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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 29 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 heures, afin d’étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier; et la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à la séance d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je suis la sénatrice Diane Griffin de l’Île-du-Prince-Édouard. Je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Maltais : Sénateur Maltais, du Québec. Je dois déclarer mes intérêts. Il y a longtemps que je connais M. Beaulieu.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec. J’ai déjà rencontré M. Beaulieu à Montréal.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario. Bienvenue.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba. Je suis ravie de vous rencontrer ce matin.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

La présidente : Merci à tous. Nous poursuivons notre étude — nous avons pratiquement terminé — sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

Notre premier témoin d’aujourd’hui est M. Gérald Beaulieu, directeur du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois. Bienvenue.

Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Je tiens aussi à vous remercier de vous être libéré une deuxième fois pour venir témoigner, puisque nous n’avons pas pu vous rencontrer la première fois. Comme quelqu’un l’a déjà mentionné, un certain nombre d’entre nous ont eu le plaisir de vous rencontrer lorsque le comité était à Montréal pour la tenue d’audiences publiques. Vous nous avez fait visiter. Merci aussi pour cela.

Vous pouvez commencer votre exposé. Nous aurons des questions à vous poser ensuite.

[Français]

Gérald Beaulieu, directeur, Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois : Merci, madame la présidente. Mesdames et messieurs, c’est avec plaisir que j’ai accepté l’invitation de venir présenter notre vision sur l’impact de la construction en bois. Vous avez eu la chance d’entendre d’autres experts. Nous sommes heureux de venir témoigner pour faire avancer l’utilisation du bois dans la construction au Canada.

J’ai eu la chance également de recevoir quelques-uns d’entre vous dans le cadre d'une visite de bâtiment organisée en collaboration avec M. Pittman, à Québec. Nous avions visité le projet d’habitations Arbora, qui comporte trois phases et plus de 430 portes. C’est l’un des plus grands projets multifamiliaux en hauteur au Canada. Depuis les modifications apportées au Code du bâtiment, il est maintenant possible de construire jusqu’à 12 étages en bois massif et jusqu’à 6 étages en ossature légère, soit de la même façon que l’on construit nos maisons.

Je me permets de vous présenter Cecobois, le Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois, qui existe depuis 2007. Ce centre a été fondé à la suite d’une décision du gouvernement du Québec sur la diversification de l’industrie forestière. En 2007, une crise économique très sévère a affligé l’industrie forestière au Québec et au Canada. Le gouvernement et l’ensemble des acteurs ont décidé qu’il fallait des intervenants sur le terrain pour accroître l’utilisation du bois sur nos marchés et assurer la diversification. Ce sujet est d’autant plus d’actualité compte tenu de la crise sur les marchés américains, qui fait en sorte que notre bois est taxé. Donc, plus on en utilise dans les constructions, moins on est tributaire du marché d’exportation. Cependant, il ne s’agit pas de penser qu’on peut tout utiliser. Le Canada est un grand pays producteur de bois. Donc, on a besoin des marchés extérieurs également pour faire vivre l'industrie.

Cecobois a comme mission de fournir de l’expertise technique aux professionnels de la construction pour leur permettre d’intégrer du bois dans la construction de bâtiments. Il faut savoir qu’au Canada très peu d’universités abordent l’utilisation des matériaux de bois en génie civil ou en architecture. On aborde l’utilisation du béton et de l’acier, mais très peu celle du bois.

Il faut comprendre pourquoi. En 1941, avec la mise en place du Code national du bâtiment, il était interdit de construire en hauteur en utilisant du bois. À cette époque, les villes étaient très inquiètes de la sécurité des occupants. Il y avait eu des feux dans certaines villes. Ces dernières n’étaient pas équipées des technologies d’aujourd’hui pour intervenir en faveur des occupants. Le Code du bâtiment a donc interdit l’utilisation du bois. En 2018, nous avons des systèmes de gicleurs dans pratiquement tous nos bâtiments maintenant. Nous disposons également d’équipements beaucoup plus technologiques qui permettent d’assurer la sécurité des occupants. Plusieurs études ont été réalisées avec de nouvelles technologies afin de développer des produits du bois ayant une très forte résistance au feu. C’est d’ailleurs ce sujet que j’aimerais aborder ce matin, car il est en lien avec les changements climatiques.

Donc, les enjeux sont très importants en ce qui a trait aux changements climatiques. Je n’ai pas besoin de vous faire l’histoire. Vous avez eu au Parlement fédéral plusieurs discussions concernant le réchauffement climatique. Il est important de reconnaître que le bâtiment a un impact très important sur les émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs études réalisées par Industrie Canada et par vos ministères ont démontré l’impact important du bâtiment du patrimoine bâti au Canada sur les émissions de gaz à effet de serre. Nous aborderons certains indicateurs très importants. Les bâtiments représentent 35 p. 100 des gaz à effet de serre, et 25 p. 100 de l’ensemble des déchets produits sont liés à l’industrie du bâtiment. Nous avons un rôle très important à jouer si nous voulons être en mesure de contribuer à la réduction de ces impacts négatifs sur l’environnement.

Quelles sont les principales sources de carbone, selon les études réalisées? Nous savons tous maintenant que les gaz à effet de serre sont produits par la combustion de gaz fossiles et les activités manufacturières. En Amérique du Nord, les principales sources d’émissions de carbone proviennent de la fabrication de l’acier et du béton, ainsi que de l’utilisation de nos véhicules. Lorsqu’on examine les impacts environnementaux des bâtiments, des études ont démontré que pendant la durée de vie d’un bâtiment sur 50 ans, après 20 ans, les matériaux utilisés dans sa construction auront contribué pour 50 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre, tandis que son opération aura contribué pour 45 p. 100. Cela fait en sorte que si on veut réduire l’impact des émissions de gaz à effet de serre liées aux bâtiments, il faut s'en préoccuper à la source, au moment de construire le bâtiment.

Il faut également faire en sorte que le choix de matériaux contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Donc, lorsqu’on parle des cibles et des engagements, je n’ai pas besoin de vous dire qu’en 2030, on parle de 30 p. 100 de réduction comme cible fixée. En 2050, on vise 80 p. 100 de réduction. Le Canada s’est engagé à limiter le réchauffement climatique sous les 1,5 degré.

Plusieurs réglementations environnementales ont été mises en place dans les différentes juridictions au pays pour bannir l’enfouissement et pour développer des systèmes de recyclage qui nous permettent de contribuer à réduire les émissions. Nous pouvons jouer un rôle en ce qui concerne les 35 p. 100 des émissions provenant des bâtiments. Donc, comment y arriver? En documentant bien l’impact environnemental de chacun des matériaux.

Une nouvelle science est apparue au cours des 20 dernières années, soit l’analyse du cycle de vie. Celle-ci permet d’analyser l’impact environnemental d’un produit à partir de sa création et en amont de sa création, par l’extraction des ressources naturelles. L’exemple suivant l’illustre bien : la forêt pousse et il faut en prendre soin. C’est une ressource naturelle renouvelable. On intervient pour la récolter. Si on ne le fait pas et qu’elle meurt, elle émettra des émissions de carbone par sa décomposition. Si on la récolte et qu’on la transforme, ces activités produiront des émissions de carbone avec l’utilisation des machines pour le faire. Donc, c’est la première étape. Ensuite, on transforme la matière et on crée des produits qui séquestrent le carbone. On immobilisera le carbone dans nos bâtiments, qui auront une durée de vie de 50 à 100 ans avant que le produit puisse être recyclé ou brûlé. Pendant une période de 50 à 100 ans, le carbone aura été séquestré.

L’analyse du cycle de vie nous fournit des informations sur l’ensemble des étapes de fabrication et sur l’utilisation du produit. Ce n’est pas Cecobois qui s’en charge, ce sont des organisations externes reconnues à l’échelle internationale qui ont mené ces analyses. Les travaux réalisés par le Service canadien des forêts ont démontré que la foresterie dans son ensemble -- on parle d’aménagement forestier et de fabrication de produits qui peuvent être des biodiesels ou des produits du bois -- peut contribuer jusqu'à 10 p. 100 de l’atteinte de l’objectif de réduction. C’est intéressant. On part d’une ressource naturelle. On crée des emplois partout au Canada et on peut utiliser ce secteur très présent pour contribuer à l’atteinte de la cible par des moyens technologiques. On fait beaucoup de recherches pour capter et réduire le carbone, et cetera. On a une ressource naturelle qui pousse dans la cour arrière des maisons, et les technologies pour fabriquer les produits sont connues. On peut continuer à faire de la recherche-développement, mais on peut déjà passer à l’action. C’est ce qu’on fait au Canada.

Quels sont les principaux avantages d’utiliser le bois dans le bâtiment? Premièrement, on séquestre le carbone du bois. On permet de substituer des matériaux comme l’acier et le béton qui sont des émetteurs importants de carbone. Je vous en ferai la démonstration. Cela permet d’avoir des bâtiments. J’ai mentionné 50 p. 100 sur la vie d’un bâtiment, soit les matériaux, et 45 p. 100 pour son opération. Le bois a des capacités d’isolation thermique supérieures aux autres matériaux. C’est un isolant. On contribue ainsi à réduire la facture et l’empreinte environnementale liée à l’énergie nécessaire pour le bâtiment. Des études ont été réalisées à titre de comparatif. Je vous donne des données brutes. Nous avons fabriqué une poutre avec la même charge, fabriquée en bois, qui émet 60 kilogrammes équivalents de carbone dans l’atmosphère. On la fabrique en acier — pas de la même dimension, puisque ce n’est pas le même matériau — avec la même charge et pour le même usage, et on émet 245 kilogrammes équivalents. On fabrique la même poutre en béton, on émet 345 kilogrammes équivalents. Ce n’est pas Cecobois ni l’industrie forestière qui le prétendent, ce sont des experts en analyse de cycle de vie qui ont fait cette analyse et cette démonstration. Ce sont des données basées sur la science. On passe de 60 kilogrammes à 252 kilogrammes, soit un peu plus de quatre fois à presque six fois avec le béton. Cela vous donne un bon aperçu.

Différentes études ont été réalisées sur différents bâtiments qui ont permis de valider les informations. C'est un élément qui est très important. Un bâtiment réalisé avec un revêtement extérieur en épinette a été analysé en détail par Athena, un groupe de recherche sur les analyses de cycle de vie. C’est le laboratoire de FPInnovations, à Québec. Le gouvernement a demandé de faire l’analyse de cycle de vie pour comparer s’il avait été construit avec d’autres matériaux. Construit en bois plutôt qu’en acier, ce bâtiment représente 30 fois la différence en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Donc, c’est un projet très substantiel pour ce qui est de l’impact sur l’environnement.

Plusieurs pays ont mené des études sur l’impact de l’utilisation du bois sur la qualité de vie des occupants, notamment pour les écoles, les centres de convalescence, les bureaux et les espaces de vie multifamiliale, comme les bâtiments d’Arbora que nous avons visités à Montréal. Le Japon réalise beaucoup d’études sur l’impact du bois, soit la biophilie. C’est l’un des chefs de file internationaux de la biophilie qui étudie comment l’être humain se sent mieux en présence d’éléments naturels dans son entourage. Le bois en fait partie. Des études très sérieuses ont démontré que vivre dans un environnement où le bois est prédominant permet de diminuer la pression artérielle et le rythme cardiaque, d’accélérer la convalescence des malades, de diminuer la perception à la douleur, de favoriser la créativité dans les bureaux et les écoles, de contribuer à la concentration dans les écoles et de réduire l’agressivité, ce qui pourrait peut-être avoir son utilité au Parlement.

Le sénateur Dagenais : Surtout au Sénat.

La sénatrice Gagné : Il y a tout de même beaucoup de boiseries.

M. Beaulieu : C’est une blague.

Plusieurs études ont démontré des bilans sur le carbone. Il y a une tendance très forte à l’utilisation du bois au Canada. Le gouvernement fédéral est partenaire de Cecobois par l'intermédiaire de Ressources naturelles Canada pour environ le tiers du financement. Un autre tiers provient du gouvernement du Québec et le dernier tiers, de l’industrie forestière. Tout cela contribue à mettre en place une équipe technique qui est en mesure d’appuyer les professionnels de la construction pour les aider à intégrer le bois et à mieux comprendre l’impact des bâtiments patrimoniaux sur l’environnement.

Nos villes sont confrontées à des problèmes importants de congestion et de mobilité des citadins, et la densification devient un moyen très important pour améliorer la qualité de vie et pour contrer les problèmes de densification. On pense que l’usage du bois comporte beaucoup d’avantages du point de vue des émissions de carbone dans l’atmosphère. Il y a beaucoup d’impacts positifs à utiliser le bois.

