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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 11 - Témoignages du 24 novembre 2014


OTTAWA, le lundi 24 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier, en vue d'en faire rapport, les menaces à la sécurité nationale.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte. Bienvenue à la séance du 24 novembre 2014 du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Avant d'accueillir notre témoin, j'aimerais commencer par la présentation des membres du comité. Je m'appelle Dan Lang, du Yukon. Immédiatement à ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien. À mon extrême droite se trouve notre analyste de la Bibliothèque du Parlement, Holly Porteous. Nous allons faire un tour de table, et j'invite les sénateurs à se présenter et à indiquer la région qu'ils représentent, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur le président. Grant Mitchell, je représente l'Alberta et je suis vice-président du comité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec, de la région de Montréal.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, Ontario.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, Ontario.

Le président : Merci. Estimés collègues, le 19 juin 2014, le Sénat a convenu que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense serait autorisé à étudier, en vue d'en faire rapport, les menaces à la sécurité nationale, notamment le cyberespionnage, les menaces aux infrastructures essentielles, le recrutement terroriste et le financement des activités de terrorisme et les opérations antiterroristes et les poursuites contre les terroristes. En outre, il a été déterminé que le comité devait faire rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2015.

Cet après-midi, nous allons accueillir trois groupes de témoins dans le cadre de notre étude des menaces qui pèsent sur le Canada, et plus précisément le terrorisme. Les Canadiens apprennent des choses troublantes dans l'actualité au sujet des menaces auxquelles nous sommes confrontés. Nous savons maintenant que 93 Canadiens sont considérés comme des voyageurs à haut risque, c'est-à-dire qu'ils veulent quitter le pays pour aller rejoindre l'État islamique. Ces personnes sont sous surveillance et, dans certains cas, on a saisi leur passeport. De plus, il y a 80 Canadiens et personnes ayant une double nationalité qui sont revenus au Canada après avoir fourni un soutien important à l'État islamique. En outre, nous savons qu'il y a 145 Canadiens actuellement à l'étranger dans les rangs de l'État islamique. En tout, il y a actuellement un minimum de 318 Canadiens impliqués d'une façon ou d'une autre dans le domaine du terrorisme, et il s'agit uniquement des personnes connues des responsables de l'application de la loi.

En clair, il y a 173 personnes radicalisées qui vivent parmi nous, auxquelles il faut consacrer évidemment beaucoup de ressources d'application de la loi et qui constituent aussi une menace pour le Canada et les Canadiens.

Nous avons aussi appris qu'une importante aide financière quitte le Canada pour financer le terrorisme. Le CANAFE, l'organisme qui fait un suivi du financement du terrorisme et du crime organisé, a déposé, la semaine dernière, son rapport annuel dans lequel il déclare avoir fait 1 143 communications aux organismes d'application de la loi en 2013-2014, comparativement à 919 durant l'exercice précédent. De ce nombre, 234 étaient liés au financement du terrorisme ou à des menaces à la sécurité du Canada. Il s'agit d'une information très troublante, et nous y réfléchirons dans le cadre de notre étude des menaces qui pèsent sur le Canada.

Avec notre premier groupe invité de la journée, nous analyserons ce qui se passe dans le domaine des médias sociaux avec un représentant de la SecDev Foundation. Dans le cadre du deuxième et du troisième groupes, nous allons accueillir des membres éminents de la communauté musulmane.

Estimés collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Rafal Rohozinski, chargé d'études principal de la SecDev Foundation. M. Rohozinski est un grand spécialiste du cyberterrorisme et de l'espionnage. Il a joué un rôle clé en aidant le gouvernement à comprendre les menaces auxquelles nous sommes confrontés dans le domaine de la cybersécurité et du terrorisme.

À la demande de Sécurité publique Canada dans le cadre du projet Kanishka, SecDev a réalisé une étude de deux ans intitulée « Analyses du public cible des médias sociaux : mesurer les conséquences des ressources de contres-narratifs pour les professionnels de l'éducation au Canada ». Dans le cadre de cette étude, la fondation tente de mesurer les conséquences des films créés pour lutter contre les discours de l'extrémisme violent, particulièrement dans les médias sociaux. Il permettra également la création d'une boîte à outils spécialisée pour que les praticiens puissent offrir de l'aide non seulement dans la mesure des conséquences, mais également dans la conception et la diffusion d'outils pédagogiques destinés au public cible.

Monsieur Rohozinski, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui. Nous avons hâte d'entendre votre exposé. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire. La parole est à vous.

Rafal Rohozinski, chargé d'études principal, SecDev Foundation : Merci, sénateur. Membres du comité, merci de m'accorder le privilège de parler aujourd'hui des médias sociaux et de la lutte à l'extrémisme violent. En guise de contexte, je témoigne aujourd'hui au nom de la SecDev Foundation, dont le siège est situé à Ottawa. Il s'agit d'un groupe de réflexion opérationnel dont le champ d'expertise est l'intersection entre les technologies et les changements sociaux. La SecDev Foundation travaille actuellement sur les conflits et la radicalisation en Syrie, en Irak, en Amérique latine et dans la Communauté des États indépendants. La fondation a aussi reçu deux subventions dans le cadre du programme Kanishka de Sécurité publique Canada, et a réalisé des recherches expérimentales sur le phénomène de la radicalisation en ligne et les mesures qu'on peut prendre pour cibler les populations à risque de radicalisation. Je souligne aussi pour le compte rendu que je suis un membre senior responsable des menaces cybernétiques et hybrides au sein de l'International Institute for Strategic Studies, dont le siège est établi à Londres, et pour lequel ces questions sont aussi très préoccupantes.

Permettez-moi de commencer de façon non conventionnelle en vous racontant une histoire. Il y a près de 24 ans, à la fin de la guerre froide, j'ai travaillé pour un organisme américain en place durant les premières années suivant l'effondrement de l'ancienne Union soviétique. À cette époque, je devais travailler avec des membres de l'ancien milieu universitaire soviétique, et plus précisément avec ceux qui avaient des compétences dans les domaines de la physique nucléaire et de la biochimie. L'objectif était de transférer leurs activités dans le domaine civil afin de prévenir leur émigration vers des pays comme la Corée du Nord et la Libye. Notre idée à l'époque était de réintégrer les scientifiques en les reliant au milieu scientifique mondial. Notre solution passait par Internet.

Pour ceux d'entre vous qui se souviennent d'Internet, il y a 24 ans, il s'agissait principalement de la chasse gardée d'environ 14 000 scientifiques, principalement en Amérique du Nord et en Europe. À l'époque, d'après ce que nous en savions, l'Union soviétique n'avait jamais créé de réseau Internet. Il s'agissait d'une technologie occidentale, étrangère et en contradiction avec les réseaux qui appuient le traitement automatisé des données en soutien à l'économie soviétique à planification centrale. Par conséquent, nous avons été très surpris, en visitant les instituts fermés de l'académie des sciences, d'y trouver des accès à Internet. Cependant, cet accès n'avait pas été bâti à l'aide des fonds de l'État. Ce sont plutôt les scientifiques qui l'avaient créé eux-mêmes. Ils avaient utilisé des ordinateurs et des lignes téléphoniques dérobées pour mettre en place, essentiellement, un Internet caché non pas en raison de l'État soviétique, mais malgré lui.

Les scientifiques soviétiques n'étaient pas les seuls à s'approprier la technologie nécessaire pour bâtir un réseau. Un mafieux ingénieux du nom de Semen Yufa, à Kiev, avait aussi créé son propre Internet. Il s'était rendu compte que, en reliant ses casinos et ses maisons closes en temps réel, il pouvait en tirer un avantage sur ses compétiteurs.

La morale de l'histoire est peut-être simple, mais tout de même importante : la technologie se développe rarement comme prévu et conformément aux fins prévues initialement. Les besoins humains, qu'ils soient de nature altruiste ou intéressée, déterminent, au bout du compte, la nature des percées technologiques et les objectifs servis. Cette considération est importante lorsque nous évaluons la mesure dans laquelle Internet — les médias sociaux — a permis l'arrivée et la montée d'acteurs qui sont de plus en plus considérés comme étant une menace pour les Canadiens et la sécurité nationale du Canada.

Internet a crû à une vitesse phénoménale. Il s'est immiscé dans notre vie quotidienne et l'a transformée d'une façon qui dépasse l'entendement. Actuellement, nous tenons pour acquises des technologies qui n'existaient pas il y a cinq ans, et nous en dépendons. Nous vivons vraiment à une époque révolutionnaire.

Actuellement, plus des deux tiers de l'humanité possèdent une connexion à Internet à large bande. Il y a plus de téléphones cellulaires sur la planète qu'il n'y a d'êtres humains. La population en ligne est jeune. Les deux tiers des personnes actuellement en ligne au niveau mondial ont moins de 35 ans et tout juste au-dessus de 50 p. 100 ont moins de 25 ans. Ce sont de jeunes adultes qui commencent les années les plus productives de leur vie. Ils forment le groupe de la population le plus motivé à changer sa situation. Leurs agissements, la façon dont ils décident de s'exprimer, sont ressentis de différentes façons, de la nouvelle économie très dynamique sur Internet aux nouvelles formes d'activisme politique, y compris l'« hacktivisme », que l'on constate dans les répercussions de groupes aussi disparates qu'Anonymous, le mouvement des Indignés, l'Armée électronique syrienne, et plus récemment et de façon très réaliste, le soi-disant État islamique.

Il est important de reconnaître l'impact profond d'Internet. À l'avenir, les historiens y verront probablement une ère de profonde autonomisation des personnes. Plus de personnes dans plus d'endroits dans le monde peuvent prendre des décisions fondamentales dans leur vie grâce à la connaissance et à l'information. La contiguïté mondiale d'Internet a permis de surmonter les obstacles de la géographie, de l'ignorance et des intermédiaires et a permis de grands pas en avant dans le domaine de l'éducation, du développement économique et de l'autonomisation.

En fait, nous en sommes à ce que la fondation appelle une ère d'autonomisation ouverte, dans laquelle la capacité des personnes d'agir s'est accrue plus rapidement que la capacité des institutions de s'adapter et de tout réglementer. Ces profonds changements ont lancé de nouveaux défis dans les pays en développement et les pays industrialisés. Comme dans mon exemple d'il y a 24 ans, la technologie a créé sa propre forme de démocratie que les gens ont utilisée pour avoir un impact proactif sur leur vie de façons que les inventeurs et les fournisseurs de ces technologies n'auraient jamais pu imaginer.

Pour revenir à ce qui nous intéresse, alors qu'Internet est répandu et qu'il a intégré un pourcentage de plus en plus élevé de l'humanité, il est aussi devenu le reflet des sociétés elles-mêmes. Ce n'est plus la chasse gardée des universitaires, des riches ou de l'Occident, c'est maintenant le reflet de toutes les couches de la société, et cela inclut la criminalité, les points de vue et les croyances des populations marginalisées et les personnes souffrant de troubles mentaux.

De façon générale, le défi, c'est que les règles qui ont été élaborées au cours des dernières décennies dans le monde concret, pas le monde virtuel, peuvent difficilement être adaptées au nouveau monde numérique. Les droits fondamentaux comme ceux liés à la vie privée, au droit à la protestation, à la liberté d'expression et à l'application de la loi ont pris des décennies, peut-être même des siècles, à codifier dans notre système juridique, et nous n'avons qu'effleuré ce qu'il devra devenir pour s'adapter au nouveau monde numérique.

Abordons maintenant une question qui vous préoccupe : la radicalisation des Canadiens en raison du contenu sur Internet, et surtout dans les médias sociaux, et la mesure dans laquelle cela a été exploité par des groupes, y compris des suprémacistes blancs, des groupes d'extrême-droite et le soi-disant État islamique aux fins de recrutement et d'incitation à la violence.

Au cours des derniers mois, et surtout à la suite des événements tragiques survenus à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa, le rôle des médias sociaux en tant que vecteur potentiel de mobilisation des jeunes afin qu'ils posent des actes de violence a occupé le devant de la scène. Il est évident que cette préoccupation est justifiée.

L'accès à l'information et la connaissance sur Internet a permis à des personnes de chercher une signification, un sentiment d'appartenance et une motivation pour passer à l'action en solitaire, et ce, seulement au moyen de leur connexion Internet. Puisqu'Internet donne accès au monde, la capacité d'une personne de trouver précisément la signification dont elle a besoin pour passes à l'action — dans le rôle du bon, de la brute ou du truand — est supérieure à ce qu'elle était lorsque les interactions avec les gens, les idées et les institutions découlaient de l'éducation, des moyens économiques, du langage et de la possibilité de voyager.

Il faut aussi reconnaître que les groupes qui veulent inciter les gens à la violence ont tiré parti de la capacité de joindre et de toucher des personnes pour transmettre leur message et leur influence. Par exemple, la principale différence entre Al-Qaïda et l'État islamique, c'est que le premier des deux était une conspiration. Les membres d'Al-Qaïda partageaient des liens de confiance, qui découlent habituellement de relations en personne ou d'un processus de validation permettant de s'assurer que chaque membre de l'organisation était connu d'un autre membre. Le soi-disant État islamique est davantage une marque, qui transmet une liturgie inspirante, demandant aux personnes de trouver leur propre chemin pour passer à l'action. C'est la raison pour laquelle le message est efficace, surtout parmi ceux qui ressentent le besoin ou le désir de participer à une cause qui les dépasse.

Même si cela s'applique aux personnes qui suivent le credo de l'État islamique, l'EI, c'est tout aussi vrai de ceux qui adoptent des points de vue radicaux au sujet de l'environnement, du libertarisme extrême ou du racisme.

Même s'il est assez facile de s'entendre sur la nature du problème, il est beaucoup plus difficile de proposer une solution, de prime abord, parce que les connaissances scientifiques sont incomplètes actuellement. Même si nous avons beaucoup de preuves anecdotiques qui nous poussent à soupçonner qu'Internet joue un rôle dans la radicalisation, nous n'avons pas encore en notre possession d'études concluantes qui définissent exactement de quelle façon Internet contribue au processus.

Ensuite, le cyberespace est un domaine unique qui est constitué exclusivement de données. Il est beaucoup plus facile de trouver, d'identifier et de surveiller une personne et des groupes que dans tout autre domaine, sur terre, dans les airs ou en mer. Il y a un risque fondamental que, au moment d'exercer cette capacité technique de trouver des personnes — et par là, je parle non seulement de la capacité d'organisations comme la NSA, mais des renseignements recueillis par des organisations aussi disparates que des banques, des agences d'évaluation du crédit, des plateformes de médias sociaux en ligne et des moteurs de recherche —, les droits fondamentaux qui définissent notre société, y compris le droit à la vie privée et à une application régulière de la loi, puissent être déjoués ou minés et que le contrat social entre les citoyens et l'État soit modifié en silence.

Les révélations du dénonciateur de la NSA Edward Snowden font ressortir certains des dangers implicites liés au fait de s'attaquer grâce à une loi sur la sécurité nationale à des enjeux pouvant avoir un impact plus profond et plus fondamental sur les sociétés démocratiques développées puisque cela peut avoir un impact sur tous les aspects de nos vies : le profilage de personnes en fonction de leur risque génétique de maladie, pour des raisons d'assurance, relativement aux chances d'épanouissement, et cetera. Il s'agit d'enjeux dont il faut tenir compte et qui exigent un débat beaucoup plus fondamental et approfondi qu'un débat qui s'en tient aux risques de radicalisation et de ses liens avec Internet et la sécurité nationale.

Une des caractéristiques des sociétés modernes a été la capacité d'aborder et de gérer les risques en trouvant un juste équilibre entre les intérêts et les droits des citoyens et les responsabilités collectives, comme la sécurité.

Grâce aux deux subventions consécutives obtenues dans le cadre du programme Kanishka, la SecDev Foundation s'est penchée sur ce défi. Grâce à une série d'expériences contrôlées et d'engagements stratégiques, nous avons étudié le rôle des médias sociaux dans le processus de radicalisation et les moyens d'utiliser la technologie conformément à des politiques prescrites pour favoriser la sécurité communautaire en cernant les communautés à risque de radicalisation.

Le point de départ qui nous a inspirés était double. Il y avait pour commencer la surveillance liée à la santé publique, qui utilise des données pour cerner les risques à la sécurité publique découlant de la propagation des maladies à l'aide d'une surveillance statistique anonymisée.

Le deuxième volet était lié à certains des travaux révolutionnaires réalisés sur les services de police communautaires, dans le cadre desquels des services de police travaillent en collaboration avec des organisations de bien-être social pour cerner les communautés à risque avant que ses membres n'aient des démêlés avec les services de police. Dans les deux cas, la principale chose que nous avons retenue, c'était l'importance de tenter d'obtenir un engagement communautaire local et de favoriser les réponses communautaires aux risques plutôt que de faire intervenir des institutions d'État nationales ou le système de justice pénale.

Il s'agit d'un travail difficile qui n'est pas sans risque. Un atelier a été organisé plus tôt cette année dans le cadre duquel on a réuni le commissaire fédéral à la protection de la vie privée, des représentants des agences de sécurité du Canada et des chercheurs universitaires qui ont reconnu que les lacunes actuelles de la législation sur la protection des renseignements personnels au Canada fait en sorte qu'il est difficile d'élaborer des politiques ou des directives pour le gouvernement, les responsables de l'application de la loi et même les groupes communautaires qui œuvrent dans ce domaine.

Cependant, parallèlement, des travaux préliminaires novateurs ont été réalisés. Ils permettent de voir de quelle façon il serait possible de cerner les risques non pas en ciblant des personnes ou des groupes précis ou en faisant du profilage, mais plutôt en cernant les éléments du contenu distinctifs associés à des points de vue radicaux pour ensuite, éventuellement, procéder de façon régressive pour élaborer des récits, des stratégies et des approches narratives visant l'engagement et la réduction des niveaux de risque de collectivités et de particuliers.

