le processus.

[Traduction]

M. Schneider : Je le répète. Je crois, en effet, que le processus est équilibré et que nous pouvons avoir l'assurance que les tribunaux veillent à protéger l'intérêt de tous lorsqu'ils entendent la cause.

Je vous prie de m'excuser, monsieur. Encore une fois, je ne crois pas répondre avec justesse à votre question, mais je crois que c'est la meilleure réponse que je puisse vous donner pour le moment.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie, monsieur le juge, d'être avec nous ce matin. Mon passé est beaucoup lié au travail avec les familles dont un proche a été assassiné. J'ai créé l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues — qui compte à peu près 600 familles — au Québec. Près de 20 p. 100 des membres de l'association ont un parent ou un proche qui a été assassiné par un membre de la famille.

On sait aussi que la désinstitutionnalisation des patients psychiatrisés — qui a commencé dans les années 1970 et s'est terminée dans les années 1990 — a eu pour résultat d'éliminer environ 50 p. 100 des lits en psychiatrie, et ce, pour plusieurs raisons que je n'évoquerai pas aujourd'hui. En 1995, le Canada comptait environ 60 cas de crimes très graves : homicide, tentative de meurtre. En 2000, on en dénombre 500.

Dans un contexte où la psychiatrie n'est pas un parent pauvre des systèmes de santé, où on remet en liberté des gens qui ont commis un crime ou non, où il y a des services de première ligne efficaces, les lois d'auparavant stipulaient qu'il fallait que la décision de la commission soit la moins sévère et la moins privative de liberté possible. Cette notion s'appliquait dans les années 1980 et il y avait des services de première ligne efficaces en psychiatrie.

En 2012, à Montréal, sur trois interceptions faites par des policiers la nuit, deux sont faites auprès de gens qui ont des problèmes psychiatriques. Les services de première ligne psychiatriques sont presque inexistants.

N'est-il pas normal qu'on révise les critères de base lorsqu'on remet en liberté des gens qui ont commis un crime aussi grave qu'assassiner ses enfants? N'y aurait-il pas lieu de réviser le critère de base pour que la sécurité de la population soit le premier critère prépondérant et que la remise en liberté du patient soit le deuxième critère sur une notion de dangerosité la plus faible possible?

[Traduction]

M. Schneider : Je conviens que la sécurité publique doit être le facteur prépondérant. La réinsertion sociale de l'accusé ne peut se faire que s'il ne pose aucun risque à la sécurité publique.

La liberté, si je puis m'exprimer ainsi, donnée par l'administrateur de l'hôpital, et dictée par la commission d'examen, dépend directement du risque posé par l'accusé. À l'heure actuelle, si l'accusé en est à ses premiers jours d'hospitalisation et qu'il pose un risque sérieux, il se peut qu'il ait très peu de liberté durant sa détention à l'hôpital. L'accusé peut, à mesure que son état de santé s'améliore et que le risque qu'il pose s'atténue parallèlement à une diminution des traitements invasifs et du confinement, retrouver certaines libertés — mais, comme vous l'avez souligné, dans la mesure où la sécurité publique demeure le critère prépondérant. Je crois donc que je suis d'accord avec vous.

Pour ce qui est des statistiques, je crois que vous avez fait référence à l'année 1975.

Le sénateur Boisvenu : 1995.

M. Schneider : 1995.

Le sénateur Boisvenu : Cette année-là, 60 cas de crimes très dangereux commis par des personnes malades avaient été comptabilisés pour l'ensemble du Canada, et en 2012, 500.

M. Schneider : Je n'ai pas ces statistiques. Tout ce que je peux vous dire, c'est que plus les systèmes de justice civile au Canada s'affaiblissent en ce qui concerne les troubles mentaux, plus le nombre d'affaires de ce genre dans le système de justice pénale devrait augmenter.

Le président : Je dois vous interrompre, monsieur le juge. Nous avons dépassé le temps alloué. Nous aurions évidemment pu poursuivre la conservation, mais nous vous remercions grandement de votre contribution aux délibérations de notre comité.

M. Schneider : Merci beaucoup, monsieur.

Le président : Nous accueillons la prochaine série de témoins, soit M. Chris Summerville, directeur général de la Société canadienne de la schizophrénie, et le Dr Alexander Simpson, directeur du Programme psycho-légal du Centre de toxicomanie et de santé mentale.

Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Nous vous sommes reconnaissons d'avoir pris le temps d'être parmi nous aujourd'hui. Je crois que le Dr Simpson intervient le premier.

Dr Alexander Simpson, directeur, Programme psycho-légal, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Je remercie le comité de nous recevoir. C'est un honneur pour moi d'être ici cet après-midi et de pouvoir m'exprimer sur cette importante mesure législative.

Je vais aborder les choses sous un angle différent. Qu'est-ce que le régime de la non-responsabilité criminelle? En termes simples, il s'agit d'un jugement moral posé depuis des siècles selon lequel certaines personnes ne peuvent être considérées responsables de ce qu'elles ont fait, et qui rend légitime, d'un point de vue moral et éthique, le droit de la société de punir tous les autres criminels et de les tenir responsables de leurs actes. Il ne s'agit pas d'un acquittement, comme on l'a déjà souligné, mais d'un jugement qui dit ceci : « On ne vous tiendra pas responsable de vos actes, car il était le fruit de la maladie. Par contre, on s'attend à ce que vous vous occupiez maintenant scrupuleusement de votre bien-être mental. »

Dans la plupart des pays du monde — et, de façon générale, au Canada, d'après ce que nous en savons —, ce régime est efficace puisqu'il permet de réduire de façon importante le taux de récidive par rapport à ce qu'il serait autrement. J'œuvre dans ce domaine dans un certain nombre de provinces depuis de nombreuses années et je tente de déterminer si cette mesure législative permettra aux accusés de mieux prendre conscience de leurs actes, de leur donner la chance et la capacité de se réadapter, mais, surtout, sans poser de risque à la sécurité. Cette mesure permet-elle ou empêche-t-elle l'accusé de se rétablir sans poser de risque pour la société?

Malheureusement, je crains qu'elle ne l'en empêche. En quoi?

Tout d'abord, le projet de loi risque de restreindre l'accès d'un petit groupe de personnes à l'évaluation régulière de leur dossier, en particulier les personnes qui posent le risque le plus élevé et qui sont les plus susceptibles d'avoir besoin d'un examen attentif et rigoureux. Or, il est illogique de réduire la fréquence des évaluations.

Deuxièmement, certains aspects des progrès de l'accusé deviendraient désormais proportionnels à la gravité du crime et ne seraient plus déterminés par la conscience qu'a l'accusé de sa responsabilité et le risque qu'il pose. Dans une optique de réadaptation, il est difficile de concevoir comment cet aspect, qui n'a aucun lien avec la réalité, contribuera à la guérison.

Troisièmement, le régime actuel établit un équilibre entre la nécessité prépondérante d'assurer la sécurité publique ainsi que le risque et le besoin de soins, comme le juge Schneider l'a déjà expliqué. En modifiant la façon dont la loi est libellée à cet égard, on ébranle un régime qui fonctionne déjà et on ignore quelles en seront les conséquences.

Pourquoi a-t-on décidé de faire cela? Assurément par empathie et compassion pour l'immense souffrance ressentie par les familles des victimes d'actes criminels aux mains de personnes atteintes d'une grave maladie mentale. Sans doute également en raison du sentiment que l'on doit leur apporter un certain réconfort lors des processus d'examen. Il est extrêmement difficile pour les victimes qui vivent une telle souffrance de voir que l'accusé n'est pas puni — et qu'il ne peut l'être. Il est difficile pour les victimes de comprendre que le régime n'est pas punitif.

L'amélioration de la procédure d'avis aux victimes et la participation accrue de ces dernières au processus contribuent, dans une certaine mesure, à les aider. Le milieu psychiatrique, globalement, et moi-même appuyons ces modifications législatives. Elles ne suffisent pas à aider les victimes à se remettre de leur souffrance, ce qui leur est nécessaire, mais elles leur apportent une certaine aide en ce sens.

Qu'est-ce que je vous recommanderais de faire à propos de cette mesure législative?

Tout d'abord, vous devez savoir que ces modifications législatives ne renforceront pas la sécurité publique. Je regrette d'être aussi direct, mais c'est le cas. Aucune de ces mesures législatives ne réglera les problèmes soulevés actuellement et où le système judiciaire échoue. Rien ne nous le prouve.

Certes, les familles vivent de profonds traumatismes, comme nous le montrent les témoignages et l'expérience. Mais on ne parle pas de la même chose lorsqu'on fait valoir le risque que posent ces gens et le fait que le système judiciaire libère régulièrement des gens qui récidivent et commettent des crimes aussi graves que les précédents.

Deuxièmement, nous sommes favorables à l'amélioration de la communication avec les victimes. Nous souhaitons que les mesures en ce sens soient adoptées, mais également qu'un débat plus vaste ait lieu sur ce que nous devons faire pour aider les victimes d'un accusé déclaré non criminellement responsable.

Troisièmement, ni moi ni mes collègues œuvrant dans le milieu de la santé mentale dans le contexte judiciaire n'appuyons la catégorie à haut risque. Cependant, nous sommes conscients que le gouvernement souhaite vraiment que ces dispositions soient adoptées et qu'elles pourraient très bien l'être.

J'aimerais que vous rejetiez l'article 9 et les aspects de l'article 10 qui modifient l'article 672.54. Ces modifications ne sont pas nécessaires à la création de la catégorie à haut risque, et elles risquent d'imposer des critères beaucoup plus restrictifs au régime des commissions d'examen puisque rien n'indique que le régime ne fonctionne pas.

Pour revenir sur ce qu'a dit le juge Schneider au sujet des personnes qui ne seraient plus visées par le régime de non-responsabilité criminelle, a-t-on des preuves que ce ne serait pas le cas? Les faits sont pourtant éloquents. Moins de 18 mois après l'adoption du projet de loi C-30, le nombre d'ordonnances visant des personnes déclarées non criminellement responsables chaque année en Ontario a augmenté, passant d'une quarantaine à plus de 200.

Les personnes atteintes de troubles mentaux étaient-elles soudainement devenues cinq fois plus dangereuses? Non. Comme le juge Schneider l'a expliqué, le régime a permis aux gens de se faire soigner, de guérir et, par le fait même, d'accroître la sécurité publique. Il ne faudrait pas qu'un resserrement global du régime de non-responsabilité criminelle vienne défaire cela.

Les modifications législatives proposées aux articles 9 et 10 qui s'appliqueraient à quiconque sous le régime de non-responsabilité criminelle ne seraient pas, selon moi, une bonne politique publique. Conservez les mesures pour aider les victimes ainsi que la catégorie à haut risque si vous le devez absolument, mais, je vous en prie, laissez tous les autres aspects du régime tels quels. De plus, vous est-il possible de ne pas faire quoi que ce soit qui soustrairait des gens de ce régime et les laisserait entre les mains du système pénal, d'où ils en sortiraient plus à risque de récidiver?