J’ai réfléchi beaucoup et j’ai consulté mon équipe. Tout notre travail s’appuie sur un réseau de professionnels qui représente tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, qu’il s’agisse de manufacturiers, de fournisseurs de services, d’ingénieurs ou d’architectes. J’ai eu la chance la semaine dernière de comparaître devant un comité fédéral, le Comité permanent des ressources naturelles, qui analysait le projet de loi privé C-354 visant à doter le Canada d’une Charte du bois, un mécanisme qui permettrait de donner des points à l’utilisation du bois dans le système d’achat du gouvernement fédéral. C’est ma première recommandation. Je crois que le gouvernement fédéral, à l’instar de plusieurs provinces au Canada, comme le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Nouvelle-Écosse, devrait se donner quelque chose qui ressemble à une Charte du bois.

L’idée ici n’est pas d’imposer le bois, mais de considérer le bois dans le choix des matériaux pour la construction des bâtiments gouvernementaux. Il s’agit de donner l'exemple au moment de commander des bâtiments. Vous avez donc un rôle très important à jouer. L’idée serait de dire que, pour tout bâtiment qui reçoit du financement public de la part du gouvernement fédéral, on doit envisager l’utilisation du bois. Pourquoi? Je vous ai mentionné que très peu d’universités au Canada enseignaient l’utilisation du bois dans la construction, que ce soit en génie civil ou en architecture. Imaginez l’impact au Québec lorsqu’on a mis en place la Charte du bois. Les professionnels se sont intéressés à ce matériau, parce que s’ils veulent participer aux appels d’offres dans la construction de bâtiments publics, ils doivent maîtriser l’utilisation du bois dans leurs designs. Cela envoie un message aux universités et aux professionnels quant à l’importance d’utiliser ce matériau — qui revient en force dans la construction — et aux communautés forestières du point de vue de la diversification de l’économie et du développement de produits performants. Enfin, cela nous permet d’atteindre plusieurs objectifs à la fois.

Selon moi, la charte est le premier pas qui permet par la suite d’enclencher d’autres chantiers. De par l’industrie du bois, nous ne demandons pas de privilèges. Les gens recommandent de mettre en place cette charte pour les raisons invoquées plus tôt. On pense que si on peut faire évoluer le Code du bâtiment vers des indicateurs de performance en termes d’empreinte environnementale et d’efficacité énergétique, on n’aurait pas besoin d’une Charte du bois. Le bois s’imposerait d’emblée comme matériau ayant le taux le plus faible d'émissions de carbone, qui provient d’une ressource renouvelable et qui contribue à la création de milliers d’emplois au Canada. C’est un matériau qui, par définition, est un isolant. Il contribue à l’efficacité énergétique.

Cependant, modifier des codes et des normes est un travail de longue haleine. La Charte du bois au Québec est un outil pour favoriser ces changements. Il s’agit de démontrer, par l’exemple du gouvernement, qu’il y a une préoccupation très importante face à ce matériau. En tant que gouvernement, vous avez donné l’exemple au cours des dernières années en finançant de la recherche sur l’utilisation du bois et en menant des projets de démonstration, comme le projet Brock Commons, à Vancouver, le projet Arbora, à Montréal, et le bâtiment Origine de 12 étages, à Québec. Toutes ces initiatives ont été réalisées grâce à la contribution de votre gouvernement. Il faut poursuivre dans cette voie.

Une récente étude nous a démontré que le fait d’habiller nos bâtiments à l’intérieur comme à l’extérieur, peu importe les matériaux qu’on utilise pour la structure, était un marché équivalant en termes de valeur à celui des matériaux de construction pour la structure. Il s’agit d’un impact très important pour le développement des petites entreprises dans toutes les collectivités canadiennes, de même qu'au Québec. Par la simple déclaration d’une politique, le gouvernement fédéral peut avoir un impact très important sur la réduction des gaz à effet de serre et sur le développement économique dans l'ensemble du pays.

Je vous donne un aperçu de la valeur de certains produits. J'ai inclus la figure dans ma présentation. Un mètre cube de bois dans la cour d’une usine vaut 70 $. Lorsqu’on prend ce mètre cube de bois et qu’on le transforme en produits structuraux — comme le bois lamellé-collé pour faire de grosses poutres et des colonnes — et qu’on les installe dans un bâtiment, sa valeur passe de 70 $ à plus de 2 000 $ du mètre cube. Dans tout ce processus de création de valeur, on a créé des emplois chez nous.

C’était mon dernier message. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

La présidente : Merci. Je demanderai aux sénateurs de se limiter à deux questions. S’il reste des questions ensuite, nous ferons un deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur Beaulieu. Comme vous le savez, on vient d’une région très forestière, la Côte-Nord. Il y a beaucoup de bois. C’est l’une des meilleures régions en matière de ressources en bois. La construction en bois a commencé à péricliter pendant la guerre. Avec l’arrivée des nouveaux matériaux sur le marché, comme le béton, l’aluminium et l’acier, le bois a pris son mauvais côté, particulièrement au Canada, alors que nos voisins qui avaient inventé ces matériaux venaient chercher notre bois pour leurs constructions. C’est invraisemblable, et c’est encore la même situation aujourd’hui, que ce soit dans les Maritimes, au Québec, en Ontario, dans les provinces centrales ou en Colombie-Britannique. Pourtant, le bois a été le premier matériau utilisé pour fonder le Canada. L’habitation de Champlain n’était pas construite en béton, mais en bois. Le château Saint-Louis est en bois. Le Québec et l’Ontario ont une charte du bois, je crois.

M. Beaulieu : Le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et l’Alberta également, qui a rejoint les rangs l’an dernier.

Le sénateur Maltais : Bien sûr, cette charte est un pas en avant très important. Vous l’avez constaté, cela commence au Québec. Les entrepreneurs dans la construction résidentielle n'ont pas le même problème que dans la construction commerciale, c’est évident. Toutefois, dans la construction résidentielle, je trouve qu’on emploi beaucoup de matériaux composites provenant d’ailleurs et qui ne sont pas en bois. Pourtant, le bois est une structure extraordinaire à l’extérieur. C’est un isolant qui procure aussi une très belle finition intérieure avec les planchers de bois, les murs, et cetera.

Nous avons visité une résidence d’étudiants de 18 étages à Vancouver. La seule chose, c’est qu’ils ont installé des fenêtres en aluminium. Je suis allé voir l’état des fenêtres après trois ans. Il y avait de la rouille. C’est un très bel édifice, mais voici une erreur à ne pas répéter. Si les fenêtres avaient été en bois, il n’y aurait pas eu de rouille. C’est un très bel édifice.

Il y a sept ou huit ans, on avait construit à Loretteville un centre pour le soccer tout en bois.

M. Beaulieu : Le Complexe de soccer Chauveau. C’était le deuxième au Québec.

Le sénateur Maltais : C’était le deuxième au Québec. Je le visite de temps en temps. Il ne se détériore pas, loin de là. Selon le gérant de l’entreprise, c’est l’un des plus faciles à entretenir. J’ai trouvé que c'était bien.

À mon avis, le bois est un matériau qui sera en demande dans un avenir rapproché. D’ici les cinq prochaines années, le bois devrait reprendre sa place.

L’autre effet avantageux, c’est la diminution des émissions de carbone. C’est d’ailleurs le but de notre étude. La Colombie-Britannique, le Québec, le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et les provinces centrales déploient beaucoup d’efforts à ce chapitre. Tout le monde s’y met.

Vous souhaitez mettre en place une charte pancanadienne et apporter des modifications au Code du bâtiment.

M. Beaulieu : La première étape est d’adopter une charte canadienne pour encourager l’utilisation du bois, c’est-à-dire une politique visant à promouvoir l’utilisation du bois auprès des designers dans la structure ou la finition des bâtiments.

Le sénateur Maltais : C'est différent au Québec.

M. Beaulieu : C’est la même chose au Québec.

Le sénateur Maltais : C’est la même chose, mais il n’y a-t-il pas une obligation au Québec de prévoir une certaine partie de la construction en bois?

M. Beaulieu : Non. Ça n’existe pas. Ça a fait partie des premiers éléments en Colombie-Britannique. Le Québec a décidé d’adopter des mesures incitatives et la Charte du bois est devenue un engagement gouvernemental en 2015. Elle dit spécifiquement que tout projet qui reçoit du financement public doit considérer le bois dans le design du bâtiment. On n'impose pas le bois comme matériau. On ne donne pas d’avantages au bois; on demande seulement de le considérer.

Le sénateur Maltais : La Chine est importatrice de bois. Nous nous sommes rendus dans un quartier chinois de Shanghaï il y a deux ans avec le groupe Produits de bois canadien. Nous y avons vu de très belles résidences fabriquées en bois canadien. C’est très beau. On est encore allé chercher ce bois au Québec et au Canada, parce que nous sommes producteurs de bois.

Premièrement, la charte et le Code national du bâtiment méritent d’être époussetés.

M. Beaulieu : Des changements ont eu lieu, mais il reste encore des modifications à apporter. L’édifice de 18 étages que vous avez visité à Brock Commons est encapsulé à 100 p. 100 et l’édifice de 12 étages, à Québec, est encapsulé en gypse à 100 p. 100. Pour illustrer ce que ça signifie, c'est dire que nous avons mis « des bretelles et une ceinture  » en termes de sécurité contre les incendies.

L’été arrive, je vous lance un défi. Allumez votre foyer et mettez-y une grosse bûche, vous verrez que le feu s’éteindra. Ce sont les caractéristiques du bois. Il se fait une carbonisation autour de la bûche, autour du bois massif, qui fait en sorte que le bois arrête de brûler. C’est paradoxal, parce qu’on utilise le bois pour se chauffer, mais on peut aussi l’utiliser pour se protéger. Vous avez visité Arbora. Vous avez vu les poutres et les colonnes, dont certaines étaient apparentes. C’est le genre de modifications qui seront apportées graduellement au Code national du bâtiment pour la sécurité des occupants et du public. L’idée n’est pas de mettre les gens en danger. L’idée est d’utiliser les connaissances que nous avons pour mieux construire et laisser du bois apparent, parce que c’est ce qui attire les gens en ce qui a trait aux avantages que je vous ai mentionnés lors de ma présentation.

Le sénateur Maltais : Somme toute, la construction en bois est évolutive et le Code national du bâtiment en vigueur n’a pas évolué assez vite pour tenir compte de ces technologies.

M. Beaulieu : L’évolution du Code national du bâtiment repose sur un consensus dont le premier élément est la sécurité du public. C’est à cela qu’on veut participer et on a de plus en plus d’écoute dans toutes les discussions à travers le pays et dans toutes les provinces pour faire évoluer le Code national du bâtiment.

Le sénateur Maltais : Quelle est votre recommandation ce matin?

M. Beaulieu : Il faut analyser très sérieusement les recommandations faites récemment par le Conseil canadien du bois sur la possibilité de mettre du bois exposé dans les bâtiments de grande hauteur, compte tenu des tests réalisés pour démontrer la résistance au feu de ces nouveaux matériaux.

Le sénateur Maltais : Je vous remercie.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de cette excellente présentation que j’ai beaucoup appréciée. Vous avez parlé de l’effet du bois sur la santé, et je trouve très intéressant d’incorporer cette dimension dans les présentations, parce que c’est bel et bien le cas.

Je voulais vérifier certaines choses concernant le système de certification LEED. Le système de certification a pour objectif d’assurer que les habitations sont écologiques et saines. Je me suis demandé si, dans le contexte de la Charte canadienne du bois, comme vous le recommandez, ce genre de système peut aussi pousser les constructeurs à utiliser le bois comme matériau.

M. Beaulieu : C’est une très bonne intervention, et je vous remercie de cette question. La certification LEED accorde très peu d’importance au choix des matériaux en termes de pointage; d’autres considérations sont mises de l’avant pour obtenir une certification, comme la gestion de l’eau, la gestion énergétique et le confort des occupants. La certification LEED a commencé à évoluer et continuera d'évoluer pour tenir compte davantage de l’empreinte environnementale liée aux émissions de carbone. Ce n’est pas encore le cas. Des discussions sont en cours à l'échelle mondiale au sujet de ces grandes certifications pour les faire évoluer et tenir compte des matériaux en fonction des connaissances actuelles.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de cette précision. Je n’étais pas consciente de cet aspect. Je croyais que le bois était un matériau de plus en plus utilisé justement pour assurer la certification LEED qui se trouve à différents niveaux. On peut aller jusqu’à A.

M. Beaulieu : C’est cela. Je tiens à être très clair. Si vous utilisez du bois, vous n’êtes pas pénalisé, mais vous n’avez pas nécessairement beaucoup plus de points. Cela peut apporter quelques points dans l’atteinte des différents paliers que vous venez de mentionner.

