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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 21 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi sur le cannabis, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour en étudier la teneur des éléments des parties 1, 2, 8, 9 et 14.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour aux honorables sénateurs, distingués invités et membres du public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Traduction]

Je suis heureux de vous accueillir cet après-midi à la première réunion de notre étude sur le projet de loi C-45. Le Sénat a déterminé que certaines sections ou parties bien précises du projet de loi C-45 relevaient de notre responsabilité. Il s’agit des parties 1, 2, 8, 9 et 14 du projet de loi. Ces parties nous ont été attribuées parce que les autres parties du projet de loi l’ont été à d’autres comités qui sont aussi responsables du projet de loi C-45, notamment le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Entre autres, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones examinera l’incidence du projet de loi C-45 sur les collectivités autochtones du Canada.

[Français]

Cet après-midi, j’ai le plaisir d’accueillir des figures qui nous sont familières au comité. Je suis personnellement très heureux d’accueillir Mme Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale du ministère de la Justice. Vous êtes une figure familière des travaux de ce comité. Aussi, nous recevons Mme Diane Labelle et M. Paul Saint-Denis, qui sont des avocats-conseils au ministère de la Justice et qui ont été associés à la rédaction du projet de loi C-45.

[Traduction]

Je suis heureux d’accueillir M. Eric Costen, directeur général du Secrétariat de la légalisation et de la réglementation du cannabis — j’allais dire qu’il est responsable du dossier pour le ministère de la Justice —, et M. John Clare, directeur des Affaires politiques, législatives et réglementaires de Santé Canada. Bienvenue, monsieur Clare.

Vous connaissez bien sûr les procédures du comité. Je vais demander à M. Costen de commencer. Vous avez la parole. Les sénateurs discuteront avec vous lorsque vous aurez terminé votre déclaration.

Eric Costen, directeur général, Secrétariat de la légalisation et de la réglementation du cannabis, Santé Canada : Honorables sénateurs, merci de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Comme on l’a dit, je suis directeur général du Secrétariat de la légalisation de la réglementation du cannabis de Santé Canada. Je suis heureux d’être ici en compagnie de mes collègues du ministère de la Justice.

Dans ma déclaration, je présenterai un bref aperçu du projet de loi proposé et je mettrai l’accent sur le contexte et les principaux objectifs, les rôles et les principales dispositions et responsabilités. Je vais aussi parler rapidement de la collecte de données, de la surveillance et de l’éducation et de la sensibilisation publiques.

[Français]

Permettez-moi de commencer par décrire le contexte actuel de l’interdiction du cannabis au Canada.

[Traduction]

Le Canada affiche l’un des taux les plus élevés de consommation de cannabis au monde, particulièrement parmi les jeunes. Selon Statistique Canada, plus d’un Canadien sur cinq âgé de 15 à 19 ans affirme avoir consommé du cannabis durant la dernière année. Ce taux est encore plus élevé chez les jeunes adultes âgés de 20 à 24 ans, dont le tiers affirme avoir consommé du cannabis durant la dernière année.

On estime que la valeur du marché illégal qui approvisionne les jeunes en cannabis s’élève à 7 milliards de dollars par année.

Bien sûr, la science nous a appris qu’il y a des préjudices associés à la consommation de cannabis. Nous savons que les risques sont plus importants chez les jeunes que chez les adultes, et que, plus tôt la personne commence à consommer du cannabis et plus elle en consomme fréquemment, plus ces risques augmentent.

[Français]

Le projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis proposée, offre une réponse directe aux problèmes que j’ai décrits, c’est-à-dire un nouveau cadre de contrôle réglementaire strict pour la production, la distribution et la vente de cannabis au Canada, avec des infractions et des sanctions proportionnelles pour ceux qui agissent en dehors de ce cadre.

[Traduction]

Les objectifs du gouvernement sont établis à l’article 7 du projet de loi, soit: protéger la santé des jeunes en restreignant leur accès au cannabis; préserver les jeunes et toute autre personne des incitations à l’usage du cannabis; permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités illicites qui sont liées au cannabis; prévenir les activités illicites liées au cannabis à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées; réduire le fardeau sur le système de justice pénale relativement au cannabis; donner accès à un approvisionnement de cannabis dont la qualité fait l’objet d’un contrôle; mieux sensibiliser le public aux risques que présente l’usage du cannabis pour la santé.

[Français]

La loi proposée suit les recommandations du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis.

[Traduction]

En 2016, le groupe de travail a entrepris d’importantes consultations pour écouter ce que les Canadiens, les experts en santé publique, les responsables de l’application de la loi, les gouvernements provinciaux et territoriaux, les administrations municipales, les organisations autochtones, les gouvernements des États américains ayant de l’expérience liée à l’administration de cadres de réglementation de cannabis et de nombreux autres intervenants avaient à dire.

Au moment de formuler ses recommandations, le groupe de travail a souligné un certain nombre de principes importants. Plus particulièrement, il a souligné que le gouvernement doit adopter une approche prudente et plus restrictive au départ, pour ensuite la rajuster au fil du temps si les données probantes l’exigent.

Les membres du groupe de travail ont aussi reconnu le besoin de trouver un juste équilibre afin d’atteindre les objectifs énoncés du gouvernement. D’un côté, le groupe de travail a souligné que des restrictions excessives pouvaient mener au retour du marché illégal, ainsi que des problèmes sociaux et de santé. D’un autre côté, les membres ont souligné qu’un système trop permissif pourrait lui aussi entraîner une augmentation des préjudices liés à la santé et d’autres préjudices.

Au moment de concevoir le projet de loi et de réfléchir à la réglementation fédérale qui suivra, le gouvernement a adopté une telle approche prudente et a tenu compte de l’importance de trouver un juste équilibre, ce qu’avait recommandé le groupe de travail.

La loi proposée aurait pour effet de créer des règles nationales strictes en matière de contrôle de la production, de la distribution, de la vente et la possession du cannabis au Canada et, au bout du compte, elle permettrait de mieux limiter et dissuader la consommation par les jeunes.

[Français]

La loi permettrait aux adultes de posséder, de cultiver et d’acheter légalement des quantités limitées de cannabis, qu’ils pourraient soit acheter par l’entremise d’un détaillant autorisé par le gouvernement, soit cultiver en quantités limitées à la maison. Les adultes pourraient posséder jusqu’à 30 grammes de cannabis séché en public, ou une quantité équivalente sous d’autres formes.

[Traduction]

Le projet de loi propose des mesures conçues pour limiter plus efficacement l’accès au cannabis des jeunes. Il serait illégal pour les adultes de vendre ou de distribuer du cannabis à quiconque a moins de 18 ans. La loi proposée créerait deux nouvelles infractions criminelles assorties de peines d’emprisonnement maximales de 14 ans relativement à la distribution et la vente de cannabis à des jeunes et au recours à un jeune pour commettre une infraction liée au cannabis.

La loi interdirait aussi la promotion, y compris la commandite et la publicité, qui risque de séduire les jeunes. Ces mesures sont conformes aux restrictions imposées au tabac.

Je vais maintenant parler des rôles et des responsabilités des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux au titre de la loi proposée.

La loi établit un cadre partagé de contrôle et de réglementation du cannabis, et cela exigera une coopération fédérale-provinciale-territoriale continue.

[Français]

Selon la loi proposée, le gouvernement fédéral serait responsable de l’attribution des licences et de la réglementation de la production de cannabis, y compris l’établissement et l’application de normes élevées en matière de santé et de sécurité publiques.

[Traduction]

Conformément à leur pouvoir législatif et à la lumière des circonstances locales, les gouvernements provinciaux et territoriaux pourront réglementer ou limiter la distribution et la vente du cannabis sur leur territoire. La loi proposée offrirait une certaine marge de manœuvre aux provinces et aux territoires afin qu’ils puissent adapter certaines règles et certains outils d’application de la loi. Cela inclut la souplesse nécessaire pour augmenter l’âge minimal pour consommer et établir des limites plus strictes en matière de possession ou de culture à des fins personnelles. Ils pourraient aussi établir des limites de zonage pour les entreprises du domaine du cannabis et établir des restrictions précises quant aux endroits où le cannabis peut être cultivé et à la façon dont il faut le faire.

La coordination entre les divers ordres de gouvernement est très importante et continuera de l’être. Pour faciliter ce processus, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux de la Santé, de la Justice et de la Sécurité publique ont créé un groupe de travail de hauts fonctionnaires au printemps 2016. Ce groupe visait à faciliter la consultation, la communication d’information et la collaboration tout au long de la conception et de la mise en œuvre de la nouvelle loi. Les hauts fonctionnaires se sont réunis aux trois semaines pour discuter des nouveaux enjeux et coordonner les efforts. Ce travail de collaboration se poursuivra tandis que nous nous préparons à la mise en œuvre de la loi, si jamais le projet de loi reçoit la sanction royale.

Les provinces et les territoires ont fait d’importants progrès afin d’être prêts pour la mise en œuvre de leurs systèmes de vente et de distribution.

[Français]

Par exemple, toutes les provinces et tous les territoires ont présenté un projet de loi ou annoncé les principaux points de leur approche quant à la vente au détail.

[Traduction]

J’aimerais dire quelques mots au sujet de la participation des Autochtones. Nous comprenons la valeur et l’importance de la prise en considération des points de vue des Autochtones dans le cadre de notre travail, et nous avons fait des efforts concertés pour mobiliser les Autochtones ainsi que leurs organisations et leurs gouvernements.

Plus précisément, Santé Canada a créé une capacité d’extension spéciale pour soutenir l’engagement des Autochtones et la création de partenariats. Nous avons aussi créé un service de repérage pour aider les entrepreneurs et les entreprises autochtones à présenter des demandes dans le cadre du processus réglementaire d’octroi de permis.

Au cours des derniers mois, nous avons assisté à plus de 30 réunions dans diverses collectivités des Premières Nations, inuites et métisses de partout au Canada où nous avons pu écouter les dirigeants, les aînés, les fournisseurs de services et d’autres experts de divers secteurs. Nous avons aussi eu l’honneur de présenter des exposés dans le cadre de ces réunions.

Nous travaillons en collaboration avec les dirigeants autochtones pour nous assurer que les activités d’éducation et de sensibilisation publiques sont adaptées du point de vue culturel et que nos efforts tiennent compte des intérêts précis de leurs collectivités.

En partenariat, Santé Canada et Services aux Autochtones Canada ont fourni du financement à l’Assemblée des Premières Nations et à la Thunderbird Partnership Foundation pour soutenir l’engagement autochtone concernant la réglementation et la légalisation du cannabis. Cela inclut fournir une aide financière au groupe de travail sur le cannabis de l’APN, qui a été mis sur pied pour préparer les collectivités des Premières Nations en vue de la légalisation et de la réglementation du cannabis.

J’aimerais maintenant dire quelques mots sur la façon dont nous avons réagi à deux importantes leçons dont nous ont fait part les États américains au sujet de la sensibilisation publique précoce et permanente et en ce qui concerne la production de rapports et la surveillance adéquates.

Nous tentons de mettre en place un système de contrôle et de surveillance des données afin d’évaluer les répercussions du projet de loi et de permettre des rajustements appropriés au fil du temps. Notre stratégie est fondée sur les leçons apprises dans des administrations comme le Colorado et Washington, en particulier.

De plus, nous avons créé un système national de suivi du cannabis qui permettra de faire un suivi des stocks et des déplacements globaux du cannabis dans la chaîne d’approvisionnement afin de prévenir que du cannabis soit détourné vers le marché illégal ou que du cannabis illégal entre dans la chaîne d’approvisionnement légal.

Le gouvernement a fait d’importants investissements initiaux en matière d’éducation et de sensibilisation publique, des investissements centraux à la stratégie du gouvernement visant à protéger la santé et la sécurité publique, surtout lorsqu’il est question des jeunes.

Dans le budget de 2018, le gouvernement a annoncé un investissement de 62,5 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir la participation des organisations communautaires et autochtones dans le cadre de la promotion de la sensibilisation au sein des collectivités quant aux répercussions de la consommation du cannabis. Ce financement s’ajoute aux 46 millions de dollars sur cinq ans qui ont déjà été affectés à la promotion de l’éducation et de la sensibilisation publiques et des activités de surveillance.

Le gouvernement a aussi pris des mesures pour informer et éduquer le public canadien, en ciblant initialement les jeunes, les jeunes adultes et les parents, de façon à accroître la sensibilisation quant aux risques de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Par exemple, en novembre dernier, Sécurité publique Canada a lancé une campagne de publicité nationale intitulée Ne conduis pas gelé. Cette campagne se poursuit jusqu’en mars. Jusqu’à présent, elle a permis de joindre plus de 13 millions de Canadiens.

La campagne de sensibilisation publique mettra ensuite l’accent sur les faits liés à la santé et la sécurité associés au cannabis afin de fournir aux Canadiens les renseignements dont ils ont besoin pour se préparer en vue de la légalisation et de la réglementation du cannabis.

Pour terminer, le projet de loi C-45 tente de créer un nouveau cadre plus efficace de contrôle du cannabis, un cadre qui permettra de mieux protéger les jeunes tout en remplaçant le marché illégal par un marché rigoureusement réglementé.

[Français]

Je vais maintenant céder la parole à ma collègue, Carole Morency.

[Traduction]

Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, ministère de la Justice : Durant ma déclaration, je fournirai un aperçu de la nouvelle approche proposée en matière d’infraction liée au cannabis prévue dans le projet de loi C-45 et la mesure dans laquelle cette approche est différente de l’approche actuelle de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la LRCDAS.

[Français]

Le projet de loi propose un nouveau cadre qui vise à réglementer strictement le cannabis et à en limiter l’accès tout en sanctionnant les personnes qui agissent en dehors de ce cadre.

[Traduction]

L’article 7 définit l’objectif de la loi et, même si tous ces objectifs sont pertinents, je vais m’intéresser plus précisément à trois objectifs, notamment prévenir les activités licites liées au cannabis à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées, protéger les jeunes et réduire le fardeau sur le système de justice pénale relativement au cannabis.

[Français]

Le projet de loi vise à atteindre le premier objectif de dissuasion des activités illicites à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées de deux façons.

[Traduction]

Premièrement, pour des infractions moins graves précises, comme la possession publique de plus de 30 grammes, mais de moins de 50 grammes de cannabis, la culture à domicile de 1 ou 2 plans de plus que la limite permise de 4 plans, les policiers pourraient choisir leur façon d’intervenir. Ils pourraient choisir les habituelles procédures sommaires qui mènent à un procès ou ils pourraient choisir de donner une contravention de 200 $, un choix qu’ils n’ont pas actuellement au titre de la LRCDAS.

Tout en maintenant la nature criminelle de l’infraction, la nouvelle option de contravention permettrait de traiter de façon plus simple et plus efficiente des infractions mineures réduisant ainsi le fardeau sur le système de justice pénale associé aux poursuites par procédure sommaire.

Le régime proposé de contravention pourrait aussi atténuer l’impact d’une déclaration de culpabilité sur les personnes en permettant que les empreintes digitales ne soient pas prises lorsqu’une contravention est donnée. En outre, le casier judiciaire associé à une telle déclaration de culpabilité est conservé séparément des autres — en d’autres mots, le casier n’est pas aussi facilement accessible par les professionnels de la justice pénale — et le casier judiciaire connexe associé à la déclaration de culpabilité ne peut pas être utilisé pour identifier la personne comme un délinquant au titre de la loi.

