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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 3 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, afin de poursuivre son étude des modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Sénateurs et sénatrices, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. Je préside le comité.

J’aimerais souhaiter la bienvenue aux gens ici présents et à ceux qui nous regardent, à la télévision ou en ligne. Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca, le site web du Sénat du Canada.

Vous y trouverez toute l’information concernant le comité, dont ses études spéciales, ses rapports, les projets de loi étudiés et les listes de témoins.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Black : Doug Black, Alberta.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, Ontario.

Le président : J’aimerais saluer la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, ainsi que nos deux analystes, MM. Alex Smith et Sylvain Fleury, qui, ensemble, appuient les travaux du comité.

Chers collègues, mesdames et messieurs, le comité entame aujourd’hui une étude spéciale sur les modifications proposées, au cours de l’été, par le ministre des Finances, à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

J’aimerais vous lire le texte intégral de l’ordre de renvoi que notre comité a reçu la semaine dernière, qui a été proposé par la sénatrice Cools et appuyé par le sénateur Forest:

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes, et, plus particulièrement:

• la répartition du revenu;

• la détention de placements passifs dans une société privée;

• la conversion du revenu régulier en gain en capital;

Que le comité porte une attention particulière aux répercussions des changements proposés sur:

• les petites entreprises et les professionnels constitués en société;

• la croissance économique et les finances publiques;

• l’équité de l’imposition des différents types de revenus;

• d’autres questions connexes;

Que le comité présente son rapport final au Sénat au plus tard le 30 novembre 2017, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

Nous avons invité des fonctionnaires du ministère des Finances, qui répondront à nos questions et nous expliqueront la teneur des changements proposés et leurs répercussions. Permettez-moi de leur souhaiter la bienvenue et de les remercier. Nous accueillons des représentants de la Direction de la politique de l’impôt de ce ministère: le sous-ministre adjoint principal, M. Andrew Marsland; le directeur général, analyse, M. Miodrag Jovanovic; et le directeur général, législation, M. Brian Ernewein. Nous accueillons également le directeur de la Division de la législation de l’impôt du même ministère: M. Ted Cook.

La greffière m’a informé que M. Marsland fera une déclaration préliminaire et que ses collègues sont ici pour répondre aux questions qui seront posées par les sénateurs par la suite.

[Français]

Sur ce, monsieur Marsland, la parole est à vous. Je vous remercie d’avoir accepté de comparaître devant notre comité ce matin.

[Traduction]

Andrew Marsland, sous-ministre adjoint principal, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui. Je voudrais commencer par fournir un peu de contexte sur les propositions du gouvernement concernant la planification fiscale au moyen de sociétés privées.

Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’en raison des mesures prises par les gouvernements fédéral et provinciaux au cours des deux dernières décennies, le Canada a l’un des régimes fiscaux les plus concurrentiels du G7.

En 2017, le taux général combiné d’imposition du revenu des sociétés est de 26,7 p. 100 — taux moyen fédéral-provincial-territorial pondéré. C’est le deuxième plus faible taux des pays du G7 et il se situe près de la moyenne de ceux des pays membres de l’OCDE.

Le taux général d’imposition sur le revenu des sociétés est actuellement de 12,2 points de pourcentage inférieur au taux en vigueur aux États-Unis, premier partenaire commercial du Canada.

Le taux canadien combiné d’imposition du revenu des sociétés applicable aux petites entreprises est de 14,4 p. 100 — taux moyen fédéral-provincial-territorial pondéré. C’est le plus bas des pays du G7 et le quatrième moins élevé des pays de l’OCDE.

[Français]

Les taux peu élevés d’imposition des revenus des sociétés en vigueur au Canada, y compris le taux préférentiel pour les petites entreprises, accordent un important avantage concurrentiel pour aider les entreprises à assurer leur croissance, à créer des emplois et à innover. En plus d’une aide fiscale généreuse, les petites et moyennes entreprises bénéficient de programmes directs de soutien à la croissance, lesquels offrent un soutien à l’accès au financement et aux marchés étrangers, du soutien à l’innovation et des services visant à développer des capacités en entrepreneuriat et en gestion.

[Traduction]

L’autre chose qu’il ne faut pas oublier, c’est que la structure de base du régime fiscal actuel est en place depuis longtemps. Plus particulièrement, les règles liées à l’imposition du revenu de placement passif ont été instaurées en 1972.

Depuis, la structure de l’économie a subi d’importantes transformations et, au cours des dernières années, il y a eu une nette augmentation du recours aux sociétés privées. Plus précisément, le nombre de sociétés privées sous contrôle canadien est passé de 1,2 million en 2001 à 1,8 million en 2014.

La croissance a été particulièrement forte dans certains secteurs. Par exemple, le nombre de sociétés du domaine des services professionnels a triplé au cours des 15 dernières années.

Dans une proportion croissante, les travailleurs autonomes choisissent de constituer une société.

Les sociétés privées représentent maintenant plus de deux fois la part du revenu imposable tiré d’une entreprise exploitée activement — en proportion du PIB — qu’au début des années 2000.

D’importantes raisons qui ne sont pas reliées à la fiscalité influent sur la décision d’une entreprise donnée de se constituer en société. Cependant, les avantages fiscaux découlant de la planification fiscale liée aux sociétés privées ont encouragé bon nombre de particuliers à constituer leurs entreprises en sociétés.

[Français]

Les avantages accrus tirés de la constitution des sociétés découlent en partie de l’écart croissant entre les taux d’imposition de revenus applicables aux sociétés et aux particuliers. Plus précisément, comme il est illustré dans le document de consultation du gouvernement à l’aide d’un graphique, il y a actuellement un écart de 37 points de pourcentage entre le taux d’imposition le plus élevé sur le revenu des particuliers et le taux pour les petites entreprises. Les données indiquent aussi qu’une part importante du revenu imposable a été transférée de l’assiette fiscale des particuliers à celle des sociétés.

[Traduction]

L’utilisation accrue des sociétés privées — dans la mesure où cette augmentation est motivée par la planification fiscale — soulève des inquiétudes quant à l’équité du régime fiscal. C’est dans ce contexte que le gouvernement a identifié trois pratiques pour lesquelles des mesures sont requises: la répartition du revenu par le recours aux sociétés privées; la détention d’un portefeuille de placements passif dans une société privée; et la conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital.

Je peux expliquer brièvement comment chacune de ces stratégies fonctionne. La répartition du revenu est une pratique qui fait en sorte que le revenu d’un particulier à revenu élevé est imposé comme le revenu d’un particulier à revenu plus faible, souvent un membre de la famille. Cette pratique mine le caractère progressif du régime fiscal en permettant aux particuliers des fourchettes d’imposition les plus élevées d’être imposés à un taux plus bas.

Certaines règles fiscales actuelles visent à restreindre le recours à la répartition du revenu. Par exemple, quand une entreprise paie des dépenses, comme des salaires, ces dépenses doivent être raisonnables pour être déductibles. On trouve aussi dans les règles fiscales un impôt spécial appelé « impôt sur le revenu fractionné » pour empêcher la répartition du revenu aux enfants mineurs, en imposant un taux supérieur et uniforme d’imposition sur le revenu réparti, y compris les dividendes provenant de sociétés privées et certaines formes de revenu distribué par une fiducie ou une société de personnes rattachée à une entreprise familiale.

Toutefois, les règles actuelles n’empêchent pas complètement la répartition du revenu quand il s’agit de dividendes versés à des membres adultes de la famille. De plus, les règles actuelles ne contrent pas ce type de planification fiscale quand le revenu est distribué par une fiducie ou une société de personnes à des membres adultes de la famille.

Pour contrer cette stratégie, le gouvernement propose une approche selon laquelle, à des fins fiscales, les dividendes payés à un membre de la famille doivent être raisonnables. En d’autres mots, les dividendes payés à un membre de la famille devraient refléter de façon raisonnable les contributions de cette personne à l’entreprise, que ce soit sous forme de capital investi, ou de travail effectué pour la société.

Conformément à ce principe, le gouvernement propose d’appliquer l’impôt sur le revenu fractionné, auquel les mineurs sont actuellement assujettis, aux adultes dans certaines circonstances. Les dividendes et les autres montants reçus par la personne pourraient aussi être assujettis au critère du caractère raisonnable. Dans la mesure où les montants ne sont pas raisonnables, le taux supérieur d’imposition des particuliers s’appliquera.

On propose également des mesures visant d’autres pratiques relatives à la répartition du revenu, notamment la multiplication de demandes au titre de l’exonération cumulative des gains en capital.

J’aimerais maintenant aborder la deuxième stratégie de planification fiscale à laquelle ont recours les sociétés privées, c’est-à-dire la détention d’un portefeuille de placements passif dans une société privée. Pour mettre les choses en contexte, je devrais mentionner que généralement, les sociétés peuvent gagner des revenus tirés d’une entreprise exploitée activement ou des revenus passifs. Le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement comprend le revenu gagné en menant une entreprise, comme la vente de biens et de services. Le revenu passif est le revenu qui provient de placements, comme le revenu d’intérêt, les dividendes et les gains en capital.

Les mesures proposées ne toucheront que le revenu passif, pas le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement. Les rendements relatifs aux investissements passifs varieront considérablement selon que l’investissement est effectué dans une société ou non. Le résultat différent est expliqué par le fait que le revenu des entreprises est généralement imposé à des taux plus bas que le revenu des particuliers.

Le document de consultation du gouvernement illustre cela à l’aide d’un exemple où l’on compare un particulier à un propriétaire de société — chacun d’entre eux fait un placement ponctuel de 100 000 $ avec du revenu avant impôt. Le propriétaire d’entreprise paie de l’impôt sur le revenu des sociétés — à 15 p. 100 — et investit ce qui reste, soit 85 000 $. Le particulier paie de l’impôt sur le revenu des particuliers et il ne lui reste que 46 450 $ pour investir. C’est la différence dans le montant disponible pour investir dans des placements passifs qui donne lieu à l’avantage.

Les avantages de la détention d’un portefeuille de placements passif dans une société privée augmentent avec l’horizon de placement et peuvent devenir très significatifs au fil du temps.

L’objectif de l’approche du gouvernement dans ce domaine est d’éliminer l’avantage de report d’impôts sur les revenus passifs gagnés par les sociétés privées, et de préserver l’intention des faibles taux d’imposition des sociétés, c’est-à-dire soutenir la croissance et l’emploi. L’objectif est de rendre le système plus neutre à long terme.

La troisième stratégie de planification fiscale est la conversion de revenu régulier provenant de salaires et dividendes en gains en capital. Seulement la moitié des gains en capital est imposable. Pour les particuliers à revenu élevé, les dividendes sont imposés à un taux qui est supérieur à celui sur les gains en capital. Par conséquent, il y a un incitatif pour que les particuliers à revenu élevé convertissent les dividendes et des salaires qu’ils recevraient normalement de leur société privée en gains en capital.

Il existe déjà une règle anti-évitement, mais il semble qu’elle est contournée. Les propositions du gouvernement visent à contrer cette stratégie de planification fiscale.

C’est avec plaisir que mes collègues et moi répondrons aux questions des honorables sénateurs.

Le président : Merci, monsieur Marsland.

Nous passons aux questions

La sénatrice Marshall : J’ai des questions sur les trois pratiques. Je vais commencer par la première, et j’ose espérer que lorsque j’aurai terminé, quelqu’un d’autre pourra prendre la relève.

Concernant la répartition du revenu, j’aimerais que vous nous expliquiez comment on resserrera les règles. Puisque des règles existent déjà à cet égard, quels sont les changements au juste?

Selon les notes qui nous ont été fournies, les changements semblent être axés sur le caractère raisonnable. Pouvez-vous nous l’expliquer? Qui déterminera le caractère raisonnable?

J’essaie seulement de comprendre. Pourquoi doit-on resserrer les règles actuelles puisqu’il en existe déjà? J’aimerais seulement que vous nous expliquiez cela en détail.

Brian Ernewein, directeur général, législation, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Je vais essayer de fournir des explications concises. Pour ce faire, je prendrai des raccourcis, mais j’espère bien vous l’expliquer.

Il y a environ 15 ou 18 ans, il y a eu ce qu’on a appelé l’affaire Newman dans laquelle la Cour suprême a conclu qu’il n’existait pas de critère concernant le caractère approprié du montant des dividendes qui pouvait être versé sur une action. L’absence de contrainte faisait en sorte qu’il était possible d’émettre des actions et de payer des dividendes sans restriction ou sans examen de la contribution du membre de la famille justifiant, en quelque sorte, le montant des dividendes.

