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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 4 juin 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous, Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’aux gens qui assistent à la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici même dans la salle ou via le Web ou la télévision.

Dans l’intérêt de la réconciliation, je veux souligner le fait que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins.

Je m’appelle Lillian Dyck et je viens de la Première Nation de Gordon en Saskatchewan. J’ai le privilège et l’honneur d’être la présidente — [la présidente s’exprime en langue autochtone] — du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Nous poursuivons aujourd’hui notre examen du projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Avant que nous commencions, j’inviterais mes collègues sénateurs à bien vouloir se présenter, en commençant par ma droite.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McInnis : Thomas McInnis, Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, de la province de Québec.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, territoire du Traité no 10, région du Manitoba.

Le sénateur Francis : Brian Francis, Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, Québec.

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, Manitoba.

La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire du Traité no 6, Alberta.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace de la Première Nation de Tobique, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, Première Nation de Membertou, Nouvelle-Écosse.

La présidente : Merci à tous. J’aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Dwight Newman, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international, qui témoigne par vidéoconférence.

Merci, monsieur Newman, de prendre le temps de nous rencontrer. Je vous cède maintenant la parole, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

M. Dwight Newman, Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international, à titre personnel : Je m’appelle Dwight Newman. Je suis professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international à l’Université de la Saskatchewan. Je suis actuellement chercheur invité au Programme sur les fondements du droit et le gouvernement constitutionnel de l’Université d’Oxford. Je vous suis reconnaissant de me permettre de comparaître devant vous via vidéoconférence depuis une petite ville à proximité d’Oxford.

Je suis heureux de pouvoir contribuer au débat sur cet important projet de loi, une mesure législative historique qui nous mettra sur la voie d’un cheminement essentiel vers l’atteinte des objectifs établis dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. De toute évidence, ce projet de loi témoigne de la passion et de l’engagement envers les droits des Autochtones de ceux qui ont contribué à le mettre de l’avant ainsi que des organisations de la société civile qui l’appuient. Voilà autant de visées bien nobles qui vont permettre à tous les Canadiens de s’acquitter d’un devoir moral bien enraciné en eux à la suite des manquements du passé dans nos relations avec les Autochtones.

Il faut préciser par ailleurs que le projet de loi vise à mettre en œuvre la déclaration en s’y prenant de différentes façons bien particulières. J’estime que nous devons considérer le projet de loi C-262 comme une éventuelle loi qui risque de toucher tous les domaines du droit canadien.

Ce n’est pas la matière à discussion qui manque, mais dans le peu de temps à ma disposition pour mes observations préliminaires, j’aimerais surtout m’intéresser à certaines complexités du projet de loi dont on minimise trop souvent l’importance de même qu’à ses répercussions sur le droit canadien. Je voudrais à cette fin faire ressortir les divergences importantes dans les témoignages entendus jusqu’à maintenant relativement à trois aspects de ce projet de loi au titre desquels le Sénat doit trouver des solutions pour poursuivre la quête des objectifs visés par la déclaration.

Premièrement, certains ont fait valoir que le projet de loi n’aurait pas d’effets immédiats alors que d’autres ont indiqué que ce pourrait être le cas pour certaines portions du projet de loi, et notamment pour l’article 3, et qu’il est possible également que d’autres dispositions donnent lieu à des poursuites à plus ou moins brève échéance.

Pour vous donner l’exemple d’une déclaration indiquant que le projet de loi n’aura pas d’effets immédiats ou semblant tout au moins le laisser entendre, voici ce que disait le sénateur Sinclair le 29 novembre 2018 lors du débat en deuxième lecture :

... le projet de loi ne dit pas avoir pour objectif la mise en œuvre de la déclaration. Il s’agit plutôt de demander au Canada d’analyser les lois en vigueur pour repérer celles qui ne sont pas compatibles avec la déclaration. C’est le principal objectif du projet de loi.

Il a fait un énoncé similaire dans ses observations préliminaires devant le comité sénatorial le 28 mai.

Cependant, dans la suite des échanges et en répondant à une question du sénateur Patterson, le sénateur Sinclair y est allé d’affirmations qui n’allaient pas dans le même sens en indiquant qu’il pouvait y avoir d’autres répercussions juridiques qu’il a lui-même décrites. Il a notamment évoqué des changements dans le contexte juridique en déclarant entre autres que : « l’article 3 sera probablement à tout le moins une disposition interprétative dans le droit canadien, à mon avis, parce que les gouvernements eux-mêmes dans leur approche, reconnaîtront la déclaration à titre d’instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne. »

La sous-ministre adjointe Laurie Sargent est même allée plus loin lors de son témoignage devant le comité le 28 mai :

La déclaration, comme d’autres instruments internationaux, peut également déjà servir de guide pour l’interprétation du droit national. Par conséquent, la déclaration s’applique déjà en droit canadien, comme le prévoit l’article 3 du projet de loi.

On indique ici que la déclaration s’applique déjà en droit canadien, mais ce ne sont pas tous les tribunaux qui sont de cet avis lorsqu’on leur présente des arguments en ce sens. À mes yeux, on laisse ainsi entendre que l’article 3 de la loi proposée aura un effet immédiat.

Il n’y a toutefois pas uniquement l’article 3 dans ce projet de loi. En répondant aux questions du sénateur Tannas, John Borrows a indiqué que d’autres dispositions du projet de loi C-262 ferait planer le risque d’éventuelles poursuites si les modifications législatives ne sont pas apportées suffisamment rapidement. Voici ce que disait M. Borrows :

C’est toujours possible, car, quand on met quelque chose en place au moyen d’une loi, la question est de savoir si le gouvernement agit conformément ou non avec ses objectifs législatifs. Alors, oui, il pourrait y avoir une cause à défendre.

Il y a donc certaines divergences d’opinion dans les déclarations qui sont faites relativement aux éventuels effets immédiats du projet de loi. Je pense qu’il a été bien établi que c’était le cas pour certaines parties seulement, même si des efforts avaient pu être consentis pour éviter de tels effets.

Deuxièmement, des témoins ont indiqué que la loi n’aurait aucune incidence sur les provinces pendant que d’autres affirmaient le contraire.

Lors de son témoignage devant le comité le 28 mai dernier, la sous-ministre adjointe Laurie Sargent a déclaré :

... nous ne croyons pas que le projet de loi C-262 [...] oblige les provinces et les territoires à prendre des mesures. Il s’agit d’un projet de loi fédéral dont la portée vise le gouvernement fédéral.

En revanche, lors de sa comparution devant le comité de la Chambre étudiant ce projet de loi le 3 mai 2018, M. Borrows a utilisé dans ses observations préliminaires la forme plurielle pour parler des gouvernements canadiens en plus de formuler l’hypothèse que le projet de loi pourrait avoir d’autres applications allant au-delà du seul gouvernement fédéral. C’est du moins ce qu’il a semblé vouloir laisser entendre.

Dans un article au sujet du projet de loi C-262, Gib van Ert souligne que l’article 3 de ce projet de loi indique simplement que la déclaration des Nations Unies trouve application au Canada, alors que l’on aurait normalement dû préciser dans ce genre de loi que cette application se fait dans le contexte des « lois du Canada ». En parlant seulement d’une application au Canada, on semble laisser entendre que l’on va outrepasser la sphère de compétence du gouvernement fédéral, ce qui n’est normalement pas autorisé. Il y a eu à ce sujet des commentaires qui allaient dans un sens comme dans l’autre.

J’en arrive maintenant à mon troisième point. Certains ont fait valoir que ce projet de loi allait permettre d’intégrer au droit canadien les dispositions de la déclaration en matière de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause en se fondant sur une définition déjà établie. D’autres observateurs prévoient toutefois davantage de complications.

Je vais tenter de conclure rapidement pour que nous puissions passer aux questions des sénateurs.

Je note brièvement que le sous-ministre adjoint Ross Pattee a cité devant votre comité une définition, en indiquant qu’elle était de James Anaya, que certains médias ont reprise à titre de définition utilisée par le gouvernement du Canada pour le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. C’était lors de sa comparution devant le comité le 28 mai dernier.

Je n’ai pas pu retracer exactement d’où avaient été tirés les propos cités. En recherchant sur Google différentes parties de cette citation, je n’ai pas pu avoir accès directement à un document électronique d’où elle tirerait son origine. On a indiqué simplement que c’est ce qu’aurait déclaré M. Anaya. Je ne remets certes pas cela en question, mais je ne crois pas que l’on puisse considérer qu’il s’agit d’une définition juridique.

Les éléments de cette citation nous amènent dans différentes directions en utilisant un libellé moins formel que celui qui conviendrait à une définition juridique. Certains arguments présentés au comité quant au sens à donner au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, comme cette citation de M. Anaya, indiquaient clairement que cette forme de consentement exige uniquement la mise en place d’un processus, plutôt que l’obtention du consentement à proprement parler.

Votre comité a pu par ailleurs entendre d’autres témoignages, comme celui de Mauro Barelli qui disait le 29 mai :

... il y a peut-être des circonstances dans lesquelles les peuples autochtones devraient avoir le droit non seulement de donner leur consentement, mais également de refuser de le donner. Autrement dit, lorsqu’un projet est susceptible d’avoir des incidences négatives importantes sur les terres, les droits et, au bout du compte, la vie des Autochtones, alors les États auront l’obligation non seulement de les consulter, mais aussi d’obtenir leur consentement.

Mauro Barelli a beaucoup écrit au sujet du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Je vous invite à lire son livre ainsi que le chapitre qu’il a rédigé dans Oxford Commentaries on International Law concernant la déclaration. Il y traite notamment des délibérations en cours quant au sens à donner au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il y a tellement d’autres choses dont nous pourrions discuter également à ce sujet de même que dans une perspective plus générale.

Il faut surtout garder à l’esprit que ce projet de loi aura des répercussions très importantes, comme je l’ai déjà fait valoir. Pour des commentaires plus détaillés à ce sujet, vous pouvez prendre connaissance des mémoires écrits que j’ai soumis au comité de la Chambre et, plus récemment, au vôtre.

Je vous signale que je ne suis pas le seul à avoir souligné les incidences considérables que pourrait avoir ce projet de loi. Voici d’ailleurs ce que disait du projet de loi John Borrows lors de son témoignage devant le comité sénatorial le 29 mai dernier :

C’est comme apporter une modification à chacun des projets de loi qui ont déjà été adoptés par le Parlement.

Je préfère ne pas être à la place des sénateurs qui doivent s’acquitter de la tâche difficile que représente l’étude de ce projet de loi. Nous devons tous admirer la détermination de ceux qui sont à l’origine de cette mesure législative. Le projet de loi pourrait grandement contribuer à la mise en œuvre de solutions aux problèmes que le Canada doit régler pour corriger les torts épouvantables causés par le passé aux Autochtones de notre pays et améliorer nos relations avec eux pour les années à venir.

Dans le cadre des efforts déployés en ce sens, le projet de loi pourrait avoir une grande importance symbolique, mais le Parlement doit également tenir compte des conséquences imprévues que pourrait avoir son adoption et s’assurer qu’il est rédigé comme toute loi doit l’être. Ceci dit très respectueusement, j’estime qu’il serait justifié, pour des raisons que je précise davantage dans mes mémoires écrits, de procéder à un examen plus approfondi d’un projet de loi qui s’apparente à certains égards à une loi omnibus. Il serait bon d’apporter des modifications ciblées à ce projet de loi de telle sorte qu’il puisse atteindre ses objectifs tout en minimisant les risques de répercussions imprévues.

Voilà donc ce que j’avais à vous dire d’entrée de jeu. Je serai ravi de discuter avec les sénateurs de toute question susceptible de les intéresser.

La sénatrice McCallum : Merci pour votre exposé. Le Canada a ratifié six importantes conventions relatives aux droits de la personne, y compris la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui a été ratifiée le 14 octobre 1970; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui a été ratifié le 19 mai 1976; et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui a aussi été ratifiée au Canada. Tous ces textes condamnent la discrimination raciale, mais rien n’a été fait en ce sens.

