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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 4 juin 2019

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui à 13 h 30 pour étudier la teneur complète du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je m’appelle Percy Mockler, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.

Je veux souhaiter la bienvenue à toutes les personnes ici présentes, ainsi qu’au public de partout au pays qui pourrait être en train de nous regarder à la télévision ou en ligne. Je voudrais rappeler aux auditeurs et aux auditrices que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca.

Je demanderais maintenant à tous les sénateurs de se présenter à tour de rôle, à partir de ma gauche, s’il vous plaît.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, Yukon.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

Le sénateur Dean : Tony Dean, Ontario.

La sénatrice Forest-Niesing : Josée Forest-Niesing, Nord de l’Ontario.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le président : Je voudrais maintenant présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos deux analystes, Alex Smith et Shaowei Pu, qui, ensemble, appuient les travaux du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Honorables sénateurs, une nouvelle personne s’ajoute à l’équipe aujourd’hui. Il s’agit de Mme Ariane Larouche, greffière en formation.

Je vous remercie, madame Larouche, d’être présente aujourd’hui.

Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, nous continuons aujourd’hui notre étude de la teneur complète du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Cet après-midi, nous nous pencherons sur les dispositions modifiant la taxation des produits du cannabis. Je parle de la partie 1h) et de la partie 3, selon le sommaire que l’on trouve dans le projet de loi.

Pour en discuter, nous accueillons Mme Rebecca Jesseman, directrice des Politiques au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances. Par vidéoconférence de l’Université Brock, à St. Catherine’s, en Ontario, nous entendrons Michael Armstrong, professeur agrégé à la Goodman School of Business; enfin, nous entendrons David Clement, directeur des affaires nord-américaines au Consumer Choice Center.

Je remercie infiniment nos témoins d’avoir accepté notre invitation à venir nous faire part de leurs opinions et répondre à nos questions sur le projet de loi C-97. Les greffières m’informent que c’est Mme Jesseman qui prendra la parole la première, puis qu’elle sera suivie de M. Armstrong, puis de M. Clement. Après vos exposés, les sénateurs vous poseront des questions.

Madame Jesseman, la parole est à vous.

Rebecca Jesseman, directrice, Politiques, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances : Bonjour et merci. Le CCDUS est le seul organisme canadien auquel la loi a confié le mandat national de réduire les méfaits attribuables à l’alcool et aux autres drogues au sein de la société canadienne. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de prendre la parole devant vous sur le projet de loi C-97 aujourd’hui. Mes observations seront brèves, et j’ai fourni à la greffière du comité une série de liens vers toutes sortes de ressources, si vous souhaitez les consulter.

Le CCDUS analyse la réglementation sur le cannabis d’une perspective de santé publique, c’est-à-dire dans le but de réduire les préjudices au minimum et d’optimiser les avantages, de favoriser l’utilisation de données probantes et de défendre l’équité. Pour atteindre ces objectifs, il faut accroître la sûreté et la qualité des produits, faire diminuer la consommation en général et particulièrement celle qui présente des risques élevés, puis observer et évaluer l’incidence de la réglementation.

L’idée de taxer les produits en fonction de leur teneur en tétrahydrocannabinol (THC) plutôt qu’en fonction de leur poids est bonne du point de vue de la santé publique et correspond aux recommandations qu’avait présentées le CCDUS au Parlement sur le projet de loi C-45.

Le THC est la composante du cannabis qui cause l’intoxication. Les produits à plus forte teneur en THC sont ceux qui présentent le plus de risques pour la santé et la sécurité. Ces risques comprennent l’intoxication grave, la psychose et l’acquisition d’une tolérance ou d’une dépendance.

De nombreuses études internationales sur l’alcool révèlent que le contrôle des prix, comme la taxation, est l’une des approches les plus efficaces pour réduire les méfaits sociaux et les problèmes de santé. Il est important de souligner que les personnes les plus à risque de souffrir des effets de la consommation d’alcool et de cannabis sont également les plus susceptibles d’être sensibles aux prix. Ce groupe démographique comprend les jeunes et ceux qui consomment du cannabis le plus fréquemment et en plus grande quantité. La taxation en fonction de la teneur en THC permettrait donc de les inciter à consommer des produits à plus faible teneur en THC et de réduire les risques que présentent ces produits pour ces groupes en particulier.

Le CCDUS reconnaît que l’un des objectifs de la loi canadienne sur le cannabis est de perturber le marché illicite. L’atteinte de cet objectif ne doit pas se faire au détriment de la santé et de la sécurité publique. Les Canadiens ont indiqué qu’ils sont prêts à payer des prix plus élevés pour avoir accès à des produits du cannabis légaux, de qualité et dont la composition est connue. En fait, l’Enquête nationale sur le cannabis a révélé que la qualité et la sécurité sont les principaux facteurs pris en considération par 75,8 p. 100 des Canadiens lorsqu’ils décident d’acheter du cannabis, tandis que 37,7 p. 100 d’entre eux affirment accorder plus d’importance au prix.

Le gouvernement et l’industrie devraient tous les deux mettre l’accent sur l’assurance de la qualité. Une guerre de prix avec le marché illicite ne risque que d’encourager la consommation et de la faire augmenter. Il y a particulièrement lieu de s’inquiéter des effets d’une telle guerre sur les nouveaux formats de produit, dont les effets sur la santé sont les moins étudiés.

La taxation en fonction de la teneur en THC n’est qu’un élément d’une approche globale de santé publique pour réglementer le cannabis, une approche qui comprend également les éléments suivants : la prévention et l’éducation, notamment par la diffusion des Recommandations canadiennes pour l’usage du cannabis à moindre risque; la recherche sur les effets de la consommation de cannabis sur la santé et la société, tant positifs que négatifs; le renforcement des normes de contrôle de la qualité; l’évaluation de l’incidence de la réglementation sur tous les ordres de gouvernement; une révision diligente des politiques et des règlements fondée sur les données probantes.

En conclusion, en plus de ces autres considérations de santé publique, le CCDUS favorise la taxation en fonction de la teneur en THC afin d’inciter les consommateurs à choisir des produits de cannabis à moindre risque.

Je vous remercie de nous fournir l’occasion de nous entretenir avec vous aujourd’hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Michael Armstrong, professeur agrégé, Goodman School of Business, Université Brock, à titre personnel : Bonjour et merci de m’avoir invité à venir discuter avec vous aujourd’hui.

Je pense que la modification proposée au calcul de la taxe d’accise applicable aux produits dérivés du cannabis comme les huiles se justifie par deux raisons principales.

Premièrement, ce calcul est plus équitable, en un sens, pour les producteurs et les consommateurs, puisqu’il permet de taxer les produits en fonction de leur forme finale plutôt qu’en fonction de la combinaison des ingrédients qui entrent dans leur composition. Selon les règles actuelles ou antérieures, deux produits finis identiques pourraient être taxés différemment si les producteurs utilisaient des matières premières d’une puissance différente.

Deuxièmement, cette modification aurait pour avantage de simplifier la comptabilité et la gestion des stocks pour les producteurs, puisqu’ils n’auraient pas besoin de savoir exactement quelles matières premières entrent dans la composition de chaque lot de produits lorsqu’ils calculent leurs taxes. En vertu des règles actuelles ou antérieures, les producteurs doivent calculer leurs droits d’accise au moment de la livraison, mais ils doivent savoir quelle quantité de l’ingrédient — le nombre de grammes de cannabis — a été utilisée au début de la phase de production.

Si le comité souhaite se pencher plus largement sur la taxation du cannabis, il voudra peut-être envisager trois autres changements possibles. Le premier viserait les consommateurs de cannabis à des fins médicales. Dans le régime actuel, tous les produits utilisés à des fins médicales sont taxés de la même façon que les produits à usage récréatif, alors que tous les patients qui consomment du cannabis à des fins médicales demandent que ces produits soient exonérés de taxes, comme les médicaments. Un compromis possible serait d’exonérer de taxe les produits à base d’huile et de ne taxer que le cannabis sec. Je fais cette proposition parce que les deux groupes ont des préférences différentes à l’égard des produits. Les utilisateurs récréatifs préfèrent le cannabis sec, alors que les consommateurs à des fins médicales préfèrent l’huile, si bien que l’exemption sélective pourrait être avantageuse.

Le deuxième changement possible serait de simplifier le régime de la taxe d’accise au complet, en établissant, d’abord et avant tout, un seul et même timbre d’accise pour l’ensemble du pays, plutôt qu’il y en ait 13 pour les 13 provinces et territoires différents.

Idéalement, on pourrait même aller plus loin établir une seule formule de calcul de la taxe d’accise qui s’appliquerait partout. Cette modification simplifierait la transformation et la gestion des stocks pour les producteurs, en plus, peut-être, de faciliter le commerce interprovincial.

