Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 46

Le jeudi 9 juin 2016
L'honorable George J. Furey, Président

LE SÉNAT

Le jeudi 9 juin 2016

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le décès de l'honorable Rod A. A. Zimmer

Hommage

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour rendre hommage à notre regretté ami et collègue le sénateur Rod Zimmer. Le sénateur est né et a grandi à Kuroki, en Saskatchewan, et a obtenu un baccalauréat en commerce de l'Université de la Saskatchewan en 1973. Le sénateur Zimmer a entrepris sa carrière en politique à l'âge de 26 ans lorsque, en 1968, il a été nommé adjoint de l'honorable Cyril MacDonald, qui était alors ministre du Bien-être social au sein du gouvernement libéral de la Saskatchewan. De 1972 à 1979, le sénateur a occupé le poste d'adjoint auprès de l'honorable James Richardson, ministre fédéral de la Défense nationale.

Le sénateur Zimmer a aussi connu une carrière fructueuse dans le secteur privé. De 1979 à 1983, il a été vice-président aux communications à la CanWest Capital Corporation et, de 1985 à 1993, il a été directeur du marketing et des communications à la Fondation manitobaine des loteries.

J'ai eu le grand plaisir de travailler avec le sénateur Zimmer lorsque j'ai occupé le poste de vice-présidente du Parti libéral du Canada, puis les fonctions de présidente de la Commission libérale féminine. J'ai toujours trouvé que le sénateur Zimmer débordait d'énergie et d'enthousiasme à l'égard des causes du Parti libéral.

Libéral depuis toujours, le sénateur Zimmer était aussi toujours prêt à exprimer son opinion sur les droits des Manitobains et les problèmes auxquels ils devaient faire face. Partout où il allait, il était toujours le premier à soulever les enjeux de l'heure.

Le 2 août 2005, le sénateur Zimmer a réalisé le rêve de sa vie en étant nommé au Sénat par le premier ministre Paul Martin. De 2011 à 2013, j'ai eu l'insigne privilège de travailler avec le sénateur Zimmer au sein du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Le sénateur Zimmer était toujours présent aux séances du lundi et tenait à rester sur place après coup pour me montrer qu'il appuyait les travaux du comité.

Au nom de tous les sénateurs qui sont rassemblés ici aujourd'hui, je tiens à offrir mes plus sincères condoléances aux membres de la famille du sénateur Zimmer et à souligner qu'il mérite notre profonde reconnaissance pour les services qu'il a rendus au Canada. Mon ami, vous pouvez maintenant reposer en paix, aux côtés de votre père, en Saskatchewan. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune des membres de la famille de Myrtle McIntyre, les Deschênes. Ils sont les invités du sénateur McIntyre.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

La Journée nationale de la santé et de la condition physique

L'honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, comme vous le savez, samedi dernier, le 4 juin, on soulignait la Journée nationale de la santé et de la condition physique auprès de la population canadienne. La sénatrice Raine en a d'ailleurs fait mention dans cette Chambre, la semaine dernière.

Je souligne aujourd'hui cette journée, parce qu'elle revêt pour moi une grande importance. Comme vous le savez, cette journée vise à sensibiliser et à encourager davantage les Canadiens et Canadiennes à participer à des activités physiques qui contribuent à leur santé et à leur bien-être.

Cette journée a été mise en vigueur par le projet de loi S-211. Vous vous souviendrez que ce projet de loi, promulgué en 2014, a officialisé ce concept qu'ont appuyé la sénatrice Raine et l'ex-député John Weston. Le projet de loi donne carte blanche aux municipalités et aux citoyens afin qu'ils marquent cette journée par des activités locales qui soulignent l'importance d'utiliser les installations de santé, de loisirs, de sport et de conditionnement physique.

L'objectif est d'alléger le fardeau que fait peser la maladie sur les familles et sur le système de soins de santé canadien en encourageant les gens à être plus actifs et en meilleure forme. Plusieurs centaines de villes et de villages partout au Canada ont déjà proclamé la Journée nationale de la santé et de la condition physique, et je constate que leur nombre s'accroît tous les mois.

Nous savons tous que les montagnes, les océans, les lacs, les forêts, les parcs et les milieux sauvages du Canada offrent autant d'occasions de loisirs récréatifs et de conditionnement physique. La marche, le jogging, la bicyclette et la natation, pour n'en nommer que quelques-uns, sont d'excellents moyens d'améliorer la condition physique.

Chers collègues, continuons à souligner cette Journée de la santé et de la condition physique et à prendre le temps, individuellement et collectivement, de participer à des activités physiques le plus souvent possible. Chose certaine, la récolte des bénéfices en sera énorme. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Le Mois de la sensibilisation aux lésions cérébrales

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, le mois de juin est le Mois de la sensibilisation aux lésions cérébrales. Selon l'association Lésion cérébrale Canada, les lésions cérébrales acquises sont des atteintes au cerveau qui ne sont attribuables ni à une maladie dégénérative ni à un trouble congénital et qui peuvent provoquer une diminution ou une altération de l'état de conscience, entraînant ainsi une perturbation du fonctionnement cognitif, physique et émotionnel ou du comportement.

Certaines statistiques sont alarmantes. Selon Lésion cérébrale Canada, plus d'un million de Canadiens subissent les effets d'une lésion cérébrale acquise. Chez les personnes âgées de moins de 44 ans, les lésions cérébrales acquises sont la cause principale de décès et d'invalidité. Environ 50 p. 100 de toutes les lésions cérébrales acquises au Canada découlent de chutes ou d'accidents de véhicules à moteur.

Je fais partie des personnes qui doivent vivre avec une telle lésion. L'an dernier, après avoir été victime d'une embolie, j'ai dû faire de la rééducation avec l'aide d'intervenants, de médecins, de thérapeutes et surtout, avec l'aide des membres de ma famille et de mes amis. Il faut énormément de temps et d'efforts pour se rétablir à la suite d'une lésion cérébrale acquise.

Les organismes comme Lésion cérébrale Canada contribuent à améliorer la qualité de vie des personnes qui ont eu des lésions cérébrales et celles qui les soignent. La sensibilisation aux lésions cérébrales acquises et aux possibles mesures précoces de détection et de traitement est très utile pour prévenir les effets dévastateurs de ces lésions. Elle permet aussi aux personnes touchées d'obtenir l'aide dont elles ont besoin pour se rétablir.

Je vous invite, honorables sénateurs, à participer tout comme moi aux activités de sensibilisation aux lésions cérébrales acquises et à mieux faire comprendre la nécessité d'offrir des services de soutien adéquats aux personnes touchées. Je vous invite aussi à écouter les témoignages de survivants et de membres de la famille sur l'aide et les conseils qu'ils ont reçus. J'espère avoir votre appui, honorables sénateurs.

(1340)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Son Excellence Petronila P. Garcia, ambassadrice des Philippines au Canada, de Rose Tijam, présidente du Philippine Press Club Ontario, et de Ben Ferrer, président de Silayan Community. Ils sont les invités de l'honorable sénateur Enverga.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La déclaration d'indépendance des Philippines

Le cent dix-huitième anniversaire

L'honorable Tobias C. Enverga, Jr. : Honorables sénateurs, c'est avec fierté que je prends la parole aujourd'hui pour souligner le 118e anniversaire de l’officialisation de la déclaration d'indépendance des Philippines, qui sera célébré le dimanche 12 juin. Ce grand événement, qui a marqué la fin de 333 années de domination espagnole aux Philippines, a également marqué le moment où le drapeau des Philippines a été déployé officiellement pour la première fois et où la mélodie de ce qui allait devenir l'hymne national philippin a été jouée pour la première fois en public. Des millions de Philippins de partout dans le monde se réunissent pour célébrer ce jour historique, pour souligner les sacrifices de nos ancêtres et pour promouvoir notre héritage culturel unique.

Honorables sénateurs, les Philippins représentent une importante partie de la société canadienne. Environ 700 000 personnes d'origine philippine vivent au Canada. On peut supposer que ce nombre continuera de croître, surtout si l'on tient compte du fait que les Philippines étaient à nouveau le principal pays d'origine des résidents permanents au Canada en 2015. Les estimations préliminaires des données compilées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada montrent que, en 2015, plus de 50 000 résidents permanents venaient des Philippines. De plus, les faits et chiffres publiés en février dernier montrent que les Philippines faisaient partie des 10 principaux pays de citoyenneté des travailleurs temporaires détenant un permis valide au 31 décembre 2014.

Honorables sénateurs, les milliers de Philippins qui viennent au Canada chaque année continuent de multiplier les liens de personne à personne qui soutiennent les relations bilatérales entre le Canada et les Philippines. Ces Philippins — mes kababayans, comme nous nous appelons les uns les autres — apportent avec eux les coutumes uniques, traditions et confessions de mon pays natal, enrichissant ainsi la belle mosaïque multiculturelle que représente la société canadienne. C'est notre fier patrimoine culturel que nous célébrons, ainsi que le dur labeur et le sacrifice du peuple philippin, hier et aujourd'hui, tant aux Philippines qu'à l'étranger.

Honorables sénateurs, le héros national des Philippines, le Dr Jose Rizal, a déjà dit : « Celui qui ne sait pas regarder d'où il vient ne parviendra jamais à sa destination. » Honorables sénateurs, nous sommes très fiers de dire que le Canada est notre destination et que nous sommes ici chez nous.

J'aimerais terminer dans ma langue maternelle, le tagalog, en disant : Maraming salamat, at mabuhay tayong lahat, ce qui signifie « merci beaucoup ».

Visiteurs de marque à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de l'ancien sénateur Jerry Grafstein.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite un bon retour au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

La commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique

Dépôt du rapport annuel de 2015-2016

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2015- 2016 de la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique.

Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2016

Dépôt du quatrième rapport du Comité des banques et du commerce sur la teneur du projet de loi

L'honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, qui porte sur la teneur des éléments des sections 3, 4, 5, 6 et 10 de la partie 4 du projet de loi C-15, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre adopté par le Sénat le 3 mai 2016, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance, et le Comité sénatorial permanent des finances nationales est autorisé à tenir compte de ce rapport quand il examinera la teneur de l'ensemble du projet de loi C-15.

La Capitale sécurité financière, compagnie d'assurance

Projet de loi d'intérêt privé—Présentation du cinquième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L'honorable Bob Runciman, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :

Le jeudi 9 juin 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son

CINQUIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-1001, Loi autorisant La Capitale sécurité financière, compagnie d'assurance à demander sa prorogation en tant que personne morale régie par les lois de la province de Québec, a, conformément à l'ordre de renvoi du 19 mai 2016, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

Le président,
BOB RUNCIMAN

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Runciman, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

La réforme démocratique

La réforme électorale—Un référendum

L'honorable Linda Frum : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Elle porte sur un sujet que j'ai déjà abordé à la période des questions, à savoir les intentions du gouvernement libéral relativement à la réforme électorale.

En fin de semaine, la ministre des Institutions démocratiques a dit, à l'émission Question Period de CTV, que le gouvernement ne ferait pas de changements à moins d'avoir l'appui d'une majorité de Canadiens.

Le leader du gouvernement pourrait-il nous dire si cela signifie que le point de vue du gouvernement libéral sur la question a changé? Le gouvernement est-il maintenant disposé à tenir un référendum sur la réforme électorale, afin que les Canadiens aient le dernier mot sur les changements à la structure du système électoral du pays, ou le gouvernement libéral compte-t-il s'en tenir à des consultations auprès de militants professionnels et de partisans politiques?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l'honorable sénatrice de sa question et j'aimerais mentionner ce que la ministre a dit, soit qu'elle s'est engagée, au nom du gouvernement, à tenir de vastes consultations. On a fait référence à un comité spécial de l'autre endroit, comme vous le savez, où le gouvernement a modifié sa représentation. Je suis sûr que le comité, ainsi que d'autres méthodes et les consultations auprès des Canadiens, susciteront le genre de réponse qui permettra au gouvernement de présenter une recommandation appropriée.

La sénatrice Frum : Monsieur le leader, vous savez que 74 p. 100 des Canadiens disent croire qu'il est nécessaire de tenir un référendum avant de modifier le système électoral. Cela ne prouve-t-il pas que les Canadiens estiment que le système électoral leur appartient? Il n'appartient pas à un chef de parti ayant pris un engagement lors d'une campagne électorale. Il n'appartient pas à un comité parlementaire ni à des partisans préoccupés de leur seul intérêt. Notre système électoral appartient aux Canadiens. N'êtes- vous pas d'accord, monsieur le leader?

(1350)

Le sénateur Harder : Je remercie l'honorable sénatrice de sa question. Je tiens à lui donner la même assurance que la ministre a donnée aux Canadiens, soit que le gouvernement compte recueillir l'appui général des Canadiens.

L'honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, ma question aussi s'adresse au leader du gouvernement au Sénat; elle porte également sur la réforme électorale.

Comme le savent sans aucun doute le leader et l'ensemble des sénateurs, le gouvernement a enfin consenti à accorder une concession quant à la composition du comité omnipartite sur la réforme électorale — comité qui, je le rappelle, est composé uniquement de députés, les sénateurs étant exclus. La chef du Parti vert, le parti d'une seule personne, aura maintenant une voix au comité, tout comme le parti séparatiste, le Bloc québécois.

À la conférence de presse du 10 mai, la ministre des Institutions démocratiques a dit que le comité présentera une proposition au Cabinet. On peut donc en déduire que la décision finale quant aux changements apportés au système électoral reviendra au Cabinet plutôt qu'au comité, et qu'elle ne reviendra certainement pas aux Canadiens au terme d'une consultation, car le gouvernement refuse de s'engager à tenir un référendum.

Le leader du gouvernement au Sénat aurait-il l'obligeance d'expliquer à tous les honorables sénateurs comment nous pouvons qualifier d'ouvert ou d'inclusif un système qui consiste à apporter des changements fondamentaux au système électoral du Canada conformément aux décisions prises à huis clos par le Cabinet?

Le sénateur Harder : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Le sénateur doit bien savoir que, avant de présenter une mesure législative ministérielle, le Cabinet doit se faire une vue d'ensemble de la question. Le gouvernement présente ensuite son projet de loi à la Chambre, et si celle-ci l'adopte, il est renvoyé au Sénat. C'est à ce moment-là que les sénateurs auront l'occasion de se prononcer.

L'immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les demandes de parrainage de réfugiés

L'honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Elle concerne les récents changements apportés dans le travail que doivent faire les groupes de répondants du secteur privé, aussi appelés groupes de cinq, pour présenter des demandes de parrainage de réfugiés.

Jusqu'à tout récemment, le gouvernement acceptait des copies numérisées des documents administratifs liés aux demandes d'asile et aux demandes de parrainage. Toutefois, des changements ont récemment été apportés et le gouvernement exige dorénavant, pour les réfugiés de toutes origines, y compris les Syriens, que les groupes de cinq présentent les demandes par courrier et que les originaux des formulaires de demande d'asile et de demande de parrainage soient signés.

Monsieur le leader, comme vous pouvez l'imaginer, cette exigence ajoute à la complexité d'un processus déjà ardu et entraîne des délais pour des personnes qui sont en situation précaire dans des endroits où le système postal ne correspond peut-être pas aux normes des postes canadiennes. Qui plus est, s'il est compréhensible qu'on exige une déclaration assermentée pour certifier une traduction, cela peut présenter des défis.

Je comprends que cette nouvelle procédure est fondée sur des raisons de sécurité qui doivent être prises très au sérieux. Cependant, le gouvernement serait-il prêt à envisager une solution de rechange raisonnable comme l'acceptation de copies numérisées à la première étape du processus et de formulaires de demandes originaux signés à l'étape de l'entrevue?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie la sénatrice de sa question. Comme elle l'a indiqué elle- même dans sa question, le gouvernement a apporté ces modifications pour des raisons de sécurité. Néanmoins, je me ferai un plaisir de transmettre la suggestion de la sénatrice au ministre responsable.

Les affaires étrangères

La Russie—Le déversement de produits toxiques—La souveraineté dans l'Arctique

L'honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

La semaine dernière, j'ai fait état de certaines préoccupations que je partage avec la population du Nunavut, que je représente, parce que, samedi dernier, la Russie a lancé une fusée qui selon toutes probabilités doit se désintégrer et entraîner la chute dans les eaux canadiennes de débris dont certains sont toxiques comme le combustible d'hydrazine provenant des étages de la fusée. Je remercie le représentant du gouvernement de nous avoir assuré que le Centre des opérations du gouvernement surveillera de très près ce lancement.

Plus tôt cette semaine, Mme Mylène Croteau, porte-parole de Sécurité publique Canada, a déclaré au Nunatsiaq News que le Centre des opérations du gouvernement a surveillé le lancement de la roquette russe et que « rien ne serait tombé dans notre territoire ».

Dites-moi : où les débris de la roquette sont-ils tombés, si ce n'est pas dans ce qu'on a appelé notre territoire?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie le sénateur de sa question et de l'intérêt qu'il continue de porter à cette importante affaire.

Je confirme que la roquette a été lancée le 4 juin, comme l'a signalé le sénateur. La possibilité qu'elle tombe en sol canadien a suscité des préoccupations, ce qu'a communiqué le sénateur en posant sa question la semaine dernière.

Les autorités m'ont informé que Sécurité publique Canada, le ministère de la Défense nationale, Affaires mondiales Canada, le ministère des Pêches et des Océans de même qu'Environnement et Changement climatique Canada ont tous surveillé le lancement et le retour de la roquette. Par ailleurs, Transports Canada a avisé les aviateurs de restreindre la circulation aérienne durant la période du lancement. On ne connaît pas encore le point de rentrée exact. Selon les informations disponibles, les débris seraient tombés en pleine mer et auraient coulé.

On prend au sérieux les préoccupations d'ordre environnemental que soulève le sénateur par rapport à l'hydrazine, quoique rien ne laisse croire qu'elles sont fondées. Selon les spécialistes du ministère de la Défense nationale, il est très probable que la provision d'hydrazine, un combustible utilisé pour le largage de la roquette, se soit complètement épuisée avant la séparation ou ait brûlé au moment de la rentrée de l'appareil dans l'atmosphère. Par conséquent, on estime que les dommages subis par l'environnement sont négligeables. Cela reste toutefois à confirmer. Les autorités continuent de surveiller la situation.

Je devrais également préciser au Sénat que, comme je l'ai mentionné la semaine dernière, c'est une question dont nous avons abondamment et délibérément parlé avec les Russes, à qui nous avons fait part à différents moments de nos préoccupations et de notre mécontentement devant le manque d'explications.

L'atterrissage de la fusée nous a donné l'occasion de rappeler aux Russes qu'ils devaient nous avertir de ce qu'ils avaient l'intention de faire. Nous avons demandé instamment au gouvernement russe de tâcher de nous prévenir à l'avenir et de veiller à ce que rien ne tombe dans notre zone économique exclusive.

Le sénateur Patterson : Je me réjouis que de nombreux ministères fédéraux aient participé à la surveillance de la situation, qui a grandement préoccupé le Nunavut, en particulier les gens de la région où le deuxième étage devait atterrir, quelque part entre le sud de l'île Ellesmere et le Groenland.

Je rappelle que, même s'il n'était pas prévu que les débris tombent dans les eaux territoriales canadiennes, on s'attendait à la possibilité qu'ils tombent dans la zone économique exclusive du Canada. Le Canada exerce son autorité sur sa zone économique exclusive au moyen de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques et dispose d'un recours en cas de déversement de polluants dans ces eaux, y compris du haut des airs, même si elles ne font pas partie de ce qu'on appelle les « eaux territoriales ».

Voici la question que je pose au représentant du gouvernement au Sénat : comme nous ne semblons pas encore tout à fait certains de l'endroit où les débris sont tombés, le gouvernement tiendrait-il la population du Nunavut au courant de ce qu'on apprendra et des recours possibles pour empêcher que ce genre de chose se reproduise?

Le sénateur Harder : Je serai heureux de veiller à ce que l'information pertinente soit transmise à la population du Nunavut et à d'autres parties intéressées.

(1400)

Pour ce qui est de l'avenir, la collaboration que nous demandons aux Russes étant loin d'être acquise, la vigilance demeurera de mise.

Les pêches et les océans

Les zones de protection marine—L'indemnisation des pêcheurs

L'honorable Nancy Greene Raine : Honorables sénateurs, la lettre de mandat du ministre des Pêches et des Océans précisait qu'au moins 10 p. 100 des eaux côtières devaient être protégées d'ici 2020. Quand l'ancien ministre, Hunter Tootoo, a comparu devant le Sénat, il a dit que les provinces, les territoires, les Autochtones et les organismes de gestion des pêches seraient consultés. Le leader du gouvernement peut-il nous indiquer l'ampleur des consultations qui ont eu lieu jusqu'ici? Quelle a été la réaction des groupes concernés?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l'honorable sénatrice de sa question, dont je prends bonne note et à laquelle je répondrai quand j'en saurai plus.

La sénatrice Raine : J'aimerais aussi savoir si votre gouvernement a l'intention d'indemniser les travailleurs et les pêcheurs dont le gagne-pain risque d'être compromis si 10 p. 100 des eaux côtières deviennent des zones protégées. Les indemnités prévues seront-elles partout les mêmes? Je viens de la Colombie-Britannique, et j'ai cru remarquer que les formules de calcul des indemnités destinées aux pêcheurs et les programmes de soutien à leur intention varient parfois. Je vous serais reconnaissante de prendre aussi note de cette question.

Le sénateur Harder : Ce sera avec plaisir.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Baker, C.P., appuyé par l'honorable sénateur Harder, C.P., tendant à la troisième lecture du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir), tel que modifié.

L'honorable Josée Verner : Je vous remercie, honorables sénateurs. Je prends la parole aujourd'hui pour vous faire part de ma position sur le projet de loi C-14. Bien que je sois en congé médical en ce moment, je tenais tout de même à me joindre à vous en ce jour pour saluer la compassion humaine et la rigueur intellectuelle dont vous avez fait preuve jusqu'à maintenant dans l'étude de ce projet de loi.

Je tiens également à réitérer mon appui à l'aide médicale à mourir et aux paramètres établis par la Cour suprême dans l'arrêt Carter, ce qui n'est malheureusement pas le cas en ce qui concerne le libellé actuel du projet de loi C-14.

Lorsque j'étais députée à l'autre endroit, j'ai appuyé, en avril 2010, le principe du projet de loi C-384 de Mme Francine Lalonde, qui aurait modifié le Code criminel pour permettre à un médecin d'aider une personne à mourir dans la dignité. Le 18 février 2015, j'ai prononcé un discours, ici même en cette Chambre, quelques jours après la décision de la Cour suprême, pour appuyer le principe du projet de loi S-225 présenté par nos collègues, les honorables sénateurs Ruth et Campbell, qui aurait autorisé l'aide médicale à mourir.

Dans ce discours, j'ai salué l'arrêt Carter. J'ai également insisté sur ceci : l'importance pour cette Chambre d'assurer le respect, l'autonomie et les droits fondamentaux des Canadiens qui veulent choisir, dans la mesure du possible, de façon libre, éclairée et en fonction de leurs propres convictions, les soins appropriés qui leur permettront de passer de la vie à la mort, sans que d'autres personnes restreignent ce choix ou le fassent à leur place.

J'ai prononcé ces paroles quelques semaines avant de recevoir moi-même un diagnostic coup-de-poing de cancer colorectal dont la tumeur était à un stade très avancé. Pendant près de 15 longs mois, j'ai vécu quotidiennement, en parallèle de ma vie, avec une autre réalité : la mort. Tout au long de cette période, j'ai eu le temps de réfléchir à ce que serait ma fin de vie, si elle devait survenir, et dans quelles conditions je souhaitais qu'elle se produise. À l'hôpital, j'ai aussi côtoyé d'autres Canadiens qui étaient forcés, tout comme leurs proches, de réfléchir à cette éventualité, qu'ils soient en phase terminale ou non.

Honorables sénateurs, je ne pourrais donc pas appuyer un projet de loi qui établirait un régime discriminatoire pour les Canadiens affligés de problèmes de santé irrémédiables et de souffrances insupportables, ce qui va à l'encontre même du jugement de la Cour suprême.

Malheureusement, en raison de suivis médicaux, je ne pourrai être parmi vous au moment du vote final sur ce projet de loi. Cependant, je tiens à souligner que nous n'avons pas que deux options à considérer — adopter une mauvaise loi ou défaire le projet de loi. Il existe une troisième option : un projet de loi amendé, comme ce fut le cas hier soir, qui élimine, entre autres, le critère d'une mort naturelle raisonnablement prévisible, afin que des personnes comme Kay Carter et d'autres puissent aussi choisir de quelle manière ils veulent mourir.

C'est également mon souhait. Je vous remercie.

[Traduction]

Des voix : Bravo!

La sénatrice Verner : Votre Honneur, j'aimerais prendre quelques secondes de plus pour vous remercier très sincèrement, mes collègues et vous, des témoignages de sympathie, de réconfort et d'encouragement dont vous m'avez fait part depuis le début de ma bataille contre le cancer. Sachez que vos messages me touchent profondément. Encore merci.

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, hier, nous avons adopté un amendement présenté par le sénateur Joyal, qui modifie la définition des personnes admissibles à l'aide médicale à mourir afin de rendre le projet de loi C-14 conforme à la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Carter.

Grâce à l'adoption de cet amendement, nous avons ainsi donné accès à l'aide médicale à mourir à un groupe de personnes qui endurent des souffrances intolérables, mais dont la mort n'est pas raisonnablement prévisible.

[Traduction]

Cependant, comme c'est un droit qui ne peut s'exercer qu'une seule fois, nous devons faire les choses correctement.

[Français]

C'est donc un droit fondamental et constitutionnel particulier, car c'est un droit que nous ne pourrons exercer qu'une seule fois.

Aujourd'hui, nous amorçons une discussion aussi cruciale que celle d'hier, puisque nous allons tenter de déterminer le cadre des mesures d'accessibilité permettant de protéger cette classe de personnes qui se voient reconnaître le droit à l'aide médicale à mourir.

[Traduction]

Nous devons prévoir certaines mesures de protection pour que nous puissions garantir à ces personnes l'accès et le droit à l'aide médicale à mourir tout en les protégeant si elles sont vulnérables. L'objectif est donc de mettre en place un cadre et un régime permettant de garantir à la fois la liberté de choix et des protections.

Nous devons voir à ce qu'il y ait un ensemble complet et rigoureux de mesures de sauvegarde afin de répondre aux préoccupations soulevées tout au long de ce débat. Nous devons décider quelles seront les mesures de sauvegarde qui distingueront le Canada des autres endroits où l'aide à mourir est légale.

Qui seraient les personnes admissibles? Qui devons-nous protéger?

[Français]

J'aimerais d'abord expliquer pourquoi nous parlons d'une « classe de personnes ». En effet, les personnes dont nous avons parlé hier vivent toutes une réalité particulière.

Leurs caractéristiques personnelles, leurs maladies et leurs souffrances sont distinctes. Leur mort pourrait survenir après 10, 20 ou 30 ans de souffrance. L'absence d'une mort imminente, donc une douleur prolongée pouvant se prolonger des années avant la mort, fait en sorte que leurs conditions exigent un mécanisme de protection distinct qui doit être adapté à leur situation personnelle et médicale propre.

(1410)

La loi prévoit déjà des mesures de protection, des mesures de sauvegarde. Elle est appropriée. Nous le verrons, à la suite de nos discussions, lorsque nous serons rendus au thème des mesures de protection. La loi prévoit déjà des mesures qui, à mon avis, sont adaptées aux personnes en fin de vie. Toutefois, les personnes qui ne sont pas en phase terminale font également face à des risques d'abus, de manipulation et de pression indue d'une manière différente des personnes qui sont sur le point de mourir. Par exemple, la pression que l'on peut exercer sur elles pour les presser à mourir peut être plus insidieuse et moins facile à déceler. De plus, la manipulation peut s'étendre sur une plus longue période.

Dans les paragraphes 114 et 115 de l'arrêt Carter de la Cour suprême, il y a une liste de possibles sources d'erreurs. Permettez- moi d'en citer un extrait :

[Traduction]

[...] l'affaiblissement des facultés cognitives, la dépression ou d'autres maladies mentales, la coercition, l'abus d'influence, la manipulation psychologique ou émotionnelle, le préjudice systémique (envers les personnes âgées ou les handicapés) et la possibilité d'ambivalence ou de diagnostic erroné comme facteurs susceptibles de passer inaperçus ou de causer des erreurs dans l'évaluation de la capacité.

[Français]

Le juge conclut donc à des possibilités de vulnérabilité sur une base individuelle. Ainsi, une législation équilibrée qui donne accès à l'aide médicale à mourir doit également offrir une protection.

Comme chaque cas est unique, la solution serait de faire une distinction, d'effectuer des mesures de protection en fonction de chacun des groupes selon la nature individuelle de la personne. Il doit y avoir une évaluation personnalisée de la situation des gens qui ne sont pas en fin de vie. C'est pourquoi les mesures de protection pour les personnes malades, handicapées, qui souffrent de façon intolérable, mais dont la mort n'est pas prévisible, doivent être adaptées à la réalité de chacun. Chaque cas devient différent, et cette différence signifie que les critères à examiner dans le cadre d'une demande d'aide médicale à mourir doivent être subjectifs et, ainsi, évalués au cas par cas. Je propose donc un modèle d'autorisation de vérification judiciaire qui serait exercée par une cour supérieure.

[Traduction]

Comme nous avons pu le voir dans les affaires soumises aux cours supérieures pendant la prolongation du délai de quatre mois, cette méthode était impartiale et équilibrée et permettait une surveillance individuelle.

[Français]

Comme nous l'avons vu dans le jugement Carter 2, la Cour suprême nous donne l'indication qu'une mesure de sauvegarde pourrait, par exemple, être une autorisation judiciaire permettant d'évaluer les cas individuellement pour protéger les personnes vulnérables.

Cette mesure est possible. C'est une mesure qui permet de qualifier la personne pour qu'elle ait accès à l'aide médicale à mourir, mais c'est une mesure qui protège également les personnes vulnérables. Un juge pourrait donc accorder l'accès à l'aide médicale à mourir s'il est convaincu que deux médecins indépendants et un psychiatre confirment que la personne a été informée à la fois de sa condition médicale, du pronostic quant à sa condition médicale, de son espérance de vie, lorsqu'il est possible de le déterminer, des soins palliatifs qui pourraient apaiser ses souffrances et des risques associés à l'aide médicale à mourir. Un psychiatre pourrait attester de la capacité mentale de cette personne à prendre une décision éclairée.

[Traduction]

Exiger de chaque personne qu'elle fasse appel devant la Cour supérieure équivaudrait à dresser un obstacle empêchant les personnes qui répondent aux critères d'admissibilité établis dans l'arrêt Carter d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Toutefois, nous devons faire une distinction entre les mourants et les personnes qui ont des souffrances intolérables, mais qui ne sont pas sur le point de mourir.

Comme nous l'avons vu au Québec et dans d'autres provinces, le terme « fin de vie » a un sens médical et juridique bien connu. Il désigne une période de la vie pendant laquelle le cas d'une personne peut être évalué. Les personnes qui n'en sont pas à la fin de leur vie doivent, elles, soumettre leur cas individuellement à un examen judiciaire pour déterminer si elles répondent aux critères.

Je cite l'ordonnance de 2016 de prolongation du délai subséquent à l'arrêt Carter :

Exiger l'obtention d'une autorisation judiciaire durant cette période intérimaire assure le respect de la primauté du droit et offre une protection efficace contre les risques que pourraient courir les personnes vulnérables.

Ce sera encore le cas pour les personnes qui ne seront pas près de mourir, mais qui souhaiteront obtenir de l'aide médicale à mourir et qui répondront aux critères que le projet de loi nous propose de définir au paragraphe 241.1(1) du Code criminel.

Nous ne devons pas exclure les personnes qui souffrent, mais, comme Peter Hogg l'a bien dit au comité, il y a lieu de prévoir des mesures de protection.

[Français]

Le constitutionnaliste Peter Hogg a déclaré ce qui suit au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et je cite :

Je crois qu'il pourrait élargir la catégorie de personnes ayant droit. Il pourrait ajouter d'autres mesures de sauvegarde.

Pour chacune de ces situations, comment évalue-t-on le caractère vulnérable des gens? Quelles sont les mesures à mettre en place pour nous assurer que leurs droits sont garantis, tout en protégeant les personnes vulnérables? Hier, en adoptant l'amendement du sénateur Joyal, nous avons élargi l'accès aux gens qui respectent les critères d'admissibilité de l'arrêt Carter. Aujourd'hui, je crois que nous devons commencer à étudier les conditions permettant à ces personnes d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.

Dans le cas des personnes qui sont en fin de vie, je crois que les dispositions prévues dans le projet de loi peuvent être adaptées, mais dans le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie, nous devons prévoir un mécanisme. Or, qui dit mécanisme, dit une certaine forme de limite et, comme on le sait, une limite doit, dans un droit démocratique, respecter le test de la raisonnabilité qui est prévu à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Lorsqu'on fait le test de l'article 1 et qu'on identifie l'objectif urgent et réel que le législateur veut atteindre en mettant en place ces mesures d'accès ou de sauvegarde, on doit regarder l'objectif qui a été fixé.

Dans ce cas-ci, cet objectif est de protéger les personnes vulnérables, et nous devons nous demander si ces mesures portent préjudice ou ont un effet quelconque sur les personnes qui veulent exercer leur droit constitutionnel. Si on veut équilibrer ces droits, il m'apparaît que, dans le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie, l'autorisation judiciaire est la meilleure façon d'y arriver. Le législateur avait choisi l'interdiction totale, la prohibition totale pour les personnes de ce groupe. La Cour suprême a déjà dit que cela n'était pas raisonnable, que ce n'était pas le principe d'atteinte minimale. Je propose donc qu'un juge analyse les demandes, au cas par cas, à l'aide de l'évaluation d'un médecin et d'un psychiatre.

(1420)

Enfin, hier, nous avons défini un groupe délimité par la croyance raisonnable d'une mort naturelle ou prévisible. Aujourd'hui, mon amendement propose une notion de fin de vie calquée sur la loi québécoise, qui a commencé à faire la preuve de son applicabilité dans le temps et qui est connue dans le milieu médical comme étant aisément applicable.

Motion d'amendement

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : C'est pour cette raison, honorables sénateurs, que je propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3 :

a) à la page 6 :

(i) par adjonction, après la ligne 2, de ce qui suit :

« (1.1) En plus des critères exigés au paragraphe (1), la personne qui n'est pas en fin de vie peut recevoir l'aide médicale à mourir seulement avec l'autorisation d'un juge d'une cour supérieure.

(1.2) Le juge accorde l'autorisation prévue au paragraphe (1.1) s'il est convaincu, à la fois :

a) que la personne remplit les critères prévus au paragraphe (1);

b) que deux médecins indépendants confirment que la personne a été informée, à la fois :

(i) de sa condition médicale,

(ii) du pronostic quant à sa condition médicale et, si elle est connue, son espérance de vie,

(iii) des soins palliatifs pouvant apaiser ses souffrances,

(iv) des risques associés à l'aide médicale à mourir;

c) qu'un psychiatre indépendant confirme que la personne a la capacité à fournir un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir. »,

(ii) par adjonction, après la ligne 35, de ce qui suit :

« c.1) s'assurer que la personne qui n'est pas en fin de vie a obtenu l'autorisation visée au paragraphe (1.1); »;

b) à la page 8 :

(i) par substitution, aux lignes 11 et 13, de ce qui suit :

« praticien qui fournit l'aide médicale à mourir, ni celui qui donne l'avis visé à l'alinéa (3)e), ni l'un ou l'autre des médecins qui donnent la confirmation visée à l'alinéa (1.2)b), ni le psychiatre qui donne la confirmation visée à l'alinéa (1.2)c) ne peut :

a) conseiller l'un des autres dans le cadre d'une relation de »,

(ii) par substitution, à la ligne 21, de ce qui suit :

« c) savoir ou croire qu'il est lié à l'un des autres ou à la per- ».

Le but de cette modification est de faire en sorte que, lorsque le médecin arrive à l'article qui détermine la démarche qu'il doit suivre pour donner l'aide médicale à mourir, il s'assure que la personne qui n'est pas en fin de vie a obtenu l'autorisation judiciaire prévue au paragraphe (1.1).

Par la suite, il s'agit de modifications de concordance qui, évidemment, assurent une meilleure applicabilité de la loi.

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Carignan, C.P., propose, avec l'appui de l'honorable sénatrice Martin, que le projet de loi C-14 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié, à l'article 3, à la page 6...

Des voix : Suffit !

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénateur Carignan, votre temps de parole est écoulé, mais un certain nombre de sénateurs souhaitent vous poser une question. Voulez-vous obtenir cinq minutes de plus?

Le sénateur Carignan : Oui.