Dans l’un de ses rapports sur la mise en œuvre du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Canada a inclus les mesures prises par les provinces. On y traite de quelques-uns des problèmes éprouvés au Canada pour ce qui est de la discrimination à l’encontre des femmes, du bien-être de l’enfance, des droits linguistiques et des accords d’autonomie gouvernementale. Nous jouissons de différents droits à titre d’Autochtones et on ne respecte toujours pas nos droits fondamentaux à titre de personnes, y compris le droit de donner son consentement, comme en témoignent les efforts déployés pour faire adopter en créant un climat de crainte ce projet de loi visant l’harmonisation avec la Déclaration des Nations Unies. La notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause intervient de diverses manières au Canada dans le contexte de différentes relations, y compris celle entre un professionnel de la santé et son patient et celle entre un avocat et son client. À titre de professionnelle de la santé, j’avais la responsabilité légale de traiter mes patients, de leur indiquer les choix qui s’offraient à eux et les risques qu’ils couraient, et de leur fournir toute l’information nécessaire pour qu’ils puissent prendre eux-mêmes la décision les concernant. Ce consentement que mes patients donnaient était donc assorti de certaines responsabilités.

Cette notion a toujours existé. J’ai dû en tenir compte pendant 35 ans. Je ne comprends pas toute cette crainte que suscite le simple fait de soulever la question. Je ne sais pas pourquoi les gens s’inquiètent au sujet de ce projet de loi qui traite de la nature de nos relations. En examinant bien les dispositions contenues dans le projet de loi C-262, je constate qu’elles visent l’établissement d’une relation sociale avec l’ensemble des Canadiens. Quoi que l’on fasse, il y aura des poursuites du simple fait que le Canada ne s’est pas acquitté de ses responsabilités à l’égard des Autochtones et des violations des droits de la personne dont ils ont été victimes.

Voici ce qui est prévu à l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale :

Chaque État partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe;

J’estime que ce projet de loi est un bon point de départ pour progresser vers une réconciliation avec les peuples autochtones. Partagez-vous cet avis, ou avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Newman : Je pense être d’accord avec la plupart des éléments que vous avez avancés. Comme vous l’avez souligné, le Canada s’est engagé à titre de signataire de nombreux traités internationaux en matière de droits de la personne. On pourrait notamment faire valoir que le Canada ne s’est sans doute pas acquitté de toutes les obligations que lui impose la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Nous devrions en faire davantage pour éliminer la discrimination raciale dans différents contextes, y compris ceux touchant les peuples autochtones du Canada.

Vous avez par ailleurs indiqué que le Canada avait ratifié la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. J’aurais une légère correction à apporter à ce sujet, bien que cela ne soit pas un élément fondamental. Je veux préciser que la déclaration n’est pas un texte de convention que les États vont ratifier à proprement parler. J’ajouterais toutefois que le Canada a officiellement appuyé cette déclaration, une démarche à la fois très utile et extrêmement importante. Une déclaration ne fonctionne pas exactement de la même manière qu’un traité. Il ne faut pas en conclure pour autant que nous ne devrions pas aller de l’avant avec sa mise en œuvre, car il est important que nous le fassions comme il se doit.

Je ne crois pas qu’il y ait lieu de craindre quoi que ce soit avec la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Comme vous l’avez souligné, une telle exigence s’applique depuis longtemps déjà dans le contexte médical.

Chose tragique et épouvantable, cette obligation de consentement n’a pas toujours été respectée, notamment dans le cas des femmes autochtones qui ont été stérilisées de force. C’est une pratique qui a cours au Canada, comme en témoignent des cas étonnamment très récents.

En principe, la notion du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause prend tout son sens dans le contexte médical, pour autant qu’elle soit effectivement appliquée. La situation est toutefois différente du fait que tous conviennent aisément des droits fondamentaux des patients, alors que nous sommes toujours en train d’essayer de nous entendre quant à la teneur exacte des droits fondamentaux des Autochtones. Une jurisprudence est en voie de se constituer quant à savoir dans quelles situations les Autochtones sont autorisés à donner leur consentement ou à refuser de le donner à l’égard d’un enjeu particulier dans le contexte constitutionnel canadien.

Pour ce qui est de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, on nous sert pour l’instant à des interprétations très différentes du sens à donner à quelques-unes de ses dispositions.

On en est encore au début du processus, et on devrait parvenir un jour à s’entendre. En principe, je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter à l’égard du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. J’exhorte simplement le Parlement à bien se demander quels sont les résultats visés par les projets de loi qu’il adopte. Je vous ai signalé certains éléments au titre desquels il pourrait y avoir des conséquences inattendues.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur Newman, de votre participation à notre séance d’aujourd’hui.

J’ai deux questions à vous poser. Vous avez souligné trois aspects à l’égard desquels le projet de loi est à l’origine d’ambiguïtés, de contradictions et d’interprétations divergentes. Il y a d’abord l’élaboration d’un plan d’action, lequel peut avoir ou non une valeur juridique, suivant la diligence dont font preuve les gouvernements.

Vous avez également traité des désaccords quant à savoir si le projet de loi a des répercussions sur les provinces et les territoires ainsi que sur le gouvernement fédéral. Vous avez enfin mis en lumière les variations dans l’interprétation de la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est simplement question d’un processus ou d’un droit à part entière.

J’aimerais d’abord que vous me disiez quelles sont les répercussions de ces ambiguïtés et contradictions enchâssées dans le projet de loi. Quel sera le résultat de ce manque de clarté et de ces incohérences?

M. Newman : Je vais devoir vous répondre que les éventuelles répercussions sont hypothétiques. Adopter un projet de loi sans être certain des effets qu’il aura, ce n’est pas vraiment l’idéal. Il y a bien sûr toujours des situations où les résultats sont incertains, mais j’estime que le Parlement devrait, dans toute la mesure du possible, préciser les objectifs visés par le projet de loi, plutôt que de laisser une grande part d’imprévisibilité en obligeant les tribunaux à y aller d’un important effort d’interprétation.

Quant à savoir si le plan d’action aura ou non une véritable valeur, vous avez mentionné certains éléments pour lesquels l’incertitude règne. Des observateurs comme Gib van Ert se sont prononcés quant aux possibilités que ce projet de loi produise les résultats recherchés par les peuples autochtones. Il a indiqué que ce ne serait pas le cas en raison des incertitudes marquées causées à bien des égards par la formulation utilisée pour certaines dispositions législatives.

Pour ce qui est des désaccords quant à une application fédérale plutôt que provinciale, il y a un risque d’éventuels problèmes constitutionnels. Pour éviter de nous exposer à certaines difficultés, il aurait notamment mieux valu parler dans l’article 3 des lois du Canada, plutôt que d’une application au Canada.

Les différentes versions sur le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause témoignent d’un vaste débat au Canada et sur la scène internationale. En acceptant un point flou à ce moment-ci, le Parlement définit moins ce qui viendra plus tard qu’il pourrait le faire. Dans mon mémoire, j’ai même évoqué la possibilité que le Parlement inclue dans le projet de loi une définition du consentement préalable donné librement et en connaissance de cause aux fins de clarification s’il souhaite y apporter plus d’attention.

Le Parlement est libre d’aller de l’avant en en donnant moins de précisions sur ce qui pourrait arriver. Pour ce qui est des objectifs que le Parlement veut réaliser dans le cadre du projet de loi, il serait souhaitable d’essayer de clarifier des choses. Il s’agit dans certains cas de questions de rédaction, et dans d’autres, de questions de fond pour lesquelles on pourrait donner plus de certitudes, mais ce n’est pas ce que fait le projet de loi dans sa forme actuelle.

Je suis désolé d’avoir donné une réponse aussi longue. Vous avez posé une grande question.

Le sénateur Patterson : Merci. Cela m’amène à poser ma deuxième question. Je crois que vous avez commencé à y répondre. Vous avez dit que le Parlement pourrait devoir préciser les choses. Le Parlement est libre de fournir une définition plus claire du consentement préalable donné librement et en connaissance de cause. Vous dites que le projet de loi pourrait être modifié. Pourriez-vous en dire davantage à ce sujet?

M. Newman : Oui. Je crois que le projet de loi est important, mais on pourrait y apporter des amendements pour que les objectifs soient plus clairs et pour réduire grandement l’incertitude en éliminant certains des aspects qui causent le plus de problèmes. Je ne sais pas si le mémoire que j’ai présenté au comité sénatorial a été traduit et présenté aux membres du comité.

J’y ai soulevé la possibilité de supprimer l’article de fond le plus problématique du projet de loi, soit l’article 3. Je pense qu’une partie de l’esprit de l’article 3 pourrait être incluse dans le préambule.

Le libellé de l’article 3, où l’on dit que la déclaration trouve application au Canada est, à ce que je sache, sans précédent dans les lois canadiennes.

On inclut cela et on suppose, comme certains l’ont fait, que l’on cristallise simplement les choses — avec ce qui s’est déjà produit — d’une façon qui ne permet pas toutes sortes d’interprétations que les tribunaux pourraient lui donner. Supprimer cette disposition pourrait constituer un amendement important, de même qu’apporter des ajustements à une partie du libellé qui a une très vaste portée. Je n’ai pas inclus cela dans mon dernier mémoire au Sénat. J’avais soulevé auparavant des questions sur le libellé de l’article 4, soit que « toutes les mesures nécessaires » était une formulation très large.

J’exhorte le Sénat à examiner les divers articles qui ont été écrits au sujet du projet de loi C-262. Des gens comme Gib van Ert et Tom Isaac ont écrit de plus longs articles sur ces différentes questions. J’ai énuméré un certain nombre d’amendements dans mes mémoires. Je crois que le Parlement pourrait réfléchir à divers amendements qui pourraient améliorer le projet de loi, le faire fonctionner pour tout le monde et faire en sorte qu’il accomplisse quelque chose sans créer énormément d’incertitudes.

Le sénateur Patterson : Merci.

La présidente : À titre d’information, votre mémoire a été fourni à tous les membres du comité.

Le sénateur Tannas : Madame la sénatrice, j’ai reçu une copie d’un mémoire qui a été présenté au comité. Il est uniquement en anglais. Je demande la permission de le faire circuler avant qu’il soit traduit.

Le sénateur Sinclair : Qu’avez-vous reçu?

Le sénateur Tannas : J’ai reçu une copie d’un mémoire de l’ancien juge de la Cour suprême John Major qui a été envoyé à la sénatrice Dyck. J’aimerais le faire circuler. Il n’est qu’en anglais, mais nous le ferons traduire.

Le sénateur Patterson : Je le propose.

La présidente : Est-ce que le comité consent à ce qu’on distribue l’information en anglais seulement?

Le sénateur Sinclair : Premièrement, je n’ai pas vu cela, et je ne sais pas ce que le sénateur Tannas souhaite distribuer exactement. Je ne suis pas prêt à donner mon consentement à moins de voir le document d’abord. Deuxièmement, il se peut que la traduction soit essentielle. Avez-vous l’intention de vous servir de ce mémoire pour poser des questions à M. Newman?

Le sénateur Tannas : Non.

Le sénateur Sinclair : Alors nous pouvons le faire à la fin de la réunion. Puis-je le lire d’abord?

Le sénateur Tannas : Je vais poser mes questions. Nous y reviendrons.

Monsieur Newman, le sénateur Sinclair a été cité à de nombreuses reprises au cours des discussions, à notre comité et ailleurs, sur l’objectif du projet de loi. Je crois que tout le monde accepte ce que le sénateur Sinclair a présenté comme étant l’objectif du projet de loi — objectif essentiel, seul objectif, peu importe comment on veut le formuler.

Toutefois, l’un des objectifs qui n’a jamais été mentionné dans tout ce qu’a dit le sénateur Sinclair, c’est que le projet de loi touche immédiatement toutes les lois du Canada. Ce n’est pas quelque chose que j’ai entendu ou que j’ai pu trouver concernant ce que le sénateur Sinclair — ou le parrain du projet de loi à la Chambre des communes — a dit quant à l’objectif du projet de loi ou l’un de ses objectifs.

La semaine dernière, M. Borrows a dit que le projet de loi a pour effet essentiellement d’annexer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à toutes les lois au Canada; et qu’il faudrait maintenant examiner chaque loi sous un angle différent; et, il a convenu à regret que cela pourrait se faire devant les tribunaux le lendemain de la promulgation du projet de loi. Êtes-vous d’accord avec M. Borrows?

D’autre part, vous êtes un citoyen canadien. Vous créez des liens entre de nombreuses communautés en tant qu’éminent chercheur dans le domaine, mais également en tant que citoyen canadien. Pensez-vous que les citoyens canadiens sont conscients des répercussions que pourrait avoir le projet de loi? Croyez-vous que le milieu juridique en est conscient? Pensez-vous que les gens qui font rouler l’économie ont la moindre idée que cela va leur tomber dessus? Croyez-vous que les provinces en sont suffisamment conscientes? Il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire qui a lentement franchi toutes les étapes du processus et qui en est maintenant à la dernière étape. Pensez-vous que l’un ou l’autre de ces groupes est au courant; et si c’est le cas, dans quelle mesure le sont-ils à votre avis?

