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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang), se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je suis la sénatrice Chantal Petitclerc, présidente de ce comité.

[Traduction]

Avant que nous entendions le témoin, j’invite mes collègues à se présenter, en commençant par celle à ma droite.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, du Québec.

[Français]

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Forest-Niesing : Bonjour et bienvenue. Josée Forest-Niesing, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario, je demeure à Ottawa.

La présidente : Bienvenue à nos invités. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang).

[Traduction]

J’aimerais maintenant présenter nos témoins. Nous avons, par vidéoconférence de Toronto, la Dre Monika Dutt, membre du conseil de Médecins canadiens pour le régime public. Nous accueillons également Mme Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers, et Mme Amanda Vyce, agente de recherche principale pour le Syndicat canadien de la fonction publique.

Je vous souhaite la bienvenue et je vous rappelle que vous avez sept minutes pour présenter vos observations préliminaires. Cette partie sera suivie par des questions de nos collègues. Écoutons d’abord la Dre Monika Dutt, par vidéoconférence, dont l’intervention sera suivie par celles de Mmes Silas et Vyce.

Dre Monika Dutt, membre du conseil, Médecins canadiens pour le régime public : Merci beaucoup.

[Français]

Bonjour à tous. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui, et je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de me présenter au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis contente d’avoir l’occasion de faire une présentation sur le projet de loi S-252, la mesure législative sur les dons de sang volontaires qui est proposée. Je suis désolée de ne pas être sur place.

Je suis ici aujourd’hui pour faire une présentation au nom des Médecins canadiens pour le régime public, où je suis membre du conseil et ex-présidente du conseil. Médecins canadiens pour le régime public est un organisme national sans but lucratif en faveur d’un régime de santé public, universel et fondé sur des preuves et qui représente des médecins d’un océan à l’autre.

J’ai travaillé comme médecin de famille dans des collectivités d’un bout à l’autre du pays, au centre-ville de Toronto, dans des régions rurales et éloignées et dans le Nord de l’Ontario, où j’habite maintenant, et aussi dans plusieurs réserves des Premières Nations. Je suis également médecin en santé publique et médecin-hygiéniste. À ces titres, mon travail est de favoriser et de créer des politiques qui améliorent la santé individuelle et collective. C’est pour toutes ces raisons que je suis contente que la question de la rémunération des dons de plasma ait été portée à votre attention et que j’appuie la modification proposée au Règlement. Je l’appuie pour quatre grandes raisons.

Premièrement, comme médecin travaillant dans le système public et membre du conseil des Médecins canadiens pour le régime public, on me demande souvent d’expliquer pourquoi notre système de santé public, universel à payeur unique est si important et pourquoi la création d’un système à deux niveaux mettrait en péril l’équité et la qualité des soins. Quand je regarde la question des dons de sang volontaires et la décision que doit prendre le comité, à savoir s’il permettra que le projet de loi visant à protéger le système d’approvisionnement en sang du Canada aille de l’avant, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle.

Ce qui frappe le plus, c’est que les objectifs, d’une part, des entreprises privées à but lucratif, comme Canadian Plasma Resources et Prometic Plasma Resources, et, d’autre part, des organismes sans but lucratif, comme la Société canadienne du sang, sont fondamentalement différents. Les modèles d’affaires des sociétés à but lucratif, comme CPR et Prometic, sont conçus en fonction du chiffre d’affaires et des bénéfices alors que la Société canadienne du sang conçoit ses plans et stratégies en fonction des besoins des patients et de la sécurité de notre approvisionnement de sang au pays. Comme la Société canadienne du sang a déjà présenté des arguments de poids en faveur de l’élargissement des dons de sang volontaires, il est difficile de comprendre pourquoi certains veulent autant permettre à des sociétés à but lucratif de prélèvement de plasma contre rémunération de prendre de l’expansion, surtout dans les cas où leurs activités ne profitent pas aux Canadiens.

De plus, la beauté des systèmes universels, c’est qu’ils permettent à la fois la gestion et le changement à grande échelle. À l’inverse, les entreprises à but lucratif, comme CPR, ne sont pas gérées par le système public. Par exemple, si ces entreprises découvrent qu’une de leurs cliniques n’est pas aussi performante qu’ils le souhaitent, ils peuvent tout simplement fermer boutique, comme n’importe quel Starbucks ou toute autre franchise. Qu’arrive-t-il alors à ces donneurs, dont certains sont peut-être devenus dépendants de ce revenu? Comment cela affecte-t-il l’approvisionnement des patients en immunoglobulines et en produits dérivés du plasma?

De plus, lorsque l’on établit une nouvelle culture selon laquelle les gens peuvent être payés pour vendre leur sang, cela change la perception du don de sang. De nombreux pays européens ont tenté l’expérience des dons de plasma rémunérés et essaient aujourd’hui de relancer les dons volontaires auprès du public, avec difficulté. Nous avons déjà observé les effets potentiels de l’abandon du système public au profit du secteur privé à Saskatoon, en particulier dans le groupe d’âge des 17 à 25 ans, qui pourraient être davantage attirés par un revenu rapide. La pratique de longue date au Canada et aux États-Unis qui consiste à installer des sites de dons de plasma rémunérés à proximité de groupes qui sont susceptibles d’avoir un faible revenu ou de vivre dans la pauvreté, comme les étudiants ou les personnes vivant dans des refuges, est une approche troublante qui donne une idée de ce qui peut se produire lorsque le profit est un facteur important.

Avec l’avènement d’une concurrence superflue sur le marché de la part d’entreprises comme CPR et Prometic, la Société canadienne du sang doit maintenant consacrer de précieuses ressources à la publicité pour mettre en lumière les menaces que posent ces entreprises. Ces ressources pourraient être beaucoup mieux utilisées pour sensibiliser le public à l’importance du don de sang ou pour mener des travaux de recherche ou d’autres travaux essentiels à la gestion de l’approvisionnement en sang au Canada. Nos réserves nationales de sang devraient être considérées comme des ressources stratégiques. Nous devrions chercher des moyens d’accroître notre autosuffisance en ce qui concerne l’approvisionnement en sang.

Un autre aspect auquel je pense souvent dans mon rôle de médecin est la responsabilité qu’a le fournisseur de soins de santé de s’assurer que les traitements appropriés sont prescrits. De plus en plus, en médecine, on s’efforce de réduire au minimum les interventions superflues, à la fois parce que c’est mieux pour les patients et parce qu’elles ont des répercussions financières sur le régime public de soins de santé. Tel que décrit par le Comité d’experts sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline et ses répercussions au Canada :

[...] une proportion importante de l’utilisation d’IG ne correspond pas aux critères et lignes directrices établis.

Avant de faciliter encore plus les dons rémunérés de plasma au Canada, nous devons mieux comprendre les habitudes d’utilisation et déterminer si des changements dans la pratique peuvent aussi aider à répondre à la demande de produits plasmatiques. Comme les médecins sont maintenant plus conscients de l’importance de prescrire moins d’antibiotiques ou de réduire l’exposition à des rayonnements inutiles dans les procédés d’imagerie, nous pouvons chercher comment utiliser le mieux possible les immunoglobulines et les produits dérivés du plasma pour le bien des patients.

En terminant, je voudrais aborder brièvement la question de la sûreté. Nous savons tous que plus de 30 000 Canadiens ont été infectés par le VIH et l’hépatite C lors du scandale du sang contaminé. L’enquête Krever a conclu que les dons ne devraient pas être rémunérés « sauf en de très rares circonstances ».

L’Organisation mondiale de la Santé a aussi indiqué que les pays devraient aspirer à ce que 100 p. 100 des dons de sang et de plasma soient faits volontairement. Grâce à des mesures inspirées par l’enquête Krever, le bilan du Canada au chapitre de la sûreté du sang depuis 20 ans est solide, notamment en raison des gestes posés par la Société canadienne du sang.

Nous savons que de nouveaux pathogènes à diffusion hématogène peuvent apparaître et nous devons demeurer vigilants. Fragmenter le processus de don de sang et introduire un incitatif monétaire nuira à notre capacité de préparation aux risques potentiels.

Nous savons que bien des mesures pourraient être prises pour promouvoir et protéger la santé des Canadiens par l’entremise de notre régime public de soins de santé. Assurer l’accès aux immunoglobulines et aux produits dérivés du plasma grâce à une institution publique en fait partie. Cela permettrait de stabiliser l’approvisionnement, de surveiller la sûreté et de renforcer notre capacité de répondre aux besoins des patients. Compte tenu de tout cela, j’espère que vous déciderez d’adopter le projet de loi. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Madame Silas, la parole est à vous.

Linda Silas, présidente, Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers : C’est la première fois que je comparais devant vous depuis votre étude du projet de loi C-211, sur le cadre relatif à l’état de stress post-traumatique. Je tiens à vous remercier au nom des travailleurs qu’Amanda et moi représentons pour la mention que vous avez ajoutée concernant le fait d’inclure plus que les premiers répondants. C’était vraiment bien.

Je remercie tous les sénateurs de m’avoir invitée à comparaître au nom de la Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers, qui représente près de 200 000 professionnels et étudiants dans le domaine des soins infirmiers partout au pays. Je m’appelle Linda Silas. Je suis la présidente de la Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers et je suis une infirmière immatriculée du Nouveau-Brunswick.

Chaque jour, les infirmières et infirmiers sont témoins de l’importance vitale du système d’approvisionnement en sang du Canada. En ce moment même, des infirmières et infirmiers travaillent partout au pays pour recueillir des dons de sang auprès de donneurs volontaires, faire des transfusions sanguines qui sauvent des vies et soigner les dizaines de milliers de Canadiens qui souffrent encore d’une infection contractée par le sang contaminé il y a 30 ans. Les infirmières et infirmiers du Canada savent que les produits sanguins ne sont pas qu’une simple marchandise que l’on vend et achète. Ils sont rares et difficiles à obtenir. Ils sauvent des vies tous les jours. Lorsqu’ils sont manipulés avec négligence, ils peuvent ruiner des vies et causer la mort. En tant que professionnels de la santé de première ligne du système d’approvisionnement en sang du Canada, les infirmières et infirmiers savent que l’aide, et non le profit, doit être la seule valeur centrale de notre système d’approvisionnement en sang. Il y a un dicton que j’ai entendu récemment dans les milieux de la santé publique : le secteur public fait respecter les droits de la personne tandis que le secteur privé fournit des produits.

Voilà qui résume la question que vous devez vous poser à propos de ce projet de loi. Si vous croyez que l’accès à des produits sanguins au Canada est un droit fondamental, alors vous devez appuyer le projet de loi S-252. Les soins de santé, l’éducation et la démocratie sont des droits de la personne, et seul le secteur public fait respecter les droits de la personne. Seul un régime public peut fournir des produits sanguins pour le bien public. Seul un régime public peut prétendre honnêtement que la sûreté est sa priorité absolue.

Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies, le droit à des soins de santé fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne et de ce que nous considérons comme étant essentiel à la vie et à la dignité humaines. À titre de signataire de la convention internationale, le Canada a l’obligation juridique — je répète : l’obligation juridique — en vertu des lois internationales sur les droits de la personne de traiter l’accès aux soins de santé comme un droit fondamental de la personne. On ne saurait distinguer l’accès d’une personne à des produits sanguins sûrs du droit de cette personne à la santé.

Il ne fait aucun doute que gérer notre système d’approvisionnement en sang et en assurer la sûreté n’a rien de simple. Nous, les infirmières et infirmiers qui travaillent au sein du système, le savons très bien. La question que vous devez vous poser aujourd’hui relativement au projet de loi S-252 ne concerne pas cela. La question est simple : l’accès aux produits sanguins au Canada devrait-il être traité comme un droit de la personne ou comme un produit de consommation? C’est la seule question à laquelle le comité doit répondre dans son étude de ce projet de loi. Des cliniques comme Canadian Plasma Resources, qui traitent le plasma sanguin comme un produit à vendre dans le but de réaliser des bénéfices, continuent de faire leur apparition partout au Canada, et vous avez le choix et la responsabilité d’y mettre fin.

Ce projet de loi constitue l’outil juridique qui ferait en sorte que le Canada traite l’approvisionnement en sang comme une ressource publique et comme un droit de la personne. Comme la Dre Dutt l’a mentionné, c’est ce que la Commission d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada, l’enquête Krever, a recommandé. C’est ce qui incite les gouvernements du Québec, de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique à mettre en œuvre leur propre loi sur le don de sang volontaire. C’est pourquoi vous devez appuyer ce projet de loi.

Lors de comparutions précédentes, certains d’entre vous m’ont demandé si nous avions besoin d’entreprises de produits sanguins à but lucratif pour améliorer l’autosuffisance du Canada en immunoglobulines, des protéines essentielles à notre système immunitaire. Les infirmières et infirmiers du Canada sont d’avis que la seule avenue pour augmenter nos réserves nationales de sang est la Société canadienne du sang, un organisme qui rend des comptes à la population. Le plasma que CPR achète aux Canadiens n’est pas redonné aux patients canadiens. Chaque Canadien qui choisit de vendre son plasma à CPR est un donneur de moins pour aider les Canadiens qui en ont besoin. Comme je vais l’expliquer, la Société canadienne du sang, notre organisme public, a des plans ambitieux pour accroître nos réserves de sang, et c’est à cela que nous devrions consacrer notre énergie. Les infirmières et infirmiers du Canada pensent que notre système d’approvisionnement en sang devrait demeurer public.

Nos politiques à l’égard de l’approvisionnement en sang doivent reposer sur des données probantes. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les donneurs de sang qui ne sont pas rémunérés sont les donneurs les plus sûrs. Cette affirmation est appuyée par de nombreux experts qui ne sont aucunement liés à des intérêts mercantiles, comme l’Alliance européenne du sang et les auteurs de l’enquête Krever sur le sang contaminé au Canada.

Le projet de loi S-252 donne au Parlement le moyen de concrétiser cette recommandation de l’OMS et de l’enquête Krever. Je vous exhorte à ne pas perdre de vue l’enjeu central : le sang des Canadiens ne doit pas être à vendre. L’accès à des produits sanguins sûrs est un droit fondamental de la personne. Seul le secteur public peut garantir le respect de ce droit. Appuyer le projet de loi S-252 permettrait d’y arriver.

Avant de terminer, j’aimerais faire part au comité de l’une de mes préoccupations concernant l’équité du processus. J’ai assisté à de nombreuses audiences de comités parlementaires et je n’ai jamais vu un comité offrir à un témoin clé une période de questions et réponses sans lui donner l’occasion de faire une déclaration liminaire. Il semble que c’est exactement ce que le comité a fait avec BloodWatch, le principal organisme national de promotion de la sûreté du système d’approvisionnement en sang au Canada. Par souci d’équité et d’application régulière des procédures, j’invite le comité à revenir sur sa décision et à offrir à BloodWatch au moins la possibilité de faire une déclaration liminaire. Merci.

La présidente : Merci beaucoup pour votre présentation.

Amanda Vyce, agente de recherche principale, Syndicat canadien de la fonction publique : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui en appui au projet de loi S-252.

Le Syndicat canadien de Ia fonction publique, ou SCFP, est le plus grand syndicat au Canada. IIcompte 680 000 membres et représente les travailleurs de la Société canadienne dusang en Colombie-Britannique, en Alberta et au Nouveau-Brunswick. Ces membres font la liaisonentre les donneurs volontaires de sang et de plasma et Ia Société canadienne du sang etcontribuent à assurer la sécurité de I’approvisionnement ensang du pays.

Le SCFP recommande que le Sénat adopte le projet de loi S-252, car celui-ci encourage l’autosuffisance du Canada et fait en sorte que le sang des Canadiens demeure une ressource publique à l’usage des patients canadiens. Surtout, le projet de loi S-252 protégera notre système d’approvisionnement en sang public, qui est sûr et qui a la confiance des Canadiens.

La Société canadienne du sang recueille suffisamment de plasma pour répondre à 17 p. 100 des besoins en immunoglobulines du pays. Le reste du plasma vient des États-Unis. Santé Canada a octroyé des permis à Canadian Plasma Resources sous le prétexte fallacieux que les centres de prélèvement de plasma à but lucratif amélioreraient notre autosuffisance en plasma. Or, ces centres ne font rien pour nous aider à atteindre cet objectif puisque le plasma qu’ils recueillent est vendu à l’étranger. Permettre les dons de plasma rémunérés a aussi rendu le recrutement de donneurs volontaires plus difficile pour la Société canadienne du sang à Saskatoon et à Moncton, surtout chez les 17 à 24 ans, qui sont les donneurs les plus désirables. Les cas de la Hongrie, de l’Allemagne et des États-Unis montrent qu’une fois que la culture du don de sang et de plasma volontaire et non rémunéré se perd, il est impossible de revenir en arrière.

La Société canadienne du sang a informé Santé Canada que son plan visant à accroître la collecte de plasma n’inclut pas l’achat de plasma recueilli par Canadian Plasma Resources ou d’autres sources commerciales parce qu’il s’agit d’un :

[...] mécanisme qui n’est ni raisonnable ni viable pour assurer un approvisionnement sûr en immunoglobulines pour les patients canadiens.

Sans le projet de loi S-252, la Société canadienne du sang perdra sa compétence sur la collecte du plasma et sur l’approvisionnement, la sûreté et le coût du plasma au profit de Canadian Plasma Resources et d’autres entreprises privées.

Au cours des 20 dernières années, la Société canadienne du sang a bâti un système d’approvisionnement en sang qui est sûr et auquel les Canadiens font confiance. Permettre que ce système soit sapé et vendu au plus offrant en fonction des intérêts d’actionnaires ne protégera ni notre système d’approvisionnement en sang ni le public en général. Les sociétés pharmaceutiques ne s’intéressent pas à l’industrie du plasma par altruisme ou pour sauver des vies. Ce qu’elles recherchent, c’est le profit. Il est possible d’accroître notre autosuffisance en ressources plasmatiques grâce aux dons volontaires non rémunérés. Entre 2013 et 2018, Héma-Québec a fait passer l’autosuffisance du Québec en plasma de 14,5 p. 100 à 21,5 p. 100. En France, ce même taux est de 54 p. 100; au Danemark, il est de 81 p. 100; et en Italie, il varie de 70 à 96 p. 100 pour l’ensemble des produits d’immunoglobuline. Dans tous les cas, le plasma est recueilli au moyen d’un système public et seulement auprès de donneurs volontaires non rémunérés.

Leur succès est attribuable à trois principes centraux clés. Premièrement, chaque organisme responsable sensibilise le public sur le don de plasma. Deuxièmement, lorsqu’on demande aux gens s’ils sont prêts à faire un don, ils se portent volontaires. Troisièmement, l’accent est mis sur la haute qualité du service afin de bâtir et de maintenir une base de donneurs.

Le SCFP croit que la Société canadienne du sang saura elle aussi accroître l’autosuffisance du Canada en plasma en utilisant notre système public existant et des dons volontaires et non rémunérés. Nos membres sont prêts à soutenir ses efforts. En Europe, de nombreux pays font de l’autosuffisance grâce à des dons volontaires et non rémunérés un objectif stratégique commun. Permettre l’intégration d’entreprises privées à but lucratif dans notre système d’approvisionnement en sang pointe le Canada dans la direction opposée.

Enfin, la dépendance du Canada à l’égard du plasma provenant des États-Unis présente un risque pour la sécurité de l’approvisionnement et n’est pas viable à long terme. Il existe un risque important d’interruption de l’approvisionnement en plasma en cas de défaillance de la chaîne de production, de mesures réglementaires prises par les États-Unis — du genre « America first » — ou de contamination par un pathogène nouveau. Dans de tels cas, les patients canadiens n’auraient plus accès aux traitements dont ils ont besoin.

L’introduction de pathogènes nouveaux dans le système d’approvisionnement en sang est une menace bien réelle. Un nouveau pathogène qui cause l’encéphalopathie des cervidés a été détecté chez des cervidés en Alberta, en Saskatchewan, au Québec, dans le Midwest des États-Unis, en Europe et en Corée du Sud. Cette maladie est incurable et entraîne la mort des animaux infectés. Les recherches menées actuellement sur des macaques et sur des souris montrent que le pathogène qui cause l’encéphalopathie des cervidés pourrait être transmis aux humains par la consommation de produits agricoles ou contaminés ou de viande sauvage venant d’animaux contaminés tués par des chasseurs. Aucun test ne permet de détecter la présence de ce pathogène et il n’y a aucun moyen de le rendre inactif ou de le détruire s’il contamine les réserves de sang ou de plasma, comme le VIH à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Pour protéger notre approvisionnement, nous devons être prêts à faire face à la menace posée par l’encéphalopathie des cervidés. Il est donc nécessaire de rendre illégale la rémunération des dons de plasma à l’échelle nationale pour ne pas inciter les donneurs à risque élevé à faire des dons qui pourraient contaminer les réserves de plasma tant que nous n’avons aucune protection contre l’encéphalopathie des cervidés. En mettant l’accent sur les dons volontaires non rémunérés pour renforcer notre autosuffisance, on réduit le risque d’une pénurie, puisque notre système ne reposera pas sur du plasma en provenance des États-Unis, et on fait en sorte que notre système demeure sûr en encourageant les donneurs les moins à risque, ceux qui donnent volontairement et sans rémunération.

Merci beaucoup.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous allons passer aux questions des sénateurs. Je rappelle à tous les sénateurs que la période de questions et réponses dure cinq minutes. Veuillez adresser votre question au témoin dont vous voulez avoir la réponse, et n’oubliez pas notre chère invitée qui témoigne par vidéoconférence.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup pour vos présentations.