Son Honneur le Président : Les cinq minutes sont-elles accordées, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

L'honorable David Tkachuk : Je ne sais toujours pas à quoi m'en tenir au juste quant à la vraie signification de l'amendement adopté hier. Les personnes qui disent souffrir psychologiquement sont-elles visées? Selon vous, ceux qui disent éprouver des souffrances psychologiques insoutenables sont-elles visées? Puisque ce groupe n'est pas exclu et qu'on parle simplement de « souffrances », l'amendement s'appliquerait-il à cet aspect particulier de l'aide à mourir?

[Français]

Le sénateur Carignan : Le projet de loi, tel qu'il est amendé actuellement, n'apporte aucune précision quant aux douleurs psychologiques. Il appartiendra aux tribunaux d'interpréter, dans la jurisprudence à venir, à quel niveau la souffrance psychologique peut interférer avec la souffrance physique.

Il doit y avoir souffrance physique s'il y a présence de souffrance psychologique. Lorsque je parle de psychiatre, l'idée est de s'assurer que la personne n'est pas atteinte d'une maladie psychiatrique qui pourrait avoir un impact sur sa capacité à donner son consentement de façon libre et éclairée. Si la personne était atteinte d'une maladie psychiatrique susceptible d'altérer son jugement, je crois que l'on doit prendre en considération que son consentement, n'étant ni libre ni éclairé, ne pourrait être jugé admissible dans cette demande.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Autrement dit, il faudrait qu'un juge décide si les souffrances sont de nature physique ou psychologique? Le juge doit-il prendre une décision et exclure l'une ou l'autre? Je ne vois pas au juste comment se déroulerait le processus.

[Français]

Le sénateur Carignan : Cela ne change rien, parce que cette méthode s'adresse aux gens qui ne sont pas en fin de vie et à ceux qui respectent les critères de préjudices ou de douleurs irrémédiables, tels qu'ils sont définis dans l'arrêt Carter et tels qu'ils ont été repris dans le projet de loi.

Le projet de loi ne précise pas uniquement qu'il s'agit de « préjudice psychologique » ou autre. Il appartiendra alors aux tribunaux de le préciser, mais je vous dirais que c'est l'idée du débat d'hier.

Le débat d'aujourd'hui traite de l'idée selon laquelle une personne qui souffre de façon intolérable et irrémédiable devrait pouvoir accéder à l'aide médicale à mourir. Ma proposition prévoit qu'au moins deux médecins indépendants fassent le constat médical de la situation de la personne et qu'un psychiatre atteste que la condition psychiatrique de la personne ne l'empêche pas de fournir un consentement éclairé. C'est dans l'application du consentement libre et éclairé que se situe l'exigence liée au psychiatre.

[Traduction]

L'honorable Terry M. Mercer : Je ne doute pas des motifs qui inspirent votre motion. J'espère que vous ne donnerez pas cette interprétation à mes questions. Je comprends ce qui vous motive. Par contre, dans votre amendement, vous parlez des soins palliatifs et dites « qu'un psychiatre indépendant confirme que la personne a la capacité de fournir un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir ». Cela voudrait dire que le psychiatre a pris le temps de s'asseoir avec le patient, de converser avec lui et de faire une évaluation professionnelle confirmant que la personne a la capacité de donner un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir.

Si les choses se passent ainsi, cela limiterait radicalement l'application du projet de loi aux Canadiens qui habitent dans les villes. La dernière fois où j'ai habité à la campagne, je n'ai jamais vu de panneau sur une pelouse annonçant les services d'un psychiatre. Il faudrait donc se rendre en ville pour consulter un psychiatre. Je n'ai jamais eu besoin de ces services, mais des gens qui y ont eu recours me disent que l'attente pour consulter un psychiatre est plutôt longue.

(1430)

Toutes les discussions que nous avons eues ont porté sur les délais et la volonté de ne pas trop s'ingérer dans le processus. Si vous ajoutez l'intervention d'un psychiatre, alors il y aura des délais et des problèmes d'accès au service dans bien des localités rurales. Je n'en ai pas la certitude, mais je crains que, dans certaines régions, il n'y ait pas de psychiatre qu'on puisse consulter ou qui puisse offrir ce service.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je me suis inspiré des directives que l'administration de la Cour supérieure de l'Ontario a données à ses juges, qui ont eu à accorder l'exemption constitutionnelle autorisée par l'arrêt Carter. Ce qui est dans mon amendement se fait déjà. Cela fait partie des directives données aux juges de la Cour supérieure de l'Ontario, soit d'exiger le rapport d'un psychiatre pour évaluer le consentement libre et éclairé. Je suis conscient qu'il s'agit d'une limite, mais je crois qu'elle est justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique, compte tenu du caractère individuel de la décision et dur fait qu'il s'agit d'un droit constitutionnel que l'on exerce une seule fois. Nous devons agir avec précaution.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénateur Mercer, le temps file et deux autres sénateurs voudraient intervenir. Si nous avons le temps, nous reviendrons à vous.

[Français]

L'honorable Pierre-Hugues Boisvenu : J'aimerais poser une question au sénateur Carignan. Je suis tout à fait ouvert à l'idée que ces gens puissent bénéficier de ce droit. J'ai voté en faveur de l'amendement d'hier. Cependant, j'aurais deux petites questions.

J'essaie de tenir le plus loin possible la justice de la santé. On a vu, dans le domaine de la santé mentale, la judiciarisation des processus, et les familles en arrachent. J'en viens aux coûts que cela pourrait imposer à la famille d'aller devant la Cour supérieure afin qu'un proche puisse bénéficier de ce droit. Il faudra faire appel à des avocats et à des spécialistes, et cela représentera des coûts pour la famille. N'est-ce pas une forme de discrimination entre les plus et moins nantis, qui empêcherait les gens moins fortunés d'accéder à ce privilège?

[Traduction]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps de parole du sénateur Carignan est écoulé. Pouvons-nous lui accorder encore cinq minutes? Quelques sénateurs voudraient lui poser des questions.

Des voix : D'accord.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci. Vous faites bien de soulever la question des coûts. Premièrement, l'autorisation n'est pas accusatoire; il n'y a pas d'adversaire de l'autre côté. Il ne s'agit pas d'un procès, mais d'une preuve par affidavit de rapport médical qui peut être exercé à la cour ou dans le bureau d'un juge. Ce type de demande est normalement entendu de façon urgente, parce que cela touche l'intégrité d'une personne. On lui accorde une priorité, et il n'y a pas de remise.

Quant aux coûts, les provinces pourront sûrement, si ce n'est pas déjà le cas, offrir de l'aide juridique aux gens qui n'ont pas les moyens de recourir à cette procédure. Cependant, à mon avis, peu de gens y auront recours. Cela n'aura pas d'impact sur l'encombrement du rôle des tribunaux.

Cette procédure s'applique uniquement aux gens qui ne sont pas en fin de vie. Les gens en fin de vie suivront la procédure prévue dans la loi actuelle avec l'opinion des médecins. Ce n'est pas une barrière aussi importante qu'on pourrait le croire, compte tenu de l'état de la situation. Oui, il y a un délai, mais ce délai peut être bénéfique et peut permettre de confirmer que la décision de la personne est bien réfléchie.

[Traduction]

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Sénateur Carignan, l'amendement que le sénateur Joyal a proposé hier soir visait, selon moi, à rendre le projet de loi constitutionnellement conforme à l'arrêt de la Cour suprême. Il ajoute une catégorie de personnes que le projet de loi avait écartée.

Ce que j'ai compris, au départ, c'est que votre amendement ajouterait une surveillance judiciaire de plus pour garantir le respect des règles. Il ne s'agit pas de tenir un procès. Votre amendement semble aller plus loin que celui du sénateur Joyal.

Souhaitez-vous simplement ajouter une autorisation judiciaire, ou aller au-delà de l'amendement du sénateur Joyal en vous fondant sur certaines des évaluations dont vous disposez et sur l'aspect psychiatrique?

[Français]

Le sénateur Carignan : Non. C'est le même groupe de personnes visées par le projet de loi et l'amendement du sénateur Joyal. La seule distinction se fait entre ceux qui sont en fin de vie et ceux qui ne le sont pas. Dans le cas de ceux qui sont en fin de vie, ce serait la méthode qui est déjà prévue dans le projet de loi, avec un médecin. Quant aux personnes qui ne sont pas en fin de vie, elles sont plus vulnérables aux pressions. Par exemple, il peut s'agir d'une personne qui a un handicap lourd et qui est alitée depuis cinq ans, et dont le conjoint a décidé de se faire une vie en parallèle. Cette personne est vulnérable, elle peut se sentir comme un fardeau et peut subir des pressions indues à passer de l'autre côté. Ces personnes doivent donc être protégées, et c'est là l'objectif de l'autorisation judiciaire.

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Si je comprends bien, vous voulez introduire un contrôle judiciaire pour donner accès à l'aide médicale à mourir. Dans Carter 2015, au paragraphe 125, la Cour suprême dit que les exemptions autonomes ne sont pas une voie à suivre. En obligeant les gens qui ne sont pas en fin de vie, dont l'espérance de vie est de plus de trois à six mois, à s'adresser aux tribunaux, ne trouvez-vous pas que vous rétrécissez beaucoup le droit reconnu par l'amendement que nous avons adopté hier par rapport à ce que le projet de loi C-14 reconnaît? Le projet de loi est plus vaste et n'oblige pas les patients à s'adresser aux tribunaux lorsque le pronostic n'est pas connu.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il s'agit, comme vous le savez, d'un débat crucial, et il est essentiel de donner au plus grand nombre de sénateurs possible la chance non seulement de participer au débat, mais aussi de poser des questions. Je prie donc instamment les sénateurs de s'en tenir à des questions directes, de façon à ce que ceux qui le souhaitent puissent poser des questions. Je vous remercie.

Le sénateur Carignan a la parole.

[Français]

Le sénateur Carignan : Premièrement, Carter 1 visait l'ouverture à l'ensemble des gens, y compris ceux qui sont en fin de vie. Évidemment, une autorisation judiciaire pour les gens en fin de vie, c'est complètement ridicule, et la Cour suprême l'a dit. D'ailleurs, ce qui a été décidé en Ontario, c'est que, en attendant la fin de vie, pour que ce soit réglé, il vaut mieux aller chercher un recours judiciaire. Pour les gens en fin de vie, c'est complètement inapproprié, et je suis d'accord avec la Cour suprême.

Cependant, dans l'arrêt Carter 2, la Cour suprême dit ce qui suit, et je cite :

Exiger l'obtention d'une autorisation judiciaire durant cette période intérimaire assure le respect de la primauté du droit et offre une protection efficace contre les risques que pourraient courir les personnes vulnérables.

Dans l'arrêt Carter 2, la Cour suprême dit que l'autorisation judiciaire peut être adéquate pour protéger les personnes vulnérables et assurer l'équilibre des droits.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Le sénateur Runciman invoque le Règlement.

Recours au Règlement

L'honorable Bob Runciman : Votre Honneur, pourriez-vous guider le Sénat au sujet de l'observation de la sénatrice Andreychuk selon laquelle, si j'y bien compris, l'amendement proposé par le sénateur Carignan va à l'encontre de la motion que nous avons adoptée hier soir?

Son Honneur le Président : Je vous remercie.

Y a-t-il débat? Sénateur Carignan, vous avez la parole.

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Non, au contraire. Il s'agit d'un amendement du sénateur Joyal qui détermine le groupe visé par l'aide médicale à mourir. On dit que, pour avoir accès à l'aide médicale à mourir, pour un groupe, ce sera le médecin qui pourra l'autoriser; pour l'autre groupe, ce sera une autorisation judiciaire. Donc, à moins que la traduction n'ait pas fonctionné, je ne vois pas en quoi ce serait contradictoire.

(1440)

[Traduction]

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) : Je soutiens que l'amendement est recevable.

Le projet de loi en soi prévoit des mesures de sauvegarde. Cet amendement traite des sauvegardes applicables aux personnes qui veulent se prévaloir de l'aide médicale à mourir en vertu du projet de loi C-14 dans sa forme initiale ou dans sa forme modifiée. La question des sauvegardes s'inscrit complètement dans la portée du projet de loi et, partant, peut à mon avis faire l'objet d'un amendement.

Comme l'amendement d'hier soir étend l'application du projet de loi aux personnes qui ne sont pas au terme de leur vie, il est parfaitement acceptable de proposer un amendement touchant la catégorie de personnes qui n'était pas directement visée par les rédacteurs du projet de loi initial.

À mon avis, l'objet de l'amendement — j'espère avoir l'occasion d'en parler plus tard — s'inscrit complètement dans la portée de ce que nous faisons. Il devrait donc être jugé recevable.

L'honorable Anne C. Cools : Je pourrais peut-être vous faire part de mon point de vue.

L'amendement proposé par le sénateur Joyal a déjà été adopté par le Sénat. C'est donc une affaire sérieuse que de prétendre qu'un nouvel amendement est contradictoire alors que, à mon avis, il a été présenté à notre assemblée et débattu comme il se devait.

Tout désaccord ou toute divergence d'opinions entre ces amendements devrait probablement être réglé par un vote du Sénat. Par conséquent, Votre Honneur, à moins que l'amendement du sénateur Carignan ne soit irrecevable pour une raison précise, la solution a toujours consisté à mettre l'amendement aux voix. Par conséquent, je recommande que nous passions au vote. Si cet amendement constitue un problème, le Sénat le réglera par son vote. J'estime que, jusqu'ici, le Sénat n'a pas montré que l'amendement du sénateur Carignan lui causait des difficultés.

Son Honneur le Président : Je vous remercie, chers collègues, de vos commentaires.

Le sénateur Runciman soulève un rappel au Règlement qui porte sur un point de droit. Mon rôle comme Président se limite à rendre des décisions sur des rappels au Règlement relatifs à la procédure. Selon moi, l'amendement du sénateur Carignan est recevable, et nous pouvons continuer le débat.

Le temps de parole prolongé du sénateur Carignan est écoulé. À moins que les sénateurs ne souhaitent continuer à lui poser des questions, nous allons poursuivre le débat. Je suis à votre disposition, honorables collègues. Souhaitez-vous accorder au sénateur Carignan cinq minutes de plus pour des questions?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : La parole est au sénateur Carignan.

[Français]

L'honorable Percy Mockler : Sénateur Carignan, comme vous l'avez entendu dire si souvent, de même que dans les débats qui ont précédé, le projet de loi C-14 touche tout le monde. J'ai écouté attentivement l'amendement que vous proposez, qui, d'ailleurs, vient renforcer davantage les mesures de sauvegarde. J'ai aussi eu l'occasion de lire attentivement un article paru dans Le Devoir. J'aimerais vous poser une question sur ce que vous proposez maintenant.

Pour ma part, je suis sensible à la procédure que doit suivre le demandeur. Du point de vue de la province, au Québec et dans d'autres provinces, la personne exprime son désir de recourir à l'aide médicale à mourir; c'est la première étape. À la deuxième étape, elle fait la demande de l'aide à mourir. La troisième étape, c'est la façon dont sera acheminée cette demande et à quelle instance elle le sera à l'intérieur de la juridiction. Quatrièmement, une fois la demande acceptée, on va concevoir le scénario pour administrer l'aide médicale à mourir.

Selon vous, d'après votre expérience, est-ce que les amendements proposés assureront au demandeur que le processus sera respecté d'une manière digne?

Le sénateur Carignan : Absolument, sénateur Mockler. C'est un sujet extrêmement sensible et, pour avoir déjà parlé avec des juges de la Cour supérieure qui ont eu à prendre des décisions vraiment délicates qui touchent à l'intégrité de la personne, ces juges le font avec beaucoup d'attention et de compassion. En outre, lorsque la personne ne peut pas se déplacer, le juge peut se rendre à son chevet pour l'entendre et s'assurer qu'il n'y a pas de pressions externes. Donc, cela se fait actuellement de façon assez fréquente pour d'autres types de procédures.

Parfois, il y a des refus. On veut s'assurer du consentement ou du refus vis-à-vis de certains soins; on peut penser au cas des transfusions sanguines, entre autres, pour les témoins de Jéhovah. C'est le genre de dossiers dans lesquels les juges interviennent tout de même assez fréquemment.

[Traduction]

L'honorable Ratna Omidvar : Sénateur Carignan, je voudrais vous demander si l'autorisation judiciaire préalable pourrait être jugée inconstitutionnelle. Il y a des précédents dans le cas des comités sur l'avortement que la Cour suprême a jugé inconstitutionnels parce qu'ils avaient occasionné des délais et créé des obstacles. Quel est votre avis à ce sujet?

[Français]

Le sénateur Carignan : La personne qui veut obtenir l'aide médicale à mourir aura davantage intérêt à entamer une procédure devant le juge, ce qui prendra quelques semaines au maximum, plutôt que d'essayer de contester la constitutionnalité de la loi afin d'exiger que le processus d'un juge passe à un délai d'un mois.

Par ailleurs, je crois sincèrement que le but est de protéger les personnes vulnérables, de protéger les personnes dont on pourrait vouloir abuser. Un juge est une personne impartiale et indépendante qui aura toutes les compétences pour détecter ces pressions indues dont l'individu pourrait faire l'objet. Je ne crois pas que ce serait attaqué ou déclaré invalide, car il s'agit d'une limite qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[Traduction]

L'honorable Carolyn Stewart Olsen : Je voudrais avoir des précisions sur deux points, honorable sénateur.

Vous proposez de faire appel à un juge d'une cour supérieure. Au Nouveau-Brunswick, nous n'avons pas beaucoup de ces juges, ce qui imposera des déplacements et des frais aux gens des régions rurales. Vous pensez peut-être que les juges peuvent venir à votre chevet, mais je ne sais vraiment pas si cela est possible.

Proposez-vous aussi de faire appel à deux médecins et un psychiatre pour approuver la demande? J'ai besoin de précisions, parce qu'il me semble que cet amendement crée autant d'obstacles que Kay Carter a eu à surmonter pour obtenir son jugement.

Son Honneur le Président : Chers collègues, le temps de parole du sénateur Carignan est écoulé. Lui accorderons-nous au moins le temps de répondre à cette question?

Des voix : Oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : On parle d'un juge de la Cour supérieure au sens de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Toutes les provinces et les territoires ont des juges, des cours supérieures, même si elles ne portent pas nécessairement le même nom — dans certaines provinces, elles s'appellent « Cour suprême ». On parle de juges de cours supérieures, et ces juges se déplacent dans tout le territoire. Au Québec, par exemple, les juges prennent l'avion pour aller à Iqaluit, pour couvrir le territoire.

(1450)

En ce qui concerne la question des médecins, il s'agit de deux médecins et d'un psychiatre, selon l'importance de la demande, des conséquences et de l'état de santé de la personne qui n'est pas en phase terminale.

[Traduction]

L'honorable Frances Lankin : Je prends la parole pour appuyer l'amendement du sénateur Carignan. Je le fais pour trois raisons. Premièrement, je crois que cet amendement est conforme à la décision de la Cour suprême établissant qu'il appartient au Parlement de mettre en place un régime réglementaire régissant l'aide médicale à mourir.

Deuxièmement, je crois que l'amendement constitue une main tendue à la Chambre des communes et qu'il respecte sa décision et son souci de protéger les personnes vulnérables et de prévoir les mesures supplémentaires de protection dont les deux ministres nous ont parlé ici lorsqu'elles sont venues nous voir.

La troisième raison de mon appui découle des importantes discussions et consultations que j'ai eues avec les membres de coalitions de personnes handicapées. Je donnerai des détails sur chacun de ces trois points.

Avant de le faire cependant, je voudrais revenir à ce qui s'est passé hier soir pour dire que j'ai apprécié les contributions de tous les sénateurs et tous les points de vue exprimés. J'ai constaté que j'étais d'accord avec le sénateur Joyal, le sénateur Cowan, le sénateur Ogilvie et la sénatrice Frum. J'ai donc voté en faveur de l'amendement.

Au cours du débat de deuxième lecture, j'ai parlé de mes préoccupations relatives à toute une catégorie de Canadiens dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible et qui, de ce fait, ne peuvent pas se prévaloir du projet de loi C-14 dans sa forme initiale. J'ai toujours pensé que nous étions ouverts au genre de protections qui devraient s'appliquer à cette catégorie de Canadiens, et je me suis demandé s'ils devraient être jugés différents de la catégorie de Canadiens dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible.

Il y a des gens qui ont parlé de ce point hier, disant qu'ils pouvaient envisager un régime de protection différent, pouvant comprendre une autorisation judiciaire. Certains ont cité M. Hogg, qui avait évoqué la possibilité d'un régime différent. En toute franchise, la Chambre des communes et le gouvernement ont eux aussi envisagé des régimes différents en présentant le projet de loi C- 14 et en citant des études faisant état de protections complémentaires pour des groupes qui ne sont pas mentionnés dans l'arrêt Carter, comme les mineurs matures.

Je crois que cet amendement est conforme à celui que nous avons adopté hier et qu'il nous appuie dans notre rôle de parlementaires, comme il appuie des groupes ou des catégories de Canadiens qui satisfont aux critères énoncés dans l'arrêt Carter, qui connaissent des souffrances intolérables et sont atteints de maladies irrémédiables, mais dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible. Il s'agit d'un sous-ensemble de Canadiens faisant partie du groupe jugé vulnérable par suite de choses telles que des handicaps et des déficiences intellectuelles ou physiques ou d'autres groupes de personnes. Nous pourrons en dire davantage à ce sujet au cours de notre débat.

Durant le processus d'établissement de mesures de protection, je crois que nous trouverons deux chemins qu'il nous sera possible de suivre. Le premier est celui que propose le sénateur Carignan : l'autorisation judiciaire. L'un des principes que nous devons respecter — nous en avons parlé lorsque vous avez demandé si l'amendement satisfait au critère du caractère raisonnable — est que, quelles que soient les dispositions mises en place, elles ne doivent pas créer un obstacle absolu et doivent satisfaire à un critère d'atteinte minimale aux droits d'une personne.

Je crois que le processus d'autorisation judiciaire répond à ces exigences. La Cour suprême elle-même l'a établi dans la décision Carter 2 et dans le délai supplémentaire de quatre mois accordé au gouvernement pour faire adopter un projet de loi à la Chambre des communes et au Sénat. Je crois donc que la Cour suprême considérerait cela comme une atteinte minimale et une protection complémentaire pour une catégorie de personnes et n'y verrait pas d'inconvénient.

Suis-je d'avis que ce mécanisme est idéal? Non. Je crois que nous devons considérer les groupes de personnes dont nous parlons. Quel problème de coercition cherchons-nous? À quel point veillons-nous à ce que la demande présentée soit volontaire? Dans quelles conditions une personne est-elle amenée à présenter une demande qui n'est pas tout à fait volontaire? Quelles sont les conditions sociales? Quels sont les déterminants sociaux de la santé qui jouent dans ce cas?

C'est une très longue discussion, et il y a beaucoup de choses à considérer. Beaucoup des solutions que nous trouverons au sujet des protections à mettre en place se situeront dans le champ de compétence provincial, mais c'est une discussion que nous devons avoir. Nous devons amener les parties à la table.

Quand je parle de la communauté des personnes handicapées, je dois dire qu'elle a commencé par s'opposer catégoriquement au projet de loi C-14 parce que ses membres avaient l'impression qu'il les rendait extrêmement vulnérables. Une fois que le projet de loi est arrivé au Sénat, les membres de la communauté sont venus nous voir et nous ont dit : « Nous voulons en fait que vous votiez en faveur du projet de loi parce qu'il nous assure au moins une certaine protection. Toutefois, nous en voulons un peu plus. »

C'est au cours de discussions avec cette coalition que nous avons pensé à proposer un amendement, dont nous parlerons plus tard, à l'article 9.1 et aux examens. Je vous ai déjà fait part de l'amendement que je propose, qui consiste en un autre examen qui ciblera ces Canadiens particuliers. Je sais que mon amendement doit faire l'objet d'un sous-amendement qui préciserait, dans le cas des personnes dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible, qu'il faut se pencher sur les conditions sociales et les déterminants sociaux de la santé qui rendent les gens vulnérables et qui déterminerait les conditions dans lesquelles il convient de s'interroger sur le caractère volontaire d'une demande et de prévoir des protections supplémentaires.

Je crois que le sénateur Carignan a tout à fait raison lorsqu'il dit que le groupe de personnes auxquelles s'appliquera l'autorisation judiciaire est très petit. Si nous examinons les cas qui se sont présentés au cours des quatre derniers mois, il s'agissait en majorité de personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible. Seule une faible minorité ne s'inscrivait pas dans cette catégorie.

Même si elles ne s'appliquent qu'à un sous-ensemble encore plus petit, les protections doivent être prévues pour une raison extrêmement importante. Je crois qu'il est à la fois justifié, humain et opportun de nous soucier de ces gens qui comptent parmi les plus vulnérables.

J'ai mentionné l'amendement attendu qui proposera d'établir un examen. J'espère que cet amendement, qui visera tant à établir un examen qu'à fixer une période de deux ans au terme de laquelle le gouvernement devra présenter un rapport et des recommandations aux deux Chambres du Parlement, aboutira à des recommandations concrètes qui permettront d'établir des mesures de protection pouvant remplacer l'autorisation judiciaire.

Ainsi, nous serons passés d'une période marquée par une interdiction totale s'appliquant à tous les Canadiens à un processus post-Carter d'autorisation judiciaire, puis maintenant à un régime législatif établissant une distinction entre ceux dont la mort est ou n'est pas raisonnablement prévisible et mettant en évidence notre préoccupation pour les plus vulnérables.

Je voudrais soulever un point évoqué par un certain nombre de groupes d'intervenants, comme l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique et d'autres, qui s'inquiètent des questions que le sénateur Carignan a abordées concernant la pauvreté et l'accès. Au cours du débat de deuxième lecture, la sénatrice Omidvar nous a demandé de considérer la question de l'accès du point de vue des pauvres. Je crois que c'est un problème réel.

Je sais que le coût de l'autorisation judiciaire sera sensiblement inférieur à celui des appels que Kay Carter et d'autres ont dû interjeter, mais c'est encore un problème réel et un obstacle. Même si elle est disponible, l'aide juridique n'est pas vraiment à la portée de tout le monde. Les cliniques d'aide juridique ne sont pas universellement accessibles, pas plus que les certificats pour les avocats. Il y a partout des problèmes de financement et des obstacles, mais je ne pense pas que nous ayons à les régler ici.

(1500)

Prenons l'exemple des préoccupations soulevées concernant les objections de conscience que pourraient avoir les professionnels de la santé. C'est une préoccupation que je partage. L'Ontario, par exemple — et d'autres provinces s'orientent dans cette direction —, a mis en place une fonction essentielle de renvoi pour que les médecins qui refusent d'offrir le service pour des raisons de conscience n'aient pas à effectuer eux-mêmes le renvoi. Le patient peut s'adresser à un bureau central et trouver un médecin qui sera disposé à l'aider dans sa démarche.

Je crois que les provinces peuvent instaurer un mécanisme rationalisé et subventionné pour que les Canadiens puissent exercer leur droit sans que les questions financières constituent un obstacle.

Je terminerai mes commentaires en disant que la main tendue vers la Chambre des communes et le respect de sa décision, les préoccupations que la ministre a exprimées devant le Sénat au sujet de ce groupe de Canadiens particulièrement vulnérables auxquels on a interdit l'accès à l'aide médicale à mourir dans le projet de loi C-14, tout cela est important et nous devrions l'avoir à cœur. Alors même que nous essayons de décider s'il faut renvoyer le projet de loi à la Chambre des députés démocratiquement élus, alors que nous tentons de nous acquitter de nos responsabilités de sénateurs et d'examiner et d'améliorer un projet de loi pour en assurer la conformité avec la Constitution, nous voulons aussi protéger les groupes de personnes et les minorités et faire en sorte que ces personnes ne soient pas victimes d'abus. C'est le moment rêvé : nous devons comprendre les préoccupations réelles, sensibles et appropriées que la ministre a exprimées, nous devons y répondre d'une façon qui s'harmonise avec ce que la Cour suprême a défini pendant une période de quatre mois et nous devons le faire sachant que nous demandons aussi aux instances décisionnelles de revoir la question et de chercher à formuler des recommandations qui conviendront pour l'avenir, afin de définir de meilleures mesures de sauvegarde sans lier aux tribunaux les décisions en matière de soins de santé dans le cadre d'un processus permanent et, un jour, quand le rapport sera produit, de pouvoir remplacer ce processus par un processus mieux adapté à l'intérêt public.

Alors, honorables sénateurs, je vous demande d'appuyer cette recommandation et j'espère que, si nous réussissons, nous parviendrons à convaincre la Chambre des communes et le gouvernement de l'appuyer également. Merci beaucoup.

L'honorable Daniel Lang : L'honorable sénatrice voudrait-elle bien répondre à une question?

La sénatrice Lankin : Oui.

Le sénateur Lang : Je veux poursuivre dans la veine des questions que le sénateur Carignan a posées à la sénatrice Stewart Olsen et, je crois, au sénateur Mercer. Ma question se rapporte à la possibilité concrète et réaliste que cette loi particulière donne les résultats voulus pour la population du Canada rural.

Je crois savoir que vous vivez dans une région rurale de l'Ontario, comme certains d'entre nous vivent en région rurale ailleurs au Canada. Au regard de cet amendement particulier, si quelqu'un dans votre région voulait présenter une demande, est-ce qu'il pourrait facilement entrer en contact avec un juge de la Cour supérieure et obtenir une audience et, deuxièmement, obtenir l'aide d'un psychiatre dans la région où vous vivez?

La sénatrice Lankin : Merci.

Dans l'état actuel des choses, cela ne serait pas très facile. Je suis toutefois fermement convaincue que la province a le devoir d'instaurer des procédures pour que les citoyens puissent avoir accès aux services de santé qui seront devenus des services juridiques de santé lorsque le projet de loi sera adopté par les deux Chambres pour finalement recevoir la sanction royale. Alors, qu'est-ce que cela signifie?

Je ne veux pas répondre à la place de ceux qui n'ont pas posé de question au sénateur Carignan. Je ne suis pas avocate. Je le répète, je m'intéresse aux politiques. Je crois cependant, puisque je vis dans une région rurale du Nord de l'Ontario, qu'à certaines occasions la Cour supérieure tient des audiences dans la collectivité. Je crois que, parfois, par l'entremise de l'aide juridique et d'autres mécanismes d'appui, des requérants sont autorisés à se déplacer et leurs frais sont couverts. Il se pourrait que la chose ne soit pas possible en raison de l'état de santé de la personne. Dans ce cas, il reviendrait à la cour de trouver un moyen d'entendre la requête.

En ce qui concerne les psychiatres, c'est une ressource rare, mais nous en avons et c'est attendu pour les autorisations judiciaires qui sont demandées. Le système semble fonctionner jusqu'à maintenant. En toute honnêteté, je n'ai pas d'analyse à vous présenter pour montrer si toutes les personnes qui ont présenté une demande viennent d'un milieu urbain ou pas. Nous avons toutefois des mécanismes, les services de télésanté et d'autres, qui permettent aujourd'hui de fournir énormément de services de santé à distance. Je crois que cela pourrait être une solution. Là encore, est-ce idéal? C'est quand même mieux que de ne pas avoir de protection du tout.

L'honorable Pana Merchant : Puis-je également vous poser une question, sénatrice Lankin?

La sénatrice Lankin : Oui.

La sénatrice Merchant : Vous n'êtes pas avocate, et moi non plus, mais je n'ai pas pu poser de question au sénateur Carignan.

Je m'interrogeais au sujet de la nécessité et des solutions viables. D'après votre expérience personnelle, savez-vous s'il y a eu des cas où les psychiatres et un médecin se sont adressés à un juge, ont présenté leur cas, et le juge a refusé la requête? Je me demande simplement pourquoi vous avez le sentiment que nous avons besoin de cette protection.

Son Honneur le Président : Sénatrice Lankin, demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Lankin : Non, je demande si je peux répondre à la question, parce qu'elles s'adressent toutes au sénateur Carignan, pas vraiment à moi.

Son Honneur le Président : Chers collègues, êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Lankin : Suis-je au courant d'un cas où le juge aurait refusé une requête appuyée par des professionnels de la santé? Personnellement, non. Est-ce que je crois que les juges auraient la capacité, le pouvoir et la volonté de le faire? Certainement. J'ai vu des juges rejeter le conseil d'experts venus témoigner. Par contre, il n'y a eu qu'un petit nombre de demandes qui ont été présentées à une cour supérieure en vertu du processus de demande d'autorisation judiciaire instauré par la Cour suprême dans la décision Carter 2. Je suis au courant de cas où le juge a accepté la requête, mais je n'ai pas entendu parler de cas où le juge l'aurait rejetée. C'est possible.

Son Honneur le Président : La sénatrice Batters a la parole. La sénatrice Lankin n'a pas demandé de temps supplémentaire pour répondre aux questions.

L'honorable Denise Batters : Merci, honorables sénateurs. Je veux traiter brièvement de cet amendement. Je veux relever quelques points.

Premièrement, le terme « psychiatre » n'est pas défini dans l'amendement du sénateur Carignan, pas plus qu'il ne l'est dans le projet de loi. En outre, je constate que le mot « psychologue » n'est pas inclus parmi les catégories de professionnels de la santé qui pourraient être consultés dans le cadre de cette évaluation.

Par ailleurs, chers collègues, le gouvernement libéral fédéral a précédemment ignoré des recommandations d'amendement visant à exiger une évaluation psychiatrique pour les personnes qui, outre leur maladie physique grave, sont également atteintes de maladie mentale, et je me demande donc pourquoi le sénateur Carignan croit que le gouvernement libéral accepterait cette exigence d'évaluation psychiatrique pour toutes les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Je me demande si le sénateur Carignan a reçu du gouvernement libéral l'assurance qu'il appuierait cet élément de l'amendement. A- t-il reçu des sénateurs libéraux l'assurance qu'ils appuieront ce point? Je me demande s'il a obtenu une assurance auprès des sénateurs qui représentent le gouvernement ici, s'il a leur approbation pour ce volet particulier.

De plus, je veux signaler à mes honorables collègues que ce sont des juges de l'Alberta qui, le mois dernier, ont autorisé le suicide assisté d'une patiente qui était atteinte uniquement d'une maladie psychologique non terminale. Nous avons entendu un témoignage au sujet de ce cas particulier lors d'une séance du Comité des affaires juridiques cette semaine. L'avocat de cette patiente nous a expliqué que trois médecins avaient approuvé le suicide assisté de cette patiente. Dans ce cas, il s'agissait d'un trouble psychiatrique extrême dont, malgré mes années d'expérience dans le domaine de la santé mentale, j'ignorais jusqu'à l'existence. Le seul psychiatre qui a approuvé le suicide assisté de cette patiente ne l'avait jamais rencontrée, il avait uniquement étudié le dossier. Le médecin qui était disposé à fournir le service de suicide assisté n'avait pas lui non plus rencontré la patiente et il avait procédé à la consultation grâce à l'application FaceTime. Un seul de ces trois médecins avait rencontré la patiente, et les juges ont quand même approuvé ce suicide assisté le mois dernier.

(1510)

En terminant, je rappelle à mes honorables collègues que l'alinéa (1.2)b) de l'amendement proposé par le sénateur Carignan commence ainsi :

b) deux médecins indépendants confirment que la personne a été informée, à la fois :

Il énumère ensuite une liste de critères. Vient alors le sous-alinéa (iv) :

(iv) des risques associés à l'aide médicale à mourir;

Je me demande ce que cela peut bien vouloir dire. Quels sont les « risques associés à l'aide médicale à mourir »? La mort?

Je vous remercie.

Son Honneur le Président : Sénatrice Batters, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Batters : Oui.

L'honorable Lillian Eva Dyck : Je vous remercie, sénatrice Batters. Vous posez justement certaines des questions que j'avais moi aussi en tête.

Nous venons toutes les deux de la Saskatchewan. Je sais, et vous le savez aussi, que les psychiatres ont du mal à répondre à la demande. Il n'y en a probablement pas assez pour répondre aux besoins de toute la province — surtout dans le Nord. Croyez-vous que quelqu'un d'autre qu'un psychiatre pourrait confirmer qu'un patient est mentalement capable? Vous avez par exemple parlé des psychologues. Y a-t-il d'autres professionnels qui pourraient, selon vous, jouer ce rôle à la place des psychiatres?

La sénatrice Batters : Je ne sais hélas que trop bien que le pays en général et la Saskatchewan en particulier manquent de professionnels de la santé mentale et de psychiatres. Voilà pourquoi j'ai proposé que l'on puisse s'adresser à un psychologue.