M. Newman : Je vais d’abord vous dire si je suis d’accord avec M. Borrows. Je ne crois pas que je décrirais les choses de la même façon que lui. Je pense qu’il l’a fait de façon un peu colorée, mais il a illustré un ensemble possible d’arguments que le projet de loi, dans sa forme actuelle, pourrait générer.

De deux façons, on pourrait soutenir que le projet de loi a une incidence immédiate sur le droit canadien. L’une d’elles concerne le libellé de l’article 3, qui dit que la déclaration trouve application au Canada. Ensuite, les articles qui font référence au plan d’action pourraient faire l’objet d’un litige s’il y avait insatisfaction à l’égard des mesures prises. L’exigence selon laquelle le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires qui, je crois, se trouve à l’article 4, est une exigence générale et le libellé utilisé est plus général que celui qui est habituellement utilisé en ce qui concerne les types de normes auxquelles une partie ou un gouvernement doivent se conformer.

Il y a un fondement pour son argument que l’on pourrait considérer cela comme une exigence voulant que toutes les lois au Canada soient examinées en tenant compte de la déclaration en question. Concernant la formulation des articles qui traitent de l’harmonisation des lois canadiennes avec la déclaration, on pourrait la décrire métaphoriquement comme annexant la déclaration à chaque loi canadienne à ces deux égards.

Je ne sais pas ce qu’il voulait dire exactement, mais il y a un argument crédible. Je pense que c’est préoccupant. Je ne crois pas qu’un tribunal doit accepter tout cela, mais le fait qu’il y ait un argument crédible est justement le problème; il pourrait arriver une foule de choses dans le cadre de ce projet de loi. Si le Parlement a dit que c’est ce qu’il souhaite, et que nous sommes prêts à aller jusque-là, c’est une chose. Mais si ce qui se passera une fois le projet de loi adopté est imprévisible, alors c’est quelque chose qu’on peut régler au moyen d’amendements et d’ajustements qui s’imposent.

Pour ce qui est de savoir si les citoyens canadiens sont au courant, il y a une certaine sensibilisation à ce projet de loi. Je pense que bien des sénateurs reçoivent peut-être des observations de nombreux Canadiens issus de mouvements de la société civile. Ce projet de loi suscite une certaine passion, et c’est compréhensible. Dans ma carrière, je m’efforce de faire progresser les droits des peuples autochtones. Nous devons le faire de manière sophistiquée et de manière à trouver une voie de conciliation appropriée avec d’autres intérêts.

La communauté juridique est-elle pleinement consciente de ce qui pourrait se produire dans le cadre du projet de loi? Je ne pense pas qu’on en discute autant qu’il le faudrait. Je pense que certaines personnes sont au courant. J’ai parlé à des gens lors de conférences qui pensent qu’il pourrait y avoir des litiges au sujet de ce projet de loi pendant 10 ans. La possibilité qu’une telle situation se produise m’inquiète.

Les provinces sont-elles au courant? Je pense qu’aucune d’entre elles ne peut ignorer que le projet de loi est à l’étude, mais il y a eu beaucoup moins de discussions au Parlement sur les effets différents qu’il peut avoir que je ne l’aurais souhaité. La Chambre des communes a entendu de nombreux témoins, mais très peu d’entre eux ont parlé précisément des effets du projet de loi. Il a fait l’objet de nombreuses discussions générales. Il nous faut en discuter plus en détail, même si c’est difficile de le faire. Bien sûr, le symbolisme et les valeurs qui se dégagent du projet de loi sont des éléments sur lesquels, je l’espère, tous les Canadiens s’entendent. Cependant, il peut avoir des conséquences inattendues. Il y a des problèmes de rédaction qui pourraient être réglés de façon à améliorer le projet de loi. Je ne pense pas qu’on soit aussi conscient de cela que je ne l’aurais souhaité.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le sénateur Sinclair : Bienvenue dans le monde où l’on essaye de prédire comment la loi sera interprétée plus tard.

Permettez-moi de vous poser quelques questions au sujet de votre expérience internationale tout d’abord. Pourriez-vous dire aux membres du comité quelle est votre expérience internationale par rapport aux Nations Unies ou au droit international en général, mis à part peut-être les études que vous avez faites?

M. Newman : En ce qui a trait au droit international en général, je n’ai pas travaillé aux Nations Unies. J’ai fourni des conseils juridiques à une ambassade auprès des Nations Unies. Je ne pourrais pas vous dire laquelle.

J’ai été coprésident de l’American Society of International Law Rights of Indigenous Peoples Interest Group. Le droit international est l’un des domaines dans lesquels j’ai fait des recherches et étudié. Je suis en train de préparer un recueil de droit international sur les droits des peuples autochtones en droit international, qui rassemble des spécialistes du monde entier. Je siège au comité de l’Association de droit international pour la mise en œuvre des droits des peuples autochtones. Nous travaillons à des discussions là-bas. Je participe donc au monde du droit international dans les activités de recherche et dans certains contextes politiques et juridiques. J’ai également donné des conseils sur le droit international dans le contexte de certaines questions au Canada.

Le sénateur Sinclair : Excellent. Pourriez-vous expliquer aux membres du comité la différence entre une déclaration des Nations Unies et une convention des Nations Unies?

M. Newman : C’est une question complexe à certains égards. L’autre expression parfois utilisée pour « convention » est « traité international ». C’est un instrument sur lequel les États s’entendent d’une certaine façon. Ils finissent par signer, et finalement ratifier, un traité international. Cela crée des obligations juridiques contraignantes pour les États parties à la convention ou au traité. Certaines conventions sont bilatérales, d’autres sont multilatérales et créent des obligations juridiques contraignantes. Certains des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne mentionnés précédemment sont de cette nature.

Une déclaration du genre de celle dont nous parlons émane d’une résolution de l’Assemblée générale. C’est de cette façon qu’elle est adoptée par les Nations Unies. L’Assemblée générale ne fonctionne pas comme un organe législatif, comme un parlement national, mais elle représente les États du monde qui se réunissent et s’expriment. Il existe des arguments plus complexes sur le statut exact des déclarations qui peuvent émaner de l’Assemblée générale, mais on tente d’offrir une sorte de commentaire sur une question.

Une grande variété de déclarations sont adoptées de cette manière, dont certaines ont pris un caractère très significatif et ont créé une norme, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui a fini par constituer le fondement des pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels.

D’autres déclarations ont été très contestées.

Bien sûr, la déclaration dont nous parlons a un caractère un peu différent. Il y a eu un processus de négociation sur la rédaction qui a duré des décennies et qui a été suivi d’un processus de négociation auquel ont participé, de façon très significative, les peuples autochtones, qui se sont d’abord réunis et ont participé à un processus de négociation avec les États avant que l’Assemblée générale de l’ONU adopte une déclaration à cet effet.

Je ne sais pas si vous voulez en savoir plus à ce sujet, ou si vous vouliez seulement que je vous en donne une idée.

Le sénateur Sinclair : Je pourrais vous écouter pendant des heures, monsieur, et je le pourrais probablement, mais je ne suis pas sûr que d’autres membres du comité seraient encore parmi nous.

Permettez-moi alors de vous demander de répondre à la prochaine question de façon générale. Lorsque le Canada a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sans réserve, bien sûr, sous réserve de la Constitution du Canada, quel en a été l’effet, selon vous?

M. Newman : Le Canada a donné son appui à deux reprises après avoir voté contre initialement, mais la deuxième fois, c’était sans réserve, et bien qu’il y avait un ensemble complexe de nuances, je pense que cela indique que le Canada s’engage, sur le plan politique, à chercher à mettre en œuvre les objectifs de la déclaration au Canada. Cela retire l’effet de son vote contre la déclaration au moment de son adoption à l’Assemblée générale. Certaines déclarations contribuent, au fil du temps, à la création du droit international coutumier. Le fait que le Canada soit revenu sur sa position et qu’il appuie maintenant la déclaration, c’est révélateur. Il est révélateur que les autres États qui ont voté contre aient fait de même.

Le Canada n’est pas immédiatement lié à des obligations légales, mais cela dit que le Canada ne s’oppose pas aux obligations légales qui pourraient découler de la déclaration au fil du temps. Il s’engage fermement, à mon avis, à l’égard des objectifs de la déclaration.

Le sénateur Sinclair : Lors de notre dernière séance du comité, nous avons entendu un expert en droit international, M. Barelli, qui a dit que l’impact de l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le Canada a fait en sorte que le Canada s’est engagé à respecter les normes minimales en matière de droits de la personne des peuples autochtones, comme le prévoit la déclaration. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?

M. Newman : Je ne crois pas que je suis d’accord avec l’affirmation selon laquelle le Canada s’est engagé à respecter cette norme minimale par le simple fait d’adhérer à une loi internationale. Je crois que le Canada s’est certainement engagé à respecter des normes minimales par l’entremise de ses autres instruments relatifs aux traités. Sur le plan des politiques, il s’est engagé à respecter les normes minimales énoncées dans la déclaration et à promouvoir les objectifs de la déclaration.

J’ai examiné son témoignage. J’aurais dû examiner ses paroles plus attentivement. Je ne suis pas sûr d’être tout à fait d’accord avec ses paroles de la façon dont vous les avez formulées.

Le sénateur Sinclair : N’êtes-vous pas d’accord avec son affirmation selon laquelle cette loi oblige le Canada à respecter une norme minimale en matière de droits de la personne?

M. Newman : Je ne crois pas que le seul fait que le Canada appuie cette déclaration entraîne cet effet juridique. Toutefois, je pense que le Canada s’est engagé à respecter les normes en matière de droits de la personne, tant sur le plan juridique, en signant des traités, que sur le plan des politiques, en appuyant la déclaration. En effet, il s’est engagé à respecter toutes les normes du droit international coutumier exprimées dans la déclaration, et certains articles de la déclaration font partie du droit international coutumier. Auparavant, le Canada aurait pu faire valoir qu’il s’opposait constamment à ces normes en votant contre elles et qu’il a maintenant retiré toutes les allégations de ce type. D’une certaine façon, il pourrait avoir eu un changement dans l’engagement du Canada qui aurait une incidence juridique, mais habituellement, le simple fait d’appuyer une déclaration n’engage pas un État à respecter des obligations juridiques précises en soi, mais comme je l’ai dit, avec le temps, la déclaration pourrait entraîner des obligations.

Le sénateur Sinclair : Étant donné les commentaires que vous avez formulés plus tôt sur le fait qu’on n’a pas beaucoup discuté, au sein de la communauté juridique, de l’impact de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, j’aimerais savoir comment vous expliquez les nombreuses décisions juridiques rendues dans des affaires dans lesquelles il a été question de cette déclaration. Nous avons compté le nombre d’affaires, et je pense que nous approchons maintenant 200 affaires où la question a été soulevée. Vous pourriez peut-être me donner une idée de ce que pensent les membres de la communauté juridique. Selon vous, ils semblent ignorer l’existence de la déclaration ou ils n’en tiennent pas compte, même si elle est souvent invoquée dans le traitement des litiges.

M. Newman : Je crois que la question à laquelle j’ai répondu était de savoir si la communauté juridique est au courant de l’existence de ce projet de loi ou de cette loi potentielle.

Le sénateur Sinclair : L’article 3 et l’article 4, toutefois, et l’impact de la mise en œuvre de ces articles.

M. Newman : C’est ce dont je parle, c’est-à-dire que je parle davantage du libellé de la loi que de la déclaration elle-même.

Le sénateur Sinclair : D’accord.

M. Newman : Je crois que les membres de la communauté juridique devraient mieux connaître la déclaration. Certains membres de la communauté juridique s’intéressent visiblement davantage à la déclaration et l’invoquent dans diverses salles d’audience. Je crois qu’il incombe à tous les membres de la communauté de mieux connaître cette déclaration. Avec le temps, j’espère que certaines des recommandations formulées par votre commission contribueront à mieux faire connaître la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à tous les avocats, ainsi que d’autres questions relatives aux peuples autochtones.