Hier, lors de nos audiences, nous avons entendu des représentants d’organisations de patients — pas nécessairement du secteur privé, mais bien d’organisations de patients —, l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes et le Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares. Ils étaient très préoccupés par ce projet de loi et par le risque qu’il représente pour leur approvisionnement. Ce que nous avons entendu hier, c’est que le taux de plasma recueilli auprès des donneurs canadiens volontaires et non rémunérés n’est plus maintenant que de 14 p. 100. En 2016-2017, il était de 17 p. 100, mais il est descendu à 14 p. 100. D’ici 2021, il devrait être tombé à 10 p. 100.

D’après vos recherches, comment pensez-vous que le Canada répondrait à la demande? Même si on regarde ce qui a été fait au Québec — et tout le monde dit qu’il faut regarder ce qui se passe au Québec —, oui, il est vrai que le Québec a aidé Green Cross à établir une usine de fractionnement et fournira et exportera des produits thérapeutiques dérivés du plasma, mais nous savons qu’Héma-Québec a accepté d’acheter des produits d’immunoglobuline fabriqués. À l’heure actuelle, nous importons des produits plasmatiques des États-Unis recueillis auprès de donneurs rémunérés.

Il y a de l’hypocrisie là-dedans. Tout d’abord, on parle de ces énormes pénuries, on dit que la demande continuera d’augmenter et que l’offre continuera de diminuer. J’aimerais avoir votre avis là-dessus parce que vous avez des points de vue très fermes à ce sujet. J’aimerais savoir comment vous conciliez tout cela. Je vais commencer par vous, madame Silas.

Mme Silas : Je ne veux pas dire que deux années ont été gaspillées, parce que ce n’est jamais du gaspillage que d’analyser toutes les options. La Société canadienne du sang — et le Dr Sher comparaîtra devant vous — a proposé un plan pour régler la situation il y a deux ans. Depuis, nous faisons des pressions auprès des gouvernements provinciaux et fédéral, et maintenant auprès du Sénat, pour mettre fin à l’aspect monétaire de la question.

Il faut savoir que, dans les années 1980 et 1990, nos façons de recueillir les dons de sang étaient diversifiées, et il y a eu de nombreux problèmes. Il y a eu un important rapport à ce sujet. Ce que nous vous demandons aujourd’hui, c’est de continuer à vous pencher sur la question d’une éventuelle pénurie d’immunoglobulines tout en maintenant le système public. C’est tout ce que fait le projet de loi. Il maintient le caractère public et responsable de la Société canadienne du sang afin que notre approvisionnement en sang et nos produits sanguins soient sûrs. Nous devons travailler avec les gouvernements provinciaux et fédéral et faire pression sur eux. C’est là-dessus que nous devons axer nos efforts : faire pression sur les provinces pour qu’elles financent la Société canadienne du sang adéquatement pour qu’elle puisse faire ce travail.

La sénatrice Seidman : J’aimerais réagir à cela, car je ne comprends pas vraiment comment on réglera le problème. Nous avons entendu hier le témoignage de Whitney Goulstone, la directrice générale de l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes, et voici ce qu’elle nous a dit :

Afin que le plan pour le plasma soit couronné de succès, nous avons besoin de 200 000 à 600 000 nouveaux donneurs, ce qui s’ajoute au chiffre de 100 000.

C’est le nombre de donneurs de sang total que nous avons actuellement.

Il y a alors des personnes qui cesseront de donner du plasma. Dans le cas du plasma, il faut des gens qui font des dons régulièrement, pas une fois tous les trois mois ou par année. Il faut des gens qui font un don toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Ils doivent le faire de manière continue. On parle d’un grand nombre de donneurs à trouver dans une courte période de temps pour exécuter notre plan et répondre ainsi à la demande de plasma au cours des cinq à huit prochaines années.

Mme Silas : J’ai hâte que le Dr Sher puisse expliquer le plan de la Société canadienne du sang. Tout repose sur la sensibilisation du public. J’ai lu les témoignages d’hier, et on a dit que seulement 3 à 4 p. 100 des Canadiens donnent du sang. Il fut un temps où j’étais une donneuse régulière. Je voyage beaucoup partout dans le monde, alors chaque fois que j’appelle pour faire un don, on me dit non pour des raisons de sécurité, parce que je viens juste de...

La sénatrice Seidman : Mais on ne parle pas ici d’un don de sang normal pour lequel il suffit d’aller 10 minutes à la clinique. On nous a dit que le processus prenait trois heures et que l’aiguille était très grosse. C’est complètement différent. Le donneur doit être vraiment déterminé et doit se présenter une ou deux fois sur une période de deux semaines.

Mme Silas : Personne n’est obligé. C’est possible de le faire, parce que le plasma se régénère dans nos corps, comme Monika pourrait l’expliquer. Tout le monde peut y aller une fois, mais pour inciter les gens à y aller plus souvent, il faut faire des efforts de sensibilisation.

La sénatrice Seidman : Il y a un processus de sélection. On nous a dit hier que ce n’est pas comme faire un don de sang volontaire. Les donneurs sont sélectionnés. Le processus est long et comprend des tests physiques et différentes choses. C’est tout un engagement.

Ce que je veux dire, c’est qu’aller chercher de 200 000 à 600 000 nouveaux donneurs de plasma, compte tenu de la demande sans cesse croissante en raison des nombreuses maladies qui exigent du plasma...

J’imagine que je devrais poser ma question à la Société canadienne du sang.

La présidente : Mme Vyce et la Dre Dutt souhaitent ajouter quelque chose.

La sénatrice Seidman : Je suis désolée. Allez-y, je vous en prie.

Mme Vyce : Comme Linda, le SCFP aimerait savoir pourquoi Santé Canada n’a pas encore approuvé le plan stratégique de la Société canadienne du sang visant à accroître les dons partout au pays. Nous savons que ce plan consiste à ouvrir 40 nouveaux centres au pays, qui vont s’ajouter aux 7 centres de collecte de plasma actuels, et le recrutement de 144 000 nouveaux donneurs de plasma.

Il y a un point que je voudrais soulever pour rectifier ce qui a été dit dans les témoignages d’hier. Dans l’élaboration de son plan stratégique, la Société canadienne du sang a fait des calculs et a déterminé qu’elle aurait besoin de 600 000 dons, pas de 600 000 nouveaux donneurs, pour atteindre son objectif de 50 p. 100 d’autosuffisance d’ici 2024. Si on fait le calcul, on constate que cela équivaut à 144 000 nouveaux donneurs qui feraient de 4 à 5 dons par année.

Le chiffre de 600 000 correspond au nombre de dons nécessaires pour atteindre l’objectif de 50 p. 100, pas au nombre de donneurs.

Dre Dutt : Je voulais réagir au fait que vous avez ramené l’éclairage sur les patients. Je ne peux pas parler pour nous tous, mais je crois que notre message est qu’il faut assurer un approvisionnement sûr et constant pour les patients. Au bout du compte, nous voulons nous assurer que les patients reçoivent leurs traitements.

Vous avez parlé de la quantité de nouveau plasma que nous obtenons des États-Unis. Il est quelque peu hypocrite de procéder de cette façon, j’en conviens. Toutefois, nous parlons justement d’un projet qui vise à changer cela. La question est donc de trouver la meilleure façon d’aborder le problème. À mon avis, c’est avec un système public que nous y arriverons, et il y a un plan à cet effet.

Finalement, ce sont les patients qui comptent. Certains peuvent prétendre que l’approvisionnement est plus sûr avec ces entreprises privées à but lucratif, mais comme la présence de telles entreprises n’a rien donné de positif pour les Canadiens jusqu’à présent, je ne trouve pas que cet argument a beaucoup de poids. Nous avons un système public qui pourrait rendre l’approvisionnement encore plus sûr.

Le sénateur Munson : Je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui. Les choses commencent à se corser sérieusement. Ce projet de loi nous semblait si simple il y a quelques mois. J’étais tout à fait pour. L’idée d’être payé pour donner son sang avait quelque chose de dérangeant à mes yeux.

Puis, hier, nous avons entendu le témoignage de Whitney Goulstone de l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes. La sénatrice Seidman vient de le mentionner. Elle a dit que si l’approvisionnement n’est pas garanti, elle meurt. Elle reçoit des transfusions quotidiennes.

On nous demande soit d’adopter le projet de loi tel quel sans amendements, soit de carrément le torpiller, comme le représentant du Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares nous l’a demandé.

Ce n’est pas facile pour nous. Vos arguments se tiennent. Vous avez parlé de mettre en place de nouveaux programmes et de laisser la Société canadienne du sang et les autres organisations du genre s’en occuper, mais il y aurait une période de transition. Il faudrait du temps pour sensibiliser la population et faire comprendre aux Canadiens qu’ils doivent se retrousser les manches et faire leur part. Cela a déjà été fait par le passé quand les gouvernements faisaient activement la promotion de la bonne santé physique.

Je ne sais pas si je suis capable, dans mon travail de législateur, de décider de laisser des gens mourir pendant qu’on essaie d’organiser une campagne de sensibilisation du public.

Avez-vous autre chose à ajouter ce matin? Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Pas du tout. Vous parlez de droits de la personne et de ressources, mais on peut inverser cet argument. Qu’en est-il du droit d’une jeune personne de dire : « Je vais donner du sang en échange de 30 $ ou 50 $. Il n’y a pas de quoi devenir riche, mais c’est la réalité. »

Je ne sais pas si on peut parler d’une période de transition alors que des vies sont en jeu. N’importe qui peut répondre ou se joindre à la conversation.

La présidente : Est-ce que quelqu’un veut répondre à cette question?

Dre Dutt : Le point de départ serait d’avoir un meilleur système qui permet d’aider plus rapidement les patients qui ont grandement besoin des médicaments, des produits dérivés du plasma. À l’heure actuelle, ce système n’existe pas. Les dons rémunérés ne profitent même pas à ces patients.

Je comprends ce que vous dites à propos d’une période de transition, mais, en ce moment, nous ne sommes même pas en mesure d’accéder à ces produits sur le marché des dons de plasma rémunérés. Si nous n’essayons pas de mettre en place un plan efficace financé par les fonds publics, il n’y a pas de transition, car les produits ne servent pas aux Canadiens.

Alors, une période de transition, comme vous le faites valoir, oui, peut-être, mais l’approvisionnement ne cessera pas d’un coup. Nous ne perdons rien du tout. Nous créons un processus qui nous mènera à terme vers l’autosuffisance. Nous ne cesserons pas d’acheter des produits aux États-Unis demain matin. Nous allons continuer.

Il est beaucoup plus logique d’appuyer un processus qui maintient l’accès des patients aux produits que de modifier un système pour des entreprises dont les produits ne profitent pas aux patients à l’heure actuelle.

