Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat
4 mai 2021
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à Mi’kma’ki, le territoire non cédé du peuple mi’kmaq, pour célébrer en retard le Jour de la Terre et pour répondre au discours du Trône.
Dans son discours du 23 septembre 2020, la gouverneure générale a dit ceci :
Les Canadiens sont conscients que les changements climatiques menacent leur santé, leur mode de vie et leur planète. Ils veulent une action climatique dès maintenant, et c’est ce que le gouvernement continuera de faire.
Le gouvernement mettra immédiatement en place un plan qui permettra de surpasser les objectifs climatiques du Canada pour 2030 [et il] légiférera également sur l’objectif canadien de zéro émission nette d’ici 2050.
Chers collègues, Julie Payette, la gouverneure générale de l’époque, était astronaute. Dans le discours du Trône de 2019, elle a déclaré ceci :
Et nous partageons la même planète. Nous savons que nous sommes inévitablement liés au même continuum espace-temps, et que nous voyageons tous à bord du même vaisseau planétaire.
Chers collègues, bien que nous sommes nombreux à avoir été captivés par le récent atterrissage sur Mars de l’astromobile Perseverance et par le vol de l’hélicoptère martien Ingenuity, alors que nous cherchons une planète autre que la nôtre qui peut supporter la vie, tournons notre attention aujourd’hui sur notre propre planète et sur le thème du Jour de la Terre de cette année, qui est « Restaurer notre Terre ». Il faudra de l’ingéniosité humaine et de la persévérance collective pour restaurer la Terre afin qu’elle puisse continuer à supporter la vie.
Saviez-vous que le premier Jour de la Terre a été organisé en 1970 par Gaylord Nelson, un sénateur démocrate états-unien, ainsi que Pete McCloskey, le membre républicain du Congrès qui l’avait recruté pour être son coprésident?
Le thème du premier Jour de la Terre était « Une question de survie » et le message, tel qu’il a été présenté par Walter Cronkite du réseau CBS, était « Agir ou mourir ». Bon sang qu’il me fait penser à Greta Thunberg!
Au Jour de la Terre cette année, le président américain Joe Biden a été l’hôte d’un sommet virtuel mondial pour discuter des mesures à prendre à l’égard de l’état d’urgence climatique. On aurait dit que le message « Agir ou mourir » du premier Jour de la Terre avait été catapulté à notre époque. J’en dirai plus à ce propos plus tard.
Honorables collègues, le 17 juin 2019, la Chambre des communes avait adopté une motion pour déclarer l’état d’urgence climatique nationale au Canada. Depuis, il y a eu une élection générale et les Canadiens ont clairement indiqué que l’environnement et les changements climatiques sont des priorités pour eux.
En février dernier, j’ai lancé une interpellation sur l’importance de trouver les bons parcours pour que le Canada respecte sa cible de zéro émission nette de carbone et ses autres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les sénateurs Mitchell, Galvez et Pate se sont exprimés sur cette interpellation et de nombreux autres collègues dans cette enceinte ont ensuite manifesté leur intérêt pour participer à la discussion. Le but est de stimuler les discussions au Sénat afin de trouver des solutions en matière de lutte contre les changements climatiques pour ensuite stimuler les discussions et les actions partout au Canada. Comme nombre de nos meilleurs projets en 2020, l’interpellation a été prise en otage par la pandémie puis elle est morte au Feuilleton au moment de la prorogation.
Chers collègues, j’aimerais ajouter ma voix à tous les autres « transitionnistes » afin de poursuivre la conversation où elle avait été interrompue au mois de mars l’année dernière. Je vous invite tous à vous joindre à moi pour accomplir des progrès.
Aujourd’hui, je reviendrai sur des discours du Trône et sur des promesses du Canada, je mentionnerai brièvement les États-Unis et d’autres acteurs internationaux, je parlerai des voies qui mènent à la carboneutralité et je conclurai en vous présentant une modeste proposition, chers collègues. Je vous invite donc à écouter jusqu’à la fin.
