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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 303

Le vendredi 14 juin 2019
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le vendredi 14 juin 2019

La séance est ouverte à 9 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Hommages aux pages à l’occasion de leur départ

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous continuons à rendre hommage à nos pages.

Aujourd’hui, nous rendons hommage à Anna Broaders, qui est extrêmement fière de représenter Paradise, à Terre-Neuve-et-Labrador, à titre de page du Sénat. Cet automne, elle entamera la dernière année de ses études en économie et en sciences politiques à l’Université d’Ottawa. Le Programme des pages du Sénat est une expérience remarquable et transformatrice pour les étudiants de premier cycle. Anna ne saurait remercier assez tous les membres du Sénat de l’incidence positive qu’ils ont eue sur elle. Nous vous remercions, Anna.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Jamey Irwin représente Mississauga, en Ontario. Elle vient tout juste d’obtenir son baccalauréat en développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa, où elle poursuivra une maîtrise ès arts en affaires publiques et internationales. Jamey se sent extrêmement privilégiée d’avoir servi comme première page cette année et elle tient à remercier sincèrement tout le monde au Sénat d’avoir rendu son expérience inoubliable. Nous vous remercions, Jamey.

Des voix : Bravo!


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole pour souligner la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose, qui a lieu le 19 juin et a été instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2008. Nous soulignons cette journée au Canada à la même date pour la deuxième année.

J’ai abordé à de nombreuses reprises dans cette enceinte le sujet de cette maladie et de ses effets sur les personnes qui en sont atteintes et leur famille.

Honorables sénateurs, il est crucial de sensibiliser la population à la drépanocytose, ou anémie falciforme, à l’échelle mondiale si nous voulons éliminer cette maladie. Il existe divers organismes gouvernementaux, organismes de financement en matière de santé et organismes non gouvernementaux qui viennent en aide aux personnes atteintes de cette maladie. Ils font également la promotion du dépistage et de stratégies nationales d’aide aux patients et à leur famille. Cela dit, honorables sénateurs, la drépanocytose est une des maladies héréditaires les plus répandues dans le monde.

La drépanocytose est causée par une forme anormale d’hémoglobine — cette molécule des globules rouges qui transporte l’oxygène partout dans l’organisme. Avec cette maladie, les globules rouges se déforment et l’hémoglobine cesse de fonctionner correctement. Les globules rouges normaux ont la forme d’un beignet et ils voyagent facilement dans les vaisseaux sanguins pour apporter l’oxygène aux organes. La drépanocytose fait durcir les globules rouges et leur donne la forme d’une faucille.

Chez les personnes atteintes de drépanocytose, les cellules déformées ne circulent pas facilement à travers les vaisseaux sanguins, ce qui réduit l’oxygénation des tissus et entraîne l’obstruction de vaisseaux et une diminution du nombre de globules rouges.

Ce déficit d’oxygène se manifeste le plus souvent par des douleurs aiguës, particulièrement dans les os, mais il peut aussi causer des dommages aux articulations de l’épaule et de la hanche, ainsi que des douleurs thoraciques causées par le syndrome thoracique aigu. La drépanocytose est une maladie de naissance et ceux qui en sont atteints doivent composer avec elle toute leur vie.

Honorables sénateurs, je vous invite à chercher dans vos provinces et territoires respectifs des organisations liées à la drépanocytose et à échanger avec des patients et leur famille au sujet des défis auxquels ils sont confrontés au quotidien.

De nombreux événements marquent la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose. Ici, à Ottawa, le maire fera une proclamation. À Toronto, l’hôtel de ville et la tour CN seront illuminés en rouge et blanc.

Je remercie Lanre Tunji-Ajayi, ancienne présidente de l’Association d’anémie falciforme du Canada et actuellement présidente de l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario, qui travaille sans relâche afin de sensibiliser la population à cette maladie et de promouvoir l’accès aux soins de santé pour les personnes atteintes de cette maladie.

Je profite également de l’occasion pour saluer Rugi Jalloh, présidente de l’Association d’anémie falciforme de la Nouvelle-Écosse, et Biba Tinga, présidente de l’Association d’anémie falciforme du Canada.

Honorables sénateurs, j’ai rencontré des Canadiens formidables au sein de la communauté de lutte contre la drépanocytose. Certains sont atteints de la maladie et de nombreux autres, ardents défenseurs de la cause, font vraiment avancer le dossier.

Je suis ravie d’appuyer cette magnifique communauté de personnes touchées par la drépanocytose, notamment ses initiatives de sensibilisation. Je vous invite à vous joindre à moi pour célébrer, le 19 juin, tous les efforts déployés pour la sensibilisation à la drépanocytose et, bien sûr, pour son éradication. Merci.

La Journée mondiale des océans

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour souligner la Journée mondiale des océans, qui a lieu chaque année le 8 juin.

Samedi dernier, j’ai célébré une magnifique Journée mondiale des océans en la passant à tenir la menotte de Violetta, ma petite-fille de 2 ans.

En matinée, nous avons toutes les deux passé des moments inoubliables à nous émerveiller devant une étoile de mer qui gigotait entre ses doigts, puis nous nous sommes extasiées devant un rare homard bleu. Nous nous sommes ensuite instruites autour des tables où on présentait des solutions de rechange au plastique, tout cela à l’occasion d’une journée portes ouvertes à l’Université St. Francis Xavier dans le cadre de la Journée mondiale des océans.

En après-midi, Violetta et moi avons poursuivi nos activités de la journée en marchant pieds nus dans le sable à la plage Mahoney, puis nous avons trempé nos orteils dans les eaux cristallines de la baie St. Georges tout en admirant les oiseaux de mer qui virevoltaient au-dessus de nos têtes.

Quelle chance nous avons eue de pouvoir célébrer de cette façon!

La Journée mondiale des océans a été officiellement reconnue par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2008, mais le concept avait été proposé à l’origine par le Centre international d’exploitation des océans du Canada et l’Institut international de l’océan du Canada, à l’occasion du Sommet de la Terre, en 1992.

Les océans recouvrent 70 p. 100 de notre planète et en sont les poumons, car ils fournissent 70 p. 100 de l’oxygène que nous respirons. Ils constituent une importante source de nourriture et de médicaments, et sont absolument essentiels pour la biosphère.

En Nouvelle-Écosse, nous chérissons l’océan, source de homard, d’activité économique, de santé, d’activités récréatives, de bien-être et d’inspiration culturelle.

Aussi bucolique que fût notre samedi en cette Journée mondiale des océans, il n’en demeure pas moins qu’une ombre plane au-dessus de nos belles côtes.

Tenant compte des avertissements et des preuves de la hausse du niveau des océans et du réchauffement des mers, Halifax s’est jointe à Vancouver plus tôt cette année en devenant la deuxième ville canadienne à déclarer un état d’urgence climatique.

On constate une accélération de l’érosion des berges et une augmentation des inondations à proximité des collectivités mi’kmaq qui longent le lac Bras d’Or, la mer intérieure du Cap-Breton.

(0910)

Tout comme les conseillers de la Ville d’Halifax, les élèves et étudiants de la province, d’Amherst à Lunenburg, se joindront à leurs camarades du Canada et de 150 autres pays et participeront chaque semaine aux marches organisées dans le cadre du mouvement Vendredis pour l’avenir. Ce mouvement a été inspiré par la jeune Suédoise Greta Thunberg, qui s’est fait remarquer pour avoir dit aux chefs d’État et de gouvernement réunis à Davos pour le Forum économique mondial, plus tôt cette année, que « notre maison brûle ». Sur la pancarte d’une des grévistes étudiantes, Katie Hutten, d’Halifax, on pouvait lire : « Il n’y a pas pire danger pour la planète que de croire que quelqu’un d’autre va la sauver. »

Chers collègues, écoutons les jeunes avant qu’il soit trop tard. Nos magnifiques océans regorgent de ressources. Ils sont une richesse naturelle essentielle d’une immense valeur. À quelques jours de la pause estivale, je vous invite tous à venir faire un tour en Nouvelle-Écosse, le « paradis maritime du Canada »; vous pourrez en profiter pour vous tremper le gros orteil dans nos eaux limpides. Je vous remercie, welalioq.