La deuxième façon dont le projet de loi C-45 prévient les activités illicites grâce à des sanctions et des mesures d’application de la loi appropriées, c’est en maintenant le même ensemble complet d’interdictions que celui qui figure actuellement dans la LRCDAS, mais en les assortissant de pénalités différentes et en ajoutant certaines nouvelles interdictions, y compris une interdiction liée à l’utilisation d’un jeune pour commettre une infraction relative au cannabis.

Par exemple, le projet de loi C-45 maintient les interdictions actuelles contre la possession, la distribution, la vente et la production illicites ainsi que l’importation ou l’exportation non autorisées. Au titre du projet de loi C-45, l’infraction de trafic de la LRCDAS serait scindée en deux: distribution et vente.

Cependant, contrairement à la LRCDAS, le projet de loi C-45 propose une structure d’infractions et des pénalités différentes. Par exemple, au titre de la LRCDAS, le trafic est une infraction punissable par mise en accusation assortie d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité et de peines minimales obligatoires, les PMO, de un ou deux ans. Au titre du projet de loi C-45, la vente et la distribution seraient des infractions hybrides punissables d’un emprisonnement maximal de 14 ans sur acte d’accusation ou de six mois pour les déclarations de culpabilité par procédure sommaire. Il n’y aurait pas de PMO pour ces infractions ou toute autre infraction liée au cannabis. Une approche similaire est proposée pour les infractions liées à l’importation et l’exportation.

Certaines personnes ont remis en question la raison pour laquelle le projet de loi C-45 propose des pénalités maximales de 14 ans d’emprisonnement tout en légalisant le cannabis. Soyons clairs: même si le projet de loi C-45 propose de légaliser le cannabis dans certaines circonstances, tout ce qui échappe à ce cadre légal restera interdit. Par conséquent, l’objectif principal du projet de loi, c’est de continuer à interdire efficacement non seulement les violations moins graves aux comportements permis, mais aussi, par exemple, les comportements graves comme le trafic par le crime organisé.

Les sanctions proposées reflètent cette approche et donneraient aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour imposer les peines appropriées dans chaque cas.

[Français]

À l’instar de la loi actuelle, le projet de loi C-45 propose que le tribunal conserve le pouvoir de reporter la détermination de la peine pour permettre à l’individu de participer à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie.

[Traduction]

Le projet de loi C-45 tente d’atteindre le deuxième objectif principal, soit de protéger les jeunes de trois façons principales. Premièrement, contrairement à la LRCDAS, il y aurait une infraction précise concernant le fait de vendre ou de fournir une quantité de cannabis, licite ou illicite, à un jeune.

Deuxièmement, comme je viens de le mentionner, le projet de loi propose d’interdire l’utilisation d’un jeune dans le cadre de la perpétration d’une infraction liée au cannabis. Cette infraction, tout comme les infractions qui visent les jeunes, comme la vente à une jeune personne, sont assorties de pénalités plus élevées, soit 14 ans d’emprisonnement sur acte d’accusation ou 18 mois sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire — ainsi que des amendes pouvant atteindre 15 000 $.

Troisièmement, un jeune qui commet une infraction liée au cannabis — par exemple, possession de plus de cinq grammes de cannabis — serait visé par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui est fondée sur les principes de réhabilitation et de réinsertion.

Contrairement à la LRCDAS, le projet de loi C-45 ne criminalise pas les jeunes qui possèdent ou distribuent de très petites quantités de cannabis. Même si le projet de loi interdit strictement le fait de donner ou de vendre du cannabis à un jeune, la réalité, c’est que, même sous le régime actuel qui mise sur la criminalisation totale, les jeunes Canadiens sont parmi les plus grands consommateurs à l’échelle mondiale. Par conséquent, le projet de loi C-45 reconnaît qu’il est très possible que des jeunes continuent d’avoir accès à du cannabis et, lorsqu’ils seront en possession de petites quantités, soit cinq grammes ou moins, de cannabis séché ou son équivalent, ils ne seraient pas criminalisés.

[Français]

Cette approche reconnaît que les démêlés avec le système de justice pénale, surtout lorsqu’il s’agit de petites quantités, peuvent entraîner des effets négatifs à long terme sur les jeunes.

[Traduction]

Les provinces et les territoires pourraient plutôt créer des infractions provinciales liées à la possession par des jeunes de quantités inférieures à cinq grammes, donnant ainsi le pouvoir aux policiers de saisir le cannabis des jeunes sans les assujettir aux graves conséquences liées au fait d’être déclaré coupable d’une infraction criminelle. Le comité sait peut-être que de telles interdictions ont été proposées dans tous les projets de loi provinciaux liés au cannabis récemment présentés. Une telle interdiction a aussi été adoptée dans le projet de loi 174 de l’Ontario. D’autres administrations ont publiquement annoncé qu’elles prévoient faire la même chose.

Pour terminer, le projet de loi C-45 protège aussi les jeunes grâce à des restrictions liées à la promotion, à l’emballage, à l’étiquetage et à l’exposition du cannabis.

[Français]

Le troisième grand objectif du cadre d’interdiction du projet de loi C-45 vise à réduire le fardeau sur le système de justice pénale.

[Traduction]

Pour commencer, on s’attend à ce que la légalisation et la réglementation stricte du cannabis feront en sorte qu’un grand nombre de cas ne se retrouveront pas devant le système de justice pénale. Statistique Canada a déclaré que, en 2016, environ 23 000 accusations liées au cannabis ont été déposées, 76 p. 100 d’entre elles étant liées à la possession de cannabis. La légalisation permettrait de réduire de beaucoup ce nombre.

La deuxième façon dont le projet de loi C-45 vise à réduire le fardeau sur le système de justice pénale, c’est grâce au cadre de contravention que je viens de décrire. Encore une fois, c’est une autre innovation qui devrait permettre d’éviter des processus officiels de déclaration de culpabilité par procédure sommaire menant à un procès.

En conclusion, je rappelle aux membres du comité que la ministre de la Justice a présenté un énoncé concernant la Charte liée au projet de loi C-45 devant les deux chambres du Parlement. Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse aux représentants de Santé Canada. Je les remercie d’être ici aujourd’hui.

J’essaie de comprendre comment la campagne de sensibilisation ou d’information publique à l’intention des jeunes va s’articuler. Ce qui m’a frappée dans le documentLegalizing and strictly regulating cannabis, c’est qu’il n’y a aucune mention du fait qu'entre 12 et 17 ans, un jeune peut légalement posséder 5 grammes ou moins de cannabis. Cela me semblait assez bien fait en termes d’information générale, mais on omet une information qui m’apparaît importante.

J’essaie de comprendre comment vous allez articuler votre campagne d’information publique, parce qu’on part d’un régime de consommation à des fins médicales, où le message transmis depuis un certain nombre d’années est qu’il y a des effets bénéfiques également pour des enfants qui ont des maladies très graves et qui sont soulagés par le cannabis. D’un autre côté, le message qu’on veut passer, c’est que c’est un produit dangereux à consommer, mais qui ne pose pas problème lorsque vous respectez la limite.

Je crois que nous avons compris votre message selon lequel, à l’heure actuelle, il existe une importante consommation de cannabis chez les jeunes. J’essaie donc de voir comment vous articulerez cette campagne de sensibilisation pour rejoindre les jeunes.

[Traduction]

M. Costen : C’est une très bonne question, qui souligne, de plus d’une façon, la complexité de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Vous avez soulevé de nombreux points importants. Je vais faire de mon mieux pour tous les aborder.

Je vais commencer par ce que vous avez dit au sujet du fait que l’environnement dans lequel nous communiquons avec les jeunes, et tout particulièrement au sujet du cannabis, regorge de messages différents actuellement communiqués aux jeunes. Par conséquent, bien sûr, il y a toutes sortes de messages qui renforcent certains mythes au sujet du cannabis; on affirme qu’il n’y a pas de danger ou que c’est beaucoup moins néfaste que d’autres substances, et que, en fait, le cannabis améliorera même certaines choses dans votre vie.

Bien sûr, comme vous venez de le mentionner, il y a aussi de plus en plus d’information sur le cannabis et sa possible utilisation thérapeutique, qui commence à créer de la confusion chez certaines personnes. Si quelque chose est bon pour des raisons thérapeutiques, ce doit, par conséquent, être bon pour des raisons non thérapeutiques, ce qui, bien sûr, n’est pas un raisonnement logique. Nous savons qu’il y a des produits pharmaceutiques très bons pour nous lorsque nous sommes malades, mais nous ne dirions pas qu’ils sont bons pour nous tout simplement pour le plaisir.

Ce que nous tentons de faire en mettant au point une campagne d’éducation publique — tout ça a commencé il y a un an, et je vais vous expliquer deux ou trois choses que nous avons faites l’année passée —, c’est d’éliminer ces messages, de commencer à démystifier certains des renseignements en communiquant les faits au sujet du cannabis, au sujet des effets sur la santé de la consommation de cannabis, pour essayer de contrer certains des mythes et présenter les choses de façon crédible et digne de confiance directement aux jeunes, à leurs parents et aux autres adultes dans leur vie, comme les enseignants, les entraîneurs et ainsi de suite. La campagne que nous sommes en train de lancer met vraiment l’accent sur ces genres d’idées.

L’autre chose, bien sûr, c’est que, communiquer avec les jeunes en 2018, c’est très différent de lorsque j’étais moi-même jeune. Les plateformes que nous utilisons visent vraiment à communiquer avec les jeunes là où ils sont, actuellement, c’est-à-dire que nous utilisons toute une gamme de plateformes de médias sociaux, de Facebook à Twitter et tout ce qu’il y a entre les deux. On n’utilise pas nécessairement les anciens modes de communication comme les publicités à la télévision et à la radio ou les annonces dans les journaux et ce genre de choses.

C’est en fait par une campagne dans les médias sociaux que nous avons commencée en mars dernier. L’idée, c’était vraiment de promouvoir une conversation, fondée sur les faits, entre les parents et leurs enfants au sujet des questions qu’ils ont au sujet de la consommation de cannabis et des autres drogues. Par conséquent, nous avions lancé une assez importante campagne dans les médias sociaux durant le printemps qui était alors soutenue par un certain nombre de partenariats stratégiques. Le partenariat que je vous mentionnerai, c’était avec un groupe appelé Jeunesse sans drogue Canada, une excellente organisation non gouvernementale qui a créé des trousses de discussions pour les parents. En partenariat avec cette organisation, nous avons réussi à distribuer 180 000 exemplaires de cette trousse. L’organisation a réussi, à elle seule, à faire aussi beaucoup de travail de promotion.

Nous passons maintenant, presque au moment où on se parle, à une campagne qui portera précisément sur la communication de plus de faits liés à la santé non seulement aux jeunes, mais aussi aux jeunes adultes, et tout ça, dans le but — pour revenir à votre question initiale — de faire de cet environnement engendrant beaucoup de confusion actuellement pour les jeunes qui entendent des experts et des professionnels de la santé parler, de façon neutre, objective et sans passion, des données scientifiques et de ce qu’elles nous apprennent sur les risques et de leur communiquer l’information d’une façon qui atteindra vraiment l’auditoire que nous tentons de joindre et, plus que tout, de façon neutre et juste. Ma réponse est un peu longue, mais vous vouliez savoir.

Pour ce qui est des questions sur les cinq grammes, je ne sais pas si Diane ou Carol veulent dire quelque chose à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Avant que vous ne répondiez, maître Morency, j’aimerais savoir si, à partir de ce que vient d’affirmer le représentant du ministère de la Santé, le ministère de la Justice envisage l’interdiction de toute possession. Sinon, pourquoi?

Autrement dit, est-ce que l’introduction de 5 grammes et moins empêcherait les autres provinces d’adopter un autre type de réglementation quant à cette question?

[Traduction]

Mme Morency : Je vais commencer en soulignant que, au titre du projet de loi C-45, seuls les adultes peuvent posséder légalement du cannabis. Par conséquent, le fait de vendre du cannabis, d’en donner ou d’en distribuer à un jeune sera toujours illégal.

Cependant, le défi, comme le groupe de travail l’a aussi reconnu, c’est que le système de justice pénale est une espèce de masse lourde. Si on parle d’une toute petite quantité — dans ce cas-ci, le projet de loi C-45 propose 5 grammes ou moins, c’est là une très petite quantité comparativement à la quantité qu’un adulte peut posséder en public, soit 30 grammes. L’idée, c’est de dire: est-ce que l’intervention du système de justice pénale en cas d’une si petite quantité est la façon la plus efficace de régler la situation? Ou y a-t-il d’autres façons pour la société de le faire? Nous reconnaissons que les jeunes sont maintenant de grands consommateurs, même dans un régime d’interdiction totale.

Les provinces peuvent utiliser le pouvoir qu’elles ont maintenant pour dissiper cette préoccupation. C’est dans un contexte différent et sans les mêmes conséquences pénales complètes. Lorsqu’on dépasse le seuil établi dans le projet de loi C-45, alors le projet de loi C-45 prévoit l’application du droit criminel.

La sénatrice Eaton : Une précision s’il vous plaît pour revenir à la question de la sénatrice Dupuis: cinq grammes c’est environ quatre joints. Par conséquent, en d’autres mots, si je suis un étudiant du secondaire — j’ai 16 ans — et que j’ai quatre joints dans ma poche, ce qui est moins que cinq grammes, vous ne me les enlevez pas, et j’ai le droit de les avoir, c’est ça? C’est ce que le libellé prévoit? Le libellé, c’est que j’ai le droit d’avoir moins que cinq grammes ou est-ce que j’ai le droit de n’en avoir aucun? C’est ce que je ne comprends pas.

Paul Saint-Denis, avocat-conseil, ministère de la Justice du Canada : Le projet de loi propose d’autoriser la possession de 5 grammes ou moins. Un jeune de moins de 18 ans pourra donc avoir en sa possession 5 grammes ou moins.

La sénatrice Eaton : Je pourrais donc aller dans une école secondaire avec quatre joints dans les poches.

M. Saint-Denis : Ce que nous avons fait… nous avons discuté avec les provinces pour en arriver là où nous sommes, et si vous consultez les lois provinciales qui sont proposées ou qui ont été adoptées jusqu’ici par rapport au cannabis, vous verrez qu’elles interdisent toutes uniformément la possession de cannabis chez les jeunes.

Notre objectif, comme Me Morency l’a souligné est d’éviter de faire intervenir le système de justice pénale lorsqu’il est question de petites quantités. Nous voulons laisser les provinces prendre des mesures moins punitives pour les cas de possession de petites quantités.

La sénatrice Eaton : Je ne suis pas avocate, mais je me demande pourquoi nous ne pouvons pas simplement décriminaliser lorsqu’il est question de quantités de moins de 5 grammes? N’est-il pas laissé à la discrétion des policiers de dire: « hé, le jeune, débarrasse-toi de ça, d’accord? » À mon avis, si moi ou plutôt un élève du secondaire lit cela... c’est comme dire implicitement qu’on peut posséder moins de 5 grammes dans ses poches. C’est ton droit. Ce n’est pas contre la loi.

