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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 3 - Témoignages du 10 février 2014


OTTAWA, le lundi 10 février 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour étudier les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles; et la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et NORAD (sujet : défense antimissile balistique).

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du lundi 10 février 2014.

Avant de présenter nos témoins, j'aimerais présenter les gens qui sont à la table. Je m'appelle Dan Lang, et je représente le Yukon en tant que sénateur. La greffière du comité est Mme Josée Thérien, et l'analyste de la Bibliothèque du Parlement qui est assignée à notre comité est Mme Holly Porteous.

J'invite les sénateurs à se présenter en précisant quelle région ils représentent. Commençons avec le sénateur Nolin, le plus ancien membre du comité.

[Français]

Le sénateur Nolin : Bonjour, mon nom est Pierre Claude Nolin. Je représente la province de Québec, plus spécifiquement la région du Suroît, donc tout ce qui touche à Salaberry-de-Valleyfield.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Je m'appelle David Wells, et je représente Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais. Tout comme le sénateur Nolin, je représente le Québec, et plus précisément la circonscription de Victoria, qui touche Verdun et l'Île-des-Sœurs, au centre-ville de Montréal.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Je m'appelle Larry Campbell. Je suis le sénateur qui représente la Colombie-Britannique. Les deux côtes sont donc représentées ici.

Le président : J'espère que cela aura mis tout le monde un peu plus à l'aise.

Aujourd'hui, nous entamons deux nouvelles études, l'une sur l'Agence des services frontaliers du Canada, et la seconde sur la défense antimissile balistique. Le moment prévu pour nos réunions change également. À partir de maintenant, nous nous réunirons le lundi, de 13 heures à 17 h 30, et nous aurons une pause de 30 minutes de 15 heures à 15 h 30. Je remercie tous les membres de leur collaboration. Cela nous a permis d'effectuer ce changement utile pour le comité.

Le 12 décembre 2013, le Sénat adoptait l'ordre de renvoi suivant :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, dans le but d'en faire rapport, les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles;

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2014 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions pendant 90 jours après le dépôt de son rapport final.

Chers collègues, l'Agence des services frontaliers du Canada accomplit un travail extrêmement important pour la sécurité du Canada.

Selon le rapport du vérificateur général pour l'exercice 2011-2012, nous accueillons 98,7 millions de voyageurs par année. Quatre-vingt-dix mille étrangers arrivent chaque jour à nos bureaux d'entrée. L'Agence a refusé 5 400 personnes aux bureaux d'entrée et en intercepté 4 000 autres en mer. De son côté, la GRC a intercepté 1 277 personnes ayant essayé d'entrer illégalement au Canada à des endroits autres que des bureaux d'entrée.

En période de contraintes budgétaires et tandis que nous tentons d'améliorer la collaboration entre organismes, nous avons le devoir de vérifier où nous en sommes et quelles améliorations peuvent être apportées à notre système. Commençons. Nous sommes heureux d'accueillir Martin Bolduc, vice-président des opérations, et Lesley Soper, directrice exécutive des programmes d'exécution de la loi et du renseignement.

Martin Bolduc, vice-président des opérations, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour monsieur le président, honorables sénateurs, je voudrais commencer par remercier le comité de nous avoir invités aujourd'hui à participer à son étude sur les difficultés relatives à l'admissibilité et à l'inadmissibilité au Canada. J'ai le plaisir d'être accompagné de ma collègue Lesley Soper, directrice exécutive des programmes d'exécution de la loi et du renseignement.

[Français]

Avec votre permission, j'aimerais commencer par résumer le rôle et le mandat de l'ASFC et mettre en contexte le travail que nous accomplissons pour protéger et servir les Canadiens.

L'ASFC a été créée il y a 10 ans, dans la foulée du 11 septembre. La sécurité nationale est donc au cœur de notre organisation, et c'est une responsabilité que nous prenons très au sérieux.

L'ASFC est un organisme d'exécution de la loi qui fournit des services frontaliers intégrés englobant les fonctions des douanes, de l'application de la loi en matière d'immigration et de l'inspection des aliments, des végétaux et des animaux à la frontière. Nous avons le double mandat d'assurer la sécurité à la frontière et de faciliter la circulation des voyageurs et des marchandises commerciales légitimes.

[Traduction]

Permettez-moi de vous exprimer notre mandat en chiffres. L'an dernier, l'Agence a traité dans les 100 millions de voyageurs, 5,4 millions de camions et 14 millions d'expéditions commerciales. Elle a réalisé 93 saisies de pornographie juvénile, et plus ou moins 400 d'armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte. La valeur des saisies de drogue, finalement, dépasse les 300 millions de dollars. Ces chiffres augmentent de façon soutenue depuis plusieurs années, et ils entraînent à leur suite la demande en services frontaliers.

Déterminer l'admissibilité des arrivants est au coeur de notre mandat en matière d'immigration et de sécurité frontalière. Quiconque se présente aux frontières canadiennes doit prouver qu'il satisfait aux exigences légales pour séjourner ici; nous évaluons les arrivants un à un, d'après les données factuelles qu'ils nous soumettent.

[Français]

L'ASFC contrôle les voyageurs à plusieurs stades de leurs itinéraires : le plus tôt possible à l'étranger, en transit et quand ils arrivent à la frontière. Positionnés stratégiquement dans le monde entier, les agents de liaison de l'ASFC sont chargés de repérer et d'enrayer les menaces le plus tôt possible et le plus loin possible des frontières physiques.

De par leurs fonctions, les agents de liaison font beaucoup pour détecter les voyageurs non munis des documents voulus avant qu'ils s'embarquent pour le Canada.

Les agents de liaison sont des experts en analyse de documents. En collaboration avec les autorités locales et les transporteurs aériens, ils valident les titres de voyage et interdisent l'entrée au Canada aux personnes qui sont interdites de territoire ou qui présentent une menace à la sécurité nationale.

Recevoir et étudier la documentation à l'avance nous donne les moyens de cibler et d'intercepter les personnes interdites de territoire. En même temps, nous décourageons quiconque songerait à l'immigration illégale ou menacerait la sécurité publique.

[Traduction]

Chaque année, les agents de liaison sont confrontés à plus ou moins 6 000 voyageurs non munis des documents voulus, et ils facilitent les déplacements d'environ 3 000 voyageurs légitimes, surtout des Canadiens qui rentrent au pays.

Nous avons aussi des agents affectés ici même, qui travaillent avec des partenaires comme Citoyenneté et Immigration Canada pour prévenir les arrivées de personnes interdites de territoire en contrôlant les demandeurs d'asile, les immigrants et les visiteurs. Ils aident les agents des visas de CIC à l'étranger et les agents d'immigration au pays à déterminer l'admissibilité des personnes qui souhaitent entrer ou demeurer au Canada. « Repousser la frontière », comme nous disons, signifie contrôler les gens avant qu'ils quittent leur pays d'origine, pour que ceux qui sont interdits de territoire ne mettent même pas les pieds au Canada. Peu importe qu'ils arrivent par la voie terrestre, aérienne ou maritime, tous les voyageurs doivent se présenter à l'ASFC, qui les soumettra éventuellement à un examen en profondeur.

Quiconque souhaite entrer au pays doit convaincre un agent des services frontaliers qu'il en a le droit en vertu de la loi. Les agents des services frontaliers reçoivent une formation spécialisée poussée qui se concentre sur la fraude documentaire, la fraude de passeport, la collecte et les rapports de renseignements, ainsi que la détection des personnes interdites de territoire, des menaces à la sécurité nationale, du passage de clandestins et de la traite de personnes. Cette formation s'étend aussi aux documents perdus et volés, de même qu'aux tendances en matière de fraude documentaire.

Finalement, l'ASFC utilise des lecteurs de documents, entre autres outils spécialisés, pour surprendre et intercepter toute documentation frauduleuse. Démasquer et intercepter les personnes interdites de territoire est une responsabilité primordiale pour l'Agence, et nos agents de première ligne jouent un rôle clé à cet égard dans les bureaux d'entrée désignés.

[Français]

En ce qui concerne les renvois, il est écrit dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés que l'ASFC peut arrêter et détenir, dans ses bureaux d'entrée ou ailleurs au Canada, les résidents permanents et les étrangers qui ont effectivement ou vraisemblablement enfreint la LIPR.

Un renvoi ne se décide pas à la légère. Avant d'aller de l'avant, l'ASFC veille à ce que les personnes aient bénéficié de toutes les voies de recours prévues. Par contre, ceux qui ont épuisé tous les recours sont tenus de quitter le Canada de leur plein gré comme l'exigent nos lois. Sinon, ils s'exposent au renvoi. Lorsqu'une mesure de renvoi devient exécutoire, la LIPR exige que l'ASFC expulse la personne dès que possible.

C'est souvent difficile, car les personnes qui s'exposent à un renvoi n'ont pas toujours envie d'obtempérer.

[Traduction]

Les renvois absolument prioritaires sont ceux des personnes interdites de territoire pour des raisons de sécurité, pour crimes de guerre, pour grande criminalité ou pour crime organisé.

Comme vous le savez, le rapport déposé par le vérificateur général à l'automne 2013 renferme un chapitre intitulé « Prévenir l'entrée illégale au Canada ». Le rapport de 2013 portait sur des éléments précis du système axé sur le risque à plusieurs niveaux que nous utilisons pour gérer la frontière. Le rapport établissait que des personnes qui présentaient un risque avaient échappé à la vigilance du système. L'agence reconnaît combien il est essentiel que les systèmes et les processus conçus pour repérer ces personnes fonctionnent comme il se doit. L'ASFC partage l'avis du vérificateur général, et elle s'efforce d'apporter les améliorations recommandées.

Entre autres, il y a la qualité des données reçues au début du processus de contrôle. Il ne s'agit pas d'une situation propre à l'ASFC, mais bien d'un défi auquel sont confrontées les administrations frontalières d'autres pays. Nous sommes à mettre en œuvre un plan d'action complet pour améliorer la qualité des données que nous communiquent les transporteurs aériens internationaux. Ceci devrait nous prendre jusqu'au 30 juin 2014.

Le plan d'action Par-delà la frontière prévoit encore d'autres améliorations à l'information préalable sur les voyageurs. Actuellement, les transporteurs aériens ne communiquent de renseignements sur les passagers qu'après le décollage de l'aéronef. Toutefois, les modifications législatives de décembre 2012 feront en sorte qu'ils doivent le faire 72 heures à l'avance afin de permettre un contrôle préliminaire.

L'initiative de l'Information préalable sur les voyageurs interactive, qui s'inscrit dans le même plan d'action, prévoit encore d'autres améliorations en ce qui concerne les types de données et le moment où ces données sont transmises, c'est à dire avant le décollage. L'agence pourra ainsi prendre des décisions fondées sur le risque à l'égard des passagers avant que ceux-ci ne montent à bord de l'aéronef.

Un deuxième point soulevé par le vérificateur général se rapportait au programme des avis de surveillance de l'ASFC. Monsieur le président, je tiens à préciser que nous avions déjà commencé à donner suite aux préoccupations soulevées dans le rapport, en faisant notre propre vérification interne et en lançant un plan d'action pour des contrôles plus sévères accompagnés d'une surveillance plus étroite par la haute direction. En effet, le Bureau du vérificateur général nous recommandait de continuer la mise en œuvre de notre plan interne.

Bien que le programme des avis de surveillance ne soit pas parfait, il a permis rien qu'en 2012 de repérer plus de 51 000 personnes et de leur refuser l'entrée puisqu'elles étaient interdites de territoire au Canada. Le programme demeure un outil important dans le processus de contrôle de l'agence.

[Français]

J'aimerais également souligner que le rapport parle aussi de nos progrès, notamment pour ce qui est de recueillir, de surveiller et d'évaluer les renseignements. Un centre national de ciblage ouvert 24 heures par jour, 7 jours par semaine, a vu le jour en avril 2012 et se veut un élément essentiel dans le continuum de la sécurité publique et de la sécurité nationale grâce à sa capacité d'évaluer les risques liés aux personnes et aux marchandises avant leur arrivée au Canada. Le centre de ciblage aide nos partenaires dans l'exécution de la loi en intégrant les renseignements sur les activités frontalières et internationales.

Somme toute, le rapport était juste. Il nous a aidés à voir où il fallait nous améliorer et où nous avions fait des progrès.

En conclusion, les menaces qui planent à l'échelle mondiale se complexifient. Aussi, les efforts de l'ASFC pour reconnaître et intercepter ceux et celles qui ne devraient pas être admis au pays ne se déroulent pas tous au même endroit, pas plus qu'ils ne dépendent d'un système ou d'un processus unique. L'agence fait l'effort avec ses partenaires d'enrayer les menaces le plus en amont possible, et commence son travail de ciblage et d'évaluation des risques loin de nos frontières. Ainsi, elle ne se laisse pas dépasser par l'évolution des menaces et elle parvient à équilibrer les deux pôles de son mandat : sécurité et facilitation.

[Traduction]

Monsieur le président, voilà qui conclut mon mot d'ouverture. Si le comité a des questions, ma collègue et moi nous ferons un plaisir d'y répondre.

Le président : Nous sommes heureux que vous soyez venus nous rencontrer au moment où nous amorçons l'étude. Nous prévoyons consacrer quatre mois aux audiences pour cette étude, à raison de deux heures par semaine. Nous allons examiner tous les aspects de votre travail quotidien dans l'objectif de formuler des recommandations qui vous aideront, votre ministère et vous, à effectuer le travail qui vous est confié.

Je pose la première question. Pourriez-vous expliquer plus en détail, pour le comité et pour les observateurs présents ici aujourd'hui, le processus de détermination de l'admissibilité ou de l'inadmissibilité des personnes entrant au pays, afin que tous comprennent exactement de quoi il s'agit?

M. Bolduc : Le processus comporte deux volets. Les voyageurs arrivent à notre frontière en demandant le droit d'entrer au Canada. L'agent des services frontaliers, au bureau d'entrée, peut décider, en fonction des documents qu'on lui présente, si un voyageur est admissible.

L'autre volet s'applique aux étrangers qui font une demande de visa à partir de leur pays. Certaines de ces demandes sont vérifiées par l'ASFC en fonction d'une série de critères. L'ASFC fait ensuite une recommandation à l'agent des visas posté à la mission de ce pays. L'agent est ainsi en mesure de décider s'il émettra un visa ou non.

Le président : J'ai une autre question, parce qu'environ 100 millions de personnes se présentent annuellement, d'une façon ou d'une autre, à nos bureaux d'entrée.

Croyez-vous que ce nombre augmentera? Si oui, jusqu'à quel point, aux fins de la planification nécessaire pour, disons, les cinq prochaines années?

M. Bolduc : Si l'on regarde la quantité de visiteurs qui ont franchi la frontière l'an dernier, le volume est assez constant. Nous ne voyons pas de hausse importante — moins de 1 p. 100. Je dois dire que le nombre de voyageurs que nous rencontrons aux aéroports augmente au rythme d'environ 5 p. 100 par année. La plus grande partie des étrangers désireux d'entrer au Canada arrivent par avion. Je crois donc qu'on peut s'attendre à ce que ce nombre augmente au cours des prochaines années.

Le président : Vous avez parlé d'une moyenne de 5 p. 100. Pourrait-on faire des projections de cet ordre, d'après ce que vous avez constaté au cours des cinq dernières années?

M. Bolduc : Pour les aéroports, oui. Comme je le disais, la frontière terrestre est assez stable. Dans l'ensemble, le nombre de voyageurs traités par l'ASFC est assez stable si l'on combine ces deux types de voyageurs, mais nous constatons une augmentation des arrivées aux aéroports.

[Français]

Le sénateur Nolin : Merci, monsieur le président; monsieur Bolduc, madame Soper, merci d'avoir accepté notre invitation. Vous avez compris l'ampleur du mandat qui nous est confié par le Sénat. C'est assez précis et on ne veut pas trop s'épivarder parmi toutes vos responsabilités, mais plutôt se concentrer sur l'admissibilité et surtout sur les mesures de renvoi.

Madame Soper, est-il exact que cela fait environ cinq ans que vous êtes à réorganiser vos services de renseignements?

Si la réponse est oui, pourquoi faites-vous cela?

[Traduction]

Lesley Soper, directrice exécutive des programmes d'exécution de la loi et du renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : Récemment, nous avons repensé notre organisation pour réunir nos services du renseignement et nos services d'exécution.

[Français]

Le sénateur Nolin : C'est exactement ce à quoi je fais référence. Pourquoi, donc, avez-vous fait cela?

[Traduction]

Mme Soper : Le renseignement est un service d'appui à la fois aux agents des services frontaliers, qui sont en première ligne, et aux agents d'exécution, qui travaillent à l'intérieur de nos frontières. Notre objectif est d'assurer que les interventions combinées de nos agents d'exécution et de nos agents du renseignement se fassent harmonieusement. Elles étaient déjà harmonisées, mais les communications entre ces deux groupes sont essentielles, alors nous essayons de trouver un moyen d'accroître encore davantage la valeur du renseignement aux fins de l'exécution, dans notre organisation.

Le sénateur Nolin : Quand vous avez lu le rapport du vérificateur général, ses constatations vous ont-elles semblé préoccupantes, ou étiez-vous déjà au courant de la situation?

Mme Soper : Je pense que nous étions au courant. Vous vous rappellerez que, en 2008, nous avons fait l'objet d'une vérification qui avait donné lieu au chapitre « Assurer la sécurité et l'ouverture de nos frontières », dont les conclusions étaient semblables concernant les cibles que nous visions, nos résultats à la frontière et le succès que nous obtenions après l'émission d'avis de surveillance.

