Projet de loi canadienne sur l'accessibilité
Deuxième lecture--Suite du débat
20 mars 2019
Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles. C’est également avec plaisir que je prends la parole au sujet d’un projet de loi parrainé par notre honorable collègue le sénateur Munson, qui, depuis plus d’une décennie, défend de manière exceptionnelle les causes liées aux personnes handicapées et, en particulier, aux Canadiens autistes.
Je crois que nous avons tous été profondément touchés par l’histoire de Timmy et par l’œuvre profonde que vous réalisez en son nom. Je crois, moi aussi, que le projet de loi pourrait s’inscrire dans la plus importante percée au pays depuis plus de trois décennies au chapitre des droits des personnes handicapées. Selon ce que j’en sais, le projet de loi a été présenté à l’autre endroit en juin dernier afin de favoriser l’égalité des chances pour les Canadiens ayant un handicap, qui sont des citoyens à part entière et des contributeurs estimés de notre société.
Le projet de loi m’a fait réaliser qu’il existe un grave manque de compréhension à l’égard des Canadiens ayant un handicap, en particulier en ce qui concerne les difficultés qu’ils ont vécues historiquement simplement en raison de leurs différences, telles que l’institutionnalisation, la stérilisation et l’isolement social.
J’ai également appris que, à ce jour, les Canadiens ayant un handicap continuent de connaître des difficultés même s’ils sont protégés par le régime canadien de droits de la personne, la Charte des droits et libertés et la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, dont le Canada est signataire.
Par conséquent, le projet de loi C-81 propose de transformer la façon dont le Canada gère les questions d’accessibilité en nous permettant de passer d’une approche réactive à proactive. Les Canadiens handicapés ne veulent pas être traités comme un fardeau, mais plutôt comme des membres à part entière de la société. Une fois adopté, le projet de loi permettra de reconnaître, d’éliminer et de prévenir les obstacles qui empêchent l’ensemble des Canadiens de s’investir dans la société.
Comme de nombreuses personnes l’ont déjà souligné, la mesure législative améliorerait le cadre juridique afin de s’attaquer aux obstacles à l’inclusion qui se dressent sur le chemin de millions de Canadiens au quotidien. J’éviterai de répéter les dispositions du projet de loi sur le sujet. Le sénateur Munson en a fait un très bon résumé. Elles modifient la façon de concevoir l’invalidité et elles soulignent le fait que les Canadiens handicapés et leur famille continuent de se buter à des obstacles à l’accessibilité.
Mes observations porteront sur les principes et sur certains aspects qui, selon moi, devraient être examinés. Le projet de loi vise à transformer l’approche du Canada pour lutter contre la discrimination. Il cherche à assurer l’égalité entre tous les Canadiens par l’entremise de principes qui guideront le Parlement, le gouvernement du Canada et beaucoup d’autres secteurs sous réglementation fédérale lorsqu’il s’agira d’offrir des services accessibles à la population.
Le projet de loi modernisera le droit en matière de lutte contre la discrimination de façon à adopter une approche moins réactive. Ainsi, on pourra faire progresser les droits de la personne des Canadiens handicapés en prévenant la discrimination. Le projet de loi s’attaquerait prestement aux quelque 50 p. 100 des plaintes présentées à la Commission canadienne des droits de la personne qui portent sur la discrimination fondée sur une déficience.
Honorables sénateurs, si ce projet de loi est adopté, les organisations sous réglementation fédérale seront tenues de reconnaître, d’éliminer et de prévenir les obstacles à l’accessibilité dans six secteurs clés : l’environnement bâti, l’emploi, les technologies de l’information et des communications, l’acquisition de biens et de services, la prestation de programmes et de services, et le transport.
De fait, la Loi canadienne sur l’accessibilité pourrait changer considérablement les façons de faire dans la fonction publique fédérale et la manière dont cette dernière sert les Canadiens, en plus d’améliorer la vie des employés fédéraux handicapés. À titre d’employeur le plus important au Canada, le gouvernement doit, en effet, donner l’exemple.
Honorables sénateurs, plusieurs questions demeurent toutefois sans réponse en ce qui concerne l’échéancier de mise en œuvre pour les 290 millions de dollars proposés dans le projet de loi. À ce jour, ni le projet de loi ni la ministre ne sont clairs quant aux proportions exactes de cette somme qui servira à créer des emplois dans la fonction publique, alors que près de 12 000 personnes qui ont répondu au sondage soumis aux fonctionnaires fédéraux ont déclaré être des personnes handicapées.