Même si vous dites au comité : « oh, c’est implicite. Ce n’était pas notre intention. » Mais c’est de cette façon que les élèves du secondaire vont l’interpréter. Je ne veux pas débattre avec vous de cette question, car je dois m’absenter. Je suis désolée. Mais je vous remercie de votre réponse.

Je vais laisser le professeur Gold là-bas prendre la parole.

Le sénateur Gold : Bien sûr, avec plaisir.

La sénatrice Eaton : Monsieur Costen, vous avez dit qu’il faut protéger les jeunes. Il y a toutes sortes de mesures en ce qui concerne la distribution, la promotion de la marque, l’emballage neutre… c’est très bien. Mais il demeure que j’ai le droit de faire pousser quatre plants dans ma cour arrière. J’ai des enfants. Ça n’a pas de sens. Comment comptez-vous protéger les jeunes? Mon voisin d’à côté a aussi le droit de faire pousser quatre plants, tout comme le voisin au bout de la rue et tous les autres.

Est-ce qu’il va y avoir une police du cannabis, qui va se promener aux alentours jusqu’à ce qu’elle sente du cannabis? Comment allons-nous protéger les jeunes?

M. Costen : Comme vous le savez probablement, le droit de cultiver quatre plants était l’une des questions principales que le groupe de travail devait examiner. J’ai pu participer à une grande partie des travaux, et je peux vous assurer que cette question a été débattue dans plusieurs contextes.

Il s’agit d’une question d’équilibre; nous devons reconnaître que nous sommes en train d’élaborer un régime où il sera légal d’acheter ce produit à certains endroits et dans certains types de boutiques…

La sénatrice Eaton : C’est une chose d’en acheter en boutique, où je dois fournir une pièce d’identité, payer comptant et faire tout ce que je devrais probablement faire pour en acheter, mais c’est tout autre chose si les enfants du voisin peuvent simplement sauter par-dessus ma clôture pour se rendre dans mon jardin et prendre quelques branches de mon plant de cannabis.

M. Costen : D’accord. Je vais essayer de répondre rapidement.

La position du groupe de travail s’est fondée essentiellement sur deux aspects.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, le premier aspect tient à la façon dont le projet de loi est conçu. C’est-à-dire que les gouvernements provinciaux ou les administrations municipales peuvent ajouter des restrictions. Par exemple, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a déjà pris la structure de base que nous proposons dans le projet de loi C-45 et a ajouté d’autres dispositions. En ce qui concerne la culture à domicile, le Nouveau-Brunswick a mis en place des restrictions précises relativement à l’entreposage du cannabis chez soi.

Dans une certaine mesure, l’intention était de laisser les ordres de gouvernement concernés mettre ces restrictions en place à l’échelle locale. Certaines personnes ont proposé de créer un registre dans une collectivité qui a peut-être l’intention d’instaurer un système de permis. Selon le groupe de travail, il était préférable de laisser les gouvernements locaux prendre ce genre de décision à l’échelle locale.

Le second aspect concerne l’exposition. Encore une fois, ce que je dis reflète les conseils du groupe de travail, qui a reconnu qu’il y a effectivement, dans chaque demeure, des choses nocives. Les parents et les adultes responsables prennent des précautions pour éviter que ce genre de choses pose un danger, en particulier s’ils ont de jeunes enfants. Le raisonnement du groupe de travail est que cela s’applique aussi aux adultes qui décident de faire pousser deux ou trois plants de cannabis, même s’ils ont de jeunes enfants. Ils vont prendre des mesures en conséquence, comme ils le font avec les produits ménagers, l’alcool ou la bonbonne de propane.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que les citoyens ne sont pas tous des chimistes ou des cuisiniers en herbe — excusez le jeu de mots — , mais à l’annexe 3 du projet de loi, dans le tableau des équivalences, on voit que 1 gramme de cannabis séché équivaut à 5 grammes de cannabis frais, ou encore à 70 grammes de substances qui ne sont pas solides et qui contiennent du cannabis, et cetera. Pouvez-vous déchiffrer cela pour le commun des mortels? Comment le citoyen pourra-t-il s’y retrouver? Je comprends que quand on parle d’un joint, c’est facile, mais en quoi ce produit consiste-t-il?

[Traduction]

John Clare, directeur, Affaires politiques, législatives et réglementaires, Santé Canada : Les catégories de cannabis figurant dans le tableau reflètent le fait que le cannabis comme nous l’imaginons normalement — c’est-à-dire sous la forme d’une plante séchée que les gens fument — n’est que l’une des façons dont les gens consomment du cannabis. En réalité, le cannabis peut être transformé en toute une gamme de produits différents…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donnez-moi un exemple de ce que représentent 350 grammes de substances qui ne sont pas solides et qui contiennent du cannabis. Est-ce un gâteau au chocolat?

[Traduction]

M. Clare : L’huile de cannabis est un exemple de produit dont la vente sera légale une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, si cela arrive. Il s’agit d’un composé actif qui est extrait de la plante de cannabis — que ce soit le THC à cause de ses effets psychotropes ou un autre cannabinoïde, comme le CBD, reconnu pour ses propriétés potentiellement bénéfiques pour la santé — en suspension dans de l’huile, ce qui permet aux consommateurs d’ingérer le cannabis au lieu de le fumer.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, on parle, par exemple, de muffins.

[Traduction]

M. Clare : Ce serait plutôt comme une gélule avec l’huile à l’intérieur, ou un flacon compte-gouttes. C’est ce qu’on entend par des substances qui ne sont pas solides et qui contiennent du cannabis.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Quelle est la valeur de ces produits sur le marché, actuellement?

[Traduction]

M. Clare : Ce genre de produits est offert actuellement dans le cadre du Programme d’accès à la marijuana à des fins médicales.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui, parce qu’il n’y a qu’eux qui peuvent en vendre, en ce moment.

[Traduction]

M. Clare : Exactement. C’est offert…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Quelle en est la valeur?

[Traduction]

M. Clare : Cela dépend de la concentration du produit. Un produit qui contient beaucoup de THC coûte plus cher. Les produits novateurs sont aussi plus chers. Il y en a toute une gamme.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Les consommateurs pourront-ils produire de l’huile de cannabis à même leur production domestique?

[Traduction]

M. Costen : Oui, mais la mise en garde sera très claire. Mais si vous me demandez si les gens pourront acheter du cannabis séché et en mettre dans de l’huile d’olive pour créer de l’huile infusée, alors la réponse est oui, absolument. Cela ne cause pas de problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ils le pourront?

M. Costen : Oui, ils le pourront.

[Traduction]

Mais si vous me demandez s’ils pourront utiliser des produits inflammables dangereux comme ceux qui sont parfois utilisés pour extraire les composés, alors la réponse est non.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mais si, par exemple, dans un édifice de 100 condos, tous les gens étaient en possession de quatre plants de cannabis — ce qui fait 1 600 plants de marijuana qui produiraient de l’huile —, sommes-nous conscients qu’en termes de sécurité publique, il peut arriver des événements relativement inquiétants?

[Traduction]

M. Costen : Dix pour cent des adultes au Canada ont reconnu consommer du cannabis au moins une fois par année. Alors, le scénario que vous proposez…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mais 40 p. 100 disent qu’ils ont l'intention d'en consommer, si c’est légal.

Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : J’aimerais qu’on revienne aux articles concernant les jeunes. Ce qui me préoccupe, c’est la différence entre la façon dont on traite les jeunes et les adultes, ainsi que le contexte des contraventions. Lorsqu’il est question de jeunes, la décision de porter des accusations ou de prendre des mesures extrajudiciaires est laissée à la discrétion de l’agent de police. Je me demande donc si cela pourrait mener à des situations ou des accusations pourraient être portées contre un jeune parce qu’il a 25 grammes en sa possession. Et si c’est sa deuxième infraction, les accusations qui sont portées vont lui valoir un casier judiciaire. De l’autre côté, un adulte qui se fait arrêter et qui a en sa possession, disons, 45 grammes, va devoir payer une amende de 200 $, et il va se retrouver avec un casier judiciaire. Ce n’est pas vraiment un casier judiciaire. Je ne sais pas exactement ce que c’est, mais ce n’est pas un casier judiciaire. La différence entre la façon dont on traite les jeunes et les adultes est assez importante, n’est-ce pas, ou est-ce que ce n’est pas ce qu’on va faire en pratique?

Mme Morency : Je veux commencer par dire que si un adulte est reconnu coupable d’une infraction passible d’une contravention, cette personne va être condamnée au criminel et aura un casier judiciaire. Si un jeune commet une infraction aux termes du projet de loi C-45, alors cela relève de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Les membres du comité le savent sûrement, mais en vertu de cette loi, les agents de police disposent d’une grande marge de manœuvre lorsqu’il est question d’un adolescent: ils peuvent choisir de ne rien faire, de donner un avertissement, de donner une mise en garde officielle ou même d’aiguiller le jeune vers un programme de services communautaires, si l’agent de police juge que c’est approprié.

Je suis d’accord avec vous quant au fait que les jeunes et les adultes sont traités différemment.

Selon moi, le projet de loi C-45 tient compte des circonstances particulières des jeunes, et il permet aux agents de police de réagir d’une façon qui s’aligne sur les principes fondateurs de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, c’est-à-dire promouvoir la réadaptation et la réinsertion sociale.

Il y a une question qui a été posée plus tôt à laquelle nous n’avons pas pu répondre, mais je veux que ce soit clair: si un adolescent se présente à l’école avec, par exemple, 2 grammes de cannabis séché dans les poches, en vertu du projet de loi C-45 — disons que cela se passe en Ontario, parce que le projet de loi de l’Ontario a déjà été adopté —, un agent de police sur place qui découvre que l’adolescent a deux joints dans ses poches serait autorisé à lui confisquer les deux joints et à prendre les mesures qui s’imposent par rapport à cette jeune personne en vertu de la loi provinciale, qui demeure moins punitive que ce qui est prévu dans le projet de loi C-45.

Ultimement, ce qu’il faut retenir par-dessus tout est que le projet de loi C-45 défend à tout adulte, peu importe les circonstances, de donner, de vendre ou de distribuer du cannabis sous n’importe quelle forme à un jeune. Si un jeune s’est procuré du cannabis, c’est forcément que quelqu’un d’autre a commis une infraction — et le projet de loi C-45 prévoit des recours en conséquence — ou il se l’est procuré illicitement. Dans les deux cas, la police devrait être en mesure de gérer la situation.

Le sénateur Pratte : C’est une excellente réponse à une autre question, mais j’aimerais revenir à la question que j’ai posée, parce que vous n’y avez répondu qu’à moitié.

Même si la décision est laissée à la discrétion de l’agent de police, il y a beaucoup de jeunes qui sont accusés de ce genre d’infractions en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Donc, il y a une véritable possibilité que des accusations soient portées contre eux. Les adultes qui commettent des infractions passibles d’une contravention vont avoir un casier judiciaire, même si — et je vous prierais de m’expliquer cela — il s’agit d’une sorte de casier judiciaire différent... les employeurs ne peuvent pas l’utiliser, par exemple.

Il y a une différence. Même si le casier judiciaire d’un jeune peut être effacé après deux ou trois ans ou quelque chose du genre, cela va tout de même avoir un impact énorme sur la vie de ce jeune.

Une infraction passible d’une contravention n’a pas ce genre d’impact.

Mme Morency : Si la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est appliquée et qu’une mise en garde officielle est émise, alors cela laisse une trace. Seuls certains professionnels dans le milieu de la justice pénale — et personne du public — ont accès au casier judiciaire des adolescents. Cela vaut aussi pour les mises en garde. Ce n’est pas comme le CIPC. Donc, il y a des dispositions dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui ont pour but de protéger les jeunes qui se retrouvent dans cette situation.

[Français]

Le président : D’autres commentaires? Madame Labelle?

Diane Labelle, avocate générale, ministère de la Justice Canada : En réponse à votre question, il y a aussi le fait qu’il va y avoir une loi provinciale qui s’appliquera à la possession de drogue par les jeunes gens. L’agent de police qui se retrouve dans une situation où il y a une jeune personne qui a 2 grammes en sa possession pourra se fonder sur la loi provinciale pour saisir la drogue ou administrer une infraction appropriée.

Si la jeune personne a plus de 5 grammes, encore une fois, je crois que l’agent de police aura le choix de se prévaloir de la loi provinciale ou de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Je vais donner suite aux questions de la sénatrice Eaton. Elle a été assez aimable, je suppose, pour m’appeler « professeur Gold », et j’imagine que je suis toujours professeur de droit constitutionnel.

J’ai une question et un commentaire. Mes collègues savent que j’appuie ce projet de loi, mais il y a des aspects que je ne comprends pas. Je crois que vous avez très bien expliqué pour quelle raison on ne veut pas criminaliser un jeune qui se trouve en possession de cinq grammes ou moins, donc cette justification est claire pour moi.

Pourriez-vous me donner la raison qui ne s’appuie pas nécessairement sur la bière faite maison et le vin artisanal pour justifier la capacité de cultiver jusqu’à quatre plants?

Mes collègues vont comprendre que cela fait partie du régime médical qui était le résultat de décisions des tribunaux en raison de l’accès inadéquat à d’autres sources légales de cannabis à des fins thérapeutiques, mais maintenant que celui-ci sera accessible aux adultes, qu’est-ce qui justifie la limite de quatre plants, quand on sait que cela pose certains problèmes en matière de sécurité — peut-être pas au même niveau que ce qui touche les condominiums — et, franchement, des problèmes pour les propriétaires et les voisins, compte tenu de la nuisance et d’autres choses du genre?

M. Costen : Je vais faire de mon mieux pour reconnaître que cette décision découle des délibérations du Groupe de travail. C’est une question qui a été soulevée dans chaque salle et qui a suscité de fortes opinions de part et d’autre. Je vais vous donner deux exemples pour tenter de répondre à votre question concernant la justification.

Le premier touche une reconnaissance que vous connaissez tous, j’en suis sûr, vu l’attention particulière que vous avez déjà accordée à cet enjeu. Des millions de Canadiens consomment du cannabis, et, dans la soi-disant culture du cannabis, de nombreuses personnes aiment faire pousser des plants pour elles-mêmes, sans aucune autre raison que de les faire pousser. Cela leur procure du plaisir. Le groupe de travail a entendu dire cela.

Vous avez parlé du programme médical, qui est une observation importante.

Le deuxième élément concernait la reconnaissance d’un contexte où il y a une chaîne d’approvisionnement légale et où vous avez un approvisionnement suffisant et une industrie réglementée robuste grâce à la culture commerciale, à des produits commerciaux et à leur vente dans les magasins; il peut arriver des situations très généralisées où la culture à domicile devient problématique, comme nous le voyons dans des exemples aujourd’hui. Les exemples problématiques que nous voyons aujourd’hui ne concernent pas deux ou trois plants. Ce sont des centaines ou des milliers de plants qui occupent une maison et mènent à des activités très dangereuses où on traficote des fils électriques, à des moisissures et tout ce genre de choses.

