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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 26 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd’hui, à 14 h 30, afin d’examiner la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis, dans la mesure où il concerne les frontières du Canada; et, à huis clos, pour l’examen d’un ordre du jour provisoire (travaux futurs).

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue au comité de la sécurité nationale et de la défense. Avant d’attaquer, je voudrais demander à mes collègues de bien vouloir se présenter, en commençant par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Sénateur McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de Colombie-Britannique.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.

La présidente : Cet après-midi, nous poursuivons notre examen de la teneur du projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis, dans la mesure où il concerne les frontières du Canada. Pendant la première partie de notre réunion, nous sommes heureux d’accueillir Me Lorne Waldman, avocat spécialisé en droit de l’immigration, qui n’en est pas à sa première comparution devant le comité. Maître Waldman, nous allons écouter vos remarques liminaires, puis vous poser des questions. Bienvenue.

Lorne Waldman, avocat, à titre personnel : Merci. Ce n’est pas tous les jours que le greffier d’un comité m’envoie une transcription en me disant que le comité aimerait bien que je vienne présenter mes commentaires. J’ai bien sûr lu attentivement la transcription et j’ai quelques commentaires à ce sujet.

On constate à la lecture de la transcription qu’il y a deux points de vue. Je parle des témoins venus évoquer la situation à la frontière: les responsables américains, puis l’avocat, puis les responsables canadiens. Il en ressort deux points de vue très différents. Les responsables disent qu’il n’y a pas de problème, qu’il n’y a pas de politique officielle exigeant qu’on pose des questions et que les Canadiens ne devraient pas avoir de problèmes à la frontière. Par contre, l’avocat en immigration américain, Me Saunders, indique traiter deux cas par semaine de gens s’étant fait refuser l’accès aux États-Unis après avoir répondu par l’affirmative quand on leur a demandé s’ils fumaient du cannabis. On les considère alors interdits de territoire en vertu de la Loi sur l’immigration qui, comme la loi canadienne, ne nécessite pas de reconnaissance de culpabilité. Si vous admettez avoir commis une infraction au Code criminel, vous êtes interdit de territoire.

Vous avez donc deux points de vue différents.

La question est de savoir s’il y a une divergence. En tant qu’avocat, je m’efforce toujours de rapprocher deux positions. Or, dans ce cas, je dirais qu’il n’y a pas de divergence. Selon moi, il y a une politique officielle: s’abstenir de poser des questions. En fait, je devrais reformuler cette affirmation: il ne semble pas y avoir de politique officielle visant à chercher activement à obtenir des réponses et à interdire d’entrer des personnes admettant avoir fumé du cannabis.

Cela dit, il est manifeste, et ma propre expérience le montre aussi, qu’il existe des fonctionnaires habilités à poser la question et le faisant. Cela entraîne de graves conséquences pour les Canadiens parce que, une fois la loi adoptée, un Canadien peut se voir refuser d’entrer aux États-Unis pour s’être livré à une activité licite au Canada. C’est un problème majeur qu’il faut étudier.

J’aurais quelques commentaires à ce sujet. L’avocat en immigration semblait suggérer que le gouvernement canadien pourrait jouer un rôle officiel en donnant des conseils d’ordre juridique aux Canadiens sur la façon de répondre aux questions à la frontière. Selon moi, ce n’est pas une possibilité. Ce n’est pas à notre gouvernement que revient le rôle de donner des conseils aux Canadiens sur la façon dont ils devraient répondre aux douaniers américains si on leur demande s’ils fument du cannabis.

Si je comprends bien, la suggestion de l’avocat américain est de ne pas répondre à la question, de faire demi-tour et de repartir, parce que, si on reconnaît avoir fumé du cannabis, on va se faire refuser l’entrée. Il suggère donc de dire « Je ne répondrai pas à cette question », de faire demi-tour et de revenir en espérant que, la prochaine fois qu’on essaiera de franchir la frontière, on ne se fera pas poser la question.

Il me semble qu’il y a des choses que le gouvernement canadien peut et doit faire, même s’il ne peut pas se mêler de fournir des conseils juridiques. Permettez-moi de dire, au passage, que j’ai été un peu déçu par le témoignage des fonctionnaires canadiens. Je dirais que les fonctionnaires du gouvernement canadien ont une obligation envers la population canadienne et qu’elle ne se limite pas à expliquer au gouvernement américain en quoi consiste la nouvelle loi, la légalisation, et pourquoi le gouvernement a choisi cette voie. D’accord, c’est important, mais vu le risque de conséquences graves pour les ressortissants canadiens, le gouvernement canadien se doit d’adopter une position officielle et de l’indiquer clairement au gouvernement américain: « En tant que pays, nous allons légaliser le cannabis. Une fois le cannabis légalisé, nous serions très contrariés si des citoyens canadiens étaient interdits de territoire à vie aux États-Unis pour s’être livrés à une activité parfaitement licite au Canada. » Je rappellerais aux responsables américains qu’ils ont beaucoup à perdre côté tourisme — je suis convaincu qu’il y a quelqu’un ici en mesure de nous dire à combien de dizaines de milliards de dollars se chiffre le tourisme transfrontalier chaque année.

C’est un problème majeur : les Canadiens ne devraient pas être interdits de territoire aux États-Unis pour avoir exercé une activité licite au Canada. Manifestement, le Canada ne peut pas dire aux États-Unis quoi faire. Mais, en tant que pays, le Canada peut et doit présenter aussi fermement que possible sa position officielle en tant que gouvernement.

Il sera licite de fumer du cannabis en petite quantité, au Canada, ainsi que d’être en possession de cannabis; et les Canadiens ne devraient pas être pénalisés. C’est ce que j’attendrais du gouvernement canadien et ce que j’aimerais lui voir faire.

J’aurais une autre remarque. Il n’en a pas été question dans les témoignages, mais c’est une préoccupation dont certaines personnes m’ont fait part. Il s’agit de certains changements apportés aux peines maximales dans les projets de loi C-45 et C-46. Ils ont, en matière d’immigration, de graves conséquences qui n’ont peut-être pas été prévues.

En vertu de nos lois sur l’immigration, il est possible de déporter un résident permanent condamné à six mois au moins d’emprisonnement ou encore condamné à une peine d’emprisonnement pour une infraction punissable d’un emprisonnement d’au moins 10 ans. Quand la peine maximale passe à 10 ans — et, à ce que je comprends, elle est passée à 10 ans, voire 14 ans, pour certaines infractions —, l’infraction tombe automatiquement dans la catégorie de la grande criminalité.

Cela se justifie peut-être d’un point de vue de politique publique, mais il est important de mesurer les répercussions de ces changements côté immigration. Par exemple, le passage de 5 à 10 ans pour une infraction de conduite avec facultés affaiblies — et je ne sais plus si c’est dans le projet de loi à l’étude maintenant ou dans C-46 — a de graves conséquences. Désormais, en effet, un résident permanent reconnu coupable de conduire avec facultés affaiblies peut être déporté à la suite d’une première infraction. Je ne pense pas que c’est une conséquence voulue; je pense que le changement obéit à d’autres impératifs de politique publique.

Peut-être le Sénat pourrait-il envisager un amendement clarifiant que le passage de la peine maximale à 10 ans ne devrait pas avoir de conséquences côté immigration. Je pourrais facilement vous soumettre un amendement à cet effet disant, grosso modo, que « l’infraction ne sera pas considérée comme grande criminalité pour ce qui est de l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ». Une fois que c’est classé comme grande criminalité, cela devient un motif d’expulsion pour les résidents permanents.

C’est encore plus important pour les gens qui franchissent la frontière. Si vous avez une condamnation mineure pour conduite avec facultés affaiblies, il est relativement facile d’obtenir un permis d’entrée au Canada; mais si la reconnaissance de culpabilité implique maintenant ce qu’on appelle de la grande criminalité, le pouvoir de délivrer un permis doit venir de bien plus haut et requiert plus de temps. Cela va compliquer le système d’immigration de façon non prévue. Les répercussions sur l’immigration de l’augmentation des peines maximales étaient-elles véritablement recherchées par le gouvernement? C’est selon moi une question qu’il convient de se poser.

J’ai maintenant fini les brefs commentaires que j’avais. J’espère qu’ils ont été utiles.

La sénatrice Jaffer : Merci, maître Waldman, de toujours accepter nos invitations. Parfois, je me dis que vous passez plus de temps ici, à comparaître devant différents comités, qu’à pratiquer le droit. Merci beaucoup de votre présence.

J’ai une question que vous n’avez pas abordée. Elle ne figurait pas dans la transcription, mais c’est quelque chose qui me préoccupe vraiment. Pendant longtemps, j’ai représenté des clients reconnus coupables de possession, de simple possession. Je sais que vous ne pratiquez pas dans ce domaine, si bien que je comprendrais que vous préfériez vous abstenir de commentaires. La ministre ne va pas prendre de mesures pour faire annuler ces déclarations de culpabilité, contrairement à ce qu’envisagent de faire San Francisco et d’autres entités. Qu’en pensez-vous?

M. Waldman : Cela nous ramène au problème à la frontière et c’est une réflexion que je m’étais faite, effectivement, mais que je n’ai pas eu le temps d’aborder dans mes remarques liminaires.

Le Canada et les États-Unis ont des ententes d’échange de renseignement très étroites. Quand un Canadien se présentera à la frontière, le douanier américain sera en mesure d’avoir accès à son casier judiciaire, en effectuant un balayage du passeport. À partir du moment où le casier comporte une déclaration de culpabilité, même pour simple possession de cannabis, le douanier est tenu de refuser l’entrée à la personne, même si, de son propre chef, il n’aura pas posé de questions à ce sujet.

Je pense qu’il y a deux enjeux distincts : que les douaniers américains aient accès aux casiers judiciaires de Canadiens reconnus coupables de simple possession; et savoir s’il devrait exister un mécanisme permettant d’éliminer cette information du casier judiciaire. Selon moi, la seule façon d’y parvenir serait d’établir un processus de pardon qui anéantirait rétroactivement la condamnation pour simple possession.

Je serais en faveur d’une telle mesure. Elle touche à la question pour laquelle vous avez sollicité mes commentaires. En effet, si une personne a été reconnue coupable, les douaniers américains vérifieront le casier judiciaire, la base de données, y verront la déclaration de culpabilité et seront contraints de lui refuser accès, même si cette activité est alors licite au Canada.

La sénatrice Jaffer : Ma seconde question a trait à la Loi sur le précontrôle. Les modifications apportées à la Loi sur le précontrôle par le projet de loi C-23 me dérangent beaucoup, personnellement. En effet, elles contraignent tout voyageur à répondre véridiquement à toute question posée par l’agent de précontrôle. Autrement dit, les Canadiens devront répondre véridiquement aux questions sur leur consommation de cannabis, bien que ce ne soit pas une obligation lors d’un passage à un poste de frontière ordinaire, en voiture. Dans un aéroport, ils seront tenus de répondre.

D’autre part, comme vous le savez pertinemment, si les douaniers américains procèdent à un interrogatoire approfondi, bien qu’il ait lieu sur notre sol, notre GRC ne sera pas nécessairement présente. Quel est votre sentiment à cet égard, notamment pour les gens qui sont des résidents permanents?

M. Waldman : Cela s’appliquera également aux citoyens canadiens. Manifestement, j’aurais bien aimé témoigner sur la Loi sur le précontrôle, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Elle suscite chez moi beaucoup d’inquiétude, notamment dans ce type de situations, parce que les gens vont maintenant être contraignables.

Le conseil donné par le responsable de l’immigration — vous n’avez pas à répondre à la question; faites demi-tour et repartez — ne s’appliquera pas dans les aéroports canadiens, à la suite de cette loi. Les gens seront contraignables et tenus de répondre aux questions. C’est un peu curieux, mais un Canadien en sol canadien sera plus vulnérable qu’un Canadien franchissant la frontière en voiture et se retrouvant sur le sol américain.

