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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 15 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi C-394, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (recrutement: organisations criminelles), se réunit aujourd’hui à 10 h 30 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux invités et au grand public qui suit les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-394, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (recrutement: organisations criminelles). Ce projet de loi modifie le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait de recruter une personne pour faire partie d’une organisation criminelle, de l’inviter, l’encourager ou la contraindre à en faire partie ou de la solliciter à cette fin. Il prévoit une peine pour cette infraction de même qu’une peine plus sévère pour le recrutement de personnes âgées de moins de dix-huit ans. C’est la troisième séance que nous lui consacrons.

Le premier témoin, que nous accueillons en vidéoconférence depuis Niagara Falls, est un habitué du comité. Veuillez souhaiter la bienvenue à M. Tom Stamatakis, président de l’Association canadienne des policiers.

Monsieur Stamatakis, je crois que vous ferez une déclaration préliminaire. Je vous en prie, allez-y.

Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers: Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je suis heureux de comparaître de nouveau devant vous, relativement au projet de loi C-394, sur le recrutement dans les organisations criminelles. Je sais que la plupart d’entre vous connaissent assez bien notre association, mais, pour le compte rendu, je précise qu’elle représente plus de 54 000 policiers civils et assermentés de première ligne de tout le Canada, et c’est en leur nom que je comparais devant vous.

L’association approuve le projet de loi C-394 et elle félicite l’honorable député de Brampton-Springdale de l’avoir déposé ainsi que le sénateur Plett de l’avoir, à ce que je sache, piloté au Sénat. Je tiens à faire remarquer que l’auteur du projet de loi, le député de Brampton-Springdale, comme je l’ai mentionné, s’est engagé dans de vastes consultations avec la police avant de le rédiger, y compris avec l’Association de la police régionale de Peel et l’Association de police de Winnipeg. Nos membres sont reconnaissants de l’occasion qui leur a été offerte de contribuer à la rédaction d’un projet de loi qui cherche à doter les policiers de première ligne des outils nécessaires à leur tâche.

En ce qui concerne le projet de loi lui-même, la police sait bien que les organisations criminelles désirent beaucoup recruter de jeunes membres, pour deux raisons: la première, je suis sûr que vous la connaissez déjà, est qu’elles savent très bien que les tribunaux sont notablement plus cléments pour les jeunes contrevenants que pour les adultes; la deuxième, pour fonctionner, elles ont besoin d’un afflux constant de recrues pour remplacer leurs membres incarcérés ou ceux qui ont été victimes de la violence bien réelle qui sévit dans les rues de nos villes.

N’importe quel agent de police de partout au pays pourra vous raconter des histoires déchirantes d’enfants de 14 ans ou moins qu’on contraint par divers moyens, depuis la toxicomanie jusqu’à la violence, en passant par le besoin, propre à tous les adolescents, de s’intégrer au groupe, et qui sont maintenant accusés de crimes aussi graves que l’agression physique ou le meurtre, s’ils ne purgent déjà pas des peines pour cela. La lutte contre ces méthodes de recrutement suffirait pour occuper actuellement la police, mais est désemparée par un phénomène qui semble maintenant s’aggraver partout au pays, le recrutement multigénérationnel dans les bandes. Les pères et les oncles recrutent leurs fils et leurs neveux pour perpétuer ce nouveau style d’entreprise familiale, et c’est une autre raison pour réclamer tous les moyens que nous pouvons mettre à notre disposition.

Cela étant dit, aucune loi à elle seule ne pourra régler entièrement le problème de la participation des jeunes dans les organisations criminelles, mais je prendrai un moment pour louer nos propres mérites et faire connaître une partie du travail de pionner des policiers. Je veux ainsi montrer que notre méthode est beaucoup plus complexe qu’une simple mise aux oubliettes.

Par exemple, en 2012, l’Hôpital pour enfants de l’est de l’Ontario a reconnu les efforts de la police d’Ottawa, pour la création de la Police Athletic League, qui organise des ligues de sports de compétition et des tournois pour 800 enfants et jeunes de 6 à 16 ans, qui, sinon, faute de moyens financiers, ne pourraient pas y participer. Le programme favorise l’acquisition de compétences et de qualités de chef et il répond aux attentes traditionnelles qu’on formule à l’égard d’une ligue sportive organisée, par exemple soirée de remise de prix, uniformes, arbitres formés. La police pourvoit au mentorat à l’occasion des exercices, des parties et des banquets de remise de prix. Nos agents reconnaissent la nécessité, pour nous, de déjouer les promesses des recruteurs des organisations criminelles. La police de partout au pays fait tout ce qui est possible pour relever ce défi.

Bien sûr, nous ne pouvons pas discuter intégralement de ce problème sans reconnaître que la lutte de la police contre la participation des jeunes dans la criminalité organisée exige des investissements et des ressources supplémentaires. Les programmes comme ceux que j’ai mentionnés reposent souvent sur le bénévolat, qu’on peut mobiliser — nos agents sont toujours prêts à répondre à l’appel —, mais une journée ne compte que 24 heures et nos effectifs sont limités.

Le bénévolat et la bonne volonté ne suffisent pas, à eux seuls, pour combattre le crime organisé au Canada. Il faut que nos parlementaires reconnaissent que toute nouvelle loi, malgré l’appui sincère et unanime de tous les partis, n’existe pas dans le vide. Il faut des investissements et faire respecter la loi pour multiplier les programmes tels que celui de la ligue sportive de la police d’Ottawa et d’autres programmes semblables d’un bout à l’autre du pays.

Mesdames et messieurs les sénateurs, comme je tiens à être bref pour vous permettre de poser le plus de questions possible, je conclus en disant qu’organisé est le mot clé à retenir dans l’expression crime organisé. La direction de ces organisations est souvent très complexe, souvent à notre grande surprise à tous. Elles connaissent les lois et, surtout, leurs lacunes, qu’elles exploitent. Le projet de loi C-394, que vous étudiez aujourd'hui, aide à fermer ou, du moins, à rendre plus impraticables ces échappatoires.

Je sais que certains sénateurs, tout comme certains députés, étaient, par principe, opposés à la notion de peine minimale obligatoire prévue dans ce projet de loi, mais je vous invite tous vivement à tenir compte du nombre de jeunes dévoyés chaque année par ces organisations criminelles et à songer à la manière de doter la police des outils pour arrêter cette saignée.

Le sénateur Plett: Bienvenue, Tom. Je suis heureux de vous revoir dans ces circonstances.

Vous savez que nous avons entendu, hier, le témoignage de votre collègue et bon ami George VanMackelbergh. Il a notamment affirmé que les bandes qui recrutent des enfants sont prédatrices par nature. Êtes-vous d’accord? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Stamatakis: Absolument. La description est très juste. Elles isolent des enfants vulnérables, privés de l’appui de leur groupe, à l’école, ou de leur famille, à cause de la situation familiale. Elles les attirent par des promesses d’argent, parfois, de drogue, parfois aussi ou tout simplement en leur accordant de l’attention. Ces enfants ont souvent soif d’attention, peu importe qui la leur accorde.

Le sénateur Plett: Dans votre conclusion, vous avez fait allusion à l’opposition de certains contre les peines minimales obligatoires. Elle se manifeste sans cesse et elle le fera encore une fois plus tard aujourd’hui.

Mais ces peines, bien sûr, ne sont pas le propre de notre gouvernement. Elles relèvent d’une longue tradition contre les crimes particulièrement sordides et répugnants. Je ne peux pas imaginer pis que le recrutement d’un garçon ou d’une fille de 10 à 12 ans dans une bande pour lui faire commettre des crimes à la place d’adultes, en comptant sur la clémence des tribunaux. Bien sûr, le projet de loi ne cherche pas à punir les enfants, mais les recruteurs.

Seriez-vous d’accord pour dire que recruter ces jeunes pour faire le sale boulot des adultes est l’un des crimes les plus sordides et les plus répugnants?

M. Stamatakis: Absolument. Je n’éprouve aucune empathie pour ces recruteurs. On ne manque pas de motifs pour se montrer sévère contre eux. Dans certaines de mes autres comparutions sur le coût des services de police, j’ai dit que leurs jeunes recrues deviennent les personnes avec qui nous avons toujours affaire. Les recruteurs ne victimisent pas seulement l’enfant, qui ne peut pas prendre de décision éclairée, mais aussi sa famille. Souvent, l’enfant devient un multirécidiviste, ce qui contribue à la multiplication des victimes dans toute notre société et dans toutes les collectivités que nous desservons.

Quand on parle de prévenir la criminalité et de s’attaquer à certains des problèmes qui contribuent à l’augmentation des coûts, la meilleure prévention, en amont, consiste à couper les ailes à ces recruteurs.

La sénatrice Jaffer: Merci beaucoup, encore une fois, de votre exposé. Nous avons toujours hâte de vous entendre. Quand j’étais jeune avocate, la première chose qu’on m’a apprise était qu’on ne jette personne aux oubliettes, et j’ai été vraiment heureuse de vous l’entendre dire. Nous savons que les jeunes vulnérables, assoiffés d’attention et avides d’insertion, sont les plus faciles à recruter. Vous avez effectivement parlé de prévention. Je comprends que le temps dont disposent vos membres est limité. Je ne m’attends donc pas à ce qu’ils en fassent, mais comment nous encouragez-vous tous à envisager des programmes de prévention?

M. Stamatakis: Comme je l’ai mentionné dans mes observations, je pense que les organisations de police de partout au pays ont reconnu la nécessité, pour le maintien de l’ordre, de nouer des contacts avec les jeunes. J’ai parlé de l’exemple de la ligue sportive de la police d’Ottawa. Ce genre d’organisations, les ligues sportives organisées par la police, il en existe maintenant d’un bout à l’autre du pays. Elles offrent l’occasion aux agents de police de prendre contact avec ces jeunes vulnérables dans un contexte plus agréable. Nous ne nous occupons donc pas d’eux après la commission d’un crime; nous essayons de prendre contact avant qu’ils choisissent ce mode de vie.

Beaucoup d’autres organismes et communautés sont le lieu d’une participation de la police et d’autres membres aussi de la communauté, dans une relation d’égal à égal. La recherche nous apprend maintenant que ce genre de relation est beaucoup plus efficace que les leçons de morale données par un adulte. Je fais partie du conseil d’administration d’un organisme de Vancouver appelé Odd Squad, qui est constitué d’agents de police et d’autres membres de la communauté qui essaient de sensibiliser les jeunes aux risques de la criminalité, grâce à des vidéos dans lesquelles jouent des personnes de leur âge.

Les organisations policières de partout au pays ont des agents intégrés dans les écoles, ce qui leur permet de collaborer avec le système d'éducation à la création de programmes d’appui pour les enfants les plus vulnérables. D'ordinaire, nous identifions, en collaboration avec le réseau d’écoles, les enfants en question, puis nous essayons de leur procurer un appui positif, qui les aidera à faire de meilleurs choix et à les rendre moins vulnérables.

La sénatrice Jaffer: Le sénateur Dallaire, qui est le porte-parole du parti, en ce qui concerne ce projet de loi, a dit, et je cite: « Nous constatons également qu’un nombre disproportionné de personnes recrutées dans les gangs sont de jeunes Autochtones. Beaucoup de ces jeunes se sont battus toute leur vie, sans succès, contre les systèmes sociaux qui les empêchent d’atteindre leurs objectifs. Un nombre disproportionné de jeunes Autochtones présentent les facteurs de risque dont j’ai parlé plus tôt. »

Êtes-vous d’accord avec cette déclaration et devons-nous faire plus? Nous tenons pour certain que, dans les prisons, les Autochtones sont surreprésentés. À Winnipeg, j’ai vu ce qui se passait là-bas. La protection de la jeunesse autochtone pose sûrement un problème. Puis-je savoir ce que vous en pensez?

M. Stamatakis: Je suis d’accord avec la déclaration. En ce qui concerne précisément le projet de loi C-394, notre cible n’est pas ces enfants vulnérables. Sa sévérité est réservée aux prédateurs qui abusent de ces enfants et il s’agit aussi de les responsabiliser vis-à-vis de notre société. Je suis entièrement d’accord! Nous avons besoin de mieux appuyer les enfants, particulièrement ceux qui appartiennent à des groupes vulnérables — les Autochtones, les néo-Canadiens, particulièrement dans les grandes villes — mais, en même temps, c’est un autre moyen qui aidera particulièrement la police à empêcher que ces enfants vulnérables ne soient ciblés par les recruteurs.

La sénatrice Jaffer: Sans vouloir vous contredire, j’ai lu le projet de loi. Je sais qui est visé. Mais la difficulté que j’ai, c’est que nous ne visons pas les dirigeants de ces organisations. Les recruteurs pourraient être des jeunes qui sont obligés de recruter d’autres jeunes et que nous enverrons à l’université du crime. Je m’inquiète pour ceux qui seront pris au piège par ce projet de loi. Voilà ce qui m’inquiète. Qui visons-nous? Cela ne permettra pas d’emprisonner le recruteur ou le membre de l’organisation qui ont de l’expérience. D’après les témoignages, des jeunes recrutent d’autres jeunes.

M. Stamatakis: Mon opinion est différente. Nous créons une loi; il continuera d'incomber à la police de prouver, hors de tout doute raisonnable, qu’une personne s’adonne à ces activités. Parfois, la meilleure façon de mettre fin à un comportement que nous savons dommageable pour notre société est d’intervenir et, dans les circonstances appropriées, d’intenter des poursuites au criminel. La justice dispose d’autres mécanismes pour les jeunes qui étaient peut-être eux-mêmes vulnérables et pour lesquels il est possible d’intervenir et de modifier le cours des choses.

C’est le genre de décisions que prend la police tous les jours, grâce à son pouvoir de discrétion dans l’application des lois canadiennes.

La sénatrice Jaffer: J’imagine que vous parlez des programmes de déjudiciarisation. Je sais bien que la Couronne et vous y avez recours, mais à cause des peines minimales obligatoires, c’est impossible. Voilà la difficulté.

Le sénateur McIntyre: Les adversaires du projet de loi ont déjà invoqué son inutilité, parce que ses dispositions répètent les articles 467.11, 467.12 et 467.13, que, j’en suis sûr, vous connaissez très bien. Actuellement, le Code criminel sévit contre les organisations criminelles, mais il ne dit rien du recrutement. En conséquence, tel que je le comprends, les motifs qui président à la création d’une infraction séparée sont de clarifier la loi. Un point, c’est tout. Êtes-vous d’accord?

M. Stamatakis: Entièrement d’accord. Le projet de loi clarifie le code et c’est un outil plus pointu d’intervention de première ligne.

Pour revenir à une crainte exprimée plus tôt, les agents de police utilisent quotidiennement leur pourvoir discrétionnaire. Mes antécédents sont ceux d'un agent de première ligne. Dans le cas d’un enfant vulnérable, recruté pour faire à son tour du recrutement, ils appliqueraient ce pouvoir. Je pense que le projet de loi reste un moyen efficace de combattre les autres prédateurs qui ravagent les communautés du pays.

