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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 27 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang), se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bon après-midi à tous.

[Traduction]

Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie.

[Français]

Mon nom est Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec. C’est un plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui et de présider cette réunion.

[Traduction]

Avant de céder la parole à nos témoins — que nous remercions d’être avec nous —, je demanderais à mes collègues de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, vice-présidente du comité.

La sénatrice Eaton : Sénatrice Eaton, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Bonjour et bienvenue. Josée Forest-Niesing, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.

Le sénateur Munson : Sénateur Munson, de l’Ontario.

[Français]

La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang).

[Traduction]

Pour commencer la séance, j’aimerais demander à nos témoins de bien vouloir se présenter et de présenter l’organisme pour qui vous travaillez. Nous serons heureux ensuite d’entendre vos déclarations liminaires. Je vous rappelle que vous avez sept minutes pour faire vos déclarations et que nous passerons ensuite aux questions.

Barzin Bahardoust, chef de la direction, Canadian Plasma Resources : Barzin Bahardoust, chef de la direction, Canadian Plasma Resources.

William Bees, vice-président, Technologies du plasma, Prometic Plasma Resources : William Bees, vice-président, Technologies du plasma, Prometic Plasma Resources, une filiale de Prometic à Laval. Nous gérons également un centre de plasma à Winnipeg, dont je vous parlerai aujourd’hui.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons commencer par vous, monsieur Bahardoust.

M. Bahardoust : Merci, madame la présidente, et mesdames et messieurs les membres du comité, de votre invitation à témoigner aujourd’hui. Comme vous le savez, le projet de loi cible Canadian Plasma Resources et, comme la sénatrice Wallin vous l’a mentionné dans son témoignage, son objectif est de faire en sorte que nous fermions nos portes. Nous sommes donc heureux d’avoir l’occasion de vous expliquer ce que nous faisons, de vous parler des patients que nous servons, et de corriger les nombreuses faussetés qui circulent à propos du prélèvement de plasma au Canada et à propos de notre société.

Nous avons obtenu une licence de Santé Canada pour effectuer le prélèvement de plasma chez des donneurs à la seule fin de fabriquer des médicaments qui sauvent des vies. Ces médicaments s’adressent à des patients atteints de déficiences immunitaires, de cancer, du VIH-sida, de brûlures et de troubles de la coagulation.

En 2019, nous avons également commencé à prélever du plasma spécialisé rare qui est utilisé pour prévenir l’infection la plus commune transmise de la femme enceinte à son bébé connue sous le nom de cytomégalovirus, ou infection à CMV. Il s’agit d’une infection grave qui peut mener à des anomalies neurologiques, à la surdité et même à la mort.

Nous gérons deux centres de prélèvement de plasma à Saskatoon et à Moncton, où nous avons employé 75 personnes l’an dernier, et nous dédommageons nos donneurs pour leur temps et leur déplacement.

La totalité des produits finis qu’utilisent les patients au Canada sont fournis par des sociétés étrangères à but lucratif. Comme on vous l’a mentionné, environ 15 p. 100 du plasma requis pour les fabriquer provient de donneurs volontaires au Canada. Le reste provient de donneurs rémunérés aux États-Unis.

La demande augmente chaque année. L’an dernier seulement, la Société canadienne du sang et Héma-Québec ont acheté pour plus d’un milliard de dollars de ces produits.

J’aimerais maintenant prendre quelques minutes pour vous expliquer pourquoi les entreprises considèrent qu’il est nécessaire de rémunérer les donneurs. Les taux de dons de plasma au Canada sont beaucoup plus faibles que ceux des dons de sang total, car les dons de plasma prennent jusqu’à quatre fois plus de temps, ont un processus beaucoup plus complexe et exigent des donneurs admissibles des dons répétés. Dans certains cas, on peut avoir besoin de 1 200 dons de plasma dans une année pour fabriquer les traitements nécessaires pour un seul patient.

Comme les dons de plasma exigent beaucoup de temps, il est très difficile de recruter de nouveaux donneurs volontaires, et les coûts associés à leur recherche sont énormes. Selon le rapport du groupe d’experts de Santé Canada, il en coûte deux à quatre plus cher de prélever de grandes quantités de plasma destiné au fractionnement auprès de donneurs volontaires qu’avec le modèle commercial.

C’est la vraie raison qui pousse le Canada et de nombreux autres pays à avoir recours à des donneurs rémunérés. C’est pourquoi aucun pays dans le monde ne réussit à répondre aux besoins de ses patients grâce à un modèle purement volontaire. C’est aussi la raison pour laquelle la Société canadienne du sang a fermé son dernier centre dédié au prélèvement de plasma en 2012.

Le comité a entendu dire que la Société canadienne du sang entend reprendre les prélèvements de plasma destinés au fractionnement en ouvrant 40 nouveaux centres au cours des 7 prochaines années. Le coût sera substantiel. La Société canadienne du sang demande donc aux provinces et aux territoires de verser 855 millions de dollars pour construire ces centres, et un montant additionnel de 250 millions par année pour les frais d’exploitation.

Son objectif est d’être autosuffisante à 50 p. 100. Même si elle réussit son pari, le Canada devra continuer à s’en remettre à des donneurs rémunérés aux États-Unis pour le 50 p. 100 d’approvisionnement restant. Nous aurons donc toujours besoin de donneurs rémunérés. Ce que ce projet de loi accomplit donc est de s’assurer que les seuls donneurs rémunérés dans notre système seront américains.

Certains s’inquiètent du fait que la présence d’un centre de plasma rémunérant les donneurs nuira à la capacité de la Société canadienne du sang de prélever des dons de sang total auprès de volontaires. Il n’existe aucune preuve de cela.

La Société canadienne du sang a constaté une diminution du nombre de donneurs chez les 17-24 ans à Saskatoon, qui a commencé avant l’ouverture de notre centre, mais cette diminution est moindre que ce qui a été constaté chez le même groupe dans d’autres provinces où nous ne sommes pas présents. De plus, selon le dernier rapport de la Société canadienne du sang, le nombre de donneurs de sang total volontaires à Saskatoon a augmenté de 35,8 p. 100 depuis que nous avons ouvert nos portes. Cette augmentation correspond à plus du double de l’augmentation dans le reste de la province. Il semble donc, en fait, que cela ait permis à la Société canadienne du sang d’attirer de nouveaux donneurs volontaires.

Ces conclusions sont conformes à celles d’un rapport de Santé Canada de 2013, selon lequel les pays dotés de réseaux de prélèvement rémunéré de plasma ont des taux de dons volontaires de sang beaucoup plus élevés que le Canada.

On a beaucoup parlé du fait que notre plasma ne profitait pas aux patients canadiens. Notre premier choix est d’approvisionner les patients canadiens. Nous sommes une entreprise canadienne, et les besoins les plus importants sont ici. Nous avons fait de nombreuses offres tant à la Société canadienne du sang qu’à Héma-Québec pour leur fournir notre plasma destiné au fractionnement à une fraction de ce qu’il leur en coûte pour en prélever eux-mêmes, mais ces offres ont été refusées.

Notre plasma sauve la vie de milliers de patients dans d’autres pays, tandis que les patients canadiens sont dépendants du plasma étranger pour obtenir leurs traitements.

Enfin, au sujet de la sécurité, les scientifiques s’entendent pour dire que les produits de plasma qui proviennent de donneurs rémunérés sont tout aussi sûrs que ceux provenant de donneurs volontaires. Il n’y a eu aucun cas de transmission du VIH ou de l’hépatite C en plus de 25 ans d’utilisation de ces produits par les patients. En fait, nous n’avons pas enregistré un seul cas confirmé de VIH, VHB ou VHC chez un donneur admissible sur les quelque 40 000 dons faits dans nos centres. La Société canadienne du sang, de son côté, a enregistré 13,3 cas confirmés de donneurs positifs par 100 000, et Héma-Québec, 11,3 par 100 000. Il est tout simplement faux d’affirmer que les dons rémunérés sont moins sûrs que les dons volontaires.

En terminant, j’aimerais mentionner que notre intention est de répondre à un besoin dans le réseau canadien de la santé exactement de la même façon que le font les sociétés étrangères. Ce projet de loi nous empêchera de le faire. Il aurait plutôt fallu le baptiser Loi sur la protection des sociétés étrangères de plasma rémunéré. Nous demandons respectueusement au comité de rejeter ce projet de loi.

M. Bees : J’aimerais remercier la sénatrice Petitclerc et les membres du comité sénatorial de m’avoir invité à témoigner au sujet de l’incidence du projet de loi sur les produits offerts aux patients canadiens.

Si le projet de loi était adopté aujourd’hui dans sa forme actuelle, il mettrait essentiellement fin au prélèvement des plasmas spécialisés au Canada. Une pénurie de ces plasmas, qui sont utilisés pour fabriquer des médicaments dérivés du plasma hyperimmun, nuirait à l’offre d’immunoglobuline anti–D, ainsi qu’à l’élaboration d’autres médicaments dérivés de plasmas spécialisés.

Dans mon bref exposé de sept minutes aujourd’hui, je vais vous fournir des renseignements généraux sur le passé et le présent du centre de prélèvement de plasma de Winnipeg, sur sa contribution à l’élaboration de médicaments dérivés du plasma et sur les enseignements que j’ai tirés de mes 38 années de service au sein de l’industrie canadienne du plasma.

Au cours de ma carrière dans le domaine du prélèvement et du fractionnement du plasma que j’ai amorcée au Winnipeg Rh Institute, j’ai participé aux activités d’élaboration, de fabrication et d’assurance de la qualité des produits de plasma et sanguins. Par ailleurs, j’ai eu la chance de siéger au Conseil national de la sûreté du sang, qui a été créé à la suite de la publication du rapport Krever. Je suis actuellement au service de Prometic Plasma Resources, comme je l’ai mentionné un peu plus tôt. Je vous ai remis un peu de renseignements sur Prometic, sans vouloir faire trop de publicité, et vous pourrez en faire la lecture.

La société Prometic Plasma Resources a été créée en 2015, quand elle a fait l’acquisition du centre de prélèvement de plasma de Winnipeg qui appartenait à la société Emergent BioSolutions, anciennement connue sous le nom de Cangene Corporation. Le centre fournit depuis fort longtemps des plasmas spécialisés de source humaine qui sont utilisés pour la fabrication de produits de plasmas spécialisés.

Le centre a été créé en 1969 par le Winnipeg Rh Institute, un organisme à but non lucratif. Il a été fondé par le Dr Jack Bowman, un pionnier de la recherche sur la maladie du groupe Rh nul qui a mené à l’élaboration de l’immunoglobuline anti-D WinRho. Ce produit, homologué en 1980, a sauvé plus de quatre millions de vies en prévenant la maladie du groupe Rh nul. Tout au long de son existence, le centre a rémunéré les donneurs pour le temps qu’ils consacraient au programme. De nombreux donneurs participent au programme depuis plus de 20 ans et ont donné des milliers de litres de plasma. Le WinRho est utilisé avec succès non seulement au Canada, mais dans plus de 20 pays dans le monde.

Au début du programme, le plasma était expédié en Suède, en Espagne, et aux États-Unis pour la fabrication d’immunoglobuline anti-D.

La rémunération des donneurs au Canada a beaucoup attiré l’attention des médias, qui ont qualifié cette approche de dangereuse en citant le rapport du juge Krever et les mesures correctives qu’il a recommandé de prendre en réponse au scandale du sang contaminé qui est survenu au Canada dans les années 1980. Il est tout à fait tragique que les virus du VIH et de l’hépatite C aient été transmis à des patients ayant reçu à cette époque des produits sanguins ou plasmatiques contaminés, et nous ne devons jamais oublier les leçons que nous avons tirées de ces événements. On a beaucoup parlé précédemment de la sûreté du plasma provenant de volontaires rémunérés.

À titre d’information, le centre de prélèvement de plasma de Winnipeg et ses produits provenant du plasma de donneurs rémunérés n’ont jamais causé la transmission d’une maladie transmissible par le sang. Cet excellent et long bilan en matière de sûreté est naturellement attribué non seulement à la qualité des donneurs et à la robustesse des programmes de sélection qui permettent de vérifier leur admissibilité, mais aussi à l’amélioration continue des programmes de dépistage lié au plasma. En outre, l’innocuité des produits a été grandement améliorée par l’élaboration de systèmes de rétention des virus et de systèmes ultramodernes de séparation des protéines plasmatiques, qui ont une capacité d’inactivation virale très évoluée. La commission d’enquête Krever a étudié le programme spécial de prélèvement de plasma de Winnipeg qu’il a jugé approprié et sûr.