Le reste de l’explication, c’est que, dans un monde où vous avez une chaîne d’approvisionnement réglementée, la demande pour le produit sera grandement réduite. Une minorité de personnes feront la culture, mais cette minorité a présenté des arguments convaincants voulant que, dans un monde où l’accès légal existe, certaines dispositions minimes leur permettant de continuer de cultiver le cannabis ne présenteraient pas un risque important pour la santé et la sécurité du public.

Le sénateur Gold : À mon avis, une des choses que vous avez très bien expliquées au sujet du régime que vous avez présenté, c’est qu’il laissait une marge de manœuvre non seulement aux gouvernements provinciaux, mais par l’entremise de ceux-ci, aux municipalités locales. Ces administrations peuvent s’adapter à la loi et, de fait, créer de plus grandes restrictions en guise de reconnaissance de leur situation particulière et de leur propre sentiment de l’endroit où ces options stratégiques compliquées devraient se situer. Vous l’avez aussi fait avec la situation des plants, comme vous l’avez bien expliqué.

En tant qu’avocat en droit constitutionnel du Québec, mais qui a vécu à Vancouver et à Toronto, j’ai un profond respect pour le fédéralisme. Je pense qu’on n’a pas assez souligné à quel point, ce qui n’est pas toujours le cas, cette législation respecte l’équilibre des pouvoirs entre les administrations fédérale et provinciales et qu’elle tient justement compte des préoccupations fédérales au sujet de la criminalité et de la santé. Elle reconnaît aussi que les provinces, les municipalités et les collectivités, chacune avec ses propres valeurs particulières, ont aussi leur mot à dire.

À cet égard, même si nous devons nous concentrer à juste titre sur les aspects fédéraux, j’aurais posé la même question que la sénatrice Eaton par rapport au fait de n’autoriser aucune possession ou d’en faire une contravention. Cela satisferait bon nombre de mes collègues qui y voient une certaine incohérence, mais si nous observons les choses du point de vue fédéral, c’est le fédéralisme et la cohérence à leur meilleur. Je pense que nous avons la responsabilité, en tant que parlementaires, de prendre un peu de recul et de nous demander à quoi ressemblera, au bout du compte, le paysage réel.

Il semble que les jeunes ne seront pas autorisés à aller à l’école avec cinq, sept ou neuf joints — j’imagine que cela dépend de leur grosseur — dans la poche. Ils ne seront pas non plus autorisés à cultiver des plants dans leur maison ou leur condominium, ou, s’ils le font, une municipalité et la police pourraient installer des clôtures et faire appliquer d’autres mesures de sécurité.

Donc, sur ce point, je dis « chapeau » pour ce qui est de respecter notre division des pouvoirs, et c’est quelque chose que je voulais dire aux fins du compte rendu. Merci beaucoup.

M. Costen : Un détail, parce que cela pourrait intéresser ceux qui se trouvent autour de la table. On voit maintenant un certain nombre d’exemples où des provinces modifient leurs lois sur la location immobilière afin de sauvegarder certains des risques qui ont été relevés par le sénateur plus tôt et pour souligner ce que vous avez fait valoir, soit que des administrations locales adaptent les règles pour tenir compte des réalités locales qu’elles connaissent.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de votre exposé. Ma question s’adresse aux représentants de Santé Canada. Pendant 25 ans, j’ai agi comme président du Comité de révision en vertu du Code criminel du Nouveau-Brunswick. Il y a une commission dans chaque province et territoire.

En quelques mots, la commission traite avec des personnes qui souffrent d’un trouble mental et qui commettent un acte criminel. En vertu de la loi, elles sont accusées et, la plupart du temps, jugées inaptes à subir un procès ou non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. On les garde en détention préventive dans un hôpital ou une prison comptant une aile psychiatrique, ou on les libère dans une collectivité, en attendant une audience pour déterminer la décision à rendre par la commission.

La commission a trois choix. Elle peut accorder soit une absolution inconditionnelle soit une absolution conditionnelle ou ordonner la détention dans un hôpital. La différence entre l’absolution inconditionnelle et l’absolution conditionnelle dans un hôpital tient à la question de la dangerosité.

Là où je veux en venir, c’est que 90 p. 100 des affaires que j’ai entendues, en tant que président du Comité de révision, étaient liées à la consommation de marijuana.

Cela dit, bien évidemment, les personnes tombant sous la juridiction du Comité étaient vulnérables aux effets néfastes sur la santé mentale du cannabis. Comme le souligne le gouvernement du Canada dans l’information sur la santé qu’il fournit, les personnes peuvent éprouver de l’anxiété ou même des symptômes psychotiques après avoir consommé du cannabis, particulièrement les consommateurs inexpérimentés ou ceux ayant des problèmes de santé mentale préexistants. Maintenant, l’information indique que le THC peut augmenter de tels symptômes.

Ma question est la suivante : comment le projet de loi C-45 composera-t-il avec les répercussions néfastes du cannabis sur la santé mentale? Veuillez me l’expliquer.

M. Costen : Je ferai de mon mieux. C’est une autre grande question complexe.

Le fait que le cannabis comporte des risques pour la santé est clairement compris, et la réalité, c’est que, comme des millions de personnes consomment du cannabis et s’en procurent de façon relativement libre, les risques pour la santé sont grandement exacerbés. L’étude d’un modèle légal et réglementé crée en réalité une nouvelle plateforme pour que le gouvernement soit en mesure de communiquer avec les consommateurs, pour reprendre votre exemple, de façon beaucoup plus directe au sujet des risques auxquels ils s’exposent par ce comportement.

Je pourrais vous donner l’exemple des mises en garde. Vous pouvez imaginer que, dans un environnement réglementé, tout comme on le voit sur un paquet de cigarettes, le gouvernement est en mesure de communiquer directement avec la personne qui consomme afin de lui faire prendre conscience des risques qu’elle prend en consommant. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons faire dans un environnement où le cannabis est non réglementé et illégal.

Lorsque nous, en tant qu’autorité de réglementation sur la santé, imaginons un monde de produits de cannabis réglementés et imaginons à quoi l’emballage et l’étiquette pourraient ressembler, nous voyons cela comme une occasion vraiment importante de transmettre certains des messages exacts que vous venez de souligner. Donc, par exemple, pour les personnes qui ont des antécédents familiaux de psychose ou de troubles de santé mentale sous-jacents, la consommation de cannabis peut exacerber ces problèmes. S’il y a un risque clair qui est associé au produit, ce genre d’information n’est pas accessible au consommateur aujourd’hui.

Je ne veux pas poursuivre inutilement, mais vous verrez particulièrement dans notre campagne d’éducation publique concernant les effets sur la santé des messages particuliers au sujet de la santé mentale, pour utiliser cet exemple; nous parlerons aussi de la dépendance, de la consommation par des femmes enceintes ou qui allaitent et d’un certain nombre d’autres domaines clés dont, en tant qu’autorité de la santé, nous pouvons maintenant parler de façon beaucoup plus directe, en déployant toute une diversité d’outils pour nous adresser aux consommateurs.

Le sénateur McIntyre : Vous parlez d’une campagne de sensibilisation, mais j’aimerais amener cela un peu plus loin. L’information concernant les effets du THC est-elle trop scientifique pour une campagne de sensibilisation du public? Quel est le consensus général au sein de la communauté scientifique par rapport aux effets sur la santé de la marijuana et aux moyens de gérer les effets néfastes sur la santé mentale de cette drogue?

M. Costen : La question des données scientifiques existantes est aussi bonne. Les données scientifiques qui s’appuient sur les dangers, en particulier, sont assez fortes. Au fil des décennies, nous avons en réalité surtout constaté des avancées dans la recherche et la science portant sur une compréhension des risques pour la santé de la consommation du cannabis. Les données scientifiques sont moins complètes pour ce qui est de la question posée plus tôt au sujet de son application médicale.

Pour répondre à votre question visant à savoir à quel point nous sommes convaincus, en tant que ministère de la santé, de pouvoir transmettre des messages qui reposent réellement sur la science, lorsqu’il s’agit de risques pour la santé, je pense que nous sommes absolument convaincus de pouvoir le faire.

La sénatrice Batters : Tout d’abord, j’aimerais faire remarquer que, au moment où le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles commence son étude du projet de loi C-45, le projet de loi signature sur la légalisation de la marijuana du gouvernement Trudeau, nous n’avons pas de ministres devant nous. Nous n’avons même pas de sous-ministres devant nous.

Je m’adresse aux représentants de la santé; dans le projet de loi, et malgré les conseils de l’Association des psychiatres du Canada et de l’Association médicale canadienne, le gouvernement fédéral a établi l’âge minimum d’accès à la marijuana à 18 ans. J’aimerais que vous trouviez pour moi, le plus rapidement possible — et que vous fournissiez les données au comité — le nombre de personnes de 18 ans fréquentant l’école secondaire au Canada, parce que, avec le projet de loi C-45, le gouvernement va bel et bien autoriser légalement la marijuana à entrer dans les écoles secondaires. Pourriez-vous trouver cette information pour moi et la fournir au comité? Oui? Merci.

D’accord. Aussi, monsieur Costen, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que le projet de loi C-45 interdirait la publicité qui serait attirante pour les jeunes.

Hier, votre ministère a diffusé à quoi ressemblerait l’image sur votre emballage de marijuana. La voici, tout le monde.

Lorsque j’ai vu ce symbole, j’ai immédiatement pensé : « Cela ressemble vraiment au logo de hockey d’Équipe Canada », alors je l’ai cherché sur Google. Voici les deux premières images qui sont apparues dans ma recherche sur le hockey d’Équipe Canada. D’abord, celle-ci, de l’édition de 2017 de la Coupe du monde de hockey, puis la deuxième image que j’ai trouvée. J’imagine que vous auriez juste pu écrire, au lieu de « Canada », ici, « cannabis ». Lorsque je regarde ces images, leurs couleurs sont exactement les mêmes. Elles se ressemblent beaucoup.

Je me demande simplement si, compte tenu de toute cette information, vous pouvez m’expliquer, monsieur Costen — quand vous voyez cette image, qui est la vôtre, et dans un contexte où l’équipe de hockey olympique d’Équipe Canada a joué le mois dernier et où le pays tout entier l’a acclamée —, comment vous pouvez vous en tenir aux propos que contenait votre déclaration préliminaire en affirmant que le projet de loi C-45 interdirait la publicité qui serait attrayante pour les jeunes.

M. Costen : Ce que je peux peut-être faire, c’est expliquer un peu comment nous en sommes arrivés à cette image et au symbole pour indiquer la présence de THC.

La sénatrice Batters : Considérez-vous que ce ne soit pas attrayant pour les jeunes, quand vous voyez ce que je viens tout juste de vous montrer?

M. Costen : Quand nous avons soumis l’image à des essais auprès des jeunes, c’était précisément dans le but de comprendre comment les enfants et les jeunes allaient réagir en la voyant. Nous avons soumis un certain nombre d’images aux couleurs et formes diverses auprès des groupes cibles. À la fin, les résultats des essais — ce que nous avons entendu tous les jeunes, les adolescents et leurs parents nous dire —, c’était que le rouge est la couleur universelle de l’arrêt. Un octogone est un panneau d’arrêt, et les jeunes enfants surtout, même les adolescents ayant un faible niveau de littératie, ont interprété cette image comme un symbole très clair de quelque chose dont ils ne devraient pas s’approcher.

Concernant la feuille de cannabis et les lettres THC, les parents nous ont déclaré que ces éléments présentent une possibilité de tenir une conversation avec leurs adolescents afin de leur expliquer ce qu’est le THC et le produit.

Le processus que nous avons suivi visait vraiment à établir ce qui, selon ce que nous avons appris dans le cadre des groupes de discussion, serait le plus efficace pour empêcher les jeunes de consommer des substances inappropriées, et il en va de même pour les adultes.

La sénatrice Batters : L’image que vous avez élaborée pour l’emballage de la marijuana est considérablement différente, par exemple, de celle qu’avait créée le gouvernement libéral de l’Ontario aux fins de son Ontario Cannabis Store. Il s’agissait de trois lettres, en noir et blanc, sans signe distinctif, mais, je ne sais trop comment, il a fallu 650 000 $ pour l’élaborer. Dans cette optique — c’était dans les nouvelles, tout récemment —, je me demande combien a dépensé le gouvernement Trudeau pour élaborer ce logo et cet emballage, qui a obtenu le contrat, et s’il s’agissait d’un marché à fournisseur unique ou d’une soumission concurrentielle.

M. Costen : Il faudrait que je vous revienne là-dessus. Je n’ai pas ces renseignements en tête.

La sénatrice Batters : Dès que possible, s’il vous plaît. Connaissez-vous un chiffre approximatif, en dollars?

M. Costen : Le montant était d’environ 60 000 $ pour les groupes de discussion. Nous en avons tenu dans trois villes du pays.

La sénatrice Batters : Qui a élaboré ce logo? Avez-vous retenu les services d’une agence publicitaire?

M. Costen : Je ne connais pas ces détails par cœur.

La sénatrice Batters : Alors, les 60 000 $ n’étaient que pour les groupes de discussion. Cette somme n’a rien à voir avec l’élaboration du logo.

M. Costen : Les images ont été élaborées à l’interne.

La sénatrice Batters : Élaborées par Santé Canada?

M. Costen : Par Santé Canada, oui.

La sénatrice Batters : Je voudrais obtenir tous les renseignements à ce sujet, s’il vous plaît. Merci.

Le sénateur Sinclair : Revenons au projet de loi. Je voulais vous demander de me dire si vous avez fait des recherches avant l’élaboration du projet de loi C-45, plus particulièrement en ce qui a trait à la question des poursuites intentées avant son adoption et celles qui pourraient être intentées après son entrée en vigueur. C’est que le but du projet de loi, à ce que je crois savoir — du moins, l’un de ses buts initiaux —, était de reconnaître ou d’aborder le fait que les poursuites pour possession de drogue sous le régime du projet de loi avaient principalement une incidence négative sur les jeunes, en particulier, mais aussi sur la société en général.

En tant que juge, quand je présidais des procès, je constatais que les cas de possession simple étaient réglés soit par les policiers qui, au départ, ne déposaient pas d’accusations, soit par les procureurs qui s’entendaient pour accorder une absolution conditionnelle ou absolue. Avez-vous conservé ou recueilli des renseignements sur ce sujet? Savons-nous combien de poursuites, par exemple, ont été intentées sous le régime de l’ancienne loi?

M. Saint-Denis : Ce que nous savons, c’est que quelque 22 000 infractions liées au cannabis ont été commises, et je n’arrive pas à me rappeler si ces infractions concernaient la possession uniquement ou la totalité des activités liées au cannabis. Je ne connais pas le nombre de poursuites qui ont découlé des accusations déposées. Nous pourrons certainement trouver cette information pour vous, si vous le souhaitez.

Le sénateur Sinclair : Il serait utile de savoir si les dispositions législatives actuelles permettent déjà de régler le problème auquel le projet de loi a pour but de s’attaquer. Autrement dit, selon ce que j’avais compris au départ, la question tenait au fait que le projet de loi avait pour but de régler le problème que posent la poursuite et la criminalisation potentielle des jeunes, en particulier pour l’avenir, en raison de la création d’un casier judiciaire, alors qu’en fait, c’est exactement ce que les tribunaux tentent de faire, de toute manière, et je ne suis pas certain de connaître les chiffres. Si vous pouviez trouver l’information, je vous en serais reconnaissant.