Le sénateur McIntyre: Hier, des témoins nous ont dit que le projet ne devrait pas seulement s’appliquer au recrutement criminalisé des jeunes dans les organisations criminelles, mais aussi aux menaces et à la force utilisées pour empêcher les jeunes de quitter ces organisations, pour la raison que les jeunes craignent les représailles contre eux, leur famille et leurs amis. Qu’en pensez-vous?

M. Stamatakis: Ces groupes organisés ou criminalisés prospèrent grâce à la contrainte fondée sur les menaces et l’intimidation. Je suis en faveur de n’importe quel moyen législatif qui nous permettra d’agir vraiment et rapidement contre ces comportements.

Le sénateur Joyal: Bonjour monsieur Stamatakis. Soyez le bienvenu. Hier, votre collègue M. VanMackelbergh a mentionné, dans son mémoire, qu’il aimerait que les peines soient plus rigoureuses si le recrutement a lieu dans des endroits où les jeunes devraient se sentir en sécurité, c’est-à-dire les écoles, les centres communautaires, les terrains de jeux ou tous les autres lieux très fréquentés par eux. Pensez-vous, comme lui, que le recrutement fait en de tels endroits serait un facteur aggravant?

M. Stamatakis: Je suis d’accord pour que ce soit un facteur aggravant. Nous incitons les jeunes à se rassembler dans ces endroits, en supposant qu’ils y seront en sécurité. Il est sûr que le recrutement dans ces endroits est un facteur aggravant.

Le sénateur Joyal: Mon autre crainte — et j’en ai parlé hier —, est qu’on se représente aujourd’hui le recrutement sous sa forme traditionnelle seulement, celle d’un prédateur qui s’approche de la clôture d’une cour d'école et qui essaie de nouer une conversation avec un jeune. Pour moi, l’utilisation de Twitter et de tous les réseaux électroniques que la plupart des jeunes ont maintenant à leur disposition, ce que les spécialistes appellent le cyberréseautage criminel, est beaucoup plus répandu qu’on pourrait l’imaginer. Je cite ici une feuille d’information de Sécurité publique Canada, la no 13, parce que je tiens à connaître votre opinion sur la façon dont cela pourrait modifier votre méthode de lutte contre le recrutement des jeunes par le crime organisé: « Les organisations criminelles ont recours à des sites de réseautage social sur Internet pour diverses raisons, par exemple, pour rehausser leur image, mettre en valeur leurs exploits et même recruter d’éventuels membres. Ce phénomène est parfois appelé "cyber-banging". »

Comme j’ai dit, c’est tiré du résumé de recherche sur le crime organisé no 13, publié par Sécurité publique Canada.

Je suis tenté d’accorder beaucoup de poids à cette conclusion, parce que c’est évident. On peut voir que les jeunes, dans la rue, possèdent tous leur iPad ou leur cellulaire et qu’ils se font tous aller les pouces. J’ai cherché rapidement d’autres travaux de la faculté de criminologie de l’Université de Montréal selon lesquels ce phénomène d’aujourd’hui se propage comme un feu de brousse. C'est-à-dire qu’il est très facile d’entrer en communication avec des milliers de jeunes en même temps et, plus particulièrement, d’exploiter les images du crime organisé. Ce sont des héros et ils adoptent les personnages ou les représentations que les jeunes trouvent dans les jeux vidéo et ainsi de suite. Faire partie du crime organisé, c'est comme faire partie de la chevalerie, combattre et ce genre de choses.

Nous savons que ces jeux sont très populaires. Je me demande si ce projet de loi atteindra vraiment son objectif, compte tenu du fait que nos règlements ne semblent pas vraiment améliorer notre capacité d’enquêter et d’atteindre les criminels que nous voulons arrêter. Je suis vraiment troublé par le fait que le ministre de la Justice du Manitoba nous a dit, hier, que l’article 467.11 du Code criminel visait le recrutement par les organisations criminelles. Or, cette disposition est rarement utilisée dans ces circonstances et, quand on se donne la peine de la lire, on voit bien qu’elle vise « quiconque […] participe à une activité d’une organisation criminelle ou y contribue ». C’est très général, de sorte que le recrutement est certainement prévu dans l’expression « y contribue » en parlant de l’activité de l’organisation criminelle. Le recrutement d’un jeune ou d’une autre personne pour commettre un crime est certainement une contribution à cette activité. Je me demande si la priorité de la police est vraiment de cibler le recrutement ou si ce n’est pas plutôt d’autres aspects de l’organisation criminelle, particulièrement dans le contexte du cyberréseautage que je décrivais il y a un instant.

M. Stamatakis: En ma qualité d’agent de police de première ligne, je dirai que chaque fois qu’on entame une enquête et que la disposition sur laquelle on s’appuie est très générale, disons-le franchement, il est très difficile de constituer un dossier qui suffira à la Couronne pour la poursuite de l’enquête criminelle. L’agent de police de terrain que je suis préfère toujours les dispositions du Code criminel qui sont claires et dont la portée est plus étroite.

C’est la réponse que je donnerais à votre question sur l’article 467 par rapport au projet de loi C-394. Le projet de loi est beaucoup plus précis et vise l’activité particulière. En ce qui concerne les médias sociaux, il est indéniable que les membres des organisations criminelles, particulièrement les jeunes, les utilisent énormément. Ils publient des images qui promotionnent leur mode de vie et ils essaient de le rendre plus attrayant — bijoux voyants, argent, voitures, armes à feu. J’ai vu beaucoup de ces images, et ils passent sûrement des annonces, au moyen des médias sociaux, sur des événements auxquels ils espèrent que les jeunes assisteront. Ce sont aussi des endroits où nous pouvons recueillir beaucoup de preuves pour établir que quelqu’un s’adonne à des activités de recrutement, en faisant miroiter un mode de vie différent. Cela modifie le paysage. Il est indéniable que la technologie a beaucoup influé sur les méthodes de la police, celles d’enquête sur les crimes, tous les crimes, pas seulement ceux qui sont reliés au crime organisé ou aux organisations criminelles. La police de partout au pays s’y adapte.

[Français]

Le sénateur Dagenais: C’est toujours un plaisir de vous revoir, monsieur Stamatakis. Je sais que vous êtes un policier qui travaille sur le terrain, qui a fait carrière à Vancouver où, comme dans plusieurs grandes villes canadiennes, il y a beaucoup de recrutement de gangs de rue.

Je mentionnais à notre collègue de Winnipeg hier — et vous me direz ce que vous en pensez —, que, souvent, ceux qui recrutent les jeunes, les organisations criminelles, savent très bien que ces jeunes peuvent commettre des crimes violents pour lesquels ils recevront des sentences moins sévères, parce qu’ils ont moins de 14, 16 ou 18 ans ou même moins. Ne pensez-vous pas que le recrutement est lié au fait que cela profite aux organisations criminelles de recruter des mineurs, sachant très bien qu’ils vont pouvoir faire le travail et recevoir des sentences moins sévères?

[Traduction]

M. Stamatakis: Absolument. Vous avez raison. Mes antécédents, dans la police, sont à Vancouver. Pendant de nombreuses années, la criminalité a prospéré non seulement à Vancouver, mais dans sa région. Cela a probablement débuté en grande au début des années 1990. Je peux vous donner de nombreux exemples de bandes organisées qui ont particulièrement ciblé les jeunes et qui en ont utilisé pour commettre certains crimes, sachant que les conséquences seraient moins graves pour eux que pour un adulte.

[Français]

Le sénateur Dagenais: Je vous remercie, monsieur Stamatakis, et je vous transmets les salutations de votre prédécesseur avec qui j'étais hier.

[Traduction]

Le sénateur McInnis: Monsieur Stamatakis, je vais vous donner du contexte puis je vais vous demander si, en votre qualité de président de l’Association canadienne des policiers, vous pensez que le gouvernement atteint son objectif d’augmentation de la sécurité de nos communautés.

Avant le dépôt de ce projet de loi, trois infractions concernaient les organisations criminelles: la commission d’une infraction pour le compte d’une organisation criminelle; la participation aux activités d’une organisation criminelle; le fait de charger quelqu’un de commettre une infraction au profit d’une organisation criminelle; et, à partir de maintenant, le recrutement de membres par une organisation criminelle pour faciliter ou commettre un acte criminel.

Ensuite, bien sûr, il y a eu la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, la Loi sur la lutte contre les crimes violents, le durcissement des peines, l’imposition de peines consécutives et cetera. Il y en a beaucoup d’autres.

Avez-vous l’impression que le gouvernement rend effectivement nos communautés plus sûres? Si vous êtes d’accord, y a-t-il d’autres endroits auxquels nous devrions songer?

M. Stamatakis: Je dirais ceci: je pense que les lois que vous mentionnez sont un pas dans la bonne direction. D’après moi, un facteur important de la sécurité de nos communautés réside dans nos messages concernant la criminalité et ce que la société dit au sujet de la criminalité.

Je pense que, pendant longtemps, notre pays n’a franchement pas été à la hauteur. Je pense que la société a créé une ambiance d’insouciance pour les conséquences réelles de ces activités pour les victimes et pour la qualité de vie et l’activité économique dans la communauté. Je pense que le projet de loi est un pas dans la bonne direction.

Mais là où nous avons beaucoup à faire, d’après moi, toujours du point de vue du policier de première ligne, c’est que, malgré les nombreux outils dont la police dispose, elle est constamment frustrée par les poursuites en justice. En effet, comme je l’ai dit dans mes observations, ces groupes disposent de beaucoup de moyens. La technologie a joué un grand rôle. Les enquêtes sont très difficiles et très complexes. Des arrêts, comme l’arrêt Stinchcombe, qui ont entraîné des obligations extrêmement lourdes en matière de divulgation. Dans ces poursuites criminelles, tout finit par tourner autour de la divulgation par rapport aux preuves de la commission de ces crimes.

Sur le plan de la législation, j’appuie la démarche du gouvernement. Je pense que nous avons encore beaucoup à faire pour obtenir des résultats.

J’ai aussi mentionné, dans mes observations, qu’il faut que des investissements accompagnent la création de moyens législatifs, tout en respectant un certain équilibre. Je crois aussi que, en même temps qu’on adopte de bonnes lois qui permettent à la police de faire respecter les lois canadiennes, il faut insister sur des méthodes de prévention contre les modes de vie voués à la commission de crimes graves et épouvantables. C’est donc une question d’équilibre.

À mon avis, en ma qualité d’agent de première ligne pendant 25 ans, le pendule est allé trop loin dans un sens. C’était presque l’anarchie complète partout au pays. Maintenant, on revient un peu vers un juste milieu, mais il ne faut pas s’arrêter là.

La sénatrice Batters: Monsieur Stamatakis, je vous remercie beaucoup de participer aux travaux de notre comité. Je suis heureuse de vous revoir.

D’abord, je tiens à ce que vous me confirmiez que, d’après votre expérience — qui est considérable — l’article du code actuellement en vigueur n’est pas utilisé. Est-ce exact?

M. Stamatakis: J’ignore s’il n’est pas utilisé. D’après moi, c’est un article très général et il est très difficile, pour un agent de police, de l’utiliser pour ensuite avancer des arguments ou apporter les éléments nécessaires de preuve de la commission d’une infraction; tandis qu’un projet de loi comme le C-394 précise énormément la définition de l’activité, ce qui facilite le montage du dossier pour prouver suffisamment la commission de l’infraction.

La sénatrice Batters: D’accord. L’un de vos collègues du Manitoba, M. George VanMackelbergh, a comparu devant nous hier et il a dit que, à sa connaissance, il ne souvenait que d’un petit nombre de chefs d’accusation en application de cet article, et cela se passe à Winnipeg, où le problème est énorme.

D’après ce que vous en savez, ne diriez-vous pas que, d’un point de vue pancanadien, l’évaluation est différente?

M. Stamatakis: Non. On invoque rarement cette disposition. Je ne m’exprime peut-être pas clairement.

Le problème, en ce qui concerne de nombreuses dispositions du Code criminel, pas uniquement celle-là, est que, parce qu’elles présentent des difficultés et que les agents de police ne peuvent pas tout faire, particulièrement à Winnipeg, où la criminalité est élevée, on s’y prendra de manière à mettre le plus de chances de son côté. Quand on essaie de rassembler les preuves à l’appui d’un chef d’accusation découlant d’un article du Code criminel qui est très général et dont il est très difficile de prouver que l’infraction commise correspond à cet article, la Couronne manifestera beaucoup de résistance. On n’engage pas les ressources dans cette stratégie. Comme mon collègue, je dis qu’on n’invoque pas souvent cette disposition d’un bout à l’autre du pays.

La sénatrice Batters: D’accord. C’est clair. Je tenais seulement à m’en assurer.

J’ai aussi remarqué que, plus tôt, le sénateur Joyal a parlé du problème de la cyberintimidation. J’espère que, à la lumière de ses observations d’aujourd’hui, nous pouvons espérer son appui quand notre gouvernement saisira notre comité du projet de loi en ce sens. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Rivest: Il est certain, en ce qui a trait au phénomène des gangs de rue, d’après les dispositions du Code criminel, que l'action traditionnelle des policiers est absolument nécessaire.

Il y a eu une expérience dans le nord de la ville de Montréal, dans le quartier Saint-Michel, où il y avait effectivement de très sérieux problèmes de gangs de rue et de recrutement de jeunes. Or, la mairesse de l’arrondissement, Mme Samson, avec l’aide des autorités policières, a transformé le travail traditionnel des policiers, le travail de répression et d'application de la loi, pour les inscrire dans une action plus communautaire et plus sociale. Vous-même vous avez parlé d'une action qui doit être plus équilibrée de la part des groupes de policiers et des groupes communautaires.

En tant que policier qui a travaillé sur le terrain sur ces questions, quelle est votre évaluation en général de l'action et de l'efficacité de l'action communautaire, et quelle est la proportion, si on peut s'exprimer ainsi, de l'efficacité, en termes de sécurité pour le public, entre les mesures répressives légales ou policières et les actions communautaires? Où se situe l'efficacité?

[Traduction]

M. Stamatakis: Vous parlez d’un type d’activité. Permettez-moi de préciser, tout de suite, que j’appuie totalement cette démarche. Je pense que l’équilibre est nécessaire. Il faut utiliser la carotte et le bâton. Je pense qu’on ne peut pas utiliser uniquement le bâton.

D’autre part, on ne peut pas seulement insister sur la prévention. Vous parlez de deux types d’activités: l’une se situe en amont, l’autre en aval. Dans ce dernier cas, on réagit à l’infraction commise, et nous avons l’obligation juridique, morale et éthique de réagir après un fait grave.

D’autre part, il est aussi important d’agir en amont, par l’intervention sociale, des interventions positives. Ce sont des activités d’une importance essentielle qui donnent des résultats sur le long terme. Je ne crois pas que vous verrez soit tout l’un, soit tout l’autre.

La police devra toujours faire appliquer la loi et adopter des mesures fortes de coercition, mais, dans le même temps, nous devons établir des rapports avec notre communauté dans un climat très différent, où il n’est pas question d’appliquer la loi et d’arrêter les gens. L’interaction est plus positive. Je pense qu’il faut une combinaison des deux. Je ne pense pas que les activités qui ont lieu en amont puissent donner de bons résultats si on ne s’assure pas de posséder les bons outils pour que, quand un acte criminel est commis, on applique aussi la loi rigoureusement.