Nos travaux en ce sens étaient très avancés. Nous étions en train de réexaminer ce que nous avions fait depuis 2008 quand le vérificateur général a fait la vérification de suivi sur cette partie. Ce n'est absolument pas une surprise. En fait, si vous avez lu la réponse de notre direction, vous aurez constaté que le Bureau du vérificateur général a pris note de notre plan d'action interne. Notre objectif est maintenant de concrétiser les éléments figurant dans la réponse de notre direction.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Bolduc, lorsque vous envisagez des mesures de renvoi, quels en sont les motifs? Comment organisez-vous un dossier de mesures de renvoi? Quels sont les critères que vous utilisez pour en venir à la conclusion qu'un individu doit être renvoyé du Canada?

M. Bolduc : Un renvoi s'exécute au moment où la mesure devient exécutoire. Donc, la personne a eu l'occasion d'avoir accès à l'ensemble des recours qui existent en fonction de LIPR.

Le sénateur Nolin : Vous venez d'utiliser un acronyme, vous faites référence à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, n'est-ce pas?

M. Bolduc : Oui.

Le sénateur Nolin : C'est bien de s'assurer que les gens comprennent. Vous savez que nous mettons les gens à l'amende ici lorsqu'on utilise trop d'acronymes. Le président n'est pas trop enclin à mettre cette règle en œuvre, mais on pourrait peut-être faire appel à vos services. Il serait bon d'utiliser le moins d'acronymes possible pour s'assurer que les Canadiens qui nous écoutent nous comprennent bien.

M. Bolduc : J'en prends bonne note. La mesure devient exécutoire quand l'individu a eu accès à l'ensemble des recours prévus par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il peut même avoir accès à un recours en Cour fédérale. À ce moment, nos agents s'assureront que nous avons un document de voyage pour procéder au renvoi. Le renvoi peut être effectué de deux façons : un renvoi sous escorte ou sans escorte.

Donc, après une évaluation du risque et du cas, une décision est prise à savoir si on permet à la personne de quitter volontairement sans être escortée par des agents de l'agence. Si l'évaluation détermine qu'il y a un risque, que ce soit un criminel ou un risque à la sécurité, la personne sera escortée physiquement par des agents de l'agence jusqu'à son pays de destination.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup, et bienvenue à notre comité aujourd'hui. J'ai travaillé de nombreuses années avec les organismes qui vous ont précédé — douanes et accise, patrouille frontalière, et cetera — et je sais que votre organisation effectue un travail très difficile, compte tenu de la taille de nos frontières et de toutes les voies d'accès.

Je ne m'arrêterai pas aux détails de votre exposé. J'ai des questions précises à poser sur la mort d'une dame en Colombie-Britannique, Mme Jimenez. Comme j'ai été coroner en chef, je comprends que le service des coroners de la Colombie-Britannique fait actuellement enquête sur cette affaire. J'aimerais que vous me confirmiez que, en vertu de la loi de la Colombie-Britannique, une enquête publique approfondie devra être menée parce que cette personne est morte pendant qu'elle était en détention. Ai-je raison?

M. Bolduc : Je sais que les médias ont rapporté beaucoup d'inexactitudes au sujet de cette affaire. Oui, l'ASFC collabore pleinement à l'enquête du coroner. Si vous avez déjà été coroner, vous connaissez probablement la loi mieux que moi. Quoi qu'il en soit, quand l'enquête en cours sera terminée, on prendra la décision de réaliser une enquête officielle du coroner, à laquelle l'ASFC collaborera pleinement, encore une fois.

Le sénateur Campbell : Vous avez une émission de télévision qui connaît un certain succès. Ce n'est pas du gros divertissement, selon moi, mais je crois que c'est un moyen de faire part à la population de ce qui se passe. Existe-t-il au sein de votre organisation des groupes spécialisés dont la fonction première est d'intervenir ailleurs qu'aux frontières, en fonction de l'information existante, pour trouver les gens vivant illégalement au Canada? Je n'ai pas obtenu la réponse à cette question en regardant l'émission. Est-ce là une des fonctions de ce groupe?

M. Bolduc : C'est exact. Il y a les gens que vous voyez à la télévision, un agent des services frontaliers, mais il y a aussi une équipe assez importante, composée d'agents d'exécution de la loi dans les bureaux intérieurs, dont le mandat principal consiste à assurer l'application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et à essayer de recueillir des renseignements sur les personnes qui sont interdites de territoire ou qui se trouvent au Canada illégalement.

Le sénateur Campbell : Lorsque vous vous rendez compte qu'une personne est dans l'une de ces situations, nous voyons toujours que vous procédez à son arrestation. Où amenez-vous les gens que vous arrêtez?

M. Bolduc : Nous les amenons à nos bureaux. Nous les interrogeons, et selon l'évaluation effectuée par l'agent responsable du cas, la personne peut être libérée sous réserve de certaines conditions, soit l'obligation de se présenter en personne. Si nous pensons que la personne risque de ne pas se présenter et donc d'entrer dans la clandestinité, ou si nous croyons qu'il y a un risque pour la sécurité des Canadiens, nous garderons alors la personne en détention.

Le sénateur Campbell : Lorsque vous gardez une personne en détention, est-ce dans vos propres cellules?

M. Bolduc : Nous gérons notre propre centre de détention. Nous en avons trois : un à Montréal, plus précisément à Laval, un à Toronto et un à Vancouver.

Le sénateur Campbell : Lorsque vous dites que vous gérez ces centres, est-ce que cela veut dire que la surveillance est exercée par les services frontaliers?

M. Bolduc : C'est l'ASFC qui gère les centres, mais les gardiens sont des sous-traitants provenant d'agences de sécurité.

Le sénateur Campbell : Sont-ils formés selon les politiques de l'ASFC?

M. Bolduc : Ils sont formés par l'ASFC et respectent ses politiques.

Mme Soper : Nous énonçons tous les détails dans les contrats. De plus, bien souvent, des gens s'occupent de la gestion directement dans les établissements.

Le sénateur Campbell : Vous arrive-t-il de détenir des gens dans les cellules du service de police de Vancouver ou d'un détachement de la GRC? Je ne veux pas dire de façon passagère, mais comme endroit de détention?

M. Bolduc : Certaines personnes sont détenues dans les établissements provinciaux. Nous n'utilisons pas les établissements fédéraux.

Le sénateur Campbell : S'agit-il de centres de détention provisoire?

M. Bolduc : Oui, il s'agit de centres de détention provisoire, et dans les cas très médiatisés où il y a d'importants risques pour la sécurité, nous utilisons généralement un établissement provincial, car nous sommes d'avis que ceux-ci ont le personnel requis et la formation nécessaire pour s'occuper de ces cas plus importants.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Soper, nous savons qu'entre les États-Unis et le Canada, l'entrée est difficile. Si les gens arrivent au Canada, l'entrée aux États-Unis est particulièrement difficile et souvent, lorsque les gens arrivent par avion, ils sont bloqués aux aéroports.

J'aimerais savoir s'il y a une bonne communication entre les services frontaliers américains et canadiens ou si les gens sont bloqués à leur arrivée.

[Traduction]

Mme Soper : Je crois que M. Bolduc pourra répondre plus directement à cette question du point de vue opérationnel. Évidemment, dans les principaux aéroports du Canada, on trouve des installations de prédédouanement qui sont exploitées en collaboration avec les États-Unis. La communication est bonne entre les agents américains et les agents canadiens qui doivent gérer ces installations.

Votre question porte-t-elle sur la façon dont nous travaillons généralement avec les États-Unis pour régler les problèmes transfrontaliers ou sur le mode aérien?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Votre manière de travailler en général avec les services frontaliers américains. Nous voudrions savoir s'il y a des échanges de collaboration entre les corps policiers.

[Traduction]

Mme Soper : Comme vous pouvez l'imaginer, nous entretenons de bonnes relations avec les États-Unis, étant donné que nous partageons notre plus importante frontière avec ce pays. Nous avons conclu des ententes en vue de partager régulièrement des renseignements avec les États-Unis au sujet des gens qui traversent aussi notre frontière. Diverses organisations échangent des renseignements, car certains corps policiers des États-Unis souhaitent connaître les déplacements de part et d'autre de la frontière. Il en va de même de nos homologues du Customs and Border Protection service. Nous avons donc mis en place des mécanismes légitimes de partage de renseignements afin que nos deux pays puissent échanger de l'information.

Nous fournissons aussi à nos agents les outils nécessaires pour gérer l'information. Ainsi, nos lignes d'inspection primaire utilisent des avis de surveillance que nous pouvons produire nous-mêmes au Canada, à partir de l'information dont nous disposons sur des gens qui pourraient traverser la frontière, avec nos partenaires canadiens, nos partenaires responsables de l'application de la loi et nos partenaires des États-Unis.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Bolduc, j'ai eu le privilège de visiter vos installations à Rigaud et même de profiter de votre salle de tirs virtuels. Comme ancien policier, cela s'est plutôt bien passé, je dois dire.

Ceci étant dit, j'ai remarqué que dorénavant, vos officiers seront tous armés. On sait que c'est une demande qui avait été faite. L'entraînement se fera de la même manière que dans les corps policiers, j'imagine, tous les ans. J'aimerais vous entendre sur la dangerosité de votre travail. Peut-on dire que votre travail est plus dangereux maintenant, avec tout ce qui se passe dans les différents pays?

M. Bolduc : Je vous remercie pour votre question. Je vous dirais que oui, nous travaillons dans un environnement changeant. Moi-même, j'ai commencé il y a 25 ans et je vous avoue que l'environnement à ce moment-là était complètement différent. En effet, la clientèle aux frontières évolue et nous faisons souvent face à des menaces inconnues, d'où la nécessité pour nous d'utiliser au maximum l'information que l'on peut obtenir avant l'arrivée des voyageurs et des marchandises. Ceci nous permet de faire un triage ou un ciblage pour savoir quel individu ou quelle marchandise nous devrons examiner lors de leur arrivée à la frontière.

Nos agents profitent d'une formation solide, une formation qui les outille pour faire face à cette réalité qui n'est pas nécessairement propre au Canada, selon les nombreuses discussions que nous avons avec d'autres organisations qui gèrent les frontières dans d'autres pays. Il s'agit d'un phénomène mondial et planétaire.

Le sénateur Dagenais : Dans votre présentation, monsieur Bolduc, vous dites que vous tentez d'enrayer la menace le plus tôt possible, loin des frontières. Dois-je comprendre qu'au moment où l'avion se pose dans un aéroport canadien, les passagers immigrants à bord de ce vol ont déjà été enquêtés?

M. Bolduc : Oui, présentement, les compagnies aériennes ont l'obligation de nous transmettre les informations sur les passagers dès que l'avion a décollé de son point d'origine. L'une des initiatives contenues dans le plan d'action Par- delà la frontière nous permettra de recevoir l'information jusqu'à 72 heures à l'avance. Présentement, au moment du décollage, notre centre de ciblage national analyse l'information en fonction des renseignements reçus et pointe des cibles au point d'entrée, à savoir qu'un tel ou une telle fera l'objet d'un examen secondaire pour telle ou telle raison.

À l'avenir, on pourra traiter cette information 72 heures à l'avance, ce qui va grandement améliorer notre gestion. Vous pouvez imaginer la quantité d'informations qu'on reçoit des différentes compagnies aériennes. Plus nous pouvons débuter la séance de triage tôt, plus nous serons efficaces. C'est un outil qui sera fort utile pour nous.

[Traduction]

Le sénateur White : Pour faire suite à la question de mon collègue, cela fait maintenant près de 10 ans qu'on met davantage l'accent sur l'application de loi au sein de l'ASFC, alors que ce n'était pas nécessairement le cas avant. Je crois que c'est une bonne chose, plus particulièrement lorsqu'on pense à certaines régions du Yukon, par exemple.

Où en sommes-nous en ce qui concerne la mise en œuvre de cette stratégie d'application de la loi — les armes à feu, la formation et l'éducation? Je sais qu'au départ, le syndicat qui représente certains agents était contre certains de ces changements. En effet, étant donné que les gens ont été embauchés pour accomplir certaines tâches, seront-ils en mesure de faire ce qu'on leur demande maintenant?

Quel pourcentage du programme a été mis en œuvre?

M. Bolduc : Vous avez raison. Notre effectif est en transition. Nous sommes toujours en bonne voie d'atteindre notre objectif, qui consiste à voir à ce que nos agents soient armés d'ici 2016. Nous avons apporté certaines modifications à nos programmes de formation, et maintenant, les recrues qui terminent leur formation à notre collège de Rigaud sont entièrement formées dès qu'elles obtiennent leur diplôme. Donc, les nouveaux employés de l'organisation ont la formation et les outils nécessaires et sont en mesure de mener à bien son mandat.

Nous sommes sur la bonne voie. Je n'ai pas de chiffres précis à fournir quant au nombre de personnes qui ont été formées depuis le début, mais si le président me le permet, je vous fournirai ces données avec plaisir.

Le sénateur White : Je crois que nous avons un excellent programme d'interdiction de vol au Canada, et je pense qu'il en va de même pour notre partenaire aux États-Unis. Cela dit, je ne suis pas convaincu que c'est la même chose pour les autres pays qui autorisent les gens à venir au Canada, ce qui me préoccupe vivement, surtout parce qu'il est question de la nécessité d'échanger des renseignements en temps opportun pour pouvoir imposer des interdictions de vol ou gérer la situation particulière d'une personne qui a été identifiée.

Comme je vais vous poser une question complexe, je m'attends à ce que vous me donniez une réponse complexe : êtes-vous persuadé que les pays qui exploitent des vols vers le Canada ont la capacité d'imposer des interdictions de vol et que nous obtenons les renseignements assez rapidement pour pouvoir gérer nous aussi ces situations?

M. Bolduc : Pour revenir à la réponse que j'ai donnée au sénateur Dagenais, grâce à l'information préalable sur les voyageurs interactive, nous pouvons recevoir des renseignements jusqu'à 72 heures à l'avance. Nous commencerons à évaluer ces renseignements et nous serons en mesure de faire parvenir un message à la compagnie aérienne pour l'aviser d'autoriser ou non l'embarquement. Je crois que cette façon de procéder apportera beaucoup à notre programme de ciblage.

Par ailleurs, vous avez raison. À l'heure actuelle, il arrive que nous obtenions l'information une fois que l'avion a décollé. Cela dépend de l'endroit d'où provient l'appareil. Par exemple, un avion qui arrive de l'Europe, plus précisément du Royaume-Uni, se trouve à cinq heures de Toronto, tandis qu'un avion qui part de Washington est environ à une heure trente de là. Donc, si nous obtenons les renseignements jusqu'à 72 heures à l'avance, cela nous laisse beaucoup plus de temps et nous permet de faire une évaluation précise des renseignements sur les personnes qui arrivent au Canada en se fondant sur les risques.

Le sénateur White : Cela dit, je peux me rendre au comptoir d'une compagnie aérienne à Londres, qu'il s'agisse d'Air Canada ou d'une autre compagnie, trois heures avant le départ, et acheter un billet. Je serais alors à bord de l'avion et vous recevriez peut-être les renseignements seulement lorsque j'aurais quitté l'avion et que je me trouverais en présence de vos agents à Ottawa. Est-ce exact?

M. Bolduc : Non. Nous aurions obtenu les renseignements dès que l'avion aurait quitté Londres.

Le sénateur White : Vous auriez reçu toute l'information...

M. Bolduc : Oui.

Le sénateur White : Donc, vous sauriez à tout le moins que ces personnes arrivent au Canada et vous géreriez le risque sur place, à leur arrivée?

M. Bolduc : Exactement. Nous évaluerions le risque et nous serions en mesure de fournir automatiquement des renseignements au personnel de première ligne pour qu'il puisse savoir s'il est nécessaire de procéder à une exclusion secondaire en ce qui concerne la personne X, pour une raison Y.

Le sénateur White : Dans ce cas, le mot « exclusion » a une connotation positive, et non négative, n'est-ce pas?

M. Bolduc : Oui.

Le sénateur Wells : Monsieur Bolduc, madame Soper, je vous remercie de vos exposés et de vos réponses jusqu'à maintenant.

J'aimerais parler des documents frauduleux et des tendances. J'aimerais ensuite vous demander de faire le point à ce sujet. Quelles sont les tendances en matière de documents frauduleux?

M. Bolduc : C'est une question difficile. De plus en plus, nous constatons que des gens utilisent des documents authentiques, mais obtenus par des moyens frauduleux. C'est la principale tendance observée.

Le sénateur Wells : Donc, une personne en possession de tels documents réussirait à traverser la frontière, car il s'agit d'un document légitime?

M. Bolduc : Pas nécessairement, car nos agents utilisent les systèmes mis à leur disposition. Il est de plus en plus difficile pour le personnel des compagnies aériennes à l'étranger de déterminer si un document a été obtenu par des moyens frauduleux et si la personne se rend au Canada pour demander le statut de réfugié ou pour une autre raison.

Lorsque j'ai commencé dans ce métier, les gens changeaient les photos. Ils utilisaient un passeport authentique, mais ils découpaient la photo et la changeaient.

Grâce à notre réseau d'agents de liaison à l'étranger, nous pouvons communiquer à nos agents de première ligne des renseignements à jour sur ce qui se passe partout dans le monde et sur ce que les autres organismes frontaliers savent. Nous leur offrons également les outils et les connaissances dont ils ont besoin pour qu'ils soient bien conscients de tout cela lorsqu'ils échangent avec des ressortissants et même avec les citoyens canadiens lorsqu'ils se présentent à la frontière.

Le sénateur Wells : Compte tenu des nouvelles technologies et des connaissances de ceux qui essaient de se soustraire aux règles, les moyens dont nous disposons pour faire face à ces menaces sont-ils à la fine pointe de la technologie?