Je conviens que ce genre d'évaluation est nécessaire pour confirmer qu'une personne est vraiment consentante. La seule chose qui compte, pour moi, c'est que les gens reçoivent les soins dont ils ont besoin et que les mesures de sauvegarde les plus strictes possibles soient en place, parce qu'il est impossible de revenir en arrière avec l'aide médicale à mourir. Il faut faire les choses dans les règles, mais je tiens malgré tout à ce que les gens qui ont besoin de ce service y aient accès sans problème, si c'est vraiment ce qu'ils veulent — si ce n'est pas leur maladie mentale qui leur fait voir la vie en noir alors qu'au fond ils ne sont pas certains de ce qu'ils veulent. Cela étant dit, je ne crois pas que ce soit une bonne idée de trop élargir les critères. Nous devons nous doter des mesures de sauvegarde les plus strictes possibles.

Son Honneur le Président : Sénatrice Batters, acceptez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Batters : Oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice Batters, j'aimerais vous rassurer en vous mentionnant que l'alinéa c) dit ce qui suit :

c) qu'un psychiatre indépendant confirme que la personne a la capacité à fournir un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir.

Ne croyez-vous pas que cette précaution répond justement à votre préoccupation de protéger les gens qui ont une maladie mentale et qui n'auraient pas l'aptitude de donner leur consentement de façon libre et éclairée? Nous visons à protéger les gens qui pourraient demander l'aide médicale à mourir sans être conscients de ce qu'ils demandent ni en mesurer les impacts. Ne croyez-vous pas que le fait de demander à un psychiatre indépendant d'évaluer cet aspect n'apporterait pas une sécurité supplémentaire qui irait dans le même sens que votre volonté de protéger les gens atteints de maladie mentale?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je conviens qu'il s'agit d'une importante mesure de protection supplémentaire. C'est la raison pour laquelle je veux m'assurer qu'elle est efficace et qu'elle sera acceptée par l'autre endroit.

Hier, le Sénat a adopté un amendement, mais, avant même qu'il soit mis aux voix, la ministre de la Justice a dit qu'il serait rejeté par le gouvernement fédéral et renvoyé au Sénat. Je veux être sûre qu'une mesure de protection aussi importante, concernant particulièrement une question telle que la maladie mentale — cela est important pour moi, car j'y ai consacré beaucoup de temps et d'efforts ces dernières années — qu'elle est aussi efficace que possible. C'est aussi la raison pour laquelle, sénateur Carignan, je veux savoir si vous avez obtenu certaines assurances des sénateurs libéraux, des sénateurs qui représentent le gouvernement et qui siègent au caucus et du gouvernement fédéral libéral vous permettant de croire qu'ils accepteront cette disposition.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il faut être imaginatif dans la formulation des questions. Évidemment, sénatrice Batters, le Sénat a l'autorité d'adopter des projets de loi et de les amender, et je ne crois pas qu'il soit pratique courante de demander à l'autre endroit s'il acceptera ces amendements ou pas.

Ne croyez-vous pas qu'il serait plus prudent, pour nous, d'essayer de rédiger un projet de loi qui serait complet, qui ferait l'équilibre entre les droits des personnes qui ont accès à l'aide médicale à mourir et la protection des gens les plus vulnérables, et d'adopter ce projet de loi dans un système complet? Nous aurons ensuite l'occasion de renvoyer le projet de loi à l'autre endroit, et ses membres auront, à ce moment-là, l'occasion de l'évaluer à son mérite.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Oui, sénateur Carignan, je veux être sûre que nous avons des mesures de protection adéquates. Je comprends que vous ne puissiez pas obtenir d'assurances de l'autre endroit, mais je suis certaine que vous avez essayé d'en obtenir auprès de sénateurs. Je me demande si les libéraux du Sénat et les sénateurs qui représentent le gouvernement vous ont donné l'assurance qu'ils appuieront cette partie de votre amendement. Je suppose que vous en avez discuté avec eux, puisque vous avez appuyé l'amendement hier soir.

De plus, pour que l'amendement soit bien ficelé, je veux m'assurer que la définition de « psychiatre » existe, parce qu'on ne la trouve ni dans l'amendement ni dans le projet de loi.

L'honorable James Cowan (leader des libéraux au Sénat) : Je voudrais d'abord rassurer la sénatrice Batters en lui affirmant que, depuis février 2014, les libéraux qui siègent au caucus libéral du Sénat sont totalement indépendants de leurs anciens collègues de la Chambre des communes. Nous n'avons jamais imposé un vote pendant toute cette période. Nous discutons et travaillons ensemble. Toutefois, nous ne votons pas nécessairement ensemble, comme vous avez pu le constater lors de la mise aux voix de l'amendement hier soir.

Il serait déplacé de la part du sénateur Carignan de demander autre chose que mon opinion personnelle sur un amendement qu'il a proposé. Comme je l'indiquerai sous peu, nous avons fait cela. À cet égard, je ne parle pas au nom de mon caucus. Je ne fais que présenter un point de vue personnel, comme je l'ai fait hier soir. Vous pouvez constater que mon point de vue est partagé par certains de mes collègues, mais pas par d'autres. Je respecte leur droit d'avoir leur propre point de vue, comme je sais qu'ils respectent le mien.

Chers collègues, je veux remercier le sénateur Carignan d'avoir présenté son amendement aujourd'hui et d'avoir expliqué l'équilibre qu'il cherche à trouver à cet égard.

Tandis que nous examinons cette grave question, nous avons tous la responsabilité de veiller à mettre en place des sauvegardes adéquates afin de répondre aux préoccupations non seulement des personnes vulnérables et de ceux qui veulent avoir accès à l'aide médicale à mourir, mais aussi de leurs proches, qu'il s'agisse de membres de la famille ou d'organisations représentant différents groupes de notre société.

Comme sénateurs, nous sommes toujours conscients de notre responsabilité de protéger les minorités et ceux qui n'ont pas des gens influents pouvant parler en leur nom. Cela fait partie des responsabilités et des préoccupations que nous avons tous en commun.

Nous avons, à l'égard de cette question, la responsabilité de veiller à ce que le cadre des mesures de sauvegarde soit aussi robuste et complet que possible. De toute évidence — et cela a déjà été mentionné —, il y a toujours des conséquences imprévues et des effets pervers. C'est pour cette raison que les lois changent et qu'il est nécessaire de réagir à l'évolution des circonstances et d'affronter des choses qu'il aurait été impossible de prévoir au moment de l'adoption d'une loi ou d'un règlement.

Personnellement, je crois que les mesures de protection qui se trouvent déjà dans le projet de loi C-14 sont assez robustes pour protéger contre les abus. Toutefois, je comprends que beaucoup de gens ne les trouvent pas assez fortes et veuillent les améliorer. Je respecte leur point de vue sans être nécessairement d'accord avec eux. Nous avons cependant tous été inondés de messages exprimant les préoccupations des gens, qu'elles soient légitimes ou non. Elles n'en sont pas moins honnêtes et sincères, et méritent donc notre respect. Par conséquent, je crois que nous avons la responsabilité de comprendre ces préoccupations et de respecter leurs motifs.

Pour cette raison, j'appuie l'amendement du sénateur Carignan. Selon moi, il s'agit d'un ajout judicieux à l'ensemble de mesures de protection que le projet de loi prévoit pour l'instant, et j'appuie ce qu'a dit la sénatrice Lankin il y a un moment au sujet de sa propre expérience et des préoccupations que la proposition lui inspire.

(1520)

Cependant, je fais une mise en garde, comme d'autres sénateurs l'ont fait. Certes, nous voulons tous avoir des mesures de sauvegarde en place, mais nous savons tous que, dans certains cas, ces mesures peuvent devenir des obstacles. Si nous prévoyons une mesure qui, à notre avis, constitue une sauvegarde, avec l'intention d'en faire une sauvegarde, et qu'il s'avère qu'elle devient un obstacle, alors il peut y avoir un problème de respect de la Charte.

Le sénateur Lang et d'autres ont soulevé le problème — dont ma propre expérience en Nouvelle-Écosse confirme l'existence — de la difficulté de consulter des médecins, des spécialistes et, plus particulièrement peut-être, des psychiatres quand on habite dans des régions éloignées.

J'ai tout de même confiance. J'ai discuté avec des collègues dans le milieu médical et dans les organismes de réglementation médicale de ma province, et j'ai bon espoir que les médecins, les organismes de réglementation et les autorités provinciales pourront relever ce défi. Certains d'entre nous estiment peut-être que cette mesure n'est pas nécessaire ou n'ont pas l'impression qu'elle le soit, mais je suis persuadé que, au total, elle répondra aux préoccupations importantes et profondes de tant de Canadiens qui s'inquiètent de la protection des personnes vulnérables. Voilà pourquoi je vais volontiers appuyer l'amendement.

Une dernière mise en garde. On se préoccupe toujours des coûts. Lorsqu'il s'agit des tribunaux, des avocats, des juges et de leur disponibilité, les coûts sont toujours un facteur très important. Il ne faut pas l'oublier. C'est un facteur dont le gouvernement fédéral devra se souvenir lorsqu'il s'agira de négocier avec les gouvernements provinciaux et les organismes de réglementation et de les consulter. Il faut tenir compte de l'accessibilité et du coût de l'accessibilité pour ce genre de service.

Je conclus ces quelques propos, chers collègues, en disant que j'appuie volontiers l'amendement de mon collègue.

[Français]

Le sénateur Carignan : Le sénateur Cowan accepterait-il de répondre à une question?

En ce qui a trait à l'accessibilité aux soins, le sénateur Cowan est-il d'accord avec moi pour dire que, lorsqu'une personne qui n'est pas en fin de vie fait une demande d'aide médicale à mourir, elle doit nécessairement avoir une condition de santé extrêmement grave, un cas très lourd, déjà fortement pris en charge par le système de soins de santé? Il faut faire une différence entre une personne fortement prise en charge et une personne qui est dans une file d'attente à l'urgence. Il ne s'agit pas du tout du même genre de situation.

L'honorable André Pratte : Honorables sénateurs, je tiens à dire que, dans des débats comme ceux-ci, il est toujours important d'avoir des législateurs qui puissent trouver des solutions originales, des voies de passage. Je dois souligner le fait que, dans ce débat-ci, il y en a eu plusieurs. Bien que nous ayons eu un ou deux différends depuis quelques jours, je tiens à souligner la contribution du sénateur Carignan, car l'amendement qu'il propose apporte une contribution importante, et je l'en remercie.

[Traduction]

Lorsqu'elle a témoigné ici même la semaine dernière, la ministre Wilson-Raybould a dit que le gouvernement avait retenu la notion de « mort raisonnablement prévisible » parce qu'il craignait pour les personnes vulnérables et qu'il avait besoin de temps pour étudier de nouvelles mesures de sauvegarde. La grande utilité de l'amendement à l'étude est qu'il prévoit de nouvelles mesures de sauvegarde, des mesures suffisantes, pour éviter les dérives. En fait, c'est une mesure de sauvegarde qu'on peut imaginer contre les abus; c'est même celle que la Cour suprême a proposée pour la période de transition de quatre mois.

Je ne crois pas que ce soit l'idéal. Je m'inquiète, comme d'autres, des coûts possibles, des délais et du fardeau qui sera imposé aux personnes en cause. Ces mesures s'ajoutent à un processus déjà lourd.

L'aide médicale à mourir est une révolution dans le système de justice pénale et dans les systèmes de santé. Il faut donc s'avancer avec prudence. L'amendement nous permet de le faire. J'espère que le gouvernement saisira cette occasion, car l'amendement constitue, comme la sénatrice Lankin l'a dit, une passerelle entre la position du gouvernement, qui veut protéger les personnes vulnérables, et les préoccupations du Sénat exprimées par l'amendement adopté hier soir.

[Français]

Le grand avantage d'établir la frontière entre ceux qui auront un accès plus facile à l'aide médicale à mourir et ceux qui y auront accès avec des mesures de sauvegarde supplémentaires et par un mécanisme ou un principe clair, soit la fin de vie qui est établie maintenant au Québec et qui fonctionne bien, est de nous débarrasser de la notion vague de « mort raisonnablement prévisible » contenue dans le projet de loi C-14, dont tout le monde convient qu'elle est imprécise et inapplicable. Alors, pour ces raisons, je voterai en faveur de l'amendement.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénateur Pratte, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Pratte : Oui.

L'honorable Nicole Eaton : Monsieur le sénateur, les réserves de certains m'étonnent. Vous avez appuyé le sénateur Carignan, mais j'ai l'impression que vous avez des réserves. À propos de ces obstacles, je rappellerai qu'il n'y a pas des centaines de personnes qui demandent l'aide médicale à mourir, n'est-ce pas? Savez-vous combien de personnes ont demandé une aide médicale à mourir l'an dernier au Québec?

Le sénateur Pratte : Je n'ai pas les chiffres sous les yeux. Je suis désolé.

Le sénateur Eaton : Une dizaine? Une cinquantaine? Des centaines?

Le sénateur Pratte : Des dizaines, pour peu que je sache.

Le sénateur Eaton : Merci.

L'honorable Paul E. McIntyre : Chers collègues, j'aurais quelques mots à dire des mesures de sauvegarde et de l'autorisation judiciaire.

En ce qui concerne les mesures de sauvegarde, nous nous rappelons que la Cour suprême a été très préoccupée, dans les arrêts Rodriguez et Carter, par la question des garanties procédurales autour de l'aide médicale à mourir. Le comité mixte spécial du Parlement l'a été aussi, tout comme le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir.

Il me semble important de ne pas confondre les mesures de sauvegarde prévues dans le projet de loi C-14 et celles que le sénateur Carignan préconise dans son amendement. Il ne fait pas de doute que le projet de loi C-14 répond aux préoccupations au sujet de la protection. Il prévoit un certain nombre d'exigences pour assurer une sauvegarde et ainsi encadrer l'aide médicale à mourir. Je n'ai aucune réserve au sujet des mesures de sauvegarde prévues dans le projet de loi C-14.

Quant à l'autorisation judiciaire, un certain nombre de sénateurs ont posé des questions à ce sujet. Il importe de signaler à propos des mesures de sauvegarde nécessaires que, par le passé, on a prévu une autorisation judiciaire à cet égard. Ainsi, la juge en chef McLachlin l'imposait dans son opinion dissidente, dans l'affaire Rodriguez, tout comme la juge de première instance dans l'affaire Carter, pendant la période où l'application de la décision a été suspendue. Il en va de même pour les cinq juges de la Cour suprême qui ont accordé une prolongation de quatre mois pour rédiger une loi qui réponde à l'arrêt Carter pour les cas d'aide médicale à mourir qui surviendraient pendant la période de transition.

Voilà tout ce que j'avais à dire.

(1530)

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je voulais aussi ajouter que j'apprécie tous les points de vue. Nous avons déjà eu des projets de loi au sujet desquels j'ai reçu des courriels et des lettres pour et contre. Cette fois-ci, j'ai reçu davantage de lettres qui expriment tout l'éventail d'opinions possibles sur cette question.

Par conséquent, même si j'aime entendre les propres expériences des sénateurs, je suis impressionnée que nous ne parlions pas seulement de nos propres expériences, mais aussi des commentaires des Canadiens lorsque nous examinons l'objectif de ce projet de loi.

J'aimerais maintenant prendre le temps, si vous me le permettez, de parler du projet de loi lui-même et de son objectif. Je tenais à dire, à ce stade, que pour moi, le projet de loi C-14 est inconstitutionnel. La cour a clairement dit qu'il s'agit du droit de mourir. Chose intéressante, toutefois, entre-temps, il y a eu des contrôles judiciaires et des requêtes, une vingtaine en tout. À mon avis, c'était la voie évidente à suivre pour mettre en œuvre la décision de la Cour suprême. Le droit à la vie, qui est indissociable du droit de mourir, est probablement le droit le plus irréversible que nous ayons. S'il disparaît, c'est pour de bon. Pour tout le reste, on peut essayer de réparer, de remédier, et cetera. Je n'utiliserai pas de termes juridiques, mais seulement des termes pratiques parce que je crois que d'éminents esprits ont déjà énoncé les notions juridiques. Certains avocats ne veulent même pas parler en avocats.

Il est évident que le projet de loi satisfait en partie aux critères de la Cour suprême, ce qui me trouble beaucoup, mais je ne crois pas que ce que proposait le Sénat ou ce que contenait le projet de loi offrait des mesures de protection adéquates. En toute honnêteté, si je devais m'en occuper, j'aurais placé des mesures de protection judiciaires dans les deux catégories; autrement dit, exactement ce que la cour disait à propos du droit de mourir, ces catégories et un contrôle judiciaire.

Toute cette discussion sur le coût du recours à la justice, c'est le prix de la vie. Nous laissons les gens déposer recours après recours. Prenons des terroristes présumés, nous laissons quiconque se voit privé de sa liberté — pas de sa vie, de sa liberté — déposer des recours. Tout à coup, nous disons que ce n'est pas rentable? Je suis désolée. Je crois que si je devais investir de l'argent dans le Code criminel, ce n'est pas la quantité de recours que nous avons pour toutes les affaires criminelles, les affaires criminelles mineures, et pas pour cette loi, surtout quand seuls sept autres pays ont déjà une expérience en la matière.

J'ai quantité d'autres observations. Je ne pouvais appuyer l'amendement du sénateur Joyal hier parce qu'il reprenait simplement une partie de ce que dit la Cour suprême, à savoir qu'il y a deux catégories et qu'il faut les inclure. Voilà ce que disait le sénateur Joyal.

La cour parle de façon subtile des mesures de protection. Au moins, l'amendement du sénateur Carignan répond en partie à mes préoccupations, à savoir la partie concernant les personnes qui ne sont pas en phase terminale. J'appuierai tous les amendements qui visent à garantir qu'on ne retire pas rapidement la vie, que nous considérions cet élément comme un de nos devoirs fondamentaux. Ce faisant, en fin de compte, je veux parler du projet de loi lui-même et du projet de loi amendé, le cas échéant.

Ce que je veux dire, c'est que j'appuierai toute mesure de protection que nous pouvons proposer. Toutes les autres mesures de protection dont j'entends parler sont de nature administrative. C'est le système qui surveille le système sous une forme ou une autre.

La surveillance parlementaire, exercée tous les trois ou cinq ans, est une autre mesure de protection. Je suppose que je siège depuis trop longtemps au Sénat. Le sénateur Joyal et moi avons siégé des années au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, où nous avons consacré du temps à la surveillance parlementaire. Le temps passe, il y a les examens, quelqu'un le mentionne et nous y procédons sans conviction. Ces examens présentent probablement un intérêt, puisque les temps changent et les attitudes aussi, mais je veux rester très prudente, il me semble que le contrôle et la surveillance judiciaires sont très importants, c'est pourquoi je veux une surveillance judiciaire maintenant. Je sais qu'il y aura un examen judiciaire. Quoi que nous fassions, nous nous retrouverons devant la cour.

Son Honneur le Président : La sénatrice Andreychuk accepterait- elle de répondre à une question?

La sénatrice Andreychuk : Oui, certainement.

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe de l'opposition) : Tout d'abord, je tiens vraiment à vous remercier de votre intervention parce que, tandis que je vous écoutais, tout en me demandant quelle décision prendre par rapport à l'amendement proposé par le sénateur Carignan, je me suis rendu compte que, toutes deux, nous prenons soin de nos mères. Un exemple où il est question de mesure de sauvegarde a été porté à mon attention — et moi aussi, j'appuierai les mesures de sauvegarde parce que je pense qu'il est important que nous fassions tout notre possible pour qu'on prenne soin des plus vulnérables, des moins protégés.

Allons-nous continuer d'examiner les mesures de sauvegarde? Pouvons-nous faire en sorte que dans cet ensemble de protections qui figurent déjà dans le projet de loi, on prévoit une mesure au cas par cas pour les personnes vulnérables qui pensent aux membres de leur famille sur qui pèse leur maladie — elles ont peut-être 10 ou 20 ans à vivre —, il y a une pression indue sur elles pas seulement physiquement, mais j'imagine le dilemme qui doit être le leur à voir un enfant unique ou peut-être un époux ou une épouse vieillissante à leur côté, la pression qu'elles doivent ressentir à faire cette demande parce qu'elles ne veulent pas être un fardeau pour leur famille?

J'aimerais beaucoup entendre votre réponse à cet exemple. C'est avec ces questions que je me débats dans les décisions que je dois prendre au sujet des amendements et du projet de loi.

La sénatrice Andreychuk : Je pense, madame la sénatrice, que je pourrai répondre à cette question quand nous arriverons aux soins palliatifs.

Le droit de mourir est énoncé ici comme un droit individuel. D'après mon expérience des 10 dernières années où j'ai vraiment étudié des personnes en phase terminale et souffrant de maladies lourdes — je ne veux pas parler de mon cas personnel —, la douleur n'est pas vécue de la même façon d'une personne à l'autre. Mais ce que l'on n'a pas assez souligné ici, c'est que lorsqu'une personne meurt, ce n'est pas juste la personne qui meurt qui est touchée; tout le monde autour d'elle meurt et la collectivité souffre d'une manière ou d'une autre. Je peux vous donner 20 exemples. On regrette la disparition de la personne. On est soulagé qu'elle soit partie. Il y a une perte, une perte communautaire.

J'ai tendance à vouloir garder espoir. On parle aujourd'hui de maladie incurable. Je ne me laisse pas décourager par la SLA. Demain, il pourrait y avoir un traitement. La médecine fait des miracles pour des maladies qui étaient absolument inconnues ou incomprises. Les meilleurs médecins me disent toujours quand ils me donnent des conseils : « Je vous donne la science aujourd'hui et je vous donne l'art, c'est-à-dire mon opinion. »

Je crois qu'il ne faut pas renoncer à espérer. C'est pourquoi j'attache beaucoup d'importance à la surveillance judiciaire. Je veux souligner que les surveillances administratives deviennent très bureaucratiques et difficiles et qu'elles nous mettent en danger. Selon moi, la surveillance judiciaire soumet le système et le gouvernement à une double vérification. Le Parlement peut jouer son rôle d'organisme de deuxième vérification.

J'ai eu la tâche difficile d'avoir à décider si je devrais priver quelqu'un de sa liberté et le faire enfermer pour des raisons de santé mentale. Je veux revenir à ce que souligne le sénateur Carignan : il n'est pas difficile de s'adresser aux tribunaux. Le tribunal décidera si les règles sont suivies et le juge interviendra. Si je reçois un rapport psychiatrique qui dit qu'une personne doit être hospitalisée, ce n'est pas une opinion médicale et je solliciterai un avis plus détaillé.

(1540)

Je ne crois pas que les tribunaux se mêlent des avis médicaux proprement dits. Ils vont s'assurer que les formalités administratives et les conditions sont respectées. En ce sens, ce ne sera pas trop coûteux. Cependant, je le répète, c'est un coût qu'il vaut la peine d'assumer dans notre société.

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, je vais parler brièvement de l'amendement, mais j'ai l'intention de parler de façon générale du projet de loi à la conclusion du présent débat.

En général, l'amendement m'inspire des préoccupations. Je ne suis pas d'accord avec mon honorable collègue, la sénatrice Andreychuk. Je connais bien des gens qui sont très intimidés à la seule idée d'avoir affaire à un juge. Et ajouter un psychiatre de surcroît, ce serait extrêmement intimidant pour un très important segment de la société que je connais bien. Je parle en tant qu'avocat ayant représenté de nombreuses personnes qui soumettaient des demandes aux tribunaux. Ce serait un obstacle. Je me demande si c'est vraiment nécessaire.

Je considère les mesures de sauvegarde. J'ai essayé de lire l'amendement à l'étude en regard du projet de loi et des modifications que, avec mon appui, nous avons adoptées hier par un vote. J'estime que ces changements étaient raisonnables. Ce nouvel amendement m'apparaît comme un rajustement à la lumière de ce que nous avons adopté hier. Il vise à ajouter des mesures de sauvegarde pour un groupe qui était exclu du bénéfice du projet de loi et que nous avons réintégré, soit ceux qui ne sont pas en fin de vie et qui ne sont pas des malades en phase terminale, mais qui satisfont aux autres critères.

On exige déjà un médecin ou un infirmier pour aider la personne à signer le formulaire. On exige un médecin ou un infirmier indépendant. On exige la présence de deux témoins indépendants pour attester la demande. Il y a donc quatre personnes indépendantes qui sont là pour s'assurer que ce qui se fait est raisonnable. Et voici un amendement qui ajoute un juge, un psychiatre et deux médecins indépendants. On ajoute cinq personnes, honorables sénateurs. N'est-ce pas plus qu'il n'en faut pour protéger cette catégorie, pour protéger ces personnes?

Je crois pour ma part que c'est plus que ce qu'il nous faut, surtout qu'on fait intervenir des juges et des psychiatres. Et nous connaissons la situation qui existe dans une grande partie du Canada rural, où les infirmiers praticiens font office de médecins. Ils accouchent des bébés; ils aident des personnes à mourir dignement; ils arrachent des dents. Ils font tout dans la collectivité pour offrir des services médicaux. C'est pourquoi on a ajouté le terme « infirmier praticien » dans le projet de loi C-14. Il est partout : médecin ou infirmier praticien. Je suis d'accord.

Puis, je regarde l'amendement. Suivez-moi bien : alinéa 1.2b), à peu près au milieu de la page : « deux médecins indépendants ». L'amendement laisse de côté l'infirmier praticien. Ce n'est pas pour rien, évidemment. C'est l'indication qu'on ne fait pas confiance aux compétences des infirmiers praticiens pour cette deuxième mesure de sauvegarde que nous voulons prévoir pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie.

Je déplore cette décision. Je remarque aussi que, aux alinéas 1.2b) (ii) et (iii), on dit que le juge doit... Suit une liste d'éléments que le juge doit vérifier. Et puis, à l'alinéa (iii), on dit que le médecin indépendant confirme que la personne a été informée des soins palliatifs pouvant apaiser ses souffrances.

« Des soins palliatifs pouvant apaiser ses souffrances. » Ces personnes ne sont pas en fin de vie. Il y a beaucoup de travail à faire sur le plan des soins palliatifs. Mais je peux vous dire que les soins palliatifs, dans à peu près tous les cas où ils sont disponibles dans ma province, le Nouveau-Brunswick, sont offerts à des personnes en fin de vie. Et voici que nous les offrons à des personnes qui ne sont pas en fin de vie en leur disant : « Si vous êtes admissible, il serait possible d'alléger vos souffrances. »

Je m'interroge aussi au sujet de cet article.

Quelqu'un a parlé tout à l'heure des risques associés à l'aide médicale à mourir. La personne concernée doit aussi en être informée. Quels sont les risques en cause?

En premier lieu, je ne suis pas à l'aise avec le fait qu'on intègre les juges au processus, au lieu de leur laisser le soin d'examiner les questions qui semblent poser problème. Je préfèrerais que les juges ne participent pas au processus. C'est pour cette raison — et pour les autres dont j'ai parlé et qui me font aussi douter du bien-fondé de certains articles — que je n'appuierai pas l'amendement proposé.

Son Honneur le Président : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Day?

Le sénateur Day : Certainement.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur Day, permettez-moi de vous faire la lecture de la définition du mot « palliatif » dans le Larousse :

Se dit d'un traitement qui n'agit pas directement sur la maladie (en particulier un traitement symptomatique), ou qui la soulage sans pouvoir la guérir.

Aucune mention de la question de la phase terminale n'y apparaît. Acceptez-vous cette définition?

[Traduction]

Le sénateur Day : Je vous remercie de votre question. Je n'ai pas étudié dernièrement la définition que donne le Larousse du mot « palliatif », mais je peux dire que, concrètement, les soins palliatifs qui sont offerts dans ma région sont destinés aux personnes en fin de vie.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) : Je vais appuyer cet amendement. Je ne peux pas dire que je l'aime beaucoup, mais cela n'a rien à voir avec son objet. C'est plutôt lié aux outils que nous avons à notre disposition pour offrir des mesures de protection à la catégorie de personnes auxquelles nous avons étendu hier soir l'aide médicale à mourir.

(1550)

À l'échelle internationale, il n'y a pas beaucoup d'expérience dans ce domaine et, dans le peu qu'il y a, on ne trouve pas grand-chose à apprendre au sujet des gens qui recherchent l'aide médicale à mourir même s'ils ne sont pas encore au terme de leur vie.

Je ne crois pas que nous ayons à réfléchir très fort pour nous rendre compte qu'en prenant hier soir la décision — que je crois profondément juste — d'accepter comme la Cour suprême l'a demandé d'étendre l'aide médicale à mourir aux personnes qui ne sont pas nécessairement condamnées à mourir à brève échéance, beaucoup d'entre nous ont pensé avec inquiétude aux mesures de protection.

Le sénateur Carignan a parlé des pressions de toutes sortes qui peuvent s'exercer sur les gens. Nous croyons tous, j'en suis sûre, que les gens ont le droit de mourir avec dignité, mais aussi le droit de voir leurs intérêts protégés quand ils font ce choix.

La surveillance, l'autorisation judiciaire constitue essentiellement l'outil le plus puissant qui soit pour protéger ces intérêts. C'est la raison pour laquelle j'appuie l'amendement. Il est conçu pour utiliser l'outil le plus efficace que nous ayons, à part une interdiction catégorique, pour protéger l'intérêt des gens. En même temps, c'est un outil relativement lourd.

La sénatrice Andreychuk, cette collègue de longue date pour qui j'ai le plus grand respect, hoche la tête. Ceux d'entre nous qui ne sont pas avocats voient dans l'appareil judiciaire un système complexe, obscur, lourd, mystérieux, inconnu et évidemment coûteux. Nous avons tort ou raison, mais c'est notre perception.

À cet égard, je ne me soucie pas vraiment de gens comme les sénateurs qui ont des contacts et des réseaux auxquels ils peuvent s'adresser pour obtenir des conseils sur la façon d'aborder ce monde obscur du système judiciaire. Je m'inquiète plutôt pour les gens qui ne sont pas assez pauvres pour être admissibles à l'aide juridique, mais pas assez riches pour affronter sans une vive inquiétude la perspective de retenir les services d'un avocat.

Je crois fermement qu'à mesure que nous avancerons, il deviendra très important que les autorités médicales et juridiques offrent le genre d'aide dont la sénatrice Lankin a parlé — système médical, registres, guichets uniques — pour que les gens puissent être orientés vers quelqu'un pouvant leur dire : « Voici un avocat qui connaît le système et qui peut vous aider à vous y retrouver. »

Dans son discours d'aujourd'hui, le sénateur Carignan a réussi à me persuader dans une certaine mesure qu'en mettant en œuvre ce système, il ne sera pas vraiment nécessaire d'affronter les coûts juridiques terrifiants qu'il faut assumer en cas de procès. Il est réconfortant de savoir que les demandes de cette nature bénéficient d'une certaine priorité lorsqu'elles sont remises au juge compétent et qu'elles n'ont pas à attendre trop longtemps un règlement. Autrement, ce serait tragique. N'empêche, j'attendrai avec impatience le jour où, l'expérience aidant, nous trouverons un moyen qui ne ferait pas intervenir le système judiciaire.

La sénatrice Andreychuk a fait une mise en garde qu'il est facile de comprendre au sujet du système médical. D'une façon ou d'une autre, nous aurons à affronter des systèmes dans cette situation. Cet amendement ajoutera à juste titre une couche de plus par-dessus d'un autre système. Si nous pouvions tout concentrer dans un seul système, je pourrais croire que les intérêts des demandeurs sont vraiment protégés.

Je voudrais maintenant aborder la question des psychiatres. Je constate, à la lecture de l'amendement, que le travail demandé au psychiatre indépendant mentionné à l'alinéa 1.2c) n'est pas très compliqué. Si j'ai bien compris, il consiste uniquement à dire que la personne est capable de donner un consentement éclairé.

Sénateur Mercer, je ne suis pas psychiatre, mais, à mon avis, il ne faudrait pas très longtemps parce qu'il n'y a pas à faire un diagnostic concernant différents états émotionnels. Le psychiatre ne fera que déterminer si la personne, quelles que soient ses autres difficultés, peut prendre une décision éclairée. J'imagine que c'est une chose assez simple. Toutefois, comme on l'a signalé, il n'est pas facile de consulter un psychiatre, et ses services sont assez coûteux.

Sans m'aventurer sur le terrain plein d'embûches des champs de compétence provinciaux, où nous n'avons pas la moindre autorité, j'aimerais faire une petite suggestion : il serait très utile que les provinces, dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs en matière de soins de santé, retiennent les services d'un certain nombre de psychiatres. Un seul pourrait suffire dans une petite province, et quelques-uns pourraient être placés dans différentes régions dans les grandes. Cela signifierait que ces psychiatres seraient à la disposition des gens qui en ont besoin et que les demandeurs n'auraient pas à aller chercher un psychiatre, puis à attendre Dieu sait combien de temps pour avoir un rendez-vous.

On peut retenir les services d'avocats. Quand un client appelle, il obtient une réponse. Il pourrait en être de même pour les psychiatres. Bien sûr, je suppose que ce service serait couvert par l'assurance-maladie.

J'aurais bien voulu que nous n'ayons pas à procéder de la sorte, mais je crois que nous devons le faire. Je pense vraiment que le sénateur Carignan a réagi à un important degré d'incertitude qui se fera sentir à mesure que nous avancerons. Comme je l'ai dit, j'espère qu'avec le temps, mais sans attendre de trop longues années, nous trouverons un moyen différent de répondre à ce besoin de mesures de protection. Toutefois, pour le moment, je crois qu'il est important, pour rassurer le public, de recourir à cette façon de procéder. Je vais donc appuyer l'amendement.

L'honorable John D. Wallace : J'ai quelques observations à formuler après avoir écouté le sénateur Carignan. Je n'ai reçu l'amendement que lorsqu'il a commencé à en parler. J'aurais bien voulu disposer de plus de temps pour y réfléchir.

J'ai quelques points à signaler. Comme nous le savons tous, le projet de loi C-14 prévoit des mesures de sauvegarde pour protéger les personnes vulnérables. Il exige deux avis indépendants venant de médecins ou d'infirmiers praticiens. Ces avis doivent confirmer que l'intéressé souffre bien d'une affection grave et irrémédiable, qu'il endure des douleurs et des souffrances et aussi qu'il a donné un consentement éclairé.

(1600)

Comme le sénateur Day l'a fait remarquer, le sénateur Carignan propose d'ajouter un autre niveau de protection. Par cet amendement, nous pourrions créer deux catégories pour ceux qui demandent l'aide médicale à mourir : ceux qui sont en fin de vie et ceux qui ne le sont pas. Les mesures de sauvegarde seraient différentes pour ces deux catégories.

Ma première observation est la suivante : je ne sais pas comment nous pouvons distinguer celui qui est fin de vie de celui qui ne l'est pas.

L'amendement adopté hier a fait disparaître la nécessité d'appliquer le critère de problèmes de santé graves et irrémédiables pour une personne dont la mort naturelle est prévisible. J'avais une idée de ceux à qui cela pouvait s'appliquer. Par contre, dans ce cas-ci, la personne qui n'est pas en fin de vie, je ne vois pas qui cela peut être.

Une personne qui a un problème de santé grave et irrémédiable pourrait être quelqu'un qui est atteint d'arthrite rhumatoïde et souffre physiquement, et qui a 75 ans. Est-elle en fin de vie? Peut- être une personne plus jeune peut-elle être considérée comme en fin de vie. Ce que je veux dire, c'est que je ne suis pas sûr de savoir qui peut se ranger dans cette catégorie.

Un autre point me trouble. La création de deux catégories de personnes qui demanderaient l'aide médicale à mourir va à l'encontre du doit à l'égalité qui doit être reconnu à tous aux termes de la Charte des droits et libertés. Pourquoi une catégorie de personnes aurait-elle droit à cette protection renforcée et l'autre non?

Je retiens de l'amendement proposé par le sénateur Carignan qu'il faut un psychiatre indépendant pour confirmer que la personne a la capacité de donner un consentement éclairé. Si on craint que les médecins ou les infirmiers praticiens n'aient pas les compétences voulues et si on croit que, pour cette nouvelle catégorie de personnes, il faut obtenir la confirmation d'un psychiatre indépendant, cela fait problème à mes yeux.

Si la qualité du consentement éclairé présente un problème, alors c'est important pour nous tous. Pour donner un consentement éclairé, il faut que la personne connaisse son état de santé, le pronostic et les traitements possibles. Tout cela compte pour décider si la personne donne un consentement éclairé.

Si nous croyons maintenant que les infirmiers praticiens et les médecins ne peuvent vérifier si le consentement est éclairé, alors je crois que la protection supplémentaire proposée doit s'appliquer à tous. Bien franchement, je ne peux pas faire de différence entre la situation d'une personne qui est plus près de la mort qu'une autre, je ne vois pas pourquoi des normes différentes s'appliqueraient.

Comment déterminer qui est en fin de vie? Cela témoigne à mon sens d'un manque de confiance envers la capacité des médecins de tirer les conclusions nécessaires et envers les infirmiers praticiens. Autrement, nous ne demanderions pas une deuxième mesure de sauvegarde. Si ce manque de confiance est avéré, la protection supplémentaire devrait s'appliquer à tous.

