Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 27 - Témoignages du 25 février 2015


OTTAWA, le mercredi 25 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renyoyés le projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes); et le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre), se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour examiner les projets de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Pendant la première heure de notre séance, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), qui prévoit l'imposition de peines consécutives pour les infractions liées à la traite de personnes et crée une présomption relative à l'exploitation d'une personne par une autre. Le projet de loi ajouterait aussi la traite de personnes à la liste des infractions visées par la confiscation des produits de la criminalité.

C'est la seconde séance que nous consacrons à ce projet de loi.

Je rappelle que les séances du comité sont ouvertes au public et accessibles en webdiffusion sur le site sen.parl.gc.ca. Vous pouvez aussi trouver plus de détails sur la liste de nos témoins sur le site web des comités du Sénat.

Nous accueillons aujourd'hui M. Tony Paisana, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien, qui témoigne par vidéoconférence depuis Vancouver.

Bienvenue à vous, monsieur Paisana. Je vous remercie d'avoir bien voulu comparaître devant nous. Vous avez cinq minutes pour une déclaration préliminaire, après quoi les sénateurs vous poseront leurs questions. Vous avez la parole.

Tony Paisana, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : L'Association du Barreau canadien est une organisation nationale regroupant plus de 36 000 avocats, étudiants, notaires et universitaires. Notre mandat consiste notamment à chercher des moyens d'améliorer les lois et l'administration de la justice. C'est cet aspect primordial de notre mandat qui nous amène devant vous aujourd'hui.

C'est notre section du droit pénal qui a formulé l'avis que nous vous présentons concernant le projet de loi C-452. Je suis membre de l'exécutif de cette section qui est formée d'une combinaison de procureurs de la Couronne et d'avocats de la défense de toutes les régions du pays.

La plupart du temps, je pratique comme avocat de la défense en droit pénal à Vancouver et dans les régions avoisinantes. Il m'arrive de temps à autre de plaider comme procureur de la Couronne.

Nos observations vont porter principalement sur la présomption créée par le projet de loi C-452 relativement à l'infraction de traite de personnes prévue au Code criminel.

Comme il se doit, la traite de personnes est considérée dans le Code criminel comme l'un des crimes les plus graves que l'on puisse commettre. Dans certaines circonstances, elle est passible d'une peine minimale obligatoire de 5 ou 6 ans d'incarcération. On considère actuellement qu'il y a traite de personnes lorsqu'il est établi hors de tout doute raisonnable que, premièrement, la victime a été exploitée, c'est-à-dire forcée par la contrainte à travailler ou à offrir des services; deuxièmement, que l'inculpé a exercé un contrôle ou une influence sur la victime de l'une des façons décrites dans le code; et troisièmement, que ce contrôle ou cette influence visait à exploiter la victime ou à faciliter son exploitation.

Ce projet de loi créerait une présomption de culpabilité pour quiconque habite avec une personne victime d'exploitation ou se trouve habituellement en sa présence. Dans l'une ou l'autre de ces circonstances, l'inculpé devrait faire la preuve du contraire. Autrement dit, cette disposition ferait en sorte qu'il suffirait à la Couronne, pour que quelqu'un soit reconnu coupable de cette infraction extrêmement grave, d'établir que cet individu vivait avec une personne qui a été exploitée ou se trouvait habituellement en sa présence sans que l'on ait à se demander s'il l'a lui- même exploitée ou s'il savait même qu'elle était victime d'exploitation.

Nous estimons fort probable qu'il soit déterminé que cette disposition contrevient à l'alinéa 11d) de la Charte quant au droit constitutionnel de tous les Canadiens d'être présumés innocents jusqu'à preuve du contraire. Une telle décision concernant l'alinéa 11d) a déjà été rendue à l'égard d'une présomption formulée de la même manière dans un contexte apparenté.

La présomption d'innocence est l'une des pierres angulaires de notre système de justice pénale. C'est un principe consacré qui est inscrit dans notre Constitution. À ce titre, vous me permettrez de citer une maxime juridique bien connue qui nous vient du VIe siècle :

La preuve incombe à celui qui affirme, non à celui qui nie; car par la nature des choses, celui qui nie un fait n'a aucune preuve à faire.

Voilà donc maintenant plus de 1 500 ans que nous avons compris que l'obligation de faire la preuve de ce qui n'est pas est un concept mal défini auquel on ne devrait normalement pas avoir recours pour étayer une accusation criminelle, surtout si elle est aussi grave que celle qui nous intéresse ici. C'est pourtant à notre avis ce qui est justement proposé dans le projet de loi C-452. On oblige un accusé à rassembler des éléments de preuve pour établir ce qui n'est pas, même si la Couronne n'a pas nécessairement fait la preuve des éléments principaux d'une infraction de traite de personnes.

Nous estimons donc que les dispositions à cet effet devraient être retirées du projet de loi, car elles ne résisteraient sans doute pas à une analyse en vertu de l'article premier. Nous avons d'ailleurs trois arguments à vous soumettre à cet effet.

Premièrement, les initiateurs du projet de loi font valoir que le libellé utilisé a été maintenu dans l'arrêt Downey prononcé il y a une vingtaine d'années et qu'il devrait par conséquent résister à une contestation constitutionnelle. L'arrêt Downey portait sur une présomption formulée à peu près de la même manière concernant l'ancienne interdiction de vivre des produits de la prostitution. Comme vous le savez tous, cette interdiction a été invalidée récemment dans l'arrêt Bedford.

Dans l'arrêt Downey, c'est par une décision partagée de quatre juges contre trois que la Cour suprême a maintenu cette présomption dont la formulation était semblable. La juge en chef actuelle, qui a été bien sûr la principale instigatrice de l'arrêt Bedford, a exprimé sa dissidence dans l'arrêt Downey en indiquant que cette présomption était inconstitutionnelle. Les motifs alors invoqués par la juge en chef McLachlin étaient prophétiques. Elle y faisait référence à des thèmes qui ont été plus tard repris dans l'arrêt Bedford, y compris le fait qu'une infraction devient inconstitutionnelle à partir du moment où elle risque de s'appliquer à des innocents qui sont associés aux victimes d'un crime.

Deuxièmement, la juge en chef a expliqué dans son opinion dissidente relativement à l'arrêt Downey que la présomption telle que formulée souffrait d'un manque de lien rationnel intrinsèque. Bien qu'il soit vrai que certaines personnes se trouvant habituellement en présence de victimes d'exploitation en sont responsables, ce n'est pas toujours le cas. Il n'est pas rare que des individus qui sont habituellement en présence d'une personne exploitée n'aient aucunement connaissance de l'exploitation dont elle est victime ou n'exercent aucun contrôle à cet égard. Nous offrons d'ailleurs un exemple très concret de cette problématique aux pages 2 et 3 de notre mémoire écrit.

Troisièmement, nous soutenons qu'il est impossible d'affirmer que cette disposition porte le moins possible atteinte au droit d'être présumé innocent, un autre élément sur lequel peut porter une analyse en vertu de l'article premier. Il ne fait aucun doute que cette présomption va mettre en cause des gens qui ne devraient pas être visés par l'infraction de traite de personnes. Ce serait le cas de tiers innocents, comme les collègues de travail ou les colocataires qui ne savent même pas que la victime est exploitée. Cette disposition est donc de trop grande portée et ne pourrait être maintenue en application de l'article premier. Comme l'expliquait la juge en chef, toute loi d'application trop générale est, par définition, irrationnelle.

Pour toutes ces raisons, la Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien est d'avis que cette présomption établie par le projet de loi C-452 devrait être supprimée. Merci.

Le président : Merci. Nous allons débuter les questions avec le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci pour votre exposé, monsieur Paisana. Si j'ai bien compris, vous vouliez surtout faire valoir que la présomption de culpabilité qui est établie ici va à l'encontre de la présomption d'innocence. Si ma mémoire est fidèle, il vous est arrivé d'invoquer cet article de la Charte devant les tribunaux de la Colombie- Britannique.

Je ne sais pas si vous pourriez apaiser ma principale préoccupation à l'égard de ce projet de loi. À l'article 286.2 du Code criminel, on trouve une définition. On y indique en quoi consiste la présomption concernant l'avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels. Le Code criminel a été récemment modifié. La personne qui a parrainé le projet de loi en question est d'ailleurs assise en face de moi. À la suite de l'arrêt Bedford, certains articles du code ont été réécrits. On trouve donc ici une présomption de culpabilité à l'égard de l'avantage matériel tiré de la prestation de services sexuels. Voilà maintenant que ce projet de loi ci crée une nouvelle présomption en utilisant un libellé un peu différent pour une infraction assez semblable. Je me demande donc s'il peut coexister deux présomptions formulées différemment relativement à des infractions essentiellement similaires, dont une disposition exceptionnelle, celle prévue dans ce projet de loi ci. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Paisana : Oui. J'aurais deux éléments de réponse à vous proposer. Premièrement, pour les motifs que j'ai expliqués dans ma déclaration préliminaire, je vous soumets très respectueusement que le nouveau projet de loi sur la prostitution et cette disposition à laquelle vous faites référence concernant la présomption de culpabilité feront sans doute également l'objet de contestations en vertu de la Constitution.