Ce qui me préoccupe, c’est que la communauté juridique ne connaît peut-être pas les effets précis que ce projet de loi pourrait avoir dans un avenir rapproché.

Le sénateur Sinclair : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. Ma question concerne une déclaration faite par M. Mauro Barelli. Je sais que vous avez déjà cité ses paroles, mais il a fait une autre déclaration intéressante.

... J’aimerais mentionner que, dans l’arrêt Tsilhqot’in de 2014, la Cour suprême du Canada a déjà adopté, sans mentionner expressément le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, une interprétation ferme axée sur le consentement concernant l’obligation de consultation, ce qui correspond essentiellement au modèle du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA. En effet, dans le cadre de ses 10 principes régissant sa relation avec les peuples autochtones, le gouvernement du Canada a reconnu la nécessité de s’engager envers une nouvelle relation, « sans toutefois s’y limiter, sur le devoir juridique de consultation ».

Je crois que M. Barelli dit que nous le faisons déjà. Notre Cour suprême, dans ses décisions liées à l’obligation de consulter et d’accommoder, est déjà presque parvenue au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il s’ensuit que l’adoption d’une exigence liée à ce consentement ne représenterait pas un grand défi à l’heure actuelle pour le Canada. J’aimerais connaître votre avis sur la question.

M. Newman : Je conviens que la Cour suprême du Canada a commencé à tenir compte du consentement dans certaines de ses décisions, notamment dans l’affaire Tsilhqot’in. Cette décision a appliqué le consentement dans un contexte précis où il y avait un titre ancestral établi par la loi. On a déterminé que toute autre personne qui souhaite utiliser ces terres doit obtenir le consentement. Ce n’est pas si surprenant. C’est une conséquence normale de la possession d’une terre.

On dit également que lorsque certaines circonstances exigent une obligation de consulter de haut niveau, il pourrait s’agir d’une exigence semblable à l’obligation d’obtenir le consentement. C’est une interprétation possible du droit international relativement au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et des situations dans lesquelles cette exigence s’applique. M. Barelli a fait valoir cette interprétation du droit international, c’est-à-dire qu’il existe une sorte d’échelle mobile ou de spectre qui ressemble beaucoup, d’une certaine façon, à la doctrine canadienne sur l’obligation de consulter. J’ai fait valoir le même point.

M. James Anaya, éminent spécialiste en droit international sur les droits des Autochtones et rapporteur spécial, a fait valoir ce point dans une première déclaration du rapporteur spécial après l’adoption de la déclaration. Je crois que c’était dans son rapport de 2009. Une interprétation possible est que le consentement est exigé dans certaines circonstances très précises.

D’autres arguments font valoir que le consentement est exigé à une échelle beaucoup plus vaste. Si c’est l’interprétation utilisée, le Canada n’est pas conforme, l’argument de M. Barelli n’est pas conforme, mais l’argument formulé par d’autres est semblable.

L’adoption de ce projet de loi offre la latitude voulue pour décider quelle interprétation sera appliquée. Il se peut que le Parlement soit tout à fait prêt à renvoyer la question devant les tribunaux et à attendre de voir ce qui arrivera. Il se peut que l’argument de M. Barelli soit celui qui façonne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Mais ce n’est absolument pas certain.

Le sénateur Dalphond : Dans votre analyse, avez-vous fait référence à la version française?

M. Newman : Je l’ai déjà fait auparavant. Je ne l’ai pas fait lorsque je me suis préparé pour la réunion d’aujourd’hui. Dans le mémoire que j’ai présenté au comité de la Chambre, j’ai fait valoir que selon moi, il y a des différences entre les mots anglais et français utilisés dans ce cas-ci comparativement aux mots correspondants dans d’autres...

Le sénateur Dalphond : Votre réponse est que vous n’avez pas vraiment examiné cela en vous préparant pour la réunion de ce matin? Vous avez dit que l’article 3 du projet de loi avait déterminé l’impact sur les lois du Canada. Vous avez dit que les mots utilisés, appliqués au droit canadien, représentaient un concept douteux qui aura une vaste portée. Vous constaterez qu’on ne trouve pas vraiment l’expression correspondante dans la version française. Je tenais à vous le préciser.

Dans quelle partie de ce projet de loi voyez-vous un principe prépondérant qui permettra au projet de loi d’avoir préséance sur toute autre loi fédérale? Cette notion s’applique déjà au Code des droits de la personne. Par exemple, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne a préséance sur toutes les lois provinciales. Où voyez-vous une indication que ce projet de loi aura préséance sur toute autre loi fédérale? Où parle-t-on d’un projet de loi ou du Parlement? Selon mon interprétation, cela concerne seulement les engagements pris par le gouvernement, et c’est tout. On ne dit rien au sujet des lois fédérales. Où voyez-vous une indication selon laquelle des lois fédérales risquent d’être infirmées ou supplantées par ce projet de loi?

M. Newman : Je vous remercie de vos questions. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il y a une différence entre la version anglaise et la version française de l’article 3. C’est l’une des différences que j’ai mentionnées au comité de la Chambre lorsque j’ai fait valoir ce point, et je crois que c’est préoccupant. On a utilisé, dans la version française, le libellé suivant:

[Français]

3 La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones [...] constitue un instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne et trouve application au Canada.

[Traduction]

Je ne suis pas sûr que cela signifie la même chose, c’est-à-dire que c’est un instrument qui a des applications dans le droit canadien. Il y a peut-être des nuances différentes. J’espérais que le gouvernement fédéral, avec toutes ses ressources et avec le soutien de...

Le sénateur Dalphond : Ma question est simple: Où, dans ce projet de loi, voyez-vous des principes qui donnent au projet de loi préséance sur toute autre loi fédérale?

M. Newman : En toute déférence, je croyais que vous aviez posé deux questions. Je répondais donc à la première.

Je ne suis pas certain qu’il a préséance sur les lois canadiennes, mais je ne suis pas certain qu’il n’a pas préséance sur ces lois. Le libellé...

Le sénateur Dalphond : Mais où voyez-vous cela, monsieur? Je suis juge. J’aime beaucoup trouver les réponses dans le projet de loi. Où avez-vous trouvé cela?

La présidente : Sénateur Dalphond...

Le sénateur Dalphond : Où est-il indiqué que le projet de loi a préséance sur les lois fédérales canadiennes?

M. Newman : En toute déférence, le libellé en anglais, selon lequel la déclaration trouve application dans le droit canadien — un libellé qui n’a jamais été utilisé dans une loi auparavant —, permet d’arriver à cette interprétation parmi d’autres. Les droits prévus dans cet instrument trouvent application dans le droit canadien, et lorsque cette loi sera adoptée, cela pourrait signifier qu’elle a préséance sur les autres lois canadiennes.

Je ne crois pas que c’est la seule interprétation possible. Mais c’est visiblement l’interprétation que semble avoir choisie M. Borrows. Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation, mais c’est l’une des interprétations possibles qu’un tribunal pourrait donner, au bout du compte, à ce projet de loi et à la loi qui en découle.

Il est important de noter que l’article 3 ne se trouvait pas dans les versions précédentes du même projet de loi. Il a été ajouté plus tard. En ce qui concerne la rédaction, un tribunal pourrait tenter de déterminer la signification de l’article 3 et pourrait ensuite tenter de l’interpréter d’une façon qui lui donne préséance sur les autres lois canadiennes.

Je ne sais pas si c’est l’interprétation qui serait retenue et ce n’est pas celle que je choisirais. Toutefois, je crois que c’est l’une des interprétations, parmi les interprétations possibles, qu’on pourrait réellement lui donner.

La sénatrice Coyle : Monsieur Newman, je vous remercie d’avoir offert votre contribution aujourd’hui et d’avoir affirmé que le projet de loi C-262 est important. Vous avez mentionné que pour permettre à ce projet de loi d’atteindre l’objectif très important qu’il est censé atteindre, et qui a l’appui du gouvernement et pour lequel les peuples autochtones se battent depuis des décennies, avec le soutien de leurs voisins canadiens, il fallait l’amender.

Évidemment, cela préoccupe grandement de nombreuses personnes. Je crains qu’on affaiblisse son sens, son intention et son efficacité. Nous voulons que ce projet de loi ait une force et un sens concrets. C’est la raison pour laquelle nous créons un projet de loi plutôt que de compter seulement sur la déclaration des Nations Unies.

C’est maintenant notre dernière chance, car comme nous le savons, la présente législature tire à sa fin. En effet, la Chambre cessera ses activités dans moins de trois semaines. De nombreux Canadiens nous disent qu’ils veulent que ce projet de loi soit adopté.

Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle — et il se peut que cela se produise —, croyez-vous que des mesures pourraient être prises après son adoption pour résoudre certains des problèmes que vous avez mentionnés aujourd’hui?

M. Newman : Le projet de loi deviendrait loi. Il est toujours possible de modifier une loi plus tard ou d’adopter d’autres lois qui ont une incidence sur cette loi. Il serait possible d’adopter le projet de loi sans connaître tous ses effets potentiels, tout en prévoyant de le modifier plus tard. Je ne suis pas sûr que c’est la meilleure façon de procéder, mais je comprends également la situation que vous avez décrite. D’ailleurs, dans ma déclaration, j’ai insisté sur le fait que je n’envie pas la situation dans laquelle se trouve le Sénat, qui doit régler cette question si près de la fin des travaux.

C’est un projet de loi très important qui a une incidence sur tous les domaines du droit canadien et c’est justifié, car des questions relatives aux Autochtones doivent être réglées dans tous les domaines du droit canadien. C’est ce qui vient à l’esprit lorsque vous demandez s’il sera possible de faire quelque chose plus tard. Vous pourriez adopter cette loi en sachant qu’elle contient des éléments problématiques, mais en prévoyant d’adopter d’autres lois plus tard.

Il pourrait y avoir des éléments indésirables simplement parce que personne ne sait ce qui peut se produire avec le projet de loi plus tard. Serait-il préférable de faire les choses correctement dès le départ et de façon à ce que tout le monde y trouve son compte?

La sénatrice Coyle : Merci.

La présidente : Notre temps est presque écoulé. Nous avons peut-être le temps d’entendre au moins trois brèves questions. Ensuite, nous accueillerons le deuxième groupe de témoins.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Puisque notre temps est limité, madame la présidente, je pense que je vais céder mon temps au sénateur Christmas.

Le sénateur Christmas : Merci. Monsieur Newman, je vous remercie d’être ici aujourd’hui.

Si le Canada n’adopte pas ce projet de loi, le pays prendra-t-il encore du retard dans la mise en œuvre, à l’échelle nationale, des droits internationaux de la personne pour les peuples autochtones? Autrement dit, la réputation du Canada sur la scène internationale en prendra-t-elle un coup s’il n’adopte pas ce projet de loi?

M. Newman : En fin de compte, il importe de s’attaquer à tous les problèmes des droits des Autochtones. D’une certaine manière, le projet de loi invite simplement à prendre beaucoup d’autres mesures, et j’espère qu’on le fera, qu’il soit adopté ou non.

Le témoin Borrows a parlé de la possibilité, pour le projet de loi, de contribuer au règlement des problèmes économiques des peuples autochtones. Qu’on l’adopte ou non, il reste à éliminer beaucoup d’obstacles au développement économique des communautés autochtones. Il importera d’intervenir dans ce domaine et dans les autres auxquels le projet de loi touchera.

Je ne peux pas parler de ses effets immédiats, s’il est adopté. Il se distingue des lois habituellement adoptées dans le monde, et je ne le dis pas en mauvaise part. Je dis seulement que peu d’États en ont adopté de semblables.

Le Canada peut continuer d’avancer en matière de droits autochtones, qu’il adopte ou non ce projet de loi.

Le sénateur Christmas : Vu les événements qui, hier, ont coïncidé avec la publication du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, il est assez évident que, au Canada, il se commet de graves violations des droits internationaux de la personne contre les peuples autochtones. Si nous n’adoptons pas ce projet de loi, le Canada se retrouve-t-il encore plus à la traîne? Ne prenons-nous pas les mesures nécessaires pour essayer de remédier à ces violations?

M. Newman : Il est essentiel que, par tous les moyens, le Canada continue de faire progresser les droits autochtones. Ça ne signifie pas qu’il doit adopter tous les projets de loi touchant une question autochtone sans égard à leurs déficiences. Sans exagérer les déficiences et minimiser les enjeux, il importe beaucoup que le Canada continue de travailler à une gamme de mesures pour améliorer notre situation en matière de droits autochtones. On pourrait être mieux préparé à adopter d’autres lois et moins préparé pour d’autres. Ce projet de loi est-il prêt à être adopté? Au Sénat d’en décider.