La sénatrice Gagné : J’étais en Colombie-Britannique où j’ai visité l’édifice Brock Commons. On a parlé aussi de la façon d'isoler les appartements pour obtenir une bonne performance acoustique. On couvrait finalement les murs en bois avec quatre couches de contreplaqué, de gypse. Finalement, beaucoup d'autres matériaux que le bois ont été utilisés pour insonoriser les appartements. Est-ce que, dans l’évaluation des coûts et de l’impact environnemental, ce genre de calcul est inclus dans l’analyse?

M. Beaulieu : C’est encore une très bonne question. Présentement, Cecobois, à la demande du gouvernement du Québec, travaille à compléter un calculateur carbone qui fera la comparaison des émissions de gaz à effet de serre des matériaux utilisés, soit le bois, le béton et l’acier. En ce moment, on se concentre sur la structure. Ce que vous amenez comme point est très important, mais n’est pas lié aux matériaux. Si vous avez un bâtiment en acier, vous devrez également le recouvrir pour assurer une bonne performance acoustique. Le bois a déjà une énergie intrinsèque qui lui permet de contribuer à une certaine insonorisation, mais on doit faire des traitements de surface en ajoutant d’autres matériaux pour améliorer sa performance. Effectivement, à l'avenir, dans une autre phase du calculateur carbone, il est question d’intégrer l’utilisation d'autres matériaux pour compléter l’habillage des bâtiments à l’extérieur et à l’intérieur. Cela ne fait pas partie de la phase 1, mais c’est une préoccupation très importante. Ce n’est pas seulement la structure qui a un impact. Aujourd’hui, je vous parle de la structure, mais il y a aussi le bâtiment dans son entier.

La sénatrice Gagné : Quels sont les facteurs qui empêchent l’utilisation du bois dans la majorité des bâtiments commerciaux?

M. Beaulieu : Je vais vous les donner, pas nécessairement en ordre d’importance, mais presque : la formation des professionnels de la construction sur les bancs d’école. Il n’est pas normal que le bois ne soit pas enseigné dans nos facultés de génie civil et d’architecture et qu’on se limite au béton et à l’acier. L’Université Laval a lancé un programme de carrière en génie du bois où on enseigne le bois en structure. L’Université du Québec à Chicoutimi le fait. Ce sont les deux seules universités à intégrer le bois et à le rendre obligatoire. Il y a un changement très important à apporter à ce chapitre. Il faut former les futurs professionnels, et continuer à former les professionnels en exercice pour leur démontrer que le matériau de bois est un matériau performant. Cela se fait de plus en plus. Cecobois n’est pas unique au Canada, il y a aussi Wood WORKS, en Colombie-Britannique, qui fait le même travail que nous. Elle a aussi un chapitre actif en Alberta et en Ontario ainsi qu’un chapitre qui couvre l’Atlantique. C’est notre mission de faire ce travail.

Nous devons également faire en sorte de démystifier les peurs liées à l’utilisation du bois. Je vous ai dit que, en 1941, le bois avait été interdit pour les constructions en hauteur, et ce, pour des motifs jugés raisonnables. Cependant, dans les principales villes du Canada qui bordent le fleuve, les voies maritimes ou les océans, ces bâtiments sont encore debout. Il y a des bâtiments magnifiques à Vancouver, Toronto, Montréal, Québec et Halifax. Ce sont des bâtiments de 10 étages 100 p. 100 en bois qui ont été convertis en condos ou en espaces de bureaux. Aujourd’hui, des technologies permettent d’assurer une sécurité contre les incendies, peu importe le matériau. Les camions de pompier ont des échelles qui permettent d’évacuer les gens en toute sécurité. Il faut continuer à démystifier et à valoriser ces projets.

Il est aussi important de continuer à développer des indicateurs de performance en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de performance énergétique. Si on parvient à le faire, on doit transmettre le message au secteur de la construction selon lequel, dorénavant, dans la construction d’un bâtiment, on doit atteindre une cible en termes d’empreinte environnementale, y compris la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et ne pas dépasser tant de kilojoules par mètre carré chaque année pour le chauffage et la climatisation d’un bâtiment.

On n’aura plus besoin de se rencontrer pour parler de la Charte du bois. Le bois s’imposera. Toutes les études démontrent les avantages du bois. Il ne s’agit pas d’aller à l’extrême. Une charte du bois prévoit d’encourager l’utilisation du bois pour sa performance. Il faut l’intégrer dans la réflexion. On ne dit pas de ne pas construire en béton ou en acier. Des projets comme celui de Brock Commons, à Vancouver, ont adopté une approche hybride qui donne un bâtiment très performant. L’important, c’est d’utiliser le bon matériau au bon endroit et, à tout le moins, d’établir des cibles qui favoriseront l’adoption de ce nouveau matériau.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Bienvenue, monsieur Beaulieu. Avant tout, je veux vous remercier de nous avoir fait visiter votre centre la dernière fois que le comité s’est rendu à Montréal. La semaine suivante, je me suis rendu à l’édifice Brock Commons, en Colombie-Britannique, un magnifique édifice. Malheureusement, j’ai trouvé qu’on avait abusé du gypse.

Selon Ressources naturelles Canada, les matériaux de construction en bois aident à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Votre entreprise joue un rôle de premier plan pour faire avancer les études et promouvoir des technologies novatrices; grâce à vous, le bois fait un retour en force.

Mais avant de prendre davantage de place sur les marchés internationaux, je crois que le Canada devra devenir un chef de file et promouvoir la construction de bâtiments en bois. Comme vous l’avez dit, un certain pourcentage des matériaux utilisés pour la construction des bâtiments gouvernementaux doivent être en bois, parce que c’est beau, c’est chaud et cela nous rapproche de la nature. Cela vaut aussi pour les hôpitaux et les écoles. J’ai remarqué que certains hôtels de ville avaient rénové leur entrée en utilisant du bois. C’est sur ce genre de choses que nous devons miser si nous voulons prospecter les marchés internationaux. Si nous ouvrons la marche, d’autres pays vont emboîter le pas. Les hôtels et les complexes hôteliers comptent aussi parmi les projets importants qui peuvent utiliser du bois.

Savez-vous dans quelle proportion le bois est utilisé comme matériau de construction au Québec et dans le reste du Canada?

M. Beaulieu : Merci de la question.

[Français]

Nous avons mené une étude l’automne dernier dont le rapport a été déposé. Le gouvernement du Québec, dans son appui à Cecobois, demande de faire l’analyse des parts de marché tous les deux ans dans le secteur non résidentiel, soit les industries, les institutions, les commerces et les projets multifamiliaux. Selon les statistiques de 2007, le bois occupait 15 p. 100 des parts du marché de ce secteur de la construction. De 2007 à 2016, nous avons obtenu 28 p. 100 des parts du marché. Des pas de géant ont été faits.

Au Québec et en Colombie-Britannique, plusieurs bâtiments ont été construits, y compris des projets de construction multifamiliale et des immeubles de bureaux. Si vous prenez l’autoroute 20, monsieur Pittman, pour vous rendre à Saint-Jean-Port-Joli cet après-midi, vous verrez à Saint-Hyacinthe le bâtiment Synergia, tout près de l’autoroute. Si vous prenez la route 15, vous verrez la tour en bois à Mirabel et une autre à Saint-Jérôme. Ce sont des bâtiments en bois de quatre ou six étages prévus pour des espaces à bureaux. On voit de plus en plus de tels édifices. Ameublements Tanguay, un magasin de meubles à grande surface de Trois-Rivières, est en bois. Cette entreprise a fait construire cinq autres magasins de la même nature. Certaines épiceries sont maintenant construites en bois. Donc, un mouvement est en marche.

Au Québec, des palais de justice ont été rénovés et des écoles ont été construites à partir du bois. À la place Laurier, un bâtiment de Défense nationale Canada est en train d’être refait. Les premiers bâtiments ont été construits avec toutes sortes de matériaux, sauf le bois. Quand je parle d’exemplarité gouvernementale, c’est ce dont il s’agit. Vous avez une chance inouïe de marquer la population un peu partout au Canada en utilisant ce matériau, en construisant des bâtiments qui seront très performants et qui utiliseront une ressource locale. Je ne suis pas au courant des pourcentages de marché pour l’utilisation du bois dans les autres provinces, mais je sais qu'ils sont en croissance également.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je tiens à remercier votre organisation de participer activement à la lutte contre les changements climatiques au Canada. C’est quelque chose de très important.

Quelles sont les principales contraintes pour vous par rapport à l’expansion des technologies propres du bâtiment?

[Français]

M. Beaulieu : Le principal enjeu est la formation, la capacité des ingénieurs et des architectes d’intégrer le bois dans la construction. Le matériau existe. Les produits du bois ont beaucoup évolué. Il y a des fabrications de bois massif, des fabricants d’ossature légère partout au Canada, et le secteur est en plein essor. La principale contrainte est la formation des professionnels de la construction et la démystification des craintes liées à l’utilisation du bois, notamment en ce qui concerne sa résistance au feu, sa solidité et sa durée de vie. Au Japon, certains édifices en bois ont plus de 1 600 ans et sont encore debout après plusieurs tremblements de terre.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Ottawa serait tout à fait adapté aux projets de construction en bois. Les gens et les politiciens du monde entier qui viennent ici pourraient voir ce qui a été fait.

[Français]

M. Beaulieu : Merci.

Le sénateur Dagenais : Merci de votre présentation. J’ai eu l’occasion de visiter la construction faite à Montréal, et je vous en félicite. C’est impressionnant. D’ailleurs, j’en ai parlé à quelques personnes. Je crois que l’Orchestre symphonique de Montréal se trouve dans un édifice entièrement en bois, ce qui est un bel exemple.

Comme vous l’avez déjà mentionné, on devra former davantage de professeurs afin d’accorder une plus grande importance à l’utilisation du bois dans l’enseignement. Nos méthodes pourraient-elles être utilisées par nos voisins américains, étant donné qu’ils utilisent beaucoup le bois? Même si on est en négociations sur le bois d’œuvre, je pense qu’ils continueront d’en acheter. Dans les États du Sud, on a tendance à utiliser le béton, peut-être en raison des ouragans, mais y a-t-il des campagnes de promotion qui se font du côté des États-Unis? Si on leur enseigne à construire des bâtiments en bois, ce sont de gros utilisateurs. Je pense que c’est un marché qui pourrait être intéressant.

M. Beaulieu : Merci de la question, sénateur Dagenais. Effectivement, il existe Woodworks, aux États-Unis, une entreprise qui joue le même rôle que Cecobois, au Québec. Nous collaborons étroitement avec Woodworks au Canada. Le Canada est un pays d’entrepreneurs et d’exportateurs. Chaque fois que nous avons maîtrisé une technologie en sol canadien, nous avons tenté de l’exporter ailleurs. Je vous confirme qu’aujourd’hui plusieurs entreprises canadiennes travaillent aux États-Unis pour développer la construction en bois, pour promouvoir également l'usage de leurs produits dans des bâtiments, que ce soit à New York ou à Boston. Je suis au courant de projets un peu partout aux États-Unis qui utilisent du bois, notamment dans la construction d’hôtels. Ils sont également en train de renouveler leur code du bâtiment pour intégrer le bois dans les constructions en hauteur. Cela se fait dans plusieurs États. Ils doivent faire face à une féroce opposition des groupes de lobbyistes de l’acier et du béton, mais les projets progressent très bien.

Le sénateur Dagenais : On sait que le gouvernement du Québec a beaucoup subventionné une cimenterie dans la région de la Gaspésie. À l’heure actuelle, les gouvernements, autant fédéral que provinciaux, tiennent un discours fondé sur l’écologie, les changements climatiques et les gaz à effet de serre. C’est bien d’en parler, mais il faut obtenir des résultats. Avez-vous du soutien de la part des différents ordres de gouvernement?

M. Beaulieu : Oui, nous avons le soutien du gouvernement fédéral par l’entremise d’un programme qui est piloté et géré par Ressources naturelles Canada pour le développement de marchés canadiens, donc l’utilisation du bois dans d’autres secteurs que les maisons unifamiliales. Nous bénéficions également d’un soutien continu de la part du gouvernement du Québec. Je ne critiquerai pas le projet de la cimenterie en Gaspésie. Je suis Gaspésien d’origine, et je n’ai pas l’intention d’ouvrir le débat à ce sujet. Cependant, je concentre mes efforts sur la formation pour faire en sorte que mon équipe soit appuyée afin d’intégrer le bois et d’en optimiser l’utilisation dans la construction pour les années à venir. Oui, nous recevons du soutien. On vient de signer une entente avec la Fédération des municipalités du Québec pour créer des guides afin que les bâtiments municipaux soient davantage en bois, ce qui est une très bonne nouvelle. Les municipalités du Québec ont signé la Charte du bois. Elles veulent intégrer davantage le bois qui pousse dans la cour arrière de leurs résidences.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Beaulieu.

