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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 187

Le mardi 20 mars 2018
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 20 mars 2018

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, après consultation, il a été convenu de permettre la présence de photographes dans la salle du Sénat pour photographier la présentation des nouvelles sénatrices que nous accueillons aujourd’hui.

Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme nous accueillons aujourd’hui deux nouvelles sénatrices, nous allons attendre que les membres de leurs familles prennent place à la tribune.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’une délégation de la Knesset d’Israël, dirigée par M. Albert Sakharovich, le directeur général.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Nouvelles sénatrices

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que le greffier a reçu du registraire général du Canada les certificats établissant que les personnes suivantes ont été appelées au Sénat :

Martha Deacon

Yvonne Boyer

Présentation

Son Honneur le Président informe le Sénat que des sénatrices attendent à la porte pour être présentées.

L’honorable sénatrice suivante est présentée, puis remet les brefs de Sa Majesté l’appelant au Sénat. La sénatrice, en présence du greffier, prête le serment prescrit et prend son siège.

L’honorable Martha (Marty) Deacon, de Waterloo, en Ontario, présentée par l’honorable Peter Harder, C.P., et l’honorable Chantal Petitclerc.

L’honorable sénatrice suivante est présentée, puis remet les brefs de Sa Majesté l’appelant au Sénat. La sénatrice, en présence du greffier, fait la déclaration solennelle et prend son siège.

L’honorable Yvonne Boyer, de Merrickville-Wolford, en Ontario, présentée par l’honorable Peter Harder, C.P., et l’honorable Murray Sinclair.

(1420)

Son Honneur le Présidentinforme le Sénat que chacune des honorables sénatrices susmentionnées a fait et signé la déclaration d’aptitude des qualifications exigées prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d’attester cette déclaration.

Félicitations à l’occasion de leur nomination

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : J’ai le plaisir, à titre de représentant du gouvernement au Sénat, de souhaiter la bienvenue à nos deux nouvelles collègues, l’honorable Martha Deacon et l’honorable Yvonne Boyer, qui représenteront toutes deux l’Ontario.

[Français]

Je sais que la sénatrice Deacon est fière de servir le Canada au Sénat et est impatiente de travailler dans le cadre de dossiers qui la passionnent : l’environnement, les affaires internationales et les peuples autochtones.

[Traduction]

Pendant sa carrière dans le domaine de l’éducation, la sénatrice Deacon a été tour à tour enseignante, directrice d’école, consultante, chargée de cours à l’université et surintendante.

Son expérience sur le court de badminton nous garantit qu’elle a ce qu’il faut pour réussir : rapidité, endurance, mais, surtout, la conscience de l’importance de l’esprit d’équipe. Elle est donc prête aux échanges soutenus qui caractérisent les travaux du Sénat.

Entre sa carrière d’éducatrice et celle d’athlète et d’instructrice, la sénatrice Deacon a aussi représenté le Canada auprès de nombreux comités et commissions à l’échelle nationale et internationale. Elle attribue ses succès — professionnels et sportifs — à l’amour et au soutien que lui donnent son mari, Bruce, et ses filles, Kristine et Kailee.

La sénatrice Boyer a un curriculum vitae bien rempli : avocate, professeure, professionnelle de la santé et chercheuse. Elle s’est fait connaître en luttant contre les inégalités et pour l’amélioration des services de santé offerts aux peuples autochtones du Canada.

[Français]

Dévouée à des questions d’égalité et de justice pour les peuples autochtones, à titre d’avocate, la sénatrice Boyer s’est distinguée par une approche collaborative.

[Traduction]

Dans sa pratique du droit, la sénatrice Boyer a cherché à trouver des solutions pour ses clients en s’efforçant de concilier diverses approches occidentales et autochtones. Je vous recommande fortement son ouvrage publié récemment, Moving Aboriginal Health Forward: Discarding Canada’s Legal Barriers.

Elle a aussi l’insigne distinction d’être la première sénatrice autochtone de l’Ontario.

Sénatrice Boyer, je pense que vous serez dans votre élément au Sénat et au sein des comités, où nous abordons certaines des questions les plus difficiles, notamment celles dans lesquelles vous possédez de l’expertise.

Avec ces nominations de deux femmes exceptionnelles, le Sénat s’approche de plus en plus de la parité hommes-femmes — une chose que les Pères de la Confédération n’ont jamais imaginée, j’en suis sûr, il y a plus de 150 ans, mais qui assure que le Sénat soit une Chambre représentative qui fournit une surveillance appropriée et un second examen objectif.

[Français]

Chers collègues, bienvenue aux sénatrices Deacon et Boyer.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je suis heureux de souhaiter moi aussi la bienvenue à nos nouvelles collègues de la province de l’Ontario, l’honorable Martha Deacon et l’honorable Yvonne Boyer.

Je félicite les deux honorables sénatrices de leur nomination à cette Chambre qui suit la recommandation du premier ministre. Tous les honorables sénateurs sont impatients de mieux vous connaître et de se présenter à leur tour à vous.

[Français]

Bien que la sénatrice Deacon et la sénatrice Boyer se retrouvent dans un environnement qui leur est inconnu, j’ose espérer qu’elles ne tarderont pas à se sentir ici chez elles, au Sénat du Canada.

[Traduction]

La sénatrice Deacon contribue depuis longtemps à mener le Canada à la victoire lors de compétitions sportives internationales. Elle se joint maintenant à un groupe qui peut déjà se vanter de compter deux médaillées d’or parmi ses membres. Je parle, bien sûr, de nos collègues, la sénatrice Nancy Greene Raine et la sénatrice Chantal Petitclerc.

Canadienne d’origine métisse, la sénatrice Boyer suit les traces de l’ancien sénateur Gerry St. Germain et de la regrettée sénatrice Thelma Chalifoux.

C’est un véritable honneur de servir les citoyens au Sénat du Canada. Nos nouvelles collègues trouveront, sans nul doute, leur travail ici à la fois ardu et éclairant. Au nom de tous les sénateurs, et notamment des sénateurs conservateurs, je transmets nos meilleurs vœux à la sénatrice Deacon et à la sénatrice Boyer.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je suis honoré de prendre la parole au nom des membres du Groupe des sénateurs indépendants afin de souhaiter la bienvenue aux honorables sénatrices Marty Deacon et Yvonne Boyer.

La sénatrice Deacon fera profiter le Sénat de son expérience de plus de 30 ans à titre d’éducatrice, d’administratrice des sports et de championne de la santé. Elle siège actuellement comme administratrice au sein du Comité olympique canadien et de Jeux du Commonwealth Canada. Elle a aussi occupé des fonctions au conseil exécutif d’autres organisations, notamment Badminton Canada, l’Association ontarienne pour l’éducation physique et la santé et le Centre d’animation scolaire de l’Ontario.

La sénatrice Deacon a également été chef de mission du Canada pour les Jeux du Commonwealth de 2010, à Delhi, en Inde.

Les réalisations de la sénatrice Deacon lui ont valu de nombreux prix et récompenses, notamment le prix Women of Distinction and Lifetime Achievement Award du YWCA pour la région de Waterloo, le prix Éducation et Jeunesse du Comité international olympique et le prix Jules Nisse « Du terrain de jeu au podium ». Elle a, en outre, été intronisée au Cambridge Sports Hall of Fame pour son travail bénévole dans le sport.

On a déjà souligné que le badminton est le sport préféré de la sénatrice Deacon. Le sénateur Harder affirme qu’elle sait certainement renvoyer le volant. Son smash est sans doute dévastateur.

J’aimerais également souhaiter la bienvenue à l’époux de la sénatrice Deacon, Bruce, ainsi qu’à leurs filles, Kailee et Kristine. Je sais à quel point votre appui a été important tout au long de l’illustre carrière de notre nouvelle collègue et à quel point votre soutien continu sera déterminant alors qu’elle entreprend cette nouvelle aventure.

Chers collègues, cela aura pris du temps, mais la sénatrice Yvonne Boyer est la première personne de l’Ontario nommée au Sénat à s’identifier comme étant Autochtone. Membre de la nation métisse de l’Ontario, elle possède plus de 21 ans d’expérience en droit et a passé une bonne partie de sa distinguée carrière à travailler au dossier de la prestation de services de soins de santé aux Autochtones du Canada. Elle a publié de nombreux documents érudits au sujet de questions relatives aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits, notamment en ce qui a trait aux soins de santé et au droit.

La sénatrice Boyer est une ancienne membre de la Commission canadienne des droits de la personne. Elle a été juriconsulte de l’Association des femmes autochtones du Canada, conseillère juridique de la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada, de même qu’analyste principale des politiques et conseillère juridique de l’Organisation nationale de la santé autochtone. Elle a par ailleurs été membre des conseils d’administration du Réseau local d’intégration des services de santé de Champlain ainsi que de l’organisme Aide à l’enfance Canada.

Comme elle a vécu et travaillé dans des bases des Forces canadiennes, la sénatrice Boyer connaît et comprend bien les questions liées à la sécurité nationale et à la défense nationale.

Nous sommes très impatients de travailler avec nos deux nouvelles collègues et de mettre à profit les vastes expériences et connaissances qu’elles apportent au Sénat. Sénatrice Boyer, sénatrice Deacon, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables collègues, je me joins à mes autres collègues pour souhaiter aux nouvelles sénatrices la bienvenue dans cette auguste assemblée. Martha (Marty) Deacon et Yvonne Boyer représentent toutes deux la province de l’Ontario.

Sénatrice Deacon, vous êtes éducatrice depuis longtemps. Vous avez été enseignante, directrice et entraîneuse. Comme nous l’avons entendu, vous avez représenté notre pays sur la scène internationale dans votre rôle dans le sport amateur, notamment en tant que chef de mission aux Jeux du Commonwealth en 2010.

(1430)

Vous avez récemment dit dans une entrevue que vous vouliez être sénatrice parce que de nombreux domaines vous intéressent, comme la santé, la santé mentale et la sécurité des Canadiens. Je vous assure que vous aurez l’occasion de travailler sur ces questions au Sénat.

Sénatrice Boyer, vous aussi vous apportez un ensemble considérable de compétences et d’expérience au Sénat. Vous êtes avocate. Vous avez votre propre pratique. Vous êtes professeure de droit à temps partiel à l’université ainsi que directrice associée du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa. Vous avez lutté pour améliorer les soins de santé offerts aux peuples autochtones au Canada. Membre de la nation métisse de l’Ontario, vous êtes la première sénatrice autochtone de l’Ontario. C’est un événement que nous attendons depuis bien trop longtemps.

Je vous assure toutes les deux que vous trouverez parmi vos collègues du Sénat des personnes qui ont les mêmes souhaits et cherchent avec le même enthousiasme que vous à améliorer la vie des Canadiens. Le Sénat abonde en personnes engagées, expérimentées et vaillantes. Chacun de nous est fier de siéger au Sénat pour tenter de faire de nos provinces, de nos régions et de notre pays un meilleur endroit où vivre.

Comme vous le savez, nous sommes en train d’effectuer une profonde réforme ici, au Sénat. C’est un moment fort intéressant pour y siéger. Je n’ai aucun doute que vous saurez mettre à profit vos talents et votre expérience dans le travail que nous allons faire ensemble.

Encore une fois, au nom de mes collègues libéraux indépendants, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au Sénat du Canada. Nous serons heureux de travailler avec vous.


[Français]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Les Jeux paralympiques de 2018

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, ces jours-ci, nos athlètes paralympiques rentrent au pays.

[Traduction]

À l’âge de 19 ans, comme son père avant lui, Brian McKeever a appris qu’il était atteint de la maladie de Stargardt, une maladie génétique rare, et qu’il deviendrait lui aussi aveugle. Athlète talentueux et accompli, il n’a jamais laissé cela le définir. Brian se laisse plutôt définir par les quatre médailles paralympiques, dont trois en or, qu’il a remportées à Pyeongchang. Les 19 médailles qu’il a remportées dans sa carrière font de lui l’athlète canadien le plus couronné de l’histoire des Jeux paralympiques d’hiver.

À 15 ans, Natalie Wilkie était déjà en voie de devenir une skieuse d’élite lorsqu’elle a été victime d’un terrible accident dans un atelier à l’école. Elle a perdu quatre doigts de sa main gauche qui se sont coincés dans une machine à jointer. Elle fabriquait un panneau de bois. Cette épreuve ne l’a toutefois pas empêchée de poursuivre son rêve. Deux semaines plus tard, elle remettait ses skis. Il y a quelques jours, à Pyeongchang, elle a franchi le fil d’arrivée une seconde seulement devant son adversaire. À 17 ans, elle a remporté une médaille d’or.

[Français]

Quand elle est devenue la première Québécoise à se qualifier à la fois aux Jeux paralympiques d’hiver et à ceux d’été, Cindy Ouellet n’a surpris personne. Athlète d’exception, elle est membre de l’équipe nationale de basketball en fauteuil roulant depuis l’âge de 16 ans.

Elle a fait deux maîtrises et termine en ce moment un doctorat en génie biomédical en Californie. Rien ne lui fait peur. Atteinte d’un cancer des os à l’âge de 12 ans, elle ne s’est jamais laissé intimider par les obstacles. Après avoir obtenu une 18e place en ski de fond aux jeux de Pyeongchang, elle nous annonce déjà qu’elle n’a pas dit son dernier mot et qu’elle sera de retour dans quatre ans.

[Traduction]

Les 55 Canadiens qui reviennent des Jeux paralympiques sont des athlètes de haut niveau à part entière. Ils s’entraînent de manière intensive, ils luttent au fil d’arrivée et ils se surpassent. Il s’agit aussi de 55 histoires de Canadiens qui ont affronté l’adversité, qui ont atteint l’excellence et qui ont prouvé que tout est possible.

Honorables sénateurs, à Vancouver en 2010, le Canada a remporté un nombre record de 19 médailles aux Jeux paralympiques. Ce record a été pulvérisé. Au moment où les membres de l’équipe canadienne ramènent au pays un nombre incroyable de 28 médailles, veuillez vous joindre à moi pour leur dire : « Bienvenue à la maison. Nous vous félicitons pour cette performance historique. Nous sommes très fiers de vous. »

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du frère de la sénatrice Bovey, Ted Glover, et de sa petite-fille, Cassie Glover. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Bovey. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Bovey.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès d’Asma Jahangir

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à Asma Jahangir, comme l’a fait le sénateur Harder. Asma est décédée le 11 février dernier.

Asma Jahangir était une avocate, auteure et militante pakistanaise des droits de la personne connue dans le monde entier et dont j’ai souvent dit qu’elle était la conscience du Pakistan. Asma a consacré sa vie à promouvoir et à défendre les droits de la personne, en particulier ceux des femmes, des enfants et des minorités religieuses du Pakistan. Elle a milité pour la démocratie et a été l’un des membres fondateurs de la commission pakistanaise des droits de la personne, ainsi que la première femme présidente de l’association du Barreau de la Cour suprême.

Asma a été cofondatrice du Forum d’action des femmes créé pour s’opposer aux lois réduisant les témoignages des femmes devant les tribunaux à la moitié de ceux des hommes. Elle a été rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, ainsi que rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran.

Reconnue pour sa quête inlassable de l’égalité pour tous, Asma a reçu de nombreux prix et récompenses prestigieux au Pakistan et dans le monde. En 2011, elle a reçu le premier prix John Diefenbaker pour la défense des droits de la personne et de la liberté, qui est remis annuellement, en reconnaissance de son courage et de son leadership exceptionnels dans ce domaine.

En reconnaissance de l’excellence dont elle a fait preuve au service du Pakistan, elle recevra cette semaine, à l’occasion de la fête nationale du pays, la plus haute récompense civile Nishan-e-Imtiaz.

J’ai fait la connaissance d’Asma à l’occasion d’un événement tenu il y a de nombreuses années à Toronto. Ce qui m’a le plus frappée en la voyant, c’est la petite taille de cette intrépide et inlassable défenseure des droits de la personne, animée d’une énergie débordante. Emprisonnée pour son action en faveur de la démocratie et assignée à résidence pour s’être opposée à la destitution du chef de la Cour suprême par la junte militaire, Asma a été une farouche militante de la démocratie et de la règle du droit. En tant qu’avocate, elle a souvent défendu des causes auxquelles personne ne s’intéressait.

Ma fille, Shaanzeh, a eu la chance de participer à un stage au cabinet d’avocats fondé à Lahore par Asma et sa sœur, Hina Jilani. Shaanzeh a constaté que tous ceux qui travaillaient dans ce cabinet étaient des gens passionnés et qu’Asma et sa sœur avaient réussi à forger un groupe entièrement dévoué à la défense des sans-voix et à devenir une source d’inspiration pour les autres.

La carrière de défenseure des droits de la personne d’Asma Jahangir est sans précédent au Pakistan. L’influence de l’œuvre majeure de sa vie continuera de se faire sentir, malgré son décès prématuré.

L’honorable Joyce Fairbairn, C.P., C.M

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables collègues, étant donné que nous accueillons de nouvelles sénatrices dans cette enceinte, je tiens à attirer votre attention sur l’hommage qu’on a rendu à l’une de nos anciennes collègues.

La semaine dernière, on a annoncé que la toute nouvelle école de Lethbridge, en Alberta, portera le nom de notre chère amie et ancienne collègue, l’honorable Joyce Fairbairn. La Senator Joyce Fairbairn Middle School, qui accueillera des élèves de la 6e à la 8e année, ouvrira ses portes cet automne. C’est tout à fait approprié.

Quiconque connaît Joyce ne sera pas surpris par cet hommage. Elle a toujours été une femme remarquable, faisant preuve d’un enthousiasme inégalé et d’un engagement unique à l’égard de ses compatriotes albertains et de tous les Canadiens pendant près de 30 ans au Sénat.

On m’a dit que, lorsqu’on lui a demandé de se joindre au Sénat la première fois, elle a refusé. Heureusement pour tout le monde, on a éventuellement réussi à la convaincre. Elle est venue ici en 1984 et, au fil du temps, elle a siégé à 18 comités. Elle a été présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et a défendu son rapport exhaustif sur la pauvreté dans les régions rurales du Canada. Elle a été présidente du Comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-36, la première mesure législative antiterrorisme après le 11 septembre, et j’ai eu le plaisir de siéger avec elle à ce comité. Elle était membre fondateur du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et est la première femme à avoir été nommée leader du gouvernement au Sénat.

(1440)

Cependant, c’est à l’alphabétisation que nous associons le plus Joyce. Pendant qu’elle était leader du gouvernement ici, elle a aussi été ministre responsable de l’alphabétisation. En 1985, elle et le Comité spécial sur la jeunesse ont proposé une campagne nationale pour améliorer les possibilités et les résultats des jeunes au chapitre de l’alphabétisation. Elle a entamé une lutte pour ceux qui ont besoin d’aide à l’alphabétisation et son désir que tous les Canadiens possèdent les compétences de base nécessaires pour réussir et être prospères de même que son ardeur à défendre cette cause n’ont jamais faibli.

Même si elle ne siège plus au sein de cette assemblée depuis près de cinq ans, lorsque des sénateurs ici parlent d’alphabétisation, ils saluent encore le travail accompli par Joyce. C’est l’héritage qu’elle nous a laissé.

Joyce a toujours été fière de ses racines à Lethbridge. Elle est très connue et appréciée là-bas et, grâce à la Senator Joyce Fairbairn Middle School, le souvenir de son nom se perpétuera pendant des décennies.

[Français]

La Journée internationale de la Francophonie

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, chaque année, le 20 mars, nous célébrons la Journée internationale de la Francophonie. Les 274 millions de locuteurs français qui habitent les 5 continents fêtent aujourd’hui leur langue et la diversité au sein de la Francophonie.

[Traduction]

La Journée internationale de la Francophonie a été créée en 1988 par 70 États et gouvernements membres de l’Organisation internationale de la Francophonie dans le but de célébrer la langue française dans toute sa richesse et ses couleurs. La date du 20 mars a été choisie parce que l’Agence de coopération culturelle et technique, qui est devenue plus tard l’Organisation internationale de la Francophonie, a été fondée cette journée-là en 1970.

[Français]

Depuis, le Canada, comme plusieurs États membres, profite de cette date pour souligner l’importante contribution des francophones au développement de leur pays et pour célébrer la richesse culturelle de la langue française.

Au Canada, nous comptons près de 3 millions de francophones à l’extérieur du Québec et environ 8 millions au Québec. La langue française, qui est ancrée dans notre Constitution et dans notre législation, fait partie de notre pays et de notre identité collective depuis la rencontre de nos ancêtres français avec les Premières Nations.

Honorables collègues, il y a quelques jours, à bord du vol qui me transportait de mon Acadie natale à notre capitale nationale, en pensant à cette Journée de la Francophonie, je regardais le fleuve Saint-Laurent du haut du ciel et j’imaginais le parcours qu’a fait la langue française il y a environ 415 ans alors que, à l’Île-Sainte-Croix et à Port-Royal, en Acadie, s’amorçait l’une des plus belles aventures humaines qui soit, celle de construire un nouveau pays en offrant la langue française comme l’une de ses richesses naturelles, à côté des langues autochtones et de la langue anglaise; construire un pays fait de mots, de paroles et de gestes d’hommes et de femmes qui ont du cœur au ventre et dont les rêves sont aussi grands que ce nouveau continent à habiter.

Cette langue qui a semé ses premières graines en sol d’Amérique sur les rives de la baie de Fundy a, depuis, remonté le fleuve comme le saumon remonte la rivière pour s’installer un peu partout sur le continent et fleurir avec force en Atlantique, au Québec, en Ontario et dans les provinces de l’Ouest et du Nord.

En cette Journée internationale de la Francophonie, je nous invite tous à célébrer cette langue qui façonne l’identité de notre pays et qui contribue aujourd’hui à son essor culturel, social, économique et politique, ici et ailleurs dans le monde. Honorables collègues, nous habitons un territoire, un pays dont les contours et les frontières sont façonnés, balisés par la langue de la poète du Parlement, Georgette LeBlanc, par celle d’Antonine Maillet, de Michel Tremblay, de Jean-Marc Dalpé, de Laurier Gareau, de Gabrielle Roy, de Gilles Poulin-Denis et de tant d’autres.

[Traduction]

Célébrons le français, cette langue émouvante qui nous a donné certains des plus beaux écrits du patrimoine culturel de l’humanité. Aimons cette langue, non pas comme un simple véhicule de communication, mais comme un révélateur de notre âme individuelle et collective, une langue qui appartient à tous les Canadiens.

[Français]

Offrons à l’humanité des mots français qui sonnent et qui résonnent, des mots français qui inspirent et qui caressent, des mots français qui chantent ce que nous sommes. Comme un grand chant solidaire lancé à l’humanité, célébrons en compagnie de ces femmes et de ces hommes dans le monde avec qui nous avons la langue française en partage et construisons ensemble un pays fier de ses langues officielles et fier de faire partie de la Francophonie.

Merci de votre attention, et bonne Journée internationale de la Francophonie!

[Traduction]

Carrefour international

L’honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, le 8 mars, nous avons célébré la Journée internationale des femmes. En l’honneur de cette journée, j’aimerais vous parler du Carrefour international, un organisme canadien qui fait la promotion des droits des femmes partout dans le monde.

En 2018, le Carrefour international a célébré son 60e anniversaire. Il a été reconnu comme un modèle de coopération internationale fructueuse et comme un partenaire important d’Affaires mondiales Canada dans l’atteinte des objectifs de développement international du Canada.

[Français]

Carrefour international met l’accent sur l’apprentissage mutuel et la solidarité. Il envoie des bénévoles canadiens à l’étranger et invite au Canada des bénévoles des pays en voie de développement pour qu’ils puissent partager leur expertise et atteindre des objectifs communs.

[Traduction]

En 2016-2017 seulement, Carrefour international a aidé plus de 30 000 personnes à améliorer leurs conditions de vie, dont 17 000 femmes et jeunes filles, qui ont acquis les outils nécessaires pour accroître leur accès à la justice, pour perfectionner leurs compétences en leadership et pour devenir plus autonomes sur le plan financier.

Au Swaziland, un pays aux prises avec des taux élevés d’infection à VIH et d’agressions sexuelles, des clubs d’autonomisation offrent un milieu sûr à des jeunes filles afin qu’elles puissent discuter de leur expérience, apprendre à connaître leurs droits et obtenir du soutien. Des mentors dûment formés renseignent les jeunes filles sur la violence fondée sur le sexe, la santé génésique, la prévention de la traite des personnes et l’importance de l’éducation.

Une autre initiative mise en œuvre au Ghana vise à former des femmes et des hommes, y compris des dirigeants religieux et traditionnels, afin qu’ils puissent comprendre les lois contre la violence familiale et soutenir les survivants de mauvais traitements dans leurs rapports avec le système de justice.

[Français]

De plus, en Bolivie, au Sénégal et au Togo, Carrefour international offre aux jeunes agriculteurs de la formation en technique agricole moderne et écologique. Ce programme encourage les jeunes à poursuivre une carrière en agriculture, génère des revenus durables et s’attaque à l’insécurité alimentaire.

[Traduction]

Carrefour international est un allié solide et inestimable, qui aide le Canada à atteindre les objectifs de sa politique étrangère féministe. Les bénévoles de l’organisme améliorent vraiment les choses un peu partout dans le monde. Le travail effectué par l’organisme est une source d’inspiration pour nous tous.

Le décès de Cece Hodgson McCauley

L’honorable Lynn Beyak : Honorables collègues, j’interviens au Sénat aujourd’hui pour rendre hommage à la grande chef fondatrice et honoraire de la bande dénée d’Inuvik, Cece Hodgson-McCauley, qui s’est éteinte entourée de sa famille aimante le lundi 12 mars, à l’âge de 95 ans, à son domicile de Norman Wells, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Née sur les rives du Grand lac de l’Ours en 1922, Cece a vécu sa vie comme une fière habitante du Nord. Tout comme sa sœur, Alice, et son frère, John, elle a fréquenté l’école Sacred Heart Mission à Fort Providence. Elle a passé 10 ans dans ce pensionnat. Cece a déclaré à maintes reprises qu’il s’agissait des plus belles années de sa vie.

Cece était une source d’inspiration pour tout le monde. Elle a été la première femme à devenir chef dans les Territoires du Nord-Ouest et elle a été présidente de la Société de gestion foncière de Norman Wells. Cece a aussi travaillé jusqu’à la toute fin, écrivant une chronique informative et franche pour News/North, une projet indispensable de prolongement de la route de la vallée du Mackenzie, sur lequel elle a travaillé pendant 20 ans.

(1450)

Cece n’a jamais eu peur de dire ce qu’elle pensait. Elle nous a rappelé que, parfois, pour qu’il y ait des changements, il faut se faire entendre. Lorsqu’elle a abordé son expérience dans le pensionnat où elle avait été placée, elle a écrit ceci :

On s’occupait bien de nous. Nous étions bien nourris. Les filles apprenaient à coudre et à tricoter. On nous enseignait les mathématiques et on nous montrait à lire et à écrire.

Quand son article a été critiqué par certains des anciens, elle a eu le courage de s’en tenir à ce qu’elle avait écrit et à ses propres expériences positives. Dans le dernier article qu’elle a rédigé pour News/North il y a peu de temps, Cece disait qu’elle avait eu une vie merveilleuse et se considérait chanceuse d’avoir sa famille et d’avoir pu faire ce qu’elle avait fait pendant son passage sur terre.

Cece, avec sa personnalité courageuse et aimante, manquera à beaucoup de gens et aura toujours une place spéciale dans mon cœur. Au cours de la dernière année, elle a été pour moi une source de force, un mentor et une amie très chère. Elle tenait absolument à ce que je ne me laisse pas abattre et à ce que je continue de dire la vérité au sujet des pensionnats indiens.

Je me suis rendue à Norman Wells pour m’entretenir avec Cece à propos de son conseil d’anciens et des discussions de ce conseil au sujet de son message et de ses histoires positives à l’égard des pensionnats indiens. Je vais poursuivre mon travail ici en souvenir d’elle.

J’aimerais conclure cet hommage en reprenant la phrase qui terminait le dernier article de Cece dans News/North et en soulignant à quel point elle était une personne aimante : « À la prochaine, avec tout mon amour, Cece ».

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à l’intégrité du secteur public

Le Service correctionnel du Canada—Dépôt du rapport sur les conclusions découlant d’une enquête sur une divulgation d’actes répréhensibles

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Commissariat à l’intégrité du secteur public, intitulé Conclusions du Commissariat à l’intégrité du secteur public dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles (Service correctionnel du Canada), conformément à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46,par. 38(3.3).

[Traduction]

Le directeur parlementaire du budget

Fractionnement du revenu au moyen de sociétés privées—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget, intitulé Fractionnement du revenu au moyen de sociétés privées, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).

Budget 2018 : Enjeux pour les parlementaires—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget, intitulé Budget 2018 : Enjeux pour les parlementaires, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).

Le soutien financier du gouvernement fédéral aux provinces et aux territoires : une analyse des scénarios à long terme—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget, intitulé Le soutien financier du gouvernement fédéral aux provinces et aux territoires : une analyse des scénarios à long terme, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).

Dépenses fédérales en personnel : Tendances passées et futures—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget, intitulé Dépenses fédérales en personnel : Tendances passées et futures, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).

L’étude sur des questions liées aux relations étrangères et au commerce international en général

Seizième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international—Dépôt de la réponse du gouvernement

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse officielle du gouvernement, en date du 15 mars 2018, au seizième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et commerce international, intitulé Aggravation de la crise au Venezuela : enjeux pour le Canada et la région, déposé auprès de la greffière du Sénat le 20 juillet 2017.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-24(4) du Règlement, cette réponse et le rapport initial sont renvoyés d’office au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Français]

L’Association législative Canada-Chine

La visite annuelle des coprésidents en Chine, du 19 au 26 mai 2017—Dépôt du rapport

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l’Association législative Canada-Chine concernant la visite annuelle des coprésidents à Hohhot, Shenyang, Harbin et Pékin, en République populaire de Chine, du 19 au 26 mai 2017.

La réunion bilatérale, tenue du 16 au 26 août 2017—Dépôt du rapport

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l’Association législative Canada-Chine concernant sa participation à la 21e réunion bilatérale à Pékin, dans les régions de Shaanxi, Sichuan et Qinghai, et à Hong Kong, en République populaire de Chine, du 16 au 26 août 2017.

[Traduction]

Pêches et océans

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé à se réunir le mardi 27 mars 2018, à 17 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Conformément à la motion adoptée le jeudi 1er mars 2018, la période des questions aura lieu à 15 h 30.


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Dépôt de la réponse à une question inscrite au Feuilleton

Les services publics et l’approvisionnement—Les dépenses en construction navale nationale

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 64, en date du 1er novembre 2017, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénatrice Griffin, concernant les dépenses en construction navale nationale.

Réponses différées à des questions orales

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer les réponses aux questions orales suivantes :

Réponse à la question orale posée au Sénat le 9 novembre 2017 par l’honorable sénateur Smith, concernant les pensions pour les anciens combattants blessés.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 30 janvier 2018 par l’honorable sénatrice Raine, concernant l’équipe olympique.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 30 janvier 2018 par l’honorable sénateur Oh, concernant la détention d’enfants réfugiés.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 31 janvier 2018 par l’honorable sénateur Smith, concernant l’assurance-emploi.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 31 janvier 2018 par l’honorable sénateur Carignan, C.P., concernant l’entente Netflix.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 1er février 2018 par l’honorable sénateur Smith, concernant les initiatives relatives à l’infrastructure.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 1er février 2018 par l’honorable sénateur Carignan, C.P., concernant le port de Montréal.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 8 février 2018 par l’honorable sénateur Doyle, concernant le programme Emplois d’été Canada.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 14 février 2018 par l’honorable sénateur Housakos, concernant le train à grande fréquence.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 14 février 2018 par l’honorable sénatrice Frum, concernant Bombardier Inc. — La vente d’avions à l’Iran.

Les anciens combattants

Les pensions pour les anciens combattants blessés

(Réponse à la question posée le 9 novembre 2017 par l’honorable Larry W. Smith)

Anciens Combattants Canada

Quand les vétérans peuvent-ils s’attendre à ce que des mesures soient prises pour rétablir la pension à vie comme option pour les vétérans blessés?

En novembre 2015, le ministre des Anciens Combattants a reçu le mandat du premier ministre de rétablir la pension à vie comme option pour les membres des Forces armées canadiennes et les vétérans.

Le gouvernement a consulté activement la communauté des vétérans pour mieux comprendre les problèmes et les défis auxquels font face les vétérans canadiens et leurs familles au cours de leur vie.

Ces consultations, menées auprès de groupes d’intervenants comme le Bureau de l’ombudsman des vétérans et le groupe consultatif du ministre sur les politiques ont aidé à orienter la façon dont le gouvernement peut offrir ses programmes et services aux militaires, aux vétérans et à leurs familles pour leur permettre de réussir une transition sans heurt de la vie militaire à la vie civile.

En décembre 2017, le ministre des Anciens Combattants a annoncé la nouvelle pension à vie.

La pension à vie comprend trois nouveaux avantages qui visent à offrir une reconnaissance et une compensation aux vétérans à l’égard d’une invalidité attribuable à une blessure ou une maladie liée au service. Elle rétablit le versement de paiements mensuels, à vie, en reconnaissance de la douleur et de la souffrance éprouvées; elle présente une nouvelle allocation de reconnaissance; et elle combine six avantages existants en un seul.

Quand verrons-nous une loi habilitante être déposée au Parlement?

La loi habilitante pour la pension à vie sera déposée au Parlement aussitôt que possible pour s’assurer que toutes les autorisations sont en place avant la date de mise en œuvre du 1er avril 2019.

Le patrimoine canadien

L’équipe olympique

(Réponse à la question posée le 30 janvier 2018 par l’honorable Nancy Greene Raine)

Les normes de qualification aux Jeux olympiques sont établies par Patinage de vitesse Canada (PVC), conformément aux règlements de l’Union internationale de patinage (UIP). Selon les critères de sélection de PVC, pour se qualifier aux Jeux olympiques de 2018 et obtenir l’une des trois places de quota, les athlètes doivent figurer parmi les 16 premiers au classement mondial et terminer parmi les trois premiers aux épreuves préolympiques canadiennes. Malheureusement, comme le temps réalisé par M. William Dutton ne lui a pas permis de se classer parmi les 16 premiers et qu’il a terminé quatrième aux épreuves préolympiques, il n’a pu être retenu pour faire partie de l’équipe olympique.

Après avoir appris que les 16 meilleurs temps comprenaient ceux établis par deux patineurs russes bannis des Jeux olympiques pour avoir enfreint les règles antidopage, M. Dutton a porté en appel la décision de PVC devant le Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC). Après avoir examiné le processus de sélection, le CRDSC a rendu sa décision finale en faveur de PVC. L’UIP n’a pas retiré les temps des deux patineurs russes des 16 premiers temps, si bien que le CRDSC a déterminé en dernière analyse que PVC avait respecté le processus.

Le gouvernement du Canada reconnaît les efforts déployés par ses athlètes pour compétitionner aux plus hauts niveaux. Nous comprenons que ce résultat soit décevant pour M. Dutton.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’Agence des services frontaliers du Canada—La détention d’enfants réfugiés

(Réponse à la question posée le 30 janvier 2018 par l’honorable Victor Oh)

Agence des services frontaliers du Canada (ASFC)

Le gouvernement travaille à améliorer et minimiser l’utilisation du système de détention en matière d’immigration en investissant138 millions de dollars dans le nouveau Cadre national en matière de détention liée à l’immigration. Cela améliorera les solutions de rechange à la détention (SRD), permettra d’offrir des services de santé mentale et des soins médicaux de qualité dans les centres de surveillance de l’immigration (CSI) de l’ASFC, élargira les partenariats et comprendra des investissements visant à améliorer les infrastructures de détention liée à l’immigration. De plus, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a récemment publié une nouvelle instruction ministérielle (IM) qui énonce les lignes directrices pour l’ASFC lorsqu’elle prend une décision liée à la détention impliquant un mineur. Parmi ses objectifs clés, l’IM enjoint l’ASFC de chercher des solutions de rechange à la détention ou l’hébergement de mineurs (sauf dans des circonstances extrêmement limitées) et de préserver l’unité familiale.

Les SRD actuellement disponibles dans toutes régions comportent la mise en liberté sous conditions, et/ou libération sous garantie d’exécution et/ou un dépôt en espèces à une caution.  Dans la région du Grand Toronto (RGT), la libération sous garantie sous le programme « Toronto Bail » est aussi disponible. Le lancement du Cadre national de SRD élargi aura lieu au début d’avril 2018 et éventuellement, comprendra un programme de gestion des cas et de surveillance dans la collectivité, un système de communication par reconnaissance vocale et dans la RGT, l’utilisation de la surveillance électronique par GPS (projet-pilote de deux ans).

