La Loi sur la citoyenneté
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
8 juin 2021
Propose que le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada).
Je veux reconnaître que je le fais depuis chez moi, à Tuktoyaktuk, aux Territoires du Nord-Ouest, sur le territoire des Inuvialuits, qui a fait l’objet d’un accord sur les revendications territoriales. Je suis honorée de pouvoir joindre ma voix à celles des Autochtones qui nous ont amenés à ce moment dans l’histoire.
Le 2 juin 2015, la Commission de vérité et réconciliation a publié ses 94 appels à l’action dans son rapport final intitulé, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : sommaire du rapport final de la commission de vérité et réconciliation du Canada.
Sur une période de six ans, soit de 2009 à 2015, la Commission de vérité et réconciliation a organisé sept grands événements nationaux dans six provinces et un territoire, événements auxquels environ 155 000 visiteurs et plus de 9 000 survivants des pensionnats ont participé. Elle a également tenu 238 jours d’audiences locales dans 77 collectivités un peu partout au Canada. De plus, la Commission de vérité et réconciliation a reçu plus de 6 750 déclarations de survivants des pensionnats, de membres de leur famille et d’autres personnes qui ont partagé leurs connaissances sur le système des pensionnats et les séquelles qu’il a laissées. C’est ce travail et les paroles, la résilience, la force, la persévérance et la détermination des survivants, des familles et des communautés qui ont façonné et étayé les 94 appels à l’action.
Dans son rapport provisoire, qui s’intitule Ils sont venus pour les enfants et qui a été publié en 2012, la Commission de vérité et réconciliation souligne l’importance des séquelles des pensionnats pour tous les Canadiens :
Lorsque nous parlons des pensionnats indiens et de leur héritage, nous ne parlons pas d’un problème autochtone, mais d’un problème canadien. Ces pensionnats ne sont pas simplement un sombre chapitre de notre passé. Ils ont fait partie intégrante de la dynamique dans laquelle s’est inscrite la construction du Canada.
Dans son rapport final, la Commission de vérité et réconciliation souligne ceci :
Connaître la vérité a été difficile, mais se réconcilier le sera encore davantage. Pour ce faire, il faut rejeter les fondements paternalistes et racistes du système des pensionnats qui sont à la base de la relation. La réconciliation nécessite l’élaboration d’une nouvelle vision fondée sur le respect mutuel. Il faut également comprendre que les conséquences les plus dommageables des pensionnats ont été la perte de fierté et de dignité des peuples autochtones et le manque de respect que les non-Autochtones ont appris dès l’enfance à avoir à l’égard de leurs voisins autochtones. La réconciliation n’est pas un problème autochtone, c’est un problème canadien. Tous les aspects de la société canadienne pourraient devoir être réexaminés.
Avant la Commission de vérité et de réconciliation, il y a eu la Commission royale sur les peuples autochtones. De 1991 à 1996, les commissaires de la Commission royale ont visité 96 communautés autochtones et ont tenu 178 jours d’audiences publiques. Leur mandat consistait à étudier l’évolution des rapports entre les peuples autochtones, le gouvernement du Canada et la société canadienne dans son ensemble.
De plus, compte tenu de l’expérience transmise au fil des relations nationales et internationales, la Commission royale sur les peuples autochtones s’est vu confier la tâche de proposer des solutions précises aux problèmes vécus par les peuples autochtones. Son rapport, soumis en octobre 1996, comptait 4 000 pages rassemblées en cinq volumes et 440 recommandations. Elle proposait un programme sur 20 ans pour la mise en œuvre de ses recommandations. Elle préconisait des changements en profondeur, mais bon nombre de ses recommandations n’ont pas été mises en œuvre, en partie parce que le gouvernement a changé.
La Commission royale sur les peuples autochtones a souligné ceci :
Tant que les Canadiens n’auront pas appris à connaître l’histoire du Canada telle que la connaissent les autochtones, les blessures subies par ces derniers continueront de s’envenimer, exacerbées par un sentiment de honte et d’impuissance devant leur propre vulnérabilité. La violation des engagements solennels contenus dans les traités, la cruauté des pensionnats, les collectivités entières qui ont été déracinées, les anciens combattants autochtones qui ont vu leurs droits déniés après les deux guerres mondiales, sans compter les grandes injustices et les petites bassesses auxquelles a donné lieu l’administration de la Loi sur les Indiens — tout cela ne symbolise que trop bien l’iniquité à laquelle les autochtones sont inlassablement confrontés.
