Aller au contenu

La Loi sur le Parlement du Canada

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

26 mai 2021


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je souhaite intervenir dans le débat sur le projet de loi S-4, qui vise à modifier la Loi sur le Parlement du Canada. Je tiens à exposer les raisons pour lesquelles j’appuie ce projet de loi. J’aimerais par la même occasion corriger certaines affirmations des intervenants précédents.

Le projet de loi S-4 se fonde sur deux principes que défend le caucus conservateur. À mon sens, le projet de loi S-4 est très intéressant dans la mesure où le gouvernement Trudeau reconnaît enfin deux grands principes pour lesquels le caucus conservateur du Sénat se bat depuis 2016.

Premièrement, le projet de loi S-4 vise à préserver le rôle du gouvernement et de l’opposition. Nos collègues qui étaient ici lorsque les premiers sénateurs nommés par M. Trudeau sont arrivés dans cette Chambre se rappelleront que certains de ceux-ci croyaient qu’il serait bon qu’il n’y ait pas de représentants du gouvernement et de l’opposition au Sénat, que cela nous rendrait moins partisans et plus indépendants, comme si défendre deux positions opposées dans un débat était une mauvaise chose au sein d’une démocratie.

J’aimerais citer ce qu’a dit le parrain du projet de loi S-4, mon bon ami et cousin le sénateur Peter Harder, lorsqu’il a comparu comme témoin devant le Comité spécial sur la modernisation du Sénat, le 28 septembre 2016 :

À mon avis, au sein d’une institution complémentaire plus indépendante et moins partisane, il n’y aura plus de caucus ministériel organisé et discipliné, alors, par conséquent, il ne devrait plus y avoir de caucus organisé de l’opposition officielle.

Chers collègues, ce n’est pas par hasard que les Pères de la Confédération ont choisi de s’appuyer sur le modèle de Westminster pour fonder le Parlement. Ce système repose sur le principe voulant que le gouvernement rédige des projets de loi en fonction du mandat que lui ont accordé les électeurs lors d’élections, alors que le rôle de l’opposition est de s’opposer à ces projets de loi.

Les Pères de la Confédération ont choisi le modèle de Westminster parce qu’ils estimaient qu’il était démocratique et efficace et qu’il constituait la meilleure façon de représenter les intérêts de la population. Chers collègues, c’est toujours vrai aujourd’hui.

Les Pères de la Confédération ont sciemment choisi de structurer le Sénat de façon à ce qu’il y ait un côté pour le gouvernement et un côté pour l’opposition. Avec la proclamation royale de 1867, le gouvernement de sir John A. Macdonald a nommé 25 sénateurs libéraux, qui se sont regroupés en caucus, et c’est Luc Letellier de Saint-Just, un libéral férocement partisan, qui a été nommé leader de l’opposition.

Les Pères de la Confédération auraient tout aussi bien pu organiser le Sénat différemment en ne nommant que des sénateurs non affiliés à un parti politique et sans la dichotomie entre le côté du gouvernement et le côté de l’opposition. Ils auraient pu choisir un modèle non partisan, mais ce n’est pas ce qu’ils ont fait.

Ils ne voulaient pas d’un comité consultatif ni d’un club de débat. Ils voulaient une assemblée législative où l’on pourrait débattre et laisser les opinions partisanes démocratiques s’exprimer. Ils ont compris que l’organisation d’un parlement en deux camps opposés était le meilleur moyen de garantir la protection des valeurs démocratiques; c’est toujours le cas.

Dans notre caucus, nous avons toujours cru qu’il devait y avoir une opposition organisée pour faciliter l’ordonnance des débats, au Sénat. Cette approche donne à ceux qui s’opposent au gouvernement les moyens démocratiques de faire valoir leurs arguments et rend le Sénat plus efficace en lui permettant de jouer pleinement son rôle.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’opposition, au Sénat du Canada, comme dans toute autre chambre parlementaire. L’opposition représente les parties de la société qui n’ont pas voté pour le gouvernement en place et qui s’opposent à l’orientation politique générale dudit gouvernement. Elle veille à ce que ces groupes soient entendus dans le débat. C’est particulièrement important puisqu’un gouvernement peut faire passer ses projets de loi à la Chambre en ayant recours au bâillon, ce qui a pour effet d’interrompre effectivement le débat et de réduire au silence les voix de l’opposition.

Comme l’a dit le premier ministre Justin Trudeau, le rôle du Sénat consiste à faire contrepoids aux pouvoirs du Cabinet du premier ministre. Comment est-ce possible sans une opposition organisée? L’opposition officielle permet de canaliser au Parlement une opposition au gouvernement qui ne s’exprime pas dans la rue, mais au Parlement, de façon civilisée, en faisant une distinction entre la volonté légitime de changement du gouvernement et une volonté révolutionnaire associée à un changement de régime.