Troisièmement, vous pourriez vouloir envisager d’éliminer la taxe d’accise minimale qui s’applique au cannabis frais et sec et aux produits à fumer et utiliser exclusivement la formule en pourcentage. Par exemple, à l’heure actuelle, la portion fédérale de la taxe sur la fleur de cannabis est calculée en fonction du montant le plus élevé entre 2,5 p. 100 de la valeur en gros et 0,25 $ le gramme. Ma proposition serait d’éliminer le minimum de 0,25 $ le gramme et d’utiliser uniquement le paramètre de 2,5 p. 100 de la valeur en gros. Encore une fois, cela simplifierait la comptabilité pour les producteurs en plus d’aider l’industrie licite à offrir des produits à prix modique pour concurrencer les produits du marché noir et ainsi gagner les consommateurs les plus sensibles au prix.

Je vous remercie de m’avoir écouté. Je suis tout disposé à répondre à toutes vos questions.

David Clement, directeur des Affaires nord-américaines, Consumer Choice Center : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité. Pour commencer, je souhaite vous remercier sincèrement de m’avoir invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Je m’appelle David Clement, je suis directeur des Affaires nord-américaines au Consumer Choice Center.

Nous sommes un groupe international de défense des droits des consommateurs, et nous représentons les patients et les consommateurs qui favorisent un choix accru, l’innovation et une politique réglementaire intelligente. C’est ce qui m’amène ici aujourd’hui.

Pendant mon exposé, j’aimerais aborder particulièrement deux éléments liés au cannabis dans le projet de loi C-97. Le premier est la partie 1h), qui modifie la Loi de l’impôt sur le revenu pour tenir compte de la réglementation actuelle sur la consommation de cannabis à des fins médicales.

La partie 1h) modifie la Loi de l’impôt sur le revenu de sorte que les nouvelles formes légitimes de cannabis médicinal, les produits comestibles, le cannabis pour usage topique et les extraits soient admissibles au crédit d’impôt pour frais médicaux. Je dirai d’emblée que pour un groupe qui représente les consommateurs et les patients, il est positif que le gouvernement leur accorde un allégement et songe à autoriser de nouvelles formes de cannabis à des fins médicales dans le système de crédit d’impôt. Cependant, bien que cet allégement soit le bienvenu pour les patients, il ne règle en rien le problème de longue date de la taxation du cannabis à des fins médicales.

Comme beaucoup d’autres, nous déplorons vivement la décision du gouvernement de continuer de taxer le cannabis médicinal par la taxe d’accise ou de vente. Ces taxes punissent injustement les patients pour le simple fait d’utiliser les médicaments d’ordonnance qui leur ont été prescrits.

Bien que nous appréciions que les critères d’admissibilité de ce qui constitue une dépense médicale aient été élargis, il serait de loin préférable que le gouvernement exonère carrément le cannabis médicinal, comme les autres médicaments d’ordonnance.

Le deuxième élément que je souhaite aborder est la partie 3, qui prévoit le nouveau cadre de droits d’accise pour les produits comestibles, les extraits de cannabis et le cannabis pour usage topique. Il s’agit en fait du nouveau cadre fiscal fondé sur la teneur en THC et un taux de 0,0025 $ par milligramme de THC. Si on l’ajoute aux taux provinciaux, on obtient 0,01 $ par milligramme de THC.

Le premier problème que pose ce cadre fiscal, c’est que lorsqu’on l’applique au cannabis médicinal, il cible directement un médicament en fonction de son efficacité. Nous disposons de données issues d’une étude récente publiée dans le Journal of Palliative Medicine qui montrent que quand on examine les habitudes de consommation de cannabis à des fins médicales chez les patients atteints du cancer, ils préfèrent les médicaments à haute teneur en THC, puisqu’ils préfèrent la puissance à la quantité.

Pour les patients qui consomment du cannabis à des fins médicales, cela signifie que les produits médicinaux qu’ils préfèrent, ceux qui présentent une plus forte teneur en THC, seront taxés à un taux plus élevé que les produits à plus faible teneur en THC, ce qui les incitera à faire exactement le contraire de ce qu’ils préféreraient.

Il y a ensuite les modifications apportées au taux d’imposition et au cadre qui posent problème. La limite est établie à 10 milligrammes par emballage pour les produits comestibles, si bien que la taxe d’accise appliquée à ces produits sera relativement faible. Elle serait de 0,10 $ pour 10 milligrammes.

Cependant, ce cadre pourrait faire augmenter beaucoup les coûts des produits à usage topique et des extraits pour les consommateurs. Dans un extrait ou un produit à usage topique, la teneur maximale en THC admise dans un contenant est de 1 000 milligrammes de THC. Ainsi, au seuil supérieur, cela signifie que du cannabis pour usage topique à teneur en THC de 1 000 milligrammes qui coûterait 40 $ serait assujetti à un droit d’accise de 10 $, en plus de la taxe de vente. Dans l’exemple d’un produit à 40 $, cela signifie qu’une fois combinées, les taxes feraient gonfler le prix de vente de presque 40 p. 100. Cette taxe prohibitive aura des conséquences néfastes, parce que les Canadiens veulent que le marché licite supplante le marché noir. Nous craignons toutefois qu’une taxation excessive des nouveaux produits à usage topique et des extraits soit telle que la probabilité qu’ils soient achetés en toute légalité soit réduite de beaucoup. Ce pourrait même être contre-productif et faire en sorte que les produits du marché noir non réglementé deviennent plus attirants, ce qui maintiendrait les consommateurs dans le marché noir.

Pour terminer, je pense que la question que nous devons nous poser sur le taux de la taxe d’accise qui devrait s’appliquer au cannabis médicinal est la suivante : notre gouvernement fédéral veut-il rendre le cannabis médicinal réglementé plus ou moins abordable pour les patients qui en ont besoin? Si l’objectif ultime est de rendre les médicaments plus abordables, la taxation des médicaments ne peut être la solution. Merci.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie beaucoup de vos déclarations. Nous parlons aujourd’hui des produits comestibles à base de cannabis, des extraits de cannabis, de l’huile de cannabis et des produits du cannabis pour usage topique. Peut-on déjà se procurer des produits comestibles à base de cannabis? Je pensais que cela avait été reporté.

M. Clement : Ils ne sont pas encore offerts sur le marché.

La sénatrice Marshall : Ils ne sont pas encore offerts sur le marché.

M. Clement : En fait, ils le sont sur le marché illicite, mais pas sur le marché licite.

La sénatrice Marshall : Je parlais du marché licite. Qu’en est-il des extraits de cannabis, des huiles et du cannabis pour usage topique? Ces produits sont-ils déjà offerts sur le marché?

M. Clement : Les huiles, oui, les produits pour usage topique, non, bien qu’ils puissent entrer dans une zone grise, selon la façon dont on définit un produit de cannabis. Il y a des produits à base de CBD pour usage topique qui sont déjà en vente. Leur légitimité entre dans une zone grise à l’heure actuelle. On peut donc dire qu’il y en a et qu’il n’y en a pas actuellement, mais il y a déjà des huiles sur le marché.

La sénatrice Marshall : Ma question porte sur l’accessibilité à ces produits sur le marché à l’heure actuelle ou plus tard, je suppose, pour ce qui est des produits comestibles. Je commencerai par vous, monsieur Clement, parce que vous avez parlé, dans votre déclaration, de l’accessibilité aux produits et du marché noir.

Il y a pénurie de produits du cannabis. Nous le savons tous, parce qu’on en parle dans les nouvelles. Comment pouvons-nous nous assurer que l’offre réponde à la demande?

M. Clement : Je pense que la meilleure façon de nous assurer que l’offre réponde à la demande est de modifier la réglementation de la production, pour qu’elle soit plus comparable à la façon dont les organismes gouvernementaux réglementent la production d’alcool qu’à la façon dont ils réglementent la production pharmaceutique. En ce moment, le marché du cannabis et les producteurs de cannabis sont réglementés comme s’ils produisaient des substances pharmaceutiques, soit de manière très stricte en général. Je pense qu’il y aurait lieu d’assouplir les règles pour leur permettre de vendre leurs produits à plus grande échelle.

Mon collègue ici présent a aussi recommandé de simplifier le régime des droits d’accise. Je pense que cela aiderait beaucoup à accroître la mobilité des produits. À l’heure actuelle, le régime des droits d’accise et les timbres d’accise font en sorte que des produits dont la légitimité est pourtant reconnue ne peuvent être vendus que dans une province en particulier, de sorte qu’ils ne peuvent franchir les frontières des provinces pour répondre à la demande. Je pense que cela aiderait sûrement aussi.

La sénatrice Marshall : Nous ne prélèverons donc pas de taxe tant que ces produits ne seront pas offerts sur le marché.