À l’heure actuelle, le centre exerce ses activités au Smartpark de l’Université du Manitoba, un parc industriel qui jouxte le campus du Sud de Winnipeg. Depuis sa naissance dans les locaux de la Croix-Rouge canadienne de Winnipeg, le centre a évolué et a adhéré non seulement aux normes de conformité de Santé Canada, mais aussi à celles de la FDA aux États-Unis, aux normes de l’Agence européenne des médicaments et, de plus, aux normes facultatives de l’Association des entreprises de protéines plasmatiques thérapeutiques, ce qui permet évidemment de demeurer à l’affût des enjeux liés à la sûreté.

Lorsque le centre de prélèvement du plasma a été relocalisé au campus universitaire et agrandi, j’avais consulté la Société canadienne du sang à l’époque pour veiller à ce que le centre n’ait pas un effet négatif sur ses collectes de sang. De toute évidence, elle recrute des donneurs sur le campus.

Le centre exerce ses activités sur le campus sans nuire à la Société canadienne du sang. Personnellement, j’ai le sentiment que le centre sensibilise la population à la nécessité d’avoir accès à des produits sanguins et des produits de protéines sanguines. Peu de donneurs donnent de l’immunoglobuline anti-D pendant 20 ans, mais tous sont informés de l’effet bénéfique que leur sang ou leur plasma peut avoir sur des patients et du fait qu’il pourrait sauver des vies.

À l’heure actuelle, le centre prélève divers plasmas, dont vous trouverez un aperçu dans l’annexe. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me les poser et je les passerai en revue avec vous.

L’approbation de nouveaux produits entraînera un besoin accru de plasma. Bien que le centre fournisse depuis longtemps du plasma pour la fabrication de produits hyperimmuns canadiens, comme l’immunoglobuline anti-D et anti-hépatite B, qui sont distribués à l’échelle nationale, le centre est aussi un fournisseur mondial qui détient des licences au Canada et aux États-Unis et qui en détiendra en Europe dans les années à venir. La raison pour laquelle le centre détient ces permis est simple. Les maladies rares touchent un petit nombre de patients; il est donc nécessaire de réaliser des gains d’efficacité à l’échelle mondiale pour rentabiliser les produits.

En ce moment, le centre met sur pied un centre de prélèvement de plasma à Buffalo, dans l’État de New York, dont la capacité sera deux fois plus grande que celle du centre de Winnipeg. Complètement automatisé, le centre deviendra le modèle à suivre pour Prometic dans ses activités de prélèvement de plasma.

Prometic appuie l’objectif de la Société canadienne du sang de fournir 50 p. 100 du plasma et continuera d’appuyer ses efforts en vue d’atteindre cet objectif. J’ai fourni un exemple de la façon d’y arriver.

Le projet de loi a été rédigé afin de protéger la Société canadienne du sang contre ses concurrents du secteur privé en ce qui concerne le plasma et les donneurs de plasma au Canada. Personnellement, je crois que l’industrie peut travailler en harmonie avec les fournisseurs de sang en ayant la capacité de fournir des produits plasmatiques sûrs aux patients qui comptent sur cette seule source de produits biologiques.

Le rapport de Santé Canada sur l’approvisionnement en IgIV indique que le Canada doit intensifier ses efforts afin de fournir davantage de plasma aux patients qui dépendent des produits plasmatiques. Les deux secteurs peuvent travailler en synergie pour accroître l’offre globale de plasma.

Pour clore en quelques mots, ce projet de loi est inutile et devrait être rejeté.

La présidente : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Si vous avez suivi nos délibérations, vous avez pu constater que le comité examine activement ce projet de loi et que nous avons beaucoup de questions.

La sénatrice Seidman : Merci de vos exposés. Monsieur Bahardoust, vous avez fait parvenir une lettre à tous les membres du comité permanent dans laquelle vous réfutez beaucoup de témoignages que nous avons entendus.

Il ne fait aucun doute que les associations qui représentent les patients sont très inquiètes des conséquences du projet de loi. J’aimerais vous poser une question sur un élément précis contenu dans votre lettre, soit votre relation avec la Société canadienne du sang.

À la page 2, vous mentionnez:

À nos nombreuses offres de fournir à la Société canadienne du sang et à Héma-Québec notre plasma destiné au fractionnement à une fraction du coût qu’ils doivent eux-mêmes débourser pour l’obtenir, la première a répondu par une fin de non-recevoir, mais, en 2016, elle a néanmoins acheté près de 50 000 litres de plasma de récupération provenant des États-Unis, soit près du double de ce qu’elle avait acheté 2 ans auparavant. Cet achat s’ajoute aux 728 millions de dollars de produits finis qu’elle se procure chaque année, par appel d’offres. Si elle ou Héma-Québec décidaient d’acheter du plasma canadien, ils seraient nos acheteurs privilégiés.

C’est très intéressant, car c’est un des plus grands problèmes soulevés contre l’idée de la rémunération du don de plasma au Canada, c’est-à-dire qu’on ne fait rien avec notre plasma. Nous l’exportons en totalité. Nous n’utilisons pas le plasma canadien.

Pourquoi la Société canadienne du sang ne veut-elle pas s’approvisionner auprès de vous? Ses représentants n’ont pas encore témoigné — nous tenons à ce qu’ils le fassent —, mais pourriez-vous m’aider à comprendre pourquoi la société ne veut pas vous acheter de produits sanguins?

M. Bahardoust : Dans la réponse que nous avons reçue à notre première offre en 2016, on nous a dit que la société, en tant que gardienne du réseau public au Canada, élabore actuellement sa propre stratégie d’autosuffisance en élargissant son réseau de prélèvement de plasma auprès de donneurs non rémunérés dans le cadre d’un plan pluriannuel. C’est le plan de 855 millions de dollars que la société a proposé aux bailleurs de fonds, les provinces, qui n’a pas été financé.

La société poursuit ses efforts actuellement pour étendre son réseau, mais elle n’a pas l’intention d’accroître ses commandes auprès d’autres fournisseurs, sauf les fournisseurs américains avec qui elle traite actuellement.

La sénatrice Seidman : La société ne veut pas acheter au Canada...

M. Bahardoust : C’est la réponse que nous avons obtenue.

Certaines provinces nous ont informés par la bande qu’il existe d’autres raisons possibles à cela. La société leur aurait dit, notamment, que si elle s’engage avec une entreprise du secteur privé, l’entreprise n’est pas tenue de l’approvisionner à la fin de son contrat. Pour nous, il s’agit essentiellement d’une excuse. Nous pouvons signer un contrat à long terme. D’autres mesures peuvent être mises en place pour s’assurer que nous continuerons de travailler avec elle. Qui plus est, elle court les mêmes risques avec tout fournisseur, de même qu’avec les fournisseurs américains.

La sénatrice Seidman : Oui, en effet, c’est ce qu’on nous a dit.

M. Bahardoust : C’est la réponse que nous avons reçue.

La sénatrice Seidman : En fait, des témoins nous ont dit qu’une des raisons de ne pas rémunérer les donneurs au Canada et de s’en tenir à un système de donneurs purement volontaires est qu’il faut développer ce système en cas de situation de crise avec les États-Unis et de voir cesser l’approvisionnement.

M. Bahardoust : Nous sommes d’avis qu’il y a là un manque de cohérence parce que ce plan, même s’il fonctionne, ne nous permettra de répondre qu’à 50 p. 100 de nos besoins. Même si la Société canadienne du sang croit que c’est une bonne idée de diversifier l’approvisionnement et d’aller chercher l’autre moitié auprès de sources étrangères, ce n’est pas une solution durable à l’échelle mondiale. En effet, si chaque pays voulait prélever 50 p. 100 de ce qui était nécessaire, alors d’où proviendrait l’autre moitié?

La sénatrice Seidman : Exactement.

M. Bahardoust : Pour avoir un système durable, nous avons besoin d’une autosuffisance nette; il ne s’agit pas nécessairement d’interdire les importations, mais de prélever assez de plasma par rapport à ce que nous utilisons, en gros, pour atteindre une autosuffisance nette.

La sénatrice Seidman : Vous avez parlé des craintes liées à l’innocuité du plasma rémunéré. Il est clairement indiqué ici que les questions de sécurité ne posent plus vraiment problème et que nous avons réussi à instaurer un système très sûr, et nous poursuivons nos efforts en ce sens.

Dans la lettre que vous nous avez adressée, vous parlez aussi de la question de savoir si vos cliniques nuiraient au système volontaire du Canada. C’est d’ailleurs un autre argument que nous avons entendu. Dans votre lettre, vous donnez l’exemple de la Saskatchewan.

M. Bahardoust : Oui.

La sénatrice Seidman : Pourriez-vous clarifier ce point? Vous dites que, selon la Société canadienne du sang, le nombre total de ses donneurs volontaires de sang entier à Saskatoon a augmenté de 35,8 p. 100 dans la même période, chose qu’elle a même mentionnée dans son rapport, mais ce n’est pas ce qu’on nous a dit.

Vous affirmez que votre présence, comme centre qui rémunère les donneurs, n’a eu aucune incidence sur les dons volontaires à Saskatchewan?

M. Bahardoust : Les chiffres que nous avons obtenus de la Société canadienne du sang, grâce à une demande d’accès à l’information, indiquent le contraire. Par exemple, l’année avant le début de nos activités, le nombre de nouveaux donneurs avait augmenté de 25,6 p. 100 à Saskatoon et de 23,3 p. 100 dans le reste de la Saskatchewan; c’était donc comparable.

En revanche, au cours de la première année après le début de nos activités, le nombre de nouveaux donneurs à Saskatoon a augmenté de 35,8 p. 100, mais durant la même période, il y a eu une augmentation de 15,7 p. 100 dans le reste de la Saskatchewan. Ainsi, le taux d’augmentation du nombre de nouveaux donneurs à Saskatoon était le double de celui dans le reste de la province.

Par ailleurs, la Société canadienne du sang a soulevé des inquiétudes au sujet d’un groupe d’âge précis — elle n’avait rien à redire du nombre total de donneurs —, et il s’agit du groupe des 17 à 24 ans. Il y a eu un déclin dans cette catégorie, mais la plus forte baisse a été enregistrée au cours de l’année précédant le début de nos activités.

Depuis l’ouverture de notre centre à Saskatoon, le nombre de donneurs faisant partie de cette tranche d’âge a diminué de 2,5 p. 100, mais le reste de la province a également enregistré une baisse de 2,2 p. 100 dans la même catégorie d’âge; la situation était donc très comparable. D’ailleurs, à l’échelle nationale, il y a eu une baisse de 4,4 p. 100. Autrement dit, le taux de diminution à Saskatoon était inférieur à la moyenne nationale.

Je le répète, d’après ce que nous avons constaté, nos activités n’ont aucune incidence négative sur le modèle volontaire de la Société canadienne du sang.

La sénatrice Seidman : D’accord. Merci.

La présidente : Permettez-moi de demander un éclaircissement. Parlons-nous d’une comparaison par rapport au nombre de donneurs de plasma ou par rapport au nombre de donneurs de sang entier?

M. Bahardoust : C’est par rapport au nombre de donneurs de sang entier.

La présidente : Très bien, je voulais simplement préciser ce point.

M. Bahardoust : À Saskatoon et dans l’ensemble de la Saskatchewan, la Société canadienne du sang ne mène aucune activité de prélèvement de plasma.

La présidente : Voilà pourquoi.

M. Bahardoust : À Moncton, non plus, il n’y a aucune activité de prélèvement de plasma. Dans tout le Canada, on compte sept endroits où la Société canadienne du sang prélève du plasma.

La présidente : Merci. Je voulais simplement que ce soit clair pour tout le monde.

M. Bees : Comme vous le savez probablement, dans son rapport sur l’approvisionnement en immunoglobulines intraveineuses, Santé Canada parlait de mener des études supplémentaires sur l’effet d’éviction.

Vous avez entendu récemment le témoignage de Josh Penrod, de la PPTA. Cette association a commandé des études à ce sujet. L’Université de Georgetown produira bientôt un rapport, dont une copie pourra être transmise au comité, sur l’effet d’éviction ou, plutôt, sur l’effet contraire — appelons cela l’effet d’attraction — à Winnipeg, à Saskatoon et à Moncton, ainsi que dans certains endroits aux États-Unis, l’objectif étant, là encore, de comparer le nombre de donneurs de sang au nombre de donneurs de plasma pour montrer qu’il existe surtout un effet synergique, c’est-à-dire un effet d’intensification, plutôt qu’un effet négatif. Il ne s’agit pas d’une comparaison entre les donneurs de plasma. C’est là une autre paire de manches.