Un peu comme dans le cadre des travaux de l'OMS sur la surveillance de la santé publique et la réduction de la violence, nous avions reconnu et avons continué à reconnaître l'importance des facteurs de risque et les besoins de ne pas cibler des groupes ou des particuliers précis. Même s'il faut rappeler que tous ces travaux sont encore en cours, nous estimons que cerner les principaux attributs de la radicalisation dans le contenu afin de trouver des voies d'intervention appropriées est la meilleure marche à suivre pour trouver le juste équilibre entre la protection des renseignements personnels et la sécurité collective.

Nous aimerions aussi souligner le besoin de trouver des gardiens dans la collectivité, de les mobiliser et de travailler en collaboration avec eux. Il peut s'agir d'enseignants, d'intervenants scolaires, de groupes communautaires, de dirigeants ou de professionnels de la santé ou de la santé mentale. C'est important parce que, souvent, les intervenants qui travaillent sur le terrain ne connaissent pas les messages et le contenu dans le cyberespace. Parfois, ils ne connaissent tout simplement pas les principaux éléments de contenu qui ont un impact sur leur collectivité.

Les informer est une façon efficace de leur donner les outils dont ils ont besoin pour participer au débat, grâce à l'éducation et à d'autres moyens, que ce soit pour mettre les pendules à l'heure et fournir des moyens de discuter des enjeux qui ont un impact et qui peuvent avoir des répercussions, surtout sur les jeunes, les gens et les collectivités qui se sentent déjà marginalisés et exclus de la société.

À certains égards, nos travaux restent exploratoires, puisque même le cadre de base des principaux gardiens communautaires et de leur influence sur les médias sociaux est encore sous-développé. Pour dire les choses simplement, nous n'avons pas dans le cyberespace l'équivalent des pages jaunes des gardiens communautaires dont nous bénéficions dans le monde réel. Il reste pas mal de travail fondamental à faire à ce sujet.

Toutefois, même si ces travaux sont nouveaux et expérimentaux, ils sont appliqués et concrets. Ici, j'aimerais souligner les objectifs du programme Kanishka de Sécurité publique Canada qui a permis ce type de recherche et de coopération entre les institutions publiques et les instituts de recherche appliquée.

Une des leçons que nous avons tirées du processus jusqu'à présent c'est le besoin de retenue : il faut toujours adopter une position plus conservatrice en matière de protection des renseignements personnels et éviter d'envisager la lutte contre les discours et l'extrémisme violent exclusivement des points de vue de l'application de la loi ou du droit sur la sécurité nationale.

L'autoradicalisation vers l'extrémisme violent est un phénomène assez nouveau, qui a été rendu possible grâce à l'émergence d'Internet et des médias sociaux. Mais cela ne signifie pas que tous ceux qui empruntent cette voie sont soit engagés, soit nécessairement sains d'esprit. Nonobstant les dangers évidents d'une surveillance indue qui met en danger les valeurs démocratiques mêmes sur lesquelles notre société est fondée, il faut aussi faire preuve de prudence dans nos interventions à la lumière d'évaluations permettant de déterminer si la meilleure marche à suivre passe par le système de bien-être social ou le système de justice pénale.

De plus, la marginalisation de populations déjà marginalisées risque d'accentuer leur adoption plus systématique et intransigeante d'idéologies violentes. C'est une leçon qu'ont apprise nos dirigeants communautaires et les forces de l'ordre dans la province de la Saskatchewan, par exemple, et d'autres encore qui ont fait l'expérience d'approches communautaires en matière de réduction de la violence. C'est une leçon dont il faut tenir compte tandis que nous adoptons de nouvelles lois pour donner de nouveaux pouvoirs d'application de la loi dans le cyberespace et pour lutter contre l'extrémisme violent en ligne.

En conclusion, j'aimerais formuler une dernière observation, qui est liée précisément à ceux qui ont choisi de prendre les armes à l'étranger. La question des combattants étrangers représente un défi, puisque les crimes ou les actes de violence commis à l'extérieur du Canada soulèvent la question de savoir si les personnes qui décident d'adopter de tels comportements devraient avoir le privilège de conserver leur citoyenneté canadienne. À l'ère de la mondialisation et de l'accès instantané 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à l'information sur Internet et dans les médias sociaux, la tentation, ainsi que la possibilité, pour les jeunes Canadiens d'agir sous l'impulsion de leurs émotions et de joindre des causes mondiales sont très réelles.

Des milliers de Canadiens travaillent à l'étranger pour des ONG et des organisations humanitaires ou voyagent et étudient à l'étranger. Quelques centaines ont choisi de combattre pour des causes à l'étranger et dans le cadre de guerres, y compris une jeune Israélo-Canadienne qui se bat actuellement avec les forces kurdes dans le Nord de la Syrie. Bon nombre de ces jeunes seront désillusionnés lorsqu'ils seront confrontés pour la première fois aux réalités de la guerre. Bon nombre voudront revenir au pays. Bon nombre aussi souffriront des mêmes stress et troubles que ceux dont sont victimes les hommes et les femmes qui luttent dans les forces armées.

Ces personnes ont besoin de notre aide et de notre attention. Le fait de créer un environnement et de mettre en place des politiques qui leur permettront de réintégrer la société canadienne non seulement nous donnera l'occasion de récupérer certains de ces jeunes, mais pourra aussi servir de puissant phare, de moyen et de mécanisme pour mobiliser et possiblement en dissuader d'autres de suivre la voie de la violence.

Merci de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. Votre exposé était très intéressant, et j'ai de la difficulté à savoir où commencer parce que vous avez parlé de tant de choses et que vous avez souligné bon nombre des enjeux qu'il faut aborder.

Je peux peut-être être plus précis et souligner le fait que votre organisation a reçu des fonds pour étudier l'influence sur la radicalisation des gens au moyen de films, grâce à du contenu auquel ils peuvent avoir accès de différentes façons. J'étais récemment en Lettonie, et j'ai parlé à des représentants là-bas qui ont le même problème avec des émissions de télévision russes diffusées en Lettonie — pas subrepticement, mais directement à la télévision — à l'intention d'une minorité russe qui pourrait ou non être en train de se façonner une vision du monde différente, mais les représentants lettons craignent que ce soit le cas.

Ma première question est liée à quelque chose que vous avez dit et qui m'a frappé. Vous avez dit qu'il n'y a pas beaucoup de travail qui est effectué sur les techniques, l'impact et les méthodes de radicalisation sur Internet. Pouvez-vous confirmer que je ne me trompe pas?

Ensuite, pouvez-vous nous dire ce que vous faites avec les 147 000 $ que vous avez reçus et qui semblent être destinés à cette question?

M. Rohozinski : Bien sûr. Pour commencer, je tiens à préciser que beaucoup de travail se fait concernant l'impact d'Internet sur le processus de radicalisation, que ce soit grâce au financement du programme Kanishka ou de façon plus générale au sein du milieu universitaire et dans des pays comme le Royaume-Uni, où l'enjeu de la radicalisation en ligne a pris les devants de la scène.

Cependant, je crois qu'il est aussi évident que le cadre scientifique qui nous permettrait de vraiment comprendre la mesure dans laquelle Internet joue un rôle dans le processus de radicalisation d'une personne est encore déficient. Nous n'avons tout simplement pas assez de renseignements pour pouvoir déterminer exactement quel rôle Internet joue. Nous savons qu'il joue un rôle, mais pour concevoir des stratégies et des approches permettant d'en réduire au minimum l'impact, pour lutter contre cette tendance, travailler au niveau communautaire, il nous faut plus de données probantes que nous n'en avons actuellement.

Ajoutez à cela un très important défi, soit que la présence des médias sociaux et d'Internet, puisqu'il s'agit d'un domaine purement composé de données, offre aux organisations — peu importe s'il s'agit d'un État ou d'entités commerciales — une granularité et une capacité sans précédent d'identifier directement des personnes et de les surveiller. Si je vous demandais quel genre d'entreprise est Google, vous seriez probablement très surpris d'apprendre qu'il s'agit d'une entreprise de publicité, mais c'est le cas. Au bout du compte, sa capacité de répondre à vos besoins grâce à une fonction de recherche lui permet de connaître votre comportement en ligne afin de mieux vous comprendre en tant que consommateur potentiel.

Une bonne partie des travaux que nous avons réalisés dans le cadre du premier programme Kanishka — pas la deuxième subvention du programme Kanishka que nous utilisons actuellement — consistait à étudier les limites des politiques afin de pouvoir permettre au gouvernement ou à des groupes communautaires d'appliquer les technologies, de comprendre et d'étudier le processus de radicalisation et d'élaborer des techniques pour déceler les communautés radicalisées et déterminer lesquelles il serait préférable d'appliquer dans un cadre stratégique qui sera utilisé par le gouvernement ou des groupes communautaires.

À la fin du premier volet de nos travaux dans le cadre du programme Kanishka, nous avons conclu, d'un côté, qu'il y a une absence de principes fondamentaux en droit qui pourraient même nous fournir une orientation sur la façon dont nous pourrions commencer à tirer profit des médias sociaux, soit pour assurer la sécurité communautaire, soit pour favoriser l'application de la loi. En tant que sénateurs, vous savez probablement que le projet de loi visant à mettre à jour les technologies d'interception légales a été retardé pendant des années dans le système parlementaire. Même la version à jour de ces lois n'effleure pas certains des enjeux dont il faut tenir compte une fois qu'on se penche sur des choses comme les médias sociaux, lorsqu'on parle de données publiques et non de données interceptées.

Le deuxième enjeu, c'est que, une fois la technologie créée, de quelle façon peut-on l'utiliser afin d'examiner la prévalence statistique de la radicalisation ou des collectivités potentiellement à risque sans faire du profilage ni identifier des personnes précises? Encore une fois, l'idée, ici, c'est d'utiliser l'approche de l'Organisation mondiale de la santé pour comprendre la prévalence des maladies, et dans le cadre de laquelle il est important de savoir non pas que vous ou votre sœur êtes malade, seulement qu'il existe un certain vecteur de maladie dans une collectivité précise, ce qui permet de trouver des moyens de le contrecarrer. C'est pourquoi notre premier programme ciblait presque exclusivement cet aspect politique et technologique.

Dans le cadre des travaux liés à la deuxième subvention du programme Kanishka, nous avons modifié notre approche. Nous avons créé un partenariat avec une organisation qui a beaucoup travaillé au Royaume-Uni avec des communautés déjà radicalisées ou des communautés à risque de radicalisation. Les membres de cette organisation ont créé, grâce à leur expertise, une série de films qui ciblent des communautés précises ou, en gros, des collectivités à risque de radicalisation, parce que je veux cibler non pas une communauté unique, mais plutôt le danger de radicalisation.

Ce que nous avons fait pour eux, dans le cadre de cette initiative et dans le cadre de notre contribution au programme Kanishka, c'est appliquer en partie notre méthode de cartographie des gardiens communautaires, ce qui revient essentiellement à créer un annuaire de gardiens dans une collectivité — et là, je parle d'une collectivité géographique, comme London, en Ontario, ou Windsor ou Ottawa —, afin de pouvoir savoir qui réagit lorsqu'on communique des messages dans la collectivité en question par le truchement de leurs films. Qui sont les personnes que les films touchent le plus? C'est presque une utilisation différente du même genre de technologie que celle qu'utilisent les publicitaires pour comprendre si leur marque est porteuse, mais, dans ce cas-ci, l'intention est de cerner la façon dont ce contenu peut être disséminé grâce aux principaux gardiens qui font le saut du monde en ligne au monde physique. Je parle littéralement du saut d'un média social ou d'une page Facebook à un YMCA, au cabinet d'un médecin ou à un autre groupe communautaire ou encore à un groupe d'enseignants, où l'on peut discuter du contenu et créer au moins des contre-narratifs de base pour lutter contre les messages véhiculés en ligne.

Le président : Est-ce que vous avez compris?

Le sénateur Mitchell : En partie, oui. Cette réponse révèle à quel point il s'agit d'un dossier compliqué.

L'un des dilemmes intéressants — et je me fais peut-être l'avocat du diable —, c'est que, d'un côté, vous dites que nous n'avons pas vraiment de méthode scientifique pour déterminer quel peut être l'impact d'Internet. Mais, en même temps, vous dites qu'il y a des obstacles ou des lacunes dans les lois sur la protection de renseignements personnels qui nous permettraient d'explorer ou de surveiller Internet pour surprendre des gens qui s'adonnent à certaines activités ou pour déterminer si ces activités ont un impact.

Peut-on être sûr qu'Internet est l'endroit où la radicalisation a lieu, du moins en partie? Le savons-nous? Pouvez-vous le dire avec une certaine certitude? Ou le problème vient-il, par exemple, d'un homme de 22 ans très influent qui revient d'un voyage d'études en Syrie et qui prêche à ses amis, peu importe où, dans la collectivité?

M. Rohozinski : Soyons clairs à cet égard. La méthode est là. Il nous manque des données afin de pouvoir dire de façon irréfutable quel rôle exactement jouent les médias sociaux dans le processus de radicalisation. Nous savons que c'est important, nous savons que les médias sociaux jouent un rôle, mais nous n'avons tout simplement pas assez de données pour déterminer si c'est plus ou moins important que l'homme de 22 ans qui parle à ses amis.

J'ajouterai que le programme Kanishka a été conçu précisément pour acquérir la capacité d'effectuer ce genre de recherche, parce que réaliser de telles recherches uniquement dans le milieu universitaire est difficile. L'éthique liée aux recherches à la première personne, les contraintes liées aux politiques si l'on veut réaliser de telles études dans des laboratoires du gouvernement, font en sorte que c'est un domaine extrêmement difficile à étudier.

Le sénateur Mitchell : Ne réalise-t-on pas ce genre de recherche dans le monde entier? L'Union européenne et les États-Unis n'en font-ils pas? Se peut-il que personne n'ait la réponse? Ou dites-vous que nous en sommes à un point où personne ne le sait?

M. Rohozinski : Je crois que, actuellement, tout le monde se penche activement sur la question. Tout le monde reconnaît la nature du problème, mais ce qui est plus difficile, c'est de trouver les solutions.

Ce que j'ai essayé d'expliquer dans mon exposé, c'est qu'il y a plusieurs défis. L'un des défis, c'est le fait que nous n'avons pas de normes, et encore moins de politique ni de loi, pour nous orienter.

Le deuxième défi, c'est qu'il y a beaucoup de risques implicites liés aux technologies, ce qui fait en sorte que nous devons vraiment faire preuve de prudence au moment de déterminer si nous allons exploiter tous les avantages associés aux technologies et qui pourraient en fait mener à une refonte du contrat social entre les citoyens et les États. C'est un aspect très important.

Le sénateur Mitchell : Dans un sens, comment réunissez-vous tous ces éléments? D'où vient la coordination? Il y a tellement de choses à faire. Certaines choses sont faites ailleurs. Votre groupe est l'un des intervenants. Il est évident que vous êtes expert en la matière et que vous savez beaucoup de choses à ce sujet, mais qui réunit le tout, qui dresse la liste, si je peux m'exprimer ainsi, de tous les enjeux qu'il faut aborder afin qu'on puisse les attribuer et s'assurer que les recherches ont lieu, que les questions sont posées et que nous obtenons les réponses dont nous avons besoin? Où, au Canada, pourrait-on le faire et de quelle façon faudrait-il procéder?

M. Rohozinski : Voilà la question, j'imagine : où au Canada, peut-on le faire? Au niveau mondial, ça se fait déjà. Il y a un réseau d'universitaires internationaux qui travaillent sur cette question, et qui sont tous plus ou moins associés à des institutions gouvernementales. C'est un domaine où il se passe beaucoup de choses. Que ce soit au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, en Israël ou ailleurs, c'est une communauté très active.

Au Canada, j'ai l'impression que Sécurité publique Canada, grâce au programme Kanishka et à ses subventions individuelles ainsi qu'au sein du réseau dans le cadre duquel il a choisi de réunir des chercheurs, met sur pied ce genre de communauté. D'après ce que j'ai observé, la communauté a bénéficié du soutien d'institutions publiques pour qui il s'agit d'une considération opérationnelle et a tendu la main aux universités où ces travaux peuvent être réalisés au niveau fondamental.

En ce qui concerne la liaison, il faut louanger le programme Kanishka et rappeler sa très grande importance, parce qu'il a créé une plateforme où ce genre de recherches, qui sont risquées et qui remettent en question de façon fondamentale les normes de notre société et, comme vous pouvez le voir, qui touchent à la fois aux droits, aux droits individuels et aux technologies, peut être réalisé.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur Rohozinski, d'être là et d'essayer de nous aider à comprendre cet enjeu complexe. Pour ma part, je vais essayer de ramener tout ça à mon niveau, celui de la personne rétrograde.

Votre méthode consiste à examiner des sites de médias sociaux. Ce que j'ai trouvé très intéressant dans votre introduction, c'est que vous avez cerné certains éléments distinctifs dans ces sites de médias sociaux qui devraient faire naître vos soupçons et vous portent à croire qu'une enquête plus approfondie s'impose.

De tout ce que vous avez dit, je comprends la méthode. Quels sont ces éléments distinctifs qui constituent pour vous des indicateurs?

M. Rohozinski : Il pourrait s'agir de vidéos précis ou d'images précises.

La sénatrice Stewart Olsen : Mais de quoi? Dites-nous-le de la façon la plus simple possible.

M. Rohozinski : C'est difficile à dire, parce que je parle d'une communauté très large. Ce qui est révélateur dans le cas de l'État islamique est différent de ce qui l'est pour les suprémacistes blancs à London, en Ontario. Par conséquent, les images changent toujours.