Les Raptors de Toronto

Félicitations à l’occasion de leur victoire au championnat de la NBA

L’honorable Victor Oh : Honorables sénateurs, j’aimerais aujourd’hui célébrer et féliciter les nouveaux champions de la NBA, les Raptors de Toronto!

Des voix : Bravo!

Le sénateur Oh : Les seuls Canadiens à avoir manqué le match d’hier soir sont sans doute les sénateurs, qui ont poussé l’ardeur au travail jusqu’à minuit hier soir. Les Raptors ont écrit une page d’histoire. On a gagné, on a gagné, on a gagné! C’est la première fois de l’histoire de la NBA qu’une équipe de l’extérieur des États-Unis remporte le championnat de la ligue. La route a toutefois été parsemée d’embûches. Après 24 saisons, les Raptors ont ravi le titre de la NBA à l’issue d’un sixième match en dents de scie, qu’ils ont fini par remporter 114 à 110.

Voilà qui en dit long sur ce dont nous sommes capables — nous, le Nord — en tant que nation. D’un océan à l’autre, le Canada s’est transformé en Parc jurassique hier soir. Il n’y a rien de plus rassembleur que le sport. Le sénateur ontarien que je suis ne pourrait pas être plus fier. Go Raptors, go! Je vous remercie.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Affaires juridiques et constitutionnelles

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que, aux fins de son étude du projet de loi C-93, Loi prévoyant une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à se réunir le lundi 17 juin 2019 :

a)même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

b)pendant une période d’ajournement du Sénat qui dure une journée, mais moins d’une semaine, nonobstant l’article 12-18(2) du Règlement.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Fixation de délai—Préavis de motion

L’honorable Murray Sinclair : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, toute pratique habituelle ou tout ordre antérieur :

1.si le Sénat n’a pas terminé ses délibérations sur le projet de loi C-262 par 15 heures le 19 juin 2019, le Président interrompe les délibérations alors en cours afin de mettre aux voix toutes les questions nécessaires pour rendre une décision finale sur le projet de loi, sans autre débat, amendement ou ajournement, à condition que si la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour, mais n’a pas encore été proposée, une motion tendant à la troisième lecture soit réputée avoir été proposée et appuyée;

2.si un vote est en cours au moment prévu au point 1, ses dispositions prennent effet immédiatement après le vote et les travaux qui en découlent;

3.si un vote par appel nominal sur le projet de loi C-262 a déjà été reporté pour qu’il ait normalement lieu après le temps prévu au point 1, le vote ait plutôt lieu au moment prévu au point 1, comme s’il avait été différé à ce moment-là, et soit par la suite gouverné par les autres dispositions du présent ordre;

4.si un vote par appel nominal sur le projet de loi C-262 est demandé après que le Président doit interrompre les délibérations alors en cours conformément aux dispositions du présent ordre, le vote ne soit pas reporté et la sonnerie ne retentisse qu’une fois pendant 15 minutes et qu’elle ne retentisse pas de nouveau pour les votes par appel nominal demandés subséquemment au sujet du projet de loi;

5.si le Sénat ne siège pas le 19 juin 2019, les dispositions du point 1 et les autres dispositions du présent ordre régissent les délibérations sur le projet de loi C-262 lors de la prochaine séance du Sénat comme s’il s’agissait du jour prévu dans le présent ordre;

6.le jour où le Sénat doit rendre une décision finale au sujet du projet de loi C-262 conformément au présent ordre, aucune motion visant à lever la séance ne soit reçue, et l’application des dispositions du Règlement et de tout ordre antérieur concernant la levée d’office de la séance et sa suspension à 18 heures soit suspendue tant que le Sénat n’aura pas rendu, conformément au présent ordre, sa décision finale sur le projet de loi;

7.il soit entendu que rien dans le présent ordre n’empêche que les délibérations sur le projet de loi C-262 prennent fin avant la date prévue dans le présent ordre.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, appuyée par l’honorable sénatrice Simons, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, tel que modifié.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui dans le cadre de mes efforts continus en vue d’être solidaire de la sénatrice McCallum et de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Je vais vous faire part de mes grandes inquiétudes au sujet du projet de loi C-92.

[Français]

Au Manitoba, les enfants des Premières Nations qui sont pris en charge par le système des Services à l’enfance et à la famille vivent une crise humanitaire, comme l’a indiqué l’ancienne ministre des Services aux Autochtones, Jane Philpott.

[Traduction]

Le système d’aide à l’enfance du Manitoba est toujours profondément enraciné dans le colonialisme. Le projet de loi C-92 n’a pas été élaboré par les Premières Nations ni en collaboration avec celles-ci. Qui plus est, l’Assemblée des chefs du Manitoba a fait remarquer que le projet de loi C-92 va probablement annuler les progrès réalisés par les Premières Nations dans cette province.

L’Assemblée des chefs du Manitoba a souligné que le projet de loi C-92 contient un certain nombre de dispositions qui risquent de nuire gravement aux enfants des Premières Nations au Manitoba.

L’assemblée s’est dite préoccupée tout particulièrement par le fait que le projet de loi C-92 ne traite pas adéquatement des principaux défis auxquels le Manitoba est confronté. Ces préoccupations comprennent la surreprésentation flagrante des enfants des Premières Nations parmi les enfants qui sont pris en charge par l’État, la dynamique historiquement problématique entre les Premières Nations du Manitoba et le gouvernement provincial, ainsi que l’approche antagoniste à l’égard de la réforme provinciale du système d’aide à l’enfance au Manitoba.

La poursuite ou le renforcement des politiques coloniales d’aide à l’enfance aura un effet intergénérationnel néfaste sur les enfants des Premières Nations au Manitoba. En tant que Manitobaine, je suis consciente de cette réalité.

(0920)

Au Manitoba, environ 11 000 enfants sont pris en charge, dont 90 p. 100 sont des Autochtones.

En janvier dernier, une femme des Premières Nations s’est fait enlever son bébé de deux jours. On lui a retiré des bras alors qu’elle était assise dans un lit d’hôpital. Le bébé a été emmené par des préposés au soin des enfants qui ont été escortés à l’hôpital par des policiers. Dans une déclaration écrite, la mère a dit ceci :

Il est triste que de telles situations se produisent si souvent. Il a été traumatisant pour moi de voir le manque d’empathie et de compassion qui m’a été témoigné lorsque mon enfant m’a été retiré et même à ma première comparution devant le tribunal. Si mon bébé et moi avons sensibilisé la population au problème qui existe au Manitoba, j’en serais heureuse.

Chers collègues, je crois qu’il est étonnamment généreux de la part de cette mère de considérer la prise en charge de son nouveau-né comme une habitude bien ancrée et d’espérer être en mesure de sensibiliser les gens à l’ampleur du problème en parlant de son expérience.

Il ne s’agit pas d’un incident isolé. On rapporte qu’en moyenne au Manitoba, un nouveau-né par jour est pris en charge. En réaction à l’horrible situation du système d’aide à l’enfance au Manitoba pour les enfants autochtones, en décembre 2017, les Premières Nations de la province, par l’entremise de l’Assemblée des chefs du Manitoba, ont signé un protocole d’entente concernant les services d’aide à l’enfance avec le Canada et la ministre des Services aux Autochtones de l’époque, Jane Philpott.

Le plan de travail prévu dans le protocole d’entente consiste à élaborer un cadre conformément auquel la pleine compétence sur les questions relatives à l’enfance et à la famille doit revenir aux Premières Nations dans un délai de cinq ans. Je souligne qu’il existe une différence entre la pleine compétence et les accords de coordination énoncés dans le projet de loi. En effet, seule la pleine compétence est reconnue dans les questions relatives à l’enfance et à la famille.

Selon le protocole d’entente de 2017, le gouvernement fédéral doit élaborer un projet de loi qui applique les modèles de loi sur les enfants et les familles en respectant les cinq nations et groupes linguistiques du Manitoba.

Dans le cadre de ses obligations au titre de ce protocole d’entente, l’Assemblée des chefs du Manitoba a rédigé l’ébauche de la Bringing Our Children Home Act, un projet de loi fédéral propre aux Premières Nations du Manitoba.