M. Bolduc : Je crois qu'ils le sont. Les initiatives qui figurent dans le plan d'action Par-delà la frontière nous donneront un avantage supplémentaire, car nous aurons une longueur d'avance sur les tendances et sur ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Le sénateur Wells : Lorsque je me rends au comptoir d'Air Canada ou de WestJet pour un vol international, on me demande mon passeport. Je fournis ma carte d'embarquement, mais on me demande tout de même mon passeport. Les employés y jettent un coup d'œil et me disent : « Merci, monsieur Wells. » C'est l'une des premières vérifications effectuées par un tiers.

Envisage-t-on de fournir un système de balayage électronique à ces employés? Lorsqu'ils regardent un passeport, ils ne peuvent pas dire s'il y a un problème et s'il s'agit d'un document frauduleux, par exemple. Envisage-t-on d'offrir aux compagnies aériennes — qui effectuent bien souvent, comme je l'ai dit, les toutes premières vérifications par un tiers — des outils pour les aider à faire plus qu'une vérification visuelle?

M. Bolduc : Les outils de balayage qu'ils utilisent sont propres à la compagnie aérienne. L'un des rôles les plus importants joués par nos agents de liaison à l'étranger consiste à offrir de la formation aux agents des compagnies aériennes afin qu'ils soient bien renseignés et effectuent une vérification appropriée. Bien souvent, dans le doute, ces gens se fient à nos agents de liaison et s'adressent à eux pour obtenir des précisions.

Nous sommes d'avis que notre réseau est solide et que nos programmes sont rigoureux. Si on tient compte du nombre d'appels que nos agents reçoivent — bien souvent sept jours par semaine, 24 heures par jour —, je crois qu'on peut dire que nos efforts auprès des agents des compagnies aériennes commencent à porter leurs fruits.

Le président : Si vous me le permettez, chers collègues, j'aimerais poser une question. Simplement pour mettre les choses en perspective, je tiens à dire que j'ai entendu plusieurs chiffres au sujet des personnes interdites de territoire qui se trouvent au Canada. Peut-être pourriez-vous, aux fins du compte rendu, nous fournir une estimation du nombre de personnes qui se trouvent en ce moment au Canada et qui semblent être interdites de territoire?

M. Bolduc : Monsieur le président, parlez-vous du nombre de personnes qui font partie de notre inventaire des renvois?

Le président : Non. J'ai cru comprendre que vous savez que certaines personnes interdites de territoire sont venues au pays et étaient censées se présenter en personne, mais ne l'ont pas fait. Donc, au fil des ans, de nombreuses personnes sont arrivées au pays et y sont demeurées, mais nous n'avons pas de moyen de les expulser.

Mme Soper : Oui. Nous avons un inventaire de personnes interdites de territoire pour lesquelles un mandat d'arrestation a été lancé. C'est un tout petit inventaire par comparaison à l'inventaire global des renvois. Il compte environ 3 500 personnes, mais ce nombre a augmenté au fil des ans. Il ne s'agit pas d'un chiffre très précis, car il ne tient pas compte du nombre de personnes qui ont peut-être quitté le Canada. Par conséquent, ces gens n'ont jamais été vus par les forces de l'ordre ou par nous. Nous faisons un suivi du nombre de personnes interdites de territoire depuis plusieurs décennies. Ce n'est donc pas une bonne façon de mesurer le nombre de personnes qui sont peut-être interdites de territoire et vivent clandestinement dans la société canadienne.

Le président : Vous avez parlé de deux catégories, l'une étant les personnes interdites de territoires et l'autre, les personnes devant être renvoyées.

Mme Soper : Oui.

Le président : Pourriez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

Mme Soper : Nous faisons également un suivi des mandats d'arrestation émis contre certaines personnes parce qu'elles ne se sont pas présentées au moment prévu pour leur renvoi du Canada. Encore une fois, nous faisons un tel suivi depuis de nombreuses années. Je crois qu'en ce moment, il est question de 44 000 personnes. Ce nombre a augmenté depuis 1980, lorsque nous avons instauré les systèmes de données et commencé à assurer un suivi.

Vous vous souviendrez que dans le cadre du plan d'action Par-delà les frontières, nous avons mis en œuvre un système de contrôle des sorties pour les ressortissants étrangers. Ainsi, à l'avenir, nous saurons que les personnes qui quittent le pays l'ont fait par elles-mêmes, alors qu'à l'heure actuelle, en tant qu'agence, nous disposons d'un seul outil. Ainsi, nous pouvons soit faire enquête et essayer de trouver où ces gens habitent au Canada, dans leur communauté, soit lancer un mandat d'arrestation afin que l'ensemble des forces de l'ordre puisse nous aider à trouver cette personne et à l'expulser.

Le président : C'est un nombre assez élevé, car on parle de 45 000 et de 3 500 personnes. Cela fait presque 50 000 personnes qui, d'une manière ou d'une autre, se trouvent au pays — disons-le franchement — de façon illégale.

Mme Soper : Je peux vous donner les statistiques exactes à l'heure actuelle. Puisque nous effectuons un suivi mensuel, je peux vous fournir les données les plus récentes. Je crois qu'il est question de moins de 44 000 personnes pour ce qui est de l'interdiction de territoire et de 3 000 à 3 500 personnes — je suis désolée, je n'ai pas les statistiques avec moi.

Le président : Chers collègues, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais poursuivre dans cette voie.

Selon le document du vérificateur général, dont M. Bolduc a parlé à plusieurs reprises dans son exposé, il est évident que diverses initiatives sont prises pour vous permettre d'effectuer le travail qui vous a été confié. J'aimerais simplement poser une question générale.

Compte tenu du fait qu'il est question de 45 000 à 50 000 personnes qui sont carrément ici de façon illégale, et ce, depuis 1980 si on se fie à notre base de données, auriez-vous des propositions à formuler en ce qui concerne les mesures législatives ou les politiques qui seraient susceptibles de vous aider à faire face à ce genre de situation de manière à protéger nos frontières? Je ne comprends pas pourquoi nous devrions tolérer cela. Peut-on faire plus à cet égard?

M. Bolduc : L'un des outils qui peuvent nous être utiles est une initiative appelée « entrée/sortie », qui nous permet d'effectuer des contrôles de sortie.

À l'heure actuelle, nous pouvons lancer un mandat d'arrestation contre une personne, et celle-ci peut décider par elle-même de quitter le pays. Dans un tel cas, l'ASFC ne reçoit pas ces renseignements. En instaurant des contrôles de sortie, lorsqu'une personne quitte le pays, nous pourrons jumeler ces données avec notre propre répertoire des mandats d'arrestation et être en mesure de fermer le dossier. Cela sera avantageux pour l'ASFC et nous aidera réellement à gérer ce nombre qui, je vous l'accorde, semble assez élevé. En fait, c'est ce qui nous a amenés à lancer l'initiative de l'ASFC. Par ailleurs, en ce qui concerne les affaires très médiatisées, lorsque nous souhaitons retrouver certaines personnes, nous diffusons leur photo et leur description au public, comme la plupart des autres services de police le font.

Nous essayons d'être créatifs et d'utiliser tous les outils d'enquête à notre disposition, mais je dirais qu'une initiative « entrée/sortie » serait très avantageuse pour l'ASFC.

Mme Soper : Monsieur le président, j'aimerais fournir plus de contexte. Je pense que nous nous comparons avantageusement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, deux pays où on effectue un suivi des personnes qui ont disparu dans la société.

Le Royaume-Uni a récemment tenu une enquête parlementaire sur les personnes qui fuient son système d'immigration, ce qui lui a permis de recenser environ 450 000 personnes. Je crois que le département de la Sécurité intérieure des États-Unis, de concert avec le département d'État, a évalué le nombre d'immigrants illégaux au sein de la société américaine. Il semblerait que cela représente environ 10 millions de personnes aux États-Unis.

Pour mettre les choses en perspective, je tiens aussi à souligner que selon les données que nous avons recueillies au cours des deux dernières années sur le nombre de mandats d'arrestation lancés contre des personnes qui ont disparu au Canada ou qui attendent leur audience de renvoi ou d'interdiction de séjour, nous avons exécuté autant de mandats que nous en avons lancé. Nous arrivons donc à suivre le rythme du nombre de personnes qui apparaissent dans le système et nous fermons autant de dossiers que nous en ouvrons.

[Français]

Le sénateur Nolin : J'aimerais revenir au rapport du vérificateur général, monsieur Bolduc. Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés oblige les transporteurs aériens — et vous y avez fait référence — parce qu'il y a une modification quant au délai de livraison de l'information préalable sur les voyageurs et les dossiers des passagers.

Le vérificateur général et vous, soit l'agence, ne vous entendez pas. Le vérificateur général prétend que la qualité des données qui vous sont transmises par les transporteurs aériens laisse à désirer. Selon le rapport, le vérificateur général prétend que vous affirmez qu'en autant que les transporteurs aériens nous fournissent de l'information, même si elle est incomplète, ils satisfont au règlement. C'est pourquoi vous affichez un taux presque parfait de 100 p. 100 de satisfaction.

Est-ce que vous avez résolu ce petit problème de sémantique? Ce que le vérificateur général nous dit m'apparaît important. C'est vraiment la qualité de l'information qui compte.

M. Bolduc : Tout à fait. Merci de votre question, monsieur le sénateur. Oui, nous avons pris action sur la recommandation du Bureau du vérificateur général. On a créé un comité de travail avec des représentants de l'industrie pour connaître leur environnement, les capacités techniques et opérationnelles dont ils disposaient et les difficultés qu'ils avaient à nous transmettre l'information. Ce comité nous a éclairés.

Nous avons mis en place une espèce de bulletin que l'on a créé pour chacune des compagnies aériennes. La meilleure façon de changer un comportement est souvent par l'éducation. En fournissant aux compagnies aériennes un bulletin de performance, cet outil les rendra plus aptes à améliorer leur performance.

Nous avons aussi introduit le principe d'un message de confirmation. Une fois les données sur les passagers transmises à l'agence avec un niveau de qualité acceptable, un message sera renvoyé à la compagnie aérienne pour confirmer la réception de cette information. Bien qu'il y ait eu peut-être une légère divergence d'opinion avec le Bureau du vérificateur général sur la terminologie et la sémantique, nous avons pris acte de ses recommandations et avons mis en place des mesures pour corriger la situation.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je vais limiter le nombre de questions à une par personne, car nous allons commencer le deuxième tour et le temps file rapidement.

Le sénateur Campbell : Il y a deux acronymes, mais je vais utiliser les versions longues. Il y a le Système de soutien des opérations des bureaux locaux et le Système intégré d'exécution des douanes. Ces systèmes sont principalement utilisés pour les avis de surveillance; ils ajoutent des renseignements au système.

Le vérificateur général n'était pas tellement satisfait de la façon dont les choses se passaient. J'aimerais poser une question, qui semblera être deux questions, mais en fait, c'en est une seule.

On indique que les avis de surveillance sont surtout saisis dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux, mais qu'ils peuvent aussi être saisis dans le Système intégré d'exécution des douanes. On m'informe que le Système de soutien des opérations des bureaux locaux sera graduellement aboli à compter de décembre 2014. Est-ce que cela signifie que le Système intégré d'exécution des douanes sera en place et fonctionnel et, comme l'a souligné le vérificateur général, sera le seul système utilisé pour tenir les dossiers de façon continue? Est-ce que c'est ce qui se produira?

M. Bolduc : Vous avez raison. Le Système de soutien des opérations des bureaux locaux ne sera plus utilisé à compter de décembre cette année. Nous ferons la transition à un nouveau système utilisé par Citoyenneté et Immigration.

À mon avis, il importe de souligner que l'ASFC n'existe que depuis 10 ans. Elle a été créée le 12 décembre 2002. Nous avons créé une organisation et utilisé les anciens systèmes qui étaient en place à ce moment.

Vous avez raison, il existe deux systèmes, soit le Système de soutien des opérations des bureaux locaux et le Système intégré d'exécution des douanes. Il importe de savoir que ces deux systèmes permettent d'alimenter le système utilisé par les agents pour faire des recherches lorsqu'un voyageur se présente à un poste frontalier terrestre ou à un aéroport. Donc, un avis de surveillance qui a été saisi dans l'un des deux systèmes peut être consulté par l'agent qui fait le balayage du passeport.

Le sénateur Campbell : Ce n'est pas vraiment là où je voulais en venir. Tant mieux si les agents ont accès à ces renseignements. Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y a pas de dossiers en tant que tels dans l'un de ces systèmes. Il n'y en a pas dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux. Il semblerait que les données fondées sur le Système intégré d'exécution des douanes ne sont pas fiables.

Donc, l'un de ces systèmes ne comporte aucun dossier, tandis que l'autre fournit des données peu fiables. Qu'est-ce qui remplacera le système lorsqu'il sera abandonné en 2014? Un nouveau système. Va-t-il aussi inclure le Système intégré d'exécution des douanes?

M. Bolduc : Il s'agit d'un nouveau système qui comprendra tous les renseignements disponibles.

Le sénateur Campbell : Et il y aura un dossier?

M. Bolduc : Oui, il y aura un dossier.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Bolduc, comme vous le savez, il arrive souvent que des personnes demandent le statut de réfugié au Canada à la suite d'un cataclysme qui se produit dans leur pays d'origine. Corrigez-moi si je me trompe, mais on leur accordera un permis de résident temporaire jusqu'à ce que la situation se résorbe, après quoi ces personnes devraient normalement retourner dans leur pays. Cependant, il arrive que la situation ne se résorbe pas dans les six mois et que ces personnes s'établissent au Canada, se marient, fondent une famille et se trouvent un travail. Or, quand le permis arrive à terme, ces personnes doivent retourner dans leur pays. De quelle façon procédez-vous dans de telles situations? Peut-être que ces personnes ne se rapporteront pas. On le vit à tous les jours et on le voit parfois dans les médias. Comment procédez-vous avec ces personnes?

M. Bolduc : Si vous me le permettez, sénateur Dagenais, j'aimerais apporter une clarification, et je demanderai ensuite à Mme Soper de compléter ma réponse.

Il y a deux façons d'être reconnu comme réfugié au Canada. Le Canada fait la sélection de réfugiés à l'étranger, dans les camps de réfugiés, où ces gens sont sélectionnés et amenés au Canada en fonction d'un statut. Lorsqu'ils arrivent ici, ils ont donc le statut d'une personne ayant obtenu la protection du Canada.

Une autre série d'individus sont ceux qui se présentent à nos frontières et qui demandent la protection du Canada. Ces gens doivent plaider leur cas à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui est une commission indépendante de l'ASFC et de Citoyenneté et Immigration Canada, qui prendra la décision d'accorder ou non la protection du Canada à ces individus.

Dans l'éventualité où la réponse serait négative, la personne aurait, à ce moment-là, accès à différents recours. Elle pourrait par exemple interjeter appel ou encore faire une demande de résidence pour des raisons humanitaires auprès de Citoyenneté et Immigration Canada.

Une fois que tous ces recours ont été exercés, la personne devient à ce moment-là inadmissible au Canada et devra être renvoyée du Canada.

Il est possible que certaines personnes soient tentées d'emprunter une voie clandestine, mais il y a quand même une proportion d'individus qui collaboreront et qui quitteront volontairement le Canada avec l'espoir de faire demande à nouveau, en empruntant les voies normales, pour pouvoir s'établir ici un jour.

C'est donc la réalité à laquelle on fait face en ce qui concerne les gens qui demandent la protection du Canada.

Le sénateur Dagenais : Auriez-vous quelque chose à ajouter, madame Soper?

[Traduction]

Mme Soper : J'aimerais peut-être ajouter que dans sa forme actuelle, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés incite très certainement les gens à se présenter et à quitter le Canada de leur plein gré, plus particulièrement s'ils ont créé des liens ou se sont fait des amis. Si une personne est expulsée par l'ASFC, elle devra payer une amende pour pouvoir revenir au Canada. Des mesures incitatives ont été mises en œuvre pour encourager les gens à se conformer volontairement aux politiques, mais elles ne sont pas toujours efficaces.

Le sénateur White : J'ai une question qui donnera lieu à deux réponses.

Le plan d'action pour la réduction du déficit a donné lieu à des réductions à l'échelle du gouvernement du Canada, et l'ASFC sera elle aussi touchée. En fait, elle pourrait devoir réduire grandement le nombre d'agents. Voici ma question. D'une part, aurez-vous encore la capacité de continuer d'offrir les services que vous offrez en ce moment à l'échelle du pays? D'autre part, un volet de l'accord sur la frontière intelligente conclu par MM. Manley et Ridge, qui est entré en vigueur en 2003-2004 et visait à mettre en œuvre un processus accéléré au Canada et aux États-Unis, avait entre autres pour objectif de mettre en œuvre un système d'identification en temps réel, ce qui est maintenant presque chose faite. Pouvez-vous me dire ce qu'il en est et si nous sommes rendus à l'étape que nous souhaitions atteindre lors des premières négociations?

M. Bolduc : Pour ce qui est de la première partie de la question, l'ASFC a dû faire des réductions de 143 millions de dollars dans le cadre du plan d'action pour la réduction du déficit. La majorité de la réorganisation visait les services internes à l'administration centrale. Aucun poste n'a été aboli pour les employés de première ligne et ceux que j'appelle des agents d'exécution de la loi dans les bureaux intérieurs. Il n'y a eu aucune compression visant les services de première ligne.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, à quoi faisiez-vous référence?