Chers collègues, nous célébrons habituellement en juin le Mois national de l’histoire autochtone. Au lieu de cela ce mois-ci, nous pleurons la découverte des restes de 215 enfants autochtones à l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops. Cela pèse lourdement sur nous tous, surtout pour ceux qui sont touchés directement ou indirectement par des expériences personnelles ou des traumatismes intergénérationnels. Les voix éteintes de ces 215 enfants autochtones résonnent maintenant plus fort que jamais. Pour de nombreux Canadiens, il peut s’agir du premier contact tangible avec la vérité des pensionnats, ainsi qu’avec la violence, l’abus et les préjudices durables infligés aux enfants, aux familles et aux communautés autochtones. Pourtant, pour les Autochtones, cette douleur n’est pas nouvelle. Elle est palpable. Elle provoque encore des réactions. Elle suscite l’épuisement et le découragement. C’est une partie incontournable de notre histoire collective, qui continue de nous façonner et de nous définir encore aujourd’hui. Résistants, résolus et résilients, nous sommes unis par notre peine et notre chagrin collectifs. Nous sommes plus déterminés qu’avant à retrouver et à rapatrier tous les enfants autochtones.
Je suis de tout cœur avec les survivants des pensionnats, avec leurs familles, avec les communautés et avec ceux qui ne sont jamais revenus à la maison et dont la voix n’a pas encore été entendue. Vous n’êtes pas seuls. Nous partageons votre indignation et votre chagrin collectifs.
Dans la région désignée des Inuvialuits, le premier pensionnat se trouvait à la pointe Shingle, dans les Territoires du Nord-Ouest, de 1929 à 1936. Il a été remplacé par le pensionnat anglican All Saints à Aklavik de 1936 à 1959. En 1959, la nouvelle communauté d’Inuvik a été établie et elle est devenue le lieu de l’école Sir Alexander Mackenzie, un externat indien fédéral. Il s’agit de l’un des premiers bâtiments construits à Inuvik. On continuait d’arracher des enfants à leurs parents et à leur famille partout dans les Territoires du Nord-Ouest pour qu’ils fréquentent l’externat indien à Inuvik. Pendant qu’ils fréquentaient l’école, des enfants âgés d’à peine cinq ans étaient forcés de vivre au Stringer Hall ou au Grollier Hall. Bien que le contrôle des deux résidences ait été transféré au gouvernement territorial à la fin des années 1960, Stringer Hall a été géré par l’Église anglicane de 1959 à 1975, et Grollier Hall par l’Église catholique de 1959 à 1997, ce qui en fait l’un des derniers pensionnats à fermer au Canada.
Nous avons connu 68 ans de pensionnat dans le delta de Beaufort. Au moins trois générations d’enfants ont été arrachées à l’amour et à la sécurité de leurs parents, de leur famille et de leur communauté, et on leur a volé leur culture et leur langue.
Comme la plupart des pensionnats, les deux résidences ont été le lieu d’histoires horribles d’abus physiques, émotionnels et sexuels. Grollier Hall était particulièrement notoire pour cela. Un groupe de travail de la Gendarmerie royale du Canada chargé d’enquêter sur des allégations d’abus sexuels au Grollier Hall a interrogé 432 personnes. Quatre superviseurs ont été reconnus coupables d’avoir abusé sexuellement d’enfants et de jeunes à la résidence entre 1959 et 1979.
Nous avons nos propres histoires d’enfants autochtones disparus. L’une d’elles a trait à trois garçons de ma communauté. Il y aura 49 ans ce mois-ci, le 23 juin 1972, Bernard Andreason et ses amis, Dennis Dick et Lawrence Jack Elanik, se sont enfuis de l’école Stringer Hall. Bernard et Jack avaient 11 ans, Dennis, 13. Ils ont essayé de rentrer à pied chez eux, à Tuktoyaktuk, sur le bord de l’océan Arctique. Le soleil ne se couche jamais en juin. Entre Inuvik et Tuktoyaktuk, le territoire broussailleux se transforme en vaste toundra parsemée de lacs, de collines et de rivières. Comme il n’y avait ni route ni sentier, les garçons ont suivi la rangée de poteaux téléphoniques vers le nord.