Madame Jesseman, avez-vous des observations à faire à ce sujet?

Mme Jesseman : J’ajouterais seulement une chose. Je conviens que nous avons beaucoup appris des premiers stades de l’application de la réglementation à ces produits, qui ont été illégaux pendant presque 100 ans. Il me semble indéniable que nous pouvons faire certaines choses plus efficacement. Je soulignerai seulement l’importance de nous assurer que le contrôle de la qualité demeure une priorité.

La sénatrice Marshall : Si l’on calcule les droits d’accise en fonction de la teneur en THC d’un produit, qui détermine quelle est sa teneur en THC? Qui détermine à combien s’élèvera la taxe d’accise? Tout cela est-il facilement vérifiable?

Mme Jesseman : Vous parlez de la teneur en THC d’un produit?

La sénatrice Marshall : Oui.

Mme Jesseman : Cela fait partie des tests requis. La teneur en THC de tous les produits du cannabis, ainsi que leur teneur en CBD doivent être clairement indiquées et donc, mesurées et vérifiées.

La sénatrice Marshall : Merci.

Monsieur Armstrong, avez-vous quelque chose à dire sur l’approvisionnement?

M. Armstrong : Premièrement, concernant les produits à base d’huile... Il y a beaucoup d’écho de mon côté. Est-ce la même chose pour vous?

La sénatrice Marshall : Non, je vous entends très bien.

M. Armstrong : D’accord. Premièrement, concernant les produits à base d’huile, ceux qui sont offerts sur le marché à l’heure actuelle sont des huiles ingérables, c’est-à-dire des huiles qu’on peut avaler ou vaporiser sur sa langue. Les huiles à inhaler au moyen d’une cigarette électronique ne sont pas encore offertes sur le marché.

Pour ce qui est des pénuries, la situation semble assez bonne en ce moment pour l’huile sur le marché licite. L’offre de l’industrie est plus que suffisante pour répondre à la demande. Les stocks sont assez bons. Par contre, il y a une grande pénurie de cannabis sec, de cannabis à fumer. L’industrie produit moins du cinquième des produits nécessaires pour répondre à la demande potentielle au Canada. Actuellement, c’est la principale limite à laquelle se heurte l’industrie licite pour s’accaparer d’une plus grande part du marché et supplanter le marché noir.

Le sénateur Pratte : J’adresse ma question à ceux qui voudront bien m’éclairer sur le sujet. En toute franchise, j’arrive difficilement à m’y retrouver quant à la manière dont le cannabis séché et les produits du cannabis seront taxés. Les produits actuellement offerts sur le marché légal sont assujettis à un droit fixe ou un droit ad valorem. Je ne sais pas trop pourquoi le gouvernement a décidé de se réserver ces deux possibilités. Je ne sais pas quelle est la logique, mais c’est le choix que l’on a fait. Voilà maintenant que pour les nouveaux produits du cannabis, on utilisera un autre système basé sur la teneur en THC.

Il y a peut-être quelque chose qui m’échappe, mais ne serait-il pas plus simple de taxer tous les produits en fonction de leur concentration en THC? Ou peut-être que c’est chose impossible pour une raison que j’ignore?

M. Armstrong : Le régime de taxation pourrait effectivement être aménagé de cette manière. La teneur est un peu plus difficile à quantifier pour les produits secs. C’est ainsi, par exemple, que les emballages indiquent généralement une fourchette de concentration — par exemple, de 10 à 15 p. 100 de THC — car cela peut varier d’une plante à l’autre ou même d’une fleur à l’autre, pour ainsi dire. Je suppose que l’on pourrait utiliser une moyenne pour établir le taux de taxation.

Le sénateur Pratte : J’essaie simplement de trouver une façon de simplifier le tout.

M. Armstrong : Je suis tout à fait favorable à la simplification. Je suggérerais que l’on renonce au taux de base utilisé pour s’en remettre uniquement à une teneur en pourcentage dans le cas du cannabis séché et à la concentration par gramme de THC dans le cas des huiles et des autres produits dérivés.

M. Clement : Il pourrait y avoir une conséquence négative si l’on taxait les produits séchés en fonction de leur teneur en THC. Ainsi, les produits à forte concentration en THC vendus sur le marché noir deviendraient encore plus attrayants qu’ils le sont déjà, car ils seraient en concurrence directe avec des produits assujettis à un taux de taxation plus élevé. Si l’objectif est vraiment d’éliminer le marché noir, ce dont je ne doute aucunement, il faut faire bien attention aux politiques que l’on adopte. Cela dit, je suis certes un partisan de la simplification, car je peux vous assurer que la confusion est souvent au rendez-vous quand qu’on tente de s’y retrouver dans les différentes taxes applicables aux différents produits. Ce serait donc une répercussion néfaste possible qui enverrait un message très clair aux trafiquants du marché clandestin en les incitant fortement à bonifier leur offre de produits à haute teneur en THC.

Le sénateur Pratte : Monsieur Clément, que pensez-vous des motifs invoqués par le gouvernement pour expliquer sa décision de ne pas exonérer le cannabis médical? On fait valoir simplement que les consommateurs n’ayant pas de raison médicale de se procurer du cannabis thérapeutique essaieraient en pareil cas d’obtenir une ordonnance, car le cannabis médical serait beaucoup moins cher.

M. Clement : On m’a déjà rapporté cette justification. On faisait essentiellement valoir que l’exonération du cannabis thérapeutique inciterait les gens à faire la queue pour obtenir leur...

Le sénateur Pratte : Autorisation médicale.

M. Clement : Oui, leur autorisation médicale. Je pense qu’il faut surtout pouvoir s’en remettre à l’intégrité des professionnels de la santé. Je ne crois pas qu’il convienne de taxer tous les consommateurs de cannabis simplement parce quelques-uns d’entre eux agissent de façon répréhensible. C’est ce que je répondrais à ceux qui soulèvent une objection semblable.

Je suis persuadé que cela pourrait arriver. Des gens pourraient essayer de tromper le système afin d’obtenir une ordonnance de cannabis thérapeutique de manière à éviter les taxes. Encore là, tout dépend de la façon dont le marché légal pourra évoluer d’ici un an ou deux quant à sa capacité de répondre à la demande. J’ai l’impression que lorsque ce marché parviendra à maturité, les consommateurs récréatifs seront de moins en moins enclins à se farcir toutes les complications associées à la visite à un médecin, au renouvellement des ordonnances et à l’attente du courrier, alors qu’ils peuvent simplement se présenter en magasin. C’est ma façon de voir les choses.

Le sénateur Pratte : Madame Jesseman, aviez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

Mme Jesseman : Je suis spécialisée en criminologie et pas en économie, si bien que je conviens tout à fait avec vous qu’il faudrait simplifier la méthode de taxation actuelle. Il faut en effet un certain temps pour arriver à s’y retrouver. Je peux toutefois vous dire ce qu’il en est par rapport à notre volonté d’éradiquer le marché noir. Je crois que nous devons nous fixer des attentes raisonnables quant à la facilité avec laquelle nous pourrons éliminer ce marché et aux compromis que nous pourrions devoir faire du point de vue de la santé publique afin de soutenir la concurrence du marché clandestin.

[Français]

Le sénateur Forest : Madame Jesseman, sommes-nous en mesure de voir, des débuts de la légalisation du cannabis jusqu’à aujourd’hui, les parts de marché qui ont augmenté par rapport à une certaine catégorie d’âge? Nous étions beaucoup plus préoccupés par la consommation chez les jeunes âgés de moins de 25 ans. Avez-vous des statistiques qui montrent que la consommation de cannabis a évolué chez cette clientèle?

[Traduction]

Mme Jesseman : Nous avons effectivement des résultats préliminaires qui nous viennent de Statistique Canada pour le premier trimestre de 2019. Ces chiffres indiquent bel et bien une légère hausse de la consommation, mais cette augmentationse manifeste en majorité, chose extrêmement intéressante, au sein des groupes plus âgés que le segment le plus jeune de la population.

Il faut certes préciser qu’il s’agit de données très préliminaires. Il ne faut pas oublier que le marché ne s’est assurément pas encore stabilisé et que l’accessibilité demeure un problème de taille dans la plupart des régions du Canada. Il s’agit tout de même de tendances préliminaires fort intéressantes dont nous allons continuer à suivre l’évolution.

[Français]

Le sénateur Forest : Nous constatons donc que c’est plutôt la clientèle plus âgée, c’est-à-dire les gens âgés de 25 ans et plus, qui a augmenté sa consommation depuis la légalisation; est-ce exact?