En date du 13 février 2018, un rapport indiquait que deux mineurs (un citoyen canadien et un étranger) étaient hébergés avec un parent dans un CSI, car cela était jugé nécessaire dans l’intérêt supérieur des enfants. En règle générale, un mineur hébergé ne fait pas l’objet d’une ordonnance de détention et il est libre de demeurer au CSI et de réintégrer celui-ci sous réserve du consentement de son parent ou tuteur légal visé par une ordonnance de détention.

Depuis novembre 2016, l’ASFC publie des statistiques sur les détentions liées à l’immigration: http://cbsa.gc.ca/security-securite/detent-stat-fra.html. Les statistiques trimestrielles du premier et du deuxième trimestres seront publiées dans les prochaines semaines. Cela inclura des détails sur les mineurs en fonction du statut, âge, sexe, durée d’hébergement ou de détention et du type d’installation, ainsi que la moyenne et la médiane du temps passé dans une installation.

La famille, les enfants et le développement social

L’assurance-emploi

(Réponse à la question posée le 31 janvier 2018 par l’honorable Larry W. Smith)

Dans le budget de 2016, le gouvernement a fourni des semaines supplémentaires d’assurance-emploi aux travailleurs de certaines régions touchées par la baisse mondiale des prix des produits de base. On prévoyait que 235 000 travailleurs licenciés profiteraient de ces changements.

Tel que présenté dans le Rapport actuariel de 2018 sur le taux de cotisation d’assurance-emploi, un peu moins de 400 000 travailleurs mis à pied ont utilisé la prestation, pour un coût estimatif de 1,92 milliard de dollars. L’utilisation plus grande de ces prestations supplémentaires est attribuable à divers facteurs, incluant certaines collectivités qui ont connu une baisse plus longue et plus marquée, une période de prestation prolongée qui a permis aux travailleurs qui étaient encore au chômage et à la recherche d’un emploi d’en bénéficier, des employés qui ont eu besoin de soutien supplémentaire pendant leur recherche d’emploi en dehors du domaine dans lequel ils avaient travaillé pendant de longues années.

Cette mesure a répondu aux besoins des travailleurs, de leurs familles et de leur communauté. Notre gouvernement a depuis introduit plus de souplesse au programme d’Assurance-emploi pour qu’il réponde aux besoins particuliers des Canadiens.

Le patrimoine canadien

L’entente Netflix

(Réponse à la question posée le 31 janvier 2018 par l’honorable Claude Carignan)

En ce qui concerne la divulgation de renseignements confidentiels, permettez-moi de rappeler que la Loi sur Investissement Canada comprend des dispositions très strictes sur la confidentialité, compte tenu des renseignements commerciaux sensibles obtenus en vertu de la Loi. En effet, tous les renseignements fournis au gouvernement par un investisseur, qui sont obtenus dans le cadre de consultations ou de négociations menant à une décision dans un dossier d’investissement, sont protégés par la Loi et, comme pour tous les dossiers d’investissement, ne sont pas divulgués. Le dossier d’investissement de Netflix n’échappe pas à ces dispositions de la Loi en matière de confidentialité.

Toutes les entreprises, y compris celles faisant affaires dans la production de films et de séries télévisées, qui s’installent et opèrent au Canada doivent respecter le système fiscal canadien. Comme Netflix Canada prévoit opérer une entreprise de production au Canada, celle-ci devra respecter toutes les règles liées aux régimes fiscaux du Canada qui pourraient s’appliquer à ses activités de production au Canada.

Il ne faut pas confondre les activités culturelles de Netflix Canada, une société de production cinématographique et télévisuelle qui s’est engagée à investir un minimum de 500 millions de dollars canadiens dans la production de films et de séries télévisées au Canada, avec celles du service de diffusion de vidéo en continu offert par Netflix à partir des États-Unis. Il s’agit en fait de deux types distincts d’activités culturelles. Il est pertinent de noter que rien dans l’entente portant sur la constitution par Netflix d’une nouvelle entreprise canadienne de production de films et de séries télévisées ne concerne des enjeux de taxation ou de perception de taxe.

Notre gouvernement reconnaît que nous devons, à plus long terme, développer une solution globale en matière de taxation des plateformes numériques. Cependant, nous avons été clairs que nous allons privilégier une approche réfléchie sur la question, et non pas un traitement à la pièce.

L’infrastructure et les collectivités

Les initiatives relatives à l’infrastructure

(Réponse à la question posée le 1er février 2018 par l’honorable Larry W. Smith)

Le plan d’infrastructure Investir dans le Canada offre plus de 180 milliards de dollars sur 12 ans pour des projets d’infrastructure à l’échelle du pays.

Le plan offrira du financement dans cinq secteurs clés : les infrastructures du transport en commun, les infrastructures vertes, les infrastructures sociales, les infrastructures du commerce et du transport et les infrastructures des collectivités rurales et nordiques. Nous investirons 33 milliards de dollars en financement par l’entremise d’ententes bilatérales intégrées avec les provinces et les territoires qui devraient être signées au printemps 2018.

Jusqu’à présent, dans le cadre de tous ces programmes de financement, Infrastructure Canada a financé plus de 4 100 projets dont les investissements combinés s’élèvent à plus de 35 milliards de dollars. De plus le Fonds de la taxe sur l’essence offre plus de 2 milliards de dollars en financement pour les collectivités à l’échelle du pays. Ce financement finance environ 2 500 projets chaque année.

Le gouvernement du Canada utilise des approches novatrices afin d’octroyer du financement en infrastructure, comme le Défi des villes intelligentes. Le Défi encourage les collectivités admissibles de toutes les tailles à adopter des approches de « ville intelligente » pour résoudre les problèmes liés à la collectivité.

Le gouvernement du Canada a aussi lancé la première enquête nationale sur les infrastructures publiques essentielles qui offrira le premier portrait national des infrastructures du pays. Les résultats de cette enquête aideront à mesurer l’incidence des investissements dans les infrastructures publiques.

La Banque de l’infrastructure du Canada est un nouvel outil conçu afin de collaborer avec les partenaires du secteur public et du secteur privé. La Banque offrira des conseils sur des projets potentiels dans l’intérêt public qui pourraient générer des recettes. La Banque est ouverte à recevoir des propositions consultant les parties prenantes sur des projets d’infrastructure à travers le Canada.

Les transports

Le port de Montréal

(Réponse à la question posée le 1er février 2018 par l’honorable Claude Carignan)

Les ports canadiens, incluant les administrations portuaires canadiennes, sont un élément fondamental du système de transport du pays et sont cruciaux pour les chaînes d’approvisionnement qui relient les entreprises canadiennes aux marchés mondiaux. L’Administration portuaire de Montréal est un maillon essentiel du réseau maritime canadien.

Le gouvernement est engagé à protéger l’environnement et à mettre en œuvre la Loi sur les espèces en péril. Le Projet d’expansion du Port de Montréal est présentement soumis à une évaluation environnementale. Ce processus fondé sur des preuves scientifiques et des consultations étendues auprès du public et des peuples autochtones est nécessaire à l’approbation du projet d’expansion du port. Or, la construction et l’opération d’un nouveau terminal pourrait affecter l’habitat du chevalier cuivré et de la rainette faux-grillon de l’ouest, deux espèces en voie de disparition et menacées sous la Loi sur les espèces en péril. Ces activités pourraient être permises dans le cadre de la loi, pour autant que celles-ci respectent certaines conditions, telles que des mesures d’atténuation, afin que les activités ne mettent pas en péril la survie ou le rétablissement de l’espèce. Dans l’éventualité où l’évaluation environnementale permettrait au projet de passer à l’étape des autorisations réglementaires, Pêches et Océans Canada et Environnement et Changement climatique Canada considéreront les demandes d’autorisation selon leur cadre réglementaire, incluant la Loi sur les espèces en péril.

Aucune décision n’a été prise jusqu’à présent.

La famille, les enfants et le développement social

Le programme Emplois d’été Canada

(Réponse à la question posée le 8 février 2018 par l’honorable Norman E. Doyle)

Emploi et Développement social Canada (EDSC)

Le programme Emplois d’été Canada offre une expérience de travail précieuse à des dizaines de milliers de jeunes Canadiens partout au pays.

Comme les années précédentes, les églises, les organisations religieuses et confessionnelles ont été encouragées, bienvenues et éligibles.

Les candidats ne sont pas invités à fournir leurs points de vue, leurs croyances ou leurs valeurs, car ils ne sont pas pris en considération lors de la demande pour le programme.

Les groupes confessionnels doivent satisfaire aux mêmes critères d’admissibilité que tout candidat à l’EÉC 2018. Les candidats EÉC devront attester que l’emploi et le mandat de base de l’organisation respectent les droits humains individuels au Canada, y compris les valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que d’autres droits.

Ce n’est pas une nouvelle exigence pour les candidats de décrire le mandat de leur organisation et les principales activités de l’emploi proposé. Comme il est indiqué dans l’information supplémentaire disponible sur le site Web d’EDSC, le principal mandat est les principales activités entreprises par l’organisation. Les candidats ont toujours été tenus de fournir une description des rôles et des responsabilités de l’emploi devant être financé par le Programme Emplois d’été Canada. Tel qu’indiqué dans le Guide du demandeur, le travail doit être approuvé par Service Canada. Ceci, aussi, n’est pas une nouvelle exigence. Grâce à l’attestation, nous veillons à ce que les candidats connaissent et respectent la nouvelle exigence d’admissibilité.

Ce changement contribue à faire en sorte que les possibilités d’emploi pour les jeunes financées par le gouvernement se déroulent dans un environnement qui respecte les droits de tous les Canadiens.

Les transports

Le train à grande fréquence

(Réponse à la question posée le 14 février 2018 par l’honorable Leo Housakos)

Le gouvernement est conscient que le transport ferroviaire interurbain pour passagers a un rôle important à jouer afin de répondre aux besoins en matière de mobilité des Canadiens et élabore la meilleure approche pour offrir un service ferroviaire pour passagers sûr, sécuritaire et fiable au Canada. Le budget 2018, en plus du financement dans le budget 2016, a fourni à Transports Canada 8 millions de dollars sur trois ans pour une évaluation approfondie de la proposition de service ferroviaire à fréquence élevée (SFFE) pour le corridor Québec-Windsor présentée par VIA Rail.

Ces fonds permettront d’effectuer les analyses économiques et autres nécessaires pour s’assurer qu’une décision est soit prise sur la base d’éléments de preuves claires.

Le gouvernement prendra le temps de choisir la meilleure approche pour mettre en place un service de transport ferroviaire interurbain pour passagers sûr, sécuritaire et fiable au Canada qui respectera les principes directeurs de Transports 2030 et l’engagement du gouvernement envers un meilleur choix et un service amélioré pour tous les voyageurs.

Le commerce international

Bombardier Inc.—La vente d’avions à l’Iran

(Réponse à la question posée le 14 février 2018 par l’honorable Linda Frum)

Commerce international

À la suite de consultations internes et d’une recherche préliminaire approfondie, Affaires mondiales Canada a déterminé qu’il n’avait pas communiqué, jusqu’à présent, avec Bombardier au sujet de la vente d’au moins dix avions de transport régional CRJ-900 à la République islamique d’Iran. Ainsi, Affaires mondiales Canada ne peut fournir aucun des renseignements demandés.


ORDRE DU JOUR

La Loi canadienne sur les sociétés par actions

La Loi canadienne sur les coopératives

La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif

La Loi sur la concurrence

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wetston, appuyée par l’honorable sénateur Cormier, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence, tel que modifié.

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, permettez-moi de faire quelques remarques à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-25.

Je tiens d’abord à remercier le sénateur Wetston pour le travail qu’il a accompli dans ce dossier. Je crois qu’il a bien su expliquer les tenants et aboutissants du projet de loi; il ne m’apparaît donc pas nécessaire de débattre à nouveau du contenu du projet de loi C-25 en tant que tel. Toutefois, je crois important de revenir sur certains propos qui ont été émis au cours du débat, notamment sur l’amendement présenté par le sénateur Massicotte, plus précisément par les sénateurs Pratte et Harder.

Dans son discours sur l’amendement proposé, le sénateur Pratte nous a expliqué que, selon lui, et je cite :

Le projet de loi C-25 porte sur les droits fondamentaux de milliers de Canadiens, notamment des femmes, des personnes appartenant à des groupes autochtones et à des minorités visibles, ainsi que des personnes handicapées qui veulent faire carrière dans le milieu des affaires.

Avec respect, je ne suis pas d’accord. La participation au conseil d’administration d’une compagnie privée inscrite à la bourse ne fait pas partie des droits fondamentaux des Canadiens, et l’absence d’une norme créant une discrimination positive ne fait pas en sorte qu’une disposition neutre devienne pour autant discriminatoire. Ni le projet de loi C-25 ni l’amendement du sénateur Massicotte n’ajoutent quoi que ce soit au principe déjà établi selon lequel une compagnie privée ne peut pas faire de discrimination dans le cadre de ses relations commerciales avec un individu sans violer, par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés.

(1500)

Je ne voudrais pas me lancer dans un grand débat sur les aspects qui relèvent du droit fédéral ou qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés par rapport aux éléments qui relèvent du droit provincial et qui sont, donc, sujets aux dispositions des différentes législations sur les droits de la personne.

Toutefois, à titre de juriste, je ne peux que vous mettre en garde, chers collègues, contre certains arguments qui invoquent un peu trop rapidement l’atteinte à des droits garantis par la Charte dans le cadre de rapports d’individus de nature privée, sans action gouvernementale.

Il est parfaitement justifié pour le sénateur Massicotte de présenter son amendement. On peut comprendre que certains veuillent forcer la main des compagnies privées quant à l’atteinte de ces niveaux de participation au sein de conseils d’administration, mais cela relève de choix de politiques publiques pour ceux qui croient que l’État peut forcer les acteurs privés à adopter certains comportements ou les obliger à faire de la discrimination positive. Il est parfaitement légitime de s’opposer à une telle mesure, soit parce qu’on est contre une intervention de l’État, parce qu’on n’adhère pas aux objectifs proposés, ou simplement parce qu’on ne croit pas que la mesure sera efficace et que le résultat sera atteint.

Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’on appuie une mesure comme celle que proposait le sénateur Massicotte parce que des droits fondamentaux sont en jeu, tout comme il serait faux d’accuser ceux et celles qui ont rejeté l’amendement du sénateur de ne pas avoir fait preuve de respect à l’égard des droits fondamentaux des Canadiens et des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

J’aimerais également revenir sur le discours que le sénateur Harder a prononcé lorsque l’amendement a été déposé. Mon ami, le leader du gouvernement au Sénat, m’a longuement cité dans son discours; je vois qu’il commence à comprendre de quel côté se trouve la sagesse dans cette enceinte. Toutefois, je dois apporter des précisions aux propos du sénateur Harder.

Tout d’abord, vous avez posé la question à savoir si le Sénat doit laisser la formulation de politiques publiques au gouvernement. Permettez-moi, chers collègues, de citer le sénateur Harder, qui a dit ce qui suit :

Le Sénat devrait-il exercer en l’occurrence son droit constitutionnel d’amender un projet de loi du gouvernement? Serait-il préférable qu’il laisse intacte la politique publique du gouvernement qui a été adoptée à l’autre endroit avant de nous être soumise? Je vous soumets que la réaction juste et réfléchie serait de s’en tenir au choix que le gouvernement a fait.

Je ne partage pas l’avis du sénateur Harder. Le rôle du Sénat n’est pas d’accepter tout ce que le gouvernement nous envoie sous prétexte que le Sénat ne saurait remettre en cause les choix du gouvernement. Si le Sénat a été créé, s’il existe encore, c’est pour participer activement au processus législatif.

Je l’ai souvent dit et je le répète : le Sénat n’est pas un club de débats et nous ne sommes pas dans un département de la bureaucratie fédérale chargé de revoir les projets de loi pour y déceler des failles techniques. Si la Constitution de notre pays prévoit qu’un projet de loi, pour devenir loi, doit être adopté dans une forme identique dans les deux Chambres, il faut en inférer; le Sénat peut amender un projet de loi autant sur le fond que sur la forme. Cette volonté incessante d'émasculer le Sénat et de le réduire à approuver sans broncher des politiques du gouvernement est plutôt agaçante.

Je remarque d’ailleurs que certains ont tendance à répéter hors de cette enceinte que le gouvernement est heureux de s’être doté d’un Sénat indépendant. Cependant, lorsque la situation se corse, ces mêmes personnes expliquent ici qu’on ne doit pas aller aussi loin que de remettre en cause les projets du gouvernement. Pour moi, le fait qu’un projet de loi émane du gouvernement n’est pas une raison pour le Sénat de se taire.

D’autre part, le sénateur Harder nous a invités à refuser l’amendement du sénateur Massicotte, parce qu’il « sèmerait davantage la discorde ou qu’il exacerberait les désaccords ».

Il me semble évident que certaines mesures législatives peuvent être controversées. Alors, nous devrions nous contenter de ne débattre que de ce qui plaît à tous? Cependant, n’est-ce pas justement le rôle du Parlement que de débattre des enjeux de façon civilisée? Je ne comprends pas cet argument. Pour moi, le fait qu’une motion, un amendement ou un projet de loi soit controversé n’est pas une raison pour le Sénat de se taire.

Enfin, le leader du gouvernement au Sénat nous a expliqué que, puisque le ministre Bains avait déjà signalé son désaccord en ce qui a trait à l’amendement du sénateur Massicotte, il fallait le rejeter. Excusez-moi, monsieur le leader du gouvernement au Sénat, mais, encore là, je ne suis pas d’accord avec votre façon de percevoir ce rôle. La Constitution prévoit un mécanisme très simple pour que le gouvernement et le reste des députés donnent leur avis sur une mesure adoptée par le Sénat : ils votent.

Ainsi, bien que je respecte le droit d’un ministre de nous dire ce qu’il pense d’un amendement, je ne peux accepter que sa décision puisse être finale et sans appel et que nous devions nous soumettre à son diktat. Pour moi, le fait que le gouvernement annonce qu’il rejettera une mesure n’est pas une raison pour le Sénat de se taire.

Ces mises au point faites, pour les raisons que je vous ai expliquées lors du débat à l’étape de la deuxième lecture, je vous invite à voter en faveur du projet de loi tel qu’il est amendé.

Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Dupuis, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dean, appuyée par l’honorable sénateur Forest, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

L’honorable Nancy Hartling : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-45.

[Traduction]

Je veux aussi souhaiter un joyeux printemps à tout le monde aujourd’hui. C’est le premier jour du printemps.

Je prends la parole aujourd’hui pour contribuer au débat sur le projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis. Je remercie le sénateur Dean de sa contribution exceptionnelle et de son engagement à l’égard de cette mesure législative.

Chers collègues, au cours des dernières semaines, j’ai relu beaucoup de vos discours passionnés et les nombreuses questions complexes et délicates qui sont énoncées dans le projet de loi dont nous sommes saisis se sont imposées dans mon esprit.

Sénatrice Lankin, merci de votre exposé rigoureux au sujet de cette mesure législative, et de l’histoire de la guerre contre la drogue.

Nos débats m’ont permis d’apprendre beaucoup de choses et je continue mon apprentissage afin de pouvoir prendre une décision éclairée concernant ce projet de loi.

En étudiant ce projet de loi, chacun de nous utilise ses valeurs, ses connaissances, ses expériences personnelles et professionnelles, ses croyances et même ses idées préconçues. Même si nous sommes d’accord sur certains aspects de la mesure législative, il reste des questions litigieuses qui nécessiteront un débat, de la recherche et une étude plus approfondis au sein de nos comités.

Le sénateur Neufeld a parlé des effets sur nos petits-enfants; je suis tout à fait d’accord avec lui. En tant que grand-mère, je réalise aussi que notre décision aura une incidence sur les générations à venir. Nous sommes les aînés qui prennent des décisions pour les Canadiens, et nous le faisons au moyen de l’ensemble des connaissances que nous pouvons recueillir sur le sujet à l’étude.

Aujourd’hui, j’aimerais parler de deux points : premièrement, de mon intérêt et de ma sensibilisation envers le travail de préparation et la poursuite du dialogue concernant la mesure législative dans ma province, le Nouveau-Brunswick, dans le cadre de la réglementation du cannabis et, deuxièmement, des mérites de la mise en œuvre d’une bonne politique publique telle que le projet de loi C-45.

En tant que sénatrice du Nouveau-Brunswick, j’ai pris part activement à de nombreuses discussions avec les Néo-Brunswickois et avec des fonctionnaires concernant la légalisation du cannabis. Voici ce que j’ai pu constater jusqu’à maintenant.

Le Nouveau-Brunswick est prêt à appliquer la nouvelle loi. La semaine dernière, le 16 mars 2018, quatre projets de loi ont reçu la sanction royale. Ils portaient sur l’éducation, le contrôle, la gestion et la distribution. De plus, à la suite d’une demande de propositions, le gouvernement provincial a pu nous confirmer, en octobre 2017, que la Société des alcools du Nouveau-Brunswick avait été chargée officiellement de faire la vente au détail du cannabis au Nouveau-Brunswick.

La province compte ouvrir 20 magasins dans 15 municipalités. Neuf d’entre eux devraient ouvrir leurs portes cet été et les autres, à l’automne. Chaque magasin devra respecter des règlements précis. Par exemple, un magasin ne peut pas se trouver à moins de 300 mètres d’une école, les produits doivent être présentés sous une surface de verre, les clients doivent présenter une carte d’identité pour prouver qu’ils sont majeurs avant d’entrer sur les lieux, et les produits ne peuvent pas être présentés derrière la fenêtre du magasin et aucune publicité sur les produits n’est autorisée.

(1510)

Le 25 octobre 2017, l’honorable Cathy Rogers, ministre des Finances du Nouveau-Brunswick, a déclaré que la province avait consulté d’autres administrations ayant déjà légalisé la vente de cannabis et qu’elle avait décidé de suivre leurs conseils. La province a donc prévu une surveillance rigoureuse de la part du gouvernement, notamment en ce qui concerne la vente strictement contrôlée des produits. Elle procédera ainsi pour garder le cannabis hors de la portée des jeunes et des criminels.

L’âge légal au Nouveau-Brunswick pour acheter, avoir en sa possession ou consommer du cannabis sera de 19 ans. Cela correspond à l’âge légal pour acheter de l’alcool et du tabac. Le Groupe de travail du Nouveau-Brunswick sur la légalisation du cannabis a également recommandé que l’âge légal soit de 19 ans. Le ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick, Benoit Bourque, a déclaré, et je cite:

Nous reconnaissons que certaines personnes sont préoccupées par le fait que l’âge légal soit établi à 19 ans. C’est pourquoi nous nous engageons à cibler nos efforts de sensibilisation envers les personnes les plus à risque, comme nos jeunes. À l’approche de la légalisation de ce produit, nous continuerons de travailler avec tous nos partenaires afin de nous assurer que les enfants, les adolescents et les adultes qui sont à risque aient accès aux renseignements nécessaires pour prendre des décisions éclairées en ce qui concerne la consommation de cannabis.

À mon avis, accroître les recettes dans notre province est l’un des objectifs souhaités, comme ce l’est pour les autres provinces et les territoires. Cependant, je ne crois pas que nous devions légaliser le cannabis uniquement pour accroître les recettes.

Nous prévoyons déjà des résultats économiques positifs pour le Nouveau-Brunswick. Le syndicat représentant les 500 employés de magasin d’alcool prévoit que la légalisation du cannabis et le fait qu’Alcool NB se chargera du commerce au détail donneront lieu à la création d’emplois syndiqués plus stables. Trois producteurs ont déjà été approuvés et ont commencé à investir dans notre province en créant des emplois. L’un des producteurs collabore actuellement avec le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick en vue d’offrir une formation d’une durée de 12 semaines de technicien en culture du cannabis. Cette formation doit favoriser l’acquisition de connaissances sur les divers aspects de la culture du cannabis.

Le plus récent budget de la province a prévu des recettes de 7,2 millions de dollars provenant de la vente de cannabis, dont 2 p. 100 seront versés dans un fonds pour la sensibilisation. Le fonds sera connu sous le nom de fonds d’éducation en matière de cannabis et il sera géré par un comité consultatif provincial sur le cannabis. Le comité, qui sollicite actuellement des candidatures aux fins de nomination, avisera le ministre des Finances de la meilleure façon de dépenser cet argent pour élaborer et mettre en œuvre des programmes d’éducation et de sensibilisation, des politiques et des projets de recherches liés aux cannabis, y compris sur le plan de son utilisation responsable, de la prévention des abus et des stratégies visant à réduire les effets nocifs sur la santé.

En tant que travailleuse sociale professionnelle et défenseure des personnes atteintes de problèmes de santé mentale, j’écoute attentivement ce que les citoyens du Nouveau-Brunswick, dont plusieurs qui travaillent sur le terrain, ont à dire sur les répercussions de la légalisation dans ce secteur. Il est impératif d’établir de bonnes politiques de santé publique et de collaborer dans toutes les couches de la société et tous les ordres de gouvernement afin que le projet de loi soit respecté et qu’il puisse évoluer et être adapté, au besoin, pendant de nombreuses années.

Dans le cadre de mon examen de la documentation, j’ai découvert le travail de Mme Rebecca Haines-Saah, professeure adjointe au Département des sciences de la santé communautaire de l’École de médecine Cumming de l’Université de Calgary. Mme Haines-Saah est une sociologue de la santé dont la recherche est axée sur la santé mentale et la toxicomanie chez les adolescents du point de vue critique des politiques de santé publique. Sa recherche est importante pour le projet de loi, puisqu’elle accorde la priorité à la réduction des méfaits, à la justice sociale et à l’expérience vécue des toxicomanes et des personnes atteintes d’une maladie mentale.

Son projet de recherche actuel est axé sur la consommation de cannabis chez les jeunes et les répercussions de la légalisation du cannabis au Canada sur les politiques de santé publique. Mme Haines-Saah a aussi déclaré qu’elle appuie l’option de fixer l’âge minimal pour consommer du cannabis au même âge minimal fixé par les provinces pour consommer de l’alcool, puisque des âges différents pourraient envoyer aux jeunes le message que l’alcool présente moins de danger, ce qui n’est pas le cas. Elle serait un témoin idéal pour un comité, puisqu’elle possède une mine de renseignements sur ce sujet.

Je rappelle une chose en terminant : nous devrons nous fier aux recherches en cours, qui nous permettront de mieux comprendre les effets de la consommation précoce de cannabis. Dans le même ordre d’idées, il faut, en priorité, sensibiliser la population et plus particulièrement les jeunes aux possibles dangers auxquels s’exposent les gens qui consomment du cannabis.

Je prends cette question très au sérieux et je cherche à en apprendre le plus possible sur le sujet avant l’adoption de cette mesure législative. La légalisation du cannabis est un changement important; je suis d’ailleurs ravie que nous ayons choisi de prendre le temps qu’il faut pour étudier en profondeur tous les aspects du projet de loi.

L’honorable Denise Batters : J’interviens aujourd’hui dans le débat sur le projet de loi C-45, le plan de légalisation de la marijuana du gouvernement Trudeau. Le gouvernement ne cesse de répéter que ce projet de loi vise à empêcher les enfants d’avoir accès à la marijuana, à préserver la santé des Canadiens et à mieux les protéger; si tel est le cas, la mesure législative dont nous sommes saisis sera un échec lamentable sur tous les fronts. En s’empressant de faire adopter le projet de loi avant l’été, le gouvernement Trudeau omet de bien planifier la légalisation et de mettre sur pied les infrastructures nécessaires. Si les choses se passent bien, l’adoption du projet de loi donnera lieu à des mesures d’application de la loi bâclées et désastreuses, mais si elles se passent mal — ce qui, selon moi, est le plus probable —, la santé et la sécurité des Canadiens et, surtout, des jeunes seront compromises.

Dans le cadre de leur étude du projet de loi du gouvernement Trudeau, les sénateurs doivent se demander avant tout pourquoi. Pourquoi sommes-nous saisis de cette question? Pourquoi légaliser la marijuana? Pourquoi le faire maintenant? La réponse est assez simple. Le gouvernement Trudeau cherche à gagner la faveur des électeurs, surtout des jeunes, aux prochaines élections. De plus, il préfère la légalisation à la décriminalisation, parce que la légalisation de la marijuana générera des recettes fiscales dont l’État bénéficiera. Il a fallu sept mois au gouvernement Trudeau avant de créer un groupe de travail et de lui donner le mandat, non pas de déterminer le meilleur moyen de réglementer la drogue en général, mais plutôt de définir seulement la marche à suivre pour légaliser la marijuana, une mesure assez extrême que les libéraux avaient promise pendant la campagne électorale.

Ne vous y trompez pas, honorables sénateurs. La légalisation de la marijuana fera du Canada une aberration sur la scène internationale. Un seul autre pays, l’Uruguay, a mis en œuvre un programme de légalisation complet. Est-ce vraiment une bonne façon d’affirmer notre leadership sur la scène mondiale?

Après une longue liste de promesses électorales bafouées, il est étrange que le gouvernement Trudeau choisisse de respecter une seule promesse, celle de légaliser la marijuana. Après avoir décidé que la légalisation aurait lieu d’ici l’été 2018, une échéance arbitraire guidée par la politique, le gouvernement Trudeau a rédigé rapidement le projet de loi C-45 et la mesure connexe qui porte sur la conduite avec facultés affaiblies, le projet de loi C-46. Ces deux mesures législatives mal ficelées soulèvent une myriade de questions; elles auront des conséquences imprévues et dévastatrices.

Pourquoi le gouvernement est-il aussi pressé de se lancer sur ce terrain inconnu? Pour le gouvernement Trudeau, l’opportunisme politique l’emporte toujours sur le bon sens.

Le Canada n’est tout simplement pas prêt à mettre en œuvre le programme de légalisation de la marijuana proposé par les libéraux. Des représentants des provinces, des municipalités, des forces de l’ordre, du système de soins de santé et du système juridique ont tous signalé au gouvernement que le Canada n’est pas prêt. Il leur faut plus de temps, de formation, de sensibilisation, de recherche, d’infrastructure et de financement pour être en mesure de gérer un changement social d’une telle ampleur. Malgré cela, le gouvernement Trudeau fait la sourde oreille.

Nous aurions dû tirer des leçons de l’expérience vécue dans les États qui ont légalisé la marijuana, comme le Colorado et l’État de Washington. Ils ont souligné clairement que, étant donné l’ampleur de ce changement, il faudrait, avant de légaliser la marijuana, définir un objectif clair, prendre le temps de bien mettre en œuvre un cadre réglementaire réfléchi, renforcer les capacités en matière de santé publique et mener des campagnes de sensibilisation efficaces à grande échelle. Le Colorado, qui disposait d’environ un an pour mettre en œuvre sa structure réglementaire, a indiqué qu’il s’agissait d’un échéancier trop serré. Les délais sont encore plus serrés au Canada.

Le gouvernement veut que cette mesure législative soit adoptée avant l’été, ce qui ne donne aux détaillants que huit semaines pour se préparer à vendre de la marijuana aux Canadiens. Comment peut-on croire que tout va bien se dérouler? Quand les choses se gâteront, les conséquences seront désastreuses. On ne pourra pas faire marche arrière, honorables sénateurs.

Comment le gouvernement explique-t-il sa décision de provoquer un tel chaos? Il prétend que la légalisation de la marijuana contribuera à faire baisser la consommation de drogue chez les jeunes. Le fait est que la consommation de marijuana chez les jeunes Canadiens a baissé de manière significative au cours des dernières années, alors que la marijuana est toujours illégale au Canada. Si telle est la tendance, est-il nécessaire de légaliser la marijuana? Les campagnes de sensibilisation publique ont grandement contribué à faire baisser la consommation de tabac chez les adolescents. La solution est-elle donc une sensibilisation accrue à la marijuana plutôt que sa légalisation ?

Le gouvernement Trudeau affirme que l’un des grands objectifs du projet de loi C-45 est d’empêcher les enfants de se procurer de la drogue. Cependant, ce projet de loi va laisser un vide juridique au niveau fédéral qui fera en sorte que les enfants de 12 à 17 ans pourront posséder et distribuer jusqu’à cinq grammes de marijuana. Il est évident que ces jeunes ne se procureront pas cette marijuana légalement. Cela sera peut-être même l’occasion pour certains criminels d’avoir recours à des jeunes pour vendre, pour eux et sans risque, la marijuana provenant du marché noir.

Par ailleurs, le gouvernement Trudeau affirme aussi que, grâce à la légalisation, les drogues ne se retrouveront pas dans les mains des enfants canadiens alors qu’il va autoriser les parents desdits enfants à cultiver jusqu’à quatre plants de marijuana sous leur toit.

Or, je ne vois pas comment on pourrait rendre la marijuana encore plus accessible que cela pour les enfants.

(1520)

Le gouvernement pourrait être en mesure de contrôler la qualité et la toxicité de la marijuana vendue par les détaillants assujettis à un cadre législatif, mais la marijuana cultivée à domicile et les produits comestibles qui en contiendront ne seront toujours pas réglementés. Puisque les produits comestibles peuvent être plus puissants qu’un produit que l’on fume et que les effets se font souvent sentir plus tard, il y a un risque accru de surdose, en particulier chez les enfants, que l’ingestion soit intentionnelle ou accidentelle.

Sans l’imposition de mesures de sécurité pour contrôler l’environnement, la culture à domicile présente des dangers supplémentaires pour les enfants qui vivent dans une résidence où on cultive du cannabis. Par exemple, il peut y avoir des moisissures, et les risques d’incendie sont 24 fois plus élevés dans les résidences où on cultive de la marijuana. Pourquoi devrions-nous, en tant que législateurs, exposer sciemment des Canadiens — en particulier des enfants — à de tels risques?

Le gouvernement Trudeau a tout simplement tort de croire que ce projet de loi assurerait la santé et la sécurité des Canadiens, en particulier celles des enfants. En plus de présenter des risques considérables comme ceux que j’ai déjà soulignés, la consommation de marijuana a des effets neurologiques et des effets sur la santé mentale que je trouve particulièrement préoccupants, surtout en ce qui concerne les enfants. En raison des effets de la marijuana sur le cerveau en développement des adolescents, l’Association des psychiatres du Canada et l’Association médicale canadienne recommandent toutes deux de fixer à 21 ans l’âge limite pour s’en procurer et d’imposer des restrictions sur la quantité et la teneur en THC de la marijuana qui peut être offerte aux personnes de moins de 25 ans.

Selon des professionnels de la santé, les personnes de moins de 25 ans qui consomment beaucoup de marijuana sont jusqu’à 30 p. 100 plus susceptibles de souffrir de maladies mentales. Des études tendent à établir des liens étroits entre la consommation quotidienne de marijuana et la dépression chez les jeunes. Selon la Société canadienne de pédiatrie, les gens qui consomment beaucoup de cannabis sont deux fois plus susceptibles de souffrir de schizophrénie. Selon l’Association médicale canadienne, le risque de développer une dépendance à la marijuana au cours de sa vie, que l’on estime à 9 p. 100, peut grimper jusqu’à 17 p. 100 — soit presque le double — chez ceux qui commencent à en consommer à l’adolescence.

Lorsque j’ai demandé à la ministre de la Santé pourquoi elle avait ignoré les conseils des spécialistes du secteur médical qui demandaient de fixer l’âge légal à un niveau plus élevé afin de protéger la santé mentale des jeunes, la ministre m’a donné une réponse de deux minutes pendant laquelle elle n’a pas prononcé une fois les mots « santé mentale ». La prétention du gouvernement de vouloir mettre de l’avant la santé mentale est une farce, alors qu’il légalise cette drogue dont on connaît les effets dévastateurs sur la santé mentale, surtout chez les jeunes.

La ministre de la Santé a reconnu que la marijuana comportait des risques pour la santé. Je lui ai demandé pourquoi, s’il est conscient de l’existence de ces risques, le gouvernement souhaite à tout prix légaliser le cannabis. Évidemment, la ministre n’avait pas de réponse convenable à cette question. La vraie réponse, celle que le gouvernement Trudeau ne donnera jamais, c’est qu’ils se servent de cet enjeu à des fins politiques et qu’ils veulent empocher les revenus connexes. Il est déplorable que le gouvernement soit conscient des risques de la marijuana et qu’il soit prêt à mettre en danger la santé et la sécurité des Canadiens pour faire des gains politiques.

Évidemment, la ministre de la Justice mentionne le projet de loi C-46, le frère du projet de loi C-45 qui porte sur la conduite avec facultés affaiblies, comme preuve de l’engagement du gouvernement à s’attaquer à certains des risques les plus graves liés à la légalisation. C’est tout simplement risible. Pour différentes raisons, le matériel de dépistage des drogues chez les conducteurs ne permet pas de déterminer adéquatement le niveau d’intoxication. Même la ministre de la Justice a dû admettre que la science sur laquelle se fonde le dépistage des drogues chez les conducteurs continue, comme elle le dit, d’évoluer. Savez-vous ce que cela veut dire? Que la science n’est tout simplement pas prête.

