La Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie—La Loi fédérale sur les hydrocarbures
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
19 juin 2019
Propose que le projet de loi C-88, Loi modifiant la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et la Loi fédérale sur les hydrocarbures et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, soit lu pour la troisième fois.
— Votre Honneur et honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à souligner que nous nous réunissions aujourd’hui sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
Je prends la parole au sujet du projet de loi C-88 à l’étape de la troisième lecture.
Comme je l’ai déjà indiqué dans cette enceinte, les Territoires du Nord-Ouest comptent divers peuples, langues et cultures. La majorité de la population est autochtone. Nous continuons à entretenir des liens solides avec la terre et les eaux que nous occupons depuis des millénaires. Nous insistons pour participer activement aux décisions concernant l’exploitation des ressources qui a lieu dans nos communautés.
Il y a 42 ans, le juge Berger a écrit :
Le sort du Nord est d’une importance capitale pour l’avenir du pays. Il marquera le pays et ses habitants. Les Canadiens ont considéré leur histoire comme le passage d’une région inexploitée à une autre. Cette conception explique la colonisation de l’Amérique du Nord par les Blancs. Or, au fur et à mesure que leurs terres ancestrales ont été occupées et colonisées, les Autochtones du Canada ont connu l’avilissement et la dévalorisation de leur culture.
Les Canadiens se considèrent comme un peuple du Nord. Peut-être ont-ils commencé à comprendre qu’ils peuvent apprendre d’un peuple qui a réussi à vivre dans le Nord pendant des siècles, un peuple qui n’a jamais cherché à modifier l’environnement, mais plutôt à vivre en harmonie avec lui.
Comme le savent mes honorables collègues, le projet de loi C-88 comporte deux parties. La première partie modifie la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie pour régler le litige qui empêche actuellement les projets d’aménagement de progresser dans la vallée du Mackenzie.
En 2015, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a mis en place une injonction qui a suspendu la restructuration de quatre offices régionaux des terres et des eaux dans la vallée du Mackenzie. Cette restructuration avait été incluse dans la Loi sur le transfert de responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest, à la grande surprise des gouvernements et organismes autochtones touchés.
Le projet de loi C-88 préserverait les quatre offices régionaux et le régime de cogestion et de prise de décisions conjointes énoncé dans l’Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in, l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu et l’Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale du peuple tlicho, ce qui réglerait le litige. Cela procurerait une certitude accrue à l’industrie et aiderait à tirer parti des avantages sociaux et économiques potentiels des activités d’aménagement ou d’exploitation dans la vallée du Mackenzie pour les générations futures.
David MacMartin, directeur des relations intergouvernementales du conseil tribal des Gwich’in, nous prévient que :
Si le projet de loi C-88 n’est pas adopté, non seulement le Canada n’aura pas respecté son engagement envers les collectivités autochtones des Territoires du Nord-Ouest, mais ces collectivités seront dans l’obligation de s’en remettre à des recours judiciaires coûteux, interminables et acrimonieux.
En plus de redonner des certitudes quant au régime réglementaire des Territoires du Nord-Ouest, la seconde partie du projet de loi C-88 garantit le développement responsable grâce aux amendements proposés à la Loi fédérale sur les hydrocarbures.
James Fulford, négociateur en chef pour les hydrocarbures extracôtiers au ministère de l’Exécutif et des Affaires autochtones du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a fait l’observation suivante :
Les amendements proposés à la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie dans le projet de loi C-88 donneront davantage de certitudes par rapport au développement responsable des ressources dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous avons bien besoin de ces certitudes alors que nous continuons de collaborer avec les gouvernements autochtones du territoire afin de susciter un développement responsable des ressources.
Les écosystèmes arctiques sont parmi les plus fragiles de la planète. Une fois qu’ils ont été endommagés par l’activité humaine, ils prennent beaucoup de temps à récupérer. Nous savons par ailleurs que les conséquences des changements climatiques se font particulièrement sentir dans l’Arctique. Compte tenu de ces réalités, le Canada a annoncé en 2016, conjointement avec les États-Unis, l’interdiction immédiate des activités de développement au large des côtes de l’Arctique. Cette interdiction sera réévaluée tous les cinq ans à partir des données scientifiques et des savoirs autochtones.