[Traduction]

Mme Jesseman : C’est effectivement pour ce groupe d’âge que l’on note surtout une augmentation. Je dois cependant préciser que les jeunes demeurent les plus grands consommateurs. C’est toutefois pour les gens des groupes plus âgés que l’on observe la hausse absolue la plus élevée des taux de consommation depuis la légalisation. Je me ferai un plaisir de transmettre également à votre greffière toute la documentation à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Forest : Il y a la question de la consommation à des fins récréatives et la consommation à des fins thérapeutiques ou médicales. Est-ce que je comprends bien qu’on parle d’associer la taxe d’accise au niveau de THC — plus de trois dixièmes de 1 p. 100? On ne parle pas de la concentration de CBD, qui concerne plutôt l’usage thérapeutique.

Y a-t-il un lien entre la taxe d’accise et le taux de CBD, ou est-ce que la taxe d’accise est uniquement liée au niveau de THC?

[Traduction]

M. Armstrong : La taxe d’accise actuelle est basée sur le nombre de grammes de cannabis sans égard à la teneur en THC ou à la concentration en CBD. Il s’agit de voir quelle quantité de cannabis végétal a été utilisée pour produire le contenu d’un emballage de cannabis séché ou d’une capsule d’huile à ingérer. C’est ainsi que fonctionne le régime actuel. On ne tient pas compte de la présence des deux produits chimiques en question. Le changement proposé pour l’huile ou les produits à ingérer nous amènera à prendre uniquement en considération la teneur en THC.

[Français]

Le sénateur Forest : C’est uniquement le THC qui est pris en compte?

[Traduction]

M. Armstrong : Oui, c’est ce que propose le gouvernement.

[Français]

Le sénateur Forest : Est-ce qu’on y a incorporé une augmentation automatique de la taxe d’accise, un peu comme on l’a fait avec les microbrasseries et les microdistilleries relativement à l’indice des prix à la consommation?

[Traduction]

M. Armstrong : À ce que je sache, aucune augmentation structurée n’est prévue pour ce qui est des taux de taxation. Il est bien sûr toujours possible que le gouvernement apporte des changements à ce niveau.

Le sénateur Forest : Mais rien d’automatique.

La sénatrice Forest-Niesing : Avant de poser la question que j’avais préparée à votre intention, il y a une chose que je voudrais savoir, monsieur Armstrong. En vous entendant répondre tout à l’heure, j’ai eu l’impression que vous n’étiez pas d’accord avec la proposition du gouvernement de taxer le cannabis en fonction de sa teneur en THC. Est-ce que mon impression était la bonne?

M. Armstrong : Non, je crois que cette proposition de taxation en fonction de la concentration en THC est une amélioration par rapport à la règle actuelle qui est simplement fondée sur le nombre de grammes de cannabis végétal se retrouvant dans un produit. C’est un pas en avant.

La sénatrice Forest-Niesing : Cela m’amène à vous demander quelles autres mesures il vaudrait la peine selon vous que nous envisagions?

M. Armstrong : Dans le cas du cannabis séché, celui que l’on peut fumer, je pense qu’il faudrait se débarrasser du taux de taxation de base qui est actuellement fixé à 25 ¢ le gramme au fédéral et à quelque chose comme 75 ¢ le gramme au provincial, suivant les différentes modalités établies dans chaque cas. La taxe d’accise s’élève donc au minimum à 1 $ pour tout produit de cannabis séché.

Ce n’est pas nécessairement une majoration très forte pour un produit à prix élevé comme par exemple 20 $ le gramme. La hausse est toutefois plus significative pour un produit vendu à 10 $ le gramme. Cela devient vraiment problématique si vous essayez d’offrir un produit au prix abordable de 5 $ le gramme dans un effort pour soutenir la concurrence du marché noir. Il devient très difficile pour les producteurs et les détaillants de soutenir cette concurrence si un produit à 5 $ est assorti d’une taxe d’accise d’un dollar en plus d’un autre montant pour la taxe de vente. Dans la mesure du possible, il faudrait renoncer à cette taxe minimum de 1 $ le gramme pour utiliser plutôt un taux de taxation. Ainsi, les produits les plus dispendieux seraient davantage taxés alors que les produits meilleurs marchés le seraient moins. Dans ces circonstances, il deviendrait plus facilement envisageable d’offrir un produit à prix abordable.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci. Y a-t-il d’autres mesures que l’on pourrait prendre pour dissuader les consommateurs d’acheter leur cannabis sur le marché illicite?

Mme Jesseman : Les sondages nous révèlent que les gens sont à la recherche d’un produit de qualité qui est sûr et dont ils connaissent le contenu. Ce sont trois éléments au titre desquels le marché clandestin n’offre aucune garantie. Le cannabis est-il exempt de moisissures? A-t-on utilisé des pesticides? A-t-il la teneur en THC ou en CBD que le consommateur recherche avec indications en conséquence sur l’emballage? Il y a aussi le simple fait que le consommateur souhaite vivre une expérience d’achat en se rendant en magasin pour voir toute une variété de produits et pouvoir discuter avec un vendeur bien informé. Voilà autant d’avantages du marché légal par rapport au marché noir. Je pense que nous devrions mettre en valeur cette expérience d’achat et la qualité des produits offerts dans nos efforts pour inciter les gens à passer au marché légal.

M. Clement : À mes yeux, la problématique se résume en grande partie à trois aspects fondamentaux. Il y a d’abord le prix, un élément sur lequel le taux de taxation influe beaucoup. Il y a aussi bien sûr différents règlements faisant grimper les coûts de production qui ont un effet à la hausse sur les prix. Dans une large mesure, le deuxième facteur, celui de l’accessibilité, ne relève pas du gouvernement fédéral. L’accessibilité est principalement du ressort des provinces et des administrations locales. Ces ordres de gouvernement ont adopté certaines politiques qui apparaissent malavisées pour l’instant, mais ce n’est peut-être pas le moment le mieux choisi pour en discuter.

Le troisième élément est la variabilité de l’offre de produits. Ce n’est pas encore quelque chose que nous avons été en mesure de constater. Nous espérons pouvoir offrir éventuellement aux consommateurs le choix entre une plus grande variété de produits. Malheureusement, le cadre de légalisation prévoyait seulement la mise en vente du cannabis séché et de l’huile en laissant une année pour mettre à la disposition des clients des modes de consommation sensés à être moins dommageables.

Nous espérons que la mise à disposition de ces produits réduisant les méfaits, si je puis m’exprimer ainsi, incitera les consommateurs à opter pour le marché légal en raison du plus large éventail de choix qu’il aura à leur offrir. Plus nous serons en mesure d’offrir sur le marché légal une vaste variété de produits, le mieux ce sera, car il deviendra ainsi d’autant plus attrayant.

La sénatrice Forest-Niesing : C’est tout à fait logique. Merci.

Le sénateur Klyne : Je veux adresser à tous nos témoins une question qui va peut-être nous ramener à certains éléments déjà soulevés. J’essaie un peu de voir comment les choses peuvent se dérouler dans le cas du cannabis thérapeutique. Je suppose que l’on pourrait commencer avec le patient qui va consulter son médecin afin d’obtenir une ordonnance ou simplement pour lui parler d’un problème de santé quelconque. Si le patient le consulte pour obtenir une ordonnance de cannabis, il est possible que le médecin refuse. En pareil cas, le patient peut décider de s’automédicamenter en s’approvisionnant sur le marché noir. Il est également possible qu’un patient décide carrément de s’automédicamenter sans même voir son médecin, ce qui le dirigera également vers le marché clandestin.

Ne devient-il pas un peu compliqué d’avoir accès à du cannabis à des fins thérapeutiques quand on sait qu’il faut obtenir une ordonnance, demander un crédit d’impôt et payer un prix trop élevé. C’est ce qu’on peut constater si l’on est à même de comparer les prix à ceux du marché noir. Je ne sais pas comment s’y prennent les trafiquants sur le marché clandestin. Vendent-ils leurs produits en fonction de leur teneur en THC? Je ne pense pas. Accordent-ils des crédits d’impôt? Cela m’étonnerait. Où est-ce que tout cela va nous mener? Va-t-il y avoir une augmentation de la consommation de cannabis à des fins thérapeutiques et du recours au crédit d’impôt correspondant? De quel ordre sera cette augmentation, le cas échéant? Cette clientèle sera-t-elle plutôt attirée par le marché noir parce que c’est plus simple et que l’on n’exige pas d’ordonnance? Cela dit, il faut rappeler aux gens qui nous regardent qu’il y a également certains problèmes associés à la consommation de cannabis à des fins d’automédication.

Mme Jesseman : Pour que les choses soient bien claires, le marché clandestin ne serait pas le seul choix pour ces consommateurs. Ceux qui décident de passer outre l’autorisation médicale peuvent également s’approvisionner sur le marché réglementé. Il est vrai que la variété de produits est restreinte pour l’instant, mais une gamme plus complète de solutions sera accessible dès le mois d’octobre.

