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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 6 juin 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales et la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et apportant des modifications corrélatives à une autre loi, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, afin d’étudier ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue ce matin alors que nous poursuivons notre étude du projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce et d’autres lois en conséquence.

Nous sommes heureux, honorables sénateurs, d’accueillir nos témoins par vidéoconférence.

[Traduction]

Exceptionnellement, ce matin, tous les témoins comparaîtront par vidéoconférence.

Bonjour, monsieur Boyd. Nous étions censés entendre votre témoignage hier après-midi, mais pour des raisons techniques ce n’était pas possible. Merci de vous être libéré ce matin.

Avant d’avoir le plaisir de vous entendre, monsieur Boyd, j’aimerais souhaiter la bienvenue à deux autres témoins.

[Français]

Je vous présente tout d’abord Mme Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. Bonjour, madame Monastesse. Nous recevons également, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, Mme Mathilde Trou, coresponsable des dossiers politiques et chargée des communications. Avant de commencer, je vous demanderais de limiter vos présentations à environ cinq ou six minutes, car nous voudrions avoir la chance d’échanger le plus longuement possible avec vous sur la base de vos témoignages.

Manon Monastesse, directrice générale, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes : Honorables sénateurs, je remercie le comité sénatorial de m’avoir invitée.

D’entrée de jeu, nous tenons à rappeler les obligations internationales et nationales du gouvernement fédéral en ce qui a trait aux droits des femmes, particulièrement la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Nous remarquons, dans le projet de loi, qu’il y a eu un souci de citer la Convention internationale des droits de l’enfant, mais qu’aucune mention n’est faite des conventions relatives à la violence faite aux femmes, qui sont pourtant centrales lorsqu’on parle des intérêts de l’enfant et de la violence familiale en relation avec la Loi sur le divorce et la détermination de la garde des enfants.

Notre analyse souligne divers aspects du projet de loi C-78, y compris ceux qui exigent une communication et une coopération entre les époux, notamment le fait que les attitudes imprévues dans certains aspects de la communication et de la coopération attendues des parents au cours d’actions en divorce peuvent occulter les réalités de la violence conjugale et risquer de mettre en danger des femmes et des enfants.

La définition large de la violence familiale qui est énoncée dans le projet de loi démontre une compréhension du caractère complexe et omniprésent de la violence familiale. Il est donc important que tous les aspects du projet de loi soient formulés en conséquence et qu’ils tiennent compte de la complexité et de l’omniprésence des répercussions de la violence passée, et même des cas de violence actuelle, et du fait que ces violences ne prennent pas fin simplement au moment où s’amorce l’action en divorce.

Il ne manque pas de données probantes pour indiquer que la violence entre ex-conjoints s’intensifie souvent dans les mois qui suivent une séparation, faisant de cette période celle où le risque d’homicide est le plus élevé pour bon nombre de femmes victimes de violence et leurs enfants. Par conséquent, exiger que les mères continuent de communiquer et de coopérer avec un époux violent est non seulement inapproprié, mais dangereux pour leur sécurité. Pourtant, on voit encore aujourd’hui des cas où les tribunaux ne se prononcent pas en faveur de mères qui sont légitimement incapables ou réticentes à coopérer avec un conjoint violent, ce qui peut même entraîner la perte de la garde des enfants au profit d’un conjoint violent.

Nos inquiétudes sont partagées par bon nombre de chercheurs qui voient de plus en plus d’intervenants mettre en doute la parole des femmes au sujet de la violence qu’elles ont vécue. Ces femmes sont alors soupçonnées d’invoquer la violence de leurs conjoints pour enlever à ceux-ci leur droit de garde. D’ailleurs, plusieurs qualifient cette situation pour les femmes violentées de « no-win situation ». En effet, si la mère violentée ne rapporte pas le fait que ses enfants ont été témoins ou victimes de la violence du père dans le but de les protéger, elle peut alors en perdre la garde parce qu’elle est censée assurer leur protection. Cependant, si c’est le cas et qu’elle dénonce le père, elle est alors accusée de l’aliéner et elle perd encore une fois la garde de ses enfants au profit du père violent.

Plusieurs auteurs affirment que, lorsqu’il est question d’accès ou de contact entre l’enfant et le conjoint agresseur, les sévices semblent avoir peu d’effets sur une restriction des contacts et sur leur régulation par surveillance. Mme Susan B. Boyd, en 2002, renchérit en précisant ce qui suit :

La préférence pour une participation des deux parents à la vie de l’enfant peut conduire au préjugé que la perspective de vivre dans une famille « brisée » est pire que celle de demeurer dans un foyer fracturé par des comportements d’agression [...]

Par conséquent, les dispositions liées à la coopération et à la communication doivent demeurer souples et indiquer clairement qu’elles peuvent ne pas être appropriées et ne doivent pas être exigées dans les cas où il existe le moindre antécédent de violence familiale ou conjugale.

La définition de la violence conjugale inscrite dans le projet de loi exclut à juste titre la légitime défense. Cependant, certaines dispositions démontrent un manque de compréhension des diverses façons dont les femmes résistent et survivent à la violence familiale. Nous espérons que la détermination de certains modèles de coercition et de contrôle aidera les tribunaux à comprendre la dynamique de la violence familiale et conjugale et que les actes de résistance et de survie des femmes victimes de violence ne seront plus considérés comme des actes de violence familiale.

Nous sommes favorables à l’idée de maintenir les termes habituels et clairs en ce qui a trait à la garde et au droit de visite dans la Loi sur le divorce plutôt que de les modifier. De plus, nous proposons que soient précisés davantage dans le projet de loi C-78 le type de décisions que le parent qui a la garde a le pouvoir de prendre, de même que le type de décisions qui peuvent être prises par le parent qui a un droit de visite.

J’aimerais ajouter un point qui concerne le règlement des différends familiaux. Au lieu d’exiger que les conseillers juridiques préconisent toujours le règlement des différends, nous recommandons que le projet de loi soit révisé pour rappeler à tous les conseillers juridiques qu’il doivent informer pleinement les époux sur l’ensemble des mécanismes qui leur sont offerts. Cette modification fera en sorte que toutes les femmes obtiennent de l’information sur la gamme complète des processus offerts, afin qu’elles puissent faire un choix éclairé quant au type de mécanisme qui convient le mieux à leur situation et à leurs besoins.

Nous croyons que la mention actuelle de l’« opportunité » dans cette disposition du projet de loi n’est pas suffisante et qu’elle fera en sorte que la résolution des différends familiaux devienne le mécanisme par défaut, y compris dans les cas de violence familiale où il risque de fragiliser la sécurité physique et psychologique des mères et de leurs enfants.

De façon générale, nous sommes tout à fait favorables à l’introduction dans le préambule de la définition de la violence familiale, mais il faut comprendre que, dans les cas de litiges de garde liés à la Loi sur le divorce, il s’agit souvent de cas où il y a de la violence conjugale. Il faut tenir compte de l’aspect sexospécifique de la violence familiale et introduire le concept de violence familiale dans le continuum de la violence faite aux femmes.

Bien entendu, nous saluons les efforts visant à mieux déterminer ce qu’on entend par l’intérêt de l’enfant pour qu’il soit au cœur du projet de loi. Il y a déjà des éléments liés aux cas de violence conjugale ou de violence familiale qui déterminent plus spécifiquement comment nous devons évaluer l’intérêt de l’enfant. Selon nous, c’est primordial, et je dois saluer ce projet de loi qui est novateur, parce que c’est la première fois qu’on insère des balises pour traiter l’intérêt de l’enfant en précisant ce qu’on entend par la violence familiale.

Je vais m’arrêter ici pour l’instant.

Le président : Vous aurez l’occasion de préciser certains éléments de votre présentation, madame Monastesse, à la suite des questions des sénateurs.

Nous entendrons maintenant Mme Mathilde Troue, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Je vous prie d’être le plus succincte possible, afin que nous ayons suffisamment de temps pour échanger avec vous par la suite.

Mathilde Trou, coresponsable des dossiers politiques et chargée des communications, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale : Bonjour. Je tiens à remercier le comité de m’avoir invitée aujourd’hui.

J’aimerais vous présenter le regroupement en quelques mots. Il rassemble à l’heure actuelle 43 maisons d’aide et d’hébergement réparties dans 15 régions du Québec. En 2017-2018, nos maisons ont hébergé près de 2 800 femmes et plus de 2 200 enfants. Elles ont aussi offert plus de 16 000 autres services en plus de l’hébergement, notamment des consultations externes, l’accompagnement des femmes hébergées ou non dans leurs démarches, et un suivi post-hébergement. Elles ont aussi répondu à plus de 49 000 autres demandes, en grande majorité de la part de femmes, mais également de proches, de professionnels ou d’autres ressources.

Plus spécifiquement, le projet de loi C-78 est très important pour nous, car plusieurs de ses articles ont un impact direct sur la sécurité des femmes et des enfants qui sont victimes de violence conjugale et familiale. La raison principale est que la violence ne cesse pas avec la séparation. Bien souvent, au moment de la rupture, voire juste après, des femmes et des enfants sont malheureusement tués par l’ex-conjoint. C’est pourquoi les exigences qu’il conviendrait d’imposer à un couple en instance de séparation où il n’y a pas de conflits doivent être différentes de celles qui s’adressent aux femmes victimes de violence conjugale en instance de séparation.

Tout d’abord, j’aimerais souligner trois éléments importants du projet de loi dont nous sommes très satisfaites. Le premier — et le principal — est la codification de l’intérêt de l’enfant dans un paragraphe qui inclut la présence de violence familiale et ses effets et dont les tribunaux doivent tenir compte.

Le deuxième point est l’inclusion d’une définition exhaustive de la violence familiale. Nous aurions aimé que cette définition précise le fait que la violence familiale touche essentiellement les femmes, mais nous sommes satisfaites de constater que le projet de loi donne une définition de la violence familiale. Nous saluons également l’obligation faite aux tribunaux de vérifier si l’une ou l’autre des parties est visée par tout type d’ordonnance.

Parmi les points que nous aimerions ajouter ou conserver, le premier, qui est certainement le plus important, comme le disait ma collègue, Mme Monastesse, concerne les alinéas 16(3)c) et i) qui traitent de la communication et de la collaboration entre les époux. Dans des situations de violence familiale, encourager la communication et la collaboration peut s’avérer dangereux, à la fois pour les femmes et pour les enfants. Nous souhaitons que ces alinéas prévoient une exception en cas de violence familiale.

Il en va de même pour le mécanisme de règlement des différends familiaux, que plusieurs études ont désigné comme n’étant pas approprié en cas de violence familiale, puisque l’équilibre des forces en présence et la capacité de négocier d’égal à égal sont complètement absents au sein des couples où il y a de la violence familiale. Nous aimerions donc qu’une exception soit ajoutée à cet article en cas de violence familiale.

En ce qui concerne les tribunaux, nous souhaiterions qu’ils tiennent compte de toute conduite antérieure pour déterminer l’intérêt de l’enfant lorsqu’il s’agit de l’exercice du temps parental, des responsabilités décisionnelles ou des contacts avec l’enfant. La violence conjugale s’inscrit dans un cycle, et il est important de tenir compte de tous les actes qui ont pu être posés auparavant pour déterminer l’intérêt de l’enfant.

Un autre point très important concerne la garde partagée, parce que la violence conjugale ne cesse pas avec la séparation. Lorsque la garde partagée est décidée par les tribunaux, c’est un moyen pour les ex-conjoints de continuer à exercer leur contrôle sur les mères et de poursuivre un abus de pouvoir. Nous aurions souhaité que le projet de loi comporte un article qui indiquerait que, en cas de violence familiale, la garde partagée soit exclue.

Dans le même ordre d’idées, au paragraphe 16.2(1), il ne faudrait pas que les tribunaux présument qu’il est toujours dans l’intérêt de l’enfant de passer du temps avec ses deux parents. Cela peut causer des problèmes en cas de violence familiale. Nous recommanderions de retirer cet article pour éviter toute confusion.

Enfin, nos maisons membres constatent régulièrement une méconnaissance de la violence familiale et de ses mécanismes parmi les acteurs du système judiciaire. Certains avocats déconseilleront aux femmes de divulguer la présence de violence familiale. Certains juges, malgré des preuves évidentes, ne tiendront pas compte de la violence familiale au moment de rendre leur décision. Nous remarquons que de plus en plus de femmes sont accusées de faire de l’aliénation parentale alors que leur seul objectif est de protéger leurs enfants d’un ex-conjoint violent. Pour éviter cela, nous recommandons qu’une formation obligatoire sur la violence familiale soit prévue dans le projet de loi et qu’elle soit destinée aux acteurs du système judiciaire.

Je m’arrêterai ici pour ma présentation, mais j’aimerais également souligner que, même si le projet de loi, tel qu’il est rédigé, comporte quelques imperfections, nous préférerions qu’il soit adopté. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Trou. Comme je l’ai mentionné à votre collègue, Mme Monastesse, vous aurez la possibilité de préciser certains aspects de votre présentation plus tard au cours de la période des questions et commentaires de la part des honorables sénateurs.

[Traduction]

J’aimerais maintenant vous présenter de nouveau John-Paul E. Boyd de John-Paul Boyd Arbitration Chambers. Vous possédez une longue expérience dans le domaine de l’arbitrage et de la médiation. Nous vous sommes reconnaissants de vous être libéré ce matin pour témoigner de l’Alberta.

Je vais vous inviter également à restreindre la durée de vos commentaires à cinq à sept minutes afin que nous ayons amplement le temps d’échanger avec vous.

Vous avez la parole.

John-Paul E. Boyd, directeur, John-Paul Boyd Arbitration Chambers, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je remercie également les témoins de Montréal qui ont soulevé des points très importants au sujet de la violence familiale, particulièrement en ce qui concerne l’article 7.3 du projet de loi proposé.