Dès 1992, la juge en chef était prête à invalider cet aspect du libellé maintenant proposé, et rien ne nous permet de croire que la cour, à la lumière de ses conclusions dans l'arrêt Bedford, ne serait pas disposée à faire de même. La juge en chef estimait cette disposition problématique d'abord et avant tout du fait que sa formulation trop vague risque de culpabiliser des innocents.

Mon deuxième élément répond peut-être plus directement à votre question. Ainsi, le seul argument pouvant être invoqué à l'appui de la présomption similaire touchant l'infraction liée à l'avantage matériel est que celui-ci ne risque plus de culpabiliser des innocents grâce aux exceptions qui ont été ajoutées concernant notamment les gardes du corps. Aucune exception semblable n'est prévue dans ce projet de loi qui touche la traite de personnes.

Le sénateur Baker : C'est un projet de loi d'initiative parlementaire. Il n'a pas été approuvé par le ministère de la Justice qui aurait sans doute signalé à la marraine qu'il existe une autre présomption formulée différemment concernant une infraction du même ordre.

J'aimerais revenir au début de votre déclaration où vous avez indiqué que nous traitions aujourd'hui d'une infraction très grave, celle de la traite de personnes. Je suis un peu intrigué, car vous avez parlé d'une peine habituelle de cinq à six ans. Je suppose que l'on peut en arriver à cette conclusion en considérant les peines qui sont imposées, mais c'est une infraction qui est tout de même passible d'incarcération à vie. Convenez-vous avec moi que c'est effectivement le cas s'il y a eu enlèvement ou une forme quelconque de violence? C'est plus grave que ce que vous sembliez indiquer tout à l'heure. S'il n'y a pas eu violence ou enlèvement, alors la peine maximale ne serait pas l'emprisonnement à perpétuité, mais 14 ans d'incarcération. La peine peut aller jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité, et non seulement jusqu'à cinq ou six ans comme vous le mentionniez, n'est-ce pas?

M. Paisana : Je vais essayer de dissiper tout malentendu. J'ai dit en fait que la peine minimale obligatoire pouvait aller jusqu'à cinq et six ans dans certaines circonstances. Je parlais du minimum obligatoire. C'est une bonne indication de la gravité de cette infraction. Je n'ai pas vérifié, mais je crois qu'une peine minimale obligatoire de six ans est ce qu'il y a de plus élevé lorsqu'il n'y a pas homicide.

Le sénateur Baker : Tout à fait. J'ai une dernière question. Nous avons entendu des témoignages au sujet d'un autre article de ce projet de loi dont nous avons discuté en long et en large. Il s'agit de l'imposition de peines à purger consécutivement. Avez-vous des observations à ce sujet? On nous a dit que cette disposition serait assurément invalidée.

Je dois signaler que le comité de la Chambre des communes qui a examiné ce projet de loi n'a convoqué absolument aucun témoin ayant des compétences juridiques. Il revient donc au Sénat de faire comparaître des gens comme vous, un avocat d'expérience représentant l'Association du Barreau canadien, capables de nous indiquer qu'une partie de ce projet de loi est sans doute inconstitutionnelle. D'autres juristes ont fait valoir que sa seconde partie l'était également.

Avez-vous des observations au sujet des peines à purger de façon consécutive?

M. Paisana : Merci pour cette question. La Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien ne s'est pas prononcée sur cet aspect particulier dans son mémoire écrit. Nous nous opposons toutefois d'une manière générale à toutes les mesures privant les juges d'instance de leur pouvoir discrétionnaire au moment de la détermination de la peine. À ce titre, je pourrais reprendre à mon compte certains commentaires formulés lors de la séance précédente par M. Russomanno, si je m'abuse, quant au problème lié au principe de la totalité.

Il y a également un impact sur la présomption établie dans ce projet de loi, et je vais essayer de vous expliquer comment. Lorsque les peines à purger consécutivement sont combinées à des sanctions minimales obligatoires, cela réduit d'autant les chances que la présomption réfutable puisse résister à une contestation constitutionnelle. Comme les tribunaux l'ont établi, cela résulte de l'absence de flexibilité dans la détermination de la peine qui limite l'éventail des moyens disponibles pour établir l'intention coupable.

Cet argument est étayé par l'arrêt Creighton dans lequel la Cour suprême du Canada a soutenu que le manque de flexibilité dans la détermination de la peine peut avoir un impact direct sur la constitutionnalité de l'infraction elle- même.

Je souligne en outre que les peines minimales obligatoires semblent avoir été introduites après la comparution de la marraine du projet de loi devant le comité de la Chambre. En réponse aux préoccupations soulevées par M. Cotler relativement à la totalité de la peine, ce qui va je crois dans le sens de la question posée par le sénateur, elle a indiqué :

Il était préoccupé par le danger que l'on limite le pouvoir discrétionnaire des juges. Quant à moi, ce n'est pas le cas, parce que ce n'est pas une peine minimale en soi.

Nous savons que ce n'est maintenant plus le cas et que la justification fournie par la marraine relativement à cet aspect du projet de loi risque donc de ne pas résister à un examen plus approfondi en raison des modifications apportées.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question est fort simple. Dans son rapport sur la traite des personnes de 2014 — je parle du rapport préparé par le département d'État des États-Unis —, il y avait un chapitre sur le Canada selon lequel certains juges et procureurs avaient une compréhension limitée de la traite des personnes, ce qui les amenait à intenter des poursuites au civil plutôt qu'au criminel. D'ailleurs, certains articles de presse avançaient que les agents de police hésitaient à enquêter sur le trafic sexuel des enfants en l'absence du témoignage des victimes, malgré l'existence d'autres preuves.

J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec ces observations. Avez-vous pris connaissance de ce rapport?

[Traduction]

M. Paisana : Est-ce que vous me demandez de me prononcer sur le dépôt d'accusations en l'absence de preuves? Je n'ai pas très bien compris votre question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Effectivement, j'aimerais que vous puissiez nous donner votre opinion au sujet des remarques contenues dans le rapport qui a été produit en 2014.

[Traduction]

M. Paisana : Je n'ai pas pris connaissance de la section du rapport à laquelle vous faites référence, mais si vous voulez savoir s'il est approprié pour la Couronne de déposer des accusations sans disposer de preuves suffisantes, je vous répondrai toujours que l'on ne devrait pas le faire.

Les infractions liées à la traite de personnes sont extrêmement graves, non seulement au regard des peines qui peuvent en résulter, mais aussi en raison de l'ostracisme associé à des crimes semblables.

J'ai eu le privilège de représenter un client accusé de traite de personnes qui a finalement été acquitté. C'est un crime grave qui crée énormément d'ostracisme. Il est donc essentiel d'accumuler une quantité importante de preuves avant de déposer des accusations contre qui que soit.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous expliquais que les juges et les procureurs, étant donné leur compréhension limitée de la traite des personnes, avaient tendance à traiter ces dossiers plutôt au civil qu'au criminel.

Êtes-vous d'accord avec cela? Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

[Traduction]

M. Paisana : Je vais vous donner un exemple dans le contexte de la Colombie-Britannique. Nous appliquons dans la province une norme fondée sur la probabilité élevée d'obtenir une condamnation. Si un procureur estime qu'il ne lui sera pas possible d'établir la preuve requise en raison des réticences d'un témoin, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'approuver le dépôt d'accusations. Nous sommes conscients des difficultés associées aux infractions touchant la traite de personnes, et des témoins nous ont indiqué qu'il n'était pas toujours aisé d'amener les témoins à collaborer avec les autorités. Nous vous soumettons donc très respectueusement que la solution n'est pas de rendre l'infraction plus facile à prouver, mais bien de fournir des ressources visant à favoriser une plus grande coopération des témoins dans les cas les plus délicats.

La sénatrice Jaffer : Merci pour votre exposé, monsieur Paisana.

J'aimerais vous parler d'abord d'une chose qui m'inquiète beaucoup. Des témoins nous ont assurés que l'on n'aurait pas recours à cette présomption pour déposer des accusations contre des individus qui, manifestement, ne se livrent pas à l'exploitation d'autres personnes.