Je vais donc m'interrompre ici, mais c'est avec plaisir que je répondrai aux questions.

Chris Summerville, directeur général, Société canadienne de la schizophrénie : Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir permis de témoigner sur le projet de loi C-14. Je m'exprime non seulement au nom de la Société canadienne de la schizophrénie et de tous ses organismes provinciaux, mais également au nom des 11 organismes nationaux œuvrant dans le domaine de la santé mentale qui jugent nécessaire d'unir leurs efforts afin de réduire les conséquences fâcheuses du projet de loi C-14.

Permettez-moi de vous dire que tous ces organismes nationaux qui s'occupent de santé mentale sont d'accord avec le Dr Simpson et le juge Schneider.

Je vous prie aujourd'hui de ne pas utiliser cette question à des fins politiques. Les politiques contribuent à perpétuer la peur envers les personnes souffrant d'un trouble mental, une peur qui l'emporte sur les faits. Or, en tant que professionnels et législateurs canadiens, il nous incombe de veiller à ce que les lois canadiennes veillent efficacement au bien-être de ces personnes. Je vous demande donc, encore une fois, d'examiner la question et d'en débattre à la lumière des données et des faits, et non dans un esprit partisan.

Chers sénateurs, les intervenants en santé mentale se sont fait dire que le projet de loi C-14 ne nuirait en rien aux personnes souffrant de maladie mentale. Si c'était vrai, nous ne serions pas ici aujourd'hui. Cette mesure législative nuira aux personnes atteintes de troubles mentaux, mêmes à celles qui n'ont jamais eu de démêlés avec la justice. Je pense aux Canadiens qui commencent à se rendre compte qu'ils ne vont pas bien mentalement, qui entendent peut-être des voix, et qui refusent de demander de l'aide sachant ce que la société et le gouvernement pensent d'eux et le sort qu'ils risquent de subir. C'est inquiétant et attristant.

Nous aimerions insister, comme nous le faisons depuis que le projet de loi a été présenté, sur le fait que nous appuyons sans réserve les modifications législatives visant à accroître la participation des victimes dans le processus. Pourquoi? Parce qu'il est vraiment désolant de voir qu'on se sert de cette question pour opposer les uns aux autres.

Dans le débat sur cette question et sur le projet de loi, beaucoup font valoir qu'il faut atteindre un équilibre entre les besoins et les droits des victimes d'actes criminels et ceux des accusés déclarés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Selon nous, il est souvent malavisé d'aborder les choses ainsi. La solution ne consiste pas à retirer des droits aux personnes atteintes d'une maladie mentale et à faire fi de leurs besoins pour répondre davantage aux besoins des victimes. Il faut mieux connaître la maladie mentale et prévoir les outils et les ressources nécessaires afin d'empêcher la perpétration d'un acte criminel ou la récidive. Il faut travailler ensemble, et non léser les uns à l'avantage des autres.

Les intervenants en santé mentale n'appuient pas la création d'une catégorie d'accusés à haut risque fondée sur la brutalité du crime. Il n'y a aucune donnée appuyant une corrélation entre le risque élevé et la nature de l'acte criminel. Cette catégorie stigmatiserait la maladie mentale et elle ne protégerait pas les Canadiens et n'aiderait les victimes d'aucune manière. De plus, vous savez que le milieu juridique canadien est d'accord avec nous.

Bien que les intervenants en santé mentale ne soient pas favorables à la création d'une catégorie à haut risque, ils reconnaissent néanmoins combien la peur de la maladie mentale, qui découle d'une mauvaise compréhension, fait de la désignation à haut risque une solution politiquement intéressante. Par conséquent, si le Sénat et le gouvernement décident d'adopter le projet de loi C-14, trois amendements s'imposent pour diminuer les préjudices qu'il pourrait causer.

Premièrement, il faut décharger l'accusé de la nouvelle catégorie « à haut risque » de l'inversion du fardeau de la preuve, qui oblige la commission d'examen ou le tribunal à être « convaincue qu'il n'y a pas de probabilité marquée que l'accusé usera de violence de façon qu'il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d'une autre personne ». Dans le système juridique canadien, le fardeau de la preuve repose habituellement sur la Couronne. C'est à elle qu'il incombe de prouver pourquoi il faut détenir des individus lorsqu'un crime est commis. Le fardeau de la preuve ne devrait pas être plus lourd pour l'accusé ayant une maladie mentale que pour celui ayant commis un crime en toute conscience. Il devrait revenir à la Couronne de prouver que la désignation « à haut risque » doit être maintenue. L'octroi de responsabilités accrues aux tribunaux en vertu du projet de loi C-14 est bienvenu, voire encouragé par les groupes de victimes.

Deuxièmement, il faut éliminer les restrictions qui auront pour effet de limiter l'accès au traitement. C'est incontestable : des mesures de protection doivent être prévues afin de garantir à la victime qui refuse tout rapport avec l'accusé déclaré non criminellement responsable que celui-ci ne pourra entrer en contact avec elle. Nous sommes favorables aux modifications législatives proposées dans le projet de loi qui visent à mieux informer les victimes. Or, on traite les accusés déclarés non criminellement responsables dans le but de les guérir, de les aider à mener une vie saine et de favoriser leur réinsertion sociale. Diverses formes de traitement sont nécessaires. C'est pourquoi nous demandons que le projet de loi permette à l'accusé déclaré non criminellement responsable de s'absenter de l'hôpital dans le cadre de son traitement, s'il est escorté par quelqu'un qui en a été autorisé par l'hôpital et qu'un plan a été préparé afin de réagir aux risques durant la sortie. Cet amendement renforce considérablement la protection du public et de la victime sans pour autant limiter l'accès du patient aux ressources thérapeutiques offertes par les services de proximité.

Enfin, messieurs les sénateurs, il faut éliminer l'effet rétroactif du projet de loi pour les patients qui ont déjà été libérés sous conditions. Ainsi, les cas très médiatisés associés à ce projet de loi ne seront pas touchés. Le projet de loi crée de l'incertitude et de l'inquiétude chez des individus à l'état stable qui bénéficient d'une libération conditionnelle. En effet, certains d'entre eux craignent, à cause de la nature de leur crime ou de leurs antécédents, d'être désignés à haut risque et automatiquement réincarcérés. Appliquer rétroactivement le projet de loi à ceux qui sont en bonne voie de réintégrer la société ne permettra pas de mieux protéger le public ou les droits des victimes. Une telle mesure ne fera que réduire à néant les progrès qu'ils ont réalisés.

Sénateurs, je ne saurais trop insister sur le fait que nos trois recommandations ne diminueront en rien la sécurité publique et ne léseront aucunement les victimes dans leurs droits. En réalité, ces changements contribuent à protéger à la fois la sécurité publique et les droits des victimes.

Si le projet de loi C-14 ne vise pas à léser les personnes aux prises avec une maladie mentale, le comité doit adopter ces trois amendements. J'aimerais conclure en remerciant encore une fois le comité et en lui demandant de défendre les Canadiens vivant avec une maladie mentale. Ce sont nos mères, nos pères, nos frères, nos sœurs, nos enfants et nos petits-enfants. Il est possible de les défendre tout comme vous défendez les victimes. Les intervenants en santé mentale le font déjà.

Merci.

Le sénateur Baker : Ces deux présentations étaient excellentes. Je remercie les deux témoins et j'appuie leurs propos.

Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.

Le sénateur McIntyre : En vertu de la loi actuelle, soit de l'article 672 du Code criminel, le tribunal ou la commission d'examen peut prendre l'une ou l'autre des mesures suivantes : la détention dans un établissement hospitalier, l'absolution inconditionnelle ou la libération conditionnelle.

La détention et la libération conditionnelle ou libération sous condition et l'absolution conditionnelle dépendent de la dangerosité. La commission doit rendre des décisions dans des affaires mineures, comme le vol d'une barre de chocolat au dépanneur du coin ou d'un sac à main, et très graves, dont des affaires de meurtre, de tentative de meurtre, d'incendie criminel, de harcèlement criminel et d'agression sexuelle.

J'ajoute que les trois quarts des patients qui se présentent devant la commission souffrent de schizophrénie paranoïde — une maladie mentale très grave que connaissent très bien, j'en suis certain, les psychiatres — ou de troubles affectifs tels que la bipolarité, le trouble schizoaffectif ou la dépression majeure.

Je crois comprendre, Dr Simpson, que vous recommandez au comité d'éliminer les articles 9 et 10. Je connais bien ces dispositions. L'article 9 modifie le libellé de l'article 672.54 du Code criminel, qui en est actuellement le principal article. C'est sur celui-ci que la commission doit s'appuyer pour déterminer la dangerosité.

Or, modifier le libellé de l'article 672.54 et remplacer celui-ci par, si je ne m'abuse, l'article 672.64 a pour effet de faire de la sécurité publique le facteur prépondérant. L'article 10, quant à lui, définit ce qu'est un « risque important pour la sécurité du public ». Je crois comprendre, monsieur Summerville, que vous avez également des inquiétudes au sujet de la désignation à haut risque.

Notre comité et le Comité de la justice de la Chambre des communes se sont notamment heurtés au problème suivant : divers témoins ayant comparu se demandaient si la sécurité publique était vraiment le facteur prépondérant ou s'il était simplement l'un des quatre facteurs à prendre en considération. Par exemple, selon l'Association du Barreau canadien, la sécurité publique n'était que l'un des quatre facteurs à prendre en compte, les autres facteurs étant : l'état mental et les besoins de l'accusé et la nécessité de sa réinsertion sociale. Le comité doit se préoccuper de la définition de « risque important pour la sécurité du public » Vous, vous ne voyez pas la nécessité de modifier la définition.

Dr Simpson : Exactement. Comme l'a déjà dit le juge Schneider, la sécurité publique est le facteur prépondérant à prendre en compte. On ne peut tolérer que des personnes se soignent, puis continuent à poser un risque et récidivent.

Le sénateur McIntyre : Le problème avec lequel nous sommes aux prises tient au fait que, dans notre pays, il y a divergence d'une province à une autre pour ce qui est du facteur de la sécurité publique. Dans certaines provinces, les commissions d'examen accordent la priorité à la sécurité publique, alors que dans d'autres, des facteurs tels que la réinsertion sociale, l'état mental et les autres besoins de l'accusé ont préséance sur la sécurité publique.