L’Assemblée des chefs du Manitoba a également mis au point un processus et une structure pour la mise en œuvre de la Bringing Our Children Home Act sous la houlette des Autochtones. La Bringing Our Children Home Act a été élaborée à la suite de consultations communautaires approfondies sur le droit traditionnel des Premières Nations en matière de protection de l’enfance. L’élaboration de la loi dans le cadre du protocole d’entente est un exemple de ce que pourrait être et devrait être une relation de nation à nation.

Il y a un contraste frappant entre la version préliminaire de la Bringing Our Children Home Act et le projet de loi C-92. Dans le cas du projet de loi C-92, il s’agit d’une mesure législative panautochtone qui n’a pas été élaborée en consultation avec les dirigeants des Premières Nations du Manitoba. Le projet de loi C-92 modifie fondamentalement l’approche dont le Canada avait convenu dans le protocole d’entente de 2017 avec l’Assemblée des chefs du Manitoba et les Premières Nations de la province, souvent à l’initiative de chefs qui sont des femmes et qui participent activement et depuis très longtemps aux efforts de réforme du système.

En raison des divergences existant entre le projet de loi C-92 et la Bringing Our Children Home Act, la sénatrice McCallum et moi-même avons écrit au ministre O’Regan pour demander une lettre d’engagement relativement aux répercussions du projet de loi C-92 sur les services autochtones pour les Premières Nations du Manitoba.

Dans cette lettre, nous disions au ministre qu’un engagement de sa part :

[...] contribuerait à dissiper ces doutes et serait l’occasion d’expliquer dans quelle mesure le projet de loi concourra à la recherche de solutions viables pour concrétiser la vision de l’Assemblée des chefs du Manitoba ainsi que des Premières Nations relativement à la réforme du système d’aide à l’enfance au Manitoba.

L’Assemblée des chefs du Manitoba représente 62 des 63 Premières Nations reconnues au Manitoba. Les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ont appris que la Southern Chiefs’ Organization du Manitoba appuie le projet de loi C-92. J’aimerais vous faire part de la déclaration explicative diffusée cette semaine par l’Assemblée des chefs du Manitoba.

La Southern Chiefs’ Organization est mandatée par la province en vertu de la Loi sur les régies de services à l’enfant et à la famille de nommer les administrateurs de la Régie des services à l’enfant et à la famille des Premières Nations du sud du Manitoba. Toutefois, la régie est créée par la loi du Manitoba et, ultimement, rend des comptes à la ministre des Familles et non aux gouvernements des Premières Nations.

Voilà qui consacre encore plus le système provincial.

La Southern Chiefs’ Organization a aussi déclaré officiellement qu’elle appuyait la réforme des services à l’enfance du Manitoba. Toutefois, on constate de plus en plus que le passage à une approche de financement global de l’aide à l’enfance entraîne des conséquences aussi dramatiques que nuisibles pour les familles des Premières Nations.

En tant que sénatrice indépendante du Manitoba résolue à être une alliée des peuples autochtones de la province, notamment en ce qui concerne le bien-être et les droits des enfants, j’ai le devoir de soulever ces préoccupations, et je vous prie d’y accorder votre attention, chers collègues. Merci, meegwetch.

L’honorable Sandra M. Lovelace Nicholas : L’honorable sénatrice accepte-t-elle de répondre à une question?

La sénatrice McPhedran : Oui.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci. Je me soucie des enfants de ma province. Nous devrions tous être solidaires. En effet, qu’arrivera-t-il aux enfants des autres provinces si le projet de loi n’est pas adopté? Des enfants de partout au Canada en pâtiront.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup pour votre question. Je pense que la meilleure façon d’y répondre serait de me référer à la lettre que la sénatrice McCallum et moi avons écrite au ministre, parce qu’une partie des points qui y étaient soulevés concernait le libellé du projet de loi C-92, qui a continué à susciter la confusion. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous demandons au ministre de rédiger une lettre d’engagement comprenant une explication.

Dans la lettre, nous disons :

De plus, l’Assemblée des chefs du Manitoba s’est dite préoccupée par le fait que le projet de loi C-92 nuira, en réalité, aux enfants des Premières Nations du Manitoba, parce qu’il ne tient pas suffisamment compte de la réalité de la surreprésentation des enfants des Premières Nations pris en charge, de la relation historique entre les Premières Nations et le gouvernement provincial du Manitoba et de l’approche problématique de la réforme provinciale des services de protection de l’enfance du Manitoba. Des éclaircissements s’imposent quant à la possibilité d’« adhérer » à ce projet de loi et quant à l’état d’avancement du projet de loi intitulé « Bringing Our Children Home Act », qui est élaboré par l’Assemblée des chefs du Manitoba sous la direction de femmes chefs pour répondre aux réalités du Manitoba. On craint vivement que des années de travail des dirigeants des Premières Nations ne soient retardées par ce projet de loi.

La lettre d’engagement que nous vous demandons à titre de ministre au sujet du projet de loi C-92 contribuerait à dissiper ces doutes et serait l’occasion d’expliquer dans quelle mesure le projet de loi concourra à la recherche de solutions viables pour concrétiser la vision de l’Assemblée des chefs du Manitoba ainsi que des Premières Nations relativement à la réforme du système d’aide à l’enfance au Manitoba.

C’est ce que prévoit le protocole d’entente de 2017. C’est comme si ce contrat avec le gouvernement fédéral était d’une manière ou d’une autre complètement sorti de la conscience des fonctionnaires fédéraux et du ministre lors de la négociation du contrat.

Je veux aussi clarifier que j’ai su qu’un député fédéral du Manitoba a dit aux médias que le ministre avait demandé pendant des semaines à nous rencontrer, la sénatrice McCallum et moi, et je tiens à dire publiquement que nous ne sommes au courant de rien de tel. Nous aurions été enchantées de le rencontrer.

Ce que je dis, sénatrice Lovelace Nicholas, c’est que, bien entendu, une mesure législative panautochtone pourrait s’appliquer dans tout le pays si les Premières Nations et des peuples autochtones décidaient qu’ils voulaient l’appliquer. Il en irait de même au Manitoba, d’autant plus qu’il y a déjà un protocole d’entente dans cette province qui a servi de base à la mesure législative en ce qui concerne le Manitoba.

(0930)

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de cette réponse.

Accepteriez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice McPhedran : Oui.

La sénatrice Lovelace Nicholas : J’ai travaillé avec des chefs, en particulier ou en groupe, et je peux vous dire qu’ils n’écoutent pas tous ce que leur disent les gens de la base. Voilà ce qui me dérange.

Votre province a des problèmes, et la mienne va évidemment en avoir également. Je crains fort que si ce projet de loi n’est pas adopté, nous n’arrivions à rien.

La sénatrice McPhedran : Vous venez de faire une déclaration très importante, et j’en prends acte avec beaucoup de respect, mais je n’ai pas entendu de question.

Son Honneur le Président : La sénatrice McCallum a la parole.

L’honorable Mary Jane McCallum : Merci, Votre Honneur.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

J’avoue, honorables sénateurs, que si j’ai été tout d’abord enthousiasmée en apprenant que ce projet de loi était en préparation, j’ai de sérieux doutes sur son exécution depuis que j’en ai examiné le texte, avant son renvoi à la Chambre des communes. Même avec les amendements, il y a encore trop de questions sans réponse.

Comme la plupart d’entre vous le savent pertinemment, les cas d’enfants autochtones arrachés à leur famille ont été très nombreux pendant des décennies. Malgré les innombrables demandes faites pour corriger la situation, il n’y a eu aucune amélioration tangible de cette triste réalité. Si j’admire le gouvernement d’avoir eu le courage de se pencher sur la question, je pense que ce projet de loi ne donnera pas forcément les résultats positifs espérés.

Honorables sénateurs, dans son ouvrage intitulé Native Children and the Child Welfare System publié en 1983, le directeur général du Conseil canadien de développement social, T. Hunsley, déclarait :

En ce qui concerne la prise en charge des enfants incapables de vivre avec leur propre famille, nous avons vu des progrès considérables depuis 60 ans. Cependant, il est de plus en plus évident que les enfants autochtones et leurs familles n’ont pas bénéficié de ces avancées [...] Les questions en cause sont si complexes que peu de gens comprennent pourquoi ou même de quelle façon le système s’est avéré incapable de remplir ses obligations envers les enfants autochtones. Le CCDS est d’avis qu’il faut étudier sérieusement et immédiatement les lacunes du système d’aide à l’enfance canadien et ses effets sur les Autochtones.