Pour donner un peu de contexte, je suis avocat en droit de la famille et j’exerce dans ce domaine depuis 20 ans. Après avoir passé cinq ans à l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille à l’Université de Calgary, je suis retourné en pratique privée. Je travaille maintenant comme médiateur et arbitre partout en Colombie-Britannique et en Alberta. Je travaille également comme conseiller juridique pour le cabinet d’avocats Wise Scheible Barkauskas à Calgary.

J’aimerais soulever deux principaux points aujourd’hui. Ils concernent la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies de même que les dispositions législatives du projet de loi qui se rapportent au déménagement important.

Permettez-moi d’abord de dire que le projet de loi est, à mon avis, remarquable. Il ferait de la Loi sur le divorce la mesure législative la plus progressiste au Canada, juste après la Family Law Act de la Colombie-Britannique.

Il est tout à fait approprié de délaisser des termes qui sous-entendent des situations de conflit, comme « garde » et « accès », afin d’adopter des termes plus axés sur les enfants en ce qui a trait à la prise de décisions et au temps parental. D’ailleurs, il est plus que temps que la loi fédérale aborde la violence familiale dans la mesure où ce projet de loi le fait. Je me réjouis également de la discussion portant sur l’importance d’encourager les parties à tenter de recourir à des processus extrajudiciaires de résolution des différends avant de se tourner vers les tribunaux.

Dans les faits, en tant qu’avocat en droit de la famille, je me préoccupe principalement des répercussions profondes que peuvent avoir les conflits parentaux sur les enfants. Comme vous l’avez entendu hier, de nombreuses recherches venant de chercheurs américains, comme Joan Kelly et Matthew Sullivan, et de chercheurs canadiens, comme Rachel Birnbaum et Nicholas Bala, démontrent les conséquences terribles que peuvent avoir ces conflits sur les enfants. Ils influent sur le bien-être des enfants tout au long de leur vie.

Je suis également préoccupé par la capacité des Canadiens à revenu faible ou moyen d’accéder à la justice familiale. Je crains également que les processus judiciaires accusatoires nuisent à la capacité des parents à travailler ensemble et à élever conjointement leurs enfants par la suite.

Cela dit, le projet de loi représente un progrès considérable et rendra grandement service à tous les Canadiens mariés dont la relation tire à sa fin. Il s’agit d’une mesure très progressiste et attendue depuis longtemps.

En ce qui concerne les deux points que je veux soulever, le Canada est un signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies depuis 1991. La convention reconnaît, entre autres, que les enfants détiennent des droits, et que leurs droits et intérêts sont complètement indépendants de ceux de leurs parents.

Plus précisément, l’article 12 de la convention accorde aux enfants le droit d’être entendus dans toute procédure judiciaire touchant leurs intérêts, dans la mesure où ils sont capables d’exprimer ces intérêts de même que de les formuler.

L’article 16 de la Loi sur le divorce, une fois modifié, améliorera considérablement la loi de 1985, car elle crée pour la première fois une présomption réfutable selon laquelle l’opinion des enfants sera entendue.

Il me semble important que la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies soit explicitement mentionnée dans la loi. À l’heure actuelle, et d’après mon expérience de la pratique du droit, même si cette convention a force de loi au Canada, en pratique, l’opinion des enfants est rarement expressément sollicitée devant les tribunaux ou dans le cadre de processus extrajudiciaires de résolution des différends.

Notre système accusatoire est construit de façon à donner la priorité aux intérêts des parents, car ce sont les parties au litige : le plaignant ou le défendeur, le demandeur ou l’intimé. Comme on se préoccupe principalement de leurs intérêts devant les tribunaux, les droits et les intérêts des enfants arrivent au second plan. Parfois, ils ne sont même pas dûment pris en considération, sauf du point de vue de la valeur que représente l’intérêt de l’enfant pour les intérêts stratégiques des parents.

L’incorporation d’une référence explicite à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies dans la loi, une mesure que soutient la section sur le droit des enfants de l’Association du Barreau canadien, aurait pour effet de promouvoir les droits des enfants; d’informer la magistrature, les avocats et le public au sujet de la convention; et de garantir que l’article 16, dans sa version modifiée, n’est pas interprété d’une manière qui va à l’encontre de la convention.

Cet ajout aurait également pour avantage de faire comprendre aux Canadiens que les droits des enfants suivent l’évolution de la convention si elle est modifiée.

L’autre point que je souhaite soulever concerne les dispositions sur le déménagement important prévues dans la loi. J’ai le privilège d’exercer le droit en Colombie-Britannique. La Family Law Act dans cette province, qui est entrée en vigueur en 2013, était la première loi canadienne à incorporer une certaine forme de lignes directrices pour les parents et les tribunaux lorsqu’un parent envisage un déménagement important avec un enfant.

Toutefois, vu la façon dont les dispositions proposées sur la mobilité sont formulées à l’article 16.93, le fardeau de la preuve est renversé, selon les ententes parentales prises à l’égard de l’enfant. Lorsque les parents passent des périodes « essentiellement équivalentes » avec les enfants, il revient au parent qui souhaite déménager de démontrer que le déménagement est dans l’intérêt de l’enfant.

Par ailleurs, lorsque le parent qui souhaite déménager passe la « très large majorité » du temps avec l’enfant, le fardeau de la preuve est renversé, et c’est l’autre parent qui doit prouver que le déménagement n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. Il y a alors un large spectre de cas qui n’appartiennent à aucune de ces catégories, où les ententes parentales ne mènent pas à des périodes essentiellement équivalentes ni à une très large majorité du temps passé avec l’enfant. Dans de tels cas, le fardeau de la preuve incombe aux deux parents en ce qui a trait à l’intérêt de l’enfant.

Cet avant-projet de loi est approprié, car il suit l’arrêt Gordon c. Goertz rendu par la Cour suprême du Canada en 1996 et la majorité des jugements rédigés par les anciennes juges McLachlin et L’Heureux-Dubé, qui ont toutes les deux pris soin d’insister sur l’importance d’une enquête hautement contextualisée au moment de rendre un jugement quant à l’intérêt de l’enfant.

Même si je comprends cela et que j’attache une grande importance à l’approche théorique à l’égard de l’intérêt de l’enfant mise de l’avant par ces juges, ce qui me préoccupe, c’est l’accès à la justice. Il faut décourager les parents de recourir aux tribunaux pour régler des litiges concernant l’intérêt des enfants. Il faut décourager les poursuites afin de réduire au minimum l’effet du conflit parental sur le bien-être des enfants.

Le problème avec ce projet de loi, c’est que les termes « essentiellement équivalentes » et « très large majorité » sont intrinsèquement ambigus. L’équivalence est un concept mathématique. Nous comprenons plus ou moins ce qu’il signifie. Vous ne pouvez pas contester le fait que votre temps n’est pas équivalent si une division mathématique indique qu’il l’est, mais vous pouvez certainement débattre de la question de savoir s’il est essentiellement équivalent, par opposition à considérablement équivalent, quelque peu équivalent ou toute autre variante.

Également, en ce qui concerne le terme « très large majorité », il n’est pas défini dans la loi fédérale. Il peut signifier 99 p. 100 ou 95 p. 100 du temps passé avec l’enfant. Certains parents soutiendront qu’ils n’ont que la simple majorité du temps avec l’enfant et qu’ils veulent la très large majorité, ou qu’ils ont une grande majorité qui n’est pas assez large.

Si nous utilisons un libellé ambigu à cet égard, je crains que nous ne poussions les parents à recourir aux tribunaux, car ils débattront de la définition du temps qu’ils passent avec l’enfant et de la mesure dans laquelle il s’agit de la très large majorité du temps ou de périodes essentiellement équivalentes.

Au Canada, principalement grâce au Sénat, nous avons l’article 9 des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, qui abordent les conséquences de la garde partagée sur le paiement des pensions alimentaires pour enfants. Je crois que le Sénat était responsable de l’inclusion de la règle des 40 p. 100 à l’article 9. L’article en question prévoit que le payeur qui a la garde de l’enfant pendant au moins 40 p. 100 du temps peut demander une ordonnance alimentaire qui déroge aux lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.

Même si l’article a semé une profonde consternation chez les avocats lorsqu’il a été adopté en 1997, le fait est que nous avons créé plus de 20 ans de jurisprudence en interprétant la règle du 40 p. 100. Même si nous avions l’habitude d’en débattre sans cesse lorsque l’article est entré en vigueur, nous comprenons maintenant ce qu’il signifie et nous ne contestons pratiquement jamais l’interprétation faite du seuil de 40 p. 100.

Le projet de loi pourrait prévoir que la majorité substantielle signifie que les deux parents ont la garde de l’enfant pendant au moins 40 p. 100 du temps. Cela permettrait à la magistrature, aux avocats et au public de s’appuyer sur la jurisprudence significative qui s’est accumulée au titre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants afin d’expliquer comment calculer le seuil de 40 p. 100. Puis, si vous avez la garde moins de 40 p. 100 du temps, cela pourrait équivaloir à la très large majorité du temps.

Ce que j’essaie de dire nous ramène à l’ambiguïté inhérente du libellé, avec des termes comme « essentiellement équivalentes » et « très large majorité ». Si nous voulons éviter que les parents aient recours aux tribunaux, ce serait grandement utile d’établir certaines mesures objectives quant à la signification de ces termes. Sans ce genre de certitude, les parents n’auront d’autre choix que de s’adresser à la cour pour résoudre ces problèmes compte tenu de l’importance incroyable du renversement du fardeau de la preuve.

Cela dit, je ne suis pas en train de proposer que le projet de loi ne soit pas adopté si les dispositions relatives au déménagement important ne sont pas modifiées. Le projet de loi est remarquable et procurerait un immense avantage aux Canadiens. Il s’agit simplement de quelque chose qui me préoccupe. Il s’agit de tenter de trouver un équilibre entre la certitude du résultat et la minimisation du conflit entre les parents; et la valeur importante des enquêtes hautement contextualisées touchant l’intérêt de l’enfant.

Même si le seuil de 40 p. 100 prévu dans les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants est adopté dans la Loi sur le divorce, l’enquête au sujet de l’intérêt de l’enfant restera une portion fondamentale du critère applicable aux déménagements importants. L’enquête contextualisée peut tout de même avoir lieu dans ce contexte.

Le président : Monsieur Boyd, je vous remercie de ces sages commentaires et réflexions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. C’est un plaisir de vous revoir, mesdames, surtout Mme Monastesse. Je tiens à souligner l’excellent travail que vous faites grâce au regroupement des centres de femmes victimes de violence.

On fait beaucoup de place dans le projet de loi à la violence familiale, mais peu de place à la violence conjugale. J’ai l’impression qu’on banalise cette problématique, qui est souvent à la source même de conflits parentaux qui perdurent et dont les enfants deviennent prisonniers. Ces conflits vont souvent se judiciariser ou même faire intervenir la police. D’autres organismes, telle la DPJ, interviendront également. Le traumatisme pour les enfants y est énorme. On a récemment vu au Québec des enfants devenir victimes du système judiciaire, qui doit ensuite les prendre en charge, parce qu’on les retire peut-être trop hâtivement du milieu familial.

Lorsque vous dites qu’on devrait modifier le projet de loi dans les cas de violence conjugale, je pense que vous avez tout à fait raison, car le projet de loi m’apparaît très faible à ce chapitre. Je travaille avec beaucoup de femmes qui vivent de la violence conjugale. En effet, le système judiciaire leur offre peu de moyens pour faire la preuve que leur conjoint a un passé et un présent empreints de violence. Lorsqu’on parle de l’aspect cumulatif de la violence familiale dans le projet de loi, cela m’inquiète. Je ne pense pas que cette interprétation permettra de régler les problèmes de tous les jours où les enfants sont carrément pris en otage, souvent par le père et, parfois, par la mère.

Vous proposez différentes mesures dans le cas de situations de violence conjugale où on risque de judiciariser de façon excessive les relations entre parents et enfant. Quelles modifications étiez-vous prête à faire dans les cas de violence conjugale où il faut prendre des mesures sérieuses, mais qui n’apparaissent pas dans le projet de loi?

Mme Monastesse : Merci beaucoup de votre analyse fort pertinente, sénateur Boisvenu. Nous saluons aussi le travail que vous faites auprès des victimes de violence.

En effet, d’entrée de jeu, nous voulons que soit prise en compte la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Le Canada l’a ratifiée il y a plus de 20 ans et des engagements ont été pris. D’ailleurs, on a mis en exergue, sur la première page, qu’il faut effectivement tenir compte de la nature sexospécifique de la violence faite aux femmes et inclure la violence familiale dans le continuum des violences faites aux femmes. On sait que, dans les cas où on invoque la violence familiale et que les femmes se retrouvent devant les tribunaux pour obtenir la garde de leurs enfants, la plupart du temps, c’est parce qu’il y a de la violence conjugale. Nous demandons donc à ce que le projet de loi fasse référence non seulement à la Déclaration des droits de l’enfant, mais également à la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. C’est un enjeu crucial. On parle souvent de conflits familiaux, et il faut faire la différence entre un conflit et la violence conjugale. On le voit déjà un peu dans le projet de loi lorsqu’il s’agit de déterminer l’intérêt de l’enfant, mais il faut tenir compte des différences. Quand on parle de violence conjugale, on parle d’une situation où il y a une domination du conjoint sur sa conjointe et sur les enfants. Ce n’est pas un conflit. Le conjoint exerce un contrôle coercitif qui peut mener à l’homicide.

Dans les cas d’homicide de la conjointe ou des enfants, les études démontrent que cela se produit souvent au cours de la première année qui suit la séparation. Souvent, on va invoquer le fait qu’il y a un litige devant la cour, mais ce n’est pas là la cause. La cause, c’est qu’il y a de la violence conjugale et que le conjoint essaie de maintenir à tout prix un contrôle sur sa conjointe et sur ses enfants. Dans la pensée des pères agresseurs et des maris violents, ceux-ci se disent que si leur famille n’est pas avec eux, elle ne sera avec personne. Comme vous le dites, oui, nous saluons l’introduction d’une définition de la violence familiale, mais il faut préciser aussi la question de la violence conjugale dans la perspective du continuum des violences faites aux femmes.