Dr Simpson : Le régime est très loin d'être appliqué de façon uniforme dans notre pays. Par exemple, au Québec, on compte 1 200 nouveaux cas par année d'accusés déclarés non criminellement responsables et inaptes à subir leur procès, tandis qu'en Ontario, il y en a 300. Il s'agit d'une différence énorme. Dans le reste du pays, le nombre de cas est beaucoup moins élevé. Le taux de la Colombie-Britannique, après avoir été à la hausse, est en baisse depuis la dernière décennie. Il représente environ le tiers de celui de l'Ontario. Dans la plupart des autres provinces, ce taux est même moins élevé.

Les commissions d'examen prennent donc souvent leurs décisions selon les personnes qui comparaissent devant elles et le nombre de cas qu'elles ont à examiner. Bien entendu, chaque commission d'examen provinciale est relativement autonome. Le problème de l'uniformité dans l'application du régime relève des tribunaux locaux, des procureurs locaux de la Couronne, et des commissions d'examen. Les exigences établies dans l'affaire Winko sont très claires. Elles sont appliquées uniformément dans le pays. Elles font partie de la loi maintenant. Si leur application n'est pas uniforme dans le pays, je ne sais pas si c'est par méconnaissance de la loi ou pour d'autres raisons.

Le sénateur McIntyre : À mon avis, cette mesure législative ne vise pas les délinquants à faible risque, mais ceux à haut risque. C'est pour cette raison que le gouvernement veut créer la désignation à haut risque.

Le sénateur Joyal : Dr Simpson, vous avez peut-être entendu ce qu'a dit le juge Schneider au sujet du lien entre le crime commis et le risque de récidive. Il n'a pas dit que, plus le crime est épouvantable, plus le risque de récidive est grand. Il n'a établi aucune corrélation en ce sens. Le milieu scientifique médical s'entend-il pour dire que ce facteur ne devrait pas être déterminant dans une décision sur le risque que pose un accusé?

Dr Simpson : Je suis d'accord avec le juge Schneider. Il n'existe aucune corrélation entre la gravité d'un crime et la fréquence. Il s'agit de deux phénomènes différents. Certains délinquants peuvent commettre un seul crime, un crime odieux, et présenter un faible risque de récidive, tandis que d'autres, plutôt réfractaires au traitement, récidivent fréquemment. Le risque que pose un individu dépend donc d'un ensemble de choses, à savoir la gravité du crime, la récidive et l'imminence du danger. Il n'existe pas de corrélation claire entre la brutalité d'un crime, commis une seule fois, et le risque de récidive.

Cela dit, puisque nous travaillons dans une optique de réadaptation, le niveau de bien-être que doivent atteindre ceux qui commettent un crime brutal alors qu'ils ne vont pas bien mentalement est très élevé. Il se peut qu'ils ne posent pas un risque énorme et immédiat, mais nous veillons certainement de très près à ce qu'ils prennent conscience de leur responsabilité avant de pouvoir, lentement et progressivement, être transférés de la sécurité maximale à la sécurité minimale et commencer à réintégrer la société.

M. Summerville : La Commission de la santé mentale du Canada a transmis au ministère de la Justice, par l'entremise d'Anne Crocker, de l'Université McGill, de l'information indiquant qu'il n'existe aucune corrélation entre la brutalité d'un crime et le taux de récidive, et que le taux de récidive est d'environ 7,5 p. 100 parmi les personnes libérées d'une unité psychiatrique, mais de 45 p. 100 chez les détenus libérés d'un établissement correctionnel fédéral.

La sécurité publique devrait être le facteur prépondérant. Le président-directeur général de la Société canadienne de schizophrénie dans la ville où vit M. Vince Li a déclaré publiquement que la sécurité du public est le facteur prépondérant. Mais le processus de guérison doit être tout aussi primordial pour aider l'accusé à réintégrer la société. Même les personnes aux prises avec la forme la plus sévère de schizophrénie peuvent se rétablir, et certains se rétablissent. Ce ne sont pas tous les patients qui parviennent à se rétablir, mais la science moderne le leur permet.

Je crois en la justice réparatrice, en la réadaptation, en la guérison et en la rédemption. Je vous demande de garder à l'esprit que, même si quelqu'un est à haut risque une fois, il peut, grâce à la science moderne, se rétablir, vivre malgré les limites que lui impose sa maladie, traiter sa maladie comme toute maladie chronique et vivre normalement dans la société. C'est ce que les sociétés de la schizophrénie partout au Canada font chaque jour en aidant des milliers de personnes souffrant de schizophrénie et de psychose.

Le président : Vous conviendrez que des erreurs ont été commises. Je pense à l'affaire R. c. Jones et à la Cour d'appel de l'Ontario. J'ignore si vous êtes au courant de cette affaire, qui s'est passée dans ma ville. L'accusé avait reçu une absolution inconditionnelle, un jugement que la Couronne avait porté en appel. Or, avant que la décision n'ait été rendue, l'accusé avait assassiné une femme âgée de sa localité. On ne peut pas dire que, de façon générale, un comportement passé n'est jamais garant d'un comportement futur, car il arrive que des accusés récidivent.

Dr Simpson : Tout à fait.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Comme je l'ai dit plus tôt au juge Schneider, je travaille surtout avec les familles dont un proche a été assassiné. J'ai fondé une association qui vient en aide à ces familles. Au Québec, depuis 2000, c'est au-delà de 200 pères et mères de famille, frères et sœurs qui ont été assassinés par un proche.

Monsieur Summerville, vous avez une opinion qui m'a semblée un peu bizarre. Vous dites que si ce projet de loi était adopté, ces gens n'iraient pas chercher de l'aide, ou risqueraient de ne pas aller en chercher. Comment expliquer à ce moment-là que la grande majorité des 200 familles qui ont vécu un crime au Québec ne sont pas allées chercher d'aide?

Comment peut-on affirmer que si ce projet de loi est adopté, les gens n'iront pas chercher de l'aide? Les gens qui commettent des crimes graves sont souvent des gens qui ne prennent pas leurs médicaments, des gens qui ont des problèmes de consommation, et donc des gens qui n'iront pas chercher de l'aide. J'aimerais que vous m'expliquiez votre logique.

[Traduction]

M. Summerville : Je suis désolé, mais j'ai un peu de mal à entendre avec mon oreille droite.

Le sénateur Boisvenu : Au Québec, depuis 2000, environ 200 familles ont vu un de leurs membres être assassiné par un fils ou un père aux prises avec une maladie mentale grave. Dans votre témoignage, vous avez affirmé que, si nous adoptons le projet de loi, il y a des risques que ces gens n'aillent pas chercher de l'aide s'ils sont malades. Dans presque tous les cas survenus au Québec depuis 2000, soit environ 200, ces garçons — car il s'agit principalement de garçons — n'ont jamais demandé d'aide. Si nous adoptons ce projet de loi, les gens n'iront pas cherché de l'aide. Ils ne veulent pas qu'on les aide parce qu'ils ont un problème ou parce qu'ils ne prennent pas leurs médicaments. J'aimerais simplement connaître votre point de vue là-dessus.

M. Summerville : Si je comprends bien votre question, monsieur, ma réponse est la suivante : les préjugés sociaux constituent la principale raison pour laquelle les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou des maladies mentales ne vont pas chercher de l'aide. Pendant le débat sur le projet de loi, personne n'a parlé du fait que 97 p. 100 des personnes souffrant de maladies mentales n'ont pas de démêlés avec la justice et que les personnes trouvées non criminellement responsables représentent moins de 1 p. 100 de tous les cas. Rien n'a été dit au sujet des faibles taux de récidive. Monsieur, la façon dont le projet de loi a été rédigé...

Le sénateur Boisvenu : En 1995, il y a eu 60 cas, alors que, en 2012, on a dénombré 500 cas graves. Ne pensez-vous pas que cette augmentation crée une opinion négative à l'endroit de ces gens?

M. Summerville : Je vais demander à mon collègue de répondre à cette question.

Dr Simpson : Nous avons publié des études sur les taux d'homicides commis en Nouvelle-Zélande par des personnes atteintes de maladie mentale qui avaient été désinstitutionnalisées et examiné la documentation sur cette question à l'échelle internationale. Je ne connais pas de pays dans le monde où le processus de désinstitutionnalisation a augmenté le risque que représentent pour la population les personnes atteintes de maladie mentale. Toutefois, nous constatons une recrudescence des comportements perturbateurs de la part de ces personnes dans la rue. Au Canada, il existe très peu de données — nous n'avons aucune preuve d'une manière ou d'une autre — qui nous permettraient de connaître l'étendue du problème qui vous inquiète.

En général, cela n'a pas été le cas. Les personnes atteintes de maladie mentale sont les plus susceptibles de commettre des actes de violence graves contre un membre de la famille, comme vous l'avez décrit, avant qu'elles se fassent traiter ou lorsqu'elles cherchent en vain à obtenir un traitement. En permettant aux personnes souffrant de maladie mentale d'avoir accès le plus tôt possible à des traitements efficaces, on peut réduire la nécessite d'adopter un projet de loi comme celui à l'étude aujourd'hui et lutter contre les types de problèmes que vous avez décrits.

Le secteur dans son ensemble pose la question suivante : que pouvons-nous faire pour inciter davantage les gens à obtenir le plus tôt possible les traitements dont ils ont besoin et à les suivre avec assiduité? Les préjugés sociaux sont l'un des principaux obstacles qui empêchent les gens d'obtenir des soins. C'est là-dessus que nous devrions axer nos efforts afin d'empêcher les personnes ayant une maladie mentale de commettre des infractions graves.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins. Je dois vous dire d'entrée de jeu que j'étais policier; je ne suis pas un travailleur social ni un médecin. Il m'est donc déjà arrivé d'avoir à arrêter ce genre d'individu, ce qui m'a amené à avoir des contacts avec les victimes ou les familles des victimes.

Je peux vous dire que malgré tous les efforts qui sont déployés, lorsqu'un accusé est relâché, on voit la peur dans les yeux de la famille de la victime qui craint que l'accusé récidive. Dans un cas qui a été très médiatisé au Québec — que vous connaissez sûrement —, la personne reconnue non criminellement responsable a été libérée. Le voisinage appelait les policiers parce que l'individu était vu dans un dépanneur et tout le monde le craignait. Et de plus, cet individu connaissait très bien la médecine et tout cela. J'ai souvent remarqué que ces gens sont d'excellents manipulateurs, qui refusent de se faire soigner. Cette personne a été internée à Pinel et lors de sa détention, elle jouait le jeu afin de pouvoir ressortir de l'institut, qui est en fait un institut psychiatrique.

Est-ce qu'il faut attendre un autre meurtre avant d'agir? Je ne pense pas qu'on en fasse un enjeu politique, je crois plutôt qu'il faut penser aux victimes.

Je crois à la réinsertion sociale, mais quand je vois les victimes, la peur dans les yeux, je me dis qu'il faut faire quelque chose.

