Aller au contenu

Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

16 décembre 2020


L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Sénateur Wetston, je me questionne à ce sujet chaque jour. Si je vous disais, en vous regardant dans les yeux, que je ne pense pas que certaines personnes subiront de la pression, je mentirais. Je pense que certaines personnes sentiront de la pression. C’est pour cela que nous intervenons pour veiller à ce qu’il y ait des mesures de sauvegardes suffisantes pour que personne ne subisse de pression. Ce faisant, nous donnons aussi à ceux qui attendent depuis si longtemps, la possibilité de mourir dans la dignité. Nous permettons aux gens de mourir dans la dignité, tout en garantissant des ressources adéquates, comme les soins palliatifs et médicaux, pour que personne ne se sente forcé de recourir à cette aide. C’est aussi notre devoir. Sénateur Wetston, ce sont des questions que je me pose chaque jour.

La sénatrice Jaffer [ + ]

Oui.

La sénatrice Jaffer [ + ]

Sénatrice Cordy, nous étions voisines de banquette en 2016 et nous avons toutes les deux été aux prises avec cette question. Vous vous souvenez des difficultés que nous avons eues. Nous les avons encore aujourd’hui. C’est la question que nous posent les gens et que vous posez maintenant. D’ailleurs, ce ne sont pas mes mots à moi. Ce sont ceux de Penny Mills : « Quelle différence y a-t-il? » Ils incarnent la difficulté que nous avons à accepter les deux cas de figure : la demande de ne pas être réanimé et la demande d’aide médicale à mourir. C’est la question que posent les personnes qui veulent avoir le choix : quelle différence y a-t-il? Les parlementaires doivent maintenant prendre le taureau par les cornes et se poser des questions à leur tour : « Qu’allons-nous faire? Allons-nous accorder l’accès à l’aide médicale à mourir... »

La sénatrice Jaffer [ + ]

Puis-je demander cinq minutes de plus, s’il vous plaît?

La sénatrice Jaffer [ + ]

Merci, honorables sénateurs. Voilà la difficulté, sénatrice Cordy. Vous et moi avons déjà dû faire face à cette question. À mon avis, si, en tant que parlementaires, nous comptons offrir la mort dans la dignité, nous devons aussi répondre aux questions que vous avez posées.

La sénatrice Jaffer [ + ]

Il s’agit d’une progression, selon moi. Alors que nous continuons d’en apprendre davantage, les Canadiens nous disent : « Certes, vous avez instauré l’aide médicale à mourir, mais vous avez aussi mis en place tous ces autres éléments qui nous causent beaucoup de douleur et de souffrance. » Nous réexaminons donc ces problèmes. Voilà ce que nous faisons. Vous vous souviendrez aussi, sénatrice Cordy, des difficultés que nous avons eues et du fait que nous souhaitions que l’admissibilité ne passe pas nécessairement par une mort prévisible. C’est le critère en vigueur actuellement, et il nous avait donné du fil à retordre en 2016. Je crois donc qu’il y a une progression.

Sénatrice Jaffer, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Jaffer [ + ]

Oui, bien sûr.

J’aimerais aborder un autre sujet. Je crois comprendre que nous sommes saisis d’un projet de loi qui est fort complexe, mais dont la portée est restreinte par rapport au projet de loi C-14 que nous avions adopté. Par ailleurs, nous savons maintenant que certaines dispositions du projet de loi C-14 sont inconstitutionnelles et que le projet de loi C-7 vise à les rendre constitutionnelles. À mon avis, ce n’est pas la dernière fois que nous serons aux prises avec cet enjeu parce qu’il est complexe et qu’il a trait à la vie et la mort. J’estime que nous devons procéder de manière progressive. Cependant, après une étude du projet de loi, il nous faudra peut-être prendre en considération de nombreux facteurs. Ma question est donc la suivante : pensez-vous que les services pourront être les mêmes à l’échelle du pays?

La sénatrice Jaffer [ + ]

Madame la sénatrice, cette question est très difficile parce que nous vivons dans un grand pays. Ce que l’étude préalable a clairement mis en évidence, c’est la situation terrible dans les collectivités autochtones et les régions rurales. C’est pourquoi j’ai trouvé convaincant le discours d’une grande profondeur que la sénatrice Mégie a prononcé sur les soins palliatifs. À mon avis, en tenant compte de cette information, nous devons dire au gouvernement : « Il va falloir surveiller la situation parce que cela ne se fera pas tout seul. » Avec ce régime, il faut qu’il y ait des soins palliatifs adéquats. Il faut faire en sorte que le même type de services soit offert partout au Canada.

Je pense que ce sujet a été soulevé à maintes reprises pendant l’étude préalable et avant. Je crois que si nous adoptons ce projet de loi, il va nécessairement falloir dire au gouvernement : « Ce n’est qu’un volet de la question. Vous avez la responsabilité de répondre aux autres demandes que les gens ont exprimées. »

Merci.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

Tout d’abord, permettez-moi d’adresser à mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles mon appréciation de l’excellent travail qu’ils ont fait durant la semaine consacrée à l’étude préalable du projet de loi C-7. Les échanges ont été ouverts, l’écoute, très active, et les conclusions, collectivement acceptées.

J’aimerais, dans un premier temps, apporter mon soutien aux personnes concernées par ce projet de loi qui souffrent de déficiences physiques ou mentales graves et incurables et qui vivent au quotidien des moments particulièrement éprouvants que peu d’entre nous peuvent réellement imaginer.