La sénatrice Dupuis : Merci à vous trois d’être avec nous. Je vous ai écoutés attentivement. Cela m’a rappelé le fait que, très récemment, ce comité a eu l’occasion d’examiner les questions de justice criminelle et la façon dont l’ensemble du processus est teinté d’une discrimination systémique contre les femmes. J’aimerais vous inviter à lire notre rapport. Du droit familial au droit criminel, on constate un continuum et un problème de discrimination systémique, ce que nous avons noté.

Vous avez tous les trois évoqué la question de la méconnaissance dans l’ensemble du système. Vous avez mentionné la méconnaissance de la violence familiale de la part des intervenants. J’aimerais que vous précisiez de quels intervenants vous parlez. Dans tout le processus de justice familiale, il y a différents intervenants. J’aimerais que vous nous précisiez desquels il s’agit.

Mme Monastesse : D’entrée de jeu, nous ne faisons pas la différence entre les types de conflits, où il peut y avoir des différends, mais pas dans une perspective coercitive.

Dans les cas de violence conjugale, on parle vraiment d’un contrôle total et d’un contrôle coercitif sur la conjointe et les enfants. Plusieurs auteurs le soulèvent, comme M. Jaffe, qui étudie cette question depuis plus de 35 ans. Je parlais de la situation sans issue dans laquelle les mères se retrouvent. Si elles ne parlent pas de la violence à laquelle les enfants sont exposés, elles ne sont pas de bonnes mères. Si elles en parlent, on va les accuser d’aliénation parentale.

Il y a toute cette question de la définition, et on le constate dans le système sociojudiciaire en général, qu’il s’agisse des intervenants judiciaires, des avocats, des juges ou autres. On le voit également chez les intervenants psychosociaux qui ne parleront pas de contrôle coercitif. Le préjugé consistera à dire que l’individu a été un mauvais conjoint, mais un bon père. Quand on parle de violence conjugale, cette affirmation est complètement fausse. Le conjoint violent veut exercer à tout prix un contrôle entier sur la mère et sur les enfants. Nous le constatons dans notre pratique de tous les jours. Certaines femmes vont perdre la garde de leurs enfants au profit d’un conjoint violent, justement parce qu’elles essaient de protéger leurs enfants.

Nous avons mené une étude que nous pourrons vous soumettre. Elle sera terminée au cours des prochaines semaines. Dans cette étude, on a demandé à des professeurs de sciences juridiques d’examiner et de valider scientifiquement cet état de cause. Ce sont 250 jugements de la Cour civile et de la Cour d’appel qui ont été analysés en lien avec l’impact de la violence conjugale dans la détermination de la garde des enfants. Malheureusement, on voit que c’est un facteur neutre. On parle tout de même de 250 jugements qui ont été analysés. Nous allons vous soumettre ce projet de recherche au cours des prochaines semaines, une fois qu’il sera terminé. Il vous permettra d’éclairer certains éléments ici au Québec. C’est pourquoi nous saluons le fait que le projet de loi soit novateur et qu’il tente de mieux définir la violence familiale et ses impacts sur les enfants et les mères. En matière de violence conjugale, protéger les mères, c’est protéger les enfants.

La sénatrice Dupuis : M. Boyd avait aussi...

[Traduction]

Le président : Monsieur Boyd, très rapidement, allez-y.

[Français]

Je regarde l’heure qui file.

[Traduction]

Monsieur Boyd, voudriez-vous commenter la question qu’a posée la sénatrice Dupuis à Mme Monastesse?

M. Boyd : Les changements que l’on propose d’apporter à la Loi sur le divorce suivent de très près ceux qui ont été apportés en Colombie-Britannique, en 2013, avec l’introduction de la Family Law Act.

Il y a deux éléments de base. Il y a la définition de la « violence familiale ». La définition dans les deux mesures législatives est suffisamment vaste. Elle inclut la violence psychologique et sexuelle ainsi que les préjudices physiques et les menaces. L’autre élément concerne l’évaluation de l’intérêt de l’enfant.

À l’article 16, on présente une liste de facteurs que le tribunal et les parents sont tenus d’examiner au moment d’évaluer l’intérêt de l’enfant. La présence de violence familiale est l’un de ces facteurs.

Lorsque la violence familiale est un facteur, il faut tenir compte d’un deuxième groupe de facteurs figurant à l’article 16.4, qui inclut la nature, la gravité et la fréquence de la violence familiale et le fait qu’une personne tend ou non à avoir un comportement coercitif et dominant.

D’après ce que je me souviens de la pratique avant l’entrée en vigueur de la Family Law Act, la violence familiale était prise en considération, car il s’agit manifestement d’un facteur qui est lié à l’intérêt de l’enfant.

Je ne suis pas en désaccord avec les témoins de Montréal qui disent qu’il n’y avait peut-être pas d’incidence en ce qui concerne la décision de garde. Avec l’introduction de cette approche en Colombie-Britannique, j’ai constaté non pas que la violence familiale est un nouveau facteur, mais plutôt qu’on insiste auprès des parents, des avocats et des juges pour dire que la violence familiale est définie de façon très générale, qu’il s’agit d’un concept qui englobe non seulement la violence physique, mais également des actes ayant des effets sur les plans psychologique, financier, émotionnel et psychosocial. Puis, lorsque vient le temps d’analyser l’intérêt de l’enfant, le tribunal doit se pencher sur toutes les subtilités de la violence familiale énoncées à l’article 16.4.

En ce qui a trait aux intervenants du système, il y a évidemment les juges, qui sont tenus de prendre des décisions et de détenir un certain degré de connaissance et de formation à l’égard de la violence familiale et de ses répercussions.

Il y a aussi les parents, les parties et les époux qui comparaissent devant les tribunaux. Nombre d’entre eux n’ont jamais vécu de violence familiale ni cherché à obtenir de l’aide à cet égard et pourraient donc ne pas comprendre l’ampleur réelle de ces situations et ne pas avoir la compréhension nuancée des témoins de Montréal.

Il y a aussi les avocats. En Colombie-Britannique, le règlement de la Family Law Act exige que les avocats, les médiateurs et les arbitres en droit familial rencontrent leurs clients pour évaluer la présence de violence familiale et la mesure dans laquelle cette situation a eu des répercussions sur la sécurité des personnes et sur leur capacité à parvenir à un compromis rationnel d’après leur point de vue.

Ainsi, nous sommes tenus par le barreau de suivre un certain nombre d’heures de formation sur la violence familiale dans le cadre de notre perfectionnement professionnel continu. Je pense qu’il s’agit de 14 heures. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est plus que ce que nous n’avons jamais eu par le passé.

Dans le cadre du cours, nous tenons une discussion au sujet de la nature et de la portée de la violence familiale, de la différence entre la violence familiale coercitive et dominante et la violence circonstancielle et des autres types de violence familiale. Les membres du barreau sont ainsi mieux outillés pour comprendre et évaluer la violence familiale et reconnaître les répercussions profondes qu’elle peut avoir sur le bien-être des parents et des enfants.

Le président : Merci beaucoup, monsieur.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue à tous nos invités, particulièrement à Mme Trou et à Mme Monastesse que j’ai connues dans une autre vie. En effet, vous faites un travail très important. En guise de préambule, je dirai que la violence conjugale et la violence faite aux femmes sont certainement la preuve, s’il en faut une, que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas atteinte. C’est ce sur quoi il faut travailler.

Par ailleurs, je vais vous demander d’être pragmatiques — et je sais que vous pouvez l’être. Nous disposons de très peu de jours pour étudier ce projet de loi et pour présenter notre rapport au Sénat. J’aimerais savoir quel amendement serait prioritaire à vos yeux, si vous en avez un à proposer. Vous avez parlé du temps parental maximum et aussi du maintien de la relation de l’enfant avec l’autre conjoint. Si vous aviez un amendement à privilégier, quel serait-il? Quelle serait la priorité?

Deuxièmement, j’aimerais avoir votre évaluation pragmatique pour déterminer si ce projet de loi, tel qu’il est rédigé, est suffisamment bon et assez important pour vous. Si vous aviez un choix à faire, est-ce que ce serait que le projet de loi soit adopté au Sénat ou plutôt qu’il meure au Feuilleton si un trop grand nombre d’amendements sont proposés?

Mme Trou : En ce qui concerne les articles qui, selon nous, sont les plus importants, je reviendrais sur la communication et la collaboration entre les époux et le mécanisme de règlement des différends familiaux. Nous pensons que le cœur du problème est qu’on encourage la communication et la collaboration entre les époux dans l’intérêt de l’enfant. Pour des couples qui se séparent, mais où il n’y a pas de conflit, c’est en effet une chose avec laquelle nous sommes tout à fait d’accord. Malheureusement, dans les cas de violence familiale, ce sont des processus et des mécanismes qui ne fonctionnent pas et qui ne devraient pas être privilégiés.

Nous insisterions vraiment sur le fait d’ajouter une exception en cas de violence familiale aux alinéas 16(3)c) et i) qui traitent de la communication et de la collaboration entre les époux. Nous recommanderions la même exception à l’article 7.3 pour les mécanismes de règlement des différends familiaux. Ce seraient nos priorités.

Pour répondre à votre deuxième question, oui, nous souhaiterions que ce projet de loi soit adopté. Même si nous sommes conscientes du fait que tout ce que nous recommandons ne sera pas inclus compte tenu du délai, il y a tout de même de grandes avancées qui ont le mérite d’être intégrées au projet de loi, et nous souhaiterions vivement qu’il soit adopté.

[Traduction]

Le président : Monsieur Boyd, je pense que je vais revenir à vous sur cette même question, car vous en avez déjà parlé. Je ne veux pas vous empêcher d’intervenir, mais j’ai une liste de quatre autres sénateurs et je vois le temps filer également. Je vais vous demander d’être aussi bref que possible sur cette question.

M. Boyd : L’article 16.2 du projet de loi est essentiellement une reproduction du paragraphe 16(10) de la Loi sur le divorce actuelle. Le libellé est presque le même, sauf qu’on utilise les termes « temps parental » au lieu de « garde et accès ». On peut lire que, lorsqu’il attribue du temps parental conformément à ce paragraphe :

[...] le tribunal applique le principe selon lequel l’enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de temps compatible avec son propre intérêt.

Durant les premiers temps suivant l’entrée en vigueur de la Loi sur le divorce de 1985, le principe de contact maximal était contesté par des avocats qui affirmaient que le projet de loi comportait une présomption de partage des responsabilités parentales et une présomption selon laquelle chacun des parents devrait passer autant de temps possible avec l’enfant.

Toutefois, les tribunaux ont rapidement détrompé les avocats qui appliquaient ce principe, car le principal critère consiste à passer le plus de temps compatible avec l’intérêt de l’enfant. Il y a eu très peu de cas où le tribunal a interprété ce paragraphe de manière à laisser entendre qu’il y a une obligation de responsabilités parentales partagées. Le temps parental a toujours été déterminé de manière à être compatible avec l’intérêt de l’enfant.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Mesdames Monastesse et Trou, merci de vos présentations et des mesures proposées. Comme vous l’avez si bien exprimé, en règle générale, c’est la sécurité des femmes victimes de violence familiale et conjugale et celle de leurs enfants qui est toujours en jeu.

[Traduction]

Monsieur Boyd, je vous remercie également de votre exposé. Le projet de loi C-78 concernant la Loi sur le divorce renverse le fardeau de la preuve dans les cas de déménagement important. Comme vous l’avez mentionné, les nouvelles dispositions emploient les termes « essentiellement équivalentes » et « très large majorité » pour qualifier le temps qu’un parent passe avec l’enfant, des termes qui ont été décrits comme étant vagues.

Je ne comprends pas pourquoi ces termes ont été utilisés. J’espère que des directives seront mises à la disposition des tribunaux quant à la façon de déterminer ce qui constitue des périodes essentiellement équivalentes ou la très large majorité du temps.

J’ai trois petites questions à vous poser; je m’attends donc à des réponses brèves.

Premièrement, dans quelle mesure, le cas échéant, le nouvel article 16.93 réduira-t-il ou augmentera-t-il le recours aux tribunaux?

Deuxièmement, dans quelle mesure, le cas échéant, le renversement du fardeau de la preuve privilégie-t-il les intérêts du parent qui a la garde au détriment de ceux de l’enfant?

Troisièmement, dans quelle mesure, le cas échéant, les intérêts de l’enfant peuvent-ils être dissociés des intérêts du parent dans les cas de déménagement important?

Le président : Monsieur Boyd, répondez brièvement.

M. Boyd : Je ferai de mon mieux, monsieur le président. Pour répondre à votre première question, le nouvel article augmentera sans aucun doute le recours aux tribunaux précisément en raison de l’ambiguïté de ces phrases.

En ce qui a trait au renversement du fardeau de la preuve et aux intérêts des parents, l’approche générale que le gouvernement a choisie d’adopter dans le projet de loi vise à éliminer certains des problèmes persistants découlant de l’arrêt Gordon c. Goertz rendu par la Cour suprême du Canada grâce à la formulation de certaines directives.

Le renversement du fardeau de la preuve est certainement un raccourci pour y parvenir. Sans la mise en œuvre de raccourcis quelconques, qu’il s’agisse d’une présomption fondée sur la très large majorité du temps ou sur un critère de périodes essentiellement équivalentes, nous n’avons aucune directive et nous sommes aux prises avec le gâchis de l’arrêt Gordon c. Goertz.

L’arrêt de la Cour suprême du Canada a inspiré d’autres décisions semblables. Le problème s’est répandu dans la jurisprudence. Les mêmes faits peuvent être utilisés d’après l’arrêt Gordon c. Goertz pour appuyer ou contester un déménagement. La Cour suprême du Canada a toujours refusé les requêtes en autorisation d’appel qui auraient eu pour effet de clarifier l’arrêt Gordon c. Goertz.