La sénatrice Petitclerc : D’abord, merci de votre témoignage, qui est à la fois pertinent et intéressant. Vous avez parlé de l’analyse de cycle de vie. Vous avez dit qu’il serait intéressant d’évaluer l’empreinte environnementale, je présume, lorsqu’on demande des subventions et qu'on lance des appels d’offres. Est-ce qu’il y a un mouvement pour que cela se fasse où on pourrait accorder la priorité à certains projets qui ont une empreinte écologique plus intéressante, ce qui pourrait être un avantage?

M. Beaulieu : Cela se fait, en tout ou en partie, selon les projets. Cela peut se faire. D’ailleurs, cela s’est déjà fait dans certains bâtiments après coup. On est venu mesurer l’empreinte environnementale des bâtiments. Dans ma présentation, j’ai parlé de revoir les indicateurs de performance en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’empreintes environnementales liées au chauffage ou à l’entretien d’un bâtiment. Il faudra prévoir moins d’analyses de cycle de vie si on est en mesure de dire aux professionnels qu’ils doivent respecter la cible sur la durée de vie du bâtiment en termes d’émissions de gaz à effet de serre et atteindre une performance sur le plan de l’efficacité énergétique avant même de déposer un projet. On pourra continuer à documenter l’analyse de cycle de vie pour l’utilisation de produits et de matériaux les plus performants. L’exercice peut être fait pour nous permettre de distinguer des produits ou des bâtiments. L’idéal serait de faire en sorte que le cadre normatif évolue pour établir des indicateurs de performance que les professionnels pourraient suivre.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Merci de nous avoir présenté votre exposé. Je suis contente d’entendre que les gens recommencent à utiliser le bois comme matériau de construction.

J’ai aussi trouvé réconfortant d’entendre que le fait de vivre dans un bâtiment en bois a des effets bénéfiques sur la santé. Les Premières Nations du Canada, dont je fais partie, savent que le bois a son propre esprit, et c’est ce qu’il projette. C’est aussi une ressource durable, pourvu que nous replantions les arbres manquants à cause de la déforestation. Il ne faut pas oublier le fait important que l’arbre est le poumon de notre mère la Terre.

Relativement à vos chartes, avez-vous consulté les Premières Nations en ce qui a trait à la promotion du bois comme matériau de construction? Il me semble que l’exploitation des ressources naturelles, que ce soit les ressources minières ou pétrolières, suscite énormément de — disons — controverse entre les Premières Nations et le reste du Canada. Je voulais savoir si vous aviez mené des consultations.

Un autre point que je veux aborder est le transport des matériaux à l’extérieur ou sur — lorsque les ressources s’y trouvent — les terres des Premières Nations. Quelle est l’empreinte écologique liée au transport? Les usines produisent-elles beaucoup de gaz à effet de serre?

[Français]

M. Beaulieu : En ce qui concerne les consultations avec les Premières Nations, définitivement, la responsabilité revient aux gouvernements des provinces de s’assurer de cela. Cependant, je peux vous assurer que notre organisation travaille en collaboration avec plusieurs promoteurs, y compris les Premières Nations qui choisissent le bois de façon naturelle. Je peux vous montrer plusieurs écoles des Premières Nations qui ont été construites et où le bois est très présent. Cela fait partie des prérequis qui sont donnés aux architectes et aux ingénieurs au moment de concevoir des bâtiments, comme des salles communautaires, des arénas et tout autre bâtiment.

En ce qui concerne l’empreinte écologique liée à l’exploitation forestière, plusieurs études ont été menées. Je pense que le Canada a fait figure de leader à l’échelle internationale grâce à ses programmes de reboisement et de protection des forêts naturelles, mais aussi dans le cadre de programmes de reboisement visant à assurer que le bois revienne. Je n’ai pas en tête les statistiques, parce que je me concentre davantage sur le volet de la construction, mais je suis tout de même ingénieur forestier. Donc, je suis au courant de vos préoccupations, qui sont tout à fait légitimes. Bref, oui, nous menons des projets directement avec les Premières Nations où on nous demande que le bois soit utilisé dans la construction des bâtiments. Des écoles magnifiques ont été construites.

[Traduction]

La présidente : Merci, tout le monde. Nous avons atteint ce moment magique, la fin de notre heure très exactement, alors nous allons devoir arrêter les questions ici. Le sujet était très intéressant, à voir toutes les questions que vous avez posées. Je tiens à remercier notre témoin d’avoir été parmi nous aujourd’hui. Nous avons vraiment tenu une bonne séance.

Nous accueillons maintenant nos prochains témoins dans le cadre de notre nouvelle étude sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée du Canada peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux. Bienvenue aux témoins.

M. Chris White est président et chef de la direction du Conseil des viandes du Canada et M. John Masswohl est directeur, Relations gouvernementales et internationales de la Canadian Cattlemen’s Association.

Merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner. Comme vous avez pu le constater avec notre dernier groupe de témoins, les sénateurs ont beaucoup de questions aujourd’hui. Je vous inviterai donc à présenter vos exposés.

Commençons par la Canadian Cattlemen’s Association.

John Masswohl, directeur, Relations gouvernementales et internationales, Canadian Cattlemen’s Association : Bonjour. Je suis heureux d’être ici à nouveau. Merci de l’invitation. Je remarque qu’il y a de nouveaux visages, de nouveaux sénateurs. C’est un plaisir de pouvoir témoigner.

L’objet de votre étude est une question brûlante d’actualité pour nous. Comment pouvons-nous être plus compétitifs? Relativement aux marchés internationaux — je crois avoir déjà mentionné cela dans le passé —, les exportations sont vitales pour l’industrie du bœuf. Nous nous occupons de l’élevage, puis nous vendons les animaux aux membres du Conseil des viandes du Canada, qui se chargent de les dépecer. Si nous voulons obtenir le prix optimal, chaque partie doit pouvoir être vendue à l’acheteur qui est prêt à payer le plus cher.

La plupart du temps, cet acheteur ne se trouve pas au Canada. Réfléchissez à ce que les Canadiens aiment manger: les Canadiens raffolent des steaks, des rôtis et des hamburgers. Ils sont moins friands des poumons, des reins, du foie et de toutes les autres parties de l’animal qui ont pourtant une grande valeur. Un exemple que j’utilise souvent est celui des langues. Si les membres du Conseil des viandes devaient vendre seulement les langues au Canada, le produit finirait en grande partie dans les aliments pour animaux de compagnie, et le prix tournerait autour de 20 ou 30 ¢ la livre. Au Japon, le prix est de 5 ou 6 $ la livre, et une langue de bœuf peut peser entre quatre et six livres. Le calcul est simple pour comparer la valeur ajoutée.

C’est extrêmement important pour nous d’avoir accès à ces possibilités. Nous avons réussi à accéder à d’autres marchés, et je dirais que la situation semble assez positive. Donc, premièrement, il faut favoriser l’accès aux marchés internationaux, ce qui suppose d’éliminer les obstacles tarifaires et non tarifaires. Si on se fie au volume en tonnes, l’année qui vient de s’écouler a été l’une de nos plus prospères. Nous avons expédié près de 380 000 tonnes, du jamais vu depuis 2010. Le bœuf transformé que nous avons expédié représentait une valeur de 2,41 milliards de dollars. C’était la meilleure année que nous ayons eue du côté de la valeur.

Nous avons déjà expédié davantage en tonnes dans le passé, mais la valeur n’a jamais été aussi grande. Cela veut dire que nous obtenons un prix plus élevé par livre de bœuf vendue. Nous espérons donc que cette tendance positive va se poursuivre.

Je vais maintenant vous parler des pays qui importent notre bœuf. L’année dernière, 94 p. 100 de nos exportations étaient destinées à cinq marchés. Les États-Unis comptent pour 74 p. 100 des exportations, ce qui correspond à leur proportion habituelle de 70 à 75 p. 100. La Chine continentale et Hong Kong représentaient, ensemble, tout juste en dessous de 200 millions, ou 8 p. 100. Le Japon, le Mexique et la Corée du Sud représentaient 7 p. 100, 4,5 p. 100 et 1,2 p. 100 respectivement.

Donc, nos exportations vont en grande partie vers ces marchés. Nous avons tout de même eu une croissance rapide de nos sixième et septième marchés, Taïwan et les Philippines, ce qui prouve qu’il y a d’autres occasions à saisir.

Nous voyons d’un très bon œil certaines des possibilités qui s’offriront à nous dans le cadre de l’Accord économique et commercial global, ou AECG. Il y a tout de même quelques problèmes qu’il faut régler. Nous devons déployer des efforts sur trois fronts: premièrement, nous devons accroître la demande sur le marché européen. Canada Beef, une de nos organisations partenaires, fait la promotion du bœuf canadien. Il y a aussi certaines questions qu’il faut régler par rapport à la réglementation en vigueur dans l’Union européenne. Deuxièmement, il faut augmenter l’offre. C’est principalement sur ce front que nous intervenons. Nous savons que l’élevage du bœuf doit se faire un peu différemment pour les marchés européens. Cela coûte un peu plus cher, et il faut les garder séparés du reste du troupeau, mais il semble que ce soit rentable au bout du compte.

En moyenne, le prix au kilo pour les exportations vers l’Union européenne se situe à un peu plus de 15 $. L’année dernière, c’était 15,78 $. Il s’agit tout de même d’un petit marché, tout juste moins de 500 tonnes. En comparaison du marché suivant en importance, la Chine, les exportations vers le marché chinois étaient de 10,61 $ le kilo et de 7,30 $ le kilo vers Hong Kong. Vers les autres principaux marchés que j’ai mentionnés, le prix tourne autour de 6 $ et 6,70 $. Les membres du Conseil des viandes doivent examiner les prix à la livre avant d’exporter dans le monde entier.

Donc, voilà les marchés que nous ciblons. Bien sûr, nous nous intéressons aussi de près aux négociations de l’ALENA. Nous ne devons pas perdre notre accès au marché qui représente 74 p. 100 de nos exportations. Jusqu’ici, je n’ai pas mentionné les exportations de bovins vivants. Habituellement, nous exportons chaque année plus d’un million de bêtes vers les États-Unis. Je crois qu’en 2016, les exportations de bovins vivants vers les États-Unis représentaient 1,3 milliard de dollars.

L’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste est une occasion en or pour nous d’obtenir un tarif préférentiel très important, surtout que les États-Unis sont exclus de l’accord pour l’instant. Actuellement, on parle d’un tarif de 38,5 p. 100. Nos compétiteurs australiens ont déjà conclu un accord avec le Japon pour 26 p. 100. Nous encourageons donc fortement le gouvernement à présenter à la Chambre un projet de loi, puis à l’acheminer rapidement au Sénat afin que nous puissions, dès le premier jour de l’entrée en vigueur du PTPGP avoir un accès tarifaire égal à celui que l’Australie a déjà avec le Japon, sans parler, bien sûr, de l’avantage que nous aurons sur nos concurrents américains.

On entend souvent les éleveurs de bovins dire : « Nos troupeaux de bovins sont en baisse. Où allons-nous devoir chercher le bœuf? » À cela, je réponds que si les membres du Conseil des viandes ont accès à de meilleures possibilités, ils pourraient prendre le million de bêtes exportées vers les États-Unis et les exporter à la place à un tarif avantageux vers le Japon, qui est prêt à payer davantage pour les bovins. Cela vient ajouter de la valeur au marché canadien et stimule la création d’emplois. Voilà donc ce que nous pouvons tirer des accords commerciaux.

Nous avons aussi d’autres priorités en plus de la concurrence commerciale, soit la recherche et l’innovation. Nos grappes scientifiques sur le bœuf ont déjà entrepris un certain nombre de projets de recherche. Nous avons deux grappes efficaces qui mènent des activités depuis de nombreuses années, et nous avons présenté une demande au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire afin d’établir une troisième grappe. Si la demande est acceptée, l’investissement fédéral sera porté à environ 21 millions de dollars.

Nous investissons également notre propre argent. Pour chaque animal vendu au Canada, nous percevons une contribution dont une partie va à la recherche. Nous envisageons présentement d’augmenter le montant de la contribution afin de pouvoir investir davantage d’argent dans les projets de recherche et d’innovation. Les domaines qui nous intéressent concernent l’amélioration de l’efficience, le fourrage, les projets de santé animale, l’amélioration génétique, la qualité du bœuf, la salubrité alimentaire et le comportement animal relativement à l’élevage.