Mais je ne crois pas que la décision de ne pas adopter le projet de loi, en raison des problèmes qu’il pose, est un rejet des droits autochtones ou qu’elle place le Canada à la traîne en matière de droits autochtones. Notre pays doit continuer de s’occuper des droits autochtones de nombreuses façons différentes et il peut continuer de le faire, qu’il adopte ou non ce projet de loi, dans sa forme actuelle.

Je le redis simplement : je recommande vivement la modification du projet de loi, pour l’améliorer et lui faire atteindre ses objectifs, en évitant les conséquences inattendues. Peu importe le sort qu’on lui réserve, je pense que le Canada peut continuer à s’occuper des droits autochtones.

Le sénateur Christmas : Sauf votre respect, je ne suis pas d’accord. Ce projet de loi est essentiel à la mise en œuvre des droits internationaux de la personne pour les peuples autochtones.

Le sénateur Patterson : Monsieur Newman, le projet de loi C-262 cherche à intégrer une déclaration des droits internationaux de la personne dans le droit canadien, par l’expression, dans l’article 3, « et trouve application au Canada ».

M. Borrows nous a dit que le projet de loi avait pour effet d’effacer 150 années de litiges. L’avocat Paul Joffe a dit que le projet de loi, après son adoption, obligera à interpréter nos lois à travers le prisme du droit international.

D’après vous, ces opinions annoncent-elles l’obligation, après l’adoption du projet de loi, pour tous — gouvernements, organisations autochtones, promoteurs de développement — de désormais comprendre et pratiquer le droit international?

M. Newman : Les juristes, en général, gagneraient vraiment beaucoup à mieux connaître le droit international et à se préparer à en discuter, quand ce sera utile. On peut très bien le laisser à des spécialistes — tout comme chaque avocat doit connaître les interactions du droit fiscal avec d’autres domaines du droit, il n’est pas obligé d’être fiscaliste. Le projet de loi assujettirait-il chaque domaine du droit canadien à une couche de droit international ou à un texte réglementaire incorporé? Tout dépend de la lecture que feront finalement les tribunaux de l’article 3. Un article 3 non modifié ouvre toute une gamme de possibilités. Celle que vous soulevez fait partie de celles qui sont crédibles.

L’article 4 et les articles ultérieurs ne se fonderaient pas exactement sur le droit international, mais, d’après moi, ils entraîneraient un type différent de litige, qui renvoie dans une certaine mesure au droit international. Il y aura des conséquences sur la mesure dans laquelle le droit international servira dans les tribunaux canadiens, du fait de l’adoption du projet de loi, mais tout dépendra de son éventuelle interprétation par les tribunaux.

Le sénateur Patterson : Merci.

La présidente : Monsieur Newman, je vous remercie de votre exposé. Je vous remercie au nom de tous les membres de notre comité.

Nous devons nous occuper d’une motion pour la distribution, en anglais seulement, de la lettre de John Major.

Le sénateur Patterson : D’accord.

Le sénateur Sinclair : Je n’en ai pas terminé l’examen. Pouvons-nous remettre la question après la pause?

La présidente : Oui.

Nous poursuivons l’étude du projet de loi C-262. Nous sommes heureux d’accueillir, par vidéoconférence, le grand chef Edward John, qui est membre de l’exécutif politique du Sommet des Premières Nations.

Le grand chef Edward John, membre de l’exécutif politique, Sommet des Premières Nations : Merci beaucoup. Je vous souhaite une bonne journée, depuis Vancouver la magnifique. Comme d’habitude, le soleil brille. Merci, encore une fois, de votre généreuse invitation à donner notre son de cloche sur ce projet de loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Avec la publication, hier, du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le Canada accomplit son destin d’assumer son histoire avec les peuples autochtones. Pour moi, ce rappel de notre situation et des mesures à prendre et à envisager par notre pays arrive à point nommé. Au fil d’un nombre incalculable d’années, pendant lesquelles j’ai côtoyé des fonctionnaires fédéraux et provinciaux, j’ai observé les symptômes de ce que j’appelle le syndrome de la politique coloniale — déni, discrimination, y compris ses formes érigées en système.

C’est évident et, dans certains cas, ses manifestations sont assez aiguës chez certains individus. Je l’ai constaté dans le cours de l’histoire de notre pays.

Un mot, tiré du rapport publié hier, a hanté les esprits : génocide. Un mot très lourd de sens. Le premier ministre a parlé d’un plan national d’action visant à mettre en œuvre les appels à la justice de l’enquête. C’est une idée constructive.

Le premier ministre Trudeau, dans sa déclaration préliminaire de la conférence Women Deliver a prononcé le mot génocide. Hier, à Ottawa, on l’a critiqué pour ne pas l’avoir proféré, mais il l’a prononcé. Cette conférence internationale rassemble 8 000 délégués de 165 pays — y compris un certain nombre de chefs d’État et un nombre important d’ambassadeurs de divers États à l’ONU, à New York. Ils ont reçu ce message particulier. L’histoire a maintenant fait le tour de la terre. Partout dans le monde, on comprend qu’une partie importante de la population autochtone du Canada est touchée par les politiques, les lois et les pratiques que notre pays a toujours réservées aux peuples autochtones.

Comme je l’ai dit, le Canada est à la croisée des chemins. L’article 38 de la déclaration des Nations Unies dit que :

Les États prennent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, les mesures appropriées, y compris législatives, pour atteindre les buts de la présente Déclaration.

Le projet de loi C-262 est un exemple de mesure législative visant à atteindre les buts de cette déclaration, comme l’expose brièvement le projet de loi.

Voici le destin du Canada. Revenons un peu en arrière. En 2008, au Conseil des droits de l’homme, à Genève, quand toutes les négociations ont abouti, après quelque 25 années d’une guerre de tranchées et la démonstration, par le Canada, d’une volonté assez constructive et assez coopérative, notre pays, à la dernière minute, sous le nouveau gouvernement Harper élu en 2006, était le seul, avec un autre État, à voter contre. Quelle position et quel moment embarrassants pour lui!

En 2007, à l’Assemblée générale des Nations Unies, le Canada a récidivé, ayant ainsi le triste honneur d’être le seul pays du monde à avoir voté deux fois contre cette déclaration.

En 2014, dans le document final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones, le Canada lui a accordé un appui conditionnel. Mais, dans le paragraphe 7 du document final, il a encore appuyé la recommandation de mesures législatives pour adopter la déclaration.

En 2018 et en 2019, la Chambre a voté son appui à la déclaration, mais, encore une fois, un parti, les conservateurs, a voté contre. Dans le Sénat, actuellement, le résultat est douteux. Il serait ironique que des sénateurs votent contre le projet de loi ou que par des astuces procédurières, ils en empêchent l’adoption par le Parlement. Les conservateurs voteraient-ils encore contre? J’espère que nous pourrons convaincre tous les sénateurs de l’importance de bien l’étudier et de veiller, dans le destin dont je parle, à rassembler tous les partis du bon côté, non pas politique, mais de notre destin moral, et que le Canada appuiera le projet de loi.

Telle quelle, la déclaration reconnaît des droits collectifs et des droits individuels. Elle dessine, en les équilibrant — un mot important —, les grandes lignes de la réconciliation et de la réparation. En effet, certains ont tendance à changer d’opinion quand ils entendent « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». La déclaration renferme une vingtaine de dispositions visant cette notion, qui fait partie de son canevas. Elle prépare les peuples autochtones à se prononcer sur leur avenir, leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, et sur leur droit à l’autodétermination, énoncé dans les articles 3 et 4 de la Déclaration des Nations Unies.

L’article 43 porte sur les droits reconnus, dans la déclaration, comme normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde — au Canada, ceux de ce pays.

L’article 25 porte sur les relations importantes que les peuples autochtones ont entretenues durant toute notre histoire. Il porte sur nos liens spirituels particuliers avec nos terres, nos territoires et nos responsabilités à cet égard pour les générations futures.

Cette déclaration bénéficie bien sûr d’appuis. Nous savons que, sur la scène internationale, ce sont notamment ceux de la Banque mondiale; du Pacte mondial des Nations Unies, groupe industriel basé à New York; de la Société financière internationale avec la norme 7.

Les Nations Unies ont un plan d’action systémique pour mettre en œuvre la déclaration dans son réseau. En Colombie-Britannique, l’ancien procureur général de la province a émis une opinion sur le Business Council of British Columbia, dans laquelle il laissait entendre que l’appui à la déclaration était louable et qu’on ne devait pas s’inquiéter des notions de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Le Barreau de la Colombie-Britannique a institué un comité consultatif de vérité et de réconciliation, pour former tous les avocats et tous les étudiants diplômés des écoles de droit, à la faveur aussi d’examens d’agrément, à toutes les conséquences de la jurisprudence internationale ainsi que du droit coutumier international, pour que nous profitions du réseau le plus étendu du droit international des droits de la personne qui protège, promeut et reconnaît les peuples autochtones et, plus important encore et en l’occurrence, la relation entre eux et le Canada.

J’ai terminé, madame la présidente. Je tiens à exprimer ma reconnaissance sincère pour votre invitation à formuler ces observations. Je répondrai du mieux que je peux à vos questions.

La présidente : Merci, grand chef John.

Le sénateur Doyle : Je vous remercie et je tiens à vous poser une question sur l’article 4 du projet de loi, c’est-à-dire sur l’obligation du Canada de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que ses lois soient compatibles avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette obligation de prendre « toutes les mesures nécessaires » semble ambiguë et sujette à discussion.

D’après vous, que signifie-t-elle? Jusqu’où le gouvernement devrait-il aller dans les mesures nécessaires pour assurer la compatibilité des lois fédérales et de la Déclaration des Nations Unies? Si vous avez une opinion, veuillez la faire connaître.

M. John : Oui. Nous nous y affairons à un très haut niveau. Pour nous, il est important d’avoir assisté à la volte-face du Canada, qui a fini par accorder son appui inconditionnel à la déclaration. Ç’a été un grand moment à l’ONU. Fait exceptionnel dans ce milieu guindé, peu habitué aux applaudissements et aux acclamations, le ministre a été ovationné. Ce moment a révélé que le Canada s’engageait dans la voie nouvelle de la réconciliation avec les peuples autochtones.

Il importe vraiment d’examiner... Même le mot « génocide », hier... Mais, avec la fondation de l’ONU, en 1944, et la déclaration universelle des droits de l’homme, en 1948, nous avons assisté au début de la priorité accordée aux droits internationaux de la personne. Le Canada a contribué à l’élaboration de la déclaration de 1948.

Nous avons vu que le Canada avait commencé à modifier sa démarche à l’égard des peuples autochtones, à la faveur de modifications apportées à l’époque à la Loi sur les Indiens, qui était très raciste et très discriminatoire, pour l’harmoniser avec la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Avec la Déclaration universelle sur les droits des peuples autochtones, nous voyons un parallèle : les lois doivent se conformer aux normes internationales des droits de la personne. Ces normes sont minimales. Le Canada ne peut pas choisir celles qu’il peut appliquer ou accepter et les lois dans lesquelles il peut les intégrer.

L’adoption de la déclaration de 1948 a donné une impulsion mondiale aux droits de la personne de l’époque. Le gouvernement fédéral a supprimé les dispositions les plus discriminatoires de ses lois. Nous nous sommes retrouvés sous une double influence. En effet, on affirmait que le principe fondamental qui devait s’appliquer était que si ces questions se retrouvaient devant les tribunaux, par exemple — et je m’attends, à un certain moment, qu’elles le soient — il fallait que les lois, sur le plan politique et juridique, acceptent les normes minimales et s’y conforment et que, à un moment donné, les normes de la déclaration orientent l’interprétation des dispositions de la Constitution canadienne et des lois canadiennes.

Ensuite, le cas échéant, et, déjà à cet égard, nous avons vu le Tribunal canadien des droits de la personne appliquer les normes de la déclaration dans une de ses audiences sur les droits de la personne. La question s’est également posée à la cour fédérale.

Cette question — toutes les mesures nécessaires d’harmonisation — est conforme à l’article 19 de la déclaration selon laquelle le Canada doit examiner les mesures législatives ou administratives visant à concilier les dispositions par discussion de la question avec les peuples autochtones, pour assurer le juste équilibre de la conformité des lois aux normes énoncées dans la déclaration.