[Traduction]

Dr Simpson : Monsieur, vous faites preuve de sagesse et de sensibilité à l'endroit des victimes. Je respecte cela. Une des plus grandes difficultés a trait à l'écart qui existe entre, d'une part, les soins et les traitements que reçoivent les accusés, et, d'autre part, l'aide, le soutien et la compréhension que reçoivent de nombreuses victimes. Depuis le début de ma vie professionnelle, je traite des gens psychotiques et violents et je les aide à se rétablir. Souvent, la violence se trouve au sein de la famille. Par conséquent, si nous souhaitons favoriser l'intégration communautaire, nous devons aider les familles à se remettre le mieux possible des torts qu'elles ont subis. Toutefois, notre bilan en la matière laisse à désirer, et nous ne mettons pas suffisamment l'accent sur cette question. Évidemment, les victimes ressentent constamment l'effroi qu'elles ont vécu et elles n'ont pas l'occasion de réfléchir aux craintes qui les empêchent d'aller de l'avant.

Lundi soir, le documentaire Non criminellement responsable sera présenté ici, à Ottawa. Il s'agit d'un excellent exemple de justice réparatrice. La scène de réconciliation entre la victime et son agresseur tournée par le cinéaste John Kastner est extrêmement émouvante. Ce qui m'étonne, c'est que l'unité de psychiatrie médico-légale n'ait pas été à l'origine de cette réconciliation. Il a fallu l'intervention d'un documentariste pour que cela soit possible. Nous ne réfléchissons pas assez aux traumatismes subis par les victimes. Nous devons faire cela dans un contexte thérapeutique. Toutefois, je ne suis pas sûr que l'alourdissement de la peine imposée à l'accusé nous permette d'atteindre cet objectif. Je comprends votre réaction à l'égard du problème, mais j'entretiens des doutes quant aux mécanismes utilisés pour lutter contre celui-ci.

La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de votre présence ici aujourd'hui et du travail que vous réalisez auprès de nombreuses personnes qui souffrent de maladie mentale. Cette question me tient beaucoup à cœur. Je ne sais pas si vous avez assisté à la comparution du ministre MacKay plus tôt aujourd'hui, mais sachez que j'ai discuté avec lui de cette question.

Monsieur Summerville, je ne suis pas du tout d'accord avec l'affirmation que vous avez faite dans votre déclaration liminaire, à savoir que ce projet de loi aura une incidence négative sur les personnes atteintes de maladie mentale, et ce, même si elles n'ont jamais de démêlés avec la justice. Depuis cinq ans, je travaille très fort pour éliminer les préjugés associés à la maladie mentale. Ma mission consiste à transmettre un message très simple aux Canadiens atteints de maladie mentale : vous n'êtes pas seuls; allez chercher de l'aide.

À mon avis, ce projet de loi ne créera pas de préjugés à l'égard de la maladie mentale. Avez-vous dit que 97 p. 100 des personnes atteintes de maladie mentale n'ont jamais de démêlés avec la justice? Je pense qu'il faut faire connaître cet excellent pourcentage. C'est justement de ce genre de chose que le ministre MacKay et moi avons discuté aujourd'hui. Je n'appuierais pas ce projet de loi si je croyais qu'il allait créer des préjugés à l'égard de la maladie mentale. Je tiens à ce que cela soit bien clair.

Monsieur Summerville, vous avez dit souhaiter que nous éliminions des mesures qui limitent l'accès aux traitements. J'aimerais que vous précisiez à quels types de traitements vous pensez. Si j'ai bien compris, il ne s'agit pas des traitements médicaux, mais plutôt de mesures comme les permissions de sortir d'une journée dans la collectivité pour aller à l'épicerie. Faites-vous allusion aux traitements de ce genre?

M. Summerville : Dans le cadre du processus thérapeutique, il faut évidemment accorder à une personne plus de liberté et lui permettre d'avoir accès à des services de soutien dans la collectivité. Par exemple, elle pourrait assister aux réunions d'un groupe d'entraide pour schizophrènes ou avoir accès à des services de soutien psychologique qui sont offerts dans la collectivité plutôt que dans une unité de médecine légale. On s'est posé des questions quant à l'interprétation à donner aux permissions de sortir avec escorte. Seraient-elles accordées principalement pour permettre aux personnes visées d'obtenir des soins médicaux qui ne sont pas liés à leur maladie mentale?

La sénatrice Batters : S'agirait-il de questions qui n'ont pas trait à la maladie mentale, comme des sorties qui favorisent ce que vous appelez la réinsertion sociale, par exemple le fait d'aller à l'épicerie? S'agirait-il de ce genre de choses?

M. Summerville : Évidemment, ces sorties font partie du processus de réinsertion sociale. Elles nous permettent de constater l'état de santé mentale des personnes en cause. À l'occasion, nous pensons aussi qu'elles devraient avoir accès à des services de soutien en matière de santé mentale qui sont offerts dans la collectivité.

La sénatrice Frum : En tant que profane, j'imagine qu'il existe un lien entre la brutalité d'un crime et les risques de récidive. Votre point de vue et les statistiques que vous avez présentées sont très clairs à ce sujet.

Je pense aussi que de nombreux profanes estiment que, pour empêcher qu'une personne soit désignée accusé à haut risque, il faut qu'elle soit disposée à prendre ses médicaments régulièrement. Je pense que le grand public est d'avis qu'une personne est plus susceptible d'être un délinquant à haut risque si ce qui l'empêche de commettre un crime violent, ce sont les médicaments qu'elle doit prendre. Les membres du public estiment que le risque découle de la volonté d'une personne de prendre ou non ses médicaments. Le projet de loi porte en partie sur cette question. La désignation est fondée sur le jugement que l'on se fait de la capacité d'une personne de se conformer à son régime médicamenteux. Est-ce bien le cas?

M. Summerville : Nous recommandons vivement que des services de soutien communautaires soient offerts aux personnes pour les aider à gérer une maladie chronique comme la schizophrénie. Il faut aussi aider les gens à continuer de prendre leurs médicaments, à composer avec leurs effets secondaires et à apprendre à reconnaître les indices et les symptômes d'une détérioration possible de leur état afin de communiquer avec des membres de leur famille, des amis ou leur médecin.

Dr Simpson : Ce qui est le plus difficile à accepter, c'est que la brutalité de l'infraction ne permet pas de prévoir le risque de récidive. Bien entendu, la brutalité de l'infraction permet de mesurer l'ampleur des torts causés. La réadaptation médico-légale porte en partie sur l'ampleur des torts causés. C'est pourquoi même si une personne qui a commis un crime grave réagit bien aux soins et aux médicaments qui permettent de traiter sa maladie, elle n'est pas autorisée à retourner immédiatement dans la collectivité. Il faut beaucoup de temps pour bien comprendre et gérer l'ampleur des torts qu'elle a causés. Nous devons donc procéder très lentement.

Évidemment, les victimes et la société dans son ensemble estiment habituellement que la durée de la peine imposée doit être proportionnelle à la gravité du crime qui a été commis. Toutefois, ce raisonnement ne tient pas dans le cas du régime proposé dans le projet de loi puisqu'il faut tenir compte du facteur lié à la maladie. Si ce régime établissait un lien proportionnel entre la peine et l'infraction, son aspect moral et éthique disparaîtrait. Pourtant, il doit, d'une manière ou d'une autre, respecter les deux parties de l'équation. Il ne suffit donc pas de dire ceci : « Eh bien, vous avez commis un acte épouvantable parce que vous étiez malade. Vous réagissez bien aux traitements qui vous sont prodigués. Comme vous n'êtes plus malade, vous devriez immédiatement obtenir votre congé de l'hôpital. » Les choses ne fonctionnent pas ainsi, car il faut assimiler lentement l'ampleur des torts qui ont été causés et y donner un sens.

La sénatrice Frum : Si la personne doit absolument prendre ses médicaments pour éviter d'être un délinquant à haut risque ou un récidiviste, il y a beaucoup de craintes à y avoir.

M. Summerville : Le cas de M. Li a été évoqué plusieurs fois. Comme vous le savez probablement, je rends visite à M. Li quatre ou cinq fois par année. Il a maintenant une conscience morale; il n'est plus le même homme qu'il était il y a six ans. Il sait que ce qu'il a fait est inadmissible. Il veut absolument éviter que cela se reproduise un jour. Il a tellement honte de ce qu'il a fait que certains ont affirmé qu'il pourrait même envisager le « suicide », étant incapable de vivre avec les conséquences de son geste. Il sait maintenant ce que sont la schizophrénie et les moyens à utiliser pour gérer cette maladie. Il veut que cela ne se reproduise plus jamais. Il n'a aucune raison d'arrêter de prendre ses médicaments. J'ai travaillé avec lui en privé, ainsi qu'avec l'équipe thérapeutique du Centre de santé mentale de Selkirk. Le médecin qui traite actuellement M. Li, le Dr Kremer, dit que le risque de récidive est de moins de 1 p. 100 dans son cas. Je sais que la population souhaite qu'il soit nul.

Je tiens à souligner que, chaque fois que j'accorde une entrevue à un journaliste ou avant que je comparaisse devant un comité, je me pose toujours la question suivante : comment est-ce que je réagirais si ma fille avait été à bord de cet autocar? Je me dis aussi que si mon fils avait commis ce crime atroce, je voudrais que justice soit faite pour les deux.

Le sénateur Plett : Merci, messieurs. Monsieur Summerville, je vous souhaite la bienvenue en tant que concitoyen manitobain.

Monsieur, un des commentaires que vous avez faits dans votre déclaration liminaire m'a dérangé. Vous avez laissé entendre que les sénateurs qui appuient ce projet de loi trouvent peut-être qu'il s'agit d'une option séduisante sur le plan politique. J'appuie cette mesure législative, non pas parce qu'elle est séduisante sur le plan politique, mais bien parce que, d'abord et avant tout, la sécurité du public me tient à cœur. Je crois qu'il s'agit d'une bonne solution pour assurer la sécurité du public.

Vous avez rendu visite à M. Li, ce que je n'ai pas fait évidemment. Je n'ai pas non plus rendu visite à la famille de Timothy McLean. Cependant, comme je suis de Winnipeg, je sais que les Winnipégois et les Manitobains sont inquiets à l'idée que Vincent Li circule sans supervision dans les rues de la ville. À mon avis, la plupart d'entre nous trouveraient plus acceptable qu'il soit escorté. Selon vous, cet individu n'a aucune raison de ne pas respecter sa médication — ce qui est peut-être le cas —, mais, dans deux, trois, quatre, voire dix ans, il croira peut-être qu'il est guéri et qu'il peut s'en passer. Comme la sénatrice Frum l'a souligné à juste titre, si un accusé risque de récidiver sans son traitement, il est un contrevenant à haut risque.