En octobre 1970, quelques mois à peine après le premier Jour de la Terre, le gouverneur général Roland Michener présente les intentions du gouvernement de Pierre Trudeau dans le discours du Trône :
Tous les efforts que nous déployons pour promouvoir une prospérité stable et fonder une société vraiment humaine, resteront sans lendemain si nous ne réagissons pas rapidement, et avec énergie, au spectre qui menace notre bien-être et celui des générations futures : la pollution du milieu. La pollution, comme une nouvelle hydre, exige de multiples interventions. Vous aurez à délibérer sur des projets de loi qui traitent de [...] la pollution des mers et celle de l’atmosphère [...] On proposera donc la création d’un ministère responsable de l’environnement [...]
Le 2 octobre 1986, la gouverneure générale Jeanne Sauvé parle des plans du gouvernement de Brian Mulroney :
Conscient du lien essentiel qui existe entre un environnement sain et la qualité de vie au Canada, mon gouvernement vous demandera d’adopter une nouvelle loi sur la protection de l’environnement [...]
Le 30 septembre 2002, la gouverneure générale Adrienne Clarkson livre le message du gouvernement de Jean Chrétien :
À l’échelle internationale, les changements climatiques entraînent de nouveaux risques en matière de santé et d’environnement. Cela pourrait constituer le défi majeur qu’auront à relever plusieurs générations à venir.
Le 16 octobre 2007, la gouverneure générale Michaëlle Jean a exprimé l’engagement du gouvernement de Stephen Harper :
Les changements climatiques sont un problème mondial qui nécessite une solution mondiale. Notre gouvernement croit fermement qu’une approche mondiale efficace pour contrer les gaz à effet de serre doit inclure des cibles obligatoires qui s’appliquent à tous les importants émetteurs de gaz à effet de serre, dont le Canada.
Le 5 décembre 2019, la gouverneure générale Julie Payette a souligné la priorité du gouvernement de Justin Trudeau :
Les enfants et petits-enfants du Canada jugeront cette génération selon ses actions, ou son inaction, à l’égard du plus grand défi de notre époque : les changements climatiques.
Un an plus tard, le gouvernement du Canada a présenté son plan intitulé « Un environnement sain et une économie saine ». Ce plan vise à créer plus de 1 million d’emplois et il prévoit des investissements de 15 millions de dollars en plus des 6 milliards de dollars de la Banque de l’infrastructure du Canada pour l’infrastructure propre.
L’élément central des efforts déployés est la tarification croissante de la pollution par le carbone. Le droit constitutionnel du gouvernement fédéral à cet égard a récemment été confirmé par une décision de la Cour suprême. En effet, les juges ont souligné que le réchauffement planétaire causait des dommages au-delà des frontières provinciales et qu’il s’agissait d’une question d’intérêt national en vertu de la disposition de la Constitution sur « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ».
Le juge en chef, Richard Wagner, a dit des changements climatiques qu’il s’agit d’une « menace de la plus haute importance pour le pays, et, de fait, pour le monde entier ». Il a ajouté ceci :
[Ils] causent des dommages considérables à l’environnement, à l’économie et aux êtres humains au pays et à l’étranger, et [ils] ont des répercussions particulièrement sévères dans les régions arctiques et côtières du Canada, ainsi que pour les peuples autochtones.
Le budget de 2021 — le premier à venir d’une femme — a été présenté le 19 avril 2021 par la ministre des Finances et vice-première ministre Chrystia Freeland. Il consacre 17,6 milliards de dollars à la relance verte. Le but : créer des emplois, bâtir une économie propre, lutter contre les changements climatiques et en protéger la population.
Il y a plus de cinq mois, le gouvernement a présenté le projet de loi C-12, sur la responsabilité en matière de carboneutralité, et il a présenté dernièrement le projet de loi C-28, qui inscrirait dans la loi le droit à un environnement sain et renforcerait la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.
Le Canada a promis d’atteindre une pléthore de cibles d’ici 2030 afin de pouvoir être carboneutre en 2050 et honorer les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris. Au départ, le pays devait réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % en deçà des niveaux de 2005, mais le dernier budget parlait plutôt de 36 %, alors qu’au Sommet sur le climat organisé par les États-Unis, le Canada s’est engagé à les réduire de 40 à 45 % d’ici 2030.