Comme la science n’est pas prête, cela signifie que les forces policières non plus ne sont pas prêtes. Comment pourraient-elles l’être, puisqu’elles ne savent pas quelle sera la réglementation et que le gouvernement fédéral n’a toujours pas choisi l’appareil qui sera utilisé? Il y a présentement 600 experts en reconnaissance des drogues au pays. Pour mettre en œuvre la légalisation de la marijuana, il en faudra 3 000, selon les estimations, et ces experts doivent présentement être formés aux États-Unis. Malgré cela, le premier ministre Trudeau continue de dire aux Canadiens que la marijuana sera légalisée dès cet été, d’ici cinq mois. C’est complètement farfelu.

Dans son témoignage devant le comité de la Chambre des communes, le commissaire adjoint de la Police provinciale de l’Ontario a déclaré que les services de police ne seraient pas prêts le 1er août, que c’était impossible.

Pas plus tard que la semaine dernière, le chef de la police de Saskatoon a déclaré qu’il serait heureux que l’entrée en vigueur soit reportée d’un an afin d’avoir plus de temps pour la formation. Pourtant, le gouvernement Trudeau a décidé de foncer tête baissée, sans même écouter les responsables de l’application de la loi et les experts en sécurité publique du pays, qui préviennent le premier ministre Trudeau que le plan de légalisation de la drogue est trop ambitieux et prématuré.

Je n’ai pas l’intention de me mettre à parler du projet de loi C-46 alors que le sujet du débat d’aujourd’hui est le projet de loi C-45, mais je tiens à souligner les lacunes importantes qui, selon les témoins entendus par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, caractérisent le projet de loi du gouvernement Trudeau sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

Au cours de mes cinq années comme membre de ce comité, je n’ai jamais entendu autant de juristes experts condamner aussi catégoriquement un projet de loi. Le témoin Adam Steven Boni, du Conseil canadien des avocats de la défense, nous a dit que beaucoup de dispositions du projet de loi C-46 étaient nettement inconstitutionnelles. Il a déclaré ceci :

Ce projet de loi contient tellement de dispositions inconstitutionnelles que, dès qu’il sera en vigueur, la conformité à la Charte de beaucoup d’entre elles sera contestée dans les tribunaux provinciaux du pays. Les contestations en vertu de la Charte seront très nombreuses et viseront tantôt les tests au hasard, tantôt les articles 8 et 9 de la loi, tantôt les peines minimales obligatoires.

Le projet de loi C-46 a une incidence sur notre débat d’aujourd’hui concernant le projet de loi C-45, parce que le gouvernement Trudeau a brandi le projet de loi C-46 comme une mesure de protection de la sécurité publique suffisante pour que l’on puisse adopter le projet de loi C-45. C’est un projet de loi qui est aussi plein de trous qu’un gruyère. À eux seuls, les problèmes constitutionnels nous montrent bien à quel point le stratagème de légalisation de la marijuana du gouvernement est une mesure bâclée. Le gouvernement Trudeau prévoit la faire adopter de force quand même, peu importe les conséquences non seulement pour la santé et la sécurité des Canadiens, mais également pour le respect de leurs droits garantis par la Constitution. Le gouvernement a tort de vouloir faire adopter le projet de loi C-45 dans le but de légaliser la marijuana alors que les précautions relatives à la sécurité n’ont pas encore été prises comme elles le devraient dans le projet de loi C-46.

Compte tenu de ce qui s’est passé au Colorado, on peut s’attendre à ce que les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue augmentent considérablement une fois que la marijuana sera légale. Les dispositions du projet de loi C-46 relatives à la sécurité devraient déjà être en vigueur et elles devraient être appliquées de manière efficace bien avant la légalisation.

Les administrations qui ont légalisé la marijuana affirment toutes qu’il est essentiel de lancer une campagne de sensibilisation du public cohérente et à grande échelle avant la légalisation, en particulier auprès des enfants. Il faut prévoir suffisamment de temps pour que les campagnes de sensibilisation atteignent un large public. Il faut aussi répéter très souvent le même message pour qu’il soit bien compris par la population, surtout dans le cas d’un enjeu aussi complexe que la légalisation de la marijuana.

Sécurité publique Canada a apparemment mené une petite campagne sur les médias sociaux en novembre dernier, mais Santé Canada ne lancera sa campagne nationale de sensibilisation que plus tard ce mois-ci. Honorables collègues, il est beaucoup trop tard pour lancer une telle campagne. Le gouvernement a promis de légaliser la marijuana dans quelques semaines à peine. Il est à la fois inutile et négligent de précipiter les choses uniquement pour respecter une date limite qui a été fixée pour des raisons politiques, au détriment de la santé et de la sécurité des Canadiens.

Le ministre Ralph Goodale m’a dit que l’objectif de la légalisation est de « se débarrasser » du marché noir de la marijuana. Joanne Crampton, commissaire adjointe aux opérations de la police fédérale à la GRC, a déclaré devant le Comité de la justice de la Chambre des communes qu’il serait « naïf » de croire que le projet de loi permettra d’éliminer le marché noir.

Le gouvernement a fixé le prix de la marijuana légale à 10 $ le gramme, alors qu’une étude publiée récemment par Statistique Canada révèle que, à l’heure actuelle, le prix moyen de cette substance est de 7 $ le gramme. Cela signifie probablement que les adultes achèteront le produit réglementé, dont la puissance est contrôlée, tandis que les enfants opteront pour le produit moins cher, non réglementé et vraisemblablement plus puissant.

Son Honneur le Président : Sénatrice Batters, il est 15 h 30. Le ministre est prêt.

La sénatrice Batters : J’aurais besoin de deux minutes supplémentaires pour terminer mon discours. Est-ce d’accord?

Son Honneur le Président : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Batters : Les enfants opteront pour la variété non réglementée, moins chère et probablement plus puissante, que le marché noir continuera d’offrir. Encore une fois, le gouvernement s’avérera incapable de protéger les jeunes des criminels et de la marijuana illégale.

Souvent, le gouvernement Trudeau promet plus qu’il ne peut donner. Ses promesses ne collent pas à la réalité. Le gouvernement s’efforce de présenter le projet de loi sous l’angle de la décriminalisation et de la réduction des méfaits, mais il reste qu’il met en œuvre la légalisation, ce qui fera augmenter la consommation et aggravera, du même coup, les problèmes sociaux et les risques connexes. Normalisée et plus accessible, la marijuana sera consommée davantage, surtout chez les jeunes Canadiens. La légalisation de la marijuana et ses contrecoups mèneront sans doute à un engorgement du système de soins de santé et du système juridique, déjà surchargés. Pensons à l’augmentation des visites à l’hôpital et aux retards additionnels que causeront la pléthore d’accusations de conduite avec facultés affaiblies par la drogue et les contestations constitutionnelles.

Le projet de loi n’atteindra pas les objectifs qu’il annonce. Il ne protégera pas la santé et la sécurité des Canadiens. Assurément, il ne gardera pas la marijuana hors de la portée des enfants et il n’éliminera pas le marché noir. La légalisation de la marijuana n’est pas nécessaire, étant donné que le taux de consommation chez les jeunes est déjà en déclin.

Si l’actuel gouvernement va de l’avant avec la légalisation, comme il semble l’entendre malgré les mises en garde formulées, il aura procédé trop rapidement. Le Canada n’est tout simplement pas prêt à opérer un tel virage social, et les conséquences seront désastreuses. Les provinces, les collectivités et les services policiers ont tous indiqué qu’ils ne sont pas prêts à mettre la loi en œuvre et qu’il leur faut plus de temps. Nous ne sommes pas prêts non plus sur le plan scientifique. Il faut mener davantage de recherches. On ne sait pas au juste comment les fonds seront attribués. Les organismes d’application de la loi ne sont pas prêts. Il n’y a toujours pas eu de campagne nationale de sensibilisation auprès des Canadiens, qui est pourtant un élément essentiel à la réussite d’une telle entreprise, si on en croit l’expérience d’autres gouvernements. En raison du manque de prévoyance dans l’élaboration du projet de loi et du plan de légalisation, et de l’empressement du gouvernement à mettre en œuvre le projet de loi, la santé et la sécurité des Canadiens et des jeunes en particulier sont menacées.

(1530)

Honorables sénateurs, les Canadiens n’ont pas à payer un prix aussi élevé seulement pour satisfaire les ambitions politiques du premier ministre Trudeau. Je vais donc, pour toutes ces raisons, voter contre le projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les travaux du Sénat

Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous avons parmi nous aujourd’hui, pour la période des questions, l’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre.

Le Secrétariat du Conseil du Trésor

Le projet de loi sur le cannabis—Les règlements

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Bienvenue, monsieur le ministre.

Monsieur le ministre, comme vous le savez, dans le document publié par Santé Canada aux fins des consultations publiques au sujet du projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis, il était indiqué qu’il n’y aurait pas de publication préalable de la réglementation définitive dans la Gazette du Canada, partie I — j’ai la Gazette ici avec les règles — afin de respecter l’engagement du gouvernement de veiller à ce que la mesure législative entre en vigueur en juillet 2018 au plus tard. Le Guide du processus d’élaboration des règlements fédéraux du Conseil du Trésor donne la liste des situations dans lesquelles le président du Conseil du Trésor peut accorder une exemption de publication préalable d’un règlement. Une exemption peut être accordée, par exemple, si le règlement est adopté en raison d’une situation d’urgence engendrant un risque grave au chapitre de la sécurité ou de l’environnement ou s’il a un caractère délicat, comme un règlement qui toucherait une modification des taux d’intérêt.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez accordé une exemption à Santé Canada afin d’éviter la publication préalable des projets de réglementation liés à cette très importante mesure législative?

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Merci, monsieur le Président. Je suis ravi d’être ici aujourd’hui. C’est un honneur pour moi. J’aimerais profiter de l’occasion pour féliciter les sénatrices Deacon et Boyer à l’occasion de leur assermentation au Sénat, qui s’est déroulée aujourd’hui. Je suis certain que leur apport sera d’une grande utilité au Parlement.

Sur une note personnelle, je veux mentionner que j’ai passé beaucoup de temps, au fil des ans, à travailler avec des sénateurs, individuellement et collectivement, sur de nombreux dossiers. J’apprécie les commentaires des sénateurs. J’aime comparaître devant les comités sénatoriaux et entamer un dialogue avec eux, car je peux voir de mes propres yeux la vaste expérience que vous apportez à des questions de politique publique importantes. Je vous remercie de votre contribution.

En ce qui concerne le projet de loi sur le cannabis et le rôle du Conseil du Trésor sur le plan réglementaire, nous travaillons rigoureusement et étroitement avec Santé Canada sur l’instauration d’un cadre réglementaire crédible d’ici l’entrée en vigueur de la loi. Il s’agit d’un objectif très important et nous travaillons en étroite collaboration avec Santé Canada pour l’atteindre.

Je peux assurer au sénateur et, en fait, à tout le Sénat qu’aucun compromis ne sera fait sur la rigueur avec laquelle nous poursuivrons cet objectif, du point de vue du Conseil du Trésor, et qu’on ne tournera pas les coins ronds en ce qui concerne l’intégrité du cadre réglementaire qui s’appliquera au cannabis et la mise en œuvre du projet de loi sur le cannabis.

Il est important de se rappeler de temps à autre que le taux de consommation de cannabis chez les jeunes au Canada est actuellement très élevé. Il s’agit d’un des taux les plus élevés par rapport aux autres pays. L’objectif au Canada est de légaliser et de réglementer le cannabis. L’objectif consisterait à réduire la consommation chez les jeunes de la même façon que nous réglementons d’autres substances, dont l’alcool, à savoir en adoptant une approche très rigoureuse. L’intention est de se concentrer sur la promotion de la santé et les campagnes de sensibilisation des jeunes — et, dans les faits, de tout le monde — aux dangers et aux risques de tout type de consommation de marijuana et d’autres drogues, mais d’une façon beaucoup plus logique, afin d’obtenir de meilleurs résultats et de protéger les jeunes en adoptant un cadre réglementaire rigoureux et en collaborant avec les provinces et les territoires.

Le sénateur Smith : Je vous écoute, et je me demande encore si vous avez vraiment répondu à la question.

Ce serait bien utile, pour l’étude que nous faisons du projet de loi C-45, de comprendre les motifs du gouvernement, de savoir pourquoi il a décidé de déroger aux pratiques habituelles. Si, normalement, les règlements sont d’abord publiés dans la Gazette du Canada, j’imagine que leur mise en œuvre doit en être facilitée, puisque les gens ont déjà eu l’occasion d’y réfléchir.

Si je vous comprends bien, vous dites que vous ne publierez pas le règlement au préalable, mais que vous agirez en temps et lieu. Il me semble que c’est avant que la loi soit adoptée que vous devriez agir, afin que tout soit prêt et que vous puissiez prendre les mesures dont vous parlez pour faire baisser la consommation de marijuana. Vous dites que, à l’heure actuelle, au Canada, les jeunes consomment beaucoup de marijuana. Nous le savons tous, mais il faut aussi savoir que, dans certaines provinces, on a observé une baisse.

Là encore, votre réponse prête à confusion. Pourriez-vous vous engager à expliquer publiquement pourquoi le président du Conseil du Trésor a décidé de ne pas publier le projet de règlement au préalable, et, si oui, quand? Pourquoi avoir sauté cette étape? Je n’ai pas compris votre réponse. En quoi cette solution produira-t-elle de meilleurs résultats?

M. Brison : Je remercie le sénateur Smith de sa question.

Je répète que le Conseil du Trésor et Santé Canada collaborent étroitement. Nous adhérons au processus de consultation, et je peux vous assurer que, du point de vue réglementaire, notre approche sera on ne peut plus rigoureuse. Il faut absolument que ce règlement soit en place avant l’entrée en vigueur de la loi.

Les sénateurs conviendront certainement, y compris le sénateur Smith, que nous devons absolument doter le pays d’un cadre réglementaire rigoureux avant l’entrée en vigueur de la loi et que nous devons agir prestement et efficacement, mais sans jamais négliger la rigueur. C’est ce que le Conseil du Trésor et Santé Canada sont déterminés à faire.

L’honorable Carolyn Stewart Olsen : Quel plaisir de vous parler, monsieur le ministre.

Je veux revenir sur les questions du sénateur Smith, parce que je n’ai pas bien compris. Dans le document Lignes directrices pour des consultations efficaces sur la réglementation de votre propre organisme, le Secrétariat du Conseil du Trésor, on peut lire ce qui suit :

Dans certaines circonstances (qui sont assez rares), une exemption de publication préalable peut être accordée.

Vous saviez sans doute — du moins vous le savez maintenant — qu’une bonne partie des questions des sénateurs auraient probablement pu être évitées si nous avions une bonne vue d’ensemble ou une version préliminaire de la réglementation proposée.

Monsieur le ministre, la date butoir de juillet 2018 que le gouvernement s’est imposée pour étudier la légalisation de la marijuana est-elle une raison suffisante de ne pas respecter le processus de modification de la réglementation qui est normalement d’usage? Est-ce en raison de cette date limite arbitraire que vous avez accordé à Santé Canada une exemption de publication?

M. Brison : Je remercie encore une fois l’honorable sénatrice de sa question. Je peux lui assurer aussi que le Conseil du Trésor et Santé Canada prendront les mesures nécessaires, y compris en ce qui concerne les consultations publiques, pour instaurer une réglementation rigoureuse avant que la loi entre en vigueur et qu’il soit possible de se procurer du cannabis. C’est important.

(1540)

Je le répète, le projet de loi a pour objet de légaliser et de réglementer strictement la distribution du cannabis. On me dit qu’aujourd’hui, dans les écoles, on peut se procurer plus facilement du cannabis que de l’alcool et que, en fait, le cadre réglementaire entourant l’accès à l’alcool par les jeunes est beaucoup plus rigoureux.

Il suffit de regarder ce qui se fait ailleurs pour comprendre que, si la consommation de cannabis est considérée comme un enjeu sanitaire, qu’on l’aborde sous l’angle de la santé mentale et de la dépendance et qu’on fait valoir les risques que présente l’abus de cette substance et les risques de dépendance, on peut, en fait, réduire cette consommation et exercer davantage d’influence qu’en la considérant strictement comme un enjeu de justice pénale.

Nous pensons qu’il s’agit d’une approche fondée sur des données probantes qui fonctionnera et donnera de meilleurs résultats pour le Canada. Je le répète, le taux de consommation de la marijuana par les jeunes est aujourd’hui très élevé au Canada. Nous pensons que nous pouvons mieux faire en nous inspirant des modèles utilisés dans d’autres pays et en nous associant aux gouvernements provinciaux et territoriaux. Le Conseil du Trésor collabore très étroitement avec Santé Canada pour faire en sorte que le cadre réglementaire soit strict et suscite la confiance des Canadiens.

L’accès à l’information

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Merci d’être venu, monsieur le ministre. Ma question a trait à vos responsabilités aux termes de la Loi sur l’accès à l’information.

L’une de vos priorités absolues, qui figure dans votre lettre de mandat, est la suivante :

Collaborer avec la ministre de la Justice afin d’accroître la transparence du gouvernement, y compris diriger un examen de la Loi sur l’accès à l’information afin que les Canadiens aient plus facilement accès à leurs renseignements personnels, que le commissaire à l’information soit habilité à ordonner la communication de renseignements gouvernementaux et que la Loi s’applique de façon appropriée au Cabinet du premier ministre et aux cabinets des ministres ainsi qu’aux institutions administratives à l’appui du Parlement et des tribunaux.

Cela fait partie de votre mandat et reprend le programme électoral du gouvernement, qui se lisait ainsi : « Nous veillerons à ce que la Loi s’applique aux cabinets ministériels, y compris celui du premier ministre […] »

Le projet de loi C-58 a été présenté. C’est un remaniement par le gouvernement de la Loi sur l’accès à l’information. Certaines préoccupations ont été soulevées, notamment de la part de Beatrice Britneff, qui a écrit ceci sur le site d’iPolitics le 4 novembre dernier :

La pierre d’achoppement, c’est le fait que le projet de loi ne prévoit pas que le cabinet du premier ministre et le cabinet des ministres puissent faire l’objet de demandes d’accès à l’information — alors que les libéraux avaient fait cette promesse pendant la campagne électorale il y a deux ans. Au lieu de cela, le projet de loi exige que les cabinets publient régulièrement des documents comme des notes d’information, des contrats gouvernementaux, ainsi que des documents faisant état des frais de déplacement et d’hébergement.

Comme vous êtes le ministre responsable, monsieur le ministre Brison, pourriez-vous expliquer la raison pour laquelle le gouvernement a choisi de ne pas donner suite à cette promesse électorale? Le public saura ainsi pourquoi le gouvernement choisit de ne pas respecter sa promesse.

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Je vous remercie de votre question.

D’abord, en ce qui concerne le pouvoir de rendre des ordonnances, nous accordons à la commissaire à l’information le pouvoir de rendre des ordonnances lorsqu’elle exige que des renseignements soient fournis par un ministère ou un organisme. Le ministère ou l’organisme sera tenu de fournir les renseignements dans un délai de 30 jours ou de contester la décision de la commissaire à l’information devant les tribunaux. Dans la deuxième éventualité, c’est à un juge qu’il incomberait de rendre une décision. C’est la première fois en 34 ans, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur l’accès à l’information, qu’un commissaire à l’information disposera d’un véritable pouvoir de rendre des ordonnances. Il s’agit d’un important pas en avant.

En ce qui concerne l’application de la Loi sur l’accès à l’information aux cabinets des ministres et du premier ministre, nous cherchons, en fait, à élargir la portée de la loi au moyen d’une divulgation proactive, qui ne s’appliquerait pas uniquement à ces cabinets, mais aussi à diverses entités, depuis les ports jusqu’aux instances judiciaires. Environ 240 organismes du gouvernement seraient en fait visés.

Pour ce qui est de notre engagement d'être un gouvernement a priori ouvert, on peut dire que la divulgation proactive y est tout à fait conforme. Toutefois, la publication régulière de l’information, y compris celle qui est déjà mise à la disposition du public depuis quelques années dans le cadre de la divulgation proactive, est une pratique, et non une obligation légale. En voici quelques exemples.

La divulgation proactive des dépenses des ministres, qui a débuté à l’époque du gouvernement de Paul Martin, dont j’ai fait partie, est une pratique, mais elle n’est prévue dans aucune loi. Par conséquent, le gouvernement pourrait cesser la divulgation sans avoir besoin de changer la loi, puisque cette pratique n’est inscrite dans aucune disposition juridique.

Le premier ministre a publié les lettres de mandat du gouvernement actuel, ce qui constitue un changement profond et ce qui, relativement aux engagements pris dans ces lettres, oblige les ministres à ne pas seulement rendre des comptes au premier ministre, mais également au Parlement et aux Canadiens en général. C’est un progrès important. Toutefois, c’est une pratique, et non une obligation inscrite dans une loi.

Le projet de loi C-58 vise à inscrire certaines de ces pratiques de divulgation proactive dans la loi, ce qui rendrait la tâche très difficile à un gouvernement futur qui voudrait les abolir. Je pense que c’est extrêmement important.

Pour ce qui est du recours futur à la divulgation proactive pour d’autres types d’information, je crois que nous devrions nous fier à la demande. Si le gouvernement ou un gouvernement futur constate une hausse importante de la demande d’un certain type d’information, il pourrait considérer que c’est une raison suffisante pour commencer à en faire la divulgation proactive.

Qui plus est, en ce qui a trait aux cabinets des ministres, le projet de loi ne s’applique pas uniquement aux dépenses ministérielles. Vous avez aussi mentionné les documents d’information. Tous les documents d’information qu’on remet aux nouveaux ministres et aux ministres qui se présentent devant un comité parlementaire seront divulgués de façon proactive. Il s’agit d’un grand pas en avant, mais nous estimons qu’il s’agit d’un processus à renouvellement continu en vue d’améliorer régulièrement la Loi sur l’accès à l’information. Voilà pourquoi nous avons prévu un examen obligatoire de la Loi sur l’accès à l’information tous les cinq ans, le premier examen commençant moins d’un an après que le projet de loi C-58 aura reçu la sanction royale. Ce que nous ne voulons pas, c’est que la loi redevienne aussi dépassée qu’elle l’est actuellement. Nous sommes le premier gouvernement en 34 ans, c’est-à-dire depuis l’adoption de la Loi sur l’accès à l’information, à prendre des mesures en vue de la moderniser.

Je tiens aussi à dire que l’origine de l’accès à l’information au Canada, ainsi que du régime d’accès à l’information, est un élément dont les progressistes-conservateurs et les libéraux devraient être très fiers, parce que c’est le gouvernement de Joe Clark qui a fait les premiers pas en matière d’accès à l’information, en 1979. En 1983, c’est le gouvernement libéral de Pierre Trudeau qui est allé de l’avant avec la Loi sur l’accès à l’information, mais le gouvernement actuel est le premier qui entreprend réellement un important travail en vue de la mettre à jour.

Je crois que le fait d’accorder au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances changera vraiment la donne. J’ai rencontré la nouvelle commissaire à l’information ce matin. Nous avons eu un entretien très constructif. L’accès à l’information fait largement partie du concept de gouvernement ouvert et il fait partie de notre programme de gouvernement numérique. C’est quelque chose dont nous sommes bien conscients et qui nous intéresse beaucoup. Je sais qu’au Sénat vous le comprenez très bien. Nous nous réjouissons de poursuivre le dialogue sur cette loi.

(1550)

Je crois que le projet de loi C-58 est un pas marquant dans la bonne direction.

Son Honneur le Président : Excusez-moi, monsieur le ministre, mais je vais vous interrompre. La liste de sénateurs qui souhaitant vous poser des questions est longue.

Le projet pilote sur le recrutement anonyme

L’honorable Ratna Omidvar : Je vais passer à une autre question, monsieur le ministre. Je vous remercie d’être ici.

Votre ministère ainsi que la Commission de la fonction publique ont mis en œuvre un projet pilote afin de comprendre l’ampleur des préjugés en ce qui a trait aux noms et aux curriculum vitae. Vous avez lancé un projet pilote sur le recrutement anonyme en vue de comprendre l’ampleur, la portée et la magnitude de la discrimination et des préjugés dans la fonction publique fédérale, et vous avez découvert qu’il n’y a pas de préjugés.

Cependant, votre ministère a lui-même reconnu l’existence de problèmes avec la méthodologie. D’abord, les gestionnaires responsables de l’embauche de ce projet se sont portés volontaires. À mon avis, cela a un effet négatif sur la pureté des résultats, si je peux m’exprimer ainsi. De plus, les gestionnaires responsables de l’embauche ont pris leurs décisions en sachant que celles-ci, de même que les résultats comparatifs, allaient faire l’objet d’un examen.

Monsieur le ministre, votre bureau a reconnu ces problèmes. Quelle sera la prochaine étape? Y aura-t-il d’autres travaux menés sur cette question? J’estime que le projet pilote n’était pas adéquat.

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Je vous suis très reconnaissant de cette question. Elle touche une valeur fondamentale du Canada, du gouvernement et de la fonction publique, soit celle de la diversité et l’inclusion. La diversité parmi les décideurs permet au gouvernement d’être plus fort et de prendre de meilleures décisions. Cela s’applique aussi aux cabinets, aux comités et à la fonction publique.

Je comprends l’argument avancé en faveur d’une plus grande diversité de groupes et de minorités ethnoculturelles. Je l’ai même entendu pour les femmes. Par exemple, l’argument invoqué pour que davantage de femmes occupent des postes de décisions, c’est que c’est bon pour les femmes. Eh bien, c’est, à vrai dire, le mauvais argument. Le bon argument, c’est que les décisions sont meilleures en présence d’une variété de points de vue. Je le constate constamment au sein du Cabinet, qui est très diversifié.

En menant le projet pilote sur le recrutement anonyme, l’objectif que visait le Conseil du Trésor, à titre d’employeur de la fonction publique qui travaille avec la Commission de la fonction publique, consistait en fait à essayer de suivre, au sein du gouvernement, des approches anonymes pour déterminer si les pratiques d’embauche au gouvernement du Canada sont exemptes ou non de préjugés.

Je suis très content que vous ayez signalé qu’il y a des lacunes dans les méthodes employées pour le projet pilote. Bonne nouvelle : le projet pilote n’a pas révélé de pratiques subjectives ou discriminatoires au sein du gouvernement du Canada. Sur une note positive, cela veut dire, je crois, que, dans ses pratiques de recrutement et d’embauche, le gouvernement du Canada veille constamment à ce que les catégories d’employés visés par l’équité en matière d’emploi soient bien représentées. J’estime donc qu’il y a des efforts proactifs constants au sein du gouvernement du Canada, mais je trouve que la méthodologie employée pour le projet pilote comportait des lacunes.

J’ai dit à mon ministère, le Conseil du Trésor, organisme central et employeur de la fonction publique, que je veux poursuivre le projet pilote sur le recrutement anonyme dans les ministères et les organismes où les effectifs sont moins diversifiés. Il s’agit de poursuivre ce travail dans certains ministères et organismes et certaines régions.

Selon les études sur le recrutement anonyme qui ont été menées dans d’autres pays et les provinces et les territoires, notamment à l’Université de Toronto, lorsqu’on cache le nom de la personne, cela a une incidence sur la décision de lui accorder une entrevue ou de l’inclure pleinement comme candidat dans le processus d’embauche. Au Canada, le nom d’une personne ne devrait pas empêcher celle-ci d’avoir une chance égale d’être embauchée dans la fonction publique.

Nous avons donc les résultats du projet pilote. Ce n’était qu’un seul projet pilote. Il n’a révélé aucun préjugé observable. C’est très bien, mais vous faites bien de souligner les problèmes méthodologiques. Nous avons l’intention de poursuivre le travail pour approfondir la question et de continuer de voir ce qui se fait ailleurs en matière de recrutement anonyme, car il faut être rigoureux.

L’autre chose que je veux dire en ce qui concerne le projet pilote, c’est que je crois très fortement que les gouvernements doivent essayer de nouvelles approches. Ils obtiendront tantôt le résultat attendu, tantôt un résultat complètement différent. C’est le propre de l’expérimentation.

Je veux nous voir — comme gouvernement et comme ministres — encourager les fonctionnaires et être ouverts à essayer de nouvelles choses et à constamment apprendre de ces expériences. Au sein de l’appareil gouvernemental, il faut remplacer la culture de l’aversion au risque par une culture d’expérimentation.

Dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental, le fait de mener des projets pilotes et d’essayer quelque chose de nouveau au lieu d’appliquer une approche monolithique aide à façonner de meilleures politiques publiques. Je pense que nous devrions tous encourager ce genre d’approche pilote. Nous devrions tirer des leçons de chaque projet pilote afin de créer de meilleures politiques publiques.

Son Honneur le Président : Sénatrice Boniface, vous serez la prochaine à avoir la parole. Je demanderais toutefois aux sénateurs de raccourcir un peu leurs questions, ce qui me permettra de demander au ministre de raccourcir également ses réponses.

L’accès à l’information

L’honorable Gwen Boniface : Monsieur le ministre, le projet de loi C-58 est une mesure législative importante qui devrait entraîner des réformes considérables.

Monsieur le ministre, lors de l’assemblée spéciale des chefs, qui s’est tenue ici en octobre ou en décembre 2017, l’Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution demandant au gouvernement de retirer le projet de loi C-58 parce qu’il a été élaboré de manière unilatérale, sans consultation auprès des Premières Nations.

De plus, en octobre 2017, 21 groupes de recherche sur les revendications de partout au pays ont fait une présentation officielle au comité de l’autre endroit qui étudiait ce projet de loi. Leur présentation n’a pas été prise en compte, alors qu’elle bénéficiait de l’appui de plus de 20 nations et conseils tribaux, ainsi que de plusieurs organismes autochtones et d’organismes aux valeurs semblables; les recommandations qu’ils ont présentées lorsqu’ils ont témoigné devant un comité en juin dernier n’ont pas été prises en compte non plus.

Le gouvernement s’engagera-t-il à mener une véritable consultation auprès des Premières Nations et à étudier attentivement la recommandation des directeurs nationaux de la recherche sur les revendications, afin que le projet de loi C-58 garantisse aux Premières Nations le droit d’avoir accès à l’information, qui est un droit essentiel?

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Je vous remercie de votre question. Elle revêt une importance capitale, puisqu’aucune relation n’est plus importante pour le gouvernement libéral que celle qu’il entretient avec les peuples autochtones du Canada.

Rappelons que des leaders autochtones et des représentants des Premières Nations craignaient que, dans sa version initiale, la mesure législative n’empêche des ministères et des agences de répondre à certaines questions ou demandes de renseignements jugées trop générales.

Nous avons répondu à cette crainte et accepté les amendements apportés à l’autre endroit afin justement qu’il n’y ait absolument aucune ambiguïté : le simple fait qu’une demande soit générale ne justifie pas qu’un ministère ou une agence refuse d’y répondre.

C’est un problème que nous avons réglé à l’autre endroit en passant par le processus d’amendement. J’en ai parlé avec le chef Bellegarde et je lui ai assuré que nous avions été sensibles aux craintes des dirigeants autochtones et que nous en avions tenu compte. Là encore, nous avons réglé le problème en passant par le processus d’amendement à l’autre endroit.

Le financement politique

L’honorable Linda Frum : Monsieur le ministre, le Forum des politiques publiques du Canada a publié la semaine dernière un rapport intitulé Transparent et équitable : moderniser le financement politique au Canada. Il s’agit d’un rapport réfléchi et impartial sur les défis que le système de financement électoral du Canada pose en 2018.

(1600)

Les inquiétudes soulevées dans le rapport du Forum des politiques publiques rejoignent celles relevées dans l’étude que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a effectuée sur ces questions en 2017. La toute première recommandation dans le rapport est de permettre seulement aux électeurs admissibles de faire des contributions politiques à un parti politique, à un candidat ou à un tiers, ce qui élimine les capitaux étrangers du processus.

Monsieur le ministre, le gouvernement a-t-il l’intention d’appliquer cette recommandation afin d’éliminer les contributions étrangères à des fins électorales du processus canadien? Une réponse courte et directe suffirait.

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je vous remercie de votre question. Je suis aussi au courant du projet de loi que vous parrainez.

De toute évidence, surtout dans le contexte actuel, nous pensons qu’il est extrêmement important de protéger l’intégrité du système électoral canadien contre l’ingérence étrangère. Nous disposons déjà de lois très solides sur le financement électoral au pays. Seuls les citoyens et les résidents permanents peuvent faire des dons à des partis politiques ou à des candidats, et des sanctions sévères sont prévues pour quiconque viole ces règles.

Nous avons l’intention de revoir les limites des montants que les partis politiques et les tiers peuvent dépenser pendant les élections et de proposer des mesures pour que les dépenses encourues entre les élections soient également assujetties à des limites raisonnables.

J’ai aussi passé en revue certaines des recommandations du Forum des politiques publiques. Elles sont les bienvenues, tout comme vos observations, madame la sénatrice. Elles sont examinées sur une base continue.

Le financement politique est un enjeu important, mais il y a d’autres moyens pour des entités étrangères d’influer sur les résultats des élections au Canada ou encore de faire dérailler le processus. La question des cybermenaces est un autre aspect crucial que nous prenons au sérieux. D’ailleurs, nous collaborons avec le Service canadien du renseignement de sécurité, qui a mené une analyse approfondie des cybermenaces associées au processus électoral canadien. Cela dit, il faut adopter une approche pangouvernementale et, bien sûr, mobiliser l’ensemble des parlementaires, et c’est pourquoi nous vous remercions de votre contribution.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice Frum. Nous avons convenu que seuls les leaders peuvent poser une question complémentaire, parce que de nombreux sénateurs souhaitent poser des questions. Je vais vous inscrire pour le deuxième tour, si nous avons le temps d’y arriver.

[Français]

Les mesures de réduction des coûts dans la fonction publique

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, le budget fédéral de l’an dernier promettait ceci, et je cite :

En 2017-2018, le gouvernement amorcera un examen exhaustif d’au moins trois ministères fédéraux [...], en vue d’éliminer les programmes mal ciblés et inefficaces, le gaspillage et les initiatives gouvernementales inutiles ou dépassées.

Le gouvernement a également promis de faire rapport du progrès de cet examen des dépenses dans le budget de 2018. Cependant, celui-ci ne contenait rien à ce sujet.

Monsieur le ministre, les médias ont récemment demandé à votre bureau un rapport d’étape à ce sujet, et la réponse a été surprenante : il n’y a aucune dépense à éliminer. Au contraire, vous avez présenté de nouvelles dépenses pour l’Agence des services frontaliers du Canada et Santé Canada.

Cette situation est un exemple flagrant du manque de volonté du gouvernement, ce qui expliquerait son déficit de 18 milliards de dollars. Comment votre examen visant à éliminer le gaspillage a-t-il pu se solder par l’approbation de nouvelles dépenses qui s'élèvent à des millions de dollars? Croyez-vous sincèrement qu’il n’y a aucune économie à faire dans toute la fonction publique? Même pas un petit dollar?

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Merci de cette question. Notre gouvernement continue de travailler pour que l’argent des contribuables serve à produire des résultats pour les Canadiens. Je travaille avec mes collègues afin de veiller à ce que les ministères fassent progresser les priorités des Canadiens tout en maintenant une saine gestion financière.

Les examens annoncés dans le budget de 2017 visent les activités ministérielles et nous permettront de nous assurer que ces programmes répondent aux priorités des Canadiens afin de leur garantir le meilleur rendement possible.

[Traduction]

Nous collaborons régulièrement avec d’autres ministères pour tirer le maximum de l’argent des contribuables et obtenir les meilleurs résultats pour les Canadiens. C’est de cette façon que le Conseil du Trésor a contribué à la réalisation d’un examen approfondi des innovations. Nous avons découvert des moyens de créer un système national plus favorable aux innovations. Nous avons réduit le nombre de programmes d’innovation, je crois, d’environ 80 à 30. Cela simplifiera la tâche des universités, des entreprises et de toutes les personnes souhaitant participer à ces programmes et recevoir des fonds pour innover.

Ce travail permettra de rendre l’économie canadienne plus novatrice et d’accroître l’efficacité du gouvernement.

Le Conseil du Trésor prend toujours très au sérieux le processus d’examen auquel le sénateur a fait allusion. C’est aussi le cas du gouvernement. Nous collaborons étroitement avec le ministère des Finances à cet égard.