Actuellement, nous discutons de cette question avec le gouvernement de la province, à Victoria. Nous discutons d’un projet de loi provincial en plus de ce projet de loi fédéral, pour que des mesures soient prises ici, en Colombie-Britannique, sur cette question.

La question est toujours à l’ordre du jour. On ne peut pas donner une réponse simple à tous ses volets, mais elle établit un principe valable pour tous.

Le sénateur Doyle : D’après nos notes, un certain nombre de pays a adopté la déclaration depuis 10 ans. À votre connaissance, ont-il intégré la déclaration dans leurs lois? Dans l’affirmative, quelles difficultés ont-ils éprouvées? Sinon, pourquoi ne l’ont-ils pas fait?

M. John : La question de savoir si les pays prennent des mesures est très importante. La déclaration a été adoptée en 2007. Immédiatement après, la Bolivie sous la présidence d’Evo Morales, adoptait la déclaration dans son entièreté en guise de loi nationale. Ce pays ne s’est absolument pas effondré à la suite de cela.

Divers autres États ont enchâssé dans leurs lois nationales des dispositions de la déclaration. Quand je suis allé au Congo Brazzaville, en 2012, ils avaient proposé et, je crois, adopté des dispositions législatives visant la question des consultations et du consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones de l’Afrique occidentale. D’après ce que j’ai compris, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande y travaille.

Je n’ai pas la liste à laquelle vous avez accès. En raison de mon rôle de membre de l’Instance permanente sur les questions autochtones, je sais que parmi les nombreuses initiatives qui ont été prises pour mettre en œuvre la déclaration des Nations Unies, des engagements découlant du document final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones de 2014 ont été pris concernant la mise en place d’un système ou d’un plan d’action international par l’intermédiaire de l’Assemblée générale des Nations Unies pour mettre en œuvre la déclaration. Il y a également les engagements des États parties, les 192 pays, visant la conception de plans d’action nationaux de mise en œuvre de la déclaration, ce qui comprend des mesures législatives et administratives comme les nôtres.

En effet, c’est mondial. Les normes en matière de droits de la personne des peuples autochtones se retrouvent maintenant dans des instruments internationaux. Les normes de l’objectif de développement numéro 16 parlent de l’état de droit et de l’application de l’état de droit. Dans la mesure où ces questions relèvent du droit coutumier international visant les peuples autochtones, l’état de droit s’applique ici. Il est important de reconnaître et de comprendre que nous sommes sur la bonne voie. Le Canada est bien en voie de veiller à la prise de mesures comme il s’est engagé à le faire en vertu de l’article 38 de la déclaration elle-même, ainsi que des paragraphes 7 et 8 du document final publié à l’issue de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones de 2014.

Le Canada respecte les engagements qu’il a pris. J’implore les sénateurs de tenir compte de cela au moment de déterminer les mesures nécessaires pour veiller à ce que ce projet de loi particulier soit approuvé par le Parlement et reçoive la sanction royale.

Le sénateur Doyle : Merci.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre exposé, grand chef. Je suis membre du comité de l’énergie, et dans le mémoire soumis le 25 mars 2019 par le Sommet des Premières Nations, qui englobe l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique et l’Union of British Columbia Indian Chiefs, on signalait que la déclaration des Nations Unies, qui était absente des versions antérieures du projet de loi, était maintenant mentionnée dans le préambule, mais ne se retrouvait toujours pas dans les dispositions de fonds du projet de loi.

Hier, j’ai parlé du projet de loi sur l’évaluation d’impact. J’ai proposé un amendement visant à retirer la mention de la déclaration des Nations Unies du préambule pour plutôt la mentionner dans trois articles de la loi. Nous allons probablement mettre cela aux voix cet après-midi.

Je veux que les sénateurs sachent que la question 2 du mémoire portait sur l’harmonisation de l’objet de la loi fédérale avec le projet de loi 51 de la Colombie-Britannique afin de faciliter la mise en œuvre de la déclaration des Nations Unies. Vous avez écrit :

La Loi de la C.-B. indique explicitement que le Bureau d’évaluation environnementale de la C.-B. (BEE) a notamment pour objet de favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones de la Colombie-Britannique en permettant la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies, en reconnaissant la compétence inhérente des Nations autochtones et leur droit de participer à la prise de décisions susceptibles de toucher leurs droits, par la voix de représentants qu’elles ont elles-mêmes désignés, en collaborant avec les nations autochtones au sujet de projets assujettis à un examen, en conformité avec la Déclaration des Nations Unies, et tenant compte des droits des peuples autochtones reconnus et affirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 dans les évaluations et la prise de décisions au titre de la Loi.

La loi de la C.-B. comprend aussi des mécanismes importants pour l’atteinte de ces grands objectifs, notamment la reconnaissance et l’accommodement des évaluations pilotées par les Autochtones.

Étant donné que le principe d’une évaluation par projet est une réalité et que la réconciliation nécessite le rapprochement des instances respectives, il semble logique d’harmoniser la loi fédérale au nouveau régime de la Colombie-Britannique, par souci de prévisibilité et de clarté.

Les réformes du régime de la Colombie-Britannique ont été accomplies en partenariat et en collaboration avec les Premières Nations. Il serait logique que la loi fédérale soit appliquée de manière cohérente avec la Loi de la C.-B. qui entrera en vigueur, d’autant plus que, sur le plan fonctionnel, la substitution au régime de la C.-B. est une réalité depuis 2013.

Amendement 2 : Inclure la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies dans les dispositions relatives à l’objet en des termes compatibles avec ceux de la Loi de la C.-B. :

Favoriser la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et reconnaître la compétence inhérente des Nations autochtones leur permettant de participer à la prise de décisions susceptibles de toucher leurs droits, par la voix de représentants qu’elles ont elles-mêmes désignés.

Avec le projet de loi 51 de la Colombie-Britannique, ce que j’ai entendu et lu, c’est que cela vous a permis de travailler constructivement avec la province de la Colombie-Britannique. Pourriez-vous expliquer que le monde ne s’est pas écroulé en raison de cela et que c’est, pour les provinces, une excellente mesure à prendre?

La présidente : Grand chef John, est-ce que vous nous entendez?

M. John : Merci. Il y a encore quelques difficultés techniques avec la vidéo, mais je crois que l’audio fonctionne bien. J’ai entendu tout ce que vous avez dit, sénatrice.

Je suis un membre élu du Sommet des Premières Nations, et ce, depuis près de 30 ans. J’y ai accumulé 11 mandats. Depuis tout ce temps, je suis actif sur plusieurs fronts, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle provinciale et au sein de nos collectivités, de nos régions et de nos municipalités. Nous avons déployé d’énormes efforts à traiter avec le milieu des affaires et avec ceux qui sont nos voisins, les municipalités et les districts régionaux, ainsi qu’avec les conseils du travail, la BC Federation of Labour et tous ses membres. Nous avons pris des mesures afin d’être proactifs et de proposer des solutions.

Les trois organisations que vous avez mentionnées — le Sommet des Premières Nations, l’Union of British Columbia Chiefs et l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique — travaillent ensemble et collaborent avec diligence. Les dirigeants et les Premières Nations de la Colombie-Britannique appuient unanimement et entièrement la déclaration des Nations Unies et sa mise en œuvre, de même que le projet de loi C-262. Je crois qu’il est important de le souligner.

Premièrement, concernant le projet de loi C-51 de la province visant l’évaluation environnementale, mes collègues du First Nations Leadership Council et moi sommes pleinement engagés dans l’élaboration de ce projet de loi particulier. Nous avons confié à des spécialistes, par l’intermédiaire de nos avocats, et aux représentants du BC First Nations Energy and Mining Council la tâche de vérifier le projet de loi sur l’évaluation environnementale afin de veiller à ce que nous soyons en mesure d’y intégrer les intérêts de nos Premières Nations.

Par conséquent, comme vous l’avez mentionné, la référence se trouve dans le projet de loi provincial et dans les évaluations environnementales. La déclaration est un élément important. Il a fallu discuter longuement avec le ministre provincial George Heyman, avec le premier ministre, avec le ministre Scott Fraser et avec de nombreux autres membres du cabinet pour en arriver à un libellé correspondant à nos intérêts. C’est ce que je dis. C’est ce qui se passe dans ce cas particulier. Ce projet de loi, s’il est adopté, va offrir le fondement garantissant que les peuples autochtones interviennent dans l’élaboration de textes législatifs comme celui-là.

En tant que gouvernements autochtones, nous nous retrouvons à nous acquitter des responsabilités que nous avons — comme je l’ai mentionné, l’article 25 de la déclaration — envers les générations futures. Nous avons un lien spirituel particulier avec nos terres, nos eaux, nos mers côtières et nos ressources, et nous avons des responsabilités à cet égard envers les générations futures.

Je tiens à remercier les gens du gouvernement provincial de s’être montrés ouverts à cela et de ne pas s’être enfuis à toutes jambes comme ils auraient pu le faire. Ils ne se sont pas enfuis. Ils ont discuté avec nous pleinement et honnêtement, dès le début, pour qu’il soit possible de trouver les solutions pratiques qu’il nous faut pour les évaluations environnementales en Colombie-Britannique.

À cet égard, nous avons suggéré des amendements au projet de loi fédéral. Je suis ravi d’entendre que les trois amendements — je ne sais pas précisément lesquels — seront mis aux voix.

En ce qui concerne ce projet de loi en particulier, le projet de loi C-262, j’espère qu’il sera adopté sans amendements. Les retards procéduraux pourraient tuer ce projet de loi, et il ne pourrait pas recevoir la sanction royale avant l’ajournement du Parlement. C’est une grande source de préoccupation pour nous. Cela fait partie du destin dont j’ai parlé pour le Canada. Le Canada peut agir de manière proactive et être un chef de file mondial.

Le Canada est perçu mondialement comme un chef de file à bien des égards, y compris maintenant, en ce qui concerne les peuples autochtones. Avant l’actuel gouvernement, avec le gouvernement et le premier ministre précédents, le Canada était plutôt perçu comme un paria à l’échelle internationale, sur la question des peuples autochtones.

Je ne cherche pas à faire de la partisanerie. Je ne fais que vous donner une idée de ce que j’entends et de ce que je vois chez mes homologues à l’échelle mondiale, ce qui comprend des acteurs étatiques et des représentants des États parties de partout dans le monde : on estime que le Canada agit d’une manière très constructive.

J’ai apprécié la présence du premier ministre à l’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 septembre 2017. À cette occasion, il a consacré presque tout son temps à parler des relations du Canada avec les peuples autochtones. D’après moi, aucun autre représentant ou chef d’État ne l’avait fait avant. Nous estimons que c’est un geste important de la part du Canada.

Sénateurs, vous avez maintenant devant vous ce projet de loi. C’est un pas dans la bonne direction. Comme vous le dites, c’est une étape constructive, une étape transformatrice. En même temps, c’est une mesure équilibrée à laquelle il faut accorder une attention particulière.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie énormément de cela. Je vous en sais gré.

Le sénateur Patterson : Merci, grand chef John. Je suis d’accord avec vous. Nous devons examiner ce projet de loi de plus près.

Récemment, dans The Province, vous avez dit :

Que ce soit à l’échelon fédéral, provincial ou territorial, les dispositions de mise en œuvre ne vont pas soudainement avoir préséance sur les lois canadiennes, comme certains commentateurs semblent le craindre.

Nous venons d’entendre M. Dwight Newman, de l’Université de la Saskatchewan. Il a remis un mémoire au comité. Il a parlé des « effets très imprévisibles » du projet de loi, notamment l’article 3, qui dit que la DNUDPA « constitue un instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne et trouve application au Canada ».

Voici ce qu’il a dit:

Bien que des termes similaires puissent exister dans des préambules, je n’en trouve aucun précédent dans les articles applicables de lois antérieures, comme c’est le cas à l’article 3 du projet de loi C-262. L’idée que la DNUDPA « trouve application [immédiate] au Canada » crée de nombreuses incertitudes et soulève des questions quant à savoir si le projet de loi C-262 n’aurait pas pour effet immédiat d’invalider des parties d’autres lois canadiennes ou pourrait être limité dans ses aspirations par des lois adoptées ultérieurement.

Pourquoi estimez-vous que les préoccupations de M. Newman ne sont pas légalement valables?