J’ai une pensée particulière pour les familles dont les proches sont exclus de l’aide médicale à mourir en raison du projet de loi C-14, ou qui l’ont été, et qui ont dû adopter une approche dramatique pour mettre fin à la vie de leur proche afin qu’il ou elle cesse de vivre dans la souffrance, alors que ces personnes méritaient d’avoir droit à une fin de vie digne et humaine.

Par contre, j’ai trouvé regrettable que, lors de l’étude préalable du projet de loi par le comité, aucun des témoins invités à témoigner ne fût un patient concerné par l’aide médicale à mourir et qu’aucune famille n’ait pu participer aux réunions pour nous présenter ses perspectives et contribuer à ce débat qui, après tout, les concerne d’abord. Cela a été ma plus grande déception et représente une faiblesse de notre étude préalable. Pourtant, c’était l’occasion pour tous les membres du comité de mieux comprendre la souffrance que vivent chaque jour ces êtres humains et leurs proches.

C’est le même principe pour les victimes d’actes criminels. Bien souvent, lorsque des personnes souffrent d’un mal qui leur a été infligé injustement par des circonstances de la vie, nous, les législateurs, préférons nous attarder sur les témoignages des experts, des scientifiques, des juristes ou des religieux sans nous interroger sur ce que ressentent les personnes directement concernées et sur ce qu’elles peuvent nous apporter.

Selon moi, ce sont plutôt les victimes du projet de loi C-14 qu’il aurait fallu écouter, et il faudrait, lors de l’étude du projet de loi C-7 au cours des prochains mois, qu’elles soient au cœur de notre réflexion au lieu des spécialistes. Ces personnes sont pour moi les vraies spécialistes de ce qu’impose une loi sur leur qualité de vie et, surtout, sur la façon dont elles choisissent de finir leur vie. Très peu d’intervenants parmi ceux que nous avons consultés sont réellement en mesure de comprendre leurs souffrances, et je suis persuadé que si nous avions convoqué des témoins concernés par l’aide médicale à mourir, nous ne serions pas aussi divisés et déchirés par le débat actuel.

L’aide médicale à mourir est un sujet très émotif pour plusieurs d’entre nous. Il provoque de nombreux sentiments et peut même nous amener à nous questionner sur notre propre perception de la vie et de la mort. Au fond, c’est l’occasion pour nous de réfléchir à nos valeurs humaines face à des situations aussi cruelles qu’inacceptables que des êtres humains sont injustement condamnés à vivre.

Chers collègues, l’un des premiers points que je souhaite aborder dans cette Chambre est l’attitude qu’adopte le gouvernement fédéral dans sa gestion de l’aide médicale à mourir, et ce, depuis 2016. De plus, j’ai le sentiment que le gouvernement fédéral n’a cherché qu’à expédier le projet de loi C-7 aux deux Chambres sans vouloir nous laisser, à nous, les législateurs, le temps nécessaire pour faire correctement notre travail d’analyse sur le contenu de ce projet de loi dans une période raisonnable.

Après tout, celui qui n’a pas fait ses devoirs, c’est bien le gouvernement lui-même. Nous ne serions pas dans cette situation si l’équipe de Justin Trudeau avait écouté le Sénat lorsque ce dernier a déposé ses recommandations importantes sur le projet de loi C-14 en 2016.

Depuis que le gouvernement a été saisi du délai fixé par la Cour supérieure du Québec relativement à la révision de la loi, il avait la responsabilité d’établir la période nécessaire et adéquate pour l’étude de son nouveau projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Il avait du temps, mais il a décidé de ne pas le prendre, alors que nous savons tous et toutes que l’aide médicale à mourir est un sujet sensible et que l’étude du projet de loi C-14 avait été longue et difficile. Cette fois-ci, nous savons tous que le gouvernement a préféré créer et imposer une urgence artificielle, car ses représentants eux-mêmes sont en retard dans leurs propres devoirs.

Je vous rappelle également que le projet de loi C-7 précédent, dans sa première mouture, avait été présenté en février 2020 et qu’il est mort au Feuilleton lors de la prorogation du Parlement le 18 août dernier, au moment où le premier ministre était aux prises avec le scandale de l’organisme UNIS. Il a choisi de gaspiller six précieuses semaines de travail en pleine pandémie, au lieu d’assumer ses responsabilités et de répondre aux questions du Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Il a aussi prorogé le Parlement afin d’éviter de devoir faire la lumière sur le meurtre de Mme Marylène Levesque, victime d’un meurtrier récidiviste violent qui en était à son deuxième assassinat. Alors, soyons clairs, le seul responsable de la souffrance des personnes qui souhaitent se prévaloir de l’aide médicale à mourir, c’est le gouvernement.

La problématique à laquelle nous devons encore faire face aujourd’hui a trait au projet de loi C-14, qui présentait déjà, lors de son adoption, de nombreuses lacunes. Le 6 février 2015, dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a invalidé certaines dispositions du Code criminel qui prohibaient l’accès à l’aide médicale à mourir à certaines personnes. La Cour suprême du Canada les avait jugées inconstitutionnelles, car elles ne respectaient pas l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le principe de liberté qui permet à un citoyen d’être libre de ses choix fondamentaux personnels sans l’intervention de l’État. Il y avait aussi le principe de sécurité qui garantit la maîtrise de l’intégrité de sa personne sans aucune intervention de l’État. La Cour suprême n’avait pas orienté le débat sur les personnes mourantes dont la mort est prévisible ni sur les personnes atteintes de maladies dégénératives.