Indépendamment du régime de non-responsabilité criminelle, les droits des criminels violents devraient-ils l'emporter sur ceux des victimes? Abstraction faite du régime de non-responsabilité criminelle, les droits des victimes ne devraient-ils pas passer avant ceux des criminels?

M. Summerville : En tant que Canadien, j'estime que les droits de chacun sont égaux.

Le sénateur Plett : En tout respect, je ne suis pas d'accord avec vous.

Dr Simpson : Si quelqu'un vous a porté préjudice, le système de justice veille à réparer les torts causés. C'est au système de justice que la société a confié ce rôle. Ce n'est pas à nous de juger les gens. C'est aux tribunaux de le faire et d'imposer le châtiment jugé approprié par le Parlement pour le geste posé.

L'auteur du crime doit prendre la responsabilité de ses actes et de son châtiment et purger la peine qui lui est infligée. Les victimes ont toujours le droit d'être informées et de participer au processus si elles le souhaitent.

Nous savons que ce qui fonctionne...

Le président : Je vous prie d'être bref.

Dr Simpson : Nous savons que ce qui fonctionne le mieux pour aider les victimes à se rétablir et réduire le risque de récidive est la justice réparatrice. Nous savons qu'elle est efficace pour les criminels violents, de façon générale, surtout chez les jeunes contrevenants, certes, mais également chez les adultes. Nous ne devrions pas nous battre simplement sur la question des droits, mais rechercher, d'une certaine manière, une solution pour favoriser l'intégration.

Le président : Le Dr Simpson a recommandé le documentaire NCR, que je vous recommande moi aussi. Je vous invite également à visionner le documentaire réalisé par The Fifth Estate sur Jeffrey Arenburg, l'individu qui a assassiné Brian Smith ici même, dans notre ville, et qui vit aujourd'hui en Nouvelle-Écosse. Cet individu ne prend ouvertement pas sa médication et terrorise les habitants de la ville où il vit. Il a même menacé l'interviewer du documentaire. Il faut donc toujours voir les deux côtés de la médaille dans ce genre de choses.

Maintenant, deux sénateurs ont demandé à intervenir une deuxième fois. Je leur demanderais d'être très concis. Je demanderais également aux témoins de répondre très brièvement.

Le sénateur McIntyre : Eh bien, je vais être très bref, messieurs. J'ai devant moi le projet de loi C-14. Le paragraphe 672.64(2) précise que, pour décider s'il déclare ou non que l'accusé est un accusé à haut risque, le tribunal doit prendre en compte divers facteurs, qui sont énumérés. Il s'agit des facteurs suivants :

a) la nature et les circonstances de l'infraction;

b) la répétition d'actes comme celui qui est à l'origine de l'infraction;

— on parle de meurtre, de tentative de meurtre ou d'agression sexuelle —

c) l'état mental actuel de l'accusé;

— s'il souffre de schizophrénie paranoïde, par exemple —

d) les traitements suivis et à venir de l'accusé et la volonté de celui-ci de suivre ces traitements;

Disons que, par le passé, il a refusé de se présenter au centre de santé mentale communautaire alors qu'il était sous libération conditionnelle, ou libération assortie de conditions.

e) l'avis des experts qui l'ont examiné.

Supposons que je vous appelle à la barre et que vous êtes un expert appelé à rédiger un avis sous forme d'évaluation psychiatrique. Si l'accusé ne respecte pas certains critères ou aucun des critères prévus à cet article, quel diagnostic établiriez-vous?

Je sais qu'il n'y a aucun accusé devant vous, mais votre diagnostic serait-il simplement que cet individu représente une menace importante à la sécurité du public ou qu'il pose un risque à la sécurité publique et qu'il est un contrevenant à haut risque?

Dr Simpson : On peut voir les choses de deux façons. Évidemment, lorsque nous rédigeons un avis à l'intention d'une commission d'examen, nous devons appliquer les principes énoncés dans l'arrêt Winko pour déterminer si la personne représente une menace importante, car si ce n'est pas le cas, cette personne ne relève pas de la commission. C'est ce que nous faisons toujours.

Le type d'évaluation dans de tels cas n'est pas différent des évaluations de criminels dangereux. Les psychiatres peuvent donc tenir compte de ces aspects.

Le sénateur McIntyre : C'est comme pour un contrevenant à haut risque.

Dr Simpson : Tout à fait. On peut faire un parallèle. Les psychiatres conseillent déjà les tribunaux à cet égard. Je crois que c'est une pratique qui pourrait être adoptée dans de tels cas. Mais le gros problème tient à l'alinéa 1(b), aux termes duquel le tribunal peut déclarer un accusé à haut risque « s'il est d'avis que les actes à l'origine de l'infraction étaient d'une nature si brutale — et c'est là tout le problème — qu'il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne ».

On présume purement et simplement que des événements passés se reproduiront. Or, ce n'est pas un critère scientifique. Bien sûr, des normes professionnelles pourraient être élaborées afin de déterminer les critères prévus au paragraphe (2).

Le sénateur Joyal : J'ai posé une question au juge Schneider concernant la non-responsabilité criminelle et la période de trois ans de détention sous garde. Selon vous, cette période de trois ans s'appuie-t-elle sur une observation scientifique ou médicale? Est-ce la durée nécessaire pour observer l'accusé et mieux évaluer son état et le risque qu'il peut poser à la société ou est-ce une période choisie de façon aléatoire, qui aurait pu être de deux ans ou de quatre ans?

Dr Simpson : Ceux qui sont à haut risque devraient être évalués plus régulièrement par un tribunal ou une commission d'examen. Il est donc illogique que leur situation soit évaluée moins souvent par la commission d'examen alors qu'ils font partie de la catégorie la plus à risque. Cela ne s'inscrit dans aucun processus clinique. Soyons francs : le but sous-jacent est d'apporter un certain soulagement aux victimes en ne leur imposant pas de retourner devant la commission d'examen chaque année. Les victimes qui ressentent le besoin d'assister aux audiences de la commission d'examen bénéficieraient ainsi d'un moment de répit durant lequel elles n'auraient pas à penser qu'elles doivent retourner chaque année devant la commission.

À mon avis, c'est ce qui motive cette recommandation, car c'est illogique étant donné le niveau de risque. Cette recommandation ne s'inscrit dans aucun processus clinique autre que d'apporter à la victime un sentiment de soulagement à l'idée de ne pas avoir à retourner devant la commission chaque année.

Le président : Merci, messieurs, du témoignage que vous avez livré aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Le prochain témoin est un Canadien reconnu qui a déjà comparu devant le comité. Des Services de santé Royal Ottawa, nous accueillons le Dr John Bradford, responsable du programme médico-légal et professeur de psychiatrie à l'Université d'Ottawa.

Bienvenue, Dr Bradford. Je vois que vous avez des observations préliminaires à faire. La parole est à vous.

Dr John Bradford, Programme médico-légal, professeur de psychiatrie, Université d'Ottawa, Services de santé Royal Ottawa : Merci beaucoup. À titre informatif, je souligne que je suis membre de la Commission ontarienne d'examen depuis 1980.

J'ai témoigné auprès de plus d'une centaine d'audiences visant des délinquants dangereux en vertu du Code criminel. À l'heure actuelle, je travaille par choix dans le domaine de la réinsertion sociale des patients à haut risque déclarés non criminellement responsables. Au cours du dernier mois, par exemple, j'ai libéré une personne gardée à l'hôpital depuis 37 ans et je l'ai autorisée à vivre dans un cadre supervisé dans la collectivité, et une autre personne qui était détenue à l'hôpital depuis 23 ans.

J'ai également eu l'occasion d'évaluer Jeffrey Arenburg, Willie Pickton, Russell Williams, Kachkar plus récemment à Toronto et Paul Bernardo, entre autres.

J'ai en outre participé, en 1988, à un projet sur les troubles mentaux dirigé par Gilbert Sharpe et Ed Tollefson, du ministère de la Justice. Ce projet est d'ailleurs à la base de la partie actuelle du Code criminel qui porte sur les troubles mentaux.

Nous avons formulé une recommandation au sujet des accusés dangereux atteints de troubles mentaux. La description de l'accusé à haut risque dans le projet de loi dont nous parlons est très semblable, à quelques différences près. Ce sont là quelques précisions que j'estime importantes.

Il me semble que le Dr Simpson a mentionné un documentaire intitulé NCR, réalisé à Brockville, où je travaille. Un autre documentaire sera bientôt présenté au festival Hot Docs, à Toronto; il s'intitule Out of Mind, Out of Sight et donne une bonne idée du système médico-légal.

Je vous ai fourni des diapositives Power Point dont je ne vais parler que pour faire ressortir certains points que vous pourrez y retrouver quand vous aurez l'occasion de les lire.

En premier lieu, je veux signaler qu'en 2002, l'Organisation mondiale de la santé a réalisé de nombreuses études sur la violence et la santé dans le monde. Ces études révèlent que la violence due aux troubles mentaux représente une infime partie de la violence globale dans notre société. Même si l'Organisation mondiale de la santé a cherché des pays et des sociétés pour reprendre et poursuivre l'étude, très peu se sont attaqués à la question.

D'après certaines statistiques, environ 520 000 personnes meurent chaque année des suites d'actes de violence interpersonnelle. Il s'agit d'à peu près 1 400 personnes par jour, ce qui équivaut à l'écrasement de trois gros avions par jour. Le nombre de personnes victimes d'actes de violence associés à des troubles mentaux représente une très petite fraction de ce chiffre.

En deuxième lieu, je veux signaler qu'il y a une relation directe entre les troubles mentaux et la violence — vous l'avez probablement déjà entendu, mais je le dis quand même. Le nier serait nier la vérité.

J'ai fait ressortir, dans les diapositives que je vous ai fournies, certains liens entre les troubles mentaux et la violence, que celle-ci soit le fait de personnes ayant reçu leur congé d'un établissement psychiatrique ou de personnes hospitalisées dans un tel établissement. Je parlerai à cet égard de la règle de 20 à 40 p. 100. En gros, de 20 à 40 p.100 des personnes ont un comportement violent avant leur admission dans un établissement psychiatrique, de 20 à 40 p. 100 ont un tel comportement à l'hôpital et de 20 à 40 p. 100 font preuve de violence après avoir reçu leur congé.

Si on examine les grandes études épidémiologiques réalisées, et il y en a eu un bon nombre — je vous ai parlé de la plus importante effectuée aux États-Unis, l'étude épidémiologique de la zone desservie visant 10 000 personnes —, on constate que les personnes souffrant de troubles mentaux, quels qu'ils soient, risquent davantage d'avoir un comportement violent que celles qui n'en souffrent pas.