Par ailleurs, à l’occasion d’une réunion sur la qualité, tenue dernièrement en Europe, les Allemands ont présenté une étude sur l’effet d’éviction en Bavière, ce qui était également très intéressant. Nous pourrons vous faire parvenir ces renseignements.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie tous deux de vos exposés. Dans le cadre de témoignages précédents, nous avons entendu plusieurs insinuations sur l’innocuité du plasma que nous achetons potentiellement à l’étranger et, en particulier, aux États-Unis. Aux fins du compte rendu, je vous saurais gré de préciser les mesures que vous prenez pour vous assurer de réduire au minimum le risque de transmission de virus, de bactéries et de prions. Avez-vous un processus de suivi permanent? Participez-vous à des projets de recherche à cet égard?

Ma deuxième question est la suivante : quelles seraient les répercussions économiques du projet de loi sur les Canadiens qui interviennent ou qui travaillent actuellement dans le domaine du prélèvement de plasma? Comment les pertes d’emplois se répercuteraient-elles sur une collectivité comme Winnipeg?

M. Bees : Certaines choses ont considérablement changé depuis le scandale du sang contaminé dans les années 1980. Le système actuel est beaucoup plus réglementé en ce qui a trait aux normes de qualité pour le dépistage des virus et des prions. Le meilleur exemple serait l’apparition d’une nouvelle menace, comme le virus Zika. Ainsi, dans le cas du virus Zika, les organismes de santé comme Santé Canada et le CDC aux États-Unis surveillent ce qui se passe. Les centres de prélèvement de plasma comme le nôtre font partie intégrante de ces efforts.

De plus, par l’entremise de la PPTA, qui est une association industrielle, nous avons un comité de virologues qui étudie cette question et qui met au point des systèmes de modélisation. Tout est basé sur la modélisation pour vérifier quelles seraient les répercussions d’une éclosion possible comme le virus Zika, le virus du Nil occidental ou je ne sais trop quoi, et nous prenons les mesures appropriées.

À l’instar du système d’approvisionnement en sang, la Société canadienne du sang a fait ce qui s’imposait en mettant à jour sa catégorie d’exclusion pour le virus Zika. Je reviens tout juste d’un voyage en Asie. Je suis un donneur de sang, mais j’ai été exclu pendant trois semaines en raison du virus Zika, chose que j’ignorais complètement. Le système est conçu pour réduire les menaces et, d’ailleurs, ce n’est pas parce que j’avais un problème de santé.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a un modèle qui fonctionne de ce point de vue. En ce qui concerne les prions et, surtout, la maladie de Creutzfeldt-Jakob — et nous avons parlé l’autre jour de l’encéphalopathie des cervidés —, nous effectuons manifestement des activités de surveillance à l’échelle mondiale.

Dans le cas de l’encéphalopathie des cervidés, par exemple, on examine la fréquence réelle à laquelle la maladie touche les troupeaux et on vérifie si elle se transmet d’une espèce à l’autre. Si la maladie se propage chez une autre espèce ou chez les humains, le sang serait touché en premier parce qu’il est transfusé directement.

Relativement aux produits plasmatiques, de nombreuses études ont été réalisées par des centres de fractionnement, y compris Prometic, pour examiner comment nous pouvons éliminer les prions et les substances semblables de nos processus. L’innocuité est maintenant bien établie à cet égard.

Quoi qu’il en soit, si jamais nous apprenions, en rétrospective, qu’un donneur avait contracté l’encéphalopathie des cervidés ou peu importe, notre démarche consisterait essentiellement à suspendre l’utilisation de tous nos produits, à faire enquête et, selon toute vraisemblance, à détruire les lots touchés, par principe de précaution. C’est une approche assez directe.

La présidente : Monsieur Bahardoust, vouliez-vous intervenir à ce sujet?

M. Bahardoust : Non, je crois que Bill a expliqué le processus.

La présidente : Je ne sais pas si les témoins ont quelque chose à dire sur les répercussions économiques que pourrait avoir le projet de loi.

M. Bees : De toute évidence, je ne connais pas les statistiques par cœur, mais je peux certainement vous parler des répercussions économiques à Winnipeg. Nous avons, je crois, plus de 20 employés dans notre centre à Winnipeg; bien entendu, ils occupent un emploi rémunéré qui leur tient à cœur. Nous accordons évidemment une indemnisation aux donneurs en échange de leurs dons. Je pourrai vous fournir des statistiques sur ce que cela représente en matière de répercussions économiques.

Nous faisons partie du milieu universitaire, comme en témoignent nos factures et notre bail avec le campus. Je peux certainement vous faire parvenir ces renseignements. Je ne les ai pas avec moi aujourd’hui, mais je pourrai vous les transmettre.

La présidente : Merci. Si vous pouvez envoyer le tout au greffier, nous nous occuperons de la distribution.

Le sénateur Oh : Merci, chers témoins. Le plasma qui est recueilli au Canada est-il suffisant, ou en importez-vous quand même des États-Unis?

M. Bahardoust : Notre entreprise n’importe pas de plasma, mais en tant que pays, nous ne prélevons pas suffisamment de plasma pour répondre à la demande de produits dérivés de protéines plasmatiques. Nous en recueillons assez pour les transfusions directes, ce qui n’est pas un besoin fréquent. En ce qui concerne les produits dérivés de protéines plasmatiques, nous prélevons environ 15 p. 100 du plasma nécessaire pour fabriquer assez d’immunoglobulines pour les patients canadiens. Presque tout le reste est fabriqué entièrement à partir du plasma de donneurs américains.

M. Bees : Le cas de Prometic est un peu différent, en ce sens que nous assurons la fabrication. Nous en sommes évidemment à l’étape de la mise au point. Nous aurons bientôt, espérons-le, un produit commercial, mais nous comptons sur l’approvisionnement en provenance des États-Unis, et c’est surtout parce que nous essayons de développer notre infrastructure.

En 2015, Prometic a acheté le centre de Winnipeg. Il s’agissait d’un établissement de 6 lits, et nous l’avons agrandi pour accueillir 30 lits. Nous travaillons à en accroître la capacité. Ce ne sera pas assez.

Je me suis entretenu avec les représentants de la Société canadienne du sang pour leur faire savoir que nous ne voulions pas perturber leurs systèmes. Notre prochain projet se situe à Buffalo. L’installation est presque terminée. Nous en sommes maintenant à l’étape de démarrage. C’est le double de la capacité de ce que nous aurions à Winnipeg. Nous nous sommes installés à Buffalo parce que nous ne voulions pas perturber les activités de la Société canadienne du sang. C’est près de la frontière, mais ce n’est pas au Canada.

Nous serions ravis de pouvoir trouver une solution qui nous permettrait de choisir des emplacements stratégiques au Canada qui ne créent pas de perturbations, mais nous ne pouvons rien y changer.

Le sénateur Oh : Êtes-vous au courant du pourcentage de plasma qu’il faut importer des États-Unis pour répondre à la demande au Canada?

M. Bees : Pardon, est-ce pour les projets de Prometic?

Le sénateur Oh : Oui.

M. Bees : À l’heure actuelle, cela provient surtout des États-Unis. Je ne peux pas vous donner un pourcentage absolu parce que, je le répète, nous voulons développer l’infrastructure, mais il faut du temps pour en arriver là. Une fois que nous aurons atteint notre plein potentiel commercial, nous aimerions prélever 80 p. 100 du plasma à l’intérieur du pays. Pour ce qui est de savoir combien cela représente en matière de quantité totale, cela dépend vraiment des prévisions du marché pour nos produits.

Le sénateur Oh : Savez-vous combien touchent les donneurs de plasma aux États-Unis? Combien sont-ils payés?

M. Bees : La rémunération des dons de plasma aux États-Unis peut varier de 25 à 50 $. Cela dépend des programmes incitatifs qui sont en place. À l’heure actuelle, le marché du plasma américain est très surchargé. Il y a une croissance extraordinaire aux États-Unis et, à cette fin, la concurrence est féroce. Si nous avons choisi de nous installer à Buffalo, c’est parce qu’il n’y avait là qu’un seul autre centre, qui ne nous faisait d’ailleurs pas concurrence. Nous voulions être près de l’université, un peu comme dans notre modèle de travail à Winnipeg.

Depuis, l’une des entreprises de collecte plasma a établi 10 centres de prélèvement de plasma dans l’État de New York, dont 3 à Buffalo.

Le sénateur Oh : Vous importez donc du plasma des États-Unis. Nous subventionnons indirectement les États-Unis pour les donneurs, n’est-ce pas?

M. Bees : Oui, pour ainsi dire. Tout à fait.

Le sénateur Oh : Merci.

Le sénateur Munson : Merci d’être des nôtres. Je vais poursuivre dans le même ordre d’idées que le sénateur Oh. Nous parlons des prix du marché et du contexte. Je n’ai pas posé cette question lors des dernières séances, mais qui fixe le prix? Quelqu’un gagne de l’argent. Vous avez un salaire, tout comme d’autres...

M. Bees : Je ne travaille pas gratuitement.

Le sénateur Munson : Je sais. Si c’est 25 $, alors pourquoi pas 2 500 $? Qui détermine comment répartir le tout? Nous avons 200 donneurs, et chacun va recevoir 25 $. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Bees : C’est essentiellement un régime de libre entreprise à l’américaine — un point, c’est tout. Si les entreprises pouvaient amener les gens à faire des dons bénévolement, elles le feraient parce que ce serait bien. Toutefois, pour attirer les donneurs, c’est une question d’offre et de demande: à mesure que la demande de dons augmente, le coût de la rémunération augmente aussi. C’est un marché de concurrence.

Nous ne voulions pas nous lancer dans un tel marché. Nous voulions nous installer dans un quartier plus tranquille, je suppose, c’est-à-dire un endroit où il n’y a pas de concurrence directe, parce que nous ne voulions pas mener nos activités dans un marché surchargé.

En fin de compte, relativement à la question de savoir qui fixe le prix du plasma, le tout repose sur l’offre et la demande. Si vous examinez les 20 dernières années, l’approvisionnement en plasma a été intégré verticalement, en grande partie, aux centres de fractionnement. Ainsi, les grandes entreprises de fractionnement ne cessent de prendre de l’expansion. Par voie de conséquence, les grandes entreprises de collecte de plasma construisent de plus en plus de centres. Elles contrôlent donc presque tout leur approvisionnement. Le nombre de centres indépendants est aujourd’hui très limité. C’est un marché complètement déséquilibré.

Le sénateur Munson : Je vous remercie de votre réponse. Vous avez entendu certains des témoignages qui ont été livrés ici, et les choses se corsent pour nous. Le projet de loi peut sembler être une simple mesure législative, assortie d’un court préambule. Ce n’est pas noir ou blanc, mais plutôt rouge ou blanc, assez curieusement.

Que dites-vous à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada et au SCFP? Vous avez dit que le projet de loi devrait être rejeté. Ils ont affirmé que nous ne pouvons pas nous permettre une autre tragédie, même si les gens soutiennent que cela s’est passé il y a longtemps et qu’une telle situation ne se reproduira pas. Après chaque séance, je ne me demande comment je devrais voter.

M. Bees : Voulez-vous mon opinion sincère là-dessus?

Le sénateur Munson : Vous êtes ici; c’est une conversation assez publique et sincère.

M. Bees : Ma première réaction est que la Société canadienne du sang souhaite vraiment établir un modèle d’affaires pour la collecte de plasma. L’organisme veut essayer de le faire avec des donneurs volontaires. Je crois que la société aura de la difficulté à y arriver, mais je crois encore qu’elle devrait financer son modèle pour en démontrer l’efficacité. Il y a évidemment les questions liées aux coûts et la disponibilité des donneurs, si vous essayez que ce soit fait sur une base volontaire. Cependant, je crois que nous devrions encourager cette initiative.

Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, nous appuyons certainement son objectif de 50 p. 100. Je crois que d’avoir plus de plasma au Canada ne peut être qu’avantageux pour les Canadiens en général du point de vue des considérations économiques ou de la capacité d’avoir notre destin en main. Je crois que c’est une bonne mesure à prendre.

Cela étant dit, je crois qu’il est possible d’avoir un partenariat public-privé. Les syndiqués peuvent continuer d’avoir des emplois à la Société canadienne du sang. Ça nous va; ce n’est pas un problème. Nous serions heureux de voir l’industrie croître. C’est très simple.