Le projet de loi C-88 est favorable à cette approche puisqu’il donne au gouvernement du Canada le pouvoir d’interdire des activités dans le cadre de l’exploration existante et des attestations de découverte importante dans l’Arctique extracôtier. Ce pouvoir n’est pas entièrement nouveau. En fait, la Loi fédérale sur les hydrocarbures autorise une telle interdiction en fonction de critères précis. Toutefois, le projet de loi C-88 modifierait la Loi fédérale sur les hydrocarbures en y ajoutant un nouveau critère, celui de l’intérêt national.
Du mois de mars au mois de juillet 2017, période pendant laquelle a été rédigée cette partie du projet de loi C-88, des consultations ont été lancées avec les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut, de même qu’avec des organisations inuites et inuvialuites et les détenteurs actuels de droits pétroliers et gaziers.
Les consultations ont permis de recueillir des renseignements importants sur les plans et les visions de l’industrie, des gouvernements territoriaux et des organisations autochtones concernant la future exploitation pétrolière et gazière dans les zones extracôtières de l’Arctique. Toutes les parties ont souligné l’importance de l’exploitation pétrolière et gazière pour l’économie du Nord, et la disposition du projet de loi C-88, qui autorise le gouverneur en conseil à prendre un décret interdisant le gel des conditions des permis existants dans la mer de Beaufort pour la durée du moratoire, a été appuyée.
Il faut toutefois noter que la nécessité de tenir des consultations sur toutes les questions liées à l’exploitation pétrolière et gazière, surtout avant d’émettre une ordonnance d’interdiction en vertu de la disposition sur l’intérêt national proposée dans la deuxième partie du projet de loi, soulève des préoccupations.
La ministre des Relations Couronne-Autochtones a dit ceci au Comité permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles :
[...] en ce qui a trait aux mesures législatives et réglementaires prévues dans la Loi fédérale sur les hydrocarbures, les droits des Inuvialuits et des autres communautés autochtones du Nord sont déjà reconnus expressément dans la loi, qui dit ceci : « La présente loi ne porte pas atteinte aux droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada visés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. » Conformément à cette disposition et à l’obligation constitutionnelle du gouvernement fédéral, le gouvernement s’engage à consulter les Inuvialuits et les autres organisations autochtones du Nord ayant des droits sur les hydrocarbures de la zone extracôtière de l’Arctique avant de prendre une décision sur l’imposition d’une interdiction au titre du nouveau critère concernant l’intérêt national que l’on propose d’inscrire dans la Loi fédérale sur les hydrocarbures.
Au comité, la ministre des Relations Couronne-Autochtones, a aussi confirmé qu’elle a écrit à l’Inuvialuit Regional Corporation pour lui assurer que le gouvernement du Canada « demeure tout à fait déterminé à collaborer avec les Inuvialuits en ce qui a trait à tous les aspects de l’exploitation des hydrocarbures extracôtiers dans la zone de la mer de Beaufort qui se trouve dans la région désignée des Inuvialuits ».
Le projet de loi C-88 permettrait au gouvernement de geler les conditions rattachées aux permis existants, jusqu’à la fin d’un examen scientifique de cinq ans, en 2021. Certains permis sont censés expirer dès cet été. Le projet de loi dont nous sommes saisis permettrait au gouvernement de suspendre le décompte jusqu’à l’expiration du permis, et le décompte ne se poursuivrait, le cas échéant, qu’à partir du moment où les résultats de l’examen scientifique permettraient de déterminer que la suspension peut être levée.
Le développement des ressources dans le Nord est aussi riche en défis qu’en potentiel. Il est essentiel que toutes les parties concernées par le développement des ressources aient leur mot à dire dans le processus décisionnel. Comme je l’ai déjà dit ici, les gouvernements du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, ainsi que les organismes autochtones et les collectivités nordiques, sont des partenaires à part entière dans le processus d’évaluation scientifique des ressources extracôtières de l’Arctique. D’autres intervenants, dont l’industrie, ont aussi l’occasion de participer au processus d’évaluation.