Honorables sénateurs, nous avons vécu près de 100 ans de prise en charge par les systèmes provinciaux. Au fil du temps, ces systèmes ont continué d’arracher d’innombrables enfants à leurs familles et à leur culture, sans jamais résoudre les problèmes qui contribuent à perpétuer ce cycle. Nombre de ces enfants continuent de vivre en exil, incapables de se réconcilier avec leur famille, leur communauté ou les autres Canadiens. Aujourd’hui encore, il n’existe aucun programme pour les jeunes adultes qui ne sont plus pris en charge en raison de leur âge. Ils n’ont pas de filet de sécurité. Nous ne savons pas quel pourcentage de ces jeunes ont fréquenté un centre de détention pour jeunes. Il n’y a pas de ressources adéquates pour ce groupe de jeunes en particulier.

Selon un rapport publié en septembre 2018 par le comité d’examen des lois du Manitoba, intitulé Améliorer les résultats pour nos enfants et nos jeunes, le nombre d’enfants pris en charge a augmenté de 85 p. 100 au Manitoba au cours de la dernière décennie. Parmi ce nombre, 90 p. 100 sont des Autochtones, et 60 p. 100 sont des pupilles de l’État, c’est-à-dire qu’ils sont placés sous la tutelle permanente d’un organisme de services à l’enfance et à la famille et que leurs parents ont perdu leurs droits de garde.

Le budget annuel d’aide sociale à l’enfance du Manitoba a presque triplé au cours des 12 dernières années, atteignant 514 millions de dollars en 2016-2017. Cela équivaut à peu près à 46 800 $ pour chaque enfant pris en charge. Je tiens à signaler que cette somme n’englobe pas les fonds fédéraux pour les services à l’enfance et à la famille dans les réserves.

Même si le projet de loi C-92 donne très peu de détails sur le financement, j’ose espérer que les Premières Nations, les Métis et les Inuits au Manitoba recevront autant d’argent pour ce dossier que la province. Cela constituerait un pas vers l’équité.

Honorables sénateurs, j’aimerais citer un extrait de ce rapport du Manitoba. On peut y lire ceci :

Même si, en principe, le système de services à l’enfance et à la famille est décentralisé, il n’y a pas eu de délégation significative, ou de transfert, des ressources et des pouvoirs aux communautés et aux gouvernements autochtones.

Honorables sénateurs, la compétence de la province en matière de services à l’enfance est, disons-le franchement, une vache à lait pour elle. Au bout du compte, il n’est pas dans son intérêt économique de simplement renoncer à sa mainmise dans ce dossier. Même si la province est fortement motivée à conserver celle-ci, le projet de loi C-92 ne prévoit aucun mécanisme l’obligeant à coopérer de bonne foi avec les communautés autochtones.

Au comité, on nous a dit qu’il y a : « [...] une période d’un an. Si une entente est conclue avant ce délai, le texte législatif a force de loi à titre de loi fédérale et il a préséance. Ils n’ont pas à attendre un an s’ils ont une entente avec la province ou le territoire. » On ne parle nulle part d’une obligation de tenir des réunions entre les provinces et le gouvernement fédéral en vue d’effectuer ce transfert de pouvoir.

On ne prévoit pas non plus de mécanisme à suivre si un groupe autochtone ne parvient pas à rencontrer la province dans le délai d’un an. Est-ce à dire que, dans ce cas, le groupe autochtone devra attendre une année de plus pour procéder au transfert? Qui facilitera ce processus s’il faut obliger une province à négocier? Qui tranchera que le groupe autochtone dans cette situation est prêt à faire le transfert et qui est responsable?

Honorables sénateurs, comme je suis ici pour représenter ma région et ma province, j’aimerais vous parler d’un problème qui sévit au Manitoba : le nombre d’enfants autochtones pris en charge par le système d’aide à l’enfance est en augmentation.

L’Assemblée des chefs du Manitoba, avec laquelle j’ai collaboré étroitement dans le cadre des travaux sur ce projet de loi, a indiqué à de nombreuses reprises que le gouvernement provincial refuse de négocier le transfert des pouvoirs. Le refus de la province de négocier dans ce dossier alors qu’elle continue de faire des profits au détriment des enfants des Premières Nations est l’une des principales raisons pour laquelle l’Assemblée des chefs du Manitoba n’appuie pas ce projet de loi. Cette dernière voulait obtenir la confirmation que le projet de loi ne renforcera pas davantage les compétences de la province aux dépens des corps dirigeants autochtones, mais elle n’a pas eu de réponse.

Honorables sénateurs, il convient de noter que les Premières Nations du Manitoba sont les mieux placées pour s’occuper de ce dossier.

La sénatrice McPhedran a également soulevé la question du protocole d’entente. Dans le cadre de celui-ci, le gouvernement fédéral a accordé 1 million de dollars à l’Assemblée des chefs du Manitoba. Je suis fière d’annoncer que ce projet de loi a été adopté, et qu’il a pour titre Bringing Our Children Home Act.

Le conseil des femmes de l’Assemblée des chefs du Manitoba a accompli un travail remarquable sur cette loi et il a collaboré avec les cinq tribus du Manitoba pour qu’on la traduise dans leur langue respective. Pourtant, malgré le fait que l’Assemblée des chefs du Manitoba est prête à aller de l’avant dans ce dossier, à l’aide de ses propres mesures législatives, on déplore que les lois occidentales continuent à coloniser la gouvernance autochtone et à avoir préséance sur cette dernière.

Comme l’un des conseillers l’a souligné lors de l’étude article par article du projet de loi : « Cela énonce un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale. » C’est ce qu’il a dit.

Cette autonomie gouvernementale se limite-t-elle aux lois sur la protection de l’enfance ou s’agit-il d’une entente sur l’autonomie gouvernementale? Combien d’ententes sur l’autonomie gouvernementale ont fonctionné? Qu’a-t-on appris de ces ententes qui n’ont pas fonctionné, et quel sera le rôle résiduel du gouvernement fédéral? Qu’en est-il des revendications territoriales en suspens? Il y a plus de questions que de réponses.

(0940)

Honorables sénateurs, l’Assemblée des chefs du Manitoba avait d’abord demandé que le projet de loi comprenne une disposition de retrait, citant les progrès obtenus dans le cadre du protocole d’entente dont je parlais, ainsi que le manque de volonté historique et soutenu des provinces à travailler ensemble. Cependant, comme je l’ai réalisé lors de l’étude article par article, une telle solution n’a jamais vraiment été sur la table.

Les Premières Nations, les Métis et les Inuits en sont réduits à se contenter de ce projet de loi s’ils ne veulent pas être laissés de côté et ne plus jamais avoir l’occasion d’être inclus. La situation est peut-être différente pour ceux qui auront bientôt une entente sur l’autonomie gouvernementale, mais, pour les autres, il serait aventureux de rejeter cette mesure législative.

Comme l’a si bien dit Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, dans sa lettre d’opinion du 6 juin :

Le projet de loi C-92 offre aux enfants autochtones un pacte faustien colonialiste : soit vous acceptez ce mauvais projet de loi dans sa forme actuelle, soit vous n’obtenez rien.

Le projet de loi C-92 a causé beaucoup de division au sein des communautés et des institutions des Premières Nations, des Métis et des Inuits. C’est dû en grande partie au fait que l’histoire, la réalité et les besoins de ces trois groupes sont bien différents. Comme le gouvernement se targue d’adopter une approche fondée sur les différences dans les dossiers autochtones, il est décevant de voir un projet de loi aussi important avoir recours à une approche panautochtone. Ce qui convient à certaines Premières Nations ne convient pas nécessairement aux autres Premières Nations, aux Inuits ou au Métis.