L’objectif est que les patients obtiennent le produit dont ils ont besoin. C’est le message important à retenir à ce sujet.

La présidente : Aimeriez-vous faire un commentaire, monsieur Bahardoust?

M. Bahardoust : Je voulais seulement mentionner qu’en aucun cas la rémunération des donneurs de plasma ne nuit à l’innocuité du produit final. Les syndicats se soucient peut-être d’autres facteurs. Il se peut que, si la Société canadienne du sang est la seule productrice au Canada, il y ait plus d’emplois syndiqués, mais cela ne nuit pas à l’innocuité du produit.

Le sénateur Munson : Merci. Par respect pour les autres, je vais m’arrêter là.

La présidente : J’aimerais revenir sur la question du sénateur Munson au sujet de la rémunération ou de l’indemnisation, parce que j’ai en fait consulté votre site web ce matin, monsieur Bahardoust.

Certains témoins ont avancé que, compte tenu de la cible d’autosuffisance de 50 p. 100, ce sera très difficile de concurrencer l’industrie. J’ai consulté votre site web et vous avez un programme de fidélisation très élaboré. La première fois que vous venez, vous recevez ceci. La deuxième fois, je crois que ce sont des cartes de superhéros ou quelque chose du genre. Que répondez-vous à la Société canadienne du sang et aux témoins qui affirment que c’est une concurrence déloyale?

M. Bahardoust : Cela concerne ce que j’ai mentionné dans mon exposé, à savoir que nous n’avons vu aucun effet négatif sur le modèle qui se fonde sur des donneurs volontaires. La raison, c’est que nous nous faisons concurrence pour aller chercher un autre bassin de donneurs. Je crois que cet élément a déjà été mentionné. C’est seulement 1 Canadien sur 60, soit moins de 2 p. 100, qui donne volontairement du sang. Il est vrai qu’environ la moitié de la population n’est peut-être pas admissible à donner du sang, mais cela représente tout de même moins de 4 p. 100 des donneurs admissibles qui acceptent de donner volontairement du sang.

Si vous avez un modèle différent, vous arrivez peut-être à aller chercher un autre groupe de personnes qui ne veulent pas donner volontairement du sang. Il y a des gens que cela intéresse, et la Société canadienne du sang sera en mesure, avec un peu de chance, d’attirer certains de ces donneurs et d’avoir un modèle d’affaires viable et d’atteindre cet objectif de 50 p. 100.

Une cible de 50 p. 100, c’est extrêmement ambitieux. Héma-Québec a commencé à le faire il y a 6 ans, et l’organisme avait comme objectif un modeste taux d’autosuffisance de 30 p. 100 qu’il devait atteindre d’ici 2020, soit en l’espace de 7 ans. Son taux d’autosuffisance est environ 21 p. 100.

La Société canadienne du sang peut assurément accroître son taux d’autosuffisance. Il est actuellement seulement d’environ 14 p. 100, mais ce sera tout un défi d’atteindre 50 p. 100, d’autant plus que la demande augmente d’environ 10 p. 100 par année.

La présidente : Merci. Nous poserons assurément bientôt ces mêmes questions aux représentants de la Société canadienne du sang.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup de vos témoignages. Nous avons entendu de précédents témoins affirmer que, même si les préoccupations actuelles liées à l’innocuité des réserves de sang ne reposent sur aucune donnée probante solide, le sang provenant de donneurs rémunérés risquerait de contaminer les réserves en raison de nouveaux agents pathogènes. Ils ont donné l’exemple du virus Zika. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?

Deuxièmement, s’il y avait un nouvel agent pathogène que votre programme n’a pas permis de dépister ou que les mesures d’innocuité par rapport au produit n’ont pas réussi à traiter adéquatement, y aurait-il une différence importante entre cela et les méthodes utilisées concernant le plasma provenant de donneurs non rémunérés?

M. Bees : Je l’ai mentionné plus tôt lorsque nous parlions des prions, et cela vaut aussi pour le virus Zika. Il y a toujours au départ une évaluation du risque. Que vous soyez un donneur rémunéré ou volontaire, c’est la même évaluation du risque. Nous regardons précisément l’endroit de l’éclosion, les possibilités que des gens reviennent au Canada, dans le cas du virus Zika, puis vous regardez votre processus en aval.

Dans le cas du sang, c’est une décision difficile, parce que vous administrez en gros des plaquettes ou des globules rouges directement dans le corps. Par conséquent, il n’y a aucun processus de traitement de manière générale pour l’ensemble des produits dérivés utilisés. Cela évolue au fil du temps, mais ce n’est pas la même chose actuellement que dans le cas des produits dérivés du plasma; il y a une inactivation virale très poussée ou une rétention du virus au moyen de filtres ou une variété d’autres techniques qui sont utilisées pour rendre inactifs les virus.

Tout part de l’examen de virus modèles. Vous utilisez ensuite les virus modèles pour en gros vérifier la réaction de votre processus par rapport à l’arrivée d’un agent pathogène précis, soit le nouvel agent pathogène. Il faut procéder à un facteur suffisant de réduction logarithmique pour assurer l’innocuité du produit.

À l’époque, si nous prenons les facteurs de coagulation par chauffage à sec, ce n’était pas tout à fait suffisant pour tuer le VIH, et nous savons les problèmes qui en ont découlé.

Actuellement, nous avons beaucoup de redondances dans le processus, et nous devons en démontrer l’efficacité à l’organisme de réglementation. Les organismes de réglementation ont renforcé leurs processus: Santé Canada, la FDA aux États-Unis et l’Agence européenne des médicaments. Nous devons rendre des comptes et démontrer que notre produit peut encore faire ce qu’il est censé faire.

Nous avons des examens continus de la surveillance. Nous avons à l’œil d’autres agents pathogènes, comme l’hépatite E. Même si le nombre possible d’éclosions est minime à ce chapitre, nous devons tout de même nous assurer que nos processus sont en mesure d’atténuer ces risques.

Le sénateur Kutcher : J’aimerais avoir une précision et j’ai une dernière petite question. Je crois comprendre que vous dites que, que le plasma provienne d’un donneur rémunéré ou volontaire, les processus sont identiques pour assurer l’innocuité du produit.

M. Bees : Oui.

Le sénateur Kutcher : Ce n’est pas la rémunération.

M. Bees : Non.

Le sénateur Kutcher : Ai-je bien compris, ou est-ce que je me le suis imaginé, que vous avez créé un centre à Buffalo, dans l’État de New York, pour être maintenant en mesure d’être une entreprise américaine qui vend ses produits au Canada, alors que vous ne pouvez pas le faire si vous êtes à Winnipeg?

M. Bees : Lorsque nous avons dévoilé nos plans en vue d’étendre notre plateforme au Canada, nous avons notamment parlé aux fournisseurs de sang qui m’ont dit que cela nuirait énormément à leurs activités. J’ai en gros fait une promesse à la Société canadienne du sang, ce qui est similaire à ce que j’avais fait lorsque je travaillais à Winnipeg chez Cangene, et j’ai dit que nous ne perturberions pas ses activités et que nous ne construirions pas de centre de prélèvement de plasma tant que tout ne serait pas réglé et que nous n’aurions pas une voie claire à suivre. Nous nous sommes donc installés à Buffalo pour en gros vérifier que nous n’aurions pas d’effets perturbateurs sur le système.

Ce n’est pas un mauvais endroit. C’est près de la frontière. Je ne m’en plains pas. Je dis seulement...

Le sénateur Kutcher : Je ne dénigre pas Buffalo.

La sénatrice Omidvar : Je vais essayer de poser le plus de questions possible. Je vous remercie tous les deux de votre présence.

Ma première question s’adresse peut-être à M. Bees. Je souhaite avoir une réponse par question pour avoir le temps de poser mes deux questions.

Nous savons que les lois sont le reflet de nos valeurs. Les valeurs ne sont pas coulées dans le béton; elles évoluent. Donc, nos lois évoluent aussi. Nous avons une valeur au Canada, comme c’est également de plus en plus le cas dans le reste du monde, et c’est que nous refuserons de commercialiser notre corps. Nous ne vendrons pas nos organes; nous ne vendrons pas notre sang; nous allons plutôt en faire don.

Estimez-vous que ce projet de loi est conforme à ces valeurs?

M. Bees : J’ai donné du plasma 40 fois. J’ai donné du sang 130 fois en date d’hier. Je me suis assis littéralement dans les deux fauteuils. Pour être honnête, je suis fier d’avoir donné du sang, et je serais outré qu’une personne essaie de me rémunérer pour mon sang.

Pour ce qui est de nos activités de collecte de plasma, dès le départ, lorsque le Dr Bowman a ouvert le centre de prélèvement de plasma à Winnipeg, il était d’avis que c’était la bonne chose à faire que de rémunérer les femmes, dans ce cas précis, qui avaient eu la maladie du groupe Rh nul et qui avaient donc des anticorps naturels. Il estimait que c’était tout naturel de le faire.

Avec le recul, du point de vue de la recherche, parce que je travaillais avant dans le domaine de la recherche, il est évident, lorsque vous avez de telles études, de rémunérer les participants. Nous avions à l’époque le Conseil consultatif de Bayer sur les questions de bioéthique qui passait en revue ce que nous faisions à Winnipeg, et ce conseil estimait que c’était éthique.

Je comprends ce que vous dites. Nous prélevons du plasma, pas du sang. C’est une ressource renouvelable. Le corps remplace le plasma très rapidement. Il y a aussi un avantage connexe pour les donneurs sur le plan de la surveillance de leur état de santé, par exemple.

Cependant, je sais, en mon for intérieur, que, si nous n’offrions pas de rémunération pour le plasma, nous n’aurions pas le nombre de donneurs dont nous avons besoin. Ce serait merveilleux, mais cela n’arrivera pas.

Au cours ma carrière au Cangene Centre, ou le Rh Institute, nous offrions aux gens l’occasion de prendre leur rémunération sous la forme d’un chèque ou d’en faire don à leur organisme de bienfaisance préféré. J’ai vu deux personnes accepter de le faire durant toutes ces années.

La sénatrice Omidvar : C’est bon à savoir.

Monsieur Bahardoust, la semaine dernière, nous avons entendu les témoignages très percutants de gens qui se sont portés à la défense du système de santé publique: l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, le SCFP, et cetera. Ils ont la ferme conviction qu’un système de santé publique, qui est financé par la population, est plus transparent et que cela permet une meilleure reddition de comptes.

Pourriez-vous nous décrire les mesures que votre entreprise prend pour s’assurer d’être transparente et de rendre des comptes? À qui avez-vous l’obligation de rendre des comptes? Quelles sont les conséquences pour votre produit et votre entreprise si vous ne respectez pas certaines normes de référence établies par l’organisme qui réglemente votre industrie?

M. Bahardoust : Premièrement, je tiens à préciser que nous parlons seulement de la collecte de plasma, ce qui fait partie intégrante de la fabrication de médicaments. Nous ne sommes pas un fournisseur de soins de santé. Nous n’offrons aucun soin de santé dans nos installations. Nous procédons seulement au dépistage des donneurs pour nous assurer de la sécurité des donneurs et de l’innocuité du produit aux fins de fabrication.

C’est Santé Canada qui réglemente nos activités, et c’est le même organisme qui réglemente les activités de la Société canadienne du sang. Par ailleurs, notre entreprise est certifiée par l’Union européenne. Nous sommes enregistrés auprès de la FDA. Nous sommes un membre d’origine de l’Association des entreprises des protéines plasmatiques thérapeutiques, et nos activités sont certifiées en fonction de sa norme, le Programme international de la qualité du plasma. Nous satisfaisons à toutes les normes auxquelles satisfait la Société canadienne du sang, et nous les dépassons.

Si des millions sont investis dans des installations comme les nôtres et qu’une mauvaise unité de sang est prélevée, comme l’association des infirmières l’a laissé entendre, parce que nous sommes une entreprise à but lucratif et que nous ne nous en soucions pas, c’est toute l’entreprise qui est compromise. Il est tout simplement faux d’insinuer qu’une entreprise à but lucratif n’est pas tenue de rendre des comptes ou qu’elle ne se soucie pas des patients.

Si un organisme de la fonction publique commettait une erreur, voici ce qui risquerait de se passer. Des cadres seraient remplacés, l’organisme serait rebaptisé, et ses activités se poursuivraient. Toutefois, cela signifierait la fin pour une entreprise privée. À mon avis, ce n’est tout simplement pas correct.