En adoptant un point de vue statistique, en examinant le contenu soit qui semble attirer les plus grandes concentrations de personnes qui ont des points de vue radicaux, soit qui unit certaines communautés — ce sont des choses que nous pouvons découvrir à l'aide d'algorithmes — nous trouvons un point de départ qui nous permet de dire : « Ah ha. Voilà un élément qui incite à l'action ». Qu'il s'agisse d'une vidéo de décapitation ou des 14 mots utilisés par des suprématistes blancs, de façon générale, il s'agit d'un élément dont on peut se servir lorsqu'on examine les données publiques.

Comprenez-moi bien. Lorsque j'examine des sites de médias sociaux, je ne m'intéresse pas aux pages d'individus ou aux contenus assortis de restrictions de confidentialité. J'examine uniquement le contenu public, mais qui est suffisamment convaincant et, à coup sûr, les travaux expérimentaux que nous avons réalisés nous l'ont appris, assez précis pour vraiment nous donner une mesure des personnes qui sont susceptibles d'être à risque relativement à ce contenu. Ce contenu est révélateur, tant du point de vue de la démographie, c'est-à-dire le groupe d'âge, qu'en ce qui concerne l'emplacement.

La sénatrice Stewart Olsen : Dans le cadre de vos travaux, avez-vous trouvé des choses qui vous ont alarmé et l'avez-vous dit à quelqu'un?

M. Rohozinski : Nos travaux s'appuient sur une subvention de recherches publiques. En d'autres mots, je n'ai aucun pouvoir ni aucune permission de l'État ou d'ailleurs pour soutenir directement les travaux de groupes communautaires ou, disons, d'organismes du gouvernement.

Il est évident que nous avons communiqué nos constatations en ce qui concerne ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et la nature des répercussions connexes sur les politiques à, comme je l'ai dit, des groupes aussi disparates que des organismes de sécurité et le commissaire à la protection de la vie privée. En fait, nous avons demandé leurs commentaires et leur soutien dans bon nombre des travaux que nous effectuons.

Dans le cadre de la phase actuelle de nos travaux liés à la subvention du programme Kanishka, nous travaillons en collaboration et en équipe avec une organisation qui a créé des vidéos contre-narratifs et nous lui avons fourni un modèle, pour lui dire : « Bon. Voici où vous allez les distribuer, et voici l'annuaire de tous les groupes et gardiens communautaires. »

Durant la deuxième phase, nous allons nous intéresser à l'impact des vidéos à mesure qu'elles sont distribuées pour en évaluer l'impact, pas seulement dans le cyberespace, mais dans le monde réel où des gens interagissent ensemble.

La sénatrice Stewart Olsen : C'est presque un programme d'assurance de la qualité. Vous formulez des prémisses, puis vous vérifiez après coup pour voir si elles étaient justes.

M. Rohozinski : C'est exact. Nous cernons une communauté, de façon générale, qui est à risque, puis nous évaluons l'impact réel du travail contre-narratif réalisé par un groupe tiers pour voir qui cela rejoint, de quelle façon et avec quel impact.

Je dois dire que le groupe avec lequel nous travaillons a beaucoup d'expérience en matière d'intervention auprès de communautés à risque au Royaume-Uni, où comme vous le savez probablement, le problème est beaucoup plus grave qu'il ne l'est ici, au Canada. Nous tirons parti de son expertise dans les travaux que nous réalisons.

Fait intéressant, les représentants de ce groupe savaient, grâce à des preuves anecdotiques, que les médias sociaux et le monde en ligne étaient importants dans le cadre de leurs travaux, mais ils n'avaient aucun moyen de le mesurer. C'est ce que nous leur fournissons dans le cadre de ce projet : un moyen de cerner les publics cibles et de mesurer l'efficacité et l'impact des travaux.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous élaborez vos propres algorithmes?

M. Rohozinski : Nous élaborons notre propre méthode, oui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, M. Rohozinski. Dans votre présentation, vous parlez de la création d'une boîte à outils qui serait offerte aux enseignants afin de mesurer les conséquences des gestes qui pourraient être posés, et vous dites également que cette boîte est destinée à servir d'outil pédagogique pour le public.

Savez-vous qui profitera de cette étude et de cette boîte à outils?

[Traduction]

M. Rohozinski : Si je vous comprends bien, vous me demandez quel est l'avantage concret pour ceux qui bénéficieront de nos travaux, et plus spécialement dans le secteur de l'éducation?

Malheureusement, compte tenu de la façon dont l'accord de subvention a été conçu cette fois-ci, nous avions proposé de travailler directement avec des éducateurs parce que, selon nous, ce sont des gardiens extrêmement importants dans la collectivité, mais qui sont, de bien des façons, moins bien préparés pour gérer la question de la radicalisation qu'ils ne le sont dans le cas, par exemple, des soins dentaires, où Omer la molaire se présente dans les écoles et distribue des brosses à dents. Cependant, lorsque nous avons présenté notre proposition, il n'y avait pas suffisamment de fonds pour couvrir le travail que nous voulions faire directement auprès des éducateurs. Dans l'accord conclu avec Sécurité publique Canada, nous avons laissé cet élément dans la proposition. Une fois que nous aurons terminé de mesurer l'efficacité des narratifs, nous pourrions préparer le tout, dans le cadre d'une deuxième phase, et distribuer le tout aux éducateurs. L'objectif, c'est de vraiment mettre l'accent sur eux parce que, selon nous, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire — et, je l'espère, en répondant à vos questions —, nous considérons que les gardiens sont la composante la plus importante dans ce dossier.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Selon vous, quel autre pays pourrait se servir de cette boîte à outils? Avez-vous envisagé que d'autres pays puissent s'en servir?

[Traduction]

M. Rohozinski : Oui, je dirais que, parmi les pays anglophones, le Royaume-Uni est en avance et qu'il a davantage reconnu l'importance d'une intervention intégrée regroupant tous les organismes pour contrer le problème de la radicalisation, ce qui signifie de se tourner vers les services sociaux, les services d'enseignement, les services de santé mentale et le système de justice et le système pénal et, d'autres encore, pour réagir au défi de la radicalisation.

Récemment, j'ai constaté qu'il y a beaucoup de travail réalisé à ce sujet en France, en particulier, qui vit des situations semblables.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Est-ce que d'autres études semblables ont été entreprises, soit au Canada ou dans d'autres pays à l'étranger?

[Traduction]

M. Rohozinski : Fait intéressant, dans le cadre du programme Kanishka, il y a probablement autant de participants de l'étranger que de participants canadiens. C'est aussi vrai pour la plupart des efforts nationaux.

Par exemple, dans un tout autre secteur d'activité, nous avons participé à une étude des médias sociaux d'un point de vue de la sécurité nationale pour les gouvernements du Royaume-Uni et des États-Unis. Je dirais que le problème est quasiment le même pour tout le monde. Par conséquent, le travail d'expérimentation, même s'il est appuyé de différentes façons, finit par se ressembler. Il y a des similitudes en ce qui a trait à la portée. Comme je l'ai dit, il y a un très bon réseau international de base. Par conséquent, je ne crois pas que le Canada passe à côté d'occasions ou qu'il ne bénéficie pas des efforts déployés ailleurs, et vice versa.

La sénatrice Beyak : D'après ce que l'on entend, certains font valoir que nous ne pouvons pas faire fermer des sites parce qu'ils sont hébergés sur des serveurs étrangers. Selon vous, que pourrait-on faire pour bloquer des sites qui promeuvent la haine et la radicalisation?

M. Rohozinski : C'est très difficile de répondre à cette question. Je vais vous parler du travail que j'ai fait avant le programme Kanishka. Pendant environ 10 ans, j'ai été le chercheur principal d'un programme, la Open Learning Initiative, qui réunissait l'Université de Toronto, Harvard et Cambridge, dans le cadre duquel on a étudié l'émergence des politiques et des pratiques visant à créer des frontières nationales, et à filtrer et à bloquer du contenu dans le cyberespace.

D'après notre expérience au cours de ces 14 années, la seule chose que je puisse dire, c'est que la plupart des États qui ont tenté de bloquer des sites ont failli misérablement. Ils ont failli parce que, comme je l'ai dit au début de mon exposé, d'une façon ou d'une autre, les gens trouveront des façons de contourner les blocus. S'ils sont déterminés, ils réussiront. S'ils n'y arrivent pas à partir d'Internet, ils le trouveront sur le Web invisible. En fait, bon nombre des tribunes utilisées pour coordonner les activités des groupes djihadistes jusqu'à il y a environ trois ans, existaient dans ce qu'on appelle le Web invisible, ce qui signifie qu'il s'agissait de sites qui n'étaient en fait pas visibles directement sur Internet, il fallait avoir des permissions spéciales pour pouvoir y pénétrer.

Les moyens techniques pour faire appliquer la loi dans le cyberespace sont extrêmement difficiles à mettre en place. Vous avez déjà mentionné la question des compétences. Si nous voulons, par exemple, demander au gouvernement de la Fédération de Russie : « Pouvez-vous vous assurer que tel site ne soit plus hébergé par un fournisseur de services sur le territoire de la Fédération de la Russie? » des représentants pourraient bien nous dire : « Parfait, nous le ferons, dès que vous aurez commencé à bloquer les cinq sites web tchétchènes que nous vous avons demandé de mettre hors ligne et qui sont hébergés aux États-Unis depuis les cinq dernières années ». C'est très difficile de ce côté.

Parallèlement, nous sommes très avancés pour ce qui est de la lutte contre la pornographie infantile en ligne. Nous avons créé des organisations non gouvernementales qui exigent un consentement avant que les personnes puissent consulter certains sites. En d'autres mots, nous avons créé des dos d'âne en cours de route pour au moins dissuader les consommateurs occasionnels de consulter ces sites web précis.

Selon moi, ce type d'approche très progressive et très prudente est probablement préférable actuellement parce qu'on règle ainsi 75 p. 100 du problème. Nous repoussons ainsi 75 p. 100 des gens qui consulteraient à l'occasion ces sites s'il n'y a aucune structure dissuasive. Cela ne permet pas vraiment de gérer les 25 p. 100 qui consulteront ces sites quand même, mais c'est un autre défi sur lequel il faudra se pencher.

Il est évident que nous devons établir des règles pour appliquer la loi dans le cyberespace. Le cyberespace étant devenu le reflet de la société en général, il semble presque anormal que les règles du monde physique ne s'appliquent pas aux comportements en ligne. Si mon enfant allait à l'école avec un chandail montrant une décapitation, immédiatement, les parents, les enseignants et d'autres intervenants s'en mêleraient. S'il affiche une photo d'une décapitation sur sa page Facebook, qui le remarque? Qui est touché, qui intervient? Il y a là une lacune. Je ne prétends pas connaître la réponse, mais je crois qu'il est important d'y voir et j'estime qu'il faut le faire avec beaucoup de soin et de précaution.

La sénatrice Beyak : Merci. Votre question est très réfléchie.

Le sénateur White : J'allais vous poser quelques questions au sujet du blocage, mais je vais plutôt vous poser quelques questions sur la déclaration de rapports et l'établissement de normes ainsi que la pornographie infantile parce que c'est ce que nous avons constaté au Canada. Certains croient que nous avons une responsabilité à l'égard de la déclaration, et certains affirment que, en fait, nous imposerons réellement une exigence aux fournisseurs en matière de déclaration.

Vous avez parlé de définir des normes. Selon vous, qui devrait établir les normes de ce qui est acceptable? C'est facile dans une école lorsqu'il est question d'une photographie d'une décapitation. Mais qui établirait nos normes sur Internet? Recommanderiez-vous d'imposer une exigence de déclaration aux fournisseurs? Évidemment, bloquer des sites est quasiment ou totalement impossible selon vous?

M. Rohozinski : Encore une fois, je reviendrais à la façon dont nous avons géré la question de la pornographie infantile. Une exigence de déclaration fonctionnerait-elle? La difficulté, en ce qui concerne la déclaration, c'est qu'il est plus difficile d'identifier du contenu radical que de la pornographie infantile. On sait tout de suite assez bien ce en quoi consiste la pornographie infantile. Le contenu radical se prête davantage à l'interprétation. Par conséquent, il faut adopter une approche un peu plus pointue.

Certainement, l'examen serait important — en d'autres mots, on ne peut pas tout simplement laisser ces choses exister dans la nature. Nous errons parfois avant de pouvoir dire avec conviction quelles seraient les catégories de déclaration. Cela exigerait une discussion plus générale pour déterminer si certaines des choses que nous pouvons considérer comme du contenu radical relèvent peut-être davantage d'une protestation politique acceptable et de la capacité d'agir avant de prendre ce genre de décisions catégoriques.

Je dirais pour le compte rendu quelque chose que j'ai déclaré à un certain nombre de comités devant lesquels j'ai comparu : je suis vraiment surpris, vu le rôle important que joue maintenant le cyberespace dans cette disjonction entre les mondes en ligne et hors-ligne, qu'on n'ait pas encore créé une commission royale pour se pencher vraiment sur la situation; non pas seulement ses répercussions sur la radicalisation ou la sécurité nationale, mais son incidence sur les Canadiens et leur rapport en tant que citoyens à l'État et aux autres institutions. Selon moi, c'est un point de départ quasiment nécessaire avant qu'on puisse aborder les questions plus sérieuses comme la question de savoir si on peut établir des normes sur la déclaration de contenu radical en ligne.

Le sénateur White : Merci.

Vous avez parlé de la photo d'une décapitation sur un t-shirt et on pourrait vraiment se demander si, dans le Canada actuel, cela serait considéré comme un crime haineux. Devons-nous vraiment nous demander si la loi sur les crimes haineux est adaptée à la réalité de 2014 et ce que bon nombre d'entre nous considèrent au minimum comme une démonstration de haine à l'égard d'un groupe précis, souvent perpétrée par une personne ou un autre groupe?

M. Rohozinski : Absolument, et je reviendrai ici à l'analogie de la santé publique. Au fil du temps, nous avons constaté que ne pas se laver les mains peut accroître l'incidence de certaines maladies. Des études intéressantes ont été réalisées au sujet des répercussions de la pornographie sur les jeunes enfants, de l'impact d'une exposition prolongée sur leur développement émotionnel. Je suis sûr qu'il y a aussi des leçons à tirer du contenu radical, de la démonstration de haine et de la façon dont cela changera peut-être les normes. Cependant, encore une fois, c'est, à certains égards, une question lourde de sens, et il faut procéder à une mise au point avant de pouvoir commencer à trouver des solutions.

Le sénateur White : Vous avez dit que bloquer des sites n'est pas efficace. La plupart du temps, lorsque nous parlons de bloquer des sites, nous parlons de la Chine, de la Russie et d'autres pays, mais, plus récemment, nous avons vu l'Islande et, je crois, le Royaume-Uni, envisager de bloquer certains sites de pornographie. Ont-ils échoué eux aussi?

M. Rohozinski : Le Royaume-Uni a adopté une approche intéressante. Vous devez confirmer que vous avez au moins 18 ans pour accéder à ces sites. En d'autres mots, cela crée un obstacle, et la personne doit faire un choix — mentir ou ne pas mentir — avant de pouvoir accéder au site.

Le sénateur White : Cela équivaut à bloquer?

M. Rohozinski : Oui, mais c'est un blocage qui ne se fait pas au niveau technique — il ne s'agit pas d'une machine qui fait un choix pour vous —, c'est vous, en tant que personne, qui devez faire un choix. C'est de cela dont je parlais lorsque j'ai dit que nous devions établir des règles. Il ne s'agit pas seulement de celles qui sont prévues dans les lois; il s'agit également des règles et des normes, si vous voulez, ainsi que des coutumes et de la façon dont nous élevons efficacement les gens pour qu'ils deviennent des citoyens du cyberespace, notion qui n'existe pas actuellement.

Le sénateur White : Merci. Encore une fois, veuillez excuser mon retard.

Le président : Vous avez mentionné deux subventions qui ont été offertes à votre entreprise aux fins de cette recherche. Dois-je en déduire que la première demande de subvention pour les travaux qui étaient requis a pris fin?

M. Rohozinski : C'est exact, oui.

Le président : Si elle a pris fin, s'agit-il d'un document public? Le cas échéant, pouvez-vous nous la fournir?

M. Rohozinski : Je peux faire mieux que cela. Nous avons tenu un atelier public qui réunissait les travaux qui avaient été effectués, et nous sommes en train de lancer un site web qui résume non seulement nos recherches, mais aussi les recherches effectuées et la méthodologie employée par plus de 60 autres groupes. Il sera littéralement possible de chercher et de trouver ce que d'autres ont essayé, comment c'est applicable et où c'est applicable. C'était le but.

En réalité, notre programme visait à tenter de brosser un tableau complet des politiques et de la technologie. Nous nous sommes rendu compte du fait qu'il s'agissait d'un problème complexe et que, au lieu de formuler des recommandations, la voie à suivre consistait en fait à créer un accès bien plus systémique aux recherches qui ont été effectuées et qui peuvent éclairer d'autres personnes.

Je serais très heureux d'informer le comité au moment où le lancement du site aura lieu — nous espérons qu'il ne tardera pas trop —; j'imagine que ce sera vers la mi-décembre.

Le président : Je suppose que je devrai confirmer que j'ai 18 ans.

M. Rohozinski : Vous ne serez pas filtré, sénateur.

Le sénateur Mitchell : C'est peut-être tangentiel par rapport à votre expertise, mais, étant donné la complexité associée à la mesure de l'incidence d'Internet, la façon dont vous pourriez contrer ce message, comme le président vient tout juste de me le chuchoter... nous savons que la personne lit le mauvais message; pourquoi se donnerait-elle la peine de lire le bon message? Comment arrive-t-on à lui faire lire le bon message? Je poserai cette question. Comment fonctionnent les messages contraires? Vous y avez fait allusion plus tôt. Comment est-ce que cela fonctionne?

Nous savons qu'une certaine personne reçoit et lit un message très très nocif. Comment pouvons-nous lui transmettre l'autre message?