Cependant, nous refusons de procéder à des compressions irresponsables, comme l’a fait le gouvernement précédent. En effet, à la veille des élections, il a retiré 70 millions de dollars du système de paie, ce qui a entraîné la suppression de 700 postes de conseillers en rémunération. Cela a eu pour effet de vider l’ancien système de paie de sa substance avant même que le nouveau système soit mis en œuvre. C’est pour cette raison que nous devons maintenant investir des centaines de millions de dollars pour tenter de corriger ce système et que des fonctionnaires vaillants et compétents ne sont pas payés à temps ou correctement. C’est une situation épouvantable. Nous agissons de manière responsable en menant les examens nécessaires, mais en refusant de faire des compressions irresponsables qui causeraient du tort aux fonctionnaires canadiens.

L’emploi au Canada atlantique

L’honorable Percy E. Downe : Après les élections de 2015, j’ai écrit aux députés du Canada atlantique pour faire état des pertes d’emplois fédéraux dans la région. À titre d’information, je signale à mes collègues que, entre 2008 et 2017, 1 513 emplois de la fonction publique fédérale ont été abolis au Canada atlantique. Pendant la même période, dans la région d’Ottawa, 4 942 emplois ont été créés dans la fonction publique fédérale.

Monsieur le ministre, vous savez que, normalement, le tiers des emplois de la fonction publique fédérale sont offerts à Ottawa, tandis que les deux tiers restants sont répartis dans l’ensemble du pays. Or, ce pourcentage a changé, passant de 36,4 p. 100 en 2000 à 42,2 p. 100 en 2016.

Lorsque j’ai écrit cette lettre, les députés de l’Atlantique m’ont d’abord invité à discuter des mesures que le gouvernement pouvait prendre, et je crois, monsieur le ministre, que vous étiez à cette réunion.

J’ai fait un suivi de cette question deux ans plus tard, à l’automne 2017, et j’ai indiqué que, même si les pertes ont considérablement ralenti, la région a quand même perdu 100 emplois. Pendant la même période, soit de 2015 à 2017, plus de 3 100 emplois de la fonction fédérale ont été créés dans la région d’Ottawa.

Comme vous le savez, cette Chambre a la responsabilité d’étudier les questions qui touchent les régions. Or, cette question touche non seulement la région du Canada atlantique, mais toutes les régions du pays. Dans la région, la perte de ces emplois fédéraux au cours des 10 dernières années représente des pertes en salaires considérables qui se chiffrent à 900 millions de dollars. Comme vous le savez, l’économie du Canada atlantique ne repose pas que sur les emplois fédéraux, mais, pour assurer un véritable développement économique, il faut absolument avoir une économie saine et équilibrée qui respecte le secteur privé et l’encourage à jouer un rôle très important.

Puisque le gouvernement du Canada est l’employeur le plus important du pays et que les emplois fédéraux se concentrent encore dans la région de la capitale nationale, quelles sont les mesures que le gouvernement et vous avez à proposer pour remédier à ce problème?

(1610)

L’honorable Scott Brison, C.P., député, président du Conseil du Trésor et ministre des Institutions démocratiques par intérim : Je vous remercie beaucoup, sénateur. Je comprends votre question. Comme vous le savez, c’est un sujet qui m’intéresse énormément. J’ai l’honneur de servir les habitants de Kings—Hants, et, plus généralement, les habitants du Canada atlantique depuis le 2 juin 1997.

Je suis convaincu non seulement qu’il est possible de créer plus d’emplois dans les ministères et les organismes gouvernementaux dans les régions — cela, en soi, est méritoire —, mais aussi, comme je l’ai dit plus tôt, qu’avoir de la diversité dans les instances décisionnelles donne de meilleurs résultats. Je crois que le fait de rapprocher les décideurs des gens et des ressources touchés par leurs décisions peut aussi donner lieu à de meilleurs résultats et de meilleures décisions.

Je pense que la technologie de l’information aujourd’hui, que le fait de notamment, nous donne plus de possibilités que jamais de décentraliser, et je pense que nous pouvons le faire de manière responsable. Quand de nouveaux organismes ou de nouveaux ministères sont créés dans des secteurs particuliers de la fonction publique, c’est une excellente occasion pour le Conseil du Trésor, lors de la demande, de les pousser à se demander, chaque fois, si ces emplois doivent nécessairement se trouver dans la région de la capitale nationale. N’est-il pas possible d’envisager d’autres régions?

Les ministres du Conseil du Trésor et le Secrétariat du Conseil du Trésor travaillent, avec d’autres ministres, à l’élaboration d’un cadre stratégique en vertu duquel les régions représentent, pour les ministères et les organismes, l’occasion d’augmenter leurs investissements et la représentation dans la fonction publique.

Je peux ajouter que, quand j’étais membre du gouvernement de Paul Martin, nous avons investi considérablement dans la modernisation du Centre des pensions de Shediac, au Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’un des meilleurs centres des pensions ou centres d’appels géré par le gouvernement du Canada. Je suis fier de ces investissements et je suis fier du travail qui y est fait tous les jours.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la période des questions est terminée. Je suis convaincu que les honorables sénateurs se joignent à moi pour remercier le ministre Brison de sa présence parmi nous aujourd’hui.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dean, appuyée par l’honorable sénateur Forest, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-45. À l’instar de la sénatrice Hartling, je choisis de commencer sur une note plutôt légère, une note de célébration. Dans de nombreuses parties du monde, on souligne le 21 mars le Norouz Mubarak, une très grande fête que j’aimerais bien voir célébrer ici, mais c’est un sujet dont je discuterai un autre jour.

Je remercie le sénateur Dean, qui a fait un travail remarquable pour nous mener jusqu’ici, ainsi que tous les sénateurs qui sont intervenus dans le présent débat avec tant d’ardeur et fort bien documentés. J’espère que le comité tiendra compte de toutes les questions qui ont été soulevées jusqu’à maintenant et qui seront soulevées aujourd’hui et demain.

À l'instar de la sénatrice Lankin, j’aimerais commencer par un brin d’histoire, car, comme bien d’autres choses, la relation du Canada avec le cannabis n’est pas immuable; elle a évolué au fil du temps, même aussi récemment qu’en 2011, année où l’ancien gouvernement a modifié la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour instaurer des sanctions radicales sous la forme de peines minimales obligatoires.

En fait, j’aimerais remonter plus loin dans l’histoire, aux premières années de la légalisation du cannabis et des fondements de la prohibition qui a été imposée dans les années 1920. En grande partie, la prohibition était fondée sur des renseignements erronés, des mythes et des faits tout simplement faux. Par exemple, le chef de police de Los Angeles a déclaré ce qui suit, sans que personne ne le remette en question :

Ceux qui sont dépendants de cette drogue, lorsqu’ils en ont consommé […] deviennent de véritables maniaques dangereux prêts à tuer ou à commettre les pires actes de violence contre la personne en ayant recours aux moyens les plus cruels sans […] aucun sens de responsabilité morale.

Nous savons que c’est faux, mais j’ai trouvé des commentaires racistes très graves et perturbants dans les débats entourant cette question. Un livre canadien intitulé The Black Candle parle des revendeurs de drogue « nègres » et des vendeurs d’opium chinois aux « origines louches » qui sont hors de contrôle.

Un an après la publication de The Black Candle, le Canada a instauré la prohibition du cannabis. J’en parle pour que nous comprenions d’où provient, en partie, ce débat et quels sont les sentiments qui y sont associés depuis près de 100 ans, avec tous les stéréotypes convenus au sujet des consommateurs de cannabis.

Ces stéréotypes continuent de dominer en grande partie les perceptions et les discussions, même si les commissions gouvernementales au Canada et ailleurs dans le monde ont, les unes après les autres, démonté ces mythes. D’ailleurs, notre ancien collègue, Pierre Claude Nolin, le soulignait dans son rapport en 2002 :

Les premières législations sur les drogues étaient largement fondées sur une panique morale, des sentiments racistes et une absence notoire de débats.

Quel a été l’effet de 95 années de prohibition du cannabis? Voici ce qu’en pense Ken MacQueen :

[…] la législation canadienne a réussi à faire des criminels sur plusieurs générations, à embourber les tribunaux, à gaspiller l’argent des contribuables et à enrichir les membres de gangs, sans toutefois avoir réussi à faire diminuer la demande pour une plante qui, objectivement parlant, est beaucoup moins nocive que l’alcool ou le tabac.

Honorables sénateurs, aujourd’hui, en 2018, nous nous apprêtons à légaliser la consommation de cannabis. Il est donc juste, je crois, d’étudier et de comparer deux approches différentes : l’une qui criminalise la possession de cannabis et l’autre qui est axée sur la prévention en matière de santé.

Cela me fait penser à une transaction. La première partie est la plus élémentaire, du moins, selon moi, soit celle de se procurer du cannabis. Selon les intervenants, exception faite des consommateurs de cannabis à des fins médicales qui ont leur propre régime, la plupart des consommateurs de cannabis ont affaire à des revendeurs de drogue. Ces derniers sont fort probablement liés d’une façon ou d’une autre au crime organisé, étant donné qu’il contrôle tout le marché récréatif au Canada, dont la valeur est estimée à environ 8 milliards de dollars.

Vous appelez donc votre revendeur de drogue, vous le rencontrez et il vous montre le produit. Il se peut qu’il vous donne le choix entre une ou deux options. Je ne sais pas très bien, mais j’ai parlé à des gens qui en savent plus que moi. Il n’y a pas d’étiquette. Il n’y a aucune précision sur le taux de THC ou de CBD contenu dans le produit ni sur ses effets possibles. Va-t-il vous aider à dormir? Va-t-il vous donner de l’énergie? Va-t-il vous aider à vous détendre? Contient-il d’autres substances? Aucune de ces informations n’est fournie dans le modèle de transaction actuel.

Dans le cadre d’un régime légal et réglementé, la transaction est vouée à changer. Le régime proposé prévoit qu’un adulte qui souhaite acheter du cannabis se rend à un magasin ou en ligne où il aura accès à un tas d’information qui était autrefois absente. Il aura de l’information sur le taux de THC. Il aura de l’information sur la puissance du produit. Il pourra être sûr qu’aucune autre substance n’y a été ajoutée. Il en connaîtra les effets. L’aidera-t-il à dormir, à se détendre ou à avoir de l’énergie?

Je crois que c’est un aspect de la question que l’on a peut-être oublié. Dans le cadre du régime proposé, les gens auront beaucoup plus d’information sur les produits qu’ils achètent et consomment. Ils pourront être des consommateurs informés et faire des choix rationnels ainsi que plus sains pour eux-mêmes. C’est le fondement même d’une approche de santé publique. C’est totalement différent du système d’interdiction actuel.

La semaine dernière, j’étais en Californie, où le cannabis a été légalisé. J’ai pris le temps de m’arrêter chez un marchand situé à une intersection achalandée d’un quartier ordinaire de Monterey. Je n’y suis pas entrée seule. Un peu nerveuse, j’ai demandé à quelqu’un de m’accompagner. J’ai dû me soumettre à un processus de sécurité en trois étapes. Tout d’abord, j’ai été arrêtée à l’entrée par des gardes de sécurité qui m’ont palpée pour vérifier si j’étais armée ou quelque chose du genre. On m’a ensuite demandé une pièce d’identité. J’ai présenté mon permis de conduire canadien, dont on a fait une photocopie. Puis, ils m’ont donné un billet qui m’a permis d’entrer dans le magasin.

(1620)

À l’entrée du magasin, j’ai encore été fouillée. On a de nouveau vérifié le billet à des fins de validation.

À l’intérieur du magasin, les installations étaient en fait très banales. J’ai remarqué que des renseignements figuraient sur les produits, comme une teneur en THC et CBD de 18 p. 100. Des représentants au service à la clientèle étaient sur place pour répondre aux clients qui avaient des questions, ce qui était mon cas. Il y avait des caméras un peu partout. Chose très intéressante, les clients n’étaient pas de jeunes adultes. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’hommes et de femmes d’âge moyen. Soit dit en passant, il n’y avait pas foule. Les clients ne formaient qu’une queue, et tout se déroulait rondement.

La deuxième comparaison que j’aimerais faire porte sur les fournisseurs actuels de cannabis à usage récréatif, soit des membres du crime organisé. Le recours à la violence, à l’intimidation et à l’exploitation finit par mettre en danger les collectivités et le pays. Le crime organisé ne se soucie pas de la qualité des produits qu’il vend. Il ne se soucie pas de la santé de ses clients. Il ne se soucie pas de leur âge. Il ne se soucie que des profits.

Comparons donc les deux systèmes. D’un côté, le crime organisé exerce un contrôle total sur les opérations. De l’autre côté, des producteurs légitimes, comme Canopy Growth, dont j’ai visité les installations, fournissent du cannabis réglementé et créent ainsi de véritables emplois dans la collectivité. Dans un système légal, le crime organisé se fait couper l’herbe sous le pied. C’est déjà le cas dans les États américains qui ont légalisé le cannabis. Le gouvernement du Colorado a déclaré que les produits vendus dans les magasins autorisés répondent maintenant à 70 p. 100 de la demande totale estimée. Les 30 p. 100 qui restent sont écoulés sur le marché « gris » que représente le cannabis cultivé et vendu à domicile.

Troisièmement, je souhaitais aussi établir une comparaison entre les deux systèmes pour ce qui est de la possession simple de cannabis.

Honorables sénateurs, depuis que le cannabis a été déclaré illégal, il y a près de 100 ans, des milliers de Canadiens ont eu maille à partir avec la loi. Or, même si cette substance est interdite et que les sanctions criminelles ont été resserrées par l’ancien gouvernement, la consommation de cannabis est demeurée stable dans tous les segments de la population. Le nombre de personnes qui se sont retrouvées avec un casier judiciaire a donc augmenté.

On peut également affirmer sans crainte de se tromper que les membres de minorités ethniques et les Autochtones sont surreprésentés dans le système.

J’attire plus particulièrement votre attention sur la situation des Noirs. Là d’où je viens, à Toronto, de 2003 à 2013, les policiers ont arrêté trois fois plus de Noirs que de Blancs pour possession simple de cannabis, et ce, même si les statistiques nous disent que les taux de consommation sont semblables dans les deux groupes. Akwasi Owusu-Bempah, de l’Université de Toronto, a conclu que l’interdiction légale a eu des répercussions disproportionnées sur les minorités ethniques et que le taux d’incarcération des Afro-Canadiens est disproportionnellement élevé.

Je crois que, en général, chers collègues, nous pouvons tous nous imaginer les effets d’un passage derrière les barreaux sur la vie des personnes concernées, de leur famille et de leur entourage. Cela dit, nous devons comprendre les recoupements entre les facteurs raciaux, sociaux et économiques et l’incarcération. Après avoir été inculpés ou reconnus coupables d’une infraction donnée, les Afro-Canadiens sont plus ou moins en exil : ils sont incapables de participer pleinement à la société et ils ont plus de mal à trouver un emploi rémunérateur du fait des obstacles systémiques connexes. Tout cela arrive à cause des perturbations dans leur trajectoire scolaire que subissent les personnes ainsi arrêtées et incarcérées, car, dans bien des cas, ils doivent mettre une croix sur les bourses d’études et les emplois parce que les employeurs exigent souvent de consulter le casier judiciaire des postulants, même si l’emploi offert ne suppose aucun contact avec des populations vulnérables. De plus, selon le statut économique et la possibilité de recourir aux services d’un avocat, ces conséquences peuvent perdurer plus ou moins longtemps.

L’avocat Anthony Morgan le décrit très bien lorsqu’il affirme ce qui suit :

La guerre contre la drogue a traumatisé et détruit la vie et la famille de Canadiens d’origine africaine, et, par le fait même, a traumatisé et détruit des communautés afro-canadiennes tout entières.

Même si je mets l’accent sur la communauté afro-canadienne, je dirais que quiconque a été accusé de possession de cannabis au cours des années s’est heurté à des obstacles considérables tout au long de sa vie. J’aimerais souligner tout particulièrement le taux élevé de criminalisation par opposition au taux élevé de criminalisation chez les jeunes Autochtones. Dans les provinces et les territoires, 37 p. 100 des incarcérations concernent de jeunes Autochtones. Ce taux est cinq fois plus élevé que leur représentation au sein du groupe démographique des jeunes.

Quatrièmement, j’aimerais parler d’une question qui a été abordée à maintes reprises. J’essaierai d’être brève. Il s’agit de la question de la consommation de cannabis par les jeunes et les jeunes adultes, et de ses effets sur le développement du cerveau.

Nous avons entendu que le cerveau continue de se développer jusqu’à l’âge de 25 ans et que le cannabis peut avoir des effets sur le développement du cerveau. Nous savons également que les jeunes Canadiens, en particulier, consomment beaucoup plus de cannabis que les jeunes d’autres pays développés.

Il est difficile pour nous de faire des prévisions et de deviner ce qui se produira, mais je crois que nous devons tout de même tenir compte de ce que révèlent les données. Les données recueillies au sud de la frontière montrent que l’assouplissement des lois relatives au cannabis ne donne pas lieu à de fortes augmentations de la consommation chez les jeunes. D’après le National Survey on Drug Use and Health, la consommation de cannabis au Colorado est passée de 11 à 9 p. 100 chez les jeunes âgés de 12 à 17 ans. On constate toutefois une légère augmentation de la consommation chez les jeunes âgés de 18 à 25 ans. Dans l’État de Washington, d’après un sondage mené auprès de 230 000 élèves, on a constaté que, chez les jeunes de 8e, 10e et 12e années, la consommation de cannabis est demeurée la même au cours des 10 dernières années.

Je suis d’accord avec ceux qui disent que, si on met la marijuana derrière des comptoirs de vente plutôt que de la laisser entre les mains des trafiquants de drogue — comme on le fait à Monterey, par exemple, où la vente est encadrée par la loi et surveillée —, il est beaucoup plus probable qu’on demande une pièce d’identité.

En ce qui concerne les effets du cannabis sur le développement du cerveau, je me contenterai de dire que je partage bon nombre des préoccupations qui ont été exprimées et que j’attends avec intérêt que le comité les étudie. Comme l’a fait la sénatrice Hartling, je vais citer les professeures Jenna Valleriani, du British Colombia Centre on Substance Use, et Rebecca Haines-Saah, de l’Université de Calgary :

Il est difficile de déterminer si l’on peut conclure catégoriquement que le cannabis à lui seul nuit clairement au développement du cerveau.

Enfin, je pense que tout cela a un lien avec la sensibilisation. Lorsqu’il s’agit du cannabis, la sensibilisation joue un rôle essentiel. Il faut que les gens — que ce soit des jeunes, des adultes, des personnes âgées — qui envisagent d’en consommer soient conscients de ses effets.

Nous avons tous été jeunes — certains diront qu’ils le sont encore — et nous connaissons tous l’attrait que peut exercer l’interdit. Je me rappelle mon premier séjour au Canada en tant que touriste, en 1974. J’étais avec un groupe de gens dans Yorkville…

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice, votre temps de parole est écoulé.

Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs, pour lui accorder cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Omidvar : Je n’ai pas besoin de cinq minutes. Deux minutes suffiront.

J’étais dans Yorkville, et on m’a offert de prendre une bouffée. J’étais franchement étonnée par le nombre de gens qui consommaient ouvertement une substance interdite. Compte tenu de l’éducation que j’avais reçue, je ne pouvais être que scandalisée au plus haut point à l’idée de consommer avec les autres.

Passons à une quarantaine d’années plus tard. Je remets à ma mère son ordonnance de cannabis à des fins médicales pour l’aider à gérer la douleur associée à sa scoliose. C’est la sensibilisation qui aide les patients comme ma mère à envisager de consommer du cannabis pour en retirer les bienfaits. C’est la sensibilisation qui m’aide, en tant que soignante, à administrer le cannabis et à en surveiller la consommation. C’est la sensibilisation qui, au même titre, aidera, je crois, les consommateurs de cannabis à des fins récréatives à être responsables de leurs actes et à être conscients des dangers.

Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi en principe. Je l’appuie parce que l’approche actuelle ne fonctionne pas. De nombreuses vies ont été détruites par la prohibition qui règne dans ce dossier depuis près de 100 ans. Le temps est venu d’adopter une nouvelle approche.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Avez-vous une question, sénateur Dean?

(1630)

L’honorable Tony Dean : Oui, si la sénatrice accepte de répondre à une question.

La sénatrice Omidvar : Oui, bien sûr.

Le sénateur Dean : Sénatrice Omidvar, je vous remercie de vos observations. Je suis certain que tous les sénateurs présents les ont entendues. Je sais que nous sommes tous préoccupés par les répercussions de l’interdiction et de la criminalisation sur les jeunes racialisés et les jeunes Autochtones, ainsi que par les problèmes découlant du marché illicite canadien que vous avez décrits.

Au cours des derniers mois, certaines personnes ont mentionné, que ce soit au Sénat ou dans la correspondance que j’ai reçue, l’option de décriminaliser le cannabis au lieu de le légaliser et de le réglementer rigoureusement. Je me demande si vous avez réfléchi à cette option, surtout à la lumière de votre examen de la nature du marché illicite de cannabis.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de votre question, sénateur Dean.

Si nous décriminalisons le cannabis, je crois que nous nous attaquerons seulement à la criminalisation de la consommation et que nous laisserons toute la chaîne d’approvisionnement et de production du cannabis dans les mains du crime organisé. Il faut tenir compte de cette réalité.

Si nous voulons sortir le cannabis des ruelles et de l’ombre, la légalisation est la solution à adopter. Ma visite du détaillant à Monterey m’a convaincue. Comme je l’ai indiqué, j’ai été soumise à un processus de sécurité en trois étapes. Il y avait des caméras. L’établissement était réglementé de façon assez stricte. J’ai pesé le pour et le contre et, au bout du compte, si nous voulons limiter le cannabis, nous devons adopter ce système, puisque l’autre est un échec.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’ai une question pour la sénatrice Omidvar, puisqu’il reste un peu de temps.

Pour ce qui est de sortir le cannabis de l’ombre, comme vous l’avez dit, sénatrice Omidvar, et de l’enlever du marché illégal, je me demande si l’on peut faire un parallèle avec l’industrie légale des cigarettes. Dans ce secteur, le marché de la contrebande s’accroît sans cesse. Selon un expert dans ce domaine avec qui j’ai parlé aujourd’hui, la contrebande a augmenté jusqu’à représenter de 60 à 80 p. 100 du marché au Québec.

Il y a un marché illégal de la cigarette. Je ne vois donc pas pourquoi il n’y en aurait pas un pour la marijuana, puisqu'on sait que l’infrastructure du marché illégal existe déjà pour la cigarette. La lutte est féroce.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Il reste 39 secondes.

La sénatrice Martin : Je vous le demande, comment ne pas s’inquiéter du marché illégal de la marijuana?

La sénatrice Omidvar : En 39 secondes ou moins, je vous dirai qu’un marché légal ne peut être géré que par des mesures légales telles qu’un règlement et son application.

Je sais aussi ce qu’est la nature humaine. Tout comme le sénateur Downe ne cesse de nous le dire à propos de l’évasion fiscale, pour toute loi, il y a des infractions.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je suis désolée, sénatrice Omidvar, mais votre temps de parole est écoulé.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre du débat sur le projet de loi C-45.

Permettez-moi de souligner le rôle important qu’a joué le sénateur Dean eu égard à la masse d’information qu’il nous a transmise et aux séances d’information qu’il a organisées pour faire en sorte qu’on puisse comprendre ce qui se trouve derrière ce projet de loi.

La question de la légalisation du cannabis au Canada n’a pas commencé avec le discours du Trône de 2015, dans lequel le gouvernement fédéral s’est engagé à adopter une loi visant à légaliser, à réglementer et à restreindre l’accès au cannabis. Cette substance a longtemps été consommée dans plusieurs pays, sans restriction, à des fins médicales, rituelles, récréatives et autres. La culture, la possession, l’importation et l’exportation de drogues font l’objet de discussions entre les pays depuis plus d’un siècle.

L’Égypte a édicté la première interdiction légale quant à l’usage, à la culture et à l’importation de cette substance en 1868, au lendemain de la création du Canada comme on le connaît maintenant, soit il y a 150 ans. D’autres pays de la Méditerranée ont suivi, tels que la Turquie et la Grèce, où la consommation tant à des fins médicales que récréatives était importante, de même que l’Afrique du Sud en 1922 et le Canada en 1923.

Plusieurs de ces États ont été actifs sur le plan international au sein de la Société des Nations, qui a précédé l’ONU. Lors des travaux qui ont mené à la Convention de La Haye en 1912 et lors de la Conférence de La Haye sur l’opium, la morphine et la cocaïne, en 1924, certains de ces États ont proposé d’y ajouter le cannabis au même titre que les trois autres drogues. Le cannabis a finalement été ajouté à la Convention internationale sur l’opium en 1925, interdisant seulement l’exportation dans les pays où le cannabis était illégal. Des lois ont ensuite suivi dans les pays européens interdisant le cannabis.

Durant les années 1930, des pressions de l’Égypte, encore, mais aussi des États-Unis et du Canada, ont continué pour pousser plus loin l’interdiction du cannabis. Ces pressions ont mené à l’adoption par l’ONU, en 1961, de la Convention unique sur les stupéfiants, ainsi appelée parce qu’elle consolide plusieurs traités multilatéraux sur le contrôle des drogues, qui ont été conclus entre 1912 et 1953. Cette convention prévoit que, et je cite :

[Traduction]

« la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention » de cannabis —

[Français]

— sont autorisés exclusivement à des fins médicales et scientifiques.

Le rapport de 2014 du groupe Transnational Institute, intitulé The Rise and Decline of Cannabis Prohibition, The History of Cannabis in the UN Drug Control System and Options for Reform, constate que, depuis la signature de la convention de 1961, de plus en plus d’initiatives ont été prises pour autoriser le cannabis à des fins autres que strictement médicales ou scientifiques. Les auteurs de ce rapport parlent des « successive waves of soft defections » et de « lenient policies » depuis la signature de la convention de 1961.

Dans le rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, qui date de 2006, on constate non seulement que plusieurs États ont cessé de traiter des activités liées au cannabis comme des actes criminels, mais également que l’usage du cannabis à des fins médicales est défendu par des professionnels respectés. Le Rapport mondial sur les drogues de 2006 se présente comme la première étude globale sur les drogues sur le plan international. Cette étude a été menée par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime en raison du manque de données sur l’usage et le trafic des drogues. Il contient un chapitre spécial sur le cannabis, considéré comme la drogue la plus utilisée, produite et vendue au monde et, surtout, celle qui est consommée dans presque tous les pays. Je cite le rapport, qui énonce ce qui suit :

[Traduction]

Le monde n’a pas pris toute la mesure du cannabis en tant que drogue. Dans certains pays, la consommation et le trafic de cannabis sont pris très au sérieux mais dans d’autres, on en fait peu de cas. Cette absurdité porte atteinte à la crédibilité du système international et nous n’avons que trop tardé à mettre fin à cette ambivalence planétaire sur la question.

[Français]

Il s’agit d’un rapport de 2006.

Dans le contexte du Canada, le Parlement fédéral a adopté, en 1996, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui interdit certaines substances, y compris le cannabis et ses dérivés dans leur forme naturelle ou synthétique, et qui incorpore, dans le droit fédéral, les obligations contractées par le Canada à la suite de la signature des conventions internationales qui interdisent les activités liées à l’usage de drogues, comme le cannabis.

Cette loi accorde au ministre de la Santé l’autorité d’exempter des personnes ou des catégories de personnes de l’application de la loi s’il estime qu’il s’agit de raisons d’intérêt public, notamment pour des raisons médicales ou scientifiques. Des exemptions individuelles pour l’usage de marijuana séchée ont commencé à être accordées en 1999.

L’usage du cannabis à des fins médicales a été influencé directement par des décisions des tribunaux canadiens à partir des années 2000, comme la décision Parker, de la Cour d’appel de l’Ontario, qui a rendu inopérants les articles de la loi qui interdisaient à M. Parker de cultiver et de consommer de la marijuana pour réduire le nombre de crises d’épilepsie graves dont il souffrait et pour lesquelles la chirurgie et les médicaments usuels n’avaient pas circonscrit les effets de sa maladie, tout en accordant un an au Parlement pour qu’il modifie la loi. Le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales de 2001 a donc été adopté à la suite de cette décision.

(1640)

Le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales adopté en 2013 prévoit un régime qui vise l’autorisation de l’usage et de la culture du cannabis à des fins médicales par le patient ou par une personne désignée par lui et de la production personnelle de produits dérivés, de même que la production et la distribution commerciale.

Les articles 4 et 5 de la loi ont été déclarés inopérants par la Cour suprême du Canada en février 2016 dans la mesure où ils interdisent de posséder des dérivés du cannabis à des fins médicales dans la décision Smith, de la Cour suprême du Canada et la décision Allard, de la Cour fédérale du Canada.

Par la suite, le règlement de 2013 a été abrogé par l’adoption du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, qui a été adopté en 2016 par le Cabinet fédéral en vertu du pouvoir conféré par l’article 55 de la loi. Ce règlement a maintenu les exemptions personnelles, les licences et habilitations de sécurité, les licences de distributeur et les licences émises pour la culture du cannabis qui avaient été édictées par les règlements précédents.

Plusieurs sénateurs qui ont pris la parole au sujet du projet de loi C-45 ont fait référence à différentes instances parlementaires qui se sont penchées sur cette question au Canada, y compris la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales, soit la Commission Le Dain, au cours des années 1970, deux comités sénatoriaux en 1996 et en 2002, et un comité de la Chambre des communes en 2002.

Le projet de loi C-45 propose d’abord de maintenir le programme actuel d’accès au cannabis à des fins médicales et ensuite d’élargir cette autorisation en contrôlant et en réglementant la production, la distribution, la vente et la possession de cannabis à des fins récréatives, ce que l’Uruguay, huit États américains et le district fédéral de Columbia ont fait jusqu’ici. Précisons que le projet de loi C-45 prévoit de maintenir l’interdiction d’importer ou d’exporter du cannabis, sauf à des fins médicales ou scientifiques et en ce qui a trait au chanvre industriel.

Force est de constater que la question du cannabis a fait l’objet de discussions, de contestations judiciaires, de réglementation, autrement dit d’un dialogue constant entre les trois composantes de l’État, soit les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, depuis plusieurs décennies. On ne peut pas en faire abstraction au moment où nous sommes appelés à nous prononcer comme législateurs, à titre de sénateurs, sur le projet de loi C-45.

Tel qu’il est rédigé, le projet de loi pose un certain nombre de questions. Parmi ces questions, certaines me préoccupent plus que d’autres. J’invite donc mes collègues sénateurs qui sont membres des comités qui étudieront ce projet de loi à examiner attentivement les trois questions suivantes.

Premièrement, le produit lui-même. Comme nous l’avait bien démontré le vice-président du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation de la marijuana, qui est un médecin et professeur de l’Université McGill, le cannabis est une famille de drogues, et non pas un seul élément en soi. La puissance des différents produits à base de cannabis peut varier grandement dans leur concentration de THC, qui est la substance psychoactive dans le cannabis.

On est passé du cannabis séché, consommé dans les années 1960 à partir de certaines parties du cannabis, à un nombre presque infini de produits de consommation qui sont fabriqués à partir de composantes différentes de la plante, qui se fument, se boivent, se mangent, s’appliquent sur le corps, et cetera, dont les concentrations peuvent atteindre jusqu’à 90 p. 100 en THC. Même s'il ne semble pas y avoir de limite maximale de teneur en THC qui soit sécuritaire, l’établissement d’une limite ne fait pas consensus, même si les preuves semblent démontrer que plus la teneur en THC est élevée, plus les effets psychoactifs sont puissants.

Dans son témoignage du 14 février dernier devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, lequel étudie le projet de loi C-46, qui porte sur la conduite d’un véhicule moteur avec les capacités affaiblies par l’alcool, la drogue ou une combinaison des deux, la Dre Amy Peaire, présidente du Comité sur les drogues au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires, a affirmé ce qui suit dans sa réponse à une question :

[Traduction]

Je crois que le département de l’Agriculture a bien raison de dire que la teneur en THC a considérablement augmenté au fil des ans. Par le passé, il y avait des variétés de marijuana dont la teneur en THC était de 2 à 3 p. 100, alors qu’elle est maintenant régulièrement entre 20 et 40 p. 100. On constate également de plus en plus la présence de concentrés de THC: on extrait le THC de la marijuana pour obtenir un produit concentré dont la teneur va de 70 à 90 p. 100. On peut ajouter ce THC à des concentrés, le vaporiser et l’ajouter à des produits comestibles [dans] de nombreuses formulations différentes.

Une des difficultés, c’est que nombre d’ouvrages scientifiques n’ont pas été en mesure de s’attacher aux concentrations élevées de THC. Selon ces ouvrages, ce qu’on appelle communément du THC très concentré se dit de concentrations allant jusqu’à 12,6 p. 100, ce qui ne reflète vraiment pas ce qui se vend sur le marché aujourd’hui.

[Français]

Chers collègues qui étudieront le projet de loi C-45 au sein des comités, je vous invite à examiner spécialement la question d’une limite de la teneur en THC dans les produits qui seront autorisés.

Deuxièmement, depuis plus de 15 ans, l’usage du cannabis à des fins médicales est autorisé et régulé, à condition que le patient obtienne « un document médical », selon l’expression utilisée dans la loi, autrement dit, une « recommandation » ou un « appui » de la part d’un médecin ou d’un infirmier praticien, pour un tel usage. Le message implicite de cette autorisation est que le cannabis peut soulager les personnes, adultes et enfants, qui ont certaines maladies. Même s’il ne peut pas être prescrit par un médecin, parce qu’il n’est pas reconnu comme un médicament ni un traitement, son usage, sa production, sa distribution et sa vente sont autorisés et réglementés dans le cadre du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales.

Ainsi, le message social, depuis plus d’une quinzaine d’années, est de dire que l’usage du cannabis à des fins médicales peut apporter des effets bénéfiques à ceux qui en font usage, adultes ou enfants qui souffrent de certaines maladies. Il est à noter qu’un malaise persiste quant à la situation dans laquelle les médecins sont placés, parce qu’ils doivent soutenir leurs patients en leur fournissant un « document médical », au lieu de leur prescrire un médicament, pour leur permettre d’avoir accès à du cannabis à des fins médicales, alors qu’ils ne disposent pas de données scientifiques probantes à cet égard.

D’ailleurs, plusieurs associations de médecins qui ont eu l’occasion de se prononcer jusqu’ici croient qu’il est inapproprié que les médecins continuent d’autoriser l’accès au cannabis. Par ailleurs, les groupes de patients entendus par le Groupe de travail sur la légalisation du cannabis insistent sur les effets bénéfiques que procure le cannabis pour soulager leur douleur et d’autres effets des maladies sur leur état.

La question qui se pose est de savoir quel message social sera associé à l’élargissement de l’usage du cannabis à des fins récréatives. Prenons l’exemple d’un médecin de famille qui a une très jeune patiente qui fréquente une école primaire, pour qui le cannabis semble soulager les manifestations de l’épilepsie grave dont elle est affectée. Comment ce médecin pourra-t-il faire comprendre à son grand frère qu’il est très dangereux pour lui, qui est en sixième année et qui ira à l’école secondaire l’année prochaine, de consommer du cannabis, parce que son cerveau ne sera pas complètement développé avant l’âge de 25 ans?

De plus, dans le cadre des travaux du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, une étude a été menée avec un nombre restreint de jeunes participants qui a donné lieu à un rapport publié en janvier 2017, et intitulé Les perceptions des jeunes Canadiens sur le cannabis. Quoique la prudence s’impose dans l’interprétation des résultats de cette étude, le rapport fait état d’un lien entre le risque perçu associé à la consommation de substances et les taux réels de consommation et quant au fait que les jeunes connaissent mal les effets du cannabis sur le cerveau humain.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Dupuis, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Dupuis : Je demande quelques minutes de plus.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’accorder cinq minutes de plus à la sénatrice Dupuis?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Dupuis : Merci.

Ce qui est plus intéressant encore, c’est que ces jeunes déclarent que leur décision de fumer du cannabis est influencée au premier chef par leur volonté de faire comme leurs pairs et les membres de leur famille.

Le troisième point sur lequel je veux attirer votre attention, c’est que ce nouveau marché qui est réglementé depuis un certain nombre d’années s’est inséré dans un contexte de consommation, de production et de distribution illégales, parce qu’il est contraire à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

(1650)

On croit qu’une portion non identifiée, estimée à des milliards de dollars, est entre les mains du crime organisé. Or, le marché illicite du cannabis a des ramifications jusqu’au plus près des citoyens dans les milieux urbains autant que ruraux. Selon les données publiées par différents pays, la structure hiérarchisée de ce marché va des grands trafiquants du haut de la pyramide à ce qu’on appelle « les petites mains  » de la drogue, c’est-à-dire celles de tous les intermédiaires qui trafiquent le cannabis, entre autres drogues, jusqu’à l’école ou dans les parcs près de chez nous, au bas de cette pyramide. D’autres pays travaillent davantage en amont pour divulguer la structure de ce marché, les ressources de renseignement et les ressources policières et financières qui sont consacrées à contenir ce trafic, à défaut de l’enrayer.