À la suite de cette décision de la Cour suprême, un comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, formé de députés et de sénateurs, avait formulé, le 25 février 2016, certaines recommandations assez claires dans son rapport intitulé L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient, dont je cite les recommandations suivantes :

RECOMMANDATION 2

Que l’aide médicale à mourir soit accessible aux personnes atteintes de maladies terminales et non terminales graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes qui leur sont intolérables au regard de leur condition.

RECOMMANDATION 3

Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.

Ces recommandations ont été formulées il y a cinq ans, et le gouvernement de Justin Trudeau ne les respecte toujours pas. Je crains que l’argument du ministre de la Justice, qui critique l’opposition en prétextant vouloir réduire la souffrance des gens, se retourne contre lui.

En 2016, nous savions déjà que, dans le projet de loi C-14, le critère d’admissibilité à l’aide médicale à mourir, soit « la mort naturellement prévisible », serait jugé inconstitutionnel par nos tribunaux. Le gouvernement est allé à l’encontre des recommandations qui avaient été formulées par le comité en choisissant de maintenir des personnes lourdement handicapées dans une extrême souffrance, ce qui est évidemment toujours contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Pourtant, nous, les sénateurs, avions fait nos devoirs. Notre ancien collègue le sénateur Joyal avait fait la proposition d’amender le projet de loi C-14 en supprimant le critère de la mort naturellement prévisible. Cet amendement avait été rejeté à l’autre endroit. Je me souviens encore de la ministre de la Justice à l’époque, l’honorable Jody Wilson-Raybould, qui disait être convaincue de la constitutionnalité du projet de loi C-14, comme l’affirme son successeur aujourd’hui en ce qui concerne le projet de loi C-7. C’est la même affirmation; nous aurons sans doute le même résultat.

Toutefois, trois ans plus tard, deux personnes souffrant de handicaps sévères, Mme Nicole Gladu et M. Jean Truchon, ont dû se battre devant les tribunaux pour faire renvoyer le gouvernement à ses devoirs, alors que l’équipe de Justin Trudeau savait déjà que cette mesure était inconstitutionnelle. Cependant, les sénateurs avaient fait leur devoir en prévenant le gouvernement de ce risque en matière de constitutionnalité, ce que le gouvernement a volontairement décidé d’ignorer.

Comme je l’ai déjà dit en sortant de la Chambre en juin 2016, nous revoilà cinq ans plus tard dans la même situation que lorsque le même gouvernement a décidé de ne pas en appeler de la décision d’une cour supérieure, mais plutôt d’imposer un autre projet de loi en y incluant une nouvelle disposition inconstitutionnelle portant un caractère discriminatoire, soit l’exclusion des personnes souffrant de maladies mentales graves. C’est l’éléphant dans la pièce que nous n’avons pas eu peur de pointer du doigt lors des réunions tenues par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pour faire l’étude préalable du projet de loi C-7.

Honorables sénateurs, je prévois que le projet de loi C-7 connaîtra le même triste destin que le projet de loi C-14.

Ce qui est encore plus surprenant, ce sont les arguments avancés pour justifier l’exclusion de la maladie mentale dans le projet de loi. Il semble que le gouvernement n’aurait pas eu le temps nécessaire pour prendre une décision sur cet important aspect du projet de loi. Effectivement, nous savons qu’il y a une absence de consensus au sein de la communauté scientifique; dans ce cas, pourquoi le gouvernement ne se donne-t-il pas plus de temps pour étudier la question au cours des prochains mois? L’étude du projet de loi C-14 débutera dans quelques semaines, ce qui nous laisse quelques mois pour nous prononcer sur la question et pour laisser au gouvernement le temps de présenter un projet de loi sur l’aide médicale à mourir rédigé adéquatement, qui sera constitutionnel et qui n’exclura aucun individu qui souhaiterait se prévaloir de ce droit.

Je remets en question la présentation de ce projet de loi, car nous allons travailler en même temps sur la révision du projet de loi C-14 et sur sa nouvelle version, le projet de loi C-7, pour en arriver aux mêmes conclusions. Cet exercice me paraît inefficace et inutile, car nous savons déjà, par expérience, que le projet de loi C-7 sera contesté devant les tribunaux, à l’instar du projet de loi C-14, et que le gouvernement devra revenir avec une nouvelle réplique. Il est regrettable de constater que, depuis l’arrêt Carter de 2015, donc depuis maintenant cinq ans, nous n’avons pas réussi à répondre fidèlement à la directive de la Cour suprême sur l’aide médicale à mourir. Pourquoi, alors, le Sénat devrait-il adopter le principe d’un projet de loi qui aboutira au même résultat que le projet de loi qui l’a précédé, qui entraînera de longs travaux parlementaires et qui nous fera perdre un temps précieux?

On peut déjà imaginer que des personnes qui souffrent de troubles mentaux devront se battre devant les tribunaux pour contester cette exclusion de la loi sur l’aide médicale à mourir. Cela pourrait forcer certaines d’entre elles à se tourner vers le suicide afin de cesser de souffrir, puisqu’elles ne pourront pas se prévaloir de la loi et mourir dans la dignité.