Le problème, c’est que la jurisprudence est un gâchis, et ce dont nous avons besoin, c’est d’une mesure législative quelconque qui fournit un critère. Toute mesure législative favorisera l’équilibre des avantages et des inconvénients. Si le Sénat peut fournir un critère plus sensé qui réduira le recours aux tribunaux et qui offrira une certitude accrue aux parents qui envisagent un déménagement important, ce serait grandement apprécié.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Boyd.

[Français]

Le sénateur Dalphond : J’aimerais remercier tous nos témoins ce matin et souligner en particulier le travail remarquable de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. Lorsque j’ai commencé ma pratique il y a 25 ou 30 ans, cela n’existait même pas. Il n’y avait pas de ressources pour les femmes victimes de violence, qui ne savaient pas où aller et qui devaient continuer d’endurer la violence parce que c’était la seule solution.

Cela dit, ce matin, tous les témoins ont tenu des propos qui se rejoignent largement, sauf sur un point. Vous avez mentionné que vous étiez réticente à un changement terminologique visant à remplacer les mots « garde » et « accès » par l’expression « partage du temps parental ». Pouvez-vous m’expliquer davantage l’objet de votre réticence ou de votre préoccupation?

Mme Monastesse : Le partage du temps parental fait référence à l’accès maximum des parents à leur enfant, et de l’enfant à ses parents. On sait que c’est un terrain très glissant dans les cas de violence conjugale ou de violence familiale. Le fait de changer les termes sera difficile à l’échelle internationale, parce que, dans d’autres conventions internationales, comme celle de La Haye, il est question justement d’accès et de garde. Ainsi, nous irions à l’encontre, en quelque sorte, des conventions internationales que le Canada a signées. Le problème fondamental est de définir ce qu’on entend par « temps parental de qualité avec l’enfant », en sachant que, dans un contexte de violence conjugale et familiale, c’est un enjeu majeur. Est-ce qu’on parle des droits de l’enfant ou des droits à l’enfant? C’est un terrain très glissant dans les jugements que nous avons étudiés, où l’on détermine que l’intérêt de l’enfant est d’avoir un maximum de contact avec ses parents, ce qui est tout à fait inapproprié dans un contexte de violence conjugale et familiale.

[Traduction]

Le président : Monsieur Boyd, pourriez-vous commenter la question du sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Pourriez-vous donner un bref commentaire au sujet des aspects internationaux et du fait que nous allons employer une terminologie qui laisse à désirer du point de vue des instruments internationaux?

M. Boyd : Puis-je répondre, monsieur le président?

Le président : Oui. La question du sénateur Dalphond porte essentiellement sur l’écart entre les mots ou les termes utilisés dans le projet de loi, et ceux que nous trouvons dans la convention internationale.

M. Boyd : Je suppose que la principale convention à laquelle le sénateur fait référence est la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Cette convention utilise des termes très précis. Il est question de « droit de garde ».

Cette question a été soulevée en Colombie-Britannique lorsque la province a délaissé les termes « garde » et « accès » pour adopter un libellé très semblable au sujet du temps parental et des responsabilités parentales ou des responsabilités décisionnelles, comme on voit dans le projet de loi.

Ce n’est pas qu’il faille reproduire textuellement le libellé des lois internationales. Il est question de l’interprétation du terme « droit de garde ». En Colombie-Britannique, un certain nombre d’idées ont été émises quant aux cas où il y avait un risque d’enlèvement, notamment des ordonnances et des ententes qui disaient que le droit au temps parental exprimé dans l’ordonnance ou l’entente est un droit de garde conformément à la Convention de La Haye. Honnêtement, contrairement à beaucoup de gens, je ne vois pas cela comme une entrave majeure à l’application aux cas de déménagement important et d’enlèvement.

Même si c’était une entrave, je pense que la diminution des conflits entre les parents découlant de l’adoption d’un libellé axé sur l’enfant qui parle du droit de l’enfant au temps parental et des responsabilités décisionnelles plutôt que du droit de garde et d’accès général d’un parent est un plus grand avantage que toute perte dont nous pourrions souffrir à l’échelle internationale.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai deux questions. La première concerne la modification à l’article 282 du Code criminel, soit l’article modificatif 123 du projet de loi, selon lequel une infraction criminelle est commise si :

Quiconque, étant le père, la mère, le tuteur ou une personne ayant la garde ou la charge légale d’un enfant [...], enlève, entraîne, retient, reçoit, cache ou héberge cet enfant en contravention avec une ordonnance de garde [...]

Avez-vous examiné l’effet pervers potentiel de cet article dans le cas d’une mère qui voudrait protéger son enfant et qui, pour des raisons de temps ou de moyens, ne peut se rendre au tribunal pour présenter une requête de changement de condition ou de protection, et où un père violent ferait appel à la police pour faire de l’arbitrage dans cette situation et empêcher la mère de protéger l’enfant victime?

Mme Monastesse : C’est un bon exemple parce que, effectivement, cela se produit. On fait face aussi à un autre problème de compétence provinciale, plutôt dans l’autre sens, par exemple lorsque des pères enlèvent leurs enfants. J’ai travaillé plusieurs années dans le domaine de l’application de la Convention sur l’enlèvement international d’enfants. En grande majorité, il s’agissait de pères violents qui enlevaient leurs enfants pour aller dans un autre pays ou, ici au Canada, ils allaient dans une autre province. La mère aura obtenu la garde légale dans une province et le père déménagera dans une autre province pour y demander la garde légale. Nous avons aussi ce problème d’harmonisation à l’échelon provincial, car il s’agit de compétences provinciales. Alors, c’est également un défi dans le cas des mères qui enlèvent leurs enfants justement pour fuir un conjoint violent et qui, comme vous le dites, n’ont souvent pas eu le temps de demander la garde légale dans leur province. Lorsqu’elles partent, elles sont accusées d’enlèvement parental.

Il y a un enjeu d’harmonisation entre la Loi sur le divorce, qui est fédérale, et les lois provinciales, comme ici, au Québec, avec le Code civil et le droit de la famille.

[Traduction]

Le président : Monsieur Boyd, pourriez-vous nous parler de la question soulevée par le sénateur Carignan sur les incidences de l’article 282 du Code criminel?

Le sénateur est préoccupé par l’article 123 du projet de loi qui modifie l’article 282 du Code criminel intitulé « Enlèvement en contravention avec une ordonnance parentale ou de garde ».

M. Boyd : Pour donner un peu de contexte, l’article 282 fait partie d’un petit nombre de dispositions du Code criminel qui concernent l’enlèvement d’un enfant par un parent. D’une certaine manière, il s’agit de l’équivalent national de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

Les modifications proposées à l’article 123 du projet de loi ne font rien de plus que remplacer le terme « droit de garde » par « ordonnance parentale ». Les changements n’ont aucune incidence sur le caractère substantiel actuel du Code criminel. Ils modifient à peine le Code criminel afin qu’il reflète le libellé utilisé dans la version modifiée de la Loi sur le divorce.

L’intitulé complet de l’article 282 est « Enlèvement en contravention avec une ordonnance de garde » ou, après la modification, « Enlèvement en contravention avec une ordonnance parentale ou de garde ». Dans des cas comme ceux-là, une ordonnance parentale a été émise par un tribunal. Cet article criminalise l’enlèvement d’un enfant par un parent en dépit d’une ordonnance de la cour, ou, en d’autres mots, en contravention avec cette ordonnance de la cour en particulier.

L’article n’accorde pas aux policiers le droit de servir de médiateur ou d’arbitre dans des litiges de cette nature. L’article leur donne le droit de porter des accusations, et la personne visée finira par être poursuivie par la Couronne si celle-ci est convaincue que les critères de l’acte coupable et de l’intention coupable de l’infraction ont été satisfaits. L’article vise à empêcher les parents qui ne sont pas satisfaits d’une ordonnance parentale qu’ils ont reçue de déménager avec l’enfant et de l’amener ailleurs au pays.

L’objectif est de régler un problème grave qui survient lorsqu’une personne insatisfaite de la décision du tribunal prend les choses en main et amène son enfant ailleurs sans avoir eu la permission du tribunal.

Toutefois, je peux voir en quoi cela rejoint la question des problèmes de violence familiale, car nous vivons dans un pays régi par la primauté du droit, et le recours adéquat consiste à s’adresser aux tribunaux pour modifier l’ordonnance parentale si des actes de violence familiale sont perpétrés après que l’ordonnance a été rendue et qu’ils ont des effets négatifs sur la sécurité de l’enfant ou du parent.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Est-ce qu’on ne devrait pas saisir l’occasion de ces amendements qui touchent le divorce pour réduire le temps de séparation avant l’obtention du divorce, de sorte qu’il passe d’un an à six mois, par exemple, dans le but d’éviter des situations où l’on est obligé d’alléguer de la cruauté mentale ou des éléments de harcèlement qui jettent de l’huile sur le feu dans un couple où les choses vont déjà mal? En réduisant le temps d’attente d’un an à six mois, les gens pourraient alors obtenir un divorce plus rapidement et éviter ainsi de s’accuser de choses et d’autres, ce qui risque d’envenimer les disputes.

Mme Trou : Dans nos maisons, on remarque plusieurs cas où les procédures durent depuis de nombreuses années. Dans certains cas, l’avocat finit par conseiller aux femmes de laisser tomber les plaintes qu’elles ont déposées au criminel, parce que cela ne ferait que rallonger encore les délais. Les femmes sont à bout de souffle, elles n’en peuvent plus, elles perdent la garde de leurs enfants, elles les voient de moins en moins et elles ne savent plus quoi faire. Si on pouvait accélérer les choses, dans certains cas, ce serait réellement une avancée pour les femmes.

Mme Monastesse : Oui, pour leur sécurité. Contrairement à ce que vous dites, pour des questions de sécurité, nous sommes d’accord pour abroger le temps d’attente. Il ne faut pas oublier que les enjeux liés aux litiges de garde d’enfants ou de divorce ne sont pas la cause de la violence. La violence était déjà installée bien avant qu’on se retrouve devant les tribunaux, et je crois qu’il faut tenir compte de cela.

On le voit très bien, notamment dans les cas d’homicide. Des hommes tuent leur conjointe et leurs enfants parce qu’ils ont perdu le contrôle total qu’ils exerçaient sur eux. Pour les hommes qui ont un comportement violent, l’ultime recours, c’est de passer par tout le processus de la détermination de la garde des enfants.

Comme le disait Mme Trou, les procédures durent des années, parfois même jusqu’à la majorité des enfants. C’est un enfer absolu pour ces femmes et leurs enfants qui vivent de la violence conjugale. Certains enfants refusent d’aller chez leur père parce qu’ils en ont peur. Ils craignent réellement le conjoint qui est un agresseur.

Par ailleurs, en ce qui a trait à la parole des enfants, les études révèlent qu’on doit en tenir compte au lieu d’invoquer l’aliénation parentale de la part de la mère. Elles révèlent également que les litiges entendus devant la Cour supérieure sont des litiges où il existe de la violence conjugale et de la violence familiale. J’aimerais réitérer le fait que cette violence ne constitue pas la cause des problèmes; elle existait bien avant les litiges.

Le président : Merci, madame Monastesse.

[Traduction]

Monsieur Boyd, voulez-vous commenter la suggestion du sénateur Carignan selon laquelle la période pour obtenir un divorce serait écourtée à six mois?

M. Boyd : Avec le plus grand des respects, le temps nécessaire pour obtenir une ordonnance de divorce n’a réellement rien à voir avec tout cela. Le divorce est souvent la dernière priorité des gens, car ils sont beaucoup plus préoccupés par l’obtention d’ordonnances concernant les pensions alimentaires pour enfants, les pensions alimentaires pour époux, les soins des enfants et la division des biens.

En réalité, les époux qui sont séparés ont droit de présenter des demandes pour toutes ces ordonnances immédiatement après la séparation. Ils peuvent le faire en vertu de la loi fédérale et ils peuvent présenter des demandes pour ces ordonnances au titre des lois provinciales et territoriales.

Dans le cadre de ma pratique, habituellement, les gens sont beaucoup plus préoccupés par le règlement des détails du temps parental et des pensions alimentaires pour enfants et pour époux que par le simple fait d’obtenir une ordonnance de divorce. Le temps d’attente pour obtenir un divorce n’a rien à voir avec la capacité d’une personne à accéder à la cour et à obtenir des ordonnances pour sa protection personnelle, pour la protection de ses enfants ou pour la responsabilité parentale à l’égard des enfants. Cela n’a rien à voir avec le sujet que nous abordons.

Le divorce est une coupure du lien juridique de la relation entre deux époux, mais l’attente jusqu’au divorce n’a rien à voir avec le fait que des causes traînent pendant des années et des années. Il est plutôt question de l’efficience du système judiciaire et de l’échec à encourager les options extrajudiciaires de règlement des différends que nous avons en Alberta.

Le fait d’écourter le processus de divorce serait certainement pratique pour des gens qui veulent divorcer un peu plus rapidement, mais s’ils ont des enfants, le fait d’obtenir rapidement un divorce ne change rien au temps nécessaire pour obtenir une ordonnance finale en ce qui a trait aux responsabilités parentales à l’égard de leurs enfants.

Le président : Merci, monsieur Boyd.

La sénatrice Batters : Je souscris pleinement à ce que vous venez tout juste de dire, monsieur Boyd. J’ai pratiqué le droit de la famille en Saskatchewan pendant un certain nombre d’années, et je peux vous dire que c’est toujours ce qui arrive.

Habituellement, les parties arrivent à s’entendre pour nombre de ces questions et n’ont pas à se présenter devant les tribunaux pour régler des questions de garde, de division des biens et d’autres choses semblables. En toute franchise, c’est souvent une bonne chose que les parties aient un peu de temps avant d’obtenir l’ordonnance finale, car il m’est déjà arrivé de gérer la séparation et le divorce de deux personnes qui se sont finalement remariées des années plus tard.