Le sénateur White : Je parlais de l'accord conclu par MM. Manley et Ridge, qui prévoyait un processus de traitement accéléré pour les déplacements entre le Canada et les États-Unis, et diverses choses, comme la mise en œuvre de l'initiative d'identification en temps réel, qui a commencé en 2004 et s'est finalement concrétisée en 2012. L'idée était de permettre aux gens de se déplacer plus facilement et plus rapidement et d'être en mesure de surveiller certaines personnes qui se déplacent d'un pays à l'autre. Avons-nous marqué des progrès en ce qui concerne la mise en œuvre de cet accord? Donne-t-il de bons résultats? Compte tenu des objectifs qu'il visait, il aurait dû donner des résultats positifs. Dans ce contexte, sommes-nous parvenus à atteindre les objectifs fixés?

Mme Soper : Nous avons marqué d'importants progrès. En fait, nous avons continué de marquer des progrès dans le cadre du plan d'action Par-delà la frontière. Plus précisément, il est plutôt facile d'échanger les données sur les empreintes digitales en temps réel pour les personnes qui se présentent à un point d'entrée sans documents d'identité. Nous pouvons maintenant échanger ces renseignements en temps réel avec les États-Unis dans le cadre du plan d'action Par-delà la frontière, ce qui nous permet de faire une comparaison et de déterminer si une personne est également interdite de territoire aux États-Unis, comme elle l'est au Canada. Nous sommes en train de procéder à la mise en œuvre.

Parallèlement, nos homologues de Citoyenneté et Immigration Canada délivrent des visas en utilisant les empreintes digitales pour effectuer la vérification des antécédents. Nous marquons de grands progrès dans ce domaine, et nous essayons bien entendu d'harmoniser le plus possible nos pratiques à celles des États-Unis et de mettre à profit les renseignements dont nous disposons sur les ressortissants étrangers des pays tiers qui viennent en Amérique du Nord.

Le sénateur Wells : Monsieur Bolduc, plus tôt, vous avez parlé du protocole de 72 heures et des autorisations et interdictions de vol. Ma question fait suite à celles posées par le sénateur Dagenais.

Collaborons-nous suffisamment avec le département de la Sécurité intérieure ou nos partenaires américains? Nos activités sont-elles suffisamment intégrées? Par exemple, si nous voyons une personne qui devrait normalement, selon nous, faire l'objet d'une interdiction de vol, mais que les Américains, eux, aimeraient que cette personne entre au Canada pour que nous puissions assurer son transfert aux États-Unis, y a-t-il collaboration? Ce n'est pas en temps réel, car nous avons 72 heures pour prendre une décision. Ce niveau de collaboration existe-t-il bel et bien?

M. Bolduc : Oui, minute par minute, jour après jour, semaine après semaine. Dès que l'ASFC reçoit des renseignements d'une compagnie aérienne, elle fait plusieurs vérifications à l'aide de diverses bases de données. Nous communiquons des renseignements aux États-Unis en temps réel, et ils font la même chose pour nous.

En outre, afin de renforcer les liens qui nous unissent, des agents du Customs and Border Protection service des États-Unis font partie de notre centre national de ciblage, tandis que des agents de l'ASFC font partie du centre national de ciblage des États-Unis. Tout renseignement jugé utile pour intercepter quelqu'un à la frontière sera pris en compte. Au besoin, nous nous servirons de nos contacts au pays et nous nous adresserons à nos partenaires américains et internationaux pour valider et confirmer l'information.

Le sénateur Wells : J'ai seulement parlé des États-Unis, car je suis convaincu que la grande majorité des voyageurs traversent notre frontière commune.

Le sénateur Campbell : On a répondu à ma question lorsqu'on a répondu au sénateur Wells. Merci.

Le président : Chers collègues, nous disposons encore de 20 minutes. Si d'autres personnes ont des questions, qu'elles en informent le greffier. Si vous me le permettez, j'aimerais poser une question complémentaire.

J'aimerais revenir sur le rapport du vérificateur général, plus précisément sur le point 5.42. Une fois de plus, je vais lire le rapport, car je crois qu'il est important pour nous de comprendre pourquoi une telle chose pourrait se produire. Voici ce qu'indique le rapport :

Nous avons constaté que dans 15 cas (31 %), les personnes étaient arrivées au Canada par un point d'entrée. Dans 11 des 15 cas, les personnes ont été jugées interdites de territoire mais ont été admises temporairement au Canada à la condition qu'elles retournent au point d'entrée, habituellement le jour suivant, pour quitter le pays ou pour se soumettre à un examen complémentaire conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Ces personnes ne sont pas revenues au point d'entrée comme cela avait été exigé. Quatre des 11 personnes avaient un casier judiciaire et 2 d'entre elles avaient commis des crimes graves. Les quatre derniers cas étaient des fuyards qui ne se sont pas arrêtés et qui ne se sont pas soumis aux contrôles douaniers.

Je ne comprends pas pourquoi une personne qui se fait arrêter à la frontière et est jugée interdite de territoire bénéficie d'un délai de 24 heures?

M. Bolduc : Nous procédons ainsi pour plusieurs raisons. La majorité des cas sont liés au mode aérien. Par exemple, il peut arriver que quelqu'un qui demande d'être admis au Canada soit jugé interdit de territoire selon la loi et que le seul vol qu'il pourrait prendre pour retourner d'où il vient ne parte que le lendemain.

Si l'agent juge que la personne ne risque pas de s'enfuir — rien n'indique que la personne disparaîtra — et qu'il n'y a aucune inquiétude quant à son identité, car nous savons exactement de qui il s'agit, et qu'il n'y a pas non plus de risque pour la sécurité nationale, l'agent peut suspendre l'entrevue et demander à la personne de se présenter le lendemain. Pour ce qui est d'envoyer ces gens en détention de façon systématique, je dois dire que normalement, l'ASFC les y envoie pour les trois raisons que j'ai mentionnées : l'identité de la personne n'a pas été confirmée, il y a des risques pour la sécurité ou la personne risque de s'enfuir. Avec votre permission, monsieur le président, j'inviterais Mme Soper à compléter ma réponse.

Mme Soper : Pour ce qui est des 11 personnes qui avaient un casier judiciaire, il peut s'agir de tout type d'infraction prévu au Code criminel. Les deux infractions graves dont il était question étaient des crimes graves selon la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Quant aux cas moins graves, il peut s'agir de conduite en état d'ébriété ou d'une autre infraction. Dans ce cas, l'agent peut décider que la personne est autorisée à quitter. Puisqu'il s'agit du mode aérien, ces gens doivent revenir à l'aéroport pour pouvoir partir.

Il y a également un autre aspect important dont il faut tenir compte. Ainsi, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit que dans le cas d'une personne qui a commis une infraction à l'étranger, l'agent peut rédiger un rapport sur l'admissibilité, mais il doit tout de même diriger cette personne vers la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui déterminera si cette personne peut demeurer au Canada. Nous devons permettre à la personne d'entrer au pays pour que cette audience puisse avoir lieu. Comme M. Bolduc l'a souligné, s'il y a des risques en ce qui concerne la détention, nous garderons sans aucun doute la personne en détention dans de tels cas, mais s'il n'y a pas de motifs justifiant qu'on exige la détention, nous ne demanderons pas que la personne soit détenue.

Le président : Je ne comprends pas. Une personne arrive à la frontière, où elle est jugée interdite de territoire. Nous lui disons de revenir dans 24 heures pour reprendre l'avion, car elle a été jugée interdite de territoire. Cette personne ne revient pas par la suite parce que de toute évidence, elle veut rester au pays. Il me semble que la politique devrait être différente. Ainsi, si une personne est jugée interdite de territoire, nous la gardons en détention jusqu'à ce que le prochain avion soit prêt à quitter le pays, au lieu d'essayer de trouver le type d'infraction dont il est question, car nous avons déjà déterminé que cette personne est interdite de territoire. Si nous tenons ces audiences, c'est pour déterminer s'il est nécessaire de recommander un changement aux politiques ou aux lois de manière à aider des personnes comme vous à veiller à ce que les personnes interdites de territoire ne fassent pas leur entrée au pays et n'y demeurent pas. Avez-vous besoin d'un meilleur encadrement législatif pour pouvoir détenir ces personnes et éviter de placer les agents dans une situation qui, bien franchement, sera très difficile du point de vue des politiques? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Bolduc : Oui. Compte tenu du libellé de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés — Mme Soper, je vous prierais de m'aider, car je veux que mes observations soient exactes sur le plan technique —, l'agent peut, s'il n'y a pas de risque pour la sécurité, ne pas exiger le retour immédiat de la personne. Il a la capacité, si la personne est arrivée par avion et que le prochain vol n'est que le lendemain, de laisser la personne entrer au pays et revenir le lendemain pour que nous puissions confirmer son départ. C'est le libellé actuel de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Mme Soper : J'ai personnellement examiné certains cas qui ont été étudiés par le vérificateur général et à mon avis, dans sa forme actuelle, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne permet pas à un agent de décider qu'une personne est interdite de territoire et de la renvoyer d'où elle vient. Même si une personne arrive et dit qu'elle a été reconnue coupable de meurtre dans un pays X, cela ne donne aucune latitude à l'agent. Il peut détenir la personne, mais il ne peut pas déterminer son admissibilité : cette décision relève de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Dans ce cas, l'agent peut décider de détenir la personne s'il y a des motifs qui le justifient, car la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés expose très clairement les motifs permettant de détenir une personne. Un agent peut envisager d'accorder une autorisation de quitter le Canada lorsque la personne renonce à ce qu'on lui donne la permission d'entrer au pays. Pour ce qui est du mode aérien, l'agent peut décider de faire confiance à la personne et de croire qu'elle se présentera le lendemain et juger que la situation ne pose aucun risque. Cela se produit et il s'agit d'une façon de faire autorisée par la loi, mais je le répète, seulement dans quelques cas.

Donc, les outils disponibles sont très limités.

Le président : C'est un aspect qu'il faudrait regarder de plus près.

Le sénateur Campbell : J'aimerais examiner davantage cet aspect. Je sais que je ne représente pas le parti majoritaire ici, mais j'ai confiance en mes estimés collègues. Combien de fois cela se produit-il? Combien de fois vous arrive-t-il de constater que des personnes qui se présentent à la frontière ne connaissent peut-être pas bien les procédures associées aux voyages et de leur dire : « Le seul vol qui quitte la région ne part que demain. Je veux que vous vous présentiez ici demain matin. » Combien d'entre eux ne se présentent pas? À quelle fréquence cela se produit-il? Nous pourrions proposer une solution s'il y a bel et bien un problème. Pouvez-vous me fournir une réponse?

Mme Soper : Disons que ce n'est pas un nombre négligeable.

Le sénateur Campbell : Ce n'est pas un nombre négligeable?

Le président : Nous aimerions avoir une réponse à la question.

Mme Soper : Nous parlons de plus de 100 personnes par année.

Le sénateur Campbell : Plus de 100 personnes par année. Combien de fois renvoie-t-on des gens? Ce que j'essaie de savoir, c'est le nombre de fois que des agents demandent à des personnes de revenir le lendemain et que celles-ci ne se présentent finalement pas. On parle ici de plus de 100 personnes qui ne se présentent pas. Combien de personnes avons- nous renvoyées?

Mme Soper : La grande majorité de ces gens arrivent par le mode aérien et il s'agit généralement de citoyens américains qui sont renvoyés automatiquement.

Le sénateur Campbell : Non, je parle de ceux qui travaillent à l'aéroport. De toute évidence, si je suis à une frontière terrestre, c'est simple. Je n'ai qu'à dire à la personne de retourner dans sa voiture, d'aller à gauche, et encore à gauche, et voilà, elle est rendue aux États-Unis.

Mme Soper : La grande majorité de ces gens seraient détenus à l'aéroport et renvoyés s'ils posent un risque assez grave. Mais il y a beaucoup de cas particuliers.

Le sénateur Campbell : Vous ne répondez pas à ma question. Combien de fois est-il arrivé que des gens qui se trouvaient à l'aéroport n'aient pas pu entrer au pays et que compte tenu de sa formation, l'agent se soit dit — ce que je comprends bien — qu'il n'y avait pas de problème, car il s'agissait de personnes inoffensives? Donc, combien de personnes doivent revenir le lendemain et ne le font pas? J'ai aussi demandé quelles étaient les raisons pour lesquelles ces gens ne se présentent pas. Est-ce que quelque chose a échappé à l'agent? Est-ce que la personne est en fait un terroriste ou un meurtrier qui n'a pas été admis au Canada à la frontière? Pour quelle raison? Cela me rend inconfortable lorsque quelqu'un se montre...

Le président : Pouvons-nous laisser les témoins répondre?

Le sénateur Campbell : Oui.

M. Bolduc : Avec la permission du président, nous obtiendrons ce chiffre. Nous ne l'avons pas en main.

Le sénateur Campbell : Je crois que vous procédez de la bonne façon. Cela dit, je changerais d'idée si j'apprenais que ces 100 personnes sont en fait des terroristes.

M. Bolduc : Si vous me le permettez, je tiens à rassurer les sénateurs et le public : si un agent croit qu'il y a un risque pour la sécurité ou que la personne est susceptible de disparaître, il prendra la décision de la garder en détention. Je crois que c'est important.

Quant au Bureau du vérificateur général, il a découvert — et je crois que le président l'a mentionné — que dans l'échantillon analysé, 15 personnes avaient été autorisées à entrer au Canada et ne s'étaient pas présentées au moment où elles devaient quitter le pays, et que rien ne prouvait que ces personnes avaient bel et bien quitté le pays.

Le président : Donc, question de préciser ce que nous voulons savoir, vous avez une fois de plus mentionné le rapport du vérificateur général. Encore une fois, comme je l'ai souligné, quatre des onze personnes avaient un casier judiciaire; deux d'entre elles avaient commis des crimes plus graves, et quatre étaient des fuyards, quelle que soit la définition qu'on donne à ce mot.

Je crois que le sénateur Campbell veut savoir ceci : sur une période d'un an, à des fins statistiques, lorsqu'il est question des personnes à qui l'on accorde 24 heures pour quitter la frontière et y revenir pour ensuite retourner d'où elles viennent parce qu'elles sont interdites de territoire au Canada, combien ne se présentent pas? Je crois qu'il serait très intéressant de connaître cette statistique. Nous aimerions l'obtenir rapidement, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

M. Bolduc : Nous fournirons cette statistique au comité.

Le président : Chers collègues, j'ai une autre question à propos de la mesure législative dont la Chambre des communes est saisie et qui a été présentée il y a quelques jours, en l'occurrence le projet de loi C-24, qui porte sur l'immigration. Je ne suis pas certain du titre du projet de loi, mais cela ressemble à « améliorer la citoyenneté canadienne ». Savez-vous si cette mesure législative aura des répercussions sur votre organisation?

Mme Soper : Il y a en quelque sorte un lien avec le travail que nous effectuons, en ce sens qu'une partie des mesures qui ont été présentées portent sur la révocation de la citoyenneté lorsqu'une personne obtient sa résidence permanente par des moyens frauduleux. Certains mécanismes nous permettraient de révoquer la citoyenneté des personnes qui l'ont obtenue par des moyens frauduleux. Cela fait partie de nos pouvoirs d'enquête. Une fois que Citoyenneté et Immigration a mené une enquête sur le caractère frauduleux d'une demande de citoyenneté et a pris des mesures pour révoquer celle-ci, de notre côté, nous mènerons une enquête parallèle sur la résidence permanente.

Le président : Avez-vous des statistiques sur le nombre de personnes qui ont obtenu leur citoyenneté dans un but frauduleux?

Mme Soper : Non. Il faudrait demander à Citoyenneté et Immigration de répondre à cette question.

Le président : Merci. J'aimerais remercier les témoins d'être venus ici cet après-midi. Ce fut une audience très fructueuse. Vous nous avez fourni beaucoup de renseignements et je crois que ceux-ci nous aideront à comprendre les problèmes auxquels vous vous heurtez. Comme je l'ai mentionné au début, ces audiences ont pour objectif de déterminer si nous pouvons vous aider à offrir les garanties prévues par la loi et veiller à ce que ces gens puissent effectuer le travail conformément à la loi et du mieux qu'ils le peuvent.

Chers collègues, vous vous souvenez sans doute que, le 12 décembre 2013, le Sénat a adopté le mandat d'étude suivant, que je tiens à citer pour ceux qui écoutent l'audience :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, dans le but d'en faire rapport, la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et NORAD;

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2014 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions pendant 90 jours après le dépôt de son rapport final.

Chers collègues, aujourd'hui, nous allons entreprendre notre étude dans le domaine de la défense antimissile balistique. Tout au long de cette étude, nous examinerons le sujet de la défense antimissile balistique, y compris les décisions stratégiques prises par le gouvernement en la matière, les menaces qui se posent ainsi que les liens avec les relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense. Nous présenterons ensuite un rapport au Sénat, qui comprendra des recommandations bien précises.

Chers collègues, nous savons tous qu'il y a de plus en plus de menaces stratégiques et militaires, plus particulièrement dans le contexte des acteurs non étatiques et étatiques, comme l'Iran et la Corée du Nord. Il n'y a pas que les armes nucléaires; la menace d'une attaque par arme à impulsion électromagnétique, ou EMP, est réelle. Une telle attaque pourrait avoir un effet dévastateur sur le Canada ou l'un de nos alliés. Parallèlement, ceux qui s'opposent à la défense antimissile balistique font valoir que les systèmes ne fonctionnent pas, que les coûts n'ont pas été clairement définis et que les avantages n'ont pas été expliqués adéquatement aux Canadiens.

Pour commencer notre étude, accueillons chaleureusement M. Colin Robertson, chercheur au Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, de même que M. Ferry de Kerckhove, vice-président exécutif de l'Institut de la Conférence des associations de la défense, qui amorceront notre étude sur la défense antimissile balistique.