De plus, des négociations entre les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon, la Société régionale inuvialuite et le gouvernement du Canada sont en cours en vue d’établir des ententes de cogestion et de partage des revenus relativement aux ressources extracôtières de l’Arctique. Grâce à ces ententes, les collectivités nordiques et les communautés autochtones pourront participer à la prise de décisions concernant le développement de leur région. La population et les entreprises locales profiteront par ailleurs des retombées de l’exploitation pétrolière et gazière extracôtière.
Le juge Berger a dit :
Les Canadiens du Sud ont tenté de former les Autochtones à leur image, mais cette tentative marquée, soutenue et bienveillante d’assimilation n’a pas réussi. L’utilisation de la nature et les valeurs qui s’associent à une telle utilisation persistent. L’économie des Autochtones refuse de mourir. Les Dénés, les Inuit et les Métis cherchent à préserver leur identité. Par le passé, leur refus de l’assimilation était bien souvent passif, dissimulé même, mais aujourd’hui, il est bien évident. Voilà une réalité de la vie du Nord qu’il faut comprendre.
Lors de son témoignage au Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, le grand chef du gouvernement tlicho, George Mackenzie, a affirmé ceci :
À titre de grand chef, je tenais absolument à venir vous dire personnellement à quel point ce projet de loi est important pour nos communautés, nos territoires et nos traités.
Même si le Sénat en a été saisi sur le tard, le projet de loi C-88 doit absolument être adopté avant la fin de la législature. Je tiens à remercier mes honorables collègues, et plus particulièrement le personnel de soutien et les membres du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Je remercie aussi l’ensemble des témoins, surtout ceux qui ont comparu par téléconférence à partir des Territoires du Nord-Ouest et qui ont contribué activement à l’élaboration de ce projet de loi. Merci également aux adjoints parlementaires, qui ont travaillé d’arrache-pied pour que l’étude du projet de loi soit menée à bien malgré un horaire surchargé. Enfin, quyanainni au porte-parole de l’opposition, l’honorable sénateur Patterson, qui s’est joint à moi pour faire adopter le projet de loi C-88.
Honorables collègues, le projet de loi C-88 est l’exemple par excellence d’un processus législatif mené sous le signe de la collaboration et tenant compte du point de vue des personnes directement touchées par son application. Cette mesure législative montre que, quand les gouvernements autochtones et la Couronne travaillent main dans la main et cherchent ensemble des solutions à leurs problèmes communs, ce type relations est tout à fait possible. Il devrait même s’agir de la norme. Le projet de loi C-88 prouve aussi que les habitants du Nord sont capables d’unir leurs voix afin que les décisions qui les concernent soient prises dans le Nord. Le projet de loi C-88 mérite le soutien plein et entier du Sénat. Quyanainni. Mahsi cho. Merci.
Sénatrice Anderson, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
D’abord, je tiens à vous féliciter de votre excellent travail relativement à ce projet de loi. Si je ne m’abuse, c’est le premier que vous parrainez au Sénat. Toutes mes félicitations.
Il y a un certain nombre de choses que vous avez dites dans votre discours et que nous avons entendues au comité hier soir qui m’ont particulièrement frappée. L’une d’elles est qu’à défaut d’adopter le projet de loi rapidement, avant que la Chambre ne s’ajourne, il y aura probablement des litiges. Je pense que c’est quelque chose d’extrêmement important.
Vous avez dit que lorsque la Couronne et les peuples autochtones travaillent ensemble, on obtient de bons résultats. C’est l’autre commentaire qui a retenu mon attention. Ce sera le sujet de ma question, la consultation. Comme vous l’avez mentionné dans votre discours, il semblerait que lorsqu’il y a une véritable consultation, des discussions et des négociations en bonne et due forme, entre la Couronne, les habitants du Nord et les groupes autochtones, on obtient de bons résultats. Pourriez-vous parler de l’importance de la consultation et de la façon dont elle s’est déroulée dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi?
Je vais essayer. Comme vous le savez, l’injonction découle en fait d’un projet de loi qui avait été adopté par le Canada, sans qu’il y ait eu de consultation. Les consultations découlent de l’injonction émise par la juge Shaner qui a constaté que des consultations s’imposaient auprès des groupes autochtones directement touchés par le projet de loi C-15.