À l’époque, le gouvernement est intervenu en introduisant l’impôt sur le revenu fractionné, ou ce qu’on appelle parfois « l’impôt des enfants » parce qu’il ne s’applique qu’aux enfants mineurs. Il s’agit d’imposer un taux d’imposition supérieur sur les dividendes pour essayer d’empêcher ce type de fractionnement du revenu. À l’époque, le gouvernement n’a pas essayé de faire la même chose pour les adultes parce qu’il n’était pas approprié de dire que d’autres membres de la famille devaient être assujettis au taux d’imposition maximal. On peut dire sans se tromper qu’on s’attend davantage à ce que des adultes fassent une contribution pouvant justifier le dividende, de sorte qu’il n’était pas approprié de nier cette possibilité.

Les propositions visent à revenir sur cette question et, pour l’essentiel, à déterminer si l’absence de contrainte concernant le montant des dividendes qu’on peut verser à des membres de la famille est appropriée; et il s’agit d’essayer de mettre en place un examen objectif des montants des dividendes versés. Cela s’apparente à des règles qui existent déjà pour le paiement de salaires, c’est-à-dire qu’on ne peut pas payer de salaires à des membres de la famille. Il faut que ce soit raisonnable. C’est, en gros, le critère qui est proposé pour les dividendes également.

La sénatrice Marshall : Je comprends la règle qui s’applique aux moins de 18 ans, mais lorsqu’il s’agit de dividendes versés à une personne de plus de 18 ans, n’existe-t-il pas déjà un critère sur le caractère raisonnable, ou le champ est-il tout simplement libre?

M. Ernewein : En effet, le champ est libre, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de contrainte. Dans cette affaire, il semble qu’on ait jugé qu’il n’y en avait pas. Comme je l’ai dit, c’est la raison pour laquelle on avait mis en place des règles concernant les enfants mineurs.

Il y a une contrainte selon laquelle les traitements et les salaires doivent être raisonnables. Ce n’est pas le cas pour les dividendes, de sorte qu’il se peut bien que le membre adulte d’une famille, le conjoint ou l’enfant adulte fassent une contribution ou qu’ils n’en fassent pas. L’objectif, c’est de prévoir un examen factuel.

La sénatrice Marshall : Ils ont tout de même les dividendes et le crédit d’impôt pour dividendes.

M. Ernewein : Rien ne les empêche de recevoir le revenu. Il s’agit de déterminer quel taux d’imposition sur le revenu s’applique.

Si l’on juge que c’est raisonnable en s’appuyant sur la contribution de l’adulte, que ce soit sous forme de capital investi ou de travail effectué pour la société, alors pour le dividende, le taux marginal pour ce particulier s’appliquera.

La sénatrice Marshall : Or, il faut que le critère du caractère raisonnable soit respecté concernant les avantages liés au fait d’avoir reçu le dividende.

M. Ernewein : C’est exact. Si ce n’est pas conforme au critère du caractère raisonnable, alors selon les propositions, un taux d’imposition supérieur s’appliquera; il s’agit d’essayer d’empêcher le fractionnement ou la répartition du revenu auxquels, autrement, on aurait recours.

La sénatrice Marshall : J’aimerais seulement parler du revenu de placement passif. Selon les notes d’information, le revenu dans une société est divisé, n’est-ce pas? Le gouvernement sait-il quelle part représente le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement et quelle part représente le revenu passif? Le gouvernement est au courant de toutes les catégories, n’est-ce pas?

On donne un exemple ici. Il y a l’employé et un propriétaire de société. On indique que c’est 85 000 $ et que, par conséquent, si le montant est conservé pendant 10 ans, on se retrouve avec plus de revenus; or, le gouvernement obtient sa part de toute façon. Par la suite, concernant le 85 000 $, est-ce que c’est imposé au taux normal?

Miodrag Jovanovic, directeur général, analyse, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : C’est que le revenu d’investissement, en soi, est imposé au taux d’imposition des sociétés, qui correspond à 50 p. 100, dont 30 p. 100 est remboursable lorsque la société émet des dividendes.

La sénatrice Marshall : Oui, j’ai compris cela.

M. Jovanovic : L’effet net, c’est que de façon générale, le revenu de placement est imposé à 50 p. 100. Le problème, toutefois, c’est que le particulier peut, par l’intermédiaire d’une société, se retrouver avec un capital initial à investir considérablement plus élevé. Par exemple, ce que nous disons, c’est que sur le montant de 100 000 $ conservé dans une société, il restera 85 000 $ qui pourront produire un revenu de placement pour la société.

Le particulier qui aura gagné les 100 000 $ directement devra payer entre 50 et 53 p. 100 d’impôts au moins, au taux marginal, ce qui signifie qu’il pourrait se retrouver avec moins de 50 000 $ à investir.

Bien que les deux particuliers puissent voir leur revenu passif tiré de leur investissement être imposé au même taux de 50 p. 100, il n’en demeure pas moins que vos revenus de placement pourraient provenir d’un capital initial plus élevé, de l’ordre de 35 000 $, que si vous aviez gagné ce montant directement, et c’est là le problème que ces propositions visent à régler.

La sénatrice Marshall : Je vais me concentrer sur les revenus de placement. Je ne comprends pas ce qui pose problème si une personne tire un revenu de placement sur un montant de 85 000 $ et qu’une autre reçoit un revenu de placement sur un montant de 50 000 $. Le gouvernement recevra 50 p. 100 du montant de 85 000 $ que détient cette personne. N’est-ce pas à l’avantage du gouvernement?

Je ne parle pas du capital, mais simplement du revenu de placement. Le gouvernement recevra 50 p. 100. Donc, n’est-il pas plus avantageux pour le gouvernement d’obtenir 50 p. 100 de 85 000 $ plutôt que 50 p. 100 de 50 000 $?

M. Jovanovic : Ce que le gouvernement tente de faire dans le cas présent est d’améliorer la neutralité et l’équité du système. Lorsqu’on examine cela dans le contexte de deux personnes qui sont dans des situations différentes, où l’un reçoit un revenu directement tandis que l’autre reçoit un revenu par l’intermédiaire d’une société, on constate qu’il pourrait y avoir un écart important quant au potentiel d’accumuler de l’épargne ou d’obtenir un rendement de l’investissement.

Prenez par exemple le cas de gens qui épargnent dans des actifs portant intérêt au taux de 3 p. 100 pendant cinq ans et qui en tirent un revenu direct. Ils pourraient obtenir, au taux de 3 p. 100, un rendement net après impôt de 1,4 p. 100.

La sénatrice Marshall : J’ai vu cela, mais il est aussi possible que la personne qui n’a que 50 p. 100 obtienne en fin de compte un rendement supérieur que la personne qui a 85 p. 100, selon la façon dont l’argent a été investi.

Je ne comprends pas la logique derrière cette partie de l’argument. Je comprends votre argument par rapport à la partie principale lorsque vous dites que le taux d’imposition sur la partie principale varie d’une personne à l’autre. Je peux comprendre cette comparaison. C’est simplement que je ne comprenais pas la logique de la comparaison entre les montants de 85 000 $ et de 50 000 $.

J’ai quelques autres questions, et je sais que je vais manquer de temps. Dans votre exposé, vous avez indiqué que le taux au Canada est le deuxième plus faible des pays du G7 et que nous sommes près de la moyenne pour le taux général combiné d’imposition du revenu des sociétés. Quel est l’objectif global à cet égard? Est-ce de nous rapprocher davantage de la moyenne? Y a-t-il un objectif général?

Nous examinons seulement une petite partie de la Loi de l’impôt sur le revenu, donc quel est l’objectif global? Il doit y avoir un plan plus général, n’est-ce pas? Ceci est un plan limité. Quel est le plan général?

M. Marsland : Je pense que depuis l’an 2000, les gouvernements successifs ont réduit les taux d’imposition des sociétés, tant les taux généraux que les taux applicables aux petites entreprises. L’objectif est de créer des conditions qui stimulent les investissements et attirent les capitaux. Dans le cas de ces taux, nous avons étudié diverses données. Donc, nous n’avons pas examiné uniquement le taux prescrit, mais aussi le taux effectif marginal d’imposition sur les nouveaux investissements.

Tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux ont agi pour réduire considérablement ces taux, avec l’idée qu’il s’agissait de mesures extrêmement importantes pour stimuler la croissance de l’économie.

La sénatrice Marshall : Il me semble qu’un objectif général serait d’essayer. Vous dites qu’il y a un écart croissant entre les taux d’imposition des particuliers et des entreprises. Pourquoi ne pas essayer de réduire l’écart entre ces taux, alors? Le taux d’imposition des particuliers à revenu plus élevé a été porté à 33 p. 100 l’an dernier, mais le gouvernement n’a pas obtenu les recettes espérées.

Il semble donc que certaines modifications qui ont été apportées dans le passé ont été contre-productives. Il me semble que si on examinait l’écart croissant entre les taux d’imposition des particuliers et des entreprises, l’objectif général devrait être de réduire l’écart plutôt que d’intervenir au hasard et de tergiverser par rapport à un aspect précis de l’impôt sur le revenu.

Vous mentionnez ensuite que les données indiquent qu’une part importante du revenu imposable a été transférée de l’assiette fiscale des particuliers à celle des sociétés. Quelles sont ces données?

M. Marsland : Nous avons inclus un tableau dans le document de consultation. Je ne sais pas si vous avez ce document avec vous, mais on y voit les tendances des divers taux d’imposition au fil du temps. Je pense que c’est le tableau 4.

La sénatrice Marshall : Toutefois, cela découle de l’écart des taux d’imposition, n’est-ce pas? L’écart entre le taux des particuliers et celui des sociétés est considérable.

M. Marsland : Cela découle probablement de divers facteurs. Comme je l’ai indiqué, une partie importante de cette croissance est liée à la proportion croissante de professionnels qui choisissent de constituer une société en raison de la modification des lois provinciales qui régissaient ces secteurs d’activité. Nous avons observé une transition à cet égard. On observe en effet le transfert d’une part du revenu imposable de l’assiette fiscale des particuliers à celle des sociétés.

Nous considérons que cette tendance reflète divers facteurs, ce qui signifie qu’une part plus importante du revenu imposable provient de l’assiette fiscale des sociétés, exacerbant ainsi les problèmes cernés dans le document.

La sénatrice Marshall : Je remarque une différence entre aujourd’hui et le moment où le nouveau taux d’imposition de 33 p. 100 est entré en vigueur. Faites-vous un suivi à cet égard? Quel a été l’effet de ce taux de 33 p. 100, de l’augmentation du taux d’imposition des particuliers? J’essaie d’établir une corrélation entre l’impôt sur le revenu des particuliers et la création de ces sociétés.

Le gouvernement n’a pas obtenu les recettes escomptées avec l’augmentation du taux à 33 p. 100. Que s’est-il produit? Pourquoi n’a-t-on pas eu le résultat souhaité? Le savez-vous?

M. Marsland : Je ne suis pas certain que nous avons des données là-dessus. Le changement est assez récent, mais la tendance s’étire sur plusieurs années. Dans le document, je crois que cela va de 2002 à 2015.

Le président : Merci, sénatrice. Monsieur Marsland, pourriez-vous transmettre à la greffière des renseignements supplémentaires à ce sujet?

M. Marsland : Oui, avec plaisir.

Le président : Merci.

Le sénateur Black : Messieurs, je vous remercie d’être ici. Je remarque que vous avez sans doute laissé vos gilets pare-éclats à l’entrée. Nous vous sommes reconnaissants du travail que vous avez fait.

J’ai plusieurs questions qui découlent de mes propres recherches et, évidemment, des innombrables Canadiens et représentants des associations de gens d’affaires qui se sont manifestés auprès de mes collègues et de moi. Bien que mes questions puissent vous sembler un peu tranchantes, sachez qu’elles reflètent les points de vue qui m’ont été exprimés.

Permettez-moi d’abord de vous demander si certains d’entre vous — qui êtes ici à cette table — ou certains hauts dirigeants de la Direction de la politique de l’impôt ont une expérience quelconque du monde des affaires en dehors de la sphère de la fiscalité publique. Avons-nous des représentants des petites entreprises, des gens qui ont travaillé en petite entreprise et qui ont été confrontés aux enjeux que pourraient vivre les petits entrepreneurs?

Je suppose que la réponse est non.

M. Ernewein : Je peux vous dire que je viens d’une famille de petits entrepreneurs. Mon père et mes oncles ont dirigé des entreprises. J’y ai toujours participé.