Le président: Une question sur la façon par laquelle vous attrapez un recruteur. À quoi ressemble l’enquête? Le projet de loi modifie l’article 196 du Code criminel en ce qui concerne l’avis de mise sur écoute et il autorise désormais un juge à prolonger la période d’écoute d’une durée maximale de trois ans, s’il est convaincu que l’enquête vise des infractions énumérées dans le code et commises, directement ou non, par une organisation criminelle.

Je voudrais savoir: existe-t-il un modèle uniforme pour ce genre d’enquête, et quelle est l’importance de l’écoute électronique? Est-elle un élément important du dossier de la poursuite?

M. Stamatakis: Cela dépend du type d’organisation criminelle. Mieux l’écoute est organisée, plus elle emploie de moyens sophistiqués, plus elle prendra de place dans la technique d’enquête.

Nous utilisons beaucoup les médias sociaux, Facebook. C’est un moyen qu’utilise de plus en plus la police. Avec beaucoup d’autres.

Souvent, la recrue provoquera le déclenchement d’une enquête, parce qu’elle fera des divulgations sur son adoption du mode de vie du gang. Nous obtenons aussi beaucoup de renseignements de personnes impliquées qui changent de sentiment. Habituellement, la perte d’un ami ou d’un être cher les amène à réfléchir sur leur conduite.

Je ne pourrais pas dire que nous suivons toujours les mêmes modèles. Je pense que nos enquêteurs font preuve de beaucoup d’imagination. Ils profitent de tout ce qui passe. Maintenant, grâce à la technologie, nous disposons de beaucoup de sources nouvelles de preuves, auxquelles nous pouvons nous fier pour ces infractions criminelles.

Le sénateur Plett: Tom, vous avez dit, dans vos remarques, tout comme George, hier et d’autres aussi, qu’une des filières de recrutement sont les parents pour leurs propres enfants; les oncles, pour leurs neveux et nièces. Pouvez-vous en dire davantage et quantifier le problème par rapport au type d’ordinaire de recrutement, qui s’adresse à des étrangers? Dans quelles proportions le recrutement est-il familial?

M. Stamatakis: Je ne pourrais pas donner de chiffre précis, mais il est important. Je ne suis pas certain que je m’occuperais uniquement du recrutement familial, mais le phénomène est très répandu. Il est répandu dans les bandes de motards criminalisés et très répandu dans certains gangs ethniques, où ce n’est pas seulement comme une famille du crime organisé, mais c’est une famille qui fait partie d’un groupe du crime organisé, avec les cousins et les oncles, les femmes comme les hommes. C’est tout à fait répandu dans le gangstérisme, notamment dans les gangs organisés, c’est certain.

Le sénateur Baker: Seulement une petite question qui fait suite à une question de notre président sur l’article 196 du Code criminel et la mise sur écoute électronique. Dans une enquête sur un crime ordinaire, par exemple un meurtre ou le trafic de drogues, par exemple, vous ne pourriez pas obtenir l’autorisation de mettre quelqu’un sur écoute à moins d’avoir épuisé tous les autres moyens d’enquête. Le code l’exige. Soudain, pour cette infraction particulière, il n’est plus nécessaire d’appliquer d’autres méthodes suffisantes d’enquête. La mise sur écoute est presque automatiquement autorisée sous le régime de cet article du Code criminel.

Croyez-vous que c’est nécessaire pour les enquêtes sur les infractions dont nous discutons maintenant?

M. Stamatakis: Je pense que le nœud de cette infraction réside dans le sentiment d’urgence qui s’en dégage. Il convient de créer des dispositions qui autorisent l’acquisition rapide de ces moyens d’enquête à cause de l’urgence d’intervenir. Il faut entreprendre une enquête de six mois ou d’une année pour prouver la réalité du recrutement. Au bout de ce temps, l’enfant aura été recruté, il sera bien engagé dans une carrière de délinquance et, particulièrement en raison des activités de beaucoup de ces gangs, beaucoup de ces enfants se font tuer. Ils se font abattre; ils se font exécuter par des gangs rivaux, par leur propre gang, à différents moments. Je pense qu’il faudra toujours prouver au juge qu’il fait bien d’autoriser l’écoute, et, tant que cette mesure est en place, je pense qu’elle est absolument appropriée.

Le président: Merci, monsieur Stamatakis. Nous sommes toujours très reconnaissants de votre contribution à nos délibérations.

Chers sénateurs, nous allons faire une brève pause avant d’entendre nos prochains témoins.

Notre deuxième groupe de témoins est composé de représentants de la GRC. Nous accueillons tout d’abord Guy Pilon, surintendant principal, Service canadien de renseignements criminels; et Ken Lamontagne, directeur, Analyse des renseignements stratégiques, Service canadien de renseignements criminels.

Monsieur le surintendant principal, je crois que vous avez une déclaration. Vous pouvez commencer.

Guy Pilon, surintendant principal, Service canadien de renseignements criminels, Gendarmerie royale du Canada: Bonjour, monsieur le président. Je vous remercie de me donner l’occasion de faire avec vous le survol du Service canadien de renseignements criminels et du rôle qu’il joue au sein de la collectivité canadienne d’application de la loi. J’en profiterai pour vous brosser un tableau global du crime organisé au Canada, en espérant qu’il vous sera utile dans le cadre de vos discussions.

Bien que vous me voyiez dans l’uniforme de la GRC, je tiens à préciser qu’à titre de directeur général, je représente l’ensemble des organismes chargés de l’application de la loi et pas seulement la GRC.

J’aimerais commencer par vous expliquer la structure du SCRC et son rôle en appui aux efforts des forces de l’ordre pour enrayer le crime organisé. Le SCRC a été créé en 1970 aux Services nationaux de police afin d’améliorer la mise en commun des renseignements criminels et leur distribution aux services de police du Canada. Aujourd’hui, ce sont près de 400 organismes d’application de la loi de partout au Canada qui s’y retrouvent. Le SCRC est chargé de produire des renseignements criminels et de les échanger avec ses membres. Sa structure compte un bureau central, ici à Ottawa, et un bureau provincial dans chacune des dix provinces.

Bien que la GRC assure l’intendance du SCRC, celui-ci est régi par un Comité exécutif national regroupant des hauts gradés d’organismes d’application de la loi municipaux, provinciaux et fédéraux.

L’échange de renseignements est essentiel au succès de la lutte contre le crime organisé qui, par sa nature, je ne vous l’apprends pas, ne se laisse pas arrêter par les frontières des territoires de compétence. Le SCRC assure le partage des renseignements à l’aide de deux instruments principaux: l’Évaluation nationale de la menace posée par le crime organisé et les crimes graves au Canada, qui fournit à la collectivité de l’application de la loi l’analyse des réseaux des groupes du crime organisé actifs au Canada, et la Prévision nationale du renseignement criminel, qui montre clairement comment les groupes du crime organisé fonctionnent dans chacun des marchés criminels du Canada, ainsi que les facteurs habilitants qui leur permettent de réussir.

L’information qui sert à produire ces évaluations provient de nos bureaux provinciaux et nous parvient par le processus d’évaluations intégrées de la menace. Depuis 2012, tous nos bureaux y contribuent, ce qui nous permet de produire une analyse exacte et complète de l’évolution des marchés criminels actuels et futurs.

De même, en partenariat avec nos bureaux en 2013, nous avons créé de nouveaux critères d’évaluation de la menace et de nouvelles règles administratives auxquels tous nos bureaux adhèrent. Cela améliore la collecte de renseignements nécessaires à la planification et à l’évaluation des menaces que pose le crime organisé au Canada, uniformise dans l’ensemble du pays la stratégie d’évaluation du crime organisé et facilite la comparaison d’une province à l’autre.

Nous utilisons huit critères d’évaluation de la menace — violence, corruption, portée, liens avec le crime organisé, implication dans le secteur privé, cohésion, complexité et activité criminelle — pour classer les groupes du crime organisé. La pondération de chaque critère varie pour classer les groupes afin de répondre aux besoins des clients et de tenir compte des disparités locales, provinciales et nationales.

En 2011, le Comité exécutif national du SCRC a adopté la Stratégie canadienne d’application de la loi pour lutter contre le crime organisé, qui concrétise le partenariat entre la fonction du renseignement et les opérations dans l’ensemble des territoires de compétence. En soutien à la stratégie, l’Évaluation nationale de la menace posée par le crime organisé et les crimes graves au Canada est utilisée par les services de police canadiens afin de prioriser les enquêtes et les opérations visant le crime organisé, ce qui se traduit en bénéfices opérationnels et financiers, et veille à ce que nos efforts soient dirigés vers les plus grandes priorités et que cette approche soit uniforme et comprise par l’ensemble de la communauté policière canadienne.

Dans le cadre de cette stratégie, les efforts concertés ont donné lieu à une intervention efficace et préventive contre le crime organisé et les menaces à la sécurité publique au Canada. Dans les faits, cette stratégie a permis de mettre en œuvre les évaluations de la menace à l’échelle provinciale et nationale, les rendant essentielles à la prise de décisions opérationnelles et à la hiérarchisation des interventions.

Bref, ces produits améliorent l’intégration de l’information et des renseignements qui permettent de mieux comprendre et de mieux cibler le crime organisé et de prendre des décisions plus éclairées.

J’aimerais maintenant vous parler de quelques tendances notables liées au crime organisé au Canada. Je dois dire d’emblée qu’il y a eu certains écarts dans notre façon de calculer le nombre de groupes du crime organisé. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la police au Canada a élargi son approche à l’égard du crime organisé pour inclure non seulement les groupes tissés serrés, mais aussi les réseaux criminels intégrés moins structurés et multiethniques.

En 2013, on a signalé 672 groupes du crime organisé. De ce nombre, 14 ont été évalués de niveau élevé, surtout dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, dans le Grand Toronto et à Montréal. Ces groupes gravitent vraisemblablement autour des grands centres pour avoir un accès facile aux marchés, aux ports et aux autres réseaux criminels. Trente pour cent de ces groupes s’adonnent à plusieurs crimes et fonctionnent de plus en plus en mode réseau.

Les Hells Angels canadiens continuent d’être le réseau criminel le plus puissant et interconnecté au pays. Ses 36 chapitres sont liés à des centaines de groupes du crime organisé et à plusieurs centaines d’entreprises. Globalement, les groupes canadiens du crime organisé sont associés à 917 entreprises privées concentrées dans les secteurs de l’alimentation, du transport, de la construction et des finances. Des groupes du crime organisé établis au Canada continuent d’importer des drogues des États-Unis, du Mexique, de la Chine, de l’Inde et de plusieurs pays d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est et en exportent surtout aux États-Unis, en Australie et au Japon. Plusieurs groupes internationaux du crime organisé ont des liens de collaboration avec des groupes canadiens du crime organisé. En particulier, les cartels mexicains auraient des liens avec plusieurs groupes qui présentent une menace élevée pour les besoins du trafic de cocaïne.

Bien que le SCRC ne s’attarde pas de trop près au recrutement des jeunes, nous avons cependant noté certaines tendances. La violence de gangs demeure une réalité du crime organisé dans la vallée du bas Fraser, les Prairies, le Grand Toronto ainsi qu’à Montréal et une priorité des responsables de la sécurité publique. Ces régions offrent aux gangs de grands bassins de jeunes hommes, et de jeunes femmes aussi, où puiser pour gonfler leurs rangs. Les gangs autochtones semblent être plus violents que les autres, recourant plus souvent aux fusillades et aux actes violents. Leurs membres semblent aussi plus jeunes que les autres gangs, et il est plus fréquent d’y retrouver des mineurs.

Le crime organisé est devenu une menace mondiale à laquelle tous les pays font face. Le monde étant plus interconnecté que jamais, le crime organisé canadien continue de poser une menace à la qualité de vie au Canada et de s’étendre à l’échelle mondiale. Pour s’y adapter, les organismes d’application de la loi et les services gouvernementaux ont élaboré des stratégies davantage collaboratives pour traiter avec ces individus et ces groupes. Le SCRC demeurera une force unificatrice en ce sens.

Je vous remercie encore et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président: Nous allons commencer par le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker: Je vous remercie de votre témoignage devant le comité.

Le sénateur Dagenais fait partie du comité. Il a travaillé pendant de nombreuses années comme policier au Québec. Il connaît donc très bien les documents sources à la disposition des policiers lorsqu’ils enquêtent sur des crimes.

Nous connaissons le Centre d’information de la police canadienne et nous savons qu’il existe d’autres sources vers lesquelles les policiers peuvent se tourner pour obtenir de l’information sous serment concernant une infraction en vertu du projet de loi. Lorsque les policiers font une dénonciation sous serment, je constate qu’ils vérifient auprès du CIPC et d’autres sources provinciales afin d’ajouter de l’information à certains paragraphes et ainsi appuyer leur affidavit.

Je sais que ce n’est pas le CPIC, mais comment votre service s’appelle-t-il?

M. Pilon: Notre service a une base de données nationale sur le crime organisé. Il s’agit de la seule base de données nationale accessible à tous les organismes d’application de la loi au Canada. On l’appelle l’ASIS, et de nombreux organismes d’application de la loi à l’échelle du pays l’utilisent de manière efficace pour répondre aux besoins liés aux enquêtes.

Le sénateur Baker: J’ai vu cet acronyme à de nombreuses reprises, et cette base de données semble fonctionner plutôt bien.

En ce qui concerne la mesure législative, y a-t-il des choses que vous changeriez pour qu’elle vous soit plus utile? Vous n’en avez pas parlé précisément. Je suppose que le sénateur Plett va vous demander si vous appuyez le projet de loi, alors je vais vous le demander en premier. D’une part, êtes-vous en faveur du projet de loi et, d’autre part, y a-t-il d’autres mesures que nous devrions prendre pour lutter contre le crime organisé?

M. Pilon: Je considère que ce n’est pas à moi d’appuyer ou non le projet de loi. Je trouve que les choses vont très bien depuis la mise en place de la stratégie nationale. Je pense que nous avons les structures nécessaires à la mobilisation des services policiers, et cela nous suffit pour continuer à lutter contre le crime organisé.

Le sénateur Baker: Merci.

Le sénateur Plett: Permettez-moi de vous poser la question différemment: Estimez-vous qu’il s’agit d’une bonne mesure législative?

M. Pilon: Bien que je ne me prononcerai pas directement sur le projet de loi, je peux vous dire que tous les outils que le gouvernement peut nous fournir pour nous aider à lutter contre le crime organisé et réduire le nombre de recrues du crime organisé seront bien accueillis par les services de police.

Le sénateur Plett: Merci, je l’apprécie.

Dans votre déclaration, vous avez indiqué qu’il y avait 672 groupes du crime organisé. Je vais donc vous poser quelques questions à ce sujet. Je sais que le président va m’interrompre à un moment donné, alors je vais vous poser toutes mes questions tout de suite, après quoi vous pourrez y répondre.

Sur les 672 groupes du crime organisé, combien sont-ils considérés comme des gangs? De toute évidence, la mafia ne fait pas partie de cette catégorie. Combien sont considérés comme des gangs? Vous avez parlé des groupes autochtones et ethniques, alors pourriez-vous nous dire combien d’entre eux sont d’origine étrangère? Selon vous, est-ce que les Hells Angels recrutent des jeunes? D’après ce que j’ai lu à leur sujet, il n’est pas facile d’y adhérer. Recrutent-ils de nouveaux membres?