Par la suite, Bertha Rabesca Zoe, qui représentait, si je me souviens bien, le gouvernement tlicho, a dit que cela supposait un dialogue avec le gouvernement du Canada et les parties concernées. Ce dialogue a commencé par des téléconférences et s’est poursuivi par des rencontres en personne. Ainsi, les parties prenantes ont été associées à tout le processus d’élaboration et d’examen du projet de loi.
Si j’ai cité le juge Thomas Berger, c’est parce que — certains d’entre vous s’en souviendront peut-être — il avait participé à l’enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie qui s’est déroulée de 1974 à 1977. Ce processus est considéré comme l’étalon-or en matière de consultation. Le juge a en effet rencontré en personne tous les groupes autochtones des Territoires-du-Nord-Ouest touchés par le projet de pipeline dans la vallée du Mackenzie. Je dirais donc que les consultations sont extrêmement importantes non seulement pour ce projet de loi particulier, mais pour tous ceux qui touchent directement des groupes autochtones au Canada.
Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-88, Loi modifiant la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et la Loi fédérale sur les hydrocarbures et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
Tout d’abord, j’aimerais dire...
[Note de la rédaction :Le sénateurPatterson s’exprime en inuktitut.]
... à la sénatrice Anderson pour son leadership à l’égard de ce projet de loi — c’était la première fois qu’elle marrainait un projet de loi au Sénat. Ce fut pour moi un privilège de travailler en étroite — je dirais même en très étroite — collaboration avec elle pour faire en sorte que ce projet de loi obtienne rapidement l’attention qu’il mérite au Sénat.
Dans le même ordre d’idées, je tiens également à remercier le comité directeur et les membres du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, ainsi que sa présidente, la sénatrice Galvez, de leur aide et de la coopération dont ils ont fait preuve en acceptant d’examiner rapidement ce projet de loi pas plus tard qu’hier.
Chers collègues, la partie 1 du projet de loi C-88 aura une incidence sur une région très précise des Territoires du Nord-Ouest. Voici ce qu’a déclaré la ministre Bennett au comité hier soir :
Au début de 2015, la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest a accordé une injonction qui a suspendu la restructuration proposée des offices, ainsi que d’autres modifications réglementaires positives prévues dans le projet de loi C-15.
Le projet de loi C-88 réglera le litige entourant la restructuration des offices et il réintégrera les éléments constructifs du projet de loi C-15 que ladite injonction empêche d’entrer en vigueur.
En tant qu’ancien parrain du projet de loi C-15 présenté lors d’une législature antérieure, je sais que de nombreuses modifications importantes ont été apportées au régime de réglementation pour accroître son efficacité et l’harmoniser davantage avec d’autres régimes dans le Nord. Le gouvernement, les Autochtones et les intervenants de l’industrie, je crois, ont tous hâte que ces améliorations soient mises en œuvre.
C’est pourquoi j’estime qu’il est important de faciliter l’adoption rapide du projet de loi, bien qu’il ait été renvoyé au Sénat si tard dans la législature. Le grand chef des Tlichos, George Mackenzie, a dit ceci au comité :
L’injonction demeure à ce jour en vigueur, et la situation ne changera pas tant qu’une nouvelle loi ne sera pas adoptée ou que la poursuite ne se conclura pas. Dans l’attente du résultat du processus législatif, la poursuite sous-jacente demeure active. Si le projet de loi C-88 n’est pas adopté d’ici la fin de la législature actuelle, nous serons contraints soit de reprendre le processus législatif depuis le début, soit d’aller de l’avant avec notre poursuite contre le Canada. Les deux options pourraient prendre des années.
Honorables sénateurs, des représentants d’autres gouvernements autochtones de la vallée du Mackenzie et Bob McLeod, le premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, ont exprimé le même point de vue. Je suis persuadé qu’aucun sénateur ici présent ne voudrait rester sourd à leur appel unanime ou aveugle à l’incertitude qui s’installera pour longtemps si ce projet de loi n’est pas adopté au cours de la présente législature.
