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Projet de loi sur le Mois du patrimoine juif canadien

Deuxième lecture

13 avril 2017


L’honorable Sénateur Marc Gold :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour appuyer le projet de loi S-232, Loi instituant le Mois du patrimoine juif canadien. Je suis fier de la communauté dont je fais partie et que j'ai eu le grand honneur de représenter. Cependant, je dois avouer que j'ai eu de la difficulté à décider de quels aspects je pourrais vous parler dans le cadre de ce sujet qui me tient tant à cœur.

Vous avez déjà entendu parler de l'histoire de la présence juive au Canada, de l'arrivée d'Esther Brandeau en 1738, déguisée en garçon, et aussi des vagues d'immigrants juifs arrivés dans ce pays aux XIXe et XXe siècles et qui se perpétuent à ce jour.

Vous avez également entendu parler du rôle que les Juifs canadiens ont joué dans tous les secteurs de la vie canadienne. Lorsque vous pouvez manger un hamburger avec viande fumée à Yellowknife, une poutine à « smoked meat » à La Banquise, à Montréal — comme je suis Montréalais, j'ai une opinion partagée —, ou un bagel dans n'importe quel Tim Hortons...

— ou quelque chose que l'on essaie de faire passer pour un bagel, sans vouloir manquer de respect —

... vous n'avez pas besoin de moi pour vous faire comprendre l'importance que tient la nourriture juive dans la vie quotidienne des Canadiens et des Canadiennes.

Je n'ai pas besoin non plus, dois-je l'ajouter, de m'étendre longuement sur le sujet de la contribution des juifs canadiens aux arts. Nous écoutons Leonard Cohen et Drake. Oui, Drake est juif. Nous regardons Sonia Benezra à la télévision. Nous allons voir des films d'Ivan Reitman, et maintenant de Jason Reitman, au cinéma et, chaque semaine, nous avons hâte de voir ce que nous réserve Lorne Michaels à l'émission Saturday Night Live. Nous sommes nombreux ici — et cela en dit long sur mon âge — à avoir grandi en regardant Wayne et Shuster au Ed Sullivan Show ou Lorne Greene dans Bonanza, et je pourrais continuer ainsi encore longtemps.

Le fait est que les sénateurs Frum, Wetston, Fraser et Jaffer ont déjà prononcé des discours très élégants et, j'ajouterais même, touchants. Il n'est donc pas nécessaire que j'explique en détail l'histoire de la présence juive au Canada, nos luttes pour l'égalité, nos réalisations et notre contribution au tissu social du pays.

Cela dit, je vous encourage à visiter un excellent site web à l'adresse juifsdici.ca. Il s'agit d'une initiative de la fédération juive de Montréal, la Fédération CJA, pour souligner son centenaire.

Sur ce site, vous pourrez en apprendre davantage sur certains des Canadiens juifs moins connus, mais qui ont néanmoins marqué l'histoire canadienne.

Par exemple, vous allez faire la connaissance de Sigismund Mohr, un ingénieur à qui on attribue la découverte de l'hydroélectricité, qui a créé le premier réseau électrique urbain et a présenté en même temps le téléphone à la ville de Québec dans les années 1880. En tant que sénateur représentant la circonscription de Stadacona, je suis particulièrement heureux d'être lié à ce pionnier innovateur.

Vous allez aussi croiser Jules Helbronner, qui était rédacteur de La Presse de 1892 à 1908. Vous pourrez même rencontrer Harry Davis et d'autres gangsters juifs notoires. Oui, nous nous sommes également distingués dans cette sphère douteuse.

Sur une note plus triste, je souligne que vous pourrez également en apprendre davantage sur la vie d'un grand Canadien qui est malheureusement décédé hier. Le Dr Mark Wainberg, un ami et collègue, chercheur de renommée mondiale sur le sida qui a découvert le médicament antiviral 3TC et a lutté avec ténacité pour qu'il soit rendu accessible à un prix abordable en Afrique et ailleurs dans le monde où les gens souffrent. Il défendait aussi la possibilité pour ses collègues au Québec de diffuser leurs travaux scientifiques en français. Comme vous le constaterez dans les commentaires qui suivent, feu le Dr Wainberg était l'exemple parfait des plus grandes et des meilleures qualités que nous attendons des citoyens canadiens, et de la contribution et des valeurs de la communauté juive au Canada.

Je reviens donc à ma question : de quoi pourrai-je bien parler? Car vous savez tout cela déjà. Dans la plus pure tradition juive, je répondrai à cette question par une autre question. Pourquoi devrions-nous célébrer un mois du patrimoine, et plus particulièrement, un mois du patrimoine juif? En quoi cela peut-il nous permettre de mieux comprendre notre identité canadienne? Afin de répondre à ces questions, je commencerai par vous faire connaître un peu la tradition juive, car, dans les assemblées juives, il est de coutume de commencer les réunions importantes par un enseignement provenant des textes juifs. Cela permet de mettre en perspective les questions qui seront abordées.