M. Pilon: Je vais commencer par la dernière partie de votre question. Manifestement, les Hells Angels, comme tout autre groupe du crime organisé, doivent recruter constamment des nouveaux membres pour diverses raisons, que ce soit parce que certains sont incarcérés ou que d’autres se mettent à l’abri des poursuites.

Le sénateur Plett: Est-ce qu’ils recrutent des enfants?

M. Pilon: Je n’ai pas cette information, mais je sais que les Hells Angels ont des règles précises concernant leur recrutement. Pour devenir membre, vous devez être âgé de plus de 21 ans. Cela éliminerait forcément le recrutement chez les jeunes. Comme vous le savez, de nombreux clubs fantoches appuient les groupes du crime organisé; par conséquent, il n’est pas impossible qu’on y recrute des membres.

Quelle était la première partie de votre question?

Le sénateur Plett: Parmi les 672 groupes, combien sont des gangs et combien d’entre eux sont des gangs d’origine ethnique?

M. Pilon: Pour ce qui est des gangs et de leur définition, pour diverses raisons, le SCRC a choisi de ne pas donner cette définition aux « groupes du crime organisé ». Il est compliqué de distinguer les groupes du crime organisé des gangs. Étant donné que cela pourrait poser problème avec les mesures législatives déjà en place, nous avons décidé de ne pas les définir de la sorte. Ils appartiennent donc à la catégorie du « crime organisé ».

Le sénateur Plett: Et qu’en est-il des groupes ethniques?

M. Pilon: Nous ne précisons pas les origines ethniques.

Le sénateur Plett: Mais vous l’avez pourtant fait avec les Autochtones.

M. Pilon: Oui, mais nous n’avons pas de statistiques précises à ce sujet. Nous voulions simplement décrire la situation des jeunes. Nous n’avons pas de statistiques à l’appui. Ces données sont tirées de rapports produits par nos services de police. C’est un problème assez répandu au Manitoba en particulier, où de nombreux jeunes Autochtones ont des démêlés avec la police.

 

[Français]

Le sénateur Dagenais: Merci à nos deux témoins. Monsieur Pilon, dans votre présentation, vous mentionnez souvent que vos renseignements sont tirés de travaux comme, entre autres, l'évolution nationale de la menace posée par le crime organisé. Vous mentionnez aussi les prévisions nationales du renseignement criminel, et vous mentionnez les critères d'évaluation de la menace.

Est-ce que vous avez évalué le nombre de mineurs qui ont été recrutés par des organisations criminelles? Si vous avez entendu la question que j’ai posée au témoin précédent, je mentionnais que, souvent, on va recruter des mineurs parce qu’ils reçoivent des peines moins sévères, et cela encourage les organisations criminelles à leur faire commettre des crimes violents. Avez-vous évalué le nombre de personnes mineures qui auraient pu être recrutées?

M. Pilon: Nous n'avons pas ces statistiques. À la suite de la révision d'une approche différente face à la criminalité, nous avons établi huit critères d’évaluation que j'ai mentionnés lors de ma présentation initiale. Certains d'entre eux tiennent compte des jeunes. Si on prend le critère de la violence, entre autres, effectivement, il peut contenir des aspects qui viseront les jeunes. Si on prend la cohésion du groupe, cela considère les liens tels les liens familiaux, les liens avec différents groupes à l'intérieur de l'organisation. Alors, on le fait, possiblement, à ce niveau. Cependant, de façon plus spécifique pour les jeunes, nous n'avons pas fait cette distinction. Compte tenu du fait que nous évaluons présentement les groupes qui posent la plus grande menace au Canada à un niveau élevé, il est évident qu'il y a beaucoup moins de préoccupations face aux jeunes à ces niveaux de criminalité. Si on considère les jeunes, je crois qu'on regarde plutôt les groupes qui travailleraient en soutien à la criminalité de façon plus importante que ces groupes.

Le sénateur Dagenais: Merci, monsieur Pilon.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre: Je vous remercie, messieurs, de votre exposé.

Comme le sénateur Plett l’a dit ce matin, les peines minimales obligatoires existent depuis longtemps au Canada. Par exemple, le projet de loi C-2 prévoit des peines d’emprisonnement obligatoires pour les crimes graves commis avec une arme à feu et liés au crime organisé, tout comme le projet de loi C-14, adopté en 2009, dans le cas des fusillades au volant. Le projet de loi C-10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, prévoit aussi des peines minimales obligatoires lorsqu’une infraction a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle.

Le projet de loi prévoit une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans et une peine minimale obligatoire de six mois. Ce n’est pas tout le monde qui est en faveur des peines minimales obligatoires au pays.

Cependant, en sachant que nous avons affaire ici à quelque chose de sérieux, le crime organisé, seriez-vous d’accord avec moi pour dire que ce type d’infraction est punissable d’une peine minimale obligatoire?

M. Pilon: Encore une fois, je ne vais pas me prononcer sur le projet de loi, mais je conviens que les crimes qui peuvent impliquer nos jeunes sont préoccupants et que nous devrions nous assurer d’avoir toutes les mesures en place pour faire face à cette situation.

Le sénateur McIntyre: Si j’ai bien compris, le conseil municipal de Toronto a approuvé ce projet de loi.

M. Pilon: Je l’ignore.

Le sénateur McIntyre: Monsieur Lamontagne, avez-vous quelque chose à ajouter?

Ken Lamontagne, directeur, Analyse des renseignements stratégiques, Service canadien de renseignements criminels, Gendarmerie Royale du Canada: Mes commentaires ressembleraient à ceux de mon collègue.

[Français]

Le sénateur Rivest: Il y a un passage de votre texte — et je le dis avec respect — qui m'a un peu agacé. Je n'aime pas beaucoup entendre qu'on personnalise les cas, par exemple, lorsque vous dites que les gangs autochtones sembleraient être plus violents que les autres, et recourent souvent aux fusillades ou aux actes violents. Je suis convaincu que les services policiers combattent le crime organisé de la même manière pour tous les groupes, que ce soient les Autochtones, les Blancs, les Noirs, qui que ce soit. Je trouve un peu imprudent, ou certainement inapproprié, cette catégorisation à l'égard des Autochtones.

M. Pilon: J’apprécie votre commentaire, et je vous en remercie. Effectivement, c'est toujours délicat. On essayait de mettre en lumière une problématique spécifique à cette province, sachant que le comité cherchait des renseignements sur la participation de jeunes à des activités criminelles.

[Traduction]

La sénatrice Frum: Vous et notre témoin précédent avez tous deux dit qu’on retrouvait de plus en plus de femmes dans le milieu du crime organisé. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet et nous expliquer pourquoi nous assistons à une augmentation du nombre de recrues féminines? Les techniques de recrutement sont-elles les mêmes? Quel est le groupe d’âge des recrues?

M. Pilon: Nous n’avons pas de données précises ou de statistiques quant au nombre de femmes s’adonnant à des activités criminelles, mais dans le cadre de mon travail, je siège à des comités opérationnels. Nous avons également 10 bureaux différents avec qui nous discutons des questions liées à la criminalité, et c’est un problème que nous avons observé.

Le type d’activités criminelles peut varier. Les crimes financiers sont à la hausse. L’augmentation du nombre de femmes dans le milieu du crime organisé est peut-être attribuable au fait que la société d’aujourd’hui est plus ouverte. Comme dans toute autre profession, les femmes y sont mieux représentées.

Dans les groupes du crime organisé traditionnel, nous avons déjà vu des femmes assumer des rôles de leadership lorsque leur mari était détenu. Cela ne se serait pas vu par le passé. Par conséquent, je crois que ce n’est rien de plus que la réalité d’aujourd’hui.

Le sénateur McInnis: Je vous remercie de vous être déplacés aujourd’hui.

Nous savons tous qu’il y a des groupes organisés dont l’objectif principal est de commettre des activités criminelles. Je dois dire que j’ai été assez étonné d’apprendre le nombre de groupes qui œuvraient au pays. Évidemment, comme on nous l’a dit toute la journée, ce sont des groupes très sophistiqués et bien informés.

Lorsqu’il s’agit de les traduire en justice, vous devez recueillir suffisamment de preuves pour obtenir une condamnation et, par conséquent, les organismes d’application de la loi doivent utiliser tous les outils qui se trouvent à leur disposition. Évidemment, on entend toujours parler de la Charte et du droit à la vie privée qu’on doit respecter.

Pourriez-vous nous dire si des outils tels que la surveillance électronique, la divulgation des déclarations de revenus, la protection des témoins et les échantillons d’ADN sont utiles dans le cadre de vos poursuites?

M. Pilon: Ce que je peux dire, c’est qu’il est de plus en plus difficile d’amener les criminels devant les tribunaux. Bien entendu, tous les outils nous permettant de faire avancer un dossier sont utiles. Dans le cas des groupes criminels organisés les plus dangereux qui font l’objet de nos enquêtes, nous avons absolument besoin d’outils sophistiqués pour nous assurer d’obtenir l’information et les éléments de preuve requis.

De plus, il est souvent très difficile d’atteindre ces groupes lors de nos enquêtes. Nous avons absolument besoin de ces types d’outils si nous voulons être en mesure d’obtenir les preuves nécessaires.

Le sénateur McInnis: Le SCRC est un groupe indépendant à bien des égards. Il doit parfois vous arriver de dire: « J’aimerais que cette mesure législative ou cette loi soit en place. » Faites-vous du lobbying de temps à autre?

M. Pilon: Non. Et nous ne sommes pas aussi indépendants que vous le dites. Bien que je représente de façon indépendante le reste de la collectivité, nous sommes assez intégrés au sein des organismes d’application de la loi. Nous travaillons de plus en plus avec différents comités d’établissement des priorités au sein des services de police chargés des enquêtes.

Nous siégeons à de nombreux comités nationaux où nous collaborons avec des responsables de l’application de la loi. Je ne nous perçois pas comme étant isolés.

De mon point de vue, ma responsabilité concerne la production et l’échange de renseignements criminels. Je crois que nous avons les structures en place nous permettant de faire ce travail de façon efficace. Je n’éprouve pas le besoin de faire du lobbying.

Le sénateur McInnis: Vraiment?

Le président: J’aimerais revenir à la question que j’ai posée à M. Stamatakis au sujet des techniques d’enquête. J’ai parlé de l’écoute électronique, et il m’a dit que les médias sociaux étaient devenus un outil d’enquête important pour traquer les criminels qui recrutent des nouveaux membres. Lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Plett à propos de l’ethnicité, vous avez indiqué que vous ne définissiez pas ces groupes en fonction de leur origine ethnique. Mis à part le fait que vous ne les définissez pas ainsi, j’aimerais savoir les difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans le cadre de vos enquêtes. Vous devez quand même composer avec ces organisations. Je sais qu’à Toronto, par exemple, il y a eu des fusillades entre des gangs dans le quartier chinois, et nous savons que ce sont souvent les gangs vietnamiens qui s’adonnent au trafic de marijuana.

Je sais que vous ne compilez pas de statistiques, mais j’aimerais savoir quelles sont vos techniques d’enquête lorsque vous ciblez différents groupes ethniques. Si les membres du groupe sont issus d’une communauté ethnique et qu’ils parlent une autre langue, comment vous y prenez-vous?

M. Pilon: C’est un peu en dehors de mon domaine de compétence, mais je siège à des comités opérationnels et je suis au courant des difficultés qui se posent. Nous observons aujourd’hui un partenariat entre de nombreuses organisations criminelles. Par conséquent, lorsque nous enquêtons sur ces types de crimes ou ces groupes criminels organisés, nous avons affaire à toutes sortes d’ethnies.

Nous avons besoin de tous les outils et, de toute évidence, nous devons trouver une personne qui parle la langue, des interprètes ainsi que divers outils d’enquête, y compris des agents d’infiltration qui doivent avoir la même origine ethnique pour pouvoir infiltrer ces groupes. Ce sont des difficultés constantes, mais que nous réussissons toujours à surmonter en mettant en commun toutes nos ressources à l’échelle nationale. Je n’ai jamais vu d’enquête où nous n’avons pas pu trouver le bon agent d’infiltration ou les bons interprètes pour mener à bien la tâche.

Le président: Vous dites que vous ne compilez pas de statistiques et, à cet égard, je sais que la situation a toujours été problématique à Toronto. Je me demande donc si la tenue de statistiques ne faciliterait pas l’élaboration de politiques sur la façon de surmonter vos difficultés, en dépit de vos capacités restreintes. Ce serait peut-être une bonne chose que le gouvernement et d’autres puissent connaître les faits plutôt que de se faire dire que vous gérez bien la situation, étant donné que cela pourrait avoir une incidence sur les politiques.

M. Pilon: Absolument, c’est quelque chose dont il faudrait tenir compte. Pour l’instant, nous nous fondons sur huit critères. L’avantage d’utiliser ces huit critères, c’est que nous pouvons les appliquer différemment selon les situations. Selon l’importance que nous accordons aux différents critères — nous avons une pondération nationale évidemment —, les groupes criminels organisés les plus dangereux seront généralement portés au plus haut niveau, étant donné que nous voulons cibler ces groupes à l’échelle nationale. Cependant, au niveau municipal et provincial, le même outil peut être utilisé en intégrant différents critères. Les divers organismes d’application de la loi pourront ainsi modifier l’outil en fonction de leurs besoins, notamment s’ils jugent nécessaires de se pencher sur une question en particulier.

Le président: Il nous reste du temps pour d’autres questions.

Le sénateur Baker: J’aimerais revenir rapidement sur quelques faits saillants.

Tout comme le sénateur McInnis, je trouve ces chiffres renversants, et nous vous remercions de nous les avoir fournis. Vous dites qu’on a identifié 672 groupes du crime organisé au Canada. Vous avez également mentionné que les groupes canadiens du crime organisé sont associés à 947 entreprises privées. Est-ce que je tire la bonne conclusion ici? On compte 672 organisations au Canada. Cela signifie qu’il y aurait plus de 60 organisations et 100 entreprises liées au crime organisé dans chaque province du Canada.

Est-ce que j’interprète bien ce que vous nous avez dit?

M. Pilon: Oui, monsieur le sénateur. Ce que vous dites est vrai, mais permettez-moi d’apporter quelques précisions. Sachez que le nombre de 672 a été plutôt stable ces dernières années.

Le sénateur Baker: C’est la première fois que je l’entends.

M. Pilon: On l’a pourtant déjà signalé. Il varie d’une année à l’autre, évidemment, selon les différents groupes arrêtés et les nouveaux qui s’établissent. Il faut également tenir compte de la définition du Code criminel. On parle ici d’un groupe d’au moins trois personnes formé en vue de commettre des infractions criminelles…

Le sénateur Baker: … qui pourraient lui procurer un avantage matériel, notamment financier. C’est ce qui complète la définition d’une organisation criminelle. Vous dites donc qu’il y a 672 de ces organisations aujourd’hui au Canada.