Mon dernier point porte sur la disponibilité de ces deux médecins supplémentaires appelés à donner leur opinion, comme le sénateur Day l'a signalé. Ils s'ajoutent aux deux infirmiers praticiens ou médecins qui se sont déjà prononcés. Et il y a ensuite un psychiatre.

Comme le sénateur Mercer l'a fait remarquer, cette mesure paraît peut-être bonne sur papier, mais sur le terrain, dans la réalité concrète, le manque de disponibilité de ces ressources dans les localités éloignées est un fait bien réel.

Lorsque nous réfléchissons à ces choses-là, nous devons nous assurer d'être conséquents et de ne pas nous fier seulement aux mots sur le papier, qui semblent réconfortants. Nous devons creuser davantage. Merci.

Son Honneur le Président : La sénatrice Marshall a la parole pour la suite du débat.

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Merci, Votre Honneur.

Beaucoup de sénateurs ont parlé des mesures de sauvegarde à propos de l'amendement proposé par le sénateur Carignan et aussi de celles qui sont dans le projet de loi même. Jetez un coup d'œil aux pages 6 et 7. Presque deux pages portent sur les mesures de sauvegarde. Je n'ai rien à redire à ces mesures.

Le problème, c'est l'article 4 du projet de loi. Il dit comment les mesures de sauvegarde vont s'appliquer. Je ne vais pas parler du fond de cet article, mais je rappelle à mes collègues que l'article 11 dispose que l'article 4 n'entre pas en vigueur en même temps que le reste du projet de loi.

Dans les faits, le projet de loi a été divisé en deux parties, dont une entrera en vigueur au moment de l'adoption, tandis que l'article 4 n'entrera pas en vigueur. Il précise les modalités de la surveillance des mesures de sauvegarde, et cela me semble important.

Lorsque la ministre de la Santé a comparu au Sénat, je lui ai posé une question sur le fait que l'article 4 n'entrera pas en vigueur. Elle ne m'a pas donné de réponse très nette sur le moment où il entrerait en vigueur.

Nous avons pu rencontrer sa sous-ministre adjointe à l'une des séances du Comité des affaires juridiques, et j'ai insisté sur ce point. Je voulais avoir une idée du temps qu'il faudrait attendre. Elle a alors dit que ce serait probablement 18 mois.

Une fois que le projet de loi entrera en vigueur, nous allons devoir attendre environ 18 mois avant d'avoir une idée de la façon dont les mesures de sauvegarde seront appliquées.

Des personnes auront accès à l'aide médicale à mourir — en réalité, elles seront euthanasiées — et nous ne savons pas qui examinera ces cas pour s'assurer que toutes les mesures de sauvegarde ont été respectées. On nous a dit que cela pourrait prendre 18 mois. Il arrive très souvent que les gouvernements ne respectent pas leurs échéances. Nous pourrions donc attendre plus de 18 mois.

Les mesures de sauvegarde posent problème pour moi, et je crois que tous les sénateurs doivent savoir que, une fois le projet de loi proclamé, l'article 4 ne sera pas retiré du texte, mais n'entrera pas en vigueur. Il y aura là un problème.

Son Honneur le Président : Madame la sénatrice Marshall, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Marshall : Oui.

L'honorable Pierrette Ringuette : Merci, sénatrice Marshall.

Au comité, vous avez abordé la question dont vous venez de parler. À mon avis, et je peux me tromper, l'aide médicale à mourir sera du ressort des systèmes provinciaux de santé. Cela ne devrait-il pas relever des ministères provinciaux de la Santé? Ils donnent déjà des directives dont ils doivent contrôler l'application. Les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé ne devraient-ils pas avoir la responsabilité d'exercer une surveillance et de produire un rapport annuel sur la question pour assurer la transparence du système?

(1610)

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de la question, sénatrice Ringuette. Je reconnais la valeur de ce que vous dites, mais l'article 4 du projet de loi donne au ministre fédéral de la Santé la prérogative de prendre des règlements. Toutefois, il emploie le verbe « peut ». Il « peut » prendre des règlements. Je reconnais que la question est de compétence provinciale, mais j'ai regardé, ces derniers jours, les lignes directrices des gouvernements provinciaux et je n'y trouve rien qui porte sur l'application des mesures de sauvegarde. Il y a là un problème, pour moi, et je m'inquiète aussi de la question de l'uniformité.

En ce moment, le projet de loi dispose que le ministre de la Santé assume la responsabilité primordiale, mais, à mon avis personnel, par souci d'uniformité et pour garantir que les choses se fassent correctement, il faudrait que le ministre fédéral de la Santé soit responsable de la réglementation et que ses règlements soient exécutoires. Ils devraient être élaborés en consultation avec ses homologues des provinces.

La sénatrice Ringuette : Merci.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je voudrais revenir sur la question de l'autorisation judiciaire et sa définition. Je ne vais pas parler pour les avocats ici présents, comme la sénatrice Andreychuk, le sénateur Carignan, le sénateur Cowan, le sénateur Baker ou d'autres, mais il me semble important de comprendre ce que nous demandons comme mesure de sauvegarde. En d'autres termes, quelle est la portée de l'autorisation judiciaire? Qu'est-ce que cela veut dire pour un profane?

La deuxième question que je voudrais aborder est celle des coûts. Quand on demande un avocat, le compteur commence à tourner. On fait un appel, et cela coûte 500 $. Un appel de 10 secondes et c'est 500 $ encore. Nous connaissons ces problèmes. La juge en chef de la Cour suprême s'est lancée dans une croisade contre les coûts très élevés de la justice, et cela aura un effet immédiat. Combien cela coûtera-t-il et qui paiera?

Un troisième élément : comment cela se passera-t-il concrètement? J'ai écouté chacun des sénateurs et je constate que chacun a ses interrogations. Comme notre collègue le sénateur Mercer l'a dit, il n'y a pas de psychiatres à Flin Flon, au Manitoba. Il n'y en a pas non plus à Caraquet. Nous pouvons énumérer des milliers de petites villes au Canada où il n'y a pas de psychiatre. Comment allons-nous gérer ce problème?

J'en reviens à la première question : qu'entend-on par « autorisation judiciaire »? Honorables sénateurs, la Cour suprême du Canada a proposé une définition à propos de l'affaire Carter. Je voudrais présenter deux définitions extraites de décisions rendues au cours des quatre derniers mois et qui ont examiné 29 cas de citoyens qui ont demandé une autorisation aux tribunaux et considéré ce que ceux-ci ont décidé à propos de la définition d'« autorisation judiciaire ». Je cite le paragraphe 71 de la décision unanime de la Cour d'appel de l'Alberta. Voici ce qu'elle dit de ce que l'autorisation judiciaire comporte :

Cependant, au bout du compte, la Cour suprême du Canada ne voulait pas en faire un processus accusatoire.

Ce n'est pas un processus accusatoire. Cet aspect est important.

Il appartient au juge des requêtes d'examiner attentivement la preuve à sa disposition et de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si les critères établis dans l'arrêt Carter de 2015 ont été respectés.

Qu'est-ce que cela signifie? La dernière décision que j'ai pu examiner est une décision de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta qui date du 1er juin. J'ai examiné toutes les décisions pour m'assurer qu'il y a une certaine cohérence entre les interprétations que les divers tribunaux ont fournies quant au rôle qu'ils doivent jouer. Selon le paragraphe 31 de la décision du 1er juin, voici ce que l'éminente juge a déclaré la semaine dernière, en Alberta :

La cour n'a pas le mandat de procéder à une instruction exhaustive afin de déterminer si un demandeur a réussi à démontrer qu'il est personnellement admissible à une exemption constitutionnelle [...]

Le travail du juge des requêtes est plutôt de déterminer simplement si un demandeur en particulier répond aux critères définis dans l'arrêt Carter de 2015. La Cour suprême a donné comme directive aux cours supérieures de déterminer si le demandeur fait partie de ce groupe. Par conséquent, l'instruction porte sur les circonstances individuelles qui sont propres au cas d'espèce. Cependant, comme le souligne la décision HS (Re), l'instruction du juge des requêtes doit tenir compte du cadre juridique et du cadre constitutionnel en général.

Qu'est-ce que cela signifie? Cela veut dire que, comme l'a souligné la sénatrice Andreychuk, le juge qui doit donner son autorisation n'est pas un juge qui se trouve à la cour, vêtu d'une toge, pour entendre le demandeur et le défendeur ou le procureur de la Couronne et l'accusé défendre leur position, et qui détermine enfin qui a tort et qui a raison, ou qui doit verser à l'autre partie un certain montant d'argent ou des dommages-intérêts. Ce n'est pas du tout comme cela qu'on procède. Il s'agit essentiellement d'un processus administratif. Le juge — ou la juge, puisque la sénatrice Andreychuk est une ancienne juge — doit examiner la preuve écrite en fonction de son rôle.

Honorables sénateurs, il y a de nombreux cas désignés par l'expression « le juge en chambre », où un juge siège dans son bureau pour approuver une demande, comme il doit le faire selon la loi. C'est une procédure qui fait partie des fonctions d'un juge. Un juge siège au tribunal, mais aussi dans son bureau, et les décisions qu'il prend à son bureau sont aussi exécutoires que celles qu'il prend au tribunal. Cessons de penser que nous devons voir le juge au tribunal. Ce n'est pas du tout ce que nous disons ici.

Je vous ai cité des extraits de deux décisions. La plus récente est très claire sur la question. Pour illustrer mon propos, j'ai ici une décision rendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario le 24 mai dernier. Elle fait environ deux pages et demie. C'est bien différent des 301 pages rédigées par le juge dans la décision concernant le sénateur Duffy. Ce n'est pas du tout ce genre de contexte. Je vous prie de m'excuser, sénateur Duffy. Je voulais simplement mentionner votre expérience pour montrer à quel point le système judiciaire peut être long et coûteux. Nous en sommes tous conscients.

Ce n'est pas du tout le cas ici. C'est une courte procédure. Je vous lis un extrait du jugement, la première phrase d'un des premiers paragraphes de la décision. Pour des raisons de protection de la vie privée, on appelle le requérant I.J.

À de multiples occasions, depuis mars 2016, I.J. a exprimé un vif désir d'avoir recours à l'aide médicale à mourir.

(1620)

Voici ce que dit le paragraphe 8 :

Le médecin de famille de I.J. confirme que la douleur et les souffrances d'I.J. ont augmenté considérablement au fil du temps [...]

Le paragraphe 9 :

Le psychiatre no 1 confirme qu'I.J. a essayé de nombreux traitements pour atténuer sa douleur, mais qu'aucun n'a été efficace [...]

Le paragraphe 10 :

La psychiatre no 2 affirme que, selon elle, I.J. souffre d'un problème de santé grave et irrémédiable [...]

Il ne s'agit pas d'une pile de documents complexes. Ce sont des documents factuels dans lesquels se trouve l'information fournie au juge. Alors, il n'est pas du tout question de prendre une personne qui est alitée et hospitalisée, avec des tubes et des fils partout, et de la transporter dans son lit jusque devant le juge pour qu'il lui demande si elle consent. On voit d'ici la scène. Ce n'est pas du tout ainsi que ça fonctionne. Soyons bien clairs là-dessus.

Le deuxième point que je voudrais aborder est celui du paiement des frais. Eh bien, honorables sénateurs, vous l'avez peut-être oublié, mais le système de santé est gratuit au Canada. Le sujet de notre débat est l'aide médicale à mourir. Le qualificatif « médical » signifie que ce sont des services de santé, et ces services sont gratuits au Canada. Chaque province dresse la liste des services qui sont payés par le régime d'assurance-maladie. Certains ne le sont pas. Si vous voulez vous faire faire de la chirurgie plastique, le système de santé ne vous remboursera pas ou ne paiera pas les médecins. Certains types de soins dentaires ne sont pas remboursés non plus. Chaque province détermine quels actes médicaux sont aux frais de l'État. Or, l'aide médicale à mourir est un traitement médical. Selon la Cour suprême, certaines personnes ont droit à cette aide et sont libres de la réclamer. La Loi 52, au Québec, concernant les soins de fin de vie, prévoit que les frais sont entièrement payés par l'État québécois. Si une personne décide un jour d'obtenir de l'aide médicale à mourir, elle n'a pas à se demander « Mon Dieu, qui va payer les médicaments? Qui va payer les médecins pour qu'ils m'examinent. Qui va payer le personnel infirmier? Qui va payer les formalités administratives? » Les frais sont entièrement à la charge du système de santé de la province concernée.

Nous inscrivons maintenant dans la loi le droit qu'a une personne d'accéder à l'aide médicale à mourir, qui se situe intégralement dans le cadre provincial. Comment donc sera-t-elle gérée? Honorables sénateurs, elle sera essentiellement gérée de la même façon que la loi du Québec. L'article 2 de la Loi 52 est intitulé « Fonction particulière des agences de la santé et des services sociaux ». Cet article établit ce que doivent faire les hôpitaux, les centres de soins palliatifs et les services sociaux lorsqu'une personne demande ce service. La demande est envoyée aux agences, qui ont la responsabilité de la traiter sur la base de ce que l'intéressé a inscrit comme conditions satisfaisant aux exigences.

Ce sont certainement les provinces qui décideront — si nous convenons que le psychiatre doit intervenir — vers quels services l'intéressé sera dirigé. Cela fait partie de leurs responsabilités. C'est de cela que nous parlons ici, si j'ai bien compris les préoccupations du sénateur Mercer, du sénateur Wallace, de la sénatrice Dyck et d'autres sénateurs qui voulaient savoir où les services seraient disponibles. Ces agences existent parce que nous bénéficions d'un système public de soins de santé.

Le système est centralisé. Les agences provinciales doivent prendre contact avec le district judiciaire où elles-mêmes et le patient se trouvent, afin de renvoyer celui-ci au juge parce que ce sera un aspect administratif de l'autorisation judiciaire, comme c'est le cas lorsqu'il faut obtenir l'autorisation d'un juge pour toutes sortes d'initiatives juridiques.

Je vous demande humblement de tenir les avocats à l'écart de cette procédure et de veiller à ce que les agences disposent d'un soutien administratif adéquat. Mes collègues avocats du Québec ne m'aimeront pas beaucoup parce que j'aurai contribué à les écarter de services pour lesquels ils auraient pu demander un paiement. À mon avis, c'est essentiellement un service de santé. C'est la raison pour laquelle il relève de la compétence des associations provinciales de médecins et de chirurgiens.

Il appartiendra aux provinces de proposer, dans le cadre de leur structure de prestation de services, le genre de régime voulu pour permettre l'autorisation judiciaire dans le contexte prévu par la Cour suprême. La cour a dit que cette autorisation, comme l'a signalé le sénateur Carignan, sera demandée pour garantir la protection des personnes vulnérables.

Je crois que nous devrions éviter de faire de la microgestion à cette étape. Il appartient aux ministres responsables des soins de santé de trouver dans leur structure les moyens nécessaires pour s'assurer de rendre les différentes étapes prévues ici accessibles à leurs concitoyens de la province et veiller à ce que le système soit fonctionnel. Il sera fonctionnel s'il est conçu de la façon décrite dans le projet de loi C-14. Ne cherchons pas à nous leurrer. Si le projet de loi C-14 reste tel quel, ils feront exactement la même chose, mais sans l'autorisation judiciaire.

C'est pour cette raison que je pense que la proposition est réalisable, comme l'a mentionné la sénatrice Andreychuk. À l'étape actuelle de notre compréhension des incidences, je crois qu'il vaut la peine de prévoir des mesures de sauvegarde supplémentaires. Si nous avions eu une expérience de plusieurs années dans ce domaine, nous aurions peut-être voulu procéder à des rajustements en fonction de ce que cette expérience nous aurait appris.

Votre Honneur, puis-je disposer de deux minutes de plus?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : Peut-être du fait que je viens du Québec et que j'ai lu le projet de loi 52, qui y a été adopté en mai 2014, je sais mieux comment il est appliqué. Je pense qu'il est possible de l'appliquer de manière responsable et avec un minimum d'efficience pour s'assurer que les patients y auront accès dans le contexte de la décision Carter et avec les mesures de protection nécessaires pour qu'ils se sentent protégés.

Après tout, les gens ne font pas confiance aux politiciens. Je ne vais pas citer de chiffres, comme aime le faire la sénatrice Bellemare, mais les juges arrivent en premier et sont suivis des médecins. Les gens font confiance aux médecins et aux juges. Si vous dites aux Canadiens : « Vous devrez vous en remettre à votre médecin pour évaluer votre capacité et votre santé et à un juge qui va revoir l'évaluation », je pense que le système leur inspirera confiance. Cela s'inscrit dans ce que nous tentons de mettre en place ici, qui est, à n'en pas douter, un changement du système. Cependant, je pense que ce que le sénateur Carignan propose est utile pour donner aux Canadiens la conviction que nous agissons de manière responsable.

Donc, honorables sénateurs, voilà comment je comprends les répercussions de ce que notre collègue, le sénateur Carignan, propose et pourquoi je pense que je devrais l'appuyer.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Baker a la parole.

L'honorable George Baker : L'honorable sénateur, accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Joyal : Oui.

(1630)

Le sénateur Baker : L'honorable sénateur pourrait-il vérifier les autorisations judiciaires demandées par les provinces les plus touchées par la décision de la Cour suprême du Canada? Quand on regarde les décisions originales, il y avait 20 pages. Puis, ce nombre a diminué progressivement. On y lit surtout des renseignements sur le conflit du coroner dans la province, des ordres scellés et la non-divulgation des noms des personnes visées. La décision en tant que telle était très courte — à peine quelques courts paragraphes —, en fonction de témoignages par affidavit ou de lettres. La loi québécoise est fondée sur des formulaires, alors que, dans les autres provinces ne disposant pas d'un système, on se fonde sur des témoignages par affidavit — comme vous dites, simplement pour se conformer —, et on ne trouve que les décisions nécessaires.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y avait-il une question dans vos commentaires? Si c'est le cas, je ne comprends vraiment pas la question.

Le sénateur Baker : Oui. Il doit répondre à la question, Votre Honneur.

Le sénateur Joyal : J'ai la liasse de documents entre les mains. J'ai passé en revue ces documents. Vous avez tout à fait raison, sénateur Baker. Les premières décisions étaient assez longues parce que les juges étaient en terrain inconnu, mais vous savez fort bien ce qui se passe. Quand une loi attribue une fonction à juge, que se passe-t-il? Le juge en chef de la cour décide de confier à un juge les fonctions administratives de cette cour. C'est à ce juge que tous les renseignements sont envoyés. Il examine ces renseignements et il finit par acquérir les compétences et l'expérience nécessaires pour remplir ses fonctions de plus en plus rapidement. C'est pourquoi je dis qu'il faut éviter de faire de la microgestion. Voilà comment fonctionne le système.

Vous avez absolument raison. Si vous ne savez pas quoi lire en vous endormant ce soir, lisez-donc les décisions; vous verrez combien la cour est efficace dans de telles situations.

Le sénateur Mercer : J'aurais une autre question à poser au sénateur Joyal.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Il ne nous reste plus beaucoup de temps.

Le sénateur Mercer : Le problème a plutôt trait au fardeau que l'on impose aux systèmes de santé provinciaux. En Nouvelle-Écosse, par exemple, 75,5 p. 100 des psychiatres sont à Halifax.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour donner quelques moments de plus au sénateur Joyal? Le sénateur Ogilvie a lui aussi des questions à poser.

Des voix : D'accord.

Le sénateur Mercer : Soixante-quinze pour cent des psychiatres en Nouvelle-Écosse ont leur bureau à Halifax, ce qui signifie que, même si une localité quelconque compte un psychiatre, celui-ci sera probablement débordé de patients et devra dire : « Vous m'excuserez, mais j'ai un patient à voir parce que je dois approuver sa demande d'aide médicale à mourir. » Ses autres patients qui ont désespérément besoin qu'on les aide à guérir de la maladie qui les afflige seront donc obligés d'attendre. Vous avez également parlé de formulaires. Je ne connais aucun médecin compétent qui accepterait de signer un formulaire sans avoir d'abord pris la peine d'examiner le patient. Disons que vous êtes avocat et que je viens vous voir pour vous demander de signer un formulaire. Vous ne le signerez pas avant d'en avoir pris connaissance et de m'avoir demandé pourquoi vous voulez que je le signe — et certainement pas avant d'avoir déterminé si j'ai les moyens de payer.

Donc, en réalité, le problème a trait au fardeau supplémentaire que l'on imposerait aux systèmes de santé provinciaux et au fait que le régime proposé prive d'accès et de services les Canadiens en régions rurales. C'est certainement ce que je constate dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Joyal : L'affaire dont la Cour d'appel de l'Alberta était saisie soulevait la question d'un psychiatre qui avait évalué l'état mental de la personne. Le psychiatre s'était prononcé après deux médecins. Il était donc le troisième « évaluateur » de la personne. Il a conçu un protocole d'échange d'information entre les médecins. Ils connaissent ces choses-là. Ils savent quelle question poser. Si des médecins essaient de diagnostiquer une maladie chez un patient, ils veulent le voir, bien sûr. Par contre, ici, il ne s'agit pas de faire des vérifications à répétition avant de donner une approbation. Je simplifie.

Le système a la capacité de faire ce qu'il faut. Si nous approuvons cette proposition, les ministres de la Santé ont la capacité voulue. Au Québec, si, dans le plus petit village de la province, Saint-Léon- de-Maskinongé — avec 300 personnes sur la rue Principale —, un résidant a besoin du service, eh bien, le système établi sera fonctionnel, conformément au projet de loi 52 du Québec. Je ne doute aucunement de la capacité du système de répondre au besoin.

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Monsieur le sénateur, accepteriez-vous de répondre à une question d'ordre technique?

Le sénateur Joyal : Avec plaisir.

Le sénateur Ogilvie : Merci. Voici ma question. On lit, à l'alinéa 1.2b) de l'amendement : « que deux médecins indépendants confirment que la personne a été informée [...] » Ces deux médecins pourraient-ils être ceux qui ont été consultés à la première étape de la décision, de la recommandation, de l'approbation de l'aide médicale à mourir? On parle de deux médecins indépendants. L'amendement prévoit-il deux médecins de plus? Peuvent-ils être les mêmes?

Le sénateur Joyal : À mon avis, ils pourraient être les mêmes, honorables sénateurs.

Ce qui importe, pour assurer l'indépendance, c'est l'absence de lien. Nous comprenons pourquoi ils doivent être indépendants. Avec deux médecins indépendants et un psychiatre, nous avons vraiment une protection « mur à mur » comme on dit en bon français.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Ogilvie, je crois que le sénateur vous a donné une réponse.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Le sénateur Joyal pourrait-il éclaircir un point? Hier soir, nous avons adopté un amendement au projet de loi C-14 afin de faire en sorte qu'il n'y ait pas de discrimination envers les personnes qui souffrent de maladies graves, que ces personnes soient à long terme ou à court terme en fin de vie, pour se conformer à la Charte canadienne des droits et libertés. En adoptant l'amendement, ne créons-nous pas deux niveaux d'analyse et, encore une fois, un dilemme entre l'égalité des traitements et des procédures par rapport à la Charte canadienne des droits et libertés?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Consentez-vous, sénateurs, à accorder une minute de plus au sénateur Joyal afin de lui permettre de répondre à la question?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : Sénatrice, vous soulevez une question que je me suis moi-même posée. La Cour suprême a dit qu'il revient au Parlement de déterminer les paramètres à l'intérieur desquels l'exercice du droit à l'accès à l'aide médicale à mourir devrait s'insérer. Dans la définition de ces mesures de sauvegarde, les mesures de protection peuvent être modulées en fonction de la vulnérabilité et du risque dans lesquels se trouvent les personnes. Si les mesures de sauvegarde, pour reprendre un exemple que notre collègue, le sénateur Baker, a évoqué hier, élèvent tellement la barre, et rendent les conditions difficiles à un point tel que, en fait, cela consiste à empêcher les personnes d'avoir accès, les juges diront qu'on essaie de faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement.

(1640)

Par ailleurs, si les mesures apparaissent raisonnables dans le contexte de la vulnérabilité des personnes qui ne sont pas en fin de vie, à ce moment-là, les juges évalueront le caractère raisonnable des mesures proposées et pourront déterminer si elles sont justifiées pour assurer la protection de ces personnes. J'ai relu attentivement la proposition mise de l'avant par le sénateur Carignan, et j'arrive à la conclusion qu'elle réussirait le test de la Charte canadienne des droits et libertés auquel il a fait référence et auquel je suis presque hypersensible, comme vous le savez.

[Traduction]

L'honorable Tobias C. Enverga, Jr. : Honorables sénateurs, je prends la parole afin d'appuyer l'amendement proposé par le sénateur Carignan. J'aurais aimé qu'il soit formulé quelque peu différemment, afin d'inclure non seulement les personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais aussi tous les autres cas. Dans un esprit de compromis, je ne proposerai pas de sous-amendement à ce stade-ci.

Durant le débat sur le premier amendement proposé le 8 juin par le sénateur Joyal, le sénateur Harder a déclaré que le projet de loi à l'étude fera l'objet de débat pendant des années. Il a dit ce qui suit :

Cependant, j'estime important de répéter que c'est le début d'un débat sur les politiques publiques et j'espère que ce à quoi nous aboutirons au cours des prochaines années sera éclairé par notre expérience, les données que nous recueillerons ainsi que les études et les consultations que nous entamerons immédiatement après la sanction royale, afin d'arriver à une politique publique mieux éclairée et à une meilleure participation reposant sur l'information, l'expérience et le dialogue avec les Canadiens.

Honorables sénateurs, j'ai déclaré à l'étape de la deuxième lecture que j'ai des réserves par rapport aux examens tenus a posteriori comme mesure de sauvegarde en ce qui concerne les erreurs dans la prestation de services d'aide médicale à mourir. Par ailleurs, le représentant du gouvernement au Sénat semble évoquer, en vulgarisant, un processus d'essais et erreurs pour l'amélioration des politiques publiques. Cela m'est difficile à accepter.

J'ai parlé du fonctionnement de lois similaires en Belgique et aux Pays-Bas. En Belgique, où l'euthanasie est légale depuis 14 ans, de graves erreurs ont été commises, notamment dans des cas où le consentement n'avait pas été donné explicitement. Même en n'incluant pas toutes les personnes qui réclament l'aide à mourir, de graves erreurs ont lieu.

Honorables sénateurs, je vous rappelle certaines des données qui viennent du Benelux. Aux Pays-Bas, où près de 5 000 personnes sont mortes avec l'aide d'un médecin en 2013, le système est doté d'un mécanisme de déclaration.

Cinq mille personnes? Vous voulez que cela se passe chez les Canadiens? Pourquoi?

Cinq comités régionaux d'examen évaluent chacun des cas pour vérifier la légalité de la démarche suivie. J'ai cité un article du British Medical Journal de 2011 qui faisait état de 3 136 cas. Dans neuf d'entre eux, les critères n'ont pas été respectés. Dans 500 autres cas, on attend une décision. Les chiffres ne sont pas élevés, mais c'est déjà trop, puisqu'il s'agit de tuer des gens.

Dans de nombreux argumentaires contre la peine capitale, on insiste sur le fait qu'une exécution injustifiée, c'est déjà une exécution de trop. Il faut appliquer le même raisonnement à notre approche de l'aide médicale à mourir. L'aide médicale à mourir est insensée.

Une personne euthanasiée par erreur, c'est une de trop. Si on n'applique pas un critère indépendant de la profession médicale pour évaluer toutes les demandes, on pourrait avoir une mort injustifiée, une de trop.

Honorables sénateurs, j'ai aussi souligné les statistiques inquiétantes qui émanent de la Belgique. Un fait troublant ressort d'une étude publiée en 2010 : dans les Flandres, en Belgique, en 2007, seulement 52 p. 100 des cas d'euthanasie ont été déclarés à la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation.

Les champs des Flandres, vous savez où cette région se trouve. Vous savez combien de Canadiens ont sacrifié leur vie pour préserver celle des autres et celle d'autres Canadiens. Nous devrions y réfléchir à deux fois.

Ainsi, honorables sénateurs, un cas d'aide médicale à mourir sur deux n'est pas déclaré. Comment est-il possible d'assurer le respect des lignes directrices lorsque la déclaration laisse tellement à désirer? L'étude réalisée sur la Belgique se reporte à une étude semblable réalisée aux Pays-Bas pour la même année. Elle montre qu'à peine 80 p. 100 des cas y ont été déclarés. Je ne crois pas que les médecins néerlandais ou belges soient meilleurs ni pires que les médecins canadiens. Ce qui s'est passé là-bas peut arriver ici. Les chiffres sont renversants. Et c'est dans cette voie que, avec notre approbation, le Canada s'engage.

J'aimerais réagir à certaines critiques qui ont été formulées en ce qui concerne l'accès à la justice. La technologie sera toujours là pour nous aider. Nous aurons toujours des moyens technologiques à notre disposition, grâce auxquels les juges et les patients pourront entrer en communication. Ce qui est merveilleux, c'est que ces échanges pourront être enregistrés et intégrés aux rapports.

C'est pour cette raison que je suis disposé à appuyer cet amendement, même si, comme je l'ai mentionné plus tôt, j'aurais aimé qu'il soit mis en œuvre dans tous les cas.

Merci.

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, honorables sénateurs. Je serai bref, mais je pense que j'ai l'obligation d'expliquer à la Chambre si je voterai pour ou contre l'amendement et pourquoi je le ferai.

Le projet de loi initial, celui que nous avons reçu hier, avant d'y apporter un amendement hier soir, a été soigneusement élaboré. La mesure législative qui nous a été soumise pour que nous l'examinions était équilibrée, car elle donnait accès à l'aide médicale à mourir, tout en prévoyant des mesures de sauvegarde. Aujourd'hui, nous discutons des mesures de sauvegarde, qui sont un volet important du processus relatif à l'aide médicale à mourir.

Les mesures de sauvegarde, qui sont énumérées et décrites dans le projet de loi dont nous sommes saisis, découlent de vastes consultations qui ont été menées pendant six ou sept mois auprès des médecins praticiens, des gouvernements provinciaux et d'un large échantillon d'intervenants, y compris ceux qui représentent les personnes vulnérables. Lorsque le projet de loi C-14 a été présenté, j'ai été heureux d'apprendre, et je suis convaincu que c'est la même chose pour les Canadiens, que cette mesure législative et les mesures de sauvegarde qu'elle comporte ont reçu l'appui de l'Association médicale canadienne, de la Société médicale du Nouveau- Brunswick, de l'Association des médecins de la Colombie- Britannique, de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, de l'Association des pharmaciens du Canada, de l'Association des psychiatres du Canada et de l'Association canadienne des travailleurs sociaux, et qu'il découle de vastes consultations qui visaient à déterminer comment il faut s'y prendre pour élaborer des directives sur des mesures de sauvegarde qui peuvent être appliquées et comprises à grande échelle.

Hier soir, dans cette enceinte, nous avons exprimé notre volonté de modifier considérablement les critères d'admissibilité. Je suis reconnaissant au sénateur Carignan de contribuer à ce que le service soit offert « de façon responsable », comme l'a dit le sénateur Joyal, en ajoutant à ce qui a été fait en cette enceinte hier soir. Je ne peux toutefois pas appuyer ce qu'il propose, parce que je suis incapable d'appuyer le prolongement de ce qui a été fait hier soir et le mécanisme de sauvegarde élaboré à la hâte sans que soit abondamment consultée la communauté qui doit, en fait, administrer et appliquer cet aspect important de l'amendement apporté hier soir.

(1650)

La sénatrice Lankin a parlé d'un pont. Ce qu'elle a décrit comme complémentaire à l'amendement présentait des avantages fort intéressants, et c'est la raison pour laquelle elle l'appuie. Pour ma part, cependant, je crois que l'article 9, qui traite des études, permet davantage d'établir le pont entre les questions dont nous avons débattu hier, parce qu'il est clair que les questions soulevées ici, même sur l'intervention du sénateur Carignan, exigent une plus vaste consultation des parties prenantes.

Je ne veux pas avoir l'air dur en votant contre l'amendement ni donner l'impression d'être contre les mesures de sauvegarde. Des mesures de sauvegarde, il en faut. Celles qui sont prévues dans le projet de loi original conviennent parfaitement pour l'admissibilité du projet de loi original. Je crois cependant que, pour être cohérent avec mon vote d'hier soir contre l'amendement, il serait tout à fait normal que je ne vote pas pour l'amendement dont nous sommes saisis.

Son Honneur le Président : Sénateur Harder, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Harder : Certainement.

La sénatrice Andreychuk : Sénateur Harder, pour le même dilemme, j'arrive à une conclusion différente. Le projet de loi a été élargi hier sans qu'il y ait de mesures de sauvegarde. Aujourd'hui, nous traitons de mesures de sauvegarde, et j'arrive à la conclusion que la majorité des sénateurs voteront en faveur de l'amendement. Sans cette mesure de sauvegarde additionnelle, nous nous aventurons vraiment en terrain inconnu. Vous me demandez de prendre un risque avec la vie d'autres personnes sans les mesures de sauvegarde que vous allez examiner dès que vous aurez fini de les étudier conformément à l'article 9 du projet de loi.

Cette façon de faire ne me convient pas. J'opte donc pour la voie proposée par le sénateur Carignan : puisqu'une majorité de sénateurs ont décidé d'élargir la portée du projet de loi, ce qui affaiblit l'équilibre prévu, je tiens à ajouter immédiatement une protection, une protection externe. Je crois, comme le sénateur Enverga, qu'il ne serait pas idéal d'avoir recours à un système à l'intérieur du système, du moins à cette étape-ci.

La liste de toutes les personnes qui soutiennent votre projet de loi a accru ma nervosité, mais il s'agit d'associations et d'intervenants plutôt que des gens qui seront directement touchés, soit les Canadiens ordinaires. Voici ce que disent les Canadiens ordinaires : « Je ne veux pas souffrir. Je préférerais mourir que d'avoir à faire A, B ou C. » Je doute qu'ils aient tenu une discussion réfléchie avec des gens de partout au pays. La dernière a eu lieu ici même, lorsque le Sénat s'est penché sur l'euthanasie et les soins palliatifs. Nous avions alors conclu qu'il fallait d'abord voir aux soins palliatifs, puis déterminer comment procéder dans le cas de patients que les soins palliatifs ne peuvent pas aider ou qui ne souhaitent pas de tels soins.

Le sénateur Harder : Je tiens à souligner, tout d'abord, que je ne vous pousserai pas à voter dans un sens ou dans l'autre. La décision vous revient. Il m'apparaissait simplement important de parler de mes intentions de vote et des raisons qui expliquent ce choix. Je crois qu'il serait incohérent de ma part de tenter de rendre légitime ou raisonnable un geste posé par le Sénat hier soir.

Le sénateur Carignan : Le vote!

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Merci beaucoup. Je vous remercie, sénateur Carignan, de votre travail dans le cadre de ce projet de loi, comme dans tous vos dossiers. C'est toujours un immense plaisir de travailler avec vous, mais ce le fut particulièrement dans le contexte de ce projet de loi.

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de difficulté que je prends la parole aujourd'hui. Je préférerais ne pas parler. Si ma mère vivait encore, elle me dirait : « Eh bien, ne dis rien, alors. » Mon père, quant à lui, ajouterait : « Mais si ça te tient à cœur, tu dois parler. » Je prends donc la parole, comme me le conseillerait mon père.

Que Dieu te garde, papa.

Honorables sénateurs, le processus dont nous parlons est un processus judiciaire. Nous disons à ces personnes de faire appel à un juge. Or, pour parler à un juge, il faut faire appel à des avocats. Nous ne parlons pas de tribunaux de la santé. Nous parlons d'aller devant un juge.

Si nous parlions de tribunaux de la santé, ma position serait différente. Je tiens à mentionner que j'ai lu tout ce qui s'est passé hier et j'en suis tout à fait inquiète. J'ai prévenu les gens qui se préoccupent de moi dans cette institution : « N'allez pas m'abandonner après que je me sois exprimée; vous devez encore être mes amis. »

Permettez-moi de vous dire ce qui se produira selon l'Association des libertés civiles de la Colombie- Britannique si nous adoptons cet amendement : il en coûtera aux personnes gravement malades de 20 000 $ à 50 000 $ pour recourir au tribunal. Ces coûts seront un obstacle à l'accès, surtout pour les Canadiens ayant une maladie rare et ceux qui vivent dans une région rurale ou éloignée. L'obstacle que représentent les coûts supplémentaires touche de manière disproportionnée les aînés, les femmes et les minorités raciales, qui sont plus à risque de vivre dans la pauvreté. Une aide juridique ne sera pas offerte aux Canadiens à faible revenu qui sont gravement malades, et l'autorisation judiciaire préalable pourrait constituer un obstacle constitutionnel à l'accès.

J'ai avec moi le document complet de l'association. Si quelqu'un veut le lire, il est le bienvenu. Je ne le lirai pas en entier car je veux m'exprimer sur l'amendement.