De plus, à partir des problèmes qui lui ont été rapportés, le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis, mandaté par le gouvernement fédéral, recommande, et je cite :

[d’]examiner le rôle des personnes désignées aux termes du RACFM avec l’objectif d’éliminer cette catégorie de producteur

Selon les témoignages qu’ils ont recueillis, ce réseau de personnes désignées, qui cultive le cannabis au nom des patients qui le consomment à des fins médicales, aurait été utilisé comme une voie d’entrée ou de sortie vers le marché illicite.

Je vous invite donc, chers collègues, à examiner en détail les informations sur l’état du marché illicite pour en documenter non seulement les diverses manifestations, mais également la question très préoccupante de savoir comment le marché actuel réglementé pour l’usage à des fins médicales permet de différer une partie de la production vers le marché illégal, entre autres par le biais du régime des personnes désignées.

Je termine mes propos en soulignant que le pouvoir accordé au ministre dans le projet de loi C-45, à la partie 6, pour ce qui est d’instaurer un système de suivi du cannabis, m’apparaît comme un problème, alors qu’à peu près tous les intervenants ont soulevé le problème de l’absence de données et de suivis, et ont souligné la nécessité d’avoir un système très précis de suivi de l’usage du cannabis. On laisse, dans l’actuel projet de loi C-45, le pouvoir discrétionnaire au ministre de décider s’il mettra en œuvre ce système. J’ai lu le rapport de la ministre de la Santé, soit les résultats des consultations qu’a menées le ministère. Ce système est essentiel et doit être mis en place, et j’invite mes collègues à examiner cette question attentivement dans le cadre de l’étude en comité.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous avez une question à poser, sénatrice Saint-Germain?

L’honorable Raymonde Saint-Germain : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Auparavant, j’aimerais faire un commentaire sur l’importance de donner dans cette Chambre et à la population de l’information validée et vérifiée.

Il a été affirmé plus tôt dans ce débat que, au Québec, le taux de contrebande de la cigarette avait augmenté à la suite de la légalisation. Or, cette information est inexacte. Au contraire, le taux de contrebande illégale a diminué et le taux de vente légale de cigarettes a augmenté. En fait, le taux de contrebande a diminué de 63,3 p. 100, selon les données du ministère des Finances du Québec, dans le cas de la vente de cigarettes, et le taux de consommation de la cigarette a diminué. Cela varie, selon les études, de 3,35 p. 100 à 6,1 p. 100. Je voulais simplement faire cette rectification en ce qui concerne le Québec, et mes données proviennent du ministère des Finances du Québec.

Sénatrice Dupuis, dans votre examen du projet de loi, croyez-vous que les ententes internationales conclues par le Canada en matière de trafic et de contrôle des drogues pourraient être brimées si le présent projet de loi n’est pas modifié?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Dupuis, votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Dupuis : Merci.

[Traduction]

L’honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-45. Je sais que c’est surprenant. Par contre, cette mesure législative me tient vraiment à cœur. Ce projet de loi vise à réparer l’échec qui caractérise depuis littéralement des dizaines d’années le régime actuel régissant la consommation de marijuana au Canada. C’est ce que fera le projet de loi C-45, tout en éliminant bon nombre des façons dont le régime actuellement en vigueur au Canada cause un préjudice aux gens et à la société.

La criminalisation actuelle du cannabis expose littéralement des millions de Canadiens qui consomment du cannabis à un risque accru, mais minimisé, au chapitre de la santé, pour ne pas dire qu’elle en fait la promotion, en dépit du fait que cette drogue est actuellement illégale. Ensuite, le régime actuel soutient et continuera de soutenir le crime organisé et d’autres éléments criminels. Le projet de loi C-45 réduira les coûts relatifs au maintien de l’ordre et aux procédures judiciaires liées à l’administration de ce régime inefficace. La situation des personnes qui ont actuellement un casier judiciaire parce qu’elles ont été reconnues coupables de consommation de cannabis sera corrigée. De plus, les préjudices disproportionnés causés par l’application radicale des lois actuelles seront redressés par le projet de loi C-45.

Il s’agit d’un projet de loi dont le gouvernement majoritaire actuel a parlé lors de la campagne électorale et pour lequel il a été élu, ce qui reflète le fait que les Canadiens appuient largement la légalisation et la réglementation du cannabis, comme le confirment tous les sondages.

Comme plusieurs sénateurs l’ont mentionné au cours du débat, les lois actuelles, qui font du cannabis une substance illégale, sont méprisées par de larges pans de la population au point d’être inopérantes et inutiles.

Chaque semaine, dans une université de l’Ouest canadien, il y a ce qu’on appelle le « mercredi mari ». Le mercredi après-midi, les étudiants se réunissent par dizaines, voire par centaines, dans un espace commun ouvert et ils fument du cannabis, littéralement entourés de policiers, qui les observent sans broncher.

Cela me rappelle une conversation que j’ai eue avec un policier qui est venu me voir au Parlement, comme les policiers vont sans doute discuter à l’occasion avec un certain nombre d’autres sénateurs. Il m’a dit que, dans toute sa carrière, il n’a littéralement jamais eu d’altercation avec une personne ayant consommé de la marijuana. Il n’en a eu qu’avec des gens qui avaient consommé de l’alcool.

Je ne remets pas du tout en question les données scientifiques selon lesquelles la consommation de cannabis peut avoir des effets négatifs sur le développement du cerveau des personnes de moins de 25 ans. Plusieurs sénateurs ont déjà fait valoir cet argument, et je partage leurs inquiétudes. Selon les données scientifiques, la consommation de cannabis a des effets négatifs sur le développement du cerveau des jeunes, tout comme la pratique du hockey, d’ailleurs.

En fait, selon les données scientifiques qu’entérine et diffuse l’Association médicale canadienne, les hommes d’âge adulte ne devraient pas consommer plus de deux boissons alcoolisées par jour, mais les Canadiens ne sont pas jetés en prison lorsqu’ils en prennent une troisième. Les données scientifiques peuvent nous dire qu’il y a un problème, mais elles ne nous dictent pas les solutions à adopter. Cette tâche revient aux législateurs, et c’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Certains continuent de s’en remettre à des moyens de lutte contre la consommation de cannabis qui, de toute évidence, sont inefficaces, c’est-à-dire l’interdiction du cannabis et les sanctions pénales imposées aux personnes qui se font prendre à en consommer ou à en vendre.

En 2016, on a signalé plus de 40 000 cas de possession de cannabis, et 17 000 Canadiens ont été arrêtés, ce qui laisse croire que les mesures actuelles n’ont pas beaucoup d’effets dissuasifs. En fait, le taux de consommation de cannabis du Canada est l’un des plus élevés au monde. Il est même plus élevé que dans certains endroits où il est légal. En général, les Canadiens font peu de cas des dispositions actuelles, et ils sont nombreux à réclamer leur abolition et la légalisation du cannabis.

S’il est généralement reconnu que les campagnes d’information peuvent être efficaces et qu’elles sont nécessaires pour réduire les taux de consommation, je pense que, sans la légalisation, les initiatives de ce genre ont été freinées.

Par exemple, il est extrêmement difficile, voire carrément risqué, de parler de la consommation de substances illégales à des enfants sans être accusé d’en faire la promotion. De plus, il y a un manque flagrant de programmes d’information à ce jour, ce qui suggère une croyance implicite selon laquelle l’emprisonnement des gens pour consommation de cannabis serait efficace et comblerait le besoin de sensibilisation. C’est comme si on pensait que de les envoyer en prison leur donnait une leçon. Comme je l’ai dit, il est évident que cette approche ne fonctionne pas.

(1700)

Les fonds recueillis grâce à la légalisation et à l’imposition permettront d’augmenter considérablement le financement des initiatives de sensibilisation et de la réglementation. Ils permettront également de mener des recherches qui renforceront davantage la sensibilisation et la réglementation.

Le gouvernement fédéral a déjà annoncé l’affectation de 46 millions de dollars à des initiatives de sensibilisation, et, dans le dernier budget, il a ajouté 62 millions de dollars à cette fin. En fait, il a déjà entrepris une campagne de sensibilisation à volets multiples afin de réduire la consommation de marijuana.

De plus — toutefois, cela n’est pas encore apparent —, j’estime que les provinces commenceront à financer des programmes de sensibilisation, comme elles le font souvent actuellement pour l’alcool et le tabac.

L’expérience montre aussi que le fait de ne pas légaliser la consommation du cannabis peut causer des dommages énormes et présente un grand danger. À l’heure actuelle, des jeunes et d’autres personnes se retrouvent avec un casier judiciaire, ce qui compromet grandement leurs chances d’obtenir un emploi et leur capacité de contribuer pleinement à l’économie et à la société. L’incarcération d’un individu pour un motif lié au cannabis fait en sorte que, pendant cette période, il sera inévitablement entouré de criminels endurcis.

Une quantité immense de ressources policières et judiciaires sont affectées à la criminalisation du cannabis, des ressources qui, c’est bien connu, subissent des pressions considérables.

Quiconque achète du cannabis sans ordonnance aujourd’hui, y compris les jeunes, doit forcément interagir avec un criminel. Ce trafiquant, ce criminel, sera un individu qui n’est assurément pas particulièrement préoccupé par la présence potentielle de contaminants quelconques dans le cannabis qu’il vend. Il est généralement reconnu que le marché noir du cannabis est l’un des piliers du crime organisé et qu’il est responsable d’une partie de la violence endémique dans nos rues.

Lorsque le cannabis sera légalisé, le gouvernement sera en mesure de cibler plus vigoureusement la sensibilisation du public afin de contribuer à en réduire la consommation.

J’ai vu des statistiques qui indiquent que, lorsque les Canadiens ont vraiment décidé de s’attaquer au tabagisme, environ 55 p. 100 des Canadiens fumaient. Aujourd’hui, c’est environ 12 p. 100. Les programmes de sensibilisation peuvent fonctionner et ils fonctionnent certainement.

Il est évident que des préoccupations et des questions légitimes au sujet de la légalisation du cannabis ont été soulevées au cours du présent débat. Par exemple, à quel âge le cannabis devrait-il être légal? Certains disent que, les connaissances scientifiques indiquant la possibilité de problèmes pour le cerveau si le cannabis est consommé avant 25 ans, il serait indiqué de fixer la limite au-delà de 18 ou 19 ans. Cet argument suppose implicitement que, pour une raison ou pour une autre, une personne qui aurait plus de 18 ans, mais pas plus de 25 ans, pourrait ne pas avoir assez de maturité pour évaluer le risque associé à ce produit. Pourtant, à l’heure actuelle, les gens de cet âge-là ont le droit de se marier, d’élever des enfants, d’acheter de l’alcool, de pratiquer des sports extrêmes, de voter et de conduire un véhicule. Nous acceptons également et nous reconnaissons que les gens de cet âge-là ont assez de discernement pour s’enrôler dans l’armée, entrer dans la police ou joindre d’autres professions de premiers répondants intenses et très risquées. Ces jeunes peuvent être médecins, infirmiers, enseignants ou avocats et peuvent se porter candidat à des élections.

Il me semble qu’il est plutôt condescendant d’affirmer que les personnes de moins de 25 ans ne peuvent pas évaluer l’information de plus en plus disponible sur ce que dit la science sur le cannabis pour prendre une décision raisonnée.

Est-ce que la légalisation va appauvrir le marché noir ou y mettre fin? Je m’y attends bien. La plupart des gens ne choisiront pas une source illégale s’il y en a une qui est légale. Je m’attends même à ce qu’ils soient prêts à payer plus cher pour ne pas avoir à acheter le produit illégalement et pour bénéficier de la qualité du produit légal et réglementé. Pour les sceptiques, je dirais que, dans le pire cas, le marché noir restera, mais il sera inévitablement diminué et restera illégal, comme l’ensemble du marché du cannabis l’est en ce moment.

La légalisation du cannabis n’amplifiera pas la portée du marché noir. J’imagine qu’avec le temps le marché noir va tout simplement s’atrophier. Je dirais, non sans ironie, qu’il serait assez difficile de trouver de l’eau-de-vie à acheter dans la rue aujourd’hui, mais je parierais qu’on pouvait en trouver pendant un certain temps après la fin de la prohibition.

Qu’en est-il du prix? Le gouvernement le taxera, mais n’en dictera pas le prix, j’imagine; c’est le marché qui le dictera. Certains ont dit qu’une taxe de 10 p. 100 serait très basse, par comparaison à la taxe sur les produits du tabac. J’imagine que ce chiffre est conçu pour resserrer en quelque sorte le prix, et pour assurer que le marché noir s’atrophie bel et bien.

Ainsi, honorables sénateurs, je vote pour le projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture, et j’encouragerais chacun de vous à le faire aussi pour pouvoir renvoyer le projet de loi en comité, où les nombreuses questions et préoccupations légitimes qui ont été soulevées ici pourront être étudiées et faire l’objet de discussions et de débats plus approfondis.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Mitchell, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Mitchell : Oui, certainement.

L’honorable Vernon White : Sénateur Mitchell, pourriez-vous expliquer comment une personne de moins de 18 ans pourrait obtenir de la marijuana autrement qu’en achetant de la marijuana illégale?

Le sénateur Mitchell : Ma première réponse serait de vous poser une question : comment une personne de moins de 18 ans… Qui a la parole ici?

Son Honneur la Présidente intérimaire : C’est vous.

Le sénateur White : Je vous écoute.

Le sénateur Mitchell : Je pense que vous devriez vous asseoir.

Comment une personne de moins de 18 ans peut-elle obtenir autre chose que de la marijuana illégale aujourd’hui? Or, ce qui arrive aujourd’hui, et ce qui arrivera une fois que la marijuana sera légalisée, c’est qu’il nous sera possible d’aborder plus agressivement le problème grâce à la sensibilisation des jeunes, à leur participation aux programmes et aux renseignements mis à leur disposition pour favoriser la diminution de la consommation chez les jeunes de moins de 18 ans.

Si le sénateur Carignan a écouté mon discours, il connaît la raison que nous ne voulons plus invoquer, mais je suis heureux de la lui donner encore une fois. Cette raison nous faisait, en quelque sorte, oublier l’éducation et les autres programmes. On disait qu’il suffisait de mettre les gens en prison et de criminaliser la drogue. On savait que ce n’était pas une solution, mais on y avait recours quand même en se répétant ceci comme pour s’en convaincre : « Mettons-les en prison, ça leur apprendra. » Ça ne leur apprenait rien.

Dorénavant, nous disposerons des ressources. Nous pourrons parler du problème parce que la substance sera légalisée, contrairement à ce qui était le cas auparavant. Je crois que nous pourrons nous concentrer beaucoup plus sur la réduction de la consommation, comme nous l’avons fait dans le cas du tabac.

Le sénateur White : Monsieur le sénateur, n’est-il pas vrai qu’il est illégal aujourd’hui, pour une personne de moins de 18 ans, d’obtenir de la marijuana et que ce sera toujours illégal une fois que le projet de loi sera adopté? Je sais que le gouvernement pourrait en faire davantage en matière d’éducation, de services de santé, de traitement de la toxicomanie et de services de consultation. Il ne l’a pas fait jusqu’à maintenant, mais il le pourrait. Néanmoins, ce qui est illégal aujourd’hui le sera encore.

Le sénateur Mitchell : Je sais que vous n’êtes pas en train de prétendre que nous devrions abaisser l’âge à 12 ans, mais il est aussi illégal, pour les personnes de moins de 18 ans, de se procurer de l’alcool. La loi ne permet pas aux personnes de moins de 18 ans de boire, et il leur sera également interdit de consommer de la marijuana, comme c’est le cas présentement.

La situation à cet égard ne sera pas pire pour autant. En revanche, la légalisation aura beaucoup d’avantages.

Le sénateur White : Je suis heureux de vous entendre donner l’exemple de l’alcool parce que, à l’île du Cap-Breton, si mon frère de 21 ans m’avait acheté un paquet de 6 bouteilles de bière, alors que j’avais 17 ans, et s’il s’était fait prendre, il aurait reçu une amende de 54 $. En revanche, si les dispositions contenues dans le projet de loi actuel avaient été en vigueur, mon frère aurait pu se voir infliger une peine d’emprisonnement de 14 ans. Vous avez prévu des peines tellement sévères que vous êtes en train de pousser les personnes de moins de 18 ans vers le marché noir avec ce projet de loi.

Le sénateur Mitchell : J’ai l’impression que vous dites une chose et son contraire. Vous dites, d’un côté, qu’il serait vraiment regrettable que des jeunes de moins de 18 ans consomment de la marijuana, et, de l’autre, qu’il serait probablement inefficace d’imposer des sanctions sévères aux personnes qui leur en donnent. Vous soutenez aussi qu’il devrait y avoir des sanctions sévères, en général, pour l’usage de la marijuana.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur White devrait peut-être poser sa question de nouveau.

Le sénateur White : Je veux faire remarquer que le gouvernement n’a pas réfléchi aux conséquences qu’auraient ce projet de loi et la légalisation de la marijuana. Il affirme que cette mesure permettra de réduire la vente de marijuana à des jeunes de moins de 18 ans sur le marché noir, mais, comme il augmente les sanctions à l’endroit des gens qui donneraient de la marijuana à des jeunes, le seul endroit où ils pourront s’en procurer sera sur le marché noir. C’est ce que je voulais souligner.

Je ne m’attarde pas ici sur les parties de cette mesure qui mériteraient ou non d’être adoptées. Le gouvernement n’a pas réfléchi aux conséquences. Il a demandé à un seul comité de décider ce qu’il devrait faire, et ce comité avait pour seule tâche d’étudier la légalisation de la marijuana, et non d’examiner les conséquences d’un tel changement, ni le fait qu’un ou deux pays, et trois ou quatre États l’ont légalisée, et qu’il faudrait tenir compte de leur expérience. En fait, ces gens ne sont pas allés au Colorado pour apprendre comment les choses s’étaient passées, mais seulement pour savoir comment ils avaient procédé à la légalisation.

Bref, le gouvernement n’a pas réfléchi aux conséquences, de toute évidence, puisque la mesure proposée ne fera aucune différence dans le groupe qui est censé les intéresser, celui des moins de 18 ans.

Le sénateur Mitchell : J’ai un point de vue très différent du vôtre. Vous pouvez toutefois vous réjouir puisque, si nous renvoyons ce projet de loi au comité jeudi, comme nous devrions le faire, vous pourrez vous pencher sur cette question à votre guise au comité, puis revenir présenter votre rapport au Sénat. Vous y obtiendrez peut-être une réponse. Comme je l’ai dit, je ne vois pas les choses du même œil.

(1710)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Mitchell : Est-il complètement écoulé? Merci.

L’honorable Leo Housakos : Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-45, qui légalise la consommation de la marijuana.

J’avais délibérément gardé le silence sur ce projet de loi jusqu’à maintenant. Ce n’est pas parce que je n’ai pas d’idées bien arrêtées sur la légalisation de drogues illicites mais parce que, en tant que législateur, il m’incombe de mettre de côté ces idées et d’écouter les renseignements qui me sont communiqués. Je voulais écouter ce qu’avaient à dire les experts, les ministres et mes collègues. Maintenant que c’est fait, je suis plus convaincu que jamais que la légalisation est vraiment un pas dans la mauvaise direction.

J’ai écouté le parrain du projet de loi et plusieurs de mes collègues. J’ai aussi écouté les ministres de la Santé, de la Justice et de la Sécurité publique. Rien de ce que j’ai entendu n’a répondu aux questions que de nombreux Canadiens, moi y compris, se posent à propos du projet de loi. Au contraire, nous semblons avoir plus de questions que de réponses.

Les principales questions sont les suivantes : comment et pourquoi? Commençons par le comment. Comment la mesure législative remplira-t-elle son objectif premier selon ce que soutient le gouvernement, soit empêcher les jeunes de se procurer de la marijuana? Comment? En principe, la légalisation de la marijuana rendra l’accès au marché noir plus difficile pour les enfants. D’accord. Encore une fois, comment?

On n’a pas encore donné ou même tenté de donner d’explication concrète. J’ai cependant entendu à maintes reprises que l’approche actuelle ne fonctionne pas. En fait, c’est ce que le sénateur Mitchell vient de dire au début de son intervention. Cela ne répond pas à ma question. Cela en soulève par ailleurs d’autres. Par exemple, comment savons-nous que l’approche actuelle ne fonctionne pas? Avons-nous envisagé d’autres approches pour corriger le problème? Je reviendrai sur ces questions sous peu.

D’abord, en quoi la légalisation de la marijuana peut-elle contribuer à une baisse de la consommation chez les jeunes? Qu’est-ce qui nous le prouve? Même si certaines personnes prennent d’autres pays pour exemple afin de montrer le lien qui existerait entre la légalisation et la baisse de la consommation chez les jeunes, les données scientifiques sont loin d’être déterminantes. Comme nous l’a expliqué la ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, en comité plénier, un des problèmes majeurs est d’établir des statistiques de base convaincantes. Comme elle l’a dit, il n’est pas facile de mener de bons travaux de recherche sur la consommation de la marijuana en raison du caractère illégal de cette drogue au Canada.

C’était vrai aussi au Colorado, qui a légalisé la consommation de marijuana à des fins récréatives en 2012 et qui illustre bien ce à quoi nous pouvons nous attendre ici, au Canada.

Andrew Freedman, l’ancien directeur de l’Office of Marijuana Coordination du Colorado, a déclaré ceci :

Nous aurions dû rassembler de meilleures données de base. Nous n’évaluions pas des facteurs vraiment importants pour nous, comme, par exemple, le nombre d’enfants renvoyés de l’école pour avoir fumé de la marijuana. Comme nous n’évaluions pas cela, il nous était donc impossible de savoir si ce chiffre avait changé après la légalisation […] Il est très important de vous assurer de mesurer les facteurs qui comptent pour vous afin de pouvoir modifier les politiques en cours de route.

Est-ce ce que nous avons fait? Les erreurs faites au Colorado nous ont-elles servi de leçon? Disposons-nous de toutes les données de recherche ou faisons-nous tous les travaux de recherche qui nous permettraient d’augmenter nos chances d’établir des statistiques de base fiables? Tel n’est pas le cas, selon le secrétaire parlementaire Bill Blair, qui a piloté ce projet de loi de main de maître au Parlement. Je trouve intéressant le fait que M. Blair ait tenu les propos suivants lors d’une récente annonce de financement pour la recherche : « Nous manquons de données probantes pour éclairer les politiques. » C’est l’homme clé du gouvernement pour ce projet de loi lui-même qui dit cela, chers collègues.

Quant au lien qu’il pourrait y avoir entre la légalisation et la fréquence de la consommation de la marijuana chez les jeunes, le Dr Larry Wolk, médecin-chef au ministère de la Santé publique et de l’Environnement de l’État du Colorado, a tenu les propos suivants :

Ce qui semble arriver, c’est que ceux qui consommaient illégalement auparavant le font maintenant de façon légale et que les adolescents ou les jeunes qui consommaient illégalement auparavant continuent de le faire au même taux.

En d’autres termes, la légalisation d’une activité ne fait pas qu’elle cesse d’avoir lieu; elle fait simplement en sorte qu’elle ait lieu légalement.

Ce n’est pas seulement au Colorado. Comme ma collègue, la sénatrice Seidman, l’a mis en évidence dans une question qu’elle a posée à la ministre de la Santé, les recherches partout sur la planète indiquent que la légalisation de la marijuana mènerait à une plus grande consommation chez les jeunes. La sénatrice Seidman a cité l’étude de 2015 publiée dans PLOS ONE, qui recensait 38 pays où la libéralisation en matière de marijuana a mené à des taux de consommation régulière de cannabis plus élevés chez les jeunes. Pour un gouvernement qui disait vouloir toujours fonder son approche sur la science, il semble vouloir retenir seulement les recherches sur la consommation de cannabis qui appuient sa démarche.

Prenons la statistique la plus citée au sujet de ce projet de loi : le gouvernement ne peut même pas nous dire d’où il la sort, et encore moins la méthodologie qui a été employée. Je parle de l’affirmation qui veut que ce soit au Canada que la consommation de marijuana chez les jeunes est la plus élevée. C’est là-dessus qu’est fondé le projet de loi, après tout. C’est ce qui justifierait toute la pression exercée pour qu’on adopte le projet de loi au plus tôt, et c’est sur cette affirmation que le gouvernement fonde son argumentaire concernant l’inefficacité de notre approche actuelle. Il semble cependant y avoir beaucoup de confusion quant à l’origine de cette statistique et, donc, de la validité des affirmations qui en découlent.

On nous a répété à maintes reprises que cette statistique provient d’un rapport de l’UNICEF publié en 2013. Le rapport cite les données de 2008 du ministère de la Justice du Canada en tant que source. Pourtant, lorsque Blacklocks Reporter a demandé à Justice Canada quelle était l’origine de ces données et la méthodologie employée pour les produire, la réponse des fonctionnaires a été la suivante :

Étant donné le temps qui s’est écoulé et le manque de contexte particulier en ce qui concerne cette source, nous ne sommes pas sûrs d’où viennent les statistiques de 2008 qui ont été citées.

Comment le gouvernement peut-il prétendre que l’approche actuelle est inefficace et qu’on doit légaliser la marijuana en s’appuyant sur des statistiques qui ne résistent même pas à l’examen le plus sommaire? Il faut, à tout le moins, vérifier la source des données et la méthodologie utilisée. Rappelez-vous, chers collègues, que j’ai demandé au leader du gouvernement d’expliquer au Sénat cette méthodologie. Quelques semaines plus tard, j’attends toujours une réponse. Je pense que, pour beaucoup de Canadiens, je pourrais m’arrêter ici, et ils seraient convaincus que le projet de loi n’est pas prêt. Cela dit, chers collègues, je ne fais que commencer.

Plus tôt, j’ai demandé quelles autres approches avaient été étudiées par le gouvernement, le cas échéant, ou si c’était la légalisation ou rien. Le sénateur Carignan a demandé à la ministre de la Santé si le gouvernement s’était penché sur les mesures mises en place en Norvège, qui lui ont permis de devenir le pays présentant le plus faible taux de consommation chez les jeunes. Cette situation ne mérite-t-elle pas d’être étudiée? Nous n’avons pas reçu de réponse. J’aimerais bien en avoir une. Je pense que les Canadiens y ont droit.

Je prends quelques instants pour revenir sur l’annonce du secrétaire parlementaire Bill Blair à propos du financement de la recherche. Si ce projet de loi est si important qu’il faut l’adopter sans tarder, comment se fait-il que le gouvernement ait mis autant de temps à investir dans la recherche et à entreprendre des études essentielles? Par exemple, juste avant l’ajournement, il y a quelques semaines, chers collègues, Statistique Canada a annoncé la réalisation d’une analyse relative aux eaux usées municipales dans le but de brosser un portrait plus fidèle de la consommation de cannabis non thérapeutique par les Canadiens. Dans son communiqué de presse, Statistique Canada a précisé ce qui suit :

Étant donné la difficulté d’obtenir ces renseignements et le niveau de détail requis par les utilisateurs de données, Statistique Canada utilise des méthodes non traditionnelles pour obtenir autant de renseignements que possible. L’une de ces méthodes est l’analyse des eaux usées pour mesurer la consommation de drogue dans la population générale.

Tenez-vous bien, chers collègues, parce que le pire, c’est que ces recherches n’ont rien de nouveau. Plusieurs autres pays en mènent depuis plus d’une dizaine d’années.

J’avoue que je suis perplexe. On nous dit que la mesure législative dont nous sommes saisis doit être adoptée au plus vite, qu’il en va de la santé et de la sécurité de nos enfants. Selon ce que les libéraux ont dit eux-mêmes, cette mesure législative était censée être une priorité, mais c’est seulement aujourd’hui qu’ils se décident à mener des recherches aussi déterminantes? Pourquoi? Je vais vous le dire, pourquoi. Si c’est aussi important qu’ils le disent, pourquoi attendre à maintenant? Le gouvernement a admis qu’il a du mal à rassembler des données de référence; or, les recherches comme celle-là ont justement prouvé qu’elles peuvent servir exactement à ça et on vient de se décider à en mener nous aussi? C’est irresponsable.

Ce n’est pas comme si le gouvernement avait manqué de temps. Comme le sénateur Pratte aime tant le rappeler, les libéraux l’ont promis pendant la campagne électorale et ils sont au pouvoir depuis près de trois ans, alors pourquoi attendre à aujourd’hui pour entreprendre des recherches aussi cruciales pour la mise en œuvre du projet de loi?

Il n’y a pas que la recherche qui traîne la patte, soit dit en passant. Quand ils sont venus nous rencontrer, bon nombre des ministres ont insisté sur le fait que le projet loi accorde énormément d’importance à la sensibilisation — surtout des jeunes — aux dangers de la marijuana et de la conduite avec facultés affaiblies.

Même s’il est question de 62,5 millions de dollars pour les initiatives de sensibilisation dans le budget de 2018, cet argent ne sera pas débloqué avant le délai fixé par le gouvernement. Je pose de nouveau la question : pourquoi avoir autant attendu? Pourquoi n’entendons-nous pas parler de sensibilisation à la télévision, à la radio, dans les journaux et dans les médias sociaux? Pourquoi nous apprêtons-nous à légaliser la marijuana avant qu’une partie de la sensibilisation tant attendue ait eu lieu?

Il suffit, encore une fois, de se tourner vers le Colorado pour constater que c’est une mauvaise idée. La ministre Petitpas Taylor a elle-même admis que, s’il y a une chose que le Colorado aurait souhaité faire plus tôt quand il a légalisé la marijuana à des fins récréatives, c’est sensibiliser le public d’avance. Or, lorsque le sénateur Smith a demandé à la ministre Petitpas Taylor quel était le calendrier du gouvernement pour la mise en œuvre du programme de sensibilisation, elle a répondu qu’on en était à élaborer à nouveau le programme. C'est fantastique, non seulement le gouvernement ne l’a pas mis en œuvre, mais il ne l’a même pas encore élaboré.

(1720)

Il y a un autre problème : a-t-il suivi la recommandation de son propre groupe de travail selon laquelle les communautés et les aînés autochtones doivent être consultés sur la conception et l’exécution du programme de sensibilisation du public? Le gouvernement a-t-il pleinement étudié l’incidence que ce projet de loi aura sur les jeunes autochtones du pays?

Les ministres ont affirmé avoir mené des consultations, et ils l’ont certainement fait. Toutefois, ce qu’a affirmé ici le sénateur Patterson m’a fait beaucoup réfléchir. Ce que j’ai compris de son intervention, c’est que, comme pour tous les autres aspects de ce projet de loi, le gouvernement a fait le strict minimum pour ce qui est de se préparer à la mise en œuvre. À cet égard, il a laissé le gros du travail de fond aux provinces et aux territoires. Le sénateur Patterson a été on ne peut plus clair : dans tout le Nunavut, les maires n’ont pas le sentiment d’avoir été entendus. Ils n’ont pas le sentiment d’être prêts. Ils s’inquiètent énormément pour les jeunes de leurs communautés respectives. Pour un gouvernement qui prétend avoir à cœur la réconciliation avec les populations autochtones du pays, je m’étonne qu’il prenne aussi peu au sérieux leurs préoccupations. Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi. Pourquoi le Sénat a-t-il refusé d’entendre en comité plénier la ministre des Affaires autochtones?

Pour ce qui est des initiatives de sensibilisation, j’irai plus loin. Je me demande si le gouvernement a même envisagé d’autres approches pour faire diminuer la consommation chez les jeunes. A-t-il envisagé de mettre l’accent sur l’éducation pour dissuader les jeunes? L’approche a très bien fonctionné pour la cigarette, puisqu’elle a abouti essentiellement à une diminution de la consommation chez les jeunes. Pour autant, les experts en santé publique — et notamment la Société canadienne du cancer — nous mettent en garde : la légalisation de la marijuana va compromettre cette réussite en raison des messages ambigus qu’elle envoie et d’une normalisation nouvelle de l’usage du tabac.

Le tabagisme m’amène à une autre question soulevée en comité plénier par mon collègue, le sénateur Carignan. En prenant l’exemple des poursuites contre les compagnies de tabac, le sénateur Carignan a demandé si le gouvernement avait cherché à obtenir des avis juridiques sur les risques de recours collectif contre le gouvernement du Canada, des poursuites qui pourraient faire en sorte que les contribuables doivent payer des milliards de dollars. On lui a répondu qu’aucun avis juridique n’avait été demandé. Malgré le fait qu’il est au pouvoir depuis près de trois ans, le gouvernement n’a pas cherché à obtenir d’avis juridique sur les risques bien réels liés à la légalisation de la marijuana. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait? Nous entendons sans cesse parler de l’importance d’adopter cette mesure législative le plus rapidement possible. C’est urgent, selon le gouvernement. Pourtant, il est tout à fait clair que celui-ci n’a pas pris les mesures nécessaires pour démontrer aux Canadiens que cette mesure législative est effectivement la voie à suivre et qu’il s’engage dans cette voie de façon très responsable.

Le gouvernement ne dispose d’aucune donnée scientifique à l’appui de son affirmation selon laquelle cette mesure législative est nécessaire, ou même qu’elle fera ce que le gouvernement affirme qu’elle fera. Il a entrepris il y a quelques semaines des recherches qui serviront à mieux éclairer nos décisions au sujet du projet de loi. Le gouvernement n’a pas élaboré et encore moins mis en œuvre un programme de sensibilisation. Il n’a pas demandé d’avis juridiques.

Qu’en est-il des répercussions de la mesure législative sur les personnes qui seront chargées de l’appliquer? De plus en plus de chefs de police partout au Canada ont déclaré qu’ils ne sont pas prêts. Ils ont déclaré que la formation nécessaire n’a pas encore été donnée. Ils n’ont pas à leur disposition le matériel nécessaire pour repérer les conducteurs aux facultés affaiblies par la drogue. Ils ne disposent pas non plus des fonds nécessaires pour la formation ou l’achat du matériel.

Qu’en est-il des tribunaux? On nous dit qu’un autre avantage de cette mesure législative, c’est que les tribunaux ne seront plus engorgés par des personnes qui sont aux prises avec des accusations liées à la marijuana. Comme l’a souligné ma collègue, la sénatrice Batters, en fait, cette mesure législative créera encore plus d’arriérés pour les tribunaux en raison des accusations de conduite avec facultés affaiblies.

Lorsque la sénatrice Batters a demandé à la ministre de la Justice, Mme Wilson-Raybould, pourquoi le gouvernement avait opté pour la légalisation, au lieu de la décriminalisation, comme manière de résorber l’arriéré, la ministre n’a pas répondu.

Les questions sont nombreuses, mais les réponses sont rares. En fin de compte, les objectifs du projet de loi sont ambitieux, mais nous serons loin de pouvoir les atteindre. Le projet de loi n’est pas prêt, chers collègues, et les Canadiens n’y sont pas vraiment favorables, du moins pas dans sa forme actuelle. Nous sommes très loin du compte.

J’ai commencé mon discours d’aujourd’hui en m’interrogeant sur le comment. Je le termine en parlant du pourquoi. Pourquoi faut-il se dépêcher à adopter ce projet de loi? Est-ce pour remplir une promesse électorale d’un gouvernement qui a pourtant déjà renoncé à beaucoup de promesses? S’agit-il de trouver de l’argent pour réaliser les promesses à venir d’un gouvernement qui dépense sans compter l’argent des contribuables? Est-on en train de nous imposer un projet de loi pour payer les dépenses hors de contrôle du gouvernement sur le dos de nos enfants et de nos petits-enfants?

Nous entendons beaucoup parler du bien-être de nos enfants, qui serait en péril si ce projet de loi n’était pas adopté. Pour ma part, je crains plutôt que le bien-être de nos enfants ne soit menacé si le projet de loi est adopté.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Avez-vous une question, monsieur le sénateur Dean?

Le sénateur Dean : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Monsieur le sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Housakos : Le Sénat m’accorderait-il cinq minutes de plus?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Dean : Je voudrais vous poser une question, mais permettez-moi auparavant de rectifier les faits parce que vous avez dit, à l’instar d’autres sénateurs, qu’il est important d’agir en s’appuyant sur des faits et des données probantes.

Premièrement, je peux vous confirmer que le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis s’est bel et bien rendu au Colorado, tout comme il s’est rendu dans l’État de Washington. C’est la première rectification.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dean, je m’excuse. Est-ce une question?

Le sénateur Dean : J’aimerais surtout qu’on ne m’interrompe pas.

Deuxièmement, comme vous vous êtes interrogé sur le rapport de 2013 de l’UNICEF, je peux dire que les données n’ont pas été fournies par le ministère de la Justice et qu’elles n’ont pas pu l’être. J’ai fait des recherches sur la source des données…

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur…

Le sénateur Dean : … que je vais communiquer à tous les sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dean, à l’ordre s’il vous plaît. Sénateur Dean, vous avez le droit de poser des questions. C’est une tout autre histoire si vous souhaitez participer au débat. Nous en sommes maintenant à la période de questions.

