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Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier

6 février 2018


L’honorable Sénatrice Judith G. Seidman :

Ma question s’adresse à la ministre de la Santé.

Madame la ministre, vous avez convenu que l’approche adoptée par le Canada par rapport à la réglementation du tabac a porté ses fruits puisque nous avons l’un des taux de consommation chez les jeunes les plus bas au monde. Or, des experts en santé publique tels que ceux de la Société canadienne du cancer nous disent que la légalisation de la marijuana sera préjudiciable en ce sens qu’elle légitimera de nouveau l’utilisation du tabac et minimisera la perception des risques, parce que la façon la plus courante de consommer le cannabis est d’en faire une cigarette, dans laquelle on ajoute souvent du tabac.

Madame la ministre, êtes-vous en train de mettre en péril la santé de nos enfants en créant toute une nouvelle génération de fumeurs?

Mme Petitpas Taylor : Merci beaucoup de votre question. Je pense que, pour répondre à cette question, je dois tout d’abord commencer en disant que nous sommes aux prises avec un problème qui existe déjà au sein de notre pays. Nous reconnaissons que le taux de consommation de cannabis chez les jeunes au Canada est l’un des plus élevés. Le groupe des jeunes et des jeunes adultes de 15 à 24 ans consomme du cannabis. Dans le projet de loi que nous avons présenté, nous proposons une approche pour gérer un problème déjà existant.

En ce qui concerne la façon dont les jeunes choisissent de consommer du cannabis, comme vous l’avez mentionné, ils le consomment de diverses façons. Quant au projet de loi que nous avons présenté, nous voulons absolument adopter une approche en santé publique pour gérer la mise en oeuvre de manière efficace.

D’abord et avant tout, nous devons nous pencher sur le régime de légalisation. Nous voulons absolument limiter l’accès des jeunes au cannabis. Nous avons fixé l’âge minimal à 18 ans. Les provinces et les territoires peuvent décider d’augmenter l’âge minimal s’ils le souhaitent. Le choix leur appartient.

Enfin, nous voulons veiller à ce que les Canadiens qui choisissent de se procurer du cannabis le fassent dans un établissement réglementé.

Pour ce qui est des autres façons de consommer du cannabis, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la question des produits comestibles et des autres types de produits sera certainement abordée dans la loi. Toutefois, nous avons signalé que les dispositions à cet égard entreront en vigueur un an après la promulgation de cette partie de la loi. Nous souhaitons donc aborder les deux enjeux.

Enfin, les personnes qui ont l’âge du consentement pourront, après l’entrée en vigueur de la loi, acheter du cannabis frais, du cannabis séché ou de l’huile de cannabis. Elles pourront aussi fabriquer des produits de cannabis comestibles, mettre des capsules de cannabis dans leur thé ou consommer du cannabis de la façon qui leur convient. Voilà les types d’options qui s’offriront aux Canadiens une fois que le régime sera légal.

La sénatrice Seidman : Madame la ministre, vous avez beaucoup parlé de la réduction des méfaits, mais vous ne nous avez rien dit sur la façon dont le gouvernement compte encourager les Canadiens à arrêter de fumer des joints et à choisir des solutions de rechange plus sûres.

Santé Canada a déjà reconnu que les produits de vapotage incombustibles représentent une solution de rechange potentiellement moins nocive que le tabac. La même chose est vraie dans le cas du cannabis. Madame la ministre, si le projet de loi vise vraiment à rendre la consommation de cannabis moins dangereuse, pourquoi ne prévoit-il aucune mesure pour inciter les Canadiens à cesser de le fumer?

Mme Petitpas Taylor : Je le répète, l’éducation et la sensibilisation du public représenteront un élément important du projet de loi. Il faudra que l’emballage fournisse aux Canadiens des renseignements sur les risques pour la santé associés à l’inhalation de la fumée de cannabis et à l’ingestion de cette substance.

Nous avons indiqué que nous voulions mettre en place des règlements et des mesures de contrôles stricts quant à l’emballage, au marketing et à tout ce qui l’entoure afin que les Canadiens puissent obtenir ce dont ils ont besoin — les renseignements adéquats concernant les risques associés à la consommation de cannabis, peu importe le mode de consommation choisi.

La sénatrice Seidman : Madame la ministre, vous dites que vous empruntez la même voie réglementaire que celle ciblant le tabac, mais ce n’est tout simplement pas le cas. La réglementation concernant le tabac interdit toute forme de marketing. Fumer du tabac est interdit dans tous les lieux publics à l’intérieur et, bientôt, l’emballage des cigarettes sera neutre et identique pour tous les paquets. Si on compare avec la réglementation proposée en matière de cannabis, on constate des lacunes qui laissent la porte ouverte au marketing ciblant les enfants, l’absence d’indications sur la façon de faire appliquer la réglementation en matière de marketing et la possibilité de fumer à l’intérieur. Même l’emballage neutre que le Groupe de travail sur le cannabis formé par le gouvernement avait proposé n’a pas été intégré au projet de loi.

Madame la ministre, ma question est simple : vous engagez-vous dès maintenant à exiger l’emballage neutre pour le cannabis, comme ce sera le cas pour les cigarettes, oui ou non?