Je signale aussi, simplement parce que c'est intéressant, que la dépendance au cannabis et l'abus de cette drogue multiplient par neuf le taux de violence. Si jamais il vous est présenté quelque chose au sujet de la légalisation du cannabis, il faudra réfléchir au lien entre cette drogue et la violence.

En troisième lieu, je veux attirer votre attention sur les modèles établissant la probabilité de violence chez les personnes souffrant de troubles mentaux. Selon un modèle multidimensionnel à variables multiples, la psychose, généralement combinée à l'abus de substances, est un important facteur associé à la violence.

Il importe de souligner qu'en général, c'est à l'égard de membres de leur famille, et non à l'endroit du grand public, que les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves ont un comportement violent, bien que les attaques contre des étrangers soient typiques de ce qu'un état psychotique peut provoquer.

J'ai également inclus quelques données tirées d'une enquête journalistique — vous en avez probablement assez de nous entendre parler de cette question et vous abreuver de statistiques — parce que celle-ci a été réalisée en 2002. Il s'agit d'une étude effectuée par le New York Times sur des tueries survenues aux États-Unis. Cela aurait pu être, par exemple, le meurtre de Staten Island, l'incident sur un train en provenance du Connecticut. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'après s'être penché sur 100 cas de massacres en 2000, le New York Times a conclu ceci — je vous lis la synthèse de l'article :

[...] l'état mental et émotif de la plupart des tueurs de masse a lentement et longuement décliné. La majorité d'entre eux avaient laissé des indices pendant qu'ils complotaient leur méfait, amassant des armes et parlant ouvertement de leurs plans d'effusion de sang. Beaucoup montraient des signes de problèmes de santé mentale graves.

On fournit ensuite de nombreuses statistiques indiquant qu'au moins 60 p. 100 des tueurs ont cherché à obtenir de l'aide, mais n'en ont pas reçu.

En résumé, il existe incontestablement un lien entre la violence et les troubles mentaux. Ce n'est pas très réjouissant. Par contre, le traitement réduit considérablement les risques. Ainsi, on constate une grande différence entre les personnes souffrant de troubles mentaux qui sont traitées et les délinquants sans troubles mentaux qui sortent d'un établissement correctionnel. Il est beaucoup plus difficile de contrôler la violence chez les derniers que chez les premières.

Cela dit, je ne pense pas que le système des commissions d'examen pour les causes de justice pénale au Canada soit déficient, pas du tout. Je crois avoir entendu certains de mes collègues en parler, et je ne vais pas répéter ce qu'ils ont dit. Le taux de récidive est faible. Je vous ai cité les cas de personnes hospitalisées pendant des années dans l'établissement auquel je suis attaché. Elles n'ont obtenu leur congé que récemment et sont en liberté strictement surveillée, parce qu'elles n'étaient pas suffisamment rétablies plus tôt et qu'il fallait protéger le public. À mon avis, la commission d'examen fait ce qu'il faut pour protéger le public.

Par ailleurs, j'ai témoigné dans de nombreuses audiences pour délinquants dangereux, et je pense qu'un petit pourcentage des personnes atteintes de troubles mentaux graves peuvent entrer dans la catégorie des accusés à haut risque ou dans celle qu'on avait envisagée en 1988, la catégorie des accusés dangereux atteints de troubles mentaux, non pas tant à cause de la nature du crime commis, mais en raison des tendances à la violence qui ont précédé l'acte.

Selon moi, le public a le droit d'examiner la question, de se pencher sur le cas de ces personnes. Comme le Dr Simpson l'a signalé, on ne peut pas, en cette matière, prendre la brutalité comme un facteur isolé, mais je pense que c'est un des éléments dont il faut tenir compte.

Ainsi, les écrits sur le cannibalisme, bien que peu nombreux, révèlent que les personnes qui mangent leur propre chair ou celle d'autres personnes souffrent généralement de graves troubles mentaux.

Je tiens également à vous avertir qu'un cas unique peut influer sur le système législatif, comme on l'a vu dans d'autres pays. C'est ce qui est arrivé au Japon, après la prise d'assaut d'une école entraînant la mort de plusieurs personnes. C'est certainement ce qui s'est produit au Royaume-Uni après certaines affaires très médiatisées. La plupart du temps, on sentait qu'il fallait modifier la loi, et je pense que c'est ce qui s'est passé ici.

Je ferai cependant valoir que la Grande-Bretagne, par exemple, ne s'est pas contentée de modifier la loi, mais a mis sur pied l'enquête nationale confidentielle, qui a pris la forme d'une commission chargée de se pencher sur tous les homicides commis par des personnes aux prises avec des troubles mentaux, afin que ce genre de chose ne se reproduise plus.

À mon avis, le problème des troubles mentaux et de la violence n'a pas grand-chose à voir avec le système des commissions d'examen pour les causes pénales. C'est ce qui se passe avant qui importe. Vincent Li a reçu son congé d'un hôpital de Toronto; il souffrait d'une grave maladie mentale, il n'a pas été traité et on sait ce qui est arrivé. Les véritables enjeux sont, notamment, le droit au traitement et le système de soins de santé mentale.

J'aimerais également attirer votre attention sur deux graphiques montrant le pourcentage de personnes traitées pour la schizophrénie chez qui la médication est interrompue. Dans une étude très bien connue, l'étude C.A.T.I.E., réalisée sous l'égide du National Institute of Mental Health, 85 p. 100 des personnes ont cessé de prendre leurs médicaments au bout de 18 mois; dans l'étude de Caffey, 75 p. 100 ont cessé de les prendre après 12 mois.

Donc, à mon avis, vous pouvez débattre du projet de loi et de la disposition concernant l'accusé à haut risque, mais je pense que cette désignation a du bon et contribuerait à protéger le public. Selon moi, vous pouvez débattre de certains critères.

Pour ce qui est du système de soins de santé mentale, les commissions d'examen de l'Ontario, du Québec ou d'ailleurs prévues dans le Code criminel ne posent pas de problème, selon moi. Je pense qu'elles fonctionnent très bien.

Je crois vraiment, toutefois, que le système général de soins de santé mentale présente des problèmes.

Vous pourriez, selon moi, envisager de recommander une loi uniforme sur la santé mentale et une mesure législative concernant le droit au traitement pour les personnes aux prises avec des troubles mentaux, parce que je pense que c'est un problème. Il y aurait peut-être même lieu de songer à mettre sur pied une commission semblable à celle qui s'occupe de l'enquête nationale confidentielle au Royaume-Uni afin qu'elle évalue les futurs cas de violence liée aux troubles mentaux.

Le sénateur Baker : Je vous remercie pour votre exposé fort intéressant, Dr Bradford. J'aimerais connaître votre avis sur les trois principaux éléments du projet de loi.

Premièrement, que pensez-vous de la prépondérance accordée à la sécurité du public?

Dr Bradford : Je n'y ai aucune objection. Je pense que la sécurité du public doit passer en premier. D'après mon expérience à la commission d'examen de l'Ontario, je dirais que c'est elle qui prime, à l'heure actuelle. J'ajouterai que l'Ontario est la première province à faire intervenir des procureurs de la Couronne dans le système de la commission d'examen afin d'assurer la protection du public et que cette mesure a maintenant été adoptée partout au pays. Au début, cela se faisait sur une base volontaire. À mon avis, c'est une bonne chose et c'est indispensable.

Le sénateur Baker : En passant, je constate que, dans la plupart des cas signalés relevant de cette commission, les personnes qui demandent une remise en liberté hâtive ou une remise en liberté se la font refuser par la commission d'examen.

Je suppose que vous n'examinez pas les cas signalés — vous connaissez tous les cas, qu'ils soient signalés ou non —, mais ce qui semble s'en dégager, c'est qu'il n'est pas facile d'obtenir une libération à la première demande.

Dr Bradford : Non. Je dirai cependant que ce qui se passe en Ontario peut être différent de ce qui se passe en Colombie-Britannique ou au Québec. Il n'y a pas uniformité; c'est ce qui explique que j'aie suggéré l'adoption d'une loi uniforme sur la santé mentale et l'établissement d'une certaine uniformité dans le système.

En Ontario, par exemple, une personne peut être assujettie pendant longtemps à une ordonnance de détention dans un hôpital, même si elle vit dans la collectivité. On appelle cela une ordonnance hybride : la personne vit dans la collectivité tout en étant en détention dans un hôpital.

Si ce soir, par exemple, on m'appelle au sujet d'une personne qui cause des inquiétudes dans la collectivité, il sera possible de la ramener immédiatement. Nul besoin pour la police de recueillir des documents supplémentaires, ou très peu; elle est en mesure de ramener la personne à l'hôpital. Il nous est possible de gérer le risque ainsi, ce qui est d'un grand secours, selon moi. Les juridictions n'appliquent pas toutes cette méthode, mais, en Ontario, c'est ainsi que les choses se font en général.

Le sénateur Baker : Il n'est donc pas inhabituel que quelqu'un voie sa liberté restreinte pour une période de trois ans.

Dr Bradford : Oh non, pas du tout. J'ai donné des exemples de personnes dont les séjours à l'hôpital ont duré 37 et 23 ans. J'en connais une autre qui a été hospitalisée pendant 33 ans et que nous envisageons de relâcher dans la collectivité à un moment donné.

À l'hôpital où je travaille, où sont accueillis de nombreux patients schizophrènes qui ont commis des crimes violents et qui sont résistants au traitement, nous prolongeons le processus de retour dans la collectivité d'une période de trois à cinq ans, même lorsqu'il y a ordonnance de détention. Une fois relâché dans la collectivité, le patient doit attendre de deux à trois ans avant d'obtenir l'absolution conditionnelle, qui est suivie plus tard par l'absolution complète. La durée du séjour est donc considérable.

La personne dont j'ai parlé, qui sera relâchée après un séjour de 23 ans, avait été reconnue coupable de deux agressions sexuelles relativement mineures. En raison de la gravité de sa maladie, de la difficulté à la traiter et à la contrôler, son retour à la vie dans la société a été reporté, malgré la gravité relativement faible des infractions commises.

Le sénateur Baker : Avez-vous une opinion au sujet du deuxième élément du projet de loi, qui vise une participation accrue des victimes et qui prévoit les informer au sujet de la libération et du lieu de résidence éventuels d'une personne déclarée NRC?

Dr Bradford : Selon moi, il est nécessaire d'informer le public. Cependant, j'ai été témoin d'audiences bouleversantes, tant pour les victimes que pour l'accusé. Il ne faut pas oublier que l'accusé, dont la garde et le traitement sont sous notre responsabilité, souffre d'une maladie mentale grave que nous nous efforçons de maintenir stable. Selon moi, ces audiences n'ont donné rien de bon. Je crois par contre que la présidence peut exercer, à sa discrétion, un certain contrôle, auquel je ne m'oppose généralement pas.