C’est parfois une bonne chose que les deux personnes aient du temps pour s’assurer que ces décisions très importantes sont définitives.

[Français]

Le président : Madame Monastesse et madame Trou, puis-je vous demander qui sont les experts en sciences juridiques à qui vous avez confié le mandat de réviser les 250 décisions? S’il ne s’agit pas d’une information confidentielle, nous aimerions savoir à quel moment cette étude sera rendue disponible. Je suis certain que les membres du comité aimeraient en prendre connaissance.

Mme Monastesse : Il s’agit de Mme Dominique Bernier, professeure à l’Université du Québec à Montréal, ainsi que les professeures Rachel Chagnon et Lucie Lamarche. Le rapport sera disponible à la fin juin.

Le président : Merci beaucoup de cette information. Encore une fois, au nom de mes collègues, je vous remercie du travail exceptionnel que vous faites pour faire en sorte que la société dans laquelle nous vivons conserve un élément d’humanité dans des situations conflictuelles très difficiles et, malheureusement, trop souvent récurrentes. Merci beaucoup de vous être rendues disponibles ce matin.

[Traduction]

Monsieur Boyd, merci de nous avoir fait part de votre riche expérience et de votre importante connaissance du droit canadien, à l’échelon non seulement fédéral, mais également provincial. Je suis certain que les sénateurs et les sénatrices vous garderont sur leur liste d’experts favoris qu’ils voudront entendre lorsque la Chambre les chargera d’examiner des mesures législatives en matière de droit de la famille.

[Français]

Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales et la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.

[Traduction]

Souhaitons la bienvenue à Suki Beavers, directrice de projet à l’Association nationale de la femme et du droit; à Brian Ludmer, avocat consultant de la Canadian Association for Equality; et à Glenn Cheriton, président du Canadian Equal Parenting Council. Bonjour.

Je vais commencer par Mme Beavers.

Suki Beavers, directrice de projet, Association nationale de la femme et du droit : Merci de me donner l’occasion de parler de ce projet de loi au nom de l’Association nationale de la femme et du droit. Je suis également ravie de parler aujourd’hui au nom de l’organisme Luke’s Place, notre organisation sœur avec qui nous avons travaillé en partenariat sur le projet de loi C-78.

Comme vous le savez tous, je crois, l’ANFD est un organisme féministe sans but lucratif constitué en personne morale qui fait la promotion des droits à l’égalité des femmes au Canada grâce à des activités d’éducation juridique et de recherche ainsi qu’à des efforts de revendication pour la réforme du droit. L’ANFD exerce ses activités depuis 1974. Depuis le début des années 1980, nous travaillons à faire la promotion des modifications fortement nécessaires qu’il faut apporter aux lois sur la famille, y compris la Loi sur le divorce.

L’ANFD et Luke’s Place ont élaboré un document de discussion et un mémoire conjoints sur le projet de loi C-78, lesquels reflètent une analyse féministe intersectionnelle du projet de loi. Il a été soumis au comité de la Chambre, et je pense qu’il est également à votre disposition.

Notre mémoire conjoint a été appuyé par 31 organisations de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick de même que par plus d’une dizaine de groupes nationaux féministes qui prônent l’égalité. Ce document est le fruit des consultations que nous avons tenues avec des universitaires, des avocats, des fournisseurs de services et des militants féministes.

Je soulève cette question maintenant simplement pour insister sur le fait que de nombreux aspects du projet de loi C-78 bénéficient d’un important appui. Nous exhortons le comité, la Chambre et le ministre de la Justice à coopérer pour faire en sorte que le projet de loi soit adopté avant la fin de la session parlementaire.

Nous adoptons cette position, puisque le projet de loi C-78 introduit nombre de modifications importantes et attendues depuis longtemps à apporter à la Loi sur le divorce, notamment le fait de placer le bien-être et l’intérêt de l’enfant au cœur du processus et l’établissement de critères clairs concernant l’intérêt de l’enfant. L’identification claire de la violence familiale est un enjeu qui doit être pris en considération dans le cadre des procédures de divorce. Il est extrêmement important d’inclure les notions de contrôle coercitif, de mauvais traitements psychologiques, d’exploitation financière et de mauvais traitements infligés aux animaux dans la description de la violence familiale. Il faut reconnaître que la violence familiale existe, que l’acte constitue ou non une infraction criminelle. Cela est essentiel si on veut que les femmes, les principales victimes de mauvais traitements au sein de la famille, bénéficient des résultats escomptés dans le cadre des procédures de divorce.

J’insiste pour dire que l’ANFD appuie pleinement l’inclusion de toute présomption de responsabilité parentale partagée dans le projet de loi. La détermination de l’intérêt de l’enfant doit se faire au cas par cas. Je reviendrai sur ce point pour formuler quelques recommandations d’amendements qui permettraient de clarifier cet enjeu essentiel.

Dans l’espoir que toutes les parties concernées collaborent pour apporter quelques modifications essentielles à ce projet de loi, l’ANFD et Luke’s Place proposent les quatre principaux amendements suivants à apporter au projet de loi C-78, lesquels sont relativement simples. Ils reflètent les préoccupations soulevées dans divers mémoires qui ont été soumis au comité et au comité de la Chambre de même que dans les témoignages présentés aujourd’hui et hier. Ces préoccupations sont toutes axées sur les problèmes de violence familiale dans le contexte du divorce.

Notre première recommandation a été appuyée par des témoins hier et ce matin également, je crois. Nous proposons de supprimer entièrement du projet de loi l’article 16.6 intitulé « Maximun de temps parental ». Selon la disposition, on pourrait présumer qu’il est dans l’intérêt de l’enfant qu’il passe un maximum de temps avec les deux parents, alors que, comme nous le savons, ce n’est pas toujours le cas, particulièrement dans le contexte de la violence familiale. Cette clause pourrait miner gravement l’objectif du projet de loi qui est de faire de l’intérêt de l’enfant la principale présomption et la seule qui devrait être prise en considération dans le cadre des procédures de divorce.

Comme deuxième recommandation, nous proposons que l’alinéa 16(3)c) soit aussi retiré du projet de loi. Dans les cas où il y a eu de la violence familiale, il est totalement inacceptable et bien souvent dangereux ou même mortel d’insister pour qu’une mère favorise le développement et le maintien des relations entre l’enfant et l’autre parent s’il a un comportement violent.

En troisième lieu, le sous-alinéa 16(3)j)(i) devrait être supprimé ou révisé, puisque la question cruciale qui doit être tranchée ne devrait pas concerner la volonté d’un parent violent à prendre soin d’un enfant. Il faudrait plutôt insister sur les répercussions des actes de violence familiale commis par ce parent sur la capacité d’assumer le rôle parental, en tenant compte non pas de sa volonté d’assumer un tel rôle, mais de l’intérêt de l’enfant.

Comme quatrième et dernière recommandation, nous pensons que le projet de loi devrait refléter explicitement la réalité que le ministre, à notre grand plaisir, a reconnue pendant sa déclaration hier : la nature sexospécifique de la violence familiale. Les données à cet égard sont claires et sans équivoque. Comme pour toutes les autres formes de violence fondées sur le sexe, la majorité des victimes et des survivants d’actes de violence durant et après le mariage — et j’insiste sur cet aspect — sont des femmes, et les hommes demeurent en grande majorité les auteurs de ces actes de violence.

Par conséquent, conformément à notre troisième recommandation dans notre mémoire conjoint, nous recommandons de modifier la définition de la violence familiale pour en souligner la nature sexospécifique :

La violence familiale perpétrée contre les femmes est une forme de violence envers les femmes.

Nous avons également fourni une définition de la violence faite contre les femmes. Elle se trouve sous la deuxième recommandation de notre mémoire conjoint.

Toutefois, compte tenu du peu de temps qu’il reste pour adopter des amendements, je peux également proposer une deuxième définition de la violence contre les femmes largement acceptée et établie depuis longtemps qui pourrait être adoptée à ce stade-ci, puis révisée plus tard lors du prochain examen de la Loi sur le divorce. Nous espérons que le délai et le temps imparti ne seront pas aussi contraignants que dans la situation actuelle.

Pour conclure, je rappelle que, même si les préoccupations liées à ces éléments du projet de loi C-78 demeurent, je suis ici aujourd’hui pour vous exhorter le plus ardemment possible à adopter le projet de loi. Le projet de loi C-78 offre la possibilité de moderniser la Loi sur le divorce afin qu’elle reflète mieux les réalités des familles en 2019. Plus particulièrement, elle permettra d’aider de manière plus appropriée et efficace les familles où la violence est une réalité, en faisant en sorte que les femmes — les principales victimes de violence — et leurs enfants puissent vivre une vie exempte de violence ou de menaces de violence.

La Loi sur le divorce, que le projet de loi C-78 propose de modifier, peut protéger l’intérêt des enfants, favoriser la compréhension de la violence familiale, réduire la pauvreté chez les enfants et accroître l’accès à la justice pour les familles canadiennes.

Le président : J’invite Brian Ludmer à présenter son exposé. Monsieur Ludmer, si vous pouviez être aussi bref que Suki Beavers, nous vous en serions grandement reconnaissants.

Brian Ludmer, avocat consultant, Canadian Association for Equality : J’aimerais remercier Mme Hogan, qui a travaillé fort pour rédiger un mémoire au nom de l’organisation que je représente.

Je vais donner au comité un point de vue complètement différent de ceux que nous avons entendus aujourd’hui. Ma pratique couvre tout l’Ontario, et j’agis comme consultant dans le monde entier. J’ai publié un livre sur les divorces marqués par de nombreux conflits. Ce processus m’a amené à être le cofondateur d’un groupe d’avocats pour le partage égal des responsabilités parentales.

J’ai rédigé le libellé du projet de loi C-560 au cours de la dernière législature, qui était une tentative de proposer la présomption réfutable du partage égal du rôle parental. Il est important de comprendre ce concept. Il n’est pas question du partage égal du rôle parental pour tous. C’est une présomption réfutable. Il incombe toujours au tribunal d’établir, selon des éléments de preuve substantiels, que les besoins de l’enfant seraient beaucoup mieux comblés par un plan prévoyant un tel partage des responsabilités. C’est cette idée fausse, lorsque les gens laissent tomber l’expression « présomption réfutable », qui mène à ce genre de conclusion.

Lorsque j’ai témoigné devant le comité de la Chambre des communes, j’ai eu l’occasion de rencontrer certains des membres du comité. Nous avons réussi à convaincre les membres conservateurs du comité de la Chambre de proposer cet amendement, ce qu’ils ont fait, mais l’amendement a été rejeté. Nous tentons maintenant de présenter cette analyse à un public plus vaste.

Dans l’exposé que j’ai préparé, ce débat peut se résumer essentiellement en une bataille entre les mythes et les faits. Le grand mythe, c’est que le régime actuel fonctionne et qu’il fait ce que l’on dit qu’il fait, c’est-à-dire l’intérêt supérieur de l’enfant. Le régime actuel a complètement échoué à le faire. Il y a eu des examens judiciaires du régime. Un éminent avocat en droit de la famille, ancien trésorier du Barreau de l’Ontario, a publié un article d’une page dans le National Post, où il démontre clairement que le régime actuel ne fonctionne pas et qu’il ne répond pas aux besoins des enfants qu’il est censé protéger. Pourquoi? Parce qu’il est fondé sur des hypothèses erronées sur la façon dont il fonctionne réellement.

Quand vous êtes sur le terrain et que vous voyez comment cela fonctionne, les lacunes et les piliers manquants de la fondation deviennent visibles. Nous avons énormément de données scientifiques montrant que les résultats du divorce sur l’enfant sont nettement meilleurs quand il a deux parents principaux, plutôt qu’un seul parent principal et un autre à qui il rend visite de temps en temps.

Ce qui était entièrement absent du débat hier, c’est l’opinion du public canadien à cet égard. Les sondages d’opinion publique réalisés au Canada depuis des décennies ont montré que plus de 80 p. 100 des répondants sont en faveur du partage égal des responsabilités parentales. C’est pareil dans tous les groupes de population, peu importe l’âge, la région, l’appartenance politique, mais oui, le sexe.

Les Canadiennes veulent en forte majorité un partage égal des responsabilités parentales. Mes clientes veulent un partage égal des responsabilités parentales. Quand on sait comment le régime fonctionne en pratique, on comprend que le coût, le traumatisme, les retards, l’incertitude et les résultats n’ont très souvent pas de sens. Ils ne sont jamais examinés de manière empirique. Nous n’allons pas retrouver trois, cinq ou sept ans plus tard des familles qui ont bénéficié du régime pour voir comment elles s’en sont sorties, et si la décision a été prise dans leur intérêt.

Il y a beaucoup d’autres hypothèses erronées sur lesquelles repose ce régime purement idéaliste. La première hypothèse est qu’un juge comprendra toujours la situation. Cela suppose que vous avez deux parties, deux avocats et un temps illimité pour mener un procès. Plus de la moitié des parties aux procédures en droit de la famille se représentent elles-mêmes. Elles ne peuvent pas présenter leurs arguments, l’affaire et les points de droit nécessaires pour défendre leur point de vue sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Quand une partie qui se représente elle-même affronte un avocat, le résultat ne soutiendra pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Quand les deux parties ne sont pas représentées, le procès est très compliqué, voire souvent chaotique, et ne donne généralement pas un bon résultat.

De plus, la grande majorité des affaires ne se rendent pas au procès. Les gens n’ont pas assez d’argent. Les gens ne peuvent pas attendre. Ils concluent des ententes ou une des deux parties renonce au plan parental qu’elle croit fermement être conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, car l’autre partie a plus de moyens ou est mieux préparée à se battre, ou les parties n’ont tout simplement pas cette mentalité. Mon document porte sur de nombreuses autres hypothèses sur lesquelles repose le régime d’aujourd’hui qui ne reflètent pas la réalité et, par conséquent, qui donnent les résultats que nous avons.