La sénatrice Omidvar : Merci.

M. Bees : J’aimerais brièvement ajouter quelque chose. Je vais vous donner un exemple de ce dont j’ai en fait été témoin au cours de ma carrière en Irlande où il y avait un processus de fractionnement du plasma pour produire de l’immunoglobuline anti-D; c’était tout petit, et c’était semblable à ce que nous avions à Winnipeg. Les responsables prélevaient du plasma de donneurs; cela ressemblait beaucoup à ce que nous avions à Winnipeg. La différence, c’était que les responsables en Irlande n’avaient pas en place toutes les mesures de protection dont ils avaient besoin. Ils ont non seulement transmis l’hépatite C au produit final, mais ils ont aussi en fait infecté les donneurs en raison de la contamination.

Le résultat, c’est que cet organisme n’existe plus. Les autorités ont mis immédiatement un terme aux activités de cet organisme. Nous avons envoyé notre WinRho en Irlande pour aider les autorités qui étaient mal prises, parce qu’elles en avaient désespérément besoin. Bref, lorsqu’une entreprise commet de telles erreurs, ses jours sont comptés. Nous ne devrions jamais nous rendre à un tel point maintenant. À l’époque, c’était le cas. Cela ne devrait jamais arriver.

La sénatrice Omidvar : J’ai une petite question pour vous, monsieur Bahardoust. Vous avez dit que, si jamais le projet de loi est adopté, les seuls donneurs rémunérés seront les donneurs américains. Lorsque je lis le projet de loi, ce que j’en comprends, c’est que le seul organisme qui peut rémunérer des donneurs de plasma est la Société canadienne du sang. Qu’en pensez-vous?

M. Bahardoust : L’objectif de la Société canadienne du sang est de prélever 50 p. 100 du plasma nécessaire. L’autre moitié sera importée s’il n’y a aucun autre fournisseur canadien, et les autres sources sont les donneurs rémunérés. Selon la réglementation canadienne, le seul plasma dont l’utilisation est approuvée dans un produit final, outre le plasma canadien, est le plasma américain. Donc, par défaut, tout le plasma qui sera importé pour l’autre 50 p. 100, en admettant que cet objectif soit atteint, sera du plasma provenant de donneurs américains rémunérés.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’aimerais savoir quel pourcentage du plasma qui provient de donneurs canadiens rémunérés nous revient au Canada sous forme de médicaments — immunoglobulines, et cetera. Quel est le pourcentage?

[Traduction]

M. Bees : Je ne peux pas vous donner un pourcentage précis. Actuellement, je dirais qu’environ 60 p. 100 du plasma du centre de prélèvement de Winnipeg est fractionné au Canada pour ce qui est des programmes relatifs à des anticorps précis. Je ne peux pas vous dire précisément ce que cela représente.

Nous fournissons de l’anti-D à Emergent, qui à son tour fournit aux fournisseurs de sang de l’immunoglobuline anti-D. Jusqu’à tout récemment, l’ensemble de notre plasma servait à cette fin. Bref, il est évident que la majorité de notre plasma servait à des activités au Canada. Notre programme de recherche-développement à Prometic commence à faire du fractionnement de plasma au Canada, et ce produit a été utilisé dans le cadre d’essais cliniques en Amérique du Nord et en Europe. Il n’est pas encore commercialisé. Dans l’avenir, nous serons agréés au Canada et aux États-Unis et en Europe plus tard.

[Français]

La sénatrice Mégie : En parlant de ces cliniques, combien investissez-vous dans la recherche et le développement pour les médicaments dérivés du plasma?

[Traduction]

M. Bees : Vous demandez essentiellement quelle est la valeur du budget de recherche et développement de Prometic au Canada.

[Français]

La sénatrice Mégie : Oui; avez-vous un budget qui y est consacré, ou bien avez-vous investi?

[Traduction]

M. Bees : Je suis le responsable des opérations, alors je ne peux pas formuler de commentaires à ce sujet, mais je peux m’informer. C’est probablement du domaine public, mais je ne suis simplement pas au courant. Toutefois, je sais qu’ils consacrent beaucoup d’argent aux essais cliniques.

[Français]

La sénatrice Mégie : Chez Prometic Plasma Resources, vous fractionnez le plasma, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Bees : Le plasma est fractionné par Emergent Biosolutions à Winnipeg. Il est aussi fractionné à Laval, au Québec.

[Français]

La sénatrice Mégie : Vous n’avez jamais tenté de fractionner pour Héma-Québec ou pour la Société canadienne du sang?

[Traduction]

M. Bees : Pas encore. Nous avons eu des discussions avec Héma-Québec et la SCS, et il en ressort que, lorsque notre processus exclusif de fractionnement sera opérationnel, validé et approuvé par les autorités appropriées, nous aimerions être en mesure de présenter une soumission en vue de fournir des produits à ces deux fournisseurs de sang, mais nous sommes encore loin d’avoir atteint ce stade.

L’une de nos IgIV a franchi l’étape 3 des essais cliniques, mais elle n’a pas encore été commercialisée. En ce qui concerne le plasminogène, nous sommes en voie d’obtenir son homologation finale. Nous avons eu des conversations avec l’ensemble des organismes de réglementation américains et l’ensemble des organismes de réglementation canadiens. Nous aimerions jouer ce rôle dans les années à venir. Cela fait partie de notre plan d’affaires.

La présidente : Si vous avez accès à ces données, nous les accepterons volontiers.

La sénatrice Eaton : Je vais commencer par formuler des observations. Je trouve un peu intéressant le fait que nous utiliserons des produits du sang qui proviennent de donneurs rémunérés et qui sont importés des États-Unis, alors que nous interdisons leur utilisation dans certaines provinces. Je trouve simplement cela un peu illogique.

De toute manière, pour poursuivre mon interrogation, j’aimerais savoir s’il y a un seul pays dans le monde qui est devenu autosuffisant sans avoir recours à des collectes de sang rémunérées. Les pays d’Europe possèdent des systèmes médicaux gratuits, dont certains sont excellents. Ont-ils tous recours à un système de don de sang volontaire, ou ont-ils des cliniques où les donneurs sont rémunérés? Devez-vous payer pour le plasma, ou êtes-vous rémunéré pour donner du plasma?

M. Bahardoust : La réponse est non; pas un seul pays du monde entier n’est devenu autosuffisant en matière de produits de protéines plasmatiques en adoptant uniquement un modèle volontaire. Le degré d’autosuffisance d’un grand nombre de pays européens est élevé, mais je précise de nouveau que, dans la plupart de ces pays, des programmes d’incitation des donneurs, d’un genre ou l’autre, sont mis en œuvre. En effet, 16 des 28 membres de l’Union européenne mettent en œuvre des programmes d’incitation des donneurs qui prennent une forme ou une autre, y compris...

La sénatrice Eaton : Pour le sang et le plasma, ou simplement le plasma?

M. Bahardoust : Surtout pour le plasma, mais il y en a aussi pour le sang, y compris dans les 10 pays les plus populeux d’Europe, qui vont de l’Allemagne à la Grèce.

Dans bon nombre de ces pays, la rémunération des donneurs dépasse de loin celle que nous offrons aux donneurs canadiens, étant donné que notre rémunération cadre davantage avec celle des États-Unis.

Par exemple, en Italie, les donneurs peuvent recevoir plus de 100 euros, mais pas en espèces. On leur offre l’équivalent en congés compensatoires ou en indemnités de remplacement. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, les donneurs peuvent recevoir de l’argent comptant.

Cela nous ramène à la question du sénateur Munson. En Europe, de nombreux règlements régissent ces aspects. Par exemple, en Allemagne, en Autriche, en République tchèque et en Hongrie, un ensemble de règles permettent de déterminer le niveau de rémunération qui convient.

Au Canada, nous suivons essentiellement le même modèle qu’aux États-Unis, où le marché fixe le prix et, comme la concurrence en matière de recrutement des donneurs est vive là-bas, la valeur de la rémunération a augmenté au cours des dernières années.

La sénatrice Eaton : Expliquez-moi quelque chose. Vous possédez un centre à Winnipeg et un autre à Moncton. Vous prélevez du plasma dont la majeure partie est expédiée aux États-Unis?

M. Bahardoust : Non, nous exploitons un centre à Saskatoon et un autre à Moncton.

La sénatrice Eaton : Oui.

M. Bahardoust : L’installation de Winnipeg est distincte.

La sénatrice Eaton : Est-ce que tout le plasma que vous prélevez en Saskatchewan sert à soigner des patients de la Saskatchewan?

M. Bahardoust : Non. À plusieurs reprises, nous avons offert à la SCS la possibilité d’acheter nos produits.

La sénatrice Eaton : Donc, la SCS ne les achète pas encore.

M. Bahardoust : En ce moment, il n’y a aucune installation de fragmentation à grande échelle au Canada. Une installation est en voie de construction au Québec, mais elle n’est pas encore approuvée. Pour le moment, nous expédions tout notre plasma en Allemagne, où il est fractionné.

La SCS n’achète aucun de nos produits. À l’heure actuelle, le seul produit de ce séparateur qui est importé au Canada en petite quantité, c’est le plasma anti-CMV que j’ai mentionné plus tôt et qui est commandé dans le cadre du Programme d’accès spécial. Les médecins achètent ce plasma directement.

La sénatrice Eaton : Vous envoyez votre produit en Allemagne, où il est fractionné. Revient-il au Canada?

M. Bahardoust : Non, la SCS n’achète pas le produit.

La sénatrice Eaton : Vous le vendez aux États-Unis ou n’importe où.

M. Bahardoust : En Europe, dans les pays de l’Union européenne.

La sénatrice Eaton : Nous donnons notre plasma à l’Allemagne, puis nous achetons nos produits aux États-Unis. La boucle est donc bouclée.

M. Bahardoust : Oui.

La sénatrice Eaton : Merci. Il fallait que je vois la boucle.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous les deux de témoigner aujourd’hui et de nous fournir des renseignements et des éclaircissements. Je vous suis particulièrement reconnaissante de nous donner votre point de vue et des clarifications au sujet des modèles à but lucratif, sans but lucratif, privés et commerciaux, ainsi que sur les risques perçus et d’autres sujets. Merci d’avoir répondu à ces questions plus tôt.

La sénatrice Eaton parle d’un cercle, mais je peine encore à le visualiser. Si nous achetons des produits de plasma d’autres pays pour aider les Canadiens, pourquoi cet argent ne sert-il pas davantage à payer le plasma ici? C’est un point que j’essaie encore de comprendre.

Monsieur Bahardoust, vous avez expliqué, au début de votre exposé et en traitant d’un certain nombre de sujets, que le plasma est plus difficile à recueillir. Vous avez indiqué que le processus est quatre fois plus long et que les donneurs doivent revenir plus souvent et réserver un bloc de temps pour les prélèvements.

Je pense que vous avez ensuite parlé de ce qu’il en coûte de trouver des donneurs, mais je n’ai pas bien compris, alors je veux revenir là-dessus. Vous avez ensuite ajouté que si nous faisons appel à des bénévoles, ce coût est de X, mais que si on les rémunère, le coût est de Y. Pourriez-vous m’expliquer de nouveau ce concept? Je n’ai vraiment pas compris.

M. Bahardoust : Volontiers. En fait, je n’ai pas donné de coût précis, mais j’ai fait référence au rapport du groupe d’experts de Santé Canada, lequel indiquait que le coût de la collecte de grandes quantités de plasma auprès de donneurs bénévoles est de deux à quatre fois plus élevé que celui du modèle de prélèvement de plasma commercial.

La sénatrice M. Deacon : Il est de deux à quatre fois plus élevé.

M. Bahardoust : Juste pour vous fournir quelques chiffres, l’offre que nous avons présentée à la Société canadienne du sang, que nous avons rendue publique, prévoit l’achat de plasma à 195 $ le litre. Or, la proposition que la SCS a faite aux provinces prévoit la collecte de plasma au coût de 405 $ le litre, et c’est si elle atteint son objectif. C’est déjà deux fois plus coûteux.

Je pense que le chiffre de quatre évoqué par Santé Canada concerne le fait que selon les données probantes et ce qui s’observe habituellement à l’étranger, les organismes comme la SCS n’atteignent pas leur objectif. Si on examine les coûts actuels de la collecte, ils sont plutôt quatre fois plus élevés ou de deux à quatre fois plus élevés. Voilà qui explique le chiffre auquel j’ai fait référence.

