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La Loi sur le tabac - La Loi sur la santé des non-fumeurs

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption de la motion d’adoption des amendements des Communes

10 mai 2018


L’honorable Sénatrice Judith G. Seidman :

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du message portant sur le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs et d’autres lois en conséquence.

Le projet de loi S-5 contient des dispositions importantes, qui exigent des emballages neutres pour les produits du tabac et qui réglementent le vapotage. Toutefois, je crains que les modifications que l’autre endroit vient d’apporter à la Loi sur le tabac ne nuisent à l’objectif fondamental du projet de loi, qui est de mieux réglementer les produits du tabac et les produits de vapotage.

Je suis aussi préoccupée par d’autres amendements, qui mettent en relief l’importance d’assurer une approche cohérente en matière de réglementation des produits du tabac, des produits de vapotage et des produits du cannabis. Il y a quelques jours, dans cette enceinte, le sénateur Joyal a exprimé clairement cette préoccupation.

Soyons clairs : le projet de loi S-5 est un instrument essentiel pour protéger les Canadiens contre les produits du tabac et pour les aider à arrêter de fumer. J’ai appuyé le projet de loi S-5 lorsqu’il a été adopté pour la première fois au Sénat il y a près d’un an, soit en juin 2017. Je suis fière du travail non partisan et axé sur la collaboration que nous avons réalisé pour améliorer le projet de loi. Je tiens à souligner le dévouement de la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc. En tant que parlementaires, nous avons travaillé très fort, ensemble, pour bien faire les choses.

Nous devons maintenant examiner soigneusement le message que nous a fait parvenir la Chambre des communes et veiller à ce que les amendements qu’il contient soient conformes à l’objet du projet de loi.

J’attire d’abord l’attention des honorables sénateurs sur un amendement du Comité de la santé de la Chambre des communes qui modifie l’article 52 du projet de loi S-5. Curieusement, le leader du gouvernement au Sénat n’en a pas parlé cette semaine.

Cet amendement abrogerait l’article 42.1 de la Loi sur le tabac, qui prévoit que les projets de règlement sur le tabac doivent obligatoirement faire l’objet d’une étude à la Chambre des communes et au comité avant d’être adoptés et publiés. Cet amendement mine directement le rôle de surveillance du Parlement et doit susciter notre vigilance.

L’examen parlementaire — antérieur à leur adoption — des règlements qui découlent de la Loi sur le tabac est un moyen essentiel de veiller à la transparence d’une industrie qui a toujours fait du lobbying derrière des portes closes.

En effet, lorsque la Chambre des communes a ajouté la disposition prévoyant cet examen à la Loi sur le tabac, on disait que l’étude des projets de règlements par le comité :

[…] contribuerait beaucoup à légitimer tout projet de règlement, justement parce qu’il permettrait aux parties intéressées de proposer publiquement des améliorations à apporter au règlement.

Honorables sénateurs, nous avons réussi à faire reculer le tabagisme, mais il ne faut pas croire pour autant que nous sommes à l’abri de la pression exercée par l’industrie. Le fait d’inclure les produits de vapotage dans la Loi sur le tabac, comme le fait le projet de loi S-5, permettra à une industrie qui est de plus en plus dominée par les grosses multinationales du tabac d’exercer davantage de pression.

J’ai de la difficulté à comprendre en quoi il est logique d’éliminer la surveillance réglementaire d’une industrie qui fabrique des produits dont les conséquences sont aussi énormes pour la santé publique. La disposition actuelle oblige la Chambre des communes à examiner le règlement dans les 30 jours de séance suivant son dépôt, ce qui ne peut pas raisonnablement être considéré comme un retard indu dans le processus réglementaire.

Compte tenu de l’importance de la transparence en matière de réglementation de ces industries fortement interreliées, soit celles du tabac et du vapotage, il est essentiel que le futur règlement continue d’être débattu publiquement, et non derrière des portes closes. Comme le leader du gouvernement au Sénat n’a rien dit à propos de cet amendement, et qu’il nous a encore bien moins fourni des raisons convaincantes pour révoquer les pouvoirs de la Chambre des communes, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, à qui le projet de loi S-5 a été renvoyé à l'étape de la deuxième lecture, devrait chercher à obtenir des réponses à cette question.

Au-delà des craintes liées au fait de limiter la surveillance par le Parlement de la réglementation des produits du tabac et du vapotage, je voudrais brièvement parler des inquiétudes soulevées hier par le sénateur Joyal concernant le double et même le triple standard de présentation et de promotion des produits du tabac, de vapotage et du cannabis.