Maintenant qu’il a réintégré l’Accord de Paris, le président Biden s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre de son pays de 50 à 52 %, ce qui constitue une cible plus qu’ambitieuse, puisque les États-Unis sont les deuxièmes producteurs de gaz à effet de serre de la planète.
La Chine a pris le monde par surprise l’année dernière en profitant de l’Assemblée générale de l’ONU pour annoncer qu’elle atteindrait la carboneutralité en 2060. Ce n’est pas rien, car je rappelle que la Chine est le plus gros pollueur du monde et qu’elle émet 28 % de tous les gaz à effet de serre.
Pendant ce même Sommet sur le climat, le Royaume-Uni s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 68 % d’ici 2035, tandis que l’Union européenne a promis de ramener les siennes 55 % sous les niveaux de 1990 d’ici 2030.
Honorables sénateurs, maintenant que les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et l’Union européenne semblent déterminés à protéger l’environnement et à atteindre la carboneutralité, le Canada n’a jamais eu autant d’occasions de collaborer ni de raisons de favoriser l’innovation commerciale et concurrentielle afin de stabiliser le climat de la planète et assainir l’air que nous respirons.
Honorables sénateurs, l’Organisation météorologique mondiale confirme que la température moyenne à la surface du globe en 2020 a dépassé de 1,2 °C celle de l’époque préindustrielle et que les six dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Avec la fonte des glaces dans l’océan Arctique, l’élévation du niveau de la mer, les feux de forêt persistants et étendus, les inondations et les tempêtes tropicales qui sont tous en hausse, le moment est décisif pour notre planète et ses habitants.
Le moment est venu de décider ce vers quoi nous tourner et, pour dire les choses franchement, de décider ce qu’il faut abandonner. C’est le temps de faire des choix intelligents et animés par la compassion. On nous demandera de déclarer nos choix à Glasgow en novembre, et les électeurs du Canada pourraient être appelés à voter sur ces choix dans un avenir prochain.
Jason Dion, le principal auteur d’une étude récente de l’Institut canadien pour les choix climatiques qui décrit 60 scénarios où le Canada pourrait atteindre la carboneutralité, affirme qu’avec son territoire et ses ressources, ses infrastructures et son savoir-faire, le Canada a plusieurs atouts en main, mais qu’il doit jouer ses cartes judicieusement et que, pour jouir de son avantage, il doit passer à l’action. Nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre sans nous servir de nos atouts, dit M. Dion.
N’oublions pas que le Canada n’a atteint aucune de ses cibles.
Honorables collègues, pour atteindre notre nouvel objectif ambitieux de 2030 et la carboneutralité d’ici 2050, il faut de toute évidence accélérer la tarification du carbone tout en trouvant d’autres moyens de réduire rapidement les émissions et d’en freiner la croissance.
Nous devrions avant tout nous efforcer d’assurer un approvisionnement énergétique fiable, abordable et durable et de promouvoir l’innovation en ce qui a trait à la production, à la distribution et à l’utilisation des énergies vertes, y compris l’hydroélectricité, l’énergie éolienne, l’énergie solaire, l’énergie géothermique et l’énergie marémotrice.
Nous savons que nous devons aussi nous pencher sur les options énergétiques à faibles émissions de carbone comme l’énergie produite de manière écologique avec de l’hydrogène, et peut-être l’énergie produite avec de petits réacteurs nucléaires modulaires. Nous devons déterminer le rythme auquel nous pouvons et nous devons éliminer les combustibles fossiles. Nous devons réduire et éliminer le carbone dans les secteurs du transport, de la construction, de la fabrication et de l’agriculture.
Les solutions de stockage du carbone extrêmement efficaces et naturelles sont un choix évident pour le Canada, où les forêts, les prairies, les terres humides, les marais côtiers et les terres agricoles sont abondants.
Même s’il faut tenir compte de certaines difficultés, les technologies de captage et le stockage du carbone nous aideront sans doute à atteindre la carboneutralité.