Vous connaissez mieux que moi notre système de justice pénale. Est-ce qu'on peut vraiment être assuré qu'un administrateur ou qu'un procureur de la Couronne ne décidera pas de déposer des accusations contre quelqu'un qui, de toute évidence, n'est pas impliqué dans l'exploitation d'autres personnes? J'ai l'impression que la responsabilité de la décision a été confiée aux personnes chargées de déposer des accusations. La loi devrait être plus claire à ce sujet et ne pas nous laisser à la merci d'un procureur qui peut très bien décider de porter des accusations. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Paisana : Je partage entièrement cette inquiétude que vous venez d'exprimer. À ce titre, il faut bien sûr ne pas oublier que, dans certaines régions du pays, ce sont les policiers eux-mêmes qui décident si un individu sera inculpé. Les normes applicables pour l'approbation des accusations peuvent varier d'une région du pays à l'autre. Par exemple, elles ne sont pas les mêmes en Colombie-Britannique et en Ontario.

J'estime que l'on s'engage sur un terrain glissant que l'on aurait tout intérêt à inviter si on laisse à la police ou à la Couronne le soin de déterminer ce qu'il convient de faire. J'ai été moi-même procureur de la Couronne. J'ai foncièrement confiance aux intervenants de notre système judiciaire, mais c'est une bien mince consolation pour un individu qui pourrait être déclaré coupable à tort.

La traite des personnes est un sujet vraiment explosif. Il y a habituellement beaucoup de pressions qui s'exercent en pareil cas pour que des accusations soient approuvées, d'autant plus que la présomption établie dans ce projet de loi facilite grandement les choses à cet égard et pourrait donc mener à de nombreuses poursuites qui n'auraient jamais dû être approuvées.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais revenir à cette question de la présomption. Dans cette version du projet de loi, l'accusé pourrait toujours être reconnu coupable s'il existe un doute raisonnable quant à ses intentions. La seule façon pour l'accusé d'éviter un tel verdict, ou d'être déclaré non coupable, est d'établir la preuve qu'il n'était pas habituellement en présence de la personne exploitée, n'est-ce pas?

Il incomberait à l'accusé de prouver qu'il n'est pas habituellement en présence de la personne se trouvant dans une situation de traite ou d'exploitation. C'est le problème qui se pose avec la présomption, n'est-ce pas?

M. Paisana : Le problème principal vient du fait qu'il est possible qu'un innocent puisse être accusé, voire reconnu coupable, sans que l'on ait vraiment prouvé l'essentiel du délit, en raison de cette présomption qui est établie.

D'après l'interprétation que j'en fais, si le contre-interrogatoire des témoins par la Couronne ne permet pas de soulever un doute raisonnable concernant les différents éléments de l'infraction, l'accusé se retrouverait dans l'obligation de fournir lui-même au tribunal la preuve de son innocence, et ce, même si la Couronne n'a pas nécessairement prouvé l'existence des différents éléments de l'infraction.

La sénatrice Jaffer : Normalement, il faut prouver qu'il y a intention criminelle. En l'espèce, on présume que l'individu est coupable. C'est lui qui doit prouver qu'il est innocent, n'est-ce pas? La Charte indique qu'il faut qu'il y ait présomption d'innocence, sans aucune exception possible. Est-ce bien ce que vous vouliez faire valoir?

M. Paisana : C'est exact. Dans de très rares, cas, cette présomption peut être renversée. Dans toutes les circonstances en question, le renversement du fardeau de la preuve a toutefois toujours été jugé constitutionnel en raison du lien rationnel très étroit entre ce qui est prouvé et ce qui est présumé.

Il existe par exemple de la jurisprudence permettant de présumer qu'une personne se trouvant sur le siège du conducteur d'un véhicule a l'intention de le conduire. Le lien est beaucoup plus direct que dans le cas qui nous intéresse, et c'est pour cette raison que la présomption en question a été jugée constitutionnelle.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous nous expliquer ce qui distingue une disposition d'inversion du fardeau de la preuve d'une disposition de présomption irréfragable comme celle-ci?

M. Paisana : En vertu d'une disposition de présomption irréfragable, un accusé peut être déclaré non coupable si on établit un doute raisonnable au sujet d'un des éléments de l'infraction, ce qui comprend tout élément qui a été présumé. L'inversion du fardeau de la preuve est autre chose. Cela permet à l'accusé de prouver que selon la prépondérance des probabilités, c'est plus que probable que le contraire, peu importe ce qui a été présumé. C'est la différence fondamentale.

En ce sens, ce n'est pas une inversion totale du fardeau de la preuve. Nous y sommes favorables, du moins dans la mesure où cela n'a pas cet effet, mais cela impose tout de même un fardeau de persuasion ou un fardeau de preuve à l'accusé si l'exposé du ministère public ne soulève pas de doute raisonnable.

Le sénateur McInnis : Monsieur, merci de témoigner aujourd'hui, par vidéoconférence. Ma question est très brève.

Essentiellement, cette inversion du fardeau de la preuve découle de la difficulté d'intenter des poursuites dans ces dossiers, d'inciter la victime à assister au procès en raison de l'épreuve qu'elle doit traverser.

Pouvez-vous nous parler, en fonction de votre expérience pratique, des autres façons de témoigner, comme la télévision en circuit fermé, notamment? Existe-t-il d'autres méthodes? Il y en a certainement.

M. Paisana : Oui. Le gouvernement du Canada a jugé bon d'inclure dans le Code criminel des mesures qui assurent ce genre de protection et de méthodes relatives aux témoignages, dont la télévision en circuit fermé, la possibilité d'être accompagné d'un intervenant en soutien et de témoigner derrière un écran. Diverses mesures peuvent être prises afin de permettre à une victime de témoigner devant le tribunal.

Le sénateur McInnis : En ce qui concerne l'idée de rendre les peines consécutives obligatoires, quel signal envoie-t-on aux intervenants du système judiciaire et aux juges quant à la détermination de peines adéquates? Je ne veux pas sembler trop odieux, mais ne laisse-t-on pas entendre que nous n'avons plus confiance que les juges prendront la bonne décision?

M. Paisana : Nous estimons que les juges canadiens sont les mieux placés pour déterminer ce qu'est une peine appropriée. L'accusé est devant eux; ils disposent de toutes les informations. Le système de justice canadien, au fil de nombreuses années, n'a pas été fondé sur le retrait du pouvoir judiciaire discrétionnaire d'imposer une peine moins sévère lorsque c'est justifié.

À l'étape de la détermination de la peine, le pouvoir judiciaire discrétionnaire est un aspect essentiel du système de justice. On s'assure ainsi que pour une infraction comparable, les personnes dont la culpabilité morale est moindre ne se voient pas imposer une peine comparable à celle d'une personne dont la culpabilité morale est plus élevée. En général, nous sommes contre de telles mesures, que ce soit dans ce projet de loi ou dans des projets de loi antérieurs.

Le sénateur McIntyre : Veuillez excuser mon retard, monsieur Paisana; je devais assister à la séance d'un autre comité.

Le projet de loi comporte cinq articles, et je comprends vos préoccupations par rapport à certains articles, notamment en ce qui concerne la présomption et les peines consécutives.

Toutefois, en gardant cela à l'esprit, je pense qu'il importe de souligner que le Code criminel comporte déjà des dispositions sur les peines consécutives. Par exemple, certaines de ces dispositions sont liées à la possession de substances explosives lorsqu'il existe un lien avec une organisation criminelle, article 82.1; à l'usage d'une arme à feu ou d'une fausse arme à feu pour commettre un acte criminel, article 85.4; à certaines infractions liées au terrorisme, articles 83.02 à 83.23; enfin, à la participation à des activités criminelles liées à une organisation criminelle, article 467.4.

Ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre. Si nous avons des peines consécutives pour ce genre d'infractions, pourquoi ne pas en avoir pour les infractions relatives à la traite de personnes?

M. Paisana : Dans ce cas, je dirais, très respectueusement, que la même logique s'appliquerait à tout. Pourquoi ne pas avoir des peines minimales obligatoires et des peines consécutives pour toutes les infractions? Simplement parce que les peines consécutives et les peines minimales obligatoires ont l'effet négatif de limiter le pouvoir discrétionnaire qui permet de tenir compte de circonstances où la culpabilité morale d'un individu est très différente de ce qu'on a prévu pour l'infraction.

Nous fournissons un exemple d'une telle situation dans notre mémoire. En raison de cette présomption, une personne qui se trouve en compagnie d'une autre personne pourrait être reconnue coupable d'une infraction qui entraîne une peine d'emprisonnement obligatoire de cinq ans du simple fait d'être en compagnie de cette autre personne.

À mon humble avis, notre système n'est pas fondé sur ce principe et je ne pense pas que cela pourrait résister à une analyse en vertu des dispositions de l'article 12 sur les peines cruelles et inusitées. Il doit y avoir une proportionnalité entre la culpabilité morale moins élevée et la peine.