Le sénateur Munson : L’argument que nous avons entendu hier, c’est qu’il s’agit d’une industrie mondiale. Le don de sang ne connaît pas de frontières. L’industrie existe, elle est mondialisée et le Canada ne peut pas survivre avec un système purement volontaire.

Mme Silas : Je partage votre sentiment, monsieur le sénateur. Ce matin, j’ai lu rapidement les témoignages d’hier et je me suis dit : « Aïe aïe aïe, nous devons témoigner après ces gens. »

Il n’est pas facile de prendre la parole après des groupes de patients. Je suis infirmière. Monika est médecin. Nous comprenons. Nous croyons fermement dans notre régime de santé public. Nous sommes ici pour protéger l’intégrité de notre régime, dont fait partie la Société canadienne du sang. Préserver son caractère public, c’est assurer une certaine sûreté. C’est un principe que nous tâchons de défendre. Nous y travaillons depuis deux ans.

Comme je l’ai dit, toute cette énergie aurait pu être consacrée au renforcement du plan de la Société canadienne du sang, de sorte qu’on réponde aux préoccupations des patients en 2, 4 ou 10 ans. C’est ce processus que nous essayons de protéger.

Le sénateur Munson : Merci.

Le sénateur Ravalia : Je m’adresse à vous en ma qualité de médecin ayant traité un nombre considérable de personnes atteintes de maladies rares qui dépendaient entièrement de produits dérivés du plasma.

Il est illusoire de penser que nous avons un régime public. Il faut payer les services de physiothérapie et de massothérapie, les soins dentaires et les médicaments. Nos listes d’attente sont immensément longues. Les Canadiens des régions rurales sont extrêmement désavantagés par le régime. Cette vision idéalisée de notre régime de soins de santé est un mythe. Il suffit de parler aux gens qui attendent 2 ans pour un examen par IRM ou 18 mois pour un remplacement de la hanche et qui n’ont pas accès à des médicaments essentiels parce que ceux-ci coûtent tellement cher que les gens ne peuvent se permettre le traitement.

Que dire à la mère d’un bébé de six mois qui a besoin d’immunoglobulines? Peu importe leur provenance. Ce n’est guère différent d’acheter de l’insuline ou des produits chimiothérapeutiques ou d’autres médicaments. Il y a des profits derrière.

Quatre-vingt-six pour cent des Canadiens ne peuvent pas donner de sang. Ils ne sont pas admissibles. Les 14 p. 100 qui sont rémunérés pour donner du plasma... Je veux préciser quelque chose. Le processus de don de sang total est complètement différent de celui de don de plasma. Les jeunes pensent que c’est un produit de base. Toutefois, si une personne passe trois heures à faire l’objet d’une vérification puis à donner du plasma qui servira à fabriquer des produits qui sauvent des vies et qu’elle touche 30 ou 40 $, eh bien, souvent cela représente moins que le salaire minimum. Il y a tout de même un certain altruisme. Quand cette personne aura un emploi et sera devenue indépendante, il est à espérer qu’elle continue à faire des dons de sang total ou de plasma de la manière qu’elle le désire.

Dans ma pratique médicale, je me suis déjà heurté à une pénurie d’immunoglobulines et au cas d’un bébé dont la vie était menacée parce que la Société canadienne du sang n’était pas en mesure de fournir du plasma.

Si nous devions brusquement renoncer à notre source d’approvisionnement, il faudrait 15 à 25 ans avant que la Société canadienne du sang puisse fournir le plasma. Donner du plasma est un processus extrêmement difficile. Il faut se soumettre à une vérification, se faire planter une grosse aiguille dans le bras. Cela prend de deux heures à deux heures et demie. Il y a toute une liste de mesures de suivi à appliquer : maintenir son hydratation, faire vérifier sa tension artérielle et ainsi de suite.

Peut-être que les Canadiens sont suffisamment altruistes pour cela. Mais il faudra attendre longtemps avant d’atteindre les niveaux visés. Je suis un peu déchiré, car je suis une personne fondamentalement altruiste. J’ai oeuvré toute ma carrière dans le domaine de la santé, dans une région rurale, en marge. Nous dépendions de ces agents. Cette idée que nous vivons dans un pays doté d’un merveilleux régime public et universel de soins de santé n’est rien d’autre qu’un mythe.

Je veux que vous en teniez compte aussi. Comme le sénateur Munson, j’ai passé de nombreuses nuits blanches à réfléchir à la question. En définitive, j’estime que ces produits sont essentiels pour traiter plus d’une cinquantaine de maladies rares qui affectent un faible nombre de personnes, souvent concentrées dans de petites localités ou des régions du pays qui sont vulnérables de toute façon et qui sont aux prises avec des services transitoires, une pénurie d’infirmières, des médecins de passage. Les Canadiens les plus vulnérables le sont encore plus dans ces régions. J’aimerais que vous y songiez.

La présidente : Avez-vous une question précise à poser?

Le sénateur Ravalia : Voici ma question : vos arguments sont extrêmement convaincants, cohérents et logiques... dans un monde idéal. Mais ils ne correspondent pas du tout à la réalité. Tant que nous n’aurons pas l’assurance que la Société canadienne du sang est en mesure de nous fournir des produits plasmatiques, cela ne pourra pas fonctionner. Qu’en dites-vous?

La présidente : Docteure Dutt, voulez-vous dire quelque chose?

Dre Dutt : Tout d’abord, je suis d’accord avec vous sur une foule d’aspects. Je ne veux pas avoir l’air de prétendre que notre régime est idéal. Le régime d’assurance-maladie couvre un nombre très limité de services médicaux et hospitaliers, lesquels ne sont pas toujours facilement accessibles. J’ai pratiqué dans des localités rurales et éloignées où l’évacuation sanitaire peut être une question de vie ou de mort pour un patient. Loin de moi l’idée de laisser entendre que notre régime de santé est parfait.

Parmi les témoins que vous entendez, nous sommes nombreux à travailler sur des dossiers comme un régime national d’assurance-médicaments. Nous sommes d’avis qu’un régime de santé plus exhaustif qui profite aux patients et procure des soins à chacun en fonction de ses besoins n’en serait que meilleur.

Je comprends votre sentiment. Je suis d’accord avec vous : bien des facettes de notre régime méritent d’être améliorées. Nous laissons le soin à la Société canadienne du sang d’expliquer son processus. Du moins, je leur laisse le soin de le faire. Mais d’après ce que j’ai lu et entendu, on ne parle pas d’un arrêt brusque. Il s’agit d’accroître notre autosuffisance. Le but n’est pas d’atteindre 100 p. 100 tout de suite. On parle de 50 p. 100. D’après ce que j’ai vu, il n’est pas question d’arrêter brusquement d’approvisionner qui que ce soit. Vous avez une expertise clinique que je n’ai pas, car vous avez eu affaire à des patients qui utilisaient ces produits. Je ne veux rien précipiter.

Cependant, il existe un plan, qui fonctionnerait à même le régime public et qui vise l’autosuffisance et l’accessibilité pour les patients dans les petites localités. Nous avons déjà constaté, dans d’autres situations, que les services médicaux à but lucratif se traduisent souvent par une absence de soins dans les régions petites et vulnérables, car celles-ci sont jugées moins rentables. Ce qu’il vaut envisager, c’est un système avantageux pour tous.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie beaucoup. Même si je me sens tiraillé, j’estime qu’il faut continuer de faire partie de la chaîne d’approvisionnement mondial en plasma, qu’il provienne de dons rémunérés ou pas. Il faut garder le contact avec nos fournisseurs aux États-Unis, en Europe ou n’importe où pour ne pas dépendre encore plus d’une source de ces protéines plasmatiques vitales pour la santé de tant de Canadiens vulnérables marginalisés.

La présidente : Merci pour votre intervention, sénateur Ravalia.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je pourrais continuer avec la question du sénateur Ravalia. Docteure Dutt, vous avez dit qu’il y avait un plan pour nous affranchir des États-Unis et qui pourrait même créer une autosuffisance au Canada. Cela veut dire que plusieurs personnes et organismes le considèrent depuis longtemps. Avez-vous pensé à un système qui pourrait assurer tant la collecte de plasma que l’approvisionnement des médicaments dérivés du plasma? Combien en coûterait-il? Quels organismes ou gouvernements pourraient contribuer le plus à son financement?

Dre Dutt : Merci pour la question. Comme je l’ai dit, je comprends les questions en français. Toutefois, je vais répondre en anglais. J’essaie de pratiquer mon français, mais je ne peux pas traiter de questions techniques en français.

[Traduction]

Je crois que la Société canadienne du sang pourra expliquer où en sont la planification et les demandes de financement aux échelons fédéral et provincial. Je ne peux pas répondre directement à la question, car je ne participe pas à la conception du système. Suffisamment de choses ont été dites et publiées pour que nous sachions qu’il y a une proposition. Il faut évidemment tenir compte de considérations financières, mais je ne puis dire précisément où on en est et qui finance quoi.

La présidente : Je veux préciser que nous recevrons des représentants d’Héma-Québec et de la Société canadienne du sang. Les deux organismes ont des plans bien structurés, je le sais, pour accroître la durabilité. Il sera intéressant de demander plus de détails aux représentants quand ils viendront témoigner.

La sénatrice Poirier : Je remercie tous les témoins de leur participation et de leur exposé. Je suis d’accord avec certains de mes collègues. Cette étude est fort instructive pour bon nombre d’entre nous. Ce serait bien si l’ensemble des Canadiens pouvaient apprendre tout ce que nous apprenons, car nous sommes nombreux à ne pas comprendre tout le fonctionnement du système.

Je viens du Nouveau-Brunswick, où il y a une clinique. L’ouverture de la clinique a suscité bien des inquiétudes chez beaucoup d’habitants de la province. Les inquiétudes se sont atténuées pendant un bout de temps, mais elles ont refait surface dans les médias. Nous avons récemment entendu des gens exprimer leurs préoccupations relativement à la clinique. Les témoignages que nous entendons sont importants. Ils nous aident à démêler les pour et les contre, à cerner les besoins et à comprendre la raison d’être des cliniques.

Disposez-vous de statistiques sur l’incidence des cliniques privées au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan? Pouvez-vous établir des comparaisons avec les trois provinces qui ont banni cette pratique? Quel pourcentage du plasma provient de ces cliniques? Quelle quantité demeure au Canada pour répondre aux besoins des Canadiens?

Mme Vyce : Je vous remercie pour votre question. J’ignore si la Société canadienne du sang recueille des données précises qui permettraient d’y répondre. À la séance d’hier, un témoin a dit qu’il existait des données empiriques.

Selon la Société canadienne du sang, il y a confusion entourant la marque. Des gens se rendent chez Canadian Plasma Resources pensant se rendre dans une clinique de la Société canadienne du sang. Ils ont du mal à comprendre qui exploite la clinique.