Si le projet de loi C-81 devient l’un des outils que le gouvernement peut utiliser pour se pencher sur les questions d’accessibilité de manière systémique, le gouvernement du Canada, en tant qu’employeur et fournisseur de services aux Canadiens, devra alors faire preuve de leadership et promouvoir l’accessibilité afin de soutenir les entreprises privées.
À l’étape de la deuxième lecture, nous pouvons seulement espérer que le projet de loi, dans le cadre de ses objectifs, pourra, par extension, s’appliquer également aux Canadiens qui ont attendu longtemps avant de recevoir de l’aide et qu’il ne se limitera pas seulement à celles et ceux qui travaillent dans la fonction publique fédérale.
Si l’accessibilité est perçue comme une priorité universelle, il faut alors réviser le projet de loi pour veiller à ce que le gouvernement fournisse aussi des ressources adéquates aux gouvernements des Premières Nations, afin de leur permettre de répondre aux besoins urgents qui existent dans un trop grand nombre de collectivités autochtones.
C’est dans cette optique que je suis impatient d’appuyer son passage à l’étape de l’étude au sein d’un comité, au cours de laquelle, je l’espère, nous en apprendrons davantage sur les obstacles qu’il faut supprimer, les règlements et les normes qui seront modifiés et les échéanciers qui sont proposés.
Honorables sénateurs, il nous faudra par ailleurs examiner attentivement en quoi le projet de loi peut aider tous les Canadiens handicapés, de même que leurs aidants, qui doivent assumer des dépenses plus élevées et surmonter plus d’obstacles économiques que les personnes non handicapées.
Il faudra voir si le projet de loi les aidera à assumer des frais médicaux plus élevés, en plus des produits et services de première nécessité tels que le transport, les services publics, le logement accessible et les vêtements adaptés. Il faudra garantir que l’objectif à long terme du projet de loi soit plus large que le simple fait de créer d’autres emplois dans la fonction publique. Après tout, le projet de loi se veut bénéfique pour tous les Canadiens, mais surtout pour les Canadiens handicapés, de façon à ce que nous en arrivions progressivement à un pays exempt d’obstacles.
Comme je l’ai déjà dit, j’ai beaucoup de choses à apprendre à propos des handicaps. Le rapport intitulé Éliminer les obstacles :Analyse critique du Crédit d’impôt pour personnes handicapées et du Régime enregistré d’épargne-invalidité, qui a été présenté en juin dernier par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, a très bien cerné l’enjeu et il formule 16 recommandations au gouvernement. Très détaillé, le rapport souligne qu’on estime à plus de 1,8 million le nombre de Canadiens âgés de 15 ans ou plus qui sont atteints d’incapacités graves ou très graves. Par conséquent, pour que le Canada cesse enfin de traiter l’invalidité comme un enjeu accessoire, nous devons faire en sorte que le gouvernement trouve des moyens concrets de tailler une place à ces citoyens apportant une précieuse contribution que sont les Canadiens handicapés, pas seulement au sein du gouvernement, mais dans l’ensemble de la société.
Honorables sénateurs, selon le gouvernement, le projet de loi C-81 représente une occasion jamais vue depuis le début de la Confédération d’améliorer considérablement les choses pour les personnes handicapées. S’il est adopté, le projet de loi C-81 pourrait contribuer à changer la façon dont le gouvernement du Canada et les organismes de compétence fédérale interagissent avec les Canadiens. Il prévoit l’élaboration normalisée de règlements, des mesures de conformité et d’application, un processus de plaintes, les rôles et la responsabilité de la mise en œuvre, et il s’applique surtout au Parlement, au gouvernement du Canada, aux sociétés d’État et aux entités sous réglementation fédérale, y compris les organismes du secteur bancaire et des secteurs des transports, des télécommunications et de la radiodiffusion.