Le sénateur Dean : Et voici ma question. J’ai aussi le droit de ne pas être interrompu. Voici ma question : le sénateur sait-il que, en 2014, le Centre de toxicomanie et de santé mentale — le plus grand centre de recherche et de traitement au Canada, que la sénatrice Batters et moi admirons et qui, selon moi, est une source d’information crédible sur la recherche concernant les drogues et les dépendances — a publié un document stratégique qui a conclu que la légalisation et la réglementation rigoureuse du cannabis permettent de réduire les méfaits causés aux enfants? Savez-vous que le rapport a conclu que le cannabis n’est pas une drogue d’introduction? Savez-vous que le rapport a conclu que le cannabis est moins nocif que l’alcool et le tabac? Avez-vous déjà entendu parler de ce rapport? Connaissez-vous ses conclusions? Voulez-vous que je vous en envoie un exemplaire?

Le sénateur Housakos : Tout d’abord, dans mon discours, j’ai fait allusion à un rapport de l’UNICEF que des ministres ont abondamment cité dans cette enceinte. Trois ministres ont cité ce rapport. Un certain nombre de sénateurs ont ensuite suivi leur exemple. Après enquête, on s’est rendu compte que ce rapport ne reposait sur aucune donnée probante et que la méthodologie utilisée était déficiente.

Je suis même allé plus loin et j’ai eu la courtoisie de demander au leader du gouvernement, il y a un mois, de nous fournir la source de ce rapport ainsi que la méthodologie sur laquelle il repose; le Sénat les attend encore. Je ne connais pas le nouveau rapport dont vous venez de faire mention, mais n’hésitez pas à le déposer pour que tous vos collègues aient la chance d’en prendre connaissance.

Un groupe d’experts est, en outre, venu témoigner devant le Sénat, sur l’invitation du sénateur Oh — cinq médecins, des pédiatres respectés —, et ils n’ont pas mis l’alcool et la marijuana au même niveau, et n’étaient pas d’accord pour dire que la marijuana n’est pas une drogue qui entraîne la consommation d’autres drogues.

Ce à quoi je voulais en venir dans mon allocution est que le gouvernement dit qu’il essaie de trouver une solution en partant du principe que, à l’heure actuelle, la consommation de marijuana est extrêmement répandue chez les jeunes au Canada, et c’est ce point que je remets en question.

Il faut faire attention. Quand il s’agit de sondages ou d’analyses sur la consommation de marijuana selon le groupe d’âge, il est vrai qu’il est possible qu’un grand nombre de personnes en consomment en passant dans une soirée peut-être, qu’elles en prennent une bouffée, ce qui peut gonfler les chiffres. Or, ce qu’il faut vraiment valider, par exemple, est le nombre de personnes qui consomment de la marijuana de façon régulière et le font pendant une longue période.

(1730)

La question est de savoir pourquoi ce n’était pas la première étape du gouvernement. Voilà ce que j’essayais de faire valoir dans mon discours. Sénateur Dean, si l’objectif est de sensibiliser les jeunes et de réduire leur consommation de marijuana, et s’il s’agit de l’objectif prioritaire du gouvernement, cela va à l’encontre de votre argument actuel, à savoir que l’alcool est pire que la marijuana.

Le gouvernement ne prétend pas que la marijuana est une substance terrible. Il ne prétend pas qu’elle n’a pas un énorme effet néfaste sur les jeunes. Pour l’instant, il me semble que votre question sous-entend l’inverse.

Le gouvernement affirme que le cannabis est une chose terrible pour les jeunes et qu’il doit les convaincre de ne pas en consommer. Il ajoute que, à cette fin, il va légaliser le cannabis. Je ne crois pas que cet argument soit logique. Le premier argument logique, si vous croyez sincèrement en votre argument — et je soupçonne que ce n’est pas le cas…

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé.

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Je vous remercie, sénateur Dean, d’avoir parrainé le projet de loi et je remercie tous mes collègues qui ont exprimé leur point de vue. Le projet de loi offre d’énormes possibilités pour l’avenir du Canada. J’apprécie la minutie avec laquelle la prévision des risques et des avantages qui pourraient découler de la modification proposée a été effectuée. J’ai également des préoccupations, dont plusieurs ont déjà été soulevées par mes collègues. Cependant, aujourd’hui, je tiens à porter expressément à votre attention les répercussions de la légalisation du cannabis sur la vie des Afro-Canadiens.

Vous avez déjà entendu la sénatrice Omidvar mentionner tout à l’heure que les Afro-Canadiens étaient touchés de façon disproportionnée à l’heure actuelle par les lois sur le cannabis relativement au maintien de la loi, aux arrestations liées à la possession de cannabis et à la surreprésentation en milieu carcéral. Compte tenu de ces répercussions uniques sur les Afro-Canadiens, je constate qu’il manque un élément crucial au projet de loi C-45, ce qui, en définitive, défavorisera ce groupe de personnes, à moins que nous appliquions le principe d’équité raciale dans les étapes de développement.

Comme l’a déclaré le très honorable premier ministre Trudeau le 30 janvier dernier, lorsqu’il a officiellement reconnu la Décennie des Nations Unies pour les personnes d’ascendance africaine :

Pour beaucoup trop de gens, le racisme anti-Noirs, la discrimination et les inégalités font partie du quotidien. C’est inacceptable. Le Canada peut et doit faire mieux.

Honorables collègues, le moment est venu de faire mieux. C’est notre responsabilité de déterminer quelles sont les répercussions de notre travail sur la vie des Afro-Canadiens. La criminalisation camoufle souvent des problèmes sociaux plus profonds. La pauvreté, la discrimination, le chômage et les problèmes de santé ne sont que quelques exemples de difficultés auxquelles doivent faire face les communautés noires. Établir le lien entre ces difficultés et la criminalisation fait partie de la solution. Nous avons l’occasion d’améliorer les choses pour un groupe de Canadiens qui, historiquement et encore aujourd’hui, sont judiciarisés et surreprésentés en milieu carcéral pour des crimes mineurs liés à la drogue.

J’utilise un processus en trois étapes comme ligne directrice pour établir une justice raciale : la sensibilisation, l’analyse et l’action. L’annonce du premier ministre Trudeau constituait la première étape, soit la sensibilisation. Nous sommes sensibilisés au racisme anti-Noirs et nous nous sommes engagés à apporter des changements. Lorsque le projet de loi C-45 sera renvoyé au comité aux fins d’étude, profitons de l’occasion pour analyser comment les Afro-Canadiens sont touchés par ce projet de loi et comment nous pouvons veiller à ce que les changements puissent aussi leur profiter. Voilà ce qu’est le principe d’équité raciale. Notre processus d’analyse permettra d’orienter les mesures qu’il faut prendre en vue d’apporter des changements.

La première question que je veux soulever, c’est la consultation nettement insuffisante des Afro-Canadiens dans le cadre du présent débat. C’est un problème, parce que ce qui est parfois vu comme une neutralité générale cache en fait des partis pris défavorables aux groupes marginalisés. Les préjugés raciaux désavantagent les Noirs et la communauté noire. On donne très peu d’occasions aux Noirs de s’exprimer publiquement. Une des principales solutions pour favoriser l’équité consiste à consulter la communauté noire. L’absence de consultations que j’ai pu constater jusqu’à présent est très préoccupante.

Honorables sénateurs, mon rôle consiste aujourd’hui à vous donner les résultats de quelques conversations que j’ai eues avec des Canadiens noirs qui m’ont fait part de leurs idées et de ce qu’ils ont trouvé. J’ai été choquée par le mutisme des gens sur cette question qui a pourtant de profondes répercussions sur eux. Ce mutisme provient peut-être du fait qu’il est encore illégal de prendre part à l’industrie du cannabis. Par conséquent, les gens d’expérience des minorités visibles hésitent actuellement à participer au débat en raison des préjugés qui y sont associés et par peur des répercussions et des réprimandes.

Par contre, bien d’autres Noirs sont impatients de parler des problèmes que rencontre leur communauté. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’entendre ce qu’ils ont à dire. Ils m’ont notamment parlé des effets néfastes de la sous-représentation des Noirs dans le débat, de leurs inquiétudes au sujet des restrictions qui limitent la délivrance des permis parmi les acteurs de l’industrie légale du cannabis, de la réhabilitation complète des gens ayant été reconnus coupables de possession simple de cannabis, de la nécessité de mener une analyse comparative entre les sexes plus, des aspects sociaux et relatifs à la santé, de l’absence de données selon les races, et du silence sur la question de la surreprésentation des Afro-Canadiens dans les prisons.

On m’a souvent parlé aussi de la question des préjugés structurels. Les préjugés structurels désignent notamment les politiques et les pratiques institutionnelles qui limitent les possibilités des gens qui sont victimes de préjugés en raison de leur situation sociale. Le paragraphe 61(7) du projet de loi suscite des inquiétudes au sujet de la délivrance des permis. D’après ce paragraphe, les demandeurs qui ont déjà contrevenu à une disposition de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne pourront pas obtenir de permis.

Selon les données du service de police de Toronto, les Noirs de cette ville courent trois fois plus de risques d’être arrêtés pour possession que leurs concitoyens blancs. Les Canadiens noirs qui ont été emprisonnés éprouvent des difficultés à se trouver un emploi et, par conséquent, cette limite les empêche d’accéder aux avantages économiques de l’industrie légitime du cannabis. Je peux imaginer que cette partie a été conçue comme une mesure de protection afin que l’industrie du cannabis soit lancée sur une bonne base, loin de l’activité criminelle.

Cependant, il est important de souligner que, en excluant les individus ayant été condamnés pour possession simple, on exclut aussi certains des membres les plus marginalisés de la population qui peinent à se trouver du travail, alors qu’ils tentent de se réinsérer dans la société, et qui gagneraient grandement à participer au marché légal.

Cette structure proposée créera un marché qui sera probablement administré par un groupe privilégié qui en profitera financièrement. Je préconise que nous examinions les manières dont les Canadiens noirs seront en mesure d’utiliser leurs expériences et leurs compétences sur le marché légal du cannabis, ce qui permettra aux Afro-Canadiens de se sortir de la pauvreté, réduisant ainsi d’autres activités illégales. Nous pouvons nous tourner vers la Californie pour avoir une idée de la manière d’accorder des pardons pour la simple possession, afin d’améliorer la vie des Canadiens racialisés.

Il existe toujours une forte stigmatisation liée à la consommation de cannabis, même si le produit est très couramment consommé parmi les jeunes — comme nombre de nos collègues l’ont mentionné. De plus, cette stigmatisation empêche les discussions et la sensibilisation concernant la consommation sécuritaire et saine.

Comme la consommation du cannabis à des fins récréatives demeure illégale pour le moment, il est possible que la stigmatisation soit liée à la criminalisation. Beaucoup de personnes ne parleront pas de leurs expériences du cannabis, car elles craignent la judiciarisation.

(1740)

Nous avons assisté à un changement dans le discours au pays sur la santé mentale qui, d’un sujet très mal vu, est devenu une question abondamment discutée qui rejoint une majorité de Canadiens.

Honorables collègues, le projet de loi C-45 soulève des questions sur la santé, la pauvreté, la santé mentale. Il touche la question du bien-être des enfants. Il concerne la question des jeunes et des groupes raciaux.

Nous ne pouvons pas omettre ces facteurs de la discussion. Un grand nombre de jeunes Canadiens racialisés ou blancs consomment du cannabis à des fins récréatives ou pour s’automédicamenter à un taux déjà alarmant. Le système actuel ne fonctionne pas et je crois que, en déstigmatisant la question, nous aurons un dialogue plus ouvert avec nos jeunes sur l’adaptation, la santé mentale et le recours aux drogues, sans criminalisation.

Il y a une initiative très positive dans tout ce processus, et c’est que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones est en train d’étudier le projet de loi C-45 dans le contexte des peuples autochtones du Canada. Je suis très heureuse que l’on veille à ce que la voix des communautés, des organismes et des aînés autochtones soit entendue, de sorte qu’on puisse prévoir comment leur population sera touchée différemment et a besoin d’une attention spéciale dans la mesure législative. J’ai hâte de voir quelles conclusions et recommandations émaneront de ces consultations.

Dans la même veine que l’étude en cours pour s’assurer que l’on tient compte des communautés autochtones, je crois qu’il serait aussi important d’écouter davantage les Canadiens d’origine africaine dans le processus. Beaucoup de Canadiens d’origine africaine aimeraient pouvoir se faire entendre puisqu’ils sont conscients des effets uniques de la légalisation sur leur communauté. Beaucoup de gens d’organismes communautaires, d’universités et de services correctionnels et de personnes qui ont vécu certaines expériences peuvent apporter une contribution utile aux débats.

Le fait que les données ne sont pas ventilées selon la race constitue un autre exemple de racisme institutionnel. Il s’agit d’un problème majeur, car il est malaisé de cerner un problème lorsque les statistiques disponibles ne reflètent pas fidèlement la réalité des Afro-Canadiens. Même lorsqu’une étude inclut des participants de race noire, les données les concernant ne sont pas analysées séparément. Le résultat est que l’incidence de beaucoup de questions sur les Afro-Canadiens demeure inconnue.

Les données actuelles ne donnent pas vraiment un portrait clair des conséquences du profilage racial et des disparités touchant les gens de race noire en matière de détermination de la peine et d’incarcération. Étant donné ce manque d’intérêt et l’absence de données ventilées, il est très difficile de réclamer des changements. C’est là un autre exemple de racisme institutionnel.

Un autre membre de la collectivité a souligné que le projet de loi C-45 ne tient pas compte du point de vue des femmes. Bon nombre d’entre nous ont suivi une formation sur l’analyse comparative entre les sexes plus. Je vous presse d’appliquer ces connaissances à votre analyse du projet de loi C-45. Les répercussions sont-elles différentes pour les femmes? En quoi le projet de loi à l’étude néglige-t-il leurs besoins? Ceux d’entre nous qui ont eu l’occasion de s’entretenir avec des femmes incarcérées au pénitencier de Grand Valley ont pu constater le grand nombre de détenues afro-canadiennes ou d’une autre minorité raciale, ainsi que les conséquences de l’incarcération sur leur santé mentale, le bien-être de leur famille et leurs perspectives d’emploi.

La guerre contre les drogues fait partie du passé raciste anti-noir du Canada. Comme on l’a dit précédemment, les Afro-Canadiens sont ciblés de manière disproportionnée par la police et sont plus susceptibles d’être accusés d’infractions mineures liées aux drogues. Selon les modifications apportées à la loi, ces gens seront laissés pour compte et continueront de subir le rejet, même de leur propre communauté.

En l’absence d’un plan concret sur le pardon des gens incarcérés par le passé pour possession simple de cannabis, en particulier les gens des minorités raciales, le racisme anti-noir demeure. En refusant à ces Canadiens un pardon pour d’anciennes infractions mineures, en plus de leur nier l’accès à l’industrie du cannabis, le gouvernement fédéral établit une règle de deux poids, deux mesures, qui permet à certains privilégiés de tirer profit de l’industrie du cannabis et cause un préjudice aux Afro-Canadiens.

Pour conclure, honorables sénateurs, je vous invite à bien considérer l’impact précis du projet de loi C-45 sur les Afro-Canadiens et les autres Canadiens appartenant à une minorité. Examinons quels changements nous pourrions apporter au projet de loi proposé pour créer le plus possible de transformations positives pour les personnes qui sont le plus souvent exclues de ce genre de discussions. Nous avons l’occasion de pourfendre les tendances de racisme systémique. Les étapes que je recommande visent précisément à introduire plus de diversité à la conversation, à assurer une plus grande représentation des minorités lors des discussions, à revoir les restrictions associées aux permis et à empêcher la continuité du racisme anti-Noirs grâce aux pardons pour la simple possession.

L’honorable Nancy Greene Raine : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-45 et de mes réserves à l’égard de l’empressement du gouvernement à légaliser la consommation de marijuana à des fins récréatives. Je ne suis pas contre la réglementation éventuelle de l’usage non médical de la marijuana, mais je suis très inquiète du fait que nous agissons avec précipitation et que nous ne sommes pas prêts pour les nombreuses conséquences imprévues qui semblent inévitables. Voilà pourquoi, tout comme d’autres sénateurs, je considère que l’étude de ce projet de loi au Sénat est tellement importante.

Le programme électoral de 2015 du Parti libéral promettait la décriminalisation de la possession de marijuana et la mise sur pied d’un groupe de travail composé d’experts en santé publique, en toxicomanie et en maintien de l’ordre. Il a promis de créer un nouveau cadre de contrôle strict du commerce et de la distribution de la marijuana, avec le prélèvement approprié de taxes d’accise provinciales et fédérale.

Dans la rhétorique au sujet de la législation, les ministres expliquent continuellement qu’ils sont motivés à protéger la santé et la sécurité de nos jeunes. Je dirais que le projet de loi C-45 va bien au-delà de ce qui avait été énoncé dans le programme des libéraux, et qu’il n’a pas reçu suffisamment de commentaires des instances qui seront prises avec les conséquences, notamment les municipalités et les Premières Nations.

La plupart des Canadiens ne comprennent pas la différence entre la décriminalisation et la légalisation; or, ces deux concepts sont très différents.

Bien que le groupe de travail du gouvernement ait écouté les conseils de quelques experts éclairés, beaucoup de groupes et de personnes s’opposent toujours aux changements proposés. C’est notamment le cas du groupe Jeunesse sans drogue Canada.

Au lieu de prendre la responsabilité de concevoir un système solide pour encadrer la vente de la distribution de marijuana, le gouvernement semble se contenter de refiler ce travail aux provinces et aux territoires. Cette situation mènera inévitablement à un fouillis de mesures législatives et de cadres réglementaires qui compliquera tout travail de supervision.

Je me concentrerai aujourd’hui sur mes principales réserves à propos du projet de loi sur le cannabis dans sa forme actuelle.

Premièrement, l’âge minimum requis est fixé à 18 ans, ce qui est trop jeune. Deuxièmement, il n’y a toujours pas de campagnes ciblées et efficaces au sujet des risques que comporte la marijuana. Enfin, comme nous cherchons à adopter cette mesure à toute vitesse, nous risquons d’empirer la situation au lieu de l’améliorer.

Honorables sénateurs, nous convenons tous, je crois, qu’il faut établir un âge minimum pour la consommation sécuritaire de cannabis, et que cet âge devrait être le même partout au Canada. Pourquoi le gouvernement fédéral ne prend-il pas la responsabilité de fixer l’âge minimum pour l’ensemble du pays? Il est illogique que cet âge varie selon les provinces et les territoires. Tous les jeunes Canadiens méritent d’être protégés.

Le projet de loi C-45 établit l’âge minimum à 18 ans, mais les provinces peuvent l’augmenter si elles le désirent. Puisque les connaissances scientifiques indiquent que la marijuana comporte des risques pour le développement du cerveau, pourquoi l’âge proposé dans le projet de loi n’en tient-il pas compte? Pourquoi ne pas fixer l’âge minimum à 25 ans, ce qui signalerait clairement aux jeunes et aux enfants qu’il est dangereux de consommer de la marijuana avant cet âge? Selon beaucoup d’organismes et de personnes au fait des problèmes que pose la consommation de marijuana chez les jeunes, l’âge minimum devrait être de 25 ans. C’est l’âge qu’il faut adopter si on s’appuie sur les données scientifiques au lieu de se contenter du statu quo.

(1750)

Personnellement, je suis très troublée d’entendre des gens dire que nous devrions simplement légaliser la marijuana parce que les enfants peuvent actuellement s’en procurer facilement. Lorsque des gens disent que les enfants peuvent actuellement s’en procurer dans la cour de l’école, je me dis que, si les enfants savent où trouver les trafiquants, comment se fait-il que la police ne sait pas où ils sont et ne les arrête pas?

Je suis vraiment convaincue que, avec le projet de loi C-45, il sera plus facile pour les trafiquants de poursuivre leur trafic, et il sera certainement plus facile pour les jeunes plus âgés de vendre de la drogue aux plus jeunes.

Selon tout ce que j’ai lu et ce que j’ai entendu de la part des nombreux enfants à qui j’ai parlé, les jeunes Canadiens sont maintenant convaincus que la marijuana n’est pas tellement dangereuse. Ce ne sont pas tous les jeunes Canadiens qui sont de cet avis. Je dois dire qu’un fort pourcentage d’entre eux sont conscients des dangers et évitent de consommer de la marijuana. Cependant, ils sont nombreux à croire aujourd’hui que la marijuana n’est pas vraiment dangereuse.

Nous savons que la consommation de cannabis chez les jeunes est plus élevée au Canada que dans les autres pays, et que les jeunes Canadiens ne croient pas que cette substance est dangereuse. Il est évident qu’ils ont été influencés par la promotion clandestine de la marijuana. Depuis qu’elle a été approuvée à des fins médicales, la consommation de cannabis semble être encore plus acceptée.

En fixant l’âge légal à 18 ans, nous allons renforcer le message selon lequel le cannabis n’est pas une substance dangereuse. J’implore donc les sénateurs à appuyer un amendement visant à modifier l’âge minimum. Nous, sénateurs, avons la responsabilité de soumettre les projets de loi à un second examen objectif, et cet examen est plus que jamais nécessaire dans le cas qui nous occupe.

Honorables sénateurs, je vous demande maintenant ce qu’il est advenu des campagnes publicitaires qui nous ont été promises afin de sensibiliser les enfants, les jeunes et leur famille au sujet des dangers liés à la consommation précoce de marijuana. En septembre dernier, on a annoncé que 9,6 millions de dollars seraient consacrés à la mise en œuvre d’une campagne de sensibilisation. Plus tard, en octobre, un investissement supplémentaire de 36,4 millions de dollars sur cinq ans a été annoncé.

Le mois dernier, la ministre Petipas Taylor nous a donné cette assurance :

Nous élaborons actuellement des outils à mon ministère, Santé Canada, et un programme sera lancé à l’échelle nationale en mars.

Eh bien, nous sommes maintenant le 20 mars, et je n’ai pas vu de nouvelle campagne. J’ai questionné des enseignants et des parents, et ils m’ont dit que rien de nouveau n’avait été fait sur le plan des messages, malgré la légalisation imminente de la marijuana qui, selon eux tous, facilitera l’accès à cette substance.

J’espère, certes, que le lancement de la campagne se produira bientôt et qu’elle fera comprendre aux jeunes que la marijuana est nocive avant l’âge de 25 ans. Il n’est pas suffisant de les informer que l’âge légal pour en consommer sera de 18 ans, parce qu’ils penseront qu’il est correct de fumer de la marijuana à cet âge.

Nous savons que ce n’est pas le cas.

Lorsque j’ai parlé à des administrateurs scolaires de l’État de Washington, ils ont affirmé que la légalisation là-bas s’était faite trop rapidement et sans planification adéquate. Ils m’ont dit que la sensibilisation du public est extrêmement importante, mais qu’elle prend du temps et coûte très cher. Ils estiment que le Canada pourrait s’en sortir mieux que leur État si le gouvernement fédéral présente une bonne mesure législative. Ils sont d’avis que cela leur aurait permis d’avoir moins de problèmes au niveau de l’État. Cependant, ils nous avertissent que, si nous ne faisons pas les choses correctement maintenant, il sera fort difficile d’apporter les modifications qui s’imposent plus tard.

Pour bien faire les choses, nous devons nous assurer de connaître nos objectifs. Voulons-nous seulement nous assurer que les produits sur le marché proviennent de sources légales et qu’ils ont été testés pour vérifier qu’ils ne sont pas contaminés? Désirons-nous tellement obtenir des recettes fiscales des divers ordres de gouvernement que nous ne tenons pas compte des forces du marché qui permettront la poursuite du commerce clandestin? La combinaison des deux sources d’approvisionnement donnera-t-elle lieu à un ciblage accru des jeunes? C’est un enjeu fort complexe, et nous devons bien faire les choses.

Honorables sénateurs, je vais vous dire ce qui se passe en Colombie-Britannique et à quel point la situation est devenue hors de contrôle. La côte Ouest a toujours eu une culture de la drogue. Lorsque la consommation de marijuana à des fins médicales a été légalisée au Canada, l’espoir était d’effectuer des recherches sur la façon dont on pourrait utiliser les ingrédients actifs à des fins médicales. Malheureusement, les dispensaires de marijuana ont rapidement surgi de toutes parts, sans contrôles adéquats permettant de vérifier que le produit vendu est effectivement consommé à des fins médicales.

Invoquant, avec raison, le manque de formation, la plupart des médecins refusent de rédiger une ordonnance de marijuana lorsque les patients le demandent. Les dispensaires ont donc trouvé d’autres médecins disposés à fournir, moyennant des frais, une ordonnance par téléphone sans même voir le patient. Il ne s’agit certainement pas d’un diagnostic. C’est devenu une farce.

Maintenant, c’est la mêlée générale. Les autorités ferment les yeux et les dispensaires non réglementés sont très nombreux. Il est également facile de se faire livrer des produits du cannabis par la poste ou par d’autres moyens. Je ne suis pas sûre de ce qui se passe ailleurs, mais je suis convaincue que c’est semblable à ce qui se passe en Colombie-Britannique.

Il y a deux semaines, quelqu’un a déposé une enveloppe à la réception pour un client à notre hôtel. Lorsque le destinataire s’est plaint, nous avons appris que l’enveloppe avait été livrée à la mauvaise chambre, où les occupants l’ont ouverte et ont mangé le contenu. Heureusement, c’étaient des adultes. Je n’ai jamais vu ces produits, mais les emballages vides de conception attrayante que j’ai ici m’ont surprise. C’est un produit étonnamment puissant. Chaque bonbon à saveur de cerise contient 120 milligrammes de THC, soit suffisamment pour rendre un enfant gravement malade.

Si l’on cherche dans Google « Canada’s best medicinal quality cannabis products », on trouve un site web très attrayant qui vend 311 produits différents en ligne. Dans la foire aux questions, à la question de savoir s’il est sûr de commander de cette entreprise en ligne, on peut lire ceci :

Nous sommes l’un de plus de 120 dispensaires à Vancouver (et de plus de 300 au Canada) qui sont régis par le régime d’accès à la marijuana à des fins médicales du gouvernement fédéral. Pour être admissible à ce régime, il faut d’abord obtenir l’autorisation d’un médecin et la permission de Santé Canada d’acheter du cannabis de l’un des 26 producteurs autorisés. L’hôtel de ville et le service de police de Vancouver…

— et cela se trouve sur leur site web —

… ont permis la prolifération de dispensaires afin que les gens aient un accès sûr à des soins médicaux, pourvu qu’aucune vente n’implique des mineurs ou une organisation criminelle.

Plus loin, le site web dit ceci :

Il y a à peu près 20 sites de vente par correspondance à Vancouver. Du cannabis est envoyé par la poste de Vancouver depuis les années 1990 et même avant. Jusqu’à présent, d’après ce que l’on sait, personne n’a jamais été accusé d’avoir reçu du cannabis par la poste.

Honorables sénateurs, hier, un de mes amis m’a montré des photos d’un marché en plein air au centre-ville de Vancouver où des biscuits et des bonbons étaient vendus librement à des passants. Voulons-nous vraiment que cela perdure? Il est évident que les médecins ne veulent pas avoir à gérer les conséquences de ce genre de choses, surtout chez les enfants.

Aujourd’hui, j’ai entendu aux informations en me réveillant que les producteurs de petites quantités de marijuana pourront cultiver jusqu’à 500 mètres carrés de marijuana. Franchement, nous nous leurrons si nous pensons que l’accessibilité et la promotion légales de la marijuana vont mener à une baisse de la consommation, surtout chez les jeunes.

Chers collègues, nous devons nous rendre à l’évidence que nous sommes incapables de contrôler les moyens existants d’acheter de la marijuana. Il nous faut une loi fédérale et des règlements solides applicables et il nous faudra du temps pour les préparer.

Je n’appuierai pas l’adoption du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Je suis plutôt favorable à ce que le projet de loi soit modifié pour faire passer l’âge minimum à 25 ans, afin de retarder sa mise en œuvre jusqu’à ce qu’une campagne assez musclée sur les dangers de la consommation du cannabis ait été réalisée et afin que des lois et des règlements soient mis en place pour veiller à ce qu’un régime national solide soit appliqué. Nous sommes en train d’aller trop loin, trop vite. Nous devons prendre le temps de bien faire les choses.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt votre discours et celui du sénateur Mitchell, sur les responsabilités que se voient accorder les jeunes adultes à un âge donné. Il leur est permis de conduire. À 18 ans, ils ont le droit de vote. Ils peuvent se marier, boire, conduire et j’en passe.

Avez-vous pensé à l’absence de cohérence que présenteront les politiques si on retarde à l’âge de 25 ans l’octroi de ce droit, alors que, d’un autre côté, on accorde tout un tas d’autres droits à l’âge de 18 ou 19 ans? Les jeunes avec qui j’ai discuté du sujet m’ont dit que l’État se comporterait alors en nounoucratie. « Vous nous maternez », ont-ils dit.

J’aimerais entendre vos observations sur le fait que nous permettons toutes ces autres choses qui ont une incidence très, très grande sur nos vies, mais que nous ne voulons pas accorder le droit en question avant l’âge de 25 ans.

(1800)

La sénatrice Raine : Merci, sénatrice Omidvar, j’apprécie votre question et je réalise l’ampleur des divergences qui existent entre l’opinion des gens qui prônent l’âge légal à 18 ans et celle des nombreuses personnes au Canada qui veulent que l’âge légal soit fixé à 25 ans, comme le préconisent les données scientifiques actuelles.

Je sais que certains diront qu’il s’agit de l’attitude d’un gouvernement maternant, mais je dirais plutôt que c’est celle d’un gouvernement bien informé. Il est question d’un changement radical; il serait beaucoup plus facile d’abaisser l’âge légal…

Son Honneur le Président : Pardon, sénatrice Raine. Honorables sénateurs, il est 18 heures. Vous plaît-il de faire abstraction de l’heure?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Raine : Merci.

Il serait plus facile d’abaisser l’âge légal si nous devions constater qu’il est trop élevé. Comment pouvons-nous dire aux jeunes adolescents et aux enfants qu’il est acceptable de consommer dès l’âge de 18 ans alors que nous savons que ce n’est pas vrai? Nous savons que la consommation de cannabis cause des dommages jusqu’à l’âge de 25 ans. Comment pouvons-nous dire aux enfants qu’il est correct d’en consommer dès l’âge de 18 ans? Je ne comprends pas. Il faut être cohérent.

Je crois vraiment qu’il faut aller de l’avant et décriminaliser cette substance, la légaliser — appelez cela comme vous voulez —, mais qu’il faut procéder comme l’a fait le Portugal. Là-bas, c’est une approche fondée sur la santé qui a été adoptée dès le début. Le Portugal a décriminalisé la consommation de toutes les drogues et il a abordé cette question du point de vue de la santé. Ce n’est pas ce que nous faisons. Nous voulons légaliser le cannabis pour pouvoir taxer sa vente et gonfler nos recettes.

Ce que je veux, c’est atténuer les préjudices causés par cette substance. Au Portugal, la consommation de drogues et le nombre de toxicomanes sont parmi les plus bas de la planète, et les toxicomanes sont traités par les voies médicales, pas par les voies pénales. Ce n’est qu’en janvier dernier que le Portugal a entrepris de légaliser la vente de marijuana à des fins médicales. Les Portugais peuvent en consommer, mais ils auront maintenant un régime pour en encadrer la vente; ils ont quand même attendu 10 ans avant de l’instaurer. La vente de marijuana à des fins non médicales sera toujours strictement limitée.

Je pense que nous allons vraiment trop loin et trop vite, et que nous devons faire très attention au message que nous envoyons. Je peux comprendre, dans une certaine mesure, pourquoi…

Son Honneur le Président : Pardon, sénatrice Raine. Je suis désolé de vous interrompre de nouveau, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour continuer votre intervention?

La sénatrice Raine : Non, je crois que j’en ai eu suffisamment. Merci beaucoup.

L’honorable Thomas J. McInnis : Honorables sénateurs, je vous remercie de cette occasion d’intervenir dans le débat à l’étape de la deuxième lecture sur le projet de loi C-45, c’est-à-dire le projet de loi qui vise à mettre en place la Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Pendant notre pause, j’ai pris un jour ou deux en janvier pour faire de la recherche sur ce projet de loi et rédiger ce discours. J’espère qu’il est encore pertinent et qu’il n’est pas redondant, même si, à cette heure-ci, il est difficile de ne pas répéter ce qui a déjà été dit dans tous les discours précédents.

En résumé, le projet de loi propose de réglementer et de légaliser la production, la possession, la consommation et la distribution de marijuana dans l’ensemble du pays.

Le premier ministre a annoncé, il y a plus de deux ans, son intention de légaliser la consommation de marijuana au Canada. D’ailleurs, je me rappelle que cela figurait dans le programme électoral du Parti libéral, et que, selon le premier ministre, ceux qui, pendant la fête du Canada, fument de la marijuana illégalement sur la Colline du Parlement pourront le faire légalement en 2018.

Souvent, lorsqu’un parti politique fait ce genre d’annonce juste avant le lancement d’une campagne électorale, il le fait pour réaliser un gain politique et sans se pencher sur les nombreuses conséquences de sa décision, en l’occurrence celle de légaliser la consommation de marijuana.

Il n’y a eu aucune discussion avec le milieu scientifique, les sociétés médicales, les médecins, les responsables de l’application de la loi, les gouvernements provinciaux, les intervenants du système de justice ou des services frontaliers, ni même avec les fonctionnaires du ministère de la Santé.

En théorie, le projet de loi vise à protéger la santé et la sécurité publiques des Canadiens. Le gouvernement du Canada nous a dit qu’il fallait retirer des mains des criminels les quelque 7 milliards de dollars de profits découlant du commerce illégal de la drogue.

Plus précisément, le gouvernement était très préoccupé par la vente de drogue aux personnes de moins de 18 ans en raison des répercussions et des effets nocifs sur le développement du cerveau.

C’est ainsi que nous nous retrouvons à cinq petits mois de la légalisation de l’achat et de la consommation de la marijuana, au nom de la protection de la santé et de la sécurité de la population. Je suis désolé, mais cette approche soulève des inquiétudes et des questions chez moi, et j’ajouterais que c’est aussi le cas pour beaucoup d’autres Canadiens.

Comment peut-il être dans l’intérêt public, premièrement, d’autoriser les jeunes de 12 à 18 ans à se balader avec 5 grammes de marijuana, ce qui, selon ce qu’on m’a dit, représente de 8 à 10 joints?

Deuxièmement, comment le fait de permettre la consommation d’une drogue que le milieu médical considère comme nocive pour le cerveau des Canadiens de 25 ans ou moins peut-il servir l’intérêt public? Cette consommation a été associée à des cas de paranoïa, de schizophrénie, de psychose, d’anxiété et de décès.

Troisièmement, comment peut-il être dans l’intérêt public de légaliser la culture de quatre plants de cannabis dans les foyers où vivent des enfants et des animaux vulnérables? Il sera complexe et coûteux d’obtenir des mandats de perquisition pour les policiers qui souhaiteront inspecter des demeures.

Quatrièmement, comment la présence de produits comestibles, comme des carrés au chocolat, des biscuits et des bonbons, dans des endroits de la maison qui sont accessibles à des enfants et même à des invités peut-elle être dans l’intérêt des Canadiens?

Cinquièmement, comment peut-on considérer qu’il est raisonnable et sécuritaire d’adopter ce projet de loi quand il soulève tant d’inquiétudes chez les membres du milieu médical, les scientifiques, les forces de l’ordre, les compagnies d’assurance, les pompiers et d’autres intervenants?

Sixièmement, conduire lorsqu’on est drogué présente un grave danger public et les organismes d’application de la loi n’ont ni le matériel ni les connaissances nécessaires pour faire face à une multitude de conducteurs aux facultés affaiblies. Certains d’entre vous ont peut-être regardé récemment le reportage de Fifth Estate intitulé « Driving High ».

Au moyen de travaux d’enquête assez exhaustifs et du témoignage d’un certain nombre d’experts ainsi que de victimes faussement accusées, il a été clairement déterminé que les tests de dépistage ne sont pas fiables aux États-Unis. Le même test de sobriété est utilisé ici au Canada, et le gouvernement alloue 80 millions de dollars environ à la formation des policiers.

Aux États-Unis, un recours collectif a été intenté et, dans bien des États, les instances judiciaires ne se fient plus à ces tests. MADD Canada n’approuve aucunement cette méthode de dépistage. À l’heure actuelle, il existe peu, voire aucune application exacte de la loi en matière de facultés affaiblies par les drogues au Canada.