La Société canadienne du sang a aussi indiqué qu’elle avait dû hausser considérablement son budget publicitaire afin de rebâtir sa base de donneurs volontaires, en particulier à Saskatoon et au Nouveau-Brunswick, où elle a constaté une fluctuation du nombre de donneurs de plasma. Cela coûte évidemment très cher à la Société canadienne du sang. Celle-ci a informé Santé Canada que le nombre de donneurs âgés de 17 à 24 ans avait diminué. Comme je l’ai mentionné précédemment, les donneurs de ce groupe d’âge sont les plus recherchés.

La sénatrice Poirier : Vous avez toutes les trois exprimé votre soutien à l’égard du projet de loi S-252 et vous avez fourni quelques raisons expliquant votre appui.

Pour que les choses soient claires, est-ce que la principale raison de votre appui repose sur la rémunération des donneurs ou craignez-vous que d’autres facteurs affaiblissent le système volontaire au Canada? Pour disposer des réserves nécessaires au Canada, nous achetons beaucoup de plasma aux États-Unis, alors qu’il provient de donneurs rémunérés. Qu’en pensez-vous?

Mme Silas : Pour ma part, madame la sénatrice, ce qui provoque un malaise chez moi, ce n’est pas la rémunération des donneurs, mais le manque de reddition de comptes. La Société canadienne du sang est un organisme tenu de rendre des comptes à la population. Nous nous heurtons constamment à des problèmes avec elle. Lorsqu’il y a un problème, nous nous adressons directement à elle et, si cela ne fonctionne pas, nous nous adressons à Santé Canada. Il y a une obligation redditionnelle. La Société canadienne du sang ne se soucie pas des profits et des acheteurs; elle veut offrir un service de qualité aux Canadiens. Il y a une responsabilité envers la population.

Canadian Plasma Resources ne donne même pas notre plasma aux Canadiens. Le plasma est envoyé ailleurs. Même si nous pensons qu’il faut payer les donneurs, il n’en demeure pas moins que le plasma ne reste pas au Canada.

Comme présidente de la Fédération des syndicats des infirmières et infirmiers, je préconise une reddition de comptes. Je veux que le ministre de la Santé puisse appeler le Dr Sher tout de suite et exiger des réponses. Or, il est impossible d’appeler une entreprise privée. Les actionnaires et les gens qui font des profits grâce à l’entreprise peuvent lui exiger des comptes, mais pas le ministre de la Santé. C’est une question de responsabilisation.

Nous souhaitons tous régler ce problème éventuel. Pour l’instant, c’est ce qu’il est. Les ressources diminuent. Nous avons déployé beaucoup d’énergie à lutter pour protéger l’aspect non lucratif.

La présidente : Mme Vyce veut revenir sur votre première question.

Mme Vyce : La question qui vous occupe est la suivante : le système canadien de collecte et de distribution du sang devrait-il être public et responsable uniquement devant les Canadiens ou devrait-il être contrôlé par des entreprises privées tenues de ne rendre des comptes qu’à leurs actionnaires? Le Syndicat canadien de la fonction publique n’est pas en faveur de la rémunération des donneurs de plasma, car le plasma doit demeurer une ressource publique dans l’intérêt des Canadiens et des patients de notre pays.

L’enjeu, c’est la gestion des réserves de plasma. Santé Canada autorise chaque clinique à exporter 60 000 litres de plasma à l’extérieur du Canada. Ce sont 60 000 litres qui ne restent pas au pays à répondre aux besoins des patients d’ici.

Les donneurs qui vendent leur plasma à Canadian Plasma Resources ne font plus partie de la base des donneurs volontaires. Le contrôle de leur plasma appartient désormais à l’entreprise privée et à des intérêts étrangers.

Nous pouvons examiner deux cas intéressants. Il y a déjà eu deux cliniques privées de collecte de plasma contre rémunération en Allemagne et elles ont été achetées par la Croix-Rouge allemande, qui les exploite. La Croix-Rouge n’a pas été en mesure de retenir les donneurs sans continuer à les payer pour vendre leur plasma. Elle continue donc à les rémunérer et c’est très coûteux. Comme un témoin l’a affirmé hier, les taux de don stagnent en Allemagne.

L’autre cas intéressant est la Hongrie, qui dispose d’un système privé de rémunération des donneurs de plasma. L’arrivée de ce système a fait chuter radicalement les dons volontaires de sang total. Pour y remédier, la Hongrie a adopté une loi qui exige que quiconque donne du plasma à une entreprise privée est tenu de faire un don de sang total par an.

La sénatrice Omidvar : Il s’agit vraiment d’un projet de loi épineux. Nous avons reçu des témoins très convaincants provenant des deux camps. Je comprends le point de vue de nos témoins d’aujourd’hui. Une approche de santé publique au sein du régime public de soins de santé : voilà un idéal auquel la plupart d’entre nous adhèrent. Toutefois, la majorité d’entre nous sont toutefois assez pragmatiques pour comprendre ce qu’explique le sénateur Ravalia. Nous avons un idéal, mais la réalité est tout autre. Espérons qu’un jour, cet idéal se concrétisera.

Dans l’intervalle, nous essayons de déterminer quoi faire. L’un des principes qui guident mon travail de législatrice, c’est de ne pas causer de préjudices. Pratiquement chaque projet de loi comporte des effets préjudiciables, étant donné les conséquences inattendues. Dans le cas qui nous occupe, il ne s’agit pas de conséquences inattendues. Nous savons qu’il y aura des conséquences extrêmement graves pour les patients.

Nous avons entendu les patients. Les organismes ont un point de vue et les particuliers, les patients, un autre point de vue. Nous nous efforçons de comprendre les tenants et les aboutissants.

Selon ce que je comprends, le Canada a un modèle mixte. Certaines provinces autorisent les dons de plasma contre rémunération. D’autres provinces ont légiféré pour interdire cette pratique. Le plasma que nous utilisons vient soit du Canada, soit de l’extérieur. Nous avons un modèle mixte.

J’ai du mal à déterminer si le Canada a la capacité de faire ce qu’aucun autre pays n’a jamais fait, c’est-à-dire répondre à ses propres besoins en plasma uniquement à l’aide de dons volontaires. Aucun pays ne le fait. C’est bien cela? Aucun pays n’est en mesure de répondre à ses besoins en plasma uniquement à l’aide de dons volontaires.

Je voudrais qu’on me reparle de la Hongrie.

Mme Vyce : La Hongrie a un système privé de rémunération des dons de plasma. L’arrivée de ce système a fait diminuer le taux de dons de sang total à titre gratuit. L’État a donc décidé d’adopter une mesure législative pour obliger les personnes qui vendent leur plasma à donner du sang total une fois l’an.

La sénatrice Omidvar : Voici ma seconde question — ou ma première. Je ne sais pas si quelqu’un peut y répondre. Vous avez fait mention de pays qui avaient fait des progrès, comme l’Italie. Y a-t-il des pays qui ont réussi à aller jusqu’au bout?

Mme Vyce : Le pays qui s’approche le plus de l’autosuffisance, comme je l’ai mentionné, c’est l’Italie. Son taux d’autosuffisance oscille entre 70 et 96 p. 100, selon le produit d’immunoglobuline. Ses besoins ne sont pas comblés à 100 p. 100. Le reste du plasma est acheté aux États-Unis.

La sénatrice Omidvar : L’Italie applique aussi un modèle mixte. Combien de temps lui a-t-il fallu pour atteindre 70 p. 100?

Mme Vyce : Bonne question. Je n’ai pas la réponse, mais je suis persuadée que l’organisme italien responsable de l’approvisionnement en sang serait en mesure de vous répondre.

Dre Dutt : Je ne prétends pas que nous allons atteindre un taux de 100 p. 100 de dons volontaires. C’est l’objectif fixé par l’Organisation mondiale de la Santé. Elle préconise que, d’ici 2020, la totalité des dons de sang soit effectuée sans rémunération. Vu notre situation actuelle, je crois que ce n’est pas réaliste.

Ce qui est réaliste, c’est d’essayer de maintenir un approvisionnement diversifié. Tout ne peut pas venir d’une seule source, car, en effet, comme nous l’avons vu, si un problème survient avec l’approvisionnement, c’est tout le système qui est déstabilisé.

Si nous oublions l’objectif de 100 p. 100 d’ici 2020, que pouvons-nous faire, compte tenu de facteurs comme le coût et les processus nécessaires? Je pense qu’il est raisonnable, pour débuter, de passer de 14 ou 17 p. 100 à 50 p. 100. C’est ce que propose et prévoit la Société canadienne du sang.

Il est important d’avoir une diversité de sources, ce qui implique à long terme probablement, mais du moins à court terme, une certaine proportion de dons rémunérés provenant de l’extérieur du Canada. Il ne semble pas y avoir d’argument convaincant à l’heure actuelle pour changer cet état de choses au Canada, si on se fie aux changements qui ont eu lieu dans les provinces dont nous avons parlé et qui ne profitent pas aux Canadiens. Les changements que nous apportons ne contribuent pas à la résolution du problème.

La sénatrice Omidvar : Le projet de loi est assez catégorique : il sera désormais interdit de prélever du plasma contre rémunération. Toutefois, il n’y a aucune mention — peut-être que ce sera dans le règlement — d’une étape de transition pour permettre au secteur d’accroître sa capacité et pour sensibiliser la population de sorte que les gens retroussent volontiers leurs manches pour donner du plasma.

Le libellé du projet de loi est très contraignant. Une fois mis en œuvre, le projet de loi, s’il est adopté... Je m’interroge. Hier, des gens ont dit qu’il fallait torpiller le projet de loi. Tandis que vous, vous affirmez avec éloquence et en toute connaissance de cause qu’il s’agit d’une bonne mesure législative. On dirait qu’il n’y a pas de juste milieu. C’est problématique.

Mme Silas : Le projet de loi offre ce juste milieu, car il y est écrit : « autre que la Société canadienne du sang ». Cela me ramène à la reddition de comptes. Même si, personnellement, je suis contre la rémunération des donneurs de plasma ou de sang, le projet de loi accorde à l’organisme public responsable le droit d’établir un plan en vue d’atteindre notre objectif. Il appuie manifestement notre organisme public.

La sénatrice Omidvar : Il est écrit qu’aucun établissement, autre que la Société canadienne du sang, ne peut prélever du plasma contre rémunération ou indemnisation.

Mme Silas : Qui sait ce que fera la société? Mais elle aura des comptes à rendre.

La sénatrice Omidvar : Merci. Je vais réfléchir un peu à tout cela.

Le sénateur M. Deacon : Je vous remercie de comparaître devant le comité aujourd’hui. J’abonde dans le sens de mes collègues. Nous réfléchissons à cet enjeu depuis 15 mois, depuis les premières discussions. Aujourd’hui, à mesure que nous approfondissons le sujet de plus en plus, comme l’exige notre travail, je me sens plus perplexe.