C’est donc une véritable préoccupation. Je ne pense pas que les personnes ayant rédigé la loi aient véritablement envisagé ce type de situations, à l’époque où elle a été adoptée. Selon moi, c’est un problème majeur qui rend certains Canadiens très vulnérables. C’est indubitable.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Waldman, de votre présentation. J’aimerais revenir sur la question du précontrôle et des douanes. La semaine dernière, notre comité a accueilli des représentants de l’agence des services frontaliers américains ainsi qu’un avocat de Washington. On nous a dit, selon ma compréhension, que si notre veston porte l’odeur de la marijuana, on ne pourra pas traverser les douanes sans faire l'objet d'une deuxième inspection. Les questions habituelles nous seront posées, mais on nous demandera aussi si on a consommé de la marijuana. Les Américains seront en droit de nous poser cette question et nous devrons y répondre. On est même allé jusqu’à dire que, si on admettait avoir fumé de la marijuana, on risquait fort de ne pouvoir entrer aux États-Unis.

Nombre de Canadiens utilisent maintenant la carte Nexus. Je traverse moi-même régulièrement aux États-Unis en utilisant cette carte. Vous êtes certainement conscient que cela ne prend pas un grand événement pour perdre le privilège de posséder cette carte. Malheureusement, lorsqu’on pose des questions aux représentants du gouvernement en place au Canada, tout ce qu’ils nous disent c’est qu’ils travaillent très fort avec nos voisins américains. Il ne s’agit pas d’une réponse acceptable, deux mois avant l’adoption d’un projet de loi. Les Canadiens veulent des réponses claires.

À titre d'exemple, un camionneur qui transporte du cannabis dans son camion, même s’il lave son camion après sa livraison, ne peut pas se débarrasser de l’odeur complètement. S’il doit aller chercher des oranges en Floride par la suite, il risque fort d’être arrêté aux douanes et il sera retardé de plusieurs heures. Bien des gens travaillent très fort pour que nos frontières demeurent fluides et j’ai bien peur que ce projet de loi ne vienne interférer dans ces efforts. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

Plus tard, nous nous entretiendrons avec le ministre de la Sécurité publique et j’espère qu’il pourra nous donner des réponses. Quand le projet de loi sera adopté, il sera trop tard pour en analyser les conséquences. Je ne crois pas que M. Trudeau accompagnera les gens aux frontières. J’aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

[Traduction]

M. Waldman : Comme je l’ai dit, je comprends que ce soit un sujet de préoccupations. On ne peut pas établir le libellé d’une loi en fonction d’anecdotes montrant que quelques personnes auront des difficultés. Je suis convaincu qu’il y aura des gens qui auront des difficultés. Même à l’heure actuelle, les gens se font poser la question, bien que le cannabis soit illégal et qu’ils risquent d’être interdits de territoire. Quand la possession simple deviendra légale, il est probable que les gens seront plus nombreux à consommer du cannabis et cela deviendra un problème.

C’est pourquoi je pense que le gouvernement devrait aller de l’avant avec la légalisation, mais, ce faisant, il doit parallèlement expliquer clairement aux Américains que la possession est légale au Canada et que le gouvernement canadien estime qu’il est inapproprié pour des citoyens canadiens d’être interdits de séjour en fonction d’une infraction qui est considérée comme une activité licite au Canada.

Je pense que vous avez raison. Le gouvernement du Canada doit être clair et les représentants la semaine dernière ne l’ont pas été suffisamment. Par conséquent, je suis d’accord avec vous. Mais j’estime très certainement que c’est quelque chose que le gouvernement peut et doit faire. J’espère qu’il le fera avant l’entrée en vigueur de la loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Si je vous comprends bien, les Canadiens qui consomment de la marijuana au Canada ne peuvent pas nécessairement le faire après avoir traversé la frontière, même si certains États américains l’ont légalisée. Ce sont là des motifs de plus pour que le gouvernement soit très clair et informe les Canadiens des conséquences de fumer de la marijuana lorsqu'ils traversent les frontières. Pour le moment, tout ce qu’on nous répond c'est que le gouvernement travaille très fort. Cette réponse n’est pas satisfaisante et peut être utilisée dans n’importe quel contexte.

[Traduction]

M. Waldman : Je pense que cela soulève une deuxième question. Quel est le rôle du gouvernement du Canada pour ce qui est de sensibiliser les Canadiens aux conséquences potentielles s’ils franchissent la frontière américaine?

Tous les citoyens ont l’obligation de s’informer des risques associés au franchissement de la frontière, et ce, en tout temps. Les Canadiens doivent savoir qu’il est interdit de transporter toute forme de contrebande à la frontière, et il en va de même pour tout type de drogues, peu importe la frontière. Et que dans certains pays la conséquence est la peine de mort. Les Canadiens doivent le comprendre.

Je ne pense pas qu’il incombe au gouvernement du Canada de sensibiliser les Canadiens sur les conséquences potentielles d’enfreindre la loi dans un autre pays, mais j’estime qu’il incombe au gouvernement d’expliquer à notre voisin du Sud ce qu’est la loi canadienne et de dire clairement que nous estimons que les Canadiens ne devraient pas être pénalisés s’ils s’adonnent à une activité légale. Surtout si, comme vous l’avez dit, cette activité est légale dans une forme ou une autre dans 29 États. J’espère avoir répondu à votre question.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Avez-vous pris connaissance du témoignage de M. Len Saunders, un avocat de Vancouver qui a comparu devant nous la semaine dernière?

[Traduction]

M. Waldman : Je l’ai lu. Oui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Partagez-vous son inquiétude au sujet de la progression du nombre de cas où des gens ont perdu leur exemption ou ont été refusés à la frontière américaine? Est-ce que c’est un élément qui vous préoccupe?

[Traduction]

M. Waldman : L’impression que j’en retire, c’est qu’en tant que pourcentage du nombre de Canadiens qui traversent la frontière, c’est très peu. Cela ne semble pas se produire très fréquemment.

Cela étant dit, il semble y avoir, comme on l’a dit et si je l’ai bien compris, deux occasions où cela se produit par semaine et dont il était au courant. Son cabinet est très occupé. Si j’en fais une extrapolation, il y a probablement des dizaines de Canadiens par semaine qui sont interdits de séjour. Mais lorsqu’on songe au nombre de Canadiens qui traversent la frontière, ce pourcentage n’est pas important.

C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas établir une politique gouvernementale relativement à une situation qui n’affecte qu’un petit nombre de personnes. Toutefois, je répète ce que j’ai dit auparavant, c’est-à-dire que j’estime que le gouvernement a l’obligation de communiquer aux Américains le fait que la simple possession est légale au Canada et que cela nous contrarie lorsque des Canadiens sont bloqués à la frontière pour des activités que nous avons déterminées comme étant légales ici.

Voilà ce qu’il faut leur communiquer. Les Américains en feront bien ce qu’ils voudront, et nous ne pouvons pas les empêcher d’agir. C’est un problème qui existe déjà de toute façon parce que même si c’est illégal, il y a quand même des personnes qui fument et qui possèdent de la marijuana, et lorsqu’on leur pose la question à la frontière, ils sont refoulés. Le problème s’accroîtra une fois que la marijuana sera légale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On prévoit qu’environ 10 000 emplois seront créés dans l’industrie de la marijuana au Canada, englobant les secteurs de la production, de la distribution et de la vente. D’après vous, quelle serait la réaction d’un douanier aux frontières américaines qui demanderait à un travailleur de cette industrie quel est son métier au Canada, et que ce dernier réponde qu’il produit de la marijuana?

[Traduction]

M. Waldman : Je pense que cela peut également poser problème. Si le simple fait de posséder de la marijuana peut permettre l’interdiction de séjour, le fait de reconnaître que vous contribuez à la production de marijuana pourrait également constituer un motif, puisqu’à ce moment-là, vous avez également eu de la marijuana en votre possession.

J’estime que c’est problématique. C’est pourquoi je dis que le gouvernement canadien doit communiquer avec le gouvernement américain et lui dire: « Écoutez, des milliers de personnes seront touchées. Il y a des dizaines de milliards de dollars découlant du tourisme que les Canadiens dépensent chaque année aux États-Unis et nous ne voudrions pas que cela soit remis en cause. Nous voulons que les droits des Canadiens soient respectés. Nous n’estimons pas qu’ils doivent être punis et interdits de séjour en raison d’une activité légale. » Voilà ce que doit être le message.

Je ne sais pas ce que le gouvernement pourrait faire d’autre. On ne peut pas exiger de la part des Américains qu’ils appliquent leur loi de la façon dont nous le voudrions. Tout ce que nous pouvons faire c’est de dire clairement en tant que gouvernement que c’est ce que nous voulons qu’ils fassent. Et, bien sûr, ils prendront leur propre décision en fonction de leurs priorités politiques du moment.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Selon la déclaration de Donald Trump, le gouvernement fédéral américain ne bougera pas face à la légalisation de la marijuana et la décision sera laissée à chaque État. Mais le gouvernement fédéral, dans sa réglementation, maintiendra l’interdiction.

Compte tenu de l’aversion des Américains par rapport à la vente de drogues, que ce soit de la marijuana ou des drogues plus dures, croyez-vous que le Canada sera en mesure de faire bouger les Américains en ce qui concerne ce dossier?

[Traduction]

M. Waldman : Je pense que les relations internationales entre les États sont complexes et que le Canada et les États-Unis font face à l’heure actuelle à de nombreux problèmes, dont le plus important est l’ALENA.

Dans le contexte de ces négociations bilatérales, la question de savoir si les Canadiens devraient être pénalisés ou interdits de séjour aux États-Unis parce qu’ils fument ou sont en possession d’une petite quantité de marijuana ou de cannabis, j’estime que cela devrait faire partie des négociations bilatérales auxquelles s’adonnent le Canada et les États-Unis.

Je pense que les deux pays savent que c’est un enjeu important. Il existe d’autres destinations touristiques en plus des États-Unis. Si les Américains mettent trop de bâtons dans les roues des Canadiens, peut-être songeront-ils à se rendre dans une autre destination soleil plutôt qu’en Floride. Les Américains doivent aussi savoir que leurs intérêts sont en jeu. Je pense que le gouvernement canadien doit le leur expliquer clairement.

Le sénateur Oh : Maître Waldman, je vous remercie d’être là pour nous donner cette excellente information sur les passages transfrontaliers.

La semaine dernière, notre comité a entendu Me Saunders nous dire que la légalisation de la marijuana aura une incidence négative sur les passages transfrontaliers et les précontrôles à la frontière américaine, et plus particulièrement puisque les Canadiens qui admettent avoir consommé de la marijuana pourraient être interdits de séjour de façon permanente aux États-Unis.

Avez-vous les mêmes craintes? Et estimez-vous que, lorsque l’utilisation de la marijuana sera légalisée au Canada, un plus grand nombre de Canadiens seront bloqués à la frontière des États-Unis?

M. Waldman : Évidemment, vous me demandez d’émettre des hypothèses. J’ai en effet entendu parler de cas où des Canadiens ont été interdits à vie d’entrer aux États-Unis parce qu’ils ont admis avoir fumé de la marijuana. Cela se produit à l’heure actuelle même si la marijuana n’est pas encore légale au Canada.

C’est un problème existant, et il continuera d’exister après la légalisation. Y aura-t-il un plus grand nombre de cas après la légalisation? Pour répondre à cette question, je devrais avancer des hypothèses. Tout dépend en fait des politiques du gouvernement américain. Deviendra-t-il plus rigoureux dans son application des lois qui prévoient qu’une personne devient inadmissible si elle admet avoir possédé de la marijuana?

Je pense qu’à ce moment-là le gouvernement du Canada a un rôle à jouer en rencontrant les responsables américains et en leur expliquant clairement que le gouvernement canadien serait très préoccupé par une application plus rigoureuse de la loi.

Si nous communiquons cela et que notre message est bien entendu par les Américains, j’espère que le nombre de cas n’augmentera pas, mais, qu’en fait, il diminuera.

Le sénateur Oh : Me Saunders a aussi brièvement signalé qu’une fois l’entrée en vigueur de la légalisation, les enfants et les jeunes qui ont en leur possession ou qui consomment du cannabis ne feraient pas l’objet d’une interdiction de séjour permanente aux États-Unis, mais que ce sont leurs parents qui pourraient être tenus responsables.