Messieurs, je crois savoir que vous avez tous deux préparé une déclaration préliminaire. L'audience se terminera à cinq heures. M. de Kerckhove, vous avez la parole.

Ferry de Kerckhove, vice-président exécutif, Institut de la Conférence des associations de la défense : Je vous remercie de m'avoir invité. Tout d'abord, je tiens à dire que si j'ai insisté pour qu'on me présente comme étant le vice-président exécutif de l'Institut de la Conférence des associations de la défense, c'est parce que nous publions chaque année un document intitulé Perspectives stratégiques du Canada et que la version de 2014 sera publiée dans environ une semaine et demie. Je crois aussi qu'il est important de souligner, au cas où cela vous intéresserait, que je suis aussi l'un des chercheurs du Canadian Defence and Foreign Affairs Institute. Je suis donc un collègue de M. Robertson. Si je ne me trompe pas, nous sommes des collègues depuis de nombreuses années.

Je vais tenter d'expliquer les grandes lignes de la défense antimissile balistique et le contexte plus large dans lequel elle s'inscrit, en l'occurrence l'analyse des menaces. Je crois que cette audience du comité sénatorial arrive à point nommé. En fait, dans le document que nous publions, nous demandons au gouvernement de mener une étude exhaustive sur la défense antimissile balistique. J'espère que votre rapport incitera le gouvernement à s'engager dans cette voie, car en fait, nous recommandons depuis deux ans que celui-ci se penche sans tarder sur la question de la défense antimissile balistique, au lieu de l'éviter. Nous sommes donc tous sur la même longueur d'onde à ce sujet.

Du point de vue stratégique, nous avons tendance à croire que le monde est plus dangereux que jamais. Or, il n'est pas seulement plus dangereux que jamais; s'il en est ainsi, c'est parce que l'on constate un fléchissement de ce que j'appelle la « détermination occidentale » à la suite de toutes les crises que nous avons dû surmonter. En fait, j'oserais dire que les pays occidentaux vivent pratiquement dans un contexte de néo-isolationnisme insidieux. On a la forte impression que l'ensemble du système fait preuve de prudence. Peut-être qu'il en va autrement des Français; j'y reviendrai plus tard. On observe une tendance vers le repli sur soi et l'engagement à l'étranger. En fait, à notre époque, le mot d'ordre semble être de ne plus assurer une présence militaire sur le terrain.

En outre, je crois que nous reconnaissons tous qu'un malaise social général envahit la plupart des pays, qu'il s'agisse d'États démocratiques ou non. Tous les jours, il y a des manifestations dans un pays ou un autre, même contre des gouvernements élus; les gens s'opposent aux inégalités qui nuisent au contrat social, ce qui accroît le malaise général. Les révélations faites par Snowden ont aussi contribué à dresser les chefs d'État les uns contre les autres.

Je parle ici d'une absence générale de leadership dans le monde occidental. Nous l'avons constaté lors du printemps arabe. Nous l'avons constaté avec l'impasse politique dans laquelle les États-Unis s'enfoncent, une situation qui modifie réellement notre perception de l'importance des États-Unis pour notre sécurité dans le monde. On constate également l'absence générale de stratégies.

Si on regarde du côté de l'OTAN, on constate qu'il est de plus en plus probable que cette organisation devienne une alliance à deux niveaux, composée d'une part de pays qui continuent d'y exercer leur influence, qu'il s'agisse de la France, de l'Angleterre ou même de l'Allemagne et d'autre part, de pays qui ne s'acquittent pas de leurs responsabilités au sein de l'organisation, ce qui, bien entendu, constitue une menace pour la solidarité générale de l'alliance. Il y a beaucoup d'incertitudes.

Nous sommes d'avis que si nous n'adoptons pas la bonne structure et n'accordons pas les fonds nécessaires, même pour notre propre défense, les Forces canadiennes pourraient devoir se limiter à la défense continentale; en outre, leurs capacités expéditionnaires seraient limitées.

Par ailleurs, il est question de la défense du périmètre continental des États-Unis, de leur défense antimissile balistique et de leurs mesures de cybersécurité. Ces trois éléments sont essentiels à notre sécurité. C'est pour cette raison que nous devons examiner le tout dans les plus brefs délais, tout comme la défense antimissile balistique, mais dans ce contexte plus général, car de toute évidence, cela présente un grand intérêt pour nous, tout comme les trois aspects que je viens de mentionner.

Nous luttons contre le trafic de stupéfiants en Amérique latine. N'oublions pas non plus l'expansion de nos marchés en Asie et dans le Pacifique, ce qui a certaines répercussions du point de vue de la défense. Nous en parlons de façon plus détaillée dans notre rapport. Par exemple, quelles sont les forces navales dont il faut disposer lorsqu'on élargit les échanges commerciaux avec la grande région de l'Asie-Pacifique, par comparaison aux forces plus traditionnelles dont nous disposions auparavant? L'Atlantique est chose du passé; l'avenir, c'est maintenant l'Asie-Pacifique.

Si on songe à la crise au Moyen-Orient, en Syrie et en Afrique du Nord et à l'intérêt particulier que nous portons à la sécurité en Israël, nous pourrions par exemple envisager d'aider Israël si un accord était conclu entre les Palestiniens et Israël. Nous pourrions même faire partie des forces qui pourraient assurer le retrait pendant la transition en Israël.

Je mentionne ces aspects de la défense pour vous donner une vue d'ensemble de nos intérêts. Nous avons maintenant des intérêts en Afrique, dans le secteur minier. L'essentiel, c'est que même si nous avons l'impression qu'il y a un repli, une sorte de désengagement, les forces armées demeurent essentielles à notre sécurité et à notre souveraineté. Nous ne pouvons tout simplement pas nous contenter de faire des choix en fonction de ce qui nous convient. Nous devons nous demander ce qui améliorera la sécurité, plus particulièrement dans le contexte où on accorde la priorité à l'Arctique, qui a été désigné comme étant le cinquième domaine de guerre. Tous ces facteurs doivent nous pousser à envisager la défense antimissile balistique comme une partie de notre contribution à la défense de l'Amérique du Nord et de notre souveraineté.

Je ne ferai pas valoir que plus nous participons à de tels exercices, plus nous perdons notre souveraineté. Au contraire, je suis d'avis que plus nous participons à de tels exercices de défense mutuelle, plus nous accordons de valeur à notre contribution à la sécurité en Amérique du Nord.

Le président a mentionné certaines menaces, mais si on examine celles qui nous guettent, comme le fait que la Corée du Nord veut à tout prix utiliser le nucléaire, sans égard aux conséquences, ce qui oblige déjà les États-Unis à accroître leur capacité en matière de défense antimissiles balistiques, de même que l'évolution des négociations avec l'Iran, nous avons beaucoup d'espoir. Par ailleurs, si cela ne fonctionne pas, que fera l'Iran? Ira-t-il de l'avant avec son programme nucléaire? Ce faisant, il favoriserait la prolifération des armes nucléaires dans l'ensemble du Moyen-Orient. Cela pourrait s'avérer encore plus dangereux au bout du compte.

Maintenant, si on se penche sur le débat entourant l'OTAN, la défense antimissile balistique elle-même contribue maintenant à dresser la Russie contre les États-Unis, car l'OTAN installe ses systèmes de défense antimissile de théâtre contre les États voyous à proximité de la sphère d'influence de la Russie.

Je suis convaincu que M. Robertson vous parlera de tous ces aspects de façon beaucoup plus détaillée, mais je tiens à souligner que nous établissons une distinction entre la participation à la défense antimissiles balistiques en Europe et le déploiement de la défense antimissiles balistiques sur le continent nord-américain. Cela dit, à mon avis, le fait est que nous devrions participer à ce déploiement.

Laissez-moi vous parler brièvement de certains dangers qui, à mon avis, justifient encore plus certaines incertitudes en ce qui concerne les ambitions à long terme de la Chine et l'avenir d'un monde à pôles multiples. En fait, lorsqu'il est question de l'imposition de l'ADIZ, la zone de défense aérienne, il est évident que la Chine met de plus en plus à l'épreuve la détermination internationale et que cela pose un grand risque pour le Japon.

L'incapacité de gérer les crises qui ont secoué la Syrie, la Libye, l'Irak et l'Afghanistan — plus particulièrement après le retrait des forces armées étrangères — et le conflit israélo-palestinien représente un danger. J'ai parlé de la cybersécurité et aussi du fait que l'on constate un affaiblissement général du système multilatéral et international. Certaines institutions, comme le G8, sont maintenant dépassées.

Ce que je veux dire, c'est que les États-Unis n'interviendront pas dans toutes les crises à venir, pour des raisons politiques et morales. L'époque où nous organisions des missions militaires humanitaires est révolue. Il faut maintenant se demander si la Chine sera un partenaire ou posera plutôt une menace. Nous devrions essayer de considérer ce pays comme un partenaire, mais il y a beaucoup de travail à faire d'ici là.

En outre, je suis très préoccupé par ce qui se passe en Russie. D'une certaine façon, on peut dire que la Russie est en train d'inventer une autre version de la guerre froide. Je recommande à tout le monde de lire la déclaration du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie sur sa vision de la politique étrangère. Lorsqu'on lit ce document, on se demande si on n'est pas revenu des années en arrière. Cela ressemble presque en tous points à un discours revanchard de l'époque de la guerre froide; en fait, c'est fascinant. La Russie essaie de retrouver sa gloire, sa fierté en créant ce concept d'Eurasie, au sein de laquelle elle jouerait un rôle clé entre les Européens, qu'elle déteste, et les Asiatiques, qu'elle cherche à séduire.

Entre-temps, certaines menaces non liées aux frontières continuent de créer plus de problèmes : je parle des changements climatiques, de la pollution et de l'épuisement des ressources, entre autres.

En fait, mon avis à ce sujet, c'est que même si le Canada pourrait apporter son aide dans le cadre de chaque crise qui survient, il est fort peu probable qu'il le fasse. Cela dit, je pense qu'il est absolument essentiel d'examiner nos propres intérêts en ce qui concerne notre défense et notre périmètre de sécurité, y compris la défense antimissiles balistiques.

Sur ce, monsieur le président, je cède la parole à mon collègue, Colin Robertson.

[Français]

Colin Robertson, chercheur, Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, à titre personnel : J'aimerais dire quelques mots sur mes antécédents. J'ai travaillé pendant presque 33 ans au Service extérieur canadien. Par après, j'ai occupé le poste de vice-président du Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, un groupe de réflexion non partisan dont le siège est situé à Calgary. Cet institut est rattaché à l'École de politique publique de l'Université de Calgary où je suis chercheur. Je suis membre du conseil d'administration de l'Institut de la Conférence des associations de la défense dont Ferry est vice-président. Je suis aussi conseiller principal chez McKenna Long & Aldridge, un cabinet d'avocats de Washington. À titre de bénévole, je suis fier d'être capitaine honoraire de la Marine royale canadienne au sein de la direction des communications stratégiques.

Voilà qui vous donne une idée de mon parcours. Cependant, j'aimerais préciser que mes observations ne représentent aucunement les points de vue des différents organismes où je travaille.

[Traduction]

Le moment est venu pour le Canada de se joindre à l'alliance occidentale, à nos 27 partenaires de l'OTAN ainsi qu'à nos amis et alliés du bassin Indo-Pacifique — l'Australie, le Japon et la Corée du Sud — dans le cadre de la défense antimissiles balistiques.

Nous devons être prêts à faire face à la menace posée par les attaques au moyen de missiles.

La défense continentale est au cœur de la stratégie de sécurité nationale du Canada depuis les pourparlers tenus par Mackenzie King et Franklin Roosevelt à Kingston, en 1938.

Sous la direction de Louis St. Laurent, nous avons contribué à créer l'OTAN, car nous croyons en la sécurité collective. Dix ans plus tard, nous avons créé le NORAD, notre accord binational sur la défense aérospatiale, qui comprend maintenant un système d'alerte maritime.

Aujourd'hui, notre sécurité est de nouveau menacée. La Corée du Nord a procédé à plusieurs essais de missiles balistiques en prétendant qu'il s'agissait tout simplement de satellites lancés de façon pacifique. Ce pays a déclaré que ses missiles à longue portée étaient pointés sur les États-Unis, et il a développé des missiles balistiques mobiles. L'Iran dispose d'un grand nombre de missiles balistiques. Nous espérons que les discussions qui ont lieu en ce moment à Genève permettront de mettre fin au développement nucléaire en Iran, mais leur dénouement est incertain. Les pourparlers entre le groupe des six interlocuteurs et la Corée du Nord ont été interrompus en 2009 parce que la Corée du Nord n'a pas cessé de renier les engagements qu'elle avait pris.

Comme John Baird l'a déjà mentionné, il faut faire confiance, oui, mais il faut aussi faire des vérifications.

Même si pour le moment, l'Iran n'est pas en mesure d'attaquer le Canada avec des missiles, les faits prouvent que ce pays essaie de développer cette capacité.

Nous ne savons pas quelles sont les menaces qui se pointent à l'horizon. Que se passera-t-il si le Pakistan devient un État voyou? Les évaluations des risques montrent qu'il y aura de plus en plus d'États voyous et qu'ils auront accès à des ogives nucléaires, à des missiles intercontinentaux et à des armes de destruction massive nucléaires, chimiques et biologiques. Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons pas enrayer la prolifération.

La participation à la défense antimissiles balistiques constitue à la fois une police d'assurance pour notre sécurité intérieure et un renouvellement de notre engagement à l'égard de la défense collective contemporaine. Grâce au NORAD, nous échangeons des renseignements, des alertes rapides et des évaluations des attaques avec les États-Unis. Cela dit, lorsque vient le moment de prendre des décisions clés en ce qui concerne le lancement, nos représentants doivent littéralement quitter la salle. En effet, les algorithmes que le Commandement du Nord des États-Unis a créés pour protéger son territoire ne comprennent pas des villes comme Calgary, Edmonton, Toronto ou Montréal. Si nous participions à cette défense, nous aurions le privilège de pouvoir demeurer dans la salle et de participer aux discussions sur la façon de protéger les Canadiens.

En ce qui concerne l'armement nucléaire et la défense aérienne, le passé du Canada n'est pas sans contradictions. En effet, bien que le Canada compte parmi les pionniers de la recherche en matière d'énergie nucléaire, il s'abstient de développer des armes nucléaires pour se défendre. Le pays consacre plutôt ses efforts au développement de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Je parle du réacteur CANDU, dont la vente aux pays étrangers est assortie d'une condition de non-prolifération.

Pourtant, le Canada se fait duper par l'Inde, qui développe ses propres armes nucléaires en utilisant du plutonium produit grâce à un réacteur de recherche fourni par le Canada. L'Inde fait valoir que la présence du nucléaire chez ses voisins l'oblige à se préparer.

John Diefenbaker est tourmenté par la présence d'ogives nucléaires en sol canadien, une condition qu'exige l'engagement du Canada envers l'alliance. La controverse des missiles Bomarc qui s'ensuit contribue à la chute de son gouvernement et à l'élection de Lester B. Pearson, lauréat du prix Nobel de la paix pour son rôle dans la crise de Suez.

Celui-ci est d'avis que nous devons participer en raison de nos obligations envers le NORAD et l'OTAN. La décision soulève la controverse. Le jeune Pierre Trudeau surnomme Pearson « l'apôtre défroqué de la paix ».

Vingt ans plus tard, Pierre Trudeau, alors premier ministre, connaît des divisions semblables dans son propre Cabinet sur la question de la mise à l'essai de missiles de croisière en territoire canadien. Trudeau autorise les mises à l'essai, en faisant valoir qu'il « n'est guère juste de compter sur les Américains pour la protection de l'Ouest, tout en refusant de leur donner un coup de main lorsque la situation se corse. »

En dépit de son amitié pour Ronald Reagan, Brian Mulroney se joint à l'Australie, la France et d'autres pays alliés qui refusent de participer à l'initiative américaine de défense stratégique, aussi appelée la guerre des étoiles, parce que le Canada « ne pourrait pas dicter les décisions. » Lorsqu'un nouveau système de défense contre les missiles balistiques, beaucoup plus modeste, est élaboré sous George W. Bush, Paul Martin tergiverse puis se retire, ce qui suscite une certaine confusion chez le nouveau chef d'état-major de la défense et l'ambassadeur du Canada aux États-Unis. Lorsqu'il apprend qu'une demande auprès du nouveau premier ministre Stephen Harper ne serait pas accueillie favorablement, M. Bush reste perplexe. On dit qu'il aurait demandé à M. Harper ce qui arriverait si un missile nord- coréen lancé en direction de Los Angeles ou Seattle s'orientait plutôt vers Vancouver ou Calgary.

Les opposants au programme de défense contre les missiles balistiques avancent les arguments suivants. Premièrement, le programme ne fonctionne pas et il arme l'espace. Coûteux, peu fiable et provocateur, c'est une véritable ligne Maginot des temps modernes. Selon les détracteurs de la DMB, le NORAD fournit une défense suffisante; ce qu'ils oublient, c'est qu'au moment crucial, nous devons quitter la salle.

Le programme de défense contre les missiles balistiques est différent de celui de la guerre des étoiles, qui prévoyait des armes futuristes et improbables ainsi que des coûts gigantesques. Le présent système ne comporte pas d'armes spatiales, car c'est grâce à l'énergie cinétique qu'il stoppe les charges militaires.