Corrigez-moi si je me trompe, mais plus nous creusons la question, plus j’ai l’impression que le sang et le plasma sont cousins. Il est difficile de parler du sang de la même manière dont nous parlons du plasma. À mesure que notre étude avance, nous entendons des histoires, des précisions et des renseignements très différents. En effet, d’un jour à l’autre, nous pouvons entendre des exposés très éloquents mais divergents.

Docteure Dutt, dans vos observations liminaires, vous avez affirmé qu’avant tout, il fallait examiner de près les habitudes d’utilisation et les changements dans la pratique. Pouvez-vous préciser votre pensée et nous faire part de vos réflexions initiales à cet égard, avant que nous allions plus loin?

Dre Dutt : Je me dois de préciser que, dans ma pratique en médecine familiale, je prescris peu de produits de ce genre, voire aucun. Mes connaissances reposent principalement sur des lectures. Même le comité d’experts, dans le résumé du rapport qu’il a produit, a fait remarquer que le Canada est le deuxième consommateur mondial d’immunoglobulines et de produits dérivés du plasma, par habitant.

Je me suis intéressée à l’avis d’autres hématologues et à ce que révèle la recherche sur notre utilisation. Il faut savoir que, à l’heure actuelle, beaucoup d’utilisations au Canada ne cadrent pas nécessairement avec les lignes directrices en vigueur. Cela ne signifie pas qu’il s’agit d’utilisations inappropriées, mais plutôt que les produits sont utilisés de manière efficace, mais pas nécessairement conforme aux lignes directrices.

Peut-être que d’autres intervenants, des sénateurs eux-mêmes, qui ont plus d’expérience clinique que moi dans ce domaine, peuvent s’exprimer sur le sujet. Selon mes lectures, il est nécessaire d’examiner plus avant notre utilisation, car le Royaume-Uni, comme l’a indiqué le comité d’experts, a pu mettre en place des pratiques et des politiques qui ont fait diminuer l’utilisation.

L’incidence sur les patients a-t-elle été positive ou négative? Pouvons-nous agir différemment au Canada et nous pencher sur la demande pour déterminer s’il y a lieu d’apporter des changements? Certaines données sont très limpides, d’autres moins, mais il faut seulement que nous rattrapions notre retard au chapitre de la recherche. Pourrions-nous utiliser d’autres traitements? Nos utilisations sont-elles inappropriées? C’est un aspect qui a été signalé par le comité d’experts. Si nous voulons examiner la demande en produits, il vaut la peine d’examiner notre utilisation au Canada.

Le sénateur M. Deacon : Vous avez commencé par dire que le Canada est le deuxième consommateur mondial. Savez-vous pourquoi? Comprenez-vous pourquoi nous figurons parmi les deux pays affichant la plus importante consommation?

Dre Dutt : Je n’ai pas le détail des chiffres sur notre consommation, par comparaison avec celle des autres pays.

Mme Vyce : C’est une excellente question, une question tout à fait pertinente qui pourrait orienter une partie de l’étude et des travaux du comité. Cet aspect est aussi entré en ligne de compte dans la crise des opioïdes au Canada. Notre pays se classe parmi les plus grands consommateurs mondiaux de médicaments de type opioïdes, ce qui a contribué en partie à la crise actuelle au Canada.

Des études sérieuses ont été réalisées sur les habitudes de prescription et les raisons pour lesquelles le Canada est devenu l’un des plus grands utilisateurs d’opioïdes du monde. Nous pourrions entreprendre ce type d’étude relativement aux médicaments à base d’immunoglobuline au Canada afin d’obtenir des réponses.

Le sénateur M. Deacon : La marraine du projet de loi vous a-t-elle consultées au préalable?

Mme Silas : Oui.

Mme Vyce : Non.

La présidente : Nous avons perdu l’audio de la Dre Dutt.

Dre Dutt : Je disais que je n’ai pas été consultée. L’organisme dont je fais partie, Médecins canadiens pour un régime public, n’a pas été consulté non plus.

La sénatrice Seidman : Je me dois d’intervenir au nom des organisations de patients qui sont venues témoigner hier. Je suis décontenancée par ce que vous venez de dire, madame Vyce. Comment diable pouvez-vous comparer les patients qui ont besoin de plasma pour survivre, pour vivre, avec une crise de dépendance aux opioïdes? Je suis désolée, mais j’ai beaucoup de difficulté à concilier ces deux réalités. Je dois le dire à la défense de tous ces patients qui dépendent du plasma pour survivre. Cela n’a rien à voir avec la crise des opioïdes.

La présidente : Merci, sénatrice Seidman.

Mme Vyce : J’aimerais répondre en disant que je ne comparais absolument pas les victimes de la crise des opioïdes et les patients à qui l’on prescrit des opioïdes aux patients à qui l’on prescrit des médicaments à base d’immunoglobuline. Je voulais simplement dire qu’au Canada, d’importantes recherches ont été menées afin de comprendre pourquoi les taux d’opioïdes sur ordonnance sont aussi élevés. On pourrait entreprendre une étude semblable afin de déterminer pourquoi les taux de médicaments à base d’immunoglobuline sont eux aussi très élevés au Canada.

La présidente : Je vous remercie de cette précision.

La sénatrice Dasko : Tout comme mes collègues, j’ai écouté les témoignages d’hier. J’ai aussi écouté votre témoignage. Il est évident que nous entendons des arguments très différents dans ce dossier.

Madame Silas, vous avez dit quelque chose qui me préoccupe. Vous avez dit que les organismes à but lucratif qui fournissent des services au système médical ne sont pas tenus de rendre des comptes au public, mais le sénateur Ravalia nous a énuméré une longue liste d’organismes, d’institutions et autres qui fournissent des services au régime de soins de santé, dont certains sont à but lucratif.

Je crois comprendre que tous les fournisseurs de services du régime de soins de santé doivent rendre des comptes au public car ils y sont obligés, dans le cas des fournisseurs dont nous parlons. Les gens sont maintenant testés, examinés et évalués. Les produits sont testés et jugés sûrs. Ces organismes doivent rendre des comptes au public sur à peu près tous les plans.

Pourquoi la ministre ne pourrait-elle pas communiquer avec un de ces organismes si elle le voulait? Je suis plutôt surprise par tout cela.

À mon avis et d’après ce que je comprends, ils doivent rendre des comptes au public car ils fournissent des services au régime de soins de santé, et ces services font l’objet d’un examen. À mon avis, dans la plupart des cas, ils font l’objet d’un examen minutieux. Je ne vois pas comment vous pouvez affirmer une telle chose. Notre régime est très développé.

Comme le sénateur Ravalia l’a dit, le secteur privé fournit de nombreux services à notre régime de soins de santé. Je ne saurais dire si c’est bien ou mal. Je sais seulement que c’est ainsi. Peut-être qu’un jour cela va changer et que tout sera dans le régime public, je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’une part importante de nos services de soins de santé provient du privé, dans un but lucratif dans bien des cas.

C’était ma question. Je ne voulais pas paraître agressive. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi vous avez dit cela.

Mme Silas : Je crois que mon opinion et celle de mon organisme sont claires. Nous défendons notre régime public de soins de santé. Nous le défendons, car nous y travaillons, peu importe ce qu’en disent la Dre Dutt ou certains sénateurs.

Je suis une infirmière qui travaille dans ce système. C’est ce système qui m’a permis de progresser et de pratiquer en toute liberté. Les fournisseurs obtiennent une licence ou un permis quelconque de Santé Canada, alors il existe assurément une forme de reddition de comptes.

La sénatrice Dasko : Bien sûr qu’il en existe une.

Mme Silas : Leur principal objectif, c’est de faire de l’argent.

La sénatrice Dasko : Ils doivent fournir un produit sûr, solide, qui a été examiné et testé d’innombrables fois. Comment pouvez-vous dire qu’ils n’ont pas de comptes à rendre au public?

Mme Silas : Revenons pas très loin dans le temps, à l’époque de la commission Romanow. Lorsque M. Romanow a présenté son rapport, il était clair que les entreprises à but lucratif n’avaient pas leur place dans notre régime de santé. Cette commission a siégé pendant un an, elle a entendu des milliers de témoins, et cetera. Cette conclusion appuyait notre vision du régime de santé public et des services qui l’entourent.

Je conviens avec la sénatrice que la physiothérapie, les soins dentaires et les médicaments devraient faire partie de notre régime de santé public. Si vous lisez nos publications, celles du SCFP ou encore de Médecins canadiens pour le régime public, vous constaterez que nous croyons que les médicaments sur ordonnance devraient faire partie de notre régime de santé public. Il est inconcevable que dès que vous sortez de l’hôpital, peu importe ce que votre médecin vous a prescrit, qu’il s’agisse de médicaments, de physiothérapie, de soins dentaires ou de soins psychologiques — et vous avez fait une grosse étude sur la santé mentale —, rien n’est couvert.

Les infirmiers et les infirmières trouvent inconcevable que si quelqu’un a besoin de produits sanguins, la source ne soit pas couverte comme tout le reste.

La sénatrice Dasko : Vous maintenez qu’ils n’ont aucun compte à rendre au public pour les services qui leur sont confiés? Ils n’ont aucun compte à rendre.

Mme Silas : Je dirais qu’ils n’ont pas autant de comptes à rendre au public, parce qu’ils sont dirigés par des intervenants.

La sénatrice Dasko : Ils n’ont pas autant de comptes à rendre.

La présidente : Souhaitez-vous ajouter autre chose, docteure Dutt?

Dre Dutt : Je vais tenter d’être brève. Je voulais établir une distinction entre l’administration et la prestation des soins de santé. Médecins canadiens pour le régime public et moi cherchons constamment à renforcer l’administration publique des soins de santé, qui peut inclure un régime national d’assurance-médicaments, la Société canadienne du sang ainsi que les institutions et les organismes qui fournissent des soins à tous d’un bout à l’autre de la province et du pays.

Il y a aussi la partie prestation. Comme on l’a déjà dit, il existe différents modèles de prestation de services qui sont à but non lucratif et à but lucratif. Je crois qu’il peut y avoir reddition de comptes lorsqu’on conclut un contrat avec un organisme à but lucratif. Il faut dire que la motivation de faire des profits demeure, alors que ce n’est pas le cas pour un organisme à but non lucratif.

Dans le cas des soins dentaires et de physiothérapie, il est clair que bien des gens ne peuvent se les permettre car ils ne sont pas couverts par notre régime public. Lorsqu’il faut payer de sa poche, ce sont les moins fortunés qui sont essentiellement incapables de payer les prix plus élevés exigés par une société à but lucratif.

Comme Linda l’a indiqué, il n’y a pas autant de reddition de comptes à certains égards, car il s’agit d’une entité distincte, qu’il s’agisse de votre propre entreprise ou d’actionnaires. Il n’est alors pas uniquement question de rendre des comptes au régime public.