J’ai parlé des données scientifiques. Elles nous indiquent presque toutes que plus l’on est proche des deux parents principaux, meilleur sera le résultat. Quand on interroge les enfants pendant et après un divorce, ils disent : « La chose que je veux le plus au monde, c’est que ma famille soit réunie à nouveau. » S’ils ne peuvent pas avoir cela, ils veulent leurs deux parents. Nous n’écoutons pas les enfants.

D’où vient ce conseil? Généralement, la plus grande partie du temps, ceux qui tirent un revenu du système ou qui conseillent simplement les responsables du système. Si vous examinez les sondages d’opinion publique pour voir les gens qui sont passés par le système et savoir comment il fonctionne réellement, c’est flagrant. Ce système ne fonctionne pas et il nuit aux enfants.

Nous avons entendu parler de certains mythes, hier. Nous venons d’apprendre que le principe du contact maximal devrait être supprimé. La question a été soulevée dès l’entrée en vigueur des lois modernes sur le divorce. Cela figurait dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Young c. Young, en 1979. Cela fait 40 ans que nous interprétons le principe du contact maximal.

Il est tout simplement faux de dire que c’est une disposition insignifiante, qu’elle n’exprime pas les valeurs fondamentales des Canadiens ou qu’elle ne reflète pas les connaissances scientifiques d’aujourd’hui. Laisser entendre que nous devrions nous limiter à un facteur ou à une liste de facteurs et laisser les gens trouver seuls la solution, c’est condamner les enfants à des coûts permanents et à une incertitude constante. Cela condamne également les contribuables canadiens à assumer les coûts énormes de ce régime.

La présomption selon laquelle le partage égal des responsabilités parentales est une version améliorée du contact maximal est réfutable. Le comité de la Chambre m’a demandé quelle était la différence et pourquoi nous en avions besoin. La réponse, c’est qu’il faut assurer l’égalité de la justice dans tout le Canada. Il y a 10 000 affaires où l’on interprète le principe du contact maximal. Les réponses varient selon le juge qui préside et ses antécédents. S’agit-il d’un contexte rural où il n’y a pas beaucoup de juges ou d’un contexte de grande ville où il y a beaucoup de juges qui peuvent interagir les uns avec les autres? Cela varie également selon la province.

Cette incohérence est injuste pour les enfants. Il ne devrait pas y avoir de différence, si leurs parents se séparent, qu’ils vivent dans une région rurale de l’Ontario ou à Montréal, d’où je viens. On devrait avoir les mêmes résultats, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Même si le principe du contact maximal sert de toile de fond à la disposition, il ne va pas assez loin et il est interprété de différentes façons.

Si nous voulons mettre fin au désastre du régime familial actuel, nous devons apporter un changement fondamental. Le projet de loi C-78 est louable à bien des égards, notamment au chapitre des amendements de nature technique et l’objectif de modernisation. Comme tout le monde l’a dit, cette loi n’a pas été modifiée depuis 30 ans, mais est-ce que cela fera réellement une différence pour le public canadien, à savoir les 80 p. 100 de gens qui savent que nous avons besoin de la présomption réfutable du partage égal des responsabilités parentales?

Le projet de loi C-78 ne fera aucune différence dans l’application réelle du régime d’aujourd’hui visant à aider les familles à se restructurer. La voix qui n’a pas été entendue hier et qui n’est toujours pas entendue aujourd’hui, c’est celle du public canadien. Nous vous demandons de l’écouter.

Le président : Monsieur Cheriton, au nom du Canadian Equal Parenting Council, vous avez la parole.

Glenn Cheriton, président, Canadian Equal Parenting Council : Je suis président bénévole d’une organisation nationale sans but lucratif de défense des droits des parents, le Canadian Equal Parenting Council. Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter quelques propositions de réforme du droit de la famille qui réaliseraient les objectifs du projet de loi C-78 et régleraient la plupart des problèmes des tribunaux de la famille canadiens et de la pratique.

Les parents sont généralement d’accord pour dire qu’il y a de grands problèmes dans le traitement des séparations et des divorces au Canada. Ils approuvent les objectifs d’efficience, d’efficacité et d’accessibilité du projet de loi et approuvent le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Toutefois, les parents savent par expérience que les tribunaux de la famille et les avocats n’agissent pas dans l’intérêt des enfants, mais plutôt dans leurs propres intérêts. On n’écoute pas les parents.

Les juges ne rencontrent pas les enfants, et les avocats et les procureurs ne s’intéressent plus au dossier quand les parents n’ont plus d’argent.

Même si les parents appuient la modification du libellé, pour que l’enjeu soit les responsabilités parentales plutôt que le régime accusatoire et légaliste actuel touchant la garde et le droit de visite, aucune des dispositions du projet de loi C-78 ne prévoit de réduire nettement les contacts, de maximiser les responsabilités parentales, de diminuer les coûts pour les parents ou d’améliorer les résultats pour les enfants.

Examinons certaines dispositions spécifiques du projet de loi C-78. Les parents sont préoccupés par la dilution apparente de la règle du parent bien disposé. Cette règle maximise le temps parental. Depuis que le Parlement l’a introduite, en 1985, la profession juridique a sans cesse tenté de l’édulcorer. À la place, les parents recommandent de modifier le projet de loi C-78 pour élargir la règle, de façon que la loi reconnaisse que le temps parental maximal doit être égal pour les deux parents, à moins qu’il soit démontré qu’un autre plan est clairement plus favorable à l’enfant.

Une présomption réfutable et, si vous voulez, l’obligation pour les tribunaux de maximiser les responsabilités parentales ou l’établissement d’un point de départ pour les plans parentaux, c’est la même chose.

Le projet de loi C-78, qui propose de modifier les règles relatives aux déménagements, préoccupe réellement les parents, puisqu’il favorisera les conflits et les procédures d’opposition pendant les audiences sur la garde des enfants. Le projet de loi C-78 semble fondé sur une théorie idéologique et scientifique erronée selon laquelle il est dans l’intérêt de l’enfant d’être privé de l’un de ses parents. Les parents veulent que l’on crée une règle selon laquelle il faut prouver que le déménagement est dans l’intérêt de l’enfant tant pour la garde exclusive que pour la garde partagée, comme la Cour suprême l’a statué.

Les parents espèrent que vous seriez d’accord pour dire que le Sénat a une responsabilité particulière en matière de divorce. Dans le passé, le Sénat a adopté des projets de loi d’intérêt privé en matière de divorce avant que des dispositions nationales soient prises avec la Loi sur le divorce. En 1997, le Sénat a également tenu tête au gouvernement, avec un important soutien des parents et a forcé la création du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, qui a fait 48 recommandations. Aucune de ces recommandations n’a été mise en œuvre, puisqu’elles ont été bloquées par des groupes d’intérêts.

Les parents sont reconnaissants envers le premier ministre Justin Trudeau et le remercient de la promesse qu’il a faite au Parlement, le 28 mars 2018, de « favoriser le partage égal du rôle parental ». Je vous prie d’assurer ce partage. Mettez-le dans le projet de loi C-78. Les parents sont reconnaissants et remercient l’ancien juge de la Cour suprême, M. Thomas Cromwell, pour son étude critique sur le droit de la famille et pour avoir recommandé la concertation consensuelle, un mécanisme que les parents considèrent comme un partage égal efficace des responsabilités parentales.

Voici nos recommandations. D’abord, il faut amender le projet de loi C-78 pour intégrer le partage égal des responsabilités parentales comme étant un point de départ, une obligation ou une présomption, peu importe comment vous voulez le faire. Ensuite, les parents veulent avoir un processus collaboratif pour la mise en œuvre des réformes. Le gouvernement n’a pas consulté les parents quand il a élaboré le projet de loi C-78 et les autres réformes de la Loi sur le divorce. Par contre, Services aux Autochtones Canada a collaboré avec des parents, des organismes et des collectivités autochtones pour créer un programme où il incomberait au gouvernement d’assurer un financement pour que les enfants autochtones restent en contact avec leur culture, leurs parents et leur collectivité. Nous voulons la même chose dans la Loi sur le divorce.

Les parents soulignent que le rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées indiquait notamment que le gouvernement a participé au génocide en créant et en protégeant les pensionnats, mais le système des tribunaux de la famille a séparé davantage de parents de leurs enfants. Je dirais que les résultats, comme l’ont montré les sciences sociales, sont tout aussi désastreux. Le système canadien des tribunaux de la famille représente de bien gros intérêts et plus de profits pour la profession juridique. Je ne suis pas venu dire que les tribunaux de la famille sont génocidaires, mais je tiens à dire qu’ils sont sexistes et racistes. Les parents estiment que c’est un système féodal qui n’agit pas dans l’intérêt de l’enfant. Les parents exhortent le Sénat de régler ce problème pour les parents et pour les enfants.

Le président : Merci, monsieur Cheriton. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

J’inviterais maintenant le sénateur Boisvenu à ouvrir les échanges avec nos invités ce matin.

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos invités. À la base, je crois que le principe du partage du temps égal pour les parents est tout à fait louable. Toutefois, là n’est pas le problème. Madame Beavers, le problème est lié aux divorces, que je qualifierais de « violents », où un grand nombre de parents qui divorcent se servent des tribunaux pour gérer leur incapacité à décider du partage du temps.

Comme tout le monde le sait, un grand nombre de divorces se font dans un contexte de violence conjugale. L’enfant devient souvent prisonnier du conflit. Or, les tribunaux ont tendance à éviter de couper les liens parentaux. Bien souvent, ils ont de la difficulté à désigner la partie violente dans le couple pour savoir si elle vient de l’un ou l’autre des deux parents.

Dans la majorité des cas que je traite et dont je discute, les mauvaises décisions de la cour entraîneront la mère dans des procédures judiciaires pendant des années pour faire la preuve aux policiers et aux tribunaux que l’enfant est maltraité, que la maltraitance a commencé avant le divorce et qu’elle était à l’origine du divorce. Il semble que le fardeau de la preuve revienne toujours à la mère. Les tribunaux sont très timides lorsqu’il s’agit de couper les liens pour protéger les enfants. Cela engendre beaucoup de frustration et énormément de conflits qui perdurent.

Vous avez fait la proposition de modifier le paragraphe 16(3). J’aimerais que vous nous en disiez davantage sur ce point. Dans la vie de tous les jours, cette réalité est celle de beaucoup de mères. Elles font appel aux tribunaux et expliquent que le père est dangereux et même, bien souvent, qu’il a des rapports incestueux avec les enfants. Or, les tribunaux sont impuissants. Ils ne veulent pas briser le lien avec le père, et la situation dure pendant des années. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Dans l’étude de ce projet de loi, on aurait peut-être dû entendre un plus grand nombre de parents qui vivent ces difficultés plutôt que des témoignages d’experts. J’aimerais vous entendre à ce sujet, madame Beavers.

[Traduction]

Mme Beavers : Merci beaucoup d’avoir posé cette excellente question.

Je vais commencer par proposer trois solutions au problème que vous avez cerné, qui est en effet un problème de taille. D’abord, la définition complète de violence familiale figurant dans le projet de loi devrait vraiment représenter pour les tribunaux le genre de conseil dont ils ont besoin pour déterminer l’existence d’une violence familiale et les répercussions de cette violence sur les responsabilités parentales. C’était le premier point.

J’aimerais m’arrêter ici encore une fois pour dire que les problèmes que vous avez soulevés sont justement la raison pour laquelle nous demandons de modifier la définition de violence familiale pour y inclure la reconnaissance explicite de sa nature sexospécifique. Pour les femmes, la violence familiale est une forme de violence contre les femmes. Cette définition aidera également les tribunaux à mieux comprendre cette réalité.

Pour répondre à votre question, comme vous le verrez dans notre document de discussion et mémoire, nous recommandons deux autres choses. D’abord, une formation obligatoire sur la violence envers les femmes pour les juges, les avocats, les médiateurs et tous les intervenants en droit familial, quel que soit le processus. C’est extrêmement important, et cela aiderait beaucoup à résoudre les questions que vous avez soulevées concernant les difficultés qu’éprouvent les tribunaux à détecter la violence familiale lorsque les femmes ont de très bonnes raisons de ne pas vouloir révéler qu’elles ont subi ou subissent encore de la violence familiale, ce qui est souvent le cas. J’approuve les commentaires qu’ont faits ce matin mes collègues de Montréal. Nous savons que le moment le plus dangereux pour les femmes, c’est leur départ. Ce projet de loi sur le divorce doit absolument fournir des protections accrues dans ce contexte au lieu de maintenir le statu quo qui ne protège pas les femmes et leurs enfants. Je m’arrête ici pour dire sans équivoque que la sécurité des femmes est dans l’intérêt des enfants.

J’aimerais ajouter une dernière chose qui, même s’il est improbable qu’elle soit incluse dans le projet de loi, pourrait certainement être ajoutée plus tard. Il faut élaborer des outils de dépistage approuvés et accrédités servant à détecter la violence contre les femmes pour tous les intervenants en droit familial. J’ai assisté à la conférence de l’ABC sur le droit de la famille à Vancouver il y a environ un an.

Au cours d’une des séances, on a demandé à tous les avocats en droit de la famille qui étaient dans la salle de lever la main s’ils avaient fait un quelconque dépistage de la violence. Beaucoup d’entre eux n’ont pas levé la main. Ensuite, il leur a été demandé de préciser quel type d’outil de dépistage ils avaient utilisé pour tenter de déterminer s’il y avait ou non de la violence. L’éventail d’outils de dépistage utilisés, avec de bonnes intentions, je dois préciser, était très intéressant. Cela souligne vraiment la nécessité que les modifications de la Loi sur le divorce soient accompagnées de formation et de dépistage obligatoire au moyen d’outils de dépistage approuvés et accrédités en vue de déceler la violence au sein de la famille. J’espère que j’ai répondu à votre question.

M. Ludmer : Ma réponse concernant la violence familiale et les plans parentaux est la même que celle que j’ai donnée au comité de la Chambre des communes. Nous avons 30 ans ou plus d’expérience avec le principe du maximum de communication, qui est appliqué en harmonie avec les questions de violence familiale. La loi actuelle le prévoit, tout comme les lois provinciales. Les faits montrent que l’intérêt de l’enfant prévaudra dans ce paradigme, le cas échéant.