M. Rohozinski : C'est toute une science en soi. Je ne ferai pas semblant d'être un expert dans tous ces domaines. Il est certain que, d'après ce que j'ai pu constater de la façon dont s'y prennent nos collègues du Royaume-Uni, il y a plusieurs approches, dont une consistait à utiliser d'anciens radicaux comme moyen d'aborder ceux qui viennent tout juste d'emprunter cette voie, en agissant davantage comme un sherpa et un mentor qui lui dit : « Voici l'avenir qui t'attend ».

Dans certains cas, il s'agit simplement de tenir littéralement un discours contraire et d'énoncer les faits qui contredisent ceux qui sont présentés par les points de vue radicaux.

Quand vous êtes seul devant votre ordinateur et que vous pouvez choisir quoi regarder, vous pouvez pratiquement apprendre uniquement ce que vous voulez. Parfois, il suffit d'être capable de créer les faits qui réfutent la réalité qui vous a été présentée. Ce n'est qu'effleurer la surface. Je dirais qu'il y a des gens beaucoup plus qualifiés que moi dans le domaine, surtout en ce qui a trait au travail de lutte contre les discours radicaux, qui pourraient vous en parler.

Le sénateur Mitchell : Le programme met également l'accent sur l'autre côté, c'est-à-dire la nécessité, pour les gens qui sont en contact avec la personne qui pourrait se radicaliser — les enseignants, les parents, les travailleurs communautaires, les policiers — d'avoir une méthode de repérage, ou ils doivent également disposer d'une façon qui leur permet de cerner les gens qui se radicalisent, parce qu'on ne peut pas s'imaginer qui pourrait l'être, mais on pourrait être en mesure de repérer ceux qui sont en train de le devenir.

M. Rohozinski : C'est très dangereux, et c'est un couteau à double tranchant parce qu'il s'agit d'aller au-delà de la simple détermination du fait que quelque chose exige une intervention pour commencer à repérer et à cibler des personnes en particulier. C'est une pente glissante sur laquelle nous nous engageons, étant donné ce que j'ai dit plus tôt, et il s'agit de cette capacité de créer un profil très précis ou le modèle de vie d'une personne.

Je dirais qu'un point de départ adéquat, pour le moment, serait probablement de s'assurer que nous avons l'équivalent d'Omer la molaire, qui peut au moins travailler avec nos gardiens critiques pour savoir quels genres de messages sont diffusés dans l'espace radical, pour pouvoir y répondre de façon proactive grâce aux faits, à la mobilisation et au débat.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous avez répondu à ma question, essentiellement. Elle ne portait que sur le blocage. Vous avez donné une réponse très complète à cette question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je voudrais revenir à la protection des renseignements personnels. Si j'ai bien compris, vous collaborez avec le commissaire à la protection de la vie privée pour évaluer votre travail et les incidences qu'il pourrait avoir. Sans entrer dans les détails, est-ce que le commissaire vous a fait des suggestions en ce qui concerne la protection de la vie privée?

[Traduction]

M. Rohozinski : Notre travail avec le commissaire à la protection de la vie privée était intéressant parce que, d'une part, nous avons certainement demandé ses conseils afin de comprendre si ce que nous proposions était ou non conforme aux lois sur la protection des renseignements personnels. Mais, en même temps, et surtout à l'occasion de l'atelier que nous avons tenu à la fin de notre programme, on s'est rendu compte qu'il existait certains concepts dans le monde du marketing et dans celui du renseignement qui n'existent tout simplement pas dans le monde des lois sur la protection des renseignements personnels.

Un exemple, c'est les choses comme la résolution d'entités, qui me permet littéralement de prendre cinq ou six éléments d'information qui ne portent pas atteinte à la vie privée des personnes, mais qui, mis ensemble, créent un profil exact d'une personne. C'est un concept dont nous ne nous sommes pas encore occupés, du point de vue de son fonctionnement réel dans le monde de la protection des renseignements personnels, où nous tentons de repérer des objets précis de confidentialité de l'information.

C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Il est certain que nous étions très heureux que le commissaire à la protection de la vie privée ait envoyé à notre atelier non seulement une personne de sa boutique technologique, si on veut, mais aussi une personne de sa boutique juridique; nous avions donc une participation très complète de sa part. Encore une fois, j'aimerais féliciter les responsables du programme Kanishka de nous avoir donné la capacité de réunir le Commissariat à la protection de la vie privée, les services de sécurité et des universitaires en un même lieu pour parler de questions qui sont extrêmement difficiles.

Le président : J'aimerais revenir sur une question posée par la sénatrice Beyak concernant la possibilité de bloquer divers sites. Votre réponse a été que cela devient très compliqué; un si grand nombre d'intervenants sont concernés. À long terme, pensez-vous qu'il serait avantageux, avec votre connaissance de la technologie, que la communauté internationale travaille en vue de conclure un accord international pour bloquer certains sites qui seraient décrits afin de pouvoir prévenir la distribution d'une partie de cette propagande et de la pornographie? Serait-ce faisable, si nous pouvions conclure un vaste accord international?

M. Rohozinski : Laissez-moi donner une réponse en deux volets et, encore une fois, puiser dans mon expérience en dehors de l'objet de mon témoignage. Depuis sept ans, je participe avec les Chinois et les Russes à un processus du volet 1.5 avec les Chinois et les Russes sur la question de la cybersécurité.

L'une des choses qui étaient très intéressantes, mais qui ont parfois compliqué les discussions sur la cybersécurité, c'est que, lorsque nous — je veux dire le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni — disons « cybersécurité », nous voulons dire la sécurité des réseaux techniques. Lorsque les Russes disent « cybersécurité », ils veulent en fait dire informatsionnaya bezopasnost : la sécurité de l'information. Ainsi, le contenu fait beaucoup plus partie de ce qu'ils considèrent être la cybersécurité que la sécurité réseautique.

Le problème, c'est que le fait de conclure un accord sur cette question signifie que nous pourrions bien avoir à faire des compromis et à accepter de bloquer des sites qui sont perçus comme des menaces politiques pour des régimes qui sont moins démocratiques et qui, en fait, favorisent la censure politique.

Un grand danger est lié au fait de prendre des mesures à l'échelle mondiale, du fait que nous pourrions devenir complices de la réduction de droits politiques légitimes à l'étranger, tout en faisant très peu pour régler le problème des menaces pour la sécurité que posent ces sites au pays.

Le président : Mesdames et messieurs, il est deux heures. J'aimerais remercier nos témoins de leur présence. Vous avez apporté une mine d'information. Je ne sais pas si tout le monde a pleinement compris toute l'information, mais c'est un début pour nous tous, j'en suis sûr. Je voudrais vous remercier d'avoir pris le temps de vous présenter devant nous.

Pour discuter du problème des menaces pour le Canada, nous accueillons maintenant Tarek Fatah, fondateur du Congrès musulman canadien, qui a été formé dans la vague du 11 septembre en tant qu'intervenant visant à permettre aux membres de la communauté musulmane canadienne de se faire entendre, surtout en ce qui concerne les questions liées aux droits de la personne et aux valeurs laïques. Le Congrès musulman canadien joue un rôle important pour ce qui est de dénoncer le mélange de la politique et de la religion et de s'exprimer sur les questions de sexe et d'égalité. M. Fatah rédige une chronique hebdomadaire pour le Toronto Sun et anime une émission à AM NEWSTALK 1010, à Toronto, le dimanche après-midi. Son émission a l'une des plus importantes cotes d'écoute de la région du Grand Toronto. En 2008, M. Fatah a publié son premier livre intitulé Chasing a Mirage : The Tragic Illusion of an Islamic State, qui a été finaliste du prestigieux Prix Donner. Il a ensuite publié, en 2010, son livre intitulé The Jew is Not My Enemy qui a remporté le Helen and Stan Vine Canadian Jewish Book Award dans la catégorie de la politique et de l'histoire.

Monsieur Fatah, bienvenue à la séance du comité. Nous sommes heureux de votre présence. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire. Nous vous invitons à commencer.

Tarek Fatah, membre fondateur, Congrès musulman canadien : Bon après-midi, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m'avoir invité pour aborder une question qui préoccupe non seulement le Canada et le reste du monde, mais par-dessus tout, la communauté de ma confession, qui semble être perdue dans le désert du Sinaï, sans Moïse pour l'aider à s'en sortir.

Peu importe que nous employions des termes politiquement corrects ou post-modernes, la réalité, c'est que la civilisation occidentale fait aujourd'hui face à une menace transcontinentale à son existence même.

Ce n'est pas comme si nous n'avions jamais été confrontés à ce problème auparavant. Durant la Seconde Guerre mondiale, nos alliés et nous avons vaincu les plus grandes armées que le monde avait jamais vues et sauvé le monde d'Hitler et des nazis, ce qui a coûté la vie de plus de 30 millions de personnes. Par la suite, nous avons gagné la guerre froide, mais, aujourd'hui, 14 ans après que l'Islam a lancé sa guerre contre l'Occident, nous ne pouvons pas freiner, et encore moins vaincre, les forces du djihad international.

En tant que musulman, je ne prends aucun plaisir à laver mon linge sale en public ni dans cette auguste Chambre, mais je crois que, si nous — les musulmans — ne prenons pas la parole pour dire la vérité, nous allons suffoquer dans la puanteur que nous dégageons nous-mêmes tout en essayant de blâmer les autres pour avoir créé le bourbier dans lequel nous sommes enlisés.

Je crois savoir que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a pour mandat d'étudier les menaces pour la sécurité auxquelles fait face le Canada et de rendre des comptes à ce sujet et qu'il se concentre actuellement sur la question de la prévention de la radicalisation. Permettez-moi de répondre à certains aspects précis qui pourraient être utiles à votre comité et de formuler certaines recommandations à la fin.

Il y a d'abord le problème dans ma communauté ou dans la communauté musulmane. Le problème de la radicalisation au sein de la communauté musulmane dépend de quelle communauté musulmane il s'agit. S'il s'agit des Kurdes musulmans, des Baloutches musulmans ou des musulmans du Darfour, le problème n'existe pas. On peut dire la même chose de la plupart des musulmans iraniens. Cependant, au sein des Blancs et des Noirs convertis à l'islam — les communautés musulmanes somaliennes, bangladaises et attares et, plus particulièrement, la communauté musulmane canado-pakistanaise —, le problème de la radicalisation est très répandu et profondément implanté, gravé et coulé dans le béton relativement à une guerre de l'Islam contre les infidèles qui mènera à un Armageddon de la fin des temps.

Ensuite, il y a l'infrastructure de soutien du terrorisme et de la radicalisation. La structure de soutien actuelle du terrorisme fondé sur l'islam ou de la radicalisation — tout l'islamisme —, qui est un point de départ pour la partie finale de l'enrôlement d'une personne en tant que djihadiste, a plusieurs volets. À la base de cette structure, il y a les organisations islamistes et les groupes basés dans les mosquées qui sèment les germes de la radicalisation, pas nécessairement par le recrutement de terroristes, mais par la politisation des sermons qui inculquent un sentiment de victimisation des musulmans, tout en cultivant la haine à l'égard des non-musulmans et d'autres groupes, comme les gais et les femmes qui demandent l'égalité et qui refusent de porter le voile ou de porter la burqa.

Pour vous donner un exemple précis, dont la plupart d'entre vous ne devraient pas être au courant, presque toutes les mosquées du Canada et de partout dans le monde commencent leur messe du vendredi par une prière qui demande à Allah d'accorder la victoire aux musulmans contre les Kuffar, ou les infidèles... c'est-à-dire, des gens comme vous. La glorification et la radicalisation sont endémiques et omniprésentes dans les sermons et les enseignements adressés aux très jeunes adultes, comme peuvent le confirmer les incidents survenus au Royaume-Uni et même ici, au Canada.

Tous les héros de l'islam des 1 400 dernières années étaient des djihadistes — il n'y a aucune femme — qu'on célèbre pour leurs exploits dans le cadre de leur victoire contre des chrétiens, des juifs, des hindous ou des païens.

J'ai été choqué d'apprendre, samedi, qu'un partenaire de la déradicalisation de la GRC, un Blanc converti à l'islam nommé Muhammad Robert Heft, a eu une longue rencontre avec les dirigeants talibans de l'Émirat du Qatar, qui appuie l'EIIS. M. Heft est en train de négocier un pacte avec les talibans, et je ne suis pas certain si votre comité, la GRC ou le SCRS sont au courant, mais il est revenu hier et a participé, à Mississauga, à un événement dont le conférencier principal était un ministre fédéral, où il a exposé ses vues. À son avis, la politique étrangère du Canada est la cause profonde de tout le terrorisme djihadiste. La suggestion absurde qu'il a faite était de s'allier avec les terroristes talibans pour combattre l'EIIS.

On a posé la question pour savoir si la GRC ou le SCRS avait déjà communiqué avec ce groupe. En 25 ans de lutte contre l'islamisme et de confrontations du djihadisme à l'intérieur de ma communauté musulmane, en tant qu'auteur de deux livres, d'animateur de radio et de chroniqueur hebdomadaire, laissez-moi l'affirmer clairement : aucun comité du service de police de Toronto, de la GRC, du SCRS ni de tout autre organisme de sécurité ne s'est jamais adressé à moi, pas une seule fois. Ils refusent tout simplement de rencontrer un musulman qui a l'air de s'être intégré. Je ne peux en tirer qu'une conclusion, mesdames et messieurs : aux yeux de la GRC, un musulman n'est musulman que s'il porte une tenue médiévale, revêt son épouse d'une burqa et parle avec un accent guttural.

Les musulmans reconnus par les agents de la GRC comme étant des musulmans modérés, qui, nous dit-on, combattent la radicalisation, sont en fait des islamistes qui sont favorables à la sharia et qui n'ont jamais, au grand jamais, renoncé à la doctrine du djihad armé. Ces hommes et ces femmes bernent la GRC. Par exemple, une célébrité promue par le SCRS et par le GRC — par les gouvernements libéral et conservateur — est un avocat d'Hamilton, un homme très bien appelé Hussein Hamdani, qui siège à la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Sa présence à la TRTS est utilisée pour implanter l'idéologie islamiste plutôt que pour déjouer les islamistes.

Puis il y a le tristement célèbre manuel canadien sur la lutte contre la radicalisation intitulé Unis contre le terrorisme, qui a été produit par deux groupes musulmans, supposément en collaboration avec la GRC jusqu'à ce qu'elle se rétracte, plus tard. Les agents de la GRC se sont distancés de ce manuel canadien, mais il est instructif lorsqu'on regarde qui sont les groupes islamistes recommandés dans ce livret comme étant les conseillers religieux les plus fiables en Amérique du Nord en ce qui concerne la lutte contre la radicalisation. Il s'agit entre autres d'Ingrid Mattson, ancien président de l'ISNA, organisation qui était complice dans l'affaire du procès pour terrorisme du Texas, en 2008, mais qui n'a pas fait l'objet d'accusations. Mme Mattson, Blanche convertie à l'islam, a déjà fièrement représenté le gouvernement Mujahideen de l'Afghanistan à l'ONU. Il y a Jamal Badawi, qui a siégé au conseil d'une autre organisation figurant sur la liste des complices non accusés dans le projet pour terrorisme du Texas; Siraj Wahhaj, étiqueté comme étant un complice non accusé de l'attentat à la bombe du World Trade Center en 1993; et Zaid Shakir, qui a été dénoncé pour son idéologie radicale par un capitaine de corvette à la retraite de la marine américaine, le Dr Zuhdi Jasser, fondateur de l'American Islamic Forum for Democracy.

On pose la question pour savoir si les programmes de lutte contre la radicalisation fonctionnent. Laissez-moi vous assurer que la déradicalisation, ça n'existe pas. C'est l'une des entreprises les plus lucratives à avoir jamais été lancée après les événements du 11 septembre. L'expérience de l'Arabie saoudite montre que chacun des radicaux libérés de Guantanamo sous la garantie du gouvernement saoudien est retourné dans ce pays et combat maintenant aux côtés de l'EIIS.

Laissez-moi vous donner un exemple de ce qu'est l'islamisme. C'est comme une entreprise agricole. Labourer le sol, c'est différent de planter et de semer les graines. Irriguer le sol, ce n'est pas la même chose qu'épandre des pesticides pour tenir les parasites à l'écart. La récolte des cultures, c'est un acte différent de la vente des végétaux cultivés. Mesdames et messieurs les sénateurs, certains islamistes plantent la graine, alors que d'autres récoltent les djihadistes, en tant que recruteurs. Le fait de laisser entendre que les semeurs devraient pouvoir éradiquer la culture avant la récolte est un rêve irréaliste. La GRC et d'autres grands politiciens rongés par la culpabilité pourraient prendre une bouffée de cette marijuana, mais, en tant que musulman, il m'est interdit de consommer ce genre de substances intoxicantes.

J'ai des recommandations précises à faire au comité, et je vais vous en dresser la liste.

Déposez des accusations pour discours haineux contre tout membre du clergé musulman qui se cache derrière des droits religieux pour attaquer et démoniser des membres d'une autre confession ou religion, comme on le fait tous les vendredis, dans toutes les mosquées du pays.

Toutes les mosquées doivent faire l'objet d'une surveillance relativement aux discours haineux où le terme Kuffar est prononcé pour cacher la vraie cible, c'est-à-dire les hindous, les chrétiens et les juifs.

Toute mosquée s'adonnant à la politique active doit avoir son statut d'organisme de bienfaisance révoqué. Nous avons la loi; nous ne la faisons tout simplement pas appliquer.

Les dons de plus de 20 $ versés à toutes les institutions religieuses doivent être faits par chèque ou carte de crédit afin d'éliminer la possibilité de blanchiment d'argent, pratique dont j'ai été témoin.