Connaissez-vous cet enjeu? Et, le cas échéant, pouvez-vous nous donner des détails?

M. Waldman : J’ai lu le témoignage de Me Saunders et d’après ce que j’ai compris, c’est que les parents pourraient être tenus responsables du fait que leurs enfants mineurs possèdent de la marijuana et qu’ils pourraient être bloqués à la frontière, même si les enfants ne l’étaient pas. C’est ce que j’ai lu dans son témoignage, et je pense que Me Sanders est manifestement plus au courant de la loi américaine sur l’immigration que moi. Je suis un avocat spécialisé en droit de l’immigration canadienne. Voilà ce que j’en comprends.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie pour votre exposé. J’aimerais poursuivre en fonction d’une question que vous avez soulevée, c’est-à-dire les répercussions sur l’économie américaine s’ils interdisaient aux Canadiens l’accès dans leur pays une fois l’entrée en vigueur du projet de loi C-45.

Manifestement, le gouvernement canadien doit prendre des mesures pour protéger les Canadiens qui chercheront à se rendre aux États-Unis. Estimez-vous que le gouvernement devrait signer un accord avec les États-Unis afin d’éviter que les Canadiens ne soient refoulés à la frontière ou qu’ils n’aient plus le droit d’entrer aux États-Unis? Est-ce faisable?

M. Waldman : Il serait difficile d’en arriver à un accord officiel parce qu’au Canada, par exemple, il y a une disposition dans la Loi sur l’immigration qui prévoit que le fait d’avoir commis une infraction punissable par une période d’incarcération au Canada vous rend inadmissible. Si un citoyen américain entrait au Canada en admettant avoir possédé de la marijuana, on pourrait techniquement lui interdire le droit d’entrer au Canada, et cette interdiction pourrait également être permanente parce qu’il est toujours illégal de posséder de la marijuana au Canada.

Il s’agit plutôt alors d’une question de politique. Il serait difficile d’imaginer comment nous pourrions en arriver à une exemption bien précise comme celle-là. Je pense que cela devrait plutôt prendre la forme d’une politique qui prévoirait tout simplement qu’il faut éviter de poser ces questions aux Canadiens lorsqu’ils traversent la frontière.

Le sénateur McIntyre : Les choses peuvent se compliquer, parce qu’il y a le champ de compétence des États d’une part, et le champ de compétence du fédéral d’autre part, et c’est le gouvernement fédéral qui contrôle la frontière…

M. Waldman : C’est exact.

Le sénateur McIntyre : … et qui applique le droit pénal fédéral. Cela étant dit, j’aimerais ajouter un élément à la question que j’ai posée il y a quelques minutes sur l’établissement d’un accord. Sans accord, que pourrait-on conseiller de faire au gouvernement du Canada?

M. Waldman : Le gouvernement doit communiquer avec les responsables américains et leur expliquer que la possession deviendra légale au Canada à compter d’une date précise, et qu’à ce moment-là, des Canadiens voudront traverser la frontière pour se rendre aux États-Unis, et il se peut qu’ils aient déjà été en possession de marijuana, qui dans certains endroits aux États-Unis et aux termes de la loi fédérale pourrait être illégale, mais que le gouvernement canadien demande à ce que les Américains ne prennent aucune mesure auprès des Canadiens en ce qui touche des activités légales au Canada lorsque des ressortissants canadiens veulent entrer aux États-Unis. Cela devrait se faire sous forme de demande officielle, de gouvernement à gouvernement. Ensuite, ce sera aux Américains de déterminer s’ils sont d’accord avec cette demande et de voir comment ils pourraient y acquiescer.

Au Canada, je m’attendrais à ce que, inversement, si des Américains cherchaient à entrer au Canada, on puisse demander aux agents frontaliers d’exercer leur pouvoir discrétionnaire et d’admettre au Canada des Américains ayant admis avoir eu en leur possession de la marijuana.

Il existe des mécanismes en politique canadienne qui permettraient au Canada d’agir ainsi. Je suppose donc qu’il existe des mécanismes semblables qui permettraient aux Américains de faire la même chose.

Le sénateur McIntyre : Vous nous avez dit avoir lu la transcription des témoignages de la semaine dernière. Vous vous souviendrez alors que les responsables de l’Agence des services frontaliers du Canada et d’Affaires mondiales Canada ont signalé au comité que les autorités américaines ne leur ont donné aucune indication qu’ils changeraient leurs pratiques ou leurs politiques en matière de marijuana une fois que le projet de loi C-45 entrerait en vigueur. La plupart des témoins nous ont dit que les Canadiens devront tout simplement être au fait de la situation lorsqu’ils voudront entrer aux États-Unis.

À votre avis, suffira-t-il d’être plus vigilant pour protéger les personnes d’une éventuelle interdiction à vie?

M. Waldman : Il s’agit là d’une question complexe, surtout si l’on tient compte des enjeux de précontrôle. Je crois que l’avocat américain vous a expliqué, la semaine dernière, qu’aucun avocat ne peut conseiller à quiconque de faire une fausse déclaration. Je dis toujours que c’est une très mauvaise idée de ne pas dire la vérité aux autorités, en tout temps. Par conséquent, si un Canadien se fait poser cette question par un agent d’immigration américain et que sa réponse pouvait être affirmative, il ferait mieux de ne pas y répondre et de revenir au Canada. Je crois que c’est le même conseil que vous avait donné l’avocat en immigration.

Le fait que le représentant canadien ait dit que la politique américaine n’allait pas changer montre bien que nous nous retrouvons dans une sorte de situation ambiguë. À lire le témoignage de la semaine dernière, on peut penser que, de façon générale, les agents américains ne poseront pas la question, mais il se peut aussi que certains la posent. Dans ce cas-là, un Canadien pourrait être interdit de territoire à vie. Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Il me semble que le gouvernement canadien doit en prendre acte et dire: « Voilà la situation. Que va faire le gouvernement américain, étant donné que les touristes canadiens rapportent des dizaines de milliards de dollars aux États-Unis? Qu’allez-vous faire une fois que la possession de marijuana sera légale au Canada — et nous ne voulons pas que tous les Canadiens se fassent refuser l’entrée aux États-Unis après s’être livré à une activité légale? »

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Waldman, je comprends très bien votre point de vue. Il doit y avoir des négociations entre le gouvernement américain et le gouvernement canadien pour expliquer la situation au Canada. Ce n’est pas toujours facile, quand on regarde ce qui se passe actuellement dans d’autres dossiers.

Cela dit, le gouvernement du Québec a commencé à diffuser une publicité télévisée pour expliquer aux adolescents, et aux citoyens en général, que l’utilisation de la marijuana est néfaste pour la santé et qu’il faut être prudent. Le gouvernement qui rédige les lois a quand même une responsabilité, celle d’informer et de sensibiliser les gens. D’ailleurs, le gouvernement du Canada, plus particulièrement le ministère de la Santé, ne s’est jamais gêné pour dire que l’usage du tabac était néfaste pour la santé. J’espère qu’il en fera de même pour la marijuana.

Étant donné qu’il s’agit d’un projet de loi précipité, seriez-vous favorable à ce qu’on le reporte de quelques mois, et même son entrée en vigueur, pour d’abord éduquer et sensibiliser les Canadiens? Lorsque le projet de loi sera adopté, il sera peut-être un peu tard pour éduquer les Canadiens.

Actuellement, je comprends que certaines provinces acceptent d’éduquer leurs citoyens. Actuellement, cela relève de la juridiction provinciale, et on peut aller plus loin, mais les villes s’attendaient à bénéficier de retombées de la vente de la marijuana. Or, on leur dit qu’elles n’en auraient pas. Cela dit, il y a beaucoup de conséquences.

Seriez-vous d’accord pour qu’on reporte d’au moins un an ce projet de loi pour prendre le temps d’éduquer et de sensibiliser les Canadiens? On a beau l’expliquer aux Américains, vous et moi savons très bien qu'une fois arrivés aux douanes américaines, on est pas mal plus nerveux que lorsqu’on arrive aux douanes canadiennes. J’aimerais entendre vos commentaires au sujet du report du projet de loi pour sensibiliser les Canadiens.

[Traduction]

M. Waldman : En ce qui concerne les effets de la marijuana sur la santé, par opposition au tabagisme, cela ne relève pas de mon expertise et je ne me sens donc pas compétent pour dire à votre comité s’il devrait ou pas retarder l’adoption de ce projet de loi, le temps d’informer les Canadiens là-dessus.

Maintenant, s’il s’agit de repousser l’adoption du projet de loi en raison des problèmes à la frontière, je ne pense pas que cela serait utile. Ce qu’il faut, c’est que le gouvernement canadien et ses homologues américains aient un dialogue franc et rigoureux sur les retombées du projet de loi et sur les attentes canadiennes face aux mesures américaines, une fois l’entrée en vigueur de la loi.

Si nous nous apprêtions à faire quelque chose de très controversé et que c’était problématique, comme la légalisation de l’héroïne, là ça serait un problème énorme, mais puisqu’il y a 29 États qui ont déjà légalisé la marijuana sous une forme ou une autre, je ne pense pas que ce soit controversé au point de ne pas pouvoir dire aux Américains « Écoutez, 29 États, chez vous, ont légalisé la marijuana sous une forme ou une autre. La marijuana va être légale au Canada, alors ne vous en prenez pas aux Canadiens pour simple possession. » Voilà ce que nous devons faire, selon moi.

La sénatrice Jaffer : Maître Waldman, vos commentaires sont toujours fort réfléchis, notamment lorsque vous nous dites que notre gouvernement devrait parler aux Américains. Comme vous l’avez précisé, je ne vais pas répéter les sommes d’argent que nous dépensons aux États-Unis. Notre comité se heurte à un problème, vous voyez, car lorsque j’ai fait valoir ce point auprès du représentant, je me suis fait faire la leçon et dire que nous ne pouvions pas dire quoi faire à un autre pays. Ce que vous avez dit me semble tout à fait logique. Mais voilà ce qu’ils ont dit. Comme vous l’avez lu dans la transcription, le gouvernement américain ne va pas changer d’avis, et nos représentants m’ont dit que ce n’était pas à eux de dire quoi faire à un autre pays.

Je comprends votre position et, comme le ministre va comparaître après vous, nous allons le presser de répondre à cette question, mais c’est le problème auquel nous nous heurtons.

M. Waldman : Je crois qu’il est important de préciser que nous ne sommes pas en train de dire quoi faire aux Américains. Nous informons les Américains de la position officielle de notre gouvernement et nous leur demandons d’en tenir compte lorsqu’ils auront affaire à des citoyens canadiens désireux de traverser la frontière et d’aller dépenser des dizaines de milliards de dollars aux États-Unis, en tant que touristes.

Nous disons aux Américains : à vous de décider quoi faire, mais la possession de marijuana sera légale au Canada à telle date. Après cela, en tant que gouvernement, nous vous demandons de tenir compte du fait que ce sera légal lorsque vous traiterez avec des Canadiens aux postes de frontière. » C’est tout ce que nous pouvons faire.

La sénatrice Jaffer : Et le problème prend encore plus d’ampleur, car j’habite en Colombie-Britannique. Lorsque la loi entrera en vigueur, la marijuana sera légale en Colombie-Britannique. Elle est légale dans l’État de Washington. Par conséquent, les habitants de la Colombie-Britannique penseront ne rien faire de mal. Ils iront dans un État où la possession d’une certaine quantité de cannabis est légale, alors qu’au niveau fédéral, c’est illégal. Ce n’est donc pas aussi simple. Les gens ne comprendront pas bien ce qui se passe. Je crois que notre gouvernement devra déployer beaucoup d’efforts pour protéger les Canadiens.

M. Waldman : Vous savez, tout comme il y a eu beaucoup d’efforts qui ont été déployés pour sensibiliser les gens pour qu’ils n’amènent pas de grosses quantités d’argent avec eux lorsqu’ils traversent la frontière, je crois qu’il faudra faire la même chose ici et dire aux Canadiens de ne pas traverser avec de la drogue. Même si c’est légal au Canada, il n’est pas légal, dans la plupart des cas, de transporter de la marijuana entre le Canada et les États-Unis, même une fois que la marijuana sera légalisée ici. Les Canadiens doivent en être informés, et il faut absolument qu’ils comprennent que, même si c’est légal au Canada, cela ne leur permet pas de traverser la frontière avec de la marijuana.