Toutefois, je tiens à préciser qu’en adoptant ce projet de loi sans amendement, comme je le suggère, les sénateurs font confiance au gouvernement pour qu’il mène les consultations nécessaires auprès de l’industrie et des intervenants autochtones afin de déterminer s’il faut prendre des règlements concernant le recouvrement des coûts.
Comme je l’ai expliqué dans mon discours précédent, le recouvrement des coûts est un concept selon lequel les promoteurs seraient tenus de rembourser au gouvernement fédéral les coûts engagés par l’État ou les offices dans le cadre du processus de réglementation. Cela impose un autre fardeau financier inutile aux promoteurs qui cherchent à exploiter leurs mines dans une région du pays où les coûts d’exploitation sont déjà de deux fois et demie à trois fois plus élevés, comme l’indique l’excellent rapport de l’Association minière du Canada intitulé Corriger les inégalités. Cela signifie que la qualité du minerai doit être supérieure à la qualité normale acceptable ou que les prix des produits doivent être plus élevés qu’ils ne le sont actuellement, afin que les mines du Nord vaillent la peine pour les promoteurs sur le plan économique.
J’espère ardemment que les consultations appropriées seront menées et que le gouvernement tiendra compte du coût actuel pour élaborer et exécuter un projet lorsqu’il décidera s’il y a lieu de prendre un règlement concernant le recouvrement des coûts conformément à ce projet de loi. La compétitivité du Nord doit être un facteur clé dans cette décision.
La partie 2 du projet de loi, bien que nettement plus courte que la partie 1, a fait l’objet d’un examen beaucoup plus approfondi. Les modifications proposées à la Loi fédérale sur les hydrocarbures permettront au gouvernement d’imposer un moratoire sur l’exploitation pétrolière et gazière dans l’Arctique sous prétexte qu’elle nuirait à « l’intérêt national ». Les membres du comité se sont questionnés sur la définition de la notion d’intérêt national. La ministre Bennett a expliqué que :
La notion d’« intérêt national » fait référence aux objectifs et ambitions nationaux d’un pays, qu’ils soient de nature économique, militaire ou culturelle [...]
À l’instar de certains de mes collègues, j’ai encore des réserves à l’égard de ce terme, étant donné il n’est pas défini dans la loi, ce qui le laisse ouvert à l’interprétation du gouvernement en place et des tribunaux.
Ce qui m’a rassuré, c’est l’intervention de James Fulford, négociateur en chef au ministère des Affaires extracôtières, gouvernementales et autochtones des Territoires du Nord-Ouest. Hier soir, lors des travaux du comité, j’ai demandé à M. Fulford s’il estimait que les mesures de protection prévues dans le projet de loi étaient suffisantes pour empêcher qu’on prenne à nouveau une décision unilatérale comme celle prise par le premier ministre Trudeau en décembre 2016.
Honorables sénateurs, vous vous rappellerez que, à ce moment-là, le premier ministre des Territoires du Nord-Ouest avait déploré cette décision irréfléchie et injuste et qu’il avait lancé une alerte rouge en disant craindre que, à la lumière de cette annonce, le colonialisme soit de retour dans le Nord.
En réponse à ma question, M. Fulford a répondu que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest :
[...] consid[ère] que les modalités du processus nous donnent l’occasion d’influer véritablement sur la prise de décisions concernant les ressources extracôtières, alors nous sommes d’avis que c’est une réelle amélioration.
Je peux aussi parler du début des négociations de l’accord du Nord. Comme on l’a dit, elles avancent plutôt bien. À titre d’information, il n’y a pas, dans la législation qui encadre les régimes d’exploitation pétrolière et gazière au large de la côte Est, de disposition sur l’intérêt national. On nous a assurés que l’objectif de la négociation était d’en arriver à un accord qui ressemble à ceux des régimes d’exploitation extracôtière sur la côte Est, alors nous nous attendons à en arriver à un régime comparable.
Pour nous, la modification de la Loi fédérale sur les hydrocarbures au sujet des interdictions semble être une disposition qui a pour objectif précis de répondre à un problème créé par le moratoire, si je peux me permettre de le dire sans détour. Nous nous attendons à ce que, comme ce fut le cas pour les négociations concernant les ressources extracôtières sur la côte Est, la Loi fédérale sur les hydrocarbures soit entièrement remplacée par le nouveau régime législatif que nous aurons négocié ensemble.