M. Saint-Denis : Nous pouvons trouver ces renseignements, mais je veux simplement signaler que la réduction des conséquences sur le système de justice pénale comptait parmi les objectifs du projet de loi. Compte tenu des chiffres en cause, nous croyons que le simple fait de légaliser la possession de 30 grammes ou moins, par exemple, entraînerait une réduction considérable des conséquences liées aux cas de possession. Le fait de reconnaître la situation actuelle sur le terrain, le nombre d’actes illicites commis relativement au cannabis et les conséquences sur le système de justice pénale, d’une part, et, d’autre part, le fait de vouloir réduire ces conséquences grâce à la légalisation faisaient certainement partie des objectifs du projet de loi, oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’annexe 3, soit les équivalences pour le concentré de cannabis qui équivaut à 0,25 gramme. Je me suis demandé ce qu’était le concentré, et je suis tombé sur Newsweed, qui m’explique comment fabriquer du concentré.

C’est là que j’ai vu le shatter. C'est dur comme du caramel froid et on peut l’extraire au moyen de différentes techniques, pas nécessairement avec du butane. J’ai tapé « shatter » sur Internet et je suis tombé sur un reportage qui mentionne que les Hells Angels s'intéressent beaucoup à cette substance, parce que le shatter peut contenir jusqu’à 90 p. 100 de THC et qu'on peut le vapoter.

Si je regarde votre charte d’équivalence de concentré qui indique que c’est l'équivalent de 0,25 gramme, ce ne serait pas criminel de posséder l’équivalent de 120 grammes de shatter à 90 p. 100 de THC. Est-ce que je fais erreur? Si oui, comment et pourquoi?

[Traduction]

M. Clare : Selon le fonctionnement du tableau servant au calcul de l’équivalence, 0,25 gramme d’un concentré équivaut à un 1 gramme de cannabis séché. Ce serait le quart de 30 grammes.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je fais erreur dans le sens que ce n’est pas le poids et que cela équivaut à 1 gramme. Mais je pourrais quand même avoir un concentré de THC à 90 p. 100 et l’équivalent de presque 8 grammes de THC à 90 p. 100. N’est-ce pas?

[Traduction]

M. Clare : Vous me mettez sur la sellette afin que je vous assure que mes calculs sont bons.

Le sénateur Carignan : Vous êtes là pour qu’on vous mette sur la sellette, en passant, car la ministre a décidé de ne pas venir comparaître.

M. Clare : Je crois que c’est 7,5 grammes. Toutefois, la deuxième partie de votre question concerne le concentré en tant que tel et ce qui serait permis du point de vue de la teneur en THC ou de la puissance du concentré.

Essentiellement, un concentré est produit par un moyen mécanique ou chimique afin d’accroître la quantité de THC au-delà de la teneur naturelle du végétal; il s’agit donc de tout ce qui est supérieur à 30 p. 100. Dans ce contexte, le hachich est un concentré très courant. Il s’agit d’un concentré solide.

Le sénateur Carignan : Oui, mais le concentré pourrait avoir une teneur plus importante que cela.

M. Clare : C’est exact. La teneur pourrait se situer n’importe où dans la fourchette allant de 30 jusqu’à 90 p. 100.

[Français]

Le sénateur Carignan : Est-ce que vous trouvez normal de placer le haschisch, qui peut atteindre 20 p. 100 de THC, sur le même pied d’égalité que le shatter qui, lui, peut atteindre 90 p. 100? Le haschisch peut avoir une concentration de 20 p. 100 de THC, et le shatter, 90 p. 100 de THC.

[Traduction]

M. Clare : C’est précisément pourquoi les concentrés ne seront pas offerts pour la vente immédiatement après l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis. C’est que le règlement — et j’ai abordé l’huile de cannabis plus tôt — qui sera promulgué sous le régime de cette loi établira une limite — une norme — relativement à la puissance de l’huile du cannabis, selon laquelle cette substance ne pourra pas contenir plus de 3 p. 100 de THC. Il est prévu que le règlement qui permettra ou précédera la mise en vente de concentrés contiendra des dispositions semblables…

[Français]

Le sénateur Carignan : Donc, je comprends que le gouvernement a l’intention d’imposer un seuil de THC pour les concentrés, mais on ne l'impose pas pour le cannabis à l’heure actuelle.

[Traduction]

M. Clare : En ce qui concerne les catégories de cannabis qui seront en vente au mois de juillet, le règlement à venir, au sujet duquel le gouvernement vient tout juste de tenir des consultations, établira des normes et des limites concernant la teneur en THC, selon la forme du produit. Il est prévu que le règlement à venir concernant les concentrés et les autres formes de cannabis contiendra des mesures de contrôle semblables, oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : Parfait.

J’ai une autre question qui porte sur le cannabis médical. J’ai un produit ici qui est du cannabis médical dont le nom est « Rockstar ». Ce produit est vendu par une firme autorisée à produire du cannabis médical. Le taux de THC est de 22,8 p. 100 et le taux de cannabidiol est de 0,1 p. 100. Allez-vous faire une distinction entre le cannabis médical et le cannabis récréatif? Comment peut-on autoriser la vente d'un produit de cannabis médical qui porte le nom Rockstar avec un taux de cannabidiol de 0,1 p. 100?

[Traduction]

M. Costen : Les questions touchant le THC et le CBD, dans le contexte de la consommation de cannabis thérapeutique, sont un sujet fortement controversé. Même si de nombreuses personnes affirment que ce n’est que le CBD qui a une valeur thérapeutique potentielle, la réalité, c’est que de nouvelles données scientifiques montrent que ce n’est pas la seule substance et que le THC et, honnêtement, un grand nombre des autres composantes se trouvant dans le végétal ont une telle valeur.

Pour bien le comprendre, il faut notamment reconnaître que, quand nous consommons du cannabis en le fumant, il va directement dans notre système, et nous ressentons les effets presque instantanément. Alors, lorsqu’une personne consomme un produit à très forte teneur en THC, comme du cannabis contenant beaucoup de cette substance, elle en a besoin de très peu pour ressentir les effets qu’elle recherche. Dans certains contextes thérapeutiques, il y a des personnes qui préfèrent consommer de très petites quantités de cannabis puissant au lieu d’en consommer de grandes quantités.

Le sénateur Carignan : Oui, je le sais.

[Français]

Ma question ne porte pas sur cet aspect. Je connais bien le dossier du cannabis. Comment le gouvernement peut-il autoriser une organisation à dire que du Rockstar est du cannabis médical à 22,8 p. 100 de THC et que le niveau de cannabidiol est 0,1 p. 100, alors que votre ministère affirme que le cannabis médical n’est pas autorisé, qu’il n’est pas un produit reconnu?

[Traduction]

M. Costen : La raison pour laquelle Santé Canada offre le programme que vous décrivez et que nous avons depuis 17 ans des dispositions réglementaires autorisant le cannabis thérapeutique découle en grande partie d’une série de décisions rendues par des tribunaux qui ont conclu que le gouvernement doit offrir un mécanisme légal pour permettre aux personnes qui bénéficient de l’appui de leur médecin de se procurer du cannabis. De nombreuses décisions rendues sur une longue période ont défini le programme et les raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans notre situation actuelle. Je dirais que, sous le régime de la réglementation relative au cannabis thérapeutique qui est en vigueur aujourd’hui, toute personne qui consomme du cannabis, peu importe la puissance, le fait sous les soins et la surveillance d’un médecin.

Je veux demander à mon collègue d’aborder les noms et les modifications que nous envisageons d’apporter aux types de promotion que les entreprises ne pourraient pas faire dans l’avenir, si cela vous intéresse.

M. Clare : Il s’agit de l’un des grands changements qui seraient prévus par le projet de loi C-45, soit dans la section 2 de la partie 1 du projet de loi, qui porte sur les infractions non criminelles. La première disposition porte sur la promotion. Comme M. Costen l’a affirmé durant sa déclaration préliminaire, le projet de loi est véritablement inspiré de dispositions semblables concernant le tabac, et toute promotion ou marque, ou tout élément de marque, logo, nom ou nom de souche qui sont attrayants pour les jeunes, qui constituent un certain genre d’approbation, l’appui d’une célébrité, qui évoque un style de vie particulier, un mode de vie, l’aventure, la prise de risques, tout cela, seraient strictement interdits par le projet de loi C-45, et il ne s’agit pas d’un outil qui existe actuellement au titre de la LRCDAS.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse au ministère de la Justice. Je pense qu’on a bien compris votre explication en ce qui concerne les 5 grammes. La volonté du gouvernement fédéral est de laisser chaque province exercer son jugement et légiférer différemment de ce qui est prévu dans le projet de loi C-45. Pour ce qui est de la culture à domicile, certaines provinces ont indiqué qu’elles veulent l’interdire. Est-ce que le point de vue de Justice Canada va dans le même sens? Nous permettons la culture à domicile, mais les provinces pourront-elles décider d’interdire cette pratique ou de modifier le nombre de plants permis?

Mme Labelle : J’ai préparé ma réponse en anglais. Je la répéterai en français par la suite. Je veux prendre le temps de bien vous répondre, parce que c’est une question qui préoccupe bon nombre d’entre vous.

[Traduction]

Le président : Et les ministres provinciaux.

[Français]

Mme Labelle : En effet.

[Traduction]

Je voudrais établir les rôles législatifs du gouvernement fédéral et des provinces et territoires relativement à la légalisation et à la réglementation rigoureuse du cannabis et à la limitation de l’accès à cette drogue. Nous comprenons tous que la santé n’est pas une affaire isolée qui relève du gouvernement fédéral ou provincial.

En se fondant sur la rubrique de compétence en matière de droit pénal, le législateur peut promulguer un projet de loi aux fins de la santé et de la sécurité du public. Voilà ce que fait le projet de loi C-45.

Une province ou un territoire peut, à ses propres fins, promulguer des lois dans le domaine de la santé en se fondant sur ses propres pouvoirs législatifs. L’administration peut ainsi légiférer sur les droits de propriété et les droits civils, par exemple, ou régler des affaires de nature locale ou privée dans la province. Cinq ou six provinces ont maintenant présenté des projets de loi.

Le projet de loi à l’étude définit une approche à volets multiples afin de légaliser et de réglementer le cannabis de manière stricte et d’atteindre les objectifs énoncés à l’article 7 du projet de loi, dont mes collègues ont déjà parlé, lequel permettrait à un adulte de posséder légalement du cannabis et d’y accéder à partir d’une source illicite tout en protégeant les jeunes et en limitant les activités illicites liées au cannabis.

À cette fin, comme nous l’avons expliqué à propos de la limite de cinq grammes, le projet de loi décrit dans quelle mesure le droit pénal s’appliquerait. Le projet de loi aurait pour effet de créer un certain nombre d’interdictions, comme vous l’avez entendu, à l’égard de la possession, de l’âge de possession, de la culture, de la distribution, ainsi de suite.

Le projet de loi énoncerait également les circonstances dans lesquelles le droit pénal ne s’appliquerait pas. J’en arrive maintenant au rôle provincial.

Par exemple, dans le cas où une personne a obtenu un permis pour cultiver du cannabis, le droit pénal ne s’applique pas. C’est réglementé comme une activité autorisée.

De plus, le droit pénal ne s’appliquerait pas à la possession, à la distribution ni à la vente de cannabis dans les circonstances énoncées à l’article 69. Les provinces peuvent s’appuyer sur cette disposition, et, tant et aussi longtemps que leur législation respecte les quatre conditions normalisées minimales, elle entre en vigueur. Cette approche donne une bonne marge de manœuvre aux gouvernements provinciaux et territoriaux pour réglementer les activités liées au cannabis sur leur territoire, notamment en ce qui concerne le lieu de consommation.

Les détails des lois provinciales ou territoriales ne seraient pas assujettis à un examen ou à une approbation à l’échelon fédéral. Ce n’est pas comme les prêts sur salaire, qui ont besoin d’un document du gouverneur en conseil pour entrer en vigueur. Cela se produirait automatiquement lorsque la loi est adoptée par la province ou le territoire.

Les provinces et les territoires, en plus de cette ouverture que leur laisse l’article 69, peuvent exercer leurs propres compétences législatives — et cela se rapproche davantage de votre question —, ils peuvent établir des limites plus strictes quant à l’âge de possession, à la quantité maximale pouvant être possédée en public et à la culture.

Lorsqu’une province ou un territoire adopte des limites plus strictes en matière de possession, d’âge ou de culture, les détails de ces dispositions législatives ne sont pas assujettis à l’examen ni à l’approbation à l’échelon fédéral.

Il reviendra au tribunal de vérifier si la législation provinciale ou territoriale répond aux normes minimales fédérales énoncées à l’article 69 si elle est en contradiction avec les dispositions d’une loi provinciale ou fédérale. Dans un ensemble donné de faits, si un particulier contestait la loi fédérale ou provinciale sur le cannabis, il serait normal que le tribunal se demande s’il y a possibilité de coexistence entre les dispositions fédérales et provinciales en cause.

Pour ces raisons, le gouvernement fédéral continue de travailler en étroite collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour préparer la mise en œuvre du nouveau cadre. Des discussions sont en cours, et on tente de s’assurer que toutes les administrations disposent de l’information dont elles ont besoin pour assurer la coordination avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.

On s’attend à ce que les lois fédérales, provinciales et territoriales forment un ensemble de règles cohérentes qui régissent les activités liées au cannabis. Mais comme je l’ai dit, en définitive, la décision finale sera prise par un tribunal, et non par le gouvernement fédéral.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien le message du ministère de la Justice aujourd’hui, c’est que Justice Canada n’est pas en train de dire que si une province légifère autrement, le fédéral va contester la loi provinciale.

Mme Labelle : C’est juste.

La sénatrice Dupuis : J’aurais une question accessoire. J’aimerais savoir si Justice Canada a examiné la recommandation du Groupe de travail sur la légalisation du cannabis qui recommandait une révision dans le but d’éliminer la possibilité que des personnes désignées, dans le cas de consommation à des fins médicales, le cultivent elles-mêmes ou le fassent cultiver par une personne désignée. Est-ce que Justice Canada a examiné cette recommandation et qu’est-ce qui amène Justice Canada à ne pas donner suite à cette recommandation?

Mme Labelle : Si je me souviens bien du rapport du groupe de travail, et M. Costen pourra ajouter d’autres détails, tout compte fait, la recommandation était d’évaluer le régime médical et d’y revenir dans quelques années. Je crois que c’est ce que le gouvernement fédéral a choisi de faire.

La sénatrice Dupuis : Ma question est directement tirée du rapport du Groupe de travail sur la légalisation. Peut-être que M. Costen peut nous donner quelques détails. J’aimerais avoir la position de Justice Canada, parce que la recommandation était très claire : revoir pour éliminer à cause de la voie d’entrée et de sortie du crime organisé. J'aimerais savoir si Justice Canada l’avait examinée et la raison pour laquelle on avait éliminé cette recommandation.