Après la pandémie de COVID-19, nous devrons relever le genre de défi qui ne se présente qu’une fois par siècle en conciliant deux impératifs. Premièrement, il faudra accélérer la mise en œuvre des mesures de lutte contre les changements climatiques tout en assurant une transition équitable. Deuxièmement, il faudra relancer l’économie après la pandémie. Dans les deux cas, nous devrons mettre l’accent sur le bien-être et le potentiel de nos concitoyens, y compris les femmes, les jeunes, les Autochtones, les travailleurs du secteur pétrolier et gazier ainsi que d’autres groupes gravement touchés, tout en veillant à traiter équitablement les différentes régions du pays. Il faut que personne ne soit laissé pour compte et qu’aucune région ne soit négligée.
Honorables sénateurs, il s’agit d’un défi de taille, qui nécessitera un leadership fort et une approche où tous mettent la main à la pâte, à l’échelle de la société. Il y a aussi un rôle pour nous, les sénateurs canadiens.
En tenant compte que le Sénat est indépendant et libre des contraintes qu’imposent les cycles électoraux à court terme, imaginez ce que nous pourrions accomplir en réunissant nos matières grises, la diversité de nos expériences, notre pouvoir et notre influence. Nous disposons d’études de haute qualité, d’interpellations, de périodes des questions et de motions. Par-dessus tout, nous passons les choses au peigne fin et nous cherchons à améliorer les mesures législatives ou nous présentons des projets de loi au besoin. Aujourd’hui, j’aimerais proposer aux sénateurs une nouvelle façon de se placer au premier plan de la lutte contre les changements climatiques. C’est ce dont je veux vous parler.
Chers collègues, le mois dernier, j’ai reçu un appel de la baronne Helene Hayman, ancienne Présidente de la Chambre des lords, et de la baronne Bryony Worthington, principale auteure de la loi britannique sur les changements climatiques de 2008. Elles avaient entendu parler de notre interpellation sur la carboneutralité, et elles souhaitaient discuter de la possibilité d’une collaboration entre nos chambres. Elles sont cofondatrices de Peers for the Planet, un groupe de la Chambre des lords du Royaume-Uni qui a été formé l’année dernière et qui compte 120 membres. Elles sont toutes les deux convaincues que les parlementaires peuvent en faire davantage pour lutter contre les changements climatiques, et elles reconnaissent l’occasion unique de collaborer avec tous les partis à la faveur de changements tout aussi ambitieux que pragmatiques des politiques et des lois, peu importe le parti qui forme le gouvernement. Leur vaste approche collaborative a produit des résultats concrets dans divers domaines.
Honorables sénateurs, la dynamique engendrée par le groupe Peers for the Planet et les résultats qu’il a obtenus m’impressionnent. Je vous propose que nous créions un groupe semblable dans cette enceinte dès aujourd’hui, afin d’attirer l’attention sur l’urgence, pour le Canada, de prendre des mesures contre les changements climatiques.
Cinquante et un ans après le premier Jour de la Terre, une initiative du sénateur américain Gaylord Nelson, et un an après que les baronnes anglaises Hayman et Worthington ont lancé le groupe Peers for the Planet, je suis impatiente de collaborer avec vous pour que nous mettions sur pied une coalition de sénateurs canadiens, une coalition unique avec un mandat précis : être des catalyseurs des mesures urgentes de lutte contre les changements climatiques. Imaginez tout ce que nous pourrions accomplir si nous mettions à profit notre ingéniosité collective combinée à notre persévérance inébranlable.
Honorables collègues, qui d’autres que nous pourrait le faire? Quel autre moment serait plus approprié qu’aujourd’hui? Allons-y. Qui se joindra à moi? Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en réponse au discours du Trône. Comme la sénatrice Coyle, je mettrai l’accent sur les parties du discours du Trône axées sur l’objectif d’un avenir carboneutre au Canada. Voici ma réponse à l’invitation de la sénatrice Coyle, qui réclame notre collaboration dans la lutte contre les changements climatiques : Mary, vous pouvez compter sur moi.
Je ne souhaite pas revenir sur des points déjà abordés avec tant d’éloquence par la sénatrice Coyle. Je veux plutôt parler d’un sujet qui pourrait être moins apprécié dans le cadre des débats animés sur les changements climatiques, mais qui pourrait nous aider à nous éloigner des idéologies qui nous divisent et à embrasser un avenir qui peut nous unir; un avenir où nous utilisons de meilleures sources d’énergie.