Honorables sénateurs, je ne suis pas juge en chef de ma province, mais en tant qu'avocate qui pratique beaucoup là-bas, je sais que ceci sera une procédure de cabinet. Le juge ne se rendra pas à l'hôpital. Que fera-t-il une fois à l'hôpital? Examiner le patient? Il n'est ni médecin ni expert. Ce genre de cas sera probablement jugé en cabinet. Non, les gens ne seront pas vêtus en avocats. Ils ne porteront pas leur toge noire, mais ils iront tout de même en cour.

Si cette procédure devait avoir lieu devant un tribunal de santé, je ne vous parlerais pas de la même façon. Je trouve vraiment déplaisant de vous parler ainsi... c'est difficile, en tout cas.

Honorables sénateurs, je suis la première à vouloir des mesures de sauvegarde. Je sais que nous en avons besoin. Je ne m'y oppose donc pas. Je veux également avoir ce projet de loi. Je ne suis pas contre. Par contre, je veux un projet de loi qui puisse être utile à une immigrante hospitalisée qui n'a pas d'argent et qui ne peut pas accéder à l'aide juridique dans ma province. Dans ma province, vous ne bénéficierez pas de l'aide juridique si vous avez un enfant qui a été agressé ou maltraité. On n'y a pas accès si on cherche à obtenir la garde d'un enfant. Croyez-vous que l'aide juridique répondra à l'appel d'une immigrante hospitalisée? N'y pensez même pas. Jamais de la vie. Pas dans ma province. Je ne peux parler de personne d'autre. L'aide juridique n'est tout simplement pas disponible. Elle est uniquement réservée aux affaires criminelles. Demandez à qui vous voudrez. Il n'y en a pas. L'aide juridique n'interviendra pas dans un cas de ce genre.

Permettez-moi de vous dire, si je peux me maîtriser, que je suis d'accord : ce ne sera pas une procédure contradictoire, mais il faudra quand même présenter des preuves au juge. Il faudra quand même convaincre le juge de l'état de santé de l'intéressé.

Examinons la situation. Quel genre de preuves faudra-t-il présenter au juge? Passons en revue ces amendements. Il faut deux médecins. Je propose avec respect de modifier cette disposition pour y ajouter « infirmier praticien », terme qui est mentionné dans le projet de loi. Deux médecins.

Sénateurs, je pratique le droit dans ma province. Pour obtenir une simple lettre d'une page d'un médecin, il faut débourser entre 500 $ et 1 000 $. Je ne parle que d'une lettre d'une page. Il s'agit ici de faire l'historique de l'état de santé d'une personne. Un médecin aurait à prendre une très grave décision au sujet de sa vie. Il sera donc très prudent dans sa façon de rédiger la lettre. Nous lui demandons d'y décrire la maladie, le pronostic et la disponibilité de soins palliatifs. Je pourrais écrire tout un livre sur les soins palliatifs avec tout ce que mon père a dû subir. Dans un endroit huppé comme Vancouver- Ouest, en Colombie-Britannique, il n'y a pas de soins palliatifs. Donc le médecin, le juge ou l'avocat devra déterminer quels soins palliatifs existent dans le domaine.

(1700)

Ensuite, il y a tous les risques associés à l'aide médicale à mourir. C'est une autre chose que doit mettre sur papier le médecin. C'est plus de travail.

Je ne sais pas pour vous, mais, dans ma province, c'est très difficile de voir un psychiatre, et il faut le payer au moins 10 000 $. Ce ne sont pas des blagues. Je me heurte constamment à ce genre de situation, lorsque j'arrive à trouver un psychiatre.

Nous avons beaucoup entendu parler d'un cas en Alberta — deux médecins. Cela s'est passé à Red Deer. Il y avait un médecin à Red Deer, mais on n'a pas réussi à trouver un autre médecin dans toute la province de l'Alberta. Le deuxième médecin a parlé au patient et l'a examiné par Skype. Il venait de Vancouver; il n'a jamais vu ce patient en personne. C'est le cas albertain dont nous sommes tous très fiers. Donc, dans certaines régions, il n'y a pas deux médecins.

Honorables sénateurs, je vous demande d'étudier très attentivement cet amendement. Je veux appuyer l'amendement, mais ma conscience me dit que nous allons créer de terribles obstacles.

Honorables sénateurs, il y a une limite à ce que nous pouvons faire. Nos ressources sont limitées, et nous n'avons pas beaucoup de temps. Je vous demande bien humblement d'examiner très attentivement cet amendement, parce que le projet de loi n'aidera pas une femme immigrante qui a désespérément besoin d'un médecin et n'a accès à aucune ressource. Ce n'est pas drôle de dire qu'il faudra accueillir plus d'immigrants pour compenser le recours accru à l'aide médicale à mourir, parce que la situation aura une incidence sur nous tous.

Honorables sénateurs, il s'agit probablement de la décision la plus difficile que j'ai eue à prendre de ma vie, à part celle qui m'a poussée à fuir l'armée. Je vais à l'encontre de tout ce que j'ai défendu au cours des derniers jours, mais je ne dois pas trahir mes propres convictions. Si nous adoptons cet amendement, il ne restera rien de ce que nous avons défendu.

Je vous remercie.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Carignan, avec l'appui de l'honorable sénatrice Martin, propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3 :

a) à la page 6...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion d'amendement veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion d'amendement veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs.

L'agent de liaison du gouvernement et le whip de l'opposition ont- ils une recommandation à faire au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Mitchell : Quinze minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 17 h 20, honorables sénateurs.

(1720)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Lang
Ataullahjan Lankin
Baker MacDonald
Batters Maltais
Boisvenu Martin
Carignan McInnis
Cowan McIntyre
Dagenais Mockler
Eaton Omidvar
Eggleton Plett
Fraser Pratte
Frum Raine
Greene Seidman
Housakos Smith
Joyal Tannas
Kenny Tardif—32

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Beyak Merchant
Black Meredith
Campbell Mitchell
Cordy Moore
Day Munson
Downe Ogilvie
Doyle Oh
Duffy Patterson
Dyck Poirier
Gagné Ringuette
Harder Runciman
Jaffer Stewart Olsen
Johnson Tkachuk
Lovelace Nicholas Unger
Manning Wallace
Marshall Wallin
Massicotte Watt
McCoy White—37
Mercer

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Bellemare Enverga
Cools Sibbeston—4

Son Honneur le Président : Pour le débat à l'étape de la troisième lecture, la sénatrice Cools a la parole.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'interviens à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).

Le projet de loi constitue la réponse du nouveau gouvernement libéral à la décision de la Cour suprême dans l'affaire Carter c Canada (Procureur général). Je remercie la nouvelle procureure générale, Mme Wilson-Raybould, et la ministre de la Santé, la Dre Philpott, de leurs immenses efforts pour élaborer un projet de loi d'une telle ampleur en si peu de temps. Malheureusement, durant neuf des douze mois qu'a duré la suspension par la Cour suprême de la déclaration d'invalidité, le gouvernement précédent a pris bien peu de mesures pour que la Chambre des communes et le Sénat puissent adopter, comme l'a dit la cour, « [...] une loi compatible avec les paramètres constitutionnels énoncés dans les présents motifs. » Le 15 janvier dernier, la cour a accordé à la procureure générale une prolongation de quatre mois de la suspension de la déclaration. L'échéance a été fixée au 6 juin.

Les questions dont nous sommes saisis sont lourdes; elles portent sur la vie et la mort, la fin de vie et l'interruption de la vie. La Cour suprême, après avoir examiné l'alinéa 241b) et l'article 14 du Code criminel, a conclu qu'ils étaient nuls dans la mesure où ils prohibent l'aide d'un médecin pour mourir. La cour s'est également demandé si ces deux dispositions du Code criminel étaient conformes à l'article 7 de la Charte des droits et libertés de 1982, et elle a conclu qu'elles ne l'étaient pas. Voici ce que dit l'article 7 :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Honorables sénateurs, parmi les motifs qui sous-tendent l'arrêt Carter, la Cour suprême a statué au paragraphe 126 que :

[126] Nous sommes arrivés à la conclusion que les dispositions prohibant l'aide médicale à mourir (l'al. 241b) et l'art. 14 du Code criminel) portaient atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que l'art. 7 garantit à Mme Taylor, et ce d'une manière non conforme aux principes de justice fondamentale, et que cette atteinte n'était pas justifiée au regard de l'article premier de la Charte. Dans la mesure où les dispositions législatives contestées nient les droits que l'art. 7 reconnaît aux personnes comme Mme Taylor, elles sont nulles par application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il appartient au Parlement et aux législatures provinciales de répondre, si elles choisissent de le faire, en adoptant une loi compatible avec les paramètres constitutionnels énoncés dans les présents motifs.

En matière de redressement, la Cour suprême a statué, au paragraphe 127 que :

[127] La réparation appropriée consiste donc en un jugement déclarant que l'al. 241b) et l'art. 14 du Code criminel sont nuls dans la mesure où ils prohibent l'aide d'un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. Il convient d'ajouter que le terme « irrémédiable » ne signifie pas que le patient doive subir des traitements qu'il juste inacceptables. Cette déclaration est censée s'appliquer aux situations de fait que présente l'espèce. Nous ne nous prononçons pas sur d'autres situations où l'aide médicale à mourir peut être demandée.

(1730)

Chers collègues, en 1993, dans l'affaire Rodriguez c. Colombie- Britannique (Procureur général), la Cour suprême a rendu une décision sur l'aide médicale à mourir. Les cinq juges de la cour ont majoritairement conclu que ces articles du Code criminel ne violaient pas l'article 7 de la Charte et les ont maintenus. Le projet de loi C-14 est totalement nouveau, et légifère en terrain inconnu, soit l'aide dispensée par des médecins pour administrer des substances mortelles à des Canadiens qui le veulent. Ce sujet grave soulève moult questions d'ordre juridique, moral et éthique auxquelles il n'est pas facile de répondre. Mettre fin volontairement à une vie humaine est une proposition qui secoue notre sensibilité humaine et juridique et crée un malaise. Cette gravité est accrue par le rôle que la cour et le projet de loi ont confié aux médecins et au personnel infirmier et qui pourrait favoriser la méfiance envers les membres les plus estimés de la profession médicale, dont beaucoup sont assez inquiets. Je réfléchis à l'utilisation fréquente des nouvelles expressions « aide médicale au suicide » et « aide médicale à mourir ».

Honorables sénateurs, passons maintenant à l'alinéa 241b) et à l'article 14 du Code criminels, que la Cour suprême a déclaré nuls. L'alinéa 241b) dit ce qui suit :

241. Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :

b) aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort,

que le suicide s'ensuive ou non.

Une peine de 14 ans, c'est une peine sévère, surpassée seulement par une peine à perpétuité. Voici l'article 14 :

14 Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.

Pendant des siècles, en droit criminel, aucune personne ne pouvait consentir à être tuée. Il n'y a pas longtemps, le suicide, felo de se, était considéré comme un acte criminel à l'article 225 du Code criminel, qui disait :

225. Quiconque tente de se suicider est coupable d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

Comme il est plutôt difficile de poursuivre un défunt, cet article a été abrogé par la Loi de 1972 modifiant le droit pénal, au grand soulagement des proches des défunts.

Honorables sénateurs, depuis le 6 juin, l'alinéa 241b) et l'article 14 du Code criminel sont inopérants, et je cite « [...] dans la mesure où ils prohibent l'aide médicale à mourir que demandent des adultes capables [...] » Dans l'arrêt Carter, la Cour suprême a fait fi des dispositions de la common law britannique et du Code criminel du Canada — entré en vigueur en 1892 — qui protègent depuis des siècles la vie des êtres humains, ce qu'on décrit en philosophie morale comme le caractère sacré de la vie humaine. Depuis des siècles, la loi, les tribunaux et les membres du corps médical respectent ce caractère sacré. Personnellement, je considère la vie comme sacrée et je respecte la quête du sacré que recèlent l'âme et la psyché humaines. La vie est depuis toujours considérée comme le cadeau sacré que nous a fait le créateur tout-puissant, le dieu abrahamique, qu'on l'appelle Allah ou Jéhovah. À la page 125 de l'ouvrage Commentaries on the Laws of England, l'éminent juriste du XVIIe siècle William Blackstone a écrit ceci :

La vie est le cadeau immédiat de Dieu, un droit inhérent par définition à chaque personne.

Le caractère sacré de la vie humaine a été confirmé par la loi, les juristes et les médecins, qui ont juré de la protéger. Il fut même un temps où les médecins devaient prononcer l'ancien serment d'Hippocrate, qui est aujourd'hui tombé en désuétude. En voici un extrait :

Je jure [...] que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants : [...] Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion; [...] Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté [...] Dans quelque maison que je rentre, j'y entrerai pour l'utilité des malades [...]

Il a toujours répugné aux estimés membres de la profession médicale, les médecins, d'administrer des substances létales. Bien des médecins se demandent pourquoi la Cour suprême leur a confié cette horrible tâche et ils éprouvent, à bon droit, beaucoup d'appréhensions. Je répète qu'au paragraphe 126 de l'arrêt Carter, la Cour affirme que l'alinéa 241b) et l'article 14 du Code criminel, qui prohibent l'aide médicale à mourir :

[portent] atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que l'art. 7 garantit à Mme Taylor [...]

Le 6 juin, ces dispositions ont été rendues nulles en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui dit ceci :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Honorables sénateurs, je n'arrive pas à comprendre comment notre droit le plus important, le droit à la vie, pourrait s'accorder avec le droit à l'aide médicale à mourir. Aucun droit ni aucune loi ne peut obliger légalement une personne à mettre fin à la vie d'une autre personne. Je me reporte aux grands maîtres de la common law, qui ont formulé nos droits et libertés. Ces maîtres nous guident depuis des siècles. Je parle de l'éminent avocat et juriste du XVIIe siècle, Matthew Hale, et de William Blackstone, dont je cite encore une fois le premier livre des Commentaries on the Laws of England, dans le chapitre sur les droits de la personne. Voici ce qu'il dit à la page 125 :

Le droit à la sécurité personnelle signifie le droit de chacun de jouir légalement et sans interruption de sa vie, de ses membres, de son corps, de sa santé et de sa réputation.

Ces propos ressemblent à ce que dit l'article 7 de la Charte :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Blackstone a dit ce qui suit : « Le droit à la sécurité personnelle [...] et le droit de jouir [...] sans interruption de sa vie ». L'article 7 de la Charte prévoit : « Chacun a droit à la vie [...] et à la sécurité de sa personne [...] ». Les deux documents ressemblent à la Déclaration d'indépendance des États-Unis, qui dit ceci :

[...] que tous les êtres humains naissent égaux et qu'ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, dont la vie, la liberté [...]

Ces énoncés se ressemblent parce que ce sont les paroles de Blackstone. À l'instar des Yankees, les Pères de la Confédération canadienne se sont inspirés de son travail en matière de droits et de libertés.

Honorables sénateurs, le juge Mathew Hale, dans son ouvrage History of the Pleas of the Crown Volume I publié en 1736, puis publié de nouveau par Sollom Emlyn en 1800, a écrit ceci à la page 411 :

Aucun homme n'a un intérêt absolu en lui-même, mais 1. Dieu tout-puissant a un intérêt en lui et il lui appartient, c'est pourquoi le suicide est un péché contre Dieu. 2. Le roi a un intérêt en lui, c'est pourquoi il y a lieu de considérer le suicide comme felonice et voluntarie seipsum interfecit et murderauit contra pacem domini regis.

Le latin dit :

[...] le meurtre criminel et délibéré de soi-même, qui est contraire à la paix du roi.

Aucune personne n'a un intérêt absolu à l'égard de sa vie. Toutes les personnes ont un intérêt à l'égard de la vie de leurs proches et de leurs semblables. Sa Majesté la reine et ses ministres canadiens ont un intérêt à l'égard de la vie de chacun des Canadiens. Il en est de même pour Dieu. Nous ne devrions pas nous arrêter au seul consentement de la personne qui souhaite mettre fin à ses jours. La famille a un vif intérêt à l'égard de la vie d'un de ses membres qui souhaite mourir. Nous avons toujours adhéré à la maxime juridique et morale qui dit qu'aucune personne n'a un intérêt absolu à l'égard de sa vie. Nous sommes tous membres d'une seule et même famille. Comme l'a déclaré le poète John Donne :

Personne ne vit seul sur une île [...] la mort d'une personne est une perte pour moi parce que je fais partie de l'humanité.

Honorables sénateurs, Margaret Somerville, du Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill, nous prévient des dangers de la modernité. Dans un article intitulé « Somerville : Euthanasia's slippery slope can't be prevented » paru dans l'édition du 3 mars 2014 du Calgary Herald, elle écrivait ceci :

Les arguments contre la légalisation de l'euthanasie [...] sont difficiles à présenter [...] C'est que les risques et les préjudices sont intangibles et difficiles à cerner dans une optique présente et future. Il se pourrait entre autres que l'on abuse de personnes vulnérables, que la philosophie ou l'éthique de la médecine soient minées, que la loi ne puisse plus être aussi porteuse de l'idée de respect pour la vie, que d'importantes valeurs communes et fondamentales qui servent de ciment à la société soient atteintes — nous éprouvons de l'empathie les uns pour les autres [...] nous n'ôtons pas la vie intentionnellement à un autre être humain [...]

(1740)

Une fois dépassée la limite claire qui interdit de tuer intentionnellement, il n'y a plus d'argument logique pour nous arrêter.

Au moment où on rend légale l'euthanasie, les arguments habituellement nécessaires et suffisants pour justifier l'infraction à cette règle sont le respect de l'autonomie individuelle et le soulagement de la souffrance [...]

Or, si notre vie nous appartient et que personne d'autre n'a le droit de s'ingérer dans nos décisions à cet égard [...], on en déduit que le respect de l'autonomie individuelle suffit pour justifier l'euthanasie. Autrement dit, endurer des souffrances n'est pas une condition nécessaire pour y être admissible [...], d'où la proposition faite aux Pays-Bas de rendre l'euthanasie accessible aux personnes « âgées de plus de 70 ans et lassées de la vie ».

Si on ouvre la porte à d'autres arguments en faveur de l'euthanasie, pourquoi ne pas considérer les économies en matière de soins de santé, étant donné le vieillissement de la population? Jusqu'à tout récemment, il était impossible d'aborder cette question [...] Une anecdote : j'ai suscité la vive colère d'un étudiant en dernière année de médecine [...] en rejetant l'assertion qu'il est essentiel de rendre l'euthanasie légale pour réduire les coûts des frais de soins de santé d'une population vieillissante.

En pratique, nous nous engageons inévitablement sur une pente glissante, car rendre familier le fait d'infliger la mort nous fait perdre de vue le caractère monstrueux de l'euthanasie, qui consiste à enlever la vie à un autre être humain. Il en va de même avec le fait de faire de l'euthanasie un acte médical.

Honorables sénateurs, lors de la séance en comité plénier tenue le 1er juin, la ministre de la Santé, la Dre Jane Philpott, a déclaré :

Vous êtes saisis aujourd'hui d'un cadre législatif transformateur, qui, selon nous, représente la meilleure...

Chers collègues, pourrais-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président : Demandez-vous cinq minutes de plus? D'accord?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, lors de la séance en comité plénier tenue le 1er juin, la ministre de la Santé, la Dre Jane Philpott, a déclaré ce qui suit :

Vous êtes saisis aujourd'hui d'un cadre législatif transformateur, qui, selon nous, représente la meilleure approche pour le Canada [...]

En prévoyant des exceptions au Code criminel [...] il permettra aux Canadiens d'avoir accès à l'aide médicale à mourir [...]

L'aide médicale à mourir sera offerte à compter du 6 juin [...] Par conséquent, l'aide médicale à mourir deviendra légale, mais les critères d'admissibilité et les mesures de protection prévus dans le projet de loi C-14 [...] ne seront pas encore mis en application.

Cela me préoccupe, chers collègues.

L'étude des projets de loi est instructive. Elle nous permet de saisir l'optique et le cadre conceptuel des rédacteurs ainsi que les idées, les mots, les phrases et les dispositions des projets de loi, de même que les maux qu'ils élimineront. Le texte du Code criminel est dur. Il vise trois buts : éradiquer le mal et les comportements répréhensibles qui lui permettent de se répandre, préserver le bien et prescrire, réglementer, poursuivre ainsi que punir le crime.

Le projet de loi C-14 a été rédigé avec grand soin. Je l'appuie et j'invite mes collègues à en faire autant. J'appuie l'approche du projet de loi, qui concorde avec la volonté que nous avons toujours eue de n'accorder à personne le pouvoir positif de mettre fin à la vie d'autrui.

Le droit pénal ne reconnaît ni n'accorde à personne un tel droit ou pouvoir positif. La peine de mort est abolie depuis longtemps pour cette raison. Le projet de loi est sensé et brillant. Il confirme le droit qui rejette de longue date un tel droit positif en refusant d'établir un pouvoir de la sorte. Il recourt au droit pénal fédéral pour protéger les médecins et les autres professionnels de la santé, à qui il donne la certitude qu'ils sont à l'abri de poursuites au criminel. Il énonce quelque 12 exemptions à cette fin. Ce projet de loi confirme la souveraineté du Parlement et de notre travail.

Chers collègues, en fin de compte, il ne s'agit pas de savoir ce que la cour a dit ou n'a pas dit. En raison de la souveraineté du Parlement, nous devons prendre nos décisions ici en fonction de ce que nous estimons juste et indiqué en faisant preuve de toute la diligence voulue.

Plus important encore, honorables collègues, le Parlement n'a pas à se plier à toutes les exigences de la Cour suprême. La Cour suprême nous a soumis un avis et un jugement, mais c'est au Sénat de rendre son propre jugement et de prendre ses propres décisions. Je ne pense pas un instant que le jugement du Sénat ne devrait être qu'une copie conforme de ce qu'a dit la cour. Nous avons sûrement d'autres idées et propositions intelligentes à soumettre.

Je dois dire que je ne comprends pas comment le personnel de la procureure générale et les rédacteurs du ministère de la Justice ont pu élaborer un projet de loi aussi exhaustif en si peu de temps. Nous devrions les en féliciter. Ils ont tenté de créer un cadre conceptuel précis, et je crois que nous devrions en respecter les limites. Nous devrions proposer des amendements, mais ils ne devraient pas récrire l'essentiel du projet de loi ni dépasser la portée du projet de loi.

En ce sens, je suis favorable à ce projet de loi. Je tiens de nouveau à souligner que ce projet de loi respecte la souveraineté du Parlement, du Sénat et de la Chambre des communes, qui forment l'ancienne Haute Cour du Parlement, qui, comme je l'ai dit hier, est une cour compétente qui a tous les pouvoirs nécessaires pour prendre des décisions fondées sur l'avis et la volonté de ses membres.

J'ai écouté de nombreux sénateurs au cours des derniers jours. Je ne peux m'empêcher de souligner la méfiance, le chagrin et l'angoisse que j'ai remarqués chez beaucoup d'entre eux. Je pense que le désarroi et le chagrin qu'ils nous ont fait voir sont bien réels, car c'est une réaction à l'ampleur des décisions que nous prenons ce soir, dans cette enceinte.

Merci beaucoup, Votre Honneur, et j'espère m'être exprimée clairement. Le génie de ce projet de loi, c'est qu'il n'énonce aucunement le droit positif de tuer. C'est un fait politique, parlementaire et juridique, et j'en félicite le ministère. Je salue la procureure générale, la ministre de la Santé et le premier ministre. Je vous salue également, Votre Honneur.

Son Honneur le Président : La sénatrice Eaton a la parole.

L'honorable Nicole Eaton : Votre Honneur, chers collègues, j'interviens aujourd'hui dans le cadre de notre examen du projet de loi C-14, qui propose certaines dispositions autorisant l'aide médicale à mourir.

Il convient, dans les circonstances, de se remémorer les paroles de Cicéron, sénateur romain et philosophe, constitutionnaliste et orateur d'exception, à qui est attribué le vieil adage voulant que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.

Bien que bon nombre des sénateurs qui sont intervenus dans le débat soient susceptibles d'affirmer le contraire, j'estime que c'est la vérité absolue.

Tant qu'il y a de la vie, il y a bel et bien de l'espoir : l'espoir que l'on soulage ses souffrances au seuil de la mort, l'espoir que l'on ait les idées claires lorsqu'on prend des décisions sur la vie et la mort, l'espoir que les patients et leurs êtres chers bénéficieront des meilleurs soins possibles.

(1750)

S'il est vrai que l'espoir fait vivre, Cicéron s'est montré tout aussi sage quand il a déclaré que la liberté avait une valeur inestimable.

Voilà le cœur du débat. L'écart et les divergences entre ces deux expressions illustrent toute l'ampleur de l'enjeu à l'étude.

C'est peut-être la première fois que nous sommes confrontés à un projet de loi qui crée un tel choc entre les valeurs morales, la foi, l'éthique, la conscience et les droits, chacun tentant de devenir le facteur le plus important.

[Français]

Nous avons entendu une foule de réflexions provenant de différents milieux au sujet de cette loi proposée, de sa conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés et de son éthique.

[Traduction]

Pourtant, chacun des arguments présentés me rappelle, de façon frappante, qu'il ne s'agit pas simplement de discours ronflants sur l'éthique d'un concept intellectuel extrêmement profond; il s'agit de beaucoup plus.

Chers collègues, l'objet de ce projet de loi est véritablement une question de vie ou de mort.

[Français]

À titre de parlementaires, nous avons été appelés par la plus haute cour du pays à donner des conseils sur l'élaboration d'un moyen législatif pour guider et orienter de façon responsable la pratique de l'aide médicale à mourir.

[Traduction]

Nous voilà donc, en cette Chambre de second examen objectif, à étudier une mesure législative nécessaire, à en débattre et à en recommander l'adoption ou l'amélioration.

La tâche qui nous incombe, selon moi, consiste à faire en sorte que le projet de loi trouve un juste équilibre entre la vie et l'espoir, tout en respectant la liberté des personnes atteintes d'un problème de santé irrémédiable. Nous avons écouté les arguments de nos collègues selon lesquels la loi devrait refléter une vision large de l'aide médicale à mourir. Ils souhaiteraient nous voir suivre les propositions formulées dans le rapport du Comité mixte spécial, déposé plus tôt cette année, et dont les sénateurs Ogilvie et Cowan ont parlé en ces lieux.

Un avertissement s'impose, toutefois : il ne faudrait pas, volontairement ou non, faire que l'aide médicale à mourir devienne une façon normale de mourir pour les Canadiens. Elle ne doit servir que dans des circonstances exceptionnelles; c'est une solution de dernier recours réservée aux personnes qui répondent clairement aux critères d'admissibilité.

Aujourd'hui, je veux parler de la nécessité, dans ce projet de loi, de faire en sorte que toutes les options soient disponibles pour améliorer la qualité de vie d'une personne et atténuer ses douleurs et ses souffrances avant qu'elle ne prenne la décision de mettre fin à ses jours. Soyons réalistes, il n'y a pas de répétition pour la mort; il n'y a pas de bretelle de sortie sur la route vers le repos éternel. Cela est particulièrement vrai dans notre société moderne du jetable, où les objets conçus pour devenir désuets sont expédiés aux ordures au premier soupçon de difficulté. Nous le devons à la société et aux jeunes générations de ne pas présenter d'option de rechange embrassant la fausse notion que les souffrances et les difficultés ne sont pas une réalité de facto de nos vies.

Le facteur peut-être le plus fondamental pour l'admissibilité des patients est de s'assurer que les Canadiens qui envisagent l'aide médicale à mourir ont accès à des soins palliatifs de grande qualité.

Nous avons beaucoup entendu parler des soins palliatifs dans le débat entourant cette question, mais mes recherches m'ont appris que peu de gens comprennent vraiment la véritable nature des soins palliatifs et leurs bienfaits. L'Organisation mondiale de la Santé définit les soins palliatifs comme étant :

[...] une approche qui améliore la qualité de vie des patients et des familles confrontés à une maladie engageant le pronostic vital grâce à la prévention et au soulagement des souffrances au moyen d'une identification précoce et d'une évaluation et d'un traitement impeccables de la douleur et des autres problèmes, qu'ils soient physiques, psychosociaux ou spirituels.

Loin d'être la voie rapide vers la fin de la vie comme beaucoup les considèrent, les soins palliatifs peuvent en fait n'avoir pour but ni de précipiter ni de retarder la mort. Leur objectif est d'améliorer la qualité de vie. Ils affirment la vie et considèrent la mort comme un processus normal. Ils intègrent les aspects psychologique et spirituel des soins du patient et emploient une approche d'équipe pour répondre aux besoins des patients et de leur famille.

Le Dr Ignazio La Delfa est directeur médical de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital St. Michael's de Toronto. À son avis, il faut éduquer les médecins, le personnel infirmer, les professionnels de la santé et les spécialistes sur l'aide médicale à mourir avant de pouvoir l'offrir.

[Français]

Selon lui, les soins palliatifs ne mènent pas à la mort. Ils visent à permettre aux patients de vivre leur vie jusqu'à ce qu'ils meurent, en prévoyant tous les soins requis pour éviter les souffrances inutiles.

[Traduction]

Il est question de mourir dans la dignité en réduisant la souffrance et en atténuant les autres symptômes. Ainsi, le patient sent qu'il a le contrôle de la situation.

Le Dr La Delfa a également fait valoir que, parmi les milliers de patients qu'il a traités au fil des années, très peu d'entre eux — moins de 10 — ont demandé l'aide médicale à mourir. Qui plus est, ce chiffre diminue encore plus si les patients reçoivent une consultation en soins palliatifs.

Malgré ces réalités, le Dr La Delfa maintient que les gens — y compris de nombreux professionnels de la santé — ont peur des soins palliatifs parce qu'ils les comprennent mal. En fait, il nous a dit qu'il y a un peu plus de 10 ans, aucun établissement de soins de santé ni école de médecine de premier cycle ou de cycles supérieurs n'enseignait les soins palliatifs de façon officielle. Par conséquent, il y a maintenant deux générations de médecins et de professionnels de la santé qui en connaissent très peu au sujet des soins palliatifs. Ils peuvent prévoir le début d'une maladie en phase terminale, mais en connaissent peu sur la façon de prodiguer les soins nécessaires pour aider les personnes souffrantes et pour gérer la maladie jusqu'à ce qu'elle l'emporte sur les victimes.

Le vice-président du professionnalisme médical de l'Association médicale canadienne, le Dr Jeff Blackmer, semble être du même avis que le Dr La Delfa. Dans un rapport publié cette semaine dans le Hill Times, le Dr Blackmer fait valoir que les médecins doivent être mieux formés en matière de soins palliatifs et que cette formation ne doit pas être axée uniquement sur les personnes qui n'ont qu'une semaine à vivre. Selon lui, les patients aux prises avec diverses conditions pourraient profiter des soins palliatifs. Il a également ajouté qu'il ne voudrait jamais voir une situation où une personne demande l'aide médicale à mourir parce qu'elle n'a pas pu obtenir de soins palliatifs.

Les recherches menées par le Dr Blackmer et par l'Association médicale canadienne montrent qu'entre 1 p. 100 et 3 p. 100 des Canadiens demanderont l'aide médicale à mourir, tandis que le reste de la population, soit environ 90 p. 100, pourrait profiter de meilleurs soins palliatifs. Il a ajouté que l'Association médicale canadienne préconisera le rétablissement du Secrétariat des soins palliatifs et des soins de fin de vie de Santé Canada et des lignes directrices nationales normalisées.

Selon le Dr La Delfa, ce n'est que depuis peu que la société accepte de plus en plus de parler des soins palliatifs et de discuter des mesures qui doivent être prises pour mieux gérer l'état des patients et améliorer leur situation pendant le temps qu'il leur reste à vivre, au lieu de simplement se préparer à leur mort.

Cela montre à quel point les soins palliatifs sont importants. Nous devrions accepter qu'ils soient inclus dans cette mesure législative et comprendre que ces dispositions pourraient réduire le nombre de demandes d'aide médicale à mourir.

En somme, les soins palliatifs peuvent redonner espoir aux patients et donc, ils peuvent améliorer et prolonger leur vie, de façon positive, même si leur maladie est incurable. Lorsqu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, et les soins palliatifs peuvent prolonger la vie des patients et leur redonner espoir.

Donc, honorables sénateurs, si les soins palliatifs comportent tant d'avantages, quelles sont les mesures qui ont été prises par le Parlement pour veiller à ce qu'ils fassent partie intégrante des soins de santé offerts au Canada?

En juin 1995, le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide a publié son rapport, intitulé De la vie et de la mort. Dans ce rapport, le comité demandait au gouvernement d'accorder la priorité aux soins palliatifs lors de la restructuration du système de soins de santé.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme il est maintenant 18 heures, conformément à l'article 3-3(1) du Règlement, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu'à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l'heure. Souhaitez-vous ne pas tenir compte de l'heure?

Des voix : D'accord

Son Honneur le Président : D'accord.

La sénatrice Eaton : En juin 2000, le sous-comité du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié son rapport final intitulé Des soins de fin de vie de qualité : chaque Canadien et Canadienne y a droit, qui mettait à jour le contenu du rapport De la vie à la mort.

[Français]

Il a recommandé que la qualité des soins de fin de vie soit mise au cœur du système de soins de santé du Canada. Le rapport a affirmé la notion selon laquelle chacun a le droit de mourir dans un confort relatif, si possible sans détresse physique, émotionnelle, psychosociale ou spirituelle.

(1800)

[Traduction]

En 2005, cinq ans plus tard, la sénatrice Carstairs a publié un rapport intitulé Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des soins de fin de vie de qualité : Rapport d'étape, qui contenait une série de recommandations nouvelles destinées à faire en sorte que les efforts entrepris en 1995 et 2000 portent leurs fruits. Ajoutez à cela le travail effectué en 2007 et 2008 par le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, et vous aurez une bonne idée de la multitude de travaux réalisés pour faire des soins palliatifs un pilier du système de santé du Canada.

Dans l'autre endroit, un autre jalon a marqué cette longue marche : l'adoption, en 2013, de la motion M-456, présentée par le député néo-démocrate Charlie Angus. Cette motion réclamait l'établissement d'une stratégie pancanadienne de soins palliatifs et de fin de vie, de concert avec les provinces et les territoires. Pourtant, au cours des 21 années qui se sont écoulées depuis que le Parlement a commencé à se pencher sur cette question, l'abondance d'initiatives ne nous a pas du tout permis d'assurer aux Canadiens qu'ils pourront bénéficier de soins palliatifs de grande qualité. On ne peut pas dire pour autant que les parlementaires sont dépourvus de bonnes intentions dans leur débat sur les soins palliatifs, au contraire. Au cours de la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui a eu lieu au début de mai et lors de laquelle la ministre de la Santé, Mme Philpott, est venue défendre ce projet de loi, elle a beaucoup insisté sur l'importance des soins palliatifs :

Nous avons écouté les Canadiens, qui nous ont clairement manifesté leur préférence pour les soins à domicile, et nous sommes donc prêts à procéder à des investissements de taille au cours de notre mandat, de l'ordre de 3 milliards de dollars, afin d'améliorer la qualité de ces soins, y compris les soins palliatifs, au profit des Canadiens.

Puis elle a ajouté ceci :

J'ai déjà communiqué avec mes collègues des provinces et des territoires pour discuter des transformations nécessaires à notre système de soins de santé, de sorte à permettre les soins à domicile, y compris les soins palliatifs, qui sont une priorité partagée.

Lorsque la ministre Philpott a comparu la semaine dernière devant nous en comité plénier, elle a défendu encore plus l'importance des soins palliatifs. Elle a dit ce qui suit :

[...] des études montrent que moins de 30 p. 100 — certaines études disent 10 à 15 p. 100 — des Canadiens peuvent recevoir des soins palliatifs de qualité. Je trouve que c'est inacceptable. Nous devons donc en faire davantage. À titre de la ministre de la Santé, je m'y engage fermement.

Comme vous le savez, la prestation des services de santé relève toutefois des provinces et des territoires. Je suis impatiente de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Pour réaliser cet objectif et trouver des façons d'étendre les programmes qui fonctionnent bien à l'ensemble du pays, nous sommes prêts à faire des investissements considérables [...]

J'espère que vous nous aiderez à trouver des façons de mieux servir les Canadiens.

Bien que je trouve de tels commentaires encourageants, il doit y avoir un équilibre entre le discours et la réalité. Le budget fédéral du gouvernement libéral présenté en mars dernier ne prévoyait aucun fonds pour les soins palliatifs, pas plus que le Budget supplémentaire des dépenses (A) 2016-2017 du ministère des Finances, actuellement à l'étude au Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Donc, pendant que le gouvernement est tout excité à l'idée d'adopter immédiatement le projet de loi C-14, il semble certainement moins pressé d'inclure des fonds pour des choses essentielles à la gestion de la douleur et de la souffrance des personnes visées par les dispositions du projet de loi.