Le sénateur McIntyre : Je comprends tous les aspects de la détermination de la peine, mais il n'en demeure pas moins que si nous n'appliquons pas les peines consécutives à la traite de personnes, aussi bien modifier le Code criminel et y retirer toutes les dispositions relatives aux peines consécutives dans les articles que je viens de mentionner.

M. Paisana : Je ne suis pas ici pour parler des peines consécutives liées aux autres infractions. Cependant, je peux vous dire que l'absence d'une disposition rendant obligatoires les peines consécutives n'empêche pas un juge d'imposer une lourde peine lorsque la situation l'exige. Dans une affaire où le délinquant est passible d'une peine maximale d'emprisonnement à vie, rien n'empêche le juge d'imposer une telle peine s'il s'agit de ce genre d'infraction ou de ce genre de délinquant.

Je dirais que nous ne devrions pas non plus éliminer les peines minimales lorsque c'est pertinent.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui. Je vous remercie également de l'important témoignage que vous nous avez fourni plus tôt en réponse aux questions. Vous avez confirmé que par rapport à l'inversion du fardeau de la preuve dont il est question dans le projet de loi d'initiative parlementaire, la preuve doit être établie selon la prépondérance des probabilités. Je pense qu'il est important de garder cela à l'esprit.

De plus, je tenais à souligner que l'affaire Bedford portait sur l'accusation de vivre des produits de la prostitution. Dans la décision Bedford, la cour s'est longuement penchée sur la question de l'objet de la mesure législative et de la nécessité de la revoir, parce que l'on a affaire à des infractions qui avaient surtout été traitées comme des cas de nuisance, par exemple. La nouvelle mesure législative présentée par le gouvernement constitue un important changement de paradigme, car ces infractions sont considérées comme des cas d'exploitation et non simplement comme des cas de nuisance ou des infractions moins graves.

Le cas précis dont il est question dans ce projet de loi d'initiative parlementaire est lié à une infraction très grave, je dirais beaucoup plus grave : la traite des personnes. J'aimerais savoir, monsieur, si vous êtes d'accord sur les objectifs de la mesure législative, lorsque les tribunaux feront une analyse constitutionnelle... J'aimerais simplement savoir si, selon vous, les tribunaux tiendront compte de la gravité de l'infraction dont ils sont saisis lors de l'analyse constitutionnelle en fonction des objectifs de la mesure législative.

M. Paisana : J'aimerais soulever deux points en guise de réponse. Ils devront évidemment tenir compte des objectifs. Si cette présomption est contestée, ce sera un facteur très important, et ce, pour deux raisons. Premièrement, je répète ce que j'ai dit par rapport à Creighton : la peine infligée pour une infraction doit être proportionnelle et doit être établie en fonction de la façon dont l'intention criminelle a été prouvée. Ce que je veux dire, c'est que plus la peine est sévère, moins la latitude pour prouver l'intention criminelle est grande. On ne peut prouver l'intention criminelle du fait qu'une personne se trouve habituellement en compagnie d'une autre et imposer une peine minimale obligatoire d'emprisonnement pouvant atteindre six ans.

Le deuxième point que j'aimerais soulever, c'est que l'objectif aura une incidence sur l'analyse de la constitutionnalité de la présomption, parce que si la présomption mène à l'arrestation de personnes pour des motifs qui dépassent l'objectif de la mesure législative, cela signifiera nécessairement que l'infraction est inconstitutionnelle. Nous fournissons un exemple d'une telle situation. Donc, si en vertu de cette présomption, comme la juge en chef l'a expliqué dans la décision Downey, vous arrêtez des collègues de travail, des colocataires, des gens qui ne sont aucunement liés à l'exploitation de la victime, il est vraisemblable que l'infraction soit jugée inconstitutionnelle.

La sénatrice Batters : Donc, à cet égard, il est particulièrement important de prendre note de votre commentaire antérieur sur la prépondérance des probabilités plutôt que celle de la notion « hors de tout doute raisonnable ». Merci.

Le sénateur White : Merci de comparaître aujourd'hui. Ma question est liée à la discussion sur la présomption, je suppose.

Vous avez indiqué, à juste titre, qu'en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, le ministère public doit approuver l'inculpation. J'en déduis donc que pour la Colombie-Britannique ou le Nouveau-Brunswick, vous êtes moins préoccupé par la possibilité que les services de police portent des accusations sans preuve adéquate, et que vous comprenez les deux exigences dans ces provinces; est-ce exact? La Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick suscitent moins de préoccupation?

M. Paisana : Théoriquement, étant donné que le régime semble être fondé sur une norme beaucoup plus stricte, soit la norme relative à la forte probabilité d'une condamnation, cela voudrait dire qu'en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, par définition, il serait moins probable que des accusations qui ne devraient pas être approuvées le seraient, contrairement à d'autres administrations où le système est simplement fondé sur une probabilité raisonnable de condamnation.

Le sénateur White : Si vous le permettez, dans toutes les autres provinces, la réalité c'est que le ministère public devrait tout de même approuver les poursuites devant les tribunaux, car il faudra toujours satisfaire aux critères de la probabilité de condamnation et de l'intérêt public, même si les accusations sont portées par les services de police. Donc, la seule distinction est liée au moment où une accusation est portée, et non à la question de savoir si le tribunal en sera saisi.

M. Paisana : C'est vrai, mais le simple fait qu'une accusation est portée a une incidence considérable sur un particulier. Il m'est impossible de mieux l'expliquer que la juge en chef, qui a indiqué ce qui suit dans la décision Downey :

À tout le moins, cette présomption oblige des innocents à subir la dépense, l'affront et l'opprobre d'une accusation criminelle de vivre des produits de la prostitution. Au cours d'un procès éventuel, si la preuve produite par le ministère public ne laisse aucun doute raisonnable sur le fait que la personne innocente vivait en parasite des produits de la prostitution, cette dernière devra elle-même produire une telle preuve.

Dans des circonstances où l'on ne parle pas seulement du fait de vivre des produits de la traite des personnes, mais de la traite des personnes en soi, cette stigmatisation serait décuplée. Par conséquent, nous devrions être diligents quant à l'adoption de mesures qui pourraient faciliter le dépôt d'accusations.

Le sénateur White : En réalité, notre diligence est déjà mise à l'épreuve lorsque les services de police prennent la décision initiale, lorsque le ministère public choisit d'appuyer ou non la décision d'en saisir les tribunaux et enfin, lorsque le juge décide si l'affaire doit être instruite ou non. Je suppose — je vais reprendre vos mots — que le fait d'être victime de la traite de personnes a sans doute aussi un effet considérable sur les gens; je pense qu'il s'agit de l'une des infractions les plus graves. Si ce n'est pas approprié dans ce cas-ci, alors cela ne convient à aucune accusation.

En fait, si vous le permettez, je ne pense pas qu'il est arrivé que l'Association du Barreau canadien comparaisse au comité et se dise en accord sur une mesure liée aux peines consécutives ou aux peines minimales obligatoires. Je dois dire que même si je suis heureux que vous soyez ici, je ne suis pas certain que vous êtes d'un grand secours.

Le président : Souhaitez-vous répondre à cela?

M. Paisana : Oui.

Respectueusement, le simple fait que le gouvernement insiste sur l'adoption de peines minimales obligatoires et de peines consécutives n'en fait pas pour autant des mesures adéquates chaque fois. L'Association du Barreau canadien est favorable à l'exercice de la discrétion judiciaire parce qu'il s'agit d'un principe véritable éprouvé qui sert bien les Canadiens depuis plus d'un siècle.

Le sénateur Baker : Pourriez-vous aussi vérifier, monsieur, que l'Association du Barreau canadien n'est pas seulement composée d'avocats de la défense, mais aussi de procureurs du ministère public, notre profession juridique dans ce pays qu'est le Canada, et que lorsque l'Association du Barreau canadien prend position, elle le fait après avoir consulté les gens de ce domaine partout au Canada pour avoir leur opinion; n'est-ce pas exact?

M. Paisana : C'est exact. Ce mémoire précis est la position de la section nationale du droit pénal de l'ABC. De nombreux mémoires antérieurs ont été soumis à trois niveaux d'approbation auprès de l'ensemble des membres de l'Association du Barreau canadien. En ce qui concerne notre section, elle est formée de procureurs du ministère public et d'avocats de la défense, en proportions égales et, comme je l'ai indiqué plus tôt, je suis principalement avocat de la défense, mais j'agis également en tant que procureur du ministère public, et j'ai exercé ces fonctions au cours des trois derniers mois.

Le sénateur Baker : Vous l'avez certainement fait, et je peux dire que j'ai argumenté avec l'Association du Barreau canadien lorsqu'elle a fait exactement le contraire de ce que le sénateur White vous accuse d'avoir fait. En tant que représentant du milieu juridique canadien, étant donné que la Chambre des communes n'est pas représentée et n'a fourni aucun avis juridique au comité, que recommandez-vous au comité de faire avec l'article 1 de ce projet de loi? Quelle est la recommandation de l'Association du Barreau canadien?

