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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

Rapport du comité

Le jeudi 10 décembre 2020

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de déposer son

DEUXIÈME RAPPORT

Votre comité a examiné la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), conformément à l’ordre de renvoi suivant, adopté le 3 novembre 2020 :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), déposé à la Chambre des communes le 5 octobre 2020, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat, dès que le comité sera formé, le cas échéant.

Votre comité fait maintenant un rapport interimaire de ce qui suit :

Le projet de loi C-7 a été présenté à la Chambre des communes le 5 octobre 2020. Lorsque votre comité en a entrepris l’étude, le projet de loi était également à l’étude au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. On a élaboré le projet de loi afin de donner suite à l’arrêt Truchon c. Procureur général du Canada, dans lequel la Cour supérieure du Québec a déclaré que le critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible », prévu au Code criminel, et celui de la « fin de vie », prévu dans la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec, étaient inconstitutionnels et portaient atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi qu’au droit à l’égalité, pour ceux qui souhaitent avoir accès à l’aide médicale à mourir (l’AMM).

L’étude réalisée par votre comité porte sur la teneur du projet de loi C-7, à savoir l’expansion du régime canadien de l’AMM et les propositions d’amendement aux dispositions afférentes du Code criminel.

Dans le cadre de son étude préalable, votre comité a tenu, en cinq journées complètes, plus de 28 heures d’audience réparties sur de nombreuses réunions. En tout, les membres du comité ont entendu 81 témoins, dont les ministres de la Justice, de la Santé ainsi que de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, des organismes de réglementation, des organisations professionnelles, des membres de groupes de défense d’intérêts, des personnes handicapées, des chercheurs, des juristes, des médecins, des experts, des Autochtones, des représentants de groupes confessionnels des aidants et d’autres intervenants. Le comité a également reçu 86 mémoires jusqu’à présent.

La plupart des témoins ayant comparu devant le comité ont soulevé certaines préoccupations à l’égard de diverses propositions à l’étude.

Voici un résumé des principales questions qu’ont soulevées les témoins lors des audiences du comité.

Principales préoccupations relatives à la Charte

Des témoins ont signalé qu’il était essentiel que tout changement touchant le régime canadien d’AMM soit conforme aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

oLes représentants d’importants organismes nationaux de personnes handicapées ont mentionné que l’élimination de l’exigence juridique de la « mort naturelle raisonnablement prévisible » pour l’admissibilité à l’AMM donnerait à l’invalidité un caractère particulier qui serait incompatible avec les droits à l’égalité garantis par la Charte, et ont prévu que, si un amendement était adopté, celui-ci ferait l’objet d’une contestation constitutionnelle fondée sur cet argument.

oLes membres du comité ont entendu divers points de vue sur l’opportunité d’offrir l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule affection sous-jacente et sur la conformité aux articles 7 et 15 de la Charte de l’exclusion prévue au projet de loi C-7 (nouveau paragraphe 241.2(2.1)).

oSelon certains témoins, l’instauration d’une procédure nouvelle, différente et plus lourde pour les patients qui ne sont pas en fin de vie est discriminatoire (c’est-à-dire en faire un critère distinctif pour les mesures de sauvegarde qui s’appliqueraient), et il s’agit manifestement d’un pas en arrière, car elle refuse aux patients du Québec des droits reconnus par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général) et précisés dans la décision Truchon.

Autres approches

Certains témoins ont donné des exemples de différentes manières de tenir les délibérations actuelles sur les modifications qu’il est proposé d’apporter au régime d’AMM.

oCertains témoins ont souligné qu’il fallait plus de temps pour examiner plus en détail la loi canadienne sur l’AMM.

oCertains témoins ont recommandé que le procureur général du Canada demande une prolongation du délai du 18 décembre 2020 à la Cour supérieure du Québec à la suite de sa décision de 2019 dans Truchon c. Procureur général du Canada.

oD’autres ont dit qu’il serait approprié en l’occurrence de laisser expirer, le 18 décembre, la suspension de la non-validité déclarée par la Cour (la décision de la Cour pourrait alors s’appliquer au Québec).

oDe nombreux témoins ont dit que le procureur général aurait dû porter en appel la décision Truchon afin d’obtenir le jugement d’une cour d’appel.

oCertains ont recommandé que la question de la constitutionnalité du régime d’AMM soit renvoyée à la Cour suprême du Canada.