Nous pouvons facilement affirmer qu’un bon nombre de ces projets ont comme objectif d’accroître la durabilité de la production bovine et de protéger l’environnement. C’est effectivement le cas pour beaucoup d’entre eux. En outre, je dirais que c’est une heureuse coïncidence — j’irais jusqu’à dire que c’est une relation symbiotique — que ce qui est bon pour l’environnement est également bon pour les éleveurs de bétail. En prenant soin de la terre, nous prenons soin du bétail. Nous pouvons élever du bétail en bonne santé qui se développe rapidement. Les animaux malades ont une empreinte écologique importante relativement aux gaz à effet de serre. Nous ne voulons pas d’animaux malades. Nous voulons des animaux en bonne santé et de bonne taille.

Comme je l’ai mentionné, certains de nos projets avaient pour objectif d’élever davantage de bœuf tout en utilisant les ressources de façon plus efficiente. C’est ce qui est arrivé. Nous avons examiné les données que nous avons recueillies dans le passé, et il semble que de 1981 à 2011, nous avons réussi à réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production bovine canadienne de 15 p. 100.

Les Nations Unies ont étudié l’impact de la production bovine sur l’émission de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, et il a été conclu que la production bovine dans son ensemble produit environ 14 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ou du moins, elle y contribue à cette hauteur. À l’échelle nationale, toutefois, l’empreinte au Canada est égale à moins de la moitié de la moyenne mondiale. À l’inverse, les empreintes de pays comme l’Inde, la Chine et quelques autres dépassent largement la moyenne mondiale.

Nous, nous avons choisi de protéger l’environnement. Nous avons accès à des prairies naturelles, des millions d’acres de prairies. Si nous voulons protéger l’environnement, il faut tirer parti des prairies naturelles. Il faut qu’elles demeurent comme elles le sont; il ne faut pas les labourer pour semer des cultures. Nous devons conserver ces habitats fauniques naturels pour qu’ils continuent à séquestrer du carbone. Avant que nous arrivions avec nos élevages de bétail, ces prairies étaient occupées par des troupeaux de bisons qui faisaient exactement la même chose que le bovin actuellement. Il y a un équilibre naturel, entre ces animaux et ces endroits.

La dernière chose que je veux dire avant de céder la parole à Chris concerne une question qui nous préoccupe tous les deux: le manque de main-d’œuvre au Canada et dans le domaine de l’agriculture. Nous avons essayé d’engager des gens, autant pour le travail sur les exploitations agricoles que dans les usines de transformation de la viande des membres du Conseil des viandes. Nous avons déployé des efforts sans relâche, mais en vain. Il est absolument essentiel pour nous d’avoir une stratégie en matière de main-d’œuvre. Nous avons soumis des stratégies par le passé. Un programme pour les travailleurs étrangers comme le Programme des travailleurs étrangers temporaires, que nous appuyons fortement, doit en faire partie de façon prédominante.

Sur ce, je vais céder la parole. Merci.

[Français]

Chris White, président et chef de la direction, Conseil des viandes du Canada : Je suis heureux d’être parmi vous ce matin. M. John Masswohl et moi travaillons ensemble de façon étroite, parce que bon nombre des activités de John et de ses collègues touchent nos gens tous les jours.

J’aimerais parler brièvement de ce que nous faisons dans notre environnement et, plus spécifiquement, vous entretenir de trois ou quatre exemples.

[Traduction]

Le Conseil des viandes du Canada existe depuis tout juste moins de 100 ans. Nous allons célébrer notre 100e anniversaire en 2019. Nous représentons les emballeurs et les transformateurs de viandes.

Ce que je trouve particulièrement intéressant, c’est le fait que, dans la chaîne d’approvisionnement que John a mentionnée, on peut voir qu’il y a une continuité par rapport au produit, de l’éleveur jusqu’à l’usine, puis ensuite il est exporté et importé. Je ne suis pas dans l’industrie depuis longtemps, et je ne m’étais jamais rendu compte avant du niveau d’intégration. Selon moi, il est très important que les sénateurs et les députés comprennent à quel point les industries sont liées et connectées. Ce qui arrive aux élevages, comme John l’a mentionné, a un impact sur la valeur du produit transformé. Quand John et moi sommes allés à l’étranger, nous avons voulu faire comprendre aux représentants dans les ambassades et les hauts commissariats à quel point la chaîne d’approvisionnement est intégrée au Canada. Pour être honnête, c’est un modèle pour le monde entier.

Brièvement, voici quelques chiffres pour situer tout cela en contexte. La chaîne d’approvisionnement de la viande rouge canadienne contribue à hauteur de plus de 20 milliards de dollars au PIB du Canada et crée plus de 288 000 emplois au Canada. Notre secteur représente plus de 6 milliards de dollars en exportations.

Les produits canadiens sont de haute qualité. Si le Canada a un avantage considérable sur de nombreux autres pays et régions administratives où nous faisons affaire, c’est à cause de l’incroyable réputation de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’ACIA. Les normes et les exigences qu’elle impose à notre secteur ont une importance capitale pour notre capacité d’exportation.

Pour être parfaitement honnête, l’ACIA peut être une source de frustration quotidienne pour nos membres. En même temps, même lorsque certains de nos membres m’appellent pour se plaindre de l’ACIA, ils ne voudraient pour rien au monde, si vous leur posez la question, que l’ACIA disparaisse. Nous avons une relation amour-haine classique avec l’agence, mais le travail qu’elle accomplit est essentiel à la réussite de notre industrie, et nous sommes très avantagés par sa présence.

Le PTPGP que John a mentionné plus tôt est aussi très important, tout comme le reste des accords qui nous concernent: l’AECG, l’ALENA et le Traité d’Asunción.

John a survolé ce point précédemment, mais je veux vraiment insister sur le fait que si nous n’adoptons pas de loi rapidement au sujet du PTPGP, nous allons sûrement perdre la capacité et les avantages concurrentiels que nous pourrions avoir. Les six pays qui ratifieront le plus rapidement cet accord vont avoir accès à des marchés qui seront fermés au Canada si nous attendons trop longtemps. Par exemple, lorsque John et moi avons été en compagnie d’autres personnes sur la Colline du Parlement, l’un des messages que nous avons voulu transmettre au ministre du Commerce international et au Cabinet du premier ministre est que plus rapidement une loi peut être présentée à la Chambre et au Sénat, plus rapidement l’industrie canadienne pourra en tirer parti.

Comme John l’a dit plus tôt, nous voulons avoir accès à ces marchés, en particulier le marché japonais. L’accord de libre-échange entre l’Australie et le Japon nous désavantage. Le PTPGP est l’une des façons dont nous pouvons remédier à la disparité tarifaire.

Encore une fois, il est impératif que vous fassiez tout en votre pouvoir pour encourager le gouvernement à présenter un projet de loi à la Chambre. La durée du processus nous préoccupe; vous allez bientôt ajourner pour l’été et ne serez pas de retour avant l’automne. En conséquence, nous ne verrons probablement pas de projet de loi adopté d’ici la fin de 2018-2019. À ce moment-là, qui sait comment les choses auront évolué. Étant donné la volatilité du gouvernement américain présentement, il est tout à fait possible que les Américains décident d’adhérer au PTP, ce qui mettrait un terme à la situation avantageuse dont jouit présentement le Canada.

Nous travaillons en très étroite collaboration avec toutes sortes de partenaires, et nous sommes encore en train d’envisager — et j’ai été nommé à mon poste il n’y a environ qu’un an — quelle proposition de valeur une organisation et une association comme le Conseil des viandes du Canada peuvent présenter au gouvernement ainsi qu’à d’autres associations commerciales. Nous tenons également à trouver des moyens d’optimiser nos activités nationales et internationales.

Avec nos membres, nous avons commencé à déployer des efforts sur deux fronts. Premièrement, il y a la question des travailleurs étrangers temporaires. Conformément à leur lettre de mandat, la ministre d’Emploi et Développement social Canada ainsi que le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, ont la responsabilité de trouver des solutions à ce chapitre. John a mentionné qu’il y avait une pénurie de travailleurs. Présentement, un grand nombre d’usines de transformation de la viande au Canada ne sont pas exploitées à plein régime parce qu’il y a une pénurie de travailleurs. Une partie du mécontentement tient au fait que, d’un côté, le ministre de l’Agriculture et le ministre du Commerce international semblent hautement en faveur d’un accès élargi aux marchés et de mesures pour que le maximum d’usines soit exploité à pleine capacité, mais, d’un autre côté, la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail et le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ont d’autres préoccupations à cause de leur mandat. Les choses ne sont pas aussi simples qu’on le souhaiterait.

Il y a du mécontentement dans l’industrie parce qu’on impose une cible de 75 milliards de dollars pour le secteur agricole, alors que les usines ne peuvent même pas être exploitées pleinement au quotidien parce qu’il n’y a pas assez de main-d’œuvre.

C’est encore pire si on se compare à d’autres pays comme les États-Unis, où la réglementation a été largement amputée et où on a accordé aux entreprises des réductions d’impôts. C’est préoccupant pour notre industrie, parce qu’il y a peu d’incitatifs à rester au Canada pour les usines dans les régions rurales près de la frontière américaine. Nous avons une réglementation plus exigeante, un taux d’imposition élevé, et pas de main-d’œuvre.

C’est pourquoi, lorsque je prends la parole devant le gouvernement et les décideurs, je leur demande de collaborer avec l’industrie afin de trouver des solutions. Nous ne voulons pas que les efforts du gouvernement se soldent par un échec. J’ai travaillé en politique, et je suis parfaitement au courant des difficultés que soulève le Programme des travailleurs étrangers temporaires pour le ministère de l’Emploi et du Développement social. Il demeure que, fondamentalement, les choses ne fonctionnent pas actuellement. Elles ne fonctionnent pas depuis près de 20 ans. Si on examine la question du point de vue de ce qui est avantageux pour l’économie canadienne, il est clair que nous avons besoin de ces usines; nous avons besoin des travailleurs étrangers, et si on ne trouve pas une façon de les amener au Canada et de leur offrir une façon de devenir résidents permanents, on court le risque que ces usines mettent la clé sous la porte.

En conséquence, les travailleurs canadiens vont perdre leur emploi. Il n’y a absolument aucun avantage pour l’économie canadienne. Nous essayons de trouver des solutions, et je dois dire que c’est probablement une des questions les plus difficiles à résoudre.

Un aspect plus important encore concerne la réglementation. Comme je l’ai déjà dit, d’après notre expérience avec l’ACIA et la réglementation qu’elle impose à notre industrie, il arrive que nos membres rouspètent, mais il n’y a pas vraiment de levée de boucliers parce qu’ils savent que l’approbation de l’ACIA leur ouvre toutes sortes de marchés étrangers. Sans ces marchés, il leur serait impossible de réaliser autant de profits ou même d’en avoir la possibilité.

Dans notre industrie — et je soupçonne que cela est vrai pour de nombreuses autres industries —, une difficulté est de traiter avec les États-Unis lorsqu’il est question de réglementation. Il serait très avantageux, à mesure que le processus se poursuit, que le gouvernement essaie d’harmoniser notre réglementation avec celle des Américains ou même de les imiter. Pour chaque disposition que vous voulez adopter, il faudrait en supprimer deux autres. C’est quelque chose à quoi il faut réfléchir si nous voulons continuer de concurrencer les Américains, parce qu’il est beaucoup plus facile pour eux d’exporter leurs produits.

J’étais à une discussion en groupe hier, et l’un des intervenants était Michael McCain. Il faisait partie du groupe, avec le chef de Loblaw et une autre entreprise. Ils discutaient du nouveau salaire minimum en Ontario. Il disait: « Je n’ai rien contre le salaire minimum de 15 $. Mais le gouvernement doit admettre que je suis en concurrence avec un État comme le Missouri où le salaire minimum est de 7 $. Donc, vous voulez que je le fasse, mais je dois affronter cette concurrence. »

Que peut-on faire? Comment peut-on régler ce problème?

Encore une fois, c’est en quelque sorte comparable à ce à quoi se heurte l’industrie au Canada maintenant que nous sommes en concurrence avec les États-Unis, puisque les marchés sur lesquels le Canada tente de faire entrer ses produits sont les mêmes que ceux où les Américains sont en concurrence. Mais avec ce que Trump a pu faire au Congrès concernant la diminution des taxes et du fardeau réglementaire, les États-Unis ont un avantage concurrentiel que nous ne pouvons pas égaler à l’heure actuelle.