M. Pilon: C’est exact, monsieur le sénateur. C’est la première partie de votre question. Vous avez ensuite parlé des diverses entreprises associées au crime organisé. Je vais peut-être laisser M. Lamontagne vous expliquer cet aspect, étant donné qu’il a fait partie de l’étude sur cette question.

Le sénateur Baker: Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion?

M. Lamontagne: Dans le cadre de notre processus de collecte de données. La façon dont cela fonctionne, c’est que nous disposons d’un processus commun de collecte de données au sein des diverses provinces et nous recueillons le même type d’information. Parmi les huit critères dont nous avons parlé tout à l’heure figurent les liens avec les entreprises. Nous essayons donc de déterminer les entreprises qui sont exploitées ou utilisées à mauvais escient par les groupes du crime organisé. Depuis 2013, nous avons identifié 917 de ces entreprises; c’est donc en gros comment nous en sommes arrivés à cette conclusion.

Le sénateur Baker: À partir de l’ordinateur de leurs véhicules ou de leurs bureaux, les policiers peuvent consulter le nom des entreprises et les conclusions de vos analyses — selon lesquelles une telle entreprise est liée à une organisation criminelle —, et on sait qu’il y en a 672, ce qui signifie que les policiers ont accès à toute cette information.

M. Pilon: En principe, c’est exact, mais en réalité, ce n’est pas un système qui vous fournit des résultats comme le CIPC, qui serait plus précis. C’est plutôt un système qui renferme des résumés d’enquête; cela nécessite donc un peu plus d’analyse. N’empêche que le nom de ces entreprises s’y trouve.

Ce que je voulais également préciser au sujet des entreprises, c’est qu’il ne faut pas oublier que les Hells Angels, par exemple, possèdent des bars dans la province et que ce sont des entreprises. Par conséquent, nous n’établissons pas de liens nécessairement avec des entreprises en dehors du crime organisé. Cela peut arriver. Des gens pourraient travailler au sein d’un différent type d’entreprise et, si nous estimons que les liens sont importants, nous le signalons.

Le sénateur Baker: Ma dernière question est la suivante: avez-vous conclu une entente avec l’Agence du revenu du Canada pour accéder aux dossiers concernant les activités des entreprises, de façon à pouvoir déterminer si elles s’adonnent à des activités criminelles ou non?

M. Pilon: À l’heure actuelle, nous n’avons pas accès à ces données, pour diverses raisons.

Le sénateur Baker: Comment obtenez-vous vos preuves?

M. Pilon: Nous ne les obtenons pas.

Le sénateur Baker: Parce que vous ne faites que recueillir l’information, c’est exact?

Le sénateur Plett: J’ai une question.

Dans votre déclaration, vous avez indiqué que la violence de gangs demeure une réalité du crime organisé dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, dans les Prairies, dans le Grand Toronto et à Montréal.

Dois-je comprendre que nous n’avons pas de problèmes graves ailleurs au pays? Cela représente une petite partie du pays, même si je sais que le Manitoba connaît une situation difficile. Qu’en est-il de la ville de Québec, du Canada atlantique et du reste de l’Ontario?

M. Pilon: Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison. Malheureusement, le problème est beaucoup plus vaste que ça. Je voulais simplement indiquer que dans ces villes précises, l’ampleur du problème est énorme. Les 14 groupes que nous avons définis comme étant les principales organisations criminelles au pays sont surtout concentrés dans ces villes, et vous savez probablement pourquoi il en est ainsi. J’ai toute une liste ici que je pourrais parcourir, mais vous savez sans doute que ce problème touche l’ensemble du pays. Les Hells Angels sont présents partout au pays. Ils sont de plus en plus nombreux chaque année, tout comme leurs clubs. C’est un problème que nous continuons de cibler à l’échelle nationale et nous recueillons des renseignements pour permettre aux organismes d’application de la loi de mettre un terme à leurs activités.

Le sénateur Plett: Les Hells Angels sont considérés comme une organisation criminelle, n’est-ce pas?

M. Pilon: Ils ont été désignés ainsi dans certains cas au pays. Toutefois, je sais qu’au Manitoba, il y a une loi qui les définit en tant que tels.

Le président: Merci, messieurs. Nous sommes très heureux que vous ayez pu vous libérer de votre horaire chargé pour vous joindre à nous aujourd’hui et nous aider dans le cadre de notre étude de ce projet de loi.

Nous allons maintenant entendre notre dernier groupe de témoins pour aujourd’hui sur le projet de loi C-394. Nous accueillons Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique des Services juridiques autochtones de Toronto, ainsi que Michael Spratt, représentant de la Criminal Lawyers’ Association.

Si je ne me trompe pas, vous avez tous deux des déclarations.

Michael Spratt, représentant, Criminal Lawyers’ Association: Je tiens tout d’abord à remercier le comité de nous avoir invités aujourd’hui. Je m’appelle Michael Spratt et je représente la Criminal Lawyers’ Association, qui est un organisme à but non lucratif fondé en 1971. La CLA regroupe plus de 1 000 avocats de la défense de partout au pays, dont bon nombre pratiquent en Ontario.

Je vais tâcher d’être bref dans mes observations, mais sachez que la CLA est régulièrement invitée par divers comités parlementaires, comme le vôtre, à présenter son point de vue sur les projets de loi touchant le droit pénal et le droit constitutionnel. La CLA appuie les projets de loi qui sont nécessaires, de portée modeste, équitables, constitutionnels et qui sont étayés par des éléments de preuve.

L’étude détaillée des projets de loi, en particulier les lois qui modifient le Code criminel, et leur évaluation par le Sénat sont des mesures extrêmement utiles et nous sommes toujours très heureux de comparaître pour présenter notre opinion. Nous vous en remercions.

Cela dit, la Criminal Lawyers Association a certaines réserves au sujet du présent projet de loi, des réserves qui, à notre avis, méritent d’être examinées sérieusement. J’aimerais aborder brièvement trois différents aspects.

Premièrement, la nécessité du projet de loi; deuxièmement, les questions juridiques relatives au libellé, et troisièmement, ce qui ne devrait pas vous étonner, le recours aux peines minimales obligatoires.

Pour ce qui est de la nécessité, en termes simples, le projet de loi C-394 n’est pas nécessaire. L’infraction visée dans cette mesure législative est déjà visée dans d’autres articles du Code criminel, plus précisément à l’article 467.11. Le fait de recruter une personne au sein d’une organisation criminelle constitue déjà une infraction en vertu du Code criminel.

Le projet de loi C-394 complexifie inutilement le Code criminel. Comme je vais vous l’expliquer, il peut donner lieu à d’autres questions d’ordre juridique qui mériteraient d’être examinées.

Nous constatons cette situation partout au pays. Le recrutement est un élément caractéristique que l’on trouve dans la plupart des cas qui traitent de l’article 467.11. Si vous regardez la jurisprudence, vous verrez que le recrutement est un élément dont on tient compte lorsqu’il s’agit de condamner et de déterminer la peine d’une personne reconnue coupable d’avoir fait partie d’une organisation criminelle. Cette mesure s’attaque donc à un problème qui n’existe pas et, par conséquent, soulève certaines nuances ou questions juridiques.

La première question sur laquelle le comité s’est penché, c’est la nécessité d’apporter une modification corrélative au Code criminel. L’alinéa 196.1(5)a) du Code criminel devrait être modifié. Il y a d’autres dispositions du Code qui sont modifiées par l’entremise de ce projet de loi, et je crois que cet article a peut-être été oublié. N’empêche, il faudrait le modifier. Au bout du compte, il pourrait être encore plus difficile de prouver cette infraction qu’il ne l’est déjà.

Vous constaterez qu’au paragraphe 467.11(2), il y a une liste de faits que le poursuivant n’a pas à établir dans une poursuite pour l’infraction prévue à cet article. À mon avis, ce paragraphe englobe le recrutement. Le présent projet de loi ne fait aucunement mention de ces faits, et ce sont les tribunaux qui, au bout du compte, détermineront s’il est nécessaire ou non de les établir. Comme nous le savons tous, le Parlement ne légifère pas en vain, et un manque d’uniformité pourrait être problématique.

Pour ce qui est des peines minimales obligatoires, je ne répéterai pas la position de la CLA en détail. Nous avons fait valoir notre point de vue à ce sujet à de maintes reprises devant le comité.

Peu de preuves, voire aucune, indiquent que les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif sur la criminalité. Il existe peu ou pas de preuves que les peines minimales obligatoires permettent de dissuader les criminels ou de protéger le public. Nous savons que les peines minimales obligatoires limitent le pouvoir discrétionnaire des juges, ce qui est une question dont la Cour suprême du Canada a été saisie récemment et dont elle a confirmé l’importance.

Il a été question de la tenue des consultations à l’égard de ce projet de loi. Malheureusement, il semble qu’aucune consultation n’ait été menée relativement à la question des peines minimales obligatoires. En fait, lorsqu’on a demandé au parrain du projet de loi si une étude pouvait être évoquée ou si une expérience, que ce soit ici ou ailleurs, pouvait appuyer le recours aux peines minimales obligatoires, il a répondu qu’il n’avait aucune étude à l’appui de cette mesure.

C’est important. Il devrait y avoir des études et des preuves qui étayent les changements apportés au Code criminel. Il s’agit d’un problème assez grave dans ce projet de loi. En effet, la peine minimale obligatoire peut potentiellement entraîner, de façon disproportionnée, des répercussions sur les jeunes délinquants âgés de plus de 18 ans. Étant donné les nombreuses possibilités de combinaisons d’une organisation criminelle, c’est-à-dire trois personnes ou plus qui travaillent ensemble pour commettre un crime, il existe des situations hypothétiques qui remettraient en question le caractère constitutionnel et l’utilité des peines minimales obligatoires. Je vais vous donner un bref exemple avant de laisser la parole à quelqu’un d’autre.

Les organisations criminelles ne sont pas seulement des groupes comme les Hells Angels; elles ne sont pas des gangs comme nous nous les imaginons parfois. Ce n’est pas nécessairement comme dans la série « The Sopranos ». Imaginez trois personnes âgées de 18 ans, c’est-à-dire des adultes qui terminent leur dernière année d’école secondaire. Elles font le trafic et la distribution de logiciels piratés et commettent des vols. Par définition, ces trois personnes peuvent former une organisation criminelle. Supposons qu’elles recrutent un de leurs amis âgés de 17 ans, un camarade de classe, pour créer un site Web pour leurs activités. Ces personnes ont maintenant commis une infraction qui serait visée par la peine minimale obligatoire prévue dans ce projet de loi. Un juge n’aurait aucun pouvoir discrétionnaire sur la façon de traiter ces délinquants, qui en sont peut-être à leur première infraction, qui ont autrement un comportement social approprié, qui n’ont aucun antécédent criminel et qui ont commis une infraction mineure comparativement à l’ensemble des infractions. Il s’agit d’une situation hypothétique possible, car elle peut se produire, et elle démontre le potentiel d’une lacune sur le plan constitutionnel causée par ces peines minimales obligatoires.

Encore une fois, sans étude sur l’utilité, les coûts et la portée de la mise en œuvre, nous sommes d’avis qu’il serait peu judicieux d’imposer des peines minimales obligatoires dans ce cas.

Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique, Services juridiques autochtones de Toronto:

[Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]

Je suis Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique…

[Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]

… qui signifie « Tous ceux qui cherchent la vérité. » J’ai seulement remis mon mémoire — et je m’en excuse — à la greffière aujourd’hui. On nous a envoyé une invitation moins d’une semaine à l’avance, et nous avons donc tenté d’assembler un mémoire complet pour votre examen. Le mémoire contient également deux annexes. La première est une bibliographie, et lorsqu’on cite des cas ou des ressources pertinentes, vous pourrez les retrouver dans l’annexe A. L’annexe B inclut un article complet, car il concerne précisément la participation des jeunes Autochtones dans les gangs.

J’aimerais d’abord mentionner que le projet de loi et son intention de protéger les enfants sont louables, mais les membres des Services juridiques autochtones de Toronto croient que le projet de loi n’empêchera pas les organisations criminelles autochtones de recruter de nouveaux membres et qu’il créera probablement davantage d’occasions liées au milieu dans les institutions pénitentiaires, qui favoriseront l’augmentation du recrutement de membres dans les gangs. Encore une fois, cela ne concerne pas nécessairement les jeunes délinquants, mais les jeunes adultes qui seraient visés par le projet de loi s’il était adopté.

Les observations présentées dans le document soulignent seulement les préoccupations les plus importantes. Nous avons indiqué d’autres observations faites par d’autres parties avec lesquelles nous sommes d’accord. Nous sommes également d’accord en grande partie avec les observations que vous a présentées M. Spratt aujourd’hui dans son exposé.

Nos préoccupations les plus importantes contiennent trois volets principaux. Le premier volet concerne les répercussions que les peines minimales obligatoires engendrent sur les délinquants autochtones et les communautés autochtones. Le deuxième volet concerne les répercussions engendrées par l’ordonnance de placement consécutive et le report de l’admissibilité à une libération conditionnelle sur les délinquants autochtones dans les communautés. Le troisième volet, qui revient un peu à ce que M. Spratt vient de dire, c’est que les stratégies de prévention efficaces et les torts qui seront créés par l’adoption du projet de loi doivent être liés aux ressources et à de bonnes recherches. À mon avis, ce n’est pas le cas du projet de loi dont le Sénat est saisi en ce moment.

J’aimerais attirer votre attention sur les pages 2 à 5 du mémoire, car elles présentent une liste de plusieurs faits et de statistiques provenant surtout des données du gouvernement et de Juristat et qui résument nos connaissances à cet égard. Brièvement, sans entrer dans les détails, ce que nous savons au sujet des délinquants autochtones dans le système pénal, c'est qu’ils sont surreprésentés, non seulement parmi les personnes qui ont reçu une condamnation, mais également parmi celles qui attendent en détention préventive.

Un grand nombre des études et des statistiques contenues dans ce mémoire ou ailleurs ne représentent pas le nombre réel de personnes dans les institutions provinciales et fédérales. On estime que le taux d’incarcération des adultes autochtones au Canada est 10 fois plus élevé que le taux d'incarcération des non-Autochtones. En 2010-2011, 41 p. 100 des femmes et 25 p. 100 des hommes condamnés à la détention, sur les plans provincial et fédéral, étaient autochtones.

Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’il y a une crise liée à la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire ou dans le système pénal du Canada. Dans la décision Ipeelee, en 2012, le tribunal a conclu que s’il y avait une crise à l’époque de la décision Gladue, qu’en est-il de la situation actuelle?

Étant donné qu’une peine minimale obligatoire entraînera des effets tout à fait indésirables, surtout pour les délinquants autochtones qui se retrouveront devant les tribunaux, je crois qu’il s’agit d'un point important sur lequel doivent se pencher les membres du comité.

Que savons-nous d’autre? Nous savons que les peines minimales obligatoires causent des torts aux délinquants autochtones, car soyons réalistes, ceux qui sont incarcérés dans le système pénal ne sont pas réhabilités pendant qu’ils purgent leur peine. En fait, à leur libération, leur situation a généralement empiré. Plusieurs études et citations contenues dans ce mémoire démontrent que l’incarcération augmente le recrutement chez les Autochtones en détention.