Honorables sénateurs, je tiens à mentionner que, lorsque j’étais premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, nous étions en fait très près de négocier ce que nous appelions aussi un accord sur le Nord. À l’époque, le très honorable Brian Mulroney était premier ministre et nous avions négocié une entente habilitante en vue de négocier un accord sur le Nord avec le ministre des Affaires indiennes et du Nord, Bill McKnight, et nous étions emballés à l’époque que cet accord reconnaisse, entre autres, l’intérêt des Territoires du Nord-Ouest dans les eaux de la baie d’Hudson.
Cette initiative a fini par échouer pour diverses raisons. J’ai donc été enchanté d’apprendre qu’un accord pourrait bientôt être conclu de sorte que l’idée d’invoquer l’intérêt national pour interdire l’exploitation pétrolière et gazière dans l’Arctique ne poserait plus problème.
J’espère qu’une fois terminées les négociations sur un nouvel accord sur le Nord avec le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et les titulaires de droits autochtones concernés, il y aura des négociations semblables avec le Nunavut et l’organisation représentant les titulaires de droits, Nunavut Tunngavik Inc. Ce sont les gens du Nord, qui se soucient de leur environnement et du développement de leur économie, qui devraient prendre les décisions avec le Canada concernant la cogestion de l’Arctique extracôtier.
En fait, j’ai demandé à la ministre Bennett s’il s’agit de la première partie d’une vision à long terme de cogestion de l’Arctique extracôtier, ce à quoi elle a répondu, à mon grand plaisir :
L’an dernier, si je ne me trompe pas, lorsque vous avez présidé un comité de l’ONU, vous vous êtes vanté du succès de la cogestion sur les territoires dans le Nord canadien [...] Une fois qu’on aura finalisé un accord de transfert des responsabilités avec le Nunavut, nous serons heureux d’entamer des négociations avec lui sur la cogestion, ainsi que sur le partage des revenus d’exploitation des ressources, et non seulement avec le gouvernement du Nunavut, mais aussi la Nunavut Tunngavik Inc., afin d’avoir une approche collaborative cohérente, comme celle qui a si bien fonctionné pour les terres.
« C’est de la musique à mes oreilles », lui ai-je répondu au comité.
Cependant, j’aimerais porter une autre préoccupation à votre attention. La Loi fédérale sur les hydrocarbures et la Loi sur les océans contiennent toutes les deux des dispositions de non-dérogation. Ni l’une ni l’autre n’a été assez solide pour empêcher l’imposition unilatérale d’un moratoire. Voilà pourquoi la sénatrice Anderson et moi avons collaboré de près pour préparer une observation qui a été annexée au projet de loi. La voici :
Les réserves exprimées par des intervenants inuits à l’égard des modifications au paragraphe 12(1) de la Loi fédérale sur les hydrocarbures découlent du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, qui a reçu la sanction royale le 27 mai 2019. Le président et directeur général de la Inuvialuit Regional Corporation, Duane Smith, a indiqué qu’il était toujours opposé aux mesures créant des aires de conservation nouvelles et provisoires. Contrairement aux accords sur les revendications territoriales plus récents, la Convention définitive des Inuvialuit (CDI) ne dit rien sur l’établissement d’aires de conservation. M. Smith a souligné que la disposition de non-dérogation du projet de loi C-55 n’accorde pas, aux détenteurs de droits assujettis à la CDI, les mêmes protections que prévoient expressément les accords sur les revendications territoriales plus récents. Or, les modifications proposées par le projet de loi C-88 avivent ces préoccupations.