L'immigration en provenance du Pakistan, de la Somalie, de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie doit être suspendue jusqu'à ce que le Canada puisse être assuré du fait que les documents de sécurité, les pièces d'identité et les diplômes universitaires ne peuvent pas être achetés sur le marché noir ou auprès d'organismes d'État. Je suis au courant du fait que, au Pakistan, en Somalie et en Iran, une personne qui s'appelle, par exemple, Tarek Fatah, peut, d'un jour à l'autre, devenir Abdul Khan ou Behroze Hamadan, grâce à des documents et à des diplômes qui pourraient tromper les meilleurs détectives parce qu'ils sont authentiques, pas des contrefaçons.

Recensez les groupes musulmans qui sont hostiles à l'égard des islamistes et permettez-leur de lutter contre l'islamisme au Canada, depuis la semence de la graine jusqu'à la récolte. Je veux dire par là les Kurdes canadiens, les Baloutches, les Africains du Darfour et les victimes des incessantes atrocités commises par l'Iran contre ses citoyens.

Une mesure que le Canada pourrait prendre consisterait à réexaminer la fausse désignation du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, comme groupe terroriste, que nous leur avons attribuée parce que la Turquie nous avait invités à le faire, mais, en passant, ce pays est la principale source de financement et d'appui de l'EIIS, et le PKK est le seul groupe qui combat l'EIIS. Sans lui et son homologue kurde syrien, le YPG, un immense massacre humain aurait eu lieu sur le mont Sinjar, et Kobané serait tombée aux mains de l'EIIS.

Je n'arrive pas à concevoir que nous puissions être les alliés de la Turquie et du Qatar, qui ont financé, s'ils n'ont pas créé, l'EIIS, mais que nous traitions les membres du PKK comme des terroristes, alors que ce groupe a sauvé des dizaines de milliers de vies et ne s'est pas enfui comme l'a fait l'armée irakienne approvisionnée par les Américains. Mesdames et messieurs les sénateurs, durant la Seconde Guerre mondiale, nous étions les alliés de Staline parce que nous devions détruire Hitler. Aujourd'hui, les gens qui se battent en notre nom ont été désignés terroristes, et ceux qui souhaitent nous détruire sont membres de l'ONU.

Je proposerai une recommandation finale, qui pourrait sembler très futile, mais qui est extrêmement importante du point de vue du message que nous lançons. Nous devrions interdire la burqa en public en suivant l'exemple de la République de France, mesure qui a été appuyée par la Commission européenne des droits de l'homme et par les tribunaux, pour deux raisons. Premièrement, le vol qualifié d'un demi-million de dollars de bijoux qui a eu lieu à Toronto la semaine dernière pourrait très bien avoir été une attaque terroriste commise par des hommes portant des burqas, et c'est ce qui est arrivé. Deuxièmement, en disant que nous, en tant que Canadiens, nous refusons et rejetons une valeur qui laisse entendre que les femmes sont la source de tous les péchés et que, par conséquent, elles devraient être confinées dans la maison, nous enverrons un message clair selon lequel, si vous souhaitez porter une burqa, vous êtes libre de le faire chez vous, mais, dans nos rues, nous ne voudrions pas que nos enfants soient effrayés par des gens portant des vêtements qui les effraient littéralement. Merci beaucoup.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de votre franchise dans votre exposé à ce sujet. J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre l'infrastructure de soutien qui, selon vous, existe à l'intérieur du pays. Je me demande si vous pourriez m'expliquer brièvement de quels groupes est constituée l'infrastructure de soutien.

M. Fatah : La façon dont vous l'envisagez, madame la sénatrice, ce n'est pas de cette façon que cela fonctionne dans le monde de l'islamisme. Nous n'avons pas besoin de structure. Bon nombre des choses que j'ai soulignées sont générées dans l'esprit de nourrissons, de garçons de cinq ans qui sont habillés comme des envahisseurs médiévaux de l'Europe. Le nom que je porte, Tarek, m'a été donné à cause d'un général qui a envahi l'Espagne en 711. L'islamisme n'a pas besoin de l'infrastructure que vous recherchez.

L'idéologie islamiste a échappé à l'attention de tout le monde, du président Bush au premier ministre Cameron en passant par le président Obama. Dans l'ensemble du monde occidental, dans les pays de l'OCDE, un seul politicien populaire a eu le courage de dire expressément que l'islamisme est une grande menace, c'est notre premier ministre Stephen Harper. Personne d'autre n'a eu le cran, la capacité de dire que nous combattons un ennemi qui est structuré en fonction du culte de la mort d'une idéologie fasciste, un culte qui considère la Terre comme un salon de transit vers la destination finale, où la vie commencera après la mort, au paradis. Pour la plupart des gens de l'Occident, cela ressemble à une farce; pour tous les musulmans, cela fait partie de la vie.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Je voudrais seulement que vous répétiez une partie de votre message, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de tous les musulmans. Je pense que c'est très important à comprendre, dans le monde d'aujourd'hui.

M. Fatah : Laissez-moi clarifier cette question. Je l'ai répété pendant 14 ans. Il n'y a pas que moi — vous et tous les politiciens occidentaux —, nous avons été pris de court. Nous avons vu les résultats. Nous sommes pris avec des Canadiens morts, et nous avons les 18 de Toronto, l'informaticien terroriste et les auteurs des attentats contre VIA Rail, et nous revenons tous à la notion défensive suivante : bien sûr que les Allemands n'étaient pas tous des nazis. Mais, durant la Seconde Guerre mondiale, sommes-nous restés assis dans la salle de conférence à nous dire : « Oh, qu'arrivera-t-il si cela dérange un Allemand? »

Je suis d'avis qu'une période de 14 ans est assez longue, mais, pendant cette période, pas un seul imam dans une mosquée n'a dit : « Je renonce à la doctrine du djihad. » Que faudrait-il pour que quelqu'un dise, à notre époque, que la doctrine du djihad armée est inapplicable, qu'elle est inadmissible et que nous vivons en tant qu'États nations? Nos collectivités ne sont pas fondées sur la race ou la religion. Notre citoyenneté est fondée sur des lois créées par les humains qui peuvent être changées par les générations subséquentes, pas sur des textes divins envoyés par des messagers qui sont immuables pour toujours.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui, monsieur, ainsi que de vos commentaires. La semaine dernière, nous avons entendu des témoins de la GRC qui ont parlé de leur programme de sensibilisation communautaire, en particulier auprès des jeunes, et de leur tentative d'utiliser certaines méthodes de prévention du crime qui se sont révélées fructueuses au Canada, surtout au sein des gangs, pour aider les jeunes à trouver une autre porte de sortie. Or, vous semblez dire que vous n'avez eu aucune interaction avec les agents de la GRC pour déterminer si leur programme pourrait être utile. Je pense que vous avez sûrement entendu parler du programme, par contre.

Pouvez-vous nous donner votre opinion et nous dire, si cela ne fonctionne pas ou si cela ne fonctionnera pas, ce qui fonctionnera auprès des jeunes pour tenter de les empêcher de prendre part à certaines activités motivées par la haine et par la colère dont vous parlez?

M. Fatah : Sénateur, ils rient de la GRC dans votre dos, ces jeunes hommes. Il s'agit d'événements extrêmement organisés. Ce sont des événements lucratifs. Le programme de déradicalisation est une entreprise conjointe menée par des entreprises, des consultants et des universitaires qui sont directement intéressés.

On n'a pas pu déradicaliser une personne au cours des 14 dernières années. Chaque personne qui fait sa propre promotion en tant qu'ancien radical le fait pour l'appât du gain. Montrez-moi une personne qui dit qu'elle a été déradicalisée, un ancien radical de Guantanamo qui dit que le djihad est inapplicable. Pour 1 000 islamistes, il y aura un djihadiste. Ce que nous disons, c'est : « Comment pouvons-nous combattre l'islamisme? » C'est comme un vaccin, la même façon que nous avons de lutter contre la varicelle : en introduisant le même virus afin qu'il puisse détruire l'autre virus? Non. C'est le cancer. On introduit des tumeurs là où il y en a déjà. C'est en train de devenir une entreprise à but lucratif.

Pour moi, et pour de nombreux collègues libéraux laïques, nous savons qu'il s'agit d'une guerre qui nous a été déclarée. Malheureusement, pour de nombreux autres fonctionnaires et gens, c'est une entreprise lucrative. On forme un comité; on présente une proposition; on obtient un financement. Des millions ont été dépensés, mais nous ne pouvons pas vaincre des hommes des cavernes? Des milliers de milliards. Imaginez le montant, les centaines de milliards que les Américains ont dépensés en Irak, et l'armée s'est enfuie; pourtant, pas un seul général américain n'a été tenu responsable? C'est parce qu'il s'agissait d'une véritable supercherie. Personne n'ose dire que des milliers de milliards ont été volés dans cette entreprise.

Les Britanniques et les Canadiens ont un très bon bilan pour ce qui est des forces armées qui combattent avec dignité. Les gardiens et les mercenaires privés... même M. Snowden n'est pas un employé de la CIA. Depuis quand combattons-nous notre ennemi en passant des contrats avec des forces privées? Même les gens qui ont examiné M. Snowden appartenaient à une entreprise privée. On ne peut pas gagner une guerre contre des gens qui sont prêts à mourir sans qu'on leur verse la moindre somme d'argent et les mettre en face de gens affectés à des périodes de service, terme qu'on n'a jamais entendu durant la Première et la Seconde Guerres mondiales. Il ne faut pas recruter une armée en disant : « Obtenez un diplôme en ingénierie ou votre citoyenneté américaine après une période de service en Iran. » Ces gens ne font pas la guerre. Ils veulent revenir et diriger une entreprise.

C'est donc ce qui nous arrive, et c'est une occasion rare pour moi parce que personne ne souhaite parler aux musulmans ordinaires. Quatre-vingt-dix pour cent d'entre nous ne fréquentent pas une mosquée, sénateur. Quatre-vingt-dix pour cent d'entre nous n'ont aucun lien avec une mosquée. Nous sommes des architectes, nous sommes des chauffeurs de taxi, nous pouvons même être des danseuses de poteau, mais aucun d'entre nous ne porte ce costume médiéval que nous ont imposé, de façon raciste, la GRC et le SCRS comme identité. Pensez-vous qu'après 25 ans, je doive m'habiller comme un Saoudien pour que vous croyiez que je suis un musulman authentique? C'est écrit en caractères gras sur mon visage. Je ne suis pas un bouffon. Je suis un Canadien musulman. Je suis venu ici pour échapper à ces tyrans, et la GRC et le CSRS les alimentent.

J'ai assisté aux réunions de la TRTS, et j'ai rencontré un membre — un cadre supérieur et adjoint du ministre — qui est un musulman qui nous informe, aux prières du vendredi, de quelles histoires raconter aux agents de la GRC; c'est une fumisterie et, si je faisais partie du gouvernement, j'accuserais cet homme de traîtrise envers le pays, l'endroit qui nous a donné, à nos parents et à nous, un lieu où nous pouvons être libres. Je ne peux pas parler au Canada, et on amène les gens qui ont voulu me tuer et on en fait des conseillers de la GRC? Nous aurions perdu la Seconde Guerre mondiale si nous avions eu les leaders que nous avons aujourd'hui au Canada et en Grande-Bretagne au sein de notre élite intellectuelle.

Le sénateur White : Si je puis... manifestement, vous ne pensez pas que le programme fonctionne. C'est assez clair. Je vous pose la question : qu'est-ce qui fonctionnera? Au pays, nous avons des gens qui se retrouvent en position — s'ils ne l'étaient pas avant, ils le sont maintenant — d'appuyer quelque chose qui suppose de tuer des Canadiens.

M. Fatah : La première chose à faire, c'est suspendre l'immigration en provenance de l'Iran, du Pakistan et de la Somalie. Je peux vous amener sur le chemin Mississauga voir les manoirs d'un demi-million de dollars de généraux pakistanais de l'ISI — ce n'est pas l'EIIS en passant — qui vivent ici, parmi nous.

Vous voulez connaître les étudiants étrangers par ici? L'Association étudiante musulmane, désignée par les Frères musulmans comme leur couverture, organise un événement qui aura lieu le 26 novembre, à Windsor, où un surintendant de la GRC siégera avec deux islamistes. Cet agent de la GRC assisterait-il à un événement que nous tiendrions? Impossible. Il n'a rien à offrir. Je n'ai aucun repas exotique à offrir durant le ramadan à ces centaines d'agents de la GRC, du SCRS et du service de police de Toronto qui, tous les ramadans, tiennent une journée de festin. C'est le multiculturalisme qui a perdu les pédales, mesdames et messieurs les sénateurs, ils ont fait du mal à notre pays, mais personne ne regarde. Les agents de la GRC ne trouveront pas leur homme, je peux vous l'assurer, pas aujourd'hui.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, monsieur Fatah, de nous avoir présenté un excellent exposé. Je pense que vous avez répondu à toutes mes questions, car vous avez donné votre point de vue sur la radicalisation.

Dans le cas des membres de la communauté qui, comme vous, s'élèvent contre l'islamisme, faites-vous l'objet de menaces, êtes-vous tenu à l'écart ou ciblé d'une quelconque façon par des radicaux? Avez-vous l'impression d'être en danger lorsque vous dénoncez ce phénomène comme vous le faites? Comment encouragez-vous les autres, qui sont vraiment modérés, à le dénoncer, eux aussi?

M. Fatah : Vous seriez surpris. J'ai entendu l'intervenant qui m'a précédé parler de la sécurité Internet. Je suis la personne bannie de Facebook. Sérieusement. Je suis un danger pour Facebook.

Sur un réseau social qui héberge l'EIIS et des gangs des milieux de la prostitution et de la drogue, c'est mon profil à moi, chroniqueur du Toronto Sun, qui est banni. Lorsque je fais l'objet d'une menace de mort, c'est sur moi qu'enquête la police, à Toronto. Qui vient enquêter sur moi? Le chef du service de renseignement de la police de Toronto est l'un de mes coreligionnaires.

Je n'aime pas laver mon linge sale en public, madame la sénatrice, mais j'en ai jusque-là. Cela fait 14 ans, et le Canada et les États-Unis n'arrivent toujours pas à vaincre une bande de petites racailles, de monstres médiévaux.

Je voudrais que Justin Trudeau soit ici pour que je puisse lui demander : « Pensez-vous que je mérite d'attraper les djihadistes? » Fréquenterait-il une mosquée où on envoie les femmes à l'arrière de l'autobus?

Mesdames et messieurs les sénateurs, on ne peut pas combattre la radicalisation si on croit que les femmes méritent de s'asseoir à l'arrière de l'autobus. Toutes les mosquées que je connais, sauf deux, envoient leurs femmes au sous-sol, derrière les balcons ou dans la dernière rangée. La GRC et les politiciens libéraux, conservateurs et néo-démocrates s'y rendent, regardent la situation, et n'ont pas dit une seule fois : « J'aimerais voir une femme dans la première rangée. » Ils n'osent pas parce qu'on les accuserait de racisme.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous ai écouté attentivement. Vous avez parlé, entre autres, de la GRC. La GRC existe au Canada, elle sera là demain et dans l'avenir. Selon vous, quelle serait la meilleure stratégie de sensibilisation de la GRC pour parvenir à maintenir ou à créer un contact avec la communauté musulmane? À votre avis, à quoi devrait ressembler le programme de sensibilisation communautaire pour prévenir le terrorisme? On a beau dire que la GRC ne fait pas ceci ou cela. Quoi qu'il en soit, elle sera toujours là demain.

[Traduction]

M. Fatah : Sénateur, je comprends le paradigme selon lequel la GRC doit faire de la sensibilisation. Je ne peux pas comprendre pourquoi c'est son travail de le faire. C'est le travail des politiciens que de sensibiliser et de mobiliser la collectivité. Ce n'est pas à la GRC de satisfaire les caprices et les fantaisies des gens. Ses agents sont là pour résoudre des affaires liées à des activités criminelles.

Certains d'entre nous regardent vos séances en direct, et j'ai entendu le SCRS ou la GRC dire que leurs agents n'enquêtent pas sur les mosquées. Personne n'a demandé pourquoi. Si la GRC accepte de donner un préavis de 24 heures aux mosquées avant d'y entrer, est-ce une victoire pour la GRC ou pour ceux qui pensent que les prières du vendredi devraient commencer par une demande concernant la défaite des infidèles et la victoire des musulmans?

Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que nos organismes de sécurité fassent de la sensibilisation dans la collectivité. Ils ne sont ni qualifiés pour le faire ni responsables de le faire. Ils sont là pour prévenir la criminalité. Il ne s'agit pas d'une activité criminelle. C'est la guerre. C'est la terreur. Si on ne peut pas appeler cela la guerre et la terreur et qu'on appelle cela une activité criminelle, nous avons déjà perdu la guerre. Hitler n'a pas commis un crime quand il a envahi la Pologne. Il a commis un crime quand il a tué les Juifs. Quand il a envahi la Pologne, l'Autriche, le Danemark et la France, il faisait la guerre.

Nous vivons à une époque différente, où les États ne nous attaquent pas, mais où des acteurs non étatiques veulent nous tuer, et ils font du recrutement parmi nous. Il ne s'agit pas de jeunes dépravés sans éducation, mais de deux Québécois pure laine, qui viennent de chez nous et qui ont tué nos propres soldats. Personne n'a demandé qui les avait convertis à l'islam. Pas une seule personne n'a posé ces questions : quel a été le point de contact? Qui était la personne?

Aucun journaliste, aucun politicien, aucun libéral, aucun conservateur, aucun néo-démocrate, personne n'a osé poser cette question parce que ce serait raciste, n'est-ce pas? Si je devais résoudre un crime, la première question que je poserais, c'est : qui vous a recruté dans la mafia? S'il s'agissait d'un acte criminel, ne serait-ce pas la première question?