Mme Labelle : Donc, l’approche que le gouvernement fédéral a adoptée est de refaire un examen d’ici quelques années. Je crois même qu’à la Chambre des communes, ils ont recommandé que le projet de loi, une fois entré en vigueur, soit révisé dans une période de trois ans. Il serait raisonnable de croire que le régime médical serait réévalué aussi dans le même laps de temps. Il est difficile d’évaluer, en ce moment, du point de vue juridique, quelles seraient les conséquences inattendues d’éliminer immédiatement la désignation de la culture par des personnes autres que l’individu. Il y aurait des conséquences inattendues, parce que nous ne savons pas comment le marché va évoluer d’ici quelques années.

Il est possible que le besoin d'une culture par des gens désignés perde beaucoup de son importance quand les gens auront accès à d’autres sources de cannabis. Aussi, ce qui n’est pas négligeable, c’est le fait que les gens pourront, dans certaines circonstances, cultiver jusqu’à quatre plants. Cela pourrait aussi éliminer le besoin que quelqu’un cultive le cannabis pour soi et le besoin de s’appuyer sur le régime médical. Donc, la réponse comporte plusieurs aspects. Il y a plusieurs circonstances que l’on doit évaluer, et nous ne croyons pas que c’est le bon moment de faire cette évaluation-là. La question est toujours devant les tribunaux dans le cadre de différents dossiers de litige ou de poursuite. Nous voulons d’abord procéder avec le projet de loi et voir comment les circonstances vont changer ou comment la situation des individus va évoluer.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que je comprends bien qu’il y a des questions qui se posent devant les tribunaux à l’heure actuelle quant au régime des personnes désignées, qui font en sorte qu'il n’est pas approprié d'intervenir, à ce moment-ci, ou qu'un jugement a été porté en ce sens?

Mme Labelle : Il y a des poursuites, il y a des litiges qui remettent toujours en question le régime du cannabis à des fins médicales, peut-être pas sur l’aspect des personnes désignées, mais sur le régime comme tel. Pour le moment, il est préférable de poursuivre simplement avec le régime que nous avons.

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais qu’on discute des amendes. Vous semblez avoir copié dans cette loi la Loi sur le tabac, mais en moins sévère. Je vous donne un exemple : vous limitez à 100 000 $ l’amende pour une organisation qui exporterait illégalement du cannabis, alors que dans le cas du tabac, l’amende peut aller jusqu’à 300 000 $ pour des actes qui sont moins sévères, comme le fait de rajouter des arômes, dont l’amende peut aller jusqu’à 300 000 $. J’essaie de comprendre la notion dissuasive dans cette mesure, compte tenu du fait que la Loi sur le tabac est plus sévère que la loi sur le cannabis.

Un autre élément est la possession de plus de quatre plants. Aujourd’hui, les plants de marijuana peuvent atteindre jusqu’à huit pieds. La valeur sur le marché est d'environ 6 $ à 7 $ le gramme, et cela peut aller jusqu’à 1 000 $. Or, l’infraction pour le dépassement du nombre de plants permis, c’est 200 $. Quelle est la notion dissuasive là-dedans? Si j’ai cinq plants, mon cinquième plant me rapporte 500 $, 600 $, 700 $, mais l’amende est de 200 $. J’essaie de voir la logique d’imposer des infractions aussi minimes en comparant le tabac à une drogue, la marijuana, et au niveau du dépassement du nombre légal de plants, c’est-à-dire quatre.

M. Saint-Denis : Commençons avec la question de l’exportation par une organisation de produits de cannabis. Les 100 000 $, c’est pour une infraction, s'il s'agit d'une poursuite par voie sommaire.

Le sénateur Boisvenu : En ce qui a trait au tabac, c’est la même chose, c’est 300 000 $.

M. Saint-Denis : C’est une loi qui est différente, d’une part ...

Le sénateur Boisvenu : Je comprends, mais tant qu’à copier la loi, pourquoi ne pas la mettre au même niveau : 300 000 $ dans le cas du cannabis et 300 000 $ dans le cas du tabac?

M. Saint-Denis : Oui, sauf que dans le cas de la Loi sur le tabac, le régime est différent. Dans la partie 1 du projet de loi, c’est un régime complet, indépendant et criminel. Ce qu’on a voulu faire, c’était de prévoir un régime de pénalités qui était subséquent à lui-même, de façon logique.

Le sénateur Boisvenu : Mais, entre vous et moi, c’est plus ou moins logique.

M. Saint-Denis : Bien, écoutez, entre vous et moi, pour moi, c’est très logique.

Le sénateur Boisvenu : Pour moi, ce ne l’est pas.

Parlons du nombre de plants. J’ai cinq plants, dont un est illégal. Je veux le vendre sur le marché, et je peux aller chercher jusqu’à 600 $ ou 700 $, mais l’infraction sera de 200 $. Expliquez-moi la logique.

M. Saint-Denis : Il faut comprendre ce qu’on avait déposé au tout début en ce qui concerne les plants qu’on pouvait cultiver. Il s'agissait d'une hauteur d’un mètre. On n’avait pas anticipé que la Chambre des communes allait éliminer la limite de la hauteur.

Pour ce qui est des 200 $, c’était dans le contexte d’une plante qui était relativement courte.

Le sénateur Boisvenu : Elle ne le sera plus. Elle sera haute.

M. Saint-Denis : Elle ne le sera plus. Sachez qu’au tout début, ce sera au choix du policier de déterminer s’il voudra émettre un constat ou non. S’il a affaire à une plante de 12 pieds de hauteur et qu'il y a plus de quatre plants, il choisira peut-être de procéder par une autre voie que le constat. Il procédera peut-être par voie sommaire.

Le sénateur Boisvenu : On se complique la vie.

M. Saint-Denis : On leur donne des choix, sénateur.

Le sénateur Boisvenu : Je le sais, mais ce sont des choix complexes. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Ce qui m’a surpris du projet de loi C-45, c’est l’absence d’une limite de cannabis séché par ménage. Il y a une limite de possession quand vous êtes dans un lieu public et une limite quant au nombre de plants que vous pouvez cultiver à la maison, mais il n’y a pas de limite de quantité pour le cannabis séché que vous pouvez avoir en votre possession à la maison. Alors, du point de vue théorique, vous pourriez avoir quatre plants, mais posséder un kilo de cannabis séché, et ce ne serait pas une infraction.

Je suis frappé par le fait que, dans de nombreux cas, vous vous êtes inspirés de ce qu’ont fait le Colorado, Washington et d’autres États. Dans la majorité de ces États, il y a une limite, je ne me rappelle pas de la formulation exacte, mais cela se rapporte habituellement à ce qui est produit par les plants. Y a-t-il une raison pour laquelle vous avez décidé de ne pas imposer une limite semblable en matière de cannabis séché dans un ménage?

M. Costen : Je crois que certains d’entre nous pourraient essayer de répondre à cette question. Encore une fois, nombre de ces questions nous ramènent au groupe de travail et aux consultations qu’il a tenues. Vous avez raison, le groupe a examiné de près l’expérience des États-Unis. Certains États américains ont une limite explicite à l’intérieur. Je crois qu’en Oregon, par exemple, la limite est de une once en public et de huit onces en privé. Dans les autres administrations, il n’y en a pas.

Le conseil qu’a donné le groupe de travail au gouvernement était principalement fondé sur les aspects pratiques de la mise en application et vise en fait une conversation que nous avons eue plus tôt concernant la possibilité que des gens convertissent du cannabis en différentes formes et la facilité de pouvoir se conformer à une limite qui serait imposée. Donc, si vous achetez 20 grammes de cannabis séché et que vous infusez de l’huile d’olive ou que vous créez d’autres produits alimentaires, dans une certaine mesure, il devient concrètement très difficile de savoir la quantité totale que vous avez actuellement en votre possession.

Je crois que cet aspect, jumelé aux réalités pratiques de l’application de la loi à l’égard de ce qui se fait au domicile, nous a placés dans une position où il était important de fixer des limites de possession en public afin de vraiment décourager la circulation à grande échelle du cannabis à l’extérieur. Ce qui se passe dans la résidence est une chose; ce qui circule à l’extérieur de la résidence en est une autre.

Mme Morency : J’ajouterais que, durant la comparution des ministres et du secrétaire parlementaire Blair au Sénat siégeant comme comité plénier, je crois que la question a été soulevée également. M. Blair en a aussi parlé, car je crois que ce qui nous préoccupe ou ce que l’on suppose, c’est que plus vous possédez une grande quantité à la maison, plus cela peut être un indice d’infraction liée au trafic de drogue.

Je pense que la réponse qu’il a donnée au Sénat pourrait vous aider, en ce sens que la police ne fera pas que vérifier la quantité de substance sur les lieux. Elle pourrait chercher des documents ou des choses qui pourraient également être des signes de trafic de drogue, si telle est la préoccupation.

Bien sûr, une personne pourrait vendre une plus petite quantité que cela, et le défi qui se pose également, comme l’ont dit mes collègues, tient au fait que, avec l’élimination de la restriction quant à la hauteur des plants et l’incapacité de connaître le rendement d’un plant en particulier, cela peut dépendre des aptitudes d’une personne pour la culture des plantes et d’un certain nombre de facteurs.

Je pense que différents facteurs ont eu une incidence sur les choix faits ou reflétés dans le projet de loi.

Au final, dans un cas où on se demande si une personne qui a en sa possession à la maison une grande quantité de cannabis en fait le trafic, je crois que la police est en bonne posture actuellement pour chercher tous les éléments de preuve afin de le prouver. S’agit-il d’un cas de trafic, par exemple?

Le sénateur Pratte : Merci.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Je m’adresse au ministère de la Justice. Je note que certaines infractions prévues dans le projet de loi C-45 concernent des organisations. Pour certaines infractions, l’organisation peut être poursuivie, mise en accusation ou il y aura une procédure sommaire. Pour d’autres infractions, seule une peine au titre de la procédure sommaire est indiquée, alors que ces mêmes infractions peuvent parfois être poursuivies par mise en accusation dans le cas des particuliers.

Pourquoi les organisations ne risquent-elles pas une mise en accusation pour des infractions qui peuvent faire l’objet d’une mise en accusation lorsque des particuliers les commettent? Serait-il possible de poursuivre les particuliers qui dirigent les organisations, de même que les organisations elles-mêmes?

[Traduction]

Mme Morency : Comme vous l’avez souligné dans votre question, le projet de loi propose des infractions qui ciblent différents accusés de différentes manières. Les organisations sont traitées différemment. Les amendes et les pénalités imposées sont différentes. Elles peuvent être complices d’une infraction si celle-ci est commise par une personne. Il peut s’agir d’une entité commerciale. Les personnes qui commettent une offense sont ciblées. Si, par exemple, elles vendent du cannabis à une jeune personne, en contravention avec la loi, il s’agit également d’une infraction différente.

Mais dans le cas des organisations, on les traite différemment pour faire en sorte que les dispositions puissent s’appliquer dans les circonstances appropriées. Il peut s’agir d’une organisation; il peut s’agir d’une personne.

Le sénateur McIntyre : Pourquoi les organisations ne risquent-elles pas une mise en accusation pour des infractions qui peuvent en faire l’objet lorsqu’il s’agit de particuliers? Je crois qu’il y a un peu de confusion ici. Nous sommes plus sévères envers les particuliers, mais nous semblons plus souples à l’égard des organisations.

M. Saint-Denis : Si vous pensez à une infraction en particulier, j’aimerais bien l’entendre. Mais pour répondre de façon générale, comme vous le savez, nous ne pouvons pas emprisonner des organisations. Il n’est donc pas question, évidemment, d’imposer une peine d’incarcération maximale à des organisations.

Habituellement, nous imposons une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 $ pour une infraction commise par une organisation poursuivie par procédure sommaire. Par contre, si elle est poursuivie par mise en accusation, le montant est laissé à la discrétion du juge, il n’y a donc pas de limite quant au montant d’une amende que la cour peut imposer à l’organisation.

Le sénateur McIntyre : S’il y a poursuite par mise en accusation.

M. Saint-Denis : S’il y a poursuite par mise en accusation. Je ne connais pas les infractions pour lesquelles une organisation ne peut être poursuivie par mise en accusation.

Dans un cas ou deux, nous faisons référence à la poursuite de personnes, mais les personnes, dans ce cas, sont à la fois les particuliers et les organisations. Nous nous reportons à la définition du terme « personne », qui englobe les deux possibilités.

Vous avez aussi demandé — je crois que c’est ce que vous demandiez — si, lorsque nous poursuivons une organisation, nous pouvons poursuivre les particuliers au sein de l’organisation. La réponse est oui, vous le pouvez. Vous pouvez poursuivre l’organisation en tant qu’entité, mais il est aussi possible de poursuivre les particuliers au sein de cette organisation qui ont commis une infraction semblable.

Le sénateur McIntyre : Je crois que l’amende de 100 000 $ dont vous parlez se rapporte à une organisation à qui il est interdit de posséder du cannabis.

M. Saint-Denis : Non, en fait, si vous regardez l’infraction d’importation ou d’exportation punissable par procédure sommaire, par exemple, on parle d’une amende de 100 000 $ pour une infraction punissable par voie de déclaration de culpabilité par procédure sommaire et une amende illimitée en cas de poursuite par mise en accusation.

[Français]

Mme Labelle : Puis-je apporter certaines précisions?

Le sénateur McIntyre : Il faut faire vite, parce que mon temps est limité.

Mme Labelle : Le projet de loi C-45 est beaucoup plus nuancé que le régime actuel. Dans le cas de l’exportation ou de l’importation, si ce n’est pas fait conformément au permis délivré, l’article 44 comporte des peines importantes. Il peut s’agir d’une poursuite au criminel, ou, si ce n’est pas conforme au règlement et au permis délivré, l’article 44 prévoit des peines allant jusqu’à 5 millions de dollars ou une peine d’emprisonnement, ou, de façon sommaire, une amende de 250 000 $ ou une peine d’emprisonnement, encore une fois.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais porter votre attention à l’alinéa 52b) du projet de loi, qui traite du dossier judiciaire de l’accusé. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste un dossier judiciaire?

Aussi, une personne qui est condamnée pour une infraction décrite comme une contravention, ou qui plaide coupable à une contravention, aurait-elle un dossier criminel?

M. Saint-Denis : La question du dossier criminel est différente de la question du dossier judiciaire. Le dossier judiciaire, c’est un dossier de la cour. Les conséquences des décisions prises par la cour sont inscrites dans ce dossier. C’est le dossier judiciaire. Quant au dossier criminel, nous n’avons pas vraiment de définition.

Pour la grande majorité des personnes, je crois qu’un dossier criminel, c’est le dossier qui se retrouve sur le système informatisé de la GRC basé sur les empreintes digitales. Cependant, il peut s’agir d’autre chose, comme le dossier retenu par la police locale, dans un petit village, où un individu est accusé. Il peut s’agir d’une multitude de choses.

Le régime de contravention prévu ici élimine la possibilité de prendre les empreintes digitales de l’individu à qui on donne un constat. Donc, cela élimine la possibilité de l’existence d’un dossier criminel avec empreintes digitales. Je ne sais pas si cela suffira, parce qu’on n’éliminera certainement pas toutes les possibilités de dossier, mais celui qui est reconnu le plus souvent comme étant le dossier criminel le sera.

Pour ce qui est du dossier judiciaire, il va refléter le fait de la condamnation, s’il y a condamnation.