Le sénateur Black : Je veux savoir ce qu’il en est des gens qui prennent ces décisions en matière de politiques. Je suis heureux d’en apprendre sur votre famille, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse.

J’essaie d’avoir une idée du degré de sensibilité. Je suppose, puisque je veux continuer, que la réponse est non. Est-ce exact?

M. Marsland : Je ne peux dire ce qu’il en est de l’ensemble des fonctionnaires du ministère, mais personnellement, non.

Le sénateur Black : Merci beaucoup, monsieur.

On me dit que ces propositions qui, nous en sommes convaincus, ont été élaborées avec les meilleures intentions, évidemment, ont entraîné diverses conséquences imprévues. Vous êtes-vous renseignés — personnellement, en lisant les reportages dans les médias ou en prenant connaissance des présentations que l’on voit partout au pays actuellement — sur la nature exacte de ces conséquences inattendues? Si oui, pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?

M. Marsland : Nous avons évidemment porté une très grande attention aux mémoires qui ont été reçus et aux observations qui ont été faites concernant ces propositions.

Le sénateur Black : Je me préoccupe plus précisément des effets négatifs sur les petites entreprises. Vous avez certainement lu les témoignages qui ont été faits à cet égard. Je suis préoccupé par les effets néfastes pour les jeunes entrepreneurs qui, d’après ce que je comprends, sont un groupe particulièrement ciblé parmi les groupes ciblés. Selon ce qu’on me dit, cela aura pour effet d’inciter de jeunes entrepreneurs à quitter le Canada pour mettre en œuvre leurs stratégies novatrices ailleurs. Je suis préoccupé par l’écart de compétitivité croissant avec les États-Unis. À cela s’ajoute, évidemment, l’impact négatif sur les professionnels et les entrepreneurs qualifiés auxquels vous avez fait référence, et par leur tendance croissante à constituer une société.

Pourriez-vous présenter vos observations sur n’importe lequel de ces effets négatifs et nous dire si vous êtes prêts ou non à modifier ces propositions en fonction des dommages qui ont été faits?

M. Marsland : Je pourrais faire des commentaires sur les trois aspects des propositions.

Le premier est lié à la répartition du revenu, comme je l’ai indiqué. L’enjeu est essentiellement lié aux obligations fiscales personnelles des propriétaires d’entreprises, au caractère raisonnable ou non de la conversion au titre de dividendes, et à leurs effets sur la nature progressive du régime fiscal.

Le sénateur Black : Vous avez certainement vu les vives réactions à ces propositions et au discours sur la répartition du revenu dans les secteurs de l’agriculture et des pêches du pays. Cela a-t-il eu une incidence quelconque sur votre point de vue?

M. Marsland : Comme je l’ai mentionné, nous portons une très grande attention aux mémoires qui ont été reçus.

J’aimerais insister sur un point que nous avons fait valoir concernant la répartition du revenu: les propositions ne visent aucunement le versement de salaires aux membres de la famille et ne s’y appliquent certainement pas. Comme nous l’avons indiqué plus tôt, elles ne s’appliqueront pas lorsque le paiement de dividendes reflète la contribution d’une personne à l’entreprise, comme le capital versé ou le travail en entreprise.

Le sénateur Black : Concernant l’innovation, vous savez certainement que le PDG de Hootsuite, une des plus grandes réussites canadiennes dans le secteur de l’innovation, a simplement dit que si c’était à recommencer, mais avec ces règles, il bâtirait son entreprise aux États-Unis.

Vous êtes sûrement au courant qu’une pétition circule depuis jeudi dernier dans les milieux de l’innovation et des affaires. Elle compte maintenant plus de 100 000 signatures de gens qui ont démarré et bâti des entreprises et qui sont préoccupés par leur capacité de poursuivre leurs activités au Canada. Comment réagissez-vous à cela?

M. Marsland : Lors de l’élaboration des propositions, l’intention n’était pas de réduire les effets des taux d’imposition concurrentielle que nous avons au Canada. Elles ciblent les placements passifs, la répartition du revenu et les approches visant à convertir les dividendes en gains en capital.

Le sénateur Black : Je sais ce que vous cherchez à faire, mais ce que je dis, c’est que cela a eu des conséquences inattendues. C’est de cela que je peux entendre parler.

Si je vous dis qu’en Alberta, des investisseurs providentiels qui financent des entreprises en démarrage ont cessé de le faire en raison de vos propositions, que répondez-vous?

M. Marsland : À ma connaissance, cela ne s’est pas arrêté.

Le sénateur Black : Je vous dis que oui. Voilà le genre de conséquences que vos propositions ont au Canada. Ma dernière question de ce tour est la suivante: quand comptez-vous présenter des modifications à ces propositions?

M. Marsland : Le gouvernement étudiera évidemment avec une grande attention toutes les observations présentées pendant les consultations et prendra certainement des décisions par la suite.

Le sénateur Tannas : Je tiens à poser quelques questions sur le revenu passif, étant donné que les petits entrepreneurs sont, par définition, des gens qui prennent des risques. Il peut leur arriver de faire des investissements dans des secteurs qui ne sont pas reliés directement à leur entreprise, notamment en investissant dans d’autres petites entreprises et d’autres gens d’affaires de ce secteur, notamment dans les entreprises en démarrage, et cetera. Je peux vous dire, de mon point de vue et selon mon expérience de propriétaire de petite entreprise, que j’ai joué un rôle actif à cet égard.

Supposons que je suis un producteur laitier et que je décide d’investir et d’acquérir 5 p. 100 des parts d’une crémerie qui a besoin de capital pour acheter du nouvel équipement. En vertu de ces règles, s’agit-il d’un placement passif?

M. Jovanovic : Habituellement, le placement passif englobe les intérêts, le revenu de location, le revenu de dividendes du portefeuille et les gains en capital. Dans le cas d’un investissement sous forme de participation dans une autre société, il s’agit habituellement de dividendes ou encore de gains en capital au moment de la vente des actions.

J’aimerais revenir à la proposition et aux objectifs des diverses approches proposées dans le document relativement au revenu de placement passif.

Le sénateur Tannas : Je suis désolé; pourriez-vous simplement répondre à la question? Je suis producteur laitier et il y a une crémerie à proximité, un peu plus loin sur la route. Le propriétaire fait une tournée dans les environs parce qu’il a besoin de nouvel équipement et qu’il aimerait que des gens qui ont une bonne connaissance du secteur laitier investissent; je décide d’acheter 5 p. 100 des parts de la crémerie.

Cela sera-t-il imposable si je reçois des dividendes ou si je décide de vendre? Dans un contexte où je déciderais de conserver cela dans ma société agricole, les dividendes ou les gains en capital que j’obtiendrais seraient-ils imposés au taux de 50 p. 100?

Ou, si vous n’aimez pas cet exemple, disons que je suis soudeur et qu’une entreprise en démarrage pourrait m’être très utile pour l’exploitation de mon entreprise de soudure. Je décide d’acheter 5 p. 100 de l’entreprise ou de faire un prêt à cet entrepreneur. Cela sera-t-il imposable à un taux comparable?

M. Jovanovic : Permettez-moi de vous expliquer comment la mesure pourrait s’appliquer. Dans notre document, nous ne présentons pas une proposition définitive précise, mais nous présentons des approches.

Dans une des approches, on indique que le nœud du problème est lié à l’investissement de fonds qui proviennent à l’origine de revenus d’entreprise à faible taux d’imposition. Selon cette approche, la première étape serait de déterminer si le revenu de placement est lié à un revenu d’entreprise à faible taux d’imposition ou à une contribution de l’actionnaire, laquelle est pleinement imposée. Si cela découle d’une contribution de l’actionnaire, ce serait toujours assujetti au régime actuel d’impôt remboursable. C’est la première étape. Ces actions pourraient avoir été financées directement à partir des contributions des actionnaires. Dans ce cas, cela ne serait pas assujetti aux nouvelles règles.

La deuxième étape serait de déterminer la nature. Nous examinons cette question dans le document de consultation. Ce qu’on indique, par rapport aux gains en capital, en particulier, c’est qu’il s’agit de déterminer s’il y a des raisons de croire que ces actifs sont en réalité de nature active et non seulement de nature passive. C’est ce qu’il faudrait chercher à savoir. Cela pourrait être le deuxième niveau d’exclusion, pour ainsi dire. Une fois cela établi, cela serait admissible au régime actuel.

L’exemple que nous donnons dans le document est perçu à titre de point de départ de la discussion dans le contexte de cette consultation, d’une certaine façon, et c’est ce que nous allons étudier. C’est l’exemple type d’une société qui est actionnaire d’une autre société qu’elle contrôle, puis qui se départit de ses actions. Doit-on l’exclure? Doit-elle continuer de recevoir le traitement actuel?

C’est une importante question sur laquelle nous nous sommes penchés dans le cadre de la consultation et que nous continuons d’étudier.

Le sénateur Tannas : J’aimerais faire suite aux commentaires du sénateur Black au sujet de l’expérience des petites entreprises.

Comme je l’ai déjà dit, ce sont elles qui prennent les risques. Ce sont ces gens qui, de par leur nature, prennent les risques. Si on les force à payer 50 p. 100 d’impôt, ils achèteront des actions de la Banque Royale, tout comme vous le faites lorsqu’on vous demande de payer 50 p. 100 d’impôt. Ces petites entreprises ne voudront pas investir. Lorsque l’argent quitte l’entreprise, cela devient leur argent personnel. Ces gens doivent planifier leur avenir, investir dans un REER; ils n’auront pas l’intérêt ou les capacités d’investir dans les entreprises qu’ils connaissent.

S’ils doivent placer 50 p. 100 de leur argent pour la retraite, ils n’investiront pas dans la crèmerie du coin. Je vous demande donc de penser aux façons dont vous pouvez protéger les connaissances locales et l’expertise opérationnelle qui ne peuvent se transmettre que d’une société à une autre, d’une petite entreprise à une autre. Si vous ratez cela, nous aurons de gros ennuis.

M. Ernewein : Est-ce que je peux me permettre un commentaire? Je veux m’assurer que l’on comprenne la proposition ou l’approche relative au revenu passif, comme l’a fait dit mon collègue, parce qu’il n’y a aucune proposition précise dans le document. Cela ne change pas le taux d’imposition ni l’imposition des revenus de placement des sociétés privées.

Prenons la crèmerie à titre d’exemple. Aujourd’hui, si vous possédez moins de 10 p. 100 d’une autre entreprise et que vous recevez des dividendes, ceux-ci seront imposés. Ils sont aussi assujettis à l’impôt sur les gains en capital.

La proposition vise à apporter des modifications au remboursement de certains de ces impôts pour tenir compte du fait que les revenus des petites entreprises ne sont imposés qu’à 15 p. 100 de façon générale, ce qui laisse 85 p. 100 pour l’investissement.

Ensuite, j’aimerais parler d’une préoccupation soulevée dans le document, soit que les 85 p. 100 restants visent un réinvestissement dans l’entreprise active pour atteindre les objectifs dont vous avez parlé. Or, aujourd’hui, vous pouvez choisir de ne pas investir dans les petites entreprises et d’utiliser plutôt ces 85 p. 100 pour acheter des actions de la Banque Royale et y consacrer 85 ¢ pour chaque dollar.

En ajustant le remboursement et en tentant d’améliorer l’intégration de sorte qu’elle soit plus neutre pour les investissements passifs, on peut à juste titre soutenir qu’on concentre les mesures incitatives sur les petites entreprises.

Le sénateur Tannas : Je veux être clair. Si je suis propriétaire d’une petite entreprise et que j’investis mes revenus supplémentaires dans une autre entreprise, sans l’exploiter, je profite d’une occasion en raison de mes circonstances particulières. Je n’achète pas d’actions de la Banque Royale. J’achète une petite entreprise, à l’intérieur de ma société. Est-ce que je fais la bonne chose?

M. Ernewein : Je vais répondre à votre exemple. Un investissement de 5 p. 100 est depuis des décennies considéré à titre d’investissement de portefeuille, comme un critère de démarcation nette, mais un investissement supérieur à 10 p. 100 n’est pas assujetti à l’impôt sur les dividendes.

Le sénateur Tannas : Mais il le serait à l’avenir?

M. Ernewein : Encore une fois, cela ne fait pas partie de la proposition.

Le sénateur Tannas : Ce que vous visez, c’est l’achat de 10 ou 11 p. 100 de la crèmerie, par exemple.

M. Ernewein : Selon les règles actuelles, il n’y aurait pas d’impôt sur les dividendes. On imposerait les gains en capitaux émanant de ces actions. Dans les propositions, on se demande si l’on devrait maintenir la moitié non imposable.