Deux semaines plus tard, le 8 juillet 1972, malgré des recherches intensives, seul Bernard a été retrouvé en vie, à huit milles de Tuktoyaktuk. Jack a été retrouvé sans vie, et Dennis Dick a disparu.
Dans une entrevue accordée le 21 septembre 2017, M. Andreason a dit qu’ils se sont enfuis parce qu’ils avaient peur de retourner à l’école. Il a ajouté que les superviseurs n’étaient pas de bonnes personnes et qu’ils étaient tellement méchants qu’ils avaient peur d’eux.
Nous devons nous souvenir de ces histoires. Nous n’avons pas oublié nos enfants disparus, et ils nous manquent énormément. L’école Sir Alexander Mackenzie n’existe plus maintenant, tout comme l’ancienne école secondaire Samuel Hearne. Les deux établissements ont été fermés en 2012, puis démolis dans les deux années qui ont suivi. Ils ont été remplacés par l’établissement East Three, qui regroupe une école primaire et une école secondaire. Les deux pensionnats autochtones ont aussi été démolis, et les terrains sont toujours vacants. Non loin de là se trouvent le parc Chief Jim Koe et des terrains de baseball. L’ancien aréna Grollier Hall a été transformé en serre communautaire. Si vous arriviez à Inuvik aujourd’hui, vous n’auriez aucune façon de découvrir l’histoire des pensionnats autochtones, à moins de prendre le temps d’apprendre à connaître les histoires des Inuvaluit et des Gwich’in.
Chers collègues, il est essentiel que le Canada ne laisse pas sombrer dans l’oubli le travail et les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones et de la Commission de vérité et réconciliation, que l’histoire des peuples autochtones dans le pays qu’on appelle le Canada soit documentée et reconnue et que le Canada continue de travailler avec les peuples autochtones et d’entretenir une relation honorable avec eux, comme le promettent les traités et les droits autochtones.
En outre, tous les Canadiens devraient chercher à s’informer, pas seulement au sujet des traces laissées par les pensionnats autochtones, mais de toute l’époque coloniale du pays pendant laquelle régnaient la destruction, l’assimilation, l’aliénation, le racisme et les actes de génocide ciblant notre peuple, notre culture et notre langue dans tous les aspects de notre vie. Ce travail fait partie de notre responsabilité collective pour l’atteinte de la réconciliation, de l’égalité et de la justice pour tous. Nous sommes tous responsables de forger une nouvelle relation qui reconnaît les droits inhérents des peuples autochtones.
L’histoire des traités entre le Canada et les peuples autochtones remonte aux premières interactions entre les Autochtones et les nouveaux arrivants. Les peuples autochtones ont régulièrement formé des alliances politiques et militaires avec la Nouvelle-France et avec les Britanniques. Après la Proclamation royale de 1763, le gouvernement britannique s’est engagé à signer des traités avec les peuples autochtones avant d’occuper leurs terres.
Après la guerre de 1812, les Britanniques ont toutefois cessé de considérer les Autochtones comme de précieux partenaires et alliés. Ils les voyaient plutôt comme des êtres puérils non préparés à la vie dans un monde moderne. Ce changement d’attitude a fait en sorte que nos traités ont cessé d’être respectés. La Loi sur les Indiens de 1876, alors appelée l’Acte des Sauvages, a codifié ces attitudes ainsi que la responsabilité que s’est lui-même donnée le gouvernement du Canada à l’égard des peuples autochtones. Voilà où a commencé le projet canadien d’assimilation, de ségrégation et d’éradication des Autochtones.
De 1871 à 1921, pendant l’expansion du Canada vers l’Ouest, le gouvernement a négocié 11 traités numérotés qui expulsaient les Autochtones des meilleures terres cultivables en plus d’essayer de leur imposer l’économie agricole. De 1923 à 1971, aucun nouveau traité n’a été négocié. En fait, de 1927 à 1951, il a été déclaré illégal pour les Autochtones d’amasser des fonds ou de retenir les services d’un avocat pour revendiquer des terres dans le cadre d’une poursuite.
Le gouvernement a déposé le livre blanc en 1969, cédant ainsi à la pression populaire qui lui avait réclamé, durant cette décennie, de remédier aux problèmes socioéconomiques des Autochtones et d’améliorer leurs conditions de vie. Le livre blanc réitérait les objectifs du Canada pour assimiler les Premières Nations dans la société canadienne. Ce document proposait le transfert de la responsabilité des Premières Nations aux gouvernements provinciaux et réclamait l’abolition de la Loi sur les Indiens.
Les peuples autochtones ont activement résisté aux politiques proposées dans le livre blanc, qui a été retiré en 1971. Dans l’arrêt Calder de 1973, la Cour suprême du Canada a confirmé que les peuples autochtones avaient bel et bien un titre de propriété sur leurs terres ancestrales. La même année, le gouvernement a annoncé une nouvelle politique des revendications territoriales globales, ce qui a amorcé une ère de négociations d’ententes sur les revendications territoriales globales et, à partir de 1995, d’ententes sur l’autonomie gouvernementale.
Depuis 1975, 25 traités modernes ont été négociés.
Compte tenu de tout cela, je parraine le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada), qui propose de modifier le serment de citoyenneté.
Le libellé du serment de citoyenneté actuel se lit comme suit :
Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien.
En revanche, le nouveau libellé proposé se lit comme suit :
Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada, y compris la Constitution, qui reconnaît et confirme les droits — ancestraux ou issus de traités — des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien.
Ainsi, le Canada prend des mesures concrètes pour répondre à un autre appel à l’action qui permettra aux néo-Canadiens d’être informés et de reconnaître la vérité historique de leur nouveau pays, qui ne commence pas avec la Confédération, mais avec la présence des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Les partenaires autochtones, dont l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis, ont fait savoir que le serment proposé à l’origine dans l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui faisait référence aux « traités conclus avec les peuples autochtones » et ne faisait pas référence aux droits autochtones, n’était pas pertinent pour tous les peuples autochtones.
Bien que de nombreuses Premières Nations sont signataires de traités officiels, les accords conclus par les Métis et les Inuits avec la Couronne ne sont pas toujours qualifiés comme tels. Grâce à la collaboration de groupes et d’organisations autochtones, le gouvernement estime que le libellé du serment proposé dans le projet de loi C-8 est plus inclusif et plus représentatif des expériences des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
L’Inuit Tapiriit Kanatami a fait savoir que le libellé actuel du projet de loi C-8 est une amélioration par rapport à ce qui se trouvait dans l’appel à l’action no 94 de la Comission de vérité et réconciliation. Bien qu’il ne s’agisse pas du libellé privilégié que l’Inuit Tapiriit Kanatami a présenté pendant la période de consultation et lors de l’étude en comité à la Chambre des communes, l’organisme demande l’adoption rapide du projet de loi C-8. L’Inuit Tapiriit Kanatami a déclaré que « le projet de loi est lié aux efforts continus de réconciliation et qu’il est essentiel à ceux-ci ».
Par ailleurs, une note d’information que l’organisme a acheminée à mon bureau poursuit :
Les Inuits ont les mêmes priorités que le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, qui sont énoncées dans sa lettre de mandat, soit mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Nous estimons que tous les Canadiens et l’ensemble des gouvernements, des organismes et des entreprises au Canada ont la responsabilité commune de respecter et d’atteindre les objectifs de ces ententes, qui établissent les modalités de notre relation avec le Canada. Nous attendons aussi impatiemment la publication d’une version révisée du guide sur la citoyenneté, qui sert d’outil précieux pour informer les gens sur nos ententes de revendications territoriales, nos terres, notre langue et, surtout, ce qui unit les Inuits en tant que peuple distinct des Premières Nations et des Métis.
Au moyen d’une communication envoyée à mon bureau, l’Assemblée des Premières Nations a exhorté les sénateurs à appuyer le projet de loi C-8 dans sa forme actuelle en indiquant ceci :
L’Assemblée des Premières Nations appuie l’adoption du projet de loi C-8 et elle a déjà travaillé avec des membres du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord pour faire adopter un certain nombre d’amendements qu’elle a proposés. Nous sommes satisfaits du projet de loi amendé. Nous exhortons le Sénat à adopter le projet de loi dès que possible et nous avons hâte qu’il reçoive la sanction royale.
Le libellé proposé dans le projet de loi C-8 constitue un changement extrêmement important, étant donné qu’il reconnaît que les droits des Autochtones sont protégés par la Constitution en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces droits reposent sur l’occupation et l’utilisation historiques de ces terres par les peuples autochtones. Le serment révisé soulignerait la nécessité pour les nouveaux Canadiens de montrer qu’ils comprennent les Autochtones ainsi que leurs droits constitutionnels.
C’est ce que souligne le Congrès des peuples autochtones dans une déclaration soumise à mon bureau :
Nous appuyons ce projet de loi dans sa forme actuelle. Il reflète bien les termes juridiques employés dans la Constitution du Canada, puisqu’il parle des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qu’ils aient ou non le statut d’Indien, qu’ils vivent ou non dans une réserve. Le Congrès des peuples autochtones représente des communautés de toutes les catégories mentionnées qui s’autogouvernent et demeurent titulaires de droits au Canada. Nous approuvons le texte utilisé, qui reconnaît leurs droits et leur identité et aidera les nouveaux Canadiens à découvrir leurs obligations envers les peuples autochtones et leur relation avec eux.
Honorables collègues, n’oublions pas que la Commission de vérité et réconciliation a demandé au gouvernement de modifier non seulement le serment de citoyenneté mais aussi, dans l’appel à l’action no 93, la trousse d’information pour les nouveaux arrivants.
L’Association des femmes autochtones du Canada met l’accent sur l’importance du guide d’étude et souligne qu’il faudrait apporter des révisions considérables à la version actuelle. Voici ce qu’elle dit à ce sujet :
Il ne suffit pas de modifier la Loi sur la citoyenneté. Pour que cette modification ait un effet notable dans notre communauté, le gouvernement doit s’engager à modifier le guide d’étude Découvrir le Canada — L’histoire du Canada. Dans sa forme actuelle, le guide d’étude ne reconnaît vraiment pas adéquatement l’histoire des peuples autochtones et les atrocités qu’ils continuent de subir, qui touchent particulièrement les femmes et les filles autochtones ainsi que les personnes ayant diverses identités de genre.
Le guide d’étude d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada fait partie intégrante de l’appel à l’action no 94. Ce livret, qui est donné aux immigrants qui souhaitent devenir citoyens canadiens, est l’un des principaux outils qui les aident à se préparer à l’examen de citoyenneté. Sa dernière mise à jour remonte à 2012 et le gouvernement est en train de le modifier pour tenir compte des appels à l’action nos 93 et 94. Le nouveau guide Découvrir le Canada — Les droits et responsabilités liés à la citoyenneté continuera donc d’évoluer. Afin de mettre à jour le guide sur la citoyenneté, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a consulté des intervenants en citoyenneté, des universitaires, des organismes communautaires et de nombreux groupes d’intérêt. Il a travaillé avec des organisations autochtones nationales pour concevoir le contenu du guide, afin d’aider les nouveaux Canadiens à comprendre les changements apportés au serment ou à l’affirmation solennelle reflétant les droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Le nouveau guide sur la citoyenneté contiendra des questions sur les Autochtones et sur leurs droits. Le ministère cherche à favoriser l’élaboration d’outils pédagogiques qui incluent davantage d’information sur l’histoire et les traités autochtones, ainsi qu’à répondre à l’appel à l’action no 93 de la Commission de vérité et réconciliation, reconnaissant que l’éducation constitue un composant clé pour les nouveaux immigrants au Canada. De plus, des ressources pédagogiques seront fournies dans les salles de classe partout au Canada pour que tous les élèves puissent apprendre ces leçons essentielles.
Honorables sénateurs, je souligne que ces efforts s’ajoutent à d’autres appels à l’action, notamment les appels à l’action nos 62 à 65 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation concernant l’éducation et l’élaboration des programmes pour les écoles. De tels efforts aideront les étudiants canadiens à apprendre toute l’histoire souvent difficile des Autochtones, à mieux comprendre l’histoire qui occupe toujours une place dans la vie des Autochtones, et à forger de nouvelles relations qui s’appuient sur les faits et la compréhension.
Honorables sénateurs, qu’il soit né Canadien ou qu’il ait choisi de le devenir, tout Canadien a un devoir d’apprentissage, de partage, de cohabitation et de compréhension à l’égard de l’histoire des peuples autochtones de ce territoire où nous vivons depuis des temps immémoriaux. Le Canada a systématiquement rompu nos liens avec la terre, nos semblables, notre culture et nos langues. On a réglementé tous les aspects de notre vie et fait de nous des étrangers sur nos propres terres.
Lorsqu’il est question de la relation de ce pays avec les peuples autochtones, les gestes sont plus éloquents que les paroles. L’adoption du projet de loi C-8 est une mesure de réconciliation concrète qui va au-delà des paroles et des écrits. C’est une mesure observable et mesurable qui contribue à établir entre le Canada et les peuples autochtones une nouvelle relation fondée sur l’honneur et la confiance.
Le gouvernement a promis de mieux travailler avec les peuples autochtones et a réaffirmé que la relation la plus importante pour le premier ministre et le Canada est leur relation avec les peuples autochtones. En tant qu’Autochtone, je veillerai à ce que vous respectiez cet engagement. Nous ne méritons rien de moins. Nous demandons justice et des gestes concrets pour résoudre les problèmes systémiques qui nous affligent encore, notamment en ce qui concerne la santé, l’éducation, le logement, l’alimentation, la sécurité, l’approvisionnement en eau potable, les services à l’enfance et à la famille ainsi que les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues.
Je souligne que la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées représentent 13 ans de témoignages, recueillis au cours de 438 jours d’audience, livrés par plus de 8 886 témoins et dont sont issues 766 recommandations pour changer la relation entre le Canada et les peuples autochtones. Il est honteux que le gouvernement du Canada, peu importe le parti au pouvoir, ne se soit pas engagé pleinement à donner suite à ces rapports qui datent de 20 ans.
Le temps des discours, des promesses, des gestes symboliques et des rapports additionnels est révolu. Nous disposons d’une pléthore de rapports rigoureux et exhaustifs sur la situation passée et actuelle des peuples autochtones au pays. Il est grand temps que les parlementaires élus et nommés rendent honneur à l’ensemble de ce travail avec des actions concrètes.
Je presse tous les sénateurs d’appuyer le projet de loi. Avec beaucoup de respect, je laisse le dernier mot à l’ancien grand chef Wilton Littlechild :
En tant qu’ancien commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, et puisqu’il s’agit d’un de nos appels à l’action [94], j’appuie entièrement l’adoption du projet de loi C-8. Il est très important de renseigner les nouveaux Canadiens au sujet d’une réalité dont les immigrants du passé n’avaient pas à prendre connaissance, c’est-à-dire notre existence. Ce nouveau serment de citoyenneté et cette nouvelle affirmation solennelle contribueront à tisser des liens nouveaux de manière positive et à bâtir un Canada meilleur, plus fort et plus inclusif.
Quyanainni, Quana, Mahsì. Merci.
La sénatrice Anderson accepte-t-elle de répondre à une question?
Oui.
Merci, sénatrice Anderson.
Je vous suis très reconnaissante de vos observations. J’apprends quelque chose de nouveau sur l’histoire autochtone chaque jour de séance. Chose certaine, c’est ce que vous m’avez permis de faire aujourd’hui. Il est surprenant de constater à quel point les néo‑Canadiens connaissent très peu l’histoire. Je vous remercie de contribuer à mon éducation continue.
Le projet de loi porte aussi sur les néo-Canadiens parce que ce sont eux qui, au bout du compte, prêteront serment, l’utiliseront et prononceront ces mots. Or, je n’ai vu nulle part, que ce soit dans les documents publiés jusqu’à cette étape au Sénat, dans les séances d’information législative ou dans les travaux du comité de la Chambre des communes, que les néo-Canadiens ont été consultés. En tant que marraine du projet de loi, pouvez-vous m’aider à comprendre ce fait?
Je vous remercie de la question. Je ne peux malheureusement pas vous dire si les néo-Canadiens ont été consultés. L’étude en comité plénier sera peut-être un meilleur moment pour obtenir une réponse. Je suis d’accord avec vous : toutes les voix sont importantes et toutes les personnes touchées par la mesure législative devraient faire partie des consultations.
Merci, madame la sénatrice. Je soumettrai ma question pendant l’étude en comité plénier.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, qui porte sur l’appel à l’action no 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
Honorables sénateurs, vous m’avez déjà entendu dire qu’il n’y a que deux segments de la population canadienne qui sont en croissance : les Autochtones du Canada en raison d’une hausse de leur taux de natalité, et les immigrants en raison d’arrivées soutenues. Pourtant, et j’en ai aussi déjà parlé, l’espace qui sépare ces deux segments de la population est énorme dans tous les sens du terme — que l’on pense aux aspects émotionnels, culturels, sociaux ou spatiaux. En conséquence, les immigrants et les Autochtones du Canada ne se parlent pas, du moins pas autant qu’ils le devraient.
Malheureusement, trop de choses nous séparent. J’ai toujours su que l’histoire du Canada était plurielle. C’est un pays complexe qui est formé de nombreux éléments, dont certains évoluent. Cette histoire nous est racontée de différentes manières : il y a l’histoire des premiers peuples, l’histoire de la colonisation, l’histoire de la formation du Canada et l’histoire des immigrants du Canada. Or, toutes ces histoires ne convergent jamais. C’est particulièrement vrai dans les classes d’histoire des écoles du pays.
D’autres facteurs entrent en ligne de compte : la façon avec laquelle nous avons conçu notre nation, qui est formée d’anglophones, de francophones, d’Autochtones et de communautés multiculturelles qui existent en vase clos, qui évoluent dans des cadres stratégiques distincts et qui sont visés par différentes parties de l’appareil gouvernemental. Cela nous a empêchés de trouver des points communs reposant sur des liens naturels ou bâtis par l’homme.
En outre, les immigrants — parmi lesquels il faut inclure les premiers colons autant que les immigrants et les réfugiés récents, entre autres — considèrent que le Canada est une terre de possibilités, un refuge, sans reconnaître que ce territoire appartenait déjà à d’autres groupes. Je ne suis donc pas loin de la vérité lorsque je dis percevoir une certaine distance entre les nouveaux arrivants et les communautés autochtones, peu importe d’où viennent ces nouveaux arrivants, parce qu’ils ne connaissent tout simplement pas l’histoire, les droits et la contribution des Autochtones en ce qui a trait à l’édification du Canada.
Les personnes les plus récemment arrivées au Canada ne comprennent pas pourquoi les Premières Nations au Canada sont souvent absentes de la représentation de l’identité nationale, alors qu’elles devraient être au cœur de cette dernière et être celles qui ont le plus d’ascendant sur celle-ci, puisqu’elles étaient ici en premier. Lorsqu’on devient citoyen canadien et qu’on prête serment à la reine — ce qui est le sujet d’un tout autre débat —, le fait que l’histoire des peuples autochtones au Canada fasse maintenant partie de notre propre histoire est mal compris. Comme l’a si bien expliqué l’ex-gouverneure générale Adrienne Clarkson :
Quand on devient membre d’une famille, c’est de toute la famille dont on fait partie, pas seulement d’un petit groupe sélect.
Les néo-Canadiens ne peuvent pas simplement dire qu’ils n’étaient pas là lorsque c’est arrivé et qu’ils n’ont donc aucune responsabilité à assumer.
Ajoutons que, en dépit des difficultés initiales et des bouleversements que vivent les immigrants ainsi que des défis liés au déplacement qu’ils doivent surmonter, en général, au fil du temps, ils s’en sortent bien. Cette réalité est célébrée au Canada de nombreuses façons, et on en fait grand cas. En comparaison, la surreprésentation des Autochtones dans les prisons et les conditions dans les réserves, où on n’a pas encore éliminé tous les avis de faire bouillir l’eau, montrent qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. À mon avis, tout cela accentue les divisions entre nous, soit une sorte de maladresse. Nous sommes dans la même pièce, mais nous préférons peut-être nous tenir dans des coins différents.
Pourtant, je sais que beaucoup de points nous unissent. Les peuples autochtones sont les premiers habitants du Canada, alors que nous, nous sommes les plus récents, mais il y a des similitudes dans l’exclusion que nous avons possiblement vécue. Nous avons une histoire commune de déplacement. Nous avons probablement une histoire commune où nous avons été victimes du colonialisme et du racisme institutionnel et où nous avons dû survivre et vivre en marge de la société. Je pense à l’histoire de l’internement des Japonais, à la taxe d’entrée imposée aux cheminots chinois et à la désinvolture de l’enquête sur la tragédie d’Air India. En examinant l’histoire des peuples autochtones, les immigrants ont aussi trouvé leurs semblables.
Afin de bâtir un avenir commun, nous devons combler les écarts émotionnels, culturels, socioéconomiques et spatiaux. Adopter ce projet de loi et concrétiser l’appel à l’action no 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada n’est qu’une seule mesure, mais c’est un premier pas important. Quand le projet de loi C-8 aura été adopté, chaque personne qui voudra obtenir la citoyenneté canadienne sera informée de l’histoire des peuples autochtones. Dans son serment, elle prononcera des paroles confirmant l’existence des droits et des traités des Autochtones. C’est un pas très important.
Je crois qu’il faut en faire plus que simplement ajouter une phrase dans un serment, qui ne sera prononcé qu’une seule fois, puis vraisemblablement oublié. Nous devons agir de manière plus exhaustive et plus créative pour intégrer l’histoire des peuples autochtones du Canada dès les premières étapes du cheminement des personnes souhaitant être naturalisées canadiennes, de l’arrivée et l’installation jusqu’à l’assermentation, car les deux groupes qui connaissent la croissance démographique la plus importante ne doivent pas se retrouver isolés l’un de l’autre.
Comme l’a mentionné la sénatrice Anderson, nous avons besoin d’un nouveau guide plus étoffé pour les cérémonies de citoyenneté, mais nous savons que le ministre de l’Immigration y voit. Ce nouveau guide devrait comprendre beaucoup plus d’information sur les peuples autochtones, notamment sur leurs droits et leur histoire, de manière à aider les nouveaux arrivants à mieux comprendre cet aspect de l’histoire du Canada avant de prêter leur serment de citoyenneté. Cela permettra de créer de nouveaux liens, d’accroître la sensibilisation et, souhaitons-le, de susciter un effort collectif pour réparer les erreurs du passé et du présent pour ne plus les répéter à l’avenir.
Je crois également que l’apprentissage de l’histoire autochtone du Canada ne devrait pas débuter au moment où l’immigré est sur le point d’obtenir sa citoyenneté, ce qui signifie au moins trois ou quatre ans après l’arrivée au pays. La première fois que j’ai pris connaissance de l’histoire des premiers peuples du Canada, c’était à mon examen pour la citoyenneté, en 1985, cinq ans après mon arrivée au pays. À une certaine époque, les cours d’instruction civique se donnaient en classe, en présentiel. Même là, on traitait du sujet de manière assez superficielle, et je crois que c’est toujours le cas aujourd’hui.
Le moment où l’on s’apprête à obtenir la citoyenneté est beaucoup trop tard. La formation devrait débuter à l’arrivée des immigrants, dans le cadre des cours de langue et des programmes d’établissement qui favorisent une intégration cohérente. L’intégration en soi doit être redéfinie. Elle ne doit pas tenir seulement à l’inclusion économique et sociale. Elle doit inclure la compréhension et l’apprentissage de l’histoire et de l’horrible passé des pensionnats. Selon moi, les cérémonies de citoyenneté elles-mêmes doivent devenir une occasion d’entendre parler non pas l’élite du Canada — comme c’est le cas à l’heure actuelle si je ne m’abuse —, mais les survivants des pensionnats. Rien ne permettra aux immigrants de prendre mieux conscience de l’horreur que le sort infligé aux enfants des peuples autochtones.
Enfin, j’estime que nous avons la responsabilité de nous faire les champions les uns des autres. Nous sommes tous des agents de la réconciliation. Nous sommes tous des agents de l’intégration. Nous devons en faire plus. La santé de notre pays, la santé de nos collectivités et la santé et le bien-être des Autochtones en dépendent. J’approuve cette modification du serment et j’espère qu’elle aura rapidement force de loi. Toutefois, j’estime que nous devons aller au-delà du symbolisme et acquérir une réelle compréhension, de telle sorte que nous puissions enfin échanger, cuisiner ensemble, chanter et danser ensemble et nous raconter nos histoires les uns les autres. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Anderson, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)