M. John : M. Newman a droit à son opinion même s’il a tort. Je ne suis pas d’accord avec lui. Pour moi, c’est un peu une tactique alarmiste qui n’est pas fondée.

Je ne crois pas que les effets soient très imprévisibles. Je viens de vous donner en exemple l’approche prudente et les discussions que nous avons eues avec la province dans l’élaboration du projet de loi C-51 sur l’évaluation environnementale, et les discussions que nous avons maintenant au sujet du projet de loi provincial visant l’adoption de la déclaration.

Si un projet de loi risque de s’accompagner de conflits, il y a des façons de trouver des solutions pour veiller à ce que les parties d’un projet de loi qui sont offensives puissent être discutées. On peut discuter des mesures d’un projet de loi particulier afin de voir comment les modifier pour garantir le respect des normes internationales.

Nous parlons de mesures prises par le Canada pour se conformer à des normes internationales. Nous savons que le Canada a eu des lois très discriminatoires et problématiques. Nous avons maintenant la déclaration des Nations Unies qui nous permet de mesurer la démarche du Canada concernant sa façon de traiter avec les peuples autochtones. Il s’agit de mesures qui permettent au Canada de déterminer s’il respecte les normes minimales en matière de droits de la personne qui sont énoncées dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi que dans d’autres instruments internationaux portant sur les droits de la personne.

Bon nombre des dispositions énoncées dans les 46 articles de la déclaration sont fondées sur d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. La déclaration, en soi, ne crée pas de nouveaux droits. Ces normes et principes internationaux relatifs aux droits de la personne sont tout simplement réunis dans un document appelé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Je souligne que je ne suis pas du tout d’accord avec M. Newman. Je trouve ses propos hautement incendiaires.

J’ai dit de la déclaration qu’elle est équilibrée. L’article 46 de la déclaration comporte trois dispositions. On y parle de la déclaration qui ne peut avoir pour effet « de détruire ou d’amoindrir, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant ».

Cependant, on ajoute que les dispositions de la déclaration :

… seront interprétées conformément aux principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi.

Dites-moi maintenant que c’est offensant. Je ne pense pas. Dites-moi si le processus décrit au paragraphe 46(3) mènerait à l’invalidation de lois canadiennes.

Des lois canadiennes seront contestées devant les tribunaux, en effet, si elles sont jugées discriminatoires. Comme nous l’avons vu, même la Cour suprême du Canada a rendu des décisions sur ces questions.

Dans sa décision très récente concernant Trans Mountain, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’en vertu de l’article 35 de la Constitution, le processus d’approbation de ce projet particulier était discriminatoire et ne respectait pas les normes énoncées par la Cour suprême du Canada dans diverses causes antérieures.

Le pays devra assumer la responsabilité de ses actions qui ont des effets sur les peuples autochtones, ce qui représente une mesure constructive, comme la sénatrice McCallum l’a indiqué précédemment.

Le sénateur Patterson : Merci, grand chef. J’ai été intrigué par votre description du syndrome de la politique coloniale. C’est ainsi que vous avez appelé cela, je crois. J’aimerais vous interroger à ce sujet, en tant qu’observateur de longue date des questions liées aux droits des peuples autochtones au pays.

En décembre 2018, nul autre que le premier ministre du Canada a annoncé un Cadre des droits des Autochtones. Un projet de loi-cadre devait être déposé avant Noël — en décembre dernier, donc — pour qu’une nouvelle loi soit en vigueur avant les élections fédérales prévues à l’automne. La nouvelle loi ferait de la reconnaissance et de la mise en œuvre des droits le fondement de toutes les relations entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral à l’avenir. On s’était alors engagé à revoir toutes les lois.

Puis, dans certains milieux, on a condamné la création du ministère des Relations Couronne-Autochtones sous prétexte que c’était un facteur de division, et on a appelé à l’utilisation de la DNUDPA en guise de cadre. Le gouvernement fédéral a ensuite semblé se lancer dans une démarche fragmentée, avec sa formule en matière d’éducation de la maternelle à la 12e année, ses mesures législatives sur le bien-être des enfants autochtones, sa Loi sur les langues autochtones et la réorganisation du ministère de sorte que transparaisse une approche moins coloniale.

En ce qui concerne le syndrome de la politique coloniale, est-ce que vous diriez que dans la situation actuelle — compte tenu des signaux contradictoires que le Canada envoie —, nous devrions avoir un cadre des droits des Autochtones fait au Canada ou un processus de relations Couronne-Autochtones fait au Canada, ou plutôt suivre le droit international avec la DNUDPA, ou encore tout faire en même temps? Est-ce le syndrome dont vous parlez?

M. John : Oui, c’est ce que j’appelle le syndrome de la politique coloniale. Je parle des relations. J’ai un doctorat — c’est un doctorat honorifique, je tiens à le préciser. Donc en tant que détenteur de doctorats honorifiques — j’en ai deux, en fait —, j’ai prononcé ce diagnostic du syndrome de la politique coloniale. C’est un syndrome qui est apparu au cours de l’histoire. Ce n’est pas dans notre politique, mais c’est dans les attitudes et les comportements que nous voyons trop souvent dans les bureaux du gouvernement à l’échelle du pays. Nommer le problème va peut-être projeter sur lui un éclairage différent.

Le principe est en fait de trouver ce qu’il faut au Canada pour qu’il en vienne à établir des relations différentes, comme le premier ministre l’a dit à Vancouver hier : prendre les mesures qui sont requises.

Votre référence à l’engagement d’établir un nouveau cadre législatif et stratégique quant à la relation a été pris à la Chambre des communes le 14 février 2018 par le premier ministre. Dans notre province, nous avons élaboré un ensemble imposant de recommandations. Les Premières Nations de la province se sont réunies et ont préparé ce que nous appelons des « instructions d’élaboration » devant former l’assise de nos échanges avec le Canada afin d’élaborer la loi. Ce projet ne s’est jamais matérialisé. Le premier ministre a dit que le tout se ferait en partenariat avec les Autochtones. Je pense qu’il y a une place pour ce partenariat. Il y a eu quelques dispositions. Certains avaient des réserves au sujet de deux points, le premier étant le processus d’élaboration du cadre, jugé unilatéral par plusieurs, et le second étant le fait que deux ministres ont été affectés au dossier, soit ceux de la Justice et des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Je ne suis pas certain de ce qu’il s’est passé là pour que deux ministères fédéraux clés travaillent en collaboration.

Je crois comprendre qu’en raison d’une décision prise par le Cabinet à l’automne, le cadre législatif n’a pas été de l’avant. Les Premières Nations de la province étaient pourtant toujours ouvertes à l’idée. Il ne s’agissait pas d’une loi nationale; peut-être qu’une loi provinciale serait de mise.

De plus, en ce qui concerne la politique, en quoi consisteront les normes stratégiques? Par exemple, les politiques sur le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et les revendications globales, pour nommer deux politiques fédérales clés, ont été élaborées unilatéralement par la Couronne, et elles s’avèrent fort insultantes à bien des égards. Elles appuient fortement les positions du gouvernement uniquement et ne rendent pas compte des décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans de nombreuses affaires.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Il est notamment question du titre d’Autochtone. Dans deux arrêts primordiaux de la Cour suprême, soit ceux des affaires Delgamuukw et Tsilhqot’in, cette cour a parlé du titre d’Autochtone en Colombie-Britannique. Nous affirmons que ce titre doit exister dans les territoires de chaque Première Nation de la Colombie-Britannique, sur leurs terres et pour tout ce qui les concerne. En outre, la Cour suprême du Canada a statué que le titre d’Autochtone revêt un intérêt juridique sur les terres et que les Autochtones peuvent prendre des décisions à ce sujet. L’intérêt juridique du titre d’Autochtone comporte indéniablement une facette économique.

La Colombie-Britannique et le pays tirent leur richesse des ressources naturelles, qu’il s’agisse du pétrole et du gaz, de la forêt, des pêches ou de l’eau. Pour nous, la facette économique indéniable signifie que nous avons la capacité de récolter des revenus grâce aux droits juridiques afférents à ce que nous appelons le « titre d’Autochtone ».

Nous considérons que l’élaboration d’un nouveau cadre stratégique peut servir de point de rencontre. Dans l’arrêt Haida de la Cour suprême, cette dernière a indiqué sans détour dans l’affaire opposant Haida à la Colombie-Britannique que les traités servent à réconcilier la souveraineté autochtone préexistante avec la souveraineté assumée de la Couronne. Voilà l’objet du grand débat. C’est la destinée dont je parlais plus tôt. Avec la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté assumée de la Couronne, nous devons maintenant trouver un terrain de réconciliation et déterminer comment nous pouvons nous réconcilier. Quelles mesures utilisons-nous pour réussir la réconciliation dont parle la Cour suprême?

La présidente : Merci.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je n’ai qu’une brève question, grand chef John. Comme vous le savez, le gouvernement a une responsabilité fiduciaire envers les Autochtones. Advenant son adoption, le présent projet de loi exigera-t-il que le gouvernement honore cette responsabilité?

M. John : C’est une question importante. La responsabilité et la relation fiduciaires ont été établies dans une affaire très importante en Colombie-Britannique: l’affaire Guerin, qui concernait la communauté de Musqueam et les Premières Nations. Cet arrêt a établi un important principe légal et constitutionnel entre la Couronne et les Autochtones.

La législation ne peut changer la nature de cette relation fiduciaire. Elle existera toujours, même si on négocie des ententes. Par exemple, si on conclut des ententes modernes sur les revendications territoriales, cette relation fiduciaire continuera d’exister. Elle trouve ses racines dans les origines du Canada à titre d’État, en 1867, et à titre d’entité coloniale avant cela, puisque la relation a été établie par voie de proclamation en 1763. Il importe d’admettre qu’il s’agit d’une relation historique entre le Canada et les Autochtones.

En fait, au sein de l’Organisation des États américains, les 34 pays des Amériques ont la même relation avec tous les Autochtones. Certaines de ces relations se fondent sur des traités, d’autres, sur des ententes, et d’autres encore sur des accords constructifs dont il est question à l’article 37 de la déclaration.

Oui, la relation existera toujours. Ce qui a été établi comme étant une relation fiduciaire continuera d’exister. Comme nous l’avons vu aux États-Unis, la Cour suprême de ce pays a qualifié le lien de « relation de confiance spéciale » entre l’État américain et les nations autochtones de ce pays.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

Le sénateur Tannas : Grand chef John, je vous remercie de témoigner.

Quelque chose me trouble et j’aimerais savoir si vous êtes troublé également. Je ne comprends pas pourquoi le premier ministre a parlé de cette question en 2017. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas déposé ce projet de loi? Pourquoi s’agit-il d’un projet de loi d’initiative parlementaire contenant des termes jamais utilisés dans d’autres lois, des mots qualifiés de « nouveau langage », et des incohérences entre le français et l’anglais? Pourquoi étudions-nous un projet de loi d’initiative parlementaire au lieu d’un projet de loi du gouvernement? Pourquoi le gouvernement a-t-il initialement affirmé que ce projet de loi ne pouvait pas fonctionner, comme l’a déclaré Mme Wilson-Raybould lorsqu’elle était ministre de la Justice?

Si ce projet de loi avait été déposé par le gouvernement, comme il aurait dû l’être, nous ne nous trouverions pas dans la présente situation. Le libellé serait limpide, rédigé par le ministère de la Justice qui le soutiendrait de tout son poids. Le premier ministre et ses ministres parleraient du projet de loi dans toutes les régions du pays en expliquant pourquoi il faut l’adopter.

Rien de tout cela ne se passe. C’est plutôt un projet de loi d’initiative parlementaire qui a été élaboré par une personne presque complètement dépourvue de ressources qui le fait bravement progresser devant le Parlement, réussissant enfin à faire avancer le gouvernement après que toutes les autres initiatives eurent échoué. Le gouvernement n’adopte toujours pas la mesure, cependant. Il ne le soutient toujours pas en l’appuyant de tout son poids, comme il l’a fait pour d’autres projets de loi d’initiative parlementaire. Il le laisse faire son bonhomme de chemin.

Je fais partie de ce comité depuis six ans et demi. Depuis trois ans et dix mois, nous avons vu un certain nombre de mesures symboliques dont l’exécution n’a pas été à la hauteur des attentes, loin de là.