Mme Petitpas Taylor : Évidemment, le projet de loi C-45 propose des mesures de contrôle précises et très strictes en matière d’emballage, d’étiquetage, de marketing et de publicité s’adressant aux enfants. Je dirais que c’est pratiquement identique. La différence quant à l’emballage est que, pour le cannabis, nous voulons être certains que l’information concernant le contenu en THC et en CBD sera visible sur l’emballage. C’est le type de renseignements supplémentaires qui seront permis sur les emballages, parce que nous voulons que les Canadiens puissent savoir exactement ce qu’ils achètent lorsqu’ils se rendront dans un point de vente.

Pour ce qui est de la publicité s’adressant aux enfants, nous avons été clairs. Nous voulons nous assurer que ces produits ne seront d’aucune façon proposés de manière à inciter les enfants à les consommer. Nous allons mettre en place des règlements de ce type pour protéger les enfants, parce que nous ne voulons certainement pas qu’ils trouvent ce produit alléchant.

La sénatrice Seidman : Eh bien, c’est décevant de constater que vous ne vous engagerez pas à imposer l’utilisation des mêmes emballages neutres pour le cannabis et la cigarette, mais j’aimerais passer à autre chose.

Madame la ministre, le gouvernement aime beaucoup parler de données probantes, mais, en tant que chercheure en santé, j’estime qu’il y a quelque chose qui ne colle pas. En fait, des études menées dans le monde entier laissent croire que la légalisation du cannabis donnera lieu à une augmentation de la consommation, particulièrement chez les jeunes.

Une étude exhaustive menée par la RAND Corporation a établi un lien entre les ventes de cannabis aux États-Unis et l’augmentation de la consommation de cannabis et une plus grande dépendance chez les jeunes. Ces conclusions sont appuyées par la plus importante étude jamais réalisée pour comprendre les répercussions sur les adolescents de la légalisation du cannabis. Il s’agit d’une étude menée dans 38 pays, qui a permis d’établir un lien entre la libéralisation du cannabis et une plus grande consommation régulière de cannabis chez les adolescents.

Madame la ministre, avez-vous examiné les résultats de ces études? Comment conciliez-vous les données selon lesquelles les jeunes consommeront plus de cannabis avec votre responsabilité de veiller à la santé et la sécurité de ces jeunes?

Mme Petitpas Taylor : Je n’ai pas examiné les résultats de cette étude particulière, mais j’ai certainement examiné les résultats de certaines études qui font état du contraire. Prenons par exemple la situation au Colorado. Les autorités ont, en fait, signalé une diminution de la consommation de cannabis chez les jeunes. Bien entendu, cette recherche est menée depuis la légalisation du cannabis dans leur pays.

La difficulté qui se pose, à l’heure actuelle, en ce qui concerne la recherche au Canada, c’est que, comme le cannabis est un produit illégal en ce moment, il est très difficile de mener des recherches dans ce domaine. Lorsque nous irons de l’avant dans le domaine de la recherche, nous ferons assurément des investissements, notamment pour en apprendre davantage sur les effets à long terme et à court terme du cannabis.

Il ne faut pas oublier non plus, comme on l’a déjà dit, que nous nous attaquons à une situation, à un problème, qui existe déjà au Canada. Au bout du compte, nous voulons limiter l’accès des jeunes au cannabis. Nous allons de l’avant parce que le régime actuel ne fonctionne pas.

La sénatrice Seidman : Madame la ministre, vous avez beaucoup parlé du Colorado. Il s’agit d’un seul cas : très peu de données ont été recueillies, et ce, pendant une très courte période. Des tas de données contradictoires résultent des études réalisées jusqu’ici. En fait, la plupart des premières études qui concluent que la légalisation du cannabis n’a pas entraîné d’augmentation de la consommation chez les jeunes sont boiteuses. Elles ne tiennent pas compte de certains facteurs, comme le fait que l’État permette ou non la vente et la culture du cannabis en plus de la possession. Ces études ne nous donnent donc pas l’heure juste. Les études plus complètes tendent à montrer ce que le simple bon sens nous permettait déjà de savoir…

La présidente : Il reste deux minutes pour votre question et pour la réponse.

La sénatrice Seidman : La légalisation de la marijuana augmente la probabilité que les adolescents en consomment, et qu’ils en consomment plus souvent. Pourquoi le gouvernement dit-il le contraire aux Canadiens?

Mme Petitpas Taylor : Comme nous l’avons dit, en voulant légaliser et réglementer le cannabis et en restreindre l’accès, nous voulons évidemment que les jeunes Canadiens n’y aient pas accès. C’est la raison pour laquelle nous présentons cette mesure législative.

Actuellement, il est plus facile, pour les adolescents, de se rendre à l’arrière de l’école pour acheter du cannabis que d’aller acheter du tabac ou des boissons alcoolisées. Nous savons que les façons de faire actuelles ne fonctionnent pas. Au bout du compte, nous voulons limiter l’accès au cannabis. C’est la raison pour laquelle nous avons présenté le projet de loi.

Pour ce qui est des effets nocifs du cannabis, comme je le disais plus tôt, je ne suis certainement pas en train de dire que la consommation de cannabis est sans risque, bien au contraire. C’est justement pourquoi il sera primordial que le gouvernement informe et sensibilise la population afin que les enfants connaissent les risques et les mythes associés au cannabis et qu’ils puissent départager le vrai du faux. Alors oui, nous mettrons l’accent sur la santé publique. Nous allons aussi miser sur la collaboration afin que les Canadiens aient accès à l’information et aux outils dont ils auront besoin pour prendre une décision éclairée.

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