On propose de ne pas modifier le taux d’imposition de ce revenu d’investissement lorsqu’il s’agit d’un investissement dans la société en soi. Il faut tenir compte de ce qui se passe au moment du paiement.

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir rapidement sur le revenu passif. Dans leur mémoire, les membres du comité mixte des Comptables professionnels agréés et de l’Association du Barreau canadien font valoir que l’ARC ne devrait plus utiliser ses définitions actuelles de l’investissement passif et du revenu actif, parce qu’elles sont utilisées à d’autres fins.

Est-ce que vous dites que vous souhaitez utiliser d’autres définitions dans la proposition sur les investissements passifs, plutôt que les définitions actuelles de la loi?

M. Ernewein : Je voulais simplement répondre à l’exemple, qui portait sur des intérêts inférieurs à 10 p. 100 et sur une part de 5 p. 100 dans une crèmerie. Je voulais faire valoir qu’en vertu des règles actuelles, les dividendes reçus par une société privée pour des parts inférieures à 10 p. 100 sont imposés.

Le comité mixte et d’autres ont fait le même commentaire et font valoir un bon point, à mon avis: dans le système actuel, on fait la distinction entre les revenus d’entreprise passifs et les revenus actifs. Il est juste de dire que ces distinctions sont pertinentes aujourd’hui, mais si l’on adopte la proposition ou l’approche décrite dans le document, leur incidence serait accrue.

Ce que je crois que le comité mixte veut dire — et je dois admettre que je n’ai pas lu l’ensemble de sa présentation publiée hier —, c’est qu’il faut se demander si ces définitions sont assez robustes ou si elles doivent être plus détaillées afin d’établir des limites claires.

Le sénateur Pratte : J’aimerais parler du critère du caractère raisonnable associé au fractionnement des revenus. On se préoccupe grandement du recours à un tel critère, même si on l’utilise actuellement à des fins salariales. En l’utilisant maintenant pour les adultes, pour les dividendes et ainsi de suite, on créerait un environnement d’incertitude et de subjectivité en ce qui a trait à la planification fiscale. Je suis certain que vous en avez entendu parler. Qu’en pensez-vous?

M. Ernewein : On reconnaît ce défi dans le document. Oui, cela nous ramène à la contribution d’une personne à une société pour appuyer le montant de dividendes reçu. Dans le document, on dit:

[…] que le critère du caractère raisonnable dépend des faits applicables à chaque situation et que la quantification de la valeur de l’apport ou de la preuve requise pour démontrer un tel apport ne sera pas toujours évidente.

Je crois qu’on sous-estime la situation ici. Son application est associée à certains défis.

Cela étant dit, c’est le critère que nous utilisons — comme je l’ai dit précédemment — pour les salaires et les traitements versés aux membres de la famille. Les critères associés aux dividendes sont plus complexes, parce qu’il ne s’agit pas uniquement d’évaluer les périodes actuelles, mais aussi les périodes antérieures; mais le critère de base demeure le même.

Le sénateur Pratte : Je vais vous répéter certaines choses que j’ai entendues. Par exemple, le risque pour les propriétaires de petites entreprises est élevé. Si un conjoint reste à la maison pour prendre soin des enfants, celui-ci assume une partie du risque. Il partage le risque de l’entreprise même s’il ne travaille pas ou n’investit pas de capitaux dans celle-ci. Ce n’est peut-être pas le cas pour un médecin, mais c’est le cas pour un entrepreneur.

Comment allons-nous mesurer cela? Il serait injuste de ne pas en tenir compte.

M. Ernewein : Je ne veux pas paraître mesquin, mais j’ai des doutes quant à la prémisse de votre question voulant que le conjoint qui reste à la maison pour s’occuper de la famille partage le risque. Je ne crois pas que ce soit vrai. Je ne crois pas que si je décide de rester à la maison pour permettre à ma conjointe de travailler 80 heures par semaine, elle puisse partager le risque avec moi. Ce n’est pas vrai non plus dans le cas que vous me présentez. C’est une décision personnelle du couple.

Le sénateur Pratte : Je suis certain qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas du même avis. C’est une situation très différente. La situation d’une famille qui décide de démarrer une entreprise est très différente de celle d’un médecin ou d’un professeur d’université, parce que les entrepreneurs assument un très grand risque que n’assument pas les personnes qui sont salariées, qui ont une pension, des avantages sociaux et ainsi de suite. C’est une situation différente parce qu’il y a un facteur de risque connexe.

C’est un défi que l’on reconnaît par l’entremise du critère du caractère raisonnable. Ce qu’on m’a dit, c’est que l’ARC peine à gérer la situation actuelle; la planification fiscale sera donc plus difficile pour tout le monde et pour l’ARC. Est-ce qu’on pourra gérer la situation?

M. Ernewein : Il faut qu’on puisse la gérer pour que la proposition soit satisfaisante. Nous croyons pouvoir y arriver par l’entremise de nos discussions avec l’ARC. Le critère actuel constitue notre point de départ.

Je ne crois pas que l’ARC vérifie le salaire et le traitement de tous les contribuables pour déterminer ce qui leur revient à 5 ¢ près. C’est une limite. On n’a pas à dire qu’il s’agit du seul bon montant, mais seulement qu’il s’agit d’un montant raisonnable. Nous croyons qu’il est possible d’atteindre le même résultat pour les dividendes et les salaires.

Le sénateur McIntyre : Ma question fait suite aux questions d’autres sénateurs au sujet du fractionnement du revenu.

Selon ce que je comprends, votre ministère estime que sa proposition d’éliminer le fractionnement du revenu générera 250 millions de dollars de revenus supplémentaires pour le gouvernement. De toute évidence, votre ministère a utilisé des hypothèses dans son calcul des revenus supplémentaires.

Votre ministère a-t-il fait vérifier ses calculs par un réviseur externe comme le directeur parlementaire du budget?

M. Marsland : Je crois que le directeur parlementaire du budget étudie la question. Je ne crois pas qu’il ait terminé son examen.

Le sénateur McIntyre : Pour faire suite à la question que je viens de poser, est-ce que votre ministère a entrepris des études pour évaluer l’incidence des modifications proposées sur l’économie? Est-ce que votre ministère prévoit réaliser une étude plus vaste et plus exhaustive du régime fiscal canadien?

M. Marsland : En ce qui a trait aux études sur l’incidence d’une telle modification, nous tenons compte des conséquences de chaque mesure que nous prenons. Nous avons des modèles fondés sur les données fiscales disponibles. Dans le cas du fractionnement du revenu en particulier, on pourrait déterminer le nombre de personnes susceptibles d’être touchées par cette mesure en étudiant les données sous-jacentes.

Ce qu’on ne peut pas savoir, bien sûr, c’est dans combien de cas ce sera raisonnable, parce que c’est une question de fait dans chaque cas.

En ce qui a trait à un examen général, je crois que cette décision relève du gouvernement.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vous remercie beaucoup de votre présence. Je ne suis pas fiscaliste, mais j’ai une certaine expérience de la vie. Selon ma perception, un régime fiscal doit être équitable et concurrentiel. Ce sont certainement les objectifs que vous poursuivez. On parlait plus tôt d’objectifs plus globaux. Avez-vous évalué l’impact des coûts de la réforme en fonction de ce que cela peut générer comme revenu et la façon dont cela peut améliorer le régime fiscal sur la base de l’équité pour le Canada?

M. Jovanovic : Pour ce qui est des effets sur le revenu, on a mesuré l’effet provenant de la mesure visant à limiter le fractionnement du revenu. On l’estime à 250 millions de dollars par année. Il n’y a pas encore d’estimation établie pour la mesure de la taxation du revenu passif, simplement parce que la mesure n’est pas instaurée. On a proposé des approches, mais il n’y a pas de mesure spécifique. Aucune estimation n’a été établie pour la troisième mesure concernant la conversion du revenu en gain en capital. On n’a aucune information pour baser une estimation.

Le sénateur Forest : Quant à votre réflexion sur les trois mesures proposées, on parle d’équité. Je pense, entre autres, à l’équité en fonction du commerce électronique, des Amazon de ce monde, et de ce qu'ils peuvent contribuer à l'économie, alors que les petits commerçants canadiens fournissent une contribution fiscale importante. On sait qu’il y a eu une entente avec Netflix. Sur la base de l’équité, on pense à une réforme importante sur le plan de la fiscalité. Avez-vous envisagé d'aller chercher une part du commerce électronique, qui est de plus en plus important dans la société du XXIe siècle?

M. Jovanovic : Il est très important de mentionner que ces mesures n’ont pas d’effet direct sur la taxation du revenu d’entreprise. Le gouvernement vise à rétablir l’équité dans le système, mais les leviers utilisés ici n’affectent pas directement la taxation des revenus d’entreprise. Le taux général pour les petites entreprises demeurera à près de 27 p. 100, ce qui est très bas et très compétitif par rapport à d’autres pays. Il n’y aura pas d’effet direct à ce chapitre.

Le sénateur Forest : Il n'y aura pas d’effet direct non plus pour les grandes compagnies comme les Amazon de ce monde.

Un élément me préoccupe dans le troisième volet concernant le gain en capital. Déjà, je crois qu’il y a une iniquité importante dans notre système lors du transfert d’une entreprise à des étrangers. Les entreprises canadiennes ont un grave problème de relève. Par exemple, si je vends mon entreprise agricole à un membre de ma famille, ce que je décode dans cette réforme, c’est qu’on accentuera l'iniquité. En tant qu’entrepreneur agricole, il sera plus avantageux de vendre ma ferme en morceaux, mon quota et ma machinerie, que d’assurer une relève avec ma famille. Donc, il s'agit d’assurer l’activité agricole et l’activité économique de ce secteur. Quand j’évalue la proposition, j’ai l’impression qu’on va encore accentuer l’écart de cette iniquité lors de la vente d’une entreprise à des étrangers plutôt qu'aux membres de la famille.

M. Jovanovic : D’abord, la mesure proposée concerne la conversion du revenu d’affaires, du surplus en entreprise en gain en capital, et vise à renforcer la règle anti-évitement qui existe déjà à l’article 84. Cette règle vise à empêcher les entrepreneurs de sortir de l’argent d’une compagnie par le biais d'une série de transactions afin de bénéficier du taux réduit sur le gain en capital. En réalité, cela devrait être taxé comme un dividende. La différence entre les deux taux est significative, comme vous le savez. La mesure proposée vise simplement à soulever une faiblesse dans ces règles. Le gouvernement a clairement dit qu’il souhaite entendre des suggestions pour voir s’il est possible de modifier les règles de façon à permettre un meilleur traitement des transferts intergénérationnels dans la mesure où nous pouvons définir ce qu’est un vrai transfert intergénérationnel. En fait, la question clé est là : comment définir ces transactions de façon à maintenir l’intégrité du système, d’une part, tout en permettant le transfert intergénérationnel des firmes, d’autre part.

Le sénateur Forest : J’en conclus qu’il est important d’être équitable tout en créant un environnement favorable à l’activité économique. Il faut éviter que les actifs de l’entreprise soient vendus, ce qui causerait la dissolution de l’activité économique dans le système.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, de votre présence ici aujourd’hui. À la première page de votre mémoire, vous dites que le Canada a l’un des régimes fiscaux les plus concurrentiels du G7. Je suppose que vous parlez de l’ensemble de notre système fiscal: les particuliers, les sociétés et les petites entreprises.

Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites au sujet de l’impôt sur le revenu des sociétés. Souvent, on fait la comparaison entre le Canada et les États-Unis en ce qui a trait à l’impôt sur le revenu des sociétés, mais pour une raison quelconque, vous ne parlez pas de l’impôt sur le revenu des particuliers. Selon ce que je comprends, certains États n’ont pas de système d’impôt sur le revenu des particuliers et d’autres ont un taux d’imposition de 10 p. 100 peut-être.

Pour dire que notre régime fiscal est l’un des plus concurrentiels parmi les pays du G7, vous ne tenez compte que d’une partie de la situation. Vous ne parlez pas de l’ensemble du régime fiscal. Je doute que vous ayez pensé à cela, mais au lieu de dire que les gens imposés à 50 p. 100 paient trop d’impôt, on pourrait peut-être réduire le taux d’imposition des particuliers de sorte que l’ensemble du régime fiscal soit concurrentiel.

Ce n’est certainement pas ce que veulent les gouvernements. Ils veulent plus d’argent. Ils cherchent des moyens de percevoir plus d’impôt. Je voulais seulement faire valoir ce point.