Honorables collègues, nous vivons une période de transition énergétique mondiale. Au cours de l’histoire de l’humanité, notre espèce a connu plusieurs périodes semblables. Au fil du temps, nous avons toujours réussi à passer d’une source d’énergie à de meilleures, améliorant ainsi la vie des gens.
Initialement, une grande partie de la croissance économique reposant sur l’agriculture en Amérique du Nord était alimentée par l’hydroélectricité, plus précisément par des moulins à eau. Il s’agissait de petites entreprises locales, soumises à des restrictions substantielles. Au fil du temps, grâce aux progrès technologiques, on a commencé à utiliser l’hydroélectricité pour produire de l’électricité pouvant être utilisée à plus grande échelle pour l’éclairage, le chauffage et la cuisson, mais pas pour le transport, en raison d’obstacles techniques et politiques.
À mesure que la population a crû en Amérique du Nord et que les technologies se sont améliorées, la capacité de créer, de transporter et de stocker efficacement de grandes quantités d’électricité a mené à la réalisation d’un nombre croissant de projets hydroélectriques, tels que les grands barrages comme la centrale Sir Adam Beck 2 et la centrale Manic-5.
Cependant, l’hydroélectricité a été surpassée par l’électricité produite au moyen de centrales au charbon. Par exemple, aux États-Unis, la consommation de charbon a pratiquement doublé entre 1930 et 1990, et c’est là que nous avons pu observer le phénomène des pluies acides. C’est également à cette époque que les scientifiques ont déterminé que la combustion de charbon émet en grande quantité non seulement de l’acide sulfurique, carbonique et nitrique, mais également du dioxyde de carbone.
Toutefois, ce sont la production de masse du modèle T propulsé par un moteur à essence et l’utilisation répandue du moteur à essence dans la Seconde Guerre mondiale, combinée au baby-boom de l’après-guerre, puis à l’invention des banlieues, aux techniques de construction des routes modernes et à l’aménagement de l’infrastructure des stations-service, qui ont fait augmenter notre consommation de combustibles fossiles. L’attachement que beaucoup d’entre nous avons pour nos véhicules alimentés aux combustibles fossiles résulte de ces phénomènes historiques.
Cela dit, ces changements ne se sont pas opérés du jour au lendemain. En effet, il a fallu plus de 70 ans de réflexion technologique, de rafistolage d’ingénierie et d’analyse scientifique pour concrétiser cette évolution. Le premier moteur à essence à quatre temps a été construit en Allemagne dans les années 1860, lorsque Karl Benz a amorcé la première production commerciale de véhicules motorisés dotés d’un moteur à combustion interne. Soit dit en passant, simplement pour donner un peu de contexte historique, c’est en 1888 que Nikola Tesla a breveté le moteur électromagnétique.
En moins de 100 ans, les combustibles fossiles, qui ne comptaient que pour une petite partie de la consommation d’énergie des sociétés humaines, en sont devenus la principale source d’énergie. En effet, on estime maintenant qu’environ 85 % de la consommation énergétique primaire du monde provient des combustibles fossiles.
À mesure que l’utilisation des combustibles fossiles s’est accrue, ceux-ci ont remplacé les sources d’énergie existantes, ont favorisé les déplacements de population et ont modifié le marché au détriment des autres sources d’énergie. La meilleure source d’énergie l’a emporté.
Par exemple, l’industrie de la chasse à la baleine n’a plus sa place en Amérique du Nord, parce que la demande d’huile de baleine est inexistante. Ces géants des mers étaient principalement chassés pour leur graisse, qu’on transformait en huile pour éclairer les maisons et lubrifier la machinerie. On estime que cette chasse intensive a entraîné la mort de plus d’un quart de million de ces magnifiques mammifères au cours du XIXe siècle, sans compter les milliers de décès horribles de chasseurs de baleines, qui travaillaient dans des conditions que la plupart des gens peineraient à imaginer de nos jours. Avec toutes les baleines tuées dans les eaux faciles d’accès et le coût de plus en plus élevé de l’huile de baleine pour les consommateurs, l’industrie est passée à l’exploitation des ressources marginales, chassant des baleines plus petites dans les eaux plus froides et plus dangereuses. À la fin du XIXe siècle, l’industrie de l’huile de baleine était en déclin et ceux qui demandaient qu’on poursuive cette chasse sans rien changer ne pouvaient rien y faire.