Si le principe du maximum de communication a pu être appliqué harmonieusement au cours des 40 dernières années dans les cas de violence familiale, logiquement, la présomption réfutable du partage égal des responsabilités parentales, qui est seulement une version renforcée, peut exister de concert avec les préoccupations liées à la violence familiale. On peut laisser toutes les dispositions existantes dans le projet de loi C-78 parce que, en effet, la grande majorité des cas ne comporte pas de violence familiale, mais suppose quatre ans de litige, ce qui ruine la famille et le système et porte préjudice aux enfants qui se trouvent entre l’arbre et l’écorce. Nous disons que, pour les familles composées de deux parents normaux qui ont tous deux leurs qualités et leurs défauts, le partage égal des responsabilités parentales peut répondre aux besoins des enfants.

Ces deux concepts cohabitent harmonieusement. Ils ne s’excluent pas mutuellement. Le préjudice et les dommages découlent, si je prends comme exemple Mme Hogan, qui vit une séparation, du fait qu’un juge dit que les enfants devraient passer 37,2 p. 100 de leur temps avec elle. Cela n’est fondé sur aucune donnée scientifique. On présume que Mme Hogan est en sécurité, sinon on ne dirait pas cela. Si elle se trouve dans une situation sécuritaire et qu’elle est un parent normal, elle devrait avoir ses enfants avec elle la moitié du temps. C’est ce que nous disons. Les deux concepts ne s’excluent pas l’un l’autre.

M. Cheriton : Je ne souscris pas à l’idée que les femmes sont les principales victimes de violence et de conflits familiaux. Je crois que ce sont les enfants. Il y a lieu de s’inquiéter de cela, mais pas des approches légalistes. Nous devrions nous intéresser à réduire les conflits, les préjudices et la violence. Il est très clair, en sciences sociales, que la garde exclusive attise les conflits et la violence familiale. Le partage égal des responsabilités parentales apaise les conflits, les préjudices causés aux enfants et la violence familiale, au fil du temps. Si nous cherchons une solution, je dirais que les sciences sociales appuient le partage égal des responsabilités parentales.

Le troisième point est essentiel. Si le gouvernement prend une initiative dans une collectivité qui, nous en conviendrons tous, comporte des taux élevés de violence et de violence familiale, et s’il adopte une approche de collaboration qui revient essentiellement au partage égal des responsabilités parentales dans une communauté autochtone dans le but de réduire les conflits familiaux, la violence familiale et les préjudices causés aux enfants, alors il devrait adapter cette approche. L’approche de partage égal des responsabilités parentales axée sur la collaboration et visant à garder les enfants avec les deux parents devrait être adaptée aux autres groupes raciaux au Canada.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je n’ai pas dit que les femmes sont les seules victimes de violence conjugale, mais ce sont les seules qui se font assassiner.

La sénatrice Dupuis : Je pense déceler dans la présence des trois témoins des différences fondamentales d’opinion sur la situation actuelle. Cela m’amène à faire la remarque suivante : j’ai entendu de la part de l’un d’entre vous, monsieur Ludmer, que ce que la population veut en majorité... Vous vous faites le porte-parole de la population canadienne, de ce qu’elle veut en majorité. Je ne sais pas si on a lu les mêmes documents, mais, ici, au Comité sénatorial des affaires juridiques, ce matin, on a entendu des positions qui sont opposées. Avant aujourd’hui, on n’avait pas entendu dire que le principe du partage égal entre les époux devrait prévaloir et dépasser le principe de l’intérêt de l’enfant.

Dans ce sens-là, ma question s’adresse d’ailleurs autant à Mme Beavers qu’à nos autres témoins. Au paragraphe 16(1), si on accepte que le tribunal tienne compte uniquement de l’intérêt de l’enfant à charge lorsqu’il rend une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact... En le lisant, j’ai l’impression de comprendre qu’on doit tenir compte uniquement de l’intérêt de l’enfant à charge.

Madame Beavers, vous suggérez de retirer l’article 16.6. Par contre, vous dites également que vous êtes capable de vivre avec le projet de loi C-78 tel qu’il est rédigé, parce qu’il serait plus important de l’adopter. Dans l’article 16.6, lorsque le tribunal attribue du temps parental, il applique le principe selon lequel l’enfant devrait passer avec chaque époux le plus de temps compatible avec son intérêt. On ne dit pas qu’il doit passer le plus de temps possible avec chaque époux; on dit bien que le test du paragraphe 16(1), qui est de tenir compte uniquement de l’intérêt de l’enfant, s’applique aussi dans la détermination du temps parental. Pouvez-vous me donner votre perception de cet aspect, madame Beavers et les autres témoins?

[Traduction]

Mme Beavers : Merci beaucoup. Permettez-moi de répéter que j’approuve complètement l’approche du projet de loi. Je crois comprendre que votre question porte sur l’importance de la primauté de l’intérêt de l’enfant comme seule présomption à être prise en considération. Ce que je dirais à propos du paragraphe 16(6), c’est que je crains que cette disposition précise soit une façon détournée d’ajouter une deuxième présomption dans le projet de loi. Les autres témoins aujourd’hui ont parlé de cette présomption. Il devrait y avoir une présomption, réfutable ou non, de partage égal des responsabilités parentales.

Cela n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant. On l’a affirmé à maintes reprises. Je suis désolée de dire que je suis tout à fait contre l’interprétation des données probantes des sciences sociales présentée par les deux autres témoins aujourd’hui. Je pense qu’il y a au contraire énormément d’études qui montrent que, lorsqu’il y a de la violence au sein de la famille, elle touche non seulement la femme, mais également les enfants. Cela comprend la violence directe et indirecte commise contre les enfants. Nous devrions partir d’un point où nous supposons que le maximum de temps parental avec les deux parents est dans l’intérêt de l’enfant. Ce concept est non seulement lacunaire, mais également dangereux dans le contexte de la violence familiale.

Je me pose la question suivante : quel est l’avantage ajouté au paragraphe 16(6)? Je pense qu’il est très faible, mais que de grands risques y sont associés. Toutefois, vu le manque de temps, je proposerais une deuxième option que pourrait envisager le comité. Si le retrait du paragraphe 16(6) semble être trop difficile, alors changez simplement le titre. Retirez les mots « Maximum de » du titre, et le reste du paragraphe portera sur l’intérêt de l’enfant qui prime. C’est une solution simple et logique au problème si le retrait de ce paragraphe est impossible compte tenu du temps qu’il reste au comité pour tirer une conclusion à propos du projet de loi.

M. Ludmer : Pour répondre directement à la question, qui ne portait pas sur la violence familiale, nous supposons qu’il n’y a pas de violence familiale dans une situation donnée. La présomption réfutable permet encore de tenir compte de l’intérêt de l’enfant. On tient quand même compte de tous les autres facteurs.

On peut tous les regrouper. Prenons l’exemple que j’ai donné à propos de la greffière. Nous proposons de simplement indiquer que, parmi tous les facteurs, il pourrait y avoir deux parents égaux. On peut laisser tomber la pratique actuelle qui consiste à essayer de trouver un parent principal. On pourrait dire, après avoir examiné tous les facteurs énumérés à l’article 16, qu’il s’agit de deux parents normaux. Les deux ont leurs qualités et leurs défauts, aiment leurs enfants et sont déterminés à s’occuper d’eux. Dans ce cas-là, en l’absence de preuves convaincantes selon lesquelles un plan parental inégal répondrait considérablement mieux aux besoins des enfants, nous disons qu’il faudrait choisir le partage égal des responsabilités parentales. Laissons tomber ces situations où un parent obtient 37,2 p. 100 du temps parce que ce pourcentage n’est pas fondé sur des données probantes et n’est obtenu qu’après quatre ans de litige.

Une fois qu’on se rend compte qu’il s’agit de deux parents aimants et normaux, on devrait choisir le partage égal des responsabilités parentales parce que, par définition, rien ne permet de conclure qu’un plan parental inégal répondrait considérablement mieux aux besoins des enfants. C’est ce que j’ai proposé pour le projet de loi C-560. La présomption réfutable du partage égal des responsabilités parentales n’exclut pas le contexte général d’une analyse de l’intérêt de l’enfant. C’est le mécanisme de freins et de contrepoids. Il faut examiner tous les facteurs. Lorsqu’on est convaincu d’avoir deux parents normaux qui aiment leurs enfants et qui sont déterminés à s’en occuper, alors c’est le partage égal des responsabilités parentales. Si, après un examen de l’ensemble de la situation, des motifs convaincants indiquent que ce n’est pas le cas, alors l’intérêt de l’enfant prévaut.

M. Cheriton : Il importe de reconnaître que beaucoup de travaux de recherche ont été réalisés en sciences sociales. J’ai présenté un mémoire qui finira par être transmis au comité. Il décrit environ 14 études de sciences sociales qui sont généralement des résumés d’autres travaux importants de recherche qui montrent les avantages du partage égal des responsabilités parentales. En fait, une de ces études établit que les avantages pour les enfants augmentent, de 35 à 50 p. 100. Des données probantes indiquent que c’est préférable pour les enfants.

On doit convenir que, selon la recherche, même dans les cas de conflit, le partage égal des responsabilités parentales est plus efficace et donne de meilleurs résultats pour les enfants. Il apaise les conflits et la violence familiale. Si on regarde dans d’autres administrations qui ont adopté le partage égal des responsabilités parentales sous diverses formes, on constate qu’il a réduit le niveau de violence familiale et de préjudices causés aux enfants. Si cela vous intéresse, vous devriez examiner ces administrations et les recherches en sciences sociales et conclure, comme moi, que c’est quelque chose qui est dans l’intérêt du Canada et dans celui des enfants canadiens.

Le sénateur Dalphond : J’ai deux questions. La première s’adresse à Mme Beavers, mais je crois que vous y avez déjà bien répondu. C’était ma deuxième option concernant le paragraphe 16(6). Nous nous entendons sur ce point. Ce qui pose problème, c’est plus le titre que le contenu de la disposition, malheureusement. Peut-être que cela peut être corrigé.

Quant à M. Cheriton, vous avez anticipé ma question. D’abord, j’ai remarqué qu’un de vos principaux arguments tient à ce qu’il y ait plus d’égalité dans la relation entre les parents lorsqu’ils se séparent. Vous croyez que les concepts de garde et d’accès reviennent aux gardiens principal et secondaire, ce qui crée de l’inégalité entre les parents.

Ne pensez-vous pas que ce projet de loi, en remplaçant ces concepts par des ordonnances parentales pour le partage égal des responsabilités parentales et en allouant du temps parental, vise à envoyer un signal d’une plus grande égalité, en un sens, et s’écarte de l’idée de gardiens principal et secondaire ou d’un gardien moins important?

M. Cheriton : Oui, je suis d’accord avec vous. C’est l’un des éléments très positifs du projet de loi. Le problème des parents, c’est habituellement lorsqu’un parent n’est pas au même niveau que l’autre. C’est souvent lié à la façon dont l’ordonnance du tribunal est rendue. Si elle prévoit qu’un des parents peut déménager et que l’autre ne peut pas le faire sans déployer d’importants efforts, alors ces parents ne sont pas sur un même pied. S’il est indiqué, par exemple, qu’un des parents peut décider d’envoyer les enfants à une autre école, alors l’école présumera que l’autre parent n’a pas accès au dossier scolaire des enfants. Les dossiers médicaux et scolaires sont des considérations pratiques d’inégalité entre les parents.

Le sénateur Dalphond : Je comprends cela.

M. Cheriton : Voilà le problème du point de vue des parents.

Le sénateur Dalphond : Êtes-vous en train de dire que c’est un problème dans l’ensemble du pays? Évidemment, vous n’avez pas vérifié au Québec. Dans cette province, les ordonnances précisent que les deux parents ont le même accès aux dossiers scolaires, aux dossiers médicaux et à toutes ces choses. C’est une disposition standard des ordonnances. Peut-être que l’étude devrait tenir compte de ce qui se fait au Québec.

Vous avez également mentionné d’autres administrations qui ont mis en œuvre le partage égal des responsabilités parentales. Pourriez-vous m’en nommer quelques-unes? Je n’en connais pas beaucoup qui ont suivi cette voie, mais je sais que nombre d’entre elles ont refusé de le faire.

M. Cheriton : C’est une question très intéressante. Certainement en Europe, le Danemark a adopté une forme de partage égal des responsabilités parentales. On dit que l’enfant a deux résidences. Une fois que l’on détermine que l’enfant a deux résidences, on reconnaît automatiquement qu’il a deux parents et qu’ils sont égaux. Le Danemark, la Belgique, l’Islande et bien entendu l’Allemagne, qui est une fédération, reconnaissent les deux résidences. De grandes parties de l’Allemagne ont privilégié la même approche. L’Espagne a mis en œuvre des dispositions législatives sur le partage égal des responsabilités parentales, essentiellement l’approche à deux résidences. En fait, le Conseil de l’Europe a recommandé que ce soit la norme partout en Europe, et je ne connais pas de pays qui ont refusé d’adopter cette approche.

Aux États-Unis, l’Arizona a choisi une formule différente. C’est essentiellement le maximum de temps parental comme partage égal des responsabilités parentales. Le Kentucky a promulgué une loi sur le partage égal des responsabilités parentales.

L’Australie a mené cinq réformes et s’est graduellement orientée vers cette voie. Cette dernière était un des enjeux de la dernière élection. Le parti perdant promettait de changer cela et de revenir à l’ancienne approche axée sur la garde exclusive. Ces changements sont relativement mineurs, mais le parti qui a obtenu un appui substantiel du public, ce qui a été une surprise, était celui qui avait promis de maintenir l’approche de partage relativement égal des responsabilités parentales prévu par le droit australien.