Examen parlementaire

Le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), adopté en 2016, exigeait un examen parlementaire dans un délai de cinq ans à compter de juin 2020, lequel n’a pas encore eu lieu.

oDes témoins ont encouragé le Parlement à entreprendre cet examen le plus rapidement possible. Certains ont proposé de reporter les modifications au régime d’AMM jusqu’à ce que l’examen ait eu lieu.

Élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir

De nombreux témoins ont présenté des témoignages bien documentés, convaincants et sincères sur les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir.

oCertains témoins ont appuyé l’amendement proposant d’éliminer le critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible », invalidé par la décision Truchon.

oD’autres ont dit craindre que l’élimination de l’exigence de la « mort naturelle raisonnablement prévisible » ne supprime une mesure de sauvegarde nécessaire qui restreint l’accès à l’aide médicale à mourir.

oCertains témoins s’exprimant au nom de personnes vivant des souffrances irrémédiables et intolérables ont instamment recommandé que la population canadienne ait accès à l’aide médicale à mourir en tant que moyen de préserver sa dignité et de protéger son autonomie personnelle.

Mesures de sauvegarde

Les témoins ont exprimé diverses opinions sur la possibilité de modifier les mesures de sauvegarde qui doivent être respectées avant qu’une personne puisse recourir à l’aide médicale à mourir.

oLes témoins avaient des avis divergents quant à savoir si la période d’évaluation de 90 jours avant que les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible puissent obtenir l’AMM est pertinente, ou si elle devrait être plus longue ou plus courte.

oLes témoins avaient aussi des avis divergents quant à l’exigence qu’une personne ayant demandé l’AMM donne son consentement final juste avant de recevoir cette aide et quant à la possibilité d’une renonciation au consentement final en cas de perte de la capacité à consentir.

oCertains témoins ont exprimé des préoccupations quant à la proposition d’éliminer la période d’attente de 10 jours pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, ainsi qu’en ce qui concerne le changement voulant qu’un seul témoin soit requis quand une personne signe une demande d’AMM.

Accès convenable aux soins de santé

Lors des discussions sur l’accès convenable des Canadiens aux soins de santé, de nombreux témoins ont présenté les avis suivants :

oNombre de Canadiens ne profitent pas d’un accès convenable à des services de soins de santé et de soutien de qualité, particulièrement les personnes handicapées, les Autochtones, ceux qui vivent dans des régions éloignées et les personnes de race, entre autres.

oDes Canadiens, surtout dans certaines régions, n’ont pas accès aux services d’évaluateurs et de fournisseurs formés et qualifiés en ce qui concerne l’AMM.

oBeaucoup ont dit craindre que des personnes puissent choisir l’AMM si les options qui leur sont offertes en matière de soins palliatifs ou de services de santé mentale ou physique sont insuffisantes.

oCertains ont insisté pour dire que l’AMM ne devrait être envisagée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres options ont été considérées.

Personnes handicapées

Des témoins ont dit craindre que les changements proposés au régime d’AMM ne constituent une source de discrimination à l’égard des personnes handicapées.

oCertains ont fait observer qu’en supprimant l’exigence de la mort naturelle raisonnablement prévisible, de nombreux Canadiens aux prises avec des handicaps complexes pourraient être admissibles à l’AMM en raison de leur handicap.

oCertains ont dit que les changements proposés alimentent le mépris et les préjugés à l’égard des personnes handicapées et donnent à penser que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues.

oBeaucoup ont affirmé catégoriquement que les consultations du gouvernement du Canada avec personnes handicapées au sujet de l’AMM ont été insuffisantes.

Maladie mentale

Bon nombre d’entre eux ont exprimé des points de vue sur la proposition de rendre inadmissibles à l’AMM les personnes dont la maladie mentale est le seul problème sous-jacent invoqué.

oCertains témoins ont signalé qu’un régime d’AMM doit comporter une exclusion et de solides mesures de sauvegarde afin de protéger les Canadiens aux prises avec une maladie mentale, d’autant plus que les comportements suicidaires peuvent souvent être un symptôme de leur maladie.