Le sénateur Baker : La troisième et dernière modification apportée par le projet de loi concerne la création d'une nouvelle catégorie d'accusés. Une nouvelle déclaration visant à protéger le public contre les accusés NRC à haut risque serait créée, en vertu de laquelle les accusés n'auraient pas droit à une absolution inconditionnelle ou conditionnelle et devraient donc être détenus dans un hôpital. De plus, la période d'examen pourrait être prolongée jusqu'à trois ans. Avez-vous une opinion à ce sujet?

Dr Bradford : Je n'y vois pas d'inconvénient si cette disposition est appliquée adéquatement. Certaines des définitions sont assez arbitraires et c'est ce que je trouve préoccupant. Certains vous ont fait part de leurs réserves entourant l'utilisation de la brutalité comme indicateur de la récidive et du risque.

Selon moi, la désignation « à haut risque » ne s'appliquerait techniquement qu'à peu de personnes; mais, une fois créée, elle risque d'être surutilisée, comme ce fut le cas, dans une faible mesure, des dispositions relatives aux délinquants dangereux dans le Code criminel.

Voilà les seules réserves que j'ai à cet égard.

Le sénateur McIntyre : Dr Bradford, si j'ai bien compris, vous avez siégé à la Commission ontarienne d'examen pendant de nombreuses années.

Dr Bradford : Trente ans — en fait, depuis 33 ans maintenant.

Le sénateur McIntyre : Vous connaissez donc très bien l'article 672.54, qui traite de la dangerosité.

Je crois aussi comprendre que vous êtes psychiatre légiste et qu'à ce titre vous êtes appelé à mener des évaluations psychiatriques judiciaires. Je sais également qu'il existe une différence entre une évaluation psychiatrique ordinaire et une évaluation psychiatrique judiciaire; si je ne m'abuse, celles-ci sont menées auprès de délinquants à risque élevé. Auriez-vous l'obligeance de nous en dire un peu sur ce que comporte une évaluation psychiatrique menée auprès d'un délinquant à haut risque?

Dr Bradford : Permettez-moi d'ajouter une précision : selon moi, il ne s'agit pas toujours de délinquants à haut risque. En fait, je crois que l'utilisation du terme NRC a grimpé au Québec et en Ontario en partie parce que certaines personnes accusées d'infraction de moindre gravité ont été déclarées non criminellement responsables. Souvent, ces affaires sont résolues par le tribunal de la santé mentale.

Viennent ensuite les cas plus graves, en particulier des homicides ou des incidents de violence extrême; il est vrai que ces cas sont souvent contestés en vertu du Code criminel. Je préfère que le dossier fasse l'objet d'une ordonnance du tribunal lorsque j'aide un accusé, qu'il soit déclaré NRC ou non. Lorsque c'est le cas, l'affaire retourne entre les mains de la Couronne et de la défense et, ultimement, d'un jury. Je suis appelé à témoigner, ce que je m'efforce de faire le plus objectivement possible, pour indiquer si l'accusé répond bel et bien selon moi aux critères d'une personne non criminellement responsable.

Le sénateur McIntyre : Il s'agit alors de l'évaluation psychiatrique initiale?

Dr Bradford : Oui.

Le sénateur McIntyre : En d'autres mots, l'objectif est d'établir si la personne peut être exemptée de toute responsabilité pénale.

Dr Bradford : C'est exact.

Le sénateur McIntyre : La cour utilise ensuite les conclusions de l'évaluation pour déclarer une personne non criminellement responsable pour des motifs de troubles mentaux?

Dr Bradford : Absolument.

Le sénateur Joyal : Je vais vous poser la question que j'ai posée aux experts qui vous ont précédés aujourd'hui. La période de trois ans est-elle essentielle pour mesurer le niveau de risque que présente une personne déclarée NCR?

Dr Bradford : En général, je dirais que non, mais dans certains cas, oui.

Prenons l'exemple d'un infanticide. Souvent, les parents qui tuent leurs enfants souffrent d'un trouble mental grave appelé dépression majeure accompagnée d'une psychose, et présentent ce qu'on appelle des « idées délirantes altruistes ». En fait, il s'agit d'un trouble qui répond bien au traitement, dont le patient peut se rétablir en quelques mois. Dans ce genre de cas, si la personne n'a jamais eu de comportements violents, qu'elle continue à prendre les médicaments prescrits et à suivre son traitement, la situation présente peu de risque.

Le profil de certains de mes patients en consultation externe — dont un patient en particulier que je vois depuis 1984 — correspond à cela et il se trouve que le taux de récidive est nul. Les patients doivent toutefois continuer à prendre leurs médicaments, à consulter une fois par mois, et cetera.

La réponse à votre question est non, mais je suis d'avis qu'il n'en va pas de même pour tout le monde. Je vais employer l'exemple de Jeffrey Arenburg parce que nous avons déjà mentionné son nom. J'ai participé à l'audience visant à établir son aptitude et à celle visant à déterminer s'il était criminellement responsable. Il avait ceci de particulier que, malgré le fait qu'il était atteint d'une grave maladie mentale, il camouflait ses symptômes de façon très astucieuse, ce que j'ai mis peu de temps à déceler. Il a finalement été incarcéré au Centre correctionnel de Penetanguishene, dont il a été libéré depuis. Sa capacité à camoufler ses symptômes m'a toujours inquiété. Je n'ai jamais cru qu'il aurait la motivation de suivre un traitement si on lui avait accordé une absolution inconditionnelle.

Je crois que le personnel de l'endroit fait un très bon travail pour tenter de contrôler ce genre de facteurs. Le séjour de Jeffrey Arenburg à Penetanguishene a été assez long. Il aurait peut-être été judicieux de revoir son dossier tous les trois ans et de le classer dans une catégorie différente. Pendant un certain temps, il prenait ses médicaments et semblait bien aller. On l'a libéré et, comme vous le savez, il a eu d'autres démêlés avec la justice peu de temps après.

Avec le recul, je crois que j'avais probablement raison : il s'agit d'un cas où il aurait été avisé de le classer parmi les accusés à haut risque.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, le système devrait avoir suffisamment de souplesse pour tenir compte des particularités des cas de ce genre.

Dr Bradford : C'est exact.

Selon moi, très peu de gens correspondent aux critères de la catégorie à l'étude. C'est ce que je croyais en 1988 et je persiste à le penser. Quoique sa surutilisation m'inquiète, je conviens que certaines personnes en font partie. Je suis d'avis qu'il est nécessaire de protéger le public en les classant dans la catégorie en question et je considère que nous y arriverons en procédant ainsi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Bradford. Je sais que vos services ont souvent été utilisés et que vous êtes intervenu comme expert à l'occasion de plusieurs procès; je crois que vous avez, entre autres, témoigné au procès pour l'assassinat du sergent Ryan Russell, de la police de Toronto en 2011. Vous savez, il n'y a pas de projet de loi parfait. Le ministre l'a dit d'ailleurs; les projets de loi peuvent être remodelés, corrigés et améliorés, je pense que c'est ce qui est voulu. Ne pensez-vous pas que le projet de loi C-14 est un pas en avant dans l'application d'une meilleure justice?

[Traduction]

Dr Bradford : Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas convaincu qu'il bonifiera le système. Selon moi, le système n'est pas dysfonctionnel. Donc, non, je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette affirmation. Le taux de récidive est faible et, en général, les commissions d'examen font un bon travail. Je le dis avec circonspection, car je crois aussi qu'il existe une grande variation entre les provinces. Je dois donc préciser que ma remarque s'applique surtout à l'Ontario, quoique le taux de récidive est assez uniforme d'une province à l'autre.

Pour le nombre très peu élevé de personnes à qui elle s'applique et dans les cas comportant des incidents comme celui que le sénateur Runciman a mentionné — et j'en connais d'autres — j'ai espoir que la catégorie fera une différence si elle est appliquée adéquatement. Dans ces conditions, oui, le projet de loi devrait fonctionner.

Le président : Docteur, les statistiques concernant le nombre d'accusés déclarés NCR chaque année par les commissions d'examen provinciales semblent indiquer une énorme différence entre le Québec et le reste du Canada. Que se passe-t-il à votre avis? Avez-vous une opinion à ce sujet?

Dr Bradford : Oui et non. Un examen est en cours pour tenter d'expliquer ces données.

Je peux dire une chose cependant : il s'agit d'une situation nouvelle. Il n'en a pas toujours été ainsi. En outre, le système médico-légal au Québec est différent des autres provinces; de nombreuses personnes sont déclarées NCR et se retrouvent généralement dans un hôpital psychiatrique, même si elles ne présentent qu'un faible risque. Je crois — ce n'est qu'une intuition — que certaines personnes résistantes au traitement se sont vues désignées NCR par le système, parce que leur cas plus facile à gérer dans le cadre de ce dernier. Autrement dit, le système compense les failles du système général de soins de santé mentale. La situation est sans doute plus compliquée, mais je crois qu'il s'agit là d'un de ses facteurs.

Le président : Ma question n'est pas directement liée au projet de loi; elle porte sur un autre enjeu sur lequel j'aimerais entendre votre point de vue. Récemment, nous avons été témoins d'une enquête tenue à Toronto sur la mort de trois personnes souffrant d'une maladie mentale, qui ont perdu la vie à la suite d'une altercation avec la police de l'endroit. Je suis conscient que les policiers font face presque quotidiennement à des situations comme celles-là. Nous connaissons les problèmes posés par les personnes qui refusent de se plier à un traitement. Ils ont le droit de reconnaître leurs problèmes et de refuser un traitement, même si cette décision leur attire régulièrement des démêlés avec la police et les tribunaux. Résultat : de graves conflits surviennent, qui peuvent entraîner la mort d'une ou de plusieurs personnes. Existe-t-il une façon, au provincial ou au fédéral, d'aborder ce problème?

Dr Bradford : Tout d'abord, je tiens à signaler que je travaille aux côtés du juge Iacobucci dans l'enquête sur la fusillade de Toronto. Par mes propos je ne transmets que mon opinion personnelle, et non celle de la commission.

Je suis d'avis qu'il existe un problème dans le système général des soins de santé mentale, notamment en ce qui concerne le droit au traitement. Dans le document que je vous ai remis, on mentionne deux études qui montrent qu'un pourcentage très élevé de gens cessent de prendre leurs médicaments, même lorsqu'ils sont suivis dans le cadre de telles études. Ils retombent donc malades. Ils vont vivre dans les logements à prix modiques. Ils se mettent à boire et à consommer des drogues. Leurs démêlés avec la justice commencent. Le même phénomène se produit partout dans le monde. C'est ainsi que le crime prend racine.