Lorsqu’on combine cette situation au manque de travailleurs, c’est un véritable défi pour l’industrie canadienne.

La présidente : Formidable. Merci à vous. Vos exposés étaient excellents.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs, vous représentez une grande partie de l’économie canadienne.

J’ai quelques questions simples. La qualité des exportateurs de viande canadienne est très reconnue partout dans le monde. Êtes-vous assujettis aux dispositions sur la traçabilité?

[Traduction]

M. Masswohl : Nous avons entrepris un projet de près de 20 ans pour améliorer la traçabilité des bovins au Canada. Tout a commencé avec l’identification du bétail, l’étiquetage du bétail et l’établissement d’une base de données. Puis, nous sommes passés des étiquettes à code à barres à la radiofréquence. Ensuite, nous avons adopté des exigences en matière de déclaration, la déclaration des déplacements.

Nous essayons maintenant de travailler avec l’Association canadienne d’inspection des aliments afin d’assurer une traçabilité complète. Nous avons présenté un plan de mise en œuvre lié au bétail, qui est notre plan de traçabilité. En 2012, nous nous sommes entendus là-dessus avec l’industrie du bœuf, l’industrie bovine, les gouvernements provinciaux de même que l’ACIA, et nous collaborons et négocions avec cette dernière depuis pour le mettre en œuvre.

Nous voulons tous y arriver. C’est une question de nuances. Cela s’inscrit vraiment dans le sujet de la présente discussion. La traçabilité est assurément un outil vital qui peut nous aider et aider nos consommateurs à avoir davantage confiance en nos produits, mais il faut trouver le juste équilibre entre ses avantages et le coût lié à la conformité.

Les gens de l’ACIA pensent parfois que, si une chose est bonne en petite quantité, elle doit être vraiment incroyable en grande quantité, mais ce n’est pas toujours le cas.

[Français]

Le sénateur Maltais : On sait que la Chine a levé l’interdiction il y a un ou deux ans quant à l’exportation du bœuf en carcasse. Avant, il fallait l’exporter débité, prêt à servir. Avez-vous constaté une amélioration dans vos activités d'exportation?

[Traduction]

M. White : Cette évolution est très encourageante. J’étais à Pékin l’automne dernier lorsque nous avons négocié cela.

Un des changements depuis novembre, c’est que plus d’usines ont été ajoutées à la liste relative à la capacité d’exporter.

Nous nous attendons à ce qu’il y ait une amélioration, sénateur. En réalité, comme cela vient tout juste d’arriver, que ces usines ont commencé à faire partie de la liste, rien ne s’est vraiment amélioré, mais ça viendra.

[Français]

Le sénateur Maltais : D’accord.

Je reviens à l’AECG avec la communauté européenne. Comme ça commence, on ne peut pas avoir de résultats dans l'immédiat. Je me suis intéressé à ce traité de libre-échange et, dans plusieurs pays que j’ai visités, j’ai senti une certaine réticence, particulièrement de la France, à l’arrivée du bœuf canadien.

Je vous présente l'explication qu’on m’a donnée. On me dit que le bœuf canadien, surtout le bœuf Angus, a une réputation internationale. C’est le bœuf le mieux coté, je crois, en Amérique et même en Europe. Il y a eu une guerre entre le consommateur et le restaurateur. On sait que les Européens prennent beaucoup plus de repas au restaurant que nous. Nous prenons les repas que nous sommes obligés de prendre au restaurant, mais les autres, nous les prenons à la maison. En raison du prix du bœuf canadien, le restaurateur aura le choix entre deux filets mignons; il y en aura un à 8 € et celui qui est canadien coûtera 12 €. La demande est plus forte pour le filet canadien à 12 €. Donc, les restaurateurs ont une marge de profits moins élevée sur le repas. S’ils le vendent 12 €, ils auront payé 10 ou 11 €, alors que celui qui est vendu à 8 € aura été payé 3 ou 4 €.

Il y a une guerre interne entre le consommateur et les restaurateurs. J’ai parlé à beaucoup de gens de la Chambre de commerce et à des regroupements de restaurateurs et de consommateurs qui, eux, réclament le bœuf canadien. C’est un dilemme. Le bœuf canadien coûte plus cher, mais il est de meilleure qualité. Entre une paire de souliers de 5 $ et une autre de 100 $, je pense que celle qui coûte 5 $ sera la moins bonne. Comment allez-vous ajuster vos prix en conséquence afin de conserver votre part d’exportation?

[Traduction]

M. Masswohl : Je crois que vous avez certainement mis le doigt sur certains des problèmes qui se posent dans le marché européen. Soyons honnêtes, les producteurs de bœuf français ne veulent pas voir le bœuf canadien sur leur marché. Ils ne veulent pas de concurrence. Nous avons tenté de faire en sorte que l’accord leur offre aussi des possibilités à cet égard.

J’ai mentionné les chiffres qui sont devant moi. Nous avons expédié un peu moins de 500 tonnes de bœuf canadien en Europe en 2017. L’accord n’est pas entré en vigueur avant septembre, et il faut un certain temps, je dirais donc que nous ne voyons pas encore les effets. Mais le Canada a ouvert ses marchés au bœuf européen à la fin de 2015, et 1 700 tonnes de bœuf européen sont entrées au Canada en 2016, il y en a eu 2 800 tonnes en 2017, et les chiffres montrent déjà une augmentation pour 2018.

Nous devons faire en sorte que ce soit équitable des deux côtés. En vertu de l’AECG, l’Europe aura un accès en franchise de droits illimité pour son bœuf sur le marché canadien. Avant l’AECG, l’Europe était soumise à un quota, et maintenant, elle bénéficie d’un accès illimité en franchise de droits.

Au titre de l’AECG, nous sommes soumis à un quota. Nous aurons un accès pour 50 000 tonnes de bœuf canadien, réservé uniquement pour le Canada, de même qu’un accès à certains quotas qui sont ouverts à d’autres pays également. Si on considère que les Européens mangent environ 8 millions de tonnes de bœuf par année — donc environ 500 millions de personnes mangent 800 millions de tonnes de bœuf par année, et nous avons un quota de 50 000 tonnes —, je ne pense pas qu’ils doivent s’inquiéter outre mesure des volumes que nous allons expédier. Nous en sommes à 500 pour le moment, et le quota de 50 000 tonnes n’est pas appliqué tout de suite. Il sera graduellement introduit sur un certain nombre d’années.

En ce qui concerne la qualité, j’ai mangé dans de nombreux restaurants européens, et j’ai confiance en notre capacité de soutenir la concurrence avec la qualité du bœuf canadien. Le cheptel canadien est largement constitué de races d’Europe du Nord, notamment des bœufs Angus, Hereford, Charolais, Simmental et Limousin. Nous avons ici beaucoup de races bien connues en Europe.

Au cours des 50 dernières années, nous avons fait beaucoup plus de croisements. Nous avons pris des races anglaises reconnues pour leur très bon persillage, mais qui sont assez petites, et nous avons pris des races françaises, qui sont connues pour être de grande taille. Donc, depuis de nombreuses décennies, nous avons été capables de créer un cheptel d’origine européenne au Canada qui est très différent de celui qu’on trouve en Europe actuellement.

Nous avons certains bons avantages. Nos projets de recherche nous ont aidés à ce chapitre. Nous voulons continuer d’améliorer notre efficience. Nous devrons produire ces bovins destinés à l’Europe sans hormones de croissance et sans technologies modernes qui sont bannies en Europe et qui ont été jugées illégales par l’OMC, mais nous le ferons. Si on nous paie, nous le ferons, mais il y a un prix à payer.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je reviens à ce point, car il est important. Auparavant, votre principal compétiteur était l’Écosse. La meilleure viande produite en Europe était celle de l’Écosse, et je crois que vous le savez. Avec le Brexit, les exportations de bœuf provenant de l’Écosse seront très limitées. N’est-ce pas là une ouverture pour le Canada, qui produit une viande de qualité comparable à celle de l’Écosse, sinon supérieure?

L’autre risque est lié au fait que d’anciens pays de l’Est font du dumping de bœuf, qui est d’une qualité qu’on pourrait qualifier d’ordinaire. N’est-ce pas là, encore une fois, une nouvelle ouverture vers l’Europe avec le Brexit? Vous êtes face à un compétiteur dont la viande n’est peut-être pas de qualité aussi bonne que la nôtre.

[Traduction]

M. White : En toute franchise, je crois que l’industrie cherche un marché d’exportation qui est disponible, car lorsque vous cherchez un endroit où faire de l’exportation, vous cherchez un endroit où vous pouvez le faire rapidement.

Sénateur, vous avez soulevé quelques très bons points. Le Canada possède un système de traçabilité qui le différencie de nombreux autres pays. Cela nous procure un avantage concurrentiel. Nous avons la marque de l’ACIA, ce qui nous confère une longueur d’avance. Et comme John l’a dit, la qualité de la viande est très bonne également.

Lorsque John, les autres et moi étions à l’Union européenne l’automne dernier pour militer en faveur de la signature de l’AECG au nom du Canada, corrigez-moi si je me trompe, John, mais nous avions l’impression que ce marché ne serait jamais considérable pour l’exportation canadienne en raison du quota limité et de certains autres enjeux. Nous cherchons d’autres marchés, mais en ce qui concerne le point qu’a soulevé John, nous n’allons pas nous retirer de ce marché, mais il y a d’autres marchés peut-être plus lucratifs que nous devons pénétrer, et la Chine en fait partie, c’est certain.

[Français]

Le sénateur Maltais : Mon dernier point s’adresse à vous, monsieur Masswohl. Le Canada a-t-il atteint sa capacité de production de bœuf?

[Traduction]

M. Masswohl : Absolument pas. Nous avons énormément de terres qui sont parfaites pour l’élevage du bétail. On élève habituellement le bétail sur des terres marginales, rocheuses et accidentées, ces terres que les gens croyaient trop difficiles à labourer ou peu productives. Grâce à la recherche moderne, nous constatons que de nouvelles cultures, comme le maïs et le canola, sont semées sur ce qui était autrefois des terres d’élevage marginales, mais si je regarde chaque région du pays, il y a une possibilité de production.

La vraie contrainte est la mentalité de l’éleveur de bétail, parce qu’il s’agit d’un investissement à long terme, et chaque agriculteur cherche à obtenir une terre et à optimiser le rendement de cette terre. Nous croyons que s’ils voient l’avenir et les possibilités qu’offrent les accords commerciaux, ils seront optimistes quant à l’accroissement du cheptel bovin au Canada.

Le sénateur R. Black : Sachant qu’il s’agit d’une discussion au sujet de la valeur ajoutée, et que vous avez mentionné que le nombre d’animaux d’élevage diminuait de façon générale, est-ce que le changement climatique va nous permettre d’augmenter ces nombres à l’échelle du Canada, ce qui nous permettra ensuite d’améliorer le potentiel de la production à valeur ajoutée?

M. Masswohl : Je suis heureux de voir un sénateur porter une cravate du Conseil des 4-H.

Je crois que les possibilités sont nombreuses. La préoccupation du grand public à l’égard du changement climatique et des gaz à effet de serre devrait les convaincre de choisir le bœuf canadien et de produire du bœuf au Canada. Je ne dis pas que nous sommes le seul pays à faire l’élevage du bœuf de manière durable. Chose certaine, il y en a d’autres qui déploient des efforts.

Mais si on est préoccupé par l’environnement et la protection des animaux, on devrait se sentir bien de manger du bœuf canadien, car nous devons souvent lutter contre le mythe voulant que manger du bœuf est mauvais pour l’environnement. Mais si on veut que la terre contribue positivement comme elle le devrait à l’environnement dans son ensemble, alors on devrait garder le bétail dans le pâturage et en avoir plus.

M. White : Chaque usine de transformation de la viande et chaque transformateur est pleinement conscient du fait que le gouvernement a mis en place des normes. Il existe des normes internationales qu’ils doivent respecter si nous voulons faire de l’exportation.

Si on regarde le travail effectué par les éleveurs, c’est révolutionnaire, et du côté du porc également. Nous représentons essentiellement le bœuf et le porc, donc tout le monde y est sensible.