Cet homme a tué ses propres compatriotes, et nous ne voulons pas savoir qui l'a incité à le faire?

Le président : Je voudrais revenir sur la question du sénateur Dagenais. Comme vous le savez, dans le cadre de nos séances, nous faisons de notre mieux pour tenir une conversation publique dans le but de mettre le doigt sur le problème et de pouvoir évaluer ce qui soutient l'idéologie qui, manifestement, est liée à ce type d'activité. Qu'est-ce qui peut l'empêcher?

La question que vous a posée le sénateur Dagenais, c'est comment les gouvernements — le gouvernement fédéral et peut-être, le gouvernement provincial — peuvent-ils fournir de l'aide et de l'assistance au sein de ces communautés, en l'occurrence, la communauté musulmane que vous avez mentionnée, la grande majorité, pour être en mesure de contrer ce type d'idéologie extrémiste qui est perpétuée?

Vous venez tout juste de dire que la GRC est dans une situation où certains pourraient dire qu'elle travaille évidemment avec les personnes concernées au sein de la communauté et qu'elle peut désigner la communauté. Au bout du compte, elle est responsable de faire appliquer les lois.

La question doit donc être la suivante : au sein de cette communauté, si ce n'est pas la GRC ou d'autres organismes gouvernementaux, qui, dans cette organisation ou cette communauté, serait le mieux placé pour pouvoir travailler de l'intérieur de la communauté pour faire avancer les choses? On ne va pas changer cette situation du jour au lendemain.

M. Fatah : Bien entendu.

Le président : Si vous pouviez répondre à cette question d'une manière qui nous dirait, pour le compte rendu, ce qui pourrait être fait.

M. Fatah : Absolument. Le SCRS et les nouveaux pouvoirs législatifs que le gouvernement est en train d'établir seront très utiles à cet égard.

Laissez-moi vous donner l'exemple des 18 de Toronto. Ils se sont fait prendre grâce à un bon travail de renseignement.

Le président : C'est exact.

M. Fatah : N'est-ce pas? Personne n'est en train de faire de la sensibilisation ou de jouer au basket-ball dans la collectivité. Il y avait un espion, une somme de 300 000 $ a été dépensée — un bon investissement — et l'espion a apporté le code et les condamnations, mais, dites-moi, qui a laissé le condamné sortir du pays pour aller mourir en Syrie?

Je ne suis ni sénateur ni député. Je dis seulement que nous avons des preuves de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Nous savons qu'il y a des gens qui sont blessés en Syrie, qui reviennent pour subir un traitement médical, puis qui s'en retournent. Il y a de gens qui appuient la famille Haider et qui travaillent avec la GRC. Elle dit que ce sont des gentils. Il s'agit d'un meurtrier qui a lui-même confessé son crime, d'un terroriste.

Nous devons nous éclaircir les idées. Donc, le mécanisme utilisé dans l'affaire des 18 de Toronto fonctionne. Le SCRS devrait être investi de pouvoirs plus importants. Son travail, c'est de recueillir des renseignements, de travailler non pas avec un groupe communautaire, mais à l'intérieur de ce groupe.

Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, je voudrais clarifier une question.

[Français]

Monsieur Fatah, nous allons parler des chefs de file communautaires. Comment pourraient-ils travailler avec le Canada pour prévenir la radicalisation? Ne pensons pas à la GRC mais aux chefs de file communautaires. Par la suite, je demanderais si on peut établir un lien de confiance entre le gouvernement, les communautés locales et la GRC.

J'aimerais savoir comment les chefs de file communautaires pourraient prévenir la radicalisation.

[Traduction]

M. Fatah : C'est une excellente question, sénateur. Les chefs de file communautaires sont les leaders des communautés culturelles, pas des membres du clergé d'une religion qui sont payés pour nous montrer la boussole morale indiquant comment vivre notre vie comme de bons êtres humains. Si vous assistez à tout événement musulman, il aura l'air différent de ce à quoi ressemble votre mosquée. Présentez-vous à n'importe quel mariage avec moi, et je vous dis que vous ne verrez pas les hidjabs et les burqas qu'on voit dans les mosquées. La façon de joindre les chefs de file communautaires, c'est de faire appel aux communautés culturelles qui chantent et qui dansent comme le font les Canadiens. Personne ne fait appel à la Nile Foundation, qui est un groupe égyptien. Personne n'a jamais fait appel à un certain orchestre symphonique, à Montréal.

Je peux vous nommer plusieurs groupes culturels qui se rencontrent chaque année et qui ont du plaisir... les soupers, les jeux, des enfants qui jouent. Nous nous concentrons sur les musulmans comme si la seule chose qu'un musulman faisait, c'était prêcher et prier. Ce n'est pas ce que nous sommes. Nous sommes exactement comme vous. Nous n'aimons pas aller à la mosquée. Quand nous y allons, nous devons rester assis. Nous sommes vieux; bon nombre d'entre nous ne peuvent pas s'asseoir sur le sol. Nous avons maintenant 65 ans. Le monsieur est toujours ennuyant. Il tient le microphone. Il est comme le prêtre catholique du XIIe siècle qui parle en latin, langue que je ne peux pas comprendre. Quatre-vingt pour cent des musulmans du Canada ne comprennent pas l'arabe, et la totalité des sermons sont prononcés en arabe. Pour l'amour du ciel, ce n'est pas là que se trouvent nos chefs de file communautaires.

Je ne suis pas un chef de file communautaire. Je suis seulement un journaliste. La sénatrice Ataullahjan est un chef de file communautaire. Elle est sénatrice. Elle devrait être le chef de file communautaire. La GRC devrait travailler avec elle. Il y avait un autre sénateur musulman. Il y a des députés. Ce sont des chefs de file communautaires. Ils se font élire comme député, qu'ils soient néo-démocrates, libéraux ou conservateurs. Ils sont les chefs de file.

Si les imams sont rendus des chefs de file, alors laissons-les participer aux campagnes électorales et entrer au Parlement. Les parlementaires sont les chefs de file. Nous vous élisons. Nous vous respectons, que nous soyons d'accord ou non avec vous. Mais ne me dites pas que j'ai besoin d'un moine du XIIe siècle descendu du Sinaï pour me dire quoi faire avec l'atterrissage sur la comète. Cela ne fonctionne pas. Alors, arrêtez de rencontrer des gens du XIIe siècle; commencez à rencontrer les gens du XXIe siècle.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Si cela peut vous consoler, en l'espace de trois mois, je suis allé dans une soirée maghrébine, libanaise et arménienne, et je peux vous dire que je me suis bien amusé avec les gens des différentes communautés.

[Traduction]

M. Fatah : Précisément.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On a dansé et on a bien mangé.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Je me demande si, dans la communauté musulmane, lorsque des gens s'élèvent contre la radicalisation, ils reçoivent du soutien de l'intérieur de la communauté musulmane? Y a-t-il des structures de soutien auxquelles ils oseraient s'adresser pour dire ceci et cela... Je me pose des questions au sujet de la responsabilité qui est assumée par la communauté, en soi, et si elle a besoin d'aide.

M. Fatah : Il y a énormément de musulmans qui, dans leur foyer, veulent désespérément se débarrasser de l'image que nous avons. Ma fille travaille à la CBC. Aucune de mes nièces... en fait, je ne devrais pas dire cela. Ce sera enregistré. Mais les gens veulent devenir des Canadiens. Ne nous forcez pas à devenir quelque chose d'autre. Toutes les personnes qui veulent s'intégrer font face à un obstacle. Toutes celles qui veulent s'en aller sont financées. Pas un des dollars dépensés par le gouvernement canadien dans son ensemble n'est destiné à soutenir les musulmans qui s'opposent à l'EIIS, pas un.

Vous êtes peut-être au courant du débat qui a lieu en 2005, au Québec et en Ontario, au sujet de la sharia et des menaces de mort auxquelles a fait face Fatima Houda-Pepin, membre de l'Assemblée nationale du Québec. Ce que nous avons enduré dans le cadre de ce débat... Dieu soit loué : le gouvernement de l'Ontario a eu la sagesse de rejeter la sharia, et l'Assemblée nationale du Québec a adopté à l'unanimité une résolution la rejetant. Les Britanniques sont en train de payer le prix pour ne pas avoir laissé les musulmans s'exprimer. Cela n'a pas été facile pour nous.

Quelles sont les deux choses qui se produisent lorsqu'un musulman s'oppose aux mollahs? Il n'obtient pas de parcelles dans le cimetière pour se faire enterrer ou enterrer ses parents. On ne l'invite jamais aux mariages ou aux fêtes d'anniversaire, ce qui, dans une communauté marginalisée, équivaut à l'ostracisation sociale, qui détruit l'âme de l'immigrant de première génération parce qu'il est exclu par tout le monde. Les pressions sociales sont telles qu'elles ont des répercussions sur vous jusque dans votre maison. Les personnes mêmes qui prennent part à ce crime moral consistant à forcer les gens à ne pas être Canadiens sont récompensées par les politiciens, par la police et par l'élite intellectuelle.

C'est une triste histoire au sujet de laquelle ma fille écrira peut-être un jour : les dizaines d'années perdues, quand les gens venaient dans notre pays pour offrir, mais, parce qu'ils voulaient être Tommy Douglas, qu'ils voulaient être les Diefenbaker, qu'ils voulaient même appuyer le PQ, on leur a dit : « Non, il faut que tu ailles manger un samosa quelque part et que tu portes des vêtements bizarres. La GRC va venir s'occuper de toi. »

Je ne veux pas de cette sensibilisation. S'il vous plaît, abstenez-vous-en. Tenez-vous loin de nous. Lorsqu'une personne profère une menace de mort et que les policiers viennent chez moi pour enquêter sur moi parce que j'aurais fait une fausse déclaration, qu'est-ce que cela dit à mes enfants? On envoie des agents de police musulmans à mon domicile. Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est une comédie d'erreurs, qui se joue, mais très peu de gens vous le diront, car personne ne veut laver son linge sale en public.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Fatah, mon expérience de la communauté musulmane est tellement fondamentalement différente de la vôtre. Je connais un si grand nombre de gens qui sont merveilleux, remarquables, formidables et beaux. Ne dites rien avant que j'aie terminé, s'il vous plaît.

M. Fatah : Pardon?

Le sénateur Mitchell : Ne m'interrompez pas.

M. Fatah : L'ai-je fait?

Le sénateur Mitchell : Vous étiez sur le point. Je trouve que le fait de sous-entendre que tous les imams au pays incitent les gens à la violence, et c'est en quelque sorte ce que vous avez dit...

M. Fatah : Non.

Le sénateur Mitchell : ... parce que la première prière...

M. Fatah : Non. Ne me mettez pas des mots dans la bouche, sénateur, s'il vous plaît.

Le sénateur Mitchell : Ma première question est la suivante : avez-vous été dans toutes les mosquées du pays? Vous dites que le sermon du vendredi commence par une prière qui parle d'une bataille contre les non-musulmans?

M. Fatah : Sénateur, premièrement, j'accepte mal que vous soyez en train de m'enseigner ma religion. Il faudrait que vous ayez vécu 65 ans de ma vie — 10 ans en Arabie saoudite, 30 ans au Pakistan et 25 ans ici — pour oser me dire ce qu'est l'islam.

Deuxièmement, je n'ai pas dit qu'ils incitaient à la violence. Ce sont des mots que vous me mettez dans la bouche. Vous ne devriez pas faire cela. Vous êtes un sénateur. Vous devriez être l'exemple à suivre et ne pas changer mes mots.

Troisièmement, j'ai laissé entendre que toutes les prières du vendredi étaient précédées d'une prière demandant la défaite des infidèles aux mains des musulmans, et je le maintiens, monsieur. Cette prière est récitée depuis 1 400 ans.

Je n'ai pas dit que vous n'aviez pas rencontré de musulmans ou que les musulmans n'étaient pas des personnes fantastiques. Je suis un musulman et je suis fantastique, et je suis l'exemple à suivre pour les musulmans de notre pays. Les gens que vous croyez, en tant que sénateur libéral, en créant le multiculturalisme et en nous détournant des défis auxquels nous faisons face... je suis indigné que vous laissiez entendre que je suis islamophobe, et c'est exactement ce que les politiciens comme vous font pour nous réduire au silence.

Le président : Mesdames et messieurs, nous arrivons à la fin de notre période. Je veux remercier M. Fatah de s'être présenté devant nous et d'avoir pris le temps et fait l'effort nécessaires pour le faire et nous présenter son opinion.

Mesdames et messieurs, nous accueillons le dernier intervenant de la journée : M. Syed Raza, fondateur et directeur de Muslims Facing Tomorrow.

Selon votre site web, monsieur Raza, Muslims Facing Tomorrow est une organisation dont la mission est la suivante :

[...] se réapproprier l'islam pour, selon la signification du terme, en soi, obtenir la paix pour tous et pour s'opposer à l'extrémisme, au fanatisme et à la violence faite au nom de la religion [...]

Pour y arriver, nous sommes déterminés à soutenir la coexistence harmonieuse des gens de toutes les traditions confessionnelles, à appuyer le discours intellectuel ouvert et libre au sujet de notre histoire marquée par des problèmes qui doivent être abordés publiquement et pour célébrer, en tant que Canadiens, la diversité culturelle dans tous ses aspects.

M. Raza et son épouse, Mme Raheel Raza, qui n'a pas pu se joindre à nous aujourd'hui parce qu'elle avait des engagements à l'extérieur, sont des membres actifs de la communauté musulmane de Toronto. Ils sont des formateurs, des mentors et des chefs de file dans leur communauté à une époque très difficile.

Monsieur Raza, je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire. Veuillez commencer.

Syed Sohail Raza, directeur, Muslims Facing Tomorrow : Merci pour la présentation. Puis-je commencer par vous remercier de m'accorder le privilège de me présenter devant votre comité?

Je suis directeur de Muslims Facing Tomorrow, organisation musulmane locale œuvrant principalement pour la séparation de la mosquée et de l'État et pour aider nos jeunes à se mobiliser et à adopter les valeurs canadiennes tout en continuant de pratiquer leur confession. Nous avons travaillé en partenariat à la production d'un documentaire intitulé Honor Diaries, qui aborde les difficultés auxquelles font face les femmes dans les régions majoritairement musulmanes.

Nous avons mené à bien un projet pilote, au Bangladesh, où un village a été déclaré « sans radicaux » en 2013. Après un an, nous avons maintenant 12 villages qui s'autodésignent comme « sans radicaux », et il y a des panneaux qui l'indiquent à l'extérieur des villages. On tourne actuellement un documentaire qui explique comment et pourquoi nous l'avons fait.

Par ailleurs, je dois vous dire que cela a été fait sans la participation d'aucun organisme d'application de la loi. On y est arrivé en habilitant les modérés, en leur fournissant suffisamment de documentation — audio et visuelle — pour qu'ils puissent expliquer aux masses pourquoi il est nécessaire de mener une coexistence paisible.

Toutefois, ce que nous souhaitons, aujourd'hui, c'est arrêter la radicalisation au Canada. Pour ce faire, nous devons suivre les trois E : exposer, éduquer et éradiquer. Il faut exposer les éléments, les personnes et les organisations qui prennent part à la radicalisation de nos jeunes; éduquer, avec ou sans l'aide d'organismes d'application de la loi, mais en partenariat avec le gouvernement. Il faut absolument éduquer nos jeunes sans tomber dans les discours de victimisation. Il faut éradiquer. Cette éradication ne peut avoir lieu que si la communauté musulmane sort du mode « déni » et que les organismes d'application de la loi prennent l'éradication de cette menace au sérieux.

J'aimerais vous donner un exemple qui a déjà été mentionné : celui d'un religieux, Robert Heft, qui est revenu du Qatar après avoir rencontré cinq chefs talibans libérés de Guantanamo. Une organisation, le CNMC — le Conseil national des musulmans canadiens —, a poursuivi en justice le premier ministre durant son voyage en Israël et a maintenant rédigé une publication sur la radicalisation.

Cette publication ne nous apprend rien. Rien du tout. Je vous avertis, il faut aussi se méfier de cet organisme; d'ailleurs, il était auparavant appelé CARE Canada, de CARE U.S.A., un organisme qui a été déclaré groupe terroriste la semaine dernière par nul autre que les Émirats arabes unis. En se basant sur leurs propres ressources, ils ont décidé que cet organisme n'était pas le bienvenu; et ce qu'il fait va complètement à l'encontre des valeurs canadiennes et, dans ce cas-ci, américaines.

À la page 13 de ce livret, il y a une liste d'érudits islamiques, et la personne la plus en vue qui y figure, c'est Ingrid Mattson. Nous avons déjà entendu parler d'elle.

Nous devons comprendre que nous avons un problème.

On mentionne aussi la MAC, c'est-à-dire l'Association musulmane du Canada, qui est alignée sur les convictions et le programme des Frères musulmans.

La tâche s'annonce ardue, mais, avec vos recommandations et votre aide, nous réussirons à améliorer les choses. Voici certaines suggestions et certains souhaits que nous avons. Premièrement, des accusations doivent être portées si des Canadiens vont combattre pour l'État islamiste ou pour tout autre ennemi du Canada et qu'ils rentrent ensuite au pays. Ils doivent être traduits en justice.

Deuxièmement, il faut accroître notre vigilance à l'égard du financement provenant d'organisations étrangères, qu'il s'agisse de mosquées ou de groupes islamiques.

Troisièmement, il faut faire fermer tout lieu de culte religieux qui perpétue la haine.

Quatrièmement, les autorités doivent consulter des musulmans laïques ou modérés.

Cinquièmement, l'islam politique, ou l'islamisme, doit être expliqué aux Canadiens et étudié en détail par les politiciens, les organismes d'application de la loi et les établissements d'enseignement. Encore une fois, il faut éviter de sombrer dans la victimisation et de mettre l'accent sur des mesures d'accommodement qui ne sont pas raisonnables.