N’oublions pas que, lorsque le projet de loi S-5 a été étudié par le Sénat pour la première fois, le contexte était très différent. Bien que le gouvernement ait alors annoncé son intention de légaliser la marijuana, on ne savait rien quant à ses plans concernant les emballages normalisés et la promotion du cannabis séché.

Toutefois, il semblait que le gouvernement choisirait une approche comparable. Même le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis mis sur pied par le gouvernement a recommandé que les emballages des produits du cannabis soient neutres, et pour cause. Avoir une approche comparable pour le cannabis est essentiel pour protéger nos enfants contre les méfaits du tabac.

Comme je l’ai mentionné au Sénat il y a plusieurs mois, lorsque nous parlons de la consommation de cannabis, nous ne devons pas oublier que nous parlons de l’action de fumer. Selon des données récentes tirées de l’Enquête canadienne sur le cannabis, fumer le cannabis est la méthode de consommation à des fins récréatives la plus commune, dans une proportion de 94 p. 100.

À cette occasion, j’ai cité le professeur David Sweanor, un éminent expert en santé publique qui travaille à l’Université d’Ottawa. Je crois que cette citation vaut la peine d’être répétée aujourd’hui :

L’acte de fumer provoque une combustion. La combustion entraîne l’inhalation involontaire de produits chimiques nocifs dans les poumons. Même s’il existe des différences dans la façon dont une personne fume le tabac et celle dont elle fume le cannabis, par exemple la quantité fumée et la profondeur de l’inhalation, l’inhalation de fumée demeure une pratique particulièrement néfaste.

Depuis la dernière fois que nous avons été saisis du projet de loi S-5, nous avons appris que Santé Canada prévoit assujettir la marijuana séchée à des exigences beaucoup moins strictes en matière d’emballage ou d’étiquetage que celles qui s’appliquent au tabac. Compte tenu de ce que nous savons des méfaits de fumer quelque produit que ce soit et de l’engagement du gouvernement à réduire les méfaits associés à la consommation de cannabis, l’approche incohérente du gouvernement à l’égard de la réglementation des deux substances est déconcertante et fort préoccupante.

Dans le cadre de l’examen du « message » que nous avons reçu de l’autre endroit, nous devons nous demander pourquoi le gouvernement croit que des règles différentes devraient s’appliquer à la marijuana. Il s’agit aussi d’une question importante pour le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui étudie actuellement ces enjeux dans le contexte du projet de loi C-45.

Enfin, honorables sénateurs, je voudrais souligner un autre point sur lequel le Comité des affaires sociales pourrait se pencher et faire rapport au Sénat. Comme l’a fait remarquer le leader du gouvernement au Sénat au début de la semaine, nous en savons beaucoup plus maintenant sur les effets des cigarettes électroniques sur la santé publique que lorsque la version originale du projet de loi S-5 a été rédigée, surtout en ce qui concerne l’efficacité des cigarettes électroniques pour aider les gens à cesser de fumer.

En effet, le gouvernement a reconnu ce fait en appuyant tout récemment l’amendement de la Chambre des communes visant à interdire la publicité de style de vie pour les produits de vapotage. Bien entendu, nous avons tenté d’imposer cette interdiction nous-mêmes lorsque le Sénat a été saisi du projet de loi pour la première fois, mais on nous a dit que ce n’était pas permis au titre de la Charte. Toutefois, il semble que le gouvernement soit revenu à la raison et qu’il reconnaît que de plus en plus de données remettent en question l’utilité des cigarettes électroniques comme outil pour cesser de fumer.

Mieux vaut tard que jamais, mais cette décision soulève d’autres questions qui seraient mieux examinées par le Comité des affaires sociales. C’est particulièrement vrai étant donné que, si le projet de loi S-5 est adopté dans sa forme actuelle, certains types de publicités pour les produits de vapotage seront autorisés jusqu’à ce qu’on adopte des règlements au titre de la loi. Cette situation entrerait directement en contradiction avec les nouvelles données selon lesquelles les cigarettes électroniques peuvent présenter un danger pour la santé publique. Comme nous savons tous très bien ce qui s’est passé avec le tabac, lorsqu’on met le doigt dans l’engrenage, il est presque impossible de le retirer.

Honorables sénateurs, la chose logique et responsable à faire, maintenant, c’est de demander au Comité des affaires sociales d’examiner tous ces enjeux.

Nous devons examiner cette mesure législative de fond en comble et tenter de comprendre les véritables intentions derrière les amendements de l’autre endroit avant de les approuver, et nous devons faire tout en notre pouvoir pour protéger les Canadiens contre les méfaits liés à l’acte de fumer, que ce soit du tabac ou de la marijuana.

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