Je sais qu’une approche universelle ne permettra pas de s’attaquer de façon efficace aux problèmes enracinés si profondément et depuis si longtemps de ces trois groupes, qui possèdent chacun une culture propre et distincte. Par surcroît, un modèle panautochtone ne pourrait pas prendre en compte l’unicité des expériences passées et actuelles des Premières Nations, des Métis et des Inuits pour assurer un financement équitable. Or, à défaut d’un financement approprié, les efforts seront forcément voués à l’échec, et ces groupes se retrouveront tous dans une situation pire qu’aujourd’hui.

Honorables sénateurs, les systèmes actuels et antérieurs n’ont pas permis de faire des progrès au chapitre de la protection de l’enfance, notamment parce que les déterminants sociaux de la santé et leur incidence sur la qualité de vie des membres des Premières Nations et des communautés métisses et inuites n’ont pas été pris en compte.

Lorsque des parents ne peuvent pas subvenir aux besoins élémentaires d’un enfant parce qu’ils sont aux prises avec des problèmes de santé, notamment la dépendance ou la dépression, qui résultent de l’oppression, comment leur situation peut-elle s’améliorer si on ne leur fournit pas de ressources adéquates sur tous les plans pour y parvenir?

Il est utile de noter que les déterminants sociaux de la santé, notamment le logement, l’emploi, la sécurité alimentaire, les soins de santé mentale et la justice, qui dépassent la portée de ce projet de loi, revêtent une importance vitale pour briser ce cycle de prise en charge des enfants autochtones.

Il n’est fait mention ni d’une coordination entre les divers ministères fédéraux ni de la façon dont ils organiseraient les services requis par chaque communauté pour respecter les exigences de cette mesure législative.

En ce qui me concerne et en ce qui concerne les nombreuses femmes dont je me fais la porte-parole dans cette enceinte, qui sont de partout au Canada, trop de questions demeurent sans réponse.

Je voterai contre le projet de loi C-92.

Je remercie Cora Morgan; le bureau du protecteur des familles; le conseil des femmes de l’Assemblée des chefs du Manitoba; Arlen Dumas, grand chef de l’assemblée; et tous les chefs du Manitoba de leur excellent travail au cours de ce processus. Ki na nas ko mi ti na wow pour vos efforts, votre enthousiasme et votre détermination. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Murray Sinclair : Honorables sénateurs, je prends la parole à propos de quelques-unes des questions qui ont été soulevées concernant les observations de nos deux collègues ici présentes. Comme vous le savez, j’appuie le projet de loi depuis le début, même s’il comporte indéniablement un nombre considérable d’imperfections.

Si je comprends bien, l’Assemblée des chefs du Manitoba redoute notamment que le projet de loi l’emporte sur toutes les démarches qu’elle a faites ou tous les progrès qu’elle a réalisés jusqu’à présent dans ses négociations avec les provinces et le gouvernement fédéral.

Or, lorsque je me suis entretenu avec des chefs qui m’ont téléphoné pour réclamer un projet de loi propre au Manitoba, je leur ai fait remarquer que, à l’heure actuelle, l’article 3 prévoit que le projet de loi n’aura aucun effet sur les accords actuels. En fait, ces accords l’emporteront sur les dispositions du projet de loi.

Si l’on examine l’article 3 du projet de loi, on constate qu’en cas de conflit entre le projet de loi et un accord existant relativement aux services de protection de l’enfance, à l’autonomie gouvernementale ou à toute autre question relative aux services à l’enfance et à la famille, l’accord existant l’emporte sur le projet de loi. Les dispositions du projet de loi n’ont pas préséance sur celles de l’accord.

L’Assemblée des chefs du Manitoba craint que le projet de loi ait des conséquences négatives sur le protocole d’entente, mais je ne pense pas que ce sera le cas, dans une certaine mesure. En effet, le protocole d’entente et tout autre accord connexe qui se rapporte aux services à l’enfance et à la famille l’emporteront sur la loi.

J’ai bien peur que rien ne change si nous n’adoptons pas le projet de loi. Pour nous, il ne fait aucun doute que la situation actuelle est inacceptable. C’est impensable que chaque province continue d’appliquer ses propres lois relatives aux services à l’enfance et à la famille, ce qui a mené à un nombre disproportionné de prises en charge d’enfants autochtones, et ce, sans tenir compte du bagage culturel et communautaire que les enfants autochtones doivent pouvoir conserver. Par conséquent, en rejetant le projet de loi, nous ne ferons que retourner à la case départ, ce qui est, selon moi, hors de question.

Il y a certainement des préoccupations qu’il faut cerner et reconnaître. L’une d’entre elles a été reconnue très tôt — et j’en ai fait part au ministre. Il s’agit de l’absence d’un engagement clair en matière de financement. Le projet de loi comporte maintenant des amendements à cet égard qui ont été négociés et dont le sénateur Patterson et moi avons parlé. Le gouvernement s’est engagé à tenir compte du financement dans le processus décisionnel relatif à tout futur accord avec les communautés autochtones.

Je trouve dommage que les seules voix que nous ayons entendues nous exhortant à voter contre le projet de loi soient celles des Premières Nations. Nous avons l’obligation de tenir compte de la voix des Métis et de celle des Inuits du Manitoba. Le Manitoba compte une population inuite distincte dans le Nord, en plus de la population inuite de la ville de Winnipeg. Elle sont également touchées par la loi. Nous devons reconnaître que nous n’avons pas entendu parler d’eux.

Même si j’hésite à dire qui ne dit mot consent, je sais que, par l’entremise de leurs organisations, les Métis du Manitoba espèrent pouvoir déterminer comment tourner ce projet de loi à leur avantage. Ils n’ont pas émis de réserves à l’égard de cette mesure législative.

Mon dernier point porte sur une des dispositions importantes du projet de loi. Le sénateur Patterson en a d’ailleurs parlé dans son discours. Le projet de loi reconnaît que la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille fait partie des droits à l’autodétermination des peuples autochtones conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, le fait de retirer ce principe aux peuples autochtones, en particulier au Manitoba ou ailleurs au pays, en votant contre ce projet de loi constituerait un pas en arrière, car je crois que ces peuples ont hâte de pouvoir affirmer leur compétence en la matière.

Honorables sénateurs, je m’oppose à l’idée de voter contre ce projet de loi. Je continue d’appuyer cette mesure. Je vais répéter une chose qui a déjà été dite à maintes reprises dans cette enceinte : ce projet de loi n’est pas parfait, mais il ne faut pas que la perfection devienne l’ennemi du bien. Il s’agit d’un bon projet de loi. Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Sénatrice McCallum, vous avez une question?

La sénatrice McCallum : On a laissé entendre qu’il aurait été préférable que ce projet de loi soit scindé en trois mesures législatives distinctes. Si nous en avions l’occasion avec le prochain gouvernement, est-ce que ce serait plus efficace?

(0950)

Le sénateur Sinclair : Je pourrais sûrement trouver 187 différentes façons d’améliorer le projet de loi. D’aucuns diraient, et avec raison, qu’il faudra éventuellement envisager la reconnaissance des droits et des pouvoirs précis des divers groupes autochtones au Canada. Toutefois, pour l’instant, nous avons un projet de loi qui dit essentiellement aux gouvernements provinciaux que leurs pratiques ont entraîné la prise en charge injuste et exagérée d’enfants autochtones dans le système d’aide à l’enfance et que nous devons régler ce problème. Or, nous pourrions y parvenir en permettant aux corps dirigeants autochtones d’exercer pleinement leurs pouvoirs.

Le projet de loi permet maintenant aux Premières Nations d’exercer leurs pouvoirs en vertu de la loi fédérale. On peut soutenir qu’ils pouvaient exercer leurs pouvoirs en vertu de la Constitution, mais ces pouvoirs n’avaient jamais été clairement énoncés dans une décision du tribunal. Ainsi, je crois qu’à l’avenir, lorsque nous nous pencherons sur la possibilité d’adopter des lois distinctes pour la protection des enfants inuits, métis ou des Premières Nations, il faudra se demander pourquoi nous voudrions continuer à légiférer pour les peuples autochtones s’ils peuvent commencer à le faire pour eux-mêmes.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, j’interviens pour parler du projet de loi C-92. J’aimerais souligner le fait que nous nous trouvons sur un territoire traditionnel de la nation algonquine Anishnabeg non cédé et non abandonné.