Êtes-vous troublé par le fait qu’un petit groupe de sénateurs puisse faire en sorte que ce projet de loi ne soit jamais adopté s’il juge qu’il est de son devoir de le faire au nom des Canadiens, au lieu d’avoir un projet de loi du gouvernement qui aurait pu être adopté il y a longtemps avec un débat et des ressources appropriées, et en bénéficiant d’un soutien adéquat de la part non seulement du gouvernement, mais aussi de la population canadienne à laquelle il aurait été expliqué?

M. John : Je suis toujours troublé quand il est question de politiciens et de gouvernements; la situation ne m’étonne donc pas. En ce qui concerne votre remarque sur les engagements et leur respect par le gouvernement, l’exécution n’est pas à la hauteur des attentes, comme vous le soulignez. Un grand nombre de mes collègues font remarquer qu’il faut matérialiser les engagements. Voilà pourquoi les mesures prises ici sont importantes.

Dans les derniers budgets, par exemple, nous avons observé une augmentation des ressources accordées à nos communautés. Ce financement est vraiment le bienvenu, car nous en avons besoin, devant combler les écarts sur le plan des conditions socioéconomiques et de la pauvreté quotidienne auxquelles nous sommes confrontés.

Depuis près de 30 ans, je participe au processus de négociation des droits territoriaux en Colombie-Britannique. Sous des gouvernements d’allégeances bleue et rouge, nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions pendant 30 ans. Nous avons dû emprunter collectivement1,4 milliard de dollars pour négocier les droits territoriaux et l’autonomie gouvernementale au pays. J’espère que ce projet de loi d’exécution du budget recevra l’aval des sénateurs et qu’il sera adopté avant l’ajournement du Parlement.

Les Premières Nations qui ont emprunté les 1,4 milliard de dollars bénéficient d’une remise de dette. Ma propre communauté a emprunté un peu plus de 2 millions de dollars. Grâce à un engagement du gouvernement, ce prêt sera radié, ce qui nous évite l’endettement. Ce prêt plombait nos finances, particulièrement quand venait le temps de parler aux entrepreneurs afin de créer des occasions d’emploi et des entreprises pour que les membres de notre communauté puissent occuper un emploi.

D’une certaine manière, le train est maintenant sur les rails. Il aurait été préférable que le projet de loi soit déposé par le gouvernement, bien entendu. Nous avons pressé l’ancienne ministre de la Justice d’appuyer ce projet de loi, pour finalement constater qu’aucun projet de loi fédéral n’était en préparation.

Nous avons exhorté le gouvernement fédéral et le Parti libéral à soutenir ce projet de loi. À défaut d’un autre projet de loi, nous appuyons cette mesure. Je tiens à exprimer mes remerciements et ma gratitude au député Saganash pour avoir déposé ce projet de loi, compte tenu des ressources limitées dont il disposait, comme vous l’avez souligné. Je considère qu’il s’agit probablement d’une approche minimale dans le cadre de l’initiative qui est en cours : celle de la mise en œuvre de la déclaration énoncée dans le projet de loi.

Les Premières Nations de la Colombie-Britannique appuient sans réserve ce projet de loi. Nous espérons que les sénateurs feront de même. Je suis conscient qu’il a fait l’objet de bien des débats. Le sénateur Sinclair l’a fermement défendu, comme nombre d’entre vous l’ont fait. Nous espérons que cette chambre de second examen objectif prendra l’initiative d’agir dans l’intérêt des Autochtones en approuvant ce projet de loi.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie, grand chef John, d’avoir diagnostiqué le trouble du syndrome de la politique coloniale, un trouble pour lequel nous cherchons ensemble des remèdes.

Je vous remercie également de nous avoir rassurés en indiquant que vous jugiez que la déclaration proprement dite est équilibrée. Je pense que c’est un point important que nous devons examiner.

Notre pays doit adopter une nouvelle approche, comme vous et le premier ministre l’avez souligné, afin d’établir des relations empreintes de respect et de confiance entre le Canada et les Autochtones. Notre comité et l’ensemble du Sénat doivent quant à eux toujours peser les conséquences.

Pourriez-vous brièvement résumer les conséquences que vous entrevoyez si nous adoptons le projet de loi et si nous ne l’adoptons pas?

M. John : Je pense que si vous ne l’adoptez pas, le Canada sera de nouveau vu comme il l’a été quand il a voté « non » lors de l’assemblée générale qui s’est tenue à New York en 2007 et au cours de la réunion du Conseil des droits de l’homme organisée à Genève en 2006. À titre de membre, le Canada a soutenu la Conférence mondiale sur les peuples autochtones des Nations Unies en 2014, s’engageant à agir en vertu de l’article 38 de la déclaration afin de prendre des mesures, notamment législatives, pour honorer les objectifs de la déclaration.

Le présent projet de loi l’aidera à respecter cet engagement. Je pense qu’un rejet ternirait l’image du pays et du Sénat. La majorité des députés ont appuyé la mesure. Pour ce qui est des conséquences sur nos communautés, la déclaration comprend des normes minimales concernant toutes les mesures, comme celles dont votre collègue a parlé au sujet des projets de loi C-91 et C-92, qui portent sur les langues autochtones et les services à l’enfance et à la famille.

Je tiens à dire que ces deux projets de loi règlent vraiment un dilemme fondamental auquel notre peuple est confronté et qui est le résultat des pensionnats autochtones. J’ai résidé dans de tels établissements pendant de nombreuses années. Ils ont eu des répercussions sur nos langues, puisque leur utilisation y était interdite. En Colombie-Britannique, nous avons commencé à perdre nos langues au point où elles sont toutes menacées.

En outre, l’enlèvement des enfants s’est fait à dessin. L’ancien premier ministre Stephen Harper a indiqué, dans ses excuses, que vous aviez jugé les traditions et les coutumes autochtones inférieures aux vôtres, et ainsi décidé d’éloigner les enfants de leur langue, de leur communauté, de leurs parents et de leur terre. Comme il l’a fait remarquer, ces mesures ont été prises pour tuer l’Indien à l’intérieur de l’enfant.

De concert, ces deux projets de loi contribueront à éliminer le fardeau historique qui continue de peser sur notre peuple. Ici encore, je crois comprendre qu’ils seront — espérons-le — adoptés et feront partie des lois au Canada avant l’ajournement du Parlement.

Je vous suis vraiment reconnaissant de poser une question sur les conséquences, car ce projet de loi nous fournit maintenant une base grâce à laquelle nous pouvons discuter avec les gouvernements, la population canadienne, l’industrie et les promoteurs présents dans nos territoires, fort d’une solide connaissance de notre identité et de nos origines.

La sénatrice Coyle : Merci.

La présidente : Le temps que nous pouvions accorder à nos témoins est écoulé. Grand chef John, je voudrais, au nom du comité, vous remercier d’avoir témoigné pour nous faire part de votre avis.

Nous devons examiner deux motions avant de lever la séance. La première est proposée par le sénateur Christmas.

Le sénateur Christmas : Je propose que le mercredi 5 juin 2019, le comité procède à l’étude article par article du projet de loi C-262 après la conclusion des témoignages.

Comme les membres du comité le savent, nous avons approuvé, le mardi 28 mai, une motion pour étudier le projet de loi C-262 en quatre séances. Or, vous n’ignorez pas que la quatrième séance se tient demain, le 5 juin.

Pour nous permettre de nous conformer à l’orientation que s’est donnée le comité, cette motion confirme que nous conclurons l’étude de ce projet de loi le 5 juin en procédant à son étude article par article après la conclusion des témoignages.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Tannas : Je me doute qu’il y aura des amendements, qui devraient recevoir l’attention qui leur est due. Je proposerais une modification à la motion du sénateur Christmas. Je comprends que le temps compte. Nous devons régler ce dossier.

Nous recevons des témoins importants demain. Si nous pouvons obtenir l’assentiment des whips, nous devrions tenter de trouver un moment jeudi matin afin d’accorder une heure à l’étude article par article proprement dite.

Je proposerais de procéder à l’étude article par article à mercredi soir si nous n’obtenons pas la permission des whips afin de régler la question jeudi avant que le Sénat ne siège.

La présidente : Une modification est proposée pour la motion.

Le sénateur Patterson : Je voudrais parler à l’appui de la modification. Nous avons comme tradition de longue date de ne pas effectuer d’étude article par article à la hâte un jour où nous entendons des témoins. Tous les témoignages sont importants. Il serait vraiment pertinent de demander plus de temps, surtout si des amendements importants sont proposés, comme l’ont fait remarquer un des témoins de ce matin et le sénateur Tannas.

Je me prononcerais en faveur de la motion. Je crois comprendre que la question dépend de l’approbation des whips. Est-ce le cas, sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

Le sénateur Patterson : C’est une possibilité. Nous convenons tous qu’il s’agit d’un projet de loi qui a des répercussions considérables. Je suis d’accord pour que nous disposions d’un peu plus de temps cette semaine pour procéder à l’étude article par article. Je ferais remarquer que cela cadrera avec l’objectif général que nous nous sommes donné de conclure cette semaine notre travail sur cet important projet de loi.

Je craignais que nos procédures ne se fassent à la hâte. Je ne pense pas qu’il soit déraisonnable de réclamer la tenue d’une séance supplémentaire. Merci.

Le sénateur Sinclair : Merci. L’intention de la motion du sénateur Christmas consiste évidemment à mettre en œuvre la décision que le comité a prise au premier jour de cette étude. Cette motion est tout à fait appropriée.

La modification du sénateur Tannas aurait pour effet de modifier la décision initiale du comité voulant que nous bouclions notre étude en quatre jours. Il propose maintenant de demander aux whips de nous accorder un cinquième jour. Nous pourrions alors tenter de tenir notre débat sur les amendements au cours d’une autre séance, ce qui nous obligerait à revenir sur notre décision initiale. Je n’appuie donc pas la motion.

Je pense que la motion initiale est claire. Nous avions prévu d’effectuer l’étude en quatre jours, et c’est ce que nous devrions essayer de faire.

Ce qui m’a toujours préoccupé à propos de ce projet de loi, ce n’est pas la crainte qu’il soit traité à la hâte, mais le fait qu’il ait été délibérément retardé par l’opposition. Voilà pourquoi nous nous trouvons dans cette situation épineuse, si je puis dire. Avec tout ce qui a été fait pour empêcher le dossier de parvenir au comité, nous sommes maintenant pressés par le temps. Il est maintenant de notre responsabilité de composer avec la situation, alors faisons-le. Je propose de voter contre la modification.

Le sénateur Christmas : Le sénateur Sinclair a présenté les arguments que j’allais avancer. Nous n’avons malheureusement pas de temps. J’aimerais que nous en ayons. Je conviens avec vous qu’il s’agit d’une question très importante, sénateur Tannas, mais comme nous sommes à la onzième heure, je pense que nous devrions nous en tenir à l’échéancier initial.

La présidente : Sommes-nous prêts à mettre la motion aux voix?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Une fois que nous aurons entendu les témoins et entamé l’étude article par article, est-ce qu’une limite de temps nous empêcherait de nous réunir aussi longtemps que nécessaire pour terminer cette étude mercredi soir? Avons-nous une limite de temps?

La présidente : Non, pas vraiment.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie.

La présidente : Sommes-nous prêts à mettre la motion modifiée aux voix?

Le sénateur Sinclair : Nous prononçons-nous sur la modification?

La présidente : Que tous ceux qui sont en faveur de la modification lèvent la main. Que tous ceux qui s’y opposent lèvent la main. La modification est rejetée.

Nous revenons à la motion initiale.

Que tous ceux qui sont en faveur de la motion lèvent la main. Que tous ceux qui s’y opposent lèvent la main. La motion est adoptée.

La deuxième motion est proposée par le sénateur Tannas.

Le sénateur Tannas : Je pense que c’est le premier vote auquel j’ai jamais participé au sein de ce comité en six ans et demi.

La présidente : Non, ce n’est pas le premier. Nous avons tenu un vote la semaine dernière également.

Le sénateur Tannas : Vous avez raison, c’est le deuxième.

La présidente : Sur ce seul projet de loi.

Le sénateur Sinclair : Réglons-nous la question de la lettre? Je n’ai pas d’objection à ce qu’elle soit en anglais seulement. Je crois comprendre qu’elle sera éventuellement traduite. Si personne ne s’y oppose, plus rapidement les gens pourront en prendre connaissance, mieux ce sera, et nous aurons l’occasion d’en discuter et de l’examiner avant de passer à l’étude des amendements.

La présidente : Cela convient-il à tous? Merci.

(La séance est levée.)

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