Je m’excuse de ne pas avoir été présente pour entendre les derniers intervenants, c’est-à-dire les représentants du SCRC ou de la GRC, mais certains de leurs propres rapports démontrent que l’incarcération et que la détention au niveau fédéral créent des milieux qui favorisent le recrutement dans les gangs autochtones et l’affiliation à ces gangs. Il faut absolument tenir compte de cela si vous envisagez de mettre en œuvre des peines minimales obligatoires et ensuite aggraver les choses en rendant ces peines consécutives plutôt que concurrentes.

Une personne traduite en justice — et, traditionnellement, un Autochtone traduit en justice reçoit une peine plus sévère ou plus longue — sera condamnée plus souvent ou plaidera à un plus grand nombre de chefs d’accusation, même s’il y en a plus d’un dans la dénonciation, et elle sera condamnée. Dans le projet de loi, la nécessité d’imposer des peines consécutives aux personnes augmentera la durée de la peine s’il y a plus d’une peine minimale obligatoire. Ce que nous savons au sujet des personnes, par exemple, qui sont détenues, c’est que plus elles sont détenues longtemps, plus elles risquent de s’affilier à un gang.

Le problème se pose lorsque ces personnes sont libérées. Même si nous considérons qu’une infraction criminelle est un acte grave, le temps passé en détention n’est pas infini. Lorsque ces gens sont libérés, ils retournent dans leur collectivité d’origine, et ils sont souvent devenus des criminels endurcis.

L’un des points que j’aimerais également faire valoir concerne les répercussions et les principes découlant de la décision Gladue, l’avis du tribunal dans l’affaire Ipeelee, et les éléments dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit du pouvoir judiciaire discrétionnaire. L’alinéa 718.2e) est une disposition expliquée dans la décision Gladue, et il exige que le tribunal tienne compte de la situation particulière du délinquant autochtone qui se retrouve devant le tribunal. Toutefois, les peines minimales obligatoires éliminent ce pouvoir discrétionnaire.

Mon collègue a utilisé un scénario ou ce qu’on appelle une probabilité raisonnable. J’allais faire la même chose. Je ne le ferai pas maintenant, mais si vous prenez le même scénario et que vous remplacez les acteurs par de jeunes adultes autochtones, vous constaterez qu’il ne s’agirait pas de n’importe quel enfant, mais probablement d'un membre de leur famille ou de leur famille étendue dans la communauté. Il ne s’agirait peut-être pas de piratage électronique, mais d'un autre crime.

Essentiellement, toutefois, le résultat pour l’Autochtone sera probablement une peine plus longue, et ce que nous savons, c’est qu’il demeurera plus près de la date d’expiration du mandat, qu’il n’aura pas accès aux mêmes programmes dans les installations, qu’elles soient provinciales ou fédérales, car on considérera qu’il pose un risque plus élevé étant donné qu’il est un Autochtone. C’est un problème lorsqu’on tient compte du problème posé par les gangs autochtones, mais le catalyseur se trouve souvent dans les institutions qui sont censées protéger la population ou assurer sa sécurité.

Ce mémoire aborde également le fait que les facteurs de risques élevés liés aux jeunes Autochtones sont différents ou un peu différents de ceux liés aux autres groupes, et qu’ils comprennent l’institutionnalisation continue. Un grand nombre de personnes n’aiment pas en entendre parler, mais je m’en voudrais de ne pas signaler les effets des pensionnats indiens et de la rafle des années 1960 sur les familles, car ce sont des choses qui s’ajoutent à la perspective utilisée et la modifient. Ensuite, il y a les communautés autochtones et certains problèmes liés à la pauvreté ou au manque d’occasions offertes. Ce sont toutes des choses qui, nous le savons, contribuent à prévenir la participation aux gangs.

Mon temps est presque écoulé. J’aimerais seulement aborder un autre point dans le troisième volet. Je tiens vraiment à préciser ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Les rapports sur les délinquants autochtones, surtout ceux sur les jeunes délinquants autochtones, affirment clairement que ce qui ne fonctionne pas, c’est l’incarcération. En effet, l’incarcération n’empêche pas l’affiliation à un gang. Traditionnellement, au Canada, les stratégies d’élimination des gangs l’ont emporté sur les traitements fondés sur les preuves et la prévention. Malheureusement, les ressources limitées ont été dépensées sur des approches sévères, dans le cadre desquelles de jeunes membres de gangs sont incarcérés à des coûts énormes. Les modèles de programmes sont axés sur les hommes, et les besoins uniques des jeunes femmes ou des Autochtones ne sont pas satisfaits par l’entremise de ces programmes.

Le mémoire aborde la nécessité d’examiner les ressources et de les financer. Les recommandations que nous formulons sont citées à la page 12 et elles énumèrent les raisons pour lesquelles il est important de tenir compte des effets que ce projet de loi aura sur les personnes, les communautés et les délinquants autochtones. Il ne s’agit pas seulement des délinquants, car les effets se feront sentir dans l’ensemble de la communauté et ils toucheront plusieurs jeunes. Il est important de tenir compte des conséquences entraînées au-delà du délinquant.

C’est pourquoi, selon nos recommandations, ce projet de loi ne devrait pas être adopté, car il va à l’encontre de l’alinéa 718.2e) du Code criminel et il est vulnérable à la contestation sur le plan constitutionnel. Deuxièmement, si le projet de loi est adopté, il faudrait que la peine minimale d’emprisonnement soit éliminée, ainsi que l’exigence liée aux peines consécutives. Enfin, il faudrait que des ressources et des recherches soient consacrées à la prévention efficace et à des stratégies axées sur la participation des jeunes dans les organisations criminelles.

Le gouvernement a terminé un rapport qui mentionne ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Des investissements intelligents réussissent davantage à minimiser le risque que courent les jeunes, surtout les jeunes Autochtones, de s’affilier à un gang.

Je crois qu’il est important de reconnaître que nous n’avons pas besoin de plus de prisons. D’un point de vue autochtone, on considère souvent que les Autochtones sont entreposés, et qu’ils sont souvent les personnes les plus vulnérables dans un système qui les a, sur les plans historique et contemporain, traités injustement et de façon non équitable. Cela aggravera certainement la crise liée à la surreprésentation.

Le président: Merci. Nous allons passer aux questions. La parole est au vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker: J’aimerais remercier les deux témoins de leurs excellents exposés.

Ma première question s’adresse à M. Spratt. Il a souligné qu’un élément du projet de loi devait être modifié. Je crois qu’il a dit qu’il s’agissait de l’article 196.151. Il a dit que le comité avait déjà reconnu cette erreur dans le projet de loi. J’aimerais obtenir ses commentaires à cet égard après avoir posé ma question.

En ce qui concerne les projets de loi d’initiative parlementaire de la Chambre des communes, j’ai récemment remarqué qu’une procédure très efficace avait été ajoutée au projet de loi C-489, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (conditions imposées aux délinquants). Vous vous souviendrez, monsieur Spratt, qu’on vous avait demandé de comparaître devant le comité de la Chambre des communes. Ses membres ont initié une procédure très efficace, car ils vous ont convoqué et, je crois, une personne avant vous, pour leur signaler les erreurs que vous aviez repérées. Ensuite, les membres du comité ont pris une courte pause et ont entamé l’étude article par article. Ensuite, croyez-le ou non, ils ont apporté certains des changements que vous aviez suggérés dans vos recommandations. Maintenant que le Sénat est saisi de ce projet de loi, je peux voir qu’on a corrigé ces erreurs majeures.

Mais examinons brièvement le projet de loi. Vous avez signalé une chose qui doit être corrigée. La Chambre des communes également, si je peux me permettre de le souligner — je ne sais pas si vous êtes au courant —, si l’on examine l’article 9 du projet de loi. Lorsqu’on examine le nouvel article 467.111, la Chambre des communes a entendu des témoignages — les mêmes que nous avons entendus — dans lesquels on a dit qu’il fallait insérer les mots « la contraint » pour accompagner les mots « recrute (…) l’invite, l’encourage (…) ou la sollicite... »

Les témoins que nous avons entendus, ainsi que la Chambre des communes, ont dit qu’on contraignait de très jeunes personnes à entrer dans un gang et qu’on les contraignait encore au sein de ces gangs. Toutefois, l’amendement proposé à la Chambre des communes ne vise pas ces personnes âgées de moins de 18 ans. Le libellé contient les mots « … ou l’invite, l’encourage ou la contraint à en faire partie ou la sollicite à cette fin. » Mais dans le paragraphe suivant, il est écrit: « … dans le cas où la personne recrutée, sollicitée, invitée ou encouragée est âgée de dix-huit ans… », et on a omis le mot « contrainte ». C’est une erreur importante. Cette erreur a été reconnue par le ministre du Cabinet de la province du Manitoba, qui a comparu devant notre comité, hier, par vidéoconférence.

J’aimerais ajouter une dernière chose, et je vous permettrai ensuite de répondre. Vous avez cité les articles 467.11, 467.12 et 467.13 du Code criminel — il s’agit de trois accusations distinctes portées en vertu de cet article — et le libellé du premier contient les mots « sciemment, (…) participe » à une organisation criminelle commettant un acte criminel. Ensuite, dans l’article 467.13, le libellé contient les mots « sciemment, charge (…) une personne » — concernant la même organisation criminelle et ses éléments qualificatifs, mais « sciemment » ne paraît nulle part dans cet article.

Il se distingue donc, et le caractère constitutionnel de la disposition pourrait être contesté pour cette raison.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez dit que nous devions amender ce projet de loi, tout d’abord, pour inclure un article concernant un alinéa 196.1(5)i)?

M. Spratt: L’article 196 vise les avis à donner par écrit et les interceptions. Vous pouvez déjà constater, si vous examinez l’alinéa 196.1(5)a), en particulier, qu’il inclut déjà les trois articles que vous avez mentionnés.

Le sénateur Baker: Oui.

M. Spratt: Il serait donc important pour l’exhaustivité, surtout en ce qui concerne le paragraphe (5) — qui est un article « malgré » —, que cet article soit également inclus.

L’oubli dont vous avez parlé en ce qui concerne l’absence du mot « contraint » dans la partie sur les jeunes — et je peux seulement présumer que le mot est également absent de la modification corrélative de l’article 196 — démontre non seulement la complexité du Code criminel, mais dans quelle mesure il est contre-indiqué de modifier une chose qui fonctionne déjà. Elle fonctionne déjà dans sa forme actuelle.

Lorsque nous examinons, par exemple, la partie sur la contrainte, où l’on voudrait probablement que le mot « contrainte » soit le plus présent, surtout que nous parlons maintenant de sécurité sur Internet, de la protection des renseignements personnels et des renseignements qui sont accessibles à la population, la contrainte exercée chez les jeunes est peut-être l’élément le plus important. Vous pouvez imaginer que vous obtenez des renseignements sur une jeune personne par l’entremise de Facebook, d’Internet ou par l’entremise de quelque chose qu’elle a publié sur Internet, et le vrai danger dans ce cas-là, c’est que ces renseignements pourraient être utilisés pour la contraindre à faire quelque chose qu’elle ne ferait pas autrement. Cela devrait certainement être inclus dans cet article.

Mais le point que je veux faire valoir, c’est que ce débat n’est pas nécessaire. Il n’est pas nécessaire de risquer de faire des erreurs; il n’est pas nécessaire de risquer d’avoir une disposition qui est trop restreinte et différente sans ces facteurs dont la Couronne n’a pas besoin pour prouver son cas. Il n’est pas nécessaire d’avoir un article qui se prête aux attaques constitutionnelles — et les nouveaux articles attirent un examen constitutionnel. Il n’est pas nécessaire de créer tous ces problèmes, car la solution se trouve déjà dans le Code criminel, ces dispositions existent déjà, elles sont mises en œuvre et mentionnées dans toutes les décisions qui concernent les organisations criminelles. Vous n’avez qu’à rechercher « organisation criminelle et recrutement » dans CanLII, Quicklaw et Carswell, et vous constaterez que les résultats de recherche contiennent tous des références à ceci, en citant la ministre de l’époque qui affirme que l’intention du Parlement est apparente.

Le sénateur Baker: Elle l’a fait également devant notre comité.

M. Spratt: Il ne faut donc pas ouvrir la boîte de Pandore; laissons-la fermée. Les choses fonctionnent parfaitement bien. Il faudrait éviter de les compliquer.

Le sénateur Plett: J’aimerais que nous disposions d’une heure et demie aujourd'hui au lieu de la courte période que nous avons. Monsieur Spratt, permettez-moi de vous poser tout d’abord une question, et vous n’avez pas à y répondre, mais j’aimerais tout de même la poser: vous arrive-t-il de vous trouver du même côté d’un enjeu que les agents d’application de la loi? Il me semble que chaque fois que nous sommes saisis d’un projet de loi, vous êtes d’un avis et ils sont de l’autre. Pourquoi?

M. Spratt: Je ne crois pas qu’il s’agisse de choisir un camp. Je ne fais pas partie d’un parti politique; je travaille dans les tribunaux. Je suis les preuves, et il se trouve que, malheureusement, récemment, les preuves n’ont pas appuyé les mesures qui ont été proposées. J’ai comparu devant votre comité au sujet du projet de loi qui a été proposé à la suite de la décision Tse, qui concernait les interceptions urgentes. Vous vous souviendrez que l’une des choses que j’ai dites à l’époque, c’est que c’était un plaisir d’être ici et d’être d’accord avec les mesures prises. Je crois qu’on m’a même cité dans certains débats.

Il m’arrive donc d’être d’accord avec certaines choses. Malheureusement, dans le cas qui nous occupe, on a découvert que le projet de loi présentait des lacunes. Il a été envoyé à la Cour suprême, et ce tribunal a déclaré qu’il présentait des lacunes. Ensuite, il y a eu certaines mesures législatives fondées sur la preuve. J’étais donc d’accord avec la Cour suprême à l’époque, mais également avec le gouvernement.

Ainsi, je suis souvent d’accord avec l’application de la loi. Je conviens qu’il faudrait criminaliser et décourager le recrutement dans une organisation criminelle, et je suis reconnaissant que des mesures à cet égard soient déjà prévues dans le Code criminel.

Le sénateur Plett: Les peines minimales obligatoires existent depuis longtemps; notre gouvernement ne les a pas inventées. Elles ont été infligées dans le cas de crimes particulièrement odieux ou choquants. À part le fait que ce projet de loi n’est pas nécessaire, car son contenu est déjà prévu ailleurs — il est évident que les organismes d’application de la loi ne sont pas d’accord avec vous. Le ministère de la Justice n’est pas d’accord avec vous. Nous avons besoin de cette loi.

Mais à part cela, parlons des peines minimales obligatoires et de ce que ce projet de loi tente d’accomplir. J’aimerais vous dire à tous les deux que vous avez bien exposé le cas des Autochtones qui sont surreprésentés dans les prisons, et cetera, mais je suis d’avis qu’étant donné cette surreprésentation, ce projet de loi en fait plus pour les Autochtones que pour n’importe qui d’autre, si cette surreprésentation existe. Le projet de loi vise à aider tous les jeunes, et non certains segments de notre société en particulier — tous les jeunes, ce qui comprend certainement les Autochtones.