En outre, puisque le système est déjà essentiellement en place, il n'y a pas de prix d'entrée pour ceux qui souhaitent s'y joindre. Il est envisageable de pondérer les coûts futurs et de les partager entre les membres de l'alliance. Grâce à la technologie, la recherche et les mises à l'essai continuelles, le programme de défense contre les missiles balistiques s'est révélé un bouclier acceptable. Le Dôme de fer des Israéliens montre bien l'utilité de la technologie antimissile en matière de défense.

Le deuxième argument des opposants à la DMB revient au fait qu'elle nous rend trop dépendants des États-Unis. Cet agaçant raisonnement s'applique tout autant aux échanges commerciaux; qui pourrait prétendre que le Canada n'a pas tiré profit de la libéralisation du commerce? En ce qui concerne la défense, le principe même de la sécurité collective veut que notre contribution soit à la mesure de notre capacité en matière de sécurité et de protection mutuelle. La protection des Canadiens et des Américains est la raison d'être du réseau DEW initial et du NORAD.

Le Canada ne devrait-il pas avoir voix au chapitre dans l'élaboration de l'architecture du programme nord- américain de défense contre les missiles balistiques, avant que la menace des missiles balistiques intercontinentaux, combinée à celle des armes nucléaires, ne se concrétise? Par ailleurs, est-ce logique que nous participions à la mise en place d'une telle architecture en Europe, alors que nous nous abstenons de le faire en Amérique du Nord? À quel moment notre silence compromet-il les intérêts du Canada?

Durant le débat sur les missiles de croisière, le premier ministre Pierre Trudeau avait observé que certains Canadiens « refusent d'aider les Américains à tenir leur parapluie, bien qu'ils iraient volontiers s'y réfugier ».

Le reste de l'OTAN adhère à la défense antimissile, de même que l'Australie, le Japon et la Corée du Sud. Les États- Unis ont lancé une invitation générale à leurs alliés, sans exercer de pression sur le Canada.

Selon le troisième argument, la défense antimissiles balistiques est moralement répréhensible. Or, il se trouve que nous vivons dans la réalité et non dans l'Élysée. Rien ne garantit que le Canada ne soit jamais frappé par un missile destiné aux États-Unis. En 2005, le présent comité a déposé un rapport qui concluait qu'une défense antimissiles balistiques efficace pourrait sauver la vie de centaines de milliers de Canadiens.

On devrait reformuler l'argument moral et demander pourquoi le gouvernement du Canada n'a pas voix au chapitre en ce qui concerne l'utilisation de la DMB. D'aucuns pourraient dire que le gouvernement a le devoir moral de se faire entendre si une ville canadienne devient une cible potentielle.

En adhérant au bouclier défensif, nous renforçons l'effet dissuasif de la DMB. Participer aux activités de surveillance pour le programme de défense antimissiles balistiques fait partie du continuum des capacités offertes par les membres de l'alliance. Ce continuum pourrait comprendre une capacité de défense antimissile sur les nouveaux navires de guerre canadiens et l'utilisation des sous-marins pour suivre des sous-marins d'attaque potentiellement hostiles. Prendre part à la DMB représente à la fois une police d'assurance pour notre pays, ainsi qu'un engagement renouvelé envers la défense collective contemporaine. En adhérant au bouclier défensif, nous en renforçons l'effet dissuasif.

Durant la rédaction de mes notes d'allocution, j'ai demandé l'opinion d'amis et de collègues. Selon le Britannique Julian Lindley-French, professeur et chercheur universitaire en matière de défense, la DMB devrait être envisagée dans le cadre de la modernisation de l'article 5 de l'OTAN et donc dans celui de la création d'un programme de défense collective pour le XXIe siècle. Lindley-French a fait l'observation suivante :

Dans ce contexte, la DMB se trouve à la croisée de deux axes qui définissent la défense de l'avenir. Le premier axe relie le NORAD à un programme de défense perfectionnée de l'OTAN, tous deux évoluant sous un même toit — même si les Russes le voient d'un mauvais œil.

Le deuxième axe concerne, entre autres, la création de forces perfectionnées complémentaires et la cyber- défense.

Dans ce contexte, dont le concept stratégique de l'OTAN de 2010 tient compte, la DMB est l'une des pierres d'assise sur laquelle repose la défense collective, la gestion des crises et, bien sûr, la sécurité commune.

En effet, il n'est possible d'exercer une influence civilo-militaire pour stabiliser les sociétés que si le pays d'appartenance est en sécurité. La DMB participe donc à un nouvel équilibre entre protection et intervention.

La Russie devrait être incluse dans ces efforts, parce que la DMB lutte contre la technologie et non contre les États.

C'est une bonne idée. La sécurité collective exige de la préparation et de l'engagement. « Ce n'est que lorsque nos armes seront sans aucun doute suffisantes, avait dit John F. Kennedy, que nous serons absolument certains que nous ne les emploierons pas. »

La sécurité collective, par le biais de l'OTAN et notre alliance avec les États-Unis, a assuré la paix depuis 1945, ce qui a contribué à la plus forte croissance du commerce et du développement que le monde n'ait jamais connue. Le Canada en a profité, en ne payant qu'une modeste prime. Des changements de circonstances, la solidarité au sein des alliances et l'instinct de conservation rendent nécessaire un réexamen de notre politique en matière de sécurité. La DMB doit être comprise dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord, laquelle fait partie de la politique en matière de sécurité.

Le président : Je vais commencer par une question. Il s'agit d'un domaine qui m'est peu familier; nous comptons sur des personnes comme vous pour élargir notre compréhension du programme de défense antimissile, c'est-à-dire ce qu'il effectue, ses répercussions, les conséquences sur la sécurité du Canada si le pays choisit de ne pas y participer ou si, au contraire, il choisit d'y prend part.

En 2005, au tout début du programme de défense contre les missiles balistiques, sinon avant, on a beaucoup critiqué la technologie, qu'on disait inefficace. Autrement dit, on lançait un programme sans avoir de garantie quant à ses capacités. Ma question est bien simple : la technologie fonctionne-t-elle?

M. Robertson : La technologie fonctionne. Nous l'avons vu en Israël. Est-elle tout à fait au point? Non, mais elle s'améliore de jour en jour, grâce à la technologie et la recherche.

Il est impossible de garantir une protection absolue. C'est un peu comme se promener dehors durant un orage avec un parapluie. On s'en sort beaucoup mieux que sans parapluie.

M. de Kerckhove : Durant la première guerre du Golfe, nous avions les plateformes antimissiles balistiques Patriot. Certaines ont fonctionné, d'autres non. Des progrès ont été réalisés depuis. Il n'est pas étonnant que les Turcs en aient réclamé pour se protéger durant la crise en Syrie.

Des débats constructifs se tiennent, comme toujours dans ce domaine, concernant le taux de réussite du Dôme de fer. Bien sûr, il y a eu des ratés, mais, il y a une semaine seulement, on a intercepté une sacrée quantité de roquettes qui auraient pu lourdement endommager la ville d'Eilat.

Dans nos cuisines, il y a plusieurs choses qui ne fonctionnent pas. Nous les réparons et notre cuisine s'améliore de jour en jour. Je crois que cela devrait faire partie de notre arsenal.

[Français]

Le sénateur Nolin : Vous venez d'utiliser le mot « arsenal ». Il est important d'expliquer aux Canadiens qui nous écoutent que nous parlons vraiment de mesures défensives. Donc, il s'agit de se protéger contre les missiles qui passeraient par-dessus le territoire canadien, visant le territoire américain.

Selon vous, quel est le degré de la crainte? On entend beaucoup de rhétoriques belliqueuses de la part de la Corée du Nord, un peu moins de l'Iran, quoique nos amis israéliens aient des amplificateurs adéquats pour nous relayer la lecture qu'ils voudraient qu'on fasse de l'effort iranien.

M. de Kerckhove : Mon collègue a mentionné que nous vivons dans un monde de plus en plus compliqué, surtout pour ce qui est des acteurs non étatiques qui sont véritablement, d'après moi, la menace.

Il y a deux façons de voir les choses. Comment voulez-vous qu'un terroriste réussisse à avoir un missile nucléaire et qu'il soit capable de le lancer d'une manière ou d'une autre? Il faut beaucoup de technologie.

Est-ce que les Coréens, même aujourd'hui, ont la technologie complète de miniaturisation qui permettrait de lancer un missile qui soit plus facile et à plus longue portée? Pour l'instant, cela tombe par gravité. Là encore, c'est voir au jour le jour au lieu de voir à plus long terme.

C'est d'ailleurs tout le débat en Israël. Le Dôme de fer suffit-il aujourd'hui? Dans cinq ans, compte tenu des difficultés qui se poursuivent avec le Hamas et à Gaza et ailleurs, à un moment donné, y aura-t-il un missile plus puissant, plus furtif qui causera davantage de dommage?

Au Canada, nous ne ressentons pas cette angoisse directement, mais cela fait partie de l'ensemble des inquiétudes croissantes en raison des états non acteurs. Je ne dis pas que demain, je verrai un missile arriver, mais je crois que dans l'ensemble, sur le plan politique, nous avons l'engagement de faire les choses avec les États-Unis.

Pour le moment, les États-Unis ne craignent pas nécessairement le missile coréen qui leur tombera sur la tête, mais chaque fois que les Coréens feront un progrès technologique, ils auront peut-être la capacité d'aller jusqu'en Californie. C'est exclu pour l'instant, mais un jour ça arrivera. Alors, pourquoi attendre que le missile arrive pour se munir d'un moyen de défense? C'est profondément défensif. C'est un engagement politique, militaire et technologique à long terme.

[Traduction]

Le sénateur Nolin : Combien de temps la situation peut-elle tenir si nous adoptons une position purement défensive? Essentiellement, nous déclarons : « Nous n'attaquerons pas, il n'y a pas lieu de vous en faire. Nous n'allons pas vous faire exploser, mais nous allons certainement nous défendre avec la force cinétique de nos missiles afin d'intercepter tout ce que vous nous enverrez. »

M. de Kerckhove : De nos jours, elles ne sont pas équipées d'ogives nucléaires; elles sont à énergie cinétique, ce qui fait une énorme différence. C'est important de le souligner, car bien des gens pensent qu'il s'agit de missile à ogive nucléaire.

[Français]

M. Robertson : La crainte est réelle, il y a menace. Nous devons être préparés, et c'est la raison pour laquelle je recommande la défense. La menace a grandi pour les Canadiens à cause de l'augmentation de la technologie de la Corée du Nord.

[Traduction]

Et n'oublions pas l'Iran et le Pakistan — il y a d'autres endroits dont on ne peut prédire l'avenir à long terme. Nous devons donc être prêts.

Le sénateur Nolin : Vous soulignez le paradoxe qui existe dans le fait que le Canada s'oppose à la BMD en Amérique du Nord, alors qu'il compte parmi les 28 pays membres de l'OTAN qui l'appuient en Europe. C'est l'un des principaux messages de vos deux présentations.

Nous devons tenter d'expliquer aux Canadiens comment résoudre ce paradoxe et prendre clairement position d'un côté ou de l'autre. Avez-vous une observation à faire là-dessus? Des élections auront lieu dans moins de 18 mois. Ce n'est probablement pas un moment opportun pour traiter de ce sujet, mais ce ne l'est jamais de toute façon.

M. de Kerckhove : Voilà qui est intéressant. Selon moi, le fait que nous envisageons d'ajouter un élément défensif à notre arsenal devrait être rassurant pour les Canadiens.

Nous faisons toujours partie d'un système de dissuasion nucléaire, qui est aussi de nature défensive; la DMB a un effet dissuasif sur l'usage du nucléaire. J'aimerais faire une distinction : la DMB est de nature strictement défensive dans le sens où elle ne servira jamais à attaquer un pays. Au contraire, la DMB ne sert qu'à nous protéger d'une attaque de missiles.

Le message aux Canadiens devrait donc, selon moi, faire la différence entre la dissuasion nucléaire et le cadre général qui le chapeaute, ce que nous faisons depuis belle lurette. Je persiste à croire que nous devons maintenir ce mode dissuasif devant la présence croissante de l'énergie nucléaire; cette question soulève toutefois bien des débats.

En ce qui concerne la DMB comme telle, le message à la population canadienne est clair. Sommes-nous prêts? M. Robertson avait bien raison de dire que la DMB doit faire partie de la Stratégie de défense Le Canada d'abord, car c'est de là que sera prise la décision fondamentale à propos de sa mise en œuvre, pour ensuite procéder à celle-ci par la suite. Je me demande comment la population canadienne réagirait si on ne lui explique pas clairement la situation. Vous avez raison. Le message doit être bien transmis aux Canadiens, mais on doit souligner le fait qu'il s'agit d'une arme défensive et cinétique. J'ignore comment le dire autrement.

M. Robertson : C'est exact. Il s'agit d'une arme à énergie cinétique et non nucléaire. Quant au moment choisi, eh bien, il nous est impossible malheureusement de prédire l'avènement d'une catastrophe. Pensons aux incidents du 11 septembre.

Le sénateur Nolin : Une police d'assurance.

M. Robertson : Une police d'assurance.

J'ai dressé le portrait d'un segment de l'histoire canadienne afin de montrer au comité que cette question tourmente nos parlementaires depuis de nombreuses années. Ce n'est pas un dossier partisan; il est important de le souligner. Cet enjeu a interpellé John Diefenbaker, Lester Pearson, Pierre Trudeau, de même que les premiers ministres Harper et Mulroney. Il est impossible de prédire ce qui se produira. Vous avez mentionné qu'une élection pourrait être tenue prochainement. Il s'agissait d'un enjeu électoral en 1962; ce l'était également en 1984, dans une certaine mesure, avec les essais du missile de croisière. M. de Kerckhove et moi avons connu cette époque.

Le sénateur Nolin : Vous souvenez-vous du campement devant le Parlement?

M. Robertson : Je m'en souviens.

J'aimerais aussi revenir sur un point que vous avez souligné, concernant l'importance de prendre l'initiative et de présenter à la population les raisons pour lesquelles nous voulons faire cela. On a procédé ainsi pour les essais du missile de croisière et les missiles Bomarc. Je crois que c'est important, c'est pourquoi je salue le comité : il importe que le public ait l'occasion d'entendre les arguments des deux camps. Trop souvent, les émotions prennent le dessus et les slogans se mettent à fuser.

Il faut se demander si la menace a changé. Je suis d'avis que c'est le cas. La DMB est une arme de nature défensive, à l'énergie cinétique, et non nucléaire. On est très loin du projet de guerre des étoiles et des coûts qui y étaient associés.

Nous devrions le faire et, comme vous l'avez mentionné, nous sommes les seuls à faire bande à part parmi les 28 pays alliés. Pourtant, en Amérique du Nord, étant donné les changements au niveau de l'évaluation des risques, les avancées technologiques chez les Nord-Coréens, et possiblement chez les Iraniens, nous ne devrions pas attendre que quelque chose se dirige vers nous, car on ne pourra qu'espérer que les missiles dont les algorithmes n'auront pas été déclenchés seront en mesure de stopper l'attaque.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Si le Canada décidait d'accroître sa participation dans le programme de défense antimissile — au-delà de l'échange symbolique de personnel qui travaille dans les principales installations, entre autres les plateformes américaines —, il aurait alors peut-être l'obligation de faire des choix dans certaines compressions du programme de la défense.

À votre avis, où le Canada devrait-il faire des compressions dans son programme de défense afin de dégager les ressources nécessaires?

M. de Kerckhove : Merci beaucoup pour cette question. On ne va pas jouer avec des petites billes d'un côté et moins de billes de l'autre. Je crois que la grande occasion que nous offre la révision ou l'examen de la Stratégie de défense Le Canada d'abord, c'est véritablement de regarder globalement l'ensemble des différentes composantes de la défense nationale. Je pourrais vous ennuyer durant des heures avec les différents scénarios dont on parle. Est-ce que, oui ou non, le gouvernement canadien va affirmer que « nous ne réduisons pas les effectifs et nous maintenons notre programme de capital » — le programme d'approvisionnement ou d'immobilisations —, auquel cas il est certain que l'état de préparation des forces et l'état de formation, d'une façon générale, souffrira considérablement.

Si vous mettez la partie missile antibalistique dans cette opération, cela devient un des éléments du débat, mais ce débat doit se faire totalement en profondeur. Ma grande inquiétude c'est que le gouvernement aille rapidement sur la révision de la stratégie, en exerçant simplement quelques coupes additionnelles, sans véritablement poser la question : quelle est la défense que nous voulons avoir? Est-ce que ce sont les comptables qui vont la gérer, ou est-ce que ce sont les besoins en fonction des menaces auxquelles fait face le Canada? Pour ma part, je crois que l'examen d'un système de défense antimissile doit être intégré dans cette révision. Mais je ne peux pas vous répondre en disant « nous allons retirer 10 000 personnes de Goose Bay, en mettre 4 ou 5 ici et là, et épargner 20 000 $ pour pouvoir faire une petite contribution au DAM. »

Je suis content que vous posiez la question, parce que c'est comme cela qu'il faut la présenter au public canadien. L'ensemble de notre politique de défense doit être revu en profondeur parce que, dès le départ, la Stratégie de défense Le Canada d'abord n'a jamais obtenu le financement total prévu pour la rendre efficace. Donc il faut avoir le courage de prendre des décisions : est-ce que, oui ou non, nous réduisons les effectifs et nous sommes plus performants? Est-ce que nous utilisons mieux la réserve? Il y a quantité de choses qu'on doit faire à l'intérieur de ce débat.