Il serait peut-être judicieux de mettre des pancartes près des postes de frontière pour prévenir les Canadiens. Je ne sais pas. Mais il faut faire des efforts concertés pour informer les Canadiens de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas.

La sénatrice Jaffer : Selon moi, c’est même pire. Je comprends que quand on va dans un autre pays, on se doit de se renseigner sur les lois de ce pays. Et si vous voulez apporter du cannabis, vous devriez connaître la loi. Si vous venez juste d’en fumer, vous devriez être au courant. Mais si vous en avez fumé il y a 10 ans, vous pourriez encore vous faire arrêter en entrant si vous dites la vérité. C’est ça le problème, et c’est là que notre gouvernement doit jouer un rôle actif.

Mais j’ai une autre question à vous poser. Vous nous avez dit que des gens pourraient être renvoyés, car le nombre maximum d’années a changé. Pourriez-vous répéter plus doucement, car c’est quelque chose de très important que nous devons garder en tête.

M. Waldman : D’accord. Selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il existe deux types de motifs d’interdiction de territoire. Tout ressortissant étranger est interdit de territoire s’il a été reconnu coupable d’une infraction équivalente à un acte criminel. Peu importe la peine maximale encourue.

À l’heure actuelle, la conduite avec facultés affaiblies est passible d’un maximum de cinq années, dans la plupart des cas. Si c’est bien cinq ans, vous êtes interdits de territoire. C’est ce qu’on appelle de la criminalité. Mais ce n’est pas grave. Ce que ça veut dire? D’abord, qu’un résident permanent ne peut pas être renvoyé après avoir été condamné pour conduite avec facultés affaiblies et, ensuite, que si quelqu’un est en visite au Canada ou fait une demande de résidence permanente et a été condamné, il sera relativement facile d’obtenir un permis pour y remédier.

Un des changements proposés dans le projet de loi fera passer la peine maximale à 10 ans. Si la personne est condamnée à 10 ans ou plus, cela est considéré comme de la grande criminalité, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et cela s’applique donc aussi bien aux résidents non permanents que permanents. Cela veut dire qu’une fois que ce changement entrera en vigueur, un résident permanent pourrait être renvoyé après avoir été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies.

Cela signifie également qu’il sera plus difficile de faire renverser l’interdiction de territoire pour toute personne désireuse de venir au Canada, car une fois que ce sera considéré comme de la grande criminalité, la personne sera assujettie à des critères d’entrée plus sévères et devra faire appel à des pouvoirs ou des instances supérieurs pour être autorisée à entrer au Canada.

Je pense donc que c’est une conséquence involontaire de certaines des modifications qui visent à accroître les peines maximales et cela aura une incidence négative sur l’immigration. D’après certaines conversations que j’ai eues, je crois même que les agents d’immigration s’en inquiètent, et c’est peut-être le genre de question que vous pourriez poser aux fonctionnaires de l’immigration. Le Sénat pourrait très bien proposer un amendement qui ferait en sorte que, même si l’on augmente les peines maximales prévues par le Code criminel, cette modification ne devrait pas influencer la gravité des infractions dans le cadre de la Loi sur l’immigration. Je ne sais pas si ma réponse vous est utile.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, merci beaucoup, monsieur Waldman.

On constate l’ampleur du problème qui attend de nombreux Canadiens. De voir aujourd’hui si peu de préparation de la part du ministère à négocier ou à discuter avec les Américains, c’est une autre preuve que ce projet de loi a été lancé avec un manque de préparation et une très grande improvisation. La semaine dernière, les gens de trois organisations sont venus témoigner. Il y avait des gens de la GRC, d'organisations internationales et des Services frontaliers. On leur a demandé s'ils avaient adressé une correspondance écrite aux Américains pour soulever ce problème. On a tous été un peu surpris de constater que ce n’était pas le cas. Croyez-vous, effectivement, qu’il n’y a pas eu de correspondance entre le Canada et les Américains?

[Traduction]

M. Waldman : Je ne suis pas au courant des échanges ou des communications entre les Américains et les Canadiens. J’ai lu les rapports de la semaine dernière, et les fonctionnaires ont clairement indiqué qu’ils sont en communication avec leurs homologues américains. Je crois qu’il est important que nous sachions clairement ce qui a déjà été communiqué et ce qu’ils comptent communiquer aux Américains à l’avenir.

Selon moi, il s’agit d’une question extrêmement importante, cependant comme je l’ai dit, il ne faut pas exagérer la situation, étant donné que je ne sais pas le nombre de Canadiens qui traversent la frontière chaque semaine. Il se peut qu’un nombre restreint de Canadiens ait des problèmes à la frontière, mais cela ne veut pas dire que ce sera le cas pour la majorité des Canadiens. Cela étant dit, il faut tout de même porter attention au nombre restreint de Canadiens qui auront des problèmes et trouver une solution.

Comme je l’ai dit, tout ce que nous pouvons faire, c’est de dire aux Américains: « Voici la loi en vigueur au Canada. Nous vous demandons d’en tenir compte dans le cadre de l’application de la loi américaine relative à l’immigration. » Ensuite, ce sera aux Américains de prendre une décision. Lorsque les Américains auront décidé ce qu’ils veulent faire, ce sera à la population canadienne de décider ce qu’elle veut faire. Peut-être que les Canadiens décideront de ne plus aller aux États-Unis si les douaniers américains leur posent une question qui pourrait faire en sorte qu’on leur interdirait d’entrer aux États-Unis pour le reste de leur vie. Les Américains devront décider s’ils souhaitent appliquer une loi qui leur coûtera des dizaines de milliards de dollars en revenus de tourisme.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C’est simpliste de dire aux Canadiens d'aller ailleurs. Certains citoyens ont des habitations et des investissements aux États-Unis. Voyager ailleurs, souvent, c’est deux fois le prix d'un séjour en Floride. Être premier ministre du Canada, je devrais donner comme directive aux Canadiens : s’ils ne vous laissent pas entrer aux États-Unis, allez ailleurs. Les Canadiens doivent payer cette espèce d’improvisation qui aurait dû être préparée avant la légalisation. On aurait dû cerner la problématique parce que vous dites que c’est peut-être un problème qui est un peu amplifié. On ne le sait pas. On le saura au cours des prochaines années. Est-ce qu’on peut avoir recours à cette espèce de simplification volontaire qui pénalisera en quelque sorte les Canadiens?

[Traduction]

M. Waldman : Mais en réalité, monsieur, les Canadiens peuvent être pénalisés maintenant. La légalisation de la possession n’y changera rien. Il y a des Canadiens qui sont bloqués à la frontière des États-Unis en ce moment quand on leur pose la question. Selon les statistiques, de très nombreux Canadiens ont déjà fumé du cannabis à un moment donné dans leur vie ou dans une autre vie, et si un agent américain leur pose la question et qu’ils décident de répondre honnêtement, on leur interdira l’accès aux États-Unis. C’est un problème qui existait avant la légalisation, et c’est un problème qui va demeurer. La différence, c’est qu’en ce moment, il est très difficile pour le gouvernement canadien d’aller dire aux Américains: « Dites, pourquoi pénalisez-vous les Canadiens qui font quelque chose d’illégal au Canada? » Quand ce sera légal, nous pourrons alors dire aux Américains: « Pourquoi pénalisez-vous les Canadiens pour quelque chose de légal au Canada? » C’est un argument beaucoup plus convaincant que ce que nous avons en ce moment.

Le problème avec votre raisonnement, sauf le respect que je vous dois, c’est que je crois que cela ne change rien, car le problème existe déjà. Je pense que nous serons en meilleure posture si la possession simple est légalisée, car nous aurons un argument plus convaincant à présenter aux Américains quant à savoir s’ils devraient pénaliser les Canadiens pour une chose qui est légale au Canada.

Le sénateur Oh : Nous parlons d’aller aux États-Unis. Qu’en est-il de l’inverse — des Américains qui viennent ici? Est-ce qu’ils ont le droit d’apporter librement du cannabis dans notre pays? Est-ce qu’on leur pose la question?

M. Waldman : Les Américains n’ont pas le droit d’apporter du cannabis au Canada. Il est illégal d’avoir du cannabis en sa possession au Canada, en ce moment. Si un Américain admet avoir déjà eu du cannabis en sa possession dans le passé, on pourrait lui interdire l’accès au Canada, et je ne serais pas surpris que cela se soit produit. Je ne serais pas surpris qu’on interdise à des Américains l’accès au Canada pour avoir été trouvés coupables de possession simple. En fait, je sais qu’on a interdit l’accès à des gens, car ils s’adressent à mon bureau. En ce moment, la situation est la même, n’est-ce pas? Si un agent canadien au point d’entrée demande à un citoyen américain s’il a déjà eu du cannabis en sa possession et qu’il répond par l’affirmative, on peut lui interdire l’accès au Canada. Une fois que le cannabis aura été légalisé, ce ne sera plus le cas, car pour interdire l’accès à quelqu’un, il faut que ce soit un crime au Canada. Si ce n’est plus un crime au Canada, on ne pourra interdire l’accès à un citoyen américain pour la simple possession de cannabis.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Waldman, j’aimerais savoir ce que vous pensez de la question des incidences sur les Canadiens qui participent légalement au commerce du cannabis au Canada, mais qui veulent ensuite aller aux États-Unis.

Vous avez lu les transcriptions, et vous savez donc que, la semaine dernière, M. Saunders a appris au comité que l’interdiction d’accès de toutes ces personnes aux États-Unis serait techniquement légale, si ce fait était connu. Ma question est la suivante. Admettez-vous que c’est un risque sérieux pour une personne qui fait légalement le commerce du cannabis au Canada et qui veut entrer aux États-Unis?

M. Waldman : Comme la possession, la participation à la production de cannabis pourrait être problématique, c’est sûr. Il ne fait aucun doute que ce témoignage était juste. J’en conviens. Cela nous amène à la question de savoir ce que le Canada peut faire à ce sujet, et je pense que j’ai exprimé très clairement ce que j’en pense.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une question complémentaire à poser. Je vous ai entendu dire, monsieur Waldman, que si les Canadiens ne veulent pas aller aux États-Unis, ils n’ont qu’à aller ailleurs. Cependant, on doit parfois avoir des visas pour séjourner à l'étranger. On ne peut pas dire aux citoyens d'aller séjourner dans d’autres pays. Il faut faire attention. Je vous recommande de ne pas avoir du tout de marijuana. Si vous fumez de la marijuana et que vous vous rendez en Thaïlande ou au Costa Rica, vous n'aurez pas nécessairement le droit d'y entrer.

[Traduction]

M. Waldman : Les lois d’immigration du Costa Rica ne me sont pas familières. Je pourrais me renseigner pour savoir si l’on peut bannir des gens qui n’ont pas été reconnus coupables, seulement sur la base qu’ils ont admis avoir été en possession de cette substance.

Nous savons tous qu’il est très irresponsable de traverser une frontière avec de la drogue. Alors si des gens le font, ils le font à leur propre risque et pourraient subir d’importantes conséquences.

Quelles pourraient être les conséquences dans des pays que l’on aimerait visiter, autres que les États-Unis? Je ne sais pas. Quelqu’un devrait se pencher là-dessus. Je ne suis pas un expert des lois d’immigration du Costa Rica, alors je ne peux répondre à cette question.

Le sénateur Dean : Merci, maître Waldman. Je veux être certain d’avoir bien compris. Je pense que vous avez été très clair dans vos réponses à la plupart des questions. Vous avez toutefois dit quelque chose il y a quelques instants qui est important et qui devrait susciter l’intérêt de mes collègues. Je crois que vous avez dit que le gouvernement du Canada sera mieux placé pour s’adresser à ses homologues américains à propos de certaines questions de frontière qui ont été mentionnées ici et de réglementation stricte après la légalisation que c’est le cas aujourd’hui. Nous nous trouverons dans une situation où ces activités remises en question seront déjà désormais légales. Ai-je bien compris?