Le ministre Swan et M. VanMackelbergh ont comparu devant le comité. Aujourd'hui, nous avons accueilli M. Stamatakis, qui nous a parlé des peines minimales obligatoires. Ils soutiennent qu’elles parviennent à garantir une conséquence pour chaque action.

Je préférerais donc que les gens recrutent des membres pour leur gang dans les prisons plutôt que dans les cours d’école. Si ces gens recrutent de toute façon, laissons-les recruter dans les prisons, et non dans les cours d’école. C’est l’enjeu abordé dans ce projet de loi.

J’aimerais que vous nous communiquiez vos commentaires à cet égard. Je sais que vous le ferez d’un point de vue juridique, mais dans votre for intérieur, ce projet de loi vise à aider les enfants, à punir les adultes, et nous devons fixer une limite — qu’elle soit à 18 ou à 17 ans. Selon la loi, vous êtes un adulte à 18 ans et vous êtes un enfant jusqu’à cet âge; la définition est déjà établie et nous devons fixer une limite.

J’aimerais obtenir vos commentaires à cet égard et j’aimerais savoir si, à votre avis, en ce qui concerne les crimes choquants et odieux qui consistent par exemple à recruter des jeunes Autochtones, les gens ne devraient-ils pas recevoir une peine minimale obligatoire?

Mme Big Canoe: Merci, monsieur le sénateur Plett. J’aimerais mentionner que dans le scénario que vous m’avez décrit, car vous avez énoncé clairement que vous préféreriez que le recrutement se produise dans les prisons que chez les jeunes, je vous dirais que c’est peut-être là que le recrutement commence. C’est peut-être là que l’affiliation commence à s’étendre. C’est lorsque les délinquants retournent dans leur collectivité que le recrutement des jeunes s’effectue.

Je sais que vous dites qu’une limite a été fixée, mais on peut soutenir qu’un jeune de 18 ans visé par cette loi est, bien honnêtement, jeune, et qu’il se trouve dans les paramètres de ce qu’on appelle les gangs de jeunes. La plupart des membres de gangs ont de 12 à 24 ans, et quelques-uns sont dans la trentaine.

Bien honnêtement, je ne vois pas la différence. Au contraire, cela entretient une situation perpétuelle qu’on traite de façon plus violente. Lorsque les institutions provinciales et fédérales sont surpeuplées, ce qui est le cas en ce moment, si l’on tient compte des personnes en détention préventive et de celles qui ont été condamnées, les occasions se multiplient. Lorsqu’une personne est en détention préventive, c’est un temps mort, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun programme en œuvre dans son cas. Cela lui donne beaucoup de temps, pendant qu’elle attend en détention préventive, de rencontrer des gens et de s’associer à des gens auxquels elle n’aurait jamais été exposée autrement.

Ces personnes reviennent dans les collectivités, et elles ne les rendent pas plus sécuritaires, mais elles ont maintenant accès à un réseau qui n’existait pas auparavant. Plus elles sont exposées à ce réseau pendant longtemps, plus il est étendu. Honnêtement, que cela se produise dans la collectivité ou dans les prisons, je ne vois pas la différence. Les gangs autochtones se répandent comme un feu de forêt.

Cela concerne surtout les Autochtones, car la plupart des Autochtones qui s’affilient à un gang s’affilient seulement avec des gangs autochtones. Seul un petit nombre se joignent à d’autres gangs, par exemple aux gangs de motards.

Le sénateur Plett: Si le libellé du projet de loi précisait que si vous avez 25 ans et que vous recrutez un enfant et qu’il y a une période de grâce de 18 à 24 ans, appuieriez-vous le projet de loi?

Mme Big Canoe: Pourquoi cela est-il nécessaire?

Le sénateur Plett: Je suis d’accord, cela ne devrait pas être nécessaire, car j’aime que la limite soit fixée à 18 ans. Mais vous avez fait valoir que dans le cas d’une personne de 18 ans qui recrute un jeune de 17 ans, l’écart était trop petit. Cette personne a 17 ans un jour, et le lendemain, elle a 18 ans, et c’est maintenant un acte criminel et elle sera condamnée à six mois de prison. Si nous leur accordons une période de grâce de 18 à 25 ans, cela améliore-t-il le projet de loi?

Mme Big Canoe: Non, cela ne l’améliore pas. Encore une fois, vous parlez d’une probabilité raisonnable dans différents scénarios.

La réalité, c’est que notre système judiciaire fonctionne déjà de façon à donner ce pouvoir discrétionnaire à un juge, surtout en ce qui concerne l’alinéa 718.2e) et ce qu’on doit prendre en considération dans le cas d’un délinquant autochtone. On laisse à la discrétion du juge le soin de déterminer la peine la plus appropriée pour ce délinquant. Le juge devrait alors, en appliquant les principes déterminés dans la décision Gladue, tenir compte, au cas par cas, de ces facteurs. Qu’il s’agisse d’un jeune de 25 ans qui recrute un jeune de 17 ans, ou d’un jeune de 19 ans qui recrute un enfant de 12 ans, il ne fait aucun doute que ces renseignements seront communiqués au juge. Le juge est la personne la mieux placée, ou plutôt les juges locaux sur le terrain, les procureurs et les agents de police sur le terrain, sont les personnes les mieux placées pour déterminer ce qui est important et pourquoi.

Le sénateur Plett: Tout comme ce que nous faisons.

 

[Français]

Le sénateur Rivest: D'abord, je tiens à souligner que je partage vos préoccupations au sujet des peines minimales, à savoir leur efficacité, leur permanence, et leurs répercussions sur certains crimes. Le gouvernement actuel a automatiquement recours aux peines minimales. À mon avis, on ne punit pas le crime, on punit plutôt une personne qui a commis un crime dans un ensemble de circonstances dont le juge doit tenir compte. Le recours aux peines minimales va à l’encontre de l'esprit du Code criminel, qui juge les personnes et qui accorde une très grande discrétion à la magistrature. Par contre, si le présent gouvernement applique systématiquement ou quasi systématiquement des peines minimales, cela est-il conforme à la Charte des droits et libertés du Canada? Est-il possible de contester certains types de crimes devant les tribunaux? Peut-on envisager de remettre en cause la constitutionnalité d'une peine minimale?

[Traduction]

M. Spratt: Tout d’abord, les peines minimales, dans certaines circonstances, ont été déclarées constitutionnelles. Il faut d’abord préciser que d’autres gouvernements ont déjà proposé des peines minimales.

Comme je l’ai dit à mes enfants hier, juste parce que ta sœur a fait quelque chose de mal et qu’elle est punie pour cela ne signifie pas que tu devrais faire quelque chose de mal et être puni en conséquence.

Nous savons que la Cour suprême a rendu un jugement sur le caractère constitutionnel des peines minimales obligatoires et qu’elle a déclaré qu’elles étaient inconstitutionnelles. Cette détermination est alimentée par des situations hypothétiques raisonnables. Il y a des situations hypothétiques raisonnables, étant donné la portée de la loi visant les organisations criminelles, qui pourraient engendrer des problèmes d’ordre constitutionnel dans le cadre de l’application de cette peine minimale.

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’il n’existe aucune preuve criminologique et aucune preuve d’expert qui démontre que les peines minimales découragent les gens de commettre des crimes ou qu’elles rendent les collectivités plus sécuritaires.

Ce que nous savons, c’est que les peines minimales réussissent à envoyer des gens en prison et à les punir. Le problème, c’est que parfois, la punition est trop sévère. De plus, parfois, comme dans ce cas-ci et comme Mme Big Canoe l’a dit, l’incarcération peut empirer les choses, car ces gens seront libérés un jour. Dans le cas des peines minimales, c’est le manque de considération des preuves d’experts qui peut mener à des problèmes d’ordre constitutionnel, et c’est ce que nous avons observé dernièrement.

Le commentaire le plus frappant que j’ai lu dans les témoignages lorsque cette question était débattue dans un comité de la Chambre des communes, c’est lorsqu’un député a dit, au sujet des experts, qu’ils étaient ce qu’on appelait des gens qui font preuve de gros bon sens. Ce n’est pas ce qu’est un expert.

Ce que je peux vous dire, au sujet du gros bon sens, c’est que toute personne qui commet un crime — surtout un jeune qui commet un crime au sein d’une organisation criminelle — ne lit pas le Code criminel en se disant: « Wow, on prévoit une peine minimale. Je ne vais pas commettre ce crime dans ce cas. » Le gros bon sens peut nous dire une chose, et c’est que ce n’est pas ce qui va arriver. C’est ce que les experts nous disent aussi. Ce genre de peine ne décourage personne, mais empire plutôt les choses.

Les situations hypothétiques raisonnables présentées aujourd’hui mènent aux lacunes d’ordre constitutionnel dans ce cas-ci, et elles sont très vulnérables à la contestation.

Le sénateur McIntyre: J’aimerais vous remercier de vos exposés.

Comme vous le savez, le projet de loi porte sur plusieurs choses: l’article 9 sur le recrutement dans les organisations criminelles, les articles 2 à 6 sur la surveillance électronique, l’article 7 sur la communication de renseignements fiscaux des organisations criminelles, l’article 10 sur les peines qui doivent être purgées de façon consécutive, l’article 12 sur la protection des témoins, l’article 13 sur les échantillons d’ADN, l’article 14 sur la mise en liberté provisoire et, enfin, les articles 15 et 16 sur la libération conditionnelle.

Je n’ai pas l’intention d’examiner chaque article avec vous. Je crois que vous avez établi très clairement que ce projet de loi n’est pas nécessaire et qu’il ne devrait pas devenir une loi. À part le fait qu’il n’est pas nécessaire et qu’il ne devrait pas devenir une loi, et à part les questions soulevées par le sénateur Baker sur l’élément de contrainte, y a-t-il quelque chose de positif, à votre avis, dans ce projet de loi, en présumant qu’il devient une loi?

M. Spratt: Je crois que l’intention du projet de loi est certainement positive. C’est une caractéristique positive. Cela n’infirme pas les points que j’ai fait valoir.

En ce qui concerne les autres modifications corrélatives, l’élément important est certainement l’article 9, c’est-à-dire la nouvelle infraction. Les autres articles sont nécessaires pour veiller à ce que ce qui est prévu actuellement dans les documents s’applique à la nouvelle disposition. Je présume que cela renforce mon point selon lequel ce n’est peut-être pas nécessaire. S’il faut modifier tout le reste pour que cet article fonctionne, cela signifie que c’est déjà prévu dans les autres articles.

Il est positif qu’une personne ait analysé le Code criminel et trouvé des endroits pour insérer les éléments appropriés. C'est positif. Autre que l’intention et les amendements détaillés de tous les autres articles pour rendre l’ensemble logique, il n’y a rien d’entièrement positif, car cela manque d’utilité dans une certaine mesure.

Le sénateur McIntyre: Ne pensez-vous pas que le projet de loi clarifie les trois autres infractions graves liées au crime organisé, c’est-à-dire les articles 467.11, 467.12 et 467.13?

M. Spratt: À certains égards, il apporte des éclaircissements. Vous pouvez apporter des éclaircissements par l’entremise de ceci ou par l’entremise d’autres déclarations publiques, car il y a un endroit où il est clair que cela s’applique, et c’est dans les tribunaux. Dans la mesure où l’on a besoin d’éclaircissements, je crois que cela peut être fait sur d’autres plans qui n’entraîneront pas les mêmes problèmes que ce projet de loi.

Le sénateur McIntyre: Madame Big Canoe, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Big Canoe: Je conviens que l’intention ou l’objectif est manifestement positif. Je crois seulement qu’il y a de meilleures façons d’y arriver. Si je peux être tout à fait honnête en ma qualité d’avocate active, la meilleure chose au sujet du projet de loi, d’un point de vue autochtone, c’est qu’il est très vulnérable aux contestations sur le plan constitutionnel, surtout en ce qui concerne les principes énoncés dans la décision Gladue et dans la décision Ipeelee. S’il est adopté, on pourra saisir cette occasion et réagir. Cela devrait donc être perçu comme étant un point faible du projet de loi qui est devant vous.

Le sénateur McIntyre: Vous examinez les peines minimales obligatoires en ce qui concerne les Autochtones?

Mme Big Canoe: En ce qui concerne les Autochtones. Je dirais qu’elles s’appliqueront au-delà des Autochtones, mais surtout en ce qui les concerne.

Le sénateur McIntyre: En tant qu’argument fondé sur la Charte?

Mme Big Canoe: Oui, en tant qu’argument fondé sur la Charte. Il s’agit d'un élément qui se fait déjà un chemin par l’entremise des tribunaux. En Ontario, cette question est déjà devant la Cour d'appel, surtout en ce qui concerne les délinquants autochtones dans des projets de loi récemment adoptés. Je présume que cela se rendra à la Cour suprême, ou il sera vulnérable. Il revient au tribunal de déterminer son caractère constitutionnel. Le mémoire que j’ai fourni parle du caractère constitutionnel ou de la conformité à la Charte de toute loi. Il s'agit d’un point important dont il faut tenir compte. Autrement, légiférer des éléments qui entraînent des coûts élevés représente un gaspillage de ressources et le résultat, au bout du compte, sera coûteux. Cela met également les gens dont les droits constitutionnels pourraient être violés dans une situation de détention préventive ou de condamnation et d'attente pour un processus d’appel lorsqu’en fait, leurs droits ont été violés sur le plan constitutionnel.

La sénatrice Batters: Tout d'abord, monsieur Spratt, j’ai été très heureuse de me souvenir de votre appui à l’égard du projet de loi découlant de la décision R. c. Tse, car c’était un projet de loi que j’ai parrainé. Étant donné que vous vous êtes retrouvé dans la position inhabituelle d’être pour une mesure législative du gouvernement, je suis fière de dire que j’ai contribué à ce qu’elle devienne une loi.

En ce qui concerne la situation hypothétique dont vous avez parlé plus tôt, vous décriviez trois jeunes de 18 ans qui vendaient des logiciels piratés et qui recrutaient une autre personne. Vous avez fait également référence à un problème lié au libellé, car selon vous, les dispositions de ce projet de loi n’incluent pas certaines dispositions qui sont dans l’article 467.11, ce qui fait en sorte que la Couronne n’est pas tenue de prouver certains éléments liés aux organisations criminelles. Si vous avez raison, le fait qu’on exigera que ces éléments soient prouvés ne signifie-t-il pas, dans la situation hypothétique dont vous avez parlé, qu’il serait très difficile de prouver que ces personnes en particulier faisaient partie d’une organisation criminelle?

M. Spratt: Non. Ce n'est qu'une situation hypothétique. On pourrait prendre une autre infraction commise de manière organisée par des jeunes.

La sénatrice Batters: Concentrons-nous sur cette situation hypothétique.

M. Spratt: Actuellement, en vertu de la loi, que le projet de loi soit adopté ou non, on pourrait considérer que les jeunes dans cette situation hypothétique forment une organisation criminelle, étant donné qu'ils sont plus de trois personnes et qu'ils répondent aux critères de l'autre définition.

Cependant, en vertu du nouvel article, il pourrait en fait être, à bien des égards, parfois plus difficile de prouver que le recrutement était bel et bien une infraction, parce que selon la loi...