Par ailleurs, comment le Sénat peut-il jouer son rôle en tant que « grand enquêteur de la nation », pour reprendre les mots de la Cour suprême, repris par le juge Binnie dans son rapport sur les finances du Sénat, si l’opposition — qui, par définition, est plus désireuse d’exiger des comptes du gouvernement — n’a pas les droits et les privilèges qui lui permettent de poser les questions difficiles? Comment le Sénat peut-il adéquatement représenter les minorités et ceux qui ne peuvent pas se faire entendre si le gouvernement peut le réduire au silence, parce qu’il est le seul à avoir des ressources et des outils?

Ce fut donc un soulagement pour beaucoup d’entre nous de constater que le gouvernement Trudeau a choisi de ne pas modifier le rôle de l’opposition au Sénat. Selon moi, le fait que les pouvoirs et le statut de l’opposition demeurent intacts dans le projet de loi S-4 montre que nos arguments pour défendre l’opposition étaient, et demeurent, valides. Cela devrait clore le débat sur la question pour de nombreuses années, du moins espérons-le.

Deuxièmement, je suis heureux de constater que le gouvernement reconnaît que la modification du fonctionnement du Sénat doit se faire par consensus. Voilà une autre chose que nous soutenons depuis longtemps.

Le projet de loi S-4 n’a été déposé qu’après consultation avec tous les leaders des divers groupes et caucus. Puisqu’il représente un consensus parmi les divers leaders du Sénat, le projet de loi S-4 témoigne de l’importance d’user de prudence lorsque l’on modifie le Règlement.

Cela fait partie de ce que nous faisons au Sénat : nous débattons, nous faisons valoir nos points de vue, mais, surtout, lorsqu’il s’agit de modifier le Règlement ou les principes régissant le Sénat, nous respectons la nature consensuelle historique des décisions liées à de telles modifications. Le rôle du changement reposant sur un consensus est d’autant plus important dans le Sénat actuel étant donné que cinq groupes doivent être consultés.

Je souligne que, lorsque les conservateurs détenaient la majorité au Sénat, ils n’ont apporté aucune modification au Règlement sans obtenir, au préalable, le consensus. Les tentatives de certains sénateurs de modifier unilatéralement le Règlement au cours des cinq dernières années sont inquiétantes. C’est un message que le ministre LeBlanc et le premier ministre Trudeau envoient à ces sénateurs : le seul moyen d’opérer un changement au Sénat est de parvenir à un consensus. J’espère que ce message a été bien reçu et bien compris.

Honorables sénateurs, pour résumer, je suis heureux d’appuyer le projet de loi S-4, parce qu’essentiellement, le gouvernement a finalement reconnu deux principes clés que notre caucus défend depuis cinq ans. Le projet de loi S-4 ne nous fait rien gagner, j’en conviens. Cependant, nous pouvons nous réjouir qu’enfin, la logique ait pris le dessus et que la structure du Sénat, qui sert si bien les Canadiens depuis 1867, soit préservée.

Je tiens cependant à contester certaines déclarations qui ont été faites sur ce projet de loi. Par exemple, le projet de loi S-4 ne rend pas le Sénat moins partisan, plus indépendant, plus transparent ou plus responsable, comme le sénateur Harder l’a affirmé.

Le sénateur Harder reconnaît que les sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants se sont organisés pour former un groupe de sénateurs aux vues similaires, à l’instar des autres groupes. En ce sens, ils partagent les mêmes idéaux libéraux, au sens général du mot, ce qui est tout aussi partisan qu’un groupe de sénateurs conservateurs qui partagent les mêmes idéaux conservateurs, également au sens général du mot. Il n’y a rien de mal là-dedans, chers collègues.

Les membres du Groupe des sénateurs indépendants aiment répandre l’idée qu’ils ne sont pas partisans, mais la réalité est tout autre. À maintes reprises, ils l’ont démontré en appuyant des mesures législatives d’initiative ministérielle. Il ne faut pas s’en étonner, puisqu’ils ont été nommés par un gouvernement libéral qui partage leur vision libérale.

Il sera intéressant de voir si les sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau seront non partisans lorsqu’ils se pencheront sur des projets de loi du gouvernement conservateur, une situation que beaucoup d’entre nous espèrent voir dans quelques mois. Dès qu’ils seront libérés de leur engagement envers le premier ministre Trudeau alors retraité et que les portes des caucus nationaux s’ouvriront, je ne doute pas qu’ils seront heureux de se joindre à certains de ces caucus où ils pourront vraiment faire leur travail de représentants de leur région et de législateurs canadiens.

Ce projet de loi ne rend pas le Sénat plus indépendant. Le Sénat l’a toujours été. Le premier ministre Trudeau ne l’a pas rendu plus ou moins indépendant. Le Sénat est indépendant parce que les sénateurs sont nommés, et non élus, et parce qu’ils restent en poste jusqu’à l’âge de 75 ans.