La difficulté pour l’industrie tient au fait que, quand le gouvernement adopte des règlements concernant le changement climatique, je crois qu’il y a parfois de la frustration, car il y a un manque de consultation. Un jour c’est quelque chose, puis le jour suivant on croit que ce sera cela, mais on ne consulte pas assez les gens pour leur demander: « De quelle façon cela vous touchera-t-il? Quel serait un délai réaliste? Avec quelles normes internationales ou quels marchés êtes-vous en concurrence? De quoi s’agit-il? Êtes-vous désavantagé sur le plan de la concurrence? »

Personne ne dit qu’il ne veut pas le faire, mais y a-t-il une manière plus réfléchie de les adopter de sorte que l’industrie soit consultée et puisse jouer un plus grand rôle à la table? Je crois que les éleveurs ont fait un travail révolutionnaire, et vous verrez, comme cela a été le cas au cours des 10 dernières années, que l’industrie a diminué ses émissions, particulièrement dans certaines des usines que nous représentons. C’est une tendance qui devra se poursuivre, mais elle a une incidence sur les résultats également; la marge de profit est plutôt mince. Les possibilités commerciales sont primordiales, mais nous avons besoin de trouver des travailleurs, et nous devons examiner également certaines pertes du point de vue réglementaire.

Le sénateur Oh : Messieurs, merci pour ces précieux renseignements. L’un de vos diagrammes dit que la Chine peut payer pour du bœuf de qualité supérieure. J’ai reçu de l’information au sujet de la promotion du bœuf en Chine. Vous faites un excellent travail — ou quelqu’un en Chine fait un travail fantastique — pour promouvoir le bœuf de qualité supérieure en ce qui a trait aux exportations de bœuf canadien.

La valeur ajoutée est étroitement liée à l’innovation et aux nouvelles idées. Avec l’aide de la technologie de la chaîne de blocs, qui est difficile à trafiquer, l’entreprise chinoise de commerce électronique JD.com a permis aux consommateurs de consulter l’historique détaillé de leur pièce de viande, de la naissance de la vache jusqu’à son alimentation. Cette méthode fonctionne pour les producteurs de bœuf australiens.

Utilisez-vous la technologie de la chaîne de blocs pour suivre la production du bœuf congelé?

La chaîne de blocs a servi à faire du commerce dans d’autres marchés, notamment la vente d’huile de canola à la Chine. Est-ce que le Conseil des viandes du Canada et l’Association canadienne des éleveurs ont commencé à faire du commerce à l’aide de la chaîne de blocs?

M. Masswohl : Tout d’abord, je sais qu’il y a des gens beaucoup plus intelligents que moi qui comprennent ces technologies beaucoup mieux que moi, mais je suis très conscient qu’on parle de la chaîne de blocs. D’un point de vue plus générique, j’ai mentionné que notre capacité d’identifier et de suivre le bétail s’était considérablement améliorée au cours des 15 à 20 dernières années. Nous arrivons à faire des choses aujourd’hui que nous ne pouvions pas faire il y a cinq ans, et nous savons que dans cinq ans, nous ferons des choses qui nous inquiètent beaucoup aujourd’hui.

Je crois que notre approche avec l’ACIA — et tout le monde est d’accord avec cela — consiste à faire tout ce que nous pouvons avec la technologie pour assurer l’amélioration et l’exhaustivité de la déclaration des déplacements et la traçabilité. Puis, nous nous repencherons sur la question lorsque la réglementation sera en place depuis environ trois ans, et nous verrons ce que nous pouvons faire de plus et de quelle manière la technologie évolue.

C’est une occasion formidable, et cela fera probablement partie de ce qui sera mis en œuvre.

M. White : Lorsque nous regardons certaines des entreprises que nous représentons, nous voyons qu’elles essaient de comprendre. La diversité est grande; nous avons de petits élevages et de grands élevages. Pour les grands élevages, cela fait vraiment partie de leur processus de réflexion, car ils cherchent à accroître l’efficience et à diminuer leurs coûts. Les gains d’efficience ne se rapportent pas seulement à la façon de livrer le produit, mais aussi à la vitesse à laquelle ils peuvent le livrer.

Ce sont des choses qu’ils examinent.

Ils examinent aussi les pratiques exemplaires à l’échelle internationale. Nous avons une usine en périphérie de Calgary qui est fondée sur le modèle européen, puisque c’est là que se trouve le marché. Chaque usine veut être efficiente et comprendre ce qui se passe et ce que font les usines à l’étranger afin de se servir de ces pratiques exemplaires ou, dans le cas d’une chaîne de blocs, de s’appuyer sur cela pour rendre leur processus plus efficient.

Le sénateur Oh : En Chine, vous pouvez utiliser une application lorsque vous faites vos achats au supermarché. Vous numérisez le produit, et vous connaissez le pedigree du bœuf ou de la tranche de bœuf.

M. Masswohl : Nous voulons nous assurer de réellement pouvoir tenir nos promesses. Nous entendons des histoires à propos de ce qu’offrent certains détaillants, mais parfois, nous ne sommes pas tout à fait certains de ce qui est livré.

M. White : Il y a deux semaines, John et moi-même étions à une réunion avec Paul Glover, le président de l’ACIA, et certains de ses hauts fonctionnaires, et la traçabilité était au cœur de la discussion. C’est primordial pour l’industrie. Si quelque chose tourne mal, l’industrie tout entière subirait des torts irréparables, il est donc essentiel que tout le monde ait une idée claire de l’origine du produit et sache que celle-ci peut être retracée.

D’après ce dont nous avons convenu avec l’ACIA, nous travaillerons avec le vétérinaire en chef sur un projet pilote pour nous assurer qu’il y a une considération liée au capital en plus de la traçabilité. Il y avait une sorte de décalage entre le gouvernement et l’industrie. Par cela, j’entends que tout le monde était d’accord pour dire que la traçabilité était très importante, mais le problème résidait dans la valeur en capital de la traçabilité. John peut m’interrompre s’il croit que je me trompe, mais l’ACIA supposait en quelque sorte que la traçabilité était un aspect pour lequel l’industrie devrait payer, puisque cela lui donne une longueur d’avance sur la scène internationale. Du point de vue de l’industrie, la traçabilité ne présente aucun avantage concurrentiel dans la mesure où d’autres administrations ne l’ont pas nécessairement; donc, même si nous croyons que c’est important et que nous la préconisons, il est un peu fautif de penser qu’il y a un capital ou un avantage concurrentiel associé au fait de marquer nos produits à l’échelle internationale. Comme je l’ai dit, certaines administrations n’assurent pas la traçabilité du tout et ne voient pas du tout cela comme quelque chose pour lequel les consommateurs ou elles-mêmes devraient payer.

Est-ce juste?

M. Masswohl : Oui. Souvent, dans le cadre du processus d’élaboration de la réglementation, on ne prête pas assez attention aux répercussions sur la concurrence et à la manière dont l’industrie exerce ses activités. Nous avons invité de très hauts fonctionnaires de l’ACIA et les gens qui travaillent sur ce projet de traçabilité à venir voir de quelle manière fonctionne un marché d’enchères de bétail durant la période la plus occupée de l’année. Il ne faut pas établir un système fondé sur la façon dont fonctionnent les choses 40 semaines par année. Nous avons un petit créneau durant l’automne — nous l’appelons la campagne d’automne — pendant lequel environ 80 p. 100 du bétail est déplacé en très peu de temps. Le bétail est déplacé dans des régions rurales où Internet et la transmission de données mobiles ne sont pas très efficaces. Si les bovins doivent rester là, qu’il faut lire et relire l’information et attendre la transmission des données, ils perdront du poids. C’est de l’argent en moins pour les producteurs.

Nous avons donc besoin d’un outil qui nous rendra plus concurrentiels mondialement. L’avantage concurrentiel doit représenter plus que le coût de la conformité, et c’est le juste équilibre que nous essayons d’atteindre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités.

Monsieur Masswohl, je veux revenir sur l’exportation du bétail en Asie. Notre comité a fait une visite en Chine il y a deux ans, et on comprend que les Chinois sont maintenant plus ouverts à la consommation du bœuf.

Vous avez mentionné dans votre présentation un prix d’environ 6 $ le kilo en Asie. Étant donné tous les intervenants impliqués, à savoir les transformateurs, les vendeurs et les livreurs de ce produit tout de même périssable sur une longue distance, croyez-vous que nous pourrions orienter nos efforts vers des pays plus proches, tels les États-Unis et le Mexique?

[Traduction]

M. Masswohl : Il y a toujours plus. En définitive, nous essayons toujours de vendre chaque morceau au consommateur qui paiera le plus cher. Les Américains paient environ 6 $ un kilo en moyenne. Vous avez parlé de la Chine, et le prix qu’on paie dans ce pays pour du bœuf de grande qualité, c’est un peu moins de 11 $ le kilo. Nous n’avons tout de même pas accès au marché chinois pour du bœuf frais, et c’est là que nous trouverons de bonnes marges de profit et des revenus intéressants.

Les distances ne nous préoccupent pas autant. Je crois comprendre qu’il y aura bientôt une nouvelle ligne aérienne directe entre Edmonton et Pékin. Il y a les déplacements par avion et même par navire. Chris vous parlera probablement des progrès réalisés au chapitre de la salubrité alimentaire et de l’emballage auprès de ses clients. En fait, lorsque nous expédions un produit frais dans ce que nous appelons un sac cryovac — le produit est scellé sous vide dans un emballage de plastique résistant —, le bœuf, lorsqu’il est à bord du navire, vieillit, et c’est en fait très bénéfique pour la qualité. Lorsque le produit arrive, il est un peu plus âgé. Le trajet fait partie du processus.

Nous pouvons faire davantage avec la Chine. J’avais un diagramme avec moi. Il doit être dans les documents distribués, mais cela représente nos exportations à Hong Kong et à Macao. Vous pouvez voir la croissance, après la crise de l’ESB en 2003, lorsque le marché a commencé à rouvrir. Nous sommes retournés à Hong Kong et à Macao, qui sont devenus de très bons marchés pour nous. La Chine a ouvert le marché en 2012, et notre commerce avec la Chine s’est amélioré d’année en année.

Et nous savons que nous pourrons faire encore plus lorsque nous obtiendrons l’accès pour des produits frais et que Chris et ses membres recevront l’approbation pour l’exportation en Chine. Le marché chinois offre beaucoup d’avantages, et on paie cher la livre dans ce marché. Nous voulons tous les consommateurs, mais nous voulons ceux qui veulent payer plus pour le produit.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur White, vous avez parlé, entre autres, des avantages fiscaux et réglementaires des Américains, ce qui pourrait peut-être nous faire perdre des emplois. Devant la politique protectionniste du nouveau président américain, on ne se dit pas que les choses pourraient être pires, mais que les prix pourraient augmenter. Avez-vous déterminé les endroits où nous sommes plus vulnérables par rapport à nos voisins américains en ce qui a trait au commerce? Dans quels secteurs de l’agroalimentaire et dans quelles régions du pays pourrait-on être plus vulnérables à la suite des décisions de nos voisins américains?

[Traduction]

M. White : Nous pensons qu’il y a une certaine vulnérabilité du côté des usines situées assez près de la frontière américaine, certaines des usines en milieu rural. Comme je l’ai dit plus tôt, ce qui est préoccupant, c’est le fait que, si je suis une usine de transformation de la viande, que j’examine mes marges de profit et que je me penche sur certaines des difficultés que j’éprouve, qu’est-ce qui m’incite à rester du côté canadien plutôt que de fermer l’usine et de me rendre à 100 milles de l’autre côté de la frontière, où je sais qu’on m’offrira peut-être un incitatif au déplacement? Et une fois là-bas, je n’aurai pas les mêmes problèmes de main-d’œuvre qu’au Canada. Je n’aurai pas le fardeau réglementaire du Canada, et le taux d’imposition est plus faible. Voilà donc les difficultés.

Je ne veux pas cibler précisément une usine ou une autre, mais si vous regardez la carte du Canada et que vous regardez où sont situées certaines de ces usines, on comprend rapidement que, si les choses continuent telles qu’elles sont, les gens d’affaires y penseront. Lorsqu’on regarde certaines histoires dans les journaux au sujet de l’exode des cerveaux américains au profit du Canada depuis les 12 à 18 derniers mois, nous ne craignons pas l’inverse. Nous savons que, pendant que l’économie américaine fonctionne et qu’elle se porte très bien, il y a toujours ces ouvertures pour les entreprises canadiennes. C’est ce qui me préoccupe, sénateur. Celles qui sont près de la frontière américaine.

La sénatrice Petitclerc : Ce que je comprends, c’est que notre plus grand avantage concurrentiel réside dans la qualité supérieure du produit et la confiance à son égard. Vous venez tout juste d’en parler et vous en avez parlé un peu plus tôt. Nous nous heurtons à des problèmes lorsqu’il est question de main-d’œuvre, de réglementation et de salaire minimum. Selon moi, en raison de notre identité en tant que pays, je suis certaine que nous pouvons et devrions améliorer la situation. Quand je pense au salaire minimum, je crois que nous ne serons jamais aussi concurrentiels que de nombreux pays, et, personnellement, je ne pense pas que nous voulons en arriver là.