Chers collègues, nous pouvons remédier à cela. C'est notre chance d'ajouter foi aux efforts inlassables de notre collègue, l'ancienne sénatrice Sharon Carstairs, dont le rapport de 2005, comme je l'ai mentionné plus tôt, Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des soins de fin de vie de qualité : Rapport d'étape, sonne aussi vrai aujourd'hui qu'il y a une décennie.

Son Honneur le Président : Sénatrice Eaton, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Eaton : Pourrais-je avoir encore cinq minutes?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Eaton : En ajoutant des dispositions sur les soins palliatifs au projet de loi, nous pourrions insister sur le fait que, pour que le consentement libre et éclairé des patients qui demandent l'aide médicale à mourir puisse être établi, il faudrait effectuer une évaluation à l'égard des soins palliatifs. Les patients auraient ainsi l'assurance d'être bien informés des traitements, des technologies et des mesures de soutien qui leur sont offerts pour les soulager de leurs souffrances. Je sais que certains pensent que l'inclusion des soins palliatifs dans la mesure législative n'est pas pratique et que ces soins sont l'équivalent d'une panacée en ce qui concerne les soins de fin de vie. Selon moi, il nous incombe au contraire d'insister pour que le gouvernement agisse à cet égard; c'est notre rôle. Ne devrions-nous pas forcer le gouvernement à agir? Oui, absolument. C'est notre devoir de le faire.

[Français]

Honorables sénateurs, cette mesure toute simple, pourtant si importante, contribuerait à mettre les soins palliatifs au cœur de ce projet de loi pour lui conférer une plus grande certitude.

[Traduction]

L'insertion de ces mesures dans le projet de loi pourrait en rendre les dispositions plus évolutives que définitives. Elle pourrait orienter doucement la législation vers ces questions, comme certains de nos collègues en ont exprimé le souhait la semaine dernière. Même si cette possibilité ne reflète pas nécessairement mes convictions personnelles, je dois pencher du côté du pragmatisme dans ce dossier où les conséquences sont pour le moins définitives.

Honorables sénateurs, le poète Robert Frost a écrit ceci : « Il n'y a que la clémence qui puisse rendre juste l'injustice. » Faire en sorte que le projet de loi permette la prestation de soins palliatifs en fin de vie serait un moyen clément de remédier à la fin injuste des personnes dont les souffrances sont extrêmes.

Motion d'amendement

L'honorable Nicole Eaton : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 3, à la page 6, par substitution, à la ligne 2, de ce qui suit :

« médicale à mourir après avoir obtenu une consultation sur les soins palliatifs ou une évaluation à cet égard et après avoir été informée des traitements, des moyens technologiques et du soutien à sa disposition pour apaiser ses souffrances. ».

Je vous remercie.

Son Honneur le Président : L'honorable sénatrice Eaton, avec l'appui de l'honorable sénatrice Unger, propose que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 3, à la page 6... Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Sénatrice Eaton, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Eaton : Oui.

[Français]

L'honorable Claudette Tardif : Je suis préoccupée, tout comme vous, par la question des services palliatifs. Il est important que tous les Canadiens aient accès à des soins palliatifs de haute qualité. Je reconnais comme vous qu'il y a un manque de soins palliatifs dans notre pays.

Cependant, les soins palliatifs sont associés à des soins donnés à des gens qui sont près de la mort, un ou deux mois avant la fin de leur vie. Comment réconcilier alors le fait que l'amendement suggéré rendrait accessibles ces soins palliatifs à des gens qui pourraient souffrir d'une maladie irrémédiable et dont la souffrance est intolérable, mais qui ne sont pas à la fin de leur vie et pour qui la mort n'est pas prévisible dans un délai très court? Comment pourrait-on mettre sur pied un tel système de façon pratique?

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénatrice Eaton, je vous préviens, avant que vous ne commenciez à répondre, que vous allez manquer de temps, car d'autres sénateurs souhaitent vous poser des questions. Lui accordons-nous cinq minutes de plus, chers collègues?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : On vous écoute, sénatrice Eaton.

La sénatrice Eaton : Merci infiniment. Je crois, comme l'a dit le Dr La Delfa, que je vous ai cité, que la plupart des gens ne comprennent pas la nature exacte des soins palliatifs. Instinctivement, aussitôt que les gens entendent ces deux mots, soins palliatifs, ils pensent à une personne en fin de vie. Mais les soins palliatifs peuvent aussi être prodigués aux personnes souffrant d'une maladie chronique, à qui ils offrent une meilleure qualité de vie.

En inscrivant dans le cadre réglementaire et dans la loi que les gens seront tenus de faire l'objet d'une évaluation à l'égard des soins palliatifs où on leur expliquera ce qu'il est possible de faire dans leur cas, les provinces, le gouvernement fédéral et les facultés de médecine n'auront d'autre choix que de prendre conscience que, de nos jours, les soins palliatifs ne sont plus un luxe. Il est révolu le temps où les soins palliatifs étaient considérés comme une spécialité un peu marginale. Si nous sommes pour autoriser l'aide médicale à mourir, nous devons aussi offrir l'option opposée aux gens. Nous en avons le devoir.

L'honorable James S. Cowan (leader des libéraux au Sénat) : La sénatrice Eaton accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Eaton : Absolument.

(1810)

Le sénateur Cowan : Désolé, sénatrice Eaton, mais j'ai dû m'absenter pendant une partie de votre discours. Vous et moi avons discuté de ce sujet il y a quelque temps. Nous pensons tous les deux qu'il faut garantir une meilleure disponibilité des soins palliatifs et veiller à ce que les gens comprennent ce que ces soins peuvent apporter aux patients. J'apprécie la réponse que vous venez de donner à ma collègue.

Au cours des travaux de notre comité mixte, où les gens étaient largement favorables aux soins palliatifs, là aussi, nous avons entendu dire, entre autres, que les soins palliatifs ne pouvaient pas être aussi facilement obtenus partout au pays. Je suis certain que nous sommes d'accord également pour dire qu'il faut remédier à ce problème. Nous devons demander instamment aux pouvoirs publics, à tous les échelons, comme vous venez de le dire, qu'ils améliorent et qu'ils étendent la disponibilité de ces services.

La seule chose qui m'inquiète — et je crois que vous en avez parlé lors de notre discussion précédente —, c'est qu'on veut pouvoir faire une évaluation du patient en vue de lui expliquer quels soins palliatifs peuvent lui être fournis, alors que, malheureusement, ces soins ne sont pas disponibles partout au pays. Alors, il s'agit d'un obstacle. Nous avons abondamment parlé aujourd'hui des obstacles empêchant les gens d'obtenir de l'aide médicale à mourir. Je ne voudrais pas qu'un manque de disponibilité des soins palliatifs soit, indépendamment de la volonté des patients, un obstacle les empêchant de les obtenir. Seriez-vous d'accord avec moi?

La sénatrice Eaton : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Étiez- vous au Sénat en 1995?

Le sénateur Cowan : Non.

La sénatrice Eaton : Non, vous étiez beaucoup trop jeune.

Le sénateur Cowan : Je donne peut-être cette impression, mais je n'y étais pas.

La sénatrice Eaton : Cette à cette époque que la sénatrice Carstairs a commencé une étude sur la question, et depuis, trois ou quatre rapports ont été publiés.

Je pense que vous avez tout à fait raison. On ne voudrait pas empêcher une personne d'y avoir accès. Comme l'a dit notre estimé collègue, le sénateur Joyal, ce n'est pas à nous de régir la façon dont les provinces procéderont. Je pense qu'il nous incombe d'obliger les gouvernements à réfléchir à ce qu'ils peuvent faire pour faciliter l'accès.

Une autre question a été soulevée ici — et nous n'en avons pas encore beaucoup discuté —, et c'est le fait que, selon moi, les gens ne se bousculeront pas aux portes de l'éternité lorsque la loi sera adoptée. Il y aura peut-être une légère augmentation des cas dans chaque province, et progressivement, on apprendra à gérer ce qui est prévu dans le projet de loi.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Sénatrice Eaton, au comité, vous avez soulevé la question des soins palliatifs. Je suis très heureuse que vous l'ayez fait. Comme vous l'avez dit, on ne parle pas seulement de la fin de la vie, mais peut-être d'une maladie chronique, ou de bien des choses. J'espère que nous envisagerons — que cela vienne de vous ou d'un projet de loi d'initiative parlementaire — d'effectuer une autre étude. C'est très important. C'est vraiment de cela qu'il est question. Si les gens avaient accès à des soins palliatifs de qualité, ce serait très efficace.

Ce que j'ai du mal à comprendre, sénatrice Eaton — je suis sûre que vous vous êtes penchée sur la question, comme moi, mais je n'ai pas trouvé de réponse —, c'est comment on intègre cela au Code criminel, car c'est un projet de loi pénal, et comment cela se transforme-t-il en soins palliatifs? Comment cela cadre-t-il avec le Code criminel? Je tente de comprendre.

La sénatrice Eaton : Vous avez de la difficulté? Je ne suis pas avocate, ce serait donc encore plus difficile pour moi. Selon moi, cet élément devrait faire partie des conditions. La capacité d'un demandeur d'aide médicale à mourir doit être évaluée par deux personnes indépendantes. Il s'agirait d'ajouter une évaluation en matière de soins palliatifs. C'est tout simplement une étape de plus à franchir pour fait en sorte que le patient connaisse toutes les options.

Si un être cher souhaitait obtenir de l'aide médicale à mourir, je me sentirais mieux si on le renseignait sur les autres médicaments ou appuis possibles.

L'honorable Joseph A. Day : La sénatrice Eaton accepte-t-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Eaton : Oui.

Le sénateur Day : La question fait suite à celle du sénateur Cowan. C'est au sujet de votre amendement au libellé proposé à l'article 241.2 à la page 6. En fait, il s'agit d'un des prérequis à l'aide médicale à mourir énoncés au paragraphe (1).

Le prérequis que vous proposez consiste à exiger l'obtention d'une consultation sur les soins palliatifs. Vous avez utilisé le mot « consultation » dans l'amendement. Le mot « évaluation » aurait pu constituer un amendement intéressant, mais c'est le mot « consultation » qui a été choisi. Or, dans certaines collectivités, il y a peu ou pas de soins palliatifs offerts et ceux qui existent vont aux patients en fin de vie.

Comment éviter que votre amendement empêche l'accès aux soins?

La sénatrice Eaton : Trois rapports sénatoriaux ont recommandé d'élargir l'accessibilité aux soins palliatifs au Canada. L'actuelle ministre de la Santé a déclaré que les Canadiens se sont exprimés à cet égard et que 3 milliards de dollars seront réservés aux soins à domicile et aux soins palliatifs. Comment s'assurer que cela se réalise? Comment faire pour que les hôpitaux et les écoles de médecine en Nouvelle-Écosse, au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest forment enfin les médecins et les infirmiers praticiens dans ce domaine, parce qu'il s'agit bel et bien d'une spécialité? Ce n'est pas quelque chose qui s'apprend. Comment inciter les gens à agir? Comment amener le gouvernement à rendre les soins palliatifs plus largement accessibles si nous ne profitons pas d'occasions comme celle offerte par le projet de loi à l'étude? Comment peut-on dire aux Canadiens « Vous avez désormais accès à l'aide médicale à mourir » sans, en contrepartie, presser le gouvernement à veiller à la création de ressources en matière de soins palliatifs partout au pays?

Le sénateur Day : J'ai une question complémentaire.

Son Honneur le Président : Non, c'est maintenant au tour de la sénatrice Andreychuk.

Il nous reste peu de temps, sénateur Day. Nous allons revenir à vous si nous avons encore du temps, mais j'ai vu deux autres sénateurs demander la parole.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : L'amendement parle d'une « consultation sur les soins palliatifs », alors que d'autres sénateurs et vous avez parlé d'une « évaluation » des soins palliatifs. Je crois comprendre qu'une consultation pourrait être essentiellement — et c'est là qu'interviendraient les provinces et les médecins — une explication de ce en quoi consistent les soins palliatifs ainsi que des options disponibles à cet égard. La personne a le droit de les demander ou de les refuser. Une évaluation vise à déterminer les besoins plutôt que les options disponibles. Est-ce que j'ai trop interprété le sens de votre amendement?

La sénatrice Eaton : Si je demandais l'aide à mourir en raison d'une terrible maladie chronique, j'aimerais que quelqu'un vienne m'aviser que telle ou telle option est disponible. Un médecin de famille ou un infirmier d'un établissement local ne connaîtrait pas ce genre de chose parce que c'est un domaine spécialisé, comme la neurochirurgie ou l'obstétrique, et nous n'avons pas suffisamment de spécialistes en la matière au pays.

Mon amendement au projet de loi vise à obliger le gouvernement — nous en parlons depuis 1995 au Sénat — à faire des investissements afin de développer l'expertise en soins palliatifs et de favoriser l'accès à ces soins.

Son Honneur le Président : La sénatrice Unger a la parole.

L'honorable Betty Unger : Honorables sénateurs, je prends la parole afin d'appuyer l'amendement de la sénatrice Eaton. Lorsque j'ai été nommée au Sénat, j'espérais pouvoir apporter ma contribution d'une certaine façon, notamment pour la réforme du Sénat, que les Albertains réclament depuis des décennies. Cependant, je n'ai jamais imaginé un scénario aussi cauchemardesque. À l'approche du 150e anniversaire du pays, je suis consternée à l'idée que le Parlement fasse cadeau au Canada du fléau que représentent l'aide médicale au suicide et l'euthanasie. Je m'attendais à tellement mieux.

(1820)

J'informe aujourd'hui les sénateurs que j'appuierai cet amendement, parce que nous devons nous assurer que personne ne sera jamais forcé de demander l'aide d'un médecin pour mourir simplement faute de soins palliatifs.

Selon moi, cet amendement est absolument essentiel. Ce serait refuser à une personne le droit de vivre que de l'aider à mettre fin à ses jours sans d'abord alléger ses souffrances. Même si ce serait incommensurablement injuste, c'est exactement ce qui arriverait si nous n'amendions pas le projet de loi.

Nous sommes en plein territoire inexploré. Nous ne savons pas tout ce qui nous attend, maintenant que la Cour suprême nous a lancés sur la voie de l'euthanasie et du suicide assisté.

Nous nous apprêtons à mener une dangereuse expérience sociétale. Personnellement, je ne crois pas qu'il en ressorte quoi que ce soit de bon. Je suis convaincue que les générations futures nous jugeront durement pour la manière cavalière dont nous aurons fait fi du caractère sacré de la vie.

Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réduire au minimum les torts que ce projet de loi pourrait causer et les conséquences inattendues qu'il pourrait avoir. Les mesures de sauvegarde dont il est assorti doivent être strictes, rigoureuses et adéquates. Tant qu'à errer, errons du côté de la prudence, et non du côté de l'ambivalence. La vie est beaucoup trop précieuse pour qu'il en soit autrement.

La valeur et l'importance supérieures des soins palliatifs par rapport à l'aide médicale à mourir ont été largement reconnues depuis le début du débat. À peu près tout le monde est favorable aux soins palliatifs et considère que l'on devrait en faire davantage sur ce plan.

Dans le rapport qu'il a présenté au Parlement, le Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada a résumé la situation en ces mots :

[...] une demande d'aide médicale à mourir ne pouvait être véritablement volontaire si la possibilité d'avoir accès à des soins palliatifs appropriés n'était pas disponible pour alléger les souffrances d'une personne.

Le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir fait également valoir l'importance des soins palliatifs, affirmant que « la très grande majorité des témoins s'entendaient pour dire qu'il faut améliorer les soins palliatifs en général » et que « bon nombre de Canadiens n'ont pas accès à des soins palliatifs de grande qualité quand ils en ont besoin ». Je trouve excellente la recommandation qui nous demande de « développer un modèle souple et intégré de soins palliatifs, en mettant en œuvre une stratégie pancanadienne en matière de soins palliatifs et de soins en fin de vie assortie d'un financement réservé, et en organisant une campagne de sensibilisation du public sur la question ».

En 2015, durant un débat d'un jour à la Chambre des communes sur l'aide médicale à mourir, les soins palliatifs ont été nommés à 115 reprises. Harold Albrecht, député conservateur, a dit : « [...] je suis on ne peut plus d'accord : il nous faut un meilleur système de soins palliatifs au Canada. »

La députée libérale Carolyn Bennett, qui est aujourd'hui ministre des Affaires autochtones et du Nord, a dit : « Pour que les personnes en fin de vie puissent faire un choix éclairé, il faut qu'elles aient accès à des soins palliatifs optimaux [...] »

Ce n'est qu'une poignée d'exemples.

Honorables sénateurs, personne ne doute de l'importance des soins palliatifs. Le débat est terminé. Il s'agit maintenant de déterminer ce que nous allons faire.

Paradoxalement, c'est l'actuel premier ministre qui a affirmé l'année dernière qu'il est impossible d'avoir une conversation responsable sur l'aide médicale à mourir sans tenir de discussion approfondie sur les soins palliatifs au Canada, ajoutant qu'on ne devrait jamais parler d'un sujet sans aborder l'autre. Malgré sa promesse d'investir 3 milliards de dollars dans les soins palliatifs, il n'y a rien dans le budget, et jusqu'à présent rien n'a été annoncé. Sa promesse ne serait-elle que pure fiction?

Nous sommes donc ici aujourd'hui pour étudier un projet de loi qui ne comprend aucune disposition garantissant que des soins palliatifs seront offerts à ceux qui veulent avoir recours à l'aide médicale à mourir.

Je sais que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a ajouté deux amendements liés aux soins palliatifs au projet de loi. L'un de ces amendements se trouve dans le préambule, tandis que l'autre se trouve dans le corps du projet de loi. Ces deux amendements sont les bienvenus, mais ils ne permettent pas d'éviter qu'un médecin donne la mort à une personne sans l'avoir d'abord informée des autres choix qui s'offrent à elle, ce qui extrêmement malheureux.

Chers collègues, ce que je dis n'a rien de théorique. C'est ainsi que les choses se passent dans la vraie vie et, je me permets de le souligner, dans la mort.

J'aimerais illustrer mon propos en lisant un courriel qui m'a été envoyé par une infirmière autorisée :

C'est ma collègue, une infirmière qui s'occupe de traiter les symptômes des patients au centre de cancérologie, qui m'a parlé de ce jeune homme pour la première fois.

Elle était très inquiète, car son état se dégradait de plus en plus, et il était fort probable que bientôt, il ne pourrait plus être traité en consultation externe. Elle avait incité le jeune homme à s'inscrire auprès d'un centre de soins palliatifs, mais ses proches et lui n'étaient pas du tout intéressés, car ils voulaient se concentrer sur la vie, et même si on leur a dit que ce n'est pas du tout le cas, ils étaient convaincus que les personnes qui se retrouvent dans un centre de soins palliatifs meurent rapidement.

Comme on le craignait, les symptômes du jeune homme se sont aggravés, à un point tel que sa famille et lui avaient désespérément besoin d'aide.

Bien sûr, ce n'est pas le genre de cas qui peut être pris en charge à l'urgence, et le personnel des unités de soins intensifs n'a tout simplement pas la formation et le matériel nécessaire pour s'occuper d'un cas aussi complexe.

J'ai discuté à de nombreuses reprises avec ses proches pour qu'ils sachent quels médicaments pouvaient lui être donnés en toute sécurité pour atténuer ses souffrances, et je leur ai dit que les soins palliatifs n'avaient pas pour objectif de précipiter la mort de leur garçon bien-aimé.

C'est donc par désespoir et avec la peur au ventre qu'ils l'ont amené à l'unité des soins palliatifs. C'est à ce moment-là qu'une chose extraordinaire s'est produite. Les médicaments ont fonctionné!

Même s'il a continué de devoir surmonter des obstacles que nous aurions tous trouvés épouvantables, en très peu de temps, il a pu quitter le centre de soins palliatifs et se remettre à passer du temps et à faire de la musique avec sa famille et ses amis toujours présents.

Le jeune homme a continué d'être si plein de vie qu'ils ont vite compris que nous nous occupions bien de lui et qu'il était hors de danger chez nous.

Il a été renvoyé chez lui, puis réadmis quelques fois en l'espace de plusieurs semaines. Quand il n'était pas chez nous, il dormait chez des proches. Un beau jour, il a quitté l'unité après avoir obtenu une autorisation de sortie avec ses amis. Ils sont tous revenus très animés le soir. Puis, après avoir ri et s'être installé, il s'est éteint subitement, doucement et naturellement.

Cette histoire de soins dans un centre de soins palliatifs est un modèle de réussite qui fait ressortir la nécessité de l'amendement. Comment pouvons-nous, en tant que société, appuyer une politique publique qui nous amène à dire aux personnes qui souffrent terriblement : « Nous avons un médecin qui peut vous aider à mourir, mais malheureusement, nous n'en avons pas qui pourrait vous aider à vivre », ou encore : « Nous avons prévu des ressources et des fonds publics pour que vous puissiez mourir prématurément, mais, hélas, nous n'en avons plus pour vous aider à vivre aussi confortablement que possible. »

Nous ne devons pas permettre une telle injustice.

Soyons clairs : il ne s'agit pas d'une tentative de bloquer l'accès à l'aide médicale à mourir, mais d'une mesure nécessaire pour que personne ne choisisse la mort à cause d'une douleur ou d'une souffrance qui n'a pas pu être soulagée.

Il va de soi qu'on peut refuser les soins palliatifs sans que cela ait d'incidence sur l'admissibilité à l'aide médicale à mourir. Ne pas soulager les souffrances d'une personne quand c'est tout à fait possible serait terrible, mais offrir à quelqu'un la mort sans lui offrir d'abord de calmer sa douleur, ce devrait être criminel.

Je sais fort bien que nous avons encore du chemin à faire avant que les soins palliatifs soient offerts à tous ceux qui en ont besoin. Toutefois, je pense que nous devons commencer quelque part et que la sénatrice Eaton a formulé d'excellentes recommandations à cet égard.

Nous avons déjà dépassé la date butoir fixée par la Cour suprême après qu'elle a consenti à prolonger le délai de quatre mois. Il n'y a donc pas urgence d'agir. Assurons-nous de bien faire les choses et prenons le temps nécessaire pour cela.

Il y a toutefois un malentendu. Il existe des moyens efficaces de soulager la douleur. Dans le domaine des soins palliatifs, la gestion de la douleur fait l'objet de grands progrès. Permettez-moi de citer un exemple.

Le Dr Neil Hilliard est un médecin-conseil en soins palliatifs qui exerce à Abbotsford, en Colombie-Britannique, et il est aussi directeur médical du programme de soins palliatifs de l'organisme Fraser Health. En 2014, le Dr Hilliard a eu une patiente atteinte d'un cancer métastatique du col de l'utérus ayant des douleurs pelviennes incontrôlées. Avec la progression de la maladie, ses douleurs pelviennes sont devenues plus intenses malgré les multiples traitements. Cependant, une fois mise sous constante perfusion sous-cutanée de dexmédétomidine, la patiente a vu sa douleur et ses délires s'estomper. Le traitement a permis à la patiente d'obtenir ce qu'elle attendait des soins, c'est-à-dire qu'elle ne voulait pas être constamment sous profonde sédation, mais être éveillée et lucide tout en bénéficiant d'un bon contrôle de la douleur.

(1830)

Voilà comment des soins palliatifs appropriés ont permis à une patiente cancéreuse en fin de vie souffrant de douleurs neuropathiques intraitables et de délires d'être soignée convenablement pendant les trois dernières semaines de sa vie, sans que l'on doive accélérer sa mort. Bien que ce ne soit qu'un exemple, il démontre que des soins palliatifs appropriés peuvent atténuer la douleur tout en améliorant la qualité de vie jusqu'à la mort.

Honorables sénateurs, dans l'arrêt qui a légalisé l'aide médicale à mourir, la Cour suprême du Canada a dit que le gouvernement devrait mettre en place des mesures de protection rigoureuses afin de protéger les personnes vulnérables. De nombreuses mesures de cette nature pourraient et devraient être mises en place, mais la plus importante d'entre elles est probablement celle que propose ce simple amendement disant qu'il faut offrir des soins palliatifs avant l'aide médicale à mourir.

J'appuie cet amendement, et je vous exhorte à faire de même.

L'honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends la parole devant vous aujourd'hui afin d'appuyer les amendements proposés par la sénatrice Eaton et de vous faire part de mes diverses réflexions sur le projet de loi C-14.

En tant que sénatrice canadienne de confession musulmane, j'aimerais parler brièvement de ce que les gens de ma communauté m'ont dit à propos de ce projet de loi, ainsi que des préoccupations soulevées par le Conseil canadien des imams.

Selon la tradition islamique, l'euthanasie et le suicide assisté ne sont ni soutenus ni encouragés. Toutefois, la Cour suprême du Canada a rendu une décision sur l'aide médicale à mourir, et la majorité des Canadiens, y compris de nombreux musulmans à qui j'ai parlé personnellement, sont d'avis qu'il faut adopter une loi quelconque sur l'aide médicale à mourir, et moi aussi.

Je repense à l'époque où le frère de mon mari était à l'hôpital. La maladie était avancée au point qu'il souffrait d'insuffisance pulmonaire. Il a donc décidé de cesser les traitements. La douleur et la souffrance qu'il a endurées avant sa mort auraient pu être évitées s'il avait pu avoir recours à l'aide médicale à mourir.

Les préoccupations des chefs spirituels musulmans relatives au projet de loi se centrent sur les questions de la vulnérabilité des patients, de la protection des intérêts des patients qui souffrent et de la protection de la liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé. Ils se préoccupent également des établissements confessionnels, du prolongement du financement de la recherche médicale pour trouver des remèdes et améliorer les méthodes de gestion de la douleur, de même que de la disponibilité et de l'abordabilité de soins palliatifs de qualité qui répondent aux normes nationales pour tous les Canadiens.

Bien que je partage toutes ces préoccupations, les deux derniers enjeux — l'accès aux soins palliatifs de qualité et leur financement, et les investissements dans la recherche médicale, surtout dans le domaine de la gestion de la douleur — sont d'une grande importance, et je ne voudrais pas qu'on les oublie dans cette discussion. Tous les Canadiens doivent avoir accès à des soins palliatifs abordables de grande qualité et aux meilleurs programmes de gestion de la douleur possible.

Je crois que ces deux enjeux feront partie intégrante de la réflexion des gens et de la conversation qu'ils auront avec leur famille au moment de déterminer si l'aide médicale à mourir est la bonne option pour eux. À ce titre, les gens doivent connaître les options qui s'offrent à eux.

Par conséquent, j'appuie l'amendement proposé visant à inclure une disposition exigeant que chaque patient soit informé, lors d'une consultation en soins palliatifs, de toutes les possibilités de soins qui s'offrent à lui. On devrait alors lui expliquer les formes de soutien disponibles, les plans de traitement possibles et les options de gestion de la douleur pour soulager ses souffrances.

Je sais que, personnellement, je ne souhaiterais jamais être un fardeau pour ma famille, et je suis certaine que de nombreux Canadiens partagent ce sentiment. Ainsi, je veux avoir confiance que le choix de vie ou de mort que font les gens n'est pas embrouillé par la peur d'être un fardeau pour leur famille pour le temps qu'il leur reste à vivre.

J'exhorte le gouvernement à faire en sorte que, advenant l'adoption du projet de loi, du financement à très long terme soit alloué aux soins palliatifs et à la recherche médicale en gestion de la douleur.

Encore un fois, je répète mon appui aux amendements proposés par la sénatrice Eaton visant à inclure l'exigence d'une consultation en soins palliatifs ainsi qu'une disposition faisant en sorte que nulle personne souhaitant se prévaloir de l'aide médicale à mourir ne puisse donner son consentement informé à recevoir cette aide sans avoir au préalable été avisée de toutes les options de soins palliatifs qui s'offrent à elle.

Son Honneur le Président : Le vote?

Débat, la sénatrice Fraser.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, j'aimerais remercier la sénatrice Eaton d'avoir présenté cet amendement, que j'ai l'intention d'appuyer. Toutefois, j'aimerais dire pourquoi.

Je ne l'appuie pas parce que j'estime que le but que vous avez énoncé est faisable, sénatrice Eaton. Je ne crois pas que le Parlement du Canada puisse ou doive forcer les gouvernements provinciaux à accroître la prestation de soins palliatifs, car ce sont eux, les gouvernements provinciaux, qui devraient le faire.

J'estime qu'ils devraient le faire. Absolument. J'estime aussi que l'adoption du présent amendement enverrait un signal, un symbole très important du fait que, en adoptant ce projet de loi, le Parlement ne se réjouit aucunement de la perspective de gens choisissant de mourir. Le Parlement tente d'aider les Canadiens qui sont dans une situation de souffrances extrêmes insupportables.

À cette fin, il est crucial de faire savoir que nous sommes conscients que certains d'entre eux pourraient trouver du soulagement grâce aux soins palliatifs et opteraient pour ces soins s'ils étaient informés de leur existence. Les gouvernements provinciaux entendront le message; c'est surtout à eux que revient la responsabilité de mettre en œuvre la mesure législative dans le système de santé.

Nous ne pouvons toutefois pas les obliger à agir. Nous pouvons continuer, individuellement, de les pousser à agir, et je crois que nous devrions le faire. Ce serait une façon de transmettre ce message crucial. Je vous félicite très sincèrement, chère collègue. Je ne voudrais toutefois pas qu'une personne qui nous écoute ou qui lit le compte rendu du débat croie que, si nous adoptons l'amendement à l'étude, tout sera réglé, comme par magie. Ce n'est pas le cas. Il reste encore beaucoup à faire.

Je vous remercie d'avoir souligné le travail qu'a accompli la sénatrice Carstairs dans ce domaine. Elle s'est dévouée à la cause pendant de nombreuses années et y travaille encore, je crois. J'ai été ravie que vous souligniez sa contribution.

Enfin, quelques sénateurs ont tenté de comparer les mérites des consultations et des évaluations. Je suis heureuse de voir que vous parlez ici de consultations, bien que vous ayez parlé d'évaluations dans votre discours. Le texte que nous avons sous les yeux parle bien d'une consultation. Comme je viens de le mentionner, nous ne pouvons pas forcer les provinces à offrir des soins palliatifs. Dans ce contexte, je crois qu'une évaluation risquerait d'être beaucoup plus rigoureuse et plus difficile pour le patient. C'est trop demander, selon moi, à moins que nous puissions promettre un résultat positif. Par contre, je crois qu'il serait tout à fait indiqué d'ajouter au projet de loi la notion d'une consultation, qui permettrait au patient d'être bien informé des options offertes.

(1840)

L'honorable Jane Cordy : Je remercie beaucoup la sénatrice Eaton de présenter son amendement et d'encourager le dialogue que nous avons cet après-midi, parce que les soins palliatifs — j'en ai déjà parlé plusieurs fois — sont une chose dont nous devrions continuer de débattre en cette assemblée. Grâce au leadership de la sénatrice Carstairs et de la sénatrice Neiman, au milieu des années 1990, le Sénat est devenu l'endroit par excellence pour poursuivre le dialogue.

J'ai écouté les allocutions de mes trois collègues et je les félicite pour leurs allocutions d'aujourd'hui et pour les suggestions qu'ils ont faites.

Un des premiers commentaires de la sénatrice Eaton est que l'aide médicale à mourir ne devrait pas devenir la norme dans notre pays, qu'elle devrait être fournie dans des circonstances exceptionnelles. Je pense que bien des discours qu'ont faits les sénateurs hier et aujourd'hui montrent qu'ils prennent cela très au sérieux et qu'ils ont parlé avec leur cœur et avec passion sur les raisons pour lesquelles ils estimaient qu'il y avait un besoin. À la lumière de la décision de la Cour suprême, nous savons que c'est le cas, mais je pense que le commentaire de la sénatrice Eaton selon lequel il ne faut pas que cela devienne la norme est extrêmement important.

Pour ce qui est du commentaire de la sénatrice Eaton comme quoi il faut plus de sensibilisation et de soins palliatifs, nous en avons souvent parlé, elle et moi. Bien des gens pensent qu'aux soins palliatifs, on tente de garder les gens en vie en les branchant et en faisant toutes sortes de choses. Comme la sénatrice Eaton l'a dit, les soins palliatifs ne précipitent pas la fin, pas plus qu'ils ne prolongent l'agonie ou qu'ils ralentissent l'évolution vers la mort. Je pense que les Canadiens doivent vraiment mieux savoir ce que sont les soins palliatifs, car ils permettent de mourir dans la dignité.

Comme je l'ai dit plus tôt, j'aimerais remercier la sénatrice Carstairs du travail qu'elle a fait. Elle n'a pas cessé de talonner les facultés de médecine pour qu'elles enseignent à leurs étudiants à quel point les soins palliatifs sont importants. Avant qu'elle ne se lance dans cette entreprise, au milieu des années 1990, les facultés de médecine consacraient, selon ce qu'elle m'a dit, une heure ou deux — sur un programme de trois ans — aux soins palliatifs. Nous savons pourtant tous à quel point ils sont importants.

J'ai eu le privilège de siéger avec le sénateur Mercer à un comité sur le vieillissement de la population, et nous nous étions alors rendus dans diverses unités de soins palliatifs du pays. Cela nous a permis d'apprendre beaucoup de choses.

J'habite à Dartmouth, et il y a une unité de soins palliatifs à l'hôpital d'Halifax. Je me suis rendue sur place et j'ai vu à quel point elle est efficace.

Je suis aussi allée au Cap-Breton, parce que j'avais entendu parler de l'extraordinaire centre de soins palliatifs qu'il y a là-bas. J'ai alors rencontré la Dre Frances D'Intino, qui m'a fait visiter l'unité des soins palliatifs. J'en ai été remuée. C'était comme un deuxième chez- soi pour les patients, mais aussi pour leur famille. Ils avaient accès à une cuisine et à une salle de séjour. C'était merveilleux.

Une bonne partie des jeunes du Cap-Breton travaillent en Alberta ou en Saskatchewan, alors bon nombre de patients en soins palliatifs n'ont malheureusement pas d'enfants dans la région. La Dre D'Intino m'a expliqué qu'un des plus grands dilemmes qui se présentent à son équipe est de déterminer à quel moment il faut appeler les enfants qui vivent en Alberta pour leur dire qu'il serait temps de rentrer.

Les médecins et les infirmières de l'unité de soins palliatifs du Cap-Breton que j'ai rencontrés m'ont beaucoup touchée, parce que, bien souvent, ce sont eux qui servent de famille à leurs patients.

Les gens du Cap-Breton ne sont pas riches, mais ils ont donné beaucoup d'argent, car ils savent à quel point il est important d'avoir accès à une unité de soins palliatifs. En fait, à l'époque, ils recueillaient de l'argent pour que soit aménagée une résidence pour personnes âgées dans un autre bâtiment situé sur le même site.

Lorsque la ministre de la Santé, Jane Philpott, est venue au Sénat, elle a dit qu'elle appuyait sans réserve la prestation de soins palliatifs de meilleure qualité et plus facilement accessibles. En tant que médecin, elle comprend à quel point c'est important.

Leo Glavine, ministre de la Santé et du Mieux-être de la Nouvelle- Écosse, appuie totalement la prestation de soins palliatifs de meilleure qualité et plus facilement accessibles. En fait, il a mis sur pied une commission de soins palliatifs dans le but d'améliorer les choses en Nouvelle-Écosse. La Dre Anne Frances D'Intino est membre de cette commission. Je sais qu'elle et les autres membres de la commission travaillent très fort pour veiller à ce que les soins palliatifs deviennent la norme dans l'ensemble de la province.

Je suis d'accord avec les commentaires formulés par mes collègues au sujet des soins palliatifs — et, de nouveau, je tiens à vous remercier sincèrement, sénatrice Eaton, d'avoir proposé l'amendement. Toutefois, je ne peux pas approuver cet amendement parce que, selon moi, il empiète sur les compétences provinciales.

Nous devrions encourager les provinces à continuer d'investir dans les soins palliatifs. Il serait peut-être bon de discuter de cette question avec les ministres de la Santé du gouvernement fédéral et des provinces. Nous pourrions travailler à l'élaboration d'une stratégie nationale — pas une stratégie fédérale, mais bien une stratégie nationale. Les provinces et le gouvernement fédéral pourraient s'entendre pour établir une stratégie qui s'appliquerait à l'ensemble du pays.

Le Sénat pourrait lancer une interpellation ou proposer une motion voulant que l'un de ses comités étudie cette question de nouveau — la dernière fois, c'était en 1995, il y a longtemps —, afin d'évaluer et de moderniser les soins palliatifs.

Lorsque je lis l'excellent amendement que vous avez proposé, je dois dire, comme l'a dit plus tôt le sénateur Cowan, que les niveaux de soins sont inégaux d'une région à l'autre du pays. Ils sont inégaux d'une région à l'autre de ma province, la Nouvelle-Écosse.