M. Waldman : Oui. C’est maintenant très difficile pour le gouvernement du Canada de dire aux Américains « Ne punissez pas les Canadiens d’avoir fait quelque chose pour lequel ils pourraient, en théorie, être punis au Canada ». Lorsqu’il sera légal de posséder une petite quantité de cannabis au Canada, nous aurons l’autorité morale de dire aux Américains « Écoutez, cela est légal au Canada. En tant que pays, nous vous demandons de ne pas punir les Canadiens pour quelque chose qui est légal au Canada ». En ce moment, il est beaucoup plus difficile de procéder ainsi. Nous pouvons le faire en prévision de la légalisation. C’est ce que l’on devrait faire.

Le sénateur Dean : Merci.

La présidente : Je vois qu’il n’y a plus de question. Maître Waldman, je vous remercie d’avoir comparu aujourd’hui et de nous avoir donné, comme toujours, des réponses franches. Nous vous sommes reconnaissants de nous faire profiter de votre expertise en la matière.

M. Waldman : Merci. C’était un plaisir comme toujours.

La présidente : Chers collègues, la semaine dernière, nous avons entendu des fonctionnaires de l’ASFC, de la GRC et d’Affaires mondiales Canada. Nous n’avons pu obtenir de réponses pour un nombre de questions qui ont été soulevées. Nous sommes donc ravis d’accueillir l’honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Il est accompagné par Trevor Bhupsingh, directeur général, Application de la loi et des stratégies frontalières à Sécurité publique Canada.

Monsieur le ministre, vous avez la parole pour votre allocution d’ouverture. Il y aura ensuite une période de questions. Bienvenue.

L’honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Merci, madame la présidente. Bonjour à tous. Mes excuses pour mon retard. Comme vous le savez, il y avait un débat spécial à la Chambre des communes cet après-midi concernant le peuple Chilcotin de la Colombie-Britannique. Tous les députés étaient là pour être témoins des excuses et de l’exonération. C’était un moment important en Chambre et nous devions tous être présents. On m’a aussi informé que dans une heure, la cloche sonnera pour un vote. Nous avons donc à peu près une heure, madame la présidente.

Je suis ravi d’être de retour et d’avoir l’occasion de vous parler du projet de loi C-45. Je tiens à remercier le comité et ses membres d’étudier attentivement ce projet de loi, surtout étant donné mes responsabilités à l’égard des frontières et de l’application de la loi.

Comme vous le savez, ce projet de loi représente un remaniement important des lois régissant la production, la vente, la possession et la consommation du cannabis au Canada. Le système actuel d’interdiction et de criminalisation a été, au cours des 90 à 100 dernières années, un échec total pratiquement sur tous les plans. L’illégalité du cannabis, comme celle de l’alcool autrefois, n’a pas empêché sa consommation.

Aucune approche différente n’a été envisagée, et ce pendant des décennies, ce qui a mené à l’accumulation de conséquences très négatives. La lutte contre la production, la possession et la consommation de cannabis a occasionné un gaspillage de précieuses ressources et a coûté une fortune à notre pays. J’ai appris, en effet, qu’il en coûte environ entre 2 milliards et 3 milliards de dollars chaque année pour tenter de faire appliquer une loi qui a clairement échoué.

Les condamnations au criminel, qui en ont résulté, ont ruiné la vie de bien des gens, surtout des jeunes. En dépit de cela, on remarque que le taux de consommation de cannabis est supérieur au Canada, surtout chez les jeunes, que dans la plupart des autres pays. Dans bien des cas, il est plus facile pour nos jeunes d’acheter du cannabis que d’acheter des cigarettes ou de l’alcool.

Le système défaillant actuel ne profite à personne, à l’exception d’un groupe, celui des criminels, qui tire d’énormes profits de la vente illégale du cannabis. On estime que c’est entre 6 milliards et 9 milliards de dollars qui se retrouvent ainsi chaque année dans les coffres du crime organisé.

Et parce que le cannabis vendu par les criminels est non réglementé, sa teneur, sa puissance et sa qualité peuvent varier considérablement. De plus, le produit peut être très dangereux. Avec le projet de loi C-45, le gouvernement propose d’adopter une nouvelle approche audacieuse et nécessaire à l’égard du cannabis. Le projet de loi couvre tous les aspects de l’industrie du cannabis. Il reflète les témoignages et l’avis d’experts, d’universitaires, des forces de l’ordre et d’autres intervenants, de même que des parlementaires et des Canadiens en général. Ce projet de loi tient aussi compte de l’expérience d’autres pays qui ont légalisé le cannabis à des fins non médicales.

Comme c’est le cas pour d’autres produits légaux, par exemple l’alcool et le tabac, nous reconnaissons que la consommation du cannabis n’est pas sans risque. À titre d’exemple, nous savons que plus on est jeune au moment de commencer à consommer du cannabis, plus grands sont les risques pour la santé. C’est une raison pour laquelle ce projet de loi repose, en grande partie, sur une politique de tolérance zéro pour les jeunes.

De façon à tenir le cannabis loin de la portée des jeunes Canadiens, le projet de loi C-45 vise à instaurer des règles strictes prônant un emballage et un étiquetage clairs et simples. De plus, la promotion et l’affichage seraient étroitement contrôlés. Tout ce qui pourrait être attrayant pour les jeunes serait interdit.

Le règlement serait accompagné d’importantes sanctions pénales pour ceux qui vendent ou fournissent du cannabis aux enfants, ou qui se servent d’enfants pour commettre une infraction liée au cannabis.

De plus, ce projet de loi aurait pour effet de promouvoir la santé et la sécurité en procurant aux adultes qui choisissent de consommer du cannabis un accès légal à un approvisionnement réglementé qui répond à des exigences strictes en ce qui a trait à la sécurité et à la qualité des produits.

Un marché concurrentiel et légal aiderait à lutter contre la criminalité en éliminant une source majeure de revenus pour les criminels. En effet, comme je l’ai mentionné lors de mon témoignage devant le comité plénier le mois dernier au Sénat, la légalisation du cannabis dans l’État de Washington a réduit la part de marché des criminels de près de 75 p. 100.

Des responsables dans les États de Washington, du Colorado et de l’Oregon ont aussi souligné l’importance d’une campagne précoce d’éducation et de sensibilisation du public. Conformément à ce conseil, le gouvernement informe les Canadiens, les jeunes en particulier, des risques de la consommation du cannabis et de la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Des campagnes d’éducation et de sensibilisation ont déjà été amorcées et demeureront une priorité.

De plus, le gouvernement investira jusqu’à 274,5 millions de dollars sur cinq ans, afin d’appuyer les efforts des services de l’ordre et des services frontaliers pour faire respecter la nouvelle loi sur le cannabis et son règlement, et pour dissuader la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue.

Jusqu’à 161 millions de dollars de cette enveloppe seront consacrés au renforcement de la capacité des formateurs des forces policières, à la formation des agents de première ligne et des agents des services frontaliers pour les aider à reconnaître les signes et symptômes de la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue, à l’intensification de la recherche, au soutien à l’élaboration de politiques et à la sensibilisation accrue du public, tout cela en vue d’assurer la sécurité du public sur nos routes.

À partir de l’enveloppe totale, les provinces et territoires pourront avoir accès à un montant pouvant aller jusqu’à 81 millions de dollars pour augmenter la capacité de formation liée à la conduite avec les facultés affaiblies et avoir accès à des équipements de dépistage de la drogue.

Les fonds restants de 113,5 millions de dollars sur cinq ans vont servir à faire en sorte que le crime organisé ne puisse infiltrer notre système légalisé et à empêcher le cannabis de traverser nos frontières.

Il y a eu beaucoup de discussions concernant les répercussions que le projet de loi C-45 pourrait avoir à la frontière Canada-États-Unis, en particulier. Vous m’avez peut-être entendu aborder ce sujet avec les médias dans le couloir avant mon arrivée.

Le comité a entendu un certain nombre de témoins à ce sujet. Cela va de soi qu’il est toujours illégal de faire l’importation ou l’exportation de cannabis au Canada, et il est important de répéter qu’aux termes du projet de loi C-45, ce sera toujours le cas. En effet, il sera toujours illégal de traverser la frontière dans une direction ou dans l’autre avec du cannabis.

Par conséquent, l’Agence des services frontaliers du Canada continuera le processus de contrôle du cannabis pour les personnes et les marchandises aux points d’entrée. L’ASFC compte faire l’installation de panneaux aux points d’entrée pour aviser les voyageurs qu’ils ne peuvent en aucun cas apporter du cannabis au Canada, que ce soit pour une utilisation récréative ou à des fins médicales. L’ASFC élaborerait un régime de sanctions concernant toute activité criminelle transfrontalière liée au cannabis, et elle investirait dans ses laboratoires pour renforcer sa capacité à suivre l’augmentation de la demande d’analyse de stupéfiants saisis.

En complément de ces mesures, l’ASFC communiquera avec les voyageurs, les intervenants et d’autres acteurs pour les informer des règles touchant le cannabis à la frontière. Cela comprend un rappel à tous les Canadiens que le cannabis et les produits du cannabis sont illégaux selon la loi fédérale aux États-Unis.

Chaque pays a le droit de prendre ses propres décisions d’admissibilité. Les États-Unis ne font pas exception. Nous élaborons nos propres règles, et nous serions grandement vexés si les États-Unis prétendaient nous dire comment gérer notre frontière.

Les Canadiens qui souhaitent entrer aux États-Unis, ou dans tout autre pays, doivent respecter les lois applicables dans ce pays. Il est essentiel de sensibiliser les voyageurs au maintien de l’interdiction du mouvement transfrontalier de cannabis. On atténuera ainsi les risques d’infractions non intentionnelles des lois frontalières ou nationales.

Je vous assure également que mes responsables gouvernementaux et moi-même continuons à avoir des discussions sur le cannabis avec nos homologues américains. J’ai soulevé cet enjeu bon nombre de fois auprès de l’ancien et de l’actuel secrétaire de la Sécurité intérieure. Ce sujet revient dans pratiquement toutes nos conversations. Nos agences transfrontalières et nos représentants respectifs maintiennent un dialogue actif à ce sujet. Nous voulons être certains que les États-Unis comprennent les modifications que nous voulons apporter et, ce qui est tout aussi important, le raisonnement sur lequel elles sont basées.

Nous voulons aussi recenser et réduire autant que possible les inquiétudes concernant l’application de la loi à la frontière. Notre objectif ultime est triple, et je vais conclure avec cela: s’assurer que les voyageurs ont une connaissance des règlements et savent à quoi s’attendre quand ils traversent la frontière canado-américaine; s’assurer que les gens sont traités d’une manière juste, respectueuse et cohérente à la frontière, conformément à la loi; et s’assurer que la circulation transfrontalière légitime des marchandises et des voyageurs est sans entrave dans les deux sens.

Je vous remercie, sénateurs. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

M. Goodale : Je suis heureux d’être accompagné par Trevor qui connaît toutes les subtilités du sujet.

La présidente : Sénateurs, je vous rappelle qu’il y a beaucoup d’intervenants sur la liste pour les questions. Veuillez donc être le plus brefs possible.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre, de votre présence. J’aimerais revenir sur vos propos concernant la vente de marijuana qui perturbera les activités criminelles.

Selon un reportage télévisé ce week-end, le crime organisé fait plus d’argent avec la cigarette de contrebande qu’avec le cannabis. Je voulais faire cette petite parenthèse.

J’aimerais revenir sur la circulation aux frontières. Le Canada déploie beaucoup d’efforts pour améliorer la fluidité aux frontières, notamment au moyen du programme PreCheck et de la carte Nexus. Parmi les témoignages que nous avons entendus, je retiens celui d’un avocat de Washington selon lequel si, pour une raison ou une autre, vous arrivez à la frontière, il se peut qu’on vous pose certaines questions : combien avez-vous d’argent? À quel endroit allez-vous séjourner et combien de temps comptez-vous y rester? Avez-vous fumé de la marijuana? On pourrait tout simplement vous refuser à la frontière parce que vous avez admis avoir consommé de la marijuana. J’ai fait remarquer à ce même avocat que si vous fumez de la marijuana, l’odeur peut rester imprégnée sur votre veston. Si le chien renifleur vous traque, on peut vous retenir à la frontière. On peut demander une deuxième inspection et refuser de vous faire entrer aux États-Unis.