Je rappelle au sénateur Tannas qu’il a lui aussi été nommé et non pas élu, tout comme chacun d’entre nous.

Je ne vois pas comment le projet de loi rend le Sénat plus transparent ou plus responsable. C’est sous le gouvernement Harper que le Sénat a changé ses règles sur les dépenses de sénateurs, que ces dépenses sont devenues publiques, que le vérificateur général a été invité, que des sénateurs ont été sévèrement punis et que nous avons mis en place un code d’éthique. Ce sont des sénateurs conservateurs qui ont eu l’idée de mettre sur pied le Comité de l’audit et de la surveillance, lequel a permis que les débats soient rendus publics, d’abord sur Internet, puis à la télévision. C’est lui qui a ouvert les réunions du Comité de régie interne au public. Voilà ce qui a rendu le Sénat plus ouvert et transparent. Ce n’est pas le cas du projet de loi S-4.

Enfin, le projet de loi S-4 codifie les changements au Règlement du Sénat pour refléter le ridicule exercice de sémantique visant à renommer les leaders, leaders adjoints et whips en représentants, facilitateurs et agents de liaison. Ces nouveaux titres sont censés donner l’impression illusoire que tous ces postes sont non partisans, mais, concrètement, les rôles sont exactement les mêmes. La facilitatrice adjointe se débat autant que notre leader adjointe lors des réunions préparatoires pour promouvoir les projets de loi que souhaitent présenter les membres de son groupe. Le sénateur Woo est facilitateur et le sénateur Cowan était leader. Ils sont tous deux de féroces partisans prêts à défendre leur caucus et ses opinions — ce qui est tout à fait légitime.

Le projet de loi S-4 n’apporte aucun changement qui n’a pas déjà été fait par le Sénat. Le projet de loi S-4 n’est pas une mesure législative évolutive. Il n’est que le reflet de choses qui ont déjà évolué au Sénat ou qui ont été modernisées par le Sénat. Il ne contient rien de nouveau; il décrit la réalité actuelle au Sénat.

Comme l’a dit la sénatrice Cordy il y a 20 ans, le Comité du Règlement a recommandé que le Règlement soit modifié afin de reconnaître l’existence de partis autres que ceux du gouvernement et de l’opposition. Des modifications ultérieures du Règlement ont permis qu’un autre parti soit reconnu au Sénat. Le Sénat a ensuite décidé d’aller plus loin et de reconnaître d’autres groupes. Le projet de loi S-4 n’est que le point culminant de ce long processus.

Honorables sénateurs, je vous invite à appuyer le projet de loi S-4 afin qu’il soit renvoyé à la Chambre. Cela nous permettra de tourner notre attention vers des enjeux plus pressants qui sont importants pour les Canadiens.

Toutefois, en tant que leader du caucus, j’admets que quelques sénateurs s’opposent à certaines dispositions du projet de loi. Voilà pourquoi, selon toute vraisemblance, nous allons consentir à ce qu’il soit adopté avec dissidence.

Est-ce que le sénateur accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Plett [ + ]

Oui, je peux répondre à une question.

J’ai bien écouté le sénateur et je vais poser ma question en français.

Vous avez parlé d’une situation hypothétique qui pourrait survenir n’importe quand, c’est-à-dire lors d’une prochaine élection, soit que votre parti prenne le pouvoir et forme le gouvernement. Cela suppose donc que la personne occupant actuellement le poste de chef de l’opposition officielle se retrouverait du côté du gouvernement. Comment ferez-vous, si cela se produit — c’est une question hypothétique —, pour reformer une opposition officielle? À l’heure actuelle, le Règlement prévoit que le chef de l’opposition officielle est le chef d’un groupe parlementaire reconnu comme un parti officiel. Quelle serait l’opposition officielle si le Parti conservateur prenait le pouvoir?

Le sénateur Plett [ + ]

En fait, la dernière partie de la question est purement hypothétique, mais la première partie ne l’est pas du tout. Quoi qu’il en soit, sénatrice Bellemare, vous faisiez bien sûr partie de notre caucus lorsque vous êtes arrivée au Sénat, et vous avez décidé de nous abandonner. Toutefois, qui sait ce qu’il adviendra le jour où nous formerons le gouvernement, comme nous l’espérons? Le sénateur Woo pourrait décider qu’il a toujours été dans l’opposition et qu’il n’a jamais été du côté du gouvernement. D’ailleurs, peut-être qu’il veut être dans l’opposition maintenant. Nous verrons alors s’il souhaite adhérer au Parti libéral. Cependant, comme cette partie de la question est purement hypothétique, je ne peux pas vous donner une meilleure réponse que celle-ci.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Son Honneur le Président [ + ]

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Harder, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Haut de page