Le sénateur Carignan : Ma question concerne le nombre de plants permis dans une résidence. Le projet de loi C-45 modifie la définition de « maison d’habitation » pour inclure le terrain adjacent. J’ai reçu plusieurs demandes de renseignements de la part de propriétaires d’immeubles à revenus, dont l'un, à Sherbrooke, loue ses logements à des étudiants. Il était inquiet au sujet de ce projet de loi.

Je lui ai expliqué que, techniquement, chaque appartement peut contenir quatre plants; chaque personne peut posséder quatre plants. Ce monsieur est propriétaire d’une bâtisse de 24 logements, donc, en principe, il pourrait se produire 96 plants de cannabis dans son immeuble. Je lui ai dit également que, si ses locataires ont accès à un jardin communautaire, techniquement, ils pourraient aussi produire leurs 96 plants dans ce jardin.

Lui ai-je donné la bonne information? Est-ce que, dans un immeuble de 24 logements, chacun des occupants, chaque couple ou chaque appartement peut produire quatre plants?

M. Saint-Denis : La règle pour la culture des plants, c’est quatre par résidence, indépendamment du nombre de gens qui y vivent. Ce n’est pas quatre plants par personne par résidence.

Le sénateur Carignan : Je comprends. Chaque appartement.

M. Saint-Denis : Ce serait 24 fois 4, à la rigueur, si 100 p. 100 des gens dans cet immeuble se livraient à la culture de 4 plants.

Le sénateur Carignan : Il pourrait y avoir 96 plants. Donc, j’avais raison. Il était nerveux, et je comprends pourquoi.

M. Saint-Denis : Il ne pourrait pas y avoir quatre plants à l’intérieur et quatre à l’extérieur.

Le sénateur Carignan : Non. Ce propriétaire à qui j’ai parlé pensait proposer un jardin communautaire à ses locataires afin de préserver ses logements des problèmes de champignons et d’humidité. Il pourrait donc y avoir théoriquement 96 plants dans le jardin à l’extérieur de son immeuble.

M. Saint-Denis : Je vais apporter encore quelques précisions. En ce qui concerne les immeubles et les condominiums, il est possible que la province adopte des lois.

Le sénateur Carignan : Ne présumez pas des intentions des provinces, car vous ne vous entendez pas avec elles. Disons que la province ne fait rien; par exemple, la province de Québec l’interdit en ce moment. J’ai dit au propriétaire qu'il était chanceux d'être au Québec. Cependant, l’Ontario a décidé de ne pas légiférer à ce sujet, donc parlez-moi du voisin en Ontario.

M. Saint-Denis : Il y a aussi les ententes entre le propriétaire d’un immeuble et les locataires. Dans un immeuble, on peut prohiber certaines activités, comme on peut prohiber, par exemple, la présence d’un chien ou l’usage du tabac.

Le sénateur Carignan : Je suis administrateur au sein d'un syndicat de condominium. On a essayé d’interdire les chiens, et on est rendu en cour.

La sénatrice Dupuis : Si vous me le permettez, si s'agissait d'un chien à des fins médicales, un chien d’accompagnement recommandé par un médecin?

Le sénateur Carignan : Tout cela pour dire qu’à moins que le propriétaire trouve une façon ou une autre de l’interdire, à l'heure actuelle, le propriétaire pourrait retrouver 96 plants de cannabis dans son jardin communautaire.

M. Saint-Denis : Si le propriétaire n’émet aucune interdiction en ce qui concerne le jardin communautaire. C’est une question intéressante, parce que je ne sais pas jusqu’à quel point on peut créer un jardin communautaire et permettre à chaque résidence du bâtiment d'y cultiver quatre plants. Si c’est vraiment un jardin communautaire, il est possible que cela soit interprété comme étant un jardin appartenant à l'immeuble. Donc, on y aura seulement droit à quatre plants.

Le sénateur Carignan : C’est une interprétation. C’est l’avocat qui parle, qui l’essaie.

M. Saint-Denis : Nous sommes du ministère de la Justice, n’est-ce pas?

Le sénateur Carignan : Il y a un jugement en Cour d’appel qui concerne la Ville de Saint-Eustache. Cela a été interdit. Me Goldwater représentait la défense, et l’un de mes collègues représentait la Ville de Saint-Eustache.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Pour répondre à la question qu’a posée la sénatrice Dupuis il y a un moment déjà, elle a été traduite, donc elle n’est peut-être pas parfaite. J’ai écrit qu’elle avait demandé si un gouvernement provincial pouvait légiférer différemment du gouvernement fédéral. Maître Labelle, vous avez répondu oui, ce serait acceptable. Toutefois, quand le gouvernement du Québec a récemment indiqué qu’il ne voulait pas autoriser la culture de plants à domicile, il a semblé clair à la ministre de la Justice que le Québec ne pouvait imposer ce type de restriction. Elle a dit qu’il y avait des limites aux restrictions que pouvaient imposer les provinces quant à la culture de la marijuana à domicile.

Un article de CBC l’a citée ainsi:

Lorsque d’autres dispositions législatives ou que des dispositions législatives proposées visent à empêcher la réalisation des objectifs [de la législation fédérale], il y a lieu de s’inquiéter.

Mais l’un des objectifs mentionnés dans le projet de loi C-45 n’est-il pas censé protéger les jeunes? C’est ce que semble vouloir faire le gouvernement provincial avec cette disposition particulière qu’il veut adopter.

Il risque maintenant d’y avoir une poursuite entre deux ordres de gouvernement, soit le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec. Tant pis pour le fédéralisme des anciens idéaux auxquels croyait le sénateur Gold.

Quels sont-ils, maître Labelle? Le Québec a-t-il le droit d’interdire la culture de plants de marijuana dans chaque ménage ou non?

Mme Labelle : Ce que j’ai dit portait sur la possibilité qu’une personne soulève une contestation. Je n’ai pas mentionné que le gouvernement fédéral souhaitait intenter des poursuites. Si une personne conteste une décision, dans les circonstances et selon l’ensemble des faits, on peut s’attendre à ce qu’un tribunal examine s’il est possible que la législation provinciale et la législation fédérale coexistent. Un tribunal déterminera s’il y a un conflit direct ou s’il y a entrave à l’objectif du gouvernement fédéral.

Je crois que ce à quoi on a fait référence, c’est l’entrave à l’objectif du gouvernement fédéral. Mais, encore une fois, c’est une décision qui devra être rendue par un tribunal.

La sénatrice Batters : Le ministère de la Justice pensait qu’il s’agissait d’une entrave à ce qu’elle appelle les « objectifs énoncés ». À votre avis, un gouvernement provincial qui imposerait le type de restriction qu’il semble en droit d’imposer n’entraînerait pas de poursuite du gouvernement fédéral?

Mme Labelle : Rien ne m’indique que le gouvernement fédéral serait porté à agir ainsi. Toutefois, c’est possible dans le contexte où une personne conteste la loi. Un litige peut survenir de différentes façons; dans le contexte d’une poursuite, par exemple. C’est là où un tribunal examinerait les objectifs que poursuivent les gouvernements fédéral et provinciaux dans leurs lois afin de déterminer si ces dernières peuvent coexister.

La sénatrice Batters : Les Canadiens pourront-ils cultiver légalement quatre plants de marijuana à domicile immédiatement après l’adoption du projet de loi C-45, avant la légalisation de la vente du cannabis au cours de la période de mise en œuvre de votre gouvernement? Aussi, les Canadiens pourront-ils fabriquer à domicile des produits comestibles contenant de la marijuana immédiatement après l’adoption du projet de loi C-45, avant la légalisation de la vente du cannabis pendant la période de mise en œuvre du gouvernement?

M. Clare : Je peux répondre à la question simplement. Dans le cadre de l’entrée en vigueur de la loi, tout se ferait en même temps. L’achat légal de cannabis dans un magasin de détail autorisé entrerait en vigueur le même jour que la possession et la production à domicile.

La sénatrice Batters : Ce sera probablement en septembre ou vers cette période qu’on ouvrirait des magasins de détail. Cependant, les gens, même pendant la période intermédiaire, n’attendraient pas leur ouverture; ils ne pourraient pas encore cultiver légalement du cannabis à domicile ni fabriquer des produits comestibles contenant de la marijuana avant la date d’entrée en vigueur, qui serait au début de l’automne, n’est-ce pas?

M. Clare : Selon ce qui est prévu, toutes les dispositions législatives de la loi entreraient en vigueur en même temps parce que l’accès légal au cannabis ne sera permis que lorsque l’ensemble du régime sera en vigueur.

La sénatrice Batters : Alors la réponse à ma question est « oui ».

M. Clare : Oui.

Le sénateur Gold : C’est davantage une observation qu’une question, mais je vais vous demander de la commenter, si vous le voulez bien. J’apprends les règles de cet endroit.

Compte tenu de la nature du fédéralisme et de l’existence de deux ordres de gouvernement souverains, chacun dans sa sphère, il y aura potentiellement des conflits. Les personnes et les avocats qui les servent exploiteront les chevauchements des lois. Je vois où vous voulez en venir, cependant, et il importe que les personnes qui nous regardent et celles qui s’inquiètent de cette loi comprennent que le projet de loi fédéral devant nous prévoit l’existence de lois provinciales. Il s’agira d’un pas important pour influencer un tribunal lorsque celui-ci déterminera s’il ne s’agit pas simplement d’une incompatibilité d’application, mais d’une entrave à l’objectif.

L’autre commentaire est qu’une partie de la discussion autour de la table, avec tout le respect que je vous dois, me paraît plutôt abstraite. Nous posons des questions comme s’il n’y aura pas de lois provinciales ni aucune interaction entre les propriétaires et les locataires potentiels.

Il me semble que, dans une démocratie comme la nôtre, nous devrions faire confiance aux personnes et aux collectivités lorsqu’elles font face à un problème. Il me serait difficile, si je possédais un édifice à 24 logements ou si j’y vivais et qu’il y avait 24 fois 4 plants, que ce soit dans le jardin situé devant l’immeuble ou peu importe l’endroit, de prendre des mesures, en tant que citoyen, en vue de faire des pressions sur la municipalité ou la province afin qu’elles apportent les changements nécessaires. En d’autres mots, le premier jour, une province n’aura peut-être pas interdit la culture à domicile, si on suppose que c’est ce qu’elle voudrait faire.

Mais je suis convaincu que, au fil du temps, si des problèmes se posent, nos concitoyens et les gouvernements les régleraient. En tant que parlementaires, même si nous avons la responsabilité exclusive de nous concentrer sur le présent projet de loi, nous ne devrions pas perdre de vue ce qui se passe sur le terrain et la mise en œuvre pratique de la loi, du moins à mon avis. Le projet de loi semble aborder les problèmes concrets et pratiques de la vie de tous les jours.

Certaines des préoccupations exprimées semblent assez théoriques et abstraites à la lumière de ce qui se passe déjà sur le terrain. Êtes-vous d’accord avec moi?

Mme Morency : À mon sens, nous conviendrions tous que toutes les questions étaient excellentes aujourd’hui. Elles soulèvent des enjeux complexes, et je crois, certainement en tant que fonctionnaire qui travaille à appuyer le gouvernement sur le projet de loi C-45, que c’est la réalité. Lorsque les sénateurs ont reçu la présidente et le vice-président du groupe de travail, ceux-ci ont parlé de la complexité de la tâche pour ce qui est d’aller de l’avant et de s’engager auprès des Canadiens, des intervenants, des professionnels et de la communauté internationale à élaborer un ensemble de recommandations pour faire quelque chose que nous n’avions pas fait au Canada.

Alors, oui, toutes les questions sont primordiales. Il importe également de trouver le juste équilibre, car cela permet d’offrir un éventail de possibilités pour que les municipalités et les provinces puissent travailler ensemble avec le régime fédéral en vue d’adopter une approche harmonieuse.

Mais il faut reconnaître que le projet de loi C-45 porte sur le droit criminel et la réglementation. La compétence des provinces s’étend à d’autres aspects selon le partage des pouvoirs. Nous avons récemment témoigné devant le comité concernant le projet de loi sur la conduite avec facultés affaiblies, le projet de loi C-46. Le comité saura que le Code criminel comporte un régime très complet qui s’occupe des aspects criminels de la conduite avec facultés affaiblies. De même, les provinces, conformément à leurs lois régissant la circulation routière, peuvent et doivent avoir des lois en place afin de faire en sorte que leurs routes soient sécuritaires. Les deux vont de pair de façon harmonieuse.

Y a-t-il des défis? Bien sûr qu’il y en a. Mais je crois que ce que ma collègue essayait d’expliquer, c’est quel critère un tribunal examine et applique s’il y a un problème touchant certains de ces aspects.

Je suis également convaincue que — et comme il a été dit —, au cours des deux dernières années, aux échelons des fonctionnaires, des ministres et des sous-ministres, nous avons discuté considérablement de toutes ces questions très complexes. Alors le dialogue se poursuit, et je suis certaine que nous allons continuer d’avoir plus de questions.

[Français]

La sénatrice Dupuis : À l’article 211 du projet de loi, je voudrais qu’on m’explique ce que signifie le passage « la partie XII.1 de la même loi est abrogée ». Cette section du Code criminel traite de « Documentation et instruments pour l’utilisation de drogues illicites ». Or, dans la Loi sur le cannabis, on parle seulement du cannabis, alors que cette section du Code criminel parle de toutes les drogues illicites.

Pouvez-vous m’expliquer ce qu’on abroge et pourquoi c'est ainsi abrogé?

M. Saint-Denis : La disposition que l’on retrouve à la partie XII.1 du code traite de documentation et d’instruments.

En ce qui concerne la documentation, cette disposition a déjà été contestée devant les tribunaux et a été trouvée inconstitutionnelle. On peut donc écarter cette disposition comme étant non efficace et non applicable.

Pour ce qui est des instruments — et je m’en souviens, parce que j’ai eu le grand plaisir de travailler sur le projet de loi du député qui a créé cette partie —, l’intention était de viser les accessoires touchant le cannabis principalement. Le projet de loi a maintenant des dispositions qui traitent justement d’accessoires. On a des dispositions qui contrôlent la vente, la promotion, la visibilité des accessoires. Nous avons donc cru qu’il n’était plus nécessaire de conserver cette disposition à la partie XII.1 du code.

Par contre, il faut reconnaître que cette disposition du code ne visait pas que le cannabis, elle visait aussi d’autres substances. Le fait est qu’il y a très peu d’autres substances pour lesquelles on retrouve des accessoires dans les magasins. Il y avait des seringues, mais c’est exclu par la définition de ce qu’est un instrument. Cela dit, encore une fois, nous avons cru qu’en éliminant cette partie du code, il n'y aurait pas de conséquences.

Le sénateur Boisvenu : Je vais faire un petit commentaire à la suite de l’intervention du sénateur Gold qui parlait de problèmes théoriques. Si je produis un plant de cannabis qui fait 10 pieds, que je reçois une amende de 200 $ et que je le vends 1 000 $, c’est très intéressant.

Ma question s’adresse aux fonctionnaires de Santé Canada. On sait que le corps médical s’est souvent prononcé sur l’âge auquel on devait légaliser la marijuana. Est-ce qu’il y a une organisation médicale, au Canada, qui a fait une recommandation pour permettre la consommation de marijuana à 18 ans?