C’était d’ailleurs l’un des arguments de la Cour suprême du Canada qui estimait, dans l’arrêt Carter, que l’interdiction par l’État à l’aide médicale à mourir pouvait pousser des patients à se suicider, ce qui portait atteinte au droit à la vie en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; malheureusement, nous savons déjà que plusieurs personnes ont, depuis, choisi de se suicider.

Je veux maintenant revenir sur un point important soulevé par le professeur et juriste Stéphane Beaulac dans son témoignage lors de l’étude préliminaire du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

M. Beaulac a exposé un argument institutionnel, à savoir celui du dialogue respectueux entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Selon M. Beaulac, la décision de la juge Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Truchon n’aurait pas dû provoquer le gouvernement fédéral à offrir une réponse aussi hâtive que celle qu’il a donnée avec son projet de loi C-7. Je retiens cet argument, car je pense que le gouvernement avait le choix de faire appel de cette décision. En laissant cette contestation se rendre jusqu’à la Cour suprême du Canada, il aurait pu laisser la plus haute cour du Canada statuer sur ce problème, pour ensuite revenir avec une analyse plus approfondie.

M. Beaulac a également souligné qu’il y a toujours eu des vides juridiques en droit canadien et que ces vides ne représentent pas un enjeu de taille. Bien au contraire, ils permettent d’entreprendre une réflexion juridique plus pertinente entre les provinces.

Je partage tout à fait son point de vue. Le gouvernement, en exerçant de la pression pour que ce projet de loi soit adopté, a soulevé des craintes au sein de tous les corps professionnels concernés, de près ou de loin, par l’aide médicale à mourir. Au cours de notre semaine d’étude préliminaire sur le sujet, en écoutant attentivement les témoignages, j’ai eu le sentiment que la plupart des intervenants étaient opposés à cette nouvelle loi ou éprouvaient des craintes à son sujet. Après avoir entendu de nombreux témoignages, nous n’en sommes pas arrivés à un consensus et nous sommes encore plus divisés que jamais devant la question.

Mis à part l’argument constitutionnel, le projet de loi présente d’autres lacunes que mes collègues ont déjà eu l’occasion d’aborder lors de la semaine de l’étude préliminaire et lors des différents discours.

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Trois minutes, s’il vous plaît.

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Je vous remercie.

À titre d’exemple, plusieurs craintes ont été soulevées sur la nouvelle catégorie de mesures de sauvegarde touchant les personnes dont la mort naturelle n’est pas prévisible. Le délai de 90 jours fixé par le gouvernement ne fait pas consensus; c’est la même chose pour les personnes qui ne pourront pas renouveler leur consentement final en raison d’une perte de conscience. Ce sont des questions sur lesquelles le gouvernement n’a pas donné de réponses concrètes.

Deux autres sujets ressortent de l’étude préliminaire du comité. Il s’agit, dans un premier temps, du manque de définition claire sur la manière dont un patient et un médecin doivent discuter de l’option de l’aide médicale à mourir. En second lieu, il existe un problème d’accès aux soins palliatifs dans certaines régions du Canada. Sur ces questions, il n’y a pas eu non plus d’explications détaillées de la part des différents ministres du gouvernement, qui n’avaient même pas l’air d’être d’accord entre eux. Quand la ministre de la Santé affirme que son gouvernement a transféré d’énormes sommes d’argent aux provinces pour ce type de services, si ce n’était de la pandémie et de la valse des milliards de dollars, nous en serions aujourd’hui au même point qu’en 2016.

Le dernier point de mon discours concerne les personnes handicapées. Plusieurs craintes ont été soulevées quant à l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour ces personnes. Ce qui est frappant, c’est que la plupart des témoignages ont appuyé un constat, et c’est que les consultations auprès des organismes qui défendent les droits des personnes handicapées ont été insuffisantes.

En résumé, j’estime que le projet de loi C-7 est mal ficelé, imparfait et inconstitutionnel. Il soulève d’importantes préoccupations et il contient une mesure discriminatoire. Comme pour le projet de loi C-14, il est évident que, lorsque le projet de loi C-7 sera adopté, il sera contesté devant les tribunaux. Encore une fois, tristement, plusieurs personnes risquent de souffrir de ce nouveau projet de loi.

Chers collègues, s’il est adopté dans sa forme actuelle, il est sûr que le gouvernement devra refaire ses devoirs au cours des prochaines années. Pendant ce temps, nous savons déjà que trop de personnes continueront de souffrir et souffriront davantage, compte tenu des conséquences du projet de loi C-7, notamment les personnes souffrant de maladies mentales dégénératives. N’oublions pas que, à l’heure actuelle, des personnes dont la mort est naturellement prévisible et qui sont atteintes de maladie mentale ont accès à l’aide médicale à mourir.

Honorables sénateurs, depuis 2016, j’ai côtoyé des familles dont des membres se sont laissé mourir de faim parce que le projet de loi C-14 a ignoré leurs appels.