Est-ce que je peux vous demander qui a élaboré les propositions? Est-ce que c’est vous? Est-ce un ministre? Est-ce que cela vient d’ailleurs? Qui a eu l’idée de cette révision?

J’ai déjà été ministre; je comprends donc comment cela fonctionne. Je ne dis pas que c’est vous, mais est-ce que quelqu’un comme vous a dit au ministre: « Voilà comment faire pour avoir plus d’argent? » Est-ce que c’est ce qui s’est passé ou est-ce qu’il s’agit d’une décision politique?

M. Marsland : Vous comprendrez que je ne peux pas vraiment faire de commentaire sur les discussions entre le ministère et le ministre, mais bien sûr, nous conseillons le ministre. Je crois qu’en tant qu’ancien ministre, vous savez comment fonctionne le système.

Le sénateur Neufeld : Je comprends comment cela fonctionne, évidemment, et je comprends votre réponse. Si je lis entre les lignes, je comprends que ce n’est pas un cas de bureaucratie; que c’est une décision politique. Êtes-vous d’accord ou non?

M. Marsland : Malgré tout le respect que je vous dois, je ne répondrai pas à cette question.

Le sénateur Neufeld : D’accord.

M. Marsland : Je crois que je vous conseillerais de ne pas lire entre les lignes.

Le sénateur Neufeld : Merci.

On a posé beaucoup de questions au sujet du critère du caractère raisonnable associé au fractionnement du revenu. Selon ce que je comprends — et je crois que le sénateur Pratte en a parlé tout à l’heure —, le ministère s’attend à un gain de 250 millions de dollars en modifiant les règles associées au fractionnement du revenu.

Comment vous y prenez-vous? Avez-vous des idées que vous gardez simplement pour vous au sujet de la teneur d’un éventuel critère du caractère raisonnable? Je crois que c’est la question que bien des gens se posent. Pour prendre l’exemple d’une ferme, est-ce que l’épouse ou le mari, peu importe qui travaille aux champs, même si ce n’est que trois ou quatre jours à l’occasion pour conduire un tracteur, doit tout consigner dans un registre? Doivent-ils être capables de dire: « Voici tout ce que j’ai fait pendant la dernière année », de telle sorte que les gens de l’ARC qui viennent enquêter puissent être convaincus que le tout est bel et bien raisonnable?

Pour en arriver à cette estimation de 250 millions de dollars, vous devez bien avoir une idée de ce qui est raisonnable ou non. Je ne peux pas croire que vous avez procédé sans établir de comparaisons pour déterminer ce qui pouvait être raisonnable. Vous êtes-vous fondés sur un critère du caractère raisonnable pour obtenir ce montant de 250 millions de dollars?

M. Jovanovic : Il faut bien évidemment formuler différentes hypothèses pour parvenir à une estimation comme celle-là. Nous avons examiné les données fournies dans les déclarations de revenus des particuliers et des sociétés. Nous avons tenté d’apparier les deux pour bien saisir les liens familiaux et la structure d’entreprise afin de déterminer si des dividendes ont été versés à un conjoint se retrouvant dans une tranche d’imposition nettement inférieure, ce qui peut sembler problématique compte tenu de l’importance des avantages fiscaux qui en découlent.

Il faut bien sûr aussi exercer son jugement pour établir ce genre d’estimations. On ne dispose pas nécessairement des données les plus pertinentes qui soient, car il n’est pas toujours possible de recréer parfaitement toutes ces structures.

Il faut prendre tous ces éléments en considération. Le montant de 250 millions de dollars représente la meilleure approximation possible compte tenu des données à notre disposition, mais cela demeure tout de même une estimation.

Le sénateur Neufeld : Seriez-vous prêts à nous faire part de vos hypothèses de travail?

M. Jovanovic : Comme Andrew l’indiquait tout à l’heure, nous travaillons avec le directeur parlementaire du budget et nous lui communiquons tous ces éléments. Je suppose que nous pourrions sans doute en faire autant avec votre comité.

Le sénateur Neufeld : Dois-je comprendre que vous vous engagez à faire part au comité de toutes les hypothèses que vous avez formulées pour dégager un critère du caractère raisonnable? Allez-vous pouvoir le faire avant notre départ?

M. Jovanovic : Oui, cela me semble raisonnable.

Le sénateur Neufeld : Je crois que nous partirons en déplacement d’ici quelques semaines. Il n’est pas rare que l’on mette du temps à nous communiquer des informations semblables, si bien que je me réjouis de votre engagement à nous fournir toutes ces hypothèses qui vous ont permis de parvenir à une estimation de 250 millions de dollars. Peut-être pourriez-vous transmettre le tout à notre greffière de sorte que nous puissions tous y avoir accès.

Le président : Monsieur Marsland, êtes-vous d’accord pour que ces renseignements nous soient transmis?

M. Marsland : Oui, nous pouvons certes vous fournir une description de l’approche méthodologique que nous avons utilisée pour en arriver à cette estimation.

Le sénateur Neufeld : J’ai une dernière petite question. Bien que j’aie grandi sur une ferme, il y a longtemps déjà que je suis parti et je ne suis donc pas totalement au fait de la situation. Je me rends toutefois bien compte que les jeunes qui veulent se lancer dans l’agriculture n’ont tout simplement pas les moyens de le faire. Les exploitations agricoles sont habituellement transmises d’une génération à l’autre selon les modalités que le Sénateur Forest a bien décrites.

Si les gens souhaitent en apprendre davantage sur la manière dont ces choses se passent, y a-t-il quelqu’un au sein du ministère des Finances qui a déjà été agriculteur et qui sait comment on peut faire passer une ferme d’une génération à la suivante pour qu’une exploitation familiale puisse continuer à prospérer?

La ferme familiale comme je l’ai connue dans mon enfance n’existe plus aujourd’hui. Ce sont désormais des multinationales. Si cela témoigne des visées des gouvernements pour le secteur agricole, je trouve que c’est vraiment dommage, car je crois que nous devons assurer le maintien des exploitations familiales et qu’il faut pour ce faire qu’elles puissent être transférées d’une génération à l’autre. Les tracteurs coûtent maintenant des millions de dollars. C’est la même chose pour les moissonneuses-batteuses. On ne peut pas simplement se pointer à la Banque Royale pour dire que l’on a besoin de tout cet argent pour se lancer en agriculture. C’est impossible. Il faut travailler très fort pendant de nombreuses années pour qu’une exploitation puisse être rentable.

Pour ce qui est des changements à apporter aux modes de fonctionnement, je veux que le ministère des Finances prenne bien soin d’éviter toute action qui détruirait totalement ce qui reste des fermes familiales. Je serais très déçu d’apprendre qu’il n’y a personne au ministère qui a grandi dans une ferme familiale ou qui sait ce que c’est qu’un transfert intergénérationnel, à moins bien sûr que vous vous renseigniez auprès des gens concernés. Cela m’étonnerait, mais il est possible que vous le fassiez. Pourriez-vous me dire ce qu’il en est.

M. Ernewein : Certainement. C’est un enjeu dont nous sommes très conscients. Vous avez vraiment bien exposé la situation et la volonté de s’assurer que le transfert des fermes entre générations demeure possible. Il en est question aussi bien dans le budget que dans le document de consultation. C’est un véritable défi. Sans entrer dans les détails, je vous dirais que nous avons aujourd’hui un régime en vertu duquel le taux d’imposition maximal pour les dividendes se situe entre 40 et 45 p. 100 alors qu’il est d’environ 25 p. 100 pour les gains en capital.

En fait, cela ouvre la voie à l’utilisation d’un stratagème appelé dépouillement des surplus. Vous essayez alors d’éviter de sortir de l’argent de l’entreprise sous forme de dividendes pour plutôt procéder à une vente à vous-même, c’est-à-dire à une autre entreprise vous appartenant, en vue de générer et de déclarer un gain en capital, lequel n’est imposable qu’à hauteur de 25 p. 100.

Il y a une semaine ou deux, on a souligné le centième anniversaire de la Loi de l’impôt sur le revenu. Quelqu’un a mentionné à cette occasion que les règles relatives au dépouillement des surplus se trouvaient déjà dans la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu qui a été adoptée à l’époque. C’est donc une problématique qui existe depuis toujours. Nous avons depuis très longtemps adopté des règles dans le but de limiter la capacité de chacun de vendre ses actifs à lui-même, pour ainsi dire, dans le but de passer du taux d’imposition prévu pour les dividendes à celui applicable aux gains en capital. On trouve dans le document de consultation une proposition visant à resserrer l’application de ces règles dans le contexte d’une lacune relevée dans une autre affaire dont les tribunaux ont été saisis il y a quelques années.

On a ainsi lancé en quelque sorte un nouveau débat au sujet d’une vieille règle. Il s’agit de déterminer s’il est approprié d’appliquer le taux d’imposition prévu pour les dividendes lorsqu’une personne vend ses actifs à elle-même ou, plus précisément, lorsqu’elle les vend à ses enfants par l’intermédiaire d’une entreprise, c’est-à-dire que l’entreprise leur appartenant achète celle du parent.

Je vais m’efforcer d’être aussi bref que possible, mais je tiens à souligner que les mêmes règles entrent en jeu lorsqu’un parent vend son entreprise agricole ou sa petite entreprise directement à son enfant. Les règles relatives aux gains en capital peuvent s’appliquer tout comme l’exemption cumulative à cet égard du fait que l’enfant prend pour ainsi dire la place du parent. En pareil cas, le dépouillement des surplus n’est pas facilité.

Lorsqu’on transfère les parts d’une entreprise à une autre qui appartient à son enfant, cela peut permettre, en l’absence de règles spéciales sur la création d’un gain en capital, de tout de même pouvoir retirer de l’argent de l’entreprise pour payer l’achat à sa mère ou à son père tout en n’étant imposé qu’à 25 p. 100, plutôt qu’à 45 p. 100. La règle anti-dépouillement qui est proposée vise à restreindre les possibilités dans ce genre de situations.

Malheureusement, de telles mesures peuvent également nuire au transfert d’une propriété comme une ferme familiale lorsque l’enfant souhaite pouvoir se servir du refinancement de l’entreprise pour payer une partie du prix d’achat, entre autres choses. Autant dans le cadre du processus budgétaire que des consultations menées, nous avons sollicité des suggestions quant aux exceptions possibles au titre de ce que nous pourrions appeler des transferts intergénérationnels légitimes.

Nous avons avancé une idée qui vient en quelque sorte du modèle des États-Unis où le traitement prévu pour les gains en capital peut s’appliquer lorsque le parent cesse totalement de s’occuper de l’exploitation. Les gens auxquels nous avons pu parler, parmi les groupes d’agriculteurs notamment, rejettent quasi unanimement cette suggestion. Il semble que ce ne soit pas la façon dont les choses se déroulent normalement. Les transferts intergénérationnels ne portent que sur une partie des actifs. Le parent continue de participer de près à l’exploitation à titre de mentor et d’investisseur permanent pour finir par se retirer graduellement. Cette idée n’apparaît donc pas conforme à la réalité des choses.

Nous nous efforçons encore de trouver une approche différente. Dans nos discussions avec les représentants des agriculteurs et d’autres intéressés, nous avons vraiment insisté sur le fait que nous voulions connaître leurs points de vue. Il faut toutefois dire que nous n’avons pas encore pris connaissance de toutes les réponses, car certaines nous sont arrivées il y a quelques jours à peine étant donné que la période de consultation prenait fin hier. Nous espérons bien y trouver des sources d’inspiration.

La sénatrice Jaffer : Je veux poursuivre dans le sens de l’intervention du sénateur Neufeld, après quoi j’aurai une autre question à vous poser. Vous parliez d’un agriculteur qui vend sa ferme, mais continue de s’y intéresser de près. Quelles sont les règles en cas de décès de l’agriculteur?

M. Ernewein : Désolé, est-ce que vous parlez du décès du propriétaire d’une entreprise agricole ou vous voulez qu’on examine les deux possibilités?

La sénatrice Jaffer : Les deux possibilités.

M. Ernewein : Si l’agriculteur décédé possédait la terre, les bâtiments et le bétail, il y a généralement présomption de disposition des biens à leur juste valeur marchande au moment du décès, ce qui crée un gain en capital ou parfois un revenu ordinaire. Les biens deviennent la propriété de l’enfant via la succession ou encore d’un acheteur non lié au défunt. Mais limitons-nous au cas où l’enfant est bénéficiaire de la succession par testament. On présume alors qu’il acquiert la propriété à sa juste valeur marchande.