M. Paisana : L'Association du Barreau canadien recommande simplement de supprimer entièrement la présomption.

Le sénateur Baker : Merci.

La sénatrice Fraser : Je siège à ce comité depuis un certain nombre d'années, et j'aimerais simplement souligner que j'ai toujours trouvé très utiles les mémoires de l'Association du Barreau canadien, peu importe si je finissais par être d'accord ou non sur sa position. Je suis reconnaissante du travail nécessaire à la préparation de ces mémoires. Que l'Association du Barreau canadien fasse preuve de cohérence dans les points de vue qu'elle exprime n'est pas un défaut, à mon avis. On parle de l'Association du Barreau canadien; ces gens s'appuient sur un ensemble de principes auxquels ils croient. Je trouve cela utile, si je peux m'exprimer ainsi, d'entendre le point de vue de l'association sur des enjeux liés aux lois du pays.

M. Paisana : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En écoutant votre témoignage, monsieur Paisana, j'ai cru comprendre que vous aviez des doutes quant au travail effectué par les policiers dans le cadre de certaines enquêtes. J'aimerais que vous alliez plus loin et que vous nous expliquiez vos doutes. Les policiers sont des professionnels, non?

[Traduction]

M. Paisana : Les policiers sont des professionnels. De façon générale, nous sommes persuadés qu'ils feront ce qu'il convient de faire. Les doutes que j'ai soulevés portaient sur l'idée selon laquelle nous devrions simplement nous fier aux policiers pour prendre la bonne décision par rapport à l'approbation de l'inculpation. Ce commentaire ne visait aucunement à dénigrer les policiers. Leur travail — protéger les Canadiens — est un travail difficile. Toutefois, lorsqu'il est question de l'approbation de l'inculpation par rapport à des infractions graves comme la traite des personnes, nous recommandons une approche beaucoup plus prudente, soit le retrait de la présomption du projet de loi et la prise en compte de la gravité de l'infraction et de la stigmatisation qui pourrait y être associée, et ce, même en ce qui concerne la mise en accusation.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Paisana, j'aimerais revenir à ma dernière question, qui portait sur les peines consécutives. C'était lié à l'article 4, qui traite de la confiscation des produits de la criminalité. J'attire votre attention à l'article 462.37 du code, dans lequel on décrit essentiellement les modalités de la confiscation des produits de la criminalité après qu'un inculpé a été accusé de certaines infractions.

Maintenant, ce projet de loi, notamment l'article 4, ajoute à la liste d'infractions auxquelles cette compétence élargie s'appliquait des infractions relatives au proxénétisme ou à la traite de personnes. Qu'en pensez-vous?

M. Paisana : Tout comme les peines consécutives, nous n'avons pas abordé cet élément du projet de loi dans notre présentation écrite. À première vue, nous n'avons aucune objection à ce que ces infractions soient ajoutées à celles pour lesquelles la confiscation civile s'appliquerait. La traite de personnes peut être très lucrative et, en ce sens — et c'est mon opinion personnelle —, même si cet article n'a pas été soumis au processus de vérification, je n'ai rien contre.

Le président : Merci, monsieur Paisana. Je vous suis reconnaissant d'avoir accepté notre invitation et vous remercie pour votre témoignage.

Le deuxième point à l'ordre du jour d'aujourd'hui concerne l'étude article par article du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre).

Le projet de loi propose de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'intégrer l'identité de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il ajouterait également des références à l'identité de genre à deux articles du Code criminel. Je tiens à rappeler aux membres du comité que nous avons tenu deux séances sur le projet de loi C-279, entendu 11 témoins et reçu plusieurs présentations écrites.

Avant de commencer, je vous informe que nous avons avec nous un responsable de Justice Canada, M. Eric Nielsen, avocat, Section des droits de la personne, à qui l'on peut demander d'intervenir sur des questions techniques.

J'aimerais prendre quelques instants pour rappeler certaines choses aux sénateurs, notamment le fonctionnement du processus de modification. Lorsque plus d'une modification est proposée pour un même article, celles-ci doivent être proposées dans l'ordre des lignes de l'article concerné.

Certaines modifications proposées pourraient avoir un impact sur d'autres parties du projet de loi. Nous ferons notre possible pour prendre note des endroits où des modifications subséquentes seront nécessaires et, au besoin, nous attirerons votre attention en temps et lieu.

Il n'est pas nécessaire de présenter un avis de motion avant de proposer une modification. Par conséquent, les modifications proposées ont fait l'objet d'aucune analyse préliminaire. Donc, avant de soumettre une modification à un débat, nous laisserons le temps aux autres membres et au personnel du comité d'en prendre connaissance.

Finalement, je tiens à rappeler aux sénateurs que si le résultat d'un vote à main levée ou par un oui ou un non est incertain, la façon la plus efficace de régler le problème, c'est de procéder à un vote par appel nominal. Les sénateurs savent qu'en cas d'égalité, la modification proposée est rejetée.

Avez-vous des questions ou auriez-vous besoin d'autres précisions? Très bien. Allons-y.

Plaît-il au comité d'amorcer l'étude article par article du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre)?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord. L'étude du titre est-elle réservée?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord. L'article 1 est-il adopté?

Sénateur Baker, vous voulez intervenir?

Le sénateur Baker : Oui. Habituellement, lorsqu'on amorce une discussion sur une modification proposée, le président me donne la parole en tant que vice-président. Monsieur le président, j'aimerais renoncer à ce rôle en faveur du sénateur Mitchell, puisque c'est lui le parrain du projet de loi. Je fais cette demande, car, personnellement, j'adopterai la position du sénateur en raison de sa grande connaissance de ce projet de loi. Merci.

Le président : Y a-t-il objection? Puisque personne ne semble s'y opposer, nous allons poursuivre.

Sénateur Plett, vous avez la parole.

Le sénateur Plett : Merci. J'ai quelques modifications à proposer. J'aimerais proposer ma première modification à l'article 1, soit l'abrogation de la définition d'« identité de genre ». À titre informatif, j'ai d'autres modifications similaires à proposer concernant l'identité de genre pour les articles 2, 3 et 4.

Je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à l'article 1, à la page 1 :

a) par substitution, à la ligne 7, de ce qui suit :

« 2. La présente loi a pour objet de »;

b) par suppression des lignes 22 à 26.

Monsieur le président, j'aimerais expliquer la logique derrière cette modification et celle-ci s'appliquera également aux modifications que je proposerai aux articles 2, 3 et 4.

Vous vous souviendrez que l'avocat Michael Crystal est venu témoigner au comité. Selon lui, la définition d'identité de genre est problématique. Dans sa forme actuelle, la définition dit ceci :

[...] pour une personne, l'expérience intime, personnelle et profondément vécue de son genre, que celui-ci corresponde ou non au sexe qui lui a été assigné à sa naissance.

Monsieur le président, selon M. Crystal, cette définition est trop large et subjective. Elle ne permettrait pas aux tribunaux et à la Commission des droits de la personne de définir des paramètres ou des lignes directrices raisonnables relativement à l'application de cette protection. Il a donné comme exemple le cas de Synthia Kavanagh, en 1993, qui est née biologiquement homme, mais qui avait vécu la majeure partie de sa vie en tant que femme. À l'origine, elle a été incarcérée dans un établissement de détention pour hommes. Elle a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Par la suite, Service correctionnel du Canada a élaboré une politique selon laquelle une personne transgenre doit subir une chirurgie de changement de sexe vers le sexe auquel elle s'identifie avant d'être incarcérée. Dans le cas de Mme Kavanagh, SCC a payé pour que celle-ci termine sa transition avant de la transférer dans un établissement de détention pour femmes.

J'ai demandé à M. Crystal lors de son témoignage si SCC aurait pu élaborer une telle politique si ce projet de loi et cette définition avaient été en vigueur. Selon lui, SCC aurait probablement eu à incarcérer Mme Kavanagh dans un établissement de détention pour femmes immédiatement avant la chirurgie de changement de sexe.

De plus, chers collègues, aucune autre instance au pays ne propose une définition d'identité de genre. Le retrait de cette définition du projet de loi permet d'assurer l'uniformité à l'échelle du pays.

Monsieur le président, voilà la logique derrière la modification proposée.

Le sénateur Mitchell : Sans nécessairement être d'accord avec le sénateur Plett, je dirais que j'appuie cette modification pour une raison bien précise, soit que ce projet de loi ne définit aucun autre groupe identifiable. Donc, une définition d'identité de genre est intrinsèquement discriminatoire dans un projet de loi qui propose d'éliminer la discrimination. Je recommande aux membres d'appuyer cette modification.