La plupart des services de police vous diront qu'ils sont devenus un service en santé mentale. Ils ramassent des personnes dans la rue, les emmènent à l'hôpital et passent des heures entières aux services d'urgences. Voilà l'un des problèmes importants relativement aux personnes atteintes de maladie mentale, qui pourraient devenir violentes et être déclarées NCR.

Vous avez raison. En Ontario notamment, le consentement au traitement et l'hospitalisation involontaire sont deux choses distinctes. On se trouve donc dans une sorte d'impasse. Pensez à l'affaire Arenburg. Après avoir attaqué le gérant d'une station de radio d'Ottawa, il a été amené par la police au service des urgences du Royal Ottawa, où je travaillais à l'époque. Nous l'avons admis dans le programme pour les schizophrènes et non dans le programme médico-légal, puisqu'il n'avait aucun antécédent criminel. Déclaré atteint d'aliénation mentale, on l'a retenu en vertu de la Loi sur la santé mentale. Il a aussi été déclaré incapable de consentir au traitement. Il a contesté ces deux déclarations devant une commission d'examen. Celle-ci a maintenu la déclaration d'aliénation mentale, mais lui a reconnu le droit de refuser un traitement, ce qui a rendu la situation difficile. Il a finalement été relâché, avec les conséquences que l'on connaît.

Une partie du problème, c'est que le droit de refuser un traitement dans notre société — particulièrement en Ontario, mais aussi ailleurs — est devenu une question primordiale. Les personnes atteintes de schizophrénie ont un trouble du cerveau, qui répond relativement bien au traitement. La réussite du système médico-légal ne tient pas tant au droit d'imposer le traitement aux patients, mais plutôt de la structure qui est en place et qui permet aux patients de suivre le traitement. Cette structure est très difficile à implanter dans le système général de soins de santé mentale.

On espérait que les ordonnances de traitement en milieu communautaire viendraient combler partiellement cette lacune, mais elles ne fonctionnent pas très bien, du moins en Ontario. La personne doit donner son consentement. Si elle refuse, les choses tombent à l'eau et il faut des heures pour rétablir la situation.

Voilà ma longue réponse à votre question. Lors d'un témoignage précédent devant le Sénat, j'ai dit qu'il nous fallait une loi uniforme en matière de santé mentale. C'est toujours mon avis.

Le président : Une loi nationale?

Dr Bradford : Oui, une loi sur la santé mentale, uniforme pour tout le pays. Le droit au traitement pourrait en faire partie. C'est une chose que le gouvernement du Canada pourrait accomplir. Nul besoin, selon moi, que la loi soit punitive. Cela pourrait fonctionner et accomplir deux choses : renverser la criminalisation et améliorer la vie des gens atteints d'une maladie mentale grave.

La sénatrice Frum : Vous avez également mentionné le cas de Vincent Li. Vous croyez qu'on lui a refusé, ou qu'il a lui-même refusé, le droit au médicament avant de commettre un meurtre. Pouvez-vous développer sur les défaillances du système dans cette affaire?

Dr Bradford : Je ne veux pas entrer dans les détails. Je crois qu'il était un patient du système général de soins de santé mentale et que, pour une raison ou une autre, il n'a pas reçu de traitement. Son état s'est détérioré; il s'est trouvé à bord d'un autobus au Manitoba et on sait ce qui est arrivé.

À voir le parcours des gens dans le système médico-légal, on constate que la plupart d'entre eux ont été préalablement admis à maintes reprises dans le système général de santé mentale. Étant donné les lourds antécédents psychiatriques de ces personnes et leurs admissions répétées dans le système avant qu'elles ne commettent une agression grave, les rapports que je rédige sur elles tendent à être assez longs. Nous devrions tenter d'expliquer les multiples échecs de traitement, qui font en sorte que la personne est ensuite prise en charge par le système médico-légal, où elle s'en tire bien. Les preuves de ce que j'avance existent bel et bien, comme vous l'avez souvent entendu. Je suis d'avis que le système de santé mentale pourrait faire diablement mieux si l'on approchait la gestion de cas dans la perspective générale du droit au traitement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je suis du côté des victimes depuis une décennie. Je rencontre beaucoup de mères dans les centres d'achat ou quand elles font leur épicerie. Ces mères qui ont un fils schizophrène me disent qu'elles en ont peur et elles croient qu'un jour il va l'assassiner.

Depuis 10 ans, je suis le dossier de la maladie mentale au Québec. Selon vous, quel est le pourcentage des familles qui participent à une commission d'examen de la santé mentale?

[Traduction]

Dr Bradford : Je ne connais pas le pourcentage exact. Par contre, je peux vous dire que les agressions perpétrées par les personnes souffrant d'une grave maladie mentale visent en général un membre de leur famille.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Seulement 4 p. 100 des familles participent aux audiences. Peut-on considérer que les audiences en santé mentale au Canada sont des audiences à huis clos?

[Traduction]

Dr Bradford : Elles sont ouvertes au public, mais personne n'y assiste.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-il normal que la population ait l'impression que ces gens qui sont remis en liberté sont à haut risque considérant l'absence de la famille et de la population alors que pour les « assassins normaux », c'est publicisé dans les journaux; l'information est véhiculée?

N'est-il pas normal que le sentiment de dangerosité soit alors plus répandu?

[Traduction]

Dr Bradford : Oui, je comprends qu'il puisse en être ainsi. Comme je l'ai dit plus tôt, les audiences sont ouvertes au public. Il n'est pas permis de les filmer ou de les enregistrer, un peu comme au tribunal, mais n'importe qui peut y assister. De nos jours, on annonce la tenue d'une audience pour que les gens soient au courant, s'il y a des victimes, par exemple.

Dans le cas d'audiences très médiatisées, oui, le public et les médias se déplacent. J'ai participé à certaines audiences de ce genre. Vous avez raison : il est très rare que des membres du public assistent aux audiences.

Le sénateur Joyal : D'après votre expérience de ces commissions, croyez-vous qu'elles accordent à la protection du public l'attention qu'elle mérite? Selon vous, leur façon de fonctionner jusqu'à maintenant a-t-elle toujours satisfait ce critère primordial?

Dr Bradford : La plupart des audiences sont relativement routinières. Le psychiatre de l'hôpital vient y témoigner de l'état mental de l'accusé et de son progrès thérapeutique, alors que l'avocat de la Couronne passe en revue le dossier criminel. Après avoir étudié le dossier médical de l'accusé, leur rôle consiste à faire ressortir les facteurs pertinents à la protection du public. Selon moi, cette façon de faire fonctionne très bien en Ontario et les taux de récidive sont là pour le prouver; même si elles varient d'un bout à l'autre du pays, les données indiquent essentiellement la même chose partout.

Je suis d'avis que nous pouvons faire mieux au pays. Je crois que nous pourrions faire baisser les taux de récidive encore davantage, car ils sont plus bas en Ontario que dans les autres provinces.

Non, je ne crois pas que les choses soient faites adéquatement et je crois que nous devrions accorder la priorité à cette question.

Le sénateur Joyal : Qui parle au nom du public?

Dr Bradford : L'avocat de la Couronne. En Ontario, il y a des avocats de la Couronne qui se spécialisent dans les troubles mentaux et qui en viennent à bien connaître ces questions. Ils assistent à toutes les audiences. Ils se présentent à l'avance pour étudier tous les dossiers médicaux. Si je suis le médecin traitant, ils me rencontrent pour me poser des questions. Cette rencontre a généralement lieu avant une audience. Je suis très ouvert avec eux.

Supposons que, durant l'audience, l'hôpital recommande une libération inconditionnelle. Si l'avocat de la Couronne est d'accord, tant mieux; dans le cas contraire, s'il juge que la sécurité du public est en danger, il s'y opposera fermement. La commission tient compte de tous les arguments présentés pour rendre sa décision.

Les gens restent très longtemps dans le système médico-légal. Il n'est pas facile d'en sortir, du moins en Ontario, et ce, malgré la définition du « risque important » qu'a fournie la Cour suprême, et des précisions de celle-ci concernant la libération inconditionnelle. En dépit de cela, les accusés demeurent longtemps dans le système.

Le sénateur Joyal : Avez-vous des exemples où la commission avait rejeté les recommandations de l'avocat de la Couronne, qui réclamait que l'accusé soit gardé en détention pour le bien du public?

Dr Bradford : Les exemples sont si nombreux que j'ai du mal à me souvenir d'un seul en particulier. Je suis en mesure de vous dire cependant qu'une bonne part, peut-être 30 p. 100, des demandes de libérations inconditionnelles présentées par notre hôpital ne sont pas accordées du premier coup. Dans bien des cas, on évoque des raisons liées à la protection du public pour justifier le refus.

Lorsqu'on demande mon avis à titre de médecin traitant, je souligne en premier lieu qu'il n'existe aucune garantie que la personne poursuivra son traitement une fois qu'une libération inconditionnelle lui sera accordée. Il n'y a aucune raison de croire qu'elle le fera. En effet, sans structure, les patients cessent de se conformer au traitement et la psychose s'installe. Or, la psychose et la violence sont les deux sources de risque. C'est un constat que l'on fait régulièrement durant les audiences; la plupart des avocats de la Couronne que je connais le savent et vous le diront.

Il peut en être différemment si la personne a vécu sans problèmes pendant plusieurs années dans la collectivité, de manière autonome, tout en prenant ses médicaments. Il y aurait lieu alors d'accorder une libération inconditionnelle. Je traite certains de mes patients depuis 25 ans. Cette semaine, j'ai vu un patient qui a commis un double meurtre il y a 30 ans. Il suit son traitement et a obtenu une libération inconditionnelle il y a 15 ans. Il existe donc des cas où ça fonctionne.

Dans le système en place à Ottawa, une personne qui obtient une libération inconditionnelle n'est pas renvoyée au système général de soins de santé mentale; elle demeure avec nous, pour que nous puissions assurer une continuité des soins. Selon moi, il s'agit d'une politique qui fonctionne. Il faudrait l'examiner de plus près, car elle n'est pas appliquée uniformément dans la province ni au pays.

Le sénateur Joyal : S'agit-il d'une recommandation qui devrait être étudiée par la commission royale que vous proposez?

Dr Bradford : Ce serait très difficile à mettre en œuvre. Je serais ravi que cela se produise. Je trouve l'idée bonne. Toutefois, nous n'arrivons même pas à faire fonctionner les ordonnances de traitement en milieu communautaire, ni la capacité de consentir au traitement. Pour améliorer la situation, nous devons nous pencher sur tout un éventail de mesures possibles.

Le président : Docteur, je vous remercie de votre contribution à nos délibérations. Elle a été des plus utiles et nous en sommes très reconnaissants.

Chers membres, nous poursuivrons nos délibérations sur ce projet de loi la semaine prochaine. Nous entendrons des témoins des domaines juridiques et de l'application de la loi.

(La séance est levée.)


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