oCertains témoins, qui appuyaient l’idée d’exclure la maladie mentale des critères d’admissibilité à l’AMM, ont affirmé qu’à leur avis, l’absence de consensus entre les spécialistes au sujet des définitions médicales convenables du terme de maladie mentale et au sujet du caractère irrémédiable et de la prévisibilité de nombreuses maladies mentales rendrait difficile l’évaluation objective de l’admissibilité d’un patient à l’AMM.

oD’autres ont dit que l’idée de l’exclusion pose problème, parce qu’elle minimise la souffrance des personnes atteintes de maladies mentales, et que les intervenants du milieu de la psychiatrie ont mis au point des approches et des normes permettant des évaluations précises ou pourraient le faire. Quelques-uns ont ajouté que les médecins évaluaient déjà l’admissibilité à l’AMM des personnes atteintes d’une combinaison de maladies mentales et physiques, et qu’ils sont capables de le faire.

oCertains ont recommandé l’ajout d’une disposition de réexamen prévoyant l’expiration de l’exclusion dans un an, ce qui offrirait le temps nécessaire pour examiner les complexités de la question et élaborer un régime d’AMM pour les personnes souffrant de maladies mentales.

oCertains s’opposaient vigoureusement à une disposition de temporisation appliquée à ce sujet, puisque, de leur avis, il n’existait aucune preuve convaincante et concluante le concernant.

o Certains témoins ont prétendu que le critère du « problème de santé irrémédiable » était encore plus vague et ambigu et qu’il serait difficile à appliquer objectivement aux personnes souffrant d’une maladie mentale en tant que seule affection sous-jacente s’il n’y a pas d’exclusion.

Accès à l’AMM

De nombreux témoins ont soulevé diverses préoccupations sur les différents aspects du processus de consultation entre le patient et le médecin.

oDes opinions divergentes ont été exprimées sur la question de savoir si le médecin devrait être tenu de conseiller le patient au sujet de l’AMM ou de le diriger vers un autre médecin.

oPlusieurs témoins ont dit être fermement convaincus que, en vertu de son droit à la liberté de conscience, le médecin ne doit pas être tenu de conseiller le patient au sujet de l’AMM ni de le diriger vers un autre médecin.

oD’autres témoins ont déclaré que le droit à la liberté de conscience dans le contexte des soins de santé relève des provinces.

oDes témoins ont mentionné que les médecins ne devraient jamais présenter l’AMM comme une option, à moins que le patient n’ait lui-même abordé la question.

Autochtones

De nombreux témoins ont mentionné que les consultations du gouvernement du Canada avec les Autochtones avaient été insuffisantes, que les Inuits et les Métis n’avaient pas été consultés, et que le cadre canadien de l’AMM ne permettait pas au gouvernement de s’acquitter adéquatement de sa responsabilité de consultation.

Des témoins ont rappelé que les Autochtones ne sont pas monolithiques, et que leurs opinions et leurs points de vue concernant l’AMM sont diversifiés.

Des témoins se sont dits préoccupés par le fait que l’on devrait informer les Autochtones de l’aide médicale à mourir tout en respectant leur culture.

On a maintes fois soulevé le fait que les médecins doivent prendre des mesures pour que les patients qui sont admissibles à l’aide médicale à mourir ne subissent aucune pression et ne soient forcés d’aucune façon à s’en prévaloir en raison du manque de services de soutien.

Diversité

Des témoins ont dit craindre que des options de soins de santé culturellement adaptées qui permettent de respecter l’expérience diversifiée des Canadiens n’aient pas été suffisamment intégrées au cadre de l’AMM.

Établissements correctionnels

Certains témoins étaient d’avis qu’on ne devrait pas administrer l’AMM dans les prisons, parce que celles-ci sont dépourvues de possibilités de traitement, de soins palliatifs et d’options viables pour le transfert des détenus dans des établissements de soins de santé convenant à cette fin.

Données et recherches

Les témoins ont exposé divers points de vue sur les données et les recherches existantes liées à l’AMM.

oDes témoins ont insisté sur l’importance d’une collecte de données rigoureuse sur les demandes d’AMM et leurs résultats afin de guider les futurs rapports, études et analyses critiques du régime.

oDe nombreux témoins se sont appuyés sur les expériences d’autres pays équivalentes de l’aide médicale à mourir, qui diffèrent de celles du Canada.

oBon nombre de témoins n’étaient pas familiers avec le contexte de l’AMM au Québec.

Respectueusement soumis,

La présidente,

MOBINA S. B. JAFFER


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