Le projet de loi mérite d’être étudié de plus près, surtout sur le plan de la ventilation financière. Une autre structure bureaucratique doit être créée pour déterminer comment le gouvernement va dépenser les 290 millions de dollars prévus dans le projet de loi au cours des six prochaines années. Honorables sénateurs, les politiciens de toutes allégeances veulent aider les Canadiens handicapés. Nous convenons que notre compréhension et notre conscience des handicaps ne doivent pas être axées sur leurs causes précises ni sur leur diagnostic, mais plutôt sur les obstacles qui nuisent à la participation pleine et entière de nos concitoyens à la société.
Certes, le projet de loi jouit d’un vaste appui dans la population, mais des intervenants soutiennent qu’il ne va pas assez loin. Certains d’entre eux n’ont toujours pas eu la possibilité d’exprimer leur point de vue et d’autres affirment qu’il faut mener plus de consultations. Les groupes concernés ont insisté pour exprimer leur déception quant au manque d’empressement du gouvernement à honorer la promesse qui figurait dans la plateforme libérale de 2015. Nous avons tous le devoir de les écouter. Un certain nombre d’amendements ont été apportés au projet de loi durant son étude par le comité permanent de la Chambre des communes, qui a tenu des audiences publiques sur le projet de loi en octobre.
Je conviens que le gouvernement doit passer à l’action dans le dossier. J’appuie fièrement le projet de loi à cette étape du processus. Je suis impatient que nous débattions du projet de loi et que nous l’étudiions en comité avant de prendre une décision définitive à son égard, afin d’assurer qu’il aide véritablement ceux qui en ont besoin et qu’il fasse en sorte, comme promis, qu’on élimine les barrières systémiques et qu’on favorise l’égalité des chances pour tous les Canadiens vivant avec un handicap.
Honorables sénateurs, j’interviens aussi pour appuyer le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, aussi appelée Loi canadienne sur l’accessibilité.
Avant de commencer, j’aimerais souligner le travail effectué par nos collègues et rendre hommage au parrain du projet de loi C-81, le sénateur Munson, pour son courage indomptable et sa défense inlassable des personnes ayant des handicaps, comme les troubles du spectre autistique.
Le leadership dont a fait montre le sénateur Munson a conduit à l’adoption de la Loi instituant la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme et du rapport du Sénat intitulé Payer maintenant ou payer plus tard : Les familles d’enfants autistes en crise . Sénateur Munson, vous avez rendu et vous continuez de rendre votre fils Timothy très fier.
J’aimerais vous lire certains des propos tenus par le sénateur Munson. Je le cite :
[...] les personnes handicapées veulent faire partie de la société active. Toutefois, tous les jours, des obstacles empêchent leur participation pleine et égale dans les milieux de vie et de travail.
On leur envoie comme message qu’il n’y a pas de place pour elles, qu’elles doivent rester à l’écart ou à la maison. Il est évident qu’un changement dans la gestion des obstacles à l’accessibilité au Canada s’impose depuis longtemps.
Sénateur Munson, je suis parfaitement d’accord avec vous.
Comme vous le savez peut-être, honorables sénateurs, j’ai eu des ennuis de santé dernièrement qui m’ont laissée temporairement handicapée. Quelle leçon d’humilité ce fut. Chaque fois que je m’approche d’une porte, j’espère qu’elle sera munie d’un bouton en permettant l’ouverture. Même dans ce bel édifice patrimonial fraîchement rénové, les portes principales ont des boutons, mais il n’y en a pas partout. Les agents de sécurité voudraient bien m’aider, mais ils ne le peuvent pas toujours, parce qu’ils ne peuvent pas quitter leur poste. Pour les portes les plus lourdes, je dois souvent utiliser mon postérieur. C’est devenu mon mécanisme d’ouverture des portes personnel.
Honorables sénateurs, je vous mets au défi de faire comme moi. C’est très difficile. J’ai beaucoup appris de mon expérience des derniers mois, mais ce n’était rien à côté de ce que vivent les personnes handicapées. Voilà pourquoi ce projet de loi est si important. Je ne le dirai jamais assez.
Le projet de loi C-81 impose trois grandes tâches — plans d’accessibilité, rétroaction et rapports d’étape — à l’ensemble des entités réglementées, mais son but premier demeure que tous les secteurs de ressort fédéral soient exempts d’obstacles en supprimant tout ce qui entrave l’accessibilité et en empêchant la venue de nouveaux obstacles.
Le projet de loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles cible des environnements comme les immeubles et les espaces publics ainsi que les possibilités et les politiques d’emploi. Le projet de loi C-81 porte également sur les technologies de l’information et des communications, l’acquisition de biens et services, la prestation des programmes et services, les transports et les communications.