Il y a aussi la question des personnes qui transportent de la marijuana dans un camion, pour une raison ou une autre. Souvent, à la frontière, on exige que le véhicule soit lavé. Par exemple, une personne rapporte dans son camion des oranges de la Floride. Le camion sent la marijuana. On peut demander qu'une deuxième inspection du camion soit effectuée et retenir le conducteur pendant plusieurs heures.

Je comprends que le projet de loi est une chose, mais on a de la difficulté à avoir des réponses claires et « le diable est dans les détails ». Quelles seront les conséquences du projet de loi pour les Canadiens? On nous a dit, il y a quelques minutes, que si les Canadiens ne veulent pas aller aux États-Unis parce qu’ils ont consommé du cannabis, ils peuvent voyager ailleurs. C’est une réponse assez simple surtout quand on sait que bon nombre de Canadiens ont des investissements aux États-Unis en raison de la stabilité économique du pays et de son accessibilité. Souvent les Canadiens sont des « snowbirds » à temps partiel, des citoyens à temps partiel des États-Unis. Allons-nous obtenir des réponses claires? Je comprends qu’il faut respecter les règles, mais j’ai l’impression qu’on nous dit ceci : « les Américains s’acquitteront de leurs tâches et nous, nous remplirons les nôtres ». Cependant, ce n’est pas toujours le cas lorsqu’on traverse aux États-Unis. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Goodale : Sénateur Dagenais, les problèmes que vous évoquez existent déjà aujourd’hui; il y a des personnes qui consomment de la marijuana même si c’est illégal et qui s’approchent de la frontière. Si le garde frontalier du côté américain a des raisons de soupçonner quelque chose, il a le droit, en vertu de la loi américaine, de poser des questions ou d’exiger une deuxième inspection.

Donc, le problème que vous décrivez existe déjà. La question est de savoir si le problème s’aggravera une fois que la loi sera modifiée.

Les Canadiens doivent toujours avoir bien présent à l’esprit qu’en approchant de la frontière, ils se dirigent vers un autre pays où les lois sont différentes et qu’ils doivent respecter ces lois s’ils veulent traverser la frontière. Si vous vous rendez en auto aux États-Unis et que vous fumez de la marijuana à bord de votre véhicule, vous courrez vraiment après une deuxième inspection. Ce serait vraiment fou. Comme ce serait fou d’avoir de la marijuana dans le véhicule, à cause du danger de conduire avec les facultés affaiblies. Si vous vous approchez de la frontière juste après avoir fumé un joint, vous fournissez à l’agent frontalier américain la preuve dont il a besoin pour exiger une deuxième inspection.

C’est pourquoi j’ai dit dans mon exposé préliminaire que nous devons nous assurer que les Canadiens sont très conscients de cela et qu’ils ne devraient pas s’approcher de la frontière américaine d’une manière qui semble suspecte, car, très franchement, ce serait courir après les conséquences.

Les Canadiens doivent savoir que la loi change à la frontière. Ils doivent respecter les lois de l’autre pays.

Ce que certains de nos interlocuteurs du côté américain de la frontière nous ont dit c’est que leur principal souci au sujet de la marijuana ce n’est pas la sécurité, c’est plutôt les files d’attente qui vont causer de la congestion aux points frontaliers. Nous travaillons bien entendu avec les Américains pour prévoir le genre de problèmes qui pourraient survenir et pour comprendre des deux côtés de la frontière ce que sera le protocole pour gérer ces problèmes.

L’important c’est ceci : franchir la frontière dans une direction ou dans l’autre avec de la marijuana, c’est illégal aujourd’hui et ça restera illégal sous le nouveau régime, et les Canadiens ne devraient pas chercher à déjouer les procédures à la frontière.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez eu des discussions avec les Américains. Est-ce qu’ils vous ont donné des réponses très claires? Je comprends qu’on ne peut pas traverser avec de la marijuana. Cela dit, ont-ils été clairs dans leurs réponses? À l'heure actuelle, le gouvernement du Québec diffuse une publicité sur les dangers de la marijuana. Votre gouvernement a-t-il l’intention de sensibiliser les Canadiens en menant une campagne afin qu'ils sachent clairement qu'ils peuvent perdre leur droit d'entrée s'ils traversent les douanes avec de la marijuana? Les Américains vous ont-ils donné des réponses claires? Il n’est pas question de changer des lois. Lorsque les gens arriveront aux États-Unis, il n’y aura pas un assouplissement de la part de ces derniers. Les Canadiens comprennent la légalisation de la marijuana, mais les lois aux États-Unis ne changeront pas. Il faut veiller à ce qu’ils aient bien compris le message. Si quelqu'un se rend aux États-Unis, il verra un panneau une fois arrivé à la frontière. Je comprends ce que vous avez dit.

[Traduction]

M. Goodale : L’idée de s’assurer qu’on informe les gens pleinement et à répétition est très bonne. Les panneaux sont une façon d’informer les gens des conséquences qui peuvent se produire lorsqu’ils s’approchent de la frontière, et l’ASFC s’en chargera tant pour les Américains qui approchent la frontière de leur côté, afin qu’ils soient informés des règles canadiennes, que pour les Canadiens qui approchent la frontière de notre côté, afin que dans un sens comme dans l’autre les gens soient pleinement informés des lois et des conséquences du non-respect de ces lois.

Votre suggestion au sujet de campagnes de publicité et d’efforts d’éducation et d’information afin que les gens comprennent vraiment les règles et le sérieux de la situation — et ils doivent prendre cela au sérieux — formera une partie essentielle de notre campagne d’information.

En outre, cela peut sembler désinvolte, mais en fait John Kelly, lorsqu’il était secrétaire à la Sécurité intérieure avant de passer à la Maison-Blanche, a donné une réponse qui est en fait très bonne. Le général Kelly a dit: « Veillez à dire à tous les Canadiens qui approchent la frontière de vérifier leurs poches avant d’y arriver et de ne pas donner à l’agent frontalier la surprise d’y trouver quelque chose qu’ils ne pensaient pas avoir avec eux. »

Il y a une situation à laquelle nous devons réfléchir. Le problème est le suivant: les infractions relatives à la marijuana ne seront plus criminelles ni même illégales du côté canadien de la frontière mais sont considérées des infractions fédérales en vertu du droit américain. Le contraire est vrai pour la conduite avec facultés affaiblies. Aux États-Unis, ce sont les États qui légifèrent en la matière; il ne s’agit pas d’infractions fédérales. Au contraire, ici au Canada, la conduite avec facultés affaiblies peut être une infraction au Code criminel.

À l’heure actuelle, si un Américain se présente à la frontière et que l’agent de l’ASFC découvre qu’il a été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies, il peut lui refuser l’entrée au Canada, et cela se produit assez souvent.

Il faudrait donc discuter avec les Américains pour savoir de quelle manière ils vont traiter quelque chose qui n’est pas une infraction fédérale au Canada mais qui en est une aux États-Unis, tout comme nous devons déterminer de quelle manière nous allons traiter des infractions qui ne sont pas des infractions fédérales aux États-Unis mais le sont au Canada. Cela s’applique dans les deux sens. Nous devons nous assurer que nos agents à la frontière traitent ces cas d’une manière intelligente, respectueuse et uniforme.

La réponse, je pense, se trouve dans votre question : les gens doivent être très informés au sujet de ces règles afin de ne pas pouvoir dire après le fait: « Oh, je ne le savais pas ». Ils doivent le savoir.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le ministre, d’être venu. Tout d’abord, je tiens à vous remercier de la volonté politique dont vous avez fait preuve en déposant un projet de loi qui va renforcer la sécurité de nos collectivités en veillant à ce que les armes à feu soient utilisées d’une manière sécuritaire. Je me rappelle les attaques que vous avez subies lorsque j’étais présidente de la commission des femmes et que j’ai travaillé avec vous dans ce dossier la dernière fois. Il faut que vous ayez beaucoup de courage pour vous attaquer à ce problème une nouvelle fois, alors je vous en remercie. Je tiens à vous dire que M. Bhupsingh vous a bien représenté au service juridique, vous êtes bien servi.

J’ai deux questions à vous poser avant que la présidente me coupe la parole. Premièrement, dans le même ordre d’idées que le sénateur Dagenais, je reconnais que si quelqu’un arrive à la frontière avec de la marijuana, il faut qu’il y ait des conséquences. Je reconnais que si vous venez tout juste de fumer ou que vous avec un joint dans votre poche, cela pose des problèmes. Ce qui me préoccupe — et je souhaite vraiment que vous preniez cette question très au sérieux, monsieur le ministre — c’est la question qui a été soulevée la semaine passée lorsque j’ai demandé à l’avocat américain si une personne qui a fumé du cannabis il y a 5 ou 10 ans et qui répond la vérité peut être interdit d’accès aux États-Unis à vie. Il y a un olympien de ma province à qui c’est arrivé. J’aimerais que vous, monsieur le ministre, vous vous occupiez de cela. Ce n’est pas un risque immédiat, cela est du passé. Nous voulons que les gens soient honnêtes. L’avocat a suggéré de quitter simplement l’entrevue, mais en vertu de l’article 23, comme vous le savez, cela peut mener à des accusations d’obstruction. Il n’est plus si facile de faire cela. J’aimerais que vous vous penchiez sur cette question.

J’aimerais que vous commentiez là-dessus. Ma deuxième question est la suivante, monsieur le ministre. Je ne suis pas très satisfaite de la réponse que vous donnez au sujet des condamnations pour simple possession. Vous avez dit que vous vous en occuperiez plus tard. Monsieur le ministre, les Américains ont accès à notre CIPC. Lorsqu’une personne franchit la frontière, ils auront l’information à son sujet sous les yeux. Je crois, monsieur le ministre, que vous devez agir maintenant, et ne pas attendre pour vous occuper du cas des personnes trouvées coupables de simple possession.

Je vous propose une solution, soit le modèle de San Francisco où les cas de simple possession sont simplement effacés du casier judiciaire, car je pense que si vous êtes vraiment sérieux, vous allez devoir faire quelque chose au sujet des cas antérieurs de simple possession.

M. Goodale : À ce sujet, sénatrice, comme vous le savez, le calendrier législatif est extrêmement chargé à l’heure actuelle, mais le premier ministre a indiqué à plusieurs reprises qu’une fois le nouveau régime en place, qui est un changement de paradigme après près de 100 ans au Canada, nous allons examiner tous les moyens que nous pouvons prendre pour nous assurer que tous les Canadiens seront traités de manière équitable.

Pour cela, il y a divers modèles et options, et je serais certainement heureux d’examiner celui que vous avez décrit. Il y a différentes façons d’atteindre cet objectif mais, pour le moment, ce qui presse c’est que les projets de loi C-45 et C-46 soient adoptés pour que la loi soit changée. Nous serons heureux de recevoir toutes les bonnes idées sur la façon de traiter les questions qui découleront de ce changement de manière à ce que les Canadiens soient traités de manière équitable.

La sénatrice Jaffer : Au sujet des personnes qui ont fumé du cannabis il y a cinq ans.

M. Goodale : Ah, oui. Les Américains ont dit bien des choses, mais il y en a deux qui sont pertinentes ici. Tout d’abord, les gens doivent dire la vérité dans leurs réponses aux questions qu’on leur pose à la frontière. Alors l’idée de mentir pendant une entrevue à la frontière n’est pas une bonne idée, et ça peut avoir d’importantes ramifications pendant très longtemps. Donc les Canadiens doivent dire la vérité.

Mais ils m’ont dit que leur principale préoccupation c’est le risque de file d’attente et de congestion. Pour ma part, je leur ai dit: « Eh bien, si les circonstances ne changent pas à la frontière — c’est illégal maintenant et ça le restera; rien ne change à la frontière — pourquoi modifier l’entrevue pour poser des questions différentes puisqu’à la frontière les choses ne changent pas? »

Donc pourquoi poser, de but en blanc, une question qui n’a rien à voir avec rien, au sujet d’un comportement il y a 10, 15 ou 20 ans, et qui, bien franchement, n’a rien à voir avec la sécurité au moment où cette personne se présente à la frontière.