Je profite de l’occasion pour remercier la marraine, la sénatrice LaBoucane-Benson, et ses collègues du Comité des peuples autochtones pour tout le travail qu’ils ont accompli sur ce projet de loi.

Le projet de loi C-92 vise trois objectifs : affirmer les droits et la compétence des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille; établir un cadre pour la prestation de ces services partout au Canada, et contribuer à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le projet de loi peut potentiellement faciliter la réconciliation en redonnant aux communautés autochtones leur pouvoir de décision afin qu’elles puissent s’occuper de leurs enfants à leur façon.

Toutefois, même si je félicite le gouvernement du Canada pour ses efforts, je partage les préoccupations d’autres collègues qui ont pris la parole : j’aurais aimé que nous ayons plus de temps pour discuter en profondeur de ce projet de loi au lieu de l’adopter à toute vapeur dans les dernières semaines de la session parlementaire. Les enfants autochtones ne méritent rien de moins, en particulier quand on pense au rôle que le Canada a joué dans la tragédie des pensionnats indiens, de l’enlèvement d’enfants santionné par l’État — qu’on désigne souvent du nom de « rafle des années 1960 » —, et de la prestation de services à l’enfance et à la famille discriminatoires, comme l’ont montré les nombreuses décisions du Tribunal canadien de la personne.

En tant que Chambre de second examen objectif, nous avons le devoir de représenter ceux qui ne peuvent se faire entendre et de combler les lacunes législatives qui existent. Je reprends donc certaines des préoccupations entendues par le Comité des peuples autochtones dans le cadre de son étude préalable de la mesure législative.

Selon certains spécialistes et défenseurs de longue date des droits des enfants, le projet de loi comporte d’importantes lacunes, surtout en ce qui concerne les effets concrets qu’il aura sur la vie des enfants autochtones. Ces lacunes risquent d’en faire une mesure inefficace.

La Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada a insisté sur le fait que compétence et financement vont de pair, la compétence étant un droit intrinsèque des peuples autochtones et le financement étant essentiel à la réalisation de ce droit intrinsèque. L’organisme Jeunes pris en charge Canada estime également que les jeunes actuellement ou anciennement pris en charge doivent avoir accès à un financement suffisant et équitable.

Après 12 ans de litiges contre la Couronne, toujours en cours, pour essayer d’obtenir un financement équitable pour les services à l’enfance et aux familles des Premières Nations et 7 — je dis bien 7, honorables sénateurs — ordonnances de non-conformité rendues contre le gouvernement par le Tribunal canadien des droits de la personne depuis 2016 seulement, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations a demandé au Sénat d’inscrire les principes de financement du tribunal dans cette mesure législative, à savoir une approche qui favorise l’égalité réelle qui et tient compte des besoins, de la culture et du caractère distinct des communautés où vivent les enfants.

Malgré l’ajout récent par l’autre endroit d’un énoncé concernant le financement dans l’article du projet de loi portant sur l’« accord de coordination », y compris le principe de l’égalité réelle et une approche fondée sur les besoins, tout gouvernement, dont le gouvernement fédéral, n’est toujours pas formellement tenu de financer équitablement les services d’aide à l’enfance. Non, il n’y est pas tenu.

En fait, lors de son témoignage devant le comité, Cindy Blackstock, directrice générale de l’organisme La Société de soutien, a fait allusion à une étude réalisée par l’institut Yellowhead. Dans cette étude, cinq éminents professeurs de droit autochtones ont accordé une note moyenne de « C » à cinq aspects du projet de loi. L’institut n’a pas donné la note de passage à l’aspect du projet de loi qui vise le financement et il a réclamé la conclusion d’un accord de financement contraignant.

En outre, le projet de loi C-92 ne renferme pas le plan Spirit Bear pour corriger les inégalités dans les services destinés aux Premières Nations et pour réformer la relation entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations et les enfants qui en font partie. Le gouvernement fédéral n’a pas adopté ce plan non plus en dehors du projet de loi C-92 et il a déclaré sous serment qu’il n’a pas de plan équivalent pour corriger toutes les inégalités dans les services publics qu’il finance.

Toute décision judiciaire éventuelle voulant que le Canada ait l’obligation formelle de financer les services d’aide à l’enfance pourrait donner lieu à de nombreux litiges, ce à quoi la plupart des communautés des Premières Nations ne seraient pas en mesure de répondre, et de loin.

De plus, même si le projet de loi interdit le retrait d’enfants en raison de la pauvreté de leur famille, il ne s’attaque pas aux facteurs systémiques d’inégalité sous-jacents qui acculent les enfants à la pauvreté, notamment à la crise du logement et à la crise de l’eau dans les communautés des Premières Nations ou encore aux disparités dans l’accès à l’éducation préscolaire et aux soins de santé maternelle.

Les fonctionnaires fédéraux nous ont répété qu’ils avaient choisi un libellé vague pour le projet de loi afin que les communautés autochtones aient plus de marge de manœuvre au moment de rédiger leurs lois. Ce fait serait rassurant si une disposition claire sur le financement exigeait que les gouvernements financent les visions autodéterminées des communautés, mais il n’y en a pas. Une question s’impose alors : la préférence du gouvernement pour un libellé vague serait-elle donc motivée par sa volonté d’éviter d’être tenu par un libellé contraignant de financer des choses comme les soins après la majorité et la prévention primaire, secondaire et tertiaire? Après tout, plus la loi est vague, plus il est difficile pour les communautés autochtones de demander des comptes au gouvernement.

Pour citer Cindy Blackstock : « S’il y a à la fois autonomie et inégalité, le rêve de familles en santé que ce projet de loi vise à concrétiser ne sera pas réalisé. »

Honorables sénateurs, lorsque nous avons atteint l’âge de la majorité, même si nos parents nous ont poussés avec bonheur hors du nid, la plupart d’entre nous n’ont pas été laissés en plan ou abandonnés. Nous ne nous sommes pas réveillés un matin pour découvrir que nous étions seuls ou, comme l’écrivait Brian Raychaba, qui a été lui-même pris en charge, dans son livre To be on Our Own with No Direction from Home, sans foyer, sans famille et sans soutien financier.

Comme le soulignent depuis 1988 les membres du Réseau national des jeunes pris en charge, une organisation gérée par des jeunes âgés de 14 à 24 ans qui ont été pris en charge, les enfants qui se libèrent de la tutelle de l’État partagent les mêmes caractéristiques que celles des sans-abri et un trop grand nombre d’eux finissent dans la rue, morts ou en prison.

Comme le démontrent les nombreux décès décrits par la sénatrice Simons dans ses commentaires, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation sur les services de protection de l’enfance et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, trop de jeunes comme Tina Fontaine vivent dans des situations extrêmement précaires et vulnérables lorsqu’ils sont privés du soutien des services de protection de l’enfance en raison de leur âge. Malgré les plaidoyers sincères et urgents de nombreux jeunes et d’autres témoins, à l’heure actuelle, le projet de loi ne prévoit rien en ce qui a trait à ce besoin crucial pour les jeunes.

Malgré le libellé du projet de loi et ce que je crois être de bonnes intentions de la part du gouvernement, cette mesure législative ne garantit pas que les règlements corrigeront les lacunes et les problèmes à l’avenir.

Comme je l’ai déjà mentionné, depuis plus d’une décennie, les Premières Nations traînent le Canada devant les tribunaux pour obtenir des services à l’enfance et à la famille équitables, et le litige se poursuit, étant donné que le Canada refuse de recourir à la médiation pour régler les questions en suspens tout en demandant de compter sur leur bonne volonté pour discuter du financement relatif aux accords de coordination.

Dans le rapport provisoire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, on demandait de respecter intégralement la décision rendue en 2016 par le Tribunal canadien des droits de la personne, qui a conclu que le Canada faisait preuve de discrimination raciale à l’endroit des enfants des Premières Nations.

