Projet de loi sur le cannabis
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
1 février 2018
L’honorable Sénateur Marc Gold :
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-45, qu’on appelle aussi Loi sur le cannabis.
Honorables sénateurs, les Canadiens consomment du cannabis en grand nombre. Ils le fument et le vapotent. Ils en font des bonbons et des pâtisseries. Même si des millions de Canadiens le consomment de façon responsable, comme c’est le cas de ceux d’entre nous qui aiment boire un verre de vin à la fin de la journée, d’autres, jeunes comme vieux, en consomment excessivement et souvent de façon irresponsable, ce qui a des conséquences graves non seulement pour eux, mais également pour la société.
On ne peut nier que la consommation de cannabis au Canada constitue un problème social complexe à régler. Selon moi, le projet de loi C-45 est une bonne solution. Je m’explique.
Commençons par ce qui est évident. L’approche actuelle est un échec monumental, car elle n’a pas réduit la consommation de cannabis au Canada, tant chez les jeunes que chez les adultes et elle a favorisé l’essor d’un vaste marché non réglementé, illégal et dominé par les éléments criminels. Cela est bien étayé et se passe de plus amples explications. En effet, le rapport du Sénat publié en 2002 faisait clairement état de la situation et, comme l’ont souligné les sénateurs Dean et Pratte dans leur discours devant la Chambre, celle-ci n’a pas changé depuis.
Ensuite, la criminalisation de la possession de cannabis nuit à notre capacité de sensibiliser les Canadiens, en particulier les jeunes, aux risques bien réels que pose le cannabis pour la santé.
Honorables sénateurs, en exprimant mon appui au projet de loi C-45, je ne fais pas fi des risques que pose la consommation de cannabis pour la santé, y compris le développement du cerveau des adolescents. J’ai lu de nombreuses études scientifiques afin de me renseigner sur le sujet. Sans être un expert, je ne suis pas totalement ignorant par rapport aux connaissances scientifiques existantes et je n’y suis pas indifférent.
Je ne suis pas non plus inconscient du fait que, comparativement au cannabis consommé par les générations précédentes, celui d’aujourd’hui est plus puissant et présente une teneur en THC de beaucoup supérieure.
C’est précisément en raison des dangers de la consommation de cannabis, surtout lorsqu’elle est régulière, que j’appuie le projet de loi.
[Français]
N’oublions pas que le cannabis que consomment des millions de Canadiens est produit dans un marché non réglementé, diffus et illégal. Ni sa pureté ni sa puissance ne sont contrôlées ou connues. Cela a été confirmé dans un récent rapport qui a été publié dans La Presse, le 22 janvier 2018, où on nous informait que des échantillons de cannabis issu du marché noir étaient contaminés par des pesticides proscrits et par des champignons. En réglementant la production, la distribution et la vente du cannabis, le projet de loi C-45 permettra aux Canadiens d’avoir accès à une substance qui fait l’objet de contrôles de qualité rigoureux et qui est exempte de pesticides et d’autres contaminants nocifs. De plus, les Canadiens sauront ce qu’ils ingèrent — la teneur en THC et en CBD du produit qu’ils achètent, son lieu de production et son producteur.
De plus, en abandonnant notre politique ratée qui vise à criminaliser la possession et la consommation de cannabis, nous pourrons acquérir les connaissances nécessaires pour nous attaquer aux problèmes de santé liés à la consommation de cannabis. En fait, la criminalisation a entravé notre capacité d’effectuer des recherches appropriées sur la consommation de cannabis et sur son incidence sur la santé et le comportement des individus. Cette recherche est cruciale si nous voulons informer les Canadiens au sujet de la consommation responsable du cannabis.
[Traduction]
Surtout, le fait de continuer à criminaliser la consommation de cannabis nous empêche d’informer de façon crédible les jeunes Canadiens des connaissances existantes sur les risques que comporte la consommation de cannabis.
En criminalisant la consommation de cannabis, nous traitons implicitement cette substance comme si elle était pareille à d’autres drogues beaucoup plus dangereuses. En classant le cannabis et de telles drogues dans la même catégorie — en établissant de faux parallèles entre le cannabis et, par exemple, le fentanyl, comme un parlementaire l’a fait à l’autre endroit —, nous incitons les jeunes, qui sont déjà sceptiques, à remettre en cause tout ce qu’ils entendent sur les drogues en général. En plus d’embrouiller les véritables problèmes de santé associés au cannabis, cette approche risque de miner notre crédibilité lorsque nous les mettons en garde contre les dangers des amphétamines ou du crack.
Voilà qui me mène à mon troisième point.
Honorables sénateurs, je crois que la criminalisation du cannabis nuit au respect que portent les Canadiens au droit pénal et au système judiciaire en général.