Le sénateur Klyne : Dans un tel cas, il n’y aurait pas de crédit d’impôt? Obtiendront-ils tout de même un crédit d’impôt s’ils s’approvisionnent sur le marché réglementé?

Mme Jesseman : Vous parlez des nouveaux produits qui pourraient être mis en vente? S’ils sont achetés sans autorisation médicale, car c’est ce qui est exigé, plutôt qu’une ordonnance, on ne peut pas réclamer de crédit d’impôt.

M. Clement : On pourrait comparer avec la situation d’une personne qui souffre d’allergies saisonnières graves. Elle peut consulter un médecin pour obtenir un médicament sur ordonnance qui entrerait dans la catégorie des produits pharmaceutiques. Elle peut aussi choisir d’acheter un médicament en vente libre qui ne donne pas droit à un crédit d’impôt.

Les mêmes options s’offrent à un patient qui veut obtenir du cannabis thérapeutique. Il y a donc une question qui se pose. S’il devient trop compliqué pour ces patients d’avoir accès à du cannabis thérapeutique en s’adressant à un médecin, ne risquent-ils pas de s’approvisionner plutôt directement sur le marché du cannabis récréatif, qu’il soit légal ou clandestin. Nous avons pu constater pour notre part que ceux qui consommaient d’importantes quantités de cannabis avant sa légalisation n’ont, pour la plupart, pas fait la transition vers le marché légal, et ce, pour des considérations liées au prix et à l’accessibilité.

Il faut espérer que les consommateurs à des fins thérapeutiques ne se laissent pas guider par les mêmes considérations. Si nous avons dénoncé avec autant de véhémence la taxation du cannabis thérapeutique, c’est en partie au départ parce qu’il est de toute évidence inhumain de punir ainsi ces patients. On ne veut pas non plus les inciter à se livrer à une activité illégale simplement pour obtenir à un prix abordable les produits thérapeutiques dont ils ont besoin.

M. Armstrong : Comme je suis professeur en administration des affaires, je suis parmi vos témoins celui qui a le moins de connaissances médicales. Je dirais simplement que les consommateurs de cannabis semblent apprécier des produits différents selon qu’ils en font un usage thérapeutique ou récréatif. Suivant les données compilées par Santé Canada depuis la légalisation, le cannabis séché compte pour environ 68 p. 100 des ventes sur le marché récréatif. Les consommateurs à des fins récréatives préfèrent généralement fumer le cannabis. Le cannabis séché ne représente que 27 p. 100 des ventes auprès des utilisateurs à des fins thérapeutiques qui préfèrent généralement les huiles.

On peut penser que c’est notamment parce que ces consommateurs souhaitent éviter le dégoût que leur inspire l’obligation de fumer quoi que ce soit. Il y a sans doute aussi le fait qu’ils peuvent ainsi mieux contrôler le dosage. D’après ce que j’ai pu comprendre, la production et la consommation de l’huile de cannabis offrent une plus grande certitude à ce niveau.

Le sénateur Ravalia : En guise de préambule à ma question, je crois qu’il faut reconnaître que le marché noir échappe en grande partie, si ce n’est totalement, à notre contrôle. Je suis préoccupé par l’incertitude qui continue de régner quant aux conséquences à long terme des produits à forte teneur en THC. Tant et aussi longtemps que les études en cours ne nous auront pas fourni d’indications scientifiques précises quant aux risques et aux avantages associés à ces produits, ne devrions-nous pas continuer à miser sur des mesures dissuasives via notre régime de taxation? Comme j’ai pratiqué la médecine jusqu’à tout récemment, je suis particulièrement préoccupé par les problèmes liés à la tolérance, aux épisodes psychotiques et, surtout, à la vulnérabilité des adolescents. J’ai été confronté à des cas dans chacune de ces catégories.

Je ne voudrais pas non plus que nous répétions les erreurs que nous avons commises avec les opioïdes. Lorsque nous avons commencé à prescrire des opiacés pour des douleurs non malignes, nous n’avons fixé aucune limite quant aux doses. Nous nous retrouvons ainsi aujourd’hui avec une grave crise de santé publique qui touche l’ensemble du monde occidental. C’est peut-être une question partiellement d’ordre philosophique, mais j’estime, en ma qualité de médecin, qu’il y a tout lieu de s’inquiéter d’une consommation sans discernement de produits à forte teneur en THC pour obtenir certains effets sans que les conséquences à long terme soient prises en compte.

Mme Jesseman : En bref, je suis d’accord. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je préconise la prudence lorsqu’il est question de concentrations plus élevées de THC. Il faut certes continuer à investir dans la recherche pour en apprendre davantage sur les effets à long terme de ces produits sur la santé de même que sur leurs impacts possibles à court terme, notamment pour ce qui est par exemple des surdoses.

M. Clement : J’ajouterais seulement qu’il faut effectivement faire montre de prudence, car il y a bel et bien des risques que nous devons nous assurer de connaître. Nous devons cependant éviter d’adopter des politiques publiques qui ont comme effet secondaire grave d’inciter les consommateurs à se tourner vers un marché qui ne se préoccupe aucunement de leur santé, pas plus que de leur âge d’ailleurs. Il faut pouvoir miser sur une approche équilibrée si l’on veut réduire ou éliminer complètement l’accès pour les jeunes, car une démarche réglementaire trop sévère aura simplement pour effet de procurer de nouveaux clients au marché noir, lequel ne se préoccupe aucunement de facteurs comme l’âge des acheteurs ou la qualité et l’innocuité des produits vendus.

Nous devons parvenir à ce juste équilibre en veillant à ce que les prix, les possibilités d’accès et la variabilité de l’offre de produits nous permettent de nous assurer que les consommateurs s’approvisionnent sur le marché légal, ont l’âge requis pour acheter du cannabis et sont à l’abri de tous les effets néfastes de la prohibition, l’objectif premier ayant guidé notre pays sur la voie de la légalisation.

M. Armstrong : J’abonderais dans le même sens. Il est difficile de déterminer quel est le niveau de taxation optimal car on souhaite, d’une part, décourager la consommation de cannabis d’une manière générale et, d’autre part, dissuader les gens de s’approvisionner sur le marché clandestin. Si les taxes sont trop élevées, certains seront incités à se tourner vers le marché noir. Je n’ai malheureusement pas de solution parfaite à vous proposer. Il y a des compromis qui doivent être faits.

Il faut également rappeler — ce que certains gouvernements provinciaux et locaux semblent parfois oublier — que la solution de rechange au cannabis légal ne consiste pas à renoncer carrément au cannabis. Pour les gens qui ne peuvent pas obtenir de cannabis sur le marché légal, c’est plutôt le marché noir.

Le sénateur Dean : Merci d’être des nôtres aujourd’hui et de nous permettre d’avoir ces échanges éclairés fondés sur des faits, ce qui n’était malheureusement pas le cas à la même période l’an passé. Quelle différence une année peut faire. C’est merveilleux de pouvoir participer à des discussions semblables.

Madame Jesseman, vous nous avez rappelé le rôle joué par Statistique Canada, et j’estime important que nous nous souvenions tous du travail important d’étalonnage effectué il y a un an par Statistique Canada, Santé Canada et le bureau du directeur parlementaire du budget pour nous permettre de répondre aujourd’hui à certaines questions concernant la façon dont les choses se sont déroulées au cours des trois premiers mois. Je tiens à profiter de l’occasion pour féliciter officiellement Statistique Canada et les autres organisations qui se sont acquittées efficacement de cette tâche.

Sur le marché légal, on nous a parlé d’une division entre les produits thérapeutiques et récréatifs. Que savons-nous des taux de consommation relatifs du cannabis séché et de l’huile? Je crois que ce sont les deux seuls produits actuellement offerts sur le marché légal. Que pouvons-nous observer jusqu’à maintenant quant à la demande pour l’huile de cannabis par rapport au produit séché? Est-ce qu’il y a une tendance qui se dégage?

M. Armstrong : Pour le cannabis récréatif, le cannabis séché représente environ les deux tiers des ventes, et les huiles, un tiers, tandis que, comme je l’ai déjà mentionné, dans le marché médical, c’est presque l’inverse, l’huile représente environ le trois quarts des ventes et le cannabis séché, un quart.

Le sénateur Dean : Donc, dans le cas du cannabis récréatif, c’est deux tiers pour le cannabis séché, et un tiers pour l’huile?

M. Armstrong : Oui.

Le sénateur Dean : Merci. Je vais revenir brièvement sur les facteurs incitatifs et dissuasifs concernant le contrôle des prix. Monsieur Clement, vous nous avez rappelé le rapport sur les prix, l’accessibilité et la variabilité. Ce sont des facteurs clés et si l’on jette un coup d’œil à l’intérieur d’un magasin illégal et ensuite, dans le magasin légal à côté, j’imagine que ce dernier ressemble davantage à un magasin Apple. Il est plus à la fine pointe de la technologie et plus propre, mais il offre une gamme de produits réduite. On peut donc faire un tour dans ces endroits et vérifier cela.