La semaine dernière, le rapport final de l’enquête nationale a été publié, indiquant que l’on n’a toujours pas pris acte de cette décision. La commission d’enquête nationale partage l’avis de Cindy Blackstock, qui dit ceci :

(1000)

Vu la richesse dont dispose ce pays, je crois qu’il faut instaurer immédiatement et complètement la parité pour les enfants des Premières Nations, et [non de] manière progressive et étalée dans le temps. Et, pour le dire franchement, s’ils ont les moyens [...] de dépenser cinq milliards pour un pipeline, ils sont capables d’éliminer les inégalités en matière d’éducation et dans les autres domaines qui touchent les enfants.

Honorables sénateurs, rien ne laisse croire que le gouvernement du Canada fournira prochainement un financement équitable par voie réglementaire. En fait, il continue de résister aux demandes en ce sens. Par conséquent, si aucune disposition sur le financement n’est inscrite dans la loi, les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis resteront à la merci des priorités politiques en matière de financement et de réglementation.

Les jeunes qui ne sont que trop conscients des échecs du système d’aide à l’enfance et des problèmes qui touchent les enfants pris en charge par l’État nous observent, et ils sont frustrés et craintifs, à juste titre. Nous devons reconnaître que les traumatismes et les échecs systémiques n’ont rien d’abstrait ou de théorique. Cela fait partie de la réalité d’un trop grand nombre d’enfants, en particulier les enfants autochtones du pays. Pour toutes ces raisons, j’implore les sénateurs de ne pas abandonner ces jeunes ou les générations suivantes, à qui on promet davantage, mais en prenant trop peu d’engagements.

Qu’ils votent pour ou contre ce projet de loi, j’exhorte tous les sénateurs à ne pas oublier qu’ils ont l’obligation morale, personnelle et législative d’améliorer la situation. Meegwetch. Merci.

L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, sous sa forme modifiée.

Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais en écoutant mes collègues ce matin, j’ai eu le sentiment que je devais dire quelques mots.

Premièrement, nous avons beaucoup parlé des préoccupations relatives au Manitoba. Le comité a tenté de proposer des suggestions pour y remédier. Malheureusement, si je ne m’abuse, l’amendement présenté a été jugé irrecevable. Nous avons entendu que le Manitoba souhaite se soustraire à l’application du projet de loi. Toutefois, nous avons également entendu que le projet de loi ne s’appliquera pas à cette province à moins qu’elle choisisse d’y adhérer. Elle n’est pas tenue de le faire. Le sénateur Sinclair a indiqué que le projet de loi C-92 ne l’emportera pas nécessairement sur le protocole d’entente du Manitoba.

Passons à la Saskatchewan et à l’Alberta quelques instants. Certes, le projet de loi jouit d’un excellent appui en Saskatchewan. Les gens de la Saskatchewan en réclament l’adoption.

La sénatrice McCallum a parlé de vache à lait. C’est le gros problème dont personne ne veut parler. Les provinces et les territoires ne veulent pas qu’on leur retire le système d’aide à l’enfance, car il est rentable pour eux. Ils prélèvent des frais d’administration. Ils obtiennent plus d’argent que les bandes pour administrer le système d’aide à l’enfance, alors ils ne veulent pas en perdre la responsabilité. La raison pour laquelle cette mesure législative arrive aussi tard dans la législature, c’est que le gouvernement fédéral avait l’obligation de discuter avec les provinces et les territoires pour tenter de les amener à négocier une entente acceptable pour les provinces.

Il a fallu du temps, parce qu’il y avait constamment des rumeurs au sujet du moment où nous recevrions le projet de loi, puis les ministres ont rencontré les ministres provinciaux et il n’est rien arrivé. Cette relation est un élément clé qui explique pourquoi le projet de loi est arrivé aussi tard et pourquoi certaines provinces ne veulent pas qu’on change le système.

Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Sinclair quant au fait que le statu quo est simplement inacceptable. Si on prend la situation en Saskatchewan et ce qui arrive parfois lorsque des enfants autochtones sont placés dans des foyers non autochtones, on trouve des histoires d’horreur. Il y a peut-être aussi des histoires d’horreur dans le cas inverse, mais, en tant que détenteurs de droits et citoyens du Canada, les Autochtones devraient pouvoir décider de ce qui advient de leurs familles. C’est un vestige du colonialisme qui a été maintenu dans les lois.

Il s’agit d’un système colonial. Nous devrions redonner aux familles autochtones le droit de regard sur les enfants autochtones. Le projet de loi le reconnaît, car nous l’avons amendé pour faire en sorte que le lien à la culture et à la communauté soit pris en compte dans la détermination de l’intérêt de l’enfant. Lorsqu’il est question de financement pour les services à l’enfance et à la famille, nous devons prendre en considération des éléments comme les bienfaits pour l’enfant sur le plan culturel et spirituel. L’ancien système était en quelque sorte axé sur les finances. Nous vous retirons votre enfant parce que, selon nous, votre maison n’est pas assez grande. Vous n’avez pas de chambre ou de lit distinct pour l’enfant? Nous allons vous l’enlever. L’enfant en souffre. Le statu quo est inacceptable.

Il y a eu des désaccords concernant le financement, mais, d’après ce que nous avons entendu, le mécanisme de financement dans la version initiale du projet de loi a été amendé par la Chambre des communes. On a modifié le libellé pour que soit pris en compte le principe de l’égalité réelle. Il ne s’agit pas d’un engagement de type budgétaire. Le Sénat ne peut pas ajouter une telle disposition au projet de loi. À cet égard, nos mains sont liées. Ces questions devront être réglées par les groupes un peu partout au pays tandis que les gouvernements des Premières Nations négocieront leurs accords de contribution avec le gouvernement fédéral. Ils pourront ensuite négocier le financement qu’ils jugent nécessaire.

Je vais lire ce que la Fédération des nations autochtones souveraines a dit sur ce projet de loi. Comme vous vous en souviendrez, le vice-chef David Pratt a témoigné devant le comité. Il a affirmé que toutes les Premières Nations de la Saskatchewan appuient fermement le projet de loi. Elles sont prêtes à aller de l’avant. La situation est diamétralement opposée à celle du Manitoba. Elles veulent retirer le contrôle au gouvernement provincial. Elles sont prêtes à aller de l’avant. Elles sont enthousiastes. Elles sont impatientes. Elles veulent lancer le processus.

Voici ce qu’a dit le vice-chef Pratt :

Les chefs régionaux de la Saskatchewan, par l’entremise d’une résolution de l’assemblée des chefs, appuient sans réserve le projet de loi C-92 pour obtenir ce que des milliers d’entre nous, membres des Premières Nations à l’échelle du pays, réclamons depuis longtemps : la pleine compétence sur les services à l’enfance pour nos enfants, dans le cadre de nos propres systèmes fondés sur notre langue et notre culture. Les provinces manquent à leurs devoirs envers nos enfants. Lorsqu’ils sont pris en charge par les provinces, les enfants meurent, sont un jour envoyés en prison ou succombent à de nombreuses dépendances. Il faut que cela change. Avec la présentation du projet de loi C-92, nous demandons respectueusement à tous de l’appuyer parce qu’il contribuera à sauver la vie de nombreux enfants. Voilà ce que de nombreuses personnes devraient se dire ce matin : sauvons la vie de ces enfants qui sont actuellement pris en charge par les services à l’enfance des provinces en appuyant le projet de loi C-92.

L’assemblée des chefs a adopté une résolution. Je ne pense pas que c’est nécessaire de la lire au Sénat. Cette résolution a été adoptée le 28 novembre 2018, soit il y a environ sept mois.

La Saskatchewan a donné le feu vert. Je pense que la marraine du projet de loi, Patti LaBoucane-Benson, l’a dit dans son discours.

Madame la sénatrice Pate, vous avez parlé de Cindy Blackstock. Toutefois, Mary-Ellen Turpel-Lafond a également comparu devant le comité, et nous savons qu’elle a veillé pendant 10 ans à la défense des droits des enfants et de la famille en Colombie-Britannique. Cette militante extrêmement talentueuse, passionnée et éduquée a très bien défendu le bien-être des enfants. Elle a ouvertement manifesté son appui à l’égard du projet de loi. J’aurais aimé avoir la transcription de son intervention. Elle a affirmé que la mesure législative est une avancée majeure pour les Premières Nations parce que ces dernières ne seront plus assujetties à l’article 88 de la Loi sur les Indiens, qui permet aux gouvernements provinciaux de prendre toutes les décisions concernant les services de protection de l’enfance. Grâce au projet de loi C-92, elles pourront échapper à la mainmise des provinces. Elles pourront administrer elles-mêmes leurs services d’aide à l’enfance et rompre le statu quo.