Septièmement, on s’attendra à ce que les détaillants soient situés dans toutes les régions du Canada, un peu comme les succursales de la régie des alcools. Selon moi, un tel accès augmentera, au lieu de réduire, la consommation de drogues.

Huitièmement, le personnel de ces détaillants aura besoin d’une formation complète sur tous les aspects des diverses variétés de cette drogue. Cela deviendra un gros exercice de formation par les provinces qui, à ce jour, n’ont pas de réseau en place.

Neuvièmement, le gouvernement ne cesse de nous dire que l’une des raisons principales de légaliser la vente et la possession de marijuana est d’éliminer le marché noir ou de s’approprier le marché des organisations criminelles. L’idée même que les Hells Angels et les Satan’s Choice seront contraints de trouver une autre source de revenu parce que le gouvernement prend le contrôle de leur marché est, bien franchement, fausse et infondée.

En fait, je prédis, sans grande joie, que le marché s’élargira à mesure que les Canadiens, curieux, se feront convaincre par leurs amis, les détaillants et d’autres d’essayer la marijuana. Après tout, les dispensaires seront présents dans votre ville et on verra sur leur porte un écriteau qui dit « ouvert ».

(1810)

Par ailleurs, comme le gouvernement de la Nouvelle-Écosse n’a annoncé que neuf points de vente de cannabis, des criminels pourront en vendre dans le reste de la province. Ne prévoir qu’un petit nombre de points de vente est un exemple de ce que cette province est en train de faire.

Voilà les problèmes qui m’inquiètent. Ils sont bien réels et risquent de nuire à la santé et à la sécurité des Canadiens.

Honorables sénateurs, je vous pose la question que j’ai entendue à maintes reprises aujourd’hui : pourquoi se dépêcher ainsi? Pourquoi cette panique? Prenons le temps de considérer quelques options.

Premièrement, il serait possible de maintenir le statu quo tout en mettant en œuvre un plan vigoureux de prévention et d’éducation intégré à un programme intense de promotion des choix santé pour les deux prochaines années. Je sais que le gouvernement a prévu 40 millions de dollars pour un tel programme, mais personne ne semble savoir si la conception de ce programme a commencé. La prévention et l’éducation sont la voie empruntée par la Suède, et j’ai lu que la consommation de drogue y était la plus faible au monde.

Deuxièmement, on pourrait amender la disposition de proclamation pour reporter l’entrée en vigueur au 1er septembre 2019, à la suite d’un programme intensif de prévention. Je dis le 1er septembre 2019 parce que le gouvernement voudra montrer qu’il a respecté sa promesse électorale, à l’instar de n’importe quel autre gouvernement. En réalité, la proclamation devrait être fixée au 1er septembre 2020. Ce serait l’idéal.

Manifestement, les provinces, les services de police et beaucoup d’autres organismes ne sont tout simplement pas prêts. De plus, une importante quantité de données nous indiquent que, pour qu’un programme de prévention fonctionne efficacement, il devrait être mis en œuvre au moins de deux à trois ans avant la légalisation d’une drogue.

Mesdames et messieurs les sénateurs, si on veut réduire la consommation de cannabis, il serait beaucoup plus efficace de se concentrer sur les méfaits de la marijuana pour la santé des jeunes, les dangers de la conduite sous l’influence de la marijuana et les décès causés par la conduite avec facultés affaiblies, que de tenter d’enrayer le marché des drogues illicites comme on le fait.

Aller de l’avant avec le projet de loi C-45 pourrait se solder par une situation comme celle que connaît le Colorado cinq ans après la légalisation. Selon un article paru dans The Gazette, une publication du Colorado : « Aujourd’hui, au Colorado, le taux d’itinérance est le plus élevé aux États-Unis; il y a deux fois plus d’accidents impliquant des conducteurs sous l’effet de la marijuana; la consommation illégale dans les écoles a augmenté de 71 p. 100; et plus d’adolescents consomment de la marijuana que partout ailleurs aux États-Unis, soit bien au-delà de la moyenne nationale. »

Enfin, la semaine dernière, le Chronicle Herald de la Nouvelle-Écosse a publié un article d’une page expliquant pourquoi les employeurs devraient se préparer à la légalisation de la marijuana. Je n’ai pas réussi à trouver de documentation sur la planification ou les communications à l’intention des entreprises et des milieux gouvernementaux, soit les lieux de travail, et les questions que les employeurs vont devoir régler.

Quels sont les éléments à considérer? Je paraphrase le contenu de l’article.

Premièrement, une évaluation du lieu de travail doit tenir compte de questions telles que les suivantes : la mesure dans laquelle la sécurité est un élément important du travail, comme dans le cas d’un pilote; l’ampleur de la consommation de marijuana; si le travail exige du jugement et de la perspicacité; la capacité du travailleur ou ses tâches de supervision.

Deuxièmement, tous les employeurs doivent se doter d’une politique adaptée au milieu de travail en matière de drogue et d’alcool qui exige que les employés arrivent à leur poste en état de travailler de façon productive et sécuritaire. Cela exigera probablement un programme de dépistage.

Troisièmement, les performances humaines complexes peuvent être diminuées pendant plus de 24 heures : le THC affaiblirait les habiletés psychomotrices et le jugement pendant 24 heures; les syndicats et les employés estiment que les employeurs ne peuvent interdire la consommation en dehors des heures de travail.

Quatrièmement, les contrôles doivent avoir lieu uniquement si l’employeur a des motifs raisonnables de croire qu’un employé est intoxiqué. On ne peut pas juste ordonner à un employé de se faire contrôler. Les résultats pourraient alors être contestés sous prétexte qu’il n’y avait pas de motif raisonnable d’exiger un contrôle.

Quel dilemme, honorables sénateurs. Et qui a pris la peine d’élaborer un plan d’action pour les employeurs, les employés ou les syndicats? Personne, voilà qui.

Pour toutes ces raisons, je crois sincèrement que nous ne devrions pas — que nous ne pouvons pas — adopter ce projet de loi, du moins pas tout de suite.

Primo, il constitue un danger pour la santé et la sécurité des Canadiens, des ONG, des employeurs et des syndicats et, secundo, les Canadiens n’en connaissent tout simplement pas assez bien les graves répercussions. Ils ne sont pas prêts.

Je suis donc dans l’impossibilité d’appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle, pour toutes les raisons que j’ai énumérées.

Son Honneur le Président : Avez-vous une question, sénateur Duffy?

L’honorable Michael Duffy : Oui, j’ai une question pour le sénateur McInnis. Si je ne m’abuse, sénateur, vous avez été ministre de la Justice et procureur général de la Nouvelle-Écosse dans votre ancienne vie. Selon ce que vous en comprenez, les policiers de votre province sont-ils prêts à faire appliquer la mesure législative proposée?

Le sénateur McInnis : Je ne leur ai pas posé la question directement, mais, selon ce que j’ai lu… Et vous qui avez fait carrière dans les médias, vous savez que, si c’est dans les journaux, c’est probablement vrai.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur McInnis : Je crois comprendre que les policiers, les gouvernements provinciaux en général et la plupart des entités qui seront appelées à jouer un rôle quelconque ne sont tout simplement pas prêts. D’accord, ils auraient peut-être dû s’y mettre dès que le sujet a été abordé dans la plateforme électorale des libéraux, ou quand les gens les ont élus en bonne et due forme. Sauf qu’il ne s’est rien passé de concret au début. Jusqu’à ce qu’on nous présente cette mesure législative et qu’on nous annonce qu’elle doit suivre son cours. Elle sera sans doute adoptée, probablement avec un certain nombre d’amendements. Que je sache, c’est seulement quand les provinces se sont réunies ici, à Ottawa, pour déterminer comment les recettes seraient réparties que les choses ont commencé à bouger. Aucun autre préparatif n’avait été fait. Certains policiers de ma connaissance sont inquiets. Ils ne sont pas prêts. Même les pompiers et les médecins — sans compter d’autres services. Personne n’a pu discuter de rien avec les autorités sanitaires. Les choses continuent toutefois d’évoluer, et c’est pourquoi j’ai dit, dans mon allocution, que nous devons prendre le temps de mettre en œuvre un programme de prévention et de sensibilisation s’étendant sur un ou deux ans. Alors, dans un an ou deux, nous pourrions mettre la loi en vigueur. Tous les Canadiens sauront que cela s’en vient, alors ils pourront se préparer en conséquence, avec tout le temps nécessaire. Il s’agit toutefois d’une très bonne question. Ils ne sont tout simplement pas prêts.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Droits de la personne

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur les obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne

Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion :

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le mardi 28 mars 2017, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des droits de la personne concernant son étude sur les questions ayant trait aux droits de la personne et à examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne, soit reportée du 31 mars 2018 au 31 octobre 2019.

La loi sur l'accès à l'information

La Loi sur la protection des renseignements personnels

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l’honorable sénatrice Cools, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d'autres lois en conséquence.

L’honorable André Pratte : Honorables sénateurs, il est impossible d’avoir une démocratie florissante sans un grand accès aux renseignements gouvernementaux. Dans une allocution qu’elle a prononcée en 2009, l’ancienne juge de la Cour suprême Beverley McLachlin a expliqué pourquoi bien mieux que je ne saurais le faire :

Ce n’est pas seulement la possibilité de voter de manière responsable et efficace qui est tributaire de l’information — mais également la possibilité de réfréner efficacement l’action gouvernementale par l’entremise du pouvoir judiciaire. En effet, il est impossible pour les citoyens de contester des mesures gouvernementales illicites dont ils ne connaissent pas l’existence […]

Enfin, l’information elle-même — ou la possibilité qu’elle soit mise au jour — a pour effet de limiter les risques d’abus de pouvoir.

(1820)

En théorie, tous les gens qui font de la politique reconnaissent ces principes. Lorsqu’ils forment l’opposition, tous les partis politiques promettent de faire preuve d’une plus grande transparence que le parti au pouvoir. Une fois au pouvoir, toutefois, les choses ont tendance à changer. Au fil du temps, le pouvoir incite à la dissimulation. La bureaucratie craint souvent la lumière, mais il doit y avoir de la lumière.

L’intérêt des Canadiens à l’égard des renseignements que détient le gouvernement fédéral a augmenté continuellement au cours des années. L’an dernier, près de 92 000 demandes d’accès à l’information ont été présentées, soit 22 000 de plus qu’à peine trois années auparavant. Malheureusement, la façon dont le gouvernement traite les demandes d’accès à l’information s’est détériorée. Le pourcentage de demandes fermées qui ont dépassé les délais prévus par la loi a presque doublé au cours des quatre dernières années. L’an dernier, la proportion de demandes pour lesquelles tous les renseignements demandés ont été communiqués a atteint son niveau le plus bas en cinq ans.

Le fait qu’il y a plus de demandes que jamais et que les demandes sont plus complexes ne peut pas servir à justifier le piètre rendement du gouvernement à cet égard. Si les citoyens demandent davantage de renseignements, le gouvernement doit ajouter les ressources nécessaires pour satisfaire à cette demande accrue. La publication proactive prévue dans le projet de loi C-58 va certes permettre d'améliorer les choses, mais ce ne sera pas suffisant.

La Loi sur l’accès à l’information du Canada est en vigueur depuis 35 ans, comme l’a dit le ministre. Au cours des années, les lacunes et les faiblesses de la loi sont devenues de plus en plus évidentes. De nombreuses recommandations ont été faites pour la renforcer. Si le gouvernement avait voulu prendre le taureau par les cornes, il savait ce qu’il devait faire. Malheureusement, il a choisi de présenter un projet de loi édulcoré.

[Français]

Comparativement aux idéaux mentionnés plus tôt, le projet de loi C-58 est très décevant. Toutefois, le gouvernement a fait ses choix. C’est lui qui en est responsable. Le rôle du Sénat n’est pas de récrire le projet de loi de A à Z. Cependant, nous pouvons tenter de l’améliorer.

Pour ce faire, nous avons un point de comparaison d’une pertinence que le gouvernement lui-même n’osera pas contester, et ce sont les engagements pris par le Parti libéral du Canada lors de la campagne électorale de 2015.

La plateforme des libéraux comportait une promesse générale : « rendre l’information du gouvernement plus accessible ». Elle comportait aussi cinq promesses relatives à l’accès à l’information. Je me contenterai de mentionner trois de ces promesses :

Nous faciliterons l’accès à l’information en éliminant tous les frais associés au processus, à l’exception des frais initiaux de 5 $.

Nous élargirons le rôle de la Commissaire à l’information en lui permettant de rendre des ordonnances exécutoires de divulgation.

Nous veillerons à ce que la Loi s’applique aux cabinets ministériels, y compris celui du premier ministre, ainsi qu’aux organismes publics qui assistent le Parlement et les tribunaux.

Pour ce qui est de rendre l’information du gouvernement plus accessible, le projet de loi C-58 fait le contraire, malheureusement. Il ajoute un obstacle important en exigeant dans le nouvel article 6 que chaque demande contienne le sujet précis sur lequel porte la demande, le type de documents demandés, et la période visée par la demande ou la date du document. Des amendements ont été apportés au projet de loi à l’autre endroit qui semblent atténuer l’impact de ces changements, mais, en réalité, il n’en est rien. L’article 6 continue en effet d’indiquer que la requête doit contenir les renseignements exigés.

À première vue, ces renseignements peuvent sembler assez banals, mais ils constituent néanmoins un obstacle important. Cela donne en effet toutes sortes de prétextes à la bureaucratie pour ne pas traiter rapidement, ou même pour ne pas traiter du tout une demande d’accès. Par exemple, on dira aux requérants que le sujet de la demande n’est pas assez défini ou que le type de document n’est pas indiqué. Alors, je suggère respectueusement au comité qui étudiera le projet de loi de modifier l’article 6 afin de le rendre moins contraignant.

Voyons comment le projet de loi que nous avons sous les yeux satisfait ou non les trois engagements spécifiques que j’ai mentionnés plus tôt et qu’a pris le Parti libéral.

Quant aux frais associés au processus de demande d’accès, on sait que le gouvernement a déjà, dès son arrivée au pouvoir, suspendu tous les frais, sauf le tarif initial de 5 $, tel que promis.

Le projet de loi prévoit, comme la loi actuelle, que les frais initiaux pourraient éventuellement aller jusqu’à 25 $ à partir du niveau actuel de 5 $. Le gouvernement se donne une marge de manœuvre assez importante. Je rappelle qu’en 2015 les libéraux avaient promis d’éliminer les frais associés au processus et, de fait, le projet de loi élimine les frais de reproduction, le coût du support de substitution et d’autres suppléments.

Cependant, et malheureusement, le projet de loi C-58 ajoute à la loi un nouveau paragraphe qui permet à toute institution fédérale, par règlement, d’ajouter ou de calculer toutes sortes de frais supplémentaires non définis dans la loi. Ce paragraphe va clairement à l’encontre de l’engagement électoral du Parti libéral. Par conséquent, je suggère au comité d’examiner la possibilité d’amender le projet de loi C-58 pour retirer ce nouveau pouvoir qui va à l’encontre de l’engagement du Parti libéral.

[Traduction]

Le deuxième engagement pris par les libéraux porte sur les pouvoirs conférés au commissaire à l’information :

Nous élargirons le rôle de la Commissaire à l’information en lui permettant de rendre des ordonnances exécutoires de divulgation.

Le ministre a encore fait allusion à ce pouvoir aujourd’hui.

Le projet de loi C-58 confère bel et bien au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances. Le problème, c’est qu’il ne s’agit pas d’ordonnances exécutoires distinctes. Selon moi, il s’agit d’ordonnances conditionnelles, dont l’exécution dépend de la Cour fédérale. C’est un peu technique, mais c’est important. Le commissaire peut rendre des ordonnances, mais leur exécution dépend de l’appareil judiciaire. Si vous souhaitez savoir à quoi ressemble une ordonnance exécutoire dans le domaine de l’accès à l’information, jetez simplement un coup d’œil sur ce qui se passe dans les provinces, où la plupart des commissaires à l’information sont investis du pouvoir de rendre des ordonnances vraiment exécutoires.

En Ontario, par exemple, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée peut rendre des ordonnances auxquelles les ministères et organismes provinciaux doivent se conformer. Le non-respect d’une ordonnance rendue par le commissaire constitue une infraction. Il n’est pas possible d’interjeter appel, mais une partie peut demander une révision judiciaire devant les tribunaux et soutenir que la décision du commissaire était déraisonnable ou qu’elle ne relevait pas de sa compétence. Voilà ce qu’est une véritable ordonnance exécutoire. Voilà le modèle recommandé par la commissaire à l’information. C’est le modèle que tout le monde pensait que les libéraux avaient en tête lorsqu’ils ont promis de conférer au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances exécutoires. Ce n’est toutefois pas le modèle proposé dans le projet de loi C-58.

Les ordonnances que le commissaire pourra rendre aux termes du projet de loi C-58 ne seront pas exécutoires en tant que telles. Le non-respect de ces ordonnances ne constituera pas une infraction. Sur le plan juridique, cela signifie que, si après avoir reçu une ordonnance, un ministère décide tout simplement d’en faire fi, il ne se passera rien tant que le commissaire n’aura pas demandé un bref de mandamus à la Cour fédérale en vue de faire exécuter l’ordonnance.

Le gouvernement nous assure que ce processus est adéquat. Le tribunal émettra une ordonnance de mandamus, et, si le ministère ne la respecte pas, il sera accusé d’outrage au tribunal. Il y a au moins trois problèmes avec cette approche. Primo, les demandes de cette nature prennent du temps, et il va sans dire que, dans bien des cas, dans le domaine de l’accès à l’information, le temps presse. Secundo, rien ne garantit que le tribunal émette une ordonnance de mandamus. Il ne s’agit pas d’un processus d’approbation à l’aveuglette; il faut se présenter devant le tribunal quand même. Tertio, l’émission d’une ordonnance peut faire l’objet d’un appel, ce qui exacerbe le problème des retards. Certains appels relatifs aux ordonnances de mandamus se sont même rendus devant la Cour suprême.

Il y a un autre problème. Si le commissaire émet une ordonnance, tous les tiers concernés ainsi que le commissaire à la protection de la vie privée, s’il est concerné, peuvent demander d’examiner l’ordonnance. Il ne s’agirait pas d’une révision judiciaire portant sur le bien-fondé de l’ordonnance du commissaire, mais d’une nouvelle audience, au cours de laquelle on entendra de nouveaux éléments de preuve. En exigeant une nouvelle audience, le projet de loi est très clair. Il ne respecte absolument pas l’expertise du commissaire à l’information.

En définitive, le commissaire est impuissant, et il dépend de la Cour fédérale pour lui donner le pouvoir judiciaire dont il a besoin afin de faire respecter ses ordonnances après des mois, voire des années, de procédures judiciaires.

(1830)

Pour conclure, je dirai que la promesse électorale qui a été faite de donner au commissaire des pouvoirs contraignants n’a pas été tenue. J’espère que le comité cherchera des moyens de donner des dents au tigre de papier dont le commissaire a hérité avec le projet de loi C-58.

Enfin, lors de la campagne électorale tenue il y a deux ans et demi, le Parti libéral s’était engagé en affirmant ceci :

« [Nous] veillerons à ce que la Loi s’applique aux cabinets ministériels, y compris celui du premier ministre, ainsi qu’aux organismes publics qui assistent le Parlement et les tribunaux.

Le gouvernement n’a fait que la moitié du chemin. La publication proactive des dépenses des sénateurs, des députés, des hauts fonctionnaires et des magistrats est un pas dans la bonne direction, mais il ne faut pas s’y tromper. Comme l’a fait remarquer l’ancienne commissaire, Mme Legault :

Prévoir des exigences relatives à la divulgation proactive, où le gouvernement choisit ce qui est communiqué, n’est pas la même chose que d’assujettir ces entités au droit d’accès, où les demandeurs peuvent choisir ce qui est demandé et ont droit à la surveillance indépendante des décisions du gouvernement concernant la communication des renseignements.

Nous savons d’expérience que, dès lors que le gouvernement décide de la sorte des documents qu’il rendra publics, il s’arrange pour en expurger les passages qui pourraient être sujets à controverse. Ils sont rédigés pour répondre aux fins du gouvernement, ce qui est normal. Cela a été le cas pour les lettres de mandat ministérielles et ce sera le cas pour les notes des périodes de questions et les documents d’information des comités.

Contrairement à la promesse électorale des libéraux, le cabinet du premier ministre et celui des ministres ne seront pas assujettis à la Loi sur l’accès à l’information, mais uniquement au nouveau chapitre qu’il contient sur la publication proactive.

Le gouvernement joue sur les mots; c’est malheureux, mais c’est la politique qu’il a choisie. Pour changer cela, il faudrait, comme je l’ai dit, totalement récrire le projet de loi, et ce n’est pas le rôle du Sénat. Toutefois, nous pouvons au moins mettre en place un mécanisme pour garantir que le gouvernement respecte tant l’esprit que la lettre de la loi en ce qui a trait à la divulgation proactive. En fait, le mécanisme existe déjà : nous avons le commissaire à l’information.

Selon moi, le projet de loi C-58 doit énoncer clairement que le commissaire a le pouvoir de faire une enquête sur la façon dont le gouvernement s’y est pris avec une publication proactive. À l’heure actuelle, la mesure législative interdit ce genre de pouvoir d’enquête précis au moyen de l’article 91. Je suggère respectueusement au comité de supprimer cette partie et d’énoncer explicitement le pouvoir du commissaire de faire une enquête sur la divulgation proactive.

Honorables sénateurs, durant le siècle actuel, peut-être plus que jamais dans l’histoire de l’humanité, l’information est synonyme de pouvoir. Si la population souhaite conserver le contrôle des institutions publiques, elle doit avoir un système simple, efficace et ouvert afin d’accéder aux renseignements à sa disposition. Le système actuel du gouvernement fédéral ne satisfait pas à ces normes.

Comme l’a écrit le premier ministre Justin Trudeau dans chacune de ses lettres de mandat :

Il est temps de sortir le gouvernement de l’ombre pour que celui-ci soit réellement au service de la population.

Je me réjouis de cette initiative. Malheureusement, ce n’est pas grâce au projet de loi C-58 que le gouvernement sortira de l’ombre.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom de la sénatrice McCoy, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, c’est un honneur pour moi de prendre la parole aujourd’hui en tant que porte-parole à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le projet de loi C-66 a été déposé dans le contexte des excuses officielles du premier ministre à la communauté LGBTQ2 en novembre dernier. Dans ces excuses, le premier ministre a reconnu que le gouvernement fédéral a adopté des politiques visant à promouvoir la discrimination institutionnelle contre les membres de la communauté LGBTQ2 à compter de la fin des années 1950 jusqu’au début des années 1990.

Mme Michelle Douglas, ancienne membre des Forces canadiennes mise à pied en 1989 parce qu’elle « n’était pas utilement employable du fait de son homosexualité », était présente lorsque les excuses ont été présentées.

L’expérience de Mme Douglas rejoint celle de milliers de membres de la communauté LGBTQ au Canada.

Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui ne répare pas toutes les injustices commises à l’égard des activités homosexuelles, mais il essaie de remédier aux torts causés par les instruments brutaux que furent le Code criminel et les lois visant les activités homosexuelles consensuelles. Le projet de loi prévoit la destruction de dossiers judiciaires.

Dans les remarques qu’il a faites plus tôt, le sénateur Cormier a présenté un survol historique complet et passionné pour expliquer la nécessité de cette mesure législative. Les récits personnels qu’il a racontés aux sénateurs ont été percutants et très émouvants.

En rétrospective, je sais que ce que les personnes touchées ont vécu était difficile. Le projet de loi C-66 permettrait la radiation posthume des condamnations pour les infractions « de grossière indécence, de sodomie ou de relations sexuelles anales », actes qui seraient considérés légaux aujourd’hui au titre de la Loi sur la défense nationale et du Code criminel.

Comme l’a indiqué Sécurité publique Canada, la GRC a dans ses dossiers plus de 9 000 condamnations pour ces types d’infraction. Il est important de souligner que la radiation ne s’applique pas aux crimes qui ne touchent pas directement les activités homosexuelles consensuelles. La demande doit respecter certains critères. Il faut établir que les activités étaient consensuelles et qu’elles ont eu lieu entre des personnes de même sexe qui avaient 16 ans ou plus. Celles qui avaient moins de 16 ans seraient assujetties à l’exemption de « proximité d’âge » du Code criminel. Dans les cas où les documents nécessaires ne peuvent pas être fournis, le projet de loi C-66 permettra de soumettre des déclarations sous serment.

Il est à noter que le projet de loi a reçu l’appui de tous les partis à la Chambre des communes, le 13 décembre 2017. Cependant, comme l’a souligné le sénateur Cormier, des membres préoccupés de la communauté et des universitaires ont demandé des clarifications et l’allongement de la liste des infractions admissibles à la radiation des condamnations. Notamment, un groupe d’historiens a laissé entendre que les infractions énumérées dans le projet de loi ne reflètent pas la gamme complète des infractions qui ont été utilisées par le passé pour persécuter les membres de la communauté LGBTQ.

Le projet de loi ne s’applique pas, par exemple, aux infractions qui se rapportent aux lois relatives aux maisons de débauche et il n’englobe pas les infractions de la catégorie des actions indécentes, des obscénités et du vagabondage.

Pour ce qui est de la mise en œuvre du projet de loi, certains se demandent si les dispositions sur la destruction de documents ne se substitueront pas à la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Au contraire, d’autres se disent que, si le projet de loi oblige la GRC à détruire des documents judiciaires, il ne peut pas obliger les gouvernements provinciaux et les administrations municipales à lui emboîter le pas, ce qui rend la radiation complète des condamnations impossible.

Comme le projet de loi dont nous sommes saisis prévoit que les gens devront en faire la demande pour se prévaloir de ces dispositions, la façon dont la Commission des libérations conditionnelles rendra ses décisions mérite d’être étudiée de plus près. Les commissaires seront-ils formés pour rendre ces décisions, surtout pour ce qui est des demandes qui contiennent une déclaration sous serment? Comment la question du consentement sera-t-elle évaluée? Les demandeurs dont la demande est rejetée pourront-ils faire appel de la décision?

En outre, il faudra mettre en œuvre une stratégie de communication qui permettra d’informer les Canadiens qu’ils peuvent demander la radiation de leur casier judiciaire.

Le projet de loi C-66 permet aussi de présenter une demande à titre posthume. Le paragraphe 7(2) dresse la liste des personnes qui peuvent présenter une demande de radiation des condamnations au nom d’une personne décédée.

(1840)

Je vais les énumérer : son époux ou la personne qui, au moment de son décès, vivait avec elle dans une relation conjugale depuis au moins un an; son enfant; son père ou sa mère; son frère ou sa sœur; son mandataire, son fondé de pouvoir, son tuteur, son curateur ou toute autre personne nommée pour remplir des fonctions analogues pour le compte de cette personne avant son décès; le liquidateur de sa succession, l’administrateur de sa succession ou son exécuteur testamentaire; tout autre individu qui, de l’avis de la Commission, est compétent pour agir à titre de représentant de cette personne.

Il serait utile de se demander s’il y aura une procédure en cas de désaccords qui pourraient survenir entre les membres d’une famille ou d’autres personnes figurant dans cette liste lors de la présentation d’une demande posthume.

Enfin, le projet de loi C-66 donne au gouverneur en conseil le pouvoir d’allonger la liste des infractions.

Voici ce que dit le paragraphe 23(2) :

Le gouverneur en conseil peut ajouter à l’annexe un article ou une partie d’article afin de permettre la radiation de condamnations pour des infractions qui découlent de l’exercice d’une activité si celle-ci ne constitue plus une infraction à une loi fédérale et s’il est d’avis que la criminalisation de cette activité constitue une injustice historique.

Il est difficile de savoir ce que cela signifie vraiment. Les effets d’un rallongement éventuel de la liste par les futurs gouvernements doivent être pris en considération.

Je me réjouis à la perspective d’étudier ces questions plus à fond lors de l’étude en comité.

Honorables sénateurs, nous avons le devoir de remédier aux injustices du passé, surtout celles qui découlent de décisions ou de politiques discriminatoires du gouvernement fédéral et qui ont mené à la judiciarisation de personnes uniquement en raison de leur orientation sexuelle.

Même si l’adoption du projet de loi C-66 n’effacera pas les traumatismes du passé, elle représentera tout de même un progrès important en vue de reconnaître ces injustices et d’obtenir réparation.

J’espère que le comité examinera bien le projet de loi C-66 et que le Sénat prendra le temps de penser à l’avis possible des générations futures lorsqu’un gouvernement croit, fort de sa sagesse, que certains gestes ou certaines mesures sociales doivent être criminalisés.

Des voix : Bravo!

L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je souhaite dire dès maintenant que j’appuie l’objectif du projet de loi C-66, mais j’aimerais vous faire part de quelques-unes de mes réflexions cet après-midi, surtout après le discours de la sénatrice Andreychuk.

Je veux attirer votre attention sur le préambule du projet de loi. Je vais lire le deuxième élément du préambule, car c’est celui qui m’inquiète :

[…] que la criminalisation d’une activité peut notamment constituer une injustice historique en raison du fait que, si elle avait lieu aujourd’hui, elle serait incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés […].

Le fait est que, si elle avait lieu aujourd’hui, elle serait incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés.

Quand j’ai lu ce passage, je me suis demandé ce qui aurait pu être considéré comme inacceptable par le passé — c’était la norme à diverses époques précédentes de juger les comportements sexuels considérés comme intolérables — et qui serait accepté aujourd’hui comme respectant la Charte canadienne des droits et libertés.

J’ai tout de suite pensé à l’affaire Labaye de 2005, la très connue — et je vais utiliser le mot commun pour décrire la situation en question — affaire d’échangisme. La Cour suprême avait reconnu que le fait d’être membre actif d’un club dont les membres pratiquent l’échangisme respectait entièrement les droits assurés aux individus par la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, les tribunaux établissent des critères très précis.

Il faut non seulement être adulte, un critère qui dépend de l’âge, mais être un adulte consentant, que personne n’a forcé à être là. Il faut aussi participer à cette activité sans être payé, afin qu’il ne s’agisse pas de prostitution. Enfin, il faut que le fait d’être témoin de ces activités sexuelles ou d’y participer ne risque pas de causer à la personne concernée des préjudices physiques ou psychologiques.

Honorables sénateurs, « l’activité sexuelle est une question éminemment personnelle, étroitement liée à l’âge et aux croyances religieuses ». Ce n’est pas moi qui l’affirme mais la juge en chef de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Labaye.

Quand j’ai lu le projet de loi et l’annexe, je me suis demandé ceci : si une personne a participé à une activité sexuelle dans le contexte protégé que je vous ai décrit et qui, d’après la Cour suprême, respecte les paramètres de la légalité, et qu’elle a déjà été reconnue coupable d’avoir été présente en un tel endroit, pourquoi ne bénéficierait-elle pas de l’objectif de ce projet de loi, qui vise à effacer son casier judiciaire?

Après mûre réflexion, je recommanderais au comité qui étudiera cette mesure d’en faire un examen très attentif. Rappelons que, dans l’une de ces décisions, la Cour suprême traite des activités d’une maison de débauche qui sont acceptables. Les sénateurs se souviendront de l’affaire Bedford. Bon nombre d’entre nous ont participé au vote sur le projet de loi qui a conduit à l’arrêt Bedford, de la Cour suprême. Cette affaire remonte déjà à 2005, il y a 13 ans. C’est donc dire que les mentalités ont quelque peu évolué depuis. C’est d’ailleurs ce que la Cour suprême indique très clairement dans l’arrêt Labaye. Elle y change les critères servant à déterminer ce qui est acceptable : au lieu de se fonder sur la norme de tolérance de la société canadienne, elle tient plutôt compte du préjudice qu’une activité cause à la personne concernée.

Alors, lorsque vous vous demanderez ce qui est conforme à la Charte des droits et libertés, dites-vous que ce qui importe n’est pas ce qui est considéré comme tolérable dans la société, mais les dommages subis par une personne, qu’il s’agisse de la personne qui était impliquée ou de celles qui ont été témoins des actes. C’est la raison pour laquelle la Cour suprême du Canada a établi des limites claires et bien définies en matière d’obscénité.

Je me tourne vers ma collègue, la sénatrice Andreychuk. Elle se souvient sûrement de la décision du tribunal dans l’affaire Little Sisters, concernant la saisie des magazines par le propriétaire d’une boutique de Vancouver. Ce qui constituait une infraction criminelle à l’époque est, aujourd’hui, acceptable.

Je suggère que, dans son étude de l’annexe du projet de loi, le comité examine très attentivement les décisions de la Cour suprême qui ont établi que, par le passé, les tribunaux ont affiné les critères. Pour respecter le second préambule, si une telle situation survenait aujourd’hui, cela irait à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés. J’espère que le comité appliquera ce test aux décisions en plus d’autres tests établis par la Cour suprême pour déterminer ce qui est acceptable de nos jours.

(1850)

Le projet de loi devrait être adopté afin que les personnes concernées puissent faire effacer le casier judiciaire qu’on leur a imposé après les avoir déclarées coupables d’actes homosexuels. C’est ma principale préoccupation en ce qui concerne le projet de loi à l’étude.

Quatre professeurs de droit ont étudié le projet de loi et ont formulé des suggestions. Le comité devrait les examiner très attentivement afin de voir s’il ne devrait pas ajouter à l’annexe les articles du projet de loi qui protègent les membres de la communauté LGBTQ d’un risque de se voir imposer indûment un casier judiciaire en raison de ces décisions de la Cour suprême.

Honorables sénateurs, je crois que l’étude du projet de loi sera confiée au Comité des droits de la personne, mais je n’en suis pas certain. J’espère que le comité s’intéressera de près au contexte d’aujourd’hui, surtout en ce qui a trait à l’objectif du projet de loi, qui consiste à réparer un tort. Corrigeons les injustices en fonction de ce qui est acceptable et non criminel dans le contexte d’aujourd’hui, afin d’harmoniser le projet de loi aux normes sociales actuelles liées à l’objectif du projet de loi.

J’espère que le comité aura l’occasion d’entendre les quatre professeurs, car, d’après ce que je comprends, l’autre endroit a adopté le projet de loi en 15 minutes. Personne n’a eu la possibilité d’y réfléchir. Je ne crois pas qu’il s’agisse de la façon dont le Sénat étudie les projets de loi. Déterminons la portée du projet de loi par rapport à son objectif et en tenant compte de la position de la Cour suprême, qui a établi ce que dit la loi du pays par rapport au consentement et à la protection dans le contexte de relations homosexuelles initiées sans coercition et sans échange d’argent, ne causant pas de préjudice et se déroulant en privé. Si ce sont là les critères qu’il faut appliquer, ils devraient être reflétés dans le projet de loi.

Son Honneur le Président : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Je souligne que les sénateurs Cormier et Joyal ont tous deux fait allusion aux quatre professeurs, mais il y a une disposition qui me préoccupe, soit celle qui prévoit que le gouverneur en conseil peut ajouter des infractions à l’annexe. D’une part, je veux savoir ce que cela signifie et si cette annexe est illimitée. Je ne suis pas certaine que je veux donner au gouverneur en conseil le droit de contourner les procédures du Code criminel. Voilà l’une de mes préoccupations.

D’autre part, ce serait une façon d’inclure le problème des maisons de débauche que vous avez mentionnées. Donc, vous n’avez pas d’objection à ce qu’il figure à l’annexe à l’avenir.

Le sénateur Joyal : Non. Comme je l’ai mentionné, honorables sénateurs, je crois que c’est très clair lorsqu’on tient compte de la décision de la Cour suprême. Elle a été rédigée par la juge en chef elle-même au nom d’une majorité de juges. Je crois que sept juges ont souscrit à l’avis de la juge en chef. Il vaut la peine de lire la décision parce que les explications sont très claires. Les critères sont très bien décrits. La transformation des normes est expliquée de façon didactique, en indiquant ce qu’elles étaient auparavant et ce qu’elles sont maintenant. Comme je le disais, c’était il y a presque 13 ans. La jurisprudence a évolué.

Selon moi, si le comité étudiait ce cas, particulièrement celui-là et l’arrêt Little Sisters sur la question de l’obscénité, je crois que ce serait très pratique d’amender l’annexe afin qu’elle reflète l’état du droit d’aujourd’hui plutôt que ce qu’il était, mais seulement pour certaines sections du Code criminel.

Voilà pourquoi je crois que le comité serait bien placé pour aller plus loin et, comme vous le dites, pour répondre à une partie de votre question, à savoir si l’annexe est illimitée, sans en connaître trop du domaine que nous abordons.

Je crois que la jurisprudence peut nous éclairer quant au contenu de la liste.

(Sur la motion de la sénatrice Saint-Germain, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Vingtième rapport du Comité des banques et du commerce—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du vingtième rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce (Projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel), avec des amendements), présenté au Sénat le 13 février 2018.