Le sénateur Dalphond : Je comprends cela. J’ai lu les règles de l’Union européenne et je n’ai pas trouvé de présomption de partage égal des responsabilités parentales. Vous avez parlé du Danemark et du fait que l’enfant peut vivre avec deux parents différents la fin de semaine ou pendant la semaine, selon l’entente. Le projet de loi prévoit que les personnes qui prendront les décisions ordinaires seront les parents ou les personnes avec qui l’enfant vit à ce moment-là. Ne pensez-vous pas que cela s’apparente déjà à la situation au Danemark?

Je crois savoir que, aux États-Unis, on a refusé d’aller de l’avant, à l’exception du Kentucky, et que, en Arizona, ce n’est pas l’État qui a légiféré sur la présomption. C’est une présomption qui découle des tribunaux.

En Australie, je sais que la Law Reform Commission a proposé que le pays revienne aux règles antérieures après avoir expérimenté pendant 16 ans d’expérimentation avec la présomption du partage égal des responsabilités parentales. Je ne parle pas de partisanerie et d’opportunisme politiques. Il s’agit d’une commission indépendante qui a examiné la situation et dit que ce n’était pas la bonne voie à suivre. Je me demande si vous préconisez la façon australienne, qui est décrite comme un échec.

M. Cheriton : On a certainement décrit cela comme un échec. Il y a une différence d’interprétation. L’Australie a réalisé cinq réformes. Chaque fois, elle s’est orientée davantage vers un modèle de partage égal des responsabilités parentales et d’égalité entre les parents. La Law Reform Commission de l’Australie a également financé la recherche de Jennifer McIntosh. Cette recherche a avancé que de jeunes enfants ne pouvaient pas dormir chez le parent secondaire.

Ensuite, cette recherche a pratiquement été discréditée. En fait, des problèmes se posent des deux côtés. Le fait est que, dans ce cas-là, les Australiens ont décidé de voter pour le parti qui maintenait le modèle de partage relativement égal des responsabilités parentales. Il me semble que, si on veut respecter les vœux de la population canadienne, tant ceux des parents que ceux des enfants, d’après ce que montrent quatre sondages d’opinion publique, c’est quelque chose qu’il faut adopter, et cela fonctionne dans d’autres administrations.

Le sénateur Dalphond : Vous avez dit que le juge Cromwell, un de mes anciens collègues, préconisait l’entente consensuelle. C’est ce que je recommande également, et c’est ce que les Canadiens disent en réalité. Ils désirent voir plus d’ententes consensuelles.

M. Cheriton : Je suis d’accord avec vous.

Le sénateur Dalphond : Je suppose que 80 p. 100 des Canadiens qui veulent cela sont aussi des parents. Puisque 50 p. 100 des couples se termineront par un divorce dans les 3 à 10 ans du mariage, j’imagine que nous verrons de plus en plus d’ententes consensuelles et que nous n’aurons pas à modifier la loi pour cela.

M. Cheriton : Un des grands avantages de mettre les deux parents sur le même pied dans le processus judiciaire, c’est que cela permet de conclure plus d’ententes consensuelles. Si on fait automatiquement comme l’Ontario — et nous tentons de changer cela —, dès qu’un parent ne vit plus avec son enfant, il perd tous ses droits relatifs à l’enfant à l’exception de ceux en matière d’accès, en théorie. C’est le point que vous avez soulevé auparavant. Cela se produit avant que le tribunal rende une ordonnance ou que le parent soit en mesure de se présenter devant un juge.

À mon avis, cela pose problème. C’est une difficulté pour les parents. Si, sans avoir accès aux tribunaux, les parents peuvent perdre automatiquement leurs enfants, cela ne fait pas leur affaire. Ils veulent qu’on modifie la loi afin qu’ils puissent être sur un même pied et être respectés en tant que parents dans le cadre du processus. À moins qu’ils commettent des erreurs, ils pourront continuer à élever leurs enfants.

Le sénateur Dalphond : Je suis d’accord avec vous. C’est certainement ce que vise le projet de loi. S’ils n’arrivent pas, malgré leur amour pour leurs enfants, à s’entendre sur ce qu’est une entente consensuelle, les gens se présenteront devant les tribunaux, non pas pour contester la garde et l’accès, mais parce qu’ils sont les mieux placés pour protéger l’intérêt de leurs enfants. S’ils ne peuvent pas y arriver, un tiers, soit le juge, devra trancher la question du partage de temps parental et n’accordera plus ce que nous appelons maintenant la garde. Le juge rendra également l’ordonnance parentale en ce qui concerne les processus décisionnels. Je pense que c’est vraiment un progrès et que vous devriez vous en réjouir.

Le président : Je regarde l’horloge et ce qu’il nous reste à faire. Nous devons retourner à la Chambre.

[Français]

Le sénateur Pratte : Ma question a déjà été posée.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés. Vous avez répondu à nombre de mes questions.

D’une part, nous avons la Loi sur le divorce actuelle et, d’autre part, le projet de loi C-78 proposé. La Loi sur le divorce actuelle comporte le principe du maximum de communication. Le projet de loi C-78 contient une disposition relative au maximum de temps parental. À votre avis, ces dispositions sont-elles semblables l’une à l’autre?

M. Ludmer : Je voulais le mentionner auparavant. Le paragraphe 16(6) n’est pas nouveau. On applique ce libellé depuis 40 ans. Je suis très troublé par les commentaires selon lesquels il s’agit de changements profonds qui transformeront la réalité. Le paragraphe 16(6) reflète le monde d’aujourd’hui. Nous disons qu’il n’est pas appliqué de manière égale, juste, cohérente ou transparente dans les litiges partout au pays. Nous avons besoin de quelque chose de plus concret. Le paragraphe 16(6) en soi n’est pas dangereux. Il ne créera pas de problèmes. C’est ce que nous avons depuis 40 ans.

Pour reprendre la réponse que nous avons entendue à une question précédente, si on veut voir le système à son pire, il suffit de regarder une famille qui ne s’entend pas pendant les neuf premiers mois d’une séparation. Un des parents a la garde des enfants et force l’autre parent à signer un document qui précise : « Je promets de ramener l’enfant à 17 heures. » On se fait justice soi-même. Un parent se déclare comme le parent dominant parce qu’il ne peut pas se présenter devant un tribunal et obtenir la première ordonnance du tribunal à la suite d’une conférence préparatoire. Sous le régime de la nouvelle loi, pour revenir à ce que disait le sénateur, nous allons parler du temps parental et de la prise de décisions.

On ne peut pas en arriver là dans les six à neuf premiers mois. Les enfants sont traumatisés au cours de cette période, car la mère dit : « Si ton père vient te chercher après l’école, ne le suis pas. Appelle-moi et j’irai te prendre », ou vice versa. C’est la réalité aujourd’hui en raison de l’absence de quelque chose de plus concret. Nous devons mettre fin aux guerres ouvertes pour protéger les enfants. La seule façon d’y arriver, c’est de prendre le principe du maximum de communication qui existe depuis 40 ans et de le rendre plus concret afin qu’il soit un point de départ et fasse l’objet de l’analyse de l’intérêt de l’enfant qui jouera un rôle au fil du temps. Ainsi, il y aura une présomption réfutable du partage égal des responsabilités parentales pour aider la famille à effectuer cette transition initiale, et les parents pourront ensuite s’entendre ou nous trouverons une solution.

Nous n’avons pas besoin que le projet de loi C-78 favorise les règlements. Les familles qui s’entendent bien trouvent un terrain d’entente sur le partage égal des responsabilités parentales aujourd’hui. Les gens qui ont recours aux tribunaux, qui engorgent le système, qui coûtent des dizaines de milliards de dollars et qui traumatisent les enfants ne peuvent pas eux-mêmes trouver une solution. Le mieux que nous puissions leur offrir, c’est de quatre à cinq ans de litige qui entraînent d’énormes dépenses et provoquent des traumatismes. Ils ont besoin de règles et de balises pour en arriver à une solution. Dans le cas de deux parents normaux qui ne sont pas parfaits et qui ne commettent pas de violence familiale, les données probantes montrent que le partage des responsabilités parentales fonctionne.

Pour revenir à ce que disait le sénateur sur le public, ce dernier ne demande pas de règle sur les ententes consensuelles. Il peut y avoir recours aujourd’hui. Dans le cadre d’un sondage Nanos réalisé en 2017, on a demandé aux gens s’ils voulaient une loi qui impose une présomption réfutable de partage égal des responsabilités parentales. Plus de 80 p. 100 des gens ont dit être en faveur, ce qui est cohérent depuis deux décennies. C’est ce que désirent vos électeurs. Ils ne veulent pas entendre les experts. Ils souhaitent la fin de la guerre du divorce.

La sénatrice Dasko : Monsieur Ludmer, dans le cadre de votre sondage d’opinion publique, avez-vous demandé aux Canadiens s’ils pensaient que l’intérêt de l’enfant devrait être pris en considération dans ces ententes?

M. Ludmer : Ce qu’on leur a demandé précisément, pour répondre à votre question, c’est s’ils étaient en faveur d’une présomption réfutable du partage égal des responsabilités parentales dans les cas de garde d’enfant.

La sénatrice Dasko : Je comprends cela. Je veux savoir si vous avez demandé aux gens, dans votre sondage d’opinion publique, si l’intérêt de l’enfant devrait être pris en considération. Vous dites que vous n’avez pas posé cette question précise.

M. Ludmer : C’est implicite. Ce sont les parents qui parlent.

La sénatrice Dasko : Non, non, non. Vous avez parlé du partage égal des responsabilités parentales. Je vous demande si vous avez expressément demandé si l’intérêt de l’enfant devrait être pris en considération, et vous répondez que non. Est-ce exact?

M. Ludmer : Nous n’avons pas demandé cela précisément, mais c’est implicite dans la question.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup.

Avez-vous demandé si le besoin de stabilité de l’enfant devrait être pris en considération dans votre sondage d’opinion publique?

M. Ludmer : C’est la même réponse. C’est implicite lorsqu’un parent dit...

La sénatrice Dasko : Non, non, ce n’est pas implicite. Vous dites que vous n’avez pas posé cette question.

Avez-vous demandé si les préférences et l’opinion de l’enfant devraient être prises en considération?

M. Ludmer : Nous n’avons pas dit qu’elles ne devraient pas l’être.

La sénatrice Dasko : Vous n’avez pas posé cette question. Ce n’était pas dans votre sondage d’opinion publique. D’accord.

Avez-vous demandé si les ententes sur la garde d’enfant devraient être prises en considération dans les décisions?

M. Ludmer : Si elles sont pertinentes, elles feront partie de la présomption réfutable.

La sénatrice Dasko : Mais vous n’avez pas posé cette question.

M. Ludmer : On ne peut pas...

La sénatrice Dasko : Je suis désolée, excusez-moi. Avez-vous demandé si le contexte culturel, linguistique et spirituel de l’enfant devrait être pris en considération?

M. Ludmer : On ne peut pas...

La sénatrice Dasko : Vous n’avez pas posé la question.

M. Ludmer : Les sondages doivent poser une seule question simple.

La sénatrice Dasko : Ah, ils peuvent comporter de nombreuses questions, cependant. Il peut y avoir beaucoup de questions.

M. Ludmer : Les sondages peuvent compter plusieurs pages.

La sénatrice Dasko : Les meilleurs sondages posent beaucoup de questions.

Ce que je dis, c’est que je vois que le projet de loi énumère ces facteurs. J’aimerais savoir si vous avez posé la question aux Canadiens concernant ces facteurs, et vous dites « non ». Merci beaucoup.

Madame Beavers, je n’ai pas de question sur vos questions de fond, mais j’aimerais avoir votre opinion en tant que personne qui a travaillé dans le domaine. Comment pensez-vous que les tribunaux vont tenir compte de ces facteurs? Comment vont-ils les regrouper et les examiner tous? Qu’en pensez-vous?

Mme Beavers : Permettez-moi de commencer en établissant un lien entre vos dernières questions et celle-là. Je dirais que j’ai moi-même également parlé à des Canadiennes, d’un océan à l’autre. Elles disent qu’elles veulent une vie exempte de violence, qu’elles ont besoin de cela et qu’elles y ont droit. Et c’est également ce dont les enfants ont besoin, ce qu’ils veulent et ce à quoi ils ont droit. Un des facteurs les plus importants du projet de loi, c’est le fait que la violence familiale est maintenant un aspect important qui doit être pris en considération pendant la procédure de divorce.

Nous pourrions poser la question suivante : qu’est-ce qui a changé au cours des 40 dernières années? Un des sénateurs a posé la question précédemment. Une chose qui n’est plus du tout la même, c’est la compréhension de la complexité de la violence familiale, de la façon dont la violence familiale touche les femmes et leurs enfants et de la manière dont la violence familiale peut continuer d’être un facteur bien longtemps après le divorce. Tous ces aspects ont changé considérablement. Ce seul aspect justifie que l’on s’écarte, de manière absolue et complète, de la présomption de partage égal des responsabilités parentales.

Pour répondre à la question que vous m’avez posée à savoir comment, selon moi, tous les amendements du projet de loi seront pris en compte, eh bien je crois qu’il y a des éléments très importants que pourront utiliser les juges, les médiateurs, les avocats et les parties non représentées, dont le nombre augmente sans aucun doute pour diverses raisons. Le projet de loi fournira un cadre grandement nécessaire.

Je reviens à une des choses que j’ai dites au début de mon témoignage : le projet de loi doit être assorti de directives supplémentaires. Ces directives devraient porter sur la formation en matière de violence familiale pour tous les intervenants qui participent aux procédures de droit de la famille et au dépistage obligatoire de la violence familiale. À mon avis, ce projet de loi est un cadre très constructif qui n’est pas parfait, mais qui peut être amélioré et sur lequel on peut s’appuyer. J’espère que cela répond à votre question.

Le président : Au nom de mes collègues, merci beaucoup de vos témoignages, monsieur Cheriton, monsieur Ludmer et madame Beavers.

(La séance est levée.)

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