Donc, pour ce qui est de ma réponse, cela fait partie de l'ensemble. Ne me demandez pas d'enlever 10 000 hommes pour pouvoir payer la défense antibalistique; dites-moi plutôt si vous êtes d'accord avec un examen en profondeur au sein duquel, en principe, nous aurions une acceptation de l'entrée en vigueur d'une politique de défense d'antimissile.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Robertson, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Robertson : Pour ma part, la seule grande question de la défense, c'est de poser des questions. Il ne s'agit pas tant de ce que nous voulons que de ce dont nous avons besoin. D'après moi, nous avons besoin de la défense antimissile, à cause des menaces existantes et sachant que notre environnement a changé.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Messieurs, je vous remercie d'être présents. Je vais aborder un autre aspect du sujet, parce que vous avez tous les deux longtemps représenté le Canada dans ce domaine. Je vais vous poser des questions à propos de notre politique étrangère, qui est, bien sûr, étroitement liée à notre politique en matière de défense. Je conviens que toute une gamme de défenses est nécessaire pour protéger le pays.

Comme vous le savez, nous concentrons nos efforts actuellement sur l'établissement de partenariats économiques partout dans le monde. Selon vous, jusqu'à quel point cette démarche s'intègre-t-elle à notre stratégie en matière de défense? Vous avez tous les deux représenté le Canada dans de nombreuses ambassades et régions du monde. Que pensez-vous des partenariats économiques, qui nous protègent à certains égards, et quelle importance leur accordez- vous?

M. Robertson : Honorable sénateur, la stabilité et la paix sont selon moi deux conditions préalables aux échanges commerciaux. La première chose à faire est donc de se donner les moyens de faire du commerce.

Lorsqu'elle a été créée, l'OTAN devait être de nature défensive, quoique dans l'article soi-disant canadien, on traite de l'argument économique que vous soulevez. Nous avons fait en sorte que, bien que la paix et la sécurité soient souhaitables, une plus grande importance serait accordée au commerce, afin de favoriser la prospérité. Or, selon moi, les deux ne sont pas incompatibles.

Certains ont critiqué l'accent et les efforts renouvelés qu'accorde le gouvernement à la diplomatie économique. M. de Kerckhove et moi-même sommes d'avis que celle-ci constituait notre principal objectif, parce que nous l'avons assurée par les efforts de paix; nous étions là-bas dans le but de trouver des débouchés commerciaux, afin que les entreprises canadiennes puissent faire des affaires et contribuer à la prospérité du pays. Le commerce est essentiel à la prospérité du pays. Or, la paix et la sécurité sont des conditions préalables au commerce; il faut donc contribuer de façon raisonnable à la politique en matière de défense.

Selon moi, on ne peut séparer la politique en matière de défense de la politique économique générale, laquelle comprend la politique étrangère. Dans un sens, celle-ci englobe les différentes branches, soit les politiques en matière de défense, de commerce et de développement. Le développement en fait partie aussi. Je le répète, il faut créer des conditions de paix et de stabilité dans un pays pour y établir des relations commerciales. Là où cela s'avère difficile à réaliser, il est fort probable que les choses aillent mal pour nous, comme nous l'ont enseigné les expériences en Afghanistan et à d'autres endroits où les conditions sont horribles.

M. de Kerckhove : J'aimerais ajouter quelque chose, très brièvement, car je suis totalement en accord avec M. Robertson.

L'attention que l'on porte à la diplomatie économique m'amuse beaucoup. Durant ma carrière, malgré le fait que j'appartenais aux volets politique ou affaires étrangères, j'ai consacré 60 p. 100 de mon temps au commerce, et ce, dans toutes mes affectations, particulièrement aux niveaux supérieurs.

Non seulement la politique étrangère et la politique en matière de défense devraient être totalement intégrées, mais aussi j'ajouterais que plus on changera la structure des échanges commerciaux et plus on mettra l'accent sur l'Asie- Pacifique, plus il faudra adapter les capacités en matière de défense, afin de répondre aux exigences entourant « ciel bleu, eau bleue » et les différentes capacités que l'on voudra mettre en place. C'est là le point clé, selon moi.

En fait, c'est le gouvernement qui doit déterminer la place du Canada sur la scène internationale. Si le gouvernement répondait à cette question, nous serions en mesure d'établir ce qui est nécessaire en matière de défense.

Je pourrais vous dire : « Il vous faut des capacités amphibies »; très bien, mais à quelles fins? Toutes sortes de questions restent en suspens; pour y répondre, le gouvernement doit d'abord déterminer le cadre général de la politique étrangère. Le lien avec la défense est très clair et les considérations économiques prennent encore plus d'importance alors que nous nous tournons vers le Pacifique.

M. Robertson : Si je peux me permettre d'ajouter, à l'heure actuelle, il est question de négociations avec le Japon et la Corée. Les Coréens veulent connaître notre position et notre politique en matière de défense. Contribuons-nous à la sécurité collective? Le Canada n'est pas seulement un pays de l'Atlantique, mais aussi du Pacifique.

Comme l'a souligné M. de Kerckhove, le volet Pacifique est très important pour le commerce, mais il compte aussi pour la défense. C'est ce qui sous-tend le rééquilibrage des Américains vers le Pacifique; ils s'attendent à ce que nous en fassions partie, en tant que pays du Pacifique.

Le sénateur Campbell : Je crois que je demanderais à la Corée ce que nous pouvons espérer en tirer au bout du compte. Nous y sommes allés la dernière fois et c'est de toute évidence ce qu'ils veulent.

Selon vous, est-ce possible que tout le débat entourant la défense antimissile ait lieu parce que la conception de la guerre et de la paix a radicalement changé? La paix permanente qu'on espérait après la Seconde Guerre mondiale n'existe pas. On n'a qu'à penser à l'Afghanistan, l'Irak, l'Iran, la Syrie, la Corée du Nord, l'Afrique, et j'en passe. Pour que nous arrivions là où, selon vous, nous devrions être, il nous faudrait peut-être renseigner les Canadiens sur ce qui se passe.

Personne n'a jamais cru en une paix durable en Afghanistan. J'ignore pourquoi nous y sommes intervenus. C'est ce que nous devrions faire, à votre avis?

Par exemple, j'ignorais complètement que ces armes ne contenaient pas d'ogives nucléaires et pourtant je siège à ce comité. Franchement, je ne porte pas beaucoup attention à cela. Une fois qu'elles sont en circulation, on se demande ce qu'il va arriver. Eh bien, elles explosent et retombent.

Croyez-vous qu'il nous faut parler aux Canadiens de la guerre et de la paix? Nous possédons trois sous-marins. Allo. J'ignore totalement pourquoi nous avons trois vieux sous-marins, mais c'est bien le cas.

Faut-il redéfinir qui nous sommes et quelle est notre fonction?

M. de Kerckhove : Vous tombez dans le mille. C'est exactement cela. Dites-moi ce que vous voulez pour le Canada et je vous dirai ce que nous devons faire.

Permettez-moi de mentionner deux choses brièvement. Nous pourrions maintenir un budget de 18 milliards de dollars et 70 000 troupes, strictement pour la défense continentale. C'est ce dont nous avons les moyens actuellement. Même en période de repli et d'assainissement budgétaire, je crois possible la mise en œuvre des changements recommandés par le général Lesley, de même qu'une expansion visant à positionner le Canada sur la scène internationale selon les vœux du gouvernement canadien.

Vous avez tout à fait raison. D'ailleurs, une phrase au début de notre rapport m'a beaucoup amusé. La voici : « L'époque où nous pouvions faire confiance à nos ennemis est révolue » — comme si nous avions des ennemis à qui il est possible de faire confiance.

M. Robertson : Ou même que nous connaissons.

M. de Kerckhove : C'est exact. Vos propos sur la définition de « guerre » et « paix » sont fascinants parce qu'ils posent une question tout à fait pertinente.

Reportons-nous quelques décennies en arrière et imaginons un président capable de prédire que la guerre prendra fin à telle date l'année suivante. C'est ce qu'a fait Obama au sujet de la guerre en Afghanistan; bravo. Il existe une boule de cristal à laquelle personne n'a accès. Comment est-il possible de prédire la fin d'une guerre, à moins, bien sûr, qu'on s'en fiche et qu'on lève tout simplement le camp?

Le sénateur Campbell : Il se fie à d'anciennes définitions.

Comment décide-t-on ce que l'on veut?

M. Robertson : Comment décide-t-on ce que l'on veut? Premièrement, il faut évaluer les risques. Quels sont les risques pour le Canada? Pour les partenaires au sein de l'alliance? À l'heure actuelle, le Canada court le risque qu'un missile errant frappe l'une de ses villes. Voilà pourquoi il faut repenser notre position.

Nous devrions continuellement nous demander où nous en sommes. Votre question un peu plus tôt portait sur nos besoins. Il faut connaître les risques afin de savoir ce qu'il nous faut pour nous en défendre.

Vous avez mentionné les sous-marins. Je suis d'avis qu'ils sont assez utiles, parce que les sous-marins d'attaque lance-missiles comptent parmi les menaces qui nous guettent. Il est beaucoup moins probable que les Nord-Coréens dirigent un sous-marin vers nous s'ils savent que nous en avons un également au large. Cela s'est avéré au fil du temps; le sous-marin est l'arme furtive par excellence. Le simple fait de posséder des sous-marins dont personne ne connaît la position suffit pour dissuader l'ennemi. C'est ultimement ce que nous cherchons à faire : prévenir les menaces éventuelles contre le Canada.

Nous apportons notre contribution parce que nous avons appris que la sécurité collective est de loin le meilleur moyen de défendre notre vaste territoire, en collaboration avec des alliés aux vues similaires, notamment l'Europe, par le biais de l'OTAN, et les États-Unis, évidemment, pour la défense continentale. Comme vous l'avez souligné au début de votre question, nous nous demandons pourquoi nous sommes intervenus en Corée du Sud, il y a 60 ans. En fait, les Coréens nous diraient que cela nous a valu beaucoup de bienveillance. Ils n'ont pas oublié que nous nous sommes battus là-bas et que nous les avons défendus; voilà qui est tout à notre avantage.

Le sénateur Campbell : Je sais que deux des trois sous-marins sont en cale sèche, ce qui ne nous aide pas beaucoup.

Dernière question : le Canada ainsi que d'autres pays se tournent souvent vers l'ONU. À mon avis, ce sont de plus en plus les aliénés qui dirigent l'asile là-bas. Quelle entité pourrait remplacer l'ONU? L'OTAN? Je l'ignore. C'est en raison de l'ONU que nous nous sommes battus en Corée. Plusieurs de nos interventions militaires ont eu lieu dans le cadre de missions de l'ONU. Pour ma part, je n'enverrais pas un soldat canadien servir dans une de leurs missions. Quelle autre entité pourrait rassembler les pays du monde entier?

M. de Kerckhove : Voilà qui lance un tout autre débat. Je suis d'avis que l'actuel gouvernement a déprécié l'ONU, bien que je reconnaisse que celle-ci a grandement besoin d'entreprendre une réforme. Elle a d'ailleurs tenté de le faire en 2005. Ceci étant dit, nous devrions envisager ce système multilatéral selon trois catégories. Tout d'abord, il y a les organisations fonctionnelles, telles que l'Organisation mondiale de la Santé, dont le travail est demeuré remarquable en dépit d'une certaine politisation. Ces organismes accomplissent beaucoup de bonnes choses.

Ensuite, il y a les institutions politiques, comme l'Assemblée générale des Nations Unies, le Conseil de sécurité, qui remet en question l'ordre établi en faveur de la rectitude morale, ce pour quoi l'actuel gouvernement canadien le méprise. Il est vrai que certains pays membres sont des dictatures, mais la plupart d'entre eux sont des démocraties, au moins dans une certaine mesure. Le problème, c'est que le processus de prise de décisions n'a jamais été changé à l'ONU, et particulièrement au Conseil de sécurité. C'est en raison du droit de veto, qui s'applique à tout, y compris les questions humanitaires, que nous n'avons rien fait en Syrie. Certains diront que ce sont les Russes qui nous ont évité de nous enliser dans ce bourbier. C'est certainement vrai à l'heure actuelle, mais ce n'était pas le cas au début de la crise; nous aurions peut-être été en mesure d'intervenir plus tôt. Par une zone d'exclusion aérienne, ou un autre moyen du genre, nous aurions pu stopper les combattants djihadistes. Je crois qu'ils représentent une menace pour le Canada et c'est pourquoi je suis pour la DMB. Voilà pour la deuxième catégorie.

La troisième catégorie comprend les systèmes multilatéraux, comme le G8, le G20 et les autres, qui ont aussi grand besoin de réforme. Je suis désolé de le dire, mais le G8 est devenu passablement obsolète et dépassé, parce que les pays essentiels n'en font pas partie. Je parle de la Chine et de l'Inde. Vous allez me répondre que la Chine n'est pas une démocratie. Je vous répliquerai que la Russie n'est pas la meilleure démocratie en ville, plutôt une paradémocratie. Il existe des degrés. L'Inde est une démocratie et pourtant elle n'est pas incluse dans le G8, nous avons donc un problème. Le G20 est quant à lui plus hétéroclite.

Ces diverses institutions ont toutes clairement besoin d'une réforme. Cela ne change rien au fait indéniable qu'il y aurait chaos à grande échelle si elles n'existaient pas. Prenons ce qui est arrivé au Sahara et en Afrique centrale, des zones où l'ONU s'efforce de changer les choses et que le Canada a désertées depuis longtemps. Je vous prie de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Changez l'eau, mais gardez le bébé.

Le président : J'aimerais revenir sur la question du sénateur Campbell. Qu'est-ce que le Canada peut en tirer? Pour citer les propos de M. Robertson : « Les algorithmes développés par le U.S. Northern Command pour protéger le territoire américain ne tiennent pas compte des villes canadiennes comme Calgary, Calgary, Edmonton, Toronto ou Montréal. »

J'aimerais savoir si vous détenez ce renseignement directement du U.S. Northern Command et si le Canada détient cette information. Certains laissent entendre que la défense antimissiles balistiques protégerait adéquatement le Canada et que nous n'avons pas besoin d'y participer pour en garantir la protection en cas d'attaque.

En fait, la question devrait être : à quel point ce renseignement est-il exact et d'où le détenez-vous?

M. Robertson : Sénateur, il s'agit d'un renseignement fiable, qui provient de sources américaines et de sources canadiennes extrêmement sûres.

Il faut se rappeler qu'ils ont conçu le système par le biais de Northern Command dans le but de défendre les États- Unis. Le sénateur Campbell s'interrogeait plus tôt au sujet de Vancouver. En fait, Seattle est l'une des villes protégées par le système. Il est possible que les algorithmes employés pour la protection de Seattle s'appliquent aussi à Vancouver.

C'est pourquoi je n'ai pas mentionné Vancouver parmi mes exemples; en discutant avec différents experts, j'ai appris qu'un projectile en direction de Vancouver pourrait probablement être stoppé, mais qu'on ne peut rien garantir s'il va au-delà de Seattle. Encore une fois, rien n'est certain, mais les probabilités sont bien meilleures si on se prépare, car lorsque vient le moment d'utiliser ces armes, on ne dispose que de quelques secondes. Il est de loin préférable que le Canada fasse partie du système, d'autant plus que celui-ci fonctionne maintenant à l'énergie cinétique et que des ogives non nucléaires peuvent stopper une attaque. Il n'est pas efficace à 100 p. 100, mais il est bien meilleur que ce dont on dispose actuellement. La menace existe bel et bien maintenant.

Le président : Je veux seulement que ce soit mentionné dans le compte rendu : par son absence, le Canada court un certain risque, du fait qu'il ne peut faire valoir que d'autres zones devraient être ajoutées à celles actuellement protégées par la défense antimissiles balistiques.

M. Robertson : Je serais plus catégorique : je dirais que nous sommes en péril.

Le président : J'aimerais aborder un autre sujet, si vous le permettez. Certains sont d'avis que la mise en œuvre d'un programme de défense antimissiles balistiques déstabilise le contrôle des armes — j'ignore si ce point de vue a du mérite ou non et j'aimerais connaître votre opinion. On faisait valoir cet argument en 2005; d'après vous, a-t-il toujours du mérite aujourd'hui?

M. Robertson : C'est l'argument que l'on employait du temps du projet de la guerre des étoiles; on disait celui-ci déstabilisant en raison de son potentiel en matière de capacité d'attaque. Mais on ne parle pas d'attaque ici, mais bien d'une arme défensive. Comme un simple bouclier. Un bouclier déstabilise-t-il le milieu dans lequel il se trouve? Non, je ne crois pas que ce soit le cas.

M. de Kerckhove : Vous parlez du contrôle des armes et de désarmement. Au point de vue technique, je ne vois pas de problème. Du point de vue politique, il est possible que les pressions qu'exerce l'OTAN pour installer la DMB dans une zone proche de celle soi-disant soumise à l'influence de la Russie influencent la contribution de celle-ci au contrôle des armes et au désarmement en général.

Ceci étant dit, il fait nul doute que les hauts dirigeants russes et américains s'affairent au contrôle des armes et au désarmement nucléaire — tout cela est en branle. C'est pourquoi nous avons insisté sur le fait que nous parlions de la défense antimissiles balistiques en Amérique du Nord, ce qui est différent, quoique nous participions également aux efforts européens.

Dans un sens, la situation en Amérique du Nord est beaucoup moins déstabilisante, voire pas du tout, comparativement à celle en Russie, laquelle trouvera légitime de s'inquiéter du fait que l'OTAN s'approche progressivement de son territoire. Aux yeux des Russes, la situation pourrait paraître déstabilisante. D'autre part, il est possible que, plus on s'approchera de la Russie, plus on souhaitera faire progresser les dossiers du contrôle des armes et du désarmement dans un commun effort pour se défendre contre les États voyous. Cette question a d'ailleurs été débattue entre l'OTAN, la Russie et les États-Unis. Pendant que la Russie a tergiversé sur ce point, alors que les systèmes missiles développés par les États voyous se rapprochaient de plus en plus des frontières de l'ancienne Union soviétique.