Je vais revenir sur la question des prix et des mesures incitatives. En réfléchissant à la possibilité de taxer en fonction de la teneur en THC — et nous en avons discuté au comité des affaires sociales, et McLellan et Ware ont fait des recommandations à cet égard également, et je suis d’accord avec eux —, nous ne devons pas oublier qu’il y a déjà une différence de prix importante, de sorte que le consommateur de cannabis récréatif illégal qui achète 30 grammes de cannabis séché paie probablement la moitié du prix — s’il demeure dans le marché actuel — qui serait offert dans un magasin de cannabis légal.

Ne serait-il pas sensé, maintenant que nous pensons à ajouter des variables de puissance, de revoir la différence de prix? Ce que nous ne voulons pas faire, c’est ajouter des différences de teneur, des taxes, à une différence de prix. Bien que cette différence soit, comme le dit Mme Jesseman, tolérée en raison de la qualité et de la sécurité des produits, cette tolérance n’est pas sans limites.

Concernant l’idée de taxer en fonction de la puissance, devons-nous examiner l’ensemble du cadre de tarification afin de redistribuer ce supplément et l’orienter vers les produits plus puissants?

M. Clement : Oui. Je crois que vous soulevez un bon point pour ce qui est de réévaluer le régime de taxation dans son ensemble. Cela inclut les divers frais et taxes associés à la production au fédéral. Je crois que nous devrions également inclure ce que font les gouvernements provinciaux sur le plan de leurs taux de taxation. Au Manitoba, par exemple, je pense que la référence, c’est que le cannabis légal est taxé à un taux de 29 p. 100 lorsqu’on tient compte de toutes les taxes.

Il est naïf de notre part de croire que le marché légal peut être concurrentiel dans ce contexte, et je serais certainement ravi que cette question de puissance mène à une réévaluation de la taxation excessive du cannabis en général, à la création d’un modèle de taxation plus intelligent et plus uniforme qui favorise une meilleure concurrence, et il s’agirait également de tenir compte des aspects de la réduction des méfaits dont a parlé ma collègue. Ce serait certainement bien accueilli du point de vue du consommateur, car l’objectif premier ici est d’amener les consommateurs à acheter ces produits légalement, et il nous faut offrir les incitatifs nécessaires à cette fin. Le prix est un énorme facteur à cet égard.

Le sénateur Pratte : Mes questions s’adressent à M. Armstrong.

Vous avez proposé deux choses. Entre autres, il y a l’idée d’éliminer le droit fixe au profit du droit ad valorem pour le cannabis séché. Pourriez-vous nous rappeler les raisons pour lesquelles on avait établi deux régimes de taxation pour le cannabis séché? Quelle était la logique?

M. Armstrong : Je ne connais ni la logique ni les raisons. Je me souviens d’en avoir entendu parler pour la première fois lors d’un discours du premier ministre. Je suppose qu’il s’agissait de s’assurer qu’au moins un montant minimal de recettes soit perçu. Il est possible qu’on voulait avoir un effet dissuasif pour ce qui est des rabais, de produits à prix abordable, mais je ne le sais pas.

Le sénateur Pratte : Si nous nous mettons à la place du gouvernement, s’il suivait votre conseil et éliminait le droit fixe, perdrait-il des recettes?

M. Armstrong : Il perdrait des recettes sur les produits à bas prix, dont certains n’existent pas et seront probablement offerts à mesure que l’industrie légale se développera.

À l’heure actuelle, l’industrie légale n’a pas vraiment à être concurrentielle sur le plan des prix, car l’offre de produits de cannabis séché est si faible que tout ce qui arrive au magasin est vite acheté, généralement, parce que c’est un segment du marché dans lequel il y a assez de consommateurs qui sont ravis de payer plus cher.

Au fur et à mesure que l’offre s’améliorera, à mesure que l’on se rapprochera du consommateur de cannabis moyen qui est plus sensible au prix et qui ne veut pas payer 40 p. 100 plus cher, ou peu importe quelle est la différence de prix, alors il deviendra plus important de pouvoir offrir un produit à meilleur prix et cela fera partie de la concurrence entre le marché noir et le marché légal. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Pratte : Oui. Merci. L’autre chose que vous proposez, c’est d’éliminer les taxes sur les achats d’huiles de cannabis à des fins médicales. Le raisonnement ici, c’est que les consommateurs du marché récréatif et ceux du marché médical sont différents.

Mais si l’on exempte l’huile de cannabis des taxes, y a-t-il un risque que les consommateurs changent leurs préférences seulement parce que l’huile de cannabis coûte beaucoup moins cher?

M. Armstrong : Il y a toujours un risque, mais je crois que les habitudes de consommation seraient suffisamment différentes. Si quelqu’un veut acheter un produit moins cher, il peut passer du cannabis séché à l’huile dès maintenant. Les huiles ont tendance à être moins chères sur le plan de l’argent à dépenser pour obtenir du THC. Les gens veulent la saveur et l’arôme du produit à fumer. Évidemment, cela ne me plaît pas. Il s’agit donc d’un style de consommation différent. J’imagine que c’est comme se demander si les gens passeraient du vin à la bière. Certains le feraient, mais la plupart sont des consommateurs de vin et veulent le goût d’un vin et ne s’intéressent pas vraiment à la bière.

La sénatrice Marshall : Je pose la même question que j’ai déjà posée, mais après avoir entendu tous les témoignages... Qui détermine le teneur en THC? Si la taxe d’accise est liée à la teneur en THC, qui détermine la teneur à des fins fiscales?

M. Armstrong : Le producteur doit tester tous ses produits, de sorte qu’il utiliserait cette donnée dans son système de comptabilité, je suppose.

La sénatrice Marshall : Excusez-moi, mais j’ai manqué la première partie de votre explication.

M. Armstrong : Le producteur est tenu de tester son produit. Comme l’un des autres témoins l’a mentionné, le pourcentage de THC figure sur l’étiquette de tous les produits, et donc, vraisemblablement, le test fait par le producteur serait utilisé pour calculer la taxe.

La sénatrice Marshall : De sorte qu’on peut consulter les dossiers du producteur?

M. Armstrong : Je suppose que c’est ce que veut faire le gouvernement. Je l’ignore.

La sénatrice Marshall : Si le gouvernement le souhaitait. Plutôt que de faire des contrôles, ils pourraient simplement consulter les dossiers? Ou simplement faire des contrôles?

M. Armstrong : J’imagine que comme d’autres types de taxes, on demanderait au producteur de faire le calcul, mais on ferait un genre d’audit pour s’assurer que cela a été bien fait. Parfois, cela veut dire consulter les dossiers et, à l’occasion, tester le produit soi-même, mais je ne connais pas les détails du programme gouvernemental.

La sénatrice Marshall : Merci. Cela répond à ma question.

Le sénateur Klyne : J’essaie de suivre de près la façon dont les choses évoluent depuis la légalisation. Il y a eu quelques erreurs et des retards, des leçons ont été apprises, probablement en ce qui concerne l’offre et la demande, les prix. Cela s’accompagne de frustrations des deux côtés, soit des fournisseurs et des consommateurs, si l’on veut.

Il y a l’usage récréatif et l’usage médical, et on voit maintenant cette nouvelle vague d’autres produits du cannabis — c’est nouveau pour moi en tout cas. J’appellerai cela le marché noir, j’imagine. J’ignore comment cela suit le rythme sur le plan concurrentiel par rapport aux produits de rechange, mais est-ce que les choses se passent bien pour les provinces sur le plan financier?

De plus, au départ, on avait d’énormes préoccupations au sujet des opérations de police, des ressources à investir dans la formation et l’équipement pour ce qui est des gens aux facultés affaiblies. Les choses se déroulent-elles de la façon dont on l’avait prévu en quelque sorte? Ou y a-t-il un peu de désarroi et de frustrations sur tous les fronts?

M. Armstrong : En ce qui concerne les recettes des provinces, elles ne sont pas aussi importantes que, disons, ce que l’on prévoyait il y a un an. C’est presque entièrement parce que les ventes n’ont pas été si bonnes, et c’est parce que l’offre de produits ne comble pas encore la demande. Parce qu’il n’y a pas assez de produits disponibles, il n’y a pas énormément de ventes. Puisque la taxe d’accise et la taxe de vente sont fondées sur le montant des ventes, les provinces sont encore loin d’avoir engrangé autant de recettes qu’elles le pensaient.

Sur le plan des parts de marché, l’industrie légale détient probablement 15 ou 20 p. 100 du marché. Le reste est détenu par le marché noir. Au fur et à mesure que cette proportion augmentera, les recettes des provinces augmenteront.