Il y a aussi une possibilité de transfert en franchise d’impôt. Si cela est prévu dans le testament, il suffit d’acquitter les impôts que l’on aurait normalement eu à payer sans qu’aucune somme supplémentaire ne soit exigée à ce moment-là. Il peut aussi y avoir des situations où l’on souhaite se prévaloir de l’exonération cumulative des gains en capital. Il y a donc différents aspects à considérer.

Lorsqu’une entreprise a été constituée pour détenir les actifs agricoles et que le parent qui décède est propriétaire des parts de cette entreprise, je crois que la disposition de transfert en franchise d’impôt peut s’appliquer s’il y a présomption de disposition de ces parts pour générer un gain en capital. Dans les circonstances où le transfert en franchise d’impôt ne s’applique pas, l’enfant acquiert ces parts à leur juste valeur marchande et peut poursuivre l’exploitation de l’entreprise pendant aussi longtemps qu’il le veut.

Il se peut également que l’on souhaite dissoudre et liquider l’entreprise parce qu’il n’y a pas d’enfant ou parce que les enfants ne s’intéressent pas à l’agriculture. En pareil cas, il existe des règles autorisant une telle dissolution. En fin de compte, on retire un dividende de l’entreprise et les gains en capital sont annulés. Ainsi, il y a un impôt sur le dividende net à payer en cas de dissolution.

La sénatrice Jaffer : Quels changements sont apportés aux règles dans le cas où l’enfant garde la ferme? Est-ce que les impôts à payer vont augmenter avec les nouvelles règles?

M. Ernewein : C’est encore plus compliqué lorsque l’enfant garde la ferme. Je vais seulement parler de l’entreprise agricole pour l’instant.

Comme je l’ai déjà indiqué, il est possible que l’enfant hérite des parts de l’entreprise agricole et qu’il n’y ait pas d’autres répercussions fiscales dans un avenir immédiat. Il continue d’exploiter la ferme, d’en tirer des bénéfices et de sortir de l’argent de l’entreprise jusqu’à ce que, 30 ans plus tard, lorsqu’il décède ou choisit de prendre sa retraite et de tout vendre, il réalise un gain en capital supplémentaire si la ferme a encore pris de la valeur, ou il est imposé au titre des dividendes s’il décide de dissoudre l’entreprise à ce moment-là.

Il est possible que je m’aventure un peu trop dans les détails, mais je vous dirais que certains peuvent aussi procéder à une réorganisation de l’entreprise immédiatement après l’avoir acquise. Si ces gens retirent de l’argent de l’entreprise au moment de l’acquisition, ils pourraient être imposés en fonction des dividendes réalisés. Il y a différentes façons d’essayer d’améliorer les choses à ce chapitre.

La sénatrice Jaffer : Vous avez exposé la situation du propriétaire d’entreprise et de l’employé. Pour revenir à quelques-uns des éléments soulevés par le sénateur Black, j’ai l’impression que vous avez à la fois rallié et divisé les Canadiens au moyen d’une seule et même consultation. J’ai la ferme conviction que vous avez causé de grands torts à notre pays en nous divisant ainsi au sujet de questions fiscales.

Je m’explique. Vous avez donné l’exemple d’un propriétaire d’entreprise qui paie l’impôt sur le revenu des sociétés à un taux de 15 p. 100 et investit le reste. L’employé paie pour sa part l’impôt sur le revenu des particuliers et se retrouve avec à peine 46 000 $. L’un peut investir, l’autre pas nécessairement. Je crois que vous comparez des pommes et des oranges. Ce sont deux modes de fonctionnement bien différents. Vous mettez l’infirmier d’un côté et le médecin de l’autre. Vous nous avez en quelque sorte tous divisés.

Que font les gens d’affaires? J’ai grandi entourée de gens d’affaires. Mon grand-père a toujours dit que ce qu’on dépense maintenant est un investissement pour l’avenir. Vous voulez faire croître votre entreprise. Vous prenez certains risques. Vous vous débrouillez. Nous traitons d’un monde bien différent de celui des travailleurs.

Je travaille ici au Sénat. Je touche un salaire que je peux dépenser à ma guise, et vous m’imposez pour ce revenu. Cela n’a rien à voir avec la façon de faire les choses d’un entrepreneur. Vous ne tenez pas compte de ces distinctions lorsque vous essayez de considérer l’employé et l’entrepreneur sur le même pied.

En bout de ligne, je vais toucher une pension en tant qu’ancienne employée. L’entrepreneur n’a pas de pension. Vous faites abstraction de tous ces éléments. Vous vous limitez à votre exemple, et vous nous divisez. Ce sont deux situations bien différentes, et je ne comprends vraiment pas comment vous pouvez penser le contraire.

M. Marsland : On cherche d’abord ici à préserver les avantages importants découlant de taux d’imposition des sociétés inférieurs lorsque l’argent gagné est réinvesti dans l’entreprise. Comme mon collègue l’expliquait précédemment, le problème se pose lorsque l’argent n’est pas injecté directement dans l’entreprise, lorsque les investissements sont passifs.

Je répète qu’il s’agit de considérer la situation personnelle d’un propriétaire d’entreprise et celle d’un particulier. Nous cherchons à faire en sorte qu’ils soient traités sur le même pied par le régime fiscal qui a d’ailleurs été conçu dans cette optique.

Selon ce qui est proposé dans le document, la situation d’encaisse de l’entreprise dans laquelle l’argent est investi ne devrait pas changer. Les mêmes taux d’imposition s’appliquent. La situation devient problématique lorsque des sommes sont retirées de l’entreprise après avoir été investies passivement. Nous voulons traiter de la même manière les revenus gagnés dans ces deux circonstances seulement lorsqu’il y a investissement passif, et non pas lorsqu’on investit directement dans l’entreprise en exploitation.

La sénatrice Jaffer : Chez moi, en Colombie-Britannique, les gens me posent souvent des questions au sujet de ces investissements passifs. Ils soutiennent que vous ne comprenez pas vraiment de quoi il s’agit. Ainsi, un propriétaire peut, pour une raison ou une autre, attendre un certain nombre d’années pour utiliser l’argent dans son entreprise, mais il en arrive à le faire un jour et vous l’imposez alors en conséquence.

J’ai bien compris tout ce que vous avez dit. Il y a des investissements passifs ou de l’argent qui dort. On prévoit utiliser cet argent plus tard. Il n’est pas investi dans l’entreprise. Les gens me disent qu’ils ont l’impression que vous n’en tenez pas compte.

M. Jovanovic : Je veux souligner que les approches proposées dans notre document tiennent compte du fait qu’une entreprise ou un entrepreneur qui a des revenus de 100 000 $ et se retrouve avec 85 000 $ après impôt peut décider de réinvestir cet argent dans l’entreprise ou de l’investir passivement, mais seulement pour quelques années, pour accumuler par exemple les sommes nécessaires à l’achat de machinerie ou à d’autres réinvestissements dans l’entreprise.

Nous nous sommes efforcés de faire en sorte que les ajustements proposés n’interviennent que dans les cas où l’argent est sorti de l’entreprise. Il n’y a ainsi aucun effet si les sommes en question sont réinjectées dans l’exploitation. Il demeure tout de même possible d’investir passivement les 85 000 $ qui restent à partir des 100 000 $ de revenus. On continuera d’être imposé à 50 p. 100 pour les revenus tirés de ces investissements passifs. Si l’on décide cinq ou six ans plus tard de réinjecter cet argent dans l’entreprise, les mesures proposées n’auront aucune incidence véritable, ce qui est essentiel pour notre approche.

Nous estimons important de nous assurer que les entreprises puissent continuer de le faire et de réinvestir.

[Français]

La sénatrice Moncion : J’ai plusieurs commentaires à vous communiquer, ainsi que quelques questions à vous poser.

À l’heure actuelle, une propagande a cours dans les journaux, ainsi que dans les forums publics pour discuter d’éléments qui touchent les nouvelles règles que vous étudiez en ce moment. Je pense que bon nombre de personnes ne comprennent pas complètement toutes les règles fiscales que vous êtes en train d’étudier. C’est une opinion très personnelle, mais je pense que la majorité des commentaires ne sont pas tout à fait exacts par rapport à l’information ou à l’analyse que vous faites.

Ce que je comprends, à l’heure actuelle, c’est que vous êtes toujours en période de consultation. Vous étudiez la portion qu’on appelle le dépouillement des surplus et la portion du fractionnement du revenu, ainsi qu’une troisième composante, soit celle ayant trait au capital passif. Dans tous les cas, l’objectif du gouvernement vise l’évitement fiscal utilisé par des sociétés ou des PME qui, justement, ont trouvé des façons de contourner ou d'éviter le paiement juste des impôts qui sont dus.

Avez-vous une idée du nombre d’entreprises touchées par les nouvelles mesures que vous proposez?

M. Jovanovic : On estime à environ 50 000 le nombre d’entreprises familiales qui pourraient être visées par la proposition concernant le fractionnement du revenu. Nous n’avons pas d’estimation concernant la troisième proposition pour ce qui est de la conversion du revenu en gain et capital. Il n’y a pas suffisamment d’information disponible.

Pour ce qui est du revenu d’investissement, nous n’avons pas de proposition finale, alors c’est difficile de donner un chiffre très précis. Ce que l’on observe, toutefois, c’est que bon an mal an, d’après les données plus récentes de 2015 dont nous disposons, un peu plus de 300 000 sociétés rapportent des revenus d’investissement. Environ 40 000 sociétés ne rapportent exclusivement que des revenus d’investissement. Vraisemblablement, ces sociétés ne seraient pas compromises par les règles dans la mesure où ces investissements ne sont pas financés à partir du revenu d’entreprise taxé à un taux faible, puisqu’il n’y a pas de revenu d’entreprise provenant de ces sociétés. Il s’agit strictement des revenus passifs.

Cela nous laisse environ 280 000 sociétés disposant d'un revenu passif. Une bonne portion de ces sociétés rapporte un revenu inférieur à environ 150 000 $ ou 200 000 $. Dans ces cas-là, généralement, pour le revenu passif, l’entrepreneur devrait être en mesure d’atteindre à peu près les mêmes bénéfices si l’épargne se fait au moyen d’un régime d’épargne plutôt que par l'intermédiaire de la société. On peut supposer que ces sociétés ne seraient donc pas trop touchées par les règles.

Cela nous laisse environ 130 000 ou 140 000 sociétés, mais encore là, le résultat final dépendra du design final de la mesure. Il s’agit donc d’une approximation.

La sénatrice Moncion : Vous êtes en période de consultation, et je sais que, d'après les commentaires que vous avez entendus jusqu'à maintenant, des modifications sont à prévoir. J’imagine que la consultation sert à obtenir un peu plus d’information provenant du marché afin de voir s’il n’y a pas des choses que vous auriez oubliées dans le cadre de votre travail. Est-ce que je me trompe?

M. Jovanovic : C’est définitivement l’objectif de la consultation qui s’est terminée hier, le 2 octobre. Nous avons reçu plus de 20 000 soumissions. Nous avons beaucoup de travail à faire, mais c’est notre intention de tenir compte des différents commentaires reçus.

La sénatrice Moncion : À quel moment croyez-vous être en mesure de nous faire part des résultats de tout cela, afin que nous puissions faire une analyse basée sur les 20 000 soumissions reçues, et procéder aux ajustements possibles ou potentiels que vous proposez apporter?

M. Jovanovic : Ce sera la décision du gouvernement de déterminer le moment opportun. Notre travail sera de passer en revue les différentes soumissions et de donner nos avis au ministre.

La sénatrice Moncion : La période de consultation est relativement courte, étant donné que ces modifications doivent entrer en vigueur en 2018, n’est-ce pas?

M. Jovanovic : Je peux apporter une clarification. Il n’y a que deux des trois mesures pour lesquelles il existe une date d’entrée en vigueur proposée. Pour ce qui est du revenu passif, il n’y en a pas, parce qu’il n’y a pas encore de proposition.

La sénatrice Moncion : D’accord. Ma dernière question est complémentaire à celle du sénateur Pratte au sujet des familles où un conjoint est à la maison pour s’occuper des enfants. Contrairement peut-être à l’observation qui a été faite et sur laquelle vous vous basez pour faire votre analyse, les choix qui sont faits par ces familles sont les mêmes que ceux faits par des familles où une personne gagne un revenu et un conjoint choisit de rester à la maison pour s’occuper des enfants. Ces familles n’ont pas plus de revenus ou d’allègements fiscaux que d’autres.