Donc, nous dialoguons avec les Américains, nous essayons d’entrevoir tous les scénarios qui pourraient se produire, pour nous assurer qu’ils sont pleinement informés sur ce que nous faisons et aussi, comme je le disais dans mon exposé, pleinement informés des raisons pour lesquelles nous faisons ce que nous faisons tout en leur rappelant qu’il y a — j’oublie le nombre — un nombre important d’États américains où le même enjeu se présente.

Nous devons tous réfléchir à ces questions ensemble et il n’y a aucune raison pour que l’entrevue à la frontière change de manière importante, puisque les règles n’ont pas changé.

La sénatrice Jaffer : Je pense qu’il y a 27 États. Monsieur le ministre, je suis très insatisfaite des réponses que nous avons obtenues de votre ministère la semaine dernière, et c’est pourquoi nous vous avons invité, parce que l’intention — et j’ai peut-être mal compris, vous pourrez vérifier la transcription — était que les campagnes soient lancées après.

Je viens de la Colombie-Britannique. Dans l’État de Washington, le cannabis est légal. Dans ma province, si ce projet de loi est adopté, ce sera légal. Je pense qu’on devrait tout de suite lancer la campagne afin de protéger les Canadiens et de les informer de leurs droits.

M. Goodale : Je vérifierai la transcription.

Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur le ministre. Juste avant votre arrivée, nous recevions un avocat qui a beaucoup d’expérience dans le droit de l’immigration, M. Waldman, et nous avons longuement discuté avec lui de la possibilité qu’une personne soit interdite à vie si elle admet avoir fumé du cannabis à n’importe quel moment de sa vie. J’aimerais savoir ce que vous pensez d’une suggestion qu’il a faite, une suggestion et une observation.

La suggestion, et recommandation, était que le gouvernement, s’il ne l’a pas déjà fait, engage de sérieuses discussions avec ses homologues, de gouvernement à gouvernement, pour demander que le gouvernement américain ne punisse pas les Canadiens pour avoir fait quelque chose qui sera légal après l’adoption du C-45, et il espérait que le résultat de ces discussions serait que les agents à la frontière du côté américain pourront user de leur pouvoir discrétionnaire, tout comme nos agents le feraient à la demande des États-Unis.

C’est ce qu’il recommandait, mais j’aimerais savoir s’il en a été question dans les discussions auxquelles vous avez fait allusion.

Il a aussi dit — et j’aimerais savoir ce que vous en pensez — qu’en faisant cette demande à vos homologues et aux représentants officiels, la position du Canada après le projet de loi C-45, après la légalisation, serait nettement meilleure qu’elle ne l’est maintenant. Autrement dit, la légalisation du cannabis pourrait en fait faciliter pour le Canada et rendre plus persuasive la demande qu’aucun changement ne soit apporté à la frontière et que les Canadiens ne soient pas pénalisés pour un comportement devenu désormais légal au Canada.

J’aimerais donc savoir ce que vous pensez de la recommandation et de l’observation.

M. Goodale : Eh bien, le dialogue avec les Américains se poursuit. Comme je le disais, on en discute, d’une manière ou d’une autre, chaque fois que je m’entretiens avec le secrétaire à la Sécurité intérieure, et les organismes frontaliers canadiens et américains se penchent sur les enjeux potentiels auxquels ils pourraient être confrontés.

Je pense que ce que nous voulons faire comprendre aux Américains, bien que nous ne l’exprimions pas aussi clairement — bien que nous puissions y venir — c’est que ce ne devrait pas être un problème. Ça devient un problème si on veut que ce le soit, et rien n’exige que ce le soit, parce que les règles frontalières n’ont pas changé.

Le sénateur Gold : Envisageriez-vous néanmoins, le moment venu, de demander à vos collègues de ne pas en faire un problème parce que la loi a maintenant changé au Canada et que de toute façon, ce n’est pas pertinent?

M. Goodale : C’est l’essentiel de la proposition que nous leur faisons. Il se pourrait que nous devions l’exprimer de plus en plus clairement. Nous voulons assurer nos Canadiens d’un traitement juste et raisonnable à la frontière, et fondé sur les faits et la réalité. Nous saisirons toutes les occasions de l’exprimer clairement auprès des Américains.

Le sénateur Oh : Je vous remercie d’être ici, monsieur le ministre. Nous avons entendu plus tôt que les projets de loi C-45 et C-46 pourraient avoir une incidence sur notre système d’immigration. Plus précisément, que des résidents permanents et des ressortissants étrangers pourraient être expulsés du Canada pour motifs de criminalité ou de grande criminalité, pour une simple infraction liée à la marijuana.

Est-ce que c’est ce que souhaitait le gouvernement fédéral?

M. Goodale : J’ai un peu de mal à comprendre d’où cela vient, d’où vient cet argument.

Si quelqu’un fait du trafic de drogue, c’est certainement un motif d’inadmissibilité au Canada, mais l’un des objectifs du changement du régime actuel, en ce qui concerne la marijuana, c’est d’éliminer le problème des casiers judiciaires qui sont créés pour des infractions mineures qui, à l’avenir, ne seront plus des infractions.

Le projet de loi C-45 prévoit des sanctions très sévères pour le trafic de drogue, et particulièrement celui qui touche les jeunes, et les infractions à la loi liées au trafic de drogue et l’exploitation des jeunes pourraient justifier qu’une personne ne soit pas admissible au Canada. Mais cela ne concerne pas la simple possession. La loi va dans le sens opposé à cela.

Peut-être vous ai-je mal compris.

Le sénateur Oh : Et qu’en est-il des lois sur la conduite avec facultés affaiblies? Un tel acte peut entraîner une condamnation de 10 ans.

M. Goodale : Oui. C’est important. Personne ne devrait conduire avec les facultés affaiblies par la drogue. On met ainsi sa propre vie en danger, et celle de tout le monde sur la route.

Le sénateur Oh : Donc, ce pourrait être une infraction associée à la marijuana, dans le projet de loi C-45?

M. Goodale : Pas dans le projet de loi C-45, mais dans le projet de loi C-46, nous proposons le régime le plus rigoureux du monde en ce qui a trait aux facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue. Et, c’est là pour une très bonne raison, soit assurer la sécurité des Canadiens.

Nous renforçons nettement la loi et nous créons deux nouvelles infractions visant les personnes qui mettent en péril la vie d’autrui en conduisant avec les facultés affaiblies.

La présidente : Je vous rappelle la nécessité de poser des questions aussi succinctes que possible, pour que nous puissions tous avoir notre tour.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre, d’être ici aujourd’hui et de répondre à nos questions. La mienne concerne la méthode d’application de la loi des Américains à la frontière. Autrement dit, la compétence de l’État en comparaison de la compétence fédérale.

Monsieur le ministre, comme nous le savons, certains États américains assouplissent quelque peu leurs lois concernant la marijuana, ou l’ont même légalisée, comme l’Alaska et Washington, qui ont des frontières avec le Canada. Cela dit, certaines personnes pourraient penser que le passage de la marijuana du Canada vers ces États et vice versa se fera plus librement. Cependant, le fait est que le gouvernement fédéral américain n’a pas assoupli ses lois, et c’est lui qui exerce le contrôle sur la frontière internationale et applique le droit criminel fédéral.

Monsieur le ministre, reconnaissez-vous que la différence entre les États américains et le Canada, c’est que les États américains n’ont pas à composer avec leur frontière internationale?

M. Goodale : La frontière internationale est nettement de compétence fédérale, qu’elle soit canadienne ou américaine.

Le sénateur McIntyre : Cela semble justement être le cœur du problème.

M. Goodale : Nous en avons discuté avec les Américains, et ils le reconnaissent d’emblée que la situation à l’intérieur des frontières américaines est de plus en plus complexe parce qu’ils ont de plus en plus d’États qui légalisent ou décriminalisent le cannabis, ou du moins modifient nettement les lois de leur État en la matière. Il y en a d’ailleurs deux qui sont en train de le faire, New York et la Californie, et évidemment, cela englobe un énorme segment de la population américaine.

La situation aux États-Unis devient donc assez confuse et les règles diffèrent quelque peu dans chacun des États. Elles ne sont pas identiques dans les États qui légalisent ou décriminalisent le cannabis.

Il ne faut tout de même pas oublier que pendant que les Américains vont régler tout cela au sein de leurs frontières, il faudra un certain temps pour laisser l’innovation juridique et la confusion s’estomper du côté américain, et cela se fera le moment venu. Entre-temps, la loi fédérale est ce qu’elle est. Et c’est la loi qui régit les modalités de la traversée de la frontière.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le ministre, vous disiez que les discussions entre les gouvernements canadien et américain en ce qui concerne la légalisation de la marijuana se poursuivent, et à ce que je comprends, aucune entente n’a encore été signée avec le gouvernement des États-Unis. Pourquoi est-ce que le gouvernement n’a pas encore tenté de conclure une pareille entente, à moins que vous l’ayez fait?

M. Goodale : Nous discutons sans arrêt, et tous ces aspects sont abordés.

Le sénateur McIntyre : Avez-vous pu conclure une entente avec le gouvernement américain?

Le sénateur McIntyre : Aucune entente ni aucun protocole n’a été conclu pour l’instant.

Le sénateur McIntyre : Rien n’a été signé jusqu’à maintenant?

M. Goodale : Non, rien de précis pour l’instant. Je ne sais pas s’il est réaliste de nous attendre à ce que notre pays signe un protocole particulier sur un enjeu frontalier comme celui-là. Si quelqu’un venait nous demander de signer un protocole frontalier qui, en quelque sorte, restreindrait le pouvoir discrétionnaire et l’autorité du Canada à la frontière, ce n’est pas le genre de choses que les gouvernements tendent à faire. Cependant, nous faisons en sorte que la question reste au programme, pour nous assurer que les Américains sont bien au fait de ce que nous faisons, et pourquoi nous le faisons.

Il importe de souligner que les règles à la frontière ne changent pas, donc les méthodes d’entrevue à la frontière ne devraient pas changer. Si vous vous inquiétez des retards, ne changez pas le questionnaire. Il faut continuer de procéder aux mêmes recherches de renseignements que maintenant, parce que les règles seront les mêmes, après que la loi aura changé cet été, qu’elles le sont maintenant.

Le sénateur McIntyre : Mais si le projet de loi C-45 est promulgué, les choses vont changer. Cela dit, ne pensez-vous pas indispensable, ne pensez-vous pas important que le gouvernement fédéral signe une entente avec les États-Unis avant que le projet de loi C-45 soit promulgué?

M. Goodale : Je pense qu’il est essentiel qu’en tout temps et par tous les moyens, nous insistions sur le traitement juste et approprié des Canadiens à la frontière.

Le sénateur McIntyre : Et l’entente en serait la garantie.

M. Goodale : Ce serait une façon d’y parvenir, mais il pourrait y en avoir d’autres, plus pratiques…

Le sénateur McIntyre : Donnez-moi donc un exemple.

M. Goodale : Le fait de constamment rappeler aux Américains que s’ils se préoccupent des retards, et ils disent s’en préoccuper, qu’ils ne devraient pas en créer d’autres en apportant des modifications inutiles au questionnaire, parce que la loi n’a pas changé à la frontière.

Dans le genre de relation dynamique que nous entretenons avec les États-Unis, cette démarche très active, entre le ministre et le secrétaire, entre l’ASFC et l’agence frontalière américaine, entre Sécurité publique et le département de la Sécurité intérieure, nous devons constamment insister sur nos intérêts, et nous le faisons, très littéralement, au quotidien.

Le sénateur McIntyre : Le but, c’est de protéger les Canadiens contre une interdiction d’entrer aux États-Unis tout simplement parce qu’ils auront consommé de la marijuana. C’est ce qu’on veut.

M. Goodale : Oui. Tout comme on pourrait dire, je pense, que les Américains voudraient nous persuader, de leur côté, de traiter comme eux les infractions de conduite avec facultés affaiblies.