L’approche actuelle expose des dizaines de milliers de Canadiens au système de justice pénale parce qu’ils sont en possession d’une substance qui, même si elle présente des risques pour la santé, est moins dommageable lorsqu’elle est consommée avec modération que beaucoup d’autres produits légaux que les Canadiens consomment en toute liberté.
Par principe, la situation ne semble pas correspondre à ce à quoi le droit devrait ressembler dans une société libre et démocratique. Si vous contestez le principe, vous devriez tout de même vous demander pourquoi autant de Canadiens choisissent de consommer du cannabis malgré le fait que ce soit illégal. Lorsque de très nombreux Canadiens enfreignent la loi, parce qu’ils considèrent que la possession de cannabis ne devrait pas être une infraction pénale, c’est le respect du droit qui s’en trouve miné. C’est malheureux, mais c’est une conséquence réelle du maintien de notre politique inefficace, qui repose sur des interdictions pénales visant à décourager les gens de consommer du cannabis.
(1510)
Quatrièmement, si j’appuie le projet de loi C-45, c’est parce que les coûts sociaux de la criminalisation de la possession de cannabis, particulièrement chez les jeunes, sont énormes et inacceptables.
Le taux d’infractions liées au cannabis est peut-être en chute, mais, chaque année, des dizaines de milliers de Canadiens se retrouvent dans le système de justice pénale simplement pour avoir eu du cannabis en leur possession. En 2016 seulement, Statistique Canada a rapporté plus de 44 000 cas de possession de cannabis, et 17 000 personnes ont fait l’objet d’accusations pour possession. Dans ma province, le Québec, 5 550 accusations ont été déposées.
Les incidences de cette situation sur les jeunes sont particulièrement troublantes. Parmi tous les cas de possession de cannabis relevés en 2016, près de 20 p. 100 concernaient des jeunes âgés de 12 à 17 ans.
Bien que toutes les accusations ne mènent effectivement pas à un verdict de culpabilité, et que tous les verdicts de culpabilité ne mènent pas à un emprisonnement, la réalité est que, entre 2008 et 2012, la dernière période pour laquelle des données sont disponibles, près de 4 000 personnes se sont retrouvées derrière les barreaux pour possession, dont 500 jeunes.
[Français]
Soyons clairs. L’incidence de l’application de nos lois sur le cannabis n’est pas la même dans tous les secteurs de la société canadienne. Un enfant de la classe moyenne qui vit dans les banlieues peut s’en tirer avec un avertissement de la police locale. Toutefois, beaucoup d’autres ne s’en tirent pas aussi aisément. Nous ne pouvons et ne devons pas rester indifférents aux répercussions disproportionnées de nos lois sur les jeunes Autochtones, les membres d’autres minorités raciales et les plus démunis de notre société.
Ajoutez à cela le marché illégal florissant du cannabis. Il enrichit non seulement les dirigeants du crime organisé, dont la plupart agissent en toute impunité, mais il attire également un nombre important de Canadiens relativement ordinaires qui, par leur situation économique ou leur propre dépendance à la drogue, finissent par devenir les protagonistes de réseaux illégaux de culture, de distribution et de vente. Ce sont eux qui sont généralement accusés et condamnés, mais c’est nous, comme société, qui payons le prix de maintenir ce très vaste et lucratif marché illégal.
[Traduction]
Honorables sénateurs, la réalité est que les Canadiens continueront de consommer du cannabis, que le projet de loi C-45 deviennent une loi ou non. La question que nous devons nous poser est de savoir si nous sommes prêts à perpétuer les coûts sociaux réels de la criminalisation de ce comportement ou si nous sommes prêts à adopter une approche différente prometteuse à ce sujet.
[Français]
J’appuie le projet de loi C-45 parce qu’il respecte le rôle légitime, les intérêts et les compétences constitutionnelles des provinces et des municipalités. Il le fait en leur donnant la latitude d’adopter les dispositions de la loi de façons innombrables, qui vont de la réduction à zéro de la quantité de cannabis que les jeunes peuvent posséder sans infraction à l’augmentation de l’âge minimum pour la consommation légale, en passant par la limitation et l’élimination de la capacité des individus à cultiver leurs propres plants pour usage personnel, et en déterminant comment et par qui la distribution et la vente du cannabis auront lieu dans la province.
À cet égard, le projet de loi C-45 donne aux provinces l’occasion d’expérimenter avec différentes règles et régimes, que ce soit pour régler des problèmes de santé ou pour créer une solution de rechange attrayante au marché illégal du cannabis qui existe actuellement. Avec le temps, ces différentes approches s’harmoniseront peut-être et la politique sociale canadienne s’en trouvera améliorée. C’est le fédéralisme à son meilleur, sous forme de laboratoire social.