Je ne comprends peut-être pas l’élément que l’on prend en considération lorsqu’il s’agit d’une famille d’entrepreneurs ou lorsque ce sont des travailleurs. Est-ce qu’ils sont évalués de la même façon?

M. Jovanovic : Il importe de reconnaître que la prise de risque est quelque chose que le gouvernement reconnaît par l'entremise du système d’impôt. On ne discute pas le fait que les entrepreneurs prennent des risques que les employés ne prennent pas.

La question est de savoir si le fractionnement du revenu est la meilleure façon de reconnaître ces risques, dans la mesure où cela a un effet très inégal selon la situation familiale de chaque entrepreneur.

Si vous avez un conjoint qui ne travaille pas et que vous avez deux enfants adultes qui sont à l’université, cela vous donne automatiquement un avantage extrêmement important par rapport à un entrepreneur célibataire.

Donc, je pense qu'il faut déterminer si c’est approprié ou non. Le système fiscal a des mesures qui reconnaissent le risque et qui s’appliquent à toutes les sociétés, particulièrement en contrôle canadien, soit les SPCC. Il s'agit, par exemple, de l’exonération cumulative sur le gain en capital, des crédits très généreux pour la recherche et développement, du taux réduit sur les petites entreprises, soit les premiers 500 000 $ de revenus. Toutes ces mesures sont en place pour reconnaître la prise de risque et soutenir l’investissement dans les petites entreprises.

[Traduction]

Le sénateur Wetston : Merci beaucoup de votre présence aujourd’hui. Je suis pleinement conscient de la complexité de ces enjeux et des difficultés associées à toute réforme fiscale. J’aimerais aborder la question dans une perspective un peu différente.

C’est une simple question d’ordre technique, et il est possible que j’ai été mal renseigné. Je crois comprendre que des mesures sont déjà en vigueur dans deux des trois des catégories générales où vous vous proposez d’intervenir. Est-ce bien cela? L’avez-vous fait par le truchement d’une motion de voies et moyens, ou est-ce que je fais fausse route?

M. Marsland : La première mesure devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2018.

Le sénateur Wetston : Était-ce par le truchement d’une motion de voies et moyens? Comment vous y prenez-vous ? Allez-vous présenter un projet de loi de mise en œuvre du budget? Que faites-vous exactement? Je ne sais pas quel est le processus envisagé, si vous allez de l’avant.

M. Ernewein : Le document de consultation rendu public le 18 juillet renfermait des propositions législatives pour les mesures de la première et de la troisième catégories.

La première situation visée est celle de la répartition du revenu, comme mon collègue vous l’expliquait; les mesures à cet effet devraient être applicables à compter du 1er janvier 2018.

Pour la troisième situation, celle du dépouillement des surplus, il était proposé que les mesures entrent en vigueur le 18 juillet.

Aucune motion de voies et moyens n’a été déposée. Le Parlement ne siégeait pas au milieu de l’été, mais il est effectivement possible que le gouvernement décide de déposer une telle motion pour pouvoir aller de l’avant.

Le sénateur Wetston : Ce serait donc la façon dont vous pourriez procéder pour mettre en œuvre ces propositions. C’est ce que je voulais savoir.

M. Ernewein : La mise en œuvre exige bien sûr l’approbation du Parlement, ce qui va plus loin qu’une motion de voies et moyens.

Le sénateur Wetston : Est-ce que vous pourriez présenter un projet de loi de mise en œuvre du budget? J’essaie juste de comprendre le processus et le rôle que le Sénat peut jouer.

M. Ernewein : Oui, ce sera nécessairement une loi, un projet de loi de mise en œuvre des mesures présentées au Parlement. Je pense que vous avez implicitement demandé si cela se fera cet automne. Je ne le sais pas.

Le sénateur Wetston : Quand je regarde les trois catégories qu’on retrouve ici, je reconnais que la réforme fiscale est difficile et invariablement très complexe. Elle a des répercussions importantes, mais, au bout du compte, peu importe votre réforme, cela ne se limite pas juste à percevoir plus d’impôts. Je crois que vous êtes d’accord avec moi là-dessus. Il faut assurément que ce soit une bonne politique publique.

D’après ce que je comprends, on a beaucoup écrit sur le sujet, et vous avez votre document de consultation. Je vois les trois catégories, mais parlons juste de répartition, car je m’intéresse au raisonnement qui sous-tend la politique, pas à la possibilité de percevoir plus d’impôts. La répartition semble s’appuyer sur le concept de l’équité, d’après ce que vous dites ou ce qu’on semble proposer.

Je comprends que les discussions sur cette proposition se poursuivent, mais la proposition semble toutefois être fondée sur le concept de neutralité, pas sur le concept d’équité. Par ailleurs, la conversion du revenu des sociétés privées, la troisième catégorie, semble être fondée sur l’anti-évitement. C’est ce que je crois comprendre. Vous n’êtes peut-être pas d’accord.

Si c’est le cas, dans le cadre de votre étude, vous aurez évidemment besoin, tout comme le gouvernement, de trouver un juste équilibre entre les divers intérêts en jeu dans tout ce que vous proposez, car il y aura des implications pour tous les contribuables.

Ce que je veux vraiment savoir, si c’est bien le raisonnement, c’est quels sont les compromis auxquels vous avez réfléchi pour tous les contribuables si vous envisagez une réforme fiscale qui se veut équitable. Pour être franc, et vous serez peut-être d’accord avec moi, ce n’est pas absolu. Cela pourrait être juste pour certains et injuste pour d’autres. Il faut trouver un juste équilibre entre ces compromis.

C’est la même chose pour ce qui est de la neutralité. Cela pourrait être neutre pour certains, mais pas pour d’autres. Il faut trouver le juste équilibre entre ces facteurs.

Même chose pour l’anti-évitement, quoique cela pourrait être un peu plus clair étant donné que c’est un concept bien établi en droit fiscal.

Pouvez-vous m’aider à comprendre comment vous voyez cela du point de vue de l’intérêt public? Au bout du compte, vous pouvez percevoir autant d’impôts que vous le voulez. Il faut toutefois que ce soit une bonne politique publique. Je cherche encore le raisonnement sous-jacent.

M. Marsland : Merci de poser la question. Je crois qu’elle résume, en un sens, les facteurs qui entrent en jeu dans une question d’intérêt public.

Dans le domaine de la fiscalité, nous précisons davantage la notion d’équité en parlant d’équité verticale et d’équité horizontale. Cela signifie essentiellement que ces deux concepts sont abordés dans les discussions à ce sujet, notamment en ce qui concerne la répartition.

En ce qui a trait à l’équité verticale, le régime fiscal représente une évaluation du fardeau fiscal d’un contribuable en fonction de sa capacité à le payer. Cela se reflète dans la structure de taux progressifs du régime de l’impôt.

Dans ce contexte, lorsque certaines de ces ententes posent problème sur le plan de l’équité verticale étant donné qu’aucune contribution n’est faite à l’exploitation agricole et que des dividendes sont payés, la structure de taux progressifs en souffre étant donné qu’on permet essentiellement à quelqu’un de se soustraire à cette structure au moyen d’un paiement versé à un membre de sa famille, ce qui se traduit par une réduction du taux réel d’imposition pour ce paiement.

Pour ce qui est de l’équité horizontale, la question est également abordée dans le sens où des contribuables dans des circonstances similaires devraient être traités de façon similaire. Il y a évidemment un débat sur la façon d’interpréter cela, mais la question a manifestement été abordée dans ce cas-ci.

La neutralité consiste à tenter d’obtenir un résultat équivalent lorsque des mesures économiques équivalentes sont prises. C’est manifestement ce qu’on observe dans ces propositions.

De la même façon, on avance également que nous devrions essayer de simplifier le plus possible le régime fiscal, mais il y a évidemment une contradiction lorsqu’on tente d’obtenir des résultats neutres ou équitables sans avoir de règles pour y parvenir.

J’espère avoir répondu à votre question, du moins partiellement.

Le sénateur Wetston : J’aimerais brièvement ajouter quelque chose. Je crois fermement que ces propositions fiscales soulèvent autant de questions économiques que de questions de justice sociale.

D’après ce que nous entendons et voyons, il doit y avoir un équilibre dans les mesures économiques et fiscales que vous souhaitez éventuellement mettre en œuvre. Vous avez un projet de loi, ce qui tient un peu plus du concept que de la mise en œuvre. Je pense que la justice sociale devient une considération très importante dans la façon d’aborder les effets de cette réforme fiscale.

Je crains — et j’essaie de mieux comprendre — que vous ne teniez pas compte de ces questions. Cela va au-delà de l’objectivité associée à la neutralité ou à l’équité, qui se traduisent toutes les deux — je crois que vous en conviendrez peut-être également — par des compromis quant à la façon dont les groupes pourraient être touchés par la réforme fiscale.

Ce sont mes réflexions sur le sujet. Vous avez peut-être une opinion là-dessus. Je suis conscient que je suis peut-être juste en train de me vider le cœur.

M. Marsland : Il y a des compromis dans tous les dossiers de politique publique. D’un point de vue fiscal, nous avons tendance à aborder ces choses au moyen d’un ensemble de principes, mais votre commentaire sur les effets économiques d’une politique est primordial.

La sénatrice Cools : Merci beaucoup, messieurs, de comparaître devant nous. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour les personnes comme vous qui consacrent leur vie à la fonction publique du Canada.

Je disais à de jeunes hommes qui travaillent pour nous que lorsque la Loi de l’impôt sur le revenu a été créée en 1918, ou à cette époque, elle devait être temporaire. Tout le monde l’a oublié depuis longtemps, mais la mesure devait être temporaire. Je suppose qu’il est maintenant inévitable qu’elle demeure longtemps en vigueur.

Quelqu’un a soulevé ici la question des motions de voies et moyens, et ainsi de suite. La Chambre des communes a deux comités pléniers qui tentent de maintenir leur « contrôle » sur le Trésor public. L’un est un comité des subsides et l’autre, un comité des voies et moyens. Ainsi, l’un examine les dépenses et l’autre se charge de l’augmentation des impôts. C’est une pratique très complexe, mais très normale dans les Parlements modernes.

J’ai entendu à maintes reprises que les réformes proposées sont les plus importantes dans l’histoire de la fiscalité. C’est ce que j’ai lu et entendu à maintes reprises. Je ne sais pas si c’est vrai, mais disons que je considère cela comme un fait pour la discussion.

Je demande donc si vous pouvez me dire de quelle façon une décision de ce genre est prise dans cette grande aventure de la réforme fiscale. Pouvez-vous me l’expliquer un peu? L’ARC n’est plus un ministère. À une certaine époque, il y avait le ministère du Revenu national, mais je pense que l’ARC est devenue une agence il y a environ 20 ans. Les personnes comme nous qui auraient préféré que la vieille structure de la fonction publique soit maintenue ont été nombreuses à l’époque à exprimer leurs préoccupations.

Comment une décision pourra-t-elle être prise prochainement alors que nous amorçons le plus important remaniement ou la plus grande réforme du régime fiscal de l’histoire, et qui prendra la décision?

M. Marsland : Je pourrais contester cette affirmation. Je ne nie pas que ces propositions sont importantes, mais je pense que nous avons peut-être procédé à deux véritables réformes fiscales au pays, dont l’une à la suite du dépôt en 1966 du rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, la Commission Carter, qui a mené à la mise en place du système actuel au moyen de la loi de mise en œuvre qui a suivi. En fait, les règles qui régissent les investissements passifs en faisaient partie, mais la réforme comprenait bien plus que l’imposition des investissements passifs.

De plus, je me rappelle que d’importantes modifications fiscales ont été apportées à la fin des années 1980 et au début des années 1990. De quelle façon ces décisions ont-elles été prises? La façon de procéder est la même que celle qui est adoptée pour l’élaboration des autres politiques publiques dans notre système: des ministres sont élus, des fonctionnaires leur donnent des conseils et des décisions sont prises.

La sénatrice Cools : Je comprends parfaitement la situation à laquelle vous faites allusion, mais j’ai également vu comment la TPS a été mise en œuvre. C’était une taxe inédite à l’époque.

Je garde le reste pour un autre jour. Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Messieurs, j’aimerais adopter une approche un peu différente et vous poser une question qui ne porte pas sur les petites entreprises, mais plutôt sur les grandes.

Vous avez dit que le taux d’imposition moyen des sociétés au pays est de 26,7 p. 100. Bien sûr, ce n’est pas ce que payent les petites entreprises, mais c’est le taux moyen auquel on s’attend pour les grandes entreprises d’un bout à l’autre du pays.