Le moratoire actuellement en vigueur dans les zones extracôtières de l’Arctique a été imposé en 2016, sans que les parties concernées en soient avisées. Depuis, on observe une volonté de plus grande collaboration entre le gouvernement, l’industrie et les organisations et gouvernements autochtones. La Loi fédérale sur les hydrocarbures ne contient toutefois aucune disposition exposant expressément l’obligation, pour le gouvernement, de consulter les gouvernements et les organisations autochtones. Les dispositions de non-dérogation de cette loi et de la Loi sur les océans ne sont pas assez fortes pour assurer le respect des plus vieux accords de revendications territoriales, comme la CDI, qui ne prévoient pas de protections expresses pour les détenteurs de droits dans les cas où la création d’une aire de conservation est envisagée.
Le comité recommande fortement au gouvernement du Canada d’honorer l’esprit et l’intention de sa démarche de réconciliation, et de s’engager à consulter véritablement les gouvernements et les organisations autochtones sur les questions concernant les zones extracôtières de l’Arctique. Le gouvernement doit aussi voir à ce que ce processus de consultation respecte les droits des communautés inuites et des Premières Nations qui sont conférés par l’article 35 de la Constitution et par les traités, les accords sur les revendications territoriales globales et les accords sur l’autonomie gouvernementale conclus dans la région.
Je tiens à dire en terminant, honorables sénateurs, qu’hier soir au comité j’ai rendu hommage au ministre Dominic LeBlanc, car c’est lui, à l’époque où il détenait le portefeuille des Affaires du Nord, qui a eu la très bonne idée d’entamer des pourparlers sur la gestion conjointe des zones extracôtières de la mer de Beaufort avec les autorités du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest ainsi qu’avec les Inuvialuits. Il s’agit d’un excellent précédent pour l’Est de l’Arctique.
Honorables sénateurs, maintenant que nous avons ces assurances, j’estime que nous aurons les moyens d’exiger des comptes du gouvernement si jamais la collaboration et la consultation ne sont pas au rendez-vous — loin de moi cette pensée. Voilà pourquoi je joins ma voix à celle du premier ministre McLeod, du grand chef Mackenzie, des chefs dûment élus du Conseil tribal des Gwich’ins, du Secrétariat du Sahtu et de ma collègue la sénatrice Anderson, des Territoires du Nord-Ouest, pour vous demander instamment d’appuyer ce projet de loi.
Merci. Quyana. Mahsi cho. Taima.
Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Patterson?
Avec plaisir.
Je vous remercie.
J’ai posé la même question au groupe hier soir, et je la repose aujourd’hui, même si j’ignore s’il est possible d’y répondre.
Dans quelle mesure les revendications de la Russie, du Danemark et des États-Unis sur les terres et les ressources naturelles du Nord pourraient-elles empêcher le Canada et les Inuits de faire appliquer ce projet de loi? En avez-vous la moindre idée?
Merci beaucoup de cette question. Elle est pertinente, car le Comité spécial sur l’Arctique a publié un rapport cette semaine. Nous nous sommes rendus dans des régions de l’Arctique afin d’examiner, entre autres, la question de la sécurité et de la souveraineté dans l’Arctique.
Sur ce sujet, le comité a recommandé très fermement que le Canada renforce sa présence, sa surveillance, ses flottes et sa capacité à affirmer sa souveraineté dans l’Arctique, étant donné l’intensification des activités et la multiplication des infrastructures dans d’autres pays circumpolaires comme la Russie et l’intérêt manifesté par des pays qui se disent États quasi arctiques comme la Chine et — tenez-vous bien — Singapour. Le comité recommande :
1. Que le gouvernement du Canada élabore une stratégie qui : 1) habilite les gouvernements de l’Arctique et du Nord à assumer des rôles dans la prestation de programmes et de services fédéraux à leurs résidents ; et 2) qui transfère aux gouvernements locaux, territoriaux et autochtones la gestion des programmes et des services fédéraux liés à l’Arctique et aux régions nordiques.
2. Que le gouvernement du Canada : 1) offre un soutien financier accru pour la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales globales, y compris les processus de planification de l’aménagement du territoire et la gouvernance des commissions de réglementation ; et 2) consulte et collabore avec les gouvernements autochtones et territoriaux pour élaborer des régimes de cogestion en ce qui concerne les eaux extracôtières arctiques.
Avec le projet de loi à l’étude, nous nous engageons dans la bonne voie. Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénatrice Anderson, avec l’appui de l’honorable sénatrice Duncan, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)