La dernière fois que j'ai pris la parole dans cette enceinte, j'ai cité un leader religieux bien connu qui a vécu à Jérusalem il y a environ 2 000 ans. Permettez-moi de le faire une nouvelle fois. Le rabbin Hillel pose les trois questions suivantes :

 

Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Si je suis seulement pour moi, que suis-je? Et si pas maintenant, quand?

Ces trois questions — nous, les juifs, adorons poser des questions! — constituent la clé pour comprendre les contributions de la communauté juive au Canada et l'importance du projet de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis. La première question, « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? », que veut-elle dire? À mon avis, elle parle de la croyance juive en la responsabilité individuelle, et de la valeur de l'autosuffisance. Elle nous permet de comprendre pourquoi les communautés juives dans chaque collectivité du Canada et, en fait, partout dans le monde, créent des organismes et des groupes pour s'occuper des Juifs dans le besoin. Elle explique également l'esprit d'entreprise et le succès remarquable que nombre de Juifs canadiens ont connu dans différentes entreprises commerciales, et la grande valeur attribuée à l'éducation et à la poursuite de l'excellence dans des domaines variés comme les sciences, les arts et les professions.

La deuxième question, « Si je suis seulement pour moi, que suis-je? » permet de comprendre notre façon de voir nos responsabilités, non seulement envers notre propre communauté, mais envers le monde entier. Nos traditions nous enseignent que nous avons la responsabilité de guérir le monde, un monde brisé et injuste où trop de gens sont encore à la recherche de la liberté. Comment expliquer autrement le grand nombre de Canadiens juifs qui ont embrassé des causes progressistes, comme Lea Roback, féministe et intrépide défenseure des droits de la personne et de la justice sociale, qui a agi comme organisatrice syndicale à Montréal durant années 1930 et 1940?

Comment expliquer toute l'importance que nous accordons à la philanthropie et au besoin d'aider son prochain? Le mot hébreu pour désigner la charité est « tzedakah », qui partage la même racine étymologique que le mot hébreu pour désigner la justice. Les mots sont importants. Dans la tradition juive, aider les autres n'est pas une question de choix, c'est une obligation morale, pure et simple.

La troisième question — « Si pas maintenant, quand? » — est sujette à plusieurs interprétations, mais je pense qu'elle touche à une leçon bien connue, donnée quelques siècles après Hillel, par le rabbin Tarfon, qui a écrit ce qui suit :

Vous n'êtes pas obligé d'accomplir la tâche devant vous, mais vous n'êtes pas non plus libres de décider d'y renoncer.

La relation que nous cultivons avec nos frères humains ici sur Terre est au centre de nos traditions. Des récompenses peuvent nous attendre dans l'au-delà. C'est un concept qui est présent, mais pas très développé dans la pensée religieuse juive. Dans la tradition juive, l'accent est mis sur le moment présent. Nous avons la responsabilité d'agir dans le monde, de rechercher la justice pour tous et d'être gentils avec les étrangers, car nous avons nous-mêmes été étrangers sur des terres étrangères, et surtout, de contribuer à faire de ce monde un monde meilleur. Chaque jour compte.

Cela peut peut-être expliquer pourquoi nous pouvons sembler impatients — certaines méchantes langues pourraient même dire insistants — par moments, mais cela explique également l'ambition et la détermination dont nous faisons preuve dans la vie.

Je reviens à ma question. Pourquoi devrions-nous appuyer ce projet de loi visant à créer un mois du patrimoine juif au Canada? Eh bien, cela nous donnera l'occasion de célébrer les valeurs fondamentales qui ont caractérisé l'expérience juive canadienne, soit le respect des droits et des libertés individuelles, l'importance de l'éducation et de l'amélioration personnelle et l'obligation de prendre soin de sa famille, de ses amis et de tous ceux qui ont moins de chance que nous.

Ce sont des valeurs qui sont enracinées dans la tradition juive, mais ce sont aussi des valeurs qui font partie de la tradition canadienne. Bien que nous ne soyons pas toujours à la hauteur de ces idéaux, ils méritent d'être poursuivis, nourris et, oui, enfin reconnus.

Je conclus mes propos avec l'idée d'un défi et avec l'espoir que l'institution du Mois du patrimoine juif soit une occasion pour nous tous de travailler ensemble afin de construire un Canada plus prospère, plus juste et plus inclusif.

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