Banques et commerce
Motion tendant à autoriser le comité à examiner la nécessité de revoir la Loi sur la Banque du Canada--Ajournement du débat
10 mars 2020
Conformément au préavis donné le 5 février 2020, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, dès que le comité sera formé, le cas échéant, soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la nécessité de revoir la Loi sur la Banque du Canada afin, notamment :
a)de préciser que le mandat de la Banque du Canada vise non seulement la stabilité des prix mais aussi la poursuite de l’emploi maximum ou du plein emploi productif comme le font les États-Unis, l’Australie et, dernièrement, la Nouvelle-Zélande;
b)de prévoir la signature d’une entente entre la Banque du Canada et le ministre des Finances comme c’est le cas depuis 1991;
c)de prévoir également des mesures de transparence quant au processus et au choix des indicateurs dans la détermination du taux directeur ainsi que des analyses des effets de la conduite de la politique monétaire sur le taux d’inflation, l’emploi et la répartition des revenus et d’en faire rapport au Parlement;
Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 20 juin 2020.
— Honorables sénateurs, mon discours sera bref. Mon propos est le suivant : le temps est venu de revoir la Loi sur la Banque du Canada, adoptée en 1934, afin qu’elle reflète les pratiques d’aujourd’hui.
Le Sénat, et en particulier le Comité permanent des banques et du commerce, est tout à fait désigné pour examiner méticuleusement cette question et proposer les changements appropriés.
Dans le cadre d’une interpellation que j’ai faite au Sénat le 30 avril 2019, j’ai expliqué pourquoi il est temps de revoir la Loi sur la Banque du Canada. Je ne répéterai pas ici tous les arguments que j’avais présentés alors. Rappelons toutefois que la Loi sur la Banque du Canada a reçu la sanction royale le 3 juillet 1934, et qu’elle n’a jamais été réexaminée en profondeur pour tenir compte des changements économiques et des nouvelles pratiques bancaires.
Aucun article ne précise le mandat relatif à la politique monétaire. Pourtant, depuis le milieu des années 1970, la banque a officiellement pour mandat de chercher à stabiliser les prix. Ce mandat est officialisé par une entente quinquennale signée par la banque et le gouvernement du Canada, laquelle précise des cibles concernant le taux d’inflation. La loi ne mentionne pas cette entente quinquennale qui a commencé en 1991.
Selon de nombreux économistes, le temps est venu d’élargir le mandat officiel de la banque et de lui confier un double mandat, axé sur le plein emploi productif et la stabilité des prix. De plus, bon nombre soutiennent que la Loi sur la Banque du Canada devrait inclure des dispositions sur la transparence, comme c’est le cas pour d’autres banques centrales.
La motion ne vise pas à laisser entendre que la Banque du Canada agit de manière irresponsable. Ce n’est pas un vote de confiance sur celle-ci — au contraire. En fait, depuis la dernière récession, la banque a favorisé activement la création d’emplois et la croissance économique, tout en ciblant un taux d’inflation de 2 %. Il y a un écart entre la loi, l’entente de cinq ans et la pratique de la banque qui mérite notre attention.
En mai 2019, à l’instigation du professeur émérite Mario Seccareccia, 61 économistes canadiens ont signé une lettre adressée au ministre des Finances pour lui demander d’envisager un examen de la Loi sur la Banque du Canada afin d’élargir son mandat pour inclure la poursuite du plein-emploi productif et y ajouter des dispositions précises concernant la transparence.
Cette même lettre a été signée par des experts venant de toutes les provinces du Canada, dont la plupart sont d’éminents professeurs et chercheurs du domaine de l’économie. Je n’ai pas le temps de tous les nommer, mais je tiens à souligner que parmi les signataires, on trouve Pierre Fortin, bien connu au Québec, Lars Osberg, de la Nouvelle-Écosse, Andrew Sharpe, Marc Lavoie, Louis-Philippe Rochon et Gordon Betcherman, de l’Ontario, ainsi que bon nombre d’autres spécialistes, venant de différentes provinces.
La question du mandat de la Banque du Canada est d’un intérêt primordial pour le Canada et les Canadiens. Elle préoccupe autant les non-initiés que les initiés. À titre d’exemple, depuis la signature de la lettre adressée au ministre des Finances, en mai 2018, des échanges d’opinions ont eu lieu dans le Globe and Mail à ce sujet. Un long article sur la politique monétaire pour les non-initiés a fait l’objet d’une chronique de l’économiste Pierre Fortin dans l’édition de novembre 2019 du magazine L’actualité . Un groupe d’économistes, formé dans le cadre des rencontres annuelles de l’Association canadienne d’économique, s’est réuni sur le sujet à Montréal en juin 2018. Une autre conférence aura lieu en septembre 2020, qui est organisée à l’Université McGill par la Max Bell School of Public Policy sur un sujet connexe qui porte justement sur le cadre de référence de la politique monétaire. Somme toute, le débat public sur le cadre de la politique monétaire est bien réel. Même la Banque du Canada organise des séances d’information sur le cadre de la future entente, qui devra être signée en 2021 avec le gouvernement du Canada.
Chers collègues, peu importe que vous soyez pour ou contre les amendements proposés dans cette motion, je vous invite à voter en faveur de celle-ci non seulement parce que le sujet d’étude est important pour les Canadiens, mais pour trois raisons supplémentaires. En effet, l’étude proposée, qui est d’examiner la nécessité de revoir la Loi sur la Banque du Canada, répond à trois critères fondamentaux qui, selon moi, justifient le bien-fondé de travaux en comité. Ce sont les suivants : la pertinence du sujet en fonction du mandat du Sénat, la nature et la portée de l’étude dans le contexte des moyens du Sénat, et, enfin, les retombées sur les politiques publiques et les lois fédérales.
Parlons d’abord de la pertinence, pour le Sénat du Canada, d’entreprendre une revue de la Loi sur la Banque du Canada. Cet examen cadre tout à fait dans le mandat du Sénat, car la Loi sur la Banque du Canada est de juridiction fédérale. L’objet de la motion est de faire une analyse législative à composante économique — ce qui s’inscrit d’emblée dans le mandat du Sénat et dans celui du Comité permanent des banques et du commerce. D’ailleurs, ce comité a été créé quelques mois après la création du Canada, soit en 1867, et a étudié, depuis sa création, plusieurs lois très importantes, comme la Loi sur les banques, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et la Loi sur la Banque de développement du Canada. Bref, l’objet de cette motion répond au critère de la pertinence.
Voyons maintenant les critères de la nature et de la portée de l’étude. Chers collègues, il ne s’agit pas ici de réaliser une étude académique utilisant des modèles économétriques sophistiqués. Le Sénat a les moyens tangibles de mener à bien une étude qui identifie les éléments de la loi qui doivent être revus et de proposer des avenues concrètes. En revanche, peu d’institutions ont le pouvoir d’entendre des experts provenant d’horizons différents pour faire la lumière sur ces enjeux de manière non partisane. Peu d’institutions ont le pouvoir d’entendre les témoignages de diverses banques centrales sur ces sujets. En d’autres mots, cette thématique s’inscrit parfaitement dans le mandat du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce et dans le cadre des moyens de recherche dont il dispose.
Enfin, les retombées de cette étude en matière de politiques publiques fédérales sont importantes. Peu importe la nature des conclusions de cette étude, celles-ci sont éminemment importantes pour la conduite future de la politique monétaire au Canada dans un contexte économique fort différent de celui des années 1930. Les défis d’aujourd’hui, pour la Banque du Canada, sont différents de ceux du siècle dernier. La Banque du Canada doit s’assurer que le pays fonctionne au maximum de sa capacité et que tous ceux et celles qui veulent travailler peuvent le faire.
C’est d’ailleurs justement ce que disait tout récemment Mark Carney dans une entrevue qu’il a accordée à CBC le 14 février 2020.
En effet, c’est une condition nécessaire pour réaliser les transitions qu’exigent les changements climatiques, les nouvelles technologies et le vieillissement de la population.
Si le Sénat n’entreprend pas cette étude, qui d’autre peut le faire? La Banque du Canada n’est pas vraiment bien placée pour analyser le cadre législatif qui la gouverne. Son avis sera certes important, mais il faut également tenir compte des avis d’autres experts.
Le ministre des Finances pourrait mener l’étude, mais il est très occupé, et le ministère des Finances, qui est responsable du cadre législatif de la Banque du Canada, pourra sûrement bénéficier de l’étude du Sénat, qui prendra le temps d’entendre les témoignages pertinents d’experts provenant d’horizons divers, de centres de recherche spécialisés en politique monétaire et de comparer les cadres législatifs des autres banques centrales. Le Sénat est l’institution parlementaire toute désignée pour faire le point sur la nécessité de revoir le cadre législatif de la Banque du Canada, et ce, sous divers angles. La diversité régionale du Sénat lui confère une vision canadienne indispensable pour mener à bien une étude sur la nécessité de revoir ou non la Loi de la Banque du Canada.
Pour conclure, je dirai que l’objet de la motion est d’une importance indéniable, surtout à la lumière des défis considérables qui attendent le Canada, notamment celui d’assurer la prospérité économique du pays et une création d’emplois maximale et durable tout en composant avec des changements climatiques, technologiques et démographiques ainsi que d’autres événements imprévisibles.
Le Sénat, et plus particulièrement le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, devrait entreprendre l’étude proposée dans la motion no 20. Cette motion répond aux critères de la pertinence, de la portée et de l’importance des répercussions. L’objet est pertinent par rapport au mandat du Sénat. La portée de l’étude est réaliste par rapport aux moyens concrets dont le Sénat dispose pour mener une étude substantielle sur le sujet. Pour ce qui est des répercussions sur les politiques publiques fédérales, cette étude aurait une incidence considérable sur l’économie du Canada et de ses régions. Pour toutes ces raisons, je vous invite à appuyer la motion, quelle que soit votre opinion sur l’amendement particulier qui est proposé dans cette motion.
Je vous remercie de votre attention.
Je suppose que l’honorable sénatrice accepterait de répondre à une question.
Oui.
Vous êtes évidemment la spécialiste de ce domaine. Je me demande ce que vous pensez du fait que la Banque du Canada refuse depuis longtemps de laisser le vérificateur général se pencher sur ses activités.
Pourriez-vous répéter, s’il vous plaît? Je n’ai pas entendu la première partie de votre question.
J’ai fait votre éloge en disant que vous étiez clairement une experte dans ce domaine. Je peux le dire une troisième fois si cela vous aide à répondre.
Que pensez-vous du fait que la Banque du Canada refuse depuis très longtemps de permettre au vérificateur général de vérifier ses activités?
C’est une question difficile parce que je n’y ai pas pensé. En fait, je répondrai à la question au cours d’un autre débat.
D’une certaine manière, le sujet de la Banque du Canada est très sérieux et cette étude pourrait assurément avoir des échos dans le secteur financier. Il faut donc exercer une certaine prudence. Même si l’on veut que la Banque du Canada soit tout à fait transparente, il faut que ses obligations de transparence soient encadrées. Je vais toutefois réfléchir à tout cela, pour déterminer jusqu’à quel point on doit faire une vérification de la Banque du Canada, car je n’en suis pas certaine. Merci.
Je suis désolée, sénateur Downe, mais le temps de parole de la sénatrice Bellemare est écoulé.
Le consentement est-il accordé pour prolonger le temps de parole de la sénatrice?