Cependant, il n’y a pas que l’épuisement de cette ressource non renouvelable qui a mis fin à la dépendance de l’Amérique du Nord envers l’huile de baleine pour l’éclairage, il y a aussi l’invention de la lampe au kérosène, une meilleure solution énergétique. Les Canadiens peuvent s’enorgueillir de cette invention, puisque c’est Abraham Gesner, un géologue canadien, qui a inventé la façon de distiller le kérosène à partir du pétrole. Cette solution était plus économique et plus facile à entreposer, et le kérosène ne produisait pas une odeur désagréable au moment de sa combustion. Ironiquement, c’est une avancée technologique dans le secteur des carburants fossiles qui a permis de sauver les baleines. Cependant, l’arrivée de cette meilleure source d’énergie a entraîné un coût pour les populations et les marchés qui se fiaient à la chasse à la baleine pour produire de l’énergie.
Honorables sénateurs, c’est la même chose qui se produit aujourd’hui. Nous vivons une transition vers de meilleures sources d’énergie. Il s’agit autant des ressources renouvelables que des ressources non renouvelables. On parle notamment des énergies solaire, éolienne et marémotrice, de l’hydrogène et de l’énergie nucléaire. À mesure que les scientifiques et les ingénieurs au pays amélioreront notre capacité à capter, à stocker et à transmettre cette énergie, ce sont ces avancées technologiques qui tiendront le haut du pavé.
Par exemple, la recherche sur l’énergie photovoltaïque progresse rapidement et devrait bientôt constituer une solution pour produire l’énergie à l’avenir, son incidence étant moindre sur le climat, même si ce n’est pas toute l’énergie qui est produite ainsi. La production d’énergie grâce au soleil n’est pas quelque chose de nouveau. C’est un jeune physicien français, Edmond Becquerel, qui a découvert, en effet, en 1839, l’effet photovoltaïque, à savoir la production d’électricité sous l’effet de la lumière ou d’une énergie rayonnante. Depuis les toutes premières inventions à effet photovoltaïque qu’était le sélénium recouvert d’une fine couche d’or jusqu’à l’utilisation du silicium cristallin pour améliorer l’efficacité des cellules solaires, la recherche a évolué et produit des solutions encore plus novatrices comme les cellules solaires à points quantiques d’une efficacité bien supérieure. Il n’est pas déraisonnable de penser que ces technologies, au fur et à mesure qu’elles se développent, réduiront notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles pour la production d’énergie.
De même, le fait que nous sachions mieux utiliser, réutiliser, recycler et stocker le combustible usé en toute sécurité nous a conduits à réévaluer l’intérêt que représente l’énergie nucléaire et les promesses qu’elle laissait miroiter. Il y a des projets innovants à un stade avancé en matière de fission, tels que les petits réacteurs modulaires et les réacteurs nucléaires de 4e génération , par exemple le réacteur intégral à sels fondus développé par la société canadienne Terrestrial Energy. Peut-être que l’utilisation de thorium ou de combinaisons de combustibles du style uranium-thorium se développera assez rapidement pour que nous puissions profiter des avantages de cette nouvelle approche dans un avenir proche.
Honorables sénateurs, rappelons-nous l’adage selon lequel l’âge de pierre n’a pas pris fin à cause d’une pénurie de pierres.
Comme l’a écrit l’un de nos plus grands penseurs modernes Steven Pinker : « [...] les sociétés ont toujours abandonné une ressource au profit d’une meilleure solution bien avant que l’ancienne ne soit épuisée. »
À l’avenir, la croissance et le développement humain devront s’appuyer sur de meilleures sources d’énergie pour nous permettre de continuer à faire progresser le développement social et économique à l’échelle mondiale tout en protégeant la planète où nous vivons.