Le sénateur Baker : En d'autres mots, si j'ai bien compris, sénateur Plett, vous ne modifiez pas la portion du projet de loi qui propose d'intégrer l'identité de genre à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le sénateur Plett : C'est exact.

Le sénateur Baker : En d'autres mots, vous êtes d'accord pour l'intégrer à l'article 2.1. « L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est remplacé par ce qui suit », et cela inclut l'expression « identité de genre ». Vous appuyez cet article et allez voter pour.

Le sénateur Plett : Je crois, sénateur Baker, qu'il est injuste de me demander si je vais appuyer cet article.

Le sénateur Baker : Vous ne proposez pas de modifier cette partie.

Le sénateur Plett : Non.

Le sénateur Baker : Ce n'est pas du tout ce que vous proposez. Vous proposez de modifier ce qui suit, soit la définition, en vous appuyant sur la recommandation d'un expert juridique venu témoigner au comité.

Le sénateur Plett : C'est exact.

Le président : Quelqu'un d'autre voudrait intervenir? Aimeriez-vous que la motion soit lue de nouveau? Plaît-il aux membres du comité d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée.

L'article 1, modifié, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1 est adopté. L'article 2 est-il adopté?

Le sénateur Plett : Monsieur le président, j'aimerais proposer une modification à l'article 2. Il s'agit essentiellement de la même modification proposée à l'article précédent.

Je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à l'article 2, à la page 2 :

a) par substitution, à la ligne 1, de ce qui suit :

« 2. Le paragraphe 3(1) de la même loi »;

b) par suppression des lignes 10 à 14.

Encore une fois, cette modification propose l'abrogation de la définition d'identité de genre et la justification est la même.

Le sénateur Mitchell : Elle s'inscrit dans la foulée de la motion précédente, et je n'y vois aucune objection.

Le président : Sénateur Baker, auriez-vous un commentaire à formuler?

Le sénateur Baker : Non.

Le président : Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée. L'article 2, modifié, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Plett : Pardonnez-moi, monsieur le président.

Le président : D'accord.

Le sénateur Plett : Non, pardonnez-moi, monsieur le président. J'ai une...

Le président : Nous y arrivons.

Le sénateur Plett : Merci. Je suis désolé, monsieur le président. Avant de passer à l'article 3, j'aimerais proposer l'ajout d'un article, l'article 2.1.

Je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à la page 2, par adjonction, après la ligne 14, de ce qui suit :

« 2.1 Le paragraphe 15(1) de la même loi est modifié par adjonction, après l'alinéa f), de ce qui suit :

(f.1) dans les circonstances décrites aux articles 5 ou 6, le fait que des services, installations, moyens d'hébergement ou locaux soient réservés à un sexe seulement — notamment dans un établissement correctionnel, un centre d'aide aux victimes, un refuge pour victimes de violences, des installations sanitaires, des installations de douche ou un vestiaire — la restriction d'accès a pour but de protéger des personnes en situation de vulnérabilité; »

Chers collègues, cette modification concerne l'alinéa 15.1(g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui porte sur les exceptions.

Comme bon nombre d'entre vous le savent, ma principale préoccupation — et des citoyens préoccupés continuent de nous en parler — concerne les établissements réservés à un sexe seulement. Nous savons que les dispositions législatives sur l'identité de genre mises en œuvre dans les provinces et territoires utilisent les termes à genre fluide, asexué, allosexuel et neutre, entre autres, aux fins d'interprétation. Cette modification protégera les exploitants des établissements réservés à un sexe seulement qui relèvent du gouvernement fédéral, notamment, les vestiaires, les installations sanitaires et de douche sur les bases militaires, et les refuges pour femmes dans les réserves des Premières Nations, s'ils décident, par exemple, d'interdire à une personne née biologiquement homme qui s'identifie en tant que femme d'entrer dans un établissement réservé aux femmes afin de protéger les résidentes de l'établissement.

Chers collègues, nous avons une jeune femme, ici, à qui j'ai parlé lors de la pose. Ce qui l'inquiète, c'est que ce projet de loi ait un impact sur son école. Je lui ai expliqué que ce ne serait pas le cas, puisque son école relève de la compétence provinciale. Bien entendu, ce projet de loi ne concerne que les établissements qui relèvent de la compétence fédérale. Je voulais donc assurer à Charlie que ce projet de loi n'aurait aucun impact sur son école.

Nous avons entendu le témoignage de Susan McLeod, de Siksika Health Services, qui appuie, en principe, ce projet de loi. Selon elle, les femmes qui ont été victimes de violence physique ou sexuelle vivent souvent une expérience traumatique lorsqu'elle se retrouve en présence d'une personne née biologiquement homme. La protection proposée permettrait aux fournisseurs de services de santé d'offrir un traitement distinct, mais égal, aux femmes transgenres, au besoin, tout en protégeant les résidentes vulnérables du refuge.

Si un individu comme Christopher Hambrook, un délinquant sexuel condamné qui a faussement déclaré être transgenre dans le but de pénétrer dans un refuge pour femmes à Toronto, tentait de pénétrer dans un refuge pour femmes dans une réserve des Premières Nations, cette modification permettrait de protéger le refuge.

Selon moi, l'ajout de ces exceptions à l'article de la Loi canadienne sur les droits de la personne offre une protection raisonnable aux exploitants d'établissements réservés à un sexe seulement qui relèvent du gouvernement fédéral. Cela empêchera les personnes nées biologiquement hommes de s'auto-identifier comme femme et d'avoir un accès sans restriction à des établissements réservés aux femmes.

Cette modification n'entravera aucunement la protection des droits de la personne pour la collectivité transgenre. Elle demeurera un groupe reconnu aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, plus important encore — et c'est un point qu'on m'a soulevé — les membres de cette collectivité ne feront plus l'objet de discrimination, notamment en matière de logement et d'emploi, deux des plus importantes préoccupations de cette collectivité.

Chers collègues, j'espère que vous appuierez cette motion.

Le sénateur Mitchell : Non, mes collègues et moi ne l'appuierons pas, et je vous explique pourquoi.

Premièrement, à cet égard, ce projet de loi, ainsi que la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel sont conçus expressément pour éviter la discrimination et l'article que vous proposez est intrinsèquement discriminatoire. Il modifie une loi conçue pour interdire la discrimination d'une façon qui ouvrirait la porte à la discrimination. C'est la première raison.

Deuxièmement, je suis très heureux que le sénateur Plett ait souligné la différence entre l'application de ce projet de loi aux établissements qui relèvent du fédéral et son application aux écoles, mais la distinction qu'il établit est intéressante. Si je ne m'abuse, cinq provinces reconnaissent dans leurs lois les droits relatifs à l'identité de genre. Par conséquent, ces droits s'appliquent aux écoles. Je ne connais aucun cas — et j'imagine que c'est la même chose pour tous les participants ici présents — où il y aurait eu un problème relativement à ces droits dans une école, une salle de bain ou autre, et aucune preuve d'un tel problème n'a été avancée.

Là où ce genre de loi ou de droit a été mis en œuvre, par exemple, dans cinq provinces ou dans les écoles, pour reprendre l'exemple de Charlie, aucun problème n'a été signalé. D'ailleurs, en Amérique du Nord, dans les régions où ce genre de droit a été accordé aux transgenres, aucun cas crédible où un individu a pénétré dans un établissement pour se livrer à des activités inappropriées n'a été clairement ou sérieusement documenté.

En fait, il est intéressant de constater que Michael Crystal, auquel le sénateur Plett a fait référence pour défendre son point de vue quant à l'abrogation de la définition d'identité de genre — d'ailleurs, il m'a convaincu que c'était la bonne chose à faire — a dit à plusieurs reprises, de façons différentes, que cette modification, celle que nous débattons maintenant concernant les toilettes et les douches, n'est pas nécessaire.

Comme l'a fait plutôt le sénateur Plett, je vais citer M. Crystal :

En ce qui concerne le moment où le sénateur Plett a soulevé la question, admettons qu'une personne, un homme transsexuel effronté, se rendait dans les toilettes des femmes, peut-être pour affirmer ses droits, peut-être pour s'afficher. Il reste à savoir si nous fermons les yeux à ce geste s'il n'y a pas atteinte aux droits des autres.

Je vous dis que non. Je vous dis que ce n'est pas la façon dont fonctionnent nos lois.

La loi actuelle. Ce n'est pas la façon dont cette loi fonctionne.

En fait, si de tels gestes sont posés dans le but de générer de l'hystérie, il peut même y avoir des accusations criminelles.

C'est là où je veux en venir. On peut et on doit aborder ces questions dans une vue d'ensemble.