La sénatrice Dasko : Si on décide que le régime public de soins de santé couvre les soins dentaires, ces soins continueraient d’être prodigués par les dentistes actuels. La prestation de ces soins continuera d’être assurée par des fournisseurs privés.

Dre Dutt : C’est exact. Les médecins sont en majorité des fournisseurs privés.

La sénatrice Dasko : Bien entendu. Nous pourrions décider que les soins seront couverts par le régime public, mais cela ne changera pas la façon de les fournir.

Dre Dutt : En effet. Je crois qu’il s’agit d’un bon modèle.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : J’ai le même dilemme que mes collègues entre l’appui et le dédain pour ce projet de loi. Je comprends beaucoup mieux la distinction entre la collecte du sang et celle du plasma.

Je comprends également que le processus de collecte du plasma et celui de la transformation du plasma en immunoglobuline s’étendent sur un nombre impressionnant d’années. Pour subvenir à un seul patient, il faut plusieurs donateurs de plasma.

Ceci me mène à la constatation qui nous a semblé très évidente en écoutant les témoins d’hier. La demande surpasse de loin les réserves disponibles. On anticipe même, avec un accroissement de cette demande, le très grave risque de manquer de réserves, ce qui pourrait se traduire en pertes de vies pour les Canadiens. Ce point est donc très important.

Je trouve malheureux qu’on n’ait pas entendu le Dr Sher nous présenter le plan qu’il propose. J’ai l’impression que notre discussion est un peu prématurée, étant donné qu’on ne sait pas ce qu’on envisage comme alternative. Si on confie au régime public la collecte du plasma, je soupçonne — et les arguments d’hier m’ont convaincue — que la réserve tombera et que nous serons en situation de crise pour répondre à la demande. Le plan, aussi impressionnant soit-il, ne pourra pas répondre immédiatement à la demande, compte tenu du temps qu’il faut pour transformer le plasma et aussi pour bâtir une banque de donateurs. Je crois que ce plan, lorsqu’on en connaîtra les détails, nous dévoilera qu’il faudra encore bon nombre d’années avant d’obtenir les retombées désirées.

Que fait-on dans l’intervalle? Si ce projet de loi est adopté, je comprends que les trois entreprises qui font la collecte en payant les donateurs, dans les trois provinces où c’est permis, cesseront tout simplement de fonctionner pour respecter l’interdiction. Que faire dans une telle situation? Que peut-on faire dans l’intervalle? Y avez-vous pensé?

[Traduction]

Dre Dutt : Je voudrais simplement ajouter, et je sais qu’il en a déjà été question, qu’en ce moment, les entreprises à but lucratif ne nous fournissent pas de produits plasmatiques. Cela ne changerait rien pour nous si elles cessaient leurs activités.

S’il s’agit d’examiner comment assurer notre approvisionnement, on en revient à cette question : comment soutenir le système? Il semble que le plan consiste à faire augmenter les dons de sang volontaires. Il existe des dons de plasma volontaires. Il est probable que le Canada continue de s’approvisionner en plasma de l’étranger pendant encore un certain temps.

Toutefois, compte tenu du fait que le système actuel ne nous avantage pas, cela ne change rien. On a dit que le projet de loi laisse la porte ouverte à la possibilité que la Société canadienne du sang puisse éventuellement recourir, au besoin, aux dons rémunérés. Elle ne le prévoit pas pour l’instant, pas plus qu’elle ne prévoit avoir recours à Canadian Plasma Resources. Je dirais que cela ne changera rien de ne rien faire. Ce qui pourrait changer les choses, ce serait d’avoir un approvisionnement national.

La présidente : Merci.

Madame Vyce, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Mme Vyce : Je voulais appuyer les propos de Monika. J’ajouterais que nous disons souvent qu’il existe au pays trois cliniques qui rémunèrent les dons de plasma.

Il ne faut pas oublier que la clinique de Winnipeg est vraiment unique et très différente de Canadian Plasma Resources. La Commission Krever l’a autorisée à prélever du plasma pour un seul phénotype sanguin très rare appelé Rh négatif. C’est dans ce seul but que la Commission Krever a autorisé une rémunération pour ce type de plasma en particulier.

J’aimerais aussi entendre ce que Graham Sher a à dire, et ce que prévoit son plan. Je crois qu’il permettrait à cette clinique de continuer de prélever ce rare groupe sanguin.

[Français]

Mme Silas : Je sais que Héma-Québec viendra témoigner. Il faut noter que le Québec a été la première province à interdire le paiement pour la collecte. C’est aussi la seule province dont les collectes de plasma ont augmenté, en comparaison avec la Société canadienne du sang. Il sera très intéressant pour vous de comparer les deux situations. Comment se fait-il que le Québec affiche un taux supérieur de collecte, alors qu’il ne paie pas, tandis qu’au Canada on note une diminution?

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Je crois que notre défi vexatoire, dans le cadre de notre travail qui consiste à protéger les Canadiens vulnérables dans le contexte de ce projet de loi, c’est que nous devons veiller à disposer d’un approvisionnement en plasma solide et continu pour ceux qui en dépendent pour rester en vie. Il s’agit d’une question de vie ou de mort, comme mes collègues l’ont si bien expliqué.

Je suis préoccupé par deux commentaires qui ont été faits dans le cadre de nos discussions. J’aimerais des éclaircissements à leur sujet. Premièrement, on a dit que le régime public est synonyme de sécurité. Bien des gens qui sont au fait du fonctionnement de notre régime public de soins de santé — le secteur hospitalier est entièrement public — savent très bien que la sécurité est une grave préoccupation. Dans le secteur hospitalier, le régime public n’est pas synonyme de sécurité : distribution des médicaments, erreurs médicales, interventions iatrogènes. Pour autant que je sache, le régime public n’est pas synonyme de sécurité. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Poursuivons sur cette préoccupation. Pouvez-vous nous fournir des données qui indiquent que le système actuel d’approvisionnement en plasma, fondé sur des donneurs — souvent étrangers — qui sont rémunérés pour leur don, n’est pas sûr? Pouvez-vous nous montrer toutes les données indiquant que le système actuel d’approvisionnement en plasma n’est pas sûr et que des Canadiens ont eu des problèmes sur le plan de l’innocuité, que certains en sont morts ou qu’ils ont subi des effets imprévus parce que l’approvisionnement n’est pas sûr? J’aimerais prendre connaissance de ces données.

Deuxièmement, la dernière discussion m’a permis d’apprendre que « la source n’est pas protégée ». Hier, nous avons entendu qu’il y a une énorme quantité d’analyses, de traitements et d’essais visant à s’assurer que le produit qui parvient au patient a été bien protégé. Ne s’agirait-il pas de déterminer si la source est sûre, mais plutôt si le produit est sûr?

J’aimerais que vous me disiez deux choses. Premièrement, avez-vous des préoccupations particulières au sujet du fait que le produit fourni aux Canadiens n’est pas sûr à cause de la façon dont il est traité ou à cause d’autre chose?

Deuxièmement, j’aimerais prendre connaissance des données qui indiquent que l’approvisionnement actuel en plasma a nui à la santé des patients. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Dre Dutt : Je vais parler un peu de sécurité. C’est un sujet que je n’ai pas abordé parce que, comme vous le dites, en 20 ans, il n’y a pas eu de problème de sécurité avec notre approvisionnement en immunoglobulines et en plasma, contrairement à ce que certains ont dit au sujet des dons de plasma rémunérés.

Cela ne me préoccupe pas vraiment en raison des mesures prises par la Société canadienne du sang et ce que vous avez dit au sujet des processus de contrôle. Je ne pense pas que la sécurité soit le principal problème dont il faudrait se soucier.

Je songe plutôt aux pathogènes émergents et à ce dont nous devons nous soucier lorsqu’il s’agit de mesures plus vastes. Je travaille surtout dans le domaine de la santé publique, où tout est assez calme jusqu’à ce qu’il y ait une éclosion de rougeole ou une situation où il faut rapidement mobiliser plusieurs ressources publiques.

Ce n’est pas tant que je ne dispose pas de données qui me permettent d’affirmer que l’approvisionnement n’a pas été sûr ces 20 dernières années et que des patients en ont subi les contrecoups, car je ne pense pas qu’il s’agit de la principale préoccupation, du moins pas dans le contexte de ce projet de loi. Je crois que ce projet de loi porte sur la capacité des régimes publics de gérer l’approvisionnement en sang.

Je ne pense pas que le régime public soit toujours synonyme de sécurité. Il existe toujours des façons d’améliorer un régime public. Je n’oserais jamais dire qu’il est parfait. Souvent, par contre, il fonctionne de façon plus transparente que s’il s’agissait d’une société privée à but lucratif, où il ne serait peut-être pas possible d’accéder aux dossiers et aux renseignements dont la direction se sert pour prendre des décisions.

Je suis d’accord avec les deux points que vous avez soulevés. Le régime public n’est pas nécessairement synonyme de sécurité, mais il est souvent plus transparent. Par ailleurs, la sécurité n’est pas nécessairement ma préoccupation première lorsque j’examine ce projet de loi, car il n’y a pas eu de conséquences graves pour les patients au cours de 20 dernières années.

Mme Vyce : Au SCFP, nous ne nous concentrons pas sur la sécurité de l’approvisionnement du point de vue du risque de contamination parmi les patients. Nous nous concentrons plutôt sur l’enjeu dont j’ai parlé dans ma présentation, soit la sécurité de l’approvisionnement en soi. L’approvisionnement mondial dépend en grande partie des dons de plasma rémunérés provenant des États-Unis.

Si, pour une raison ou une autre, l’approvisionnement en provenance des États-Unis était perturbé ou interrompu, cela poserait un risque pour la sécurité des patients partout dans le monde, car cet approvisionnement ne serait plus disponible aux patients de l’extérieur de ce pays.

Le sénateur Kutcher : Si la sécurité n’est pas un problème, alors ce qui a été dit à ce sujet n’est qu’une diversion.

Vous nous demandez d’adopter un projet de loi qui n’a rien à voir avec la sécurité de l’approvisionnement en plasma, mais qui pourrait mettre en danger la vie de Canadiens vulnérables qui dépendent de ce produit pour leur survie à cause d’un problème possible dans la chaîne d’approvisionnement mondiale qui ne peut être réglé par le Canada de toute façon. Je ne comprends pas. Aidez-moi à résoudre cette énigme. Qu’est-ce que je n’ai pas compris?

Mme Vyce : Le problème que nous tentons de régler au chapitre de la chaîne d’approvisionnement, c’est celui de l’autosuffisance. Voilà pourquoi nous affirmons que le Canada doit faire tout ce qu’il peut pour accroître son autosuffisance, afin que nous ne dépendions pas autant du marché américain si les États-Unis en venaient à réduire ou à supprimer l’approvisionnement. Cela nous permettrait de réduire les répercussions sur les patients canadiens.