À l’heure actuelle, certaines provinces font mieux que d’autres. Celles qui ont plus de magasins de vente au détail tendent à avoir une plus grande part de marché. La Nouvelle-Écosse détient probablement une part de marché de près de 30 p. 100, car elle possède un assez bon réseau de magasins. C’est la même chose à l’Île-du-Prince-Édouard et en Alberta, tandis que l’Ontario, jusqu’à tout récemment, n’avait pas de magasins de détail, de sorte que sa part de marché est très faible et bien inférieure à la moyenne nationale.

Mme Jesseman : Je vais parler un peu des répercussions sur les activités de la police. Il y a certainement eu des répercussions budgétaires sur la formation visant à repérer les conducteurs aux facultés affaiblies. Je sais qu’un grand nombre de services de police n’ont pas acheté les dispositifs de contrôle en raison des coûts, de sorte qu’il y a certainement une incidence sur les ressources.

Je voulais également parler de la stabilisation du marché, des prix de détail et des recettes générées. Je crois qu’il est important de comprendre que les prix ne seront jamais aussi élevés qu’ils le sont maintenant, et qu’à mesure que le marché se stabilisera et que la concurrence s’accroîtra, ils diminueront. Il est important de garder cela en tête également lorsque nous parlons de réévaluer le système de prix.

M. Clement : Je ne crois pas avoir grand-chose à ajouter, mis à part concernant la question de savoir si les provinces font de l’argent avec cela. Il y a des preuves anecdotiques d’une province à l’autre que leurs modèles de distribution ne génèrent pas de profits. Cela s’explique en partie par les ventes, comme l’a mentionné M. Armstrong, et en partie par le cadre dans lequel elles mettent en place la distribution — public par rapport à privé ou mixte. Encore une fois, ce sont des discussions distinctes qui ne relèvent pas de la compétence du gouvernement fédéral.

Il y a certainement des provinces qui essuient de lourdes pertes, du moins dans l’immédiat, comparativement aux recettes qu’elles prévoyaient générer.

Le sénateur Klyne : Je n’étais pas là l’an dernier pendant tout le grand débat. Je crois comprendre qu’il était rigoureux.

Est-ce que pour le facteur dominant concernant l’objectif d’encadrer ce marché et de l’enlever des mains des vendeurs illégaux, on tenait compte des recettes? Si l’industrie légale ne détient qu’entre 15 et 20 p. 100 du marché, gagnent-ils pour ce qui est de retirer cela des mains des vendeurs illégaux et des jeunes, par exemple?

Mme Jesseman : J’aimerais préciser que générer des recettes n’a jamais fait partie des objectifs de la Loi sur le cannabis. En fait, le gouvernement canadien a beaucoup de mérite à cet égard, à mon avis, car c’est quelque chose que nous avons vu aux États-Unis. Donc l’objectif de la légalisation n’est pas d’accroître le nombre de consommateurs. Nous ne cherchons pas à accroître le nombre de consommateurs ou le taux de consommation. J’aimerais le souligner d’entrée de jeu.

Cela étant dit, pour ce qui est des objectifs, il s’agit d’établir un équilibre plutôt délicat entre la protection de la santé publique, par exemple, par la réduction de la consommation chez les jeunes, et la protection de la sécurité publique en réduisant la portée du marché illégal.

Le sénateur Klyne : Sommes-nous sur la bonne voie à cet égard?

Mme Jesseman : Il est trop tôt pour le dire. Il nous faut vraiment attendre que le marché se stabilise davantage. Nous ne pouvons pas nous attendre à rivaliser avec le marché illégal dès le départ. Ceux qui ont des voies d’approvisionnement bien établies ne rompront probablement pas ces voies rapidement ou facilement. La transition vers le marché réglementé se fera graduellement.

Le sénateur Klyne : Je crois qu’il y a eu beaucoup de « nous ne savions pas ce que nous ne savions pas », et qu’il en sera ainsi pendant un certain temps encore.

M. Armstrong : De 15 à 20 p. 100, c’est une première étape. Avant la légalisation, la consommation de cannabis à des fins médicales était la seule qui était légale, ce qui représente moins de 10 p. 100 de l’ensemble du marché du cannabis. On pourrait donc dire que nous avons doublé la part légale du marché jusqu’à maintenant, mais il reste beaucoup de chemin à faire.

Les prochaines parts de ce marché viendront à mesure que les producteurs amélioreront leur processus et qu’ils fourniront plus de produits finis aux détaillants. Par la suite, cela devient une concurrence directe. Une fois qu’on a assez de produits, alors on est en concurrence. Comme certains des autres témoins l’ont dit, le prix est-il concurrentiel? Y a-t-il une assez grande variété de produits? A-t-on tous les différents produits comestibles que veulent certains consommateurs? A-t-on suffisamment de magasins pour desservir le marché?

Tout ce qui s’est passé dans l’autre industrie deviendra réalité et prendra de l’importance dans l’industrie du cannabis légal par rapport à l’industrie illégale. Il nous reste probablement de six mois à un an avant que cela ne commence à devenir important. Pour l’instant, nous avons juste besoin de plus de produits.

M. Clement : S’agissant d’une plus grande diversité de produits, nous aimerions bien que le gouvernement fédéral réglemente l’industrie pour lui permettre d’être plus dynamique, c’est-à-dire de déceler les problèmes et d’y réagir plus rapidement. Dans le public, des voix signalent ou prédisent beaucoup de ces erreurs, et il en survient effectivement. Le gouvernement est particulièrement lent à modifier les règlements ou il prend effectivement des décisions stériles, par exemple le nouveau règlement sur la production, qui rebute les nouveaux producteurs.

D’après nous, ça ne fait que décourager la concurrence et la diversification de l’offre et s’ajouter à certaines des complications dont nous avons déjà discuté.

[Français]

Le sénateur Forest : Vous venez de nous dire, monsieur Clement, que plusieurs erreurs ont été commises, et que cela pose des difficultés pour ce qui est de l’arrivée de nouveaux fournisseurs sur le marché. Ai-je bien compris?

[Traduction]

M. Clement : Oui.

[Français]

Le sénateur Forest : Au Québec — je n’ai pas cette information pour les autres provinces et territoires —, on a constaté une rupture de stock assez importante dans ce marché où les magasins ont été pris d’assaut. L’objectif ultime n’est pas d’encourager la consommation de cannabis, mais de soustraire cette consommation aux modalités du marché illégal. De toute évidence, s’il n’y a pas de diversité dans les produits et s’il y a rupture de stock, les gens qui consomment du cannabis s’approvisionneront sur le marché illégal. J’ai moins entendu dire récemment qu’on se trouve en situation de rupture de stock, mais est-ce le cas dans l’ensemble du Canada?

[Traduction]

M. Clement : Oui, ce problème se pose partout au Canada, pas seulement au Québec.

Je pourrais certainement m’étendre sur les erreurs fédérales. Le problème de l’offre et de la disponibilité concrète des produits en magasin est généralement uniforme dans l’ensemble du pays, tandis que la taxe d’accise fédérale en pose un qui empêche de remédier à la rupture des stocks ou de réajuster l’offre en fonction de la demande dans les régions.

[Français]

Le sénateur Forest : De quelle façon la taxe d’accise empêche-t-elle de rééquilibrer la diversité de l’offre ou la fabrication de nouveaux produits?

[Traduction]

M. Clement : La taxe d’accise sur le cannabis s’est inspirée de celle du tabac et de ses vignettes. Une fois le produit livré dans la province où il doit être vendu, on lui colle une vignette, qui en empêche la vente à l’extérieur de la province. Dans un marché plus dynamique ou plus ouvert, des détaillants ou des grossistes autorisés — souvent des sociétés d’État de la province — négocieraient des ententes en fonction de la demande dans une région donnée.

La société des alcools de la Nouvelle-Écosse pourrait donc négocier un rééquilibrage de l’offre avec la société ontarienne du cannabis si, par exemple, la demande était plus forte à Toronto et que la Nouvelle-Écosse avait acheté trop d’une souche ou d’un produit. Mais, dans le régime actuel de l’accise, c’est impossible. Le produit arrivé dans une province ne peut pas en sortir.

Ça cause un problème énorme, parce que la réponse à la demande réside uniquement dans le volume. Il faut le volume pour répondre à la demande, mais, aussi, le produit doit être mobile pour s’ajuster à la demande dans toutes les régions du pays. M. Armstrong y a fait allusion dans sa déclaration préliminaire, et je pense que c’est une idée remarquable, pour la réévaluation du régime d’accise et la mobilité interprovinciale des produits.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Armstrong, relativement au cannabis vendu sur ordonnance, des faits anecdotiques font croire que, de plus en plus, il se prescrit des produits renfermant du cannabidiol, du CBD, contre l’anxiété, les troubles de l’humeur, et cetera. Les données que vous surveillez le prouvent-elles ou est-ce que ça se limite encore aux consommateurs de THC?