Le sénateur Nolin : Je veux revenir sur la question du sénateur Wells à propos du commerce. Je suis certain que vous serez tous les deux d'accord avec moi. Ce n'est pas d'hier que le Canada intègre commerce, stabilité et paix. Pensons au traité de Washington, où l'amendement canadien y fait référence comme une preuve de stabilité. Si nos ennemis s'enrichissent et jouissent de la stabilité, la paix régnera. C'est pourquoi la question du sénateur était des plus pertinentes.

Parlons du commerce. Le Canada est en pleines négociations avec la Corée du Sud. Comment évaluez-vous l'instabilité actuelle de cette région? Est-il nécessaire que le Canada s'en mêle et insiste pour que la paix et la stabilité s'y installent?

M. de Kerckhove : M. Robertson a beaucoup de choses à dire sur cette question également.

Le sénateur Nolin : Je pense non seulement à la Corée du Nord, mais aussi à la Chine.

M. de Kerckhove : En ce qui concerne la Corée, il est intéressant de noter que si la Corée du Nord attaquait la Corée du Sud, nous serions toujours liés par l'entente conclue après 1952 entre le Canada et la Corée. Nous serions donc alliés de ce côté pour ce qui consiste à contrecarrer les avancées des Nord-Coréens.

D'autre part, en ce qui concerne le commerce proprement dit — et, encore une fois, je m'en remets à M. Robertson sur ce sujet — je n'entrevois que des répercussions limitées sur l'à-propos de nos discussions avec la Corée du Sud sur un éventuel accord commercial. Quant à la Corée du Nord, qui n'est qu'une distraction selon moi, je suis préoccupé par ses armes nucléaires et les dangers qu'elles comportent, mais je m'inquiète également de la chute possible de ce pays. À quel point souhaitons-nous les aider à se tirer de leur bourbier?

Quant aux relations avec la Corée du Sud et cette région en général, je dirais que, mis à part la situation en Corée du Nord et la zone d'identification de défense aérienne imposée par la Chine, le Pacifique devient non pas une zone de danger, mais une frontière commune. Je crois qu'avec le Partenariat transpacifique et toutes ces négociations relatives aux accords commerciaux, nous aurons une base raisonnablement solide sur laquelle nous appuyer.

Monsieur Robertson, n'êtes-vous pas de cet avis?

M. Robertson : Je veux simplement ajouter qu'en Asie, nous avons affaire à des États-nations du XIXe siècle dotés d'une économie du XXIe siècle et, malheureusement, d'un système politique du XIXe siècle. En effet, on sait qu'il existe toujours des problèmes relatifs aux frontières dans certains cas. Pensons à la Chine, au Japon, aux Philippines, entre autres. Dans le cas des deux Corées, la situation est loin d'être réglée.

Mettons-nous dans le contexte des négociations entre le Canada et la Corée pour conclure un accord commercial — ce qui est judicieux et servirait nos intérêts, selon moi. Ceci étant dit, comment nous rendre utiles?

En fait, nous pouvons faire quelque chose. Notre politique d'engagement limité avec la Corée du Nord, par exemple — car les Coréens du Sud dépendent grandement des autres pour savoir ce qui se passe — nous permet seulement de discuter de prolifération nucléaire et des droits de la personne. Je comprends pourquoi il en est ainsi, mais cela signifie que nous n'avons aucune discussion avec les Coréens du Nord. Or, les Coréens du Sud comptent sur nous pour agir en interlocuteurs valables. Par le passé, peu importe à quel point les Coréens du Nord pouvaient nous sembler irrationnels, notre ambassadeur se rendait là-bas parce qu'on pouvait aborder d'autres sujets. Nous ne parlions pas nécessairement à la personne directement en face de nous, mais à d'autres personnes présentes — la nouvelle génération.

Nous devrions revoir notre politique là-dessus. Je comprends pourquoi nous avons pris ces mesures; il reste que les Coréens sont très intéressés par le volet engagement, ce qui pourrait servir nos intérêts commerciaux.

Le sénateur Nolin : En somme, si je vous comprends bien, en omettant de nous prononcer publiquement concernant la DMB sur notre propre continent, nous perdons de la crédibilité en matière de protection ou de défense de nos partenaires commerciaux.

M. Robertson : Jusqu'à un certain degré, oui, parce qu'ils nous demandent : « Mais que faites-vous donc? »

Le sénateur Nolin : Pour être des interlocuteurs valables, il nous faut protéger et défendre notre territoire.

M. Robertson : Nous accusons souvent les Américains d'être des partenaires commerciaux peu fiables — nous en avons fait l'expérience — alors qu'eux veulent être en mesure de se fier à nous en matière de sécurité. Selon moi, comme je viens de le dire, nous sommes des partenaires très fiables dans ce domaine. Nous avons créé le périmètre que les Américains réclamaient et, maintenant que nous avons répondu à leur demande, nous leur demandons d'être des partenaires commerciaux fiables.

Le sénateur Nolin : Bien. Je crois que nous devrons explorer ces questions encore davantage. Je crois que la relation entre la sécurité et le commerce est un point valable.

Le sénateur Wells : J'aimerais revenir sur la Russie et sur un sujet dont M. de Kerckhove a parlé durant ses observations préliminaires. Je trouve intéressantes l'époque des années 1930 et l'histoire de l'Allemagne, qui, après avoir été décimée par la Première Guerre mondiale, est ressurgie 20 ans plus tard pour devenir une superpuissance, comme les Allemands veulent peut-être le faire paraître et comme nous les percevons en rétrospective.

Dans l'Union soviétique de la fin des années 1980, il s'est produit une chose semblable, quoiqu'à une autre échelle. Je crois que personne n'ignore le fait que ce pays est en train de regagner son statut de superpuissance et qu'il fait preuve d'une certaine assurance sur la scène internationale.

À quel point devrions-nous nous en préoccuper? Ils tentent actuellement de maintenir ou d'élargir leur zone d'influence avec la Syrie et l'Ukraine, de même qu'avec la Pologne il y a quelques années. À quel point la remontée de la Russie devrait-elle nous inquiéter?

M. de Kerckhove : J'ai vécu trois ans en Russie et j'éprouve beaucoup de sympathie envers les Russes, qui souhaitent regagner leur statut à la suite de l'humiliation qu'a été la chute de l'Union soviétique. Peut-être ai-je tendance à attribuer une plus grande part de responsabilité au président Poutine qu'au reste de la Russie. Puisque vous me le demandez, je vous dirais que l'attitude anti-Occident du président m'inquiète. Bien sûr, il collabore et se vante de sa réussite dans le dossier syrien; toutefois, l'affrontement est omniprésent à tous les niveaux et une certaine polarité est- ouest semble persister. Voilà qui est inquiétant, parce qu'en raison des événements qui se déroulent en Europe — l'adjonction de l'Ukraine à la Russie plutôt qu'à l'Union européenne — on y trouve la stabilité. Il y a aussi ces autres pays qui veulent coopérer et avoir un peu de marge de manœuvre. Prenons l'Arménie, par exemple, qui voudrait se joindre à l'Europe, mais que la poigne eurasienne étouffe.

Pensons à toutes les anciennes républiques — les « -stans » — et le désir de la Russie de les contrôler. Il y a l'exemple de la guerre du pipeline entre les Turcs et les Russes, dont nous n'entendons pas parler. Les Russes encouragent maintenant l'exportation du pétrole depuis le Turkménistan jusqu'en Chine, de façon à ce qu'il y ait moins de pétrole transporté par le pipeline Nabucco en Turquie, et que davantage de pétrole, plus cher, soit acheminé à travers la Russie vers l'Europe, en Ukraine. Cela ne vous paraît-il pas machiavélien? Je ne sais pas, mais ce mode non coopératif m'inquiète. En ce sens, comme je l'ai déjà dit, ils sont en train de mener une nouvelle sorte de guerre froide.

Il y a pourtant des domaines où la collaboration est excellente, comme celui de la réduction de la capacité en armes nucléaires. Dans l'Arctique, la collaboration est véritable et solide. Pourquoi? Parce que ce qui s'y déroule est de nature exploratoire et qu'il faut collaborer pour éviter de s'y noyer.

Par exemple, les Norvégiens sont ravis devant le nombre grandissant de militaires russes dans l'Arctique, parce que ceux-ci y feront moins de dommage qu'ailleurs et qu'il s'agit d'une organisation qui sait faire son travail.

À un moment où il faudrait coopérer contre les États voyous et les acteurs non étatiques, la Russie, qui est par ailleurs un pays merveilleux et que je connais pour y avoir vécu, semble penser que le rétablissement de sa gloire passée et de son histoire n'est possible qu'au prix d'un continuel affrontement.

Ce concept de l'Eurasie, dont je suis incapable de définir les contours d'ailleurs, est lui aussi inquiétant, puisqu'elle réunira différents pays, notamment les « stans », soit le Kazakhstan, le Tadjikistan et les cinq ou six autres pays qui s'y trouvent. L'Eurasie comporte donc une certaine instabilité inhérente qui est loin d'aider en période de repli et lorsque l'Occident omet d'exercer son leadership, si je peux me permettre de le répéter. Voilà qui rejoint un point que j'ai soulevé un peu plus tôt, c'est-à-dire : « Dites-moi ce que vous voulez et je vous dirai ce dont vous avez besoin; mais si vous n'avez pas suffisamment de leadership pour définir ce que vous voulez, je serai incapable de déterminer ce qu'il vous faut. »

Le sénateur Wells : J'aimerais entendre le point de vue de M. Robertson sur cette même question au sujet de la Russie.

M. Robertson : Depuis l'époque de Pierre le Grand et de Catherine la Grande, il y a toujours eu deux camps : celui qui est tourné vers l'Ouest et celui qui souhaite une Russie forte. Je crois que le président Poutine appartient au deuxième camp. Il se positionne moins comme une puissance européenne qu'asiatique, ce qui représente un défi pour nous. En ce qui concerne la Russie, nous devons penser à long terme, car ce sera long. Il faut miser sur ce que l'on a vu à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, c'est-à-dire leur histoire et leur riche culture. Je vois que la Russie ressent un sentiment d'infériorité devant l'Occident. Nous devons tout faire pour lutter contre cette impression.

Robert Ford, un grand diplomate canadien, y a été affecté 25 ans. Il comprenait véritablement les Russes et, pour cette raison, ceux-ci avaient une meilleure idée du Canada, qu'ils considéraient comme une sorte de partenaire et ami. Par exemple, l'actuel ambassadeur de la Russie au Canada est maintenant le Doyen du Corps diplomatique. Il est très perspicace et jouit d'une certaine influence en Russie. Nous devrions donc travailler avec lui, et avec d'autres, afin de réduire la probabilité d'un malentendu. Je crois en effet que c'est là le plus grand risque qui nous guette en ce qui concerne la Russie : un malentendu, et non une agression délibérée de sa part.

Traditionnellement, ce sont les Russes qui subissent les attaques — que ce soit de la part de Napoléon ou d'Hitler. Cela fait partie intégrante de la psyché et de la mentalité russes, une chose dont nous devons être conscients. Mais nous pouvons jouer un rôle positif, je crois.

Le sénateur Wells : Voilà qui est utile, merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez fait allusion à la situation économique de la Corée du Nord. Croyez-vous que sa capacité en matière de production de missiles ne lui permet pas d'exercer une pression pour aller chercher des devises étrangères?

M. de Kerckhove : Je crois que la Corée du Nord, d'une façon générale, nous inquiète sur le plan de l'économie comme telle. L'assassinat de sang-froid de l'oncle du leader actuel porte à croire que cela va aller plutôt vers un resserrement du contrôle sur l'économie. Taek, l'oncle en question, était relativement proche de Deng Xiaoping et essayait d'introduire des réformes économiques dans la Corée du Nord. Visiblement, la décision de le descendre et de l'abattre est une façon un peu expéditive de régler le problème de la gestion économique d'un pays et cela va probablement signifier qu'il y aura encore davantage d'efforts consacrés à la défense et moins à l'économie.

Alors, est-ce que cela nous donne un moyen de pression? Par exemple, en dépit de toutes les fanfaronnades de Kim Jong-un, il y a quand même maintenant une réouverture de cette espèce d'entreprise mitoyenne entre les deux pays. Autrement dit, est-ce que nous, en Occident, nous avons tendance à le considérer comme trop imprévisible? Devrions- nous essayer de mieux comprendre la mentalité médiévale de leadership nord-coréen actuel pour nous sentir moins inquiets de ce qui se passe? Peut-être, dans l'esprit de ce que disait Colin, en essayant de leur parler et de créer un espace de débats et de discussions? Cela va prendre énormément de temps. À l'heure actuelle, je n'ai que très peu d'espoir pour la remontée de l'économie coréenne et de l'apport de devises étrangères.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Robertson, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

M. Robertson : Je dirais que la Chine est le pays qui exerce la plus grande influence sur la Corée du Nord. Il y a d'autres pourparlers à six dont nous avons parlé et qui sont inactifs; toutefois, la Chine veut maintenant participer et être perçue comme une grande puissance. C'est juste, selon moi. Du point de vue économique, ils font leur place dans les organismes internationaux. L'architecture que nous avons créée — et, sénateur Campbell, je suis d'avis que les Nations Unies ont un rôle à jouer sur ce plan — n'est pas parfaite, mais elle est supérieure à toutes les options que nous pourrions mettre en place.

Pour en revenir à la Chine, si elle veut qu'on lui accorde le statut de superpuissance, elle devra en assumer les responsabilités. La Corée du Nord est en grande partie une création de la Chine. En effet, elle est soutenue par la Chine et son économie dépend entièrement des liens établis avec elle, un peu comme Cuba dépendait autrefois de la Russie.

J'ai l'impression que les dirigeants chinois, avec le changement, sont très déçus de ce qui se déroule en Corée du Nord, et qu'ils le lui ont fait comprendre. C'est probablement la meilleure façon de résoudre quoi que ce soit en Corée du Nord : collaborer avec la Chine et la laisser diriger les pourparlers à six et ce qui s'en suit, parce que c'est elle qui est en meilleure position pour exercer une influence sur la Corée du Nord.

Le président : Chers collègues, puis-je poser une autre question avant que nous n'ajournions? Nous n'avons pas abordé la question de la menace d'une attaque par impulsion électromagnétique, une expression que la plupart des Canadiens n'ont jamais entendue. Pouvez-vous nous faire part de ce que vous en savez?

M. de Kerckhove : Je me sens de plus cybernétiquement attaqué.

M. Robertson : Il s'agit d'un terrain inconnu. Les personnes avec qui j'en ai discuté ont toutes dit que les cybermenaces sont les pires menaces de l'avenir. J'ai assisté à bon nombre de conférences récemment dont je suis ressorti très anxieux; selon les gens qui connaissent le sujet, personne n'est particulièrement bien préparé à ce genre de menace.

Nous avons assisté à des démonstrations de cyberattaque, si on peut le dire ainsi, des impulsions électroniques dans certains cas. Les Russes ont utilisé cette technologie à trois ou quatre occasions, ainsi que la Roumanie à quelques reprises; les Iraniens l'ont employée contre Aramco; et on pensait que les Américains y travaillaient jusqu'aux plus récentes sessions des Iraniens.

Il s'agit certainement d'un domaine où les initiés estiment que nous ne sommes pas du tout préparés, tant du côté du gouvernement que celui du secteur privé. Pensez à ce qui arriverait si tous les guichets automatiques tombaient en panne. Nous avons subi des tempêtes de verglas au Québec et ici à Ottawa. Nous savons ce qui se passe quand tout s'éteint. Si une telle chose était orchestrée par une puissance hostile, ou même tout simplement par un acteur non étatique, comment ferions-nous face à la situation? Nous devrions consacrer beaucoup plus d'attention à cette question.

Le président : J'aimerais poursuivre brièvement avec une autre question. Est-ce que le programme de défense antimissiles balistiques dont il a été question au cours de la dernière heure et demie serait en mesure de contrer, du moins en partie, ce genre d'attaque?

M. Robertson : Non, car il s'agit d'un autre genre de menace.

M. de Kerckhove : Puis-je ajouter un point sur la question de la cybersécurité? Il s'agit par contre d'un point qui nous mènera ailleurs. J'ai tendance à considérer la cybersécurité de la même façon que le contrôle des armes et le désarmement. Serait-il possible d'établir un code de conduite en matière de cybersécurité?

Comme je l'ai mentionné, les Américains ont baptisé la cybersécurité le cinquième domaine de la guerre. Comment peut-on définir une cyberattaque comme un acte de guerre — en supposant qu'elle puisse l'être? Certains suggèrent que nous le fassions, afin que nous sachions tous de quoi il est question. S'agit-il d'une attaque contre les individus, le secteur industriel, l'État? Ces distinctions sont assez abstraites et il est donc facile de les confondre. Une attaque en règle contre l'industrie correspond d'une certaine façon à une attaque contre l'État; comme le dirait Chuck Hagel, secrétaire américain à la Défense : « La définition m'importe peu. Il est question ici d'une guerre et nous allons riposter. »

Les pays qui attaquent sont aussi ceux qui se feront attaquer. Ne pourrait-on pas bâtir une certaine confiance dans ce domaine, afin d'approfondir notre compréhension de la question? Comme le dit M. Robertson, nous n'en sommes qu'aux tout débuts, mais tout cela semble dangereux et ne présage rien de bon.

Le président : Messieurs, il est maintenant 17 heures. Je tiens à remercier les témoins de leur présence aujourd'hui. Ce fut une séance très instructive. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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