Honorables sénateurs, j’ai parlé avec une mère qui s’est résignée à accompagner son fils de 34 ans jusqu’en Suisse, en payant plus de 40 000 $, pour qu’il puisse exercer son choix de mettre fin à ses souffrances dans la dignité, parce que le projet de loi C-14 a ignoré les personnes qui souffrent.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-7 laissera à elles-mêmes des victimes de la rectitude politique et de l’entêtement partisan. Écouter autant de témoignages émouvants et douloureux comme ceux que nous avons entendus depuis quatre ans, c’est mon dernier choix. Mon premier choix, c’est que ces personnes qui souffrent meurent dignement, entourées de leur famille, parce que ce droit est reconnu par la Cour suprême du Canada.

En terminant, je tiens à remercier ceux et celles qui ont partagé leurs histoires souvent difficiles; leurs voix étaient dignes d’une écoute attentive et d’un énorme respect.

Merci beaucoup.

Sénatrice Dupuis, je vous félicite de ce discours dans lequel il y avait beaucoup de points très intéressants. J’aimerais aborder avec vous la façon dont vous concevez la problématique de l’aide médicale à mourir par rapport à l’individu.

Lorsque je vous écoute, je ne suis pas certaine que vous envisagez l’aide médicale à mourir comme un problème de santé. Est-ce que, selon vous, la question de l’aide médicale à mourir est simplement une question individuelle pour un individu qui a le droit de décider de sa fin de vie, ou est-ce un droit encadré dans le contexte de l’évolution de son état de santé ?

Si je comprends bien, vous faites une distinction à partir du moment où on reconnaît que l’aide médicale à mourir s’inscrit dans le contexte d’une souffrance intolérable et d’une maladie. On ne parle pas d’aide au suicide, ce qui est tout à fait différent, et c’est ce que je voulais vous amener à préciser dans votre réponse à ma question. L’aide médicale à mourir s’inscrit dans le contexte de la souffrance liée à une maladie qu’on est incapable d’apaiser, et non dans le choix individuel de vouloir mettre fin à sa vie.

L’honorable Leo Housakos (Son Honneur le Président suppléant) [ + ]

Le sénateur MacDonald accepterait-il de répondre à une question de la sénatrice Lankin?

L’honorable Denise Batters [ + ]

Merci beaucoup, sénateur Cotter. Je tiens à poser une brève question sur l’affaire E. F. dont vous avez parlé, en Alberta.

Lorsque nous nous sommes penchés sur le projet de loi C-14, en 2016, il y a eu l’affaire E. F., qui portait sur une demande de suicide assisté, avant l’adoption du projet de loi C-14. J’ai posé une question sur cette cause au comité des affaires juridiques parce qu’il s’agissait d’une situation extrêmement singulière. La patiente souffrait uniquement d’une maladie mentale qui n’était pas mortelle. Il s’agissait d’un trouble psychologique extrêmement rare.

Sénateur Cotter, saviez-vous que, dans ce cas particulier, trois médecins avaient approuvé le suicide assisté, mais que seulement l’un d’entre eux, le médecin généraliste, avait rencontré la patiente? Le psychiatre qui a donné son accord a seulement examiné le dossier. Le médecin qui était disposé à fournir le service de suicide assisté n’avait pas lui non plus rencontré la patiente et il avait procédé à la consultation au moyen de l’application FaceTime. C’était avant la pandémie de COVID-19, lorsqu’il était beaucoup moins usuel de se servir ainsi de FaceTime. Étiez-vous au courant de ces faits?

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

Je vous remercie, sénateur Cotter, de votre discours si éloquent qu’il sera difficile pour moi de l’être davantage après cela.

Je suis la dernière intervenante de la soirée, et je pense que j’aurai suffisamment de temps pour terminer mon intervention, alors je vais commencer.

C’est un débat très important. Comme d’autres l’ont fait, je tiens à féliciter les intervenants de leurs efforts, de leur dévouement et de leur engagement, y compris la sénatrice qui parraine le projet de loi, notre porte-parole, nos leaders et tous les autres intervenants dans cette Chambre, dont le sénateur Cotter, qui vient d’apporter sa contribution.

Comme c’est un dossier extrêmement important, je tiens à apporter ma contribution à ce débat sur une question complexe, délicate et difficile qui préoccupe vivement chacun d’entre nous. En tant que parlementaires, nous savons que la dernière version de ce projet de loi, le projet de loi C-7, va véritablement déterminer quelles personnes ont le droit de mettre fin à leurs jours, quand elles peuvent le faire, qui peut les aider à cette fin et comment on s’y prendra. Je sais que nous avons déjà adopté le projet de loi C-14. J’aimerais que nous puissions retourner en arrière à certains égards, mais je vais plutôt rappeler ce qui s’est passé en 2016, simplement pour indiquer où nous en étions à ce moment-là et ce qui s’est passé depuis ce temps.

Le projet de loi précédent sur l’aide médicale à mourir, le projet de loi C-14, a été l’une des mesures législatives les plus difficiles à traiter, pour moi personnellement et pour le Sénat, parce qu’il mettait en place, pour la première fois de l’histoire du pays, une loi sur l’aide médicale à mourir, ce que beaucoup d’autres pays n’ont pas encore exploré. À toutes les étapes du processus, nous avons eu des débats rigoureux et beaucoup plus longs que maintenant, et cette Chambre a été extrêmement divisée du début à la fin.

D’après ce dont je me souviens, nous avions l’impression qu’il nous fallait prendre une décision monumentale pour le pays dans un laps de temps insuffisant. Nous avons demandé des opinions, des travaux de recherche, l’avis de spécialistes, de patients, de familles, de dirigeants autochtones, d’infirmiers et de soignants. Au bout du compte, nous avons tenu un vote final sur le projet de loi C-14, car la Cour suprême avait imposé un délai pour l’adoption d’une loi fédérale permettant l’aide médicale à mourir au Canada.