En conclusion, au nom de tous les musulmans modérés, j'aimerais inviter les membres du comité à Toronto, plaque tournante pour les activités des musulmans, afin que puissiez voir vous-mêmes la situation là-bas et que vous ayez une idée de ce à quoi nous sommes confrontés et des difficultés à surmonter, qu'il soit question d'organismes religieux, de groupes islamiques, de mosquées ou de musulmans séculiers qui travaillent de 9 à 5.

Encore une fois, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Raza. Je l'apprécie. Vous avez soulevé un point qui contredit directement les commentaires du témoin précédent, c'est-à-dire la réussite du programme de déradicalisation dont vous avez parlé qui a été mis en œuvre au Bangladesh.

J'ai une question à deux volets. Ai-je raison de supposer que vous croyez en la déradicalisation? Si c'est le cas, pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionne?

M. Raza : Nous pouvons éviter la radicalisation des gens, mais nous n'avons pas le pouvoir de les déradicaliser. Leur place est alors dans un hôpital psychiatrique, et les seules personnes aptes à s'occuper d'eux portent un uniforme blanc. Mais nous pouvons empêcher la radicalisation d'autres jeunes en accroissant le pouvoir des modérés afin de pouvoir ensuite distribuer de l'information dans les écoles et faire pression sur les écoles islamiques en particulier pour qu'elles dispensent une éducation laïque en plus du volet islamique.

Le sénateur Mitchell : Comment pourrions-nous vous aider à faire cela? Qu'est-ce qui vous empêcherait de siéger au conseil scolaire d'une école privée ou de vous rendre dans l'école? Je ne veux pas paraître agressif. Je suis très intéressé par ce que vous dites. Comment vous donner les moyens de faire cela? De toute évidence, vous vous exprimez bien, vous êtes intelligent et bien ancré dans votre communauté. De quelle aide avez-vous besoin pour pouvoir demander à une école privée : « Qu'est-ce que vous enseignez et pourquoi enseignez-vous cela? »

M. Raza : Je vais vous donner un exemple. Mme Raza, notre présidente, a mené un projet pour le TDSB au nom des bureaux de l'immigration du Canada, et cela n'avait rien à voir avec la religion ni avec l'islam. Le projet visait à encourager les élèves à participer à une compétition, à un débat et au tournage d'une vidéo.

Le président : Qu'est-ce que le TDSB?

M. Raza : Le conseil scolaire du district de Toronto. Mme Raza a dû se rendre dans des écoles très éloignées. Lors des visites, dès que les enseignants apprenaient qu'elle était musulmane, ils cessaient de s'intéresser à son projet et disaient : « Pouvez-vous nous aider, s'il vous plaît? Nous avons des élèves musulmans et nous éprouvons des problèmes. »

Par ailleurs, j'espère que le conseil scolaire du district de Toronto apportera des changements par suite de votre recommandation. Il a instauré des prières du vendredi à l'école, lors desquelles les filles doivent s'asseoir à l'arrière, et celles qui ont leurs règles en sont complètement dispensées, car elles ne sont pas autorisées à entrer dans la salle.

C'est une question de droits de la personne. C'est très triste, ce que nous voyons.

Mon point était le suivant : les enseignants étaient plus intéressés par des moyens de gérer les élèves musulmans que par le projet mené par Mme Raza. C'est là un problème; quand vous viendrez à Toronto, je vous montrerai certaines choses devant lesquelles les enseignants sont impuissants, car les élèves de sexe masculin veulent dominer. C'est ce qu'ils font dans leur famille. Dans ces familles, le père est parti au Moyen-Orient pour gagner plus d'argent, et c'est le garçon qui prend la relève. C'est le modèle patriarcal qui est mis de l'avant. Cela ne cadre pas avec les valeurs canadiennes.

Oui, nous pouvons faire cela, mais nous nous butons à cet obstacle. Nous avons essayé d'expliquer au conseil scolaire pourquoi cela a un effet dissuasif néfaste. Pourquoi les prières du vendredi devraient être les seules prières? Pourquoi les prières musulmanes devraient être les seules prières acceptées par le conseil scolaire?

Nous avons eu un vif débat à propos de la fin du Notre Père dans les écoles. Il y a là une contradiction créée à des fins de rectitude politique ou pour une autre raison; c'est difficile à justifier. Nous ne serons pas en mesure de donner des outils aux jeunes modérés tant qu'il n'y aura pas d'instrument législatif nous habilitant à le faire... Je ne demande pas une intervention des forces de l'ordre, mais tout le soutien que nous pourrions obtenir.

Le sénateur Mitchell : Dites-vous que, dans les écoles publiques — pas seulement dans les écoles musulmanes spéciales, privées ou à charte —, il y a des prières organisées? Pourriez-vous nous fournir un exemple, un nom d'école, pour que nous puissions lui téléphoner?

M. Raza : Pour les prières du vendredi?

Le sénateur Mitchell : Oui.

M. Raza : Je parlais de l'école à Thorncliffe Park. C'est la seule école là-bas, à Toronto.

Le sénateur Mitchell : Nous devons vérifier ce qu'il en est.

M. Raza : Certainement. Voilà les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

La sénatrice Stewart Olsen : Nous apprenons tous beaucoup de choses, je dois dire, mais je veux revenir sur votre impression qu'un meilleur appui pourrait être offert aux musulmans modérés. Laissez-vous entendre que les musulmans radicaux sont davantage soutenus? Je ne suis pas certaine de ce que vous dites, mais j'aimerais savoir de quelles façons les musulmans modérés pourraient être soutenus, selon vous.

M. Raza : Tout d'abord, il faut déterminer à quoi correspondent un musulman modéré et un extrémiste. C'est très compliqué, et c'est un autre débat en soi.

Le Canada est un pays de tradition laïque. Nous devons déterminer quels groupes, quelles factions, quelles entités, quelles organisations parlent de laïcité. On est libre de pratiquer sa religion — n'importe laquelle — et on doit ensuite déterminer quelles mesures d'adaptation sont raisonnables et lesquelles ne le sont pas, comme nous venons d'en parler. En tant que musulman, je suis parfois gêné d'aller dans une université, car il y a tellement de mesures d'accommodement inéquitables qui ont été autorisées aux pratiquants de ma religion.

Nous devons d'abord identifier ces groupes et déterminer ces mesures, mais cela devrait être fondé sur le mérite, selon qu'ils parlent de modernité, de laïcité, de la séparation de l'Église et de l'État tout en défendant fermement leur religion et en l'acceptant telle qu'elle est. C'est à ces personnes-là qu'on devrait tendre la main, pas à celles qui restent confinées dans leur mosquée. Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée d'agir dans les mosquées, mais ce n'est certainement pas aux gens de ces institutions qu'il faut s'adresser.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous avez dit que nous devrions tendre la main. Comment savoir à qui le faire? Le Canada est un grand défenseur de la liberté de religion, alors toute tentative de restreindre les pouvoirs d'une institution religieuse ou d'une autre organisation du genre sera critiquée.

Je ne suis pas certaine que le fait d'intégrer la religion à ce débat sera productif, car je ne sais pas quel rôle le gouvernement devrait jouer à cet égard. J'ai tendance à croire qu'une radicalisation est une radicalisation, point à la ligne, et que ce n'est pas le propre d'une religion ou d'une secte en particulier, car cela peut arriver n'importe où. Ce que nous essayons de faire, c'est trouver une façon de gérer cela.

Si vous avez des idées à ce sujet, j'aimerais beaucoup les entendre. Qu'avez-vous fait dans le village?

M. Raza : Dans le village, nous avons fourni aux gens suffisamment de documentation audiovisuelle. Nous avons modifié le programme de l'école — qui était auparavant uniquement religieux — pour qu'il inclue aussi du contenu laïque, et cela leur a fait sentir qu'ils étaient aux commandes. Personne ne leur a dit quoi faire.

Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec vous. Au Canada, nous avons la liberté de religion. C'est notre souhait; nous voulons être libres de pratiquer la religion de notre choix. Mais nous ne voulons pas que la foi empiète sur notre vie publique. Je ne veux pas que l'imam me dise ce que je devrais faire au travail ou ce que je devrais dire ici.

Nous voulons garder cette séparation. C'est bien. Je suis tout à fait d'accord. Mais, dans ce cas, nous devons prendre des mesures de précaution. Qui sont les gens qui nous dirigent? Je ne veux pas aller dans une mosquée dont l'imam viendrait de rentrer au pays après avoir rencontré un taliban avec qui nous étions en guerre. Je ne veux pas de cet imam-là. Je ne veux pas d'un imam qui professerait qu'il est convenable qu'une fille de 9 ans épouse un garçon de 16 ans. C'est arrivé à Toronto, dans la mosquée Jaffari. Je ne veux pas d'un imam qui me dirait que mon épouse est inférieure à moi. Elle me quitterait avant que cela se produise, mais ça, c'est une autre histoire.

Nous devons également les tenir responsables. La liberté de religion n'implique pas qu'on est libre de haïr les autres, qu'on peut se vautrer dans la haine. Elle implique qu'on doit trouver un juste équilibre entre ces deux éléments.

La sénatrice Stewart Olsen : Le point que je veux faire valoir — bien que j'apprécie beaucoup vos commentaires —, c'est que nous ne cherchons pas les terroristes ou les radicaux au sein d'une religion ou d'un groupe ethnique en particulier. Nous nous penchons sur tout le spectre de la radicalisation et sur ce qui se produit surtout chez nos jeunes, et nous cherchons des moyens de combattre ce phénomène et d'éviter qu'il se produise.

Je tiens à le dire, car je sais que vous ne pouvez pas tout régler, mais vous nous avez fourni un très bon point de départ. Merci.

M. Raza : Oui. Il faut aussi se pencher sur l'éducation des femmes et sur leur libération en tant qu'individus à part entière. Dans certains ménages, elles ne sont pas encouragées à faire des études. Une fois que la discussion est amorcée, nous pouvons parler de toutes ces choses, qui ne vont à l'encontre d'aucune confession. Le documentaire que nous avons produit, Honor Diaries, a exactement cet objectif. Nous sommes confrontés à des problèmes issus de certaines régions du monde où les musulmans sont majoritaires. Les gens de ces régions peuvent s'établir au Canada et nous causer des ennuis, et la même chose peut se produire aux États-Unis ou en Europe. Notre vidéo est de nature informative et elle a suscité des réactions très positives.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Si je peux me permettre une parenthèse : les religions ont été dominatrices, même au Québec où, il y a 50 ans, quand vous vous mariiez, vous aviez l'obligation d'avoir des enfants, car si vous n'en aviez pas, c'était péché, et l'on refusait de vous absoudre. Dieu merci, nous nous en sommes sortis! Cela m'a fait plaisir de le dire.

Je veux revenir à la sensibilisation communautaire et à la Gendarmerie royale du Canada. On a pensé que le fait d'entretenir une communication efficace et continue avec les communautés musulmanes grâce à des contacts réguliers pouvait faciliter les choses. Dans quelle mesure la stratégie de sensibilisation communautaire de la GRC pourrait-elle parvenir à maintenir un contact avec les communautés musulmanes, selon vous? Y croyez-vous et, si oui, à quoi pourraient ressembler ces programmes de sensibilisation visant à prévenir, par exemple, des actes de terrorisme?

[Traduction]

M. Raza : Tout d'abord, oui, je sais que d'autres religions sont passées par le même processus difficile que celui que traverse actuellement l'Islam, et nous avons peut-être un retard d'une centaine d'années, mais nous finirons par le combler.

En ce qui concerne la sensibilisation communautaire, ni moi ni mon organisation n'avons de contact avec un organisme d'application de la loi dans le cadre d'un programme de ce genre.

Mon épouse a participé à deux programmes immédiatement après que les terroristes de VIA Rail ont été arrêtés, mais cela n'avait rien à voir avec la sensibilisation communautaire. Elle a réagi à l'incident au nom de la communauté musulmane.

Mais personne n'a communiqué avec moi à ce jour. Si cela se produit, nous pourrons fournir du matériel et formuler des suggestions que la GRC — ou tout autre organisme d'application de la loi ou organisme tout court — sera libre d'accepter ou non; mais nous n'aurons rien à lui offrir si elle ne communique pas avec nous ou si nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde qu'elle.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai posé la question à notre témoin précédent : selon vous, quel rôle les chefs de file communautaires pourraient-ils jouer dans le cadre des efforts visant à prévenir la radicalisation? Y a-t-il un rôle à jouer et, si oui, de quelle façon le voyez-vous?

[Traduction]

M. Raza : Absolument, les chefs de file communautaires ont un rôle important à jouer, mais il est impératif que nous déterminions qui sont ces chefs en tant que communauté globale. À l'heure actuelle, ceux qui participent à ces programmes de relations communautaires sont rejetés par beaucoup de musulmans; pas seulement par mon organisme, mais par beaucoup de musulmans. Si un musulman ne fréquente pas de mosquée — et c'est le cas de la majorité d'entre eux au pays —, alors vers qui se tourne-t-il dans sa recherche d'un leader? Il ne va pas voir l'imam pour obtenir des solutions.

Voilà notre problème. Nous devons trouver des chefs de file communautaires solides qui peuvent prendre la parole. Mais, à défaut de tels chefs, nous devons composer avec ceux que nous avons actuellement; il s'agit de politiciens, de leaders communautaires séculiers, qui ont fait partie de diverses organisations commerciales ou liées à plusieurs domaines. Ce sont des chefs de file qui peuvent bâtir la communauté parce qu'ils savent où trouver des fonds. Ils savent comment aiguiller les jeunes vers des carrières et vers d'autres domaines afin que nous puissions les orienter vers un bel avenir.

On ne nous avait jamais soumis cette idée auparavant. Je suis très reconnaissant au comité de nous écouter. Pour une raison ou pour une autre, on assume que telle ou telle personne est un chef de file communautaire parce qu'il représente les gens qui fréquentent un organisme islamique ou une mosquée donnée et qu'il a beaucoup d'influence à ce chapitre, mais ce n'est pas le cas.

Nous devons peut-être déployer davantage d'efforts pour développer de grands leaders communautaires. Cela pourrait être une de nos tâches.

Le président : Je pense que cette discussion publique est très utile. Je serais porté à croire que vous êtes un membre influent de votre communauté; il est évident que vous vous souciez d'elle et que vous y consacrez beaucoup de temps et d'argent. Vous vous attaquez de front à une question qui peut parfois entraîner des difficultés, et vous connaissez d'autres personnes de votre communauté qui sont dans une situation semblable. Étant donné qu'on ne vous a pas abordé à ce jour, ne serait-il pas dans votre intérêt, à la lumière de la discussion publique que nous avons aujourd'hui, qu'un groupe de personnes comme vous dise aux autorités « nous sommes là et nous pouvons vous aider » et défende les valeurs dont vous avez parlé tout à l'heure afin qu'on sache que votre groupe existe?

M. Raza : Oui.

Le président : C'était ma première question. Voici ma deuxième : je sais que la GRC et que tous nos organismes d'application de la loi ont de bonnes intentions et qu'ils font tout leur possible à certains égards afin d'éviter un incident tragique pour le Canada, mais, en même temps, ils essaient de réorienter les personnes qui sont peut-être en train de se radicaliser.

D'après votre expérience de travail, diriez-vous que l'approche adoptée par la GRC et les autres organismes d'application de la loi fédéraux et provinciaux est la bonne, ou plutôt qu'il y aurait une autre façon de procéder?

M. Raza : Pour répondre à votre première question, oui, nous avons communiqué avec les autorités après chaque incident. Nous avons essayé de nous adresser à la GRC. Nous avons tenté de joindre un agent de liaison communautaire, mais cela n'a jamais rien donné; on ne nous a même pas rappelés.

Vous m'avez ensuite demandé ce que nous devons faire pour nous attaquer au problème, compte tenu de ce qui a été dit. Nous déployons des efforts. Nous faisons du travail en ce sens, et je pense que la discussion d'aujourd'hui a plus d'importance que ce qui s'est produit par le passé. Quelqu'un nous écoute. Quelqu'un est préoccupé. C'est du jamais vu pour nous. Jusqu'ici, aucune personne sincèrement préoccupée ne nous avait téléphoné pour nous dire : « Parlons de ce problème. Comment pouvons-nous le régler? »

En tant que musulman, j'ai un plus grand désir de régler ce problème que n'importe qui dans cette salle, mais, pour ce faire, nous devons nouer un partenariat. Nous essayons de le surmonter tout seuls. Cela ne semble pas fonctionner. Comme je l'ai dit, nous devons pouvoir compter sur un partenaire ou sur des renforts quand une intervention s'impose.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup pour votre excellent exposé. Notre témoin précédent a dit que notre premier ministre était courageux parce qu'il avait osé décrire le problème tel qu'il est. Nous entendons tellement de définitions différentes : « violence extrême », « extrémisme radical », « djihadiste ». En tant que musulman séculier modéré, quel nom utiliseriez-vous pour le décrire? Comment devrions-nous décrire le problème qui nous occupe afin de trouver une solution?

M. Raza : Je crois également que le premier ministre Harper est le seul leader du monde occidental qui a déclaré que nous avons un problème avec l'islamisme. Je pense que l'islamisme est une notion très mal comprise dans bien des milieux. Nous devons d'abord définir ce que c'est. L'islamisme se sert de la religion pour réaliser certains objectifs politiques. Voilà ce que c'est en bref.

D'où vient ce courant de pensée? Il vient de trois régions : de l'Iran avec les Khomeini, de l'Égypte avec les Frères musulmans et de l'Arabie saoudite avec la mentalité djihadiste des wahhabites. Le problème vient de plusieurs pays.