La sénatrice Batters: Dans votre situation hypothétique, ne serait-ce pas une bonne chose?

M. Spratt: Ce serait une bonne chose pour moi, en tant qu'avocat de la défense, et mes clients. Ce serait vraiment une mauvaise chose s’il était question d’infractions plus graves.

La sénatrice Batters: D’accord, mais nous sommes en train de discuter de votre situation hypothétique.

M. Spratt: Cet élément permettrait aux délinquants en question d’échapper à la justice, mais il peut aussi s'agir d'une personne qui fait le trafic de cocaïne dans les écoles et qui recrute quelqu'un. Le nouvel article ne s'appliquerait pas à ce trafiquant. Ce n'est donc pas une bonne chose. Cette incertitude et cette ambiguïté ne sont pas positives. Encore une fois, en vertu de la disposition sous sa forme actuelle, il est clairement dit que la poursuite n'a pas nécessairement besoin de prouver que l'organisation criminelle en a tiré profit. Ce n'est pas un élément essentiel. Il n'est pas non plus nécessaire de le prouver en vertu de la nouvelle mesure législative, mais je me demande pourquoi cet élément est absent. Qu’est-ce qui l’explique? Cet aspect n'est pas conséquent avec ce qui est déjà là. Je ne vois pas logiquement ce qui explique l’absence de cet élément. Cet oubli peut causer des problèmes, parce que les personnes qui commettent des infractions graves peuvent avoir plus de facilité à se faire acquitter et que la couronne peut avoir plus de difficulté à les poursuivre. Toutefois, tout cela n'empêche aucunement l'imposition injuste de peines minimales obligatoires pour certaines infractions hypothétiques moins graves que vous pouvez vous imaginer.

La sénatrice Batters: J’aimerais poser des questions à Mme Big Canoe.

Je représente la Saskatchewan, et les gangs autochtones sont un grave problème dans notre province. Je soutiens que les dispositions du projet de loi seraient très utiles pour les nombreux jeunes Autochtones en Saskatchewan; les gangs en Saskatchewan essayent actuellement de recruter des milliers de jeunes. Au lieu de mettre l’accent sur les Autochtones adultes qui ont recours sans scrupule aux tactiques criminelles horribles que nous avons entendues au comité en vue de recruter de jeunes Autochtones vulnérables, pourquoi ne pas nous concentrer sur les effets positifs que le projet de loi aurait sur ces milliers de jeunes Autochtones vulnérables au Canada? Je pense particulièrement aux jeunes Saskatchewannais.

Mme Big Canoe: Merci, sénatrice Batters. La perception n’est peut-être pas exacte. Vous avez tout à fait raison de dire que la Saskatchewan compte le plus grand nombre de gangs autochtones. Cette province compte également le plus grand nombre de détenus autochtones dans les prisons provinciales et fédérales. Plus de 80 p. 100 des délinquants en prison ou en détention provisoire sont des Autochtones. Le mémoire que j’ai remis traite de certaines recherches sur l’institutionnalisation d’Autochtones par l’entremise de l’appréhension d’enfants. Bon nombre de facteurs rendent très différents les gangs autochtones et la participation des jeunes Autochtones dans ces gangs. Il y a entre autres l’institutionnalisation continue. Par exemple, on avance que cela perpétue des aspects des pensionnats indiens et de la rafle des années 1960 — l’appréhension d’enfants. Nous appréhendons actuellement plus d’enfants autochtones que nous le faisions à l’apogée des pensionnats indiens, et tous ces facteurs poussent en fait les jeunes à se joindre à des gangs, parce qu’il leur manque une présence parentale et qu’ils n’ont pas de ressources adéquates et de bonnes possibilités d’études et d’emploi. Un gang semble alors devenir tout d’un coup une option très intéressante, et la Saskatchewan en est un bon exemple. Dans les collectivités où bon nombre de personnes sont institutionnalisées, se voient imposer des peines et sont sous garde, quel effet dissuasif des peines minimales obligatoires ont-elles, lorsque la majorité de vos cousins, de vos proches et un grand nombre de jeunes et de jeunes adultes sont en détention préventive? L’effet dissuasif est nul. J’ai vraiment de la difficulté à trouver un aspect positif. Selon moi, ce qui serait plus positif, ce serait d’éliminer la peine minimale obligatoire. Donnez plutôt suite aux travaux de recherche. Appliquez les mesures éprouvées sur lesquelles Sécurité publique Canada s’est déjà penché dans au moins un rapport, et mettez en place ces stratégies axées sur la prévention. Ce serait une utilisation plus judicieuse de l’argent des contribuables que ce que nous faisons encore aujourd’hui, à savoir d’entasser les Autochtones dans des institutions.

La sénatrice Frum: Je vous ai entendu dire que l’objectif du projet de loi est positif et qu’il faut criminaliser le recrutement de jeunes dans des organisations criminelles. Je comprends que vous dites que le Code criminel traite déjà de la question; mettons donc cela de côté un instant.

Si vous croyez qu’il faut criminaliser le comportement et qu’une peine de six mois est trop sévère, j’ai de la difficulté à comprendre ce que vous entendez par la criminalisation d'une infraction aussi grave que le recrutement d’enfants dans le monde interlope. Vous considérez que c’est bel et bien un crime. Vous croyez qu’il faut criminaliser ce comportement. Je crois vous avoir entendu dire qu’une peine de six mois est trop sévère. Vous prétendez que la réadaptation ne sera pas possible et que ce ne sera pas dissuasif. Rien ne prouve ce que vous avancez. D’accord. Cela étant dit, la peine en tant que telle et la sanction de la société et les six mois de prison sont trop sévères, d’après vous.

M. Spratt: Non. Je ne voudrais pas laisser entendre qu'une peine de six mois est trop sévère dans tous les cas. N'empêche qu'une telle peine serait très inappropriée dans bien des cas. Lorsqu'on examine les preuves empiriques et les travaux de recherche sur les peines minimales, on se rend compte que le problème est qu’il peut y avoir des situations hypothétiques dans lesquelles un juge imposerait une peine de moins de six mois s’il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire.

La situation hypothétique que j'ai décrite mettait en scène une personne sans casier judiciaire qui commet un crime non violent; cette jeune personne a une attitude prosociale, a beaucoup de soutien, va à l'université et commet une infraction moins grave que ce à quoi nous nous attendons normalement lorsqu'il est question d’une organisation criminelle. Dans un tel cas, je prétends qu'une peine de six mois serait injuste et serait déclarée inconstitutionnelle en fin de compte. Évidemment, si vous recrutez de jeunes enfants pour vendre de la cocaïne dans les cours d'école au profit d'une organisation criminelle, parce que vous êtes assoiffé d'argent, que vous faites du trafic de stupéfiants et que vous êtes membre d'un gang de rue, vous méritez entièrement une peine de six mois. En fait, vous mériteriez même plus.

La sénatrice Frum: Ce serait possible.

M. Spratt: Ce serait possible.

Par contre, la réalité demeure que rien ne prouve que des peines légères soient imposées. J'aimerais que vous me montriez un cas où quelqu'un a été recruté dans un gang de vue violent ou un gang de motards criminalisés et où la cour n'a pas imposé une peine sévère. Montrez-m’en un. Je ne crois pas que ce soit possible, parce que les tribunaux exercent le pouvoir discrétionnaire qui leur est donné. Certains éléments sont considérés comme des facteurs aggravants. Dans 90 à 97 p. 100 des cas, une peine considérablement plus élevée que six mois est nécessaire. Cependant, les tribunaux déclarent inconstitutionnelles des dispositions dans le cas de crimes commis avec des armes à feu ou d'autres peines minimales obligatoires, lorsqu'il y a une situation hypothétique raisonnable qui pourrait se produire ou qui se produit pour laquelle une telle peine serait jugée injuste, trop sévère et inconstitutionnelle. Les crimes commis avec des armes à feu comptent parmi les crimes les plus graves; or, les peines minimales en la matière ont été déclarées inconstitutionnelles, mais ce n'était pas parce que les tribunaux imposent des sentences bonbons aux gens qui font du trafic d'armes, qui en vendent ou qui les utilisent. C'était plutôt, parce qu'il y a des exemples auxquels nous ne pensons peut-être pas actuellement, des situations hypothétiques qui peuvent survenir en raison des combinaisons pratiquement infinies de types délinquants et d'infractions. Si l’on juge qu'une peine de six mois dans le cas de certaines de ces combinaisons hypothétiques raisonnables est injuste, le juge dira qu'il aurait imposé une condamnation avec sursis ou une peine d’un, deux ou quatre mois, mais qu'il a les mains liées. C'est dans de telles situations que des lois sont déclarées inconstitutionnelles et que la Cour suprême en est saisie. Au final, il se peut que l'article en question ne s'applique pas de la manière prévue.

La situation serait différente si vous aviez une pile d'affaires dans lesquelles des juges imposaient des peines inappropriées. On entend parfois des gens dire que c'est le cas, mais je n'ai pas encore entendu quelqu'un faire valoir cet argument en ce qui concerne le recrutement de gens dans des organisations criminelles. Voilà pourquoi les peines minimales obligatoires sont, bien honnêtement, très offensantes à l'égard du processus judiciaire.

La sénatrice Frum: Les policiers qui sont venus témoigner au comité nous ont rapporté qu'il n'y avait pas beaucoup d'arrestations. Des poursuites ne sont actuellement pas intentées contre les personnes qui commettent un tel crime. Lorsque les législateurs modifient ainsi le Code criminel, ils essaient notamment de mettre l'accent sur le type d’infractions que la société juge inadmissibles et sur lesquelles elle souhaite voir les autorités mettre l'accent.

M. Spratt: Faites-le de manière à respecter la Constitution et à ne pas poser de problèmes. Faites en sorte que les procureurs appliquent la loi comme il se doit. Il n'y a pas beaucoup de poursuites visant une personne qui fait du recrutement pour le compte d'une organisation criminelle. La majorité des cas impliquent le recrutement, ainsi que d'autres infractions criminelles. Dans certaines poursuites et dans la jurisprudence au pays, le recrutement est un élément important, mais il y a des moyens d'y arriver. Nous pouvons tous convenir que le recrutement dans des organisations criminelles sérieuses ne devrait pas être pris à la légère et qu'une peine de six mois n'est probablement pas la peine la plus appropriée. J'aimerais également que nous arrivions à convenir d'un autre élément. Si nous examinons les preuves de manière impartiale, nous nous rendrons compte que les criminologues et les données ne confirment pas que les peines minimales obligatoires protègent la population et dissuadent les délinquants. Si nous avons recours aux peines minimales obligatoires en vue de dénoncer ou de punir des comportements, c'est correct, mais elles ne dissuadent pas les délinquants.

La sénatrice Frum: C’est acceptable, comme l’est également le recours à des peines.

M. Spratt: Si l'objectif du projet de loi est de punir et non de dissuader, cette mesure législative n'empêchera pas les délinquants de commettre des crimes. Elle enverra des gens derrière les barreaux.

La sénatrice Frum: Ce n’est pas nécessairement cela, mais nous pouvons convenir que la mesure législative punira les délinquants. Je crois également que le projet de loi aura un effet dissuasif. Je sais que nous n'arriverons pas à nous entendre sur ce point.

M. Spratt: C’est un fait, parce que je dis que la mesure législative n'aura aucun effet dissuasif en me fondant sur des preuves et non sur une simple impression ou le gros bon sens. Vous pouvez avancer que le projet de loi sera un outil fort utile pour punir et dissuader les délinquants, mais il le fera peut-être de manière inconstitutionnelle.

La sénatrice Frum: Je rappelle encore une fois que, selon ce que nous avons entendu, les organisations criminelles recrutent des jeunes, notamment parce qu'elles sont bien au fait de ce qui se trouve dans le Code criminel. Les membres d’organisations criminelles savent qu’on leur imposera de lourdes sentences s’ils commettent une telle infraction, mais que s’ils recrutent un jeune de 15 ans pour la commettre, ce jeune s'en sortira avec une sentence plus légère. Les organisations criminelles sont tout à fait conscientes de ce qui se trouve dans le Code criminel. Je suis donc d'avis que la mesure législative les dissuadera d'adopter un tel comportement.

M. Spratt: J’espère que les données corroborent cette opinion.

Le président: Cette joute verbale a assez duré. Vous avez eu amplement de temps.

J'ai une dernière petite question pour Mme Big Canoe. Vous avez fait référence à quelques reprises au principe de l'arrêt Gladue. Je suis curieux. En ce qui a trait aux peines minimales obligatoires, à votre opposition à ce sujet et aux effets que ces peines ont sur la population autochtone, y a-t-il des peines minimales obligatoires dans le Code criminel que vous jugez adéquates?

Mme Big Canoe: Vous me mettez un peu sur la sellette, sénateur Runciman. En principe, je dirais que non, parce que nous adoptons des approches systémiques à des problèmes systémiques. Lorsque nous sommes devant les tribunaux ou que nous participons à une affaire type, cela tourne toujours autour des problèmes systémiques. Les arrêts Gladue et Ipeelee ont clairement établi que le juge doit prendre connaissance d'office de l'héritage colonial et des torts. Les peines minimales obligatoires en font partie intégrante. Pourquoi? Les peines minimales obligatoires ont touché plus durement les délinquants autochtones que les autres, parce qu'elles sont souvent liées à de multiples accusations, à une présence policière excessive, à une absence de soutien, à un manque de ressources et à un héritage colonial. Voilà la réponse courte.

Le président: Je comprends parfaitement cela, mais je pense notamment aux récidivistes de l'alcool au volant et aux meurtriers. Vous semblez rejeter l'ensemble des peines minimales obligatoires.

Mme Big Canoe: Pour ce qui est des crimes les plus odieux pour lesquels il y a des peines minimales obligatoires, je dois me ranger du côté de mon collègue. Dans certains cas, la responsabilisation des délinquants à l'égard des victimes et de la collectivité est absolument nécessaire. Les peines minimales obligatoires qui sont imposées dans le présent environnement législatif sont des peines de 90 jours, de 4 mois et de 6 mois. Ces peines ne sont pas les mêmes. Si vous me le permettez, j'aimerais simplement dire qu'aucune preuve empirique ne démontre que les peines brèves et efficaces ont un quelconque effet; je pense aux pratiques établies dans le Code. Lorsque nous représentons une personne, nous partons toujours du principe de la présomption d'innocence, et c'est ce que les avocats de la défense ont tendance à faire.

Le président: Merci aux deux témoins de leur contribution à notre étude. Nous vous sommes reconnaissants de votre temps et de vos commentaires.

Chers collègues, dans deux semaines, soit le 28 mai, nous poursuivrons notre étude sur le projet de loi C-394. Des représentants de forces policières et d'une association d'avocats viendront témoigner. Nous avons encore une fois invité M. Gill, le parrain du projet de loi. La greffière vous communiquera les avis de convocation lorsque les témoins et les heures auront été confirmés. Je présume que la majorité des membres du comité savent que le projet de loi C-23 a été renvoyé au Sénat. Nous étudierons ce projet de loi lorsque nous aurons terminé la présente étude sur le projet de loi C-394.

Merci. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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