Dans le cadre des consultations envisagées sur les soins palliatifs, compte-t-on dire à un habitant de Clark's Harbour, par exemple, que, bien que les soins palliatifs ne seront pas offerts dans sa région, on pourra l'envoyer à Halifax pour subir un examen et recevoir des soins palliatifs? À cette étape-là de la vie, je ne voudrais certainement pas quitter la ville où demeurent ma famille et mes amis.

Je vous remercie beaucoup, car j'estime que la discussion d'aujourd'hui sur les soins palliatifs s'est avérée très intéressante et qu'elle nous motivera peut-être à en faire davantage dans le dossier au Sénat, mais je suis présentement incapable d'appuyer l'amendement.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L'honorable sénatrice Eaton, avec l'appui de l'honorable sénatrice Unger, propose la motion d'amendement suivante :

Que le projet de loi C-14 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 3, à la page 6, par substitution, à la ligne 2, de ce qui suit :

« médicale à mourir après avoir obtenu une consultation sur les soins palliatifs ou une évaluation à cet égard et après avoir été informée des traitements, des moyens technologiques et du soutien à sa disposition pour apaiser ses souffrances. ».

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion d'amendement veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion d'amendement veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : L'agent de liaison du gouvernement et le whip de l'opposition s'entendent-ils sur la durée de la sonnerie?

Le sénateur Mitchell : Quinze minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 19 h 4. Convoquez les sénateurs.

(1900)

La motion  d’amendement, mise aux voix, est adoptée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Marshall
Ataullahjan Martin
Batters Massicotte
Beyak McInnis
Carignan McIntyre
Dagenais Mercer
Doyle Mockler
Eaton Ngo
Eggleton Oh
Enverga Patterson
Fraser Plett
Frum Pratte
Housakos Runciman
Kenny Smith
Lang Stewart Olsen
Lovelace Nicholas Tannas
MacDonald Tkachuk
Maltais Unger
Manning White—38

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker McCoy
Bellemare Merchant
Black Meredith
Campbell Mitchell
Cools Moore
Cordy Munson
Day Ogilvie
Downe Omidvar
Duffy Poirier
Greene Ringuette
Harder Tardif
Jaffer Wallace
Johnson Wallin
Joyal Watt—29
Lankin  

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Dyck Seidman
Gagné Sibbeston—5
Raine

(1910)

L'honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet de la nécessité d'exiger qu'une maladie soit en phase terminale et que la personne soit en fin de vie dans le projet de loi C-14, exigence qui découle d'une recommandation qui a été adoptée par la majorité des membres du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles lors de l'étude préliminaire du projet de loi C-14.

Comme nombre d'entre vous le savent, je crois fermement que l'aide médicale au suicide ne devrait être offerte qu'aux personnes dont la maladie est en phase terminale et qui sont en fin de vie. Je maintiens cette position depuis que j'ai commencé à me pencher sur cette question, il y a plus d'un an, quand je me suis opposée au projet de loi du Sénat S-225, un projet de loi qui aurait permis un régime d'accès bien plus permissif d'accès à l'aide au suicide.

Tout au long du présent débat, certains sénateurs ont parlé de l'aide médicale au suicide comme si le Canada faisait figure d'aberration sur la scène mondiale parce qu'il n'a pas encore de régime d'aide à mourir. À vrai dire, seulement neuf États dans le monde permettent l'euthanasie ou l'aide au suicide. D'entre eux, six, soit les deux tiers, exigent qu'une personne soit atteinte d'une maladie en phase terminale pour avoir droit à de l'aide au suicide, y compris les États-Unis et, bien entendu, le Québec.

Le Québec en est venu à cette décision au terme de délibérations minutieuses sur l'aide médicale au suicide, qui ont duré six ans. Au Sénat, nous sommes saisis de cette mesure législative depuis environ cinq jours de séance. Il serait intéressant de se demander si nous serions arrivés à la même conclusion au sujet de la phase terminale si nous avions eu plus de temps pour étudier cette question.

Les Canadiens ont à maintes reprises fait connaître leur point de vue au Parlement sur l'aide médicale au suicide, mais il nous incombe, en cette enceinte, de déterminer si nous les écouterons ou non. Presque toutes les personnes — il y en a des centaines — à qui j'ai parlé personnellement de l'aide médicale au suicide sont choquées d'entendre que le projet de loi C-14 n'exige pas que la maladie soit en phase terminale. Les sondages nationaux reflètent ce point de vue. Les sondages montrent que la grande majorité des Canadiens estiment que les personnes dont la maladie est en phase terminale devraient pouvoir recevoir de l'aide au suicide, mais il en va autrement lorsqu'il est question de maladies ou de troubles qui ne sont pas en phase terminale.

À titre d'exemple, dans le cadre d'un sondage Angus Reid réalisé cette année, 78 p. 100 des répondants ont indiqué qu'une personne qui éprouve des souffrances psychologique aiguës mais n'est pas en phase terminale ne devrait pas avoir accès à l'aide au suicide. Par ailleurs, selon 88 p. 100 des répondants, les jeunes de 16 et de 17 ans qui éprouvent des souffrances psychologique aiguës mais qui ne sont pas en phase terminale ne devraient pas avoir accès à l'aide au suicide.

Dans le cas de patients en phase terminale qui ont six mois d'espérance de vie, 76 p. 100 des répondants considèrent qu'on pourrait offrir une aide au suicide. Le pourcentage chute toutefois à 36 p. 100 s'il s'agit d'une personne souffrant de plusieurs problèmes de santé, tels l'arthrite et le diabète, qui se sent dépassée et désire mourir.

Les consultations menées par le comité externe du gouvernement fédéral allaient dans le même sens. Voici un extrait du rapport du comité :

Les répondants avaient davantage tendance à être d'accord pour dire que l'aide médicale à mourir devrait être autorisée lorsqu'une personne fait face à une maladie grave qui menace sa vie et/ou est évolutive.

Le sondage, réalisé auprès d'un vaste échantillon comportant plus de 2 000 personnes, a aussi révélé ceci :

Les répondants étaient en général davantage préoccupés par les risques encourus par les personnes atteintes d'une maladie mentale, en particulier celles souffrant de troubles épisodiques, et les personnes isolées ou seules.

Les Canadiens s'attendent à ce que seuls les patients en phase terminale ou en fin de vie aient accès à une aide au suicide; si ce n'est pas le cas, ils considèrent qu'on doit mettre en place des mesures de sauvegarde très strictes.

Honorables sénateurs, quelques personnes ont soutenu, en ces lieux, que nous devrions faire fi de l'opinion publique dans ce dossier et que les sondages ne comptent pas lorsqu'il s'agit de droits. Je crois toutefois que ce point de vue néglige un point important : l'aide médicale à mourir touche tous les Canadiens. Nous perdrons tous des êtres chers, et nous mourrons tous à notre tour. C'est inévitable.

Les Canadiens s'attendent, à juste titre, à avoir leur mot à dire quand on détermine ce qui sera acceptable dans notre société. C'est particulièrement vrai dans ce cas-ci, puisque l'aide au suicide suppose que l'État participe à des activités menant à la mort des gens.

Nous, parlementaires, devons tenir compte de la gravité de nos votes sur le projet de loi qui nous occupe et de ce qu'ils représentent. La Saskatchewan compte 1,1 million d'habitants, mais seulement 20 Saskatchewanais auront eu l'occasion de se prononcer sur l'aide médicale à mourir : 14 députés et 6 sénateurs. Il ne faut pas oublier la gravité de ce choix. Oui, j'estime qu'il faut tenir compte de la volonté des Canadiens avant de nous prononcer. Qui sommes-nous, honorables sénateurs, pour passer outre à la volonté des Canadiens sous prétexte que nous savons mieux qu'eux ce qui doit être fait?

Nous avons discuté abondamment de la constitutionnalité du projet de loi C-14 et de la question de savoir s'il va trop loin ou si, au contraire, il ne va pas assez loin, selon le point de vue de chacun. Un grand nombre d'éminents constitutionnalistes et professeurs ont déclaré au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles que le projet de loi C-14 respectait bel et bien la Charte canadienne des droits et libertés. Le très respecté professeur de droit constitutionnel Dwight Dean Newman a déclaré ce qui suit :

[...] l'arrêt Carter n'a pas un caractère législatif. Ce n'est tout simplement pas le rôle de la Cour suprême, et le Parlement n'a pas à s'assujettir à la Cour suprême comme s'il s'agissait d'un corps législatif. Le vocabulaire employé par la Cour suprême dans cet arrêt n'a donc pas à être entièrement déterminant.

M. Newman poursuit en disant ceci :

[...] la déclaration de la cour n'est pas une loi, et c'est au Parlement qu'il incombe en fin de compte d'élaborer une loi qui réponde aux objectifs qui semblent le plus valables au Parlement.

M. Hamish Stewart a quant à lui dit ceci :

[...] du moins peut-il survivre à une contestation constitutionnelle en tant que limitation justifiée des droits garantis par l'article 7 si le gouvernement peut convaincre le tribunal que c'est le mieux qu'on puisse faire pour distinguer entre les personnes vulnérables et les personnes non vulnérables qui veulent obtenir une aide médicale à mourir.

Le constitutionnaliste Gerald Chipeur et le professeur adjoint de droit Tom McMorrow ont tous deux réaffirmé le droit et la responsabilité du Parlement d'établir des régimes réglementaires complexes. Le professeur McMorrow a écrit ce qui suit, dans Options politiques :

La Cour suprême n'a pas imposé comme condition qu'il fallait être atteint d'une maladie mortelle, mais cela ne signifie pas nécessairement que le Parlement ne le peut pas. Ce qu'il faut montrer, c'est que les restrictions constituent des « limites raisonnables », et non pas ce que la cour peut considérer comme des limites « optimales ».

De fait, il est nécessaire d'établir certaines limites raisonnables pour protéger les personnes vulnérables. Le professeur Trudo Lemmens a déclaré que, dans le projet de loi C-14 :

[...] nous devons établir l'équilibre entre l'autonomie des personnes et les intérêts des personnes vulnérables et porter atteinte le moins possible à la valeur de la vie humaine. Je considère que cela exige que l'euthanasie ne soit offerte qu'aux malades en phase terminale.

Il est clair que la question de resserrer ou non les critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir relève du gouvernement libéral. En fait, le mois dernier, au moment où le projet de loi C-14 était débattu à la Chambre des communes, les avocats du gouvernement fédéral comparaissaient devant la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire E.F., réclamant l'inclusion de la maladie mortelle dans l'interprétation de la décision Carter de la Cour suprême du Canada.

Le gouvernement fédéral a le devoir de s'assurer que la loi reflète le point de vue des Canadiens, que des mesures de sauvegarde strictes entourant le processus d'aide médicale à mourir sont mises en œuvre et que le projet de loi est amendé en conséquence.

Motion d'amendement

L'honorable Denise Batters : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3, à la page 5 :

a) par adjonction, après la ligne 32, de ce qui suit :

« b.1) elle est en fin de vie; »;

b) par adjonction, après la ligne 34 (telle qu'elle a été remplacée par décision du Sénat le 8 juin 2016), de ce qui suit :

« c.1) les problèmes de santé graves et irrémédiables dont elle est affectée sont une maladie ou une affection en phase terminale; ».

Merci.

(1920)

Son Honneur le Président : L'honorable sénatrice Batters, avec l'appui de l'honorable sénateur Tannas, propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3, à la page 5 :

a) par adjonction, après la ligne 32, de ce qui suit :

« b.1) elle est en fin de vie; »;

b) par adjonction, après la ligne 34 (telle qu'elle a été remplacée par décision du Sénat le 8 juin 2016), de ce qui suit :

« c.1) les problèmes de santé graves et irrémédiables dont elle est affectée sont une maladie ou une affection en phase terminale; ».

Nous poursuivons le débat.

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Madame la sénatrice Fraser?

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) : Je voudrais en fait poser une question à la sénatrice Batters.

Je pense que nous sommes en train de tourner frénétiquement les pages du projet de loi parce que, comme vous en avez le droit, vous avez choisi de ne pas nous communiquer cette motion d'amendement à l'avance. Pourriez-vous nous en expliquer un peu le sens et nous dire quelle conséquence aurait l'amendement?

La sénatrice Batters : Certainement. J'ai beaucoup parlé de la question des maladies terminales et des soins de fin de vie, et ce, depuis longtemps, alors aucun sénateur ne sera étonné de m'entendre dire que c'est une question qui me tient beaucoup à cœur.

J'ai modifié légèrement ma motion pour tenir compte de ce qui s'est passé hier soir, de manière à ce que la formulation soit juste, mais je peux vous dire que mon amendement ferait en sorte que seules les personnes qui sont en fin de vie puissent être admissibles au suicide assisté, comme c'est le cas au Québec et dans six des neuf pays où cette pratique est autorisée. La personne doit être atteinte d'une maladie terminale.

Son Honneur le Président : Un rappel au Règlement, sénatrice Fraser?

Recours au Règlement

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) : Votre Honneur, je n'ai pas eu le temps de vérifier les ouvrages faisant autorité, et j'espère que vous l'avez fait, mais il me semble que cet amendement est en contradiction directe avec celui que le Sénat a adopté il y a 24 heures, et j'estimais qu'il n'était pas conforme au Règlement de revoir des décisions qui avaient été prises lors d'une séance donnée du Sénat.

J'espère que les autres sénateurs pourront nous éclairer. Je ne suis pas en mesure de présenter des documents faisant autorité, mais il me semble que ce n'est pas recevable.

Son Honneur le Président : Je vous remercie d'avoir invoqué le Règlement, sénatrice Fraser.

L'article 10-5 du Règlement permet à tout sénateur de proposer le réexamen d'un article déjà approuvé d'un projet de loi avant son adoption. Donc en vertu de ceci, l'amendement est recevable.

La sénatrice Batters : Puis-je répondre également?

Son Honneur le Président : Question ou débat? Sénatrice Raine?

La sénatrice Raine : Voulez-vous répondre?

Son Honneur le Président : Il y a eu un recours au Règlement, et il a été réglé. Voulez-vous poser une question ou participer au débat, sénatrice Raine?

L'honorable Nancy Greene Raine : J'aimerais poser une question à la sénatrice Batters.

Son Honneur le Président : Acceptez-vous de répondre à une question, sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui, bien sûr.

La sénatrice Raine : À l'alinéa 2d) du projet de loi, à la page 6, l'un des critères est le suivant :

d) sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.

Votre amendement se concilie-t-il avec ce paragraphe?

La sénatrice Batters : En fait, sénatrice Raine, tout le paragraphe 2 qui portait sur les problèmes de santé graves et irrémédiables a été supprimé avec l'amendement proposé par le sénateur Joyal. Seule une partie du paragraphe a été conservée et elle fait maintenant partie de l'article qui précède. Le concept de mort naturelle raisonnablement prévisible ne fait donc plus partie du projet de loi. C'est pourquoi mon amendement a été légèrement modifié pour tenir compte de la décision adoptée par le Sénat le 8 juin 2016.

Mon amendement sera donc inclus à la page 5, qui précède. Il ajoute « b.1) elle est en fin de vie; » et « c.1) les problèmes de santé graves et irrémédiables dont elle est affectée sont une maladie ou une affection en phase terminale; ».

La sénatrice Raine : Vous vous rendez compte que cela resserre considérablement les critères d'admissibilité comparativement à la version initiale du projet de loi, qui n'exigeait pas de pronostic quant à la durée de vie?

La sénatrice Batters : J'en suis consciente et c'est pourquoi je présente l'amendement. J'affirme depuis longtemps que les Canadiens s'attendent à ce que le fait d'être en phase terminale soit un critère d'admissibilité. Dans les centaines de conversations que j'ai eues sur le sujet — que ce soit à l'occasion de discours ou de conversations —, les Canadiens ont exprimé leur stupéfaction par rapport au fait que, dans le projet de loi sur le suicide assisté au Canada, on n'exige pas que le demandeur soit en phase terminale. C'est ce à quoi les Canadiens s'attendent. C'est pourquoi j'ai jugé important de proposer cet amendement.

Par ailleurs, j'aimerais seulement souligner que, plusieurs heures avant le vote du Sénat sur l'amendement d'hier soir, la ministre de la Justice, Mme Wilson-Raybould, a dit que si cet amendement était soumis à la Chambre des communes, il serait rejeté et nous serait renvoyé.

Par conséquent, je tiens à ce que nous proposions un amendement qui a des chances raisonnables d'être adopté et d'avoir l'appui du gouvernement libéral.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

L'honorable sénatrice Batters, avec l'appui de l'honorable sénateur Tannas, propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3, à la page 5...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion d’amendement veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion d’amendement veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : L'agent de liaison du gouvernement et le whip de l'opposition se sont-ils entendus au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Plett : Quinze minutes?

Son Honneur le Président : Combien de temps?

Le sénateur Plett : Quinze minutes.

Son Honneur le Président : La sonnerie retentira pendant 15 minutes. Le vote aura lieu à 19 h 42. Convoquez les sénateurs.

(1940)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan Mockler
Batters Ngo
Beyak Oh
Eaton Patterson
Enverga Plett
Housakos Runciman
MacDonald Tkachuk
Manning Unger—17
Marshall

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Lang
Bellemare Lankin
Black Lovelace Nicholas
Campbell Massicotte
Carignan McCoy
Cools McInnis
Cordy Mercer
Cowan Meredith
Dagenais Mitchell
Day Moore
Downe Munson
Doyle Ogilvie
Duffy Omidvar
Dyck Poirier
Eggleton Pratte
Fraser Raine
Frum Ringuette
Gagné Seidman
Greene Stewart Olsen
Harder Tardif
Jaffer Wallin
Johnson Watt
Joyal White—47
Kenny  

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk McIntyre
Maltais Sibbeston
Martin Smith—6

Son Honneur le Président : La motion est donc rejetée.

Nous reprenons le débat. Le sénateur Plett a la parole.

L'honorable Donald Neil Plett : Merci, Votre Honneur. Chers collègues, je tiens à répéter que c'est une question extrêmement difficile pour moi, comme je sais que c'est le cas pour un grand nombre de mes collègues.

Je défends le caractère sacré de la vie, du début à la fin, et, comme bien d'autres, j'ai passé de nombreuses nuits blanches à me demander comment j'allais voter sur cette mesure législative à la dernière étape.

(1950)

Je me suis rappelé une de mes bonnes amies, mère de famille, qui a appris dans la quarantaine qu'elle souffrait de sclérose latérale amyotrophique. Son état n'a pas cessé de s'aggraver jusqu'au jour où elle ne pouvait plus rien remuer d'autre que ses sourcils. Plus sa maladie progressait, et plus elle était tiraillée. D'un côté, elle voulait être là pour assister au plus grand nombre d'événements heureux dans la vie de ses enfants. De l'autre côté, par contre, elle souhaitait désespérément mourir. Vous aurez compris que l'aide médicale à mourir ne faisait alors pas partie des options qui s'offraient à elle. Elle a fini par être débranchée du respirateur artificiel qui la maintenait en vie. Elle est morte quelques minutes plus tard. J'ai beau être ici pour faire valoir mon opposition au principe du suicide assisté, je n'ai pas vécu ce que mon amie ou les autres personnes dans sa situation ont vécu, alors je n'ai pas la moindre idée de ce que, moi, je voudrais si je me retrouvais dans un état pareil.

Cela dit, la Cour suprême du Canada a tranché, et les parlementaires que nous sommes ont maintenant l'obligation d'agir de manière responsable.

Gardons toutefois à l'esprit, chers collègues, que nous ne nous prononçons pas sur la légalisation du suicide assisté. Ce n'est pas là- dessus que porte le vote. Le suicide assisté est légal au Canada depuis le 7 juin. Nous sommes plutôt appelés à nous prononcer sur une série de critères d'admissibilité et de mesures de sauvegarde et à dire si, à notre avis, ces critères et ces mesures de sauvegarde valent mieux, ou non, que les lignes directrices adoptées par les provinces.

Chers collègues, il a beaucoup été question de la constitutionnalité du projet de loi, certains se demandant s'il n'était pas de portée plus étroite que l'arrêt Carter et si cela ne suffisait pas à le rendre inconstitutionnel.

Selon moi, le projet de loi tel qu'il existe actuellement est constitutionnel, que l'on tienne compte ou pas de l'amendement qui a été adopté hier soir. Même si cet amendement ne faisait pas l'unanimité parmi les sénateurs, je demeure convaincu que non seulement nous avons le devoir d'améliorer le projet de loi par des amendements, mais que les tribunaux nous donneront raison par la suite.

Comme l'a dit le juge Sinclair dans cette enceinte la semaine dernière — et nous l'avons tous entendu —, dans n'importe quelle affaire judiciaire, la moitié des avocats ont tort. Permettez-moi donc de vous donner l'avis de la moitié des avocats qui, selon moi, ont raison dans cette affaire.

Voici ce que dit le paragraphe 97 de l'arrêt Carter :

À ce stade de l'analyse, les tribunaux doivent faire preuve d'une certaine déférence à l'endroit du législateur. La proportionnalité ne nécessite pas la perfection [...] L'article premier exige seulement que les limites soient « raisonnables ». Notre Cour a souligné qu'il peut y avoir plusieurs solutions à un problème social particulier et a indiqué qu'une « mesure réglementaire complexe » visant à remédier à un mal social commande une grande déférence.

Ce à quoi Geral Chipeur, expert constitutionnel et avocat, a répondu ce qui suit :

Si vous donnez aux juges et au pays un système complexe pour régir cette question d'une façon qui vous semble être la meilleure possible, compte tenu de l'arrêt de la Cour suprême du Canada, il est probable que les juges respecteront la suite que vous aurez choisi de donner à cet arrêt. Alors, je vous encourage à prendre la décision qui vous semble être la bonne. Vous n'êtes ni menottés ni enchaînés, et votre avis est important.

Le professeur Tom McMorrow, de l'Institut universitaire de technologie de l'Ontario, pense, lui aussi, que fixer des critères d'admissibilité plus étroits que ceux que la Cour suprême a définis ne rendrait pas la loi inconstitutionnelle. Le professeur McMorrow s'appuie sur l'arrêt de 1990 de la Cour suprême, dans l'affaire R. c. Mills. Le Parlement avait adopté une loi très semblable à celle qui avait été invalidée, mais les juges ont décidé que la nouvelle loi n'en était pas pour autant inconstitutionnelle. Ils ont souligné que le Parlement était mieux placé que les tribunaux pour établir des cadres réglementaires complexes.

Dans un texte publié sur le site Options politiques hier, les avocats John Sikkema et Derek Ross déclarent que :

Contrairement à ce que certains ont laissé entendre, le Parlement respecterait parfaitement ses pouvoirs en vertu de la Constitution en adoptant un régime qui est différent et plus restrictif que le régime créé par l'arrêt [Carter]...

Plus loin, ils disent ce qui suit :

L'incertitude mine ce que la Cour suprême, dans l'arrêt Carter, décrit comme un objectif important de l'interdiction de l'aide au suicide, notamment, de protéger les personnes vulnérables contre toute pression pour commettre un suicide dans un moment de faiblesse.

Somme toute, chers collègues, en raison d'opinions d'experts attestant ou infirmant la constitutionnalité de cette mesure législative, elle risque fort d'être contestée en Cour suprême. Un grand nombre de constitutionnalistes sont certains que nous avons le droit de rendre la mesure législative plus stricte dans le but de créer une bonne politique sociale. Puis, chers collègues, s'agissant d'un projet de loi qui traite littéralement de vie et de mort, nous devons agir de façon responsable et avec justesse. L'élaboration de politiques sociales est à la discrétion exclusive du Parlement.

Comme le sénateur Baker l'a dit hier :

[...] l'article 118 du Code criminel définit les activités de notre institution, le Sénat, comme autant de procédures judiciaires. C'est le premier exemple de procédure judiciaire mentionné dans cette disposition du Code criminel. C'est le plus haut tribunal du pays.

Le dernier point de M. Chipeur dans son témoignage au comité concernait la liberté de conscience. Il a dit ceci :

[...] vous avez le pouvoir de simplement créer une dérogation pour tous les fournisseurs et les établissements de soins de santé qui choisissent de ne pas participer à l'aide à mourir, comme vous, le Parlement, en ce qui concerne la Loi de l'impôt sur le revenu et la question des œuvres de bienfaisance. Le Parlement ne pouvait pas légiférer uniquement sur les organismes de bienfaisance, mais il était libre de les exclure de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Dans le même ordre d'idées, chers collègues, la démarche que nous avons entreprise consiste essentiellement à créer une exception aux dispositions du Code criminel sur le meurtre. Comme je l'ai déjà affirmé, nous seuls, parlementaires fédéraux, fixons les paramètres dans à l'intérieur desquels il est légal d'aider quelqu'un à mourir. C'est un domaine de compétence exclusivement fédérale. Il revient ensuite aux provinces de réglementer comme bon leur semble au- delà des paramètres déjà établis dans le Code criminel.

Cela dit, j'ai déjà fait valoir au Sénat combien il importe de protéger la liberté de conscience des médecins étant donné le virage déontologique qu'on vient de leur faire prendre, en contradiction directe avec le serment d'Hippocrate qu'ils ont prononcé.

Bien qu'on ne parle pas seulement des personnes dont l'objection est motivée par la foi, il y a certainement lieu d'en tenir compte. Des dirigeants religieux de confession musulmane, juive et chrétienne ont fait valoir au comité la nécessité de protéger la liberté de conscience des médecins de leur foi respective.

Lorsqu'il a comparu devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, le Dr Blackmer a dit qu'un renvoi revient essentiellement à approuver une procédure, ce qui risque d'être problématique sur le plan moral pour de nombreux médecins.

La question suivante fut posée à 1 201 Canadiens dans un sondage effectué par Abingdon Research : que devrait répondre un médecin dont les croyances religieuses lui interdisent de renvoyer un patient à un autre médecin aux fins de l'aide médicale à mourir lorsqu'un patient lui en fait la demande? Honorables sénateurs, 86 p. 100 des répondants ont répondu qu'un médecin devrait avoir le droit à l'objection de conscience.

Quand Dawn Davies, de la Société canadienne de pédiatrie, a affirmé, avec ferveur, que la décision a été imposée aux médecins, elle a dit ceci :

Je conviens que dans presque toutes les autres hypothèses il y a obligation de renvoyer le patient devant un autre praticien, ou d'opérer un transfert des soins. Je crois savoir que les autorités provinciales sont actuellement en train de dresser la liste des médecins qui acceptent de faire ce genre d'intervention médicale et que la décision sera laissée au patient.

Si l'on impose l'obligation de renvoyer le patient devant un autre praticien, ceux qui éprouvent déjà en cela de grandes réserves, risquent de se sentir un peu complices. Le mouvement est déjà tellement avancé cependant que les patients vont pouvoir décider d'eux-mêmes.

(2000)

Honorables sénateurs, je ne peux pas présenter l'amendement sans parler, encore une fois de la Dre Sephora Tang. Chers collègues, son puissant témoignage a touché une corde sensible chez toutes les personnes présentes.

Voici la réponse qu'elle a donnée à une question que je lui ai posée. Je lui ai demandé comment cela influerait sur son travail de psychiatre si on l'obligeait à aiguiller les patients qui demandent d'avoir accès à l'aide médicale à mourir vers un médecin qui serait disposé à leur offrir cette aide. L'état physique de certains de ses patients les rendrait admissibles, selon le projet de loi, à l'aide médicale à mourir. Elle a répondu ceci :

En tant que psychiatre, je travaille tous les jours avec des patients qui ont déjà fait une tentative de suicide, qui ont fait des tentatives de suicide répétées, qui souffrent d'un état dépressif grave ou qui souffrent immensément. Ces personnes viennent me voir dans un endroit sécuritaire, comme un hôpital, et c'est mon travail, en tant que psychiatre, de leur redonner de l'espoir quand ils n'en ont plus. Ils doivent voir que ma démarche est cohérente [...]

Avec toute cette affaire concernant l'objection de conscience, on m'enlève pratiquement tout jugement professionnel [...]

Qu'est-ce que je dois ressentir en aiguillant un patient, une personne que je pourrais aider si elle était prête à travailler avec moi, vers quelqu'un qui pourrait l'aider à mourir?

J'aime franchement mon travail, et je veux pouvoir le faire. Il n'y a rien de plus gratifiant que de travailler avec des patients pour les aider à prendre du mieux, les aider à sortir de leurs ténèbres [...]

Honorables sénateurs, si cet amendement n'est pas adopté, la Dre Tang, qui pratique la psychiatrie en Ontario, devra aiguiller ses patients dépressifs vers un médecin qui est prêt à offrir l'aide médicale à mourir, et nous dépossèderons alors les médecins comme elle, qui refusent d'offrir ce service, de leur jugement professionnel.

Certaines provinces protègent les médecins qui refusent de participer, y compris en ce qui concerne l'obligation d'aiguiller les patients, mais la plupart exigeront l'aiguillage afin de respecter leurs politiques relatives à d'autres actes médicaux. On ne s'est jamais autant écarté de la pratique médicale courante dans ce pays, et il nous faut une protection explicite pour nos médecins.

Chers collègues, des mesures seront prises afin qu'un mécanisme solide et exhaustif d'accès sans recommandation soit mis en place. Il a été dit très clairement, au comité, qu'il n'y aura pas de problèmes sur le plan de l'accès, même dans les régions rurales et éloignées.

Nous devons assurer une protection sans faille aux médecins. Il faut que ce soit plus qu'un énoncé général, car les provinces ont été claires : l'énoncé du Comité de la justice de la Chambre des communes n'a aucune portée pratique, et elles réglementeront cette question.

Chers collègues, nous serons en désaccord sur bien des points pour ce qui est de l'aide au suicide en général, et plus particulièrement sur les dispositions du projet de loi. Les Canadiens sont divisés sur la question, et puisque les Canadiens, y compris les médecins, sont tellement tiraillés sur cette question, nous devons les protéger. Je crois que nous convenons tous que c'est la bonne chose à faire.

Motion d'amendement

L'honorable Donald Neil Plett : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3 :

a) à la page 8 :

(i) par substitution, aux lignes 32 et 33, de ce qui suit :

« (9) Nul ne peut obliger un individu ou une organisation à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir ou à aiguiller une personne vers l'aide »,

(ii) par substitution, aux lignes 35 et 36, de ce qui suit :

« 241.3 Quiconque omet »;

b) à la page 9, par substitution, à la ligne 2, de ce qui suit :

« alinéas 241.2(3)b) à i) et au paragraphe 241.2(8) et de respecter le paragraphe 241.2(9) commet ».

Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Plett, avec l'appui de l'honorable sénatrice Martin, propose la motion d'amendement suivante :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3...

Puis-je me dispenser de lire la motion? —

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous poursuivons le débat.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) : Votre Honneur, nous n'avons pas encore reçu cet amendement, il est donc très difficile de tenir un débat éclairé à son sujet.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Des exemplaires sont en train d'être distribués, sénatrice.

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe de l'opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole afin d'appuyer la motion du sénateur Plett visant à modifier le projet de loi C-14 pour y inclure des protections à l'endroit des professionnels canadiens de la santé qui refusent pour des raisons de conscience de prendre part de quelque façon que ce soit à l'aide médicale à mourir.

Cet amendement vient combler l'une des plus importantes lacunes du projet de loi C-14, soit celle concernant les droits des professionnels de la santé, qui sont tout aussi importants que ceux des patients qui réclament leur aide.

Je suis soulagée que le sénateur Plett ait corrigé cette omission en proposant l'inclusion de ce qui suit : « Nul ne peut obliger un individu ou une organisation à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir ou à aiguiller une personne vers l'aide ». Ce libellé offre une protection juridique à tout professionnel de la santé qui s'opposerait légitimement à prendre part aux services d'aide médicale à mourir.

Étant donné ce qu'on leur demande de faire, c'est-à-dire aider une personne à se suicider ou mettre fin à la vie de celle-ci, il est inconcevable le projet de loi C-14 ne contienne pas de mesures de sauvegarde pour les droits des médecins et des autres professionnels de la santé.

Les professionnels de la santé ne devraient pas être obligés de choisir entre compromettre leur carrière et céder sur leurs principes personnels fondamentaux ou leurs convictions religieuses dans l'exercice de leurs fonctions. L'objection de conscience doit faire partie de leurs droits, et c'est pour cela que l'amendement du sénateur Plett doit être intégré à la version finale du projet de loi.

Si on laisse aux provinces et aux territoires la question de l'objection de conscience, il est à peu près certain qu'on se retrouvera avec une approche floue et fragmentaire, qui fera en sorte qu'un professionnel de la santé d'une province pourra voir son droit de refuser d'offrir des services pour des raisons de conscience protégé alors qu'un collègue d'une autre province sera privé du même droit fondamental.

En outre, si la question de l'objection de conscience varie selon les provinces, il se pourrait que des professionnels de la santé soient obligés de changer de province avec leur famille pour ne pas être forcés d'aider un patient à mettre fin à ses jours.

La date butoir du 6 juin étant passée, l'aide médicale à mourir est maintenant permise au Canada. Il s'agit simplement de savoir si le gouvernement fédéral imposera des mesures de sauvegarde pour protéger les personnes vulnérables et faire en sorte que les professionnels de la santé de première ligne soient invariablement protégés dans toutes les provinces.

J'invite les honorables sénateurs à se joindre à moi pour appuyer la motion du sénateur Plett parce qu'elle ajoute une mesure de sauvegarde essentielle pour les professionnels de la santé du Canada, qui, depuis le 7 juin 2016, s'adaptent à la nouvelle réalité à laquelle ils doivent faire face dans leur vie professionnelle depuis que la décision Carter a pris effet. En termes simples, le projet de loi C-14 ne devrait obliger personne à faire quelque chose qui va à l'encontre de ses principes fondamentaux.

Tout comme les patients sont entièrement libres de demander l'aide médicale à mourir, les professionnels de la santé devraient être également libres de fournir le service ou non.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorable sénatrice, accepteriez-vous de répondre à quelques questions?

La sénatrice Martin : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Cools, avez-vous une question?

L'honorable Anne C. Cools : Oui. J'aimerais poser une question au sénateur Plett.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Martin, accepteriez-vous de répondre à quelques questions?

La sénatrice Martin : Elle a dit « sénateur Plett ».

La sénatrice Cools : Sénatrice Martin, j'ai une question. Eh bien, je pourrais vous la poser à tous les deux si vous le voulez.

Je n'arrive pas à comprendre l'amendement proposé. Je parle de l'amendement qui concerne le paragraphe 241.2(9) et qui dit « à la page 8 [...] par substitution, aux lignes 32 et 33, de ce qui suit : ». Dans la version actuelle du projet de loi C-14, le paragraphe 241.2(9), aux lignes 32 et 33 se lit ainsi :

Précision

(9) Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet d'obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir.

(2010)

Donc, je ne comprends pas pourquoi vous proposez de remplacer cet article par votre amendement, qui se lit comme suit :

(9) Nul ne peut obliger un individu ou une organisation à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir ou à aiguiller une personne vers l'aide.

Peut-être que je ne comprends pas tout simplement pas. À mon avis, ce que le projet de loi propose est très clair et très complet : rien n'oblige quiconque « à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir ». Peut-être que je suis en train de lire une version antérieure du projet de loi. Je ne sais pas. Peut-être que je ne comprends tout simplement pas.

La sénatrice Martin : La sénatrice Cools a commencé par dire qu'elle aimerait poser une question au sénateur Plett. Cela dit, ce n'est pas ma motion, et donc, je me demande si le Sénat consent à ce que...

Des voix : Non.

La sénatrice Martin : Le nouveau libellé de l'article, qui est proposé dans la motion, prévoit que « nul ne peut obliger » un individu ou une organisation à faire quoi que ce soit. Donc, en quelque sorte, on précise le libellé de la mesure législative et on garantit que ceux qui reçoivent une demande d'aide médicale à mourir et ne veulent pas y accéder pour des raisons évidentes ont le droit de refuser la demande qui leur est présentée. Donc, le nouveau libellé est plus clair; on veut s'assurer que cette possibilité est énoncée dans le projet de loi.

Le sénateur Plett : Puis-je poser une question à la sénatrice?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Cools, je vous demanderais de vous asseoir.

La sénatrice Cools : Non, il n'en est pas question. J'ai la parole.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.

La sénatrice Cools : Vous, assoyez-vous.

Des voix : À l'ordre, à l'ordre!

La sénatrice Cools : Vous enfreignez les règles. Elle enfreint les règles.

Son Honneur la Présidente intérimaire : J'aimerais dresser une liste, honorables sénateurs. La sénatrice Cools aurait une autre question, je crois.

Sénateur Manning, aviez-vous une question? Je vous ai vu lever la main.

Le sénateur Manning : Non. Je replaçais seulement mes lunettes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Joyal a une question, et le Sénateur Plett pourra ensuite poser la sienne.

Sénatrice Cools...

La sénatrice Cools : Je n'ai pas besoin de poser de questions, en fin de compte. Je vote simplement contre l'amendement.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, j'adresse ma question à la sénatrice Martin, même si j'aurais probablement dû l'adresser au sénateur Plett, en fait.