Le sénateur Kutcher : Est-ce la seule façon d’accroître notre autosuffisance? Il n’y en a pas d’autres?

Mme Vyce : Que voulez-vous dire?

Le sénateur Kutcher : La façon préconisée dans le projet de loi et aucune autre?

Mme Vyce : Nous croyons que la Société canadienne du sang est la mieux placée pour accroître l’approvisionnement en plasma à l’extérieur du Québec, et qu’il faut une seule entité pour surveiller cet approvisionnement et rendre des comptes au public.

La présidente : Je tiens à remercier nos invitées. Comme vous pouvez le constater, le projet de loi en soi n’est pas complexe, mais ses répercussions le sont vraiment. Nous nous efforçons de les comprendre. Certaines questions sont difficiles, et j’apprécie que vous y répondiez dans la mesure de vos connaissances.

La sénatrice Seidman : Je le répète, nous prenons tous notre rôle et nos responsabilités très au sérieux, car les sénateurs considèrent que leur rôle consiste à parler pour ceux qui n’ont pas voix au chapitre et qui sont les plus vulnérables. C’est préoccupant, et nous faisons de notre mieux, comme vous le voyez. C’est évident.

Un point m’a interpellée hier, et j’aimerais vous entendre à ce sujet. Nous avons entendu les représentants de groupes de patients qui ne faisaient pas partie des groupes consultés pendant l’élaboration de cette mesure législative. J’aimerais tout d’abord savoir si l’une ou l’autre de vos organisations a été consultée, et ensuite ce que vous répondriez en sachant qu’aucun groupe de patients n’a été consulté dans le cadre de la rédaction de ce projet de loi.

Dre Dutt : Comme je l’ai dit, je n’ai pas été consultée. Médecins canadiens pour le régime public n’a pas été consulté. J’admets qu’il serait utile, voire nécessaire, de consulter les groupes de patients. Cela démontre la valeur de la démarche que vous faites actuellement. Vous avez la possibilité d’inclure une vaste palette d’opinions à vos réflexions.

La sénatrice Seidman : Merci. Et vous, madame Vyce? Est-ce qu’on a consulté votre organisation dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi?

Mme Vyce : Non. Je n’ai pas été consultée à titre particulier, pas plus qu’on a consulté le syndicat dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi. Tout comme Monika, je dirais qu’il aurait été utile de tenir compte de l’opinion des patients dans le cadre de la rédaction de cette mesure.

Mme Silas : Nous avons été consultés et étions présents à la conférence de presse donnée par la sénatrice Wallin. Il y avait aussi BloodWatch, qui n’est pas un groupe de patients, mais plutôt un groupe de défense des patients dans la foulée de l’enquête Krever.

La sénatrice Seidman : Je pense à des groupes de patients, de véritables patients dont la vie dépend des produits plasmatiques. Ils n’ont pas été consultés?

Mme Silas : Non.

La sénatrice Poirier : Comme on a déjà répondu à la majorité de mes questions, je profite de l’occasion pour vous remercier de votre présence ici. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un processus éducatif ardu. Cela va être difficile, mais j’apprécie vos commentaires. Merci d’être ici.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je comprends le principe de l’universalité des soins et j’y adhère fortement, et je comprends aussi le principe d’interdire la vente d’organes, puisque le sang en est un. Cependant, seriez-vous réceptifs à l’idée, au lieu de vendre, de dédommager d’une façon ou d’une autre les donneurs de plasma canadiens, par exemple, au moyen d’une journée de congé ou d’une réduction d’impôt? Parmi nos invités d’hier, j’ai entendu des propositions de ce type. Est-ce que vous seriez plus à l’aise avec ce genre de mesure, au lieu d’envisager la vente?

[Traduction]

Mme Vyce : Nous n’appuyons pas le fait de rémunérer des gens pour leur plasma. Nous préconisons plutôt que les syndicats locaux négocient des heures chômées et rémunérées dans leurs conventions collectives pour les dons de sang et de plasma. Les employeurs doivent s’assurer que leurs employés disposent de temps pour voter le jour des élections. La négociation de temps pour aller donner du sang et du plasma encouragerait également la participation civique à cet égard.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais joindre ma voix à celle de mes collègues. Nous respectons vos connaissances, vos compétences et votre expérience. Si nous vous posons ces questions difficiles, c’est parce que le sujet est difficile.

Vous avez précisé au sénateur Kutcher que, dans les faits, la sécurité ne pose pas de problème, que les dons soient rémunérés ou non. La sécurité de l’approvisionnement n’est pas un problème.

Je relis le projet de loi — il est court —, et j’aimerais savoir si j’ai raison de dire que ce n’est pas vraiment la vente de plasma en soi qui pose problème, mais plutôt qui l’achète? Le projet de loi indique très clairement que non seulement la Société canadienne du sang peut en acheter, mais qu’elle sera la seule à pouvoir le faire, point à la ligne.

Il ne s’agit pas de sécurité, ni même de vente. En fait, il s’agit d’une phrase dans le préambule qui me rend perplexe. Elle porte sur la durabilité du système d’approvisionnement en sang. Ai-je raison? Bien des gens nous ont dit qu’il ne fallait pas vendre le sang, mais ce n’est pas ce que dit le projet de loi. Le projet de loi dit que seule la Société canadienne du sang peut acheter du sang, et personne d’autre.

Dre Dutt : Permettez-moi de préciser. Je n’irais pas nécessairement jusqu’à dire que la sécurité n’est pas un enjeu. Selon mes constatations, il semble n’y avoir eu aucun problème de sécurité majeur au cours des 20 dernières années. La sécurité demeure toutefois un enjeu dont il faut toujours tenir compte. Mais je suis d’accord avec votre deuxième point. Si on examine la situation du point de vue du régime de soins de santé public, il s’agit selon moi d’une question de durabilité de l’approvisionnement.

En ce moment, la Société canadienne du sang n’envisage pas de payer pour du plasma. La possibilité existe, toutefois, si jamais cela devenait nécessaire. Il s’agit d’assurer la durabilité de l’approvisionnement. Cela dépend de qui l’achète.

La sénatrice Omidvar : Si j’étais cynique — et je peux l’être —, je dirais que c’est en fait une question de fournisseur unique.

Dre Dutt : Je suis désolée, mais...

La sénatrice Omidvar : J’ai terminé. Je réfléchissais simplement à haute voix.

La présidente : C’est une bonne question que nous poserons certainement à nouveau, j’en suis sûre.

La sénatrice Forest-Niesing : J’ai deux questions. J’espère que j’aurai suffisamment de temps. J’aimerais que vous précisiez votre pensée, si vous le pouvez, sur ce que vous avez dit plus tôt au sujet du fait que l’enjeu était la sécurité de l’approvisionnement. Vous avez parlé des risques associés à la source actuelle de plasma, située aux États-Unis, qui consiste en des dons rémunérés. Quels sont les facteurs de risques? Quelles sont vos inquiétudes à cet égard?

Mme Vyce : Il existe trois facteurs possibles qui pourraient perturber ou interrompre l’approvisionnement en provenance des États-Unis. Il pourrait s’agir d’irrégularités dans la production, de problèmes avec la machinerie qui transforme le plasma en médicaments à base d’immunoglobuline. Il pourrait aussi s’agir d’une nouvelle réglementation mise en place par le gouvernement américain, par exemple s’il décidait d’instaurer une politique privilégiant les États-Unis au détriment des autres pays, ce qui signifie que le plasma serait uniquement réservé à des patients étatsuniens.

Enfin, il y a l’enjeu de la sécurité. Comme la Dre Dutt, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il n’y a aucun enjeu de sécurité car, comme on le sait, il existe toujours un risque que de nouveaux pathogènes, comme l’encéphalopathie des cervidés, entrent dans la chaîne d’approvisionnement en sang et provoquent une contamination.

En cas d’éclosion d’encéphalopathie des cervidés ou de tout autre pathogène émergent aux États-Unis qui pénétrerait la chaîne d’approvisionnement, nous ne pourrions plus acheter de sang provenant de ce pays.

La présidente : Quelqu’un souhaite ajouter quelque chose?

La sénatrice Forest-Niesing : En cas d’appui à l’égard de ce projet de loi — on nous a dit très clairement qu’on avait omis ou négligé Héma-Québec — appuieriez-vous un amendement visant à inclure Héma-Québec? Diriez-vous qu’il s’agit d’une omission, ou qu’il aurait fallu l’inclure?

Mme Silas : L’enjeu principal est survenu à l’extérieur d’Héma-Québec. Voilà pourquoi, à mon avis, on cible davantage la Société canadienne du sang. Nous avons deux systèmes qui fonctionnent bien au Canada. Nous convenons qu’Héma-Québec s’est mieux débrouillée au chapitre du plasma. Est-ce parce qu’elle est plus petite et plus indépendante que la Société canadienne du sang, qui doit travailler avec les autres provinces et territoires ainsi qu’avec le gouvernement fédéral? Le Dr Sher sera en mesure d’expliquer cela. On aurait dû commencer à régler cette question il y a deux ans.

Dans leurs délibérations, les sénateurs ont notamment demandé pourquoi on n’avait pas commencé plus tôt. C’est une question pour le Dr Sher. Vous avez entendu l’expérience du sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, selon qui le problème d’approvisionnement ne date pas d’hier. Pourquoi le plan vient-il tout juste d’être présenté? La sénatrice du Nouveau-Brunswick a dit que le sujet revient dans les médias parce que votre comité se réunit. Bien que, à titre de défenseurs, nous essayons que les médias s’intéressent au sujet, c’est difficile d’y parvenir à moins qu’il y ait une importante réunion d’un comité. Ce ne sont pas les 50 clients par jour qui vont faire une différence.

Mme Vyce : J’ai indiqué plus tôt que le SCFP n’avait pas été consulté dans le cadre de la rédaction de ce projet de loi. Je ne sais pas si on a consulté Héma-Québec. Je me demande si c’est parce qu’on s’est dit que comme le Québec interdit déjà la rémunération des dons de plasma, une consultation n’était pas nécessaire. Je n’en suis pas certaine. Je suis toutefois persuadée que si vous invitiez des représentants d’Héma-Québec à venir témoigner, ils auraient beaucoup de précieuses connaissances à partager.

La présidente : Merci de la question. Je constate qu’il n’y en a pas d’autres. Je vous remercie une fois de plus du fond du cœur d’être venues ici pour répondre à nos questions. Cela nous a été fort utile et nous aidera à poursuivre nos réflexions. Si jamais vous souhaitez répondre plus en détail à nos questions, qui ont été difficiles et complexes, nous apprécions toujours les témoignages écrits et nous en tenons toujours compte. N’hésitez pas.

(La séance est levée.)

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