Puis, je regarde aussi les tendances, et je suis convaincue que vous attendez que le nouveau guide alimentaire fasse son entrée au Canada et recommande la qualité plutôt que la quantité. L’Organisation mondiale de la Santé recommande aussi de limiter les portions, mais d’accorder de l’importance à la qualité.

Diriez-vous que, compte tenu de ces tendances et de notre identité, la qualité est notre force et notre avantage concurrentiel? Si c’est le cas, dans quelle mesure réussissons-nous à faire part de cet avantage concurrentiel et peut-être même à le promouvoir?

M. White : Je crois qu’il y a deux dimensions. Chose certaine, la qualité en est une, mais il y a aussi l’innocuité du produit. Ces deux avantages constituent également les plus grands défis de l’industrie. Comme je l’ai dit, tous les membres sont exaspérés par l’ACIA, mais aucun membre ne voudrait se débarrasser d’elle. Comment trouver ce juste équilibre? Pour être juste envers l’ACIA, elle fait de son mieux, car elle subit beaucoup de pression. Il suffit d’un seul incident pour que toute la chaîne alimentaire soit menacée et que la marque canadienne devienne suspecte.

Il y a donc cet aspect. En ce qui concerne le travail que fait Santé Canada au chapitre de l’étiquetage frontal, lorsque les études sont sorties, elles montraient que les Canadiens ont une consommation de viande modérée. Et comme la viande qu’ils ingèrent est de bonne qualité, nous n’avons pas les mêmes problèmes que certaines administrations où la qualité de la viande n’est pas très bonne et la consommation est importante. Il faut trouver le juste équilibre.

L’aspect que le gouvernement pourrait améliorer concerne les types de rapports publiés qui sont souvent sinistres et qui comportent de beaux discours, ce serait utile que le gouvernement dise: « Tout compte fait, les Canadiens ont une consommation modérée, et nous en sommes ravis. L’industrie fait un bon travail en s’assurant que la qualité de la viande est très bonne », ce genre de choses. Ce que j’ai remarqué durant l’année où j’ai occupé le poste, on n’a pas tendance à faire ça. Bien souvent, tout ce qu’entendent les consommateurs c’est: « C’est très mauvais. » Pour ceux qui sont quelque peu profanes dans l’industrie, comment peut-on concilier ce que nous dit le gouvernement et ce qu’on entend tout en nous assurant que nos enfants et notre famille mangent bien? C’est ce problème que le gouvernement et l’industrie doivent tenter de résoudre de manière plus efficace. Il y a eu du progrès, mais nous pouvons faire beaucoup plus.

La sénatrice Gagné : Je vais poser une petite question. Je vais poursuivre sur la question de la sénatrice Petitclerc au sujet du salaire minimum, nous savons que le salaire minimum en Australie est d’environ 18 $ de l’heure, et je crois que l’industrie de la transformation réussit assez bien sur le marché mondial. Est-ce que je me trompe?

M. White : Je crois que vous avez raison.

La sénatrice Gagné : Le salaire minimum est peut-être seulement un facteur dans le contexte de la concurrence.

M. White : Et la référence que j’ai faite quant à l’observation de Mike McCain concernait la sécurité alimentaire. Cela s’inscrivait dans ce contexte, mais il s’agit certainement d’un problème.

La sénatrice Gagné : Si nous examinons l’industrie canadienne de la transformation du bœuf, quels sont les facteurs clés les plus importants pour la réussite et quels seraient les facteurs de réussite dans cinq ans?

M. White : Je crois que, à l’heure actuelle, il y a des travailleurs hautement qualifiés, et plus longtemps vous êtes en mesure de garder un travailleur qualifié dans une usine, plus l’usine est efficiente, car ils savent ce qu’ils font et vous n’avez pas à les former.

Quant aux cinq prochaines années, on veut s’assurer que ces usines continueront à progresser, non seulement du point de vue de la formation des travailleurs, mais aussi des mécanismes internes qui leur permettent d’obtenir la viande, de traiter l’animal à son arrivée, de l’apprêter, d’en faire la coupe, de l’emballer, de le transformer et de le livrer. C’est un domaine où il y a toujours des possibilités d’amélioration.

La sénatrice Gagné : Qu’en est-il de l’automatisation?

M. White : Il y en a beaucoup. Je suis allé dans quelques abattoirs et usines. La façon dont certains travaillent est remarquable. Il y a des usines où le travail est strictement physique, mais certaines petites usines, en raison du cycle de la chaîne et du nombre de carcasses, sont relativement automatisées. Cela fait partie du problème. Vous voulez une usine qui possède une chaîne à haute vitesse. Un jour, ce sera peut-être possible, et cela permettrait d’alléger une partie de la pression relative aux travailleurs.

D’après ce que je comprends de l’industrie en ce moment, sénateur, nous en sommes encore loin.

John, avez-vous une opinion sur ce point en particulier?

M. Masswohl : Je ne passe pas beaucoup de temps dans les usines de transformation, mais j’en ai visité quelques-unes. J’ai vu beaucoup d’automatisation dans les installations de transformation européennes. Elles sont beaucoup plus avancées en matière d’automatisation. Certains de leurs facteurs sont différents. Le prix au pied carré de la terre où elles exercent leurs activités, le prix de la main-d’œuvre — toutes ces choses —, le coût de l’énergie sont beaucoup plus élevés, elles sont donc plus susceptibles d’essayer de faire les choses de manière plus efficiente.

J’ai aussi entendu des transformateurs dire que chaque fois qu’ils veulent changer un système ou faire les choses différemment, tout cela doit être approuvé à l’avance par l’ACIA. Si vous voulez vous doter d’un nouveau type d’équipement, l’ACIA devra l’évaluer pour savoir quelle est son incidence sur la sécurité des aliments et comment fonctionnent les systèmes de nettoyage, l’entretien et toutes ces choses.

Encore une fois, dès le départ, il y a un cadre réglementaire allant à cet égard.

La sénatrice Gagné : Qu’en est-il de votre capacité de produire des aliments ou des marchandises qui sont actuellement privilégiés par le marché?

M. Masswohl : Notre plus grand avantage réside dans le fait que les gens aiment le bœuf. Ils veulent se sentir bien d’en manger. Comme je l’ai dit, nous combattons beaucoup de mythes. Certaines personnes ne se sentent pas aussi bien qu’elles le devraient de manger du bœuf, mais elles aiment tout de même en manger. C’est ce qui est positif pour nous.

Je dirais aussi que l’animal offre de nombreux produits. Même si vous n’aimez que les tranches de bœuf, il y a tant de variétés de steaks: les steaks juteux que vous pouvez griller sur le barbecue ou ceux qui ont une plus grande valeur, mais que vous devez préparer différemment — en les faisant mijoter, en les cuisant lentement ou en les faisant mariner. Ces viandes ont tendance à être plus maigres. Si vous aimez le gras, vous allez simplement acheter un produit différent qui vous coûtera moins cher, et vous allez le préparer différemment.

Nous déployons beaucoup d’efforts de sensibilisation pour aider les consommateurs à savoir comment préparer le bœuf. Bien des gens se présentent au comptoir des viandes et ne connaissent pas vraiment la différence entre elles et ne savent pas quoi en faire. Ils vont plutôt opter pour un hamburger, un filet de poisson, du poulet ou autre chose.

Nous avons donc encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine pour informer les consommateurs à ce sujet.

Quant au guide alimentaire, nous étions un peu déçus de voir qu’il était plutôt limité en ce qui concerne les valeurs nutritives. Une année, on insiste uniquement sur le gras, ou sur quelque chose d’autre. Le bœuf est complet. Le bœuf contient beaucoup de bon gras, l’oméga 3, particulièrement s’il est nourri à l’herbe. Encore une fois, il faut savoir faire la différence entre le bœuf nourri au grain et le bœuf nourri à l’herbe, et en tant que consommateur, vous devez connaître votre objectif alimentaire. Le bœuf fournit aussi des protéines, du zinc et du fer. Le bœuf est probablement l’aliment le plus complet.

Vous devez en manger avec modération. Nous ne recommandons pas aux gens de manger un faux-filet de 16 onces tous les jours. Nous n’avons rien contre cela, mais je ne pense pas que cela fera partie du guide alimentaire. Mais une déclaration trompeuse selon laquelle les Canadiens devraient manger moins de viande est fondamentalement fausse, et elle ne tient pas compte de ce que le Canadien moyen mange déjà. Nombre d’entre eux n’en mangent déjà pas assez.

La sénatrice Gagné : Merci beaucoup de vos exposés. Ils étaient très instructifs.

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. Si on regarde les domaines de préoccupation que vous avez soulevés — les travailleurs étrangers, les coûts réglementaires et votre soutien à l’égard des différents secteurs — serait-il juste de dire que les travailleurs étrangers devraient être tout en haut de la liste?

M. White : Le fardeau réglementaire et les travailleurs étrangers sont les deux principaux, absolument, sénatrice.

La sénatrice McCallum : Lorsque vous regardez votre cheminement en matière de résidence permanente, que recommanderiez-vous? C’est une promesse à l’heure actuelle. Quelles recommandations formuleriez-vous pour faire progresser les choses?

M. White : À la fin de l’automne et au début de l’hiver, on nous a dit qu’EDSC allait mettre en œuvre une série de projets pilotes. On reconnaît qu’il s’agit d’un problème, non seulement pour notre secteur, mais pour le secteur du poisson également, par exemple. Nous avons cru qu’il y aurait un projet pilote pour dissiper certaines des préoccupations qu’avait le gouvernement quant à la façon d’accorder la résidence permanente à ces travailleurs étrangers temporaires.

Puis, il y a environ trois ou quatre semaines, le gouvernement nous a dit que le projet n’était plus sur la table. Ce qui nous irrite, c’est que nous avions une attente à cet égard.

Je suis un ancien chef de cabinet sous le gouvernement libéral à RHDC, je suis donc tout à fait au courant des difficultés auxquelles fait face le ministère, particulièrement à cet égard. Mais il est aussi évident que, d’un côté, il y a le gouvernement qui est en faveur de tous ces accords commerciaux, et de l’autre, lorsqu’on regarde l’économie, on comprend que nous avons besoin des travailleurs étrangers. C’était un enjeu lorsque j’étais au gouvernement du côté politique.

Ce qui fâche de plus en plus l’industrie, c’est le fait qu’il n’y a même pas de projet pilote en jeu. Quelle politique permettrait alors de remédier à ce qui est visiblement un problème pour l’industrie canadienne? Ce n’est pas clair.

Nous comprenons que Rodger Cuzner, que beaucoup d’entre vous connaissent comme un secrétaire parlementaire, est maintenant chargé de diriger le dossier et de déterminer la voie à suivre. Nous le rencontrons cet après-midi.

Nous avons le sentiment que les travailleurs étrangers qui viennent ici, et qui travaillent dans les usines de viande restent très longtemps. Une partie des Canadiens croit à tort que, si un travailleur étranger temporaire vient ici, il peut rester pour toujours. Ce n’est pas non plus le cas. Il existe des lignes directrices très strictes quant au moment de l’arrivée et du départ.

L’industrie cherche à simplifier ce programme. Nous savons que, par le passé, il y a eu quelques abus, et c’est inacceptable, mais nous savons aussi qu’il y a actuellement un vide immense. Du point de vue de la politique publique, nous avons besoin que le gouvernement travaille avec l’industrie et redresse la situation.

Comme je l’ai dit, si un projet pilote est un problème pour le gouvernement, il s’agit d’une grande préoccupation, car si un projet pilote ne peut apporter une certaine assurance, nous ne savons pas ce que vous cherchez. On ne nous l’a pas expliqué clairement.

Enfin, du point de vue de l’industrie, nous croyons comprendre qu’il y a un certain décalage. Agriculture Canada et le ministère du Commerce voudraient qu’on aille de l’avant, mais ESDC et le ministère de l’Immigration ont des responsabilités concurrentes. L’année dernière, nous avons envoyé une lettre aux ministres disant: « Nous avons le sentiment que vous soufflez le chaud et le froid en même temps. » Il y a un ministre qui dit qu’on veut faire du commerce et qu’on a besoin de ces accords, mais on ne peut pas faire en sorte que les travailleurs amènent les usines à fonctionner à plein régime en ce moment, comment allons-nous pouvoir tirer parti de la situation?

C’est là notre défi, sénateur. Nous espérons que la rencontre avec M. Cuzner nous donnera un peu d’espoir cet après-midi, et peut-être qu’il pourrait venir et parler. C’est une question centrale.

La présidente : Messieurs, merci d’être venus aujourd’hui. Ce fut très intéressant, comme vous pouvez le constater par le grand intérêt pendant les questions.

(La séance est levée.)

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