La sénatrice M. Deacon : D’accord. J’ai l’impression qu’il me manque une pièce du casse-tête dans ce dossier. Je sais que le libellé du projet de loi pose un problème. C’est évident qu’il en pose un, et nous examinons la formulation du projet de loi. On nous dit que nous ferons mieux, car nous attirerons plus de Canadiens en rendant le don de plasma plus intéressant. La SCS pourra ainsi atteindre ses objectifs.

Y a-t-il une stratégie que nous n’avons pas mise à l’essai, une idée que les gens envisagent, mais que nous n’avons pas encore essayée pour augmenter le nombre de donneurs de plasma sans recourir à la rémunération? Peut-être que quelque chose m’échappe. C’est ce que j’essaie de comprendre.

M. Bees : Pour que tout soit bien clair, vous nous demandez de faire des suppositions quant à ce que la SCS ou Héma-Québec devraient faire?

La sénatrice M. Deacon : Je ne fais peut-être pas référence à ce qu’ils font, mais dans les discussions que vous avez ailleurs qu’ici, certains ont peut-être formulé des propositions afin d’accroître le nombre de donneurs de plasma sans offrir de mesures incitatives. Quelles sont ces propositions?

M. Bees : Je pense qu’il faut apprendre à connaître son groupe démographique principal; c’est celui des jeunes de 18 ans à je ne sais quel âge. Ce sont les jeunes hommes, n’est-ce pas? On cible les jeunes en santé. Il faut comprendre la manière dont ils raisonnent et ce qui les motive à faire des dons.

D’après ce que je comprends, d’autres pays ont tenté d’accorder des congés et un certain nombre d’autres incitatifs semblables. Cependant, pour être juste envers la SCS, l’organisme n’a pas encore établi son modèle. Il n’en est encore qu’aux tout débuts de ses démarches.

Héma-Québec a réussi à s’implanter dans des centres commerciaux et dispose ainsi d’agréables petits centres de plasma dans des centres d’achat, comme celui que j’ai vu à Laval. C’est pratique pour les donneurs, car il y a beaucoup de stationnement et d’excellentes idées. Mais ici encore, c’est un travail d’Hercule.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : La plupart de mes préoccupations ont déjà été abordées. Comme j’en suis venue à mieux comprendre le dossier, passant d’une compréhension nulle à ce que je sais maintenant du prélèvement de plasma et du processus de fractionnement, je me rends compte qu’un grand nombre de donneurs sont nécessaires pour un seul patient. Il faut non seulement beaucoup de donneurs, mais aussi beaucoup de temps, car le processus de fractionnement prend jusqu’à un an.

Compte tenu de l’incidence disproportionnée sur l’offre et la demande, j’aimerais savoir comment vous, dans chacune de vos entreprises, établissez votre bassin de donneurs. Comment parvenez-vous au nombre actuel?

À partir de quel point atteignez-vous le nombre satisfaisant dont vous parlez? Combien de temps estimez-vous qu’il vous faudrait pour atteindre ce chiffre, sachant que je comprends que les chiffres idéaux sont peut-être irréalistes?

M. Bees : Le centre de Winnipeg a ceci de particulier qu’il a vu le jour grâce à un médecin qui traitait des femmes atteintes de la maladie du groupe Rh nul. Cette quarantaine de femmes étaient totalement sous l’influence du Dr Bowman, car elles voulaient sauver des bébés et aider d’autres femmes souffrant de la maladie. Il ne s’agissait pas tant qu’un effort de recrutement que d’un effort organisationnel qui s’est soldé par une réussite phénoménale. Ces femmes sont toutefois toutes passées à autre chose, car elles avaient de toute évidence passé l’âge de faire des dons.

Nous devons concevoir nos annonces avec grand soin pour attirer des personnes bien précises qui satisferont à des critères très stricts afin de pouvoir constituer notre bassin. C’est un défi constant, mais nous réussissons à conserver notre bassin de donneurs. Nous n’avons pas cherché activement à l’accroître, car ce n’est pas quelque chose que nous augmentons actuellement, mais le programme est encore parfaitement viable.

En ce qui concerne nos autres programmes, nous avons ajouté des places dans notre centre. Nous avons dû revoir notre approche de marketing, recourant beaucoup aux médias sociaux afin de joindre nos donneurs et de comprendre les idées qui les motivent.

Nous nous sommes certainement inspirés du programme de la Plasma Protein Therapeutic Association en établissant un lien avec les patients. C’est un facteur déterminant quand il s’agit d’éveiller la fibre altruiste des gens. Ce n’est pas tant une question d’argent. On paie les gens pour le temps qu’ils accordent, mais on veut leur montrer qu’ils redonnent aux patients. C’est là un élément clé des campagnes de marketing.

Pour en revenir à nos moutons, sommes-nous satisfaits de la situation actuelle? Non. Je pense que nous pourrions faire bien mieux. Nous continuons d’élargir doucement notre programme. La situation sera légèrement différente à Buffalo, car le campus y est différent et bien plus vaste; il y a donc plus de donneurs potentiels et de gens dans les environs qui cadreraient avec notre marché. Mais nous trouverons bien un moyen.

Ce n’est pas facile. Pour la SCS — et comme Héma-Québec est déjà en train de le découvrir —, il faut du temps pour établir un bassin. Une fois recrutés, les donneurs peuvent être extrêmement loyaux, mais le don de plasma n’est pas pour tout le monde.

La thrombocytaphérèse est un procédé difficile. Si on fait abstraction de mon entrevue de voyage sur mon don de sang hier, le don proprement dit prend peu de temps. Quand on subit une plasmaphérèse, on reste dans le fauteuil un bon moment, car le procédé est long. Si on n’est pas prêt à accorder le temps nécessaire, mieux vaut ne pas être un donneur à long terme.

La présidente : Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Bahardoust?

M. Bahardoust : Nous avons recruté près de 5 000 donneurs dans les deux villes jusqu’à maintenant. La plupart des publicités sont diffusées sur les médias sociaux et en ligne, mais nous avons initialement fait de la publicité traditionnelle. Le recrutement s’effectue principalement par aiguillage ou par bouche-à-oreille.

D’après notre expérience, il faut quatre ans pour qu’un centre soit bien établi. Nous espérons que dans l’avenir, nous pourrons être plus efficaces, mais c’est ce que nous avons accompli jusqu’à présent. Nous n’en sommes pas où nous voudrions l’être et nous voulons encore prendre de l’expansion.

Il est beaucoup plus difficile de recruter des donneurs dans notre programme spécialisé. Nous avons actuellement moins de 100 donneurs. Voilà pourquoi il est impossible d’offrir seulement un programme spécialisé, comme celui de Winnipeg, dans un centre. Il faut avoir les deux programmes concurremment, car les donneurs sont très rares.

La sénatrice Forest-Niesing : Compte tenu du temps qu’il faut pour constituer un bassin raisonnable — je pense que votre référence était quatre ans —, de la situation que vous avez décrite, monsieur Bees, et du nombre d’initiatives que vous devez entreprendre pour constituer un bassin de donneurs, si le projet de loi est adopté et que vos deux entreprises ne peuvent plus recourir à son inestimable bassin de donneurs, quelle confiance vous inspire la situation entre l’adoption du projet de loi et l’entrée en vigueur de l’interdiction, et les quatre années qu’il faudra avant que le plan de la SCS — que vous connaissez, je présume — ne permette de constituer un bassin de donneurs raisonnable?

M. Bees : Vous savez, dans le programme spécialisé, si nous cessons nos activités demain, nous perdrions tous nos donneurs d’immunoglobuline anti-D. Nous les perdrions. La collecte d’immunoglobuline anti-D ne fait pas partie des activités de la SCS. Cela ne relève pas de son mandat. La SCS est mandatée pour prélever du plasma ordinaire afin de produire de l’immunoglobuline intraveineuse et des produits courants, pas des produits spécialisés. Nous perdrions notre bassin de donneurs.

Pour ce qui est de dire si certains donneurs de Winnipeg iraient faire des dons bénévoles à la SCS, je doute qu’ils le fassent.

Par contre, la SCS entend mettre sur pied trois centres de collecte de plasma spécialisé dans le cadre d’un projet pilote. Je présume que ces centres ouvriront en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Si c’est le cas, il leur faudra plusieurs années avant de s’établir et probablement quelques années de plus pour atteindre la rentabilité.

Je peux vous garantir que les habitants de Winnipeg n’effectueront pas de dons pendant au moins cinq ou six ans en raison de l’interdiction, et encore, je pense qu’ils ne seront probablement pas motivés à en faire, à moins que la SCS ne modifie son programme d’incitatif.

M. Bahardoust : Les quatre ans auxquels je faisais référence sont ceux de notre modèle.

La sénatrice Forest-Niesing : Oui.

M. Bahardoust : Selon le rapport annuel d’Héma-Québec, aucun de ses centres Plasmavie n’a atteint ses objectifs jusqu’à présent. Ils ont tous atteint de 30 à 70 p. 100 de l’objectif initial. Certains d’entre eux sont en activité depuis maintenant six ans.

Ainsi, la SCS pourrait ne jamais atteindre ses objectifs ou il pourrait lui falloir 10 ans pour y parvenir, à moins qu’elle ne fasse quelque chose de très différent d’Héma-Québec.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci.

La sénatrice Dasko : Je pense que nous en avons appris beaucoup au sujet des donneurs, de leur identité et de leurs types. Je voulais vous poser quelques questions sur vos clients. Monsieur Bahardoust, vous avez indiqué avoir un client et qu’il se trouve en Allemagne?

M. Bahardoust : Oui.

La sénatrice Dasko : S’agit-il de l’organisme central que vous approvisionnez? Pourriez-vous m’en dire le plus possible? Vous n’avez pas à révéler de noms.

M. Bahardoust : Il n’existe qu’une poignée d’entreprises de fractionnement dans le monde; notre bassin de clients potentiels est donc restreint.

La sénatrice Dasko : Vos clients sont des entreprises de fractionnement?

M. Bahardoust : Oui. Notre client est une entreprise de fractionnement allemande. Il en existe essentiellement quelques autres à l’échelle mondiale, en dehors de la Chine et de certains autres pays. Comme certaines normes y sont beaucoup moins strictes, il est insensé de recueillir du plasma dans une région très réglementée et de le vendre à un pays où le coût de la collecte est bien plus bas. En Europe et aux États-Unis, il n’existe que quelques entreprises de fractionnement.

La sénatrice Dasko : Vous avez donc des clients aux normes élevées?

M. Bahardoust : Oui, et il n’en existe qu’une poignée. Nous collaborons avec une entreprise de fractionnement allemande. Toutes les grandes entreprises de fractionnement, à l’exception de LFB, la compagnie française, sont des entreprises à but lucratif. Certaines d’entre elles ont déjà fait partie d’organismes nationaux de collecte de sang, mais elles ont pris tant d’expansion qu’elles s’en sont dissociées et sont maintenant des entreprises à but lucratif.

La sénatrice Dasko : Monsieur Bees, qui sont vos clients?

M. Bees : Ce serait Prometic, une entreprise mère de Laval, au Québec. Quand nous avons acheté le centre, il était entendu que nous continuerions de vendre du plasma à Emergent, car l’entreprise doit de toute évidence continuer de produire de l’immunoglobuline anti-D. Nous réussissons à l’approvisionner.

En fait, nous avons collaboré avec cette entreprise dans le cadre de projets de développement. Nous prélevons le plasma de donneurs immunisés pour des études cliniques de phase II. Si les travaux progressent à la phase III et que le client obtient un permis, nous voudrions poursuivre le programme avec lui, bien entendu.

Nous avons ajouté des capacités supplémentaires cette année, ce qui nous a permis de trouver un autre client qui distribue de l’immunoglobuline anti-D au Canada.

La sénatrice Dasko : Je vois.

M. Bees : Nous nous affairons principalement à recueillir du plasma pour Prometic, car nous voulons mettre au point nos propres produits, notamment du plasminogène.

La sénatrice Dasko : Essentiellement, vous avez un client principal et non une ribambelle de petits clients?

M. Bees : Oui.

La sénatrice Dasko : Je m’intéresse au marché ontarien. Où l’Ontario achète-t-il le plasma? Nous savons que les donneurs ne peuvent être rémunérés dans cette province, qui est la plus grande du pays. Les besoins en plasma sont manifestement considérables. Où l’Ontario se procure-t-il son plasma?