Ce même Michael Crystal, qui a dit qu'il fallait retirer la définition d'identité de genre — ce que nous avons fait — a dit à plusieurs reprises qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter à ce projet de loi un article concernant les installations sanitaires ou de douches. D'ailleurs, cela compliquerait les choses et ne nous permettrait pas d'obtenir les résultats souhaités par le sénateur Plett.

Si vous me permettez l'analogie, beaucoup d'opposants au contrôle des armes à feu ont dit que les propriétaires d'armes à feu respectueux des lois n'avaient pas à répondre des actions de ceux qui ne les respectaient pas. En effet, cet amendement tient les transgenres respectueux des lois responsables d'une éventuelle illégalité commise dans une toilette, par exemple, par quelqu'un qui pourrait même ne pas être transgenre, ne pas être conscient de ce droit particulier et qui pourrait même ne jamais l'invoquer. Il n'interdit pas cela.

Il tient des personnes respectueuses des lois, tout à fait autonomes, qui devraient être des membres à part entière de notre société, responsables de l'abus probable, bien que cette probabilité soit infime, de ce droit par quelqu'un pour essayer de justifier un acte criminel. C'est exactement l'argument contraire, invoqué par les opposants au contrôle des armes à feu : pourquoi tenir quelqu'un d'irréprochable responsable des actions de quelqu'un d'irrespectueux des lois?

Voilà pourquoi je n'appuierai pas cet amendement. Je crois simplement qu'il est inutile et qu'il affaiblit le projet de loi à plus d'un titre, même sur les points que, en fin de compte, le sénateur Plett essaie de renforcer.

Le sénateur Plett : Merci. Je n'insisterai pas. J'interviendrai une seule fois. Le sénateur Mitchell et moi en avons discuté et nous avons convenu de limiter l'échange d'arguments. Je lui suis reconnaissant de toutes ses observations.

Je tiens seulement à lire, pour que cela figure dans le compte rendu, quelques-unes des observations que Mme McLeod a faites pour la nation des Siksika, lors de sa comparution. Elle a été très claire quand elle a dit :

Nous ne voulons pas refuser les transgenres qui se présentent à notre refuge et à notre maison de transition simplement en raison de leur sexe à la naissance. Nous ne voulons pas faire cela. Toutefois, nous reconnaissons également le fait que nous devons protéger les femmes et les enfants.

Elle a poursuivi en disant :

Le manque de clarté dans la loi rend difficile l'établissement de services appropriés et de politiques légales et éthiques. Une plus grande clarté nous aiderait à établir ces définitions et politiques au niveau de l'administration et de la première ligne.

Nous voulons simplement avoir la possibilité d'avoir un établissement dans la réserve où nous pourrons accueillir, dans des ailes séparées, tant les transgenres que les femmes et les enfants.

Dans la dernière partie de son témoignage, elle dit :

Nous croyons fermement qu'il est possible d'offrir des établissements de soins séparés pour les hommes, les femmes et les transgenres sous un même toit, et qu'il faut amender le projet de loi pour permettre aux responsables de la santé de choisir un mode de prestation des services qui aide tout le monde et ne cause de préjudices à personne.

Mme McLeod était accompagnée de Gerald Chipeur, qui est aussi avocat de droit constitutionnel. Le sénateur Baker le connaît bien. Il était ici et avait une opinion contraire à celle de M. Crystal, c'est-à-dire que cet amendement était extrêmement nécessaire. Certains passages de la suggestion qu'il m'a faite étaient sensiblement plus énergiques que notre version finale. Il croyait que c'était extrêmement nécessaire.

Monsieur le président, je m'arrête ici.

La sénatrice Jaffer : Sénateur Plett, c'est la première fois que je vois l'amendement. Puis-je vous demander des éclaircissements, pour mieux le comprendre?

Une chose m'inquiète, et vous pourrez me corriger, parce que je ne l'ai pas étudiée autant que vous : nous ne précisons pas quels autres groupes sont victimes de discrimination. Nous ne le faisons que pour les transgenres, dont l'identité de genre ne correspond pas au sexe assigné à leur naissance. Nous ne le faisons pas pour les femmes, sans autres précisions et explications. Je crains que cela soit plus discriminatoire. C'est encore plus préoccupant.

Je voudrais que vous expliquiez pourquoi vous n'énumérez que quelques établissements. C'est seulement un exemple, je comprends. Pourquoi seulement quelques-uns? À la place de « notamment », ce pourrait être « d'autres ». Vous a-t-on conseillé de le faire? Pourquoi avez-vous senti la nécessité d'énumérer certains établissements dans ce passage?

Le sénateur Plett : Je vous remercie pour la question. Au début, comme je terminais mon explication, alors que nous avons parlé à Gerry Chipeur, il a proposé quelques autres établissements comme ceux de sport. Il en a été question dans l'amendement, à un moment donné.

Personnellement, les établissements énumérés sont ceux où les personnes les plus vulnérables risquent d'être exposées à des personnes qui présentent des différences biologiques.

De plus, la clientèle des refuges, comme Mme McLeod l'a dit, et je ne la citerai pas, je me contenterai seulement de dire ce qu'elle a confié au comité et à moi aussi, cette clientèle est surtout, pas exclusivement, mais surtout constituée de femmes, surtout de femmes agressées par des hommes.

Elle ne craint pas que la présence d'un transgenre y soit une menace pour quiconque, mais elle craint que, pour une femme qui aurait été violée, peut-être battue, maltraitée par son mari, son père, son frère, son copain, la vue d'un homme, ce ne soit traumatisant. Cette femme ne verrait pas que ce transgenre ne présenterait aucun danger.

De plus, Mme McLeod a ajouté que ce transgenre pourrait poser sa candidature pour travailler dans un tel établissement. Bien sûr, nous ne nous occupons pas de la question de l'emploi, mais elle a posé la question. Elle a ajouté que l'idée que ce mâle biologique aiderait cette femme déjà traumatisée l'inquiétait.

J'ai soulevé, comme vous le savez, le problème de la présence, dans les douches pour femmes où se trouvent soit des femmes ou des filles, d'hommes adultes — je dis hommes, parce que je crois qu'il s'agit d'hommes biologiques, transgenres mais biologiquement masculins. Bien sûr, le contraire se peut. Ce pourrait être une femme biologique, mais il semble que ce soit plus souvent le contraire.

Voilà mes motifs. J'ai donc choisi, pour l'amendement, les établissements où, d'après moi, les gens seraient les plus vulnérables. C'est ceux que j'ai choisis.

La sénatrice Jaffer : Sénateur Plett, je vous suis reconnaissante de votre explication. Je sais que vous y avez mis beaucoup de travail, mais, sans vouloir vous offenser, j'ai l'impression que c'est discriminatoire. Nous essayons de mettre fin à la discrimination, et vous la rétablissez. C'est la difficulté que j'éprouve devant votre amendement.

Le sénateur Plett : Je comprends. J'ai l'impression que ma fille ou ma petite-fille sont victimes de discrimination — si elles n'ont pas le droit de fréquenter un établissement de leur choix, et c'est le cas. Je suppose que nous pouvons camper sur nos positions, mais je respecte votre opinion.

Le président : Quelqu'un a-t-il autre chose à ajouter?

Le sénateur Mitchell : Je tiens à remercier la sénatrice Jaffer pour son intervention et souligner que cet amendement particulier dérange beaucoup les transgenres. Je tiens à mentionner, pour le compte rendu, la profonde douleur qu'il leur cause. Je voudrais ajouter, sans enfoncer le clou, que je pourrais répondre à certains arguments du sénateur Plett, mais ce n'est pas le moment. Nous pourrons le faire à la troisième lecture aussi.

Je vois une autre complication. Cet article, cet amendement obligera un homme transsexuel — donc quelqu'un qui est né avec un sexe féminin, mais qui se transforme en homme et qui prend des médicaments, sans avoir subi d'opération et qui ressemble à un homme comme tous ceux qui sont ici présents, et, en fait, il se trouve peut-être ici, à notre insu, des hommes transsexuels qui étaient de sexe féminin à leur naissance — il l'obligera, même s'il se sait homme, à utiliser une toilette pour femmes. Cela risque, à mon avis, d'être extrêmement troublant pour lui et pour toutes les femmes qui, par hasard, se trouveront alors à cet endroit.

Je n'en dirai pas davantage sur cette difficulté, sauf que si nous avons appuyé l'amendement antérieur, nous allons tout simplement voter contre celui-ci.

La sénatrice Jaffer : Cet amendement me met vraiment mal à l'aise. J'ai l'impression qu'on présuppose qu'un transgenre est un agresseur et j'éprouve beaucoup de difficulté concernant la protection des personnes en situation de vulnérabilité. J'y vois qu'on suppose que le transgenre est une menace. Tout ce pour quoi nous avons travaillé et tout ce projet de loi n'auront servi à rien. Nous affirmons maintenir l'identité de genre, mais, pourtant, nous affirmons en même temps que les transgenres ne peuvent pas utiliser certains établissements, parce que nous les percevons comme des agresseurs, parce que d'autres personnes se trouvent dans une situation de vulnérabilité. J'éprouve beaucoup de difficulté à accepter cet amendement.