Honorables sénateurs et sénatrices, le projet de loi C-45 est-il parfait? Bien sûr que non. Y a-t-il des questions qui, à mon avis, nécessitent une étude sérieuse? Y a-t-il des aspects du projet de loi qui me préoccupent? Il y en a, bien entendu. Permettez-moi de vous faire part de quelques-unes de mes préoccupations.
Premièrement, je crains qu’une approche trop restrictive de la vente au détail du cannabis n’aboutisse à la prospérité continue du marché illégal. Bien sûr, il en revient aux provinces de décider, mais j’espère qu’il y aura un approvisionnement suffisant et une variété suffisante de produits pour que les Canadiens puissent se procurer ce qu’ils veulent aussi facilement et à un prix aussi bas que chez les détaillants de la rue. Si le projet de loi C-45 ne garantit pas l’accès à de tels produits et à des prix concurrentiels, du moins par la poste, je crains que l’un de ces objectifs importants ne soit compromis.
De plus, je ne suis pas convaincu qu’il est bon ou nécessaire de permettre aux gens de cultiver quatre plants pour leur propre usage dans le contexte du cannabis récréatif. Du côté de l’offre, nous devons veiller à ne pas créer de barrières inutiles à l’intégration de petits producteurs plus artisanaux qui pourraient contribuer à la fois à la quantité et à la diversité de produits légaux issus du cannabis offerts aux consommateurs.
[Traduction]
Honorables sénateurs, permettez-moi de conclure en m’interrogeant sur la manière dont nous devrions poursuivre l’étude de ce projet de loi au Sénat.
J’ai déjà dit que je ne me sentais pas assujetti à la date limite fixée par le premier ministre. Le projet de loi C-45 est un projet de loi important, même historique, et nous devons accomplir notre devoir constitutionnel et en faire un examen approfondi. Cependant, j’ai aussi déclaré que j'appuyais la proposition du sénateur Dean d’organiser nos délibérations et débats de manière efficace. Franchement, je suis déçu de voir que tous les groupes dans cette enceinte ne nous ont pas encore emboîté le pas.
Honorables sénateurs, vous savez que, si nous le voulions vraiment, nous pourrions nous entendre pour organiser notre étude de ce projet de loi afin qu’elle soit terminée avant l’été. Nous avons le temps, et nous pourrions prendre le temps. C’est seulement une question de volonté politique.
Personne dans cette enceinte ne nie le fait que la consommation de cannabis est associée à de sérieux problèmes de santé, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes. Pourquoi ne pas nous entendre pour parler de cette question pendant une période de temps déterminée, et en temps réel, de surcroît, pour ensuite nous concentrer sur la vraie question, qui est de trouver la meilleure façon de gérer les risques pour la santé que représente la consommation de cannabis chez les jeunes Canadiens?
Nous savons que d’aucuns s’inquiètent que toutes les provinces, villes et forces de police ne soient pas tout à fait prêtes à mettre en œuvre le projet de loi une fois qu’il sera entré en vigueur. Organisons-nous donc pour recueillir leurs témoignages bientôt, en débattre et assurer un suivi efficace de la situation pendant que nous poursuivons l’étude de ce projet de loi.
Honorables sénateurs, il ne sert à rien de multiplier les exemples. Une étude complète et adéquate du projet de loi s’impose. Toutefois, soyons à tout le moins honnêtes envers nous-mêmes et envers les Canadiens.
Dans le cas présent, retarder les choses ne servirait pas le but légitime de porter à l’attention du public une question dont il n’est pas au courant. La légalisation de la possession de cannabis est une promesse électorale qui a été faite en 2015. Elle fait les manchettes depuis longtemps déjà, surtout depuis la présentation du projet de loi à l’autre endroit en avril dernier.
Oui, nous devons prendre notre temps, mais il est possible d’étudier rigoureusement le projet de loi au cours des prochains mois. Quoi que nous pensions du désir du gouvernement de voir le projet de loi adopté d’ici l’été, nous manquerions à notre devoir constitutionnel en prolongeant le processus à des fins politiques ou partisanes. Les Canadiens méritent mieux que cela.
Honorables sénateurs, je conclus comme j’ai commencé. La consommation de cannabis au Canada est un problème social complexe dont il faut tenir compte. Nos stratégies passées sont, de toute évidence, un échec. Nous devons, pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour nos petits-enfants, faire face au problème avec sérieux et de manière équilibrée.
Le projet de loi C-45 est un pas vers une approche plus responsable pour gérer la question de la consommation de cannabis. Il n’est pas parfait. Nous devons prendre le temps d’y apporter les améliorations qui s’imposent. Cela dit, il est la bonne solution à un problème réel. Je l’appuie en principe sans la moindre hésitation.