(1010)

Je suis consciente que la situation au Manitoba est problématique, mais si la Saskatchewan veut sincèrement aller de l’avant, alors j’imagine — comme l’a signalé mon collègue et ami — que la plupart des autres communautés autochtones du Canada voudront faire de même. Nous ne pouvons pas tout mettre sur la glace parce que les chefs du Manitoba ne sont pas convaincus.

C’est tout ce que j’avais à dire. J’appuie cette mesure de tout mon cœur et j’invite tous les sénateurs à l’appuyer eux aussi. Elle n’est peut-être pas parfaite, mais elle constitue néanmoins une avancée de taille. Le simple fait de pouvoir sortir du carcan de l’article 88 de la Loi sur les Indiens représente un bond de géant. Le seul autre moyen d’atteindre cet objectif, si l’on n’adhère pas à cette mesure, c’est l’autonomie gouvernementale, et nous savons tous à quel point ce processus peut être long. Ce projet de loi redonne un tant soit peu de contrôle aux Premières Nations. Comme l’a fait remarquer le vice-chef Pratt, les chefs de la Saskatchewan sont prêts à faire progresser les dossiers de l’aide à l’enfance et de l’éducation. Ce projet de loi leur permet de faire un premier pas en ce sens. Il s’agit d’un pas vers l’autonomie gouvernementale sans passer par un processus officiel de négociation qui coûte des millions et peut prendre des dizaines d’années avant d’aboutir. Je vous remercie. S’il vous plaît, votez oui.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Souhaitez-vous poser une question, sénateur Pratte?

L’honorable André Pratte : L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question? Je vous remercie. Je voterai pour le projet de loi parce qu’à mon avis les principes qui y sont exprimés sont extrêmement importants, pour ne pas dire cruciaux. Je me demande toutefois comment certaines provinces qui, comment dire, protègent un peu plus jalousement leurs champs de compétence, réagiront à ces principes nationaux.

Selon vous, comment vont se passer les discussions et la négociation des accords de coordination entre le gouvernement fédéral et les provinces? Si je ne me trompe, la loi n’a rien de contraignant, non? S’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’accord, un point c’est tout.

La sénatrice Dyck : Le projet de loi prévoit un délai d’un an pour que les provinces et les groupes s’entendent, mais de toute évidence, ils ne pourront pas tous y arriver. Au Manitoba, les groupes ont l’impression que c’est impossible, car le gouvernement provincial ne fait pas du tout preuve d’ouverture.

La Saskatchewan se trouve probablement dans une situation très semblable. En effet, le gouvernement provincial n’appuie vraiment pas l’idée de céder le contrôle aux Premières Nations. Malgré tout, il va se plier à ses obligations durant la période d’un an. Ensuite, les peuples autochtones retireront le contrôle à la province.

Après la période d’un an, les Autochtones auront le contrôle. Un an est un délai raisonnable. À l’heure actuelle, la seule façon pour eux d’obtenir celui-ci est de conclure une entente sur l’autonomie gouvernementale, qui est beaucoup plus complexe. Dans certains cas, les territoires peuvent être visés par des ententes sur des revendications territoriales. Tout comme Mme Mary Ellen Turpel-Lafond, je pense qu’il s’agit d’un grand pas dans la bonne direction.

L’honorable Dan Christmas : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Je suis vraiment reconnaissant à l’Assemblée des chefs du Manitoba du travail qu’elle a fait dans ce dossier. Elle est tellement en avance sur les autres que je crains que le projet de loi ne l’empêche d’avancer. J’ai été très impressionné lorsque ses membres ont expliqué comment ils élaborent des lois autochtones dans leur langue pour s’occuper de leurs enfants. J’ai trouvé cela extrêmement encourageant.

Je n’ai entendu aucun autre exemple de ce genre dans le cadre des témoignages présentés au Comité des peuples autochtones. Nous avons entendu des témoins d’autres régions parler de travail en collaboration avec leur province. Je me souviens du témoignage du grand chef des communautés de l’Ouest de l’Ontario visées par le Traité no 3. De plus, nous avons entendu le témoignage du chef Paul Prosper, de l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse. Ils ont indiqué avoir travaillé en étroite collaboration avec la province à l’élaboration conjointe d’une loi qui aide leurs enfants d’une manière plus productive.

Ce que je veux dire, c’est que l’Assemblée des chefs du Manitoba est dans une position enviable. Elle a pris une si grande longueur d’avance sur les autres qu’elle craint que le projet de loi lui mette des bâtons dans les roues. Comme le sénateur Sinclair, j’ai examiné attentivement le projet de loi, et je ne vois pas exactement comment il entraverait le travail de l’assemblée. La seule chose qui me vient à l’esprit, c’est que le projet de loi prévoit une période d’un an pendant laquelle les groupes autochtones travailleront avec les provinces pour conclure un accord de coordination. Bien sûr, le problème au Manitoba, c’est qu’il existe un profond antagonisme entre l’Assemblée des chefs du Manitoba et la province.

Le pire désagrément que subirait l’assemblée, c’est de devoir attendre la fin de cette période d’un an. Après, elle pourrait aller de l’avant avec sa mesure législative, qui aurait alors préséance sur le projet de loi et la loi provinciale.

À mon avis, il s’agit d’un grand pas en avant pour les Premières Nations du reste du pays. Je peux seulement parler au nom des Premières Nations, bien que je reconnaisse que ce projet de loi offre aussi des possibilités aux communautés métisses et inuites. Le projet de loi à l’étude nous permet de rédiger nos propres mesures législatives et d’adopter nos propres lois en ce qui a trait à la garde de nos enfants. Pour la première fois, nous ne serons pas assujettis à la loi provinciale.

Comme la sénatrice Dyck l’a mentionné, c’est l’article 88 de la Loi sur les Indiens qui représente aujourd’hui le statu quo. Il fait relever les communautés des Premières Nations de la compétence des provinces. Ce projet de loi nous permettra de nous libérer de la Loi sur les Indiens et de promulguer nos propres lois.

La sénatrice Dyck a évoqué l’appui solide que nous avons reçu de la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan. Animée par la force de ses convictions, celle-ci a été on ne peut plus claire et éloquente pour nous enjoindre de fermement appuyer la démarche en tant que membres du Comité des peuples autochtones.

Pour terminer, honorables sénateurs, voici comment je vois la situation. Des experts sont inquiets. Des organismes politiques sont inquiets. Je me dis alors, qu’en est-il des enfants? Qu’adviendra-t-il des enfants qui sont pris en charge ou qui le seront l’an prochain? Quel est le mieux pour eux? En rejetant ce projet de loi, nous maintenons le statu quo. Je dirais donc que même si ce projet de loi n’est pas parfait, il représente un énorme progrès pour les enfants qui sont pris en charge actuellement ou qui le seront à l’avenir.

Je suis favorable à ce projet de loi et je voterai pour lui. Pour autant, j’apprécie les opinions de mes collègues, de mes sœurs. Je comprends leur point de vue. Je pense que les sénateurs savent qu’il y a une très grande diversité parmi les peuples autochtones au Canada. Dans les circonstances, je les encourage à appuyer fortement le projet de loi.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, avec l’appui de l’honorable sénatrice Simons, propose que le projet de loi modifié soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(1020)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 12 juin 2019, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au lundi 17 juin 2019, à 18 heures;

Que les comités sénatoriaux devant se réunir ce jour-là soient autorisés à le faire afin d’étudier des affaires du gouvernement, même si le Sénat siège, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard;

Que, nonobstant toute autre disposition du Règlement, si un vote est reporté à ce jour-là, la sonnerie d’appel pour le vote retentisse au début de l’ordre du jour, pour 15 minutes, le vote ayant lieu par la suite;

Que l’application de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue ce jour-là.

— Honorables sénateurs, je propose l’adoption de la motion inscrite à mon nom.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 10 h 21, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 17 juin 2019, à 18 heures.)

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