Le président : Je pense que cela épuise la discussion sur le nouvel article qu'a proposé le sénateur Plett. Mesdames et messieurs, vous plaît-il d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Le président : Avec dissidence. L'amendement est adopté.

Voulez-vous un vote par appel nominal? Je demande à la greffière.

Le sénateur Plett : Je ne me sentais pas trop bien, ces derniers temps. J'en suis désolé.

Le président : Sénateur Plett, nous sommes sur le point d'avoir un vote par appel nominal.

Shaila Anwar, greffière du comité : L'honorable sénateur Runciman.

Le sénateur Runciman : Je m'abstiens.

Mme Anwar : L'honorable sénateur Baker, C.P.

Le sénateur Baker : Je suis contre l'amendement proposé par le sénateur Plett.

Mme Anwar : L'honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Pour l'amendement.

[Français]

Mme Anwar : L'honorable sénateur Dagenais?

Le sénateur Dagenais : Pour l'amendement.

[Traduction]

Mme Anwar : L'honorable sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : Non.

Mme Anwar : L'honorable sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Non.

Mme Anwar : L'honorable sénateur Manning.

Le sénateur Manning : Oui.

Mme Anwar : L'honorable sénateur McInnis.

Le sénateur McInnis : Pour l'amendement.

Mme Anwar : L'honorable sénateur McIntyre.

Le sénateur McIntyre : Pour l'amendement.

Mme Anwar : L'honorable sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Contre.

Mme Anwar : L'honorable sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Pour.

Mme Anwar : Le sénateur White est absent.

Pour : 6; contre : 4; abstention : une.

Le président : Le nouvel article 2.1 est adopté. L'article 3 est-il adopté?

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Il y a, ici, un amendement de plus, monsieur le président.

Je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à l'article 3, à la page 2, par substitution, aux lignes 17 à 27, de ce qui suit :

« (4) Dans le présent article, « groupe identifiable » désigne toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l'origine ethnique, l'identité de genre ou l'orientation sexuelle. »

Cet amendement porte sur la suppression de la définition d'identité de genre et, en conséquence, mes motifs sont les mêmes que pour l'article 1.

Le président : D'accord.

Le sénateur Mitchell : C'est comme le premier amendement. Je l'appuie donc.

Le président : Mesdames et messieurs, vous plaît-il d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté. L'article 3 modifié est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté. Passons à l'article 4, sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président.

Je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à l'article 4 :

a) à la page 2 :

(i) par substitution, à la ligne 28, de ce qui suit :

« 4. Le sous-alinéa 718.2a)(i) de la même »;

(ii) par suppression des lignes 37 à 39;

b) à la page 3, par suppression des lignes 1 et 2.

Encore une fois, c'est conformément aux articles que nous avons déjà adoptés.

Le sénateur Mitchell : Nous appuyons cet amendement.

Le président : Mesdames et messieurs, vous plaît-il d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 4 modifié est-il adopté? Adopté.

Le sénateur Plett : Je suis heureux que vous me fassiez marcher droit.

Je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à la page 3 par adjonction, après la ligne 2, de ce qui suit :

« DISPOSITION DE COORDINATION

4.1 Dès le premier jour où l'article 12 de la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité, chapitre 31 des Lois du Canada (2014) et l'article 3 de la présente loi sont tous deux en vigueur, le paragraphe 318(4) du Code criminel est remplacé par ce qui suit :

(4) Au présent article, « groupe identifiable » désigne toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l'origine nationale ou ethnique, l'âge, le sexe, l'identité de genre, l'orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique. »

Chers collègues, comme le projet de loi C-13, sur la cyberintimidation, a été adopté avant le projet de loi C-279, je crois que le projet de loi C-279 a besoin d'être actualisé. Le projet de loi C-13 ajoutait le sexe, l'âge et la déficience mentale ou physique aux motifs interdits visés par l'article du Code criminel portant sur la propagande haineuse. La présente version du projet de loi ne comprend pas ces nouveaux termes, mais elle ne fait qu'ajouter l'identité de genre aux motifs interdits. La disposition de coordination fera figurer dans le Code criminel tous les motifs interdits prévus.

Il est particulièrement important d'ajouter le mot « sexe » dans l'article sur les crimes motivés par la haine, et notre collègue, la sénatrice Nancy Ruth, a travaillé sans relâche pour l'inclusion de ce terme. Si ce projet de loi devait être adopté sans modification, l'identité de genre y figurerait, mais pas le sexe, ce qui fait manifestement problème. La sénatrice Nancy Ruth a fait remarquer, ce qui est important, que les femmes ne seraient pas protégées par cette loi, à moins d'être nées avec un sexe masculin. L'amendement est donc nécessaire pour assurer la protection de tous les groupes prévus, dans l'article du Code criminel portant sur les crimes motivés par la haine.

Le sénateur Mitchell : Nous sommes d'accord.

Le président : Êtes-vous d'accord? Quelqu'un a-t-il quelque chose à ajouter?

Le sénateur Baker : Autrement dit, qu'ajoutez-vous?

Le sénateur Plett : Nous ajoutons quelques notions.

Le sénateur Baker : Qu'ajoutez-vous? J'ai besoin de savoir.

Le sénateur Plett : Je vais relire la motion pour vous une autre fois.

Le sénateur Mitchell : J'ai noté ce qui a été ajouté, si vous permettez.

Le sénateur Plett : Allez-y.

Le sénateur Mitchell : L'origine nationale, l'âge, le sexe, la déficience mentale ou physique sont ajoutés, plus l'identité de genre, laquelle s'y trouve déjà.

Le président : Autre chose, quelqu'un? Vous plaît-il, mesdames et messieurs, d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le nouvel article 4.1 est adopté.

Article 5. L'article 5 est-il adopté?

Le sénateur Plett : Monsieur le président, je propose :

Que le projet de loi C-279 soit modifié à l'article 5, à la page 3, par substitution, à la ligne 3, de ce qui suit :

« 5. La présente loi, à l'exception de l'article 4.1, entre en vigueur trente ».

C'est tout simplement une modification consécutive visant à harmoniser les projets de loi C-13 et C-279, pour assurer la protection de tous les groupes qu'on prévoit de protéger.

Le sénateur Mitchell : L'article 4.1 est nouveau.

La sénatrice Fraser : C'est le nouvel article?

Le sénateur Mitchell : Oui.

Le président : Nous modifions l'article 5. L'honorable sénateur Plett propose que nous adoptions la motion d'amendement. Mesdames et messieurs, êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. L'article 5 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le projet de loi modifié est-il adopté?

La sénatrice Fraser : Je suis désolée d'avoir de la difficulté à comprendre, mais l'amendement que nous venons d'adopter disait que la loi, à l'exception de l'article 4.1, entrait en vigueur 30 jours plus tard. Quand l'article 4.1 entre-t- il en vigueur? Vous l'avez peut-être expliqué, sénateur Plett, mais je n'ai pas saisi.

Une voix : Trente jours.

Le président : À l'exception de l'article 4.1, vous avez raison.

La sénatrice Fraser : Entre-t-elle en vigueur immédiatement ou est-ce selon le bon plaisir du gouverneur en conseil?

Le sénateur Plett : Je pense que c'est immédiatement, mais peut-être que les fonctionnaires du ministère de la Justice pourraient l'expliquer. Sénatrice Fraser, cet amendement m'a été conseillé par les légistes, je vous prie de m'excuser. Ce n'est pas le mien.

Le président : La greffière me dit que c'est parce que la date d'entrée en vigueur du projet de loi C-13 est différente.

Le sénateur Mitchell : C'est l'explication que j'ai reçue, probablement du ministère de la Justice, mais les dispositions de coordination entrent traditionnellement en vigueur quand le projet de loi reçoit la sanction royale. Le projet de loi C-279 entre en vigueur 30 jours après la sanction royale. L'amendement touchant l'article 5 sert à exempter le nouvel article 4.1 de cette période de 30 jours, de sorte qu'il entrera en vigueur à la date de la sanction royale.

La sénatrice Fraser : Je suis désolée.

Le sénateur Plett : Moi aussi, pour ne pas avoir pu vous expliquer l'amendement.

Le sénateur Mitchell : Je n'ai eu qu'à lire.

Le président : Le projet de loi modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le comité désire-t-il joindre des observations au rapport?

Des voix : Non.

Le président : Êtes-vous d'accord pour que je fasse rapport du projet de loi modifié au Sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Je vous remercie tous. Nous nous revoyons ici même, demain matin.

(La séance est levée.)


Haut de page