[Traduction]

M. Costen : Vous vous rappellerez probablement que le groupe de travail a reçu plus de 30 000 mémoires, alors pour être en mesure de me rappeler…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il y a une dizaine d’associations médicales au Canada. Est-ce qu’une d’entre elles a fait la proposition de permettre la consommation de la marijuana à 18 ans?

[Traduction]

M. Costen : Il s’agit peut-être de quelque chose que nous devrions vérifier et vous revenir par la suite, mais la Société canadienne de pédiatrie a fait une déclaration en appui à l’âge proposé, mais c’est quelque chose que nous pouvons certainement vérifier auprès du comité.

Le président : Nous serions reconnaissants de recevoir une réponse à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Carignan : Lorsque nous avons reçu vos ministres respectifs en comité plénier, j'ai fait un lien avec les recours collectifs des victimes du tabac contre les cigarettiers. Dans ce contexte, j’ai demandé aux ministres s’ils avaient cherché — et obtenu — des opinions juridiques sur le risque de poursuite en recours collectif contre le gouvernement du Canada pour avoir mis en place un système dont il ne connaît pas les conséquences pour ceux qui vont produire le cannabis, et également pour ceux qui pourraient le distribuer, comme les sociétés d’État et les réseaux de distribution. Leur silence voulait dire « non ».

Je vous repose la question. Aujourd’hui, quelques semaines plus tard, est-ce que des opinions juridiques ont été demandées sur ce potentiel de responsabilité de la part de l’État? Le cas échéant, est-ce qu’on peut obtenir copie des opinions juridiques? Sinon, pourquoi?

Mme Labelle : Comme vous le comprenez, ces renseignements sont protégés par le secret professionnel. Nous ne pouvons pas dévoiler si des avis juridiques ont été demandés. Je peux par contre expliquer que le ministère de la Justice a évalué à plusieurs égards les risques juridiques liés au projet de loi.

On a parlé du fait que la ministre de la Justice a déposé l’énoncé sur la charte. Nous avons aussi déposé une explication du projet de loi qui fait état de plusieurs éléments. Le projet de loi a donc été évalué conformément à plusieurs règles qui sont imposées à la ministre de la Justice, soit en conformité avec la charte ou en conformité avec la Loi sur les droits de la personne.

Le sénateur Carignan : Je comprends que vous invoquez le secret professionnel pour me dire que vous ne pouvez pas me dire si vous avez demandé une opinion ou non ni dévoiler son contenu, le cas échéant.

Mme Labelle : Je peux vous dire que nous avons procédé à plusieurs évaluations, à plusieurs niveaux, à plusieurs égards.

Je crois que M. Costen peut compléter ma réponse en expliquant comment il procède pour avertir les gens des risques que vous soulevez.

Le sénateur Carignan : Mais je comprends de votre réponse que vous ne pouvez pas me répondre, et que vous invoquez le secret professionnel pour éviter de me répondre.

Mme Labelle : C’est juste.

Le sénateur Carignan : Merci, parfait. Je poserai la même question à Santé Canada.

[Traduction]

M. Costen : Je ne veux pas répéter l’information que j’ai déjà communiquée au comité, mais le ministère est parfaitement au courant de la nécessité d’être en mesure de fournir aux personnes qui consomment du cannabis, à celles qui pensent peut-être en consommer et à celles qui ne veulent pas en consommer et qui désirent protéger les gens contre la consommation de cannabis de l’information fondée sur les faits relativement aux conséquences de leurs décisions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous arrête tout de suite. L’État a un devoir de précaution, même dans les lois sur la santé, lors de la commercialisation des produits de consommation. Je ne vous parle pas d’information ou de prévention, je vous parle d’autoriser un produit en tant que tel. C’est plus que cela.

Je comprends que vous avez des devoirs d’information. Cependant, le gouvernement autorise un produit dont il ne connaît ni les conséquences scientifiques ni les conséquences médicales.

Ma question est simple : avez-vous demandé une opinion juridique sur la responsabilité de l’État, la responsabilité du ministère de la Santé, s'il devait y avoir des poursuites en recours collectif par les gens qui seront atteints, ou qui recevront un diagnostic lié à la consommation de cannabis?

Mme Labelle : M. Costen n’est pas autorisé à dévoiler un secret professionnel.

Le sénateur Carignan : Non, mais il peut me le dire.

Mme Labelle : Il ne peut pas dévoiler un secret professionnel, à savoir si l’opinion juridique a été demandée ou non.

Le sénateur Carignan : Mais il peut faire comme vous, il peut dire qu'il ne répond pas en raison du secret professionnel.

[Traduction]

M. Costen : Je vais m’en remettre à la réponse que mon collègue a donnée à la question.

[Français]

Mme Labelle : Pour revenir à la réglementation des produits dangereux, c’est ce que le gouvernement fédéral fait à plusieurs égards. Donc, même si un produit s’avérait dangereux, il y a de la réglementation qui existe pour permettre l’utilisation du produit. On peut penser au pouvoir nucléaire, par exemple. On sait que c’est très dangereux, mais avec une bonne réglementation, on peut mitiger plusieurs des risques.

Nous avons aussi la Loi sur les produits dangereux. Il y a du transport de produits très dangereux. Encore une fois, nous réglementons, puisqu'il y a un aspect qui est utile aux Canadiens et aux Canadiennes.

Le sénateur Carignan : Donc, le cannabis est utile aux Canadiens; c’est ce que vous dites?

[Traduction]

M. Costen : Il y a d’autres exemples pour faire valoir ce point. Pensez à la lutte contre le tabagisme. Voilà une substance qui est clairement dangereuse pour les Canadiens et, pourtant, en tant qu’organisme de réglementation en matière de santé, notre responsabilité est de réduire le plus possible ces dangers et de protéger la santé publique au moyen d’un certain nombre de mesures réglementaires.

C’est en réalité un cadre utile pour penser à ce dont nous parlons aujourd’hui: il ne s’agit pas d’un système qui envisage d’approuver la consommation. Il ne vise certainement pas à en faire la promotion. Il vise à réduire au minimum les dangers associés à la consommation par l’application de mesures réglementaires qui permettront davantage d’atteindre ce but que l’absence de mesures. Je pense au tabac, à titre d’exemple d’un produit qui est clairement mauvais pour les Canadiens, pourtant, ces derniers sont assujettis à une réglementation stricte à l’égard de ce produit.

Le président : Si vous me le permettez, avant d’avoir le plaisir de vous remercier au nom de mes collègues, j’aimerais revenir sur la question du chevauchement des compétences provinciales et fédérales parce que, bien sûr, c’est une question qui relève certainement du ministère de la Justice.

Comme vous le savez, le ministre québécois responsable des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier, a écrit à la ministre de la Justice une lettre ouverte que le Huffington Post a publiée le 23 février, et je veux lire le paragraphe sur lequel j’aimerais vous poser une question en particulier. Le ministre écrit ce qui suit:

[Français]

Il ne fait pas de doute [...] que les provinces, poursuivant les mêmes objectifs de santé et de sécurité publiques que l’ordre fédéral, peuvent, elles aussi, encadrer la production du cannabis à domicile, notamment en n’autorisant qu’un nombre de plants égal ou inférieur. [...] le Québec, tout comme le Manitoba d'ailleurs, propose, en vertu de sa propre compétence législative, un encadrement de la culture du cannabis qui l’autorise dans des endroits ailleurs qu’à domicile.

[Traduction]

Je veux accorder une attention particulière à l’extrait suivant:

[Français]

Il est regrettable que des membres du gouvernement fédéral fassent état d’une interprétation différente de cette question, risquant ainsi de semer la confusion et de susciter des recours judiciaires inutiles et coûteux pour les contribuables.

[Traduction]

Madame Labelle, ma première question est la suivante : la ministre a-t-elle l’intention de répondre bientôt à la lettre du ministre responsable des Relations canadiennes afin que nous puissions savoir officiellement la position du ministère pour éliminer les incertitudes? Je dirais, avec tout le respect que je dois à la ministre de la Justice, qu’elle a elle-même soulevé la question lorsqu’elle a qualifié la capacité d’une province d’adopter des dispositions législatives concernant la possibilité de cultiver quatre plantes dans une maison d’habitation.

Mme Labelle : Comme je l’ai mentionné, la possibilité d’entraver les objectifs législatifs fédéraux est là. Cependant, rien n’indique que le gouvernement fédéral souhaite prendre une quelconque mesure. Ce sera quelque chose que les tribunaux examineront ultérieurement.

Quant au moment où la ministre répondra à la lettre, je n’en ai aucune idée.

Le président : Mais ne serait-il pas possible de reconnaître simplement dans le projet de loi que l’objectif fédéral, parce que ce sont les mots magiques, est respecté si une province légifère la défense de la culture de quatre plants dans toute maison d’habitation?

Mme Labelle : Je pense que le projet de loi C-45 devant vous présente un équilibre juste et judicieux aux fins de ce qu’il tente de réaliser: l’accès légal par des adultes à un produit illicite. Les circonstances et la façon dont les choses vont se dérouler dans chaque province, à mon avis, varieront.

Par conséquent, je crois qu’une province se fonde sur sa propre compréhension et sa propre analyse du droit, et nous espérons tous, au final, atteindre les mêmes buts et trouver un ensemble de règles cohérentes avec lequel travailler.

Le président : Il y a une incertitude dans le projet de loi. Si vous prenez le paragraphe 69(1)… avez-vous le projet de loi devant vous? Allez au paragraphe 69(1), à la page 40, partie 4. Je vais vous le lire.

Toute personne peut posséder, vendre ou distribuer du cannabis si elle est autorisée à vendre du cannabis sous le régime d’une loi provinciale prévoyant les mesures législatives visées au paragraphe (3).

Alors, si vous allez au paragraphe 69(3), celui-ci porte seulement sur la vente de cannabis et non pas la possession ou la distribution.

Il me semble que, si vous voulez que tout soit clair relativement à la déclaration que vous nous avez lue, laquelle était écrite, nous devrions comprendre, selon votre point de vue, que la possession n’est pas visée. Comme la culture de quatre plants est essentiellement une possession, non pas à des fins de vente ou de distribution, il y a une incertitude quant à l’adoption par une province de mesures législatives qui interdiraient la possession de quatre plants dans une maison d’habitation.

Ne vous rendez-vous pas compte que la formulation du paragraphe 69(1) peut, en réalité, faire en sorte qu’il sera possible de contester en se fondant sur le fait que ce n’est pas visé par les mesures législatives qui sont reconnues comme une possibilité pour une province en vertu du paragraphe 69(3)?

Mme Labelle : L’objectif de l’article 69 est d’exempter les gens de l’application du droit criminel, comme je l’ai expliqué plus tôt, pour les régimes que les provinces aimeraient établir relativement à la distribution et à la vente au détail de cannabis. C’est l’objectif principal de l’article 69.

Le pouvoir des provinces d’adopter des lois dépend de la doctrine du double aspect, pour ainsi dire, selon laquelle chaque ordre de gouvernement peut adopter des lois qui régissent la même question, mais pour ses propres fins. Lorsque vient le temps d’ajouter des restrictions sur la culture ou la possession, c’est une question que les provinces doivent examiner pour aller de l’avant en se fondant sur leur propre analyse juridique afin d’établir ce que seront ces limites.

La même chose peut se produire concernant les dispositions relatives à la promotion. Si une province croit qu'elle peut ajouter quelque chose aux restrictions sur la promotion ou l’étiquetage et l’emballage, elle a également le pouvoir de le faire, comme elle le fait sous le régime de la Loi sur le tabac.

Alors la doctrine du double aspect intervient à plusieurs égards dans le projet de loi, et nous n’en avons abordé que deux aujourd'hui. Le premier est l’article 69, qui permet cette ouverture pour l’établissement de systèmes de vente au détail par les provinces, et les autres sont la formulation des interdictions lorsqu’elles indiquent la mesure dans laquelle le droit criminel s’applique et lorsqu’il ne s’applique pas.

Le président : Autrement dit, si je comprends bien ce que vous voulez dire, si une province adopte une loi, comme nous l'avons entendu à la suite d’une question posée par la sénatrice Dupuis ou la sénatrice Eaton, afin d’interdire la possession de cinq grammes pour une personne âgée de moins de 18 ans, comme certaines provinces l’envisagent, une personne pourrait s’adresser aux tribunaux et contester cette loi en alléguant qu'elle va au-delà de l’objectif de la loi fédérale et qu’elle la prive d’un droit que le projet de loi reconnaît; si une province interdisait la culture de quatre plants alors que le projet de loi le permet, on pourrait faire valoir le même argument selon lequel on brime un droit que la loi fédérale reconnaît.

C’est la raison pour laquelle j’essaie de réunir les deux objectifs d’une certaine manière afin d’avoir une disposition de sauvegarde qui permettrait à une province d’interdire la possession pour une personne âgée de moins de 18 ans tout comme la culture de quatre plants dans une maison d’habitation.

Il me semble que, selon le projet de loi et la façon dont vous l’expliquez, il sera possible qu’une personne visée par une loi provinciale qui interdirait la possession aux personnes n’ayant pas atteint l’âge minimum ou la culture de quatre plants dans une maison d’habitation conteste la loi après son entrée en vigueur.

Il me semble que la façon dont vous allez répondre aux ministres provinciaux du Québec et du Manitoba, même si nous allons les entendre plus tard, sur la manière dont nous abordons cette situation conflictuelle, pourrait être réglée d’une manière simple par une disposition de sauvegarde prévoyant que l’objectif de la loi fédérale n’est pas entravé par une province qui reconnaît que la simple possession par un mineur ou l’interdiction de quatre plants ne va pas à l’encontre de l’objectif ou du but de la loi fédérale. Cela mettrait fin, au moins, à toutes les contestations potentielles dont vous avez parlé cet après-midi dans votre exposé.

Mme Labelle : Je ne suis pas certaine de pouvoir ajouter beaucoup plus à ce que j’ai déjà expliqué.

Je peux dire, cependant, qu’on a élaboré avec minutie le projet de loi afin de ne pas créer un transfert de droit ou un droit. Je ne suis pas certaine de savoir comment on soulèverait une contestation. Il ne s’agit pas d’un droit de possession. Ce n’est pas un transfert de droit de possession. C’est simplement le fait que le droit criminel ne s’y applique pas. Si vous avez en votre possession 10 grammes, vous n’agissez pas à l’encontre du droit criminel.

C’est là où le rôle des provinces et des municipalités est important parce qu’elles peuvent, avec leurs propres outils, décider de ce que devraient être les conditions locales. Je crois que c'est le plus d’information supplémentaire que je peux fournir.

Le président : Voulez-vous dire aujourd'hui? Eh bien, merci. Je ne veux pas lancer un débat. Je crois que les éléments sont sur la table. Il s’agit d’une question très sérieuse que le comité sera invité à examiner plus tard au cours de ses travaux.

J’aimerais vous remercier, particulièrement de votre présence demain lorsque nous recevrons les représentants de la GRC et de Sécurité publique Canada, alors s’il y a des questions, vous serez là pour y répondre.

J’apprécie, au nom de mes collègues, votre disponibilité et l’authenticité de vos réponses. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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