Pour nous, c’est une infraction criminelle au Canada, et nous avons très peu de sympathie pour ceux qui ont un casier judiciaire faisant état de ce genre d’infraction et qui pourraient potentiellement mettre des Canadiens en péril.

Cela va dans les deux sens, et c’est pourquoi nous devons entretenir le dialogue.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Des membres du personnel de la GRC, de l’Agence des services frontaliers et d’Affaires mondiales Canada sont venus témoigner devant notre comité, la semaine dernière. Ils nous ont confirmé qu’aucune correspondance écrite n’avait été envoyée aux Américains pour leur signifier la problématique soulevée par M. Len Saunders, avocat de la Colombie-Britannique, selon lequel des gens se verront interdire à vie la possibilité d'entrer aux États-Unis. Est-ce vrai qu’à ce jour, le Canada n’a adressé aucune correspondance aux Américains à ce sujet?

[Traduction]

M. Goodale : Il en a, c’est sûr, longuement été question dans les discussions, sénateur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je parle de correspondance écrite. Est-ce que vous ou quelqu’un de votre gouvernement a fait parvenir une correspondance écrite aux Américains afin de leur signifier ce problème auquel on devra faire face au cours des prochains mois?

[Traduction]

M. Goodale : Il faudrait que je vérifie cela. Je ne me rappelle pas avoir envoyé une lettre au secrétaire américain de la Sécurité intérieure, parce qu’il en a été question dans toutes les discussions, et nous échangeons nos points de vue directement, entre nous, lors de ces discussions. Je vérifierai s’il y a eu la moindre lettre à ce sujet, à quelque niveau que ce soit.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais vous dire pourquoi c’est important, monsieur le ministre. Au Canada, il n’y a aucune industrie dont l’ensemble du personnel se voit interdit d’aller aux États-Unis, sauf celle du crime organisé. En mettant sur pied une industrie de production de marijuana au Canada, une dizaine de milliers d’emplois seront créés dans le secteur de la production, de la distribution et de la vente. De plus, les employés de ces industries risquent d’être bannis à vie des États-Unis à cause de leur travail.

Est-ce qu’un plan a été prévu pour corriger cette situation, surtout dans le cas où des Canadiens ont déjà des investissements ou des propriétés aux États-Unis et à qui on interdirait l'entrée? Il est clair que si quelqu’un déclare qu'il produit de la marijuana, les Américains vont considérer cette personne comme un hors-la-loi. C’est toute une industrie qu’on risque de pénaliser à cause de cette absence d’entente entre les États-Unis et le Canada.

[Traduction]

M. Goodale : Je le répète, sénateur, les Américains ont le droit souverain de définir les règles d’entrée, comme nous l’avons de notre côté. Les Canadiens qui approchent la frontière et cherchent à entrer aux États-Unis doivent s’assurer de respecter les exigences frontalières américaines, parce que ce sont les États-Unis qui établissent ces exigences. Si nous voulons entrer dans leur pays, nous devons nous assurer de respecter leurs règles en matière d’immigration et de frontière.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, vous savez qu’il y a actuellement un problème majeur de main-d’œuvre dans de nombreuses régions au Canada. Étant donné que les employés de ces industries savent qu'ils risquent de ne pouvoir entrer aux États-Unis, cela nuira-t-il au recrutement dans certaines entreprises?

En tant que Canadien, je ne suis pas sûr que je travaillerais dans cette industrie si je savais qu'on m'interdirait d'entrer aux États-Unis à cause de mon travail.

[Traduction]

M. Goodale : Je pense que c’est à chacun de décider des entreprises auxquelles on veut être lié. Nous allons continuer d’expliquer aux Américains la légitimité du projet canadien, d’autant plus que nous avons depuis des années un régime tout à fait légitime, au Canada, en ce qui a trait à la marijuana à usage médical, et cela n’a aucunement, à ce que je sache, présenté de problème de passage frontalier pour les gens qui travaillent dans ces entreprises.

Lorsqu’ils traversent la frontière, ils doivent s’assurer de respecter toutes les normes américaines. Le régime de réglementation de la marijuana médicale existe au Canada depuis plus de 10 ans et n’a jamais causé de problèmes transfrontaliers à ma connaissance.

La présidente : Il nous reste environ huit minutes avec le ministre, et trois autres sénateurs souhaitent prendre la parole.

La sénatrice Lankin : J’ai lu la transcription de la réunion de la semaine dernière, et je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de votre présence aujourd’hui. On dirait bien que la réunion de la semaine dernière a laissé plusieurs questions en suspens.

Je ne suis pas une membre régulière de ce comité, mais je suis ici aujourd’hui, car je voulais entendre vos réponses. Je me sens un peu comme Alice au pays des merveilles. J’ai toujours cru que si une personne voulait aller aux États-Unis, elle prenait d’abord connaissance des lois américaines, et si elle avait une condamnation antérieure pour possession à son dossier et qu’elle ne souhaitait pas se faire refuser l’entrée aux États-Unis une fois rendue à la frontière, elle n’y allait tout simplement pas.

Pardonnez-moi si c’est un peu intransigeant. Pareillement, si vous choisissez de travailler dans l’industrie du cannabis et que cela vous pose problème à la frontière — vous avez raison, monsieur le ministre, d’indiquer que dans les 10 dernières années les Canadiens qui travaillent dans l’industrie du cannabis n’ont pas connu de problème —, vous n’allez tout simplement pas aux États-Unis. C’est votre choix. Je crois au principe de la responsabilité personnelle. Nous ne vivons pas dans une nounoucratie où l’État s’occupe de tout.

Je suis entièrement d’accord avec vous qu’il faut faire tout en notre possible pour bien informer les Canadiens de leurs droits et de leurs obligations. C’est tout à fait logique. Il semble que dans ce cas-ci la mise soit plus élevée puisqu’on parle maintenant d’une entente signée ou d’une lettre. On dirait bien que vos discussions continues avec le secrétaire à la Sécurité intérieure ne suffisent pas.

J’ai une dernière question que vous pourrez prendre en délibéré. J’aimerais savoir s’il existe d’autres problèmes transfrontaliers résultant de différences dans la loi, ou dans l’application de la loi, pour lesquels nous avons négocié ou signé des accords, ou si, comme avec la marijuana, vous devez tenter de sensibiliser et de convaincre nos collègues?

En terminant, M. Waldman a parlé des revenus touristiques et des autres éléments à l’avantage des Américains qui dépendent du fait que les Canadiens puissent traverser la frontière. Il me semble que les Américains ont tout à gagner en trouvant un juste équilibre.

Selon vous, demandons-nous quelque chose qui sort de l’ordinaire en demandant une entente signée ou une lettre?

M. Goodale : Je vais m’informer, sénatrice. La première entente qui me vient à l’esprit est bien sûr celle que nous avons conclue sur le précontrôle. Il s’agit d’un accord ambitieux et complexe qui est en place depuis 1952. L’entente a d’ailleurs été récemment bonifiée, ce qui a mené au projet de loi qui a été étudié par le Sénat.

Je crois qu’il nous a fallu sept ans de négociations pour régler tous les détails de cet accord. Je vais m’informer s’il y a d’autres accords du genre, surtout des accords portant sur les exigences d’entrée et des industries ou des secteurs qui sont mal vus par un pays, mais vus de façon plus favorable dans l’autre. Je verrai donc s’il y a un précédent.

Étant donné la relation entre le Canada et les États-Unis, il est plus pratique de travailler directement avec le département de la Sécurité intérieure et les patrouilleurs frontaliers des États-Unis.

Il nous incombe de faire en sorte de ne pas créer d’excuses que pourraient utiliser les Américains pour changer les règles sur le questionnaire et ainsi créer des retards.

La sénatrice Lankin : Je tiens à préciser que je suis allée aux États-Unis à plusieurs reprises et que jamais on ne m’a posé de questions sur le cannabis.

M. Goodale : À moi non plus.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup. Vous avez en quelque sorte répondu à ma question.

La moitié des jeunes à risque que je connais ne se rendront jamais à la frontière. Même si je ne suis pas entièrement pour le projet de loi C-45, je suis très soucieuse de protéger les Canadiens. Que se passerait-il si nous constations qu’il y avait des problèmes avec le processus de précontrôle? Par exemple, si nous découvrions que des douaniers américains demandaient au hasard à des Canadiens de se rendre dans une pièce fermée pour y faire une fouille, voire une fouille à nu — une possibilité qui inquiète certains membres du comité — nous ferions quelque chose pour remédier à la situation, n’est-ce pas? Nous ne resterions pas inertes? Nous dirions aux Américains: « Un instant! Vous ne pouvez pas traiter les Canadiens ainsi. »

J’espère simplement que nous ne les laisserions pas bafouer nos droits.

M. Goodale : L’entente sur le précontrôle comporte plusieurs mécanismes bien équilibrés pour éviter les abus de pouvoir.

La protection fondamentale dont jouissent les Canadiens est que le précontrôle se déroule dans un aéroport canadien, en territoire canadien, et le processus est régi par la Charte canadienne des droits et libertés. Il y a donc une protection générale en ce qui a trait au précontrôle. Si nous en venions à constater que notre relation de confiance n’est pas respectée et qu’il y avait violation des droits des Canadiens, notre recours ultime serait simplement de nous retirer de cette entente.

Le sénateur Richards : Très bien. Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : J’ai une autre question. Selon ma compréhension, la Charte canadienne des droits et libertés ne s’applique qu’aux Canadiens, pas aux Américains. Dans le cadre de l’étude du projet de loi C-23, nous avons clairement compris que les Américains n’ont pas à respecter la Charte.

M. Goodale : Non. Je crois que vous faites erreur, sénatrice. Les Américains appliquent les lois américaines relatives à l’immigration et aux douanes. Or, lorsqu’ils le font dans les zones de précontrôle, ils se trouvent en territoire canadien. L’entente prévoit que les douaniers américains reçoivent une formation sur la Charte canadienne des droits et libertés, la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et les autres lois touchant les libertés civiles qui s’appliquent à leur travail lorsqu’ils le font en territoire canadien.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est pas ce que nous avions compris, mais bien sûr, j’accepte votre réponse.

Le sénateur Dean : Merci, monsieur le ministre.

Je comprends tout à fait qu’il s’agit d’une conversation très délicate à avoir avec vos homologues américains, puisque pour l’instant, mis à part dans le contexte du cannabis médical, vos discussions se déroulent dans un contexte où le cannabis est encore illégal.

M. Goodale : Absolument.

Le sénateur Dean : Un témoin plus tôt aujourd’hui m’a convaincu que ce dialogue que vous entretenez avec vos homologues américains — un dialogue que nous souhaitons tous voir se poursuivre — sera bien plus facile après la légalisation du cannabis. Dans ce nouveau contexte, vous pourrez faire valoir que les personnes concernées n’ont effectivement pas enfreint la loi au Canada.

Ai-je raison?

M. Goodale : Vous avez tout à fait raison. Il y a également un parallèle intéressant par rapport à nos visions différentes de la conduite avec les facultés affaiblies.

Les Américains considèrent qu’il s’agit d’une infraction moindre alors que nous jugeons qu’il s’agit d’une infraction fédérale. Vous avez raison, je crois que la dynamique sera différente lorsque nous aurons un régime juridique différent.

Le sénateur Dean : Merci, monsieur le ministre.

La présidente : Monsieur le ministre, au nom du comité, j’aimerais vous remercier de vous être joint à nous aujourd’hui. On m’avait demandé de faire en sorte que vous puissiez quitter à 16 h 45 pour vous rendre au vote. Nous avons 30 secondes d’avance. Je pense que vous aurez amplement de temps pour vous rendre voter.

Nous vous remercions de votre disponibilité et de votre franchise.

M. Goodale : Merci, madame la présidente. Bon nombre des sénateurs ont fait référence à des témoignages précédents et à des questions qui en ont découlé. S’il vous reste encore des questions qui ne sont pas claires, je vous demanderais de bien vouloir me les envoyer par écrit et je ferai mon possible pour vous faire parvenir une réponse écrite.

La présidente : Très bien, merci, monsieur le ministre.

M. Goodale : Merci beaucoup.

La présidente : Je demanderais à tous les membres du comité de bien vouloir rester en place. Nous passerons maintenant à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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