Comme l’histoire nous l’enseigne, l’adoption d’une nouvelle source d’énergie a toujours présenté des avantages et des coûts. Chaque fois, les gens ont dû transformer leurs méthodes de travail et leur mode de vie. Chaque fois, il y a eu des turbulences politiques et des bouleversements sociaux. Cela dit, ces périodes de transition, même si elles étaient difficiles, ont fini par améliorer la qualité de vie de plus en plus de monde. Il était salissant et dangereux de travailler dans les mines de charbon. Toutefois, comme le charbon était une source d’énergie principale, son exploitation a contribué à la naissance du mouvement syndical qui a créé un cadre amélioré et plus équitable pour la santé et l’engagement démocratique des travailleurs, ce qui s’est étendu à tous les secteurs de la société.
En tant que sénateurs, notre défi n’est pas de jouer aux luddites, mais d’inciter notre pays et nos partenaires internationaux à adopter une transition plus rapide vers de meilleures sources d’énergie, qui seront meilleures pour nous et pour le climat.
À mesure que nous progressons, nous devons éviter la tragédie des biens communs. Cette tragédie a lieu lorsque des gens deviennent des profiteurs et s’attendent à ce que les autres agissent, mais pas eux. Au Canada, cela se traduit par l’argument suivant : puisque nous contribuons moins que d’autres pays aux émissions mondiales de carbone, nous n’avons pas besoin d’agir rapidement et de prendre des mesures musclées sur nos territoires. Cependant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et attendre des autres qu’ils fassent tout.
Nous devons également penser à des solutions à grande échelle. Il ne suffit pas de faire étalage de sa vertu et d’arrêter d’utiliser des pailles en plastique et des sacs en plastique à usage unique. Notre tâche consiste à effectuer le travail difficile nécessaire pour lutter efficacement contre les changements climatiques. Cela nécessitera des mesures collectives bien plus importantes que l’utilisation d’une paille en métal pour siroter son café au lait.
Ce faisant, nous devons également mieux lutter contre la pauvreté au pays et à l’étranger. Il faut une énergie abondante pour échapper à la pauvreté. Il n’est pas surprenant que certains des plus grands émetteurs de CO2 au monde soient des pays dont les habitants connaissent actuellement une hausse sans précédent de leur niveau de vie. Ce phénomène a eu lieu pendant la révolution industrielle dans des pays qui sont aujourd’hui des pays à revenus élevés. Grâce aux combustibles fossiles, qui étaient une meilleure source d’énergie à l’époque, les pays à revenus élevés sont devenus riches en polluant la nature. Ce n’est pas le moment d’exiger des autres nations qu’elles freinent leur création de richesse, mais de travailler avec elles pour les aider à s’enrichir en utilisant de meilleures sources d’énergie que les combustibles fossiles. En effet, un certain nombre de ces pays se dirigent résolument dans cette direction. Par exemple, l’Inde et la Chine sont des chefs de file dans le domaine du développement de meilleures technologies énergétiques.
Notre défi collectif est de rapidement réduire notre dépendance aux combustibles fossiles pour devenir presque carboneutres, c’est un processus qu’on appelle souvent la décarbonation profonde. Il faudra pour ce faire un leadership courageux, honnête et dynamique de la part du gouvernement, de l’industrie, du secteur financier et des organismes qui composent la société civile. Il faudra que les industries dont l’activité a toujours reposé sur les combustibles fossiles prennent un virage et qu’il y ait des investissements dans de meilleures infrastructures énergétiques, à l’instar de ce qui s’est passé lorsque nos réseaux routier et ferroviaire se sont développés sous la poussée d’innovations utilisant les combustibles fossiles. Il faudra que chacun cesse de se camper sur ses positions, tant les écologistes radicaux que les climatosceptiques. Il faudra accroître le soutien aux scientifiques et aux ingénieurs qui une fois de plus, comme ils l’ont fait par le passé, trouveront de meilleures sources d’énergie. Il faudra un degré de collaboration sur le plan national et international encore jamais vu.
Honorables sénateurs, nous pouvons tous contribuer à l’avènement d’un avenir énergétique prometteur.
Conscient de cela, j’accepte sans réserve l’invitation de la sénatrice Coyle à unir nos efforts et j’encourage chacun de mes collègues sénateurs à faire de même.
Investissons pour bâtir un meilleur avenir énergétique pour nos enfants, leurs enfants ainsi que toutes les générations futures.
Merci. Meegwetch.