Je suis désolé de mon inattention, mais, comme vous le savez, sénateur Plett, nous n'avons reçu le texte de votre amendement qu'après votre intervention. La sénatrice Martin avait déjà lancé le débat.

J'adresse donc ma question à la sénatrice Martin. Cela m'apparaît toutefois injuste, puisque ma question porte sur l'amendement du sénateur Plett.

La sénatrice Martin : Je tiens à présenter mes excuses aux sénateurs. J'ai oublié qu'il fallait leur laisser le temps de poser des questions au sénateur Plett. Je les ai privés de cette possibilité quand j'ai commencé à débattre de l'amendement.

Je tiens donc à leur présenter mes excuses. À titre de leader adjointe, je surveillais l'heure de près, et je ne pensais qu'à faire avancer le débat. Je m'excuse d'être passée directement au débat, sans laisser aux sénateurs le temps de poser des questions.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Plett peut poser une question. Peut-être pourra-t-il, grâce à sa question, répondre au sénateur Joyal et à la sénatrice Cools.

Le sénateur Tkachuk : Si nous étions tous d'accord...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Tkachuk, je crois que nous avons trouvé la solution. Le sénateur Plett répondra à la question du sénateur Joyal à l'intention de la sénatrice Martin.

Le sénateur Joyal : Je ne voulais certainement pas qualifier d'une quelconque façon la rapidité avec laquelle la leader adjointe de l'opposition s'est levée pour prendre la parole.

Sénatrice Martin, lorsque j'ai examiné attentivement le texte de l'amendement du sénateur Plett, sa deuxième partie m'a préoccupé, surtout lorsqu'il dit, et je cite :

Nul ne peut obliger un individu ou une organisation à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir ou à aiguiller une personne vers l'aide.

C'est la deuxième partie de la proposition qui me préoccupe : « [...] ou à aiguiller une personne vers l'aide. »

Bien sûr, j'ai entendu les arguments du sénateur Plett, mais j'avais sur mon bureau les lignes directrices de toutes les provinces et du Yukon au sujet des médecins qui refusent d'offrir l'aide médicale à mourir. Je vais vous présenter les lignes directrices précises.

Celles de l'Alberta disent ceci :

Les médecins peuvent refuser d'offrir l'aide médicale à mourir, mais ont « l'obligation » d'aiguiller en temps opportun les patients vers des médecins qui acceptent d'effectuer cette intervention.

En Colombie-Britannique :

Un médecin a le droit de refuser de pratiquer l'aide médicale à mourir, mais il doit alors assurer le « transfert efficace des soins » du patient vers un autre médecin.

Au Manitoba, la province de notre collègue, le sénateur Plett :

Un médecin peut refuser de pratiquer l'aide médicale à mourir ou d'aiguiller le patient vers un autre médecin, mais il doit alors assurer un « accès en temps opportun » à des intervenants qui pourront fournir l'information voulue au patient.

Il en va de même au Nouveau-Brunswick :

Un médecin peut refuser de pratiquer l'aide médicale à mourir ou d'aiguiller le patient vers un autre médecin, mais il doit alors fournir au patient de l'information sur la façon de recevoir l'aide médicale à mourir.

À Terre-Neuve-et-Labrador :

Les médecins peuvent refuser de fournir l'aide médicale à mourir, mais doivent procurer un « accès rapide » à un autre médecin ou des sources d'information qui sont disponibles et accessibles au patient.

C'est la même chose en Nouvelle-Écosse et en Ontario. En Ontario :

Les médecins peuvent refuser de fournir l'aide médicale à mourir, mais doivent « aiguiller efficacement » le patient vers un médecin ou une agence disponible et accessible qui le fera.

À l'Île-du-Prince-Édouard :

Les médecins peuvent refuser de fournir l'aide médicale à mourir, mais doivent fournir le dossier du patient à d'autres médecins ou prendre les dispositions voulues pour qu'il leur soit remis.

Au Québec :

Les médecins peuvent refuser de fournir l'aide médicale à mourir, mais doivent immédiatement aviser les autorités, qui prendront des dispositions pour trouver un autre médecin.

En Saskatchewan :

Les médecins peuvent refuser de fournir l'aide médicale à mourir, mais doivent prendre les dispositions voulues pour que le patient ait « rapidement accès » à un autre médecin ou à une autre ressource.

Au Yukon :

Les médecins peuvent refuser de fournir l'aide médicale à mourir, mais doivent prendre les dispositions voulues pour que le patient ait « rapidement accès » à un autre médecin ou à une autre ressource.

Je vois notre collègue, le sénateur Sibbeston. Je sais que les Territoires du Nord-Ouest ont plus ou moins repris les lignes directrices du Yukon et que le Nunavut est en train de rédiger les siennes.

Ainsi, on peut dire que partout au Canada, dans toutes les provinces et tous les territoires, l'obligation du médecin est établie lorsque celui-ci refuse de fournir l'aide médicale à mourir. Évidemment, cela a également été approuvé par le collège des médecins et des chirurgiens dans chacune des provinces. Ainsi, si nous adoptons le projet de loi tel qu'il est proposé, nous ferons de quelque chose qui fait actuellement partie de la pratique de la médecine une infraction.

Comment résoudre cela à cette étape-ci, alors qu'on me dit qu'il n'y a jamais eu de contestation dans aucune des provinces, que ceci va à l'encontre de la liberté de conscience dans le contexte que le sénateur Plett nous a expliqué?

La sénatrice Martin : Sénateur Joyal, vous soulevez une très bonne question. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est difficile de faire concorder tous ces règlements et toutes ces lois en vigueur dans les provinces avec ce que nous adoptons au fédéral. Ce débat et ce processus complets nous forcent réellement à emboîter le pas.

(2020)

Je comprends ce que vous voulez dire. Nous accusons du retard par rapport à certaines provinces pour ce qui est de régir cette question, parce que la santé est de compétence provinciale, et les provinces ont devancé l'adoption de la loi qui établira le cadre fédéral.

J'espère que la question me sera posée par le sénateur Plett, mais je peux vous dire tout de suite que, personnellement, j'appuie cet amendement parce que je songe surtout aux droits des professionnels de la santé et de toutes les autres personnes dont les droits devraient être protégés. Certains professionnels de la santé peuvent être totalement opposés non seulement à l'idée d'administrer certains soins, mais aussi à celle de renvoyer le patient à un autre professionnel. Une telle pratique peut être contraire à leurs principes fondamentaux.

Je sais qu'il y a là une incompatibilité, et une discussion devra avoir lieu pour que cet amendement puisse être adopté.

Sur le plan personnel, je songe avant tout aux droits des personnes auxquelles nous demandons d'aider des patients à se suicider ou à mettre fin à leurs jours.

Je serai heureuse de répondre à la prochaine question, de la part du sénateur auquel on donnera la parole.

Son Honneur le Président : Sénatrice Martin, le temps qui vous était accordé est écoulé. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus pour répondre à des questions?

La sénatrice Martin : Oui, je voudrais répondre à une autre question, Votre Honneur.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Sénateur Plett, vous avez la parole.

Le sénateur Plett : Je voudrais poser deux questions à la sénatrice Martin, si vous permettez. Premièrement, je me demande pourquoi il faudrait amender un paragraphe qui dit « le présent article n'a pas pour effet ». Il ne dit pas « le projet de loi ». Il dit simplement « le présent article n'a pas pour effet d'obliger » quiconque à faire quelque chose. Alors l'article n'indique pas qu'on est obligé de le faire.

Mon amendement précise que nul ne peut obliger une personne à faire quoi que ce soit, ce qui veut donc dire que personne ne pourra dire à quelqu'un d'autre qu'il doit faire telle ou telle chose.

Ne convenez-vous pas, sénatrice Martin, qu'il s'agit de deux scénarios complètement différents?

La sénatrice Martin : J'en conviens.

Le sénateur Plett : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénatrice Martin?

La sénatrice Martin : Absolument.

Le sénateur Plett : Je vous remercie. D'aucuns ont laissé entendre que, si rien ne se passe, les gens pourront comparer les régimes offerts par les différentes provinces et magasiner, en quelque sorte, l'endroit où ils iront se suicider. Le sénateur Joyal a fait ressortir un certain nombre de critères qui diffèrent d'une province à l'autre. Ils ne sont pas partout les mêmes. Quand je leur ai posé la question, les responsables de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario m'ont dit qu'ils s'attendaient très certainement à ce que les médecins dirigent leurs patients vers un ou une collègue.

Maintenant, je ne sais pas si vous étiez au courant, sénatrice Martin — personnellement, j'en ai souvent entendu parler —, mais cette règle indispose encore de nombreux docteurs. J'ai parlé à l'un deux, qui pratique au Manitoba, et il nous a suppliés d'inscrire des protections à leur intention dans la loi, à défaut de quoi de nombreux médecins travaillant dans la même ville que lui risquaient fort de prendre leur retraite.

La ministre de la Santé — et j'espère que vous serez d'accord, sénatrice Martin — a très clairement dit que le pays avait besoin de règles uniformes. Elle était ici même, dans cette salle, lorsqu'elle a déclaré que les règles devaient être les mêmes d'un bout à l'autre du pays.

C'est justement ce que le projet de loi nous permettra de faire. Nous avons le droit de créer des exceptions, et c'est ce que nous faisons en créant une exception au Code criminel. Ce sera ensuite aux provinces de prendre les règlements qu'elles voudront pour s'adapter, mais au moins, le pays aura une politique uniforme.

Lorsque j'ai demandé à la ministre de la Justice, au comité, si le projet de loi fédéral primerait sur les mesures législatives provinciales, elle a répondu catégoriquement que oui. C'est d'ailleurs peut-être ce qui explique toutes ces hésitations, mais oui, la loi fédérale primerait.

Partagez-vous son avis, sénatrice Martin?

La sénatrice Martin : Merci d'avoir soulevé des points intéressants.

Le sénateur Plett : Merci.

L'honorable Frances Lankin : Merci beaucoup. Voilà qui était inhabituel, novateur et amusant.

J'interviens pour exprimer mon opposition à l'amendement. Ce n'est pas dire que je ne comprends pas l'intention ou les motivations du sénateur Plett. Je les comprends, et je les respecte.

Le droit des professionnels de la santé de refuser de fournir des services pour des raisons de conscience est très bien établi. Leurs droits sont établis dans la Charte; ils leur ont été consentis. D'autres procédures médicales ont soulevé la même question, notamment l'avortement. Sauf erreur, les provinces se sont conformées.

Le sénateur Plett semble s'intéresser avant tout à la question des renvois. Son amendement parle en termes généraux de la protection du droit de refuser d'offrir une aide médicale à mourir, mais je crois comprendre que les principales réserves concernent les collèges et les lignes directrices dont il a été question qui établiraient un régime de prestation de soins de santé axé sur les patients en vertu duquel un médecin qui interrompt le traitement d'un patient est tenu de le renvoyer à un autre médecin ou bien de veiller au transfert des soins.

De nombreux praticiens ont exprimé cette préoccupation. Le sénateur Plett a tout à fait raison là-dessus. Cela dit, les provinces en sont bien conscientes et elles y donnent suite. Elles s'entretiennent entre elles ainsi qu'avec le gouvernement fédéral au sujet des moyens de prévoir les mesures de protection adéquates.

Cette semaine, par exemple, le Dr Eric Hoskins, ministre de la Santé de l'Ontario, a annoncé que la province établira un centre de renvoi aux services d'aide médicale à mourir. C'est tout comme l'a affirmé le sénateur Plett lorsqu'il citait les propos d'une autre personne qui disait que la décision reviendrait aux patients, qu'ils trouveraient de l'aide et qu'ils ne seraient pas laissés sans soins.

Il ne faut jamais rien laisser au hasard si, par défaut, on doit absolument aiguiller le patient vers un praticien. Le gouvernement de l'Ontario est donc intervenu en disant qu'il se chargera de mettre en place un service centralisé. Ainsi, le patient pourra s'adresser à ce service, qui l'aiguillera vers un praticien qui figure sur une liste de praticiens dans sa région et qui est prêt à recevoir le patient et à l'aider à déterminer son admissibilité ou à obtenir un autre traitement.

Les autres provinces ont également commencé à étudier la question, et certaines ont manifesté leur intérêt pour ce modèle et indiqué vouloir le mettre en place. De plus, la ministre fédérale de la Santé nous a dit qu'elle continuera de discuter avec les provinces en vue de mettre en place une solution et des normes nationales ou pancanadiennes.

L'amendement dont nous sommes actuellement saisis pose deux problèmes à mes yeux.

Premièrement, il empiète manifestement sur les compétences provinciales. La réglementation sur ce que les professionnels de la santé peuvent ou ne peuvent pas faire, dans le respect de leurs droits garantis par la Charte — et l'objection de conscience en fait déjà partie —, est une compétence provinciale.

La ministre fédérale de la Santé et les gouvernements provinciaux nous ont dit être sensibles aux préoccupations profondes et très sérieuses des praticiens en ce qui concerne la possibilité d'avoir à aiguiller des patients vers d'autres praticiens, et ils sont en train de mettre en place d'autres solutions pour les patients.

C'est ainsi qu'il faut trouver des solutions, et non en proposant une modification au Code criminel. J'ai du respect pour ce que vous tentez de faire. L'attention que vous avez portée à ce dossier a permis d'amener les provinces et le gouvernement fédéral à mettre en place des solutions de traitement appropriées et adaptées aux besoins.

Le deuxième problème que l'amendement me pose tient au fait que je trouve tout à fait inapproprié de prévoir un article sur les infractions. Pour une question qui relève d'une province et sera réglée au palier provincial, le fait d'établir une infraction fédérale au moyen d'une modification du Code criminel concernant la prestation des services de santé et la réglementation des professionnels de la santé, lesquels sont du ressort des provinces, représente une option bien compliquée. On ne peut pas appuyer cela. Voilà pourquoi j'exhorte les honorables sénateurs à rejeter l'amendement à l'étude.

(2030)

Son Honneur le Président : Sénatrice Lankin, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Lankin : Certainement.

Le sénateur Plett : Vous avez tout à fait raison de prévoir l'établissement d'organismes de ce genre. En fait, mon médecin m'a dit que les autorités régionales de la santé du Manitoba en établiraient un; c'est exactement ce qu'elles souhaitent.

L'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario a toutefois déclaré qu'il faudrait des renvois appropriés. Il n'a pas déclaré que les patients pourraient simplement se rendre dans un centre régional. Je ne sais pas si vous étiez à la séance du comité lorsque j'ai posé cette question. Les représentants ont répondu qu'il leur faudrait des renvois appropriés.

D'après le sénateur Joyal, c'est ce qu'exige la province de l'Ontario. Ce sera évidemment une exigence à satisfaire.

Par ailleurs, vous dites que nous nous ingérons dans un champ de compétence provinciale. En réalité, nous aurions pu nous contenter de déclarer que le gouvernement fédéral reconnaît que, d'après la cour, le suicide assisté sera désormais légal, d'une certaine manière et sous certaines formes, et qu'il revient maintenant aux provinces d'établir leurs propres lignes directrices. Mais nous avons choisi de procéder autrement. Alors que nous établissons des lignes directrices pour chaque étape dans la législation fédérale, vous croyez que nous ne serions pas autorisés à le faire dans un domaine particulier? Comment peut-on dire qu'il y a ingérence dans les affaires provinciales sur le point que vous soulevez, et ce point seulement?

Le sénateur MacDonald : Bravo!

La sénatrice Lankin : Je vous remercie de votre question, sénateur Plett.

Ma réponse comporte deux volets. Tout d'abord, les objections de conscience des professionnels de la santé sont déjà protégées en vertu de la Charte des droits et libertés. Cette protection existe déjà. Nous devons composer avec une situation très différente quand il s'agit d'établir des protections pour un nouvel acte médical, qui découle de l'accès à l'aide médicale à mourir. C'est ma première réponse.

Pour ce qui est de l'Ontario, je dois dire que le monde évolue. Vous parlez de témoins qui ont comparu devant nous lors de l'étude préalable du projet de loi. Le sénateur Joyal parle d'un règlement édicté par l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario avant l'étude préalable du projet de loi.

Lors des consultations sur le projet de loi tenues au cours de l'étude préalable, des audiences à la Chambre des communes et d'autres audiences au Sénat, des intervenants ont dit beaucoup de choses. En outre, le gouvernement fédéral, par l'entremise de la ministre, et les provinces ont tenu compte des préoccupations soulevées par les professionnels de la santé sur la question de l'aiguillage.

En Ontario, à la suite du témoignage que vous avez entendu de la part des responsables de la réglementation de cette province, on a mis en place un système différent pour gérer cette question et pour que les services d'aiguillage soient fournis de façon optimale, à partir d'un bureau centralisé, appuyé et financé par le ministère de la Santé, plutôt que d'avoir recours aux procédures habituelles en place.

Ils prennent des mesures pour répondre aux préoccupations que les professionnels de la santé et vous avez soulevées. Je suis d'avis que c'est aux autorités ontariennes qu'il appartient de répondre aux préoccupations. Par conséquent, je crois que, compte tenu du temps écoulé, votre argument voulant que le psychiatre auquel vous avez fait allusion soit tenu d'aiguiller le patient ne tient plus la route. En fait, nous savons que, en Ontario, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Plett : En toute justice, sénatrice Lankin, ils ont pris cette décision il y a quelques jours, voire une semaine à peine. Nous savons tous que le gouvernement de l'Ontario peut mettre les choses en place plus rapidement que le gouvernement fédéral ou le gouvernement du Manitoba, mais je ne pense pas que ce soit le cas.

Il y a une semaine, l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario a déclaré qu'il faudrait aiguiller correctement les patients. Cela veut dire qu'il va falloir diriger le patient vers un médecin qui sera disposé à offrir le service.

Oui, ils mettent sur pied un établissement régional et c'est exactement ce que je veux. Pourquoi ne pas le modifier pour dire qu'ils doivent aiguiller le patient vers un établissement régional? J'accepterais un tel amendement avec joie. À mon avis, il atteindrait l'objectif souhaité. Vous semblez penser que c'est une mauvaise chose. Même s'ils le font, qu'y a-t-il de mal à l'intégrer, par précaution? Les provinces n'appliquent pas toutes les mêmes règles. Le sénateur Joyal a parlé de plusieurs provinces — j'ai lu à ce sujet dans le journal d'hier —, et elles gèrent toutes la situation différemment. Pourquoi ne pas établir des lignes directrices nationales plutôt que de laisser chaque province faire comme bon lui semble?

Au Manitoba, les médecins ont demandé une modification qui confirmerait l'appui du gouvernement à cet égard. En quoi la loi pose-t-elle problème? Si elle n'est pas nécessaire — et je ne suis pas de cet avis —, elle n'est certainement pas dangereuse.

La sénatrice Lankin : Je vous remercie de votre question.

Je ne crois pas que nous devrions adopter une mesure législative qui n'est pas nécessaire. Je crois qu'une disposition d'infraction pourrait être dangereuse et je ne crois pas qu'elle soit appropriée dans le contexte de la modification du Code criminel.

Je vais le répéter : à l'heure actuelle, chaque province établit ses propres mesures, dans le but de créer un ensemble de normes pancanadiennes sur la façon de les appliquer. Cela comprend, dans votre province du Manitoba, la création de centres d'aiguillage qui, de l'avis des médecins, constituent une solution appropriée. Ils pourront y envoyer des patients et cette entité se chargera d'aiguiller les patients vers un médecin.

C'est ce qu'on fait en Ontario. On discute de la façon d'établir de telles mesures dans les autres provinces. La ministre fédérale de la Santé encourage ces pratiques. C'est une question de compétence en matière de santé, qui relève des provinces, et le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de premier plan à cet égard; c'est ce que fait la ministre fédérale de la Santé dans le cadre des discussions fédérales-provinciales.

Les discussions ont eu lieu avant que le collège ne comparaisse devant nous, mais l'annonce a été faite après. Ainsi, le problème que vous avez entendu et les points qui ont été présentés ont été dépassés par un système qui exempte les médecins de la nécessité d'aiguiller le patient parce qu'ils auront l'option de rechange de l'aiguiller vers une structure centralisée qui fera l'aiguillage pour eux.

Le sénateur Plett : Sénatrice Lankin, faisiez-vous partie du gouvernement de l'Ontario?

La sénatrice Lankin : Oui.

Le sénateur Plett : Nous savons tous que, lorsque nous avons 12 gouvernements qui veulent se mobiliser pour annuler une loi commune, ce n'est pas une chose facile à faire.

Nous avons une loi fédérale et eux établissent les lignes directrices. Laissons-les établir les lignes directrices, plutôt que de dire « les provinces vont se rassembler à un moment donné et faire cela ». Entre-temps, des médecins quittent leur emploi parce qu'ils sont tenus de faire cela. La Dre Tang quitte son emploi. Pourquoi ne voudrions-nous pas protéger ces médecins?

La sénatrice Lankin : Sénateur Plett, je comprends la préoccupation que vous soulevez, et je respecte la passion avec laquelle vous l'exprimez.

Cela ne change peut-être rien pour vous, mais oui, j'ai effectivement fait partie du gouvernement de l'Ontario. En fait, j'étais pour un temps ministre de la Santé de l'Ontario, et j'ai collaboré très étroitement avec les organismes de réglementation. Il y a certainement une responsabilité des organismes de réglementation envers le ministère de la Santé, et le ministre de la Santé a fait une déclaration très claire au sujet de l'initiative qu'il entreprend pour établir l'aiguillage centralisé.

Cela se produit au Manitoba, et je crois qu'une autre province est sur le point de faire une annonce à cet effet. C'est un dialogue qui se tient dans toutes les provinces.

J'ai participé à de nombreuses réunions des ministres fédéral et provinciaux de la Santé ainsi qu'à celles liées à d'autres portefeuilles dont j'ai eu la responsabilité. Je peux vous dire que ce n'est pas si épouvantable en termes de coopération et de collaboration, surtout en santé.

(2040)

À la table à laquelle j'étais assise, il y avait les ministres de la Santé de provinces dirigées par un gouvernement conservateur, un gouvernement libéral ou un gouvernement néo-démocrate et il y avait Nellie Cournoyea, du gouvernement du Nord, qui était indépendante. Nous avons conclu un bon nombre d'accords très importants sur la façon d'aller de l'avant dans l'intérêt des Canadiens et compte tenu de leurs préoccupations au sujet du système de santé.

Je répète que c'est un champ de compétence provinciale. Ce n'est pas une chose que nous devrions introduire dans le Code criminel.

Son Honneur le Président : Avant d'aller plus loin, chers collègues, il appartient à la sénatrice Lankin de décider si, tout d'abord, elle veut répondre à une question et, ensuite, si elle veut alors demander plus de temps parce que son temps de parole est écoulé.

Voulez-vous plus de temps, sénatrice Lankin?

La sénatrice Lankin : Non. Merci beaucoup.

L'honorable Tobias C. Enverga, Jr. : Honorables sénateurs, je sais que c'est une question difficile pour tous. Toutefois, je suis obligé de répondre à la sénatrice Lankin dans ce débat.

En réponse à la sénatrice Lankin et aux autres sénateurs qui ont soulevé la question de la compétence provinciale, je veux faire valoir un point.

Nous entendons constamment que, comme parlementaires fédéraux, nous ne pouvons pas et ne devrions pas empiéter sur le champ de compétence provincial qu'est la santé, conformément à la Constitution. C'est une chose qu'un grand nombre de Canadiens ont de la difficulté à comprendre lorsqu'ils demandent de l'aide à leurs représentants fédéraux. Toutefois, nous devons respecter la Constitution et laisser les provinces gérer ce secteur.

Ce que nous faisons ici en ce moment, toutefois, est unique. Nous faisons des concessions pour que les médecins, sous réglementation provinciale, soient exemptés du Code criminel. Nous voulons que les praticiens soient exemptés du Code criminel fédéral.

Même si je ne suis pas moi-même constitutionnaliste, je crois que nous pouvons, en échange de ces exemptions à la loi fédérale, imposer certaines conditions aux provinces et aux membres des professions régies par les provinces. Essentiellement, nous, législateurs fédéraux, leur disons que oui, ils peuvent être exemptés de l'application de la loi fédérale, mais seulement s'ils acceptent de se conformer à notre cadre.

C'est pour cette raison que j'ai appuyé l'amendement de la sénatrice Eaton. Nous ne dictons pas aux provinces la manière dont elles devront réglementer la prestation des soins de santé. Nous leur envoyons plutôt le message que, si elles veulent enfreindre la loi fédérale, elles devront à tout le moins se conformer à une norme minimale.

De nombreux sénateurs ont cité Peter Hogg. Il a abordé ce sujet. Selon lui, l'ajout d'une disposition d'équivalence devrait permettre d'instaurer des protections minimales explicites et incontestables. Voilà pourquoi j'appuie le sénateur Plett.

Je vous remercie.

L'honorable Betty Unger : Honorables sénateurs, j'ai moi aussi une brève déclaration à faire. Comme nous le savons, si le présent débat a lieu, c'est uniquement à cause de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue en ce qui concerne les droits que la Charte garantit aux Canadiens. Il serait donc extrêmement tragique si, pour donner suite à la décision de la Cour suprême portant sur les droits d'un petit nombre de Canadiens, nous piétinions les droits d'un grand nombre de nos concitoyens.

Je veux parler de la liberté de conscience. Comme nous le savons tous, la liberté de conscience figure aussi dans la Charte, et même si personne ne remet en question l'importance de cette liberté, nous débattons de la portée de la disposition qui la protège.

Selon moi, honorables sénateurs, rien ne nous oblige à sacrifier un droit au profit d'un autre. En fait, nous ne devons surtout pas sacrifier un droit au profit d'un autre. Même si, dans sa forme actuelle, le projet de loi soutient clairement la liberté de conscience, une grande incertitude persiste dans l'esprit de bon nombre de Canadiens, notamment dans ma province, l'Alberta.

Il est nécessaire de donner des précisions supplémentaires et de rassurer les gens. C'est pour cette raison que j'appuierai l'amendement. Je pense qu'il permet de rassurer les gens qui ont des convictions religieuses et les groupes confessionnels, qui auront désormais la certitude qu'ils ne seront pas forcés de participer à un acte qui va à l'encontre de leur conscience personnelle ou de la vocation de leur institution.

Le Dr Neil Hilliard, d'Abbotsford, en Colombie-Britannique, qui est conseiller en soins palliatifs et directeur médical du programme de soins palliatifs de la Fraser Health Authority, une organisation laïque, a exprimé de graves préoccupations quant au fait que les établissements qu'il représente pourraient être forcées d'offrir cette procédure, qui vise à mettre fin à la vie d'une personne.

Merci.

L'honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, j'aimerais prendre quelques minutes pour parler de cet amendement. Ce ne sera pas très long. Avant cela, si vous me le permettez, j'aimerais revenir brièvement sur ce que j'ai observé et entendu au cours des 10 derniers jours dans le cadre de ce débat.

La semaine dernière, lorsque le projet de loi a été présenté au Sénat, j'étais à l'extérieur de la ville, mais comme c'est un débat qui m'intéresse énormément, j'ai pris connaissance de tous les discours par Internet. Je n'ai pas entendu mes collègues s'exprimer de vive voix, mais les discours que j'ai lus en ligne étaient tous très éloquents. Je tiens donc à féliciter mes collègues d'avoir discuté de cette question avec autant de sérieux et de profondeur.

Je m'en voudrais de ne pas féliciter plus particulièrement le sénateur Ogilvie du travail qu'il a accompli dans ce dossier. Je pense que nous devrions tous être reconnaissants de pouvoir compter sur un homme aussi intègre, discipliné et intelligent que le sénateur Ogilvie, qui s'est occupé de ce dossier et a veillé à ce qu'il soit examiné avec la diligence qui s'impose.

Merci, sénateur Ogilvie.

Des voix : Bravo!

Le sénateur MacDonald : Hier, le sénateur Joyal a proposé un amendement. Il a beaucoup été question de constitutionnalité ici, dans cette enceinte. Tout le monde a sa propre opinion en ce qui concerne la constitutionnalité. Je respecte l'opinion des autres à ce sujet, car j'ai moi-même une. Cela dit, en toute honnêteté, est-ce que notre opinion au sujet de la constitutionnalité de la mesure législative est importante dans le cadre de ce débat? Ce n'est pas à nous de déterminer la validité constitutionnelle du projet de loi. C'est le rôle des tribunaux. Nous sommes censés nous concentrer sur le libellé de la mesure législative, et c'est pour cette raison que j'ai du mal à comprendre pourquoi on discute sans cesse de sa constitutionnalité. Je comprends les points de vue exprimés, mais je ne suis pas convaincu qu'il est pertinent de s'attarder à cette question dans le cadre de ce débat.

J'ai écouté l'intervention d'hier du sénateur Joyal, et j'ai entendu le même homme raisonnable et éloquent que d'habitude, celui qui sait comment présenter un argument. Je dois admettre que, jusqu'à environ une demi-heure avant le vote d'hier, je n'étais pas certain de ce que j'allais faire. En règle générale, quand je suis incertain de la ligne de conduite à adopter, je préfère dire non. C'est probablement ce qui explique pourquoi je suis encore en vie aujourd'hui et très certainement pourquoi je ne me suis jamais retrouvé derrière les barreaux. Il faut apprendre à dire non.

L'une des raisons qui font que j'en ai contre ce projet de loi, c'est qu'il va à l'encontre de mes principes. Le meilleur parallèle que je puisse faire est celui de la peine de mort. Personnellement, je suis d'avis que les gens qui commettent des crimes aussi ignobles et aussi dégradants devraient être pendus haut et court. Ils pourraient même être écartelés et éviscérés que je ne m'en formaliserais pas davantage, pour tout dire.

Je suis cependant contre la peine capitale, pour la simple raison que je ne veux pas remettre ma vie entre les mains de l'État. Je ne lui fais pas assez confiance. Rien ne vous empêche de le faire si le cœur vous en dit, mais personnellement, je ne ferai jamais assez confiance à l'État pour lui confier ma vie. L'État n'a pas de conscience ni de remords, il est impersonnel. Voilà pourquoi j'ai voté contre l'amendement d'hier. Ce n'est pas parce qu'il n'a pas été brillamment défendu, ni parce que les arguments du sénateur Joyal ne méritaient pas réflexion, mais parce qu'il me rendait mal à l'aise.

En ce qui concerne la liberté de conscience, en revanche, j'ai l'intention d'appuyer l'amendement à l'étude parce que je crois à la primauté du Parlement. On nous rappelle constamment que les sénateurs n'ont pas été élus, mais nommés et qu'ils ne rendent de comptes à personne.

(2050)

Or, il en va de même pour tous les juges au pays, lesquels ne sont pas élus. Contrairement à nous, les juges sont nommés pour agir à titre de magistrats et non pour légiférer. La Nouvelle-Écosse a publié des lignes directrices que les praticiens doivent suivre dans la prestation de services d'aide médicale à mourir. On a clairement fait savoir aux médecins qu'ils seront obligés d'aiguiller les patients qui réclament l'aide à mourir à un praticien disposé à la leur fournir.

Le fait d'aiguiller revient essentiellement à approuver la procédure. Il n'y a pas moyen d'interpréter cela autrement. Selon moi, cela pose un problème moral à beaucoup de ceux qui s'opposent à l'aide à mourir pour des raisons de conscience. Certains membres de ma famille sont des professionnels de la santé et la situation les met très mal à l'aise. Ils se méfient de la façon dont ils seront traités.

L'amendement propose un mécanisme d'autoaiguillage qui établira un équilibre entre les droits des patients et ceux des médecins. Selon moi, cette mesure de protection est nécessaire et relève tout à fait de la compétence du Parlement.

Je respecte les tribunaux et la primauté du droit au pays. Le Canada est un pays civilisé. C'est d'ailleurs pourquoi nous respectons la règle de droit. Il demeure toutefois que c'est le Parlement qui détermine les lois au pays, et non les tribunaux. Au fond, c'est de cette question que nous sommes saisis.

J'appuie l'amendement et je voterai en sa faveur. Je vous encourage tous à faire de même. Merci.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

L'honorable Daniel Lang : Je veux faire quelques observations sur l'amendement proposé. J'aimerais moi aussi souligner qu'à mon avis, il empiète sur la responsabilité constitutionnelle des provinces et des territoires. J'estime qu'il faut faire preuve d'une grande prudence lorsque nous proposons des lois qui s'ingèrent dans leurs responsabilités courantes et où les Canadiens s'attendent à les voir exercer leurs pouvoirs.

Je veux aborder un autre point qui me préoccupe concernant l'amendement dont nous sommes saisis, et c'est la question de ne pas exiger qu'un médecin aiguille le patient vers un autre professionnel de la santé lorsque ce médecin refuse d'effectuer un acte médical.

Ce dont nous n'avons pas discuté, à propos de cet article, c'est ce qui arrive au patient qui n'est pas aiguillé vers un autre fournisseur de soins. C'est la question que je me pose.

Je comprends le débat et la passion qu'il suscite. Toutefois, d'un point de vue logique, si je suis médecin et que j'estime ne pas pouvoir, pour des raisons de conscience, effectuer un acte médical, j'ai parfaitement le droit de refuser. En même temps, je dirais que j'ai une responsabilité envers mon patient; je pense que ce ne serait pas trop me demander que de l'aiguiller vers un registre central ou un autre médecin.

Je ne crois pas qu'un médecin laisserait un patient en plan, sans l'aiguiller vers quelqu'un d'autre, s'il décide qu'il ne peut plus lui fournir ses services.

Je dois dire que, selon moi, l'article proposé empiète sur la responsabilité des provinces. Je reviens à ma position initiale, lorsque nous avons commencé à étudier le projet de loi, soit que les provinces et les territoires font ce que nous attendons d'eux, c'est-à- dire instaurer un système qui leur permettra de mettre en place les procédures médicales nécessaires dans le but de donner accès à l'aide médicale à mourir, lorsqu'une demande est présentée, et c'est ce qu'ils font. Je pense que nous devons respecter cela. Il serait très déplacé de notre part de nous en mêler, et je n'appuierai pas l'amendement.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Nous poursuivons le débat. La sénatrice Batters a la parole.

L'honorable Denise Batters : Le sénateur Lang accepterait-il que je lui pose une question très brève?

Le sénateur Lang : Oui.

La sénatrice Batters : Sénateur Lang, vous nous avez dit qu'il fallait prendre soin de ne pas empiéter sur un champ de compétence provinciale ou territoriale. Comme nous sommes un peu dans une situation de vide juridique, étant donné que la mesure législative n'a pas été adoptée, êtes-vous au courant du fait que les provinces et les territoires ont établi des cadres réglementaires sur la question et que le Yukon, d'où vous venez, étudie un projet de cadre réglementaire donnant aux mineurs matures accès à l'aide médicale à mourir?

Le sénateur Lang : Honorables sénateurs, je tiens à préciser qu'au Yukon il est établi que deux médecins doivent reconnaître que le patient satisfait aux critères énoncés par la Cour suprême, et le Conseil médical du Yukon fait remarquer qu'il n'est pas certain que le service pourrait légalement être accessible aux mineurs. Manifestement, la question n'était pas réglée quand les lignes directrices et le règlement ont été élaborés. Des modifications seront sûrement apportées au fil du temps, car comme nous l'avons tous mentionné il s'agit de quelque chose de nouveau pour tout le monde.

Contrairement aux sénateurs de l'Ontario ou de la Nouvelle- Écosse, je peux vous assurer, et je tiens à assurer à la sénatrice de la Saskatchewan, que le système est uniforme sur le plan de la procédure. La formulation diffère un peu à quelques endroits, mais les principes sont tous les mêmes.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer? L'honorable sénateur Plett, avec l'appui de l'honorable sénatrice Martin, propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas lu maintenant une troisième fois, mais qu'il soit...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion d’amendement veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion d’amendement veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : L'agent de liaison du gouvernement et le whip de l'opposition se sont-ils entendus?

Le sénateur Plett : Quinze minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 21 h 12.

Convoquez les sénateurs.

(2110)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée par le vote suivant :

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Marshall
Ataullahjan Martin
Batters McIntyre
Beyak Mockler
Carignan Ngo
Dagenais Oh
Doyle Patterson
Eaton Plett
Enverga Poirier
Frum Runciman
Housakos Stewart Olsen
MacDonald Tkachuk
Maltais Unger—27
Manning

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Massicotte
Bellemare McCoy
Black McInnis
Campbell Mercer
Cools Merchant
Cordy Meredith
Cowan Mitchell
Day Moore
Downe Munson
Duffy Nancy Ruth
Dyck Ogilvie
Eggleton Omidvar
Fraser Pratte
Gagné Raine
Greene Ringuette
Harder Seidman
Jaffer Smith
Johnson Tannas
Joyal Tardif
Kenny Wallace
Lang Wallin
Lankin Watt
Lovelace Nicholas White—46

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Sibbeston—1

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à demain, à 9 heures.)

 
Haut de page