Comment ce courant trouve-t-il un chemin jusqu'au Canada? Il y a 10 ans, le Washington Post a publié un article affirmant que 80 p. 100 des mosquées nord-américaines recevaient, d'une façon ou d'une autre, de l'argent des wahhabites saoudiens et que 20 p. 100 d'entre elles appartenaient à des groupes musulmans minoritaires et marginaux, comme les communautés des ahmadis, des ismaéliens et des bohras. Ce ne sont pas des musulmans ordinaires. En outre, les mosquées chiites sont toutes financées par l'Iran ou ont des liens financiers avec ce pays. Voilà la structure globale de l'islamisme à l'heure actuelle.

Comment combattre ce fléau? Nous devons travailler ensemble pour le vaincre. Les mosquées ne sont pas toutes mauvaises. C'est vrai. Les imams ne sont pas tous mauvais. C'est vrai aussi. Mais je veux également que tout le monde ici convienne que nous sommes aux prises avec un problème très sérieux. Si nous le laissons grossir, la situation se détériorera comme à Londres, où la charia est appliquée dans certaines zones où l'on ne peut pas aller. Où vous ne pouvez pas aller, madame. Si j'étais gai, je ne pourrais pas y aller non plus. Les gens qui ne portent pas la barbe conformément à la tradition islamique ne peuvent pas y aller non plus. Voulons-nous qu'il en soit ainsi au Canada? Non, je pense que personne ne voudrait cela.

Cette discussion est un bon point de départ. Nous devons nous assurer qu'elle débouchera sur des mesures concrètes.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Raza, je vais me faire un peu l'avocat du diable, même si je ne peux pas nécessairement dire que je ne suis pas d'accord avec vous. Je vous ai d'ailleurs trouvé très raisonnable et sincère, et je veux aller au bout de votre réflexion.

Voici ma première question : quelle est l'ampleur du problème? Des milliers de gens fréquentent des mosquées au pays. Certains jouaient avec mes enfants quand ils avaient l'âge de le faire. Certains sont des amis de mes enfants. Ils travaillent comme nous. Ils vivent comme nous; et je parle de milliers et de milliers de gens. Cependant, deux personnes ont assassiné des soldats — un crime odieux — il y a environ un mois, et nous avons appris qu'il y a 18 personnes — ou peut-être même 90, ou 170, ou 370 selon certains renseignements — qui se sont radicalisées d'une façon ou d'une autre et qui sont parties à l'étranger. Quelle est l'ampleur du problème? Vous semblez dire qu'il est énorme.

M. Raza : Sénateur, à mon avis, deux soldats tués, c'est déjà trop. C'est un grave problème. Il y a 1,7 milliard de musulmans. Combien d'entre eux se sont radicalisés? Est-ce 10 p. 100, 15 p. 100? C'est le chiffre qui a été avancé.

Le sénateur Mitchell : Qu'en est-il de la situation au Canada?

M. Raza : Vous pouvez donc comprendre que le problème est vaste.

Ici au pays? J'ai dit ce qui a été relaté dans l'article du Washington Post. Les mosquées sont financées par ces groupes. C'est seulement quand un incident survient qu'on a une idée de l'ampleur du problème. Pourquoi devrions-nous laisser de telles tragédies survenir? L'ampleur du problème, on en prend seulement conscience quand quelqu'un ose en parler. C'est un vaste problème qui nous occupe. Il est peut-être latent, mais il est là. Il existe.

Je ne dis pas que nous devrions nous mettre à faire des descentes policières dans les mosquées et dans les autres institutions et à arrêter des gens, mais nous devons être préoccupés. Même s'il s'agit d'un millier de personnes, c'est beaucoup. Un seul garçon pourrait avoir une grande influence sur mon fils. Un seul enseignant pourrait le mettre sur la mauvaise voie pour toute sa vie. En tant que communauté, nous devons aussi être alertes, mais nous avons besoin d'aide. Oui, c'est un problème. Il existe. Les chiffres sont là, mais on réalise seulement l'ampleur du problème quand — Dieu nous en protège — une tragédie survient.

Voyez ce qui se produit en Angleterre. Ce pays a évité la confrontation pendant des décennies avant de se dire : « Réglons le problème des djihadistes et remplaçons-les par les Frères musulmans, car eux, au moins, ils ne décapitent pas des gens. » Est-ce une solution? La situation ne cesse d'empirer. Nous devons éviter ces trois groupes. Il faut le faire dès maintenant pour que les gens comprennent qu'il y aura des conséquences si quelque chose de négatif survient. Actuellement, je ne pense pas que le message est clair. Cela s'applique aux organisations criminelles. Cela s'applique aux trafiquants de drogue. Cela s'applique à toute personne qui veut nuire au Canada. Nous ne devrions pas laisser de telles choses arriver.

Le sénateur Mitchell : Tout à fait. La question de la liberté de religion a vraiment beaucoup d'importance au Canada. Ce n'est pas que je veuille réfuter vos propos, mais la Grande-Bretagne a adopté une approche très différente de la nôtre pour gérer ses minorités, et le multiculturalisme est l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas le genre de ghettoïsation qui — paradoxalement — est présente là-bas. On peut faire valoir cet argument, et bien des gens le font. C'est vraiment grâce à notre multiculturalisme et à notre reconnaissance des diverses cultures que les gens se sentent moins aliénés au Canada et non l'inverse. C'est une de nos très grandes forces.

La question de la liberté de religion est vraiment difficile. Je m'intéresse beaucoup à l'égalité des femmes. C'est un enjeu qui me passionne toujours. Il y a certains éléments de ma propre religion que je trouve difficiles à accepter. Bien des religions n'autorisent pas les femmes à devenir prêtres; au XXIe siècle, imaginez. Vous avez parlé d'équilibre. Comment concilier cela? Est-ce que cela tient seulement au fait de continuer à débattre de l'importance de l'égalité des femmes et à accroître leur place dans les institutions laïques? Est-ce que la religion finit par changer un jour? Peut-on dire aux officiants religieux : « Vous ne pouvez pas traiter les femmes de cette façon et vous ne pouvez pas les séparer des hommes dans vos lieux de culte? »

M. Raza : Je dirais ceci : « Parlons-en. » Pourquoi serais-je exclu de ma confession religieuse si je veux discuter de certaines choses? Et si je renie ma foi, même, je devrais être libre de le faire si c'est ce que je souhaite. Pourquoi devrais-je être tué?

Nous devons avoir des débats et des discussions. C'est cette capacité qui manque à la diaspora islamique; vos propos étaient dans le mille. Au XIVe siècle, on a tracé une ligne dans le sable et on a décidé qu'il n'y aura pas de discussion sur la religion. Encore de nos jours, nous avons peur de franchir cette ligne et de dire : « Je veux discuter de la façon dont je devrais traiter ma femme. Qu'y a-t-il de mal à prendre un verre? Qu'y a-t-il de mal à avoir des amis dans la communauté gaie et lesbienne? Ce sont des êtres humains égaux à nous. Quel est le rôle de l'islam dans l'humanité, outre la foi? »

C'est un problème de taille, absolument. Mon organisme et moi-même, nous aimerions mettre la pression sur les religieux, car, après tout, ce n'est pas moi qui peux changer la religion. Je n'ai pas ce rôle ni ce pouvoir, mais les religieux l'ont. Nous devons les solliciter et leur demander pourquoi il en est ainsi, et c'est seulement à ce moment-là que nous réussirons à changer les choses. Comme je l'ai dit, nous avons un retard d'une centaine d'années et nous essayons de le combler.

Le président : Si vous me le permettez, j'aimerais revenir sur le sujet de l'éducation. Nous l'avons effleuré tout à l'heure quand nous avons parlé des écoles publiques et de leurs responsabilités par rapport à celles des écoles privées et religieuses. Est-ce que les représentants du gouvernement peuvent aller dans ces écoles pour s'assurer que ce qu'on y enseigne est compatible avec la matière enseignée dans le système public?

M. Raza : Non, monsieur, c'est impossible. C'est pourquoi on a récemment blâmé le centre communautaire islamique Jaffari à Toronto. Une école privée y était rattachée, et la littérature utilisée provenait directement de l'Iran et contenait de la propagande haineuse à l'endroit des communautés juive et chrétienne. On a dévoilé au grand jour cette situation. La personne concernée — l'imam de la mosquée — a simplement dit : « Je ne sais rien à ce sujet. » Un dossier a été ouvert. L'affaire n'est pas réglée.

Quand les ennuis de ce centre ont débuté, on a téléphoné à Mme Raza et on lui a demandé quoi faire. Elle a répondu : « Vous devez présenter des excuses et reconnaître votre erreur. Vous devez assumer vos torts. Pourquoi vous procuriez-vous de la littérature de l'Iran? N'y a-t-il pas ici assez de bon matériel d'apprentissage pour les enfants? » Le dossier n'est pas clos, mais il n'y a aucune supervision effectuée par les autorités scolaires là-bas.

Le président : Cela m'amène à ma prochaine question. Quel point de vue défendriez-vous? Appuieriez-vous une initiative — ce serait l'affaire du gouvernement provincial, dans ce cas-ci — visant à adopter les politiques ou les lois nécessaires pour veiller à ce que les représentants du ministère de l'Éducation assurent un certain degré de surveillance à l'égard de ces établissements pour être certains qu'on y respecte le cadre du système d'éducation général de la province?

M. Raza : Tout à fait. J'ajouterais qu'il existe peut-être déjà de telles règles, mais personne ne s'y conforme. Voilà une mesure qu'il faudrait changer. Il devrait y avoir des observateurs — de l'intérieur ou de l'extérieur de la communauté — qui surveilleraient régulièrement ces écoles.

Le président : J'aimerais aborder un autre sujet. Bien que nous ayons parmi nous un témoin bien au fait de la situation, j'aimerais revenir sur la question du financement des organisations terroristes.

Avez-vous des exemples précis à ce chapitre? Vous avez dit que des organisations étrangères finançaient des mosquées d'ici. Mais il y a-t-il des fonds recueillis au Canada qui sont utilisés pour financer des activités terroristes à l'étranger?

M. Raza : Oui. Il y a trois mois, l'Islamic Society of North America s'est fait blâmer, et l'ARC a accumulé des éléments de preuve crédibles indiquant que cette société finançait un groupe terroriste du Cachemire depuis sa mosquée. Je pense que l'ARC lui a temporairement retiré son statut d'organisme de bienfaisance. Des situations de ce genre se produisent, et il arrive que des organisations se fassent prendre. Nous avons vu certains organismes de bienfaisance qui donnaient des fonds aux mauvaises personnes se faire coincer, mais il y en a beaucoup qui échappent à la justice.

En ce qui concerne l'éducation, je pense que nous devrions avoir un document quelconque qui encouragerait les jeunes à faire partie de la mosaïque canadienne. Nous avons récemment distribué à des immigrants un tel document qui expliquait que nous sommes au Canada et qu'il y a ici certains principes à respecter. Il doit y avoir moyen d'élaborer un document faisant la promotion de l'identité canadienne que l'on distribuerait dans les écoles — islamiques, juives et autres — afin de les amener à faire passer leur identité canadienne avant leur identité religieuse.

Le sénateur Ngo : Merci, monsieur Raza. Pour revenir sur ce que vous avez dit, j'ai quelques questions à vous poser. Vous avez abordé ce point : que pouvons-nous faire en tant que pays pour soutenir votre organisation et vous-même, pour aider et encourager des gens comme vous à prendre la parole et à bénéficier d'une coopération et d'une communication de la part de la GRC? Que devons-nous faire pour que cela se produise?

M. Raza : Je pense qu'il faut créer un comité ou un groupe qui pourrait se concentrer seulement sur ce problème — comme nous le faisons aujourd'hui —, mais je vais quitter Ottawa pour Toronto et aller jouer avec mon chat et mes petits-enfants, et un certain temps s'écoulera avant que les souvenirs me reviennent.

Toutefois, il faudrait qu'il y ait un comité permanent chargé de s'attaquer à ces problèmes de façon progressive, une étape à la fois. Le gouvernement et la communauté sauront que le processus est en cours, que des gestes sont posés. Les jeunes auront davantage l'impression de pouvoir faire quelque chose, du fait que quelqu'un est là pour les épauler.

Voilà ma recommandation. Il doit y avoir un certain organisme ou une certaine plateforme vers lequel on pourrait se tourner. La GRC se penche sur les affaires criminelles. Les organismes sociaux s'attaquent à des problèmes que nous éprouvons en tant que société, mais nous devons d'abord reconnaître que nous en avons un, et c'est seulement par la suite que nous pourrons avoir un comité à la représentation diversifiée apte à toucher les gens et à utiliser son expertise et son influence pour améliorer les choses.

Le sénateur Ngo : Alors, j'aimerais faire cette suggestion : puisqu'il existe tellement d'organisations comme la vôtre, vous pourriez essayer de vous regrouper et de former un comité et d'en aviser le gouvernement ou les organismes concernés. Nous ne savons pas combien il existe d'organisations comme la vôtre à Toronto, à Ottawa, à Calgary, et cetera. Pourquoi ne pas faire cela? Est-ce possible, ou serait-ce difficile pour vous?

M. Raza : C'est possible. Nous avons essayé de le faire l'an dernier; nous avons regroupé toutes les organisations progressistes qui partagent les mêmes idées. Il y a deux jours, lors d'une réception, on a invité — encore une fois — les personnes à problèmes, et cela ne fonctionnera pas. Les politiques et les influences sociales entrent en ligne de compte.

À mon avis, si le gouvernement lançait une telle initiative ou qu'il en prenait les rênes, on arriverait à de meilleurs résultats. Nous avons essayé de le faire, nous déployons encore des efforts en ce sens et nous poursuivrons notre travail.

Le président : Je veux juste revenir sur un point. Je pense que nous nous demandons tous ce que le gouvernement et la population peuvent faire pour aider les modérés de votre communauté — c'est-à-dire la grande majorité d'entre vous — à lutter contre l'extrémisme qui, quoi qu'on en dise, nuit à l'image de tous les musulmans.

Il y a une chose que je ne comprends pas très bien : au cours de ses audiences — pas juste aujourd'hui —, le comité a entendu un certain nombre de personnes auxquelles, pour diverses raisons, on impute des liens directs ou indirects avec des groupes terroristes.

Personne n'a réfuté l'information qu'on nous a fournie; pourtant, nos gouvernements, pour une raison ou pour une autre, leur ont donné une tribune. Si je savais que ces gens-là avaient de tels antécédents, j'aurais été le premier à téléphoner aux autorités afin de leur demander pourquoi nous interagissons avec eux.

Est-ce que votre organisation ou des gens que vous connaissez ont téléphoné aux autorités pour leur signaler qu'on ne devrait pas donner une tribune à certaines personnes en raison de leur passé? Vous avez peut-être des commentaires à ce sujet.

M. Raza : Oui, nous nous sommes mobilisés et nous avons alerté des gens — pas nécessairement les autorités — afin que les médias en soient informés.

Je vais vous donner un exemple. Il y a huit ou dix ans, environ, un séisme s'est produit au Pakistan, et il y avait un organisme de bienfaisance qui recueillait des fonds. M. Khadr père y travaillait, et les gens s'affairaient très activement à recueillir des fonds pour les victimes. Nous savions où cet argent allait. Il n'allait pas aux victimes.

Nous avons écrit ceci : « Faites des dons, mais pas à des organismes qui pourraient les utiliser à mauvais escient », et nous nous sommes fait poursuivre. Nous tirons nos revenus de deux régimes de pension et d'un salaire de professeur, alors nous n'avons pas les moyens de faire face à des actions en justice et à d'autres choses du genre. C'est le genre de poursuites qui visent à intimider les gens. C'est la plus récente stratégie utilisée : pour faire taire quelqu'un, actionnez-le. C'est un obstacle. Je ne sais pas s'il peut être surmonté, mais c'est un obstacle auquel nous sommes confrontés.

Le deuxième obstacle, c'est que les lois ne sont pas strictes. Les lois ne sont pas prévues pour ce genre de problèmes. Elles manquent de fermeté à cet égard parce qu'il s'agit d'un nouveau phénomène.

Le troisième obstacle, c'est que les organismes d'application de la loi n'ont pas encore commencé à nous écouter. Voici un exemple très simple. Alors que mon épouse était en déplacement dans le cadre d'une tournée de conférences, notre vitre d'auto s'est fait défoncer dans une rue d'un quartier très huppé. Son sac à main s'est fait voler. Il contenait des chèques signés, de l'argent, son passeport et toutes ses pièces d'identité. Je suis allé remplir un rapport de police. J'ai dit aux policiers qu'il y avait peut-être un motif sous-jacent. Ils ont répondu qu'ils ne voulaient pas entendre la version compliquée et difficile. Nous sommes donc revenus.

Ces chèques, c'était comme de l'argent liquide. Personne ne les a encaissés. Rien n'a été utilisé. Si j'étais un voleur ou un drogué à la recherche d'un peu d'argent, j'aurais encaissé les chèques, mais cela n'a pas été fait. L'incident s'est produit alors que nous allions vers l'aéroport. Il pourrait y avoir un autre motif derrière tout cela, mais on refuse d'envisager cette possibilité. C'est trop complexe. Je pense que les gens veulent éviter toute forme de complexité.

Oui, nous sommes allés voir les autorités, nous leur avons exposé le problème, nous les avons avisées de la situation, mais nous n'avons pas obtenu la réaction souhaitée. On n'agit jamais équitablement à notre égard.

Le président : Chers collègues, la séance tire à sa fin. Monsieur Raza, je vous remercie pour votre comparution. Je pense que vous nous avez bien expliqué la situation de votre point de vue et de celui de votre communauté. Si nous avons cette conversation publique, c'est, entre autres, pour permettre à des personnes comme vous de s'exprimer. Je sais qu'il faut beaucoup de courage pour le faire, et vous méritez tout notre respect.

Je vais maintenant suspendre la séance, qui se poursuivra ensuite brièvement à huis clos. Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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