Une fois adopté, le projet de loi C-81 deviendra la première loi fédérale à inclure officiellement les handicaps épisodiques dans son libellé. Les handicaps épisodiques se caractérisent par des périodes où le degré de bien-être et d’incapacité est variable. Ces périodes sont en outre imprévisibles. De plus en plus de Canadiens vivent avec des maladies qui causent des handicaps épisodiques, y compris la sclérose en plaques, l’arthrite, le cancer, le VIH-Sida, le diabète et diverses maladies mentales.
Les personnes handicapées doivent composer avec de nombreux obstacles qui vont au-delà de l’accessibilité aux services et qu’on ne prend pas toujours en considération. Par exemple, on oublie souvent de prendre des mesures pour rendre les logements accessibles aux personnes handicapées. Il est vrai qu’une personne handicapée qui n’a pas de logement accessible est incapable de travailler ou de participer comme elle le voudrait à la vie communautaire.
Honorables sénateurs, j’aimerais aussi profiter de cette occasion pour demander au gouvernement fédéral de promouvoir l’accessibilité partout au Canada en exigeant que ceux qui reçoivent du financement fédéral ne maintiennent pas les obstacles existants ou n’en créent pas de nouveaux.
Nous discutons maintenant du projet de loi C-81. Que ce soit à l’étape de la deuxième lecture, de la troisième lecture ou du comité, vous entendrez parler des divers obstacles que les personnes handicapées doivent surmonter pour s’intégrer à la société.
J’aimerais vous raconter un épisode de mon enfance. Lorsque j’étais jeune, mon père a créé une école en Ouganda pour les enfants malentendants. Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti en voyant tous ces jeunes enfants arrivant de petits villages, qui n’avaient jamais été en mesure de s’exprimer. Je les ai vus apprendre et grandir. Une fois leurs études achevées, ils étaient capables de s’exprimer et ils cherchaient à trouver leur place dans la communauté. Tout ce qu’ils désiraient, c’était de pouvoir contribuer à la société. Je me souviens encore parfaitement de deux sœurs jumelles qui allaient à cette école. Je vais vous raconter leur histoire.
Les deux jumelles, Fatima et Shaleena, sont arrivées à l’école pour enfants malentendants en Ouganda à l’âge de neuf ans. Elles étaient très tranquilles et réservées. D’année en année, grâce aux outils employés et au désir d’apprendre des deux sœurs, elles ont gagné en confiance. Elles ont commencé à s’exprimer et à s’amuser. Elles m’ont fait comprendre que trouver les outils adaptés aux besoins d’une personne pouvait changer sa vie. Cela permet de faire d’un membre de la société qui est laissé pour compte, un membre de la société capable de s’épanouir pleinement.
C’est ce que nous, en tant que sénateurs, cherchons à accomplir. Tout le monde a ses problèmes. Certains sont très chanceux, ils n’ont aucun handicap. D’autres ont des défis à relever. Au bout du compte, tous les sénateurs ont le privilège et l’honneur de veiller à ce que tous les Canadiens aient accès aux outils leur permettant d’être des citoyens engagés dans leur collectivité.
Le projet de loi C-81 vise à aider les Canadiens en leur offrant les meilleurs outils possible pour réaliser leur plein potentiel malgré leur handicap.
Pour conclure, je vais citer la description de la Convention relative aux droits des personnes handicapées que l’on trouve sur le site web des Nations Unies :
[La Convention] effectue un large classement des personnes handicapées par catégories et réaffirme que toutes les personnes qui souffrent d’une quelconque infirmité doivent bénéficier de tous les droits et libertés fondamentaux. Elle éclaire et précise la façon dont toutes les catégories de droits s’appliquent aux handicapés et désigne les domaines où des adaptations permettraient à ces personnes d’exercer effectivement leurs droits.
Honorables sénateurs, nous avons le devoir de promouvoir l’égalité et l’autonomisation de tous les membres de la société. Les personnes handicapées sont aussi membres de la société.
L’invalidité n’est pas une question politique ni partisane. C’est une question humaine. Honorables sénateurs, je vous demande d’appuyer le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, et de le renvoyer à un comité le plus tôt possible. Merci beaucoup.