M. Armstrong : Les rapports mensuels de Statistique Canada et de Santé Canada que j’étudie n’entrent pas, la plupart du temps, dans les détails de la puissance des produits. Les données y sont plutôt agrégées — en kilogrammes, en litres d’huile. Je n’y perçois pas ce niveau de détail.

Mais, anecdotiquement, je sais que des consommateurs de médicaments apprécient les huiles puissantes à forte teneur en cannabidiol. Apparemment, ce produit serait très recherché à des fins récréatives, dans le marché des produits de mieux-être, comme on commence à l’appeler, constitué par des curieux non munis d’une prescription, qui ne cherchent pas non plus la défonce, mais, simplement l’amélioration de leur santé. Ils demandent les huiles riches en CBD, devenues populaires et dont il est difficile d’éviter les ruptures de stock, tandis que, pour les huiles en général, les stocks ne sont pas trop mal fournis. Les ruptures de stock frappent plutôt les produits à forte teneur en CBD.

Mme Jesseman : En votre qualité de médecin, vous reconnaissez que les allégations santé dont le cannabidiol fait l’objet restent à prouver dans le milieu de la santé.

Le sénateur Ravalia : J’espère que les cinq prochaines années nous fourniront ces preuves. Merci donc.

[Français]

Le sénateur Forest : Madame Jesseman, l’un des objectifs du projet de loi est que les gens qui consomment du cannabis ne s’approvisionnent plus sur le marché illégal. Nous ne voulons pas encourager la consommation, bien sûr, mais ne serait-il pas avantageux de mettre l’accent sur la qualité des produits offerts sur le marché légal par des campagnes de publicité, par exemple? Ne serait-il pas intéressant de porter à l’attention des consommateurs le fait que ce qu’ils achètent au coin de la rue est fort probablement de piètre qualité, alors que les produits achetés légalement sont soumis à des règlements en ce qui a trait aux taux de THC et de CBD? Ne serait-ce pas une bonne façon d’inciter les consommateurs à acheter sur le marché légal plutôt que sur le marché illégal?

[Traduction]

Mme Jesseman : Nous pouvons faire plus que les campagnes de sensibilisation qui ont eu lieu. Par exemple, nous pouvons mieux promouvoir les Recommandations canadiennes pour l’usage du cannabis à moindre risque, qui préconisent notamment la consommation de produits dont on connaît la composition et la qualité. Ça ne s’arrête pas là. Nous travaillons en partenariat avec mes homologues de Santé Canada. Je pense qu’on lancera plus de produits à l’échelon fédéral et je sais que plusieurs provinces préparent aussi des campagnes supplémentaires.

Nous devons aussi reconnaître que les règlements — et je suis d’accord — limitent beaucoup les possibilités de publicité et de promotion des produits du secteur privé. C’est un parti judicieux pour la santé publique, parce que, encore une fois, nous ne voulons pas encourager la consommation.

M. Clement : J’ai un son de cloche supplémentaire. Du point de vue du consommateur, lequel peut coïncider, mais pas toujours — c’est selon la question —, avec celui des responsables de la santé publique, le cadre juridique actuel n’accorde presque pas de place à la publicité du cannabis. Pour assouplir les règles rigides, vous pourriez imaginer un scénario permettant la meilleure information des consommateurs sur les options que la loi leur offre, sur la diversité des produits offerts et sur les produits présentant moins de risques. Ce serait la marche à suivre pour les informer.

L’image de marque et la publicité — dans l’intention originelle de la loi — se comprenaient seulement dans le contexte de la promotion. Mais un puissant facteur d’information intervient ici. Je ne crois pas que le cadre juridique actuel l’autorise ou même le complète ni qu’il permette à l’industrie de renseigner les consommateurs de cette façon.

Visiblement, on pourrait maintenir une promotion raisonnable des produits et de leur consommation, tout en éduquant les consommateurs sur la disponibilité des produits, leur prix et la supériorité du marché légal. Si vous consommez déjà du cannabis, voici telles et telles raisons de se procurer le produit légal. On peut, je pense, modifier les lois régissant la publicité en fonction de cet objectif et pour mieux informer le consommateur.

M. Armstrong : Je suis d’accord. Actuellement, on empêche beaucoup l’industrie de communiquer avec les consommateurs. De plus, même si je rejette la publicité tous azimuts, je préfère néanmoins laisser l’industrie expliquer aux consommateurs, d’une certaine manière, les avantages de l’adoption de ses produits. Par exemple, en voici que vous pourriez préférer à ceux du marché noir; en voici d’autres que vous pourriez aimer. La loi en vigueur accorderait une certaine latitude, si Santé Canada pouvait seulement dissiper la zone grise de ses règlements et de leur interprétation. L’industrie ne sait pas sur quel pied danser. Plus de clarté, peut-être quelques exemples de la publicité informative autorisée, tout ça serait utile.

[Français]

Le sénateur Forest : Pourriez-vous faire parvenir votre argumentaire à la greffière? Cela serait utile dans le cadre de l’étude de ce projet de loi.

[Traduction]

Le président : Oui. Chers témoins, si vous voulez nous communiquer plus de renseignements ou d’observations avant le dépôt de notre rapport à la Chambre, au Sénat, n’hésitez pas à le faire, par l’entremise de la greffière de notre comité.

Avant de conclure, chers collègues, j’ai une question. Nous sommes toujours en territoire inconnu. Il y a environ trois semaines, j’ai eu l’occasion de discuter avec des étudiants, en présence de professeurs de commerce. Ils m’ont posé une question que j’ai promis de poser à mon tour, le moment venu, à des professionnels. J’en ai trois devant moi, qui possèdent aussi de l’expérience et voient où nous allons avec ce produit. Alors, la voici : la distribution et la vente de cannabis seraient-elles plus efficaces entre les mains du secteur privé? Je commence par M. Armstrong.

M. Armstrong : Voilà une question à très grand développement. Il faudrait plutôt se demander si elles sont bien gérées plutôt que si elles devraient l’être par le secteur privé ou le secteur public.

Au Canada, un modèle mixte est en vigueur. Des producteurs privés sont assujettis à une foule de règlements fédéraux et d’autres sont moins privés. La plupart des provinces ont créé un grossiste étatique, et la moitié des provinces possèdent un détaillant privé ou public.

Jusqu’ici, le seul indice que livrent les données est que le caractère privé ou public des boutiques n’a pas autant d’importance que leur accessibilité; c’est-à-dire y en a-t-il assez pour la population? Par exemple, le Québec n’en a pas beaucoup pour sa population relativement importante. Il en a le même nombre que la Nouvelle-Écosse — à peine plus maintenant. En conséquence, les ventes par habitant, sa part du marché sont inférieures à celles des autres provinces.

L’avantage du secteur privé — d’autres témoins y ont aussi fait allusion — est sa tendance à réagir plus rapidement au changement, aux nouveaux renseignements, aux désirs des consommateurs et à pouvoir déterminer des bons produits pour le marché. Les réactions du secteur public sont peut-être plus lentes.

Mme Jesseman : Dans le contexte de la santé publique, gardons à l’esprit que le secteur privé doit rendre des comptes aux actionnaires, tandis que le gouvernement doit le faire au public. Si nous voulons que notre réglementation du cannabis privilégie la santé publique, ce qui, à mon avis, est un objectif louable, nous devons lui donner la priorité sur les profits du privé.

M. Clement : Je réponds par un oui retentissant. Le secteur privé est mieux en mesure d’assurer la vente et la distribution. Bref, il est plus dynamique. Il peut évoluer et s’adapter aux fluctuations de la demande beaucoup mieux que les services de l’État.

Sur l’accessibilité des détaillants, il est juste de dire que les consommateurs, en général, en sont satisfaits, que ces détaillants soient publics ou privés. La différence entre eux est que ceux du privé ne refilent pas leurs pertes aux contribuables. Par exemple, les pertes annuelles de la Nouvelle-Écosse, d’après moi, dépassent les 20 millions de dollars. Le contribuable finira par régler la note. On pourrait aussi avoir un système comme celui de l’Alberta ou un réseau de magasins privés. L’échec de ces commerces ne coûte rien aux contribuables. Plus motivés à réussir, ils sont plus attentifs au consommateur et ils pratiquent des prix plus concurrentiels.

Voilà.

Le président : Merci. Chers témoins, nous sommes près de lever la séance et je tiens à vous remercier pour vos opinions et vos observations très instructives et très éclairantes.

Chers collègues, demain, à 14 heures, nous accueillons le ministre des Finances du Canada.

(La séance est levée.)

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