Je vais parler de ma bête noire favorite et revenir à la question qui nous intéresse. À titre d’exemple — et elles sont toutes pareilles —, au troisième trimestre, selon les chiffres du neuvième mois, le bénéfice net avant impôt de la Banque Royale a atteint 11,131 milliards de dollars. Son taux d’imposition était de 22,4 p. 100. C’est 4,3 p. 100 en deçà de ce que nous pensons que les sociétés devraient payer en moyenne.

Vous avez dit que ce montant est beaucoup plus élevé dans le système américain. Nous savons que la Banque Royale mène des activités à grande échelle aux États-Unis. Nous savons également qu’elle n’est pas très présente à l’extérieur du Canada et des États-Unis. C’est problématique, et je pense que nous savons en quoi consiste le problème. En anglais, certaines personnes parlent de « Caribbean shuffle ». Nous n’avons pas besoin d’en discuter.

Permettez-moi de vous poser une question. Si l’on vous charge de trouver de l’argent pour le gouvernement, vous pouvez vous en prendre aux petites entreprises du pays pour essayer d’obtenir 250 millions de dollars. Or, si vous trouviez le moyen de soumettre la Banque Royale au taux d’imposition moyen des sociétés, au neuvième mois de l’année en cours, vous obtiendriez 445 millions grâce à cette seule mesure.

Pourquoi ne chassez-vous pas où se trouvent les canards? Comment expliquer que cette situation se poursuit d’année en année sans que rien ne soit fait, alors que vous augmentez au cours de la même année les taux d’imposition des particuliers et que vous vous en prenez sur tous les fronts aux petites entreprises? Pourquoi en est-il ainsi?

M. Marsland : Avec tout le respect, je ne peux évidemment pas formuler de commentaires sur une société.

Le sénateur Tannas : Voulez-vous vous pencher de nouveau sur la question pour voir si vous pouvez comprendre comment nous en sommes arrivés là?

M. Marsland : Dans mon exposé, j’ai parlé du taux moyen fédéral-provincial-territorial pondéré, qui est la moyenne quand on examine les mouvements de population.

Dans le cas d’un particulier, je suppose que le taux prescrit dans la loi s’applique, mais les obligations fiscales ne correspondent évidemment pas toujours au taux prescrit. Cela peut s’expliquer par toutes sortes de raisons, comme la source de revenu et ainsi de suite.

Le ministère examine l’ensemble du régime fiscal. Avec l’appui du ministère budget après budget, le gouvernement présente des propositions qui visent à améliorer le régime fiscal. Ces mesures peuvent se rapporter à tous les aspects du régime fiscal.

Le sénateur Black : Je vais également changer un peu de sujet en vous demandant de formuler des observations sur ce qui constitue, selon mes sources, une conséquence imprévue de vos propositions.

On m’a dit qu’à cause des dispositions sur le transfert de biens entre membres d’une famille, comme en a parlé le sénateur, il est possible qu’une série de candidats payent une taxe sur les transferts qui se situe entre 91 et 93 p. 100. On m’a dit que pour cette raison, certains grands entrepreneurs et créateurs du Canada sont déjà devenus non-résidents. Avez-vous des observations à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Ernewein : Nous avons vu les commentaires d’au moins un cabinet d’avocats qui est de cet avis. Je remets en question le point de vue selon lequel les gens se mettraient dans cette position pour payer le plus d’impôt possible. Dans les grandes lignes, la conjecture, c’est qu’une combinaison de règles aurait ce résultat.

J’ai vu au moins un exemple où, à la suite d’un décès, les règles sur la répartition s’appliqueraient à des actions détenues par une personne qui n’a rien contribué à l’entreprise. Par conséquent, lors d’un décès, il est possible qu’une règle qui considère cela comme un impôt sur les dividendes au taux d’imposition le plus élevé soit appliquée. Comme je l’ai mentionné plus tôt, ce taux pourrait être de 45 p. 100, pour avoir des chiffres à l’appui. De plus, après le décès de la personne, l’entreprise finirait par perdre toute sa valeur, ce qui donne lieu à un autre dividende, auquel le taux de 45 p. 100 s’applique encore.

Premièrement, l’imposition ou non des dividendes au décès de la personne est une question de fait, et ce ne serait pas nécessairement le cas.

Deuxièmement, des dispositions auxquelles j’ai fait brièvement allusion plus tôt permettent d’intégrer les deux impôts payés au décès au moyen d’un seul taux d’imposition.

Pour être juste, on ne sait pas si nos propositions font fonctionner cette intégration ou si nous devons apporter d’autres modifications à cette fin, mais l’intention n’est pas d’avoir la double taxe que vous décrivez. Nous voulons plutôt un seul taux d’imposition.

Le sénateur Black : Merci beaucoup de votre franchise. Il est très important que vous examiniez de nouveau la question, car je peux vous dire que certains des Canadiens les plus riches sont devenus non-résidents à cause de l’interprétation de votre proposition. Ils ne songent pas à prendre cette mesure; c’est déjà fait. Vous pourriez vous pencher là-dessus.

Le président : Monsieur Marsland, auriez-vous l’obligeance de répondre à la question?

M. Marsland : Comme mon collègue l’a mentionné, des problèmes et des questions ont été soulevés pendant la consultation. C’est d’ailleurs l’objectif. Dans la mesure où la proposition pose un problème, nous allons évidemment l’examiner.

La sénatrice Marshall : Je veux parler des recettes estimatives que le gouvernement s’attend à engranger grâce aux trois propositions.

Je sais que le montant est de 250 millions de dollars pour la répartition des revenus, ce qui n’est pas beaucoup, mais il n’y a pas d’estimation pour les deux autres propositions. Je ne comprends pas pourquoi.

Dans les documents budgétaires, il y a une estimation pour tous les changements prévus dans le budget du gouvernement. Quand nous parlions plus tôt du revenu passif, vous avez fourni des renseignements concernant 40 000 entreprises qui déclarent des revenus de placement.

Pourquoi n’y a-t-il pas d’estimation des recettes prévues à la suite de la mise en œuvre des deux autres propositions?

M. Marsland : Permettez-moi de commencer par la troisième. Comme nous en avons discuté aujourd’hui, c’est dans la nature d’une mesure d’intégrité. Cela se rapporte à une règle dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Nous savons que des personnes voulaient la contourner ou ont réussi à le faire. La proposition vise donc à renforcer la règle.

D’un budget à l’autre, vous verrez des mesures apparaître lorsqu’il est souvent difficile de déterminer l’incidence sur les recettes à défaut de nécessairement voir le nombre de transactions qui pourraient être structurées ainsi. Il n’est pas toujours possible, et c’est vrai dans ce cas-ci, de fournir une estimation des recettes.

La sénatrice Marshall : Parlons-nous de millions ou de milliards? Il doit y avoir une estimation ou une entente visant les recettes supplémentaires. Je ne peux pas m’imaginer que le gouvernement présente des propositions en n’ayant pas la moindre idée des recettes qui en découleront. C’est une mesure d’augmentation des recettes. On doit donc avoir une idée du montant qui sera perçu.

M. Marsland : C’est très difficile. En un sens, nous savons que le taux réel des gains en capital diffère de celui des dividendes. Nous savons où se trouve l’incitatif. Nous savons que certaines ententes mises au point permettent d’échapper à un aspect des règles, mais nous ne savons pas dans quelle mesure on y a recours.

Nous savons quel montant est imposé à titre de dividendes et à titre de gains en capital. Nous connaissons donc l’ampleur du problème.

La sénatrice Marshall : C’est louche, et cela me laisse croire que le montant est élevé au point où les gens seront probablement alarmés. Lorsqu’on ne donne pas d’estimation, même si les estimations sont souvent erronées, comme nous le savons, les gens se méfient, ce qui s’ajoute au malaise associé aux propositions.

À long terme, le montant de 250 millions de dollars représente beaucoup d’argent, mais ce n’est pas beaucoup par rapport aux recettes du gouvernement. Je m’attendrais à ce que ce soit versé dans le Trésor, pas dépensé. Cela dit, je crois que les deux autres propositions génèrent beaucoup plus de recettes.

Que prévoit-on faire avec les recettes supplémentaires? Seront-elles dépensées ou serviront-elles à rembourser la dette? Je suppose qu’elles ne serviraient pas à rembourser la dette. Elles réduiraient le déficit. Que prévoit-on faire avec les recettes fiscales supplémentaires? Seront-elles dépensées ou serviront-elles à réduire le déficit?

M. Marsland : Je pourrais peut-être revenir à ce que vous avez dit plus tôt au sujet de l’absence d’estimation pour la troisième mesure. D’un budget à l’autre, on observe une série de mesures d’intégrité. Il n’est pas du tout rare que nous ne donnions pas d’estimation des recettes. Cette mesure vise à protéger l’intégrité de l’assiette fiscale. Nous ne connaissons pas l’ampleur du problème, et je ne pense donc pas qu’il convient nécessairement d’en déduire quelque chose. Il arrive tout simplement souvent que nous gérions ainsi ce que nous appelons des mesures d’intégrité.

Pour ce qui est de l’utilisation des recettes, il revient au gouvernement de décider ce qu’il en est.

La sénatrice Marshall : Cela ne figure pas dans le plan à long terme du ministère des Finances. La décision n’a pas encore été prise.

M. Marsland : Non. Comme je l’ai dit, il revient au gouvernement de décider de l’utilisation des recettes.

[Français]

Le sénateur Pratte : Monsieur Jovanovic, tantôt, en réponse à la question de la sénatrice Moncion, vous avez donné un certain nombre de chiffres concernant le nombre de sociétés qui seraient visées par les changements. Pouvez-vous transmettre les chiffres précis à la greffière?

M. Jovanovic : Oui, cela devrait être possible.

Le sénateur Pratte : Quand vous avez dit que 50 000 entreprises seraient touchées par le fractionnement du revenu, avez-vous aussi les données par tranche de revenu d’entreprise?

M. Jovanovic : Il faudrait que je vérifie ce que nous avons exactement.

Le sénateur Pratte : Les chiffres plus détaillés nous seraient très utiles, parce que le nombre d’entreprises et de compagnies visées représente un enjeu majeur pour nous. Nous voulons savoir si ces mesures visent beaucoup ou peu de monde.

M. Jovanovic : Il faut comprendre que c’est un potentiel. Il est difficile de faire une estimation.

Le sénateur Pratte : Je comprends très bien.

[Traduction]

Je vais poser ma dernière question. Il y avait de nombreuses propositions dans les mémoires que vous ont remis les personnes ou les experts à qui j’ai parlé. Le problème semble lié, surtout pour ce qui est du revenu passif et de la répartition, aux sociétés du domaine des services professionnels. C’est là qu’on a observé une hausse du nombre de sociétés privées sous contrôle canadien. En fait, leur nombre a triplé.

Avez-vous cherché des moyens d’établir une distinction pour les sociétés qui offrent des services professionnels, les services d’un médecin et ainsi de suite, comme certains l’ont proposé, et de cibler directement au moyen de ces mesures ces entreprises ou ces sociétés plutôt que l’ensemble du secteur des petites entreprises?

M. Marsland : Oui, cette approche a été proposée. Pour répondre, je dirais que les questions de neutralité et d’équité qui ont été soulevées s’appliquent ailleurs, à d’autres types d’entreprises, comme une société qui verse des dividendes à un membre de la famille. La même question d’équité s’applique dans ce cas-là.

De façon similaire, en ce qui a trait au revenu de placement passif, cela s’applique autant aux sociétés professionnelles qu’aux sociétés non professionnelles.

Le sénateur Pratte : Je ne sais pas si les chiffres confirment que le raisonnement qui sous-tend la création d’une société privée sous contrôle canadien dans le secteur professionnel pourrait être différent. Les chiffres que vous montrez semblent indiquer qu’un plus grand nombre de sociétés seraient créées tout simplement à des fins fiscales plutôt qu’à des fins professionnelles, pour ainsi dire, dans le secteur professionnel par rapport au secteur des entreprises.

M. Marsland : Comme je l’ai indiqué dans mes déclarations liminaires, je pense qu’il y a un certain nombre de raisons importantes pour se constituer en société, mais la décision d’une personne peut également être motivée par des avantages fiscaux. Je ne crois pas qu’il conviendrait de cibler des professions au moyen de règles d’application générale.

Le président : Monsieur Marsland, je m’adresse à vous pour remercier les représentants du ministère des Finances d’être venus témoigner ce matin. Nous vous sommes reconnaissants des renseignements fournis.

(La séance est levée.)

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