L’honorable Carolyn Stewart Olsen propose que le rapport soit adopté.

(Sur la motion du sénateur Gold, au nom de la sénatrice Moncion, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur White, appuyée par l’honorable sénateur Enverga, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-211, Loi concernant un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique.

L’honorable Marilou McPhedran : Je parlerai aujourd’hui au nom de tous ceux qui ont été laissés pour compte par le projet de loi C-211, Loi concernant un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique, qui a été adopté par la Chambre des communes en juin 2017.

[Français]

Ce projet de loi est un pas dans la bonne direction, car il a pour buts d’élaborer un cadre fédéral global visant à surmonter les difficultés que pose la reconnaissance des symptômes de l’état de stress post-traumatique et d’accélérer le diagnostic et le traitement.

[Traduction]

Ce projet de loi est censé offrir un service aux Canadiens, mais il exclut en réalité un groupe important de premiers intervenants. On nous dit qu’il est censé offrir un meilleur service aux travailleurs de première ligne qui portent l’uniforme et qui sont en état de stress post-traumatique, alors ce serait bête d’oublier ceux que le projet de loi ne mentionne nulle part. Les infirmières et les travailleurs de la santé ne figurent ni dans le préambule ni dans les principaux articles, mais ils sont pourtant exposés régulièrement aux situations traumatisantes, voire à la violence.

Il est impossible pour le moment de dire si les travailleurs de la santé de première ligne, qui sont eux aussi des premiers intervenants, seront visés par le projet de loi.

Pour améliorer le projet de loi à l’étude et la vie de milliers de citoyens, nous devons voir à ce que la mesure proposée tienne bien compte du personnel infirmier et d’autres professionnels de la santé.

Ce changement aurait une incidence remarquable sur le bien-être des Canadiens, je ne saurais trop le répéter. Le monde est aux prises avec une crise en santé mentale. Les provinces et les territoires ont du mal à remédier aux troubles de stress post-traumatique dont souffrent le personnel infirmier et d’autres professionnels de la santé.

Certaines provinces ont déjà posé des gestes concrets. La Nouvelle-Écosse a adopté, en octobre dernier, le projet de loi 7, une loi sur les maladies professionnelles fondée sur la présomption que les troubles de stress post-traumatique sont liés au travail. Pour sa part, l’Ontario a annoncé, en décembre 2017, que les infirmiers et infirmières figuraient sur la courte liste des premiers intervenants qui bénéficieraient d’un soutien semblable.

Pour que la loi fédérale soit efficace, elle doit s’harmoniser aux lois provinciales comparables. S’il y a des provinces qui considèrent que le personnel infirmier et les travailleurs de la santé de première ligne figurent parmi les premiers intervenants à protéger, il devrait en être de même pour le gouvernement fédéral.

(1900)

Au Canada, nous manquons de données exhaustives sur les taux de stress post-traumatique et de troubles de santé mentale liés à l’emploi chez les travailleurs de la santé. À l’heure actuelle, nous ne disposons que de quelques statistiques parcellaires. En 2014, le syndicat infirmier du Manitoba a organisé six groupes de discussion afin de tenter de cerner la gravité et la fréquence des traumatismes et du stress post-traumatique que les infirmières voient dans leur environnement. Elle a conclu qu’une infirmière sur quatre manifeste des symptômes de stress post-traumatique.

Je suis heureuse de pouvoir appuyer les 200 000 infirmières représentées par la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers. Saisissons cette occasion de changer la vie de milliers de Canadiens et d’encourager d’autres personnes à se tourner vers ces professions sans craindre pour leur santé mentale. Voilà une chose que nous pouvons faire pour ceux et celles qui se dévouent pour aider les autres. Les infirmières et les autres travailleurs de première ligne méritent que l’on tienne compte des réalités de ce dévouement en les incluant parmi les premiers intervenants dans ce projet de loi.

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de représentant du gouvernement pour appuyer le projet de loi C-211, Loi concernant un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique.

La santé et le bien-être mentaux sont à la base d’une vie épanouie. La capacité de faire face au stress normal de la vie quotidienne, d’entretenir des liens avec sa famille et ses amis et d’évoluer en société tout en s’occupant de soi est un signe de bonne santé et de bien-être mentaux.

Or, les Canadiens n’arrivent pas tous à le faire avec la même facilité.

[Français]

Des populations spécifiques sont plus à risque de développer l’état de stress post-traumatique. Les agents de la sécurité publique, les anciens combattants et les membres des Forces armées canadiennes, en raison de leur travail, ont tendance à être exposés à des événements traumatisants. Par conséquent, le gouvernement fédéral prend des mesures pour lutter contre l’état de stress post-traumatique et pour soutenir plus largement la santé mentale et le mieux-être des personnes touchées.

Je suis heureux de souligner certaines de ces initiatives et les investissements proposés.

[Traduction]

Dans le budget de 2018, on a annoncé 20 millions de dollars afin de soutenir un nouveau consortium de recherche national afin d’étudier l’incidence des blessures des agents de la sécurité publique qui sont associées au stress post-traumatique. Le gouvernement a également annoncé 10 millions de dollars afin de permettre à Sécurité publique Canada de collaborer avec l’Institut canadien de recherche et de traitement en sécurité publique en vue de mettre au point un projet pilote de thérapie sur Internet. Il cherche ainsi à accorder un meilleur accès aux soins et aux traitements.

Pour les anciens combattants canadiens, on a annoncé dans le budget de 2017 la mise sur pied d’un nouveau centre d’excellence sur le trouble de stress post-traumatique et la santé mentale. Ce centre d’excellence sera responsable de faire des percées en recherche appliquée, d’assurer un transfert des connaissances et d’élaborer des outils fondés sur des données pour appuyer les traitements en santé mentale offerts aux anciens combattants par les fournisseurs de soins en santé mentale d’un océan à l’autre.

Anciens Combattants Canada finance un réseau de 11 cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel réparties dans l’ensemble du pays, qui offrent aux anciens combattants ainsi qu’aux membres des Forces armées canadiennes et de la GRC un traitement médical et en santé mentale spécialisé. Par ailleurs, le ministère est doté d’un réseau bien établi d’environ 4 000 professionnels en santé mentale qui offrent des soins aux anciens combattants. Les Forces armées canadiennes offrent un programme de promotion de la santé qu’on appelle Énergiser les Forces. Ce programme couvre la sensibilisation aux dépendances et la prévention, la vie active et la prévention des blessures et le mieux-être social. Pendant leur carrière, les membres des Forces armées canadiennes participent également au programme En route vers la préparation mentale. Grâce à ce programme, ils améliorent leur résilience et accroissent leurs connaissances en santé mentale et leur sensibilisation à la prévention du suicide. De plus, les Forces armées canadiennes ont élaboré des programmes d’éducation, de prévention et de traitement liés au stress post-traumatique.

En plus de ces populations, il est important de reconnaître que tous les Canadiens peuvent courir le risque de souffrir de stress post-traumatique à la suite d’une exposition à des événements traumatisants, notamment la violence envers les enfants, les agressions sexuelles, la violence entre conjoints, les désastres naturels et d’autres événements extrêmes mettant la vie en danger. Dans ma propre famille, j’ai des êtres chers qui souffrent de stress post-traumatique. C’est donc un enjeu personnel pour moi.

[Français]

Il est important de reconnaître que tous les Canadiens peuvent être à risque. Il est important aussi de comprendre que celles ou ceux qui vivent un état de stress post-traumatique risquent davantage de s’infliger des blessures ou de se suicider.

Il est essentiel que les personnes en crise puissent avoir accès au soutien nécessaire au bon moment. C’est pourquoi 2 millions de dollars ont été versés à Services de crises du Canada pour la prestation du Service canadien de prévention du suicide. Ce service offre aux personnes en crise, partout au Canada, un soutien gratuit et confidentiel 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, par clavardage, par texto ou par téléphone.

[Traduction]

Le gouvernement prévoit en outre 5 milliards de dollars sur 10 ans pour aider les provinces et les territoires à améliorer l’accès aux services en santé mentale et en toxicomanie. Grâce à cette enveloppe budgétaire, les Canadiens peuvent espérer avoir un meilleur accès aux services de santé mentale et bénéficier de modèles intégrés de services communautaires de santé mentale reposant sur des données probantes ainsi qu’à des interventions bien adaptées culturellement, dans la prestation des services de santé primaires.

Services aux Autochtones Canada fournit plus de 350 millions de dollars par année pour financer la prestation culturellement adaptée de services de bien-être psychologiques dans les collectivités autochtones, conformément à la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits et au cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations. De plus, le budget de 2018 prévoit 200 millions de dollars s’ajoutant à un financement récurrent de 40 millions de dollars afin d’améliorer l’accès des Premières Nations au traitement de la toxicomanie et aux stratégies de prévention.

[Français]

Le gouvernement du Canada travaille aussi en collaboration avec des partenaires et des organismes autochtones pour favoriser la résilience des gens et les aider à surmonter les difficultés. Des efforts visent l’attachement parental, la collectivité sociale et la fierté à l’égard de sa culture et de son identité.

[Traduction]

Les programmes de santé maternelle et de santé des enfants de l’Agence de la santé publique du Canada sont des exemples d’efforts de collaboration où l’on fournit de l’aide aux gens et où on leur permet d’accroître leur capacité d’adaptation afin de favoriser la santé mentale et de réduire les facteurs de risque liés aux maladies mentales, au suicide, à la violence familiale et à la toxicomanie. L’Agence de santé publique du Canada s’emploie également à réduire les facteurs de risque qu’une personne subisse des problèmes psychologiques comme le trouble de stress post-traumatique, par exemple, les comportements violents, la discrimination et d’autres formes de traumatisme susceptibles d’affecter la santé mentale et physique. Par exemple, nous savons que les adultes qui ont été maltraités pendant leur enfance ou qui ont subi la violence d’un partenaire intime sont quatre fois plus susceptibles de déclarer souffrir du trouble de stress post-traumatique.

En outre, la stigmatisation et la discrimination minent elles aussi la santé mentale et le bien-être en réduisant l’estime de soi, en perturbant les relations et en décourageant ceux qui peuvent être affectés par le trouble de stress post-traumatique de demander de l’aide.

La promotion de la santé conçue spécialement pour répondre aux besoins des personnes ayant survécu à un épisode de violence est un nouveau domaine de recherche et de pratique. L’Agence de la santé publique du Canada finance des projets communautaires destinés à améliorer la santé physique et mentale des personnes ayant subi le traumatisme de la violence familiale. Ces projets s’adressent à des enfants, des adolescents et des parents de l’ensemble du Canada et visent à atténuer les effets de la violence, à permettre aux victimes de reconstruire leur vie et à briser les cycles de violence. Le budget de 2017 prévoyait 100,9 millions de dollars sur cinq ans et 20,7 millions de dollars par année de financement récurrent pour établir une stratégie de prévention et de lutte contre la violence fondée sur le sexe. Le budget de 2018 prévoit des sommes additionnelles de 86 millions de dollars sur cinq ans et de 20 millions de dollars par année pour élargir la stratégie de prévention et de lutte contre la violence fondée sur le sexe.

[Français]

De plus, il faut rassembler, surveiller, analyser et diffuser les données sur les facteurs de risque qui ont une influence sur la santé mentale. Ces données comprennent la violence familiale, les maladies mentales, le suicide et l’automutilation.

[Traduction]

Le gouvernement fait de grands investissements en santé mentale. Un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique, comme le projet de loi le laisse croire, ajouterait à ces investissements en créant une occasion particulière d’harmoniser les activités fédérales existantes qui mettent l’accent sur les besoins de populations précises et de cerner les pratiques exemplaires pouvant offrir un appui à tous les Canadiens touchés par l’état de stress post-traumatique. Je soumets cette mesure législative à votre attention et je recommande que celle-ci soit renvoyée au comité dans les plus brefs délais.

(Sur la motion de la sénatrice Hartling, le débat est ajourné.)

(1910)

[Français]

Sécurité nationale et défense

Motion tendant à autoriser le comité à entendre des témoins au sujet des enjeux découlant de la visite du premier ministre en Inde—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dagenais, appuyée par l’honorable sénateur Oh,

Que, compte tenu des conséquences potentielles graves pour les relations du Canada avec l’Inde et pour la sécurité nationale du Canada résultant de la récente visite du premier ministre dans ce pays, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à :

a)inviter M. Daniel Jean, conseiller du premier ministre à la sécurité nationale, à comparaître devant le comité afin de répondre aux questions concernant les enjeux découlant de la récente visite du premier ministre en Inde;

b)inviter d’autres témoins de la Gendarmerie royale du Canada, du Service canadien du renseignement de sécurité, d’Affaires mondiales Canada et de toute autre organisation pertinente afin d’expliquer comment un individu reconnu coupable de délits criminels graves fut autorisé à assister à des événements officiels où étaient présents le premier ministre, des ministres et des hauts fonctionnaires canadiens;

c)faire des recommandations qu’il estime justifiées à la suite de cet incident;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 1er juin 2018 et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, conformément à l’article 6-2(2) du Règlement, je demande le consentement du Sénat pour prendre la parole une deuxième fois dans le cadre de cette motion afin de définir une partie du discours que j’ai prononcé le 1er mars 2018.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?

Le sénateur Mitchell : Non.

Son Honneur le Président : J’entends un « non ». Le consentement n’est pas accordé?

Le sénateur Mitchell : Non.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Le sénateur Mitchell : Non.

Son Honneur le Président : Quelqu’un veut-il ajourner le débat?

(Sur la motion du sénateur Gold, au nom de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné.)

[Français]

L’honorable Claudette Tardif

Interpellation—Fin du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Day, attirant l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable sénatrice Tardif.

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, je suis conscient de l’heure avancée, mais vous me permettrez de rendre brièvement hommage à la sénatrice Tardif, qui nous a quittés récemment.

Honorables sénatrices et sénateurs, en cette Journée internationale de la Francophonie, c’est avec une immense gratitude que je me joins à celles et ceux qui ont récemment rendu hommage à cette grande dame qu’est la sénatrice Claudette Tardif.

« Sur la toile de ce vaste pays », pour utiliser un vers du jeune auteur-compositeur franco-albertain Paul Cournoyer, la sénatrice Tardif aura marqué le territoire canadien et le Sénat du Canada de son amour incommensurable de la langue française, de sa passion pour l’éducation, de sa rigueur au travail et, bien sûr, de son élégance lumineuse.

Durant toutes ses années à la Chambre haute, cette ambassadrice de la francophonie canadienne et des communautés de langue officielle a travaillé avec une détermination sans faille pour faire entendre la voix des minorités de ce pays.

Professeure, chercheuse, doyenne, sénatrice et récipiendaire de tant de distinctions, y compris celle de commandeure de l’Ordre de la Pléiade — qu’elle reçoit en ce moment même à l’Assemblée parlementaire de la Francophonie —, Mme Tardif a toujours fait preuve d’une grande humilité dans l’exercice des ses fonctions parlementaires.

Je connaissais la sénatrice Tardif avant mon arrivée au Sénat, mais c’est au Comité sénatorial permanent des langues officielles que j’ai pu saisir toute la profondeur de son action et de son engagement. Elle a assumé la présidence de ce comité avec une telle sensibilité, avec une qualité d’écoute si remarquable, et en faisant preuve de tant de rigueur et de fermeté dans la conduite des travaux, que votre humble serviteur doit aujourd’hui travailler avec ardeur à titre d’actuel président de ce comité pour être à la hauteur de celle qui en a assumé la présidence pendant plusieurs années.

Tout au long de son mandat à la présidence, son amour de la francophonie canadienne s’est conjugué à celui de la défense de la minorité anglophone du Québec.

[Traduction]

[Français]

Son départ de la Chambre haute date de quelques semaines à peine, mais sa présence dans cette enceinte nous manque déjà beaucoup. Cela dit, puisqu’elle est une femme résolument tournée vers l’avenir, elle s’est assurée de nous laisser un magnifique projet, celui de mener cette vaste étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Comme nous le savons tous, honorables sénateurs, la Loi sur les langues officielles aura 50 ans en 2019. Comme l’affirmait l’honorable Mélanie Joly lors des consultations menées dans les communautés linguistiques en milieu minoritaire en 2017, et je cite :

Les Canadiens de partout au pays sont attachés aux deux langues officielles de leur pays qui sont à la base même de notre contrat social. Les histoires, les expériences et les défis sont différents d’une région à l’autre, mais il ne fait pas de doute que nos langues officielles font aussi partie intégrante de notre identité.

En effet, le bilinguisme fait partie de notre identité collective, et c’est avec conviction que la sénatrice Tardif a toujours travaillé à la promotion de la dualité linguistique. Elle aura été à la base de cette étude qui est en cours au Comité sénatorial permanent des langues officielles, soit celle qui examine la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles en consultant cinq segments de la population : les jeunes, les communautés de langue officielle en situation minoritaire, les témoins de l’évolution de la loi, le secteur de la justice et les institutions fédérales. Voilà les champs d’étude qui permettront à ce comité de déposer un rapport au gouvernement du Canada au printemps 2019. Je me fais le porte-voix des membres du comité pour remercier la sénatrice Tardif de son formidable leadership, dont est née cette initiative si importante pour notre pays.

Cela dit, malgré ses bonnes intentions en quittant le Sénat, la retraite n’existe pas vraiment pour la sénatrice Tardif. Elle devra se faire très discrète si elle veut vivre cette retraite pleinement, car, il faut se le dire, le destin de Claudette Tardif est intimement lié à la communauté franco-albertaine. La preuve, c’est que si un jour vous avez le bonheur de vous rendre à Sherwood Park, en Alberta, vous verrez cette école qui porte le nom d’école Claudette-et-Denis-Tardif, une des plus belles manifestations de l’engagement de cette sénatrice et de son mari.

La voix de Claudette Tardif continuera d’illuminer la francophonie canadienne et de résonner en cette Chambre.

Pour terminer, honorables sénateurs, et pour rendre hommage à cette grande dame, à son amour de la langue française et à sa détermination en vue de renforcer les liens qui unissent le Canada et la France, voilà quelques vers de l’artiste Yves Duteil, qui résument si bien son engagement :

C’est une langue belle avec des mots superbes

Qui porte son histoire à travers ses accents [...]

C’est une langue belle à qui sait la défendre

Elle offre des trésors de richesses infinies

Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre

Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie

(1920)

Merci, madame la sénatrice, merci, Claudette.

Je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, si personne d’autre ne désire intervenir, cela mettra un terme au débat sur cette question.

(Le débat est terminé.)

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à exhorter le gouvernement à respecter et à communiquer son engagement envers le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain

L’honorable Richard Neufeld, conformément au préavis donné le 8 février 2018, propose :

Que le Sénat, dont les membres représentent les diverses régions, provinces et territoires du Canada, observe avec inquiétude que les particuliers et les entreprises de la Colombie-Britannique et de l’Alberta commencent déjà à souffrir des retombées d’un différend interprovincial commercial qui s’aggrave;

Que le Sénat exhorte le premier ministre à utiliser le pouvoir que lui confère sa charge et celui du gouvernement du Canada afin d’assurer l’achèvement du projet d’expansion de l’oléoduc de Trans Mountain en conformité avec l’échéancier prévu;

Que le Sénat exhorte également que l’engagement du premier ministre et du gouvernement envers l’objectif de compléter à temps le projet d’expansion soit communiqué officiellement aux gouvernements de la Colombie-Britannique et de l’Alberta d’une manière qui ne laisse aucun doute sur la détermination du gouvernement fédéral à voir à ce que le projet soit entièrement opérationnel dans les délais prescrits.

— Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet de la motion no 298, dont j’ai donné préavis le 8 février, qui vise à exhorter le premier ministre à utiliser le pouvoir que lui confère sa charge afin d’assurer l’achèvement du projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain selon l’échéancier prévu. J’ai présenté cette motion parce que je jugeais important que le Sénat poursuive sa discussion sur cette question d’une importance nationale. J’espère que les sénateurs appuieront la motion, et que nous pourrons réclamer à l’unisson que le premier ministre fasse preuve d’un véritable leadership en s’engageant officiellement à utiliser le pouvoir que lui confère sa charge afin d’exprimer officiellement son engagement aux gouvernements de la Colombie-Britannique et de l’Alberta d’une manière qui ne laisse aucun doute sur la détermination du gouvernement fédéral à voir à ce que le projet soit entièrement opérationnel dans les délais prescrits.

Je tiens à remercier tous les honorables sénateurs qui ont participé au débat d’urgence du mois dernier. Je remercie tout particulièrement le sénateur Tkachuk d’avoir lancé la discussion. Je pense que c’était un exercice salutaire et je me réjouis de l’intérêt qu’il a suscité.

On a répondu à bien des préoccupations au sujet du projet de pipeline, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Sénat. Celles-ci portaient entre autres sur le processus d’évaluation environnementale, l’examen de l’ONE, la sécurité des pétroliers et des pipelines, les consultations auprès des Canadiens et des Premières Nations et les émissions de gaz à effet de serre. Je reviendrai sur certaines de ces questions un peu plus tard.

Ce qui m’a le plus frappé durant le débat d’urgence, cependant, c’est le nombre de sénateurs qui trouvaient qu’il ne suffisait pas de tenir un débat, que le Sénat pouvait jouer un rôle de premier plan dans le dossier. Comme l’a dit le sénateur Woo :

[...] nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers après ce que nous avons accompli ce soir [...] Ne soyons pas suffisants parce que nous avons tenu un débat d’urgence et n’ayons pas le sentiment d’avoir accompli notre devoir et de pouvoir maintenant nous laver les mains de ce dossier.

C’est un des objectifs de la motion à l’étude.

J’appuie également sans réserve le projet de loi du sénateur Black, le projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada. Je prendrai la parole au sujet de cette initiative la semaine prochaine.

D’entrée de jeu, je pense qu’il serait utile de remettre en contexte le projet de pipeline Trans Mountain ainsi que les événements qui ont mené à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Kinder Morgan, géant de l’infrastructure énergétique, a proposé le projet d’expansion Trans Mountain en réponse aux demandes des compagnies pétrolières de les aider à atteindre de nouveaux marchés en élargissant la portée du seul pipeline d’Amérique du Nord en lui permettant d’atteindre la côte Ouest. Ce projet privé de 7,4 milliards de dollars vise à accroître la capacité actuelle du pipeline Trans Mountain, qui passerait de 300 000 à 890 000 barils par jour. Il s’agit donc du doublement du pipeline actuel de 1 150 kilomètres construit en 1953 entre Edmonton, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique, qui comprend 980 kilomètres de nouveau pipeline.

Soixante-treize pour cent du tracé suivra l’emprise existante; 16 p. 100 suivra d’autres infrastructures linéaires, comme les télécommunications, les lignes d’hydroélectricité et les autoroutes; et, enfin, 11 p. 100 du tracé fera l’objet d’une nouvelle emprise. Le projet n’est pas aussi perturbateur qu’on pourrait le croire. Douze nouvelles stations de pompage et 19 nouveaux réservoirs seront construits, ainsi que 3 nouveaux postes de mouillage au terminal maritime Westridge.

C’est en mai 2012 que Kinder Morgan a officiellement annoncé le projet d’expansion, et en décembre 2013, la société a soumis sa demande d’approbation d’installations de 15 000 pages à l’Office national de l’énergie.

En janvier 2016, le gouvernement Trudeau a présenté de nouveaux principes provisoires pour estimer les émissions de gaz à effet de serre en amont des projets faisant l’objet d’évaluations environnementales, dont Trans Mountain.

En mai 2016, au terme d’un examen de 29 mois, qui comprenait une évaluation environnementale complète, l’ONE en est venu à la conclusion que le projet était dans l’intérêt public du Canada.

La commission d’évaluation des gaz à effet de serre a publié ses constatations en novembre 2016. Peu de temps après, le 29 novembre 2016, le gouvernement Trudeau a approuvé le projet d’expansion, sous réserve de 157 conditions contraignantes.

Plus d’un an plus tard, en janvier 2018, le gouvernement minoritaire néo-démocrate du premier ministre Horgan, en Colombie-Britannique, a annoncé son intention de sonder l’opinion publique au sujet de l’idée de limiter l’augmentation du volume de bitume dilué transporté jusqu’à ce que l’on comprenne mieux les effets des déversements de bitume et que l’on puisse confirmer que nous avons les moyens d’atténuer adéquatement ces effets.

Puis, Rachel Notley, première ministre de l’Alberta, a annoncé un embargo provincial sur le vin en provenance de la Colombie-Britannique et a ensuite menacé de suspendre les pourparlers au sujet de l’éventuel achat d’hydroélectricité, transaction représentant un demi-milliard de dollars par année.

Récemment, l’Alberta a levé son embargo sur le vin après que le premier ministre Horgan ait accepté de laisser les tribunaux trancher la question de compétence soulevée par sa proposition de limiter le transport de bitume.

J’ai beau reconnaître que le premier ministre Trudeau a déclaré publiquement que le projet est dans l’intérêt national et qu’il sera réalisé, je crains encore que des retards et des interruptions inutiles ne nuisent au projet. Je demeure convaincu que le gouvernement devrait prendre l’initiative dans ce dossier et s’assurer que la construction puisse commencer le plus tôt possible. Comme la sénatrice McCoy l’a expliqué lors du débat, le Canada accuse des pertes car son pétrole est vendu à rabais.

Un rapport de la Banque TD a récemment souligné que nous perdions 28 $ le baril du fait, en partie, que les États-Unis sont notre seul client. L’écart de prix a coûté aux Canadiens environ 117 milliards de dollars au cours des sept dernières années, car nous n’avons pas accès aux marchés concurrentiels. Je crois que cela dit tout. Nous devons diversifier nos activités. Toutefois, je ne veux pas me concentrer uniquement sur l’économie aujourd’hui. Je souhaite plutôt me concentrer sur la sûreté des pipelines et des navires-citernes.

Tout d’abord — et je tiens à être clair —, je reconnais qu’il y a des risques liés au transport de pétrole par pipeline ou navire-citerne. Toutefois, sont-ils différents de ceux que nous prenons quand nous traversons la rue, prenons l’avion pour rentrer au pays ou montons dans un ascenseur? Je ne dis pas que ces activités sont plus ou moins dangereuses que le transport de pétrole, je dis simplement que toute activité humaine comporte des risques.

Prenons, par exemple, le prolongement du réseau de transport en commun par train léger à Ottawa. Bien que le projet ait connu quelques difficultés, comme des affaissements de chaussée, je serai tout de même à l’aise de prendre le train et de traverser le tunnel souterrain au centre-ville. Je fais confiance aux ingénieurs, aux architectes, aux gestionnaires de projet, aux soudeurs et aux centaines de travailleurs qui ont travaillé sur le projet. Je sais qu’ils savent ce qu’ils font. Ce sont toutes des personnes hautement qualifiées. Nous devrions avoir confiance en la qualité de leur travail.

À mon avis, nous devrions faire tout aussi confiance aux entrepreneurs qui travaillent sur les pipelines, ainsi qu’aux pilotes et aux opérateurs de navire-citerne. Ces gens savent ce qu’ils font et ils ont suivi une formation intensive. La sécurité est la priorité de tout le monde. Personne ne veut qu’une catastrophe ait lieu, y compris Kinder Morgan ou toute autre entreprise, bien sûr.

Ainsi, je comprends que le risque de déversement pétrolier dans l’océan ou de rupture d’un pipeline suscite des craintes. Toutefois, nous savons également que c’est hautement improbable que cela se produise. Nous savons que les pipelines sont la façon la plus sûre et la plus efficace de transporter les hydrocarbures. De nombreux experts et rapports, y compris le rapport de 2013 du Sénat intitulé Transporter l’énergie en toute sécurité : Une étude sur la sécurité du transport des hydrocarbures par pipelines, navires pétroliers et wagon-citerne au Canada, en font foi. Ressources naturelles Canada convient que les pipelines sont un moyen sûr, efficace et fiable d’acheminer l’énergie canadienne à la clientèle.

En 2015, 99,999 p. 100 des près de 1,3 milliard de barils de pétrole brut et de produits pétroliers transportés dans les pipelines du Canada réglementés par le gouvernement fédéral ont été transportés sans incident. Sur une période récente de trois ans, 100 p. 100 des liquides libérés par les pipelines réglementés par le gouvernement fédéral ont été récupérés.

Je tiens également à rappeler aux sénateurs qu’il existe au Canada un total estimé de 840 000 kilomètres de pipelines allant des canalisations de collecte aux canalisations de distribution en passant par les canalisations d’apport et de transmission. Je crois que nous l’oublions souvent.

(1930)

De plus, certains sénateurs se souviendront peut-être de la Loi sur la sûreté des pipelines de 2015, laquelle renforce les systèmes de sécurité des pipelines au Canada en se fondant sur la prévention, la préparation, l’intervention, la responsabilité et l’indemnisation. Les sociétés sont maintenant responsables du coût des incidents et des dommages causés, peu importe à qui en revient la faute, jusqu’à concurrence de 1 milliard de dollars pour les sociétés exploitant des oléoducs majeurs.

Le produit proposé pour le réseau Trans Mountain est du bitume dilué, communément appelé dilbit, un produit épais comme de la mélasse dont la corrosivité préoccupe certains. J’admets ne pas être un expert dans le domaine alors je m’en rapporte aux professionnels. Je comprends que certains chercheurs disent le contraire, mais d’autres soutiennent que la possibilité de corrosion dans les oléoducs de transmission est faible.

Une capsule publiée récemment par l’Institut Fraser mentionne une étude réalisée en 2013 par la National Academy of Sciences selon laquelle il n’existe aucune preuve que le bitume dilué contribue à la corrosion des pipelines ou à leur rupture. Un autre rapport publié en 2013 et intitulé « Dilbit Corrosivity » dit ceci :

[...] une partie de la littérature est mal informée et fausse: le dilbit et le synbit ne sont pas plus corrosifs, dans un pipeline de transmission de pétrole brut, que les pétroles bruts sulfureux lourds; dans bien des cas, ils le sont moins. Par conséquent, dans le cadre de la gestion de l’intégrité du pipeline, il n’existe pas d’implications additionnelles considérables pour le contrôle de la corrosion dans un pipeline transportant du dilbit et du synbit par rapport à la pratique normale.

Selon le vice-président à la sécurité et à la durabilité de l’Association canadienne de pipelines d’énergie :

Le risque de corrosion pour les pipelines transportant du bitume dilué est le même que pour les pipelines transportant du pétrole classique.

Comprenez-moi bien. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de corrosion dans les pipelines. Je dis simplement que les propriétés du bitume dilué ne sont pas nécessairement la source de corrosion supplémentaire.

Comme toute autre structure métallique, les pipelines sont sujets à la corrosion. Il est toutefois possible de les surveiller et de les protéger afin d’en minimiser la corrosion. Comme l’explique l’Association canadienne de pipelines d’énergie, les pipelines sont recouverts d’un revêtement protecteur lorsqu’ils sont fabriqués. Qui plus est, les exploitants s’assurent de surveiller leurs pipelines en tout temps à l’aide de diverses technologies, d’outils d’inspection et d’inspections visuelles. Par exemple, les exploitants emploient un racleur ingénieux, un genre d’outil d’inspection qui ressemble à une sonde géante, pour faire plusieurs mesures à l’intérieur de pipelines afin d’y déceler toute trace d’érosion, des déformations ou des points de congestion. Je répète que personne — que ce soit un particulier ou une corporation — ne veut être responsable d’une rupture de pipeline ou d’un déversement d’hydrocarbures. C’est pourquoi tout le monde fait son possible pour éviter qu’un tel incident ne se produise.

J’aimerais, en deuxième lieu, parler de la sécurité des pétroliers et des données connexes. Aujourd’hui, environ 60 p. 100 de tout transport de pétrole dans le monde se fait par pétrolier. Selon l’excellent site web canadien ClearSeas.org, le volume et la fréquence de déversements de pétrole dans le monde ont chuté depuis les années 1970. En effet, le nombre de déversements de sept tonnes et plus a considérablement chuté, tandis que le transport de pétrole par voie maritime a augmenté de façon constante. Autrement dit, il y a plus de chargements de pétrole pour moins de déversements.

Le brut et les autres produits du pétrole représentent la première marchandise en importance à transiter par nos ports, soit plus de 20 p. 100 du tonnage total. Le site ClearSeas nous apprend que, selon Transports Canada, il y aurait quelque 20 000 mouvements de navires-citernes au large des côtes du Canada chaque année, dont 85 p. 100 sur la côte atlantique.

Chaque année, les pétroliers transportent environ 80 millions de tonnes de pétrole à destination et en provenance des côtes canadiennes. Chaque jour, 180 grands navires commerciaux naviguent à moins de 200 milles de nos côtes.

Des pétroliers de toutes tailles, dont les ultragros porteurs de brut, transitent le long de la côte Est. Les pétroliers Aframax sont les plus gros navires transportant du pétrole au large de la côte Ouest. Ils peuvent contenir jusqu’à 850 000 barils.

Contrairement à ce qui a été affirmé ici même, des navires de 10 fois la taille de l’Exxon Valdez ne commenceront pas à transiter par le port de Vancouver si le projet d’expansion du réseau Trans Mountain est mené à bien. L’Exxon Valdez mesurait 301 mètres de long et pouvait transporter jusqu’à 1,48 million de barils de pétrole. Les navires de taille Aframax seront chargés de pétrole provenant du pipeline Trans Mountain au terminal Westridge, à Burnaby. Ces navires mesurent seulement 245 mètres de long et leur capacité est un peu plus de la moitié de celle de l’Exxon Valdez.

Autrement dit, on aurait affirmé que les nouveaux pétroliers seraient en mesure de transporter près de 15 millions de barils de pétrole, alors que l’UGPB, le plus grand navire-citerne au monde, peut seulement transporter 4 millions de barils.

C’est rendre un bien mauvais service à l’industrie et nuire aux efforts de sensibilisation du public que de répandre de fausses informations.

Nous avons également entendu dire qu’il y aurait une augmentation du nombre de navires quittant le port au quotidien, qui devait passer à 35. C’est inexact. Selon Kinder Morgan, le nombre de navires chargés à Burnaby pourrait passer à environ 34 par mois. Aujourd’hui, il y a environ cinq pétroliers au port de Vancouver. Le projet d’expansion représenterait une augmentation d’environ 14 p. 100 de la circulation maritime au port de Vancouver.

Certains craignent que, dans l’éventualité peu probable d’un déversement en milieu marin, il soit impossible de récupérer le bitume dilué puisqu’il coule immédiatement. De nouvelles recherches effectuées par RNCan démontrent que le bitume dilué flotte à la surface de l’eau pendant environ trois ou quatre semaines. On m’a également informé du fait que le bitume dilué a les mêmes caractéristiques de récupération après déversement que le pétrole lourd conventionnel. Voilà qui contredit les affirmations selon lesquelles le bitume dilué coule immédiatement.

Son Honneur le Président : Je m’excuse, sénateur, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Neufeld : S’il vous plaît.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Neufeld : Bien que le transport de pétrole par navire-citerne présente bien certains risques, d’innombrables mesures ont été prises pour éviter tout accident ou indicent en mer. Notamment, nous avons de meilleures technologies de contrôle de la circulation, les navires sont mieux conçus, les consignes de sécurité dans l’industrie ont été renforcées et la réglementation a été resserrée.

Honorables sénateurs, même si j’aurais pu aborder un bien plus grand nombre de questions aujourd’hui, j’ai décidé de me concentrer sur les questions de sécurité, car j’estime qu’il est important de dissiper le mythe qui veut que le transport de pétrole est trop risqué et qu’il nuit inévitablement à l’environnement.

Pour ceux qui voudraient en apprendre davantage, j’ai le plaisir d’annoncer qu’un certain nombre de sénateurs et moi organisons une séance de sensibilisation à la sécurité des pipelines et des pétroliers sur la Colline. Il y aura des présentations fascinantes. De nombreux orateurs ont déjà confirmé leur participation. J’espère que vous pourrez vous joindre à nous le 24 avril. Des invitations officielles suivront.

En conclusion, j’encourage le premier ministre et son gouvernement à assurer un véritable leadership dans le dossier. Il se doit de rappeler au gouvernement de la Colombie-Britannique que le projet Trans Mountain relève de la compétence fédérale. Il se doit de demander au premier ministre Horgan de s’écarter du chemin et de cesser ces inepties. Il se doit d’envoyer un message clair à l’ensemble des Canadiens selon lequel plus aucun retard et plus aucune perturbation ne sera toléré. Le pipeline a été approuvé parce qu’il est dans l’intérêt de tous les Canadiens. Le premier ministre se doit d’assumer ses responsabilités et d’user de toute l’influence de ses fonctions pour veiller à ce que le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain soit complété à temps.

Je vous remercie de votre attention, et j’espère que les sénateurs prendront part à ce débat important. J’espère également que vous joindrez vos voix à la mienne en appuyant ma motion. Merci.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 19 h 39, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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