M. Bees : Cette province se procure tout son plasma dans le cadre d’appel d’offres de la SCS. Cette dernière gère un très important processus d’appel d’offres afin d’approvisionner l’ensemble du pays. L’Ontario constitue évidemment un de ses principaux bénéficiaires.

La sénatrice Dasko : Aucun d’entre vous ne peut cependant vendre ses produits à...

M. Bees : Une fois que nous détiendrons un permis, nous voulons que la SCS et Héma-Québec distribuent notre plasminogène, mais nous n’avons pas encore de permis.

La sénatrice Dasko : On procède donc par l’entremise du service de collecte de sang? On ne le fait pas en passant par un intervenant de moindre...

M. Bees : On procède par appel d’offres, oui.

La sénatrice Dasko : Je n’ai plus de question. Merci.

La présidente : Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Bahardoust?

M. Bahardoust : La SCS est responsable de l’approvisionnement en produits sanguins frais, qu’elle se charge d’obtenir. Du point de vue financier, cela constitue le tiers de ses activités, et près de 60 p. 100 de son budget, si ce n’est davantage, sert uniquement à l’achat de produits. Elle agit simplement à titre de distributeur. Elle achète ses produits dans le cadre d’appel d’offres et distribue les produits aux provinces.

La présidente : Merci.

La sénatrice Moodie : Nous vous remercions, messieurs Bees et Bahardoust, de comparaître afin de nous aider à mieux comprendre le problème et les points que nous devons considérer aujourd’hui.

Nous éprouvons quelques difficultés à saisir l’essence du problème. Nous avons entendu bien des choses à propos de l’offre et de la demande. On nous a considérablement parlé du besoin et de l’offre, et fourni des détails sur les endroits et les personnes auxquels les produits dont destinés.

On nous a aussi indiqué que le domaine est réglementé. Les organismes nécessaires assurent fréquemment la surveillance. On nous a aussi parlé de la reddition de comptes, de l’entreposage adéquat, de la collecte et de la traçabilité des produits. Selon ce que l’on nous a dit, on peut remonter, lors du contrôle des infections, jusqu’aux fournisseurs, et ces derniers s’exposent à de lourdes conséquences.

Nous avons entendu tout cela, mais nous cherchons à cerner le problème. Je pense qu’il concerne un peu le domaine dont a parlé ma collègue, la sénatrice Omidvar, c’est-à-dire celui de la bioéthique et des questions d’éthique auxquelles le pays est confronté. Est-ce là que le problème se situe?

Je voulais poser la question suivante à M. Bees : pouvez-vous m’en dire un peu plus sur les délibérations de vos bioéthiciens dans le cadre du projet de Winnipeg? Pourriez-vous nous parler de certains sujets que vous avez abordés?

M. Bees : Voulez-vous que je revienne au rapport Krever et que nous partions de là?

La sénatrice Moodie : Pourquoi pas.

M. Bees : D’accord.

La sénatrice Moodie : Une partie de la problématique réside dans la distinction à faire entre les mesures incitatives et les paiements directs pour déterminer laquelle de ces formules nous apparaît la plus acceptable. Je pense que nous devons nous intéresser à cette distinction, car c’est peut-être ce qui pose problème.

M. Bees : D’accord. Si je reviens à la commission d’enquête, le juge Krever s’est penché pendant un certain temps sur notre programme à Winnipeg. Il y a d’ailleurs une note à ce sujet dans les recommandations qu’il formule dans son rapport global. Il faut surtout savoir qu’il a considéré le fait que ces donneuses — il y avait quelques hommes, mais c’était principalement des femmes, une situation qui a bien sûr un peu changé au fil des ans, mais qui demeure fondamentalement la même — devaient non seulement faire des dons régulièrement pour contribuer au processus d’ensemble, mais aussi recevoir tout au long de cette démarche des injections de globules rouges pour augmenter leur niveau d’anticorps. Cela demande un certain courage.

De toute évidence, si vous êtes un nouveau donneur n’ayant pas une immunité naturelle... Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Notre programme pour l’immunoglobuline anti-D a connu un succès monstre parce que nous sommes parvenus à éliminer pour ainsi dire tous les donneurs immunisés naturellement, ce que nous nous efforçons toujours de faire. Il est préférable de faire appel à des femmes ayant passé l’âge de la ménopause ou à des hommes et de les immuniser avec des globules rouges, pour autant qu’ils possèdent les phénotypes recherchés.

C’est un processus qui ne va pas sans certains inconvénients pour les donneurs. Leur taux d’anticorps est contrôlé régulièrement, et nous voulons qu’ils puissent participer au programme le plus longtemps possible. C’est en les rémunérant que l’on réussit à s’en assurer.

Chose intéressante, le Dr Bowman qui avait été auparavant directeur médical à la Croix-Rouge canadienne n’avait bien sûr pas l’habitude de rémunérer les donneurs, car ceux qui donnent du sang à Winnipeg ne sont jamais payés. Il a fait une exception dans le cas de ces femmes en raison de la nature même du programme.

Après avoir analysé la question, le juge Krever a déterminé que c’était la chose à faire. Il n’y voyait aucun problème du point de vue de la sécurité et de l’éthique.

J’ai aussi participé aux discussions du conseil consultatif de Bayer sur les questions de bioéthique. Ce conseil s’est penché sur les mêmes programmes et en est arrivé à une conclusion similaire dans son rapport, notamment concernant l’immunoglobuline anti-D.

Du côté de la PPTA, des bioéthiciens ont travaillé récemment auprès de l’industrie pour examiner les considérations éthiques liées aux dons rémunérés. Lorsqu’on analyse tout cela en tenant compte de l’intérêt supérieur des patients qui ont besoin d’un approvisionnement suffisant, on peut presque poser la question inverse : est-il éthique de ne pas rémunérer des gens qui donnent autant de leur temps?

J’ai fait un don pas plus tard qu’hier à la clinique de la Société canadienne du sang au centre-ville. En un éclair, j’avais fait mon don et j’étais ressorti. Je dois attendre au moins 56 jours pour mon prochain don. Ce n’est pas très difficile pour moi de donner du sang à ce rythme. Si je devais le faire une ou deux fois par semaine, ce serait une tout autre histoire. Il faut demander un engagement semblable aux donneurs si l’on veut un approvisionnement fiable en produits de plasma.

Par ailleurs, le recours à des donneurs réguliers fait en sorte qu’ils peuvent établir des liens plus étroits avec les patients. Ainsi, on risque moins de se retrouver avec quelqu’un qui va faire un don même s’il ne se sent pas très bien ce jour-là parce qu’il tient vraiment à avoir la rémunération qui s’y rattache. Les donneurs réguliers n’agissent pas de la sorte. Ils se sentent vraiment en connexion avec les patients, comme s’ils formaient une famille.

Je ne prétends pas être moi-même éthicien, mais quand j’entends ces gens-là parler de cet enjeu, j’en reviens toujours au patient en considérant le processus dans son ensemble. C’est simplement ma façon de voir les choses.

M. Bahardoust : Je conviens avec vous que les considérations éthiques sont importantes. Je crois d’ailleurs que vous avez déjà reçu une lettre en provenance d’éthiciens.

Je vous dirais toutefois qu’à mon sens, ce projet de loi n’a rien à voir avec l’éthique. Si la rémunération était un problème d’ordre éthique, vous ne pourriez pas exempter la Société canadienne du sang, à titre de fournisseur unique, pour lui permettre d’indemniser les donneurs directement ou de continuer indirectement à importer des États-Unis des produits du plasma provenant de donneurs rémunérés.

La question éthique est importante, mais nous devons demeurer cohérents. Si, pour une raison ou une autre, l’indemnisation des donneurs est inacceptable au Canada... et des recherches à ce sujet indiquent que la majorité des Canadiens — 75 p. 100, en fait — sont favorables à la rémunération des donneurs de plasma, une proportion qui atteint 90 p. 100 quand on sait que l’absence d’une telle rémunération nous oblige à importer des produits.

Si nous devions donc, pour une raison ou une autre, interdire la rémunération des donneurs de plasma, nous devons nous montrer cohérents en acceptant le fait que nous allons peut-être payer deux, trois ou quatre fois le prix pour défendre nos valeurs. Nous nous exposons peut-être à des pénuries, mais nous choisissons de nous en tenir à nos valeurs.

Il n’est aucunement question de tout cela dans ce projet de loi. Comme la sénatrice Omidvar l’a souligné lors d’une séance précédente, le projet de loi vise plutôt à assurer le monopole de la Société canadienne du sang pour qu’elle puisse recueillir du plasma sans aucune concurrence, sans égard aux coûts que cela entraîne.

Il est important également de ne pas perdre du vue — comme Bill l’a signalé, je crois — le fait qu’il s’agit ici d’approvisionner en matière première une industrie à but lucratif. Il n’est pas question de la collecte de sang entier provenant de donneurs se présentant dans les hôpitaux sur une base volontaire. C’est vraiment la matière première pour cette industrie à but lucratif. Tout le monde fait de l’argent avec le plasma, excepté le donneur lui-même.

Je ne vois rien de répréhensible dans le fait d’indemniser une personne pour le temps qu’elle consacre à de tels dons. Aux États-Unis, on peut le faire jusqu’à deux fois par semaine. Au Canada, nous nous limitons à une fois par semaine, mais cela demeure un engagement considérable à raison d’au moins deux heures chaque semaine.

La présidente : Nous avons du temps pour un second tour où les questions comme les réponses devront être brèves. Avant tout, j’aimerais toutefois poser moi-même une brève question.

Nous avons traité de nombreux sujets aujourd’hui, mais pas d’un aspect que nous avions abordé lors de séances précédentes et qui a donné lieu à certaines critiques par le passé. Je parle du choix de l’emplacement de ces installations. Certains ont laissé entendre que l’on choisissait des emplacements ciblant non seulement les étudiants, mais aussi des segments plus vulnérables de la population. C’est une des questions qui a été soulevées devant notre comité.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez, mais je veux également vous poser une question bien précise à ce sujet. Y a-t-il des critères que vous devez respecter quant aux emplacements que vous pouvez choisir? Je sais qu’il y a un tri qui se fait, ce qui permet d’apaiser certaines de ces préoccupations. J’aimerais tout de même savoir s’il y a effectivement des critères qui s’appliquent quant aux emplacements retenus.

M. Bahardoust : Je veux préciser d’entrée de jeu que la réglementation ne permet pas d’accepter les dons de personnes vulnérables ou de gens qui s’exposeraient ainsi à un risque pour leur santé. Nous faisons des tests non seulement pour nous assurer que le produit final est sûr, mais aussi pour veiller à ce que le don puisse se faire sans danger. À titre d’exemple, les sans-abri ne peuvent pas donner de plasma. Nous respectons en outre les normes de l’IQPP qui sont plus rigoureuses que les règlements de Santé Canada ou les règles suivies par la Société canadienne du sang.

À Saskatoon, nous sommes installés dans une zone d’industries légères. Nous ne sommes pas au centre-ville. Il va de soi que Santé Canada a été informé de l’emplacement choisi avant d’approuver la demande. Nous sommes accrédités par l’IQPP et l’Union européenne. Toutes ces instances tiennent compte des considérations à ce sujet.

La réglementation canadienne ne prévoit rien de précis quant au choix de l’emplacement, mais les autorités s’assurent toujours qu’il est approprié. La logique veut que nous nous installions dans un endroit où nous pouvons accepter un maximum de donneurs admissibles.

Pourquoi choisirait-on un emplacement où toutes ces personnes vulnérables ne seront pas considérées comme des donneurs admissibles? Certains laissent entendre que le plasma ou le sang des personnes dont le revenu est inférieur à la moyenne est de toute manière de qualité insuffisante. Ce n’est pas l’un des critères utilisés par Santé Canada. De nombreux facteurs sont pris en considération pour déterminer qui peut devenir donneur, mais le revenu n’en fait pas partie.

M. Bees : Dans le cadre du Programme international pour la qualité du plasma (IQPP) élaboré par PPTA, il y a certaines normes à respecter quant aux installations à proprement parler. Je ne vais pas entrer dans les détails à ce sujet, mais je peux vous transmettre ces normes, si la chose vous intéresse.

Les normes relatives au taux de maladie sont plus importantes encore. Ces taux permettent de juger de la qualité générale des dons reçus. Si votre taux de maladie dépasse un certain niveau, vous risquez de perdre votre licence. Ces taux sont un reflet fidèle du genre de donneurs que vous recrutez, que votre clinique soit située dans un quartier pauvre de la ville ou que ces gens-là fassent tout le chemin pour se rendre dans un quartier mieux nanti pour faire leur don, ce qui est fort peu probable. Il n’est pas rare dans ce contexte que l’on déménage les centres de prélèvement dans des quartiers plus aisés pour empêcher que cela puisse se produire.

M. Bahardoust : J’aimerais vous en dire un peu plus à ce sujet en vous renvoyant à ce que j’ai indiqué dans mes observations préliminaires. Avec l’application d’un seuil d’alerte viral, nous n’avons eu aucun cas de résultat positif confirmé pour les 40 000 dons reçus. La norme de la PPTA autorise un taux composite de 8 par 100 000. La Société canadienne du sang et Héma-Québec ont pour leur part des seuils de résultats positifs confirmés de 13,3 et 11,3 par 100 000, respectivement. Ces deux organisations ne respectent donc pas la norme de l’IQPP.

M. Bees : Il ne faut pas oublier qu’elles font de la collecte de sang.

M. Bahardoust : Oui, mais reste quand même que la présélection des donneurs est plus stricte dans l’industrie du plasma.

La présidente : Merci pour ces réponses. Il y a quelques noms qui se sont ajoutés à notre liste, alors je vous demanderais de poser des questions encore plus courtes en espérant que les réponses le seront tout autant, de telle sorte que chacun ait la chance d’intervenir.

La sénatrice Seidman : Notre présidente vient de vous poser la question que je souhaitais vous adresser concernant l’emplacement des cliniques et les critiques voulant que vous choisissiez de les situer à proximité des populations vulnérables. J’ai donc déjà ma réponse.

Il y a un enjeu crucial qui ressort vraiment pour nous. Il nous apparaît tout simplement hypocrite d’acheter des produits du plasma provenant d’un processus de collecte où tout le monde est rémunéré, sauf les Canadiens. C’est carrément inacceptable. La marraine du projet de loi a en fait indiqué que pas une seule goutte de sang provenant de donneurs rémunérés au Canada ne reste au pays.

Est-ce que c’est bel et bien le cas?

M. Bahardoust : Encore là, je crois l’avoir mentionné dans mes remarques préliminaires.

La sénatrice Seidman : Tout à fait.

M. Bahardoust : La réponse est oui.

La sénatrice Seidman : Oui.

M. Bahardoust : Cela s’explique uniquement par le fait que la Société canadienne du sang n’achète pas ces produits...

La sénatrice Seidman : D’accord.

M. Bahardoust : Suivant le système en place au Canada, nous n’avons pas la possibilité de distribuer nous-mêmes ces produits. C’est donc une décision qui revient à la Société canadienne du sang...

La sénatrice Seidman : Oui.

M. Bahardoust : ... et à Héma-Québec.

La sénatrice Seidman : Voilà qui est maintenant très clair. Je vous remercie de ces précisions. Il est primordial que nous comprenions bien que nous importons des produits sanguins provenant de donneurs rémunérés, mais que nous ne permettons pas l’utilisation de tels produits issus de dons rémunérés faits par des Canadiens dans notre propre pays. À mes yeux, c’est l’élément principal qui ressort de cette analyse. Merci.

Le sénateur Ravalia : Je voudrais seulement un éclaircissement concernant la sécurité. Vous avez des critères très rigoureux qui s’appliquent à la plasmaphérèse directe. Une partie de notre plasma provient également de ce qui reste des dons de sang entier. Est-ce que les mêmes normes que pour la plasmaphérèse s’appliquent en pareil cas ou pourrait-il s’agir du maillon faible dans la lutte contre la propagation des maladies?

M. Bees : C’est une excellente question. En définitive, vous ne pouvez pas effectuer les mêmes tests pour le plasma récupéré, car il ne s’agit pas, par définition, de plasma frais.

Le sénateur Ravalia : Tout à fait.

M. Bees : Il y a donc des normes applicables à la collecte de plasma récupéré qui sont respectées dans toute l’industrie. Les critères de contrôle sont tout aussi rigoureux lorsqu’on doit passer ainsi par la fragmentation, ce qui me permet d’avoir pleinement confiance en la qualité du produit fini.

Il va de soi que ce n’est qu’un produit dérivé de notre système sanguin dont toutes les composantes ne sont pas utilisées. Le plasma récupéré est une excellente source d’anticorps, car il en renferme une plus forte proportion. C’est une bonne chose pour les immunoglobulines intraveineuses. Le résultat n’est pas exactement le même, car le processus est différent, mais c’est aussi rapproché que l’on puisse l’espérer.

Le sénateur Ravalia : Dans les faits, on ne constate pas de différence tangible?

M. Bees : Non.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Bahardoust. Lorsque le gouvernement canadien a décidé d’interdire les dons de sang rémunérés en 2014, votre compagnie avait menacé d’intenter une poursuite, étant donné les millions de dollars que vous aviez investis pour mettre le projet sur pied. Avez-vous lancé cette poursuite?

[Traduction]

M. Bahardoust : Ce n’était pas le gouvernement canadien, mais plutôt celui de l’Ontario. Nous savions que ce projet de loi était en cours d’adoption, et nous sommes entrés en contact avec d’autres provinces alors que certaines autres communiquaient avec nous. En fin de compte, nous avons obtenu notre licence de Santé Canada juste avant l’adoption du projet de loi en Ontario.

Nous craignions de voir le projet de loi être adopté avant que nous obtenions notre licence de Santé Canada, ce qui aurait pu nous obliger à recommencer le processus du début et à attendre quelques années de plus. Ce n’est pas ce qui s’est produit. Il y a d’autres provinces qui étaient heureuses d’accueillir l’industrie du plasma au Canada et nous y avons installé des cliniques. Nous n’avons intenté aucune poursuite judiciaire.

[Français]

La sénatrice Mégie : Avez-vous profité de l’ouverture des autres provinces lorsque vous avez décidé de ne pas poursuivre?

[Traduction]

M. Bahardoust : Non, ce n’est pas comme ça que les choses se sont passées. Toutes les provinces au Canada, sauf le Québec, autorisent l’indemnisation des donneurs de plasma. J’insiste donc sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une échappatoire. C’était expressément prévu dans la Loi sur le Réseau Trillium pour le don de la vie de l’Ontario. On ne pouvait pas indemniser les donneurs d’organes ou de tissus, mais il y avait une exemption expresse pour les composantes du sang, pour autant qu’elles soient utilisées pour la fabrication de produits.

Au moment où nous étions sur le point d’obtenir notre licence de Santé Canada après des années d’examen par le ministère, le gouvernement de l’Ontario a décidé de modifier sa Loi sur le Réseau Trillium pour le don de la vie et de proposer d’autres mesures législatives interdisant l’indemnisation des donneurs de plasma. Nous ne pouvions donc plus tenir nos activités en Ontario. Il n’y avait pas d’interdiction semblable dans les autres provinces qui nous ont indiqué ne pas avoir l’intention de modifier leur approche en la matière, si bien que nous nous sommes installés là-bas.

Le sénateur Kutcher : On ne nous a pas parlé de problèmes de santé importants dans le cas des dons rémunérés. On ne nous a pas indiqué non plus qu’il y avait des problèmes d’éthique majeurs dans ce même contexte. Votre travail s’inscrit dans le cadre des avancées d’une nouvelle industrie de la biotechnologie en pleine émergence au Canada. Si les autres secteurs de la biotechnologie devaient être soumis aux mêmes restrictions qui s’appliqueraient à votre industrie avec l’adoption de ce projet de loi, quelles seraient les répercussions sur les perspectives de commercialisation, de prospérité et de croissance pour l’ensemble du secteur biotechnologique au Canada?

M. Bahardoust : Je ne suis pas certain d’avoir bien saisi votre question, mais l’adoption de ce projet de loi nous obligerait à mettre un terme à nos activités. Comme nous l’avons indiqué, il ne nous serait plus possible de recruter des donneurs. Nous avions quelque 75 employés l’an dernier. Le sénateur Ravalia a déjà posé cette question au sujet des répercussions économiques.

Deux des 26 membres d’origine de la PPTA sont Canadiens. Nos activités sont encore très limitées, mais l’industrie a déjà pris beaucoup d’expansion et connaît une croissance très rapide. D’ici 2024, cette industrie atteindra une valeur d’environ 45 milliards de dollars par année à l’échelle planétaire et le Canada pourrait y contribuer dans une large mesure. Si ce projet de loi est adopté, rien de tout cela ne va se concrétiser.

Même des entreprises Green Cross qui se consacrent à la transformation du plasma devront importer toutes leurs matières premières. La plupart des emplois seront aux fins de la collecte. À titre d’exemple, cette usine qui est construite au coût d’environ 300 millions de dollars emploiera entre 200 et 300 personnes. Il y en aura encore plus qui travailleront dans les centres de collecte de plasma chargés d’approvisionner cette usine. Une plus grande proportion de la valeur ajoutée réside dans le plasma. Je répète que si le projet de loi est adopté, la totalité des matières premières devront être importées des États-Unis où les donneurs sont rémunérés.

M. Bees : La situation est un peu inhabituelle, car à notre arrivée dans l’industrie, il y avait les laboratoires Connaught en Ontario, l’Institut Armand-Frappier à Montréal et le Rh Institute à Winnipeg. Aucun de ces établissements n’est encore vraiment dans le portrait aujourd’hui. Nous nous retrouvons maintenant avec Green Cross à Montréal, Therapure à Mississauga, Emergent à Winnipeg, et Prometic à Laval, avec sans doute Belleville à venir.

Nous avons donc au Canada une industrie dont les perspectives de développement apparaissent fort intéressantes, ce qui est d’autant plus extraordinaire que ce n’était pas le cas récemment. Nous avons ici l’occasion de favoriser encore davantage cette croissance. Comme je l’indiquais précédemment, j’estime les possibilités de croissance excellentes à la faveur d’une collaboration entre la Société canadienne du sang et le secteur privé, car la capacité est suffisante pour le permettre.

La sénatrice Omidvar : J’ai une très brève question que je veux vous adresser à tous les deux. Aimeriez-vous proposer des amendements à ce projet de loi? De quelle nature seraient ces amendements?

M. Bees : Les gens du bureau de la sénatrice Wallin ont communiqué avec moi récemment pour obtenir des précisions concernant le plasma de spécialité. J’avais déjà lu le projet de loi et je l’ai relu ce matin. Je peux vous dire que son libellé concernant les phénotypes rares ne s’applique à aucun de nos produits dérivés du plasma, y compris les immunoglobulines anti-D. Celles-ci sont les antigènes les plus courants dans le sang après ceux des groupes sanguins ABO. Ainsi, seulement 16 p. 100 des Caucasiens n’ont pas ces immunoglobulines, alors que cette proportion est inférieure à 1 p. 100 chez les Orientaux. Pour l’ensemble du Canada, ce n’est donc pas un phénotype rare. Tous nos produits de spécialité ne sont pas des phénotypes rares. Si le libellé actuel est maintenu, ce sera essentiellement la fin de toute production de plasma de spécialité.

J’essaie de voir les choses dans une autre perspective. Nous avons déjà des lois provinciales. Il devrait s’agir en fait d’une responsabilité provinciale, et non fédérale. Le rôle de Santé Canada consiste à réglementer ces activités, ce que le ministère fait déjà très efficacement. Il s’agit en fait d’un investissement pour les soins de santé qui devrait être de compétence provinciale. Ce n’est pas habituellement le rôle du gouvernement fédéral qui s’occupe davantage de coordination. C’est en tout cas mon humble opinion.

M. Bahardoust : Je suggérerais que le plasma destiné à la transformation soit exempté dans le cadre de ce projet de loi, mais comme celui-ci vise d’abord et avant tout à éliminer notre industrie du plasma, je ne vois pas ce qui pourrait justifier son adoption.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup.

Sur cette note, nous allons conclure la réunion d’aujourd’hui. Demain, nous poursuivrons l’étude de ce projet de loi.

[Traduction]

Nous allons alors accueillir les représentants de la Coalition canadienne du sang, de la Société canadienne de l’hémophilie, section de la Colombie-Britannique, et de l’Association d’anémie falciforme du Canada.

Je tiens à remercier nos témoins pour le temps qu’ils nous ont consacré et les réponses qu’ils nous ont données, même si j’ai bien peur que celles-ci n’aient suscité de nouvelles questions.

Je veux aussi souligner qu’à notre retour de la relâche, nous recevrons un bioéthicien. Nous prenons en outre des dispositions pour accueillir des représentants de la Société canadienne du sang et d’Héma-Québec. Je vous remercie encore une fois.

(La séance est levée.)

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