D’entrée de jeu, je me suis fermement opposée au projet de loi et, jusqu’à la fin, j’ai eu l’intention de voter contre. Mais, à ce moment-là, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu une décision — que la sénatrice Batters a mentionnée — qui élargissait l’accès à l’aide médicale à mourir de manière alarmante. On m’a alors signalé qu’il était préférable d’adopter une loi fédérale comprenant les mesures de sauvegarde et la disposition relative à la mort raisonnablement prévisible que nous avions réussi à inclure au moyen d’amendements que de ne pas avoir de régime fédéral.

Je me souviens d’avoir été informée que l’administration de l’aide médicale à mourir relève des provinces et qu’elles seraient en mesure de resserrer le cadre du régime fédéral en ajoutant des mesures de sauvegarde supplémentaires, au besoin. Toutefois, dans ma province, la Colombie-Britannique, c’est le contraire qui s’est produit après l’élection d’un gouvernement différent. Au lieu de renforcer et de resserrer le régime d’aide médicale à mourir, l’arrivée au pouvoir d’un autre parti a donné lieu à plusieurs développements inquiétants.

D’ailleurs, en juillet dernier, la demande d’aide médicale à mourir d’Alan Nichols, un résidant de Chilliwack, en Colombie-Britannique, qui luttait contre la dépression et qui ne donnait aucun signe d’une mort imminente prévisible, a été approuvée par des professionnels de la santé, malgré les plaidoyers de sa famille, qui estimait qu’il ne répondait pas aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir établis dans le projet de loi C-14, du gouvernement. Sachant que j’avais voté pour le projet de loi C-14 dans l’espoir de régler des questions en suspens comme les soins palliatifs et le renforcement des mesures de sauvegarde, je participe au débat sur le projet de loi C-7 avec inquiétude.

Honorables sénateurs, ce dont je veux parler aujourd’hui, c’est la préoccupation que j’ai, à l’instar de nombreux concitoyens de partout au Canada qui ont communiqué avec mon bureau et, j’en suis sûre, avec le vôtre. Si le projet de loi C-7 est adopté sans amendement, il aura des conséquences imprévues sur les personnes vulnérables du Canada alors qu’elles traversent une période où elles ont grandement besoin de soins. Lors de l’étude préalable du projet de loi C-7 par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’ai eu l’occasion de participer à l’étude plusieurs jours, à titre de membre d’office. Le comité a siégé cinq jours d’affilée et a entendu un large éventail de témoins, qui ont raconté leurs histoires personnelles, apporté leur expertise et formulé des recommandations pour améliorer le projet de loi C-7.

Les témoins nous ont fourni beaucoup d’information, et l’écrasante majorité d’entre eux se sont dits opposés au projet de loi, ce qui m’a permis de comprendre très clairement que le projet de loi comporte des lacunes et des problèmes importants qu’il faut corriger. Nous ne pouvons pas précipiter son adoption. Chers collègues, nous savons que la mort est irréversible, comme beaucoup nous l’ont rappelé. Quand on met fin à la vie, c’est la fin, un point c’est tout.

Par rapport au projet de loi C-14, le projet de loi C-7 élargit l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes qui vivent avec un handicap, mais dont la mort n’est pas imminente. Cependant, il exclut les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Ce choix entraîne un débat d’importance, à savoir si cette mesure législative implique que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues. On se demande aussi si elle camoufle un problème de société profond en offrant une solution de fin de vie pour pallier la négligence, au lieu de combler les lacunes du système de santé partout au Canada.

Comme l’a si bien dit le professeur adjoint Jonas-Sébastien Beaudry dans le magazine Options politiques, il ne s’agit pas de la capacité des gens à juger par eux-mêmes du moment où leur vie ne vaut plus la peine d’être vécue, ce qui ne serait qu’une question juridique ou éthique. La question est plutôt politique et sociale pour la raison suivante :

Le projet de loi C-7 ouvre un espace normatif où divers acteurs sociaux, y compris des experts médicaux et l’État lui-même, peuvent discuter de ce que sont des « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues ».

Une autre chose qui me préoccupe à propos du cadre actuel de surveillance et de reddition de comptes, c’est qu’il n’est pas bien conçu et qu’il s’appuie sur la déclaration volontaire des fournisseurs de l’aide médicale à mourir. Les familles n’ont donc aucun moyen de percer le secret professionnel du médecin si elles soupçonnent des écarts de conduite. Nos collègues à la Chambre des communes ont souligné la nécessité de pouvoir compter sur un solide système fédéral normalisé de surveillance et de collecte de données sur l’aide médicale à mourir. Ils ont aussi indiqué qu’il nous faut des données nationales fiables pour comprendre qui a recours à l’aide médicale à mourir et pour quelles raisons.

La Dre Leonie Herx a ajouté qu’il n’existe aucun système de surveillance distinct de celui à Santé Canada, dans lequel les cas d’administration de l’aide médicale à mourir et les problèmes de conformité peuvent être examinés au niveau provincial et les provinces lui fournissent des rapports plus complets. À l’heure actuelle, seules les provinces du Québec et de l’Ontario se sont dotées d’un tel système.

J’ai été très impressionnée par le témoignage de certains Québécois qui nous ont parlé de la surveillance et de l’administration du régime dans cette province. J’aimerais que parallèlement à ce que nous faisons, nous entamions des consultations et l’échange des meilleures pratiques pour que nous puissions avoir, comme au Québec, un plus grand consensus et plus de partage d’information afin d’être en mesure d’instaurer des pratiques exemplaires à l’échelle du Canada et d’avoir davantage l’assurance de protéger les personnes les plus vulnérables.

Non seulement il nous manque des données claires et précises, mais des témoins ont aussi dit trouver préoccupant l’absence de norme reconnue pour la prestation de l’aide médicale à mourir et l’insuffisance de la formation des médecins et des fournisseurs de l’aide médicale à mourir. La Dre Mona Gupta, en réponse à une question, a déclaré ceci :

La communauté clinique réclame depuis longtemps plus de formation sur l’aide médicale à mourir, les soins de fin de vie et un éventail de domaines...

Bien que j’ai entendu dire que la période de réflexion de 10 jours entre le jour où le patient a signé la demande écrite et le jour où l’aide médicale à mourir est fournie n’a pas rempli son objectif initial et n’a fait que prolonger la douleur des patients qui devaient être admissible à cette pratique, je pense que cette mesure de sauvegarde est essentielle pour assurer la certitude quant à la décision de recevoir l’aide médicale à mourir.

Selon le rapport de Santé Canada sur l’aide médicale à mourir présenté en 2019, 263 personnes ont retiré leur demande parce qu’elles avaient changé d’avis. Parmi ces personnes, une sur cinq l’a fait juste avant que l’aide médicale à mourir ne soit administrée. La loi en vigueur permet de réduire la durée de la période de réflexion si le décès ou la perte de la capacité à fournir un consentement éclairé est imminent. C’est ce qui fait que le retrait de la période de 10 jours est dangereux dans le cas des patients qui signent la demande le matin et reçoivent l’aide médicale à mourir le soir même, sans avoir l’occasion d’y réfléchir.

D’ailleurs, ce qui me trouble le plus est le libellé de la disposition sur la précision concernant le consentement préalable à l’aide médicale à mourir, qui se lit comme suit :

[...] des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance [...]

[...] et peut alors recevoir l’aide médicale à mourir.

Présentement, dès qu’un patient manifeste une résistance, le professionnel de la santé ne peut plus lui administrer l’aide médicale à mourir. Comment peut-on nous demander, en tant que législateurs, d’accepter une telle disposition concernant ce qui constitue une manifestation claire de résistance involontaire?

À titre d’exemple, ma mère se trouve dans un établissement de soins de longue durée et elle souffre de démence avancée; elle ne me reconnaît plus ni aucun autre membre de la famille. Elle dormait profondément au moment de l’appel FaceTime que nous avions prévu. Le professionnel de la santé sur place a amené la caméra dans la chambre pour me montrer que ma mère dormait. Nous parlions tout doucement lorsque ma mère a fait un mouvement et s’est retournée, comme si elle avait reconnu le son de ma voix.

Quand je pense à ma propre mère et à la possibilité que l’on ignore un mouvement involontaire ou un son, et que l’on poursuive la procédure, je ne voudrais pas être le membre de la famille qui se retrouve dans une telle situation. Ainsi, cette disposition me rend très nerveuse en raison de ma situation actuelle avec ma propre mère.

M. Trudo Lemmens, professeur et titulaire de la chaire Scholl en droit et politique de la santé à la faculté de droit de l’Université de Toronto, a effectué beaucoup de recherches sur les pratiques et le droit en matière d’aide médicale à mourir au Canada et dans le reste du monde. Dans son témoignage au Comité des affaires juridiques, il a dit que cette disposition :

[...] enfreint la Convention relative aux droits des personnes handicapées, suivant laquelle la perte de la capacité n’entraîne pas une perte des droits, y compris celui d’exprimer, le moment venu et d’une manière quelconque, une résistance à l’égard d’un geste ou un changement d’idée.

Le Dr Harvey Max Chochinov, professeur distingué de l’Université du Manitoba, a présenté au comité des données montrant que le désir de mourir fluctue. Une étude réalisée en Belgique par une psychiatre s’est penchée sur le cas de 100 patients qui avaient demandé l’euthanasie pour des troubles mentaux qui étaient les seuls problèmes médicaux invoqués. Parmi ces 100 patients, 38 ont fini par retirer leur demande, et de ce nombre, 11 avaient déjà vu leur demande acceptée. En Oregon, entre 20 et 40 % des personnes qui se donnent la peine de demander des doses létales de médicaments en réalité ne les prennent jamais. Selon le Dr Chochinov, l’idée selon laquelle une personne prend sa décision aujourd’hui et n’en démord plus n’est pas corroborée par les faits.

Lorsque la ministre Patty Hajdu est venue témoigner devant le comité sénatorial, j’ai eu l’occasion de lui poser des questions sur les mécanismes d’arrêt en place une fois que le processus de l’aide médicale à mourir est enclenché. Elle n’a pas répondu en donnant des explications précises ou en garantissant qu’il existe des mécanismes d’arrêt, mais ce que j’ai entendu des témoins et des professionnels de la santé, c’est que jusqu’au jour du consentement final, il n’y a pas de vérification obligatoire pour savoir si le patient a changé d’idée.

Selon un article écrit par les Drs Leonie Herx, Margaret Cottle et John Scott dans le World Medical Journal, il n’existe pas de contrôle ou de mécanisme direct permettant d’arrêter la prestation de l’aide médicale à mourir en temps réel, même si le patient semble indiquer que ce soit son souhait. Ils indiquent que « les exigences en matière de contrôle ne comprennent que des informations démographiques de base et elles sont examinées rétrospectivement ». Cela signifie qu’il n’y a pas de mécanisme qui arrête le processus de l’aide médicale à mourir, permettant à un professionnel de la santé de vérifier si un patient a reçu des soins adéquats avant de poursuivre le processus de l’aide médicale à mourir. Ce n’est qu’en examinant les rapports une fois les personnes décédées que l’on constate qu’un certain pourcentage de patients n’a pas eu accès à des soins palliatifs, par exemple. Sans une collecte adéquate d’informations, comment l’aide médicale à mourir peut-elle être assurée avec précision et dans le respect de tous les règlements?

Dans un article publié dans le Canadian Journal of Bioethics, le professeur Jaro Kotalik indique que l’aide médicale à mourir était déjà offerte depuis deux ans et quatre mois quand le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir élaboré par le ministère fédéral est entré en vigueur. Selon l’une des données les plus inquiétantes qu’il présente, à la fin de décembre 2019, plus de 13 000 Canadiens avaient reçu une aide médicale à mourir. Pour près de 10 000 d’entre eux, nous ne disposons d’aucune donnée publique confirmant que les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde prévus par la loi ont été respectés. Les provinces, les territoires et les établissements de santé doivent travailler de concert et échanger des renseignements, ce qui permettra de recueillir et de bien analyser plus de données sur les personnes qui reçoivent l’aide médicale à mourir et sur les vulnérabilités connues associées au statut socio-économique des demandeurs, s’il y en a.

Par ailleurs, qu’en est-il des soins palliatifs? Il en a été beaucoup question au Sénat. De nombreux sénateurs ont fait valoir qu’il faut plus de soins palliatifs, et des soins plus accessibles, partout au pays. Quand j’ai pris part au vote difficile sur le projet de loi C-14, le gouvernement affirmait qu’il se pencherait sur les soins palliatifs. En raison de la COVID, cet examen n’a pas encore eu lieu, mais on nous demande tout de même de mettre aux voix un projet de loi qui élargit les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir.

Comme l’ont déclaré beaucoup de témoins et d’honorables sénateurs, les soins palliatifs doivent faire partie de la gamme de soins. Ils doivent être offerts et rendus disponibles au patient avant que soient entamées des conversations sur l’aide médicale à mourir. Ils ne doivent pas être présentés comme une possibilité équivalente à l’aide médicale à mourir. D’ailleurs, je crois que l’aide médicale à mourir doit seulement être offerte à la fin de la vie, lorsque tous les autres services et soutiens appropriés ont été offerts et rendus disponibles.

Enfin, le projet de loi C-7 dans sa forme actuelle ne protège pas adéquatement la liberté de conscience des médecins qui préfèrent aiguiller un patient qui demande l’aide médicale à mourir lorsqu’il est contraire à leurs convictions de l’administrer eux-mêmes. Nous avons entendu que le projet de loi C-14 établit le droit à la liberté de conscience. Cependant, le régime de l’aide médicale à mourir est encore relativement jeune, et la Cour suprême du Canada n’a pas eu à se prononcer sur l’obligation des médecins à aiguiller un patient qui demande l’aide médicale à mourir.

La Dre Leonie Herx a déclaré qu’au Canada, on s’attend beaucoup plus des médecins qu’ils participent à l’aide médicale à mourir que dans tout autre pays où l’aide médicale à mourir est permise. Des médecins m’ont dit qu’ils souhaitent que le projet de loi C-7 soit renforcé et qu’il clarifie la disposition sur la liberté de conscience comprise dans le projet de loi C-14. Le Dr Ewan Goligher, professeur agrégé en médecine à l’Université de Toronto, a déclaré que même le fait d’aiguiller un patient le rend moralement coupable.

En 2018, la Dre Diane Kelso a souligné que le ministère de la Santé de l’Ontario avait mis sur pied un service de coordination des soins grâce auquel les patients et les proches aidants pouvaient demander directement d’être mis en contact avec un médecin ou avec un infirmier praticien pouvant fournir l’aide médicale à mourir. En revanche, le collège provincial exigeait toujours un renvoi direct. C’est la même chose en Nouvelle-Écosse, où les médecins et les infirmiers praticiens doivent aiguiller les patients qui demandent l’aide médicale à mourir.

Devant le comité, certains témoins ont indiqué qu’il faudrait préciser clairement dans le Code criminel si le médecin qui renvoie le patient participe aussi à l’aide médicale à mourir. Il s’agit d’un aspect très complexe de notre débat, que je ne comprends pas tout à fait. Par contre, j’ai été impressionnée à l’écoute de certains professionnels de la santé qui ont témoigné devant le comité.

Honorables sénateurs, je vais faire de mon mieux pour conclure. Il me reste encore quelques pages. Je vous remercie, chers collègues. Alors, si vous le permettez, Votre Honneur, je voudrais ajourner